Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 26 : De ceux qui peuvent accorder des indulgences
Il
faut ensuite nous occuper de ceux qui peuvent accorder les indulgences. A cet
égard quatre questions se présentent : 1° Tout prêtre chargé d’un paroissien
peut-il accorder des indulgences ? (Innocent III a déclaré en concile général
que les abbés, et par conséquent les curés qui sont à la tête d’une paroisse,
n’ont pas le pouvoir d’accorder les indulgences, et il leur défend très
sévèrement d’en accorder. (Cf. chap. Accidentibus, tit. De excessu prælatorum).) — 2° Un diacre ou un autre individu qui
n’est pas prêtre le pourrait-il ? — 3° Un évêque le peut-il ? (Les évêques
peuvent accorder à ceux qui sont de leur diocèse et les archevêques à ceux qui
sont de leur province une indulgence d’un an quand ils consacrent une église e
tune indulgence de quarante jours dans d’autres temps, d’après ce qui a été
décidé par Innocent III (in conc. Lateran., et chap. Cum ex eo, tit. De pœnitentiis), Honorius III (chap. Nostro, eod. titulo),
Boniface VIII (chap. Indulgentiæ in 6, eod. titulo).Boniface
VIII a décidé que les indulgences accordées par les évêques ou les archevêques
au-delà de ces limites seraient nulles.) — 4° Celui qui est en état de péché
mortel le peut-il ?
Article
1 : Tout curé peut-il accorder des indulgences ?
Objection
N°1. Il semble que tout curé puisse accorder des indulgences. Car l’indulgence
tire son efficacité de l’efficacité des mérites de l’Eglise. Or, il n’y a pas de
société de fidèles où il n’y ait une certaine abondance de mérites. Donc tout
prêtre peut accorder des indulgences, s’il a un peuple qui lui soit soumis, et
il en est de même de tout prélat.
Objection
N°2. Tout prélat représente la multitude entière dont il est le chef, comme un
simple particulier représente sa propre personne. Or, tout le monde peut
communiquer à un autre ses biens en satisfaisant pour un autre. Donc un prélat
peut aussi communiquer les biens de la multitude qui lui est confiée, et par
conséquent il semble qu’il puisse accorder des indulgences.
Mais
c’est le contraire. C’est une chose moindre d’excommunier que d’accorder des
indulgences. Or, un curé ne peut pas faire la première chose. Il ne peut donc
pas non plus faire la seconde.
Conclusion
Puisqu’il n’y a que l’évêque qui, comme prélat propre de l’Eglise, ait pleine
juridiction au tribunal de l’Eglise qui possède seule une surabondance de
mérites, un curé ne peut accorder des indulgences.
Il
faut répondre que les indulgences produisent de l’effet selon que les œuvres satisfactoires de l’un sont comptées pour un autre, non
seulement par la puissance de la charité, mais encore d’après l’intention de
l’auteur de ces œuvres dirigée d’une certaine manière vers celui qui en reçoit
l’avantage. Or, l’intention de quelqu’un peut être dirigée vers un autre de
trois manières : d’une manière spéciale, ou d’une manière générale, ou d’une
manière individuelle. D’une manière individuelle, comme quand on satisfait
positivement pour un autre. De la sorte tout le monde peut faire participer un
autre à ses œuvres. D’une manière spéciale, comme quand on prie pour sa
communauté, ses amis et ses bienfaiteurs et qu’on fait dans ce but des œuvres satisfactoires. De cette façon celui qui est à la tête
d’une communauté peut faire participer un autre à ces œuvres, en appliquant à
cette personne d’une manière déterminée l’intention de ceux qui sont de sa
communauté. D’une manière générale comme quand on fait ses œuvres pour le bien
de l’Eglise en général. Alors celui qui est à la tête de l’Eglise universelle
peut communiquer ces œuvres en appliquant son intention à tel ou tel individu.
Et comme l’individu est une partie d’une communauté ou d’une société et que
cette société est elle-même une partie de l’Eglise, il s’ensuit que dans
l’intention du bien de l’individu se trouve renfermée l’intention du bien de la
communauté et celle du bien de toute l’Eglise. C’est pourquoi celui qui est à
la tête de l’Eglise peut communiquer ce qui appartient à une communauté et à un
individu, et celui qui est à la tête d’une communauté peut communiquer ce qui
appartient à tel ou tel individu, mais non réciproquement. On ne donne le nom
d’indulgence ni à la première, ni à la seconde espèce de communication, on ne
le donne à la troisième que pour deux raisons : 1° parce que quoique par ces
communications l’homme soit délivré de la peine qu’il avait à expier par
rapport à Dieu, il n’est cependant pas exempt de faire la satisfaction qui lui
a été enjointe et à laquelle il est obligé d’après le précepte de l’Eglise, au
lieu que par la troisième communication il se trouve aussi quitte de cette
dette ; 2° parce que dans un individu ou dans une communauté il ne peut pas y
avoir une surabondance inépuisable de mérites de manière qu’ils puissent
suffire pour soi et pour tous les autres. C’est pourquoi on n’est absous
totalement de la peine due au péché qu’autant qu’on a fait d’une manière
déterminée tout ce qu’on devait. Mais dans l’Eglise entière il y a une source
inépuisable de mérites, surtout à cause des mérites du Christ. C’est pour cela
qu’il n’y a que le chef de l’Eglise qui puisse accorder des indulgences. Mais
l’Eglise étant une société de fidèles, et toute société humaine ayant un double
caractère, c’est-à-dire qu’elle est économique, comme ceux qui sont de la même
famille, ou politique, comme ceux qui appartiennent à la même nation, on
assimile l’Eglise à une société politique, parce que le peuple lui-même reçoit
le nom d’Eglise ou d’assemblée. Mais les différentes réunions ou les diverses
paroisses qui existent dans un même diocèse, ressemblent à une société divisée
en différentes familles ou en divers offices. C’est pourquoi l’évêque seul est
proprement appelé prélat ou chef d’une Eglise. C’est aussi pour cela que seul
il reçoit l’anneau de l’Eglise, comme son époux ; et c’est pour ce motif que
seul il a la pleine puissance dans la dispensation des sacrements, et qu’il a
juridiction au tribunal extérieur de l’Eglise comme personne publique, et que
les autres n’ont que l’autorité qu’il leur confie ; mais les prêtres qui sont à
la tête des paroisses ne sont pas absolument des prélats (Ils ne le sont
qu’improprement et sous un rapport secundùm quid,
parce qu’ils n’ont pas la plénitude de juridiction et qu’ils ne sont pas à la
tête d’une province, ce que saint Thomas appelle multitudo politica, mais qu’ils ne sont chefs que
d’une famille (multitudo æconomica).),
ils sont seulement comme des coadjuteurs. C’est pour cela que dans la
consécration des prêtres l’évêque dit : Plus nous sommes faibles et plus nous
avons besoin de ce secours. C’est aussi pour cela qu’ils ne dispensent pas tous
les sacrements. Par conséquent, les curés, les abbés ou les autres prélats (Il
y a controverse au sujet des vicaires capitulaires qui administrent le diocèse
pendant la vacance du siège. Dominique (quest. 1, dist. 21, art. 4) et Suarez
(tome 4 in part. 3, disp. 55, sect. 4) pensent qu’ils
n’en ont pas le droit. Benoît XIV croit ce sentiment le plus probable (De synodo diœcesana, liv. 2, chap. 9), et la sacrée congrégation
dite du Concile est d’avis que dans la pratique ils s’abstiennent.) de ce genre ne peuvent accorder des indulgences.
La
réponse aux objections est par là même évidente.
Article
2 : Un diacre ou tout autre qui n’est pas prêtre peut-il accorder des
indulgences ?
Objection
N°1. Il semble qu’un diacre ou tout autre qui ne serait pas prêtre ne puisse
accorder des indulgences. Car la rémission des péchés est un effet des clés.
Or, il n’y a que le prêtre qui ait les clefs. Donc il n’y a que lui qui puisse
accorder les indulgences.
Objection
N°2. On obtient par les indulgences une remise de la peine plus complète qu’au
for de la pénitence. Or, il n’y a qu’un prêtre qui puisse accorder cette
dernière. Donc il n’y a que lui qui puisse accorder la première.
Mais
c’est le contraire. On confie la dispensation du trésor de l’Eglise à celui
qu’on charge de l’administration de l’Eglise elle-même. Or, quelquefois on
confie cette charge à quelqu’un qui n’est pas prêtre. Il peut donc aussi
accorder des indulgences, car elles tirent leur efficacité de la dispensation
du trésor de l’Eglise.
Conclusion
Puisque le pouvoir des indulgences est une suite de la juridiction, les diacres
et tous ceux qui ne sont pas prêtres, mais qui ont une juridiction déléguée ou
ordinaire, peuvent accorder des indulgences.
Il
faut répondre que le pouvoir d’accorder des indulgences est une suite de la
juridiction, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 2, dans le corps
de l’article et Réponse N°1). Et comme les diacres et les autres (Pourvu
cependant qu’ils soient clercs ; parce que, comme l’observe Sylvius, quoique le
souverain pontife puisse par sa puissance absolue déléguer cette juridiction à
quelqu’un qui ne soit pas clerc, il n’y a que lui qui le puisse, et que
d’ailleurs il ne serait pas convenable qu’il déléguât lui-même cette
juridiction à un autre qu’à un clerc.) qui ne sont pas prêtres peuvent avoir
une juridiction déléguée, tels que les légats, ou une juridiction ordinaire,
tels que ceux qui sont élus à l’épiscopat il s’ensuit qu’ils peuvent accorder
des indulgences sans être prêtres, quoiqu’ils ne puissent absoudre au for de la
pénitence, ce qui appartient à l’ordre.
La
réponse aux objections est par là même évidente. Car il appartient à la clef de
juridiction et non à celle d’ordre d’accorder des indulgences.
Article
3 : Un évêque peut-il accorder des indulgences ?
Objection
N°1. Il semble qu’un évêque ne puisse pas accorder des indulgences. Car le
trésor de l’Eglise est commun à l’Eglise entière. Or, ce qui est commun à toute
l’Eglise ne peut être dispensé que par celui qui préside à l’Eglise entière. Il
n’y a donc que le pape qui puisse accorder des indulgences.
Objection
N°2. Il n’y a que celui qui a le pouvoir d’établir des lois qui puisse remettre
les peines qu’elles déterminent. Or, les peines satisfactoires
sont déterminées par le droit pour les péchés. Il n’y a donc que le pape, qui
est l’auteur du droit canon, qui puisse remettre les peines.
Mais
ce qui est contraire, c’est la coutume de l’Eglise d’après laquelle les évêques
accordent des indulgences.
Conclusion
Il n’y a que le pape qui, en vertu de la plénitude de sa puissance, puisse
accorder à volonté des indulgences plénières, pourvut toutefois que ce soit
pour une cause légitime ; les évêques n’en accordent que dans la mesure qui
leur a été déterminée par le pape.
Il
faut répondre que le pape a la plénitude de la puissance pontificale, comme un
roi dans son royaume. Les évêques sont appelés à partager sa sollicitude, comme
des juges préposés à chaque cité. C’est pour cela qu’il n’y a qu’eux que le
pape appelle ses frères dans ses
lettres, tandis qu’il donne à tous les autres le nom d’enfants. C’est pourquoi la puissance d’accorder des indulgences
plénières réside pleinement dans le pape ; parce qu’il peut les accorder comme
il le veut, pourvu qu’il y ait une cause légitime. Mais dans les évêques ce
pouvoir est déterminé selon l’ordre du pape (Ainsi ce pouvoir est de droit
commun ecclésiastique ; néanmoins ils n’ont pas ce pouvoir par délégation, parce
qu’ils le tiennent de la force même de leur charge épiscopale.). C’est pourquoi
ils peuvent en accorder selon le terme qui leur a été fixé, mais ils ne peuvent
aller au-delà.
La
réponse aux objections est par là même évidente.
Article
4 : Celui qui est en état de péché mortel peut-il accorder des indulgences ?
Objection
N°1. Il semble que celui qui est en état de péché mortel ne puisse pas accorder
des indulgences. Car le ruisseau qui ne reçoit pas les eaux de la source ne
peut pas couler. Or, la source de la grâce, c’est-à-dire le Saint-Esprit,
ne se répand plus sur le prélat qui est dans le péché mortel. Il ne peut donc
pas non plus s’épancher sur les autres en leur accordant des indulgences.
Réponse
à l’objection N°1 : Le prélat qui est dans le péché mortel et qui accorde des
indulgences ne répand pas quelque chose de lui. C’est pourquoi il n’est pas
nécessaire pour que les indulgences soient valides, qu’il reçoive de lui-même
les eaux de la source.
Objection
N°2. C’est une plus grande chose d’accorder l’indulgence que de la recevoir.
Or, celui qui est en état de péché mortel ne reçoit pas d’indulgence, comme on
le verra (quest. suiv., art. 1). Il ne peut donc pas
non plus l’accorder.
Réponse
à l’objection N°2 : C’est une plus grande chose quant à la puissance d’accorder
les indulgences que de les recevoir, mais c’en est une moindre quant à
l’avantage propre qu’on en retire.
Mais
c’est le contraire. Les indulgences s’accordent par la puissance donnée aux
prélats de l’Eglise. Or, le péché mortel n’enlève pas la puissance, mais la
bonté. Celui qui est en état de péché mortel peut donc accorder des
indulgences.
Conclusion
Puisque le péché ne fait pas perdre à un homme sa juridiction, un prélat qui
est dans le péché mortel peut accorder des indulgences.
Il
faut répondre qu’il appartient à la juridiction d’accorder des indulgences. Or,
le péché ne fait pas perdre à un homme sa juridiction. C’est pourquoi les
indulgences valent autant, si elles sont accordées par quelqu’un qui est dans
le péché mortel (Il ne s’agit ici ni des excommuniés, ni des hérétiques, ni des
schismatiques, ni des dégradés. Puisque ceux qui sont dans cet état perdent
toute juridiction, comme on l’a dit (quest. 19, art. 6), il est évident qu’ils
ne peuvent accorder des indulgences.), qu’elles vaudraient si elles étaient
accordées par quelqu’un qui serait très saint, puisqu’elles remettent pas la
peine en vertu de ses mérites propres, mais en vertu des mérites enfouis dans
le trésor de l’Eglise.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les
retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale
catholique et des lois justes.