Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 19 : Des ministres des clefs
Nous
devons ensuite nous occuper des ministres des clefs et de leur usage. A cet
égard il y a six questions : 1° Les prêtres de l’ancienne loi ont-ils eu les
clefs ? (Le concile de Florence a ainsi déterminé la différence qu’il y avait
entre les sacrements de la loi nouvelle et ceux de la loi ancienne : Novæ legis sacramenta multùm à sacramentis differunt antiquæ legis. Illa enim non causabant gratiam : sed eam
solùm per passionem Christi dandam figurabant. Hæc
verò nostra et continent gratiam et ipsam dignè suscipientibus conferunt.) — 2° Le Christ les a-t-il eues ? — 3° N’y a-t-il que les prêtres
qui aient les clefs ? (Cet article est une réfutation des cathares, des Pauvres
de Lyon, de Luther et de tous les novateurs qui ont prétendu qu’un simple
fidèle pouvait absoudre ; ce que le concile de Trente a ainsi condamné (sess.
14, can. 40) : Si quis
dixerit non solos sacerdotes
esse ministros absolutionis
; sed omnibus et singulis Christi fidelibus esse dictum : Quæcumque ligaverit, etc. ; quæcumque solveritis, etc. ; quorum remiseritis,
etc… anathema sit.) — 4° Les saints qui ne sont pas prêtres les
ont-ils ou en ont-ils l’usage ? (Cet article est une réfutation des Pauvres de
Lyon, des vaudois et des wicleffistes qui
prétendaient qu’un laïque qui était en état de grâce pouvait donner
l’absolution ; ce qui fut condamné par le concile de Constance et le concile de
Trente dans le canon que nous avons déjà cité : Si quis dixerit non
solos sacerdotes esse ministros
absolutionis… anathema sit (sess. 14, can. 10).) — 5° Les mauvais prêtres
usent-ils les clefs d’une manière efficace ? (Il est de foi contre les
donatistes, les vaudois et les wicleffistes, que les
sacrements conférés par de mauvais prêtres sont valides, comme nous l’avons dit
(3a pars, quest. 64, art. 5). Le concile de Trente a spécialement
défini la même chose au sujet du sacrement de pénitence : Si quis dixerit sacerdotes qui in mortali peccato sunt, potestatem,
ligandi et solvendi non habere, anathema sit (sess. 14, chap. 20).) — 6° Les schismatiques, les
hérétiques, les excommuniés, ceux qui sont suspendus et dégradés ont-ils
l’usage des clefs ?
Article
1 : Les prêtres de l’ancienne loi ont-il eu les clefs ?
Objection
N°1. Il semble que le prêtre de l’ancienne loi ait eu les clefs. Car la clef
est une suite de l’ordre. Or, les prêtres de l’ancienne loi ont eu l’ordre d’où
ils recevaient leur nom de prêtres. Donc ils ont eu aussi les clefs.
Réponse
à l’objection N°1 : Les clefs du royaume céleste sont une conséquence du
sacerdoce qui introduit l’homme dans les choses célestes. Mais comme le
sacerdoce de Lévi n’avait pas ce caractère, il s’ensuit que les prêtres de
l’ancienne loi n’avaient pas les clefs du ciel, mais les clefs du tabernacle
terrestre (Ce tabernacle était la figure du tabernacle célestes, ils avaient
figurativement le pouvoir des clefs, qui existe actuellement d’une manière
réelle entre les mains des prêtres de la nouvelle loi.).
Objection
N°2. Comme le dit le Maître des sentences (4, dist. 18), il y a eu deux clefs,
la science de discerner et le pouvoir de juger. Or, les prêtres de l’ancienne
loi avaient l’autorité pour l’une et l’autre. Donc ils avaient les clefs.
Réponse
à l’objection N°2 : Les prêtres de l’ancienne loi avaient l’autorité de
discerner et de juger, mais ils n’avaient pas le pouvoir d’admettre aux choses
célestes celui qu’ils avaient jugé, ils l’initiaient seulement à ce qui en est
la figure.
Objection
N°3. Les prêtres de l’ancienne loi avaient une certaine puissance sur le reste
du peuple ; ce n’était pas une puissance temporelle, parce qu’alors le pouvoir
royal n’aurait pas été distinct du pouvoir sacerdotal ; mais c’était une
puissance spirituelle. Cette puissance étant la clef, ils avaient donc cette
dernière.
Réponse
à l’objection N°3 : Ils n’avaient pas la puissance spirituelle, parce que par
leurs rits légaux et sacramentels ils ne purifiaient
pas les hommes de leurs fautes, mais de leurs irrégularités, parce que l’entrée
du tabernacle fait de main d’homme leur fut ouverte, après qu’ils étaient ainsi
purifiés.
Mais
c’est le contraire. Les clefs sont établies pour ouvrir le royaume des cieux,
qui n’a pu être ouvert avant la passion du Christ. Donc les prêtres de l’ancienne
loi ne les ont pas eues.
Les
sacrements de l’ancienne loi ne conféraient pas la grâce. Or, l’entrée du
royaume des cieux ne peut être ouverte que par la grâce. Donc elle ne pouvait
être ouverte par ces sacrements, et par conséquent le prêtre qui était leur
ministre n’avait pas non plus les clefs du royaume des cieux.
Conclusion
Puisque la puissance des prêtres de l’ancienne loi ne s’est pas étendue aux
choses célestes, mais seulement à ce qui en était la figure, ils n’ont pas eu
les clefs, mais ils n’en avaient que la figure.
Il
faut répondre qu’il y en a qui ont dit que sous l’ancienne loi les prêtres
avaient les clefs du royaume céleste, parce qu’ils étaient chargés d’imposer
une peine pour les délits, comme on le voit (Lév., chap. 5), ce qui semble appartenir aux clefs ; mais qu’alors
elles étaient incomplètes, tandis que maintenant le Christ les a données d’une
manière parfaite aux prêtres de la loi nouvelle. Mais ce sentiment paraît être
contraire à la pensée de l’Apôtre (Héb., chap. 9),
car il met le sacerdoce du Christ au-dessus du sacerdoce légal, parce que le Christ qui est pontife des biens futurs,
est entré par son propre sang dans un tabernacle qui n’a pas été fait de main
d’homme comme celui dans lequel entraient les prêtres de l’ancienne loi par le
sang des boucs et des taureaux. D’où il est évident que ce pouvoir ne
s’étendait pas aux choses célestes, mais aux figures des choses célestes (C’est
ce qui faisait dire à l’Apôtre (ibid., 10, 4) : Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs enlève le
péché.). C’est pourquoi d’après d’autres on doit dire qu’ils n’avaient pas
eu les clefs, mais qu’ils en ont eu à l’avance la figure.
Article
2 : Le Christ a-t-il eu les clefs ?
Objection
N°1. Il semble que le Christ n’ait pas eu les clefs. Car la clef est une
conséquence du caractère de l’ordre. Or, le Christ n’a pas eu ce caractère. Il
n’a donc pas eu la clef.
Réponse
à l’objection N°1 : Le caractère désigne par sa nature une chose qui découle
d’une autre. C’est pourquoi la puissance des clefs qui vient du Christ en nous
résulte du caractère qui nous rend semblables au Christ. Mais dans le Christ
elle ne découle pas du caractère, elle provient de sa forme principale.
Objection
N°2. Le Christ a eu dans les sacrements une puissance d’excellence, de telle
sorte qu’il pouvait en conférer l’effet sans les formes sacramentelles. Or, la
clef est une chose sacramentelle. Il n’en avait donc pas besoin, et par
conséquent il l’aurait eue en vain.
Réponse
à l’objection N°2 : Cette clef que le Christ a eue n’était pas sacramentelle
(Il pouvait remettre les péchés sans le sacrement, tandis que pour ses
ministres ils ne peuvent les remettre que par ce moyen.), mais elle était le
principe de la clef sacramentelle.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Apoc., 3, 7) : Ainsi parle celui qui a la clef de David,
etc. (Le Christ a montré dans une foule de circonstances qu’il avait le pouvoir
de remettre les péchés : Or, afin que
vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre, de remettre les
péchés : Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit et va dans ta
maison (Matth., chap. 9, Marc, chap. 2, Luc,
chap. 5).).
Conclusion
Le Christ étant l’agent principal dans l’acte des clefs, c’est-à-dire pour
ouvrir ou fermer le ciel, on dit qu’il les a excellemment comme Dieu par
autorité et comme homme par ses mérites.
Il
faut répondre que la vertu de faire une chose est dans l’instrument et dans
l’agent principal, mais non de la même manière. Elle existe plus parfaitement
dans l’agent principal. Or, la puissance des clefs que nous avons, ainsi que la
vertu des autres sacrements, est instrumentale. Mais elle est dans le Christ
comme dans l’agent principal qui opère notre salut. Il la possède par autorité
comme Dieu, et par ses mérites comme homme. Ma clef exprime par sa nature le
pouvoir d’ouvrir et de fermer, soit qu’on ouvre comme agent principal, soit
comme ministre. C’est pourquoi il faut reconnaître que la clef est entre les
mains du Christ, mais d’une manière plus élevée que dans celles de ses
ministres, et c’est pour ces motifs qu’on dit qu’il a la clef d’excellence (Il
a la clef d’excellence comme homme, selon qu’il est l’instrument du Verbe.).
Article
3 : N’y a-t-il que les prêtres qui aient les clefs ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas que les prêtres qui aient les clefs. Car saint
Isidore dit (Etym., liv. 7, chap. 12 in fin., et De ecclesiast. offic., liv. 2,
chap. 14) : Que les portiers jugent entre les bons et les méchants, qu’ils
reçoivent ceux qui sont dignes et rejettent ceux qui sont indignes. Or, telle
est la définition des clefs, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(quest. 17, art. 2). Il n’y a donc pas que les prêtres qui aient les clefs, les
portiers les ont aussi.
Réponse
à l’objection N°1 : Les portiers ont la clef pour garder les choses qui sont
renfermées dans le temple matériel, et ils jugent ceux qu’ils doivent exclure
du temple et ceux qu’ils doivent y admettre, sans prononcer de leur autorité
propre quels sont ceux qui en sont dignes ou indignes, mais en exécutant le
jugement des prêtres de manière qu’ils paraissent d’une certaine manière les
exécuteurs du pouvoir sacerdotal.
Objection
N°2. Les clefs sont données aux prêtres quand ils reçoivent de Dieu leur
pouvoir par l’onction. Or, les rois reçoivent de Dieu le pouvoir qu’ils ont sur
le peuple qui leur est soumis, et ils sont sanctifiés par l’onction. Il n’y
adonc pas que les prêtres qui aient les clefs.
Réponse
à l’objection N°2 : Les rois n’ont pas de pouvoir dans les choses spirituelles
(D’où le concile de Trente dit : Docet sacrosancta synodus, in ordinatione episcoporum, sacerdotum, et cæterorum ordinum… eos qui tantummodò à popula, aut sæculari potestae,
ac magistratu vocali et instituti ad hæc ministeria exercenda ascendunt… non Ecclesiæ ministros, sed fures et latrones,
per ostium non ingressos, habendos esse (sess.
23, chap. 4).). C’est pourquoi ils ne reçoivent pas la clef du royaume céleste.
Ils n’ont de pouvoir que sur les choses temporelles, et ce pouvoir ne peut
venir que de Dieu, comme le prouve l’Apôtre (Rom., chap. 13). L’onction qui les consacre ne les élève pas à un
ordre sacré, mais elle indique que l’excellence de leur puissance descend du
Christ, afin qu’ils règnent eux-mêmes sous le Christ sur leur peuple chrétien.
Objection
N°3. Le sacerdoce est un ordre qui ne convient qu’à une personne individuelle.
Or, quelquefois toute une congrégation paraît avoir les clefs, car il y a des
chapitres qui peuvent porter l’excommunication, ce qui appartient au pouvoir
des clefs. Il n’y a donc pas que les prêtres qui aient les clefs.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme dans l’ordre politique tantôt la puissance
n’appartient qu’à un juge, comme si son autorité était absolue, tantôt elle
appartient à plusieurs qui se trouvent établis sur le pied de l’égalité dans
divers offices, comme on le voit (Eth., liv. 8,
chap. 10 et 11) ; de même la juridiction spirituelle peut être entre les mains
d’un seul, comme l’évêque, et appartenir simultanément à plusieurs, comme dans
un chapitre. Alors ils ont tous la clef de juridiction, mais ils n’ont pas tous
simultanément la clef d’ordre (A la différence du pouvoir de juridiction
extérieure, le pouvoir d’ordre réside toujours dans chaque individu
personnellement.).
Objection
N°4. Une femme n’est pas susceptible de recevoir l’ordre sacerdotal, parce
qu’elle ne peut pas enseigner dans les églises, d’après l’Apôtre (1 Cor., chap. 14). Or, il y a des femmes
qui paraissent avoir les clefs, comme les abbesses qui ont une puissance
spirituelle sur leurs religieuses. Il n’y a donc pas que les prêtres qui aient
les clefs.
Réponse
à l’objection N°4 : La femme, d’après l’Apôtre (1 Tim., chap. 2, et Tite, chap. 2), est dans un état de sujétion. C’est pourquoi elle
ne peut pas avoir une juridiction spirituelle. Car, d’après Aristote (Eth., liv. 8, chap. 10), les bienséances
sont blessées du moment que la femme a l’autorité. Par conséquent la femme n’a
ni la clef d’ordre, ni la clef de juridiction. Mais on confie à une femme
l’usage des clefs d’une certaine manière. Ainsi on la charge de corriger les
autres femmes qui lui seraient soumises (Les abbesses ont le pouvoir de
suspendre de leur office les religieuses et les clercs soumis à leur
juridiction en leur retirant les fruits de leurs bénéfices ; mais cette
suspense n’est pas la suspense proprement dite que l’on compte au nombre des
censures et qui entraîne l’irrégularité contre ceux qui ne l’observent pas.), à
cause du péril qu’il y aurait à faire habiter des femmes avec des hommes.
Mais
c’est le contraire. Saint Ambroise dit (De
pœnit., liv. 1, chap. 2) : Le droit de
lier et de délier n’a été accordé qu’aux prêtres.
Par
la puissance des clefs on devient intermédiaire entre Dieu et le peuple. Or,
cela ne convient qu’aux prêtres qui sont
établis en ce qui regarde le culte de Dieu afin d’offrir les dons et les
sacrifices pour les péchés, selon l’expression de saint Paul (Héb., 5, 1). Il n’y a donc que les prêtres
qui ont les clefs.
Conclusion
La clef d’ordre, qui éloigne immédiatement ce qui empêche d’entrer dans le
royaume des cieux, ne convient qu’aux prêtres ; mais la clef de juridiction,
qui n’est pas la clef du ciel, mais qui y dispose, convient aussi aux autres
ministres de l’Eglise.
Il
faut répondre qu’il y a deux sortes de clefs. L’une s’étend immédiatement au
ciel lui-même en écartant ce qui empêche d’y entrer par la rémission des
péchés, et on l’appelle la clef d’ordre. Il n’y a que les prêtres qui l’aient,
parce qu’il n’y a qu’eux qui soient en rapport avec le peuple pour les choses
qui appartiennent directement au culte de Dieu. L’autre est celle qui ne
s’étend pas directement au ciel lui-même, mais par l’intermédiaire de l’Eglise
militante qui est le chemin par lequel on va au ciel. Par elle on est exclu de
la société de l’Eglise militante au moyen de l’excommunication ou on y est
admis au moyen de l’absolution, et c’est ce qu’on appelle la clef de
juridiction au for contentieux. C’est pourquoi ceux qui ne sont pas prêtres
peuvent l’avoir, comme les archidiacres, les évêques élus et les autres élus
qui peuvent excommunier (Quand même ils ne seraient pas prêtres (Cf. quest. 22,
art. 2).). Mais on ne l’appelle pas proprement la clef du ciel, elle y dispose
seulement.
Article
4 : Les saints qui ne sont pas prêtres ont-ils le pouvoir des clefs ?
Objection
N°1. Il semble que les saints qui ne sont pas prêtres aient aussi l’usage des
clefs. Car les actes des clefs, qui consistent à lier et à délier, tirent leur
efficacité du mérite de la passion du Christ. Or, ceux qui sont les plus
conformes à la passion du Christ, ce sont ceux qui suivent le Christ souffrant
par la patience et les autres vertus. Il semble donc que quoiqu’ils n’aient pas
l’ordre sacerdotal, ils puissent lier et délier.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme entre l’instrument et l’effet on n’exige pas une
ressemblance fondée sur l’accord de la forme, mais une ressemblance selon la
proportion de l’instrument à l’effet ; de même on n’exige pas non plus de
ressemblance formelle entre l’instrument et l’agent principal. Cette
ressemblance existe dans les saints par rapport à la passion du Christ, mais
elle ne leur confère pas l’usage des clefs.
Objection
N°2. Saint Paul dit (Héb., 7, 7) que sans aucun doute c’est à l’inférieur à recevoir la bénédiction de celui
qui est au-dessus de lui. Or, dans les choses spirituelles, d’après saint
Augustin (De Trin., liv. 6, chap. 8),
ce qu’il y a de plus grand, c’est ce qu’il y a de meilleur. Donc les meilleurs,
c’est-à-dire ceux qui ont le plus de charité, peuvent bénir les autres en les
absolvant. Donc, etc.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoiqu’un simple mortel ne puisse pas mériter pour un autre
la grâce ex condigno,
cependant le mérite de l’un peut coopérer au salut de l’autre (Il y coopère ex congruo, et
son influence est en proportion de la sainteté de celui qui agit.). C’est
pourquoi il y a deux sortes de bénédiction. L’une qui vient de l’homme lui-même
selon qu’il mérite par ses propres actes. Elle peut être donnée par tous les
saints en qui le Christ habite par sa grâce, et elle exige une excellence de
bonté ou de sainteté, si on la considère comme telle. L’autre est la
bénédiction que l’homme répand selon qu’il applique à quelqu’un
instrumentalement la bénédiction qui vient des mérites du Christ (Le sacrement
opère, comme le disent les théologiens, ex
opere operato, et son
effet dépend plutôt des dispositions de celui qui le reçoit que des
dispositions de celui qui le confère.). Pour cette bénédiction on requiert
l’excellence d’ordre, mais non l’excellence de vertu.
Mais
c’est le contraire. L’action appartient à celui qui a la puissance, d’après
Aristote (De somn.
et vigil.,
chap. 1, parum à princ.). Or,
la clef qui est la puissance spirituelle n’appartient qu’aux prêtres. Son usage
ne peut donc convenir qu’à eux non plus.
Conclusion
Puisqu’un simple mortel n’est qu’un agent instrumental dans l’acte des clefs,
quelque grâce qu’il ait, il ne peut produire leur effet, à moins que par le
sacrement de l’ordre on ne lui ait donné ce pouvoir en le faisant ministre du
Christ.
Il
faut répondre que l’agent principal et l’agent instrumental diffèrent en ce que
l’agent instrumental n’imprime pas à l’effet sa ressemblance, mais celle de
l’agent principal ; tandis que l’agent principal lui imprime la sienne. C’est
pourquoi ce qui constitue l’agent principal, c’est qu’il ait une forme qu’il
puisse communiquer à un autre, mais ce n’est pas là ce qui constitue l’agent
instrumental. Il ne l’est autant que l’agent principal l’applique à la
production d’un effet. Par conséquent dans l’acte des clefs le Christ étant
l’agent principal, comme Dieu par autorité et comme homme par ses mérites, il
résulte de la plénitude de la bonté divine qui est en lui et de la perfection
de la grâce qu’il a pouvoir sur l’acte des clefs. Mais un autre homme n’a pas
de pouvoir sur l’acte des clefs comme agent principal, parce qu’il ne peut
donner à un autre la grâce qui remet les péchés, ni la mériter suffisamment. C’est
pour cela qu’il n’agit que comme instrument. D’où il arrive que celui qui
obtient l’effet des clefs ne devient pas semblable à
celui qui en a l’usage, mais au Christ. C’est pour ce motif que quelque grâce
qu’on ait, on ne peut produire l’effet des clefs, si on n’est pas appliqué à
cette fonction par la réception du sacrement de l’ordre, comme ministre.
Article
5 : Les mauvais prêtres ont-ils l’usage des clefs ?
Objection
N°1. Il semble que les mauvais prêtres n’aient pas l’usage des clefs. Car saint
Jean (Jean, chap. 20) parle d’abord du don de l’Esprit avant de parler de
l’usage des clefs qui fût transmis aux apôtres. Or, les méchants n’ont pas l’Esprit-Saint. Ils n’ont donc pas l’usage des clefs.
Réponse
à l’objection N°1 : Le don de l’Esprit-Saint est
exigé pour l’usage des clefs, non comme une disposition indispensable à son
exercice, mais parce que sans cela on ne peut s’en servir que d’une manière
inconvenante (Quand le ministre n’est pas en état de grâce il pèche toutes les
fois qu’il confère les sacrements, comme nous l’avons vu (3a pars,
quest. 64, art. 6).), quoique celui qui se soumet aux clefs en reçoive l’effet.
Objection
N°2. Aucun roi sage ne confie la dispensation de son trésor à ses ennemis. Or,
l’usage des clefs consiste dans la dispensation du trésor céleste du Roi qui
est la sagesse elle-même. Donc les méchants, qui sont ses ennemis par le péché,
n’ont pas l’usage des clefs.
Réponse
à l’objection N°2 : Un roi de la terre peut être trompé et volé à l’égard de
son trésor, et c’est pour cela qu’il n’en confie pas la dispensation à son
ennemi. Mais le Roi du ciel ne peut être trompé, parce que tout tourne à sa
gloire, quand même on use mal des clefs, parce qu’il sait tirer le bien du mal
et faire au moyen des méchants une foule de bonnes œuvres. Il n’y a donc pas de
parité.
Objection
N°3. Saint Augustin dit (De bapt. cont. Donat., liv. 5, chap. 21) que Dieu donne le
sacrement de la grâce par les méchants, mais qu’il ne confère la grâce que par
lui-même ou par ses saints ; et c’est pour cela qu’il produit la rémission des
péchés par lui-même ou par les membres de la colombe. Or, la rémission des
péchés est l’usage des clefs. Donc les pécheurs qui ne sont pas membres de la
colombe n’ont pas l’usage des clefs.
Réponse
à l’objection N°3 : Saint Augustin parle de la rémission des péchés, selon que
les saints y coopèrent, non par la puissance des clefs, mais par le mérite de congruo (Il
s’agit en cet endroit de la rémission des péchés qui s’obtient par les prières,
les gémissements et les larmes des saints, comme on peut le voir (De bapt., liv. 3, chap.
18, et liv. 5, chap. 20 à 22).). C’est pourquoi il dit qu’il administre aussi
les sacrements par les méchants, et parmi les sacrements on doit compter
l’absolution qui est l’usage des clefs. Mais par les membres de la colombe,
c’est-à-dire par les saints, il produit la rémission des péchés en tant qu’il
les remet par leurs intercessions. — Ou bien on peut dire que les membres de la
colombe désignent tous ceux qui ne sont pas retranchés de l’Eglise. Car ceux
qui reçoivent d’eux les sacrements obtiennent la grâce ; mais il n’en est pas
de même de ceux qui les reçoivent de ceux qui ont été retranchés de l’Eglise,
parce qu’ils pèchent par là même. On en excepte le baptême qu’il est permis de
recevoir même d’un excommunié dans le cas de nécessité.
Objection
N°4. L’intercession d’un mauvais prêtre n’a pas d’efficacité pour réconcilier,
parce que d’après saint Grégoire (Past., part. 1,
chap. 11 à princ.) quand on envoie pour intercéder
quelqu’un qui déplaît, l’esprit de celui qui est irrité est provoqué à une
détermination plus funeste. Or, l’usage des clefs se fait par une certaine
intercession, comme on le voit dans la forme de l’absolution. Donc les mauvais
prêtres ne peuvent pas user des clefs efficacement.
Réponse
à l’objection N°4 : L’intercession que fait un mauvais prêtre en son propre nom
n’a pas d’efficacité. Mais celle que fait le prêtre comme ministre de l’Eglise
tire son efficacité des mérites du Christ. Cependant l’intercession du prêtre
doit être utile au peuple soumis à sa juridiction des deux manières (Voir ce
que dit saint Thomas sur la différence qu’il y a entre la messe d’un mauvais
prêtre et celle d’un bon (3a pars, quest. 82, art. 6).).
Mais
c’est le contraire. Personne ne peut savoir d’un autre s’il est en état de
grâce. Si donc personne ne pouvait user des clefs pour absoudre, à moins d’être
en état de grâce, on ne saurait jamais si on a été absous ; ce qui est un très
grand inconvénient.
L’iniquité
du ministre ne peut détruire la libéralité du maître. Or, le prêtre n’est que
ministre. Donc il ne peut pas par sa malice nous ravir le don que Dieu nous transmet
par lui.
Conclusion
Quoiqu’un mauvais prêtre soit privé de la grâce, il n’est privé d’aucune
manière de l’usage des clefs ; puisque comme la participation à la forme ne
provient pas de l’instrument, de même la perte de cette forme n’en enlève pas l’usage.
Il
faut répondre que comme la participation à la forme qui doit être communiquée à
l’effet ne produit pas l’instrument ; de même la perte de cette forme n’en
enlève pas l’usage. C’est pourquoi l’homme n’agissant qu’instrumentalement dans
l’usage des clefs, de quelque grâce qu’il soit privé par le péché, il n’est
cependant privé d’aucune manière de l’usage des clefs.
Article
6 : Les schismatiques, les hérétiques, les excommuniés, ceux qui sont suspendus
et dégradés ont-ils l’usage des clefs ?
Objection
N°1. Il semble que les schismatiques, les hérétiques, les excommuniés, ceux qui
sont suspendus et dégradés, aient l’usage des clefs. Car, comme la puissance
des clefs dépend de l’ordre, de même aussi le pouvoir de consacrer. Or, ils ne
peuvent perdre l’usage de la puissance de consacrer ; parce que s’ils
consacrent, la consécration est valide, quoiqu’ils pèchent en consacrant. Ils
ne peuvent donc pas non plus perdre l’usage des clefs.
Réponse
à l’objection N°1 : La matière du sacrement de l’eucharistie sur laquelle le
prêtre exerce son pouvoir, n’est pas l’homme, mais le pain de froment, et dans
le baptême c’est l’eau absolument. Par conséquent, comme un hérétique ne
pourrait consacrer, si on lui retirait le pain de froment ; de même il ne peut
absoudre si on lui retire tous les fidèles sur lesquels il avait juridiction.
Cependant il peut baptiser et consacrer, quoiqu’il le fasse pour sa damnation.
Objection
N°2. Toute puissance spirituelle active qui se trouve dans quelqu’un qui a
l’usage du libre arbitre, passe à l’acte quand il veut. Or, la puissance des
clefs subsiste encore dans les personnes que nous venons de nommer. Car, comme
on ne la donne que dans l’ordre, il faudrait les ordonner de nouveau, quand ils
reviennent dans l’Eglise. Par conséquent, puisqu’elle est une puissance active,
ils peuvent l’exercer quand ils veulent.
Réponse
à l’objection N°2 : La proposition est vraie quand la matière ne fait pas
défaut comme dans la circonstance actuelle.
Objection
N°3. La grâce spirituelle est plus empêchée par la faute que par la peine. Or,
l’excommunication, la suspension et la dégradation sont des peines. Par
conséquent, puisqu’on ne perd pas l’usage des clefs à cause de la faute, il
semble qu’on ne doive pas non plus la perdre à cause de ces peines.
Réponse
à l’objection N°3 : La faute ne retire pas la matière comme la peine elle-même.
Par conséquent, la peine n’empêche pas le sacrement à titre de chose contraire
de produire son effet, mais elle l’empêche pour la raison que nous avons donnée
(Parce qu’elle retire la juridiction en enlevant au prêtre les fidèles qui lui
étaient soumis.) (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (Tract. 121 in Joan. sub
fin.) : Que la charité de l’Eglise remet les péchés. Or, c’est la charité qui
produit l’union de l’Eglise. Par conséquent, puisque tous ceux que l’on a
préalablement énumérés sont séparés de l’unité de l’Eglise, il semble qu’ils
n’aient pas l’usage des clefs pour remettre les péchés.
On
n’obtient pas l’absolution de ses péchés en péchant. Or, on pèche si l’on
demande aux schismatiques, etc., l’absolution de ses fautes, parce qu’on agit
contre un précepte de l’Eglise. On ne peut donc pas être absous de ses péchés
par ceux qui sont dans ce cas-là, et par conséquent, etc.
Conclusion
Les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés ont le pouvoir des clefs
quant à l’essence, mais ils ne peuvent en faire usage par défaut de matière ;
parce que l’Eglise les en prive en leur retirant les fidèles qui leur étaient
soumis.
Il
faut répondre que le pouvoir des clefs subsiste quand à l’essence dans les
personnes que l’on a désignées (Le pouvoir d’ordre subsiste toujours, parce que
l’ordre imprime un caractère ineffaçable, suivant ces paroles du concile de
Florence : Ordo characterem,
id est, spirituale quoddam signum à cæteris distinctivum imprimit in anima indelebile.), mais elles ne peuvent en faire usage par
défaut de matière. Car l’usage des clefs requiert dans celui qui s’en sert la
juridiction par rapport à celui qui en est l’objet, comme nous l’avons dit
(quest. 17, art. 2 ad 2) ; la matière propre sur laquelle cet usage s’exerce ce
sont les personnes qu’on a sous son autorité. Et comme c’est d’après l’ordre
établi par l’Eglise que l’un est soumis à l’autre, il s’ensuit que les
supérieurs ecclésiastiques peuvent soustraire à l’autorité d’un homme celui qui
lui était soumis. Ainsi l’Eglise privant de leur juridiction les hérétiques,
les schismatiques et ceux que nous avons énumérés, en leur retirant leurs
sujets, absolument ou en partie, ils ne peuvent avoir l’usage des clefs par
rapport aux pouvoirs qui leur ont été enlevés (A l’article de la mort, s’il n’y
a pas d’autre prêtre, un prêtre excommunié ou dégradé peut absoudre, parce que
l’Eglise supplée en ce cas à sa juridiction, comme nous l’avons vu (quest. 8,
art. 6).).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
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