Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 27 : De ceux qui reçoivent les indulgences

 

          Nous devons ensuite nous occuper de ceux qui reçoivent les indulgences. A cet égard il y a quatre questions à examiner : 1° Ceux qui sont dans le péché mortel gagnent-ils l'indulgence ? (Il est certain que l’on ne peut gagner les indulgences quand on est dans le péché mortel, et que pour gagner l’indulgence plénière il faut n’avoir ni péché mortel, ni péché véniel, ni affection aux péchés ; sans cela l’indulgence plénière devient partielle, et ses fruits sont réglés sur les dispositions où l’on est.) — 2° Les religieux la gagnent-ils ? — 3° Peut-on la gagner sans faire la chose pour laquelle on la donne ? — 4° Celui qui l’accorde peut-il la gagner ?

 

Article 1 : Gagne-t-on des indulgences quand on est dans le péché mortel ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’indulgence profite à ceux qui sont dans le péché mortel. Car on peut mériter la grâce et beaucoup d’autres biens pour un autre, même quand il est dans le péché mortel. Or, les indulgences tirent leur efficacité de ce que les mérites des saints sont appliqués à un individu. Elles ont donc leur effet dans ceux qui sont en état de péché mortel.

 

          Objection N°2. Là où l’indulgence est plus grande, la miséricorde s’exerce davantage. Or, celui qui est dans le péché mortel a le plus besoin d’indulgence. Donc on doit surtout par les indulgences lui faire miséricorde.

          Réponse à l’objection N°2 : Si celui qui est dans le péché mortel a le plus de besoins, il a cependant moins d’aptitude.

 

          Mais c’est le contraire. Un membre mort ne reçoit pas l’influence des autres membres qui sont vivants. Or, celui qui est dans le péché mortel est comme un membre mort. Donc il ne reçoit pas par les indulgences l’influence des mérites des membres vivants.

 

          Conclusion Puisqu’on ne remet la peine qu’autant que la faute a été remise au auparavant, les indulgences ne servent d’aucune manière à ceux qui sont dans le péché mortel, mais elles servent à ceux qui sont contrits et qui se sont confessés.

          Il faut répondre qu’il y en a qui disent que les indulgences servent aussi à ceux qui sont dans le péché mortel, non pour la remise de leur peine, parce qu’on ne peut remettre la peine à personne, si on ne lui a remis préalablement sa faute (car celui qui n’a pas obtenu l’opération de Dieu pour la rémission de ses fautes, ne peut obtenir la rémission de la peine d’un ministre de l’Eglise, ni dans les indulgences, ni au tribunal de la pénitence) mais qu’elles leur sont utiles pour acquérir la grâce. Mais ce sentiment ne paraît pas vrai. Car quoique les mérites que l’indulgence communique puissent servir à mériter la grâce, cependant ce n’est pas pour cela qu’on les dispense, mais elles sont données pour remettre la peine. C’est pourquoi elles ne servent pas à ceux qui sont dans le péché mortel. C’est aussi pour ce motif que dans toutes les indulgences on parle de ceux qui sont véritablement contrits et qui se sont confessés (Il n’est cependant pas nécessaire que l’on fasse en état de grâce toutes les œuvres prescrites ; il suffit qu’on soit réconcilié avec Dieu avant de faire la dernière.). Mais si elles se donnaient de cette manière : Je vous fais participer aux mérites de toute l’Eglise, ou d’une communauté, ou d’une personne spéciale ; alors elles pourraient servir à mériter quelque chose (Mais cette communication de bonnes œuvres ne s’accorde pas alors par manière d’indulgence ; elle revient à celle dont il a été parlé (quest. préc., art. 1).) à celui qui est dans le péché mortel, comme le suppose l’opinion que nous venons d’exposer.

          La réponse à la première objection est par là même évidente.

 

Article 2 : Les indulgences servent-elles aux religieux ?

 

          Objection N°1. Il semble que les indulgences ne servent pas aux religieux. Car il ne convient pas de suppléer à ceux dont la surabondance supplée pour les autres. Or, c’est par la surabondance des œuvres de satisfaction accomplies dans les religieux, qu’on supplée aux autres par les indulgences. Il ne convient donc pas qu’on supplée à eux-mêmes par ce moyen.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique les religieux soient dans un état de perfection, néanmoins ils ne peuvent pas vivre sans péché. C’est pourquoi si quelquefois pour un péché qu’ils ont commis ils sont redevables d’une peine, ils peuvent en être délivrés par les indulgences. Car il ne répugne pas que celui qui est absolument dans l’abondance ait besoin en certain temps et sous quelque rapport. C’est ainsi qu’ils ont besoin d’un supplément qui les soulage ; d’où il est dit (Gal., 6, 2) : Portez les fardeaux les uns des autres.

 

          Objection N°2. Il ne doit rien se faire dans l’Eglise qui entraîne la dissolution des ordres religieux. Or, si les indulgences servaient aux religieux, ce serait une occasion de ruine pour la discipline régulière ; parce que les religieux courraient trop après ces indulgences et négligeraient les peines qui leur auraient été imposées en chapitre. Elles ne servent donc pas aux religieux.

          Réponse à l’objection N°2 : Les indulgences ne doivent pas détruire l’observance de la règle (Il peut y avoir des indulgences que des religieux ne puissent gagner, mais il y en a aussi qu’ils peuvent gagner dans l’intérieur de leur cloître sans déroger d’aucune manière à leur règle ; on leur en accorde même de particulières dont ils peuvent facilement profiter.) ; parce que les religieux, en observant leur règle, méritent plus pour la récompense de la vie éternelle qu’en gagnant les indulgences, quoiqu’ils méritent moins par rapport à la remise de la peine qui est un bien moindre. D’ailleurs les indulgences ne remettent pas les peines imposées en chapitre ; parce que ce qui se passe dans le chapitre appartient au for judiciaire plutôt qu’au for pénitentiel. D’où il arrive qu’il arrive qu’un chapitre peut être tenu par quelqu’un qui n’est pas prêtre. Mais c’est au tribunal de la pénitence qu’on est absous de la peine imposée ou due pour le péché.

 

          Mais c’est le contraire. Ce qui est bon ne fait de tort à personne. Or, la vie religieuse est une bonne chose. Donc elle ne fait pas tort aux religieux de manière que les indulgences ne leur soient pas profitables.

 

          Conclusion Puisque les religieux ne peuvent pas être moins aidés que le reste des fidèles par le mérite des autres, il s’ensuit que les indulgences ne servent pas seulement aux laïques, mais qu’elles sont utiles aussi aux religieux.

          Il faut répondre que les indulgences sont utiles aux religieux aussi bien qu’aux séculiers, pourvu qu’ils soient en état de grâce et qu’ils observent ce qui est prescrit pour les indulgences. Car les religieux ne sont pas moins susceptibles d’être aidés par les mérites des autres que les séculiers.

 

Article 3 : L’indulgence peut-elle être gagnée quelquefois par celui qui ne fait pas la chose pour laquelle elle est accordée ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’indulgence puisse être quelquefois gagnée par celui qui ne fait pas la même chose pour laquelle est accordée. Car à l’égard de celui qui ne peut faire une chose, la volonté est réputée pour le fait. Or, quelquefois on accorde une indulgence pour faire une aumône qu’un pauvre ferait, s’il avait les moyens. Donc il gagne cette indulgence.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce principe s’entend de la récompense essentielle, mais non des récompenses accidentelles, comme la remise de la peine ou toute autre chose semblable.

 

          Objection N°2. L’un peut satisfaire pour l’autre. Or, l’indulgence se rapporte à la rémission de la peine, comme la satisfaction aussi. Donc l’un peut recevoir l’indulgence pour un autre, et par conséquent il peut arriver que celui qui n’a pas fait la chose pour laquelle l’indulgence est accordée la gagne.

          Réponse à l’objection N°2 : Par l’intention on peut appliquer une œuvre propre à qui on veut, et c’est pour cela qu’on peut satisfaire pour qui on veut. Mais l’indulgence ne peut être appliquée à quelqu’un que d’après l’intention de celui qui la donne. C’est pourquoi quand il l’applique à celui qui fait ou qui donne telle ou telle chose, celui qui remplit cette condition ne peut transporter cette intention sur un autre. Cependant si on accordait l’indulgence en disant : Celui qui fait ou celui pour lequel on fera telle chose aura tant d’indulgences, celui pour lequel on ferait la chose gagnerait l’indulgence. Mais ce ne serait pas celui qui aurait fait l’œuvre qui donnerait l’indulgence à l’autre, ce serait celui qui l’aurait établie sous cette forme.

 

          Mais c’est le contraire. En éloignant la cause on éloigne l’effet. Si donc on ne fait pas la chose pour laquelle l’indulgence est accordée, c’est-à-dire si on ne pose pas la cause, on n’en obtiendra pas l’effet.

 

          Conclusion Puisque l’indulgence est donnée sous une condition positive, on ne l’obtient pas, si on en fait pas la chose pour laquelle est accordée.

          Il faut répondre que quand la condition n’existe pas, on n’obtient pas ce qui est accordé sous condition. Ainsi l’indulgence étant accordée sous cette condition qu’on fera ou qu’on donnera quelque chose, si on ne le fait pas on n’obtient pas l’indulgence (On doit faire exactement, dit Mgr Gousset, tout ce qui est prescrit par la bulle ou le bref de concession, et le faire comme il est prescrit : à genoux, par exemple, debout, au son de la cloche ; à telle heure, tel jour ; étant contrit, s’étant confessé, ayant communié ; priant pour la paix entre les princes chrétiens, pour l’extirpation des schismes ou des hérésies, pour l’exaltation de notre mère la sainte Eglise, à l’intention du souverain pontife, etc. (Théolog. moral, chap. 2, page 610).).

 

Article 4 : L’indulgence profite-t-elle à celui qui la donne ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’indulgence ne serve pas à celui qui la donne. Car il appartient à la juridiction de donner des indulgences. Or, personne ne peut exercer sur lui-même ce qui est juridiction, comme personne ne peut s’excommunier. Donc personne ne peut participer à une indulgence qu’il a lui-même accordée.

          Réponse à l’objection N°1 : On ne peut exercer sur soi-même un acte de juridiction ; mais un prélat peut aussi user au spirituel aussi bien qu’au temporel des choses qu’il accorde aux autres par l’autorité de sa juridiction. C’est ainsi qu’un prêtre reçoit aussi pour lui-même l’eucharistie qu’il donne aux autres. De même l’évêque peut aussi recevoir pour lui les suffrages de l’Eglise qu’il dispense aux autres et dont l’effet immédiat est la rémission de la peine par les indulgences et non un acte de juridiction.

 

          Objection N°2. D’après cela celui qui accorde les indulgences pourrait pour une action de peu d’importances se remettre la peine de tous ses péchés, et par conséquent il pécherait impunément, ce qui paraît absurde.

 

          Objection N°3. Il appartient à la même puissance d’accorder des indulgences et d’excommunier. Or, on ne peut s’excommunier soi-même. Donc on ne peut pas non plus participer aux indulgences qu’on a établies.

          Réponse à l’objection N°3 : L’excommunication est prononcée à la manière d’une sentence que personne ne peut porter contre soi-même, par dans un jugement le même individu ne peut être tout à la fois juge et accusé. Mais l’indulgence n’est pas accordée par manière de sentence, elle l’est à la façon d’une dispensation que l’on peut faire à soi-même.

 

          Mais c’est le contraire. Car dans ce cas il serait une condition pire que les autres, s’il ne pouvait user du trésor de l’Eglise qu’il dispense aux autres.

 

          Conclusion Quoique un prélat ne puisse pas établir des indulgences pour lui seul, cependant puisqu’il n’est pas d’une condition pire que les autres hommes, il peut user pour lui-même des indulgences accordées aux autres.

          Il faut répondre que les indulgences doivent être accordées pour une cause, de telle sorte qu’on excite par là les fidèles à un acte qui tourne à l’avantage de l’Eglise et à la gloire de Dieu. Or, un prélat qui est chargé de veiller aux intérêts de l’Eglise et de propager le règne de Dieu n’a pas de motif pour s’exciter lui-même à cela (Il n’a pas de motif pour s’exciter à faire de bonnes œuvres par un acte de sa juridiction, parce que, comme le dit saint Thomas, sa juridiction lui a été confiée dans l’intérêt des autres et non dans son intérêt propre. Mais ce passage ne signifie pas qu’il ne doive pas s’exciter au bien, puisque plus on est élevé et plus on a besoin de secours.). C’est pourquoi il ne peut établir des indulgences uniquement pour lui ; mais il peut user de l’indulgence qu’il établit pour les autres ; parce qu’il a pour les autres un motif de les accorder.

          La réponse à la seconde objection est évidente d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.