Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 25 : De l’indulgence considérée en elle-même
Nous
avons ensuite à nous occuper ensuite des indulgences ; nous les considérerons :
1° en elles-mêmes ; 2° dans leurs auteurs ; 3° dans ceux qui les reçoivent. Sur
les indulgences considérées en elles-mêmes il y a trois questions à examiner :
L’indulgence peut-elle remettre quelque chose de la peine satisfactoire
? (Il est de foi que l’Eglise a le pouvoir d’accorder des indulgences. C’est ce
que le concile de Trente a ainsi défini : Sacrosancta synodus eos anathemate damnat qui aut inutiles esse asserunt, vel eas concedendi
in Ecclesia potestatem esse
negant (sess. 25, decret.
De indulgentiis).)
— 2° Les indulgences valent-elles ce qu’on énonce ? — 3°
Doit-on accorder des indulgences pour un secours temporel ?
Article 1 : L’indulgence peut-elle remettre une partie de la
peine satisfactoire ?
Objection N°1. Il semble que l’indulgence ne puisse pas
remettre une partie de la peine satisfactoire. Car
sur ces paroles (2 Tim.,
chap. 2) que Dieu ne peut se nier
lui-même, la glose dit (interl. Petri Lombard) : qu’il le ferait s’il n’accomplissait pas
ses paroles. Or, il dit lui-même (Deut., 25, 5) que
le nombre des coups sera proportionné à l’étendue de la faute. On ne peut donc
pas remettre une partie de la peine satisfactoire qui
a été déterminée selon l’étendue de la faute.
Réponse à l’objection N°1 : La rémission obtenue par les
indulgences ne détruit pas la proportion qu’il doit y avoir entre la peine et
la faute, parce que l’un a supporté de son plein gré la peine due à la faute de
l’autre, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection N°2. L’inférieur ne peut absoudre quelqu’un d’une
chose à laquelle le supérieur l’a obligé. Or, Dieu en absolvant de la faute
oblige à une peine temporelle, comme le dit Hugues de Saint-Victor (Tract. 6, Sum. Sent., chap. 11, à med.).
Aucun homme ne peut donc absoudre de cette peine en en remettant une partie.
Réponse à l’objection N°2 : Celui qui reçoit les
indulgences n’est pas absous, absolument parlant, de la peine qu’il devait,
mais on lui donne de quoi la payer.
Objection N°3. Il appartient à la puissance d’excellence de
produire les effets des sacrements sans eux. Or, il n’y a que le Christ qui ait
une puissance d’excellence dans les sacrements. par
conséquent puisque la satisfaction est une partie du sacrement de pénitence qui
contribue à la remise de la peine qui est due, il semble qu’aucun homme ne
puisse remettre la dette de la peine sans la satisfaction.
Réponse à l’objection N°3 : L’effet de l’absolution
sacramentelle est la diminution de la peine qu’on devait ; cet effet n’est pas
produit par les indulgences (Dans l’absolution la peine est diminuée d’après
l’acte propre du pénitent au lieu que dans les indulgences elle l’est d’après
les biens communs de l’Eglise.). Mais celui qui les accorde paye avec les biens
communs de l’Eglise la peine pour celui qui la devait, comme on le voit d’après
ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection N°4. La puissance n’a pas été donnée aux
ministres de l’Eglise pour détruire, mais pour édifier. Or, ce serait notre
destruction, si la satisfaction qui a été établie dans notre intérêt en ce
qu’elle nous fournit une remède venait à être
anéantie. Donc la puissance des ministres de l’Eglise ne s’étend pas jusque là.
Réponse à l’objection N°4 : Nous tirons de la grâce un plus
grand remède contre les péchés que nous devons éviter que de l’habitude où nous
sommes de faire des bonnes œuvres. Et comme celui qui reçoit les indulgences
est disposé à la grâce par les sentiments qu’il conçoit relativement à la cause
pour laquelle ces indulgences lui sont accordées, il s’ensuit qu’on donne par
là un remède pour éviter le péché. C’est pourquoi à moins que les indulgences
ne soient accordées d’une manière déréglée (Le concile de Trente a soin de
recommander à ce sujet la plus grande réserve : In his tamen concedendis moderationem, juxta veterem et probatam in Ecclesia consuetudinem, adhibere cupit (sancta synodus) : ne nimiâ facilitate ecclesiastica
disciplina enervetur (ibid.).), elles ne peuvent
nuire à ceux qui les reçoivent. D’ailleurs on doit conseiller à ceux qui les
obtiennent de ne pas s’abstenir pour cela des œuvres de pénitence qui leur sont
enjointes, mais d’en retirer un remède dans le cas où elles n’auraient plus de
dettes à payer ; surtout parce qu’il arrive souvent qu’on a plus de peines à
acquitter qu’on ne le croit.
Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (2 Cor., 2, 10) : Ce que j’ai accordé, je l’ai accordé à cause de vous à celui envers qui
j’use d’indulgence en la personne du Christ, c’est-à-dire, ajoute la glose
(interl.), je l’ai accordé comme si le Christ l’eût
accordé lui-même. Or, le Christ pouvait remettre sans aucune satisfaction la
peine du péché, comme on le voit (Jean, chap. 8) au sujet de la femme adultère.
Donc saint Paul l’a pu aussi, et par conséquent le pape, qui n’a pas dans
l’Eglise une puissance moindre que celle qu’a eue saint Paul.
L’Eglise universelle ne peut
errer ; parce que celui qui a été exaucé
en tout à cause de son humble respect pour son Père (Héb., 5, 7) a dit à saint Pierre sur la foi duquel l’Eglise a été
fondée : Pierre, j’ai prié pour toi afin
que ta foi ne défaille jamais (Luc, 22, 32). Or, l’Eglise universelle
approuve les indulgence et les établit. Donc elles ont
de la valeur.
Conclusion Puisque les indulgences tirent leur vertu du
trésor infini de l’Eglise dans lequel sont renfermées les œuvres de
surérogation du Christ et des saints pour être employées au profit de l’Eglise
universelle, non seulement elles remettent ici-bas la peine à la place de la
satisfaction, mais elles remettent encore celle que l’on doit acquitter dans le
purgatoire.
Il faut répondre que tout le monde accorde que les
indulgences ont une certaine valeur (Au moyen âge personne ne niait en effet le
mérite des indulgences, mais Luther et les novateurs modernes l’ont nié. C’est
même par là qu’ils ont commencé leurs attaques contre l’Eglise.), parce que ce
serait une impiété de dire que l’Eglise fait quelque chose en vain. Mais il y
en a qui disent qu’elles ne servent pas pour absoudre de la peine qu’on mérite
dans le purgatoire selon le jugement de Dieu, mais qu’elles servent à absoudre
de l’obligation que le prêtre a fait contracter à son pénitent relativement à
une peine quelconque, ou qu’elle délivre de la peine à laquelle on est obligé
par les canons. Mais cette opinion ne paraît pas vraie : 1° parce qu’elle est
expressément contraire au privilège donné à saint Pierre auquel il est dit (Matth., chap. 16), que ce qu’il remettrait sur la terre
serait remis dans le ciel. Par conséquent la rémission accordée relativement au
tribunal de l’Eglise a aussi de la valeur devant le tribunal de Dieu (C’est
ainsi que l’Eglise a toujours compris les indulgences dès les temps les plus
anciens. Car quoiqu’elles aient commencé à être principalement en usage du
temps de saint Grégoire, elles remontent jusqu’aux apôtres.). 2° En outre
l’Eglise qui établit ces indulgences ferait plus de mal que de bien, puisqu’en
absolvant des peines qu’elle aurait enjointes, elle renverrait à des peines
plus graves, c’est-à-dire aux peines du purgatoire. — C’est pourquoi il faut
dire que les indulgences sont utiles devant le tribunal de l’Eglise et au jugement
de Dieu pour la rémission de la peine qui reste après la contrition, la
confession et l’absolution, soit qu’elle ait été enjointe, soit qu’elle ne
l’ait pas été. La raison pour laquelle elles peuvent être utiles, c’est l’unité
du corps mystique, dans laquelle il y a beaucoup d’individus qui ont fait plus
d’œuvres de pénitence qu’ils ne doivent en faire, et il y en a aussi beaucoup
qui ont supporté patiemment des tribulations injustes par lesquelles ils
auraient pu expier une multitude de peines s’ils les avaient dues. L’abondance
de leurs mérites est si grande qu’elle surpasse toute la peine due par tous
ceux qui vivent maintenant ; surtout si on considère le mérite du Christ, dont
l’efficacité, quoiqu’il opère dans les sacrements, n’est cependant pas
renfermée en eux, mais dépasse leur puissance par son infinité. Or, nous avons
dit (quest. 13, art. 2) que l’un peut satisfaire pour l’autre. Mais les saints
dans lesquels se trouve cette surabondance d’œuvres satisfactoires
ne les ont pas produites d’une manière déterminée pour telle ou telle personne
qui a besoin de rémission (autrement elle obtiendrait cette rémission sans
indulgence), mais ils les ont faites en général pour l’Eglise entière, comme
l’Apôtre disait qu’il accomplissait dans
sa chair ce qui restait à souffrir à Jésus-Christ, en souffrant lui-même pour
son corps qui est l’Eglise (Colos.,
1, 24). Par conséquent ces mérites sont communs à toute l’Eglise (C’est là ce
qui compose le trésor de l’Eglise d’où elle tire toutes les indulgences.). Or,
les choses qui sont communes à une multitude sont distribuées à chacun de ses
membres selon la volonté de celui qui en est le chef. Ainsi comme un coupable
obtiendrait la rémission de sa peine, si un autre eût satisfait pour lui ; de
même il l’obtient quand la satisfaction d’un autre lui est répartie par celui
qui en a le pouvoir.
Article 2 : Les indulgences ont-elles la valeur qu’on leur
donne ?
Objection N°1. Il semble que les indulgences n’aient pas
autant de valeur qu’on leur en donne. Car les indulgences n’ont d’effet que
d’après le pouvoir des clefs. Or, celui qui a les
clefs ne peut d’après ce pouvoir remettre qu’une partie déterminée de la peine
due au péché, en considérant l’étendue du péché et de la contrition du
pénitent. Par conséquent puisque les indulgences s’accordent au gré de celui
qui les établit, il semble qu’elles n’aient pas la valeur qu’il détermine.
Réponse
à l’objection N°1 : Il y a deux sortes de clef, comme nous l’avons dit (quest.
19, art. 3), celle d’ordre et celle de juridiction. La clef d’ordre est quelque
chose de sacramentel. Et comme les effets des sacrements ne sont pas déterminés
par l’homme, mais par Dieu, il s’ensuit qu’un prêtre ne peut pas taxer
l’étendue de la peine qu’il remet au tribunal de la confession par la clef
d’ordre, mais il en remet autant que Dieu l’a réglé. La clef de juridiction
n’est pas quelque chose de sacramentel et son effet est soumis à la volonté de
l’homme. La remise des peines qu’on obtient par les indulgences est un effet de
cette clef, puisque cette remise n’appartient pas à la dispensation des
sacrements, mais à la dispensation des biens communs de l’Eglise. C’est
pourquoi les légats qui ne sont pas prêtres peuvent accorder des indulgences
(C’est au pape à accorder les indulgences plénières ou partielles ; il les
accorde par lui-même ou par ses délégués ; un évêque n’accorde qu’une
indulgence de quarante jours, si ce n’est quand il consacre une église, et il
peut exercer son pouvoir par lui-même ou par une prêtre qu’il a délégué à cet
effet.). C’est donc à la volonté de celui qui donne les indulgences à
déterminer l’étendue de la peine qu’il remet par elles. Si cependant il usait déréglément de son pouvoir de telle sorte que les fidèles
fussent détournés presque pour rien des œuvres de pénitence, celui qui
accorderait ces indulgences pécherait (Parce que ceux qui accordent les
indulgences ne sont que les dispensateurs des trésors de l’Eglise, et cette
dispensation, pour être utile, doit être faite avec toute la réserve et toute
la discrétion convenable, d’après le concile de Trente (Voy.
pag. 143).) ; mais on n’obtiendrait pas moins
l’indulgence entière.
Objection N°2. Par la peine due au péché la jouissance de
la gloire qu’on doit souverainement désirer est retardée. Or, si les
indulgences avaient la valeur qu’on détermine, l’homme qui y aurait recours
pourrait être bientôt de toute la peine temporelle due à son péché. Il semble
donc qu’il devrait s’appliquer à en gagner, laissant de côté toutes les autres
œuvres.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique ces indulgences aient beaucoup de valeur pour la
rémission de la peine, cependant les autres œuvres de satisfaction sont plus
méritoires par rapport à la récompense essentielle, qui vaut infiniment mieux
que la remise de la peine temporelle.
Objection N°3. Quelquefois on accorde des indulgences de
telle sorte que celui qui aide à fonder dans une église une fabrique obtienne
le tiers de la rémission de ses péchés. Si donc les indulgences avaient la
valeur qu’on détermine, alors celui qui donnerait une première fois, puis un
denier ensuite et enfin un troisième denier, obtiendrait la rémission pleine de
toute la peine due à toutes ses fautes ; ce qui paraît absurde.
Réponse
à l’objection N°3 : Quand on accorde une indulgence d’une manière indéterminée
à celui qui aide à ériger une fabrique dans une église, on entend qu’il donne
un secours proportionné à ses ressources, et suivant qu’il approche de ce terme
il gagne plus ou moins d’indulgences. D’où il résulte qu’un pauvre qui donne un
denier gagne l’indulgence tout entière, tandis qu’il n’en est pas de même d’un
riche auquel il ne convient pas de donner si peu pour une œuvre aussi pieuse et
aussi fructueuse. C’est ainsi qu’on ne dirait pas d’un roi qu’il est venu au
secours d’un homme, s’il lui donnait une obole.
Objection N°4. Quelquefois on donne l’indulgence de manière
que celui qui va dans une église obtient une remise de sept années. Si donc
l’indulgence vaut autant qu’on la promulgue, celui qui a sa maison près de
cette église, ou les clercs qui y sont attachés et qui y vont tous les jours,
gagnerait autant que celui qui vient des pays éloignés (ce qui paraît injuste)
et il semble qu’ils pourraient gagner plusieurs fois dans le jour cette même
indulgence, puisqu’ils vont dans cette église plusieurs fois.
Réponse
à l’objection N°4 : Celui qui est voisin d’une église, les prêtres et les
clercs de cette église gagnent autant d’indulgences que ceux qui font mille
jours de marche ; parce que la remise de la peine n’est pas proportionnée au
labeur qu’on s’impose, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.),
mais aux mérites que l’on dispense. Cependant celui qui supporte plus de
fatigues acquiert plus de mérites Toutefois ceci doit s’entendre du cas où
l’indulgence est accordée indistinctement. Car quelquefois il y a des
distinctions ; c’est ainsi que dans les absolutions générales le pape accorde
cinq années d’indulgence à ceux qui passent les mers, trois à ceux qui passent
les montagnes et un an aux autres. Il ne faut pas croire non plus que toutes
les fois qu’on va à l’église pendant le temps de l’indulgence on la gagne. Car
quelquefois on accorde l’indulgence pour un temps déterminé, comme quand on dit
: Celui qui ira dans telle église jusqu’à
tel temps aura autant d’indulgences, cela ne s’entend qu’une fois. Mais si
l’indulgence est perpétuelle dans une église, comme l’église de Saint-Pierre où elle est de quarante jours, alors on la
gagne autant de fois qu’on y va (Rien n’empêche qu’on ne gagne plusieurs
indulgences plénières dans un même jour, quoique la communion ait été prescrite
pour chacune d’elles, pourvu que l’on remplisse toutes les autres conditions
prescrites pour chaque indulgence (Décret de la Congrégation des Indulgences du
19 mai 1841).).
Objection N°5. C’est la même chose de remettre à quelqu’un
sa peine au-delà d’une juste mesure que de la lui remettre sans motif ; car il
n’y a pas de compensation relativement à ce qu’il y a d’excessif dans cette
libéralité. Or, celui qui donne les indulgences ne pourrait sans motif remettre
à quelqu’un sa peine en totalité ou en partie, quand même le pape lui dirait :
Je vous remets toute la peine que vous devez pour vos péchés. Il semble donc
qu’on ne puisse pas en remettre une partie au-delà d’une juste appréciation.
Cependant les indulgences qu’on annonce dépassent ordinairement ces limites ;
elles n’ont donc pas toute la valeur qu’on annonce.
Réponse
à l’objection N°5 : La cause n’est pas requise pour que la remise de la peine
doive se mesurer sur elle, mais pour que l’intention de ceux dont les mérites
sont communiqués puisse parvenir à celui qui reçoit l’indulgence. Or le bien de
l’un est communiqué à un autre de deux manières. 1° Par la charité. C’est ainsi
que sans les indulgences on participe à tout le bien qui se fait, si on est dans
la charité. 2° Par l’intention de celui qui le fait. C’est ainsi que par les
indulgences, s’il y a une cause légitime, l’intention de celui qui a travaillé
dans l’intérêt de l’Eglise peut s’étendre à un autre.
Mais c’est le contraire. Il est dit (Job, 13, 7) : Dieu a-t-il besoin de votre mensonge ou que
vous usiez de déguisements pour le défendre ? Donc l’Eglise en prêchant les
indulgences ne ment pas et par conséquent elles ont la valeur qu’elle proclame.
Saint
Paul dit (1 Cor., 15, 14) : Si notre prédication est vraie, votre foi
est vraie aussi. Donc celui qui dit une chose fausse en prêchant anéantit
la foi autant qu’il est en lui et par conséquent il pèche mortellement. Si donc
les indulgences n’ont pas la valeur qu’on proclame, tous ceux qui les prêchent
pèchent mortellement, ce qui est absurde.
Conclusion
Puisque l’Eglise surpasse par l’abondance de ses mérites (qui est la cause de
la rémission de la peine dans les indulgences) toute la peine que les hommes
doivent, on doit dire absolument que les indulgences ont autant de valeur qu’on
le dit, pourvu qu’il y ait de la part de celui qui les donne l’autorité, de la
part de celui qui les reçoit la charité, et de la part de la cause la piété
nécessaire.
Il
faut répondre qu’à cet égard il y a beaucoup d’opinions différentes. Car il y
en a qui disent que ces indulgences n’ont pas autant
de valeur qu’on le proclame, mais qu’elles valent pour chaque fidèle autant que
sa foi et sa dévotion l’exige. Mais ils disent que l’Eglise se prononce ainsi
pour engager les hommes par une pieuse fraude à faire le bien (Cette opinion se
rapproche beaucoup de l’erreur de Luther qui prétendait que les indulgences
n’avaient aucune valeur et qu’on ne les accordait aux fidèles que pour en
obtenir de l’argent.), comme une mère promet à son enfant une pomme pour
l’engager à marcher. Mais ce sentiment paraît être très dangereux. Car, comme
le dit saint Augustin (Epist. ad Hieronym.,
chap. 78), si dans l’Ecriture sainte on trouvait quelque chose de faux, elle
perdrait dès lors toute la force de son autorité. De même si dans les
prédications de l’Eglise on surprenait quelque fausseté ,
les enseignements de l’Eglise ne seraient d’aucune autorité pour affermir la
foi. C’est pourquoi d’autres ont dit qu’elles valent autant qu’on le dit
d’après une juste appréciation ; mais qu’on ne doit pas s’en rapporter au
jugement de celui qui les donne, parce qu’il pourrait trop estimer ce qu’il
donne, ni au jugement de celui qui les reçoit, parce qu’il pourrait estimer
trop peu ce qu’on lui a donné ; mais à une estimation exacte. Cette estimation
exacte est celle des gens de bien (Dans ce cas il n’appartiendrait pas au pape
de fixer le nombre et l’étendue de l’indulgence, et en le fixant il tromperait
les fidèles ; ce qui revient à l’opinion précédente.) qui jugent après avoir
considéré la condition des personnes, l’utilité et la nécessité de l’Eglise ;
parce que l’Eglise en a plus besoin dans un temps que dans un autre. Mais cette
opinion, à notre avis, ne peut pas non plus se soutenir. D’abord parce que dans
ce cas les indulgences serviraient plutôt à la commutation de la peine qu’à sa
rémission. Ensuite on n’excuserait pas de mensonge les prédications de
l’Eglise, puisque quelquefois on prêcherait des indulgences beaucoup plus
avantageuses qu’une juste appréciation ne pourrait l’exiger, après avoir
examiné toutes les conditions dont nous venons de parler, comme quand le pape
accorde une indulgence de sept ans à celui qui va dans une église, ou comme les
indulgences établies par saint Grégoire pour les stations de Rome. — C’est
pourquoi d’autres disent que l’étendue des peines remises par les indulgences
ne doit pas s’apprécier uniquement d’après la dévotion de celui qui les reçoit,
comme les auteurs du premier sentiment le voulaient, ni selon l’étendue de ce
que l’on donne, comme le prétendaient ceux du second ; mais en raison du motif
pour lequel l’indulgence s’accorde et d’après lequel on est jugé digne de la
recevoir. Ainsi d’après ce système, suivant qu’on approche de cette cause, on
reçoit la remise de l’indulgence en tout ou en partie. Mais cette opinion n’est
pas non plus d’accord avec la coutume de l’Eglise qui accorde pour la même
cause une indulgence tantôt plus et tantôt moins considérable. Ainsi les choses
étant absolument dans le même état, quelquefois le pape accorde
un an d’indulgence à ceux qui visitent une église, et d’autres fois il
n’accorde que quarante jours, suivant la grâce qu’il veut faire en établissant
les indulgences. On ne doit donc pas mesurer l’étendue de la peine remise par
l’indulgence suivant la cause qui fait qu’on est digne de la recevoir. — C’est
pourquoi il faut dire que l’étendue d’un effet résulte de l’étendue de sa
cause. Or, la cause de la rémission de la peine dans les indulgences n’est rien
autre chose que l’abondance des mérites de l’Eglise qui est suffisante pour
expier la peine tout entière, mais elle n’a pas pour cause efficiente la
dévotion, le travail, ou de le don de celui qui reçoit l’indulgence, ou la
chose pour laquelle elle est accordée. Par conséquent il n’est pas nécessaire
que l’étendue de la rémission soir proportionnée à l’une de ces choses, mais
elle doit l’être aux mérites de l’Eglise qui sont
toujours surabondants. C’est pourquoi selon qu’ils sont appliqués à telle ou
telle personne, elle obtient la remise qui s’y rapporte. Mais pour qu’ils
soient appliqués à quelqu’un, il faut l’autorité nécessaire pour dispenser ce
trésor, et celui auquel on le dispense, soit uni à celui qui l’a mérité (ce qui
se fait par la charité), et il faut une raison de la dispenser qui soit en
rapport avec l’intention de ceux qui ont fait des œuvres méritoires. Car ils
ont agi pour la gloire de Dieu et dans l’intérêt de l’Eglise en général ; par
conséquent toute cause qui tourne à l’avantage de l’Eglise et à la gloire de Dieu,
est une raison suffisante d’accorder les indulgences (Les principales causes
pour lesquelles on accorde des indulgences sont la construction et la dédicace
d’une église, la conversion des infidèles, l’extirpation des hérésies, la
dévotion du peuple envers les saints et envers le Saint-Siège,
une maladie du corps, un danger de l’âme, et aussi pour faire valoir la
grandeur des mérites des saints, la gloire des martyrs.). C’est pour cela que
suivant d’autres auteurs il faut dire que les indulgences valent absolument
autant qu’on les proclame (Toutefois quand il y aune indulgence partielle on ne
doit pas se figurer que celui qui obtient une indulgence de quarante jours ou
d’un an, obtient la remise de quarante jours ou d’un an de purgatoire ; cette
détermination ne se rapporte qu’à la peine qui était autrefois déterminée par
les anciens canons, de sorte qu’on obtient la libération d’une pénitence de
quarante jours ou d’un an qu’on aurait dû faire. Quelle est la peine qui doit
correspondre à cette pénitence dans le purgatoire ? Dieu seul le sait.), pourvu
qu’il y ait de la part de celui qui les donne l’autorité, de la part de celui
qui les reçoit de la charité, et de la part de la cause la piété
qui comprend la gloire de Dieu et l’intérêt du prochain. On ne fait pas en cela
trop bon marché de la miséricorde de Dieu comme quelques-uns le disent, et on
ne déroge pas à sa justice, parce qu’on ne relâche rien de la peine, mais on
compte la peine de l’un pour l’autre.
Article
3 : Doit-on accorder des indulgences pour un secours temporel ?
Objection
N°1. Il semble qu’on ne doive pas accorder des indulgences pour un secours
temporel. Car la rémission des péchés est une chose spirituelle. Et comme il y
a simonie à donner le spirituel pour le temporel il s’ensuit qu’on ne doit pas
le faire.
Objection
N°2. Les subsides spirituels sont plus nécessaires que les subsides temporels. Or,
il semble qu’on ne doive pas accorder des indulgences pour des secours
spirituels. On doit donc encore beaucoup moins le faire pour des secours
temporels.
Réponse
à l’objection N°2 : On peut accorder une indulgence pour des choses purement
spirituelles et on en accorde quelquefois. C’est ainsi que le pape Innocent IV
a accordé dix jours d’indulgence à celui qui prie pour le roi de France, et
quelquefois on accorde aussi la même indulgence à ceux qui prêchent la croix ou
la prennent (Il s’agit ici des croisades dans lesquelles on s’enrôlait pour la
conquête de la terre sainte ou pour soutenir ailleurs les intérêts de l’Eglise,
comme dans les croisades contre les albigeois dans le midi de la France, ou
contre les Maures en Espagne.).
Mais
c’est le contraire. L’Eglise a ordinairement coutume
d’accorder des indulgences pour des pèlerinages ou des aumônes que l’on doit
faire.
Conclusion
Il est permis d’accorder des indulgences pour un secours temporel qui se
rapporte à des choses spirituelles ; mais on ne doit pas le faire pour un
secours purement temporel, afin d’éviter la simonie.
Il
faut répondre les choses temporelles se rapportent aux choses spirituelles,
parce nous devons nous servir des choses temporelles à cause des choses
spirituelles. C’est pourquoi on ne peut pas accorder une indulgence pour des
choses temporelles, mais on le peut pour des choses temporelles qui se
rapportent à des choses spirituelles, comme la répression des ennemis de
l’Eglise qui en troublent la paix ; la construction d’une église, ou des
aumônes. Il est évident qu’il n’y a point en cela de simonie ; parce qu’on ne
donne pas une chose spirituelle pour une chose temporelle, mais pour une chose
spirituelle.
La
réponse à la première objection est donc évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
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