Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 34 : Du sacrement de l’ordre quant à son essence et
à ses parties
Après
avoir parlé de l’extrême-onction nous devons nous occuper du sacrement de
l’ordre. Nous traiterons : 1° de l’ordre en général ; 2° de la distinction des
ordres ; 3° de ceux qui confèrent l’ordre ; 4° des empêchements des ordinands ;
5° des choses qui sont annexées aux ordres. A l’égard de l’ordre en général il
y a trois choses à examiner : 1° son essence et ses parties ; 2° son effet ; 3°
ceux qui le reçoivent. Sur son essence et ses parties il y a cinq questions à
résoudre : 1° Doit-il y avoir un ordre dans l’Eglise ? (Par ordre S. Thomas
entend un état particulier essentiellement distinct de l’état des laïques, une
hiérarchie composée de différents ordres qui soient soumis les uns aux autres
de manière à établir dans l’Eglise cette unité et cette harmonie qui
distinguent toutes les œuvres divines.) — 2° L’ordre est-il convenablement
défini ? (La définition du Maître des sentences qui est ici discutée s’applique
à l’ordre en général.) — 3° Est-ce un sacrement ? (Il est de foi que l’ordre
est un sacrement. Les saintes Ecritures, l’enseignement des Pères, la tradition
constante de l’Eglise et les décisions des papes et des conciles le prouvent
(Voyez le concile de Trente, sess. 23, chap. 3 et can. 3).) — 4° Sa forme
est-elle convenablement exprimée ? (Les théologiens ne sont pas d’accord sur la
forme du sacrement de l’ordre. Il y en a qui croient qu’elle consiste dans la
prière qui accompagne l’imposition des mains, et d’autres qui supposent qu’elle
consiste dans les paroles que prononce l’évêque en présentant à celui qui est
ordonné les instruments dont il doit se servir. S. Thomas paraît de ce dernier
sentiment.) — 5° Ce sacrement a-t-il une matière ? (Il y a beaucoup de
théologiens qui considèrent l’imposition des mains comme étant la matière du
sacrement de l’ordre, d’autres y ajoutent la présentation des instruments ; ce
que S. Thomas paraît admettre.)
Article
1 : Doit-il y avoir un ordre dans l’Eglise ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir un ordre dans l’Eglise. Car l’ordre
exige soumission et commandement. Or, la soumission paraît répugner à la
liberté à laquelle nous a appelés le Christ. Il ne doit donc pas y avoir
d’ordre dans l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°1 : La soumission de la servitude répugne à la liberté, et la
servitude existe quand quelqu’un domine sur les autres en se servant de ceux
qui lui sont soumis dans son intérêt propre. Cette espèce de soumission n’est
pas requise pour l’ordre qui fait que ceux qui sont à la tête des autres
doivent chercher le salut de ceux qui leur obéissent et non leur avantage
personnel.
Objection
N°2. Celui qui est élevé à un ordre devient supérieur à un autre. Or, dans
l’Eglise tout le monde doit se croire inférieur aux autres (Phil., 2, 3) : Que chacun croie les autres au-dessus de soi. Il ne doit donc pas y
avoir d’ordre dans l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°2 : On doit se croire inférieur en mérite, mais non sous le
rapport de la charge qu’on exerce. Or, les ordres sont des charges.
Objection
N°3. L’ordre se trouve dans les anges en raison de leur distinction par rapport
aux biens naturels et gratuits. Or, tous les hommes sont un par nature et on ne
sait pas lequel possède le plus abondamment les dons de la grâce. Il ne doit
donc pas y avoir d’ordre dans l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans les anges l’ordre ne se considère pas d’après la
distinction de la nature, sinon par accident, en ce qu’il résulte en eux de la
distinction de la nature une distinction de grâce. Mais on le considère
absolument d’après la distinction qui existe entre eux sous le rapport de la
grâce, parce que leurs ordres se rapportent à la participation des choses divines
et à l’état de gloire, qui est proportionné à la mesure de grâce qu’ils ont
reçue, puisque la gloire est pour ainsi dire la fin de la grâce et qu’elle en
est d’une certaine façon l’effet. Or, les ordres dans l’Eglise militante se
rapportent à la participation des sacrements et à leur administration qui sont
une cause de grâce et qui la précèdent d’une certaine manière. Par conséquent
la grâce sanctifiante n’est pas nécessaire pour les ordres tels qu’ils sont
parmi nous, mais le pouvoir de dispenser les sacrements suffit. C’est pour cela
qu’on ne considère pas l’ordre d’après la distinction de la grâce sanctifiante,
mais d’après celle de la puissance.
Mais
c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 13, 1) : Les choses qui viennent de Dieu ont été
ordonnées. Or l’Eglise vient de Dieu, parce qu’il l’a édifiée par son sang.
Il doit donc y avoir un ordre dans l’Eglise.
L’état
de l’Eglise tient le milieu entre l’état de la nature et de la gloire. Or, dans
la nature il y a un ordre d’après lequel certaines choses sont supérieures aux
autres, et il en est de même dans la gloire, comme on le voit dans les anges.
Il doit donc y avoir un ordre dans l’Eglise.
Conclusion
Il a fallu qu’il y eût dans l’Eglise un ordre sacré d’après lequel il y en a
qui sont mis à la tête des autres dans l’intérêt de ces derniers et non pour
leur intérêt propre.
Il
faut répondre que Dieu a voulu faire ses œuvres à sa ressemblance autant que
possible, afin qu’elles fussent parfaites, et qu’on pût
le reconnaître par leur intermédiaire. C’est pourquoi pour qu’il fût représenté
dans ses œuvres, non seulement selon ce qu’il est en soi, mais encore selon
l’influence qu’il exerce sur les autres, il a imposé à toutes choses cette loi
naturelle ; c’est que les dernières soit dirigées et perfectionnées par les
moyennes et celles-ci par les premières, comme le dit saint Denis (De eccles. hierarch., chap. 5). C’est pourquoi pour que l’Eglise ne fût
pas privée de cette beauté, il a établi en elle un ordre pour quelques-uns de
ses membres donnassent aux autres les sacrements, ressemblant ainsi en cela à
Dieu et coopérant pour ainsi dire avec lui, comme dans le corps naturel il y a
des membres qui agissent sur les autres.
Article
2 : L’ordre est-il convenablement défini ?
Objection
N°1. Il semble que la Maître des sentences ne définisse pas convenablement
l’ordre en disant (Sent. 4, dist. 24)
que c’est un sceau de l’Eglise qui
confère un pouvoir spirituel à celui qui est ordonné. Car on ne doit pas
faire de la partie le genre du tout. Or, le caractère que l’on désigne par le
sceau dans la distinction suivante est une partie de l’ordre, puisqu’on le
distingue par opposition de ce qui n’est que la chose ou de ce qui n’est que le
sacrement, comme étant la chose et le sacrement. On ne doit donc pas désigner
le sceau comme étant le genre de l’ordre.
Réponse
à l’objection N°1 : Dans cette définition le mot sceau n’est pas mis pour le
caractère intérieur, mais pour ce qui se fait extérieurement, qui est le signe
et la cause de la puissance intérieure. C’est ainsi que le mot caractère est pris dans cette
définition. Si cependant on le prenait pour le caractère intérieur, il n’y
aurait rien de répugnant. Car on ne divise pas le sacrement en ces trois choses
comme en ses parties intégrantes à proprement parler. Car ce qui n’est que la
chose n’est pas de l’essence du sacrement ; ce qui n’est que le sacrement
passe, et on dit que le sacrement et la chose restent. D’où il résulte que le
caractère intérieur est essentiellement et principalement le sacrement même de l’ordre.
Objection
N°2. Comme le caractère est imprimé dans le sacrement de l’ordre, de même il
l’est aussi dans le sacrement de baptême. Or, on n’a pas fait entrer le
caractère dans la définition du baptême. On ne doit donc pas non plus le mettre
dans la définition de l’ordre.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique le baptême confère le pouvoir spirituel de recevoir
les sacrements et qu’en raison de cet effet il imprime caractère ce n’est
cependant pas là ce qu’il produit principalement, mais c’est l’ablution
intérieure, et on devait l’administrer pour cette dernière cause, quand même la
première n’existerait pas. Mais l’ordre implique principalement la puissance.
C’est pourquoi le caractère qui est la puissance spirituelle entre dans la
définition de l’ordre, tandis qu’il n’entre pas dans la définition du baptême.
Objection
N°3. Le baptême confère aussi la puissance spirituelle de s’approcher des
sacrements. Et il est aussi un sceau, puisqu’il est un sacrement. Cette
définition convient donc au baptême, et par conséquent c’est à tort qu’on
l’applique à l’ordre.
Réponse
à l’objection N°3 : Le baptême confère une puissance spirituelle pour recevoir,
et par conséquent une puissance qui est passive d’une certaine manière. Mais la
puissance proprement dite désigne la puissance active (L’ordre confère cette
espèce de puissance en donnant le pouvoir de remplir ces fonctions sacrées
attachées aux différentes charges.) avec une certaine prééminence. C’est
pourquoi cette définition ne convient pas au baptême.
Objection
N°4. L’ordre est une relation qui existe dans l’un et l’autre des extrêmes. Or,
la relation d’ordre a pour extrêmes le supérieur et l’inférieur. Les inférieurs
ont donc l’ordre aussi bien que les supérieurs. Cependant il n’y a pas en eux
une puissance de prééminence, comme celle que l’on met ici dans la définition
de l’ordre, comme on le voit par l’explication (suivante (loc. sup. cit.), où
l’on parle d’une promotion de pouvoir. L’ordre est donc mal défini en cet
endroit.
Réponse
à l’objection N°4 : Le mot ordre se
prend en deux sens. Car quelquefois il signifie la relation elle-même et il est
ainsi dans l’inférieur aussi bien que dans le supérieur, comme le suppose
l’objection. Mais ce n’est pas en ce sens qu’il est pris ici. D’autres fois il
se prend pour le degré lui-même qui fait que l’ordre s’entend de la première
manière, et comme la nature de l’ordre, selon qu’il est une relation, se trouve
principalement là où une chose l’emporte sur une autre, il s’ensuit qu’on
appelle ordre un grade éminent par la puissance spirituelle.
Conclusion
L’ordre est un sceau de l’Eglise par lequel on transmet à celui qui est ordonné
un pouvoir spirituel.
Il
faut répondre que la définition que le Maître des sentences donne de l’ordre
lui convient comme sacrement de l’Eglise. C’est pourquoi il y met deux choses
(La première de ces deux choses est le genre et la seconde la différence.), le
signe extérieur qu’il indique par le mot sceau ou signe, signaculum, et l’effet intérieur
qu’il désigne par les mots quo spiritualis potestas, etc.
Article
3 : L’ordre est-il un sacrement ?
Objection
N°1. Il semble que l’ordre ne soit pas un sacrement. Car un sacrement, comme le
dit Hugues de Saint-Victor (De sacram., liv. 1, part. 9, chap. 11 à princ.), est un élément matériel. Or, l’ordre ne désigne
pas quelque chose de ce genre, mais plutôt une relation ou une puissance, parce
que l’ordre est une partie de la puissance, d’après saint Isidore. Il n’est
donc pas un sacrement.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique l’ordre ne désigne pas par son nom un élément
matériel, cependant on ne le confère pas sans quelque élément de cette nature
(Voyez plus loin (art. 5) ce qui est dit sur la matière de ce sacrement.).
Objection
N°2. Les sacrements n’appartiennent pas à l’Eglise triomphante. Or ; là l’ordre
existe, comme on le voit dans les anges. Il n’est donc pas un sacrement.
Réponse
à l’objection N°2 : Les puissances doivent être proportionnées aux choses
auxquelles elles se rapportent. Or, la communication des choses divines pour
laquelle la puissance spirituelle est donnée ne se fait pas dans les anges au
moyen de signes sensibles, comme dans les hommes. C’est pourquoi la puissance
spirituelle qui est l’ordre ne se confère pas aux anges avec des signes
sensibles comme aux hommes. C’est pour cela que parmi les hommes l’ordre est un
sacrement, tandis qu’il n’en est pas un pour les anges.
Objection
N°3. Comme on confère le pouvoir spirituel qui est l’ordre avec une certaine
consécration, de même on confère aussi le pouvoir séculier, car les rois sont
oints aussi, comme nous l’avons dit (quest. 19, art. 3, Objection N°2). Or, la
puissance royale n’est pas un sacrement. Donc l’ordre dont nous parlons n’en
est pas un non plus.
Réponse
à l’objection N°3 : Toute bénédiction que l’on confère aux hommes ou toute
consécration n’est pas un sacrement ; car on bénit les moines et les abbés,
quoique ces bénédictions ne soient pas des sacrements, et il en est de même de
l’onction royale, parce que ces bénédictions ne disposent pas ceux qui les
reçoivent à la dispensation des sacrements, comme les bénédictions de l’ordre.
C’est pourquoi il n’y a pas de parité.
Mais
c’est le contraire. Tout le monde le compte parmi les sept sacrements de
l’Eglise.
Ce
par quoi une chose existe, existe aussi plus qu’elle. Or, c’est l’ordre qui
fait que l’homme dispense les autres sacrements. L’ordre a donc la nature du
sacrement plus que les autres.
Conclusion
Puisqu’en recevant l’ordre l’homme est consacré par des signes visibles, il
s’ensuit que c’est un sacrement.
Il
faut répondre qu’un sacrement, comme on le voit d’après ce que nous avons dit,
(quest. 29, art. 1, et 4, dist. 1, art. 1, et 3a pars, quest. 60),
n’est rien autre chose qu’une sanctification conférée à l’homme avec un signe
visible. Par conséquent puisqu’en recevant l’ordre l’homme est consacré par des
signes visibles, il est certain que l’ordre est un sacrement.
Article
4 : La forme de ce sacrement est-elle convenablement exprimée ?
Objection
N°1. Il semble que la forme du sacrement de l’ordre ne soit pas convenablement
exprimée par le Maître des sentences (Sent.,
4, dist. 24). Car les sacrements tirent leur efficacité de leur forme. Or,
l’efficacité des sacrements vient de la puissance divine qui opère secrètement
en eux le salut. On doit donc faire mention dans la forme du sacrement de
l’ordre de la vertu divine par l’invocation de la Trinité, comme dans les autres
sacrements.
Réponse
à l’objection N°1 : Les autres sacrements ne sont pas établis principalement
pour produire des effets semblables à la puissance qui dispense les sacrements
eux-mêmes, comme l’ordre. C’est pourquoi dans ce sacrement il y a pour ainsi
dire une communication univoque. De là dans les autres sacrements on exprime
quelque chose qui se rapporte à la vertu divine à laquelle l’effet du sacrement
est assimilé, tandis qu’on ne le fait pas dans l’ordre.
Objection
N°2. Le commandement appartient à celui qui a l’autorité. Or, l’autorité ne
réside pas dans celui qui dispense les sacrements, mais il n’a que le
ministère. Il ne devrait donc pas parler à l’impératif et dire : faites ou recevez ceci ou cela, ou quelque autre chose semblable.
Réponse
à l’objection N°2 : On confère l’ordre plutôt que les autres sacrements sous
une forme impérative pour une cause spéciale. Car, quoique dans l’évêque qui
est le ministre de ce sacrement, il n’y ait pas l’autorité par rapport à la
collation du sacrement, cependant il a une puissance par rapport à la puissance
d’ordre qu’il confère, en tant que cette puissance découle de la science.
Objection
N°3. Dans la forme du sacrement il ne doit être fait mention que des choses qui
sont de son essence. Or, l’usage de la puissance qu’on a reçue n’est pas de
l’essence du sacrement de l’ordre, mais il en est la conséquence. Il ne devrait
donc pas en être fait mention dans la forme de ce sacrement.
Réponse
à l’objection N°3 : L'usage de la puissance en est l’effet dans le genre de la
cause efficiente, et ce n’est pas dans ce sens qu’il entre dans la définition
de l’ordre, mais il est cause d’une certaine manière dans le genre de la cause
finale, et c’est pour cela que sous ce rapport on peut le faire entrer dans la
définition de l’ordre.
Objection
N°4. Tous les sacrements ont pour but la récompense éternelle. Or, il n’est pas
parlé de cette récompense dans les formes des autres sacrements. Il ne devrait
donc pas non plus en être fait mention dans la forme du sacrement de l’ordre,
comme on le fait en disant : Habiturus partem, fideliter, etc.
Réponse
à l’objection N°4 : Il n’en est pas de ce sacrement comme des autres. Car par
l’ordre on confère un office ou le pouvoir de faire quelque chose, et c’est
pour cela qu’il est convenable de faire mention de la récompense qu’on doit
acquérir, si on s’en acquitte fidèlement. Mais dans les autres sacrements on ne
confère aucun office semblable et on ne donne pas ainsi pouvoir d’agir, et
c’est pour ce motif qu’en les conférant on ne parle nullement de rémunération.
Celui qui reçoit les autres sacrements se rapporte à eux d’une manière en
quelque sorte passive, parce qu’il les reçoit pour le perfectionnement de son
propre état exclusivement, au lieu que celui qui reçoit l’ordre se rapporte à
lui d’une manière pour ainsi dire active, parce qu’il le reçoit pour exercer
dans l’Eglise les fonctions hiérarchiques. Par conséquent quoique les autres
sacrements se rapportent au salut par cela même qu’ils confèrent la grâce,
cependant ils ne se rapportent pas proprement à la récompense, comme dans
l’ordre (Cette dernière réponse, ajoutée par Nicolaï ne se trouve pas dans le
Commentaire de saint Thomas sur le Maître des sentences.).
Conclusion
Puisque la forme dont l’Eglise se sert de ce sacrement exprime l’usage de
l’ordre et la transmission de la puissance, on doit reconnaître qu’elle est
convenable.
Il
faut répondre que le sacrement de l’ordre consiste principalement dans la
puissance qui est transmise. Or, le pouvoir est transmis par le pouvoir, comme
le semblable engendre son semblable. De plus la puissance se révèle par
l’usage, parce que les puissances se font connaître par leurs actes. C’est
pourquoi dans la forme de l’ordre l’usage de ce sacrement est exprimé par
l’acte qui est commandé, et la transmission de la puissance est exprimée par le
mode impératif.
Article
5 : Le sacrement de l’ordre a-t-il une matière ?
Objection
N°1. Il semble que l’ordre n’ait pas de matière. Car dans tout sacrement qui a
une matière, la vertu qui opère dans le sacrement existe dans la matière. Or,
dans les choses matérielles que l’on emploie dans le sacrement de l’ordre,
comme les clefs, les chandeliers et les autres choses semblables, il ne semble
pas qu’il y ait une vertu de sanctification. Donc l’ordre n’a pas de matière.
Objection
N°2. Dans l’ordre on confère la plénitude septiforme de la grâce comme dans la
confirmation, ainsi qu’il est dit (4, dist. 24). Or, la matière de la
confirmation préexige une sanctification. Par
conséquent puisque les choses qui paraissent être matérielles dans l’ordre ne
sont pas sanctifiées à l’avance, il semble qu’elles ne soient pas la matière du
sacrement.
Réponse
à l’objection N°2 : Dans les autres sacrements la matière doit être sanctifiée
à cause de la vertu qu’elle contient, mais il n’en est pas de même pour
l’ordre.
Objection
N°3. Dans tout sacrement qui a une matière on requiert le contact de la matière
avec celui qui le reçoit. Or, comme quelques-uns le disent, le contact des
objets matériels dont nous venons de parler avec celui qui reçoit le sacrement
n’est pas nécessaire pour la validité du sacrement, mais il suffit qu’on les
lui transmette. Donc ces choses matérielles ne sont pas la matière de ce
sacrement.
Réponse
à l’objection N°3 : Si l’on soutient ce sentiment, on en voit la cause d’après
ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.). Car la puissance d’ordre
venant du ministre et non de la matière, il s’ensuit que la tradition de la
matière est de l’essence du sacrement plus que le contact. Cependant les
paroles mêmes de la forme paraissent montrer que l’attouchement de la matière
est l’essence du sacrement (Dans la pratique on doit observer scrupuleusement
tous ces rites, et dans le cas où l’on n’aurait pas touché les instruments, ou
omis quelque autre chose, on devrait réitérer le sacrement sous condition,
parce que la validité serait douteuse.), parce qu’il est dit : Recevez ceci ou cela.
Mais
c’est le contraire. Tout sacrement consiste dans les choses et dans les
paroles. Or, dans tout sacrement les choses en sont la matière. Donc les choses
qu’on emploie dans l’ordre sont la matière de ce sacrement.
On
requiert plus pour dispenser un sacrement que pour le recevoir. Or, le baptême
dans lequel on donne le pouvoir de recevoir les sacrements a besoin de matière.
Donc aussi l’ordre qui donne le pouvoir de les dispenser.
Conclusion
Il faut qu’il y ait pour l’ordre une matière spéciale, comme il y en a une pour
les autres sacrements.
Il
faut répondre que la matière qu’on emploie extérieurement signifie que la vertu
qui agit en eux vient absolument du dehors. Par conséquent, l’effet propre du
sacrement de l’ordre, c’est-à-dire le caractère ne provenant pas de l’une des
opérations de celui qui s’en approche, mais provenant tout à fait d’un principe
extérieur, il est convenable qu’il ait une matière. Mais il a sa matière d’une
autre façon que les autres sacrements ; parce que ce qui est conféré dans les
autres sacrements ne découle que de Dieu et non du ministre qui les dispense ;
tandis que ce qui est transmis dans l’ordre, c’est-à-dire le pouvoir spirituel,
découle aussi de celui qui confère le sacrement, comme un pouvoir imparfait
découle d’un pouvoir parfait. C’est pourquoi l’efficacité des autres sacrements
consiste principalement dans la matière qui signifie la vertu divine et qui la
contient par la sanctification que le ministre lui a conférée ; au lieu que
l’efficacité de l’ordre réside principalement dans celui qui dispense ce
sacrement. La matière est employée plutôt pour montrer la puissance qui est
transmise d’une manière particulière par celui qui la possède parfaitement que
pour la produire ; ce qui est évident, puisque la matière convient à l’usage de
la puissance.
La
réponse à la première objection est par là évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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