Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 36 : De la qualité de ceux qui sont promus aux ordres

 

          Nous devons ensuite nous occuper de la qualité de ceux qui reçoivent les ordres. A cet égard il y a cinq questions à examiner : 1° Requiert-on dans ceux qui reçoivent les ordres la sainteté de la vie ? — 2° Demande-t-on la science de toute l’Ecriture sainte ? — 3° Acquiert-on par le mérite de sa bonne vie les degrés de l’ordre ? (Cet article est en opposition avec la doctrine de Luther, qui prétendait que tous les chrétiens sont prêtres.) — 4° Celui qui confère les ordres à des indignes pèche-t-il ? — 5° Celui qui est dans le péché peut-il faire usage de l’ordre qu’il a reçu sans péché ? (Sur cette question, voyez ce que nous avons dit, 3a pars, quest. 64, art. 6.)

 

Article 1 : Requiert-on dans ceux qui reçoivent les ordres la sainteté de la vie ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ne requiert pas la sainteté de la vie dans ceux qui reçoivent les ordres. Car l’ordre rend apte à la dispensation des sacrements. Or, les sacrements peuvent être dispensés par les bons et par les méchants. Une vie sainte et pure n’est donc pas requise.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme les sacrements qu’un pécheur dispense sont véritables, de même il reçoit véritablement le sacrement de l’ordre, et comme il les dispense indignement, de même il le reçoit indignement.

 

          Objection N°2. On n’exerce pas envers Dieu dans les sacrements un ministère plus grand que celui qu’on a exercé envers lui corporellement. Or, le Seigneur n’a pas empêché une femme pécheresse et infâme d’exercer envers lui un ministère corporel, comme on le voit (Luc, chap. 7). On ne doit donc pas empêcher ceux qui sont dans cet état de lui servir de ministres dans les sacrements.

          Réponse à l’objection N°2 : Ce ministère consistait exclusivement dans des actes de soumission corporelle, que les pécheurs peuvent aussi faire licitement. Mais il n’en est pas de même du ministère spirituel auquel on applique ceux qui sont ordonnés. Car ce ministère en fait des intermédiaires entre Dieu et le peuple. C’est pourquoi ils doivent briller par la pureté de la conscience aux yeux de Dieu et par leur bonne renommée devant les hommes.

 

          Objection N°3. Toute grâce donne un remède contre le péché. Or, on ne doit pas refuser à ceux qui sont dans le péché un remède qui puisse leur faire du bien. Par conséquent, puisque la grâce est conférée dans les sacrements de l’ordre, il semble qu’on doive donner aussi ce sacrement aux pécheurs.

          Réponse à l’objection N°3 : Il y a des remèdes qui demandent une forte nature, parce qu’autrement on ne les prendrait pas sans danger, et il y en a qu’on peut donner à ceux qui sont faibles. De même dans les choses spirituelles il y a des sacrements qui sont établis pour servir de remède au péché ; on doit les conférer aux pécheurs, comme le baptême et la pénitence. Mais il y en a d’autres qui confèrent la perfection de la grâce et qui demandent que l’homme ait déjà été fortifié par la grâce elle-même.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Lév., 21, 17) : Tout homme de la race d’Aaron qui sera souillé d’une tache n’offrira pas les pains à son Dieu et n’approchera pas de l’autel pour le servir. Par tache, comme le dit la Glose (interl. et ord. Hesych.), on entend toute espèce de vice. Donc celui qui se sent coupable d’un péché quelconque ne doit pas être admis aux ordres sacrés.

          Saint Jérôme dit (sup. illud Tit., chap. 3 : Nemo te contemnat) que non seulement les évêques, les prêtres et les diacres doivent avoir le pus grand soin de servir d’exemple par leurs discours et leur conduite au peuple dont ils sont les chefs ; mais encore les ordres inférieurs et absolument tous ceux qui servent dans la maison de Dieu, parce qu’un fléau redoutable pour l’Eglise de Dieu, c’est que les laïques soient meilleurs que les clercs. La sainteté de la vie est donc requise pour tous les ordres.

 

          Conclusion Puisque l’on encourrait le reproche de présomption si l’on ne craignait pas de s’approcher pour recevoir les ordres avec un péché mortel sur la conscience, la sainteté de vie est nécessaire à ceux qui les reçoivent, non de nécessité de sacrement, mais de nécessité de précepte divin.

          Il faut répondre que, suivant l’expression de saint Denis (De eccles. hier., chap. 3), comme les êtres les plus purs et les plus brillants quand ils sont remplis des splendeurs du soleil, répandent sur les autres corps une lumière plus vive à l’imitation de l’astre du jour, de même dans toutes les choses divines on ne doit pas avoir l’audace de se faire le chef des autres si par toutes ses dispositions intérieures on ne s’est pas rendu semblable à Dieu en reproduisant en soi, autant que possible, ses perfections. Par conséquent, puisque dans tous les ordres on est établi le chef des autres pour les choses divines, on pèche mortellement, comme un présomptueux, quand on s’en approche avec la conscience que l’on est dans le péché mortel. C’est pourquoi la sainteté de la vie est requise pour l’ordre de nécessité de précepte, mais non de nécessité de sacrement. Ainsi dans le cas où un pécheur est ordonné, il a néanmoins l’ordre, mais il a péché en le recevant.

 

Article 2 : Exige-t-on qu’on sache toute l’Ecriture sainte ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on exige la science de toute l’Ecriture sainte. Car celui de la bouche duquel on doit rechercher la connaissance de la loi doit en avoir la science. Or, les laïques recherchent de la bouche du prêtre cette connaissance, comme le dit Malachie (chap. 2). Il doit donc avoir la science de toute la loi.

          Réponse à l’objection N°1 : Le prêtre a deux choses à faire, l’une principale qui se rapporte au corps véritable du Christ, et l’autre secondaire qui se rapporte à son corps mystique. La seconde dépend de la première, mais non réciproquement. C’est pourquoi il y en a qu’on élève au sacerdoce auxquels on ne confie que la première de ces fonctions, comme les religieux qui n’ont pas charge d’âmes. On ne recherche pas de leur bouche la connaissance de la loi, mais on demande seulement qu’ils consacrent. C’est pour cela que ces prêtres ont la science suffisante s’ils savent ce qu’il faut pour pouvoir observer selon les rites ce qui regarde la célébration du sacrement. D’autres sont promus pour exercer la seconde fonction qui se rapporte au corps mystique de l’Eglise. C’est de la bouche de ceux-là que le peuple attend la loi. Ils doivent donc avoir la science de la loi, non pas au point de connaître toutes les questions difficiles (car ils doivent avoir recours à leur supérieurs), mais ils doivent connaître de la loi ce que le peuple en doit croire et observer (C’est pour ce motif que le concile de Trente a exigé que les ordinands qui se préparent à la prêtrise soient examinés, pour qu’on s’assure sérieusement s’ils possèdent la science suffisante (sess. 23, chap. 14 De reformatione).). Mais il appartient aux prêtre supérieurs, c’est-à-dire aux évêques, de savoir ce qui peut présenter des difficultés dans la loi, et ils doivent le savoir d’autant mieux que le rang qu’ils occupent est plus élevé.

 

          Objection N°2. Saint Pierre dit (1 Pierre, 3, 15) : Soyez toujours prêts à satisfaire à tous ceux qui vous demandent raison de la foi et de l’espérance que vous avez (La Vulgate porte seulement de votre espérance.). Or, il appartient à ceux qui ont une connaissance parfaite des saintes Ecritures de rendre raison de ce qui regarde la foi et l’espérance. Par conséquent ceux qui sont élevés aux ordres, auxquels ces paroles s’adressent, doivent avoir cette science.

          Réponse à l’objection N°2 : Quand saint Pierre dit que l’on doit être prêt à rendre raison de sa foi et de son espérance, cela ne signifie pas qu’on doive prouver ce qui appartient à la foi ou à l’espérance, puisque l’un et l’autre ont pour objet les choses invisibles, mais il veut que l’on sache montrer en général la vérité de l’une et de l’autre, ce qui n’exige pas une grande science.

 

          Objection N°3. On lit mal ce qu’on ne comprend pas ; car lire sans comprendre ce n’est pas lire, comme le dit Caton (in Rudiment.). Or, il appartient au lecteur, qui est pour ainsi dire le dernier ordre, de lire l’Ancien Testament, comme on le voit (Sent. 4, dist. 24). Donc il faut qu’il comprenne l’Ancien Testament tout entier, et à plus forte raison cela est-il nécessaire aux autres ordres supérieurs.

          Réponse à l’objection N°3 : Il n’appartient pas au lecteur de donner au peuple l’intelligence de l’Ecriture sainte (car cela est réservé aux ordres supérieurs), mais il doit seulement la lire. C’est pourquoi on n’exige pas de lui qu’il ait autant de science qu’il en faut pour comprendre l’Ecriture sainte, mais il suffit qu’il sache bien prononcer. Et comme cette science s’apprend facilement et qu’il y en a beaucoup qui la possèdent, il s’ensuit qu’on peut croire avec probabilité que celui qui est ordonné acquerra cette science, s’il ne l’avait pas encore dans ce moment, surtout s’il semble en voie de l’acquérir.

 

          Mais le contraire c’est qu’il y en a beaucoup qui sont promus au sacerdoce sans rien savoir absolument de toutes ces choses, même dans une foule d’ordres religieux. Il semble donc que cette science ne soit pas requise.

          On lit dans les vies des Pères qu’on a promu au sacerdoce de simples moines qui étaient d’une vie très sainte. Cette science n’est donc pas requise dans les ordinands.

 

          Conclusion L’ordre qu’on reçoit ne requiert que la science nécessaire pour en remplir les fonctions.

          Il faut répondre que tout acte de l’homme qui doit être réglé a nécessairement besoin d’être dirigé par la raison. Ainsi pour remplir l’office d’un ordre, il faut avoir la science suffisante pour se diriger dans les exercices des fonctions de cet ordre. C’est pourquoi on requiert cette science de celui qui doit être promu aux ordres, mais on ne demande pas qu’il sache absolument toute l’Ecriture sainte. On exige de lui plus ou moins, selon que son office s’étend à plus ou moins de choses. Ainsi il faut que ceux qui sont mis à la tête des autres et qui ont charge d’âmes sachent ce qui appartient à l’enseignement de la foi et des mœurs et que les autres sachent ce qui regarde les fonctions de leur ordre.

 

Article 3 : Peut-on acquérir par le mérite d’une vie sainte les degrés de l’ordre ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on puisse acquérir les degrés de l’ordre par le mérite d’une vie sainte. Car, comme le dit saint Chrysostome (alius auctor hom. 43, in op imperf.) : tout prêtre n’est pas saint, mais tout saint est prêtre. Or, on devient saint par le mérite d’une bonne vie. Donc on devient aussi prêtre et à plus forte raison arrive-t-on aux autres ordres.

          Réponse à l’objection N°1 : Saint Chrysostome (D’ailleurs cet ouvrage n’est pas de saint Chrysostome ; mais c’est un ouvrage que les ariens ont composé ou altéré, d’après Bellarmin.) prend le nom de prêtre selon son étymologie, d’après laquelle le mot sacerdos est la même chose que sacra dans (celui qui donne les choses sacrées). Car en ce sens tout juste a le nom de prêtre en tant qu’il vient en aide aux autres pour les faire participer aux choses saintes. Mais il ne le prend pas selon la signification qu’on lui donne, car le mot de prêtre a été choisi pour signifier celui qui donne les choses saintes dans la dispensation des sacrements.

 

          Objection N°2. Pour les choses naturelles elles sont placées dans un rang supérieur par là même qu’elles approchent de Dieu, et qu’elles participent à ses bontés, comme le dit saint Denis (De eccles. hierarch., chap. 4). Or, le mérite de la sainteté et de la science fait qu’on approche de Dieu davantage et qu’on reçoit aussi plus amplement ses faveurs. Don on est par là même placé dans un des degrés de l’ordre.

          Réponse à l’objection N°2 : Les choses naturelles sont élevées en garde au-dessus des autres suivant qu’elles peuvent agir sur elles d’après leur forme. C’est pourquoi par là même qu’elles ont une forme plus noble elles sont placées dans un rang plus élevé. Mais les ministres de l’Eglise ne sont pas mis à la tête des autres pour qu’ils leur donnent quelque chose en vertu de leur propre sainteté (parce que cela n’appartient qu’à Dieu), ils leur sont préposés comme les ministres et pour ainsi dire comme les instruments de cette influence qui se répand du chef dans les membres. C’est pourquoi il n’y a pas de parité quant à la dignité de l’ordre, quoiqu’il y ait de l’analogie quant à la convenance.

 

          Mais c’est le contraire. La sainteté acquise peut se perdre, tandis que l’ordre qu’on a reçu une fois ne se perd jamais. L’ordre ne consiste donc pas dans le mérite même de la sainteté.

 

          Quoique l’ornement de la vertu convienne tout particulièrement aux ordinands et à ceux qui sont déjà ordonnés néanmoins il ne peut donner par lui-même l’ordre à personne.

          Il faut répondre que la cause doit être proportionnée à son effet. C’est pourquoi comme il faut que la plénitude de la grâce existe dans le Christ d’où la grâce descend sur tous les hommes ; de même les ministres de l’Eglise auxquels il appartient (Ils ne la donnent du moins qu’instrumentalement.) non de donner la grâce, mais les sacrements qui la confèrent, ne doivent pas être constitués dans les degrés de l’ordre en raison de ce qu’ils ont la grâce, mais en raison de ce qu’ils participent à un sacrement de la grâce.

 

Article 4 : Pèche-t-on en admettant aux ordres ceux qui n’en sont pas dignes ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ne pèche pas en admettant aux ordres des indignes. Car l’évêque a besoin de coadjuteurs qui occupent les dernières charges. Or, il ne pourrait pas en trouver un nombre suffisant, s’il exigeait d’eux autant de qualité que les Pères en demandent. Par conséquent il semble excusable de promouvoir des sujets qui ne soient pas capables.

          Réponse à l’objection N°1 : Dieu n’abandonne jamais son Eglise au point qu’on ne trouve pas assez de ministres capables pour subvenir aux besoins du peuple en choisissant ceux qui sont dignes et en repoussant ceux qui sont indignes. Et si l’on ne pouvait trouver autant de ministres qu’il y en a maintenant, il vaudrait mieux en avoir peu de bons que d’en avoir beaucoup de mauvais, comme le dit saint Clément (Ep. 2 ad Jac. frat. Dom., ant. med.).

 

          Objection N°2. L’Eglise n’a pas seulement besoin de ministres pour la dispensation des choses spirituelles, mais encore pour le gouvernement des choses temporelles. Or, quelquefois ceux qui n’ont pas la science ou la sainteté de la vie peuvent être utiles pour le gouvernement des choses temporelles, soit à cause du pouvoir qu’ils ont dans le monde, soit à cause de leur habileté naturelle. Il semble donc qu’on pourrait les admettre aux ordres sans péché.

          Réponse à l’objection N°2 : On ne doit chercher les choses temporelles qu’en vue des biens spirituels. Par conséquent on doit négliger tout avantage temporel et mépriser tout profit dans l’intérêt du bien spirituel.

 

          Objection N°3. Tout le monde est tenu d’éviter le péché autant qu’il le peut. Si donc un évêque pèche en ordonnant ceux qui ne le méritent pas, il doit faire avec le plus grand soin des recherches sur les mœurs et la science de ceux qui se présentent aux ordres, afin de savoir s’ils en sont dignes ; ce qui paraît ne se faire nulle part.

          Réponse à l’objection N°3 : On exige non seulement que celui qui ordonne ne connaisse rien de contraire à la sainteté dans celui qui doit être ordonné, mais on demande encore que selon l’importance de l’ordre ou de la charge qu’il doit conférer il s’applique avec le plus grand soin à se rendre certain des qualités de ceux qui doivent être promus, au moins d’après le témoignage des autres. Et c’est ce qui fait dire à l’Apôtre (1 Tim., 5, 22) : Ne vous pressez pas d’imposer les mains.

 

          Mais c’est le contraire. C’est un plus grand mal d’admettre les méchants aux ordres sacrés que de ne pas corriger ceux qui sont déjà promus. Or, Héli a péché mortellement en ne corrigeant pas ses enfants de leur malice, et c’est pour cela qu’il est mort en tombant à la renverse, comme on le voit (1 Rois, chap. 4). Il semble donc qu’on ne soit pas sans péché quand on élève aux ordres des sujets qui n’en sont pas dignes.

          Dans l’Eglise on doit préférer les choses spirituelles aux temporelles. Or, on pécherait mortellement, si on mettait en péril sciemment les biens temporels de l’Eglise. Par conséquent à plus forte raison si on mettait en péril ses biens spirituels. Or, on les met en péril quand on élève aux ordres des sujets indignes, parce que quand la vie de quelqu’un est méprisable, comme le dit saint Grégoire (Hom. 12 in Evang.), sa prédication l’est aussi et pour la même raison toutes les choses spirituelles qui viennent de lui. Celui qui élève aux ordres des sujets indignes pèche donc.

 

          Conclusion Puisqu’il y en a que le Seigneur a placés au-dessus de sa famille pour donner à chacun la mesure du froment qui lui revient, il pèche mortellement, comme étant coupable d’infidélité, celui qui élève aux ordres des sujets indignes.

          Il faut répondre que d’après les paroles du Seigneur (Luc, chap. 12) le serviteur fidèle c’est celui qui a été placé au-dessus de sa famille pour distribuer à chacun la mesure de blé qui lui est destinée. C’est pourquoi il est coupable d’infidélité celui qui donne à quelqu’un les choses divines au-delà de la mesure qui lui revient. Et c’est ce que fait celui qui consent à promouvoir les sujets indignes. C’est pourquoi il commet un péché mortel comme étant infidèle envers le maître souverain, et surtout parce que cette action tourne au détriment de l’Eglise et de la gloire de Dieu que les bons ministres étendent et développent. Car celui qui mettrait en charge des serviteurs inutiles manquerait de fidélité envers son seigneur dans l’ordre temporel (De là les décrets d’Alexandre III (chap. Eam), d’Innocent III (chap. Cùm sit), d’Honorius III (chap. Quamvis), et les prescriptions du concile de Trente (sess. 23, chap. Reformationis, 5, 11, 12, 13, 14, 18).).

 

Article 5 : Celui qui est dans le péché peut-il sans pécher faire usage de l’ordre qu’il a reçu ?

 

          Objection N°1. Il semble que celui qui est dans le péché puisse sans pécher faire usage de l’ordre qu’il a reçu. Car il pèche, s’il n’en fait pas usage, puisqu’il y est tenu par sa charge. Si donc il pèche aussi en en faisant usage, il ne peut pas éviter le péché ; ce qui répugne.

          Réponse à l’objection N°1 : Celui qui en est là n’est pas perplexe au point d’être dans la nécessité de pécher ; parce qu’il peut quitter son péché ou résigner l’office qui lui imposait l’obligation de remplir les fonctions de son ordre.

 

          Objection N°2. Une dispense est un relâchement du droit. Donc quand même le droit lui défendrait d’user de l’ordre qu’il a reçu, cependant cela lui serait permis d’après une dispense.

          Réponse à l’objection N°2 : On ne peut dispenser du droit naturel. Or, il est de droit naturel qu’on traite saintement les choses saintes, et à cet égard personne ne peut donner de dispense.

 

          Objection N°3. Celui qui communique avec quelqu’un dans le péché mortel pèche mortellement. Si donc un pécheur en faisant usage de l’ordre pèche mortellement, alors celui qui reçoit de lui les choses saintes ou qui les exige pèche aussi mortellement ; ce qui paraît absurde.

          Réponse à l’objection N°3 : Tant qu’un ministre de l’Eglise qui est dans le péché mortel est toléré par l’Eglise, ses paroissiens doivent recevoir de lui les sacrements, parce qu’ils y sont obligés. Mais hors le cas de nécessité il n’y aurait pas de sûreté à l’engager à remplir quelques-unes des fonctions de son ordre, tant qu’on le supposerait dans le péché mortel. Cependant il pourrait quitter cet état, parce que l’homme est instantanément purifié par la grâce de Dieu.

 

          Objection N°4. S’il pèche en faisant usage de son ordre, tout acte d’ordre qu’il fait est donc un péché mortel, et comme il y a beaucoup d’actes qui concourent à l’exercice unique d’un ordre, il semble qu’il commette beaucoup de péchés ; ce qui paraît trop dur.

          Réponse à l’objection N°4 : Toutes les fois que l’homme se montre dans un acte comme ministre de l’Eglise, s’il est dans le péché mortel, il pèche mortellement et il pèche autant de fois qu’il renouvelle cet acte, parce que, comme le dit saint Denis (De eccles. hier., chap. 1), il n’est pas permis à ceux qui sont impurs de toucher les symboles, c’est-à-dire les signes sacramentels. Par conséquent, quand on touche les choses sacrées dans l’exercice de ses fonctions, on pèche mortellement. Mais il n’en serait pas de même si dans une nécessité on touchait ou l’on exécutait une chose sacrée, par exemple, dans le cas où il serait permis aussi à un laïque de le faire ; comme si on baptisait dans le cas de nécessité ou si on recueillait le corps du Christ jeté à terre.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Denis dans son Epître à Démophile (quæ est chap. 8, à med.) dit : Celui qui n’est pas en état de grâce paraît audacieux en mettant la main aux choses sacerdotales ; il n’a ni crainte ni respect lorsqu’il remplit des fonctions divines dont il n’est pas digne, et lorsqu’il pense que Dieu ignore ce qu’il voit lui-même dans sa conscience, il croit tromper celui qu’il appelle faussement du nom de Père, et il ose prononcer, à l’imitation du Christ, je ne dirai pas des prières, mais d’impures et d’infâmes paroles sur les signes divins. Donc un prêtre qui exécute indignement les fonctions de son ordre est comme un blasphémateur et un trompeur, et par conséquent il pèche mortellement, et pour la même raison il en est de même de tous ceux qui sont dans un ordre quelconque.

          La sainteté de la vie est requise dans celui qui reçoit un ordre pour qu’il soit capable d’en remplir les fonctions. Or, celui qui s’approche des ordres en état de péché mortel pèche mortellement. Donc à plus forte raison pèche-t-il mortellement toute les fois qu’il remplit les fonctions de son ordre.

 

          Conclusion Puisqu’il est de droit naturel que les choses saintes soient traitées saintement, hors le cas de nécessité on pèche mortellement, lorsqu’étant dans le péché mortel on fait usage de l’ordre qu’on a reçu.

          Il faut répondre que la loi ordonne (Deut., chap. 16) qu’on exécute justement les choses qui sont justes. C’est pourquoi celui qui accomplit d’une manière indigne les fonctions qu’il doit remplir d’après son ordre, exécute injustement ce qui est juste, agit contre le précepte de la loi et par là même pèche mortellement. Et comme il n’est pas douteux que celui qui remplit une fonction sacrée dans l’état de péché mortel ne le fasse indignement, il s’ensuit qu’il est évident qu’il pèche mortellement (Quand il s’agit des ordres mineurs il est probable que le péché n’est que véniel, à cause du défaut de gravité dans la matière.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.