Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 41 : Du mariage considéré comme un devoir naturel
Après
avoir parlé de l’ordre nous devons nous occuper du mariage. Nous devons nous en
occuper : 1° comme devoir naturel ; 2° comme sacrement ; 3° selon qu’on le
considère en lui-même et d’une manière absolue. A cet égard quatre questions se
présentent : 1° Est-il de droit naturel ? — 2° Est-il de précepte ? (Le mariage
n’est pas de précepte pour les individus, puisque le concile de Trente a
condamné ceux qui niaient que la virginité et le célibat fussent plus parfait que le mariage (sess. 24, can. 10).) — 3° Son acte
est-il licite ? — 4° Peut-il être méritoire ?
Article
1 : Le mariage est-il de droit naturel ?
Objection
N°1. Il semble que le mariage ne soit pas naturel. Or, le droit naturel est ce
que la nature a enseigné à tous les animaux. Car dans les autres animaux il y a
union des sexes sans le mariage. Le mariage n’est donc pas de droit naturel.
Réponse
à l’objection N°1 : La nature de l’homme prote à une chose de deux manières :
1° parce qu’elle est d’accord avec la nature du genre, et cela est commun à
tous les animaux ; 2° parce qu’elle est d’accord avec la nature de la
différence, par laquelle l’espèce humaine va au-delà du genre en tant qu’elle
est raisonnable. C’est ainsi que l’acte de la prudence ou de la tempérance est
naturel. Et comme la nature du genre, quoiqu’elle soit la même dans tous les
animaux, n’existe cependant pas de la même manière dans tous, de même elle ne
produit pas dans tous le même mode d’inclination, mais elle varie selon ce
qu’il convient à chaque être. Ainsi la nature de l’homme considérée par rapport
à la différence porte au mariage quant à la seconde raison que nous avons
donnée. C’est pourquoi Aristote (loc. sup. cit. et Polit., iv. 1, chap. 1) donne cette
raison pour les hommes, suivant qu’ils sont au-dessus des autres animaux. Mais
quant à la première raison l’homme est porté au mariage par la nature
considérée du côté du genre. D’où Aristote dit que la procréation des enfants
est commune à tous les animaux. Cependant la nature n’y porte pas de la même
manière dans tous les animaux. Car il y a des animaux dont les petits aussitôt
qu’ils sont nés peuvent suffisamment se procurer leur nourriture, ou dont la
mère suffit à leur entretien. Pour ceux-là il n’y a pas une détermination
particulière du mâle à l’égard de la femelle. A l’égard de ceux dont les petits
ont besoin du soutien de l’un et de l’autre, mais pour un temps court, on
remarque qu’il y a accouplement du mâle et de la femelle pendant ce temps,
comme on le voit à l’égard des oiseaux. Mais pour l’homme, comme l’enfant a
besoin des soins de ses parents pendant longtemps, il y a par rapport au père
et à la mère la détermination la plus marquée à laquelle la nature du genre
porte.
Objection
N°2. Ce qui est de droit naturel se trouve dans tous les hommes à tous les
états. Or, le mariage n’a pas existé dans tous les états où le genre humain
s’est trouvé. Car, comme le dit Cicéron (Rhetor., scil. De invent., circ. princ.), à l’origine les hommes vivaient dans les forêts,
et alors personne ne connaissait ses propres enfants, et il n’y avait pas de
ces alliances dans lesquelles le mariage consiste. Le mariage n’est donc pas
naturel.
Réponse
à l’objection N°2 : Ces paroles de Cicéron peuvent être vraies par rapport à
certaines nations, si on entend par origine le principe le plus prochain d’un
peuple par lequel il s’est distingué des autres ; car la chose à laquelle la
raison naturelle porte n’arrive pas toujours à se réaliser dans tous les
hommes. Mais ce qu’avance Cicéron ne peut être vrai universellement parce que
l’Ecriture nous apprend que dès le commencement du genre humain il y a eu des
mariages.
Objection
N°3. Les choses naturelles sont les mêmes chez tout le monde. Or, le mariage
n’existe pas de la même manière chez tout le monde, puisqu’il se célèbre de
différentes manières selon la différence des lois. Il n’est donc pas naturel.
Réponse
à l’objection N°3 : D’après Aristote (Eth, liv. 7, circ. fin.) la nature humaine n’est pas
immuable, comme la nature divine. C’est pourquoi les choses qui sont de droit
naturel changent selon les divers états et les différentes conditions des
hommes, quoique ce qui existe naturellement dans les choses divines ne varie
d’aucune manière.
Objection
N°4. Les choses sans lesquelles on peut satisfaire l’intention de la nature ne
paraissent pas naturelles. Or, la nature a pour but de conserver l’espèce au
moyen de la génération qui peut avoir lieu sans le mariage, comme on peut le
voir dans les fornicateurs. Le mariage n’est donc pas naturel.
Réponse
à l’objection N°4 : La nature n’a pas seulement pour but de donner l’être aux
enfants, mais encore de les faire parvenir à l’état d’homme parfait, et c’est
pour cela que le mariage est nécessaire, comme on le voit d’après ce que nous
avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Il est dit au commencement des Digestes (l. Juri operam, ff. De just. et jure) que c’est de la
nature que descend l’union de l’homme et de la femme que nous appelons mariage.
Aristote
dit (Eth., liv. 8, chap. 12) : L’homme est porté
par sa nature à vivre dans l’union conjugale plus encore qu’à vivre en société.
Or, l’homme est naturellement fait pour vivre en société, comme le dit le même
philosophe (Polit., liv. 1, chap. 2.
Il est donc naturellement fait pour le mariage et par conséquent le mariage est
naturel.
Conclusion
Le mariage est naturel, non parce qu’il vient de la nature, mais parce que la
nature y pousse très vivement dans l’intérêt des enfants et pour les services
mutuels que se rendent l’homme et la femme.
Il
faut répondre qu’on dit qu’une chose est naturelle de deux manières : 1° selon
qu’elle est nécessairement produite d’après les principes de la nature, comme
il est naturel au feu de s’élever. Le mariage n’est pas ainsi naturel, ni aucun
des choses qui s’accomplissent par l’intermédiaire du libre arbitre. 2° On
appelle naturelle une chose par laquelle la nature a de l’inclination, mais qui
s’accomplit par l’intervention du libre arbitre. C’est ainsi qu’on dit naturels
les actes des vertus ou les vertus elles-mêmes. Le mariage est naturel de la
sorte, parce que la raison naturelle y porte de deux manières : 1° quant à sa
fin principale qui est le bien des enfants. Car la nature ne se propose pas
seulement la génération des enfants, mais elle veut encore qu’on les forme et
qu’on les élève jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’état parfait de l’homme qui
est l’état de la vertu. D’où Aristote dit (Eth., liv. 8, chap. 11 et 12) : que nous recevons trois choses de nos
parents, l’être la nourriture et l’éducation. Mais un enfant ne pourrait pas
être élevé et instruit par son père, s’il n’avait pas des parents certains et
déterminés, et il n’en aurait pas, s’il n’y avait pas entre un homme et une
femme déterminées ce lien que le mariage produit. 2° Par rapport à la fin secondaire du mariage qui est le secours mutuel que
les époux se prêtent pour les affaires domestiques. Car comme la raison
naturelle prescrit aux hommes d’habiter ensemble parce que l’homme seul ne peut
se suffire pour tout ce qui appartient à la vie, d’où l’on dit que l’homme est
naturellement social ; de même parmi les choses dont on a besoin pour la vie
humaine, il y a des travaux qui conviennent aux hommes et d’autres aux femmes.
Par conséquent la nature porte l’homme à s’unir à la femme et c’est dans cette
union que le mariage consiste. Aristote donne ces deux causes (Eth., liv. 8, loc. cit.).
Article
2 : Le mariage est-il de précepte ? [Obligatoire]
Objection
N°1. Il semble que le mariage soit encore de précepte. Car un précepte oblige
tant qu’il n’est pas révoqué. Or, la première institution du mariage a été de
précepte, comme il est dit (4, dist. 26). On ne voit pas que ce précepte ait
été jamais révoqué ; il a même été confirmé (Matth.,
19, 6) : Que l’homme ne sépare pas ce que
Dieu a uni. Le mariage est donc encore de précepte.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce précepte n’a pas été révoqué. Cependant il n’oblige pas
tout le monde, pour la raison que nous avons donnée (dans le corps de
l’article.), si ce n’est dans le temps où le petit nombre des hommes exigeait que chacun travaillât à la propagation de l’espèce.
Objection
N°2. Les préceptes de droit naturel obligent tout le temps. Or, le mariage est
de droit naturel, comme nous l’avons dit (art. préc.).
Donc, etc.
Objection
N°3. Le bien de l’espèce est meilleur que celui de l’individu, parce que le
bien d’une nation est plus divin que le bien d’un seul homme d’après Aristote (Eth., liv. 1, chap. 2). Or, le précepte
donné au premier homme pour la conservation de l’individu par rapport à la
nutrition oblige encore. A plus forte raison le précepte du mariage qui
appartient à la conservation de l’espèce.
Objection
N°4. Où la même raison obligatoire subsiste, la même obligation doit subsister.
Or, les hommes étaient obligés dans les temps anciens au mariage pour que la
multiplication du genre humain ne cessât pas. Par conséquent puisque la même
chose s’ensuivrait si tout le monde pouvait librement s’abstenir du mariage, il
semble que la mariage soit de précepte.
Réponse
à l’objection N°4 : La nature humaine porte en général à des actes et à des
devoirs différents, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article). Mais
parce qu’elle existe de différentes manières dans les différents sujets,
suivant qu’elle s’individualise dans tel ou tel homme, elle donne plus
d’attrait à l’un pour une chose et à l’autre pour une autre, suivant la
diversité des tempéraments des divers individus. Cette diversité de goût,
jointe à la providence divine qui règle tout, fait que l’un choisit un emploi
comme l’agriculture, et que l’autre en choisit un autre. De là il arrive que
les uns préfèrent le mariage et que les autres aiment mieux la vie
contemplative. Par conséquent il n’y a donc en cela aucun péril.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (1
Cor., 7, 38) : Celui qui ne marie pas
sa fille fait mieux, c’est-à-dire fait mieux que celui qui la marie. Le
contrat de mariage n’est donc pas de précepte.
On
ne doit récompenser personne pour la transgression d’un précepte. Or, on doit
aux vierges une récompense spéciale, l’auréole. Le mariage n’est donc pas de
précepte.
Conclusion
Les hommes ne sont pas obligés par un précepte à se marier, puisque le mariage
empêche la vie contemplative à laquelle il faut que quelques-uns se livrent
pour la perfection de la société humaine.
Il
faut répondre que la nature porte à quelque chose de deux manières : 1° elle
prote à une chose comme ce qui est nécessaire à la perfection de l’individu.
Cette inclination oblige tout le monde, parce que les perfections naturelles
sont communes à tous. 2° Elle porte à une chose qui est nécessaire à la
perfection de la société, et comme il y a beaucoup de choses de cette nature,
dont l’une empêche l’autre, cette inclination n’est pas obligatoire pour tous
les hommes par manière de précepte. Autrement tout homme serait obligé de
cultiver la terre, de construire des maisons et de se livrer à toutes les
occupations de cette nature qui sont nécessaires à la société humaine. Mais
l’inclination de la nature se trouve satisfaite quand ces divers devoirs se
trouvent remplis par des individus différents. Par conséquent puisqu’il est
nécessaire à la perfection de la société humaine qu’il y en ait qui vaquent à la
vie contemplative qui est empêchée surtout par le mariage, l’inclination de la
nature à l’égard du mariage n’oblige pas à titre de précepte, même d’après les
philosophes. D’où Théophraste prouve qu’il ne convient pas au sage de se
marier, comme le rapporte saint Jérôme (Cont.
Jov., liv. 1, chap. 28).
La
réponse à la seconde et à la troisième objection est évident
d’après ce que nous avons dit.
Article
3 : L’acte du mariage est-il licite ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte du mariage soit toujours un péché. En effet, il est
dit (1 Cor., 7, 29) : Que ceux qui sont mariés soient comme s’ils
ne l’étaient pas. Or, ceux qui ne sont pas mariés ne pratiquent pas l’acte
du mariage. Par conséquent, même ceux qui sont mariés pèchent dans cet acte.
Réponse
à l’objection N°1 : L’Apôtre, par ces mots,
n’interdit pas l’acte du mariage, ni la possession de choses non plus quand il
disait (1 Cor., 7, 31) : Que ceux qui usent de ce monde soient comme
n’en usant pas ; mais il en interdit la jouissance, ce qui est visible par
la façon dont il s’exprime dans les deux cas ; en effet, il ne dit pas s’ils ne l’étaient pas, ou n’en usant pas, mais comme s’ils ne l’étaient pas ou comme n’en usant pas.
Objection
N°2. Isaïe dit (59, 2) : Vos iniquités
vous ont séparés d’avec votre Dieu. Or, l’acte du mariage sépare l’homme
d’avec Dieu ; c’est pour cette raison que ceux qui devaient voir Dieu ne
pouvaient s’approcher de leurs épouses (Ex., chap. 19) ; de plus saint Jérôme
dit (Epist. ad Ageruch,
à med. et cont Jov., liv. 1, chap. 18 ad fin.), que quand ils usaient
de l’acte du mariage, l’Esprit-Saint ne touchait pas
les cœurs des prophètes. C’est donc une iniquité.
Réponse
à l’objection N°2 : Nous sommes unis à Dieu par l’habitude de la grâce ou par
l’acte de contemplation et d’amour. Par conséquent, tout ce qui sépare de la
première de ces deux unions est toujours un péché, tandis que ce qui sépare de
la seconde n’en est pas toujours un ; puisqu’une occupation licite concernant
les choses inférieures distrait l'esprit qui empêche son union actuelle avec
Dieu, et c’est précisément ce qu’il se passe dans l’union charnelle où l’esprit
est tenu occupé par l’intensité du plaisir. Pour cette raison, on imposait à
ceux qui contemplaient les choses divines ou qui manipulaient les choses sacrées
à ne pas s’approcher de leurs femmes pendant ce temps. Et c’est dans ce sens
que l’on dit que l’Esprit-Saint, en ce qui concerne
la révélation des choses cachées, ne touchait pas le cœur des prophètes quand
ils usaient du mariage.
Objection
N°3. Ce qui est honteux par soi-même ne peut devenir un bien en aucun cas. Or,
la concupiscence, qui se trouve toujours jointe à l’acte du mariage, est
toujours honteuse. Par conséquent, cet acte est toujours un péché.
Réponse
à l’objection N°3 : La honte de la concupiscence qui se trouve toujours jointe
à l’acte du mariage est une honte non de faute, mais de peine, car elle
provient du péché originel, étant donné que les puissances inférieures et les
membres corporels n’obéissent pas à la raison. Et c’est ce que l’objection ne
peut prouver.
Objection
N°4. Seul le péché a besoin d’excuses. Or, l’acte du mariage a besoin d’être
excusé par la bénédiction du mariage, comme le dit le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 26). C’est par conséquent
un péché.
Réponse
à l’objection N°4 : A proprement parler, on dit qu’une chose est excusable
quand elle a quelque apparence de mal mais n’est pas un mal, ou ne l’est pas
autant que ce qu’il en semble, car certaines choses excusent entièrement et
d’autres en partie. Et comme l’acte du mariage, à cause de la corruption de la
concupiscence, a l’apparence d’un acte désordonné, il est pour cette raison
pleinement excusé par la bénédiction du mariage, afin de ne pas être un péché.
Objection
N°5. Les choses qui sont de même espèce doivent être jugées de la même manière.
Or les rapports sexuels dans le mariage sont de la même espèce que l’acte de
l’adultère, qui a le même but, à savoir la propagation de l’espèce humaine.
Donc, puisque l’acte de l’adultère est un péché, il en est de même de celui du
mariage.
Réponse
à l’objection N°5 : Bien qu’ils soient les mêmes en ce qui concerne leur espèce
de nature, ils diffèrent en ce qui concerne leurs espèces morales, ce qui n’est
pas la même chose en fonction d’une circonstance, à savoir les rapports sexuels
avec sa femme et avec une autre que sa femme ; comme le fait de tuer un homme
par violence ou pour la justice différencie les espèces morales, bien que les
espèces de nature soient les mêmes, néanmoins, l’une est licite et l’autre
illicite.
Objection
N°6. L’excès dans une passion en corrompt la vertu. Or, il y a toujours un excès
de plaisir dans l’acte du mariage, au point qu’on peut en perdre la raison, qui
est le principal bien de l’homme ; c’est pour cette raison qu’Aristote dit (Eth., liv. 7, chap. 11, ad fin.) qu’il est
impossible dans cet acte que l’homme comprenne quoi que ce soit. L’acte du
mariage est par conséquent toujours un péché.
Réponse
à l’objection N°6 : L’excès d’une passion, qui corrompt la vertu, n’empêche pas
seulement l’acte de la raison, mais détruit même l’ordre de la raison ; ce que
ne fait pas l’intensité du plaisir dans l’acte du mariage, bien que sur le
moment l’homme n’est pas régi par la raison, il l’était cependant auparavant.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (1
Cor., 7, 28) : Si une vierge se
marie, elle ne pèche pas ; et (1 Tim., 5, 14) : Je
veux donc que les jeunes veuves se marient et qu’elles aient des enfants.
Or, on ne peut pas avoir d’enfants sans rapports charnels. Donc l’acte du
mariage n’est pas un péché, sinon l’Apôtre ne l’aurait pas approuvé.
Aucun
péché n’est de précepte. Or, l’acte du mariage est de précepte (1 Cor., 7, 3) : Que le mari rende à sa femme ce qu’il lui doit. Par conséquent, ce
n’est pas un péché.
Conclusion
Puisque le mariage a été institué afin d’engendrer des enfants, son acte est
toujours licite.
Il
faut répondre que si nous supposons que la nature corporelle a été créée par le
Dieu bon, il nous est impossible de dire que ce qui se rapporte à la
conservation de la nature corporelle, et vers quoi la nature a de l’inclination,
soit entièrement mauvais ; et c’est pour cette raison que comme l’inclination qui
a pour but d’engendrer des enfants, par lesquels la nature se conserve est
naturelle, il est impossible de dire que l’acte d’engendrer des enfants soit
tout à fait illicite, de manière à n’y trouver aucun moyen de vertu ; à moins
de supposer, comme certains ont été assez insensés pour l’avancer, que les
choses corruptibles ont été créées par un dieu mauvais, d’où peut provenir
l’opinion mentionnée dans le texte (Sent.
4, dist. 26). Et c’est pour cette raison une hérésie très mauvaise.
Article
4 : L’acte du mariage est-il méritoire ?
Objection
N°1. Il semble que l’acte du mariage ne soit pas méritoire. Car saint Chrysostome
dit sur saint Matthieu (alius auctor
hom. 1 in Op. imperf., inter med. et fin.) : Bien que le mariage n’entraîne pas de peine
pour ceux qui l’utilisent, il ne leur octroie aucune récompense non plus.
Or le mérite est lié à la récompense. Par conséquent, l’acte du mariage n’est
pas méritoire.
Réponse
à l’objection N°1 : La racine du mérite, en ce qui concerne la récompense
essentielle, est la charité elle-même ; mais en ce qui concerne la récompense
accidentelle, la raison du mérite consiste dans la difficulté de l’acte ;
ainsi, l’acte du mariage n’est méritoire que de la première manière.
Objection
N°2. S’abstenir de ce qui est méritoire n’est pas digne d’éloge. Or, la
virginité, qui empêche le mariage, est digne d’éloge. L’acte du mariage n’est
donc pas méritoire.
Réponse
à l’objection N°2 : L’homme peut mériter pour un grand ou un petit bien. Par
conséquent, quand il s’abstient d’en faire un petit afin d’en accomplir un plus
grand, il est digne d’éloge car il a préféré abandonner une œuvre méritoire
moindre pour une plus grande.
Objection
N°3. Celui qui profite d’une indulgence qu’on lui fait, profite d’une faveur
qu’il a reçue. Or un homme ne mérite pas en recevant une faveur. Par
conséquent, l’acte du mariage n’est pas méritoire.
Réponse
à l’objection N°3 : L’indulgence concerne parfois un mal mineur, et on est
indulgent de cette manière dans l’acte du mariage ; si le désir nous fait
accomplir cet acte, mais dans la limite du mariage, c’est un péché véniel. Si
le mouvement provient d’une vertu, il est méritoire, et n’a pas besoin d’indulgence,
excepté dans le cas d’une indulgence accordée pour faire un bien moindre, ce
qui est la même chose qu’une concession. Il est convenable que quelqu’un qui
profite d’une concession de ce genre mérite, car la bonne utilisation de la
libéralité de Dieu est méritoire.
Objection
N°4. Le mérite, à l’instar de la vertu, consiste dans la difficulté. Or, l’acte
du mariage n’est pas difficile mais il est plaisir. Il n’est donc pas
méritoire.
Réponse
à l’objection N°4 : La difficulté requise pour mériter la récompense
accidentelle est une difficulté de labeur ; mais la difficulté requise pour la
récompense essentielle est une difficulté à observer le moyen, et cette
difficulté se trouve dans l’acte du mariage.
Objection
N°5. Ce qui ne peut être fait sans péché véniel n’est jamais méritoire, car un
homme ne peut pas à la fois mériter et démériter. Or, il y a toujours un péché
véniel dans l’acte du mariage, puisque même le premier mouvement dans ces
plaisirs est un péché véniel. Par conséquent, l’acte susdit ne peut pas être
méritoire.
Réponse
à l’objection N°5 : Ces premiers mouvements, dans la mesure où ils sont des
péchés véniels, sont des mouvements de l’appétit vers un plaisir désordonné, ce
qui n’est pas le cas de l’acte du mariage, et ce que l’objection ne le prouve
pas.
Mais
c’est le contraire. Tout acte qui provient d’un précepte est méritoire, s’il
est exécuté avec charité. Or, l’acte du mariage est de cette espèce, car il est
dit (1 Cor., 7, 3) : Que le mari rende à sa femme ce qu’il lui
doit. Par conséquent, etc.
Tout
acte de vertu est méritoire. Or, l’acte précité est un acte de justice, car il
est appelé le paiement d’une dette. Il est donc méritoire.
Conclusion
L’acte du mariage est toujours méritoire s’il a pour cause le respect de la
religion ou la justice.
Il
faut répondre que puisqu’aucun acte qui provient
d’une volonté délibérée n’est indifférent, comme nous l’avons dit dans le
second livre (Sent. 2, dist. 40,
quest. 1, art. 3, et 1a 2æ, quest. 18, art. 9), l’acte du
mariage est toujours soit un péché soit un acte méritoire pour celui qui est en
état de grâce. Car si le motif de l’acte du mariage est une vertu, que ce soit
par justice pour payer sa dette, ou par religion, pour élever des enfants dans
le culte de Dieu, il est méritoire. Mais si le motif vient de la luxure, ce que
n’exclut pas la bénédiction du mariage, à savoir que le mari ne doit en aucun
cas vouloir trouver une autre femme, c’est un péché véniel ; tandis que s’il
est en dehors de la bénédiction du mariage, afin par exemple de faire cet acte
avec n’importe quelle femme, c’est un péché mortel. La nature, quand elle agit
d’après l’ordre de la raison, donne un acte de vertu ; mais si elle n’est pas
dirigée par elle, donne alors un acte de luxure.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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