Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 30 : De l’effet de l’extrême-onction
Nous
devons ensuite nous occuper de l’effet de l’extrême-onction. A cet égard trois
questions se présentent : 1° L’extrême-onction est-elle utile pour la rémission
des péchés ? (Il est de foi que l’extrême-onction confère la grâce, qu’elle
remet les péchés et soulage les malades. C’est ce qu’a décidé le concile de
Trente (sess. 14, can. 2).) — 2° La santé corporelle est-elle un effet de ce
sacrement ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des Grecs qui
prétendaient que l’extrême-onction ne peut jamais servir pour le salut du
corps. Erasme a renouvelé la même erreur.) — 3° Ce sacrement imprime-t-il
caractère ?
Article
1 : L’extrême-onction sert-elle à la rémission des péchés ?
Objection
N°1. Il semble que l’extrême-onction ne serve pas à la rémission des péchés. Car
à l’égard de ce qui peut être fait par une chose on n’en exige pas une autre.
Or, pour la rémission des péchés on requiert la pénitence dans celui qui a reçu
l’extrême-onction. Les péchés ne sont donc pas remis par ce sacrement.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoiqu’on puisse obtenir l’effet principal d’un sacrement
sans recevoir actuellement ce sacrement, ou sans sacrement, ou par un autre
sacrement par voie de conséquence, on ne peut cependant jamais obtenir cet
effet sans avoir le désir de recevoir le sacrement qu’il produit. C’est
pourquoi la pénitence ayant été principalement établie contre le péché actuel,
tout autre sacrement qui efface le péché actuel par voie de conséquence
n’empêche pas la pénitence d’être nécessaire.
Objection
N°2. Dans le péché il n’y a que trois choses, la tache, la peine que l’on
mérite et les restes du péché. Or, par l’extrême-onction le péché n’est pas
remis quant à la tache sans la contrition qui le remet même sans l’onction ; il
n’est pas remis non plus quant à la peine, parce que si l’on recouvre la santé
on est tenu d’accomplir la satisfaction qui a été enjointe ; il ne l’est pas
davantage quant aux restes du péché, parce que les dispositions qui résultent
des actes antérieurs subsistent encore, comme on le voit après la
convalescence. Il ne produit donc la rémission des péchés d’aucune manière.
Réponse
à l’objection N°2 : L’extrême-onction remet le péché d’une certaine manière
sous ces trois rapports. Car quoique le péché ne soit pas remis quant à la
tache sans la contrition, cependant l’extrême-onction au moyen de la grâce
qu’elle confère fait que ce mouvement du libre arbitre contre le péché soit la
contrition, comme cela peut arriver aussi dans l’eucharistie et la
confirmation. De même elle diminue aussi la peine temporelle (Ce sacrement
diminue la peine temporelle en proportion des dispositions avec lesquelles le
malade le reçoit.) qu’on mérite, mais par voie de conséquence en ce qu’elle
enlève la faiblesse spirituelle, parce que celui qui est fort porte plus
facilement la même peine que celui qui est faible. Il ne faut donc pas que la
mesure de la satisfaction soit pour cela affaiblie. Quant aux restes du péché
on n’entend pas ici par là les dispositions qui sont restées des actes et qui
sont des habitudes commencées, mais on entend une faiblesse spirituelle qui
existe dans l’âme et qui fait que du moment qu’elle est enlevée, tout en
conservant les mêmes habitudes ou les mêmes dispositions, l’âme ne peut pas
être portée de la même manière au péché.
Objection
N°3. La rémission des péchés ne se fait pas successivement, mais
instantanément. Or, l’extrême-onction ne s’administre pas tout entière simultanément,
puisqu’il faut plusieurs onctions. Elle n’a donc pas pour effet la rémission
des péchés.
Réponse
à l’objection N°3 : Quand il y a beaucoup d’actions qui se rapportent à un
effet, la dernière est formelle par rapport à toutes les précédentes et agit en
vertu d’elles. C’est pourquoi la grâce qui fait produire au sacrement son effet
est infuse dans la dernière onction.
Mais
c’est le contraire. Saint Jacques dit (5, 15) : S’il a des péchés, ils lui seront remis.
Tout
sacrement de la loi nouvelle confère la grâce. Or, la rémission des péchés est
produite par la grâce. Donc l’extrême-onction l’opère puisqu’elle est un
sacrement de la loi nouvelle.
Conclusion
Quoique l’extrême-onction serve principalement à éloigner cette faiblesse
spirituelle qui en reste en nous par suite du péché actuel ou du péché
originel, cependant comme elle confère la grâce qui remet les péchés on dit
avec raison qu’elle les remet secondairement.
Il
faut répondre que tout sacrement a été principalement établir pour produire un
seul effet, quoiqu’il puisse aussi en produire d’autres par voie de
conséquence. Et comme le sacrement produit ce qu’il figure, il en résulte que
l’on doit conclure de la signification même du sacrement son effet principal. Or,
on emploie l’extrême-onction par manière de remède, comme on emploie le baptême
par manière d’ablution. Un remède ayant pour but de guérir une infirmité, il
s’ensuit que ce sacrement a été principalement établi pour guérir l’infirmité
du péché. Par conséquent comme le baptême est une régénération spirituelle et
la pénitence une résurrection spirituelle, de même l’extrême-onction est aussi
une guérison ou un remède spirituel. Comme un remède corporel présuppose la vie
du corps dans celui qui le prend, de même le remède spirituel présuppose la vie
spirituelle. C’est pourquoi on n’administre pas l’extrême-onction contre les
défauts qui détruisent la vie spirituelle, c’est-à-dire contre le péché
originel ou le péché mortel ; mais contre les défauts qui affaiblissent l’homme
spirituellement de telle sorte qu’il n’ait pas une vigueur parfaite pour
accomplir les actes de la vie de la grâce ou de la gloire. Ce défaut n’est rien
autre chose qu’une faiblesse et un manque d’aptitude que laisse en nous le
péché originel ou le péché actuel, et c’est contre cette faiblesse que l’homme
est fortifié par ce sacrement. Mais comme cette force est produite par la grâce
qui est incompatible avec le péché, il s’ensuit que s’il se trouve quelque
péché, soit mortel, soit véniel, elle le détruit conséquemment quant à la faute
(Ainsi le malade qui se trouve dans le péché mortel sans le savoir et qui
reçoit l’extrême-onction ayant l’attrition obtient la rémission de ses péchés,
d’après ce qu’enseignent communément les docteurs (Voy.
S. Liguori, liv. 6, n° 731).), pourvu que celui qui
la reçoit n’y mette point d’obstacle, comme nous l’avons dit au sujet de
l’eucharistie et de la confirmation (4, dist. 7, art. 2, quest. 1 ad 3, et
quest. 3, art. 2, quest. 2, et dist. 9, quest. 1, art. 3, quest. 1, et 3a
pars, quest. 72, art. 7, et quest. 79, art. 3). C’est pour cela que saint
Jacques parle conditionnellement de la rémission des péchés en disant : S’il a des péchés, ils lui seront remis,
c’est-à-dire quant à la faute. Car l’extrême-onction n’efface pas toujours le
péché, parce qu’elle ne le rencontre pas toujours, mais elle le remet toujours
relativement à la faiblesse dont nous avons parlé et qu’on appelle les restes
du péché. — D’autres disent que ce sacrement a été établi principalement contre
le péché véniel, qui ne peut être parfaitement guéri tant qu’on est en cette
vie, et que c’est pour ce motif que le sacrement de ceux qui sortent de ce
monde est spécialement dirigé contre ce genre de faute. Mais ce sentiment ne
paraît pas vrai. Car la pénitence efface aussi en cette vie les péchés véniels
quant à la faute. L’impossibilité où l’on est de les éviter après avoir fait
pénitence n’enlève pas à la pénitence antérieure son effet, et cette
impossibilité appartient encore à la faiblesse dont nous venons de parler. Par
conséquent on doit dire que l’effet principal de l’extrême-onction est la
rémission des péchés quant aux restes du péché, et conséquemment aussi quant à
la faute, si elle se rencontre.
Article
2 : La santé corporelle est-elle un effet de l’extrême-onction ?
Objection
N°1. Il semble que la santé corporelle ne soit pas un effet de
l’extrême-onction. Car tout sacrement est un remède spirituel. Or, le remède
spirituel se rapporte à la santé de l’âme, comme le remède corporel se rapporte
à la santé du corps. Donc la santé du corps n’est pas un effet de ce sacrement.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection prouve que la santé du corps n’est pas
l’effet principal de l’extrême-onction, et c’est vrai.
Objection
N°2. Un sacrement a toujours son effet dans celui qui s’en approche sans
mauvaise disposition. Or, quelquefois celui qui reçoit l’extrême-onction n’est
pas guéri corporellement, quelle que soit la dévotion avec laquelle il la
reçoive. La santé corporelle n’est donc pas son effet.
Objection
N°3. Saint Jacques nous montre l’efficacité de ce sacrement (chap. 5). Or, il
n’attribue pas l’effet de la guérison du corps à l’onction, mais à la prière. Car
il dit : La prière de la foi sauvera le
malade. La santé corporelle n’est donc pas l’effet de ce sacrement.
Réponse
à l’objection N°3 : Cette prière est la forme de l’extrême-onction, comme nous
l’avons dit (quest. préc., art. 8 et 9). C’est pourquoi ce sacrement tire son
efficacité de sa forme, autant qu’il est en lui, pour la guérison du corps.
Mais
c’est le contraire. L’action de l’Eglise a plus d’efficacité depuis la passion
du Christ qu’avant. Or, avant, ceux qui étaient oints par les apôtres étaient
guéris, comme on le voit (Marc, chap. 6). Donc maintenant encore l’onction a
pour effet la guérison du corps.
Les
sacrements sont tout à la fois causes et signes. Or, le baptême signifie et
produit l’ablution spirituelle par l’ablution corporelle qu’il cause
extérieurement. L’extrême-onction signifie et produit donc aussi la guérison de
l’âme par celle du corps qui résulte de son action extérieurement.
Conclusion
Comme l’ablution du baptême produit l’effet de l’ablution corporelle, de même
l’extrême-onction produit l’effet des remèdes corporels, c’est-à-dire la
guérison du corps ; mais cependant elle ne la produit qu’autant que cela est
avantageux à son effet principal.
Il
faut répondre que comme le baptême produit par l’ablution corporelle la
purification spirituelle des taches de l’âme ; de même l’extrême-onction
produit la guérison intérieure par le remède sacramentel qu’on applique
extérieurement, et comme l’ablution du baptême produit l’effet de l’ablution
corporelle parce qu’elle purifie aussi le corps, de même l’extrême-onction
produit aussi l’effet des remèdes corporels, c’est-à-dire la guérison du corps.
Mais il y a cette différence, c’est que l’ablution corporelle produit la pureté
du corps d’après la propriété naturelle de cet élément, et c’est pour cela
qu’elle la produit toujours ; tandis que l’extrême-onction ne produit pas la
guérison du corps d’après la propriété naturelle de sa matière, mais d’après la
vertu divine qui opère conformément à la raison. Et comme une cause rationnelle
ne produit jamais un effet qu’autant qu’il est avantageux à son but principal,
il s’ensuit que l’extrême-onction n’a pas toujours pour effet la guérison du
corps, mais qu’elle la produit seulement quand elle est avantageuse à la
guérison spirituelle (C’est la doctrine du concile de Florence et du concile de
Trente ; sanitatem corporis interdum…, dit
ce dernier, ubi saluti animæ expedierit, consequitur (sess. 14, chap. 2).). Alors elle la
produit toujours, pourvu qu’il n’y ait pas d’obstacle de la part de celui qui
le reçoit.
La
réponse à la seconde objection est évidente d’après ce que nous avons dit (dans
le corps de l’article et quest. 29, art. 8).
Article
3 : Ce sacrement imprime-t-il caractère ?
Objection
N°1. Il semble que l’extrême-onction imprime caractère. Car le caractère est un
signe distinctif. Or, comme celui qui est baptisé se distingue de celui qui ne
l’est pas, de même celui qui a reçu l’extrême-onction se distingue de celui qui
ne l’a pas reçue. Donc comme le baptême imprime le caractère, de même aussi
l’extrême-onction.
Réponse
à l’objection N°1 : Le caractère établit la distinction des états, quant à ce
qu’on doit faire dans l’Eglise, et l’homme n’est pas ainsi distingué des autres
par là même qu’il a reçu l’extrême-onction.
Objection
N°2. L’onction se fait dans les sacrements de l’ordre et de la confirmation,
comme dans celui-ci. Or, les deux premiers impriment caractère. Donc ce dernier
aussi.
Réponse
à l’objection N°2 : L’onction qui se fait dans l’ordre et la confirmation est
une onction de consécration par laquelle l’homme est destiné à quelque chose de
sacré, au lieu que l’extrême-onction est une onction médicinale. C’est pour
cela qu’il n’y a pas de parité.
Objection
N°3. Dans tout sacrement il y a quelque chose qui n’est que la chose, quelque
chose qui n’est que le sacrement et quelque chose qui est la chose et le
sacrement. Or, on ne peut pas assigner dans l’extrême-onction quelque chose qui
soit la chose et le sacrement, si ce n’est le caractère. Donc ce sacrement
imprime caractère.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans l’extrême-onction la chose et le sacrement n’est pas
le caractère, mais une certaine dévotion intérieure qui est l’onction
spirituelle (Ainsi dans l’extrême-onction le sacrement seul résulte des paroles
et de l’onction réunies ; la chose seule est la grâce infuse ; la chose et le
sacrement ce sont la dévotion intérieure et l’accroissement des forces
spirituelles qu’on acquiert.).
Mais
c’est le contraire. Aucun sacrement qui imprime caractère ne se réitère. Or,
l’extrême-onction se réitère, comme nous le dirons (quest. 33). Elle n’imprime
donc pas caractère.
La
distinction établie d’après le caractère sacramentel est la distinction de ceux
qui sont dans l’Eglise actuelle. Or, l’extrême-onction se confère à celui qui
sort de cette Eglise. Elle n’imprime donc pas en lui caractère.
Conclusion
Puisque l’homme n’est pas destiné par l’extrême-onction à faire ou à recevoir
quelque chose de sacré, mais qu’elle lui sert seulement de remède, elle
n’imprime aucun caractère.
Il
faut répondre que le caractère n’est imprimé que dans les sacrements qui
destinent l’homme à quelque chose de sacré. Comme l’extrême-onction n’est
conférée qu’à titre de remède et qu’elle ne destine pas l’homme à faire ou à
recevoir quelque chose de sacré, il s’ensuit qu’elle n’imprime pas en lui
caractère.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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