Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 38 : De ceux qui confèrent l’ordre

 

          Nous devons ensuite nous occuper de ceux qui confèrent l’ordre. A cet égard, deux question se présentent : 1° N’y a-t-il que l’évêque qui puisse conférer ce sacrement ? (Il est de foi que l’évêque seul est le ministre ordinaire de l’ordre ; c’est ce que le concile de Trente a défini contre les hérétiques qui prétendaient que l’autorité de l’évêque n’était pas supérieure à celle du prêtre (Voy. sess. 23, chap. 4 et 7).) — 2° Un hérétique ou tout autre qui est retranché de l’Eglise peut-il le conférer ? (Cette question se trouve résolue d’après ce que l’on a vu sur l’administration des sacrements par des ministres indignes (3a pars, quest. 64, art. 5 et 9).)

 

Article 1 : N’y a-t-il que l’évêque qui confère le sacrement de l’ordre ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il n’y ait pas que l’évêque qui confère le sacrement de l’ordre. Car l’imposition des mains produit quelque chose pour la consécration. Or il n’y a pas que l’évêque qui impose les mains aux prêtres qui sont ordonnés ; mais les prêtres qui sont présents le font aussi. Il n’y a donc pas que l’évêque qui confère les sacrements de l’ordre.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans l’imposition des mains on ne confère pas le caractère sacerdotal de l’ordre, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.), mais la grâce qui les rend aptes à remplir leur fonction. Et parce qu’ils ont besoin d’une grâce très abondante, pour ce motif les prêtres imposent les mains avec l’évêque à ceux qui sont promus au sacerdoce ; mais il n’y a que l’évêque qui les impose aux diacres.

 

          Objection N°2. On donne la puissance d’ordre à quelqu’un quand on lui remet ce qui appartient à l’acte de son ordre. Or, l’archidiacre donne aux sous-diacres la burette avec l’eau, le plat et le linge à essuyer les doigts, et il donne de même aux acolytes le chandelier avec le cierge et une burette vides. Il n’y a donc pas que l’évêque qui confère le sacrement de l’ordre.

          Réponse à l’objection N°2 : L’archidiacre étant pour ainsi dire le prince des ministres, il donne pour ce motif tout ce qui appartient au ministère. Ainsi il donne le cierge au moyen duquel l’acolyte sert le diacre en le portant devant lui à l’Evangile, et il donne la burette au moyen de laquelle il sert le sous-diacre. Il remet de même au sous-diacre les choses au moyen desquelles il sert les ordres supérieurs. Cependant l’acte principal du sous-diacre ne consiste pas dans ces choses, mais en ce qu’il coopère à l’égard de la matière du sacrement. C’est pourquoi il reçoit le caractère lorsque le calice lui est donné par l’évêque. Mais l’acolyte reçoit le caractère d’après les paroles de l’évêque, au moment où l’archidiacre lui remet les choses dont nous venons de parler, et il le reçoit plutôt lorsqu’on lui remet les burettes que quand on lui remet le chandelier. Il ne s’ensuit donc pas que l’archidiacre confère l’ordre.

 

          Objection N°3. Les choses qui sont d’un ordre ne peuvent être confiées à quelqu’un qui n’a pas cet ordre. Or, on charge des personnes qui ne sont pas évêques de conférer les ordres mineurs, comme les cardinaux-prêtres. Il n’appartient donc pas à l’ordre épiscopal exclusivement de conférer les ordres.

          Réponse à l’objection N°3 : Le pape qui a la plénitude de la puissance pontificale peut confier à quelqu’un qui n’est pas évêque ce qui appartient à la dignité épiscopale, pourvu que ces choses n’aient pas un rapport immédiat avec le corps véritable du Christ. C’est pourquoi en vertu de sa commission un simple prêtre peut conférer les ordres mineurs et confirmer ; mais quelqu’un qui n’est pas prêtre ne le pourrait pas. Un prêtre ne peut pas non plus conférer les ordres majeurs (On admet communément que le pape peut déléguer un simple prêtre pour le sous-diaconat, mais il n’en serait pas de même pour le diaconat, la prêtrise et l’épiscopat.) qui ont un rapport immédiat avec le corps du Christ, à l’égard de la consécration duquel le pape n’a pas un pouvoir plus grand qu’un simple prêtre.

 

          Objection N°4. Celui à qui l’on confie le principal, on lui confie aussi l’accessoire. Or, le sacrement de l’ordre se rapporte à l’eucharistie comme l’accessoire au principal. Par conséquent, puisqu’un prêtre consacre l’eucharistie, il peut donc aussi conférer les ordres.

          Réponse à l’objection N°4 : Quoique le sacrement de l’eucharistie soit en soi le plus grand sacrement, cependant il ne place pas dans une charge ou un office comme le sacrement de l’ordre. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°5. Le prêtre est plus éloigné du diacre qu’un évêque d’un autre évêque. Or, un évêque peut en consacrer un autre. donc un prêtre peut aussi promouvoir un diacre.

          Réponse à l’objection N°5 : Pour communiquer à un autre ce qu’on a, on ne demande pas seulement qu’il soit près, mais encore qu’on en ait le pouvoir. Et parce qu’un prêtre n’a pas un pouvoir complet dans les offices hiérarchiques, comme l’évêque, il ne s’ensuit pas qu’il puisse faire des diacres, quoique cet ordre soit très près de lui.

 

          Mais c’est le contraire. Les ministres sont appliqués au culte divin par les ordres d’une manière plus noble que les vases sacrées. Or, la consécration des vases appartient à l’évêque seul. Donc à plus forte raison la consécration des ministres.

          Le sacrement de l’ordre est plus excellent que celui de la confirmation. Or, il n’y a que l’évêque qui confirme. Donc à plus forte raison n’y a-t-il que lui qui confère le sacrement de l’ordre.

          Les vierges ne sont pas placées par la bénédiction dans un degré particulier de puissance spirituelle, comme ceux qui sont ordonnés. Or, il n’appartient qu’à l’évêque de bénir les vierges. A plus forte raison n’y a-t-il que lui qui puisse ordonner quelqu’un.

 

          Conclusion Puisqu’en raison de l’excellence de sa puissance il n’y a que l’évêque qui confirme, qui consacre les vierges et qui place les autres dans les offices divins, il n’appartient non plus qu’à lui de conférer les ordres sacrés.

          Il faut répondre que le pouvoir épiscopal est à la puissance des ordres inférieurs, ce que le pouvoir politique qui travaille au bien général est aux arts inférieurs et aux vertus qui se rapportent à un bien particulier, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 37, art. 1, dans le corps de l’article et ad 3). Or, le pouvoir politique, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, chap. 2), fait la loi aux inférieurs c’est-à-dire qu’il dit quel art on doit exercer, jusqu’à quel point et de quelle manière. C’est pourquoi il appartient à l’évêque de placer les autres dans tous les emplois ou dans tous les offices divins. Ainsi il n’y a que lui qui confirme parce que ceux qui sont confirmés ont pour office ou pour charge de confesser leur foi. C’est pourquoi il n’y a que lui qui bénit les vierges qui sont la figure de l’Eglise mariée au Christ, dont le soin leur est principalement confié. Il consacre aussi ceux qui doivent être élevés dans les ministères des ordres et il leur détermine en les consacrant les vases dont ils doivent user. C’est ainsi que dans les cités les charges séculières sont distribuées par celui qui a un pouvoir plus élevé, comme par le roi.

 

Article 2 : Les hérétiques et ceux qui sont retranchés de l’Eglise peuvent-ils conférer les ordres ?

 

          Objection N°1. Il semble que les hérétiques et ceux qui sont retranchés de l’Eglise ne puissent conférer les ordres. Car c’est une plus grande chose de conférer les ordres que d’absoudre ou lier quelqu’un. Or, un hérétique ne peut ni absoudre, ni lier. Il ne peut donc pas conférer les ordres.

          Réponse à l’objection N°1 : L’effet de l’absolution n’est pas autre chose que la rémission des péchés qui est produite par la grâce. C’est pourquoi un hérétique ne peut absoudre, comme il ne peut conférer la grâce dans les sacrements. Il ne le peut pas non plus parce que la juridiction est requise pour absoudre et que celui qui est retranché de l’Eglise ne l’a pas.

 

          Objection N°2. Un prêtre séparé de l’Eglise peut consacrer, parce que le caractère par lequel il a ce pouvoir subsiste en lui d’une manière ineffaçable. Or, un évêque ne reçoit pas de caractère dans sa promotion. Il n’est donc pas nécessaire que la puissance épiscopale subsiste en lui après sa séparation de l’Eglise.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans l’ordination d’un évêque on lui donne un pouvoir subsiste perpétuellement en lui, quoiqu’on ne puisse pas lui donner le nom de caractère (D’après S. Thomas l’épiscopat n’imprime pas caractère, parce qu’il ne le considère pas comme un sacrement (Voy. plus loin quest. 40, art. 5).) parce que cette puissance ne le met pas directement en rapport avec Dieu, mais avec le corps mystique du Christ. Néanmoins, elle subsiste d’une manière indélébile, comme le caractère, parce qu’elle est donnée par une consécration.

 

          Objection N°3. Dans aucune société celui qui est banni ne peut disposer des emplois de la société. Or, les ordres sont les charges ou les offices de l’Eglise. Celui qui est hors de l’Eglise ne peut donc les conférer.

          Réponse à l’objection N°3 : Ceux qui sont ordonnés par les hérétiques, quoiqu’ils reçoivent l’ordre, ne reçoivent cependant pas le droit d’en user de manière qu’ils puissent licitement se servir des ordres qui leur ont été conférés pour la raison que l’objection indique.

 

          Objection N°4. Les sacrements tirent leur efficacité de la passion du Christ. Or, un hérétique n’est en rapport avec la passion du Christ, ni par sa propre foi, puisqu’il est infidèle, ni par la foi de l’Eglise, puisqu’il est séparé de son sein. Il ne peut donc pas conférer le sacrement de l’ordre.

          Réponse à l’objection N°4 : Ils sont unis à la passion du Christ par la foi de l’Eglise ; parce que quoiqu’ils ne soient pas en elle par eux-mêmes, cependant ils y sont d’après la forme de l’Eglise qu’ils observent.

 

          Objection N°5. Dans la collation des ordres on exige la bénédiction. Or, un hérétique ne peut pas bénir, et même sa bénédiction se tourne en malédiction, comme on le voit par les autorités citées (4, dist. 25). Il ne peut donc pas conférer les ordres.

          Réponse à l’objection N°5 : Ceci doit se rapporter au dernier effet des sacrements, comme le dit la troisième opinion.

 

          Mais c’est le contraire. On ne consacre pas de nouveau un évêque tombé dans l’hérésie, quand il se réconcilie. Il n’a donc pas perdu la puissance qu’il avait de conférer les ordres.

          Le pouvoir de conférer les ordres est plus grand que le pouvoir des ordres eux-mêmes. Or, le pouvoir des ordres ne se perd pas pour cause d’hérésie ou de quelque autre faute semblable. Le pouvoir de conférer les ordres ne se perd donc pas non plus.

          Comme celui qui baptise ne remplit qu’un ministère extérieur, de même celui qui confère les ordres ; mais c’est Dieu qui opère intérieurement. Or, celui qui est retranché de l’Eglise ne perd pour aucune raison le pouvoir de baptiser. Il ne perd donc pas non plus celui de conférer les ordres.

 

          Conclusion Puisque le pouvoir donné avec la consécration ne peut jamais en aucun cas se perdre tant que la chose consacrée subsiste, les évêques hérétiques et retranchés de l’Eglise peuvent conférer les ordres sacrés comme les autres sacrements, mais ceux qu’ils ordonnent ne reçoivent pas la grâce des ordres qu’ils leur confèrent, ni le droit d’en remplir les fonctions.

          Il faut répondre qu’à cet égard le Maître des sentences rapporte quatre opinions (loc. cit.). En effet il y en a qui ont dit que les hérétiques, tant qu’ils sont tolérés par l’Eglise, ont le pouvoir de conférer les ordres, mais qu’ils ne l’ont plus une fois qu’ils en sont retranchés, et qu’il en est de même des dégradés et des autres qui sont dans le même état. C’est la première opinion. Mais il ne peut en être ainsi, parce que tout pouvoir donné avec une consécration ne peut être détruit d’aucune manière, tant que la chose dure, et la consécration elle-même ne peut être anéantie. Car une fois qu’un autel ou le chrême ont été consacrés, ils restent consacrés à jamais. Par conséquent puisque l’on donne le pouvoir épiscopal avec une consécration, il faut qu’il subsiste perpétuellement, quelque faute que l’on commette, et quand même on serait retranché de l’Eglise. — C’est pourquoi d’autres ont dit que ceux qui sont retranchés de l’Eglise et qui ont eu le pouvoir épiscopal, pendant qu’ils étaient dans son sein, conservent le pouvoir d’ordonner les autres et de les promouvoir, mais que ceux qu’ils ont promus n’ont pas la même puissance. C’est la quatrième opinion. Mais cela ne peut pas être non plus, parce que si ceux qui ont été promus dans l’Eglise conservent le pouvoir qu’ils ont reçu, il est évident qu’en faisant usage de leur pouvoir ils produisent une véritable consécration. C’est ce qui fait qu’ils transmettent véritablement toute la puissance qui se donne avec la consécration. Par conséquent ceux qu’ils ordonnent ou qu’ils élèvent aux ordres ont la même puissance qu’eux. — C’est pour ce motif que d’autres ont dit que ceux qui sont séparés de l’Eglise peuvent conférer les ordres et les autres sacrements, pourvu qu’ils observent la forme voulue et qu’ils aient l’intention exigée. Ils prétendent qu’ils les confèrent quant au premier effet qui est la collation du sacrement, et quant au dernier qui est la collation de la grâce. C’est la seconde opinion. Mais cette opinion ne peut pas non plus se soutenir, parce que par là même qu’on communique sous le rapport des sacrements avec un hérétique retranché de l’Eglise, on pèche ; on s’approche ainsi du sacrement dans de mauvaises dispositions et on ne peut obtenir la grâce, à moins qu’il ne s’agisse du baptême dans le cas de nécessité. — C’est pourquoi d’autres disent qu’ils confèrent véritablement les sacrements, mais qu’ils ne donnent pas avec eux la grâce, non à cause de l’inefficacité des sacrements, mais à cause des péchés de ceux qui reçoivent d’eux les sacrements contrairement à la défense de l’Eglise. C’est la troisième opinion qui est la véritable.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.