Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 23 : Des rapports avec les excommuniés

 

          Nous devons ensuite nous occuper des communications que l’on peut avoir avec les excommuniés. A ce sujet trois questions se présentent : 1° Est-il permis d’être en rapport avec un excommunié pour des choses purement corporelles ? (Cet article est contraire aux erreurs de Jean Huss, de Luther et des autres novateurs modernes qui prétendaient que l’on devait mépriser les excommunications et toutes les censures de l’Eglise.) — 2° Celui qui est en rapport avec un excommunié est-il excommunié ? — 3° Est-ce un péché mortel de communiquer avec un excommunié dans les cas où on n’en a pas la permission ?

 

Article 1 : Est-il permis d’avoir des relations avec un excommunié pour des choses purement corporelles ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il soit permis de communiquer avec un excommunié pour des choses purement corporelles. Car l’excommunication est un acte des clefs. Or, l’a puissance des clefs ne s’étend qu’aux choses spirituelles. Donc par l’excommunication il n’est pas défendu de communiquer l’un avec l’autre pour des choses corporelles.

          Réponse à l’objection N°1 : Les choses corporelles se rapportent aux choses spirituelles. C’est pourquoi la puissance qui s’étend aux choses spirituelles, peut aussi s’étendre aux choses corporelles ; comme l’art qui a pour objet la fin commande aux moyens.

 

          Objection N°2. Ce qui a été établi en faveur de la charité ne combat pas contre elle (voy. quest. 12, art. 1, Objection N°1). Or, nous sommes tenus d’après le charité de la charité de secourir nos ennemis, ce qu’on ne peut faire sans communiquer avec eux. Il est donc permis d’avoir des relations avec un excommunié pour les choses corporelles.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans le cas où l’on est tenu d’avoir des rapports d’après le précepte de la charité, cela n’est pas défendu, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (1 Cor., 5, 11) : que l’on ne doit pas manger avec ceux qui sont dans cet état.

 

          Conclusion Il est permis aux fidèles de communiquer pour les choses purement corporelles avec un excommunié frappé d’une excommunication mineure ; mais ils ne doivent pas le faire avec celui qui est frappé d’une excommunication majeure, à moins qu’on ignore le lien ou qu’on y soit poussé par un motif d’avantages spirituels, ou par la raison de la loi ou de la nécessité.

          Il faut répondre qu’il y a deux sortes d’excommunication : l’une est mineure et elle sépare seulement de la séparation des sacrements ; mais elle ne sépare pas de la communion des fidèles. C’est pourquoi il est permis de communiquer avec ces excommuniés, mais il n’est pas permis de leur conférer les sacrements. L’autre est l’excommunication majeure. Elle sépare l’homme des sacrements de l’Eglise et de la communion des fidèles. C’est pour cela qu’il n’est pas permis d’avoir des rapports avec celui qui est frappé de cette excommunication (S. Thomas s’exprime dans cet article suivant le droit ancien qui était encore de son temps en vigueur, mais d’après la bulle de Martin V, Ad vitanda scandala, il n’est défendu de communiquer avec les excommuniés qu’autant qu’ils sont nommément dénoncés. En France cette règle n’a pas d’exception.). Mais comme l’Eglise frappe d’excommunication non pour faire périr, mais pour guérir ; il s’ensuit qu’il y a des choses qui sont exceptées de cette mesure générale à l’égard desquelles il est permis d’avoir des relations, ce sont les choses qui appartiennent au salut. Comme on peut licitement parler de ces choses avec un excommunié, on peut aussi y joindre d’autres paroles, parce que dans la familiarité de la conversion, on reçoit plus facilement les paroles du salut. On excepte aussi les personnes qui doivent tout spécialement pourvoir aux besoins de l’excommunié ; comme une épouse, un fils, un serf, un domestique et un serviteur. Mais ceci doit s’entendre des fils non émancipés ; autrement ils sont tenus d’éviter leur père. A l’égard des autres, on entend qu’il leur est permis d’avoir des rapports avec l’excommunié, s’ils étaient à son service avant l’excommunication mais il n’en est pas de même s’ils se sont attachés à lui après. Il y en a qui veulent que les supérieurs puissent licitement communiquer avec les inférieurs, mais d’autres disent le contraire. Mais ils doivent au moins communiquer ensemble pour les choses à l’égard desquelles ils sont liés les uns envers les autres. Car comme les inférieurs sont obligés à obéir à leurs supérieurs, de même ces derniers sont obligés de pourvoir aux besoins des premiers. Il y a encore certains cas exceptés, par exemple, quand on ignore l’excommunication (C’est-à-dire s’il y a ignorance du droit aussi bien que du fait et que cette ignorance soit invincible et non coupable. D’après le sentiment le plus communément suivi par les canonistes cette ignorance excuse de la censure. Il en est de même de l’ignorance qui n’est que légèrement coupable d’après le plus grand nombre des théologiens.) et quand on est pèlerin ou voyageur dans un pays d’excommuniés, on peut licitement acheter d’eux et en recevoir l’aumône. Il en est de même si on voit un excommunié dans la nécessité, parce que dans ce cas on est tenu de pourvoir à ses besoins d’après le précepte de la charité. Toutes ces choses ont été renfermées dans ce vers : utile, lex, humile, res ignorata, necesse. Le mot utile se rapporte aux paroles du salut, le mot loi au mariage, le mot humble à la soumission ; les autres sont évidents (Ce sont l’ignorance et la nécessité.).

 

Article 2 : Celui qui participe à l’acte de l’excommunié est-il excommunié ?

 

          Objection N°1. Il semble que celui qui participe à l’acte de l’excommunié ne le soit pas. Car un gentil est plus séparé de l’Eglise qu’un excommunié. Or, celui qui a des rapports avec un gentil ou un juif n’est pas excommunié. Celui qui a des rapports avec un chrétien excommunié ne l’est donc pas non plus.

          Réponse à l’objection N°1 : L’Eglise n’a pas l’intention de corriger les infidèles comme les fidèles dont elle s’est chargée. C’est pourquoi elle n’éloigne pas ceux qu’elle excommunie de la communion des infidèles comme de la communion des fidèles sur lesquelles elle a du pouvoir.

 

         Objection N°2. Si celui qui a des rapports avec un excommunié, est excommunié lui-même, pour la même raison celui qui a des relations avec lui sera excommunié aussi et cela indéfiniment, ce qui paraît absurde. Celui qui a des rapports avec un excommunié n’est donc pas excommunié lui-même.

          Réponse à l’objection N°2 : Il est permis d’avoir des rapports avec quelqu’un qui a été frappé d’une excommunication mineure ; et par conséquent l’excommunication ne passe pas sur une troisième personne.

 

          Mais c’est le contraire. L’excommunié est mis hors de la communion. Donc celui qui a des rapports avec lui s’éloigne de la communion de l’Eglise, et par conséquent il semble qu’il soit excommunié aussi.

 

          Conclusion Celui qui a des rapports avec un excommunié est aussi frappé tantôt de l’excommunication majeure et tantôt de l’excommunication mineure.

          Il faut répondre que l’excommunication peut être portée contre quelqu’un de deux manières : 1° de telle sorte qu’il soit excommunié avec tous ceux qui ont pris part avec lui à l’acte, et dans ce cas il n’est pas douteux que celui qui y a pris part soit frappé d’une excommunication majeure. 2° Il peut être excommunié simplement, et alors ou on participe avec lui à la faute en lui donnant conseil, aide ou faveur, et dans ce cas on est aussi frappé d’excommunication majeure (On doit s’en tenir à ce sujet à la lettre de la loi. Si la loi, dit Mgr Gousset, comprend dans la censure, non seulement l’auteur principal du crime, mais encore ceux qui y concourent, alors la peine frappe tous ceux qui y prennent part physiquement ou moralement, soit en l’ordonnant ou le conseillant, soit en facilitant les moyens d’exécution, lorsque toutefois l’ordre ou le conseil est suivi de son effet, effectu secuto.) ; ou on est en rapport relativement à d’autres choses, comme la conversation, la table ou d’autres affaires civiles, et dans ce cas on est frappé de l’excommunication mineure (Si l’excommunié avait été frappé par le pape, on ne pourrait le recevoir ainsi sans encourir l’excommunication majeure d’après la bulle de Clément III (De sent. excom., chap. Significavit.).).

 

Article 3 : Est-ce un péché mortel d’avoir des rapports avec un excommunié dans les cas où cela n’est pas permis ?

 

          Objection N°1. Il semble que ce soit toujours un péché mortel que d’avoir des relations avec un excommunié dans les cas où cela n’est pas permis. Car il y a une décrétale qui dit (chap. Sacris, De his quæ vi metuque, etc.) qu’on ne doit pas avoir de relation avec une excommunié pour crainte de mort, parce qu’on doit mourir plutôt que de pécher mortellement. Or, cette raison ne vaudrait rien s’il n’y avait pas péché mortel à communiquer avec un excommunié. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette décrétale parle de la communication avec les excommuniés dans les choses divines. — Ou bien il faut dire que la même raison est applicable au péché mortel et au péché véniel, en ce sens que comme le péché mortel ne peut être une bonne action, de même le péché véniel. C’est pourquoi comme on doit supporter la mort plutôt que de pécher mortellement, de même aussi plutôt que de pécher véniellement, par rapport à la manière dont on doit éviter cette faute.

 

          Objection N°2. C’est un péché mortel d’agir contre le précepte de l’Eglise. Or, l’Eglise ordonne de n’avoir aucun rapport avec un excommunié. Donc c’est un péché mortel que d’avoir des relations avec lui.

          Réponse à l’objection N°2 : Le précepte de l’Eglise se rapporte directement aux choses spirituelles et par conséquent aux actes légitimes ; c’est pourquoi celui qui a des relations pour les choses divines avec un excommunié agit contre le précepte ecclésiastique et pèche mortellement ; tandis que celui qui communique avec lui pour d’autres choses agit en dehors du précepte et pèche véniellement.

 

          Objection N°3. Il n’est pas défendu de recevoir l’eucharistie pour un péché véniel. or, celui qui a des rapports avec un excommunié dans les cas où cela n’est pas permis est éloigné de la communion eucharistique, parce qu’il encourt l’excommunication mineure. Celui qui a des rapports avec un excommunié dans les cas où cela n’est pas permis pèche donc mortellement.

          Réponse à l’objection N°3 : On est quelquefois éloigné de l’eucharistie sans avoir commis de faute, comme on le voit pour ceux qui sont suspendus ou interdits ; parce que quelquefois on inflige ces peines à quelqu’un pour la faute d’un autre qu’on punit en eux.

 

          Objection N°4. On ne doit être frappé d’excommunication majeure que pour un péché mortel. Or, d’après le droit (chap. 3, 4, 16 et suiv., 11, quest. 3), on peut être frappé d’excommunication majeure parce qu’on a des rapports avec un excommunié. C’est donc un péché mortel que d’en avoir.

          Réponse à l’objection N°4 : Quoique ce soit un péché véniel d’avoir des rapports avec un excommunié, cependant c’est un péché mortel de le faire obstinément (Parce que dans ce cas on paraît agir par mépris pour le précepte ecclésiastique.). C’est pour cela qu’on peut être excommunié d’après les règles du droit.

 

          Mais au contraire. On ne peut absoudre quelqu’un de péché mortel qu’autant qu’on a juridiction sur lui. Or, tout prêtre peut absoudre des rapports que l’on a eus avec les excommuniés. Ce n’est donc pas un péché mortel.

          La peine doit être proportionnée à la gravité du péché (Deut., chap. 26). Or, la peine portée pour les rapports qu’on a eus avec les excommuniés n’est pas ordinairement proportionnée au péché mortel, mais elle est plutôt due au péché véniel. Ce n’est donc pas un péché mortel.

 

          Conclusion Il n’y a que celui qui participe au crime de l’excommunié ou qui a des rapports avec lui pour les choses saintes ou par mépris pour l’Eglise qui pèche mortellement.

          Il faut répondre qu’il y en a qui disent que toutes les fois qu’on a des relations avec un excommunié, par parole ou par l’une des manières que nous avons exprimées précédemment (art. suiv.) et d’après lesquelles il n’est pas permis de communiquer avec lui pèche mortellement, et qu’il n’y a d’exception que pour les cas déterminés par le Droit (chap. Quoniam 11, quest. 3). Mais parce qu’il paraît trop dur d’admettre qu’on pèche mortellement pour une parole qu’on adresse à un excommunié, et que les auteurs de l’excommunication jetteraient ainsi sur une multitude de fidèles un filet de perdition qui se retournerait contre eux ; il paraît pour ce motif plus probable à d’autres qu’on ne pèche pas toujours mortellement, mais qu’on le fait seulement quand on participe au crime des excommuniés ou qu’on communique avec eux dans les choses divines (Ces choses divines sont celles qui sont spécialement interdites aux excommuniés, comme les sacrements, la sépulture ecclésiastique, les offices que l’on célèbre publiquement dans l’Eglise. On pourrait réciter avec eux le bréviaire ou entrer dans une église dans le temps où on ne célèbre pas d’offices, sans commettre de péché mortel. D’après Covarruvias il n’y aurait qu’une faute vénielle.) ou qu’on le fait par mépris de l’Eglise.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.