Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 39 : Des empêchements du sacrement de l’ordre

 

          Nous devons ensuite nous occuper des empêchements du sacrement de l’ordre. A cet égard, six questions se présentent : 1° Le sexe féminin empêche-t-il de recevoir l’ordre ? (Il est de foi contre les cataphrygiens qu’on ne peut conférer les ordres à une femme.) — 2° Du défaut de raison. — 3° De la servitude. — 4° De l’homicide. — 5° De la naissance illégitime. — 6° Des défauts du corps.

 

Article 1 : Le sexe féminin empêche-t-il de recevoir l’ordre ?

 

          Objection N°1. Il semble que le sexe féminin n’empêche pas de recevoir l’ordre. Car l’office du prophète est plus grand que celui du prêtre ; parce que le prophète est médiateur entre Dieu et les prêtres, comme le prêtre est médiateur entre Dieu et le peuple. Or, les femmes ont rempli quelquefois l’office de prophète, comme on le voit (4 Rois, chap. 22). Donc l’office du prêtre peut aussi leur convenir.

          Réponse à l’objection N°1 : La prophétie n’est pas un sacrement, mais un don de Dieu. Par conséquent, on n’exige pas là la signification, mais seulement la chose. Et parce que sous le rapport de la chose, à l’égard des biens qui appartiennent à l’âme, la femme ne diffère pas de l’homme, puisque l’on trouve quelquefois des femmes qui valent mieux qu’une foule d’hommes quant à l’âme, il s’ensuit qu’elles peuvent recevoir le don de prophétie et d’autres dons de ce genre, quoiqu’elles ne puissent pas recevoir le sacrement de l’ordre.

 

          Objection N°2. Comme l’ordre appartient à une certaine prééminence, de même aussi l’office de supérieur, le martyre et l’état religieux. Or, on confie des charges de supérieures aux femmes dans le Nouveau Testament, comme on le voit à l’égard des abbesses, et dans l’Ancien Testament, comme on le voit par l’exemple de Débora qui jugea le peuple d’Israël (Juges, chap. 4). Le martyre et l’état religieux leur conviennent aussi. Donc l’ordre de l’Eglise leur convient également.

 

          Objection N°3. La puissance des ordres repose sur l’âme. Or, le sexe ne se rapporte pas à l’âme. La diversité des sexes ne produit donc pas de distinction à l’égard de ceux qui reçoivent les ordres.

 

          Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Tim., 2, 12) : Je ne permets pas aux femmes d’enseigner publiquement, ni de prendre autorité sur leur mari.

          Pour les ordinands on exige préalablement qu’ils aient la tonsure, quoiqu’elle ne soit pas de nécessité de sacrement. Or, la tonsure ne convient pas aux femmes, comme on le voit (1 Cor., chap. 11). Il ne leur convient donc pas non plus de recevoir les ordres.

 

          Conclusion Puisque les femmes ont un état de soumission et que par conséquent on ne peut représenter en elles la signification du sacrement de l’ordre, elles ne peuvent recevoir ce sacrement d’aucune manière.

          Il faut répondre qu’il y a des choses qui sont requises dans celui qui reçoit l’ordre comme étant nécessaires au sacrement. Si elles manquent, on ne peut recevoir le sacrement, ni la chose du sacrement. Il y a d’autres choses qui sont requises non de nécessité de sacrement, mais de nécessité de précepte par convenance pour le sacrement lui-même. Sans ces conditions on reçoit le sacrement, mais on ne reçoit pas la chose du sacrement. On doit donc dire que le sexe masculin est requis pour recevoir les ordres, non seulement de la seconde manière, mais encore de la première. Ainsi quand même on ferait à une femme tout ce qu’on fait dans les ordres, elle recevrait cependant pas ce sacrement. Car un sacrement étant un signe à l’égard des choses qui se font dans le sacrement, on requiert non seulement la chose, mais encore sa signification. C’est ainsi que nous avons dit (quest. 32, art. 2), que pour l’extrême-onction on exige qu’on soit malade pour signifier qu’on a besoin de guérison. Par conséquent comme dans le sexe féminin on ne peut signifier une supériorité de degré, parce que l’état de la femme est un état de soumission, il s’ensuit qu’elle ne peut recevoir le sacrement de l’ordre. — Il y en a qui ont dit que le sexe masculin est de nécessité de précepte, mais qu’il n’est pas de nécessité de sacrement. Car dans le droit (chap. Mulieres, dist. 32, et chap. Diaconissam 27, quest. 1), il est fait mention d’une diaconesse et d’une femme qui était prêtre (presbyter). Mais dans cet endroit on appelle diaconesse (On appelait ainsi des femmes qui avaient dans l’Eglise des charges qui avaient quelques rapports avec celles du diacre, ou du prêtre, ou de l’évêque.) celle qui participe aux fonctions du diacre, c’est-à-dire celle qui lit les homélies dans l’église, et on donne le nom de presbytera à une veuve, parce que le mot presbyter signifie vieillard.

          La réponse à la seconde et à la troisième objection est par là même évidente. D’ailleurs il est dit des abbesses qu’elles n’ont pas une supériorité ordinaire, elles ne l’ont que par commission à cause du péril qu’il y aurait de faire cohabiter des hommes avec des femmes. Quant à Débora elle a eu l’autorité dans l’ordre temporel, mais non pour les choses sacerdotales, comme maintenant encore les femmes peuvent temporellement dominer.

 

Article 2 : Les enfants et ceux qui n’ont pas l’usage de raison peuvent-ils recevoir les ordres ?

 

          Objection N°1. Il semble que les enfants et ceux qui n’ont pas l’usage de raison ne puissent recevoir les ordres. Car, comme on le voit (4, dist. 25), les canons ont établi un âge certain et un temps déterminé à l’égard de ceux qui reçoivent les ordres. Or, il n’en serait pas ainsi si les enfants pouvaient recevoir le sacrement de l’ordre. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°1 : Tout ce qui est de nécessité de précepte n’est pas de nécessité de sacrement, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

          Objection N°2. Le sacrement de l’ordre est plus noble que le mariage. Or, les enfants et ceux qui n’ont pas l’usage de raison ne peuvent contracter mariage. Ils ne peuvent donc pas recevoir les ordres.

          Réponse à l’objection N°2 : Le mariage est produit par le consentement qui ne peut exister sans l’usage de raison. Mais dans l’ordre on ne requiert pas d’acte de la part de ceux qui le reçoivent, ce qui est évident puisqu’on n’exprime aucun acte de leur part dans leur consécration. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°3. La puissance appartient au principe auquel se rapporte l’acte, d’après Aristote (De somn. et vigil., chap. 1). Or, l’acte de l’ordre requiert l’usage de raison. Donc la puissance d’ordre aussi.

          Réponse à l’objection N°3 : L’acte et la puissance appartiennent au même principe, mais cependant quelquefois la puissance précède son usage, comme le libre arbitre. Et c’est aussi ce qui a lieu dans la circonstance actuelle.

 

          Mais c’est le contraire. Ceux qui ont été promus aux ordres avant l’âge de discrétion, on leur permet d’en remplir les fonctions sans qu’on réitère leur ordination, comme on le voit (extra, De cler. per saltum prom.). Or, il n’en serait pas ainsi, si elle n’avait pas reçu l’ordre. Un enfant peut donc recevoir les ordres.

          Les enfants peuvent recevoir d’autres sacrements qui impriment caractère, comme le baptême et la confirmation. Pour la même raison ils peuvent donc aussi recevoir les ordres.

 

          Conclusion Puisque dans le sacrement de l’ordre il n’y a aucun acte de la part de celui qui le reçoit qui soit nécessaire au sacrement, mais qu’il confère seulement de la part de Dieu un pouvoir spirituel, les enfants qui n’ont pas l’usage de raison reçoivent aussi véritablement les ordres pour ce qui est de l’essence du sacrement, quoiqu’on doive les éloigner des ordres majeurs, d’après les lois de l’Eglise.

          Il faut répondre que l’enfance et les autres défauts qui enlèvent l’usage de la raison sont un empêchement pour l’acte. C’est pourquoi ceux qui sont dans cet état ne peuvent recevoir les sacrements qui exigent un acte de la part de celui auquel on les confère, comme la pénitence, le mariage et les autres sacrements du même genre. Mais parce que les puissances infuses sont avant les actes aussi bien que les puissances naturelles, quoique les puissances acquises soient postérieures ; et parce que en enlevant ce qui est après on n’enlève pas ce qui est avant, il s’ensuit que les enfants et ceux qui n’ont pas l’usage de la raison peuvent recevoir tous les sacrements dans lesquels on ne requiert pas d’acte de la part de celui qui les reçoit pour leur validité, mais où l’on donne de la part de Dieu une puissance spirituelle. Cependant il faut faire cette distinction ; c’est que pour les ordres mineurs on requiert par bienséance à cause de la dignité du sacrement l’âge de discrétion, mais il n’est exigé ni de nécessité ni de précepte (D’après le concile de Trente on ne doit pas tonsurer les enfants avant l’âge de sept ans, et il exige qu’ils aient été baptisés et confirmés, qu’ils sachent lire et écrire, et qu’ils connaissent les éléments de la foi. En France on ne confère les ordres mineurs que vers le temps où je sujet peut être appelé aux ordres majeurs.), ni de nécessité de sacrement. Par conséquent, s’il y a nécessité et si on a des espérances de progrès, on peut promouvoir aux ordres mineurs certains enfants avant l’âge de discrétion et leur conférer ces ordres sans péché. Car quoiqu’ils ne soient pas capables de remplir alors les charges qui leur sont confiées, cependant ils pourront par l’habitude le devenir. Mais pour les ordres majeurs on requiert l’usage de raison, et par bienséance, et de nécessité de précepte (Pour le sous-diaconat, il faut vingt-et-un ans accomplis ; pour le diaconat vingt-deux ans accomplis ; pour la prêtrise vingt-quatre ans accomplis, et pour l’épiscopat trente ans accomplis, d’après le concordat de 1801. Le pape seul accorde les dispenses d’âge.), et à cause du vœu de continence qui leur est annexé, et parce qu’on leur confie le soin de toucher les sacrements. Pour l’épiscopat où l’on reçoit pouvoir sur le corps mystique du Christ, on requiert l’action de celui qui est chargé du soin pastoral des âmes. C’est pourquoi il est aussi nécessaire pour la consécration épiscopale qu’on ait l’usage de raison. Il y en a qui disent que l’usage de raison est requis de nécessité de sacrement pour tous les ordres, mais ils ne prouvent ce qu’ils avancent ni par la raison, ni par l’autorité (Benoît XIV dit que l’ordination des enfants avant l’âge de raison est évident, mais que celui qui a été ainsi ordonné n’a point contracté l’obligation de la continence ni des autres devoirs que l’ordination impose (Instruct. super dubiis ad ritus Ecclesiæ et nationis Cophtorum.).).

 

Article 3 : La servitude empêche-t-elle quelqu’un de recevoir les ordres ?

 

          Objection N°1. Il semble que la servitude n’empêche pas quelqu’un de recevoir les ordres. Car la soumission corporelle ne répugne pas à l’autorité spirituelle. Or, il y a soumission corporelle dans l’esclave. Rien ne l’empêche donc de pouvoir recevoir l’autorité spirituelle que l’ordre confère.

          Réponse à l’objection N°1 : Quand on reçoit un pouvoir spirituel on est obligé de faire certaines choses corporellement ; c’est pourquoi la servitude corporelle est un empêchement.

 

          Objection N°2. Ce qui est une occasion d’humilité ne doit pas empêcher de recevoir un sacrement. Or, la servitude a ce caractère. C’est pourquoi l’Apôtre conseille d’en faire bon usage, si on le peut, plutôt que de devenir libre (1 Cor., chap. 8). Elle ne doit donc pas empêcher d’être promu aux ordres.

          Réponse à l’objection N°2 : Il y a beaucoup d’autre choses qui n’empêchent pas de remplir les fonctions de l’ordre, et dont on peut prendre occasion de s’humilier. C’est pourquoi cette raison n’est pas concluante.

 

          Objection N°3. Il est plus honteux qu’un clerc soit vendu comme esclave que de promouvoir un serf à la cléricature. Or, on peut licitement vendre un serf comme esclave ; car l’évêque de Nole, saint Paulin, se vendit lui-même pour être esclave, comme on le voit (in dialog. Greg., liv. 3, chap. 1). A plus forte raison un serf peut-il être promu aux ordres.

          Réponse à l’objection N°3 : Saint Paulin agi ainsi poussé par l’esprit de Dieu et d’après l’abondance de sa charité ; ce que l’événement a prouvé, car par sa servitude il a affranchi de l’esclavage une multitude d’individus appartenant à son troupeau. On ne doit pas en tirer de conséquence ; parce que où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté (2 Cor., 3, 17).

 

          Objection N°4. Mais au contraire. Il semble que la servitude soit un empêchement quant à la nécessité de sacrement. Car une femme ne peut pas recevoir l’ordre en raison de sa sujétion. Or, il y a dans l’esclave une sujétion plus grande, parce que la femme n’est pas donnée à l’homme pour servante, et c’est pour cela qu’elle n’a pas été tirée de ses pieds. Donc un serf ne peut pas recevoir ce sacrement.

          Réponse à l’objection N°4 : Les signes sacramentels représentent d’après une ressemblance naturelle. Or, la femme est soumise par nature, mais il n’en est pas de même du serf. C’est pour cela qu’il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°5. Du moment qu’on reçoit un ordre on est tenu de servir pour en remplir les fonctions. Or, un serf ne peut pas tout à la fois servir son maître charnel et remplir ses fonctions spirituelles. Il semble donc qu’il ne puisse recevoir un ordre, parce que le maître doit conserver ses droits.

          Réponse à l’objection N°5 : Si un serf est ordonné, et que son maître le sache, s’il ne réclame pas, il devient par là même affranchi. Mais si on l’ordonne à l’insu du maître, alors l’évêque et celui qui l’a présenté sont tenus de donner au maître le double de la valeur du serf, s’ils ont su qu’il était serf. Autrement si le serf a des ressources il doit se racheter lui-même, sans cela il retomberait sous la servitude de son maître, quoiqu’il fût dans l’impossibilité de remplir les fonctions de son ordre.

 

          Conclusion Les serfs n’étant pas maîtres d’eux-mêmes ne peuvent être promus aux ordres sacrés ; cependant ils les reçoivent véritablement si on les leur confère.

          Il faut répondre qu’en recevant l’ordre l’homme est attaché au service de Dieu. Et comme on ne peut donner à un autre ce qui n’est pas à soi, le serf qui n’est pas maître de lui-même ne peut par ce motif être promu aux ordres. Si cependant on l’ordonne, il reçoit l’ordre ; puisque la liberté n’est pas de nécessité de sacrement, quoiqu’elle soit de nécessité de précepte ; puisqu’elle n’empêche pas le pouvoir, mais seulement son acte et son exercice. Il en est de même à l’égard de tous ceux qui sont liés par rapport aux autres, comme ceux qui sont enchaînés par des comptes à rendre ou par d’autres affaires.

 

Article 4 : Doit-on pour cause d’homicide être empêché de recevoir les ordres ?

 

          Objection N°1. Il semble que pour cause d’homicide on ne doive pas être empêché de recevoir les ordres sacrés. Car les ordres actuels tirent leur origine de l’office des lévites comme on le voit (4, dist. 24, quest. 3, art. 1, quest. 1 ad 1). Or, les lévites ont consacré leurs mains en versant le sang de leurs frères, comme on le voit (Ex., chap. 32). Donc dans le Nouveau Testament on ne doit pas être empêché de recevoir les ordres, parce qu’on a versé le sang.

          Réponse à l’objection N°1 : La loi ancienne infligeait la peine du sang, mais il n’en est pas de même de la loi nouvelle. C’est pourquoi il n’en pas des ministres de la loi ancienne comme de ceux de la loi nouvelle dont le joug est doux, et le fardeau léger (Matth., chap. 11).

 

          Objection N°2. On ne doit pas empêcher quelqu’un de recevoir un sacrement, parce qu’il fait un acte de vertu. Or, quelquefois on répand le sang par justice, comme le fait un juge, et celui qui a cette charge pécherait s’il ne le faisait pas. On n’est donc pas empêché à cause de cela de recevoir un sacrement.

          Réponse à l’objection N°2 : On n’encourt pas l’irrégularité à cause du péché seulement, mais principalement parce qu’une personne n’est plus apte à administrer le sacrement de l’eucharistie. C’est pourquoi le juge et tous ceux qui prennent part à une condamnation à mort sont irréguliers, parce qu’il ne convient pas aux ministres de ce sacrement de répandre le sang.

 

          Objection N°3. La peine n’est due qu’à la faute. Or, quelquefois on commet un homicide sans faire de faute, comme quand on tue quelqu’un en se défendant, ou par hasard. On ne doit donc pas encourir la peine de l’irrégularité.

          Réponse à l’objection N°3 : On ne fait que les choses dont on est la cause, c’est-à-dire ce qui est volontaire dans l’homme. C’est pourquoi celui qui tue un homme sans le savoir d’une manière fortuite, ne reçoit pas le nom d’homicide ; il n’encourt pas l’irrégularité, à moins qu’il ne se soit occupé d’une chose illicite (Il faut de plus que cette chose ait été dangereuse de sa nature, et qu’elle eut ainsi par elle-même un certain rapport avec l’homicide.), ou qu’il n’ait négligé de prendre les précautions qu’il devait, parce qu’alors son acte devient volontaire. Mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas coupable qu’il est exempt de l’irrégularité, car on l’encourt sans faire de faute. C’est pourquoi, bien que celui qui commet un homicide ne pèche pas en se défendant, il n’en est pas moins irrégulier (Autrefois on était irrégulier si on venait à tuer quelqu’un même dans le cas de légitime défense, comme le dit saint Thomas (2a 2æ, quest. 64, art. 7, Réponse N°5). Mais depuis la Clémentine (tit. Si furiosus), il n’en est plus de même.).

 

          Mais c’est le contraire. Plusieurs décrets canoniques (chap. Miror et Clericum et chap. De his cler., dist. 1, et chap. Continebatur De homic. volunt.) et la coutume de l’Eglise y sont opposés.

 

          Conclusion L’homicide étant ce qu’il y a de plus opposé à a paix, dont l’eucharistie est le sacrement, ceux qui le commettent sont éloignés des ordres sacrés d’après le précepte de l’Eglise, mais non par nécessité de sacrement.

          Il faut répondre que tous les ordres se rapportent au sacrement de l’eucharistie qui est le sacrement de la paix que l’effusion du sang du Christ nous a donnée. Et comme l’homicide est ce qu’il y a de plus contraire à la paix et que les homicides ressemblent plus à ceux qui ont mis le Christ à mort qu’au Christ immolé, auquel tous les ministres du sacrement de l’eucharistie doivent ressembler, il s’ensuit qu’il est de nécessité de précepte que celui qu’on ordonne ne soit pas un homicide, quoique ce ne soit pas de nécessité de sacrement.

 

Article 5 : Doit-on empêcher les enfants illégitimes de recevoir les ordres ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas empêcher les enfants illégitimes de recevoir les ordres. Car le fils ne doit pas porter l’iniquité du père (Ez., chap. 18). Or, il la porterait s’il était empêché à cause de cela de recevoir les ordres. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°1 : L’irrégularité n’est pas une peine due à l’iniquité. C’est pourquoi il est évident que quoique les enfants illégitimes soient irréguliers, ils ne portent pas pour cela l’iniquité de leur père.

 

          Objection N°2. Un défaut personnel est un empêchement plus grand qu’un défaut étranger. Or, on n’est pas toujours empêché de recevoir les ordres par une faute qu’on aurait commise contre les mœurs. On ne doit donc pas non plus en être empêché par une faute commise par son père.

          Réponse à l’objection N°2 : Les fautes qu’on a commises par ses propres actions peuvent être effacées par la pénitence et par un acte contraire, mais il n’en est pas de même des défauts qui viennent de la nature. C’est pourquoi il n’en est pas d’un acte coupable comme d’une origine vicieuse.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Deut., 23, 2) : Celui qui est bâtard, c’est-à-dire né d’une femme prostituée, n’entrera point dans l’Eglise du Seigneur jusqu’à la dixième génération. On doit donc encore moins le promouvoir aux ordres.

 

          Conclusion Ceux qui sont ordonnés étant élevés au-dessus des autres dans une dignité qui serait obscurcie par une origine vicieuse, les enfants illégitimes sont empêchés de recevoir les ordres de nécessité de précepte plutôt que de nécessité de sacrement.

          Il faut répondre que ceux qui sont ordonnés sont élevés en dignité au-dessus des autres. C’est pourquoi par convenance on exige un certain éclat non de nécessité de sacrement, mais de nécessité de précepte ; par exemple, on demande qu’ils aient bonne réputation, que leurs mœurs soient pures et qu’ils n’aient pas fait de pénitence publique. Et comme l’éclat de l’homme est obscurci par une origine vicieuse, il s’ensuit qu’on écarte des ordres ceux qui sont nés d’une manière illégitime ; à moins qu’ils n’aient obtenu dispense ; et la dispense s’accorde d’autant plus difficilement que leur origine est plus honteuse.

 

Article 6 : Les défauts corporels doivent-ils être un empêchement ?

 

          Objection N°1. Il semble que les défauts du corps ne doivent pas empêcher de recevoir les ordres. Car on ne doit pas ajouter l’affliction à celui qui est affligé. On ne doit donc pas être privé de recevoir les ordres parce qu’on est affligé d’un défaut corporel.

 

          Objection N°2. Pour l’acte de l’ordre on exige plutôt l’intégrité de la raison que l’intégrité du corps. Or, on peut être ordonné avant l’âge de raison ; on peut dont l’être aussi avec des défauts corporels.

 

          Mais c’est le contraire. Sous l’ancienne loi on interdisait le service divin à ceux qui en étaient là (Lév., chap. 21) ; à plus forte raison doit-on le leur interdire sous la loi nouvelle. Nous parlerons de la bigamie dans le traité du mariage (quest. 66).

 

          Conclusion On éloigne des ordres sacrés ceux qui ont dans leurs membres des défauts notables ou qui ne pourraient en remplir les fonctions.

          Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.), on devient incapable de recevoir les ordres soit parce qu’on est empêché d’en remplir les fonctions, soit parce que la personne n’a pas les dehors qu’elle devrait avoir. C’est pourquoi ceux qui ont un défaut dans leurs membres sont empêchés de recevoir l’ordre, si ce défaut est de nature à leur imprimer une tache notable qui nuise à la considération extérieure de la personne, comme si on avait le nez coupé, ou bien s’ils ne peuvent sans danger remplir les fonctions de leur ordre (Ainsi sont irréguliers ceux qui sont aveugles, qui n’ont qu’un bras, qu’une main, ou qui ont perdu le pouce ou l’index, ou qui sont boiteux au point de ne pouvoir se soutenir sans un bâton, ou dont les mains tremblent, ou qui ne peuvent boire de vin, etc.). Autrement les défauts corporels ne sont pas un empêchement. Toutefois cette intégrité est exigée de nécessité de précepte, mais non de nécessité de sacrement.

          La réponse aux objections est par là même évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.