Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 28 : Du rite solennel de la pénitence
Nous
devons ensuite nous occuper du rite solennel de la pénitence. A cet égard il y
a trois questions à examiner : 1° Peut-il y avoir une pénitence publique ou
solennelle ? (On distingue la pénitence solennelle de la pénitence publique,
comme saint Thomas l’observe lui-même (art. 3). La pénitence solennelle est
celle que l’on faisait avec certaines solennités et qui comprenait divers
degrés que l’on avait désignés par ces mots : fletus, audientia, substratio
et consistentia. La pénitence publique était
celle qu’on faisait publiquement sans ces solennités, comme les pèlerinages,
l’exil, la réclusion dans un monastère.) — 2° La pénitence solennelle peut-elle
être réitérée ? — 3° Doit-on imposer la pénitence publique aux femmes ?
Article
1 : Doit-il y avoir des pénitences publiques ou solennelles ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir de pénitences publiques ou
solennelles. Car il n’est pas permis à une prêtre,
même par crainte, d’avouer le péché de quelqu’un, quelque public qu’il soit.
Or, on rend le péché public par la pénitence solennelle. Il ne doit donc pas y
en avoir.
Réponse
à l’objection N°1 : Le prêtre ne révèle pas la confession en imposant une
pareille pénitence (Il n’y a jamais eu que les péchés qui étaient publics de
quelque manière qui aient été soumis à la pénitence publique ou solennelle par
les canons. Si quelques chrétiens s’y sont soumis pour des péchés secrets, ils
l’ont fait spontanément dans la ferveur de leur zèle et de leur piété.),
quoiqu’il en résulte qu’on soupçonne le pénitent d’avoir commis quelque faute
énorme. Car on ne connaît pas avec certitude la faute d’après la peine ; parce
que quelquefois on fait pénitence pour un autre, comme on voit dans les Vies
des Pères (liv. 2, chap. 32, et liv. 5, num. 27)
qu’un religieux fit pénitence avec un autre pour engager son compagnon à la
faire. Mais si le péché est public, le pénitent en accomplissant sa pénitence
fait voir à tout le monde qu’il s’en est confessé.
Objection
N°2. Le jugement doit être selon la nature du tribunal où il est prononcé. Or,
la pénitence est un jugement qui est rendu dans un tribunal secret. Elle ne
doit donc être ni publique ni solennelle.
Réponse
à l’objection N°2 : La pénitence solennelle ne sort pas du secret quant à son
injonction ; car comme le pénitent se confesse secrètement, de même la
pénitence lui est enjointe secrètement. Mais son exécution ne reste pas
secrète, et il n’y a pas en cela d’inconvénient.
Objection
N°3. La pénitence ramène tous les défauts à la perfection, comme le dit saint
Ambroise (hab., liv. 3 Hypognost., chap. 9 ad fin. int. op. Aug.). Or, la solennité produit le contraire ; parce
qu’elle enchaîne le pénitent à une multitude défectuosités ; car après une
pénitence solennelle un laïque ne peut plus être promu à la cléricature et un
clerc ne peut être promu aux ordres supérieurs. On ne doit donc pas rendre la
pénitence solennelle.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique la pénitence éloigne tous les défauts en
rétablissant le pénitent dans son ancien état de grâce, cependant elle ne le
rétablit pas toujours dans son ancien dignité. C’est pourquoi les femmes après
avoir fait pénitence au sujet de la fornication ne sont plus voilées, parce
qu’elles ne recouvrent pas leur dignité de vierge. De même après la pénitence
publique le pécheur ne recouvre pas sa dignité au point de pouvoir être élevé à
la cléricature. L’évêque qui ordonne quelqu’un qui est dans cet état doit être
privé du pouvoir d’ordonner, à moins que par hasard la nécessité de l’Eglise le
demande ou que la coutume l’autorise. Car alors au moyen d’une dispense on est
reçu pour les ordres mineurs, mais non pour les ordres sacrés : 1° à cause de
la dignité de ces ordres ; 2° dans la crainte d’une récidive ; 3° pour éviter
le scandale qui pourrait s’élever dans le peuple par suite du souvenir des
fautes antérieures ; 4° parce qu’il n’aurait pas le front de corriger les
autres, son péché ayant été public (Voyez sur la pénitence publique
l’excellente dissertation que Billuart a placée à la
fin de son traité de la Pénitence.).
Mais
c’est le contraire. La pénitence est un sacrement. Or, dans tous les sacrements
on met une certaine solennité. On doit donc aussi en mettre dans la pénitence.
Le
remède doit répondre à la maladie. Or, le péché est quelquefois public et il en
entraîne une foule au mal par la force de l’exemple. La pénitence qui est son
remède doit donc être publique et solennelle pour en édifier un grand nombre.
Conclusion
Quelquefois on doit enjoindre une pénitence publique et solennelle à ceux qui
se sont souillés de crimes énormes et publics, dans l’intérêt de leur salut et
pour servir d’exemple aux autres.
Il
faut répondre que la pénitence doit être quelquefois publique et solennelle
pour quatre raisons : 1° pour qu’un péché public ait un remède public ; 2°
parce que celui qui a commis un crime très grave mérite d’être couvert même en
ce monde de la plus grande confusion ; 3° pour inspirer de la terreur aux
autres ; 4° pour leur donner une exemple de pénitence, afin que ceux qui sont
tombés dans de graves fautes ne désespèrent point de leur état.
Article
2 : La pénitence solennelle peut-elle se réitérer ?
Objection
N°1. Il semble que la pénitence solennelle puisse se réitérer. Car les
sacrements qui n’impriment pas caractère peuvent se réitérer avec leur
solennité, comme l’eucharistie, l’extrême-onction et les autres. Or, la
pénitence n’imprime pas de caractère. on peut donc la
réitérer avec solennité.
Réponse
à l’objection N°1 : Dans les sacrements dont on réitère les solennités, la
réitération ne répugne pas à la solennité elle-même, comme dans les cas
présent. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.
Objection
N°2. La pénitence est rendue solennelle à cause de la gravité et de la
publicité du péché. Or, il arrive qu’après avoir fait cette pénitence on commet
les mêmes fautes et de plus graves encore. On doit donc imposer de nouveau la
pénitence solennelle.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique en raison du crime il mérite la même pénitence,
cependant il ne convient pas de lui imposer de nouveau la pénitence solennelle
pour les motifs que nous avons donnés (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. La pénitence solennelle signifie le bannissement du premier
homme du paradis. Or, ce bannissement n’a eu lieu qu’une fois. Donc la
pénitence solennelle ne doit se faire aussi qu’une fois.
Conclusion
La pénitence solennelle ne doit pas se réitérer, soit à cause de sa
signification, soit pour l’empêcher de tomber dans le mépris.
Il
faut répondre que la pénitence solennelle ne doit pas se réitérer pour trois
motifs : 1° dans la crainte qu’on ne l’avilisse en la réitérant ; 2° à cause de
sa signification ; parce qu’elle signifie l’expulsion du premier homme du
paradis, qui ne s’est faite qu’une fois ; 3° parce que cette solennité est une
profession que l’on fait de conserver perpétuellement la pénitence. C’est
pourquoi la réitération répugne à la solennité. Si cependant on vient à pécher ensuite,
on a toujours lieu de faire pénitence (Celui qui retombait dans son péché
n’était pas pour cela privé de tout secours, il pouvait et il devait dans ce
cas recourir à la pénitence privée. Sa condition n’en était pas meilleure pour
cela, parce que les relaps étaient tenus de faire pénitence pendant tout le
reste de leur vie, et on ne les admettait à recevoir l’eucharistie qu’à leurs
derniers moments.), mais on ne doit pas imposer de nouveau au pécheur la
pénitence solennelle.
Article
3 : Doit-on imposer la pénitence solennelle aux femmes et aux clercs, et tout
prêtre peut-il l’imposer ?
Objection
N°1. Il semble qu’on ne doive pas imposer la pénitence solennelle aux femmes.
Car l’homme auquel on impose la pénitence solennelle doit se faire raser la
tête, ce qui ne convient pas aux femmes, d’après l’Apôtre (1 Cor., chap. 11). Elles ne doivent donc pas faire la pénitence
solennelle.
Réponse
à l’objection N°1 : La femme porte sa chevelure en signe de soumission, tandis
qu’il n’en est pas de même de l’homme. C’est pourquoi il ne convient pas que
dans la pénitence les femmes aient la tête rasée comme les hommes.
Objection
N°2. Il semble qu’on doive l’imposer aux clercs ; car on l’impose à cause de la
gravité du péché. Or, le même péché est plus grave dans un clerc que dans un
laïque. On doit donc imposer cette pénitence à un clerc plutôt qu’à un laïque.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique dans le même genre de péché un clerc pèche qu’un
laïque, cependant on ne lui enjoint pas la pénitence solennelle de peur de
rendre méprisable son caractère ; par conséquent on n’use pas de déférence
envers la personne, mais envers l’ordre.
Objection
N°3. Il semble que tout prêtre puisse l’imposer. Car il appartient à celui qui
a les clefs d’absoudre au tribunal de la pénitence. Or, un simple prêtre a les
clefs. Il peut donc être le ministre de cette espèce de pénitence.
Réponse
à l’objection N°3 : Les grands péchés ont besoin de grande précaution pour se
guérir. C’est pour cela qu’on réserve à l’évêque seul l’injonction de la
pénitence solennelle qui ne se fait que pour des péchés très graves.
Conclusion
La pénitence publique et solennelle ne doit pas être imposée aux clercs pour
éviter le scandale, mais elle peut être imposée aux autres hommes et aux femmes
; c’est à l’évêque à l’imposer, et elle ne doit l’être qu’une fois ; mais la
pénitence publique et no solennelle peut être imposée plusieurs fois aux clercs
comme aux autres.
Il
faut répondre que toute pénitence solennelle est publique, mais non
réciproquement. Car la pénitence solennelle se fait de cette manière. Au
commencement du carême ces pénitents se présentent avec leurs curés à l’évêque
de la ville devant les portes de l’église, vêtus d’un sac, pieds nus, les yeux
baissés à terre, la tête rasée, et quand ils sont entrés dans l’église,
l’évêque dit avec le clergé les sept psaumes de la pénitence, puis il leur
impose les mains, répand sur eux de l’eau bénite, leur met de la cendre sur la
tête, leur couvre le cou avec un cilice, et leur annonce d’une voix lamentable
que comme Adam a été chassé du paradis, de même ils sont bannis de l’Eglise. Puis
il ordonne aux ministres des les conduire hors de l’Eglise, et le clergé qui
les suivait chante ces paroles : In sudore vultûs tui,
etc. Le jour de la cène tous les ans ils sont ramenés dans l’église par leurs
curés, et ils y restent jusqu’à l’octave de Pâques, mais sans communier et sans
recevoir le baiser de paix. Cela devait se faire ainsi tous les ans, tant que
l’entrée de l’église leur était interdite. La réconciliation dernière était
réservée à l’évêque (Il est plus probable, comme le prouve Billuart,
que cette réconciliation dernière n’était pas la réconciliation avec Dieu par
l’absolution sacramentelle qu’elle supposait mais seulement la réconciliation
avec l’Eglise quant aux offrandes et à la participation à l’eucharistie. Dans
les premiers siècles, comme aujourd’hui, on accordait aux pécheurs l’absolution
sacramentelle, aussitôt qu’on les croyait suffisamment disposés.), qui seul a
le droit d’imposer la pénitence solennelle (hæc hab.,
chap. 64, dist. 50). Cette pénitence peut être imposée aux hommes et aux
femmes, mais elle ne peut pas l’être aux clercs, à cause du scandale (Noël
Alexandre, Juenin et d’autres théologiens prétendent
que les prêtres furent soumis à la pénitence solennelle pendant les trois
premiers siècles, et qu’ils n’en furent dispensés qu’au quatrième. Mais
l’opinion de saint Thomas, qui est adoptée par beaucoup d’autres, nous paraît
la plus probable.). On ne doit imposer cette pénitence que pour un péché qui
aurait ému la ville entière (Il n’y avait de soumis à la pénitence solennelle
que les crimes les plus atroces, l’idolâtrie, la sodomie et l’homicide, ou les
fautes qui se rapportaient directement à l’un de ces trois genres.). La
pénitence publique et qui n’est pas solennelle est celle qui se fait à la face
de l’Eglise mais non avec la solennité dont nous venons de parler ; comme un
pèlerinage qu’on fait à travers le monde un bâton à la main. Cette pénitence
peut être réitérée et imposée par un simple prêtre. On peut aussi l’enjoindre à
un clerc. Cependant quelquefois la pénitence solennelle se prend pour la
pénitence publique. Et c’est ce qui fait qu’il y a des Pères qui en parlent
diversement.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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