Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 43 : Du mariage considéré par rapport aux fiançailles

 

          Nous devons ensuite nous occuper du mariage considéré d’une manière absolue. Nous avons à traiter : 1° des fiançailles ; 2° de la nature du mariage ; 3° de sa cause efficiente ou du consentement ; 4° de ses biens ; 5° de ses empêchements ; 6° des secondes noces ; 7° de certaines choses qui sont annexées au mariage. — Sur les fiançailles il y a trois questions à faire : 1° Qu’est-ce que les fiançailles ? — 2° Quels sont ceux qui peuvent les contracter ? (Les lois canoniques, dit Mgr Gousset, exigent pour la validité des fiançailles, au moins l’âge de sept ans. Mais les curés et les confesseurs devront faire tout ce qui dépendra d’eux pour détourner, non seulement de toute promesse, mais encore de toute pensée de mariage, les jeunes gens qui n’ont pas l’âge suffisant pour se marier.) — 3° Les fiançailles peuvent-elles être dirimées ?

 

Article 1 : Les fiançailles sont-elles la promesse d’un mariage futur ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable de dire que les fiançailles sont une promesse que l’on fait de s’épouser un jour, comme on le voit d’après les paroles du pape Nicolas Ier (in resp. ad consult. Bulgar., chap. 3). Car, comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 9, chap. 8), on est marié non parce que l’on fait une promesse, mais parce qu’on s’engage et qu’on donne des garants. Or, le mot époux (sponsus) vient du mot fiançailles (sponsalia). C’est donc à tort qu’on appelle les fiançailles une promesse.

          Réponse à l’objection N°1 : Ces engagements et le don des époux sont la confirmation de la promesse, et c’est pour cela qu’elle tire de là son nom comme de ce qui est le plus parfait.

 

          Objection N°2. Celui qui promet une chose doit être contraint à l’exécuter. Or, ceux qui ont contracté des fiançailles ne sont pas forcés par l’Eglise à se marier. Les fiançailles ne sont donc pas une promesse.

          Réponse à l’objection N°2 : D’après cette promesse l’un est obligé envers l’autre à se marier, et celui qui ne tient pas sa promesse pèche mortellement, à moins qu’il n’en soit légitimement empêché. En ce sens l’Eglise le contraint en lui imposant une pénitence pour sa faute. Cependant au for contentieux elle ne force pas de se marier, parce que les mariages forcés ont ordinairement des suites fâcheuses à moins que par hasard il n’y ait eu serment, parce que dans ce cas on doit contraindre, d’après le sentiment de quelques-uns, celui qui a promis, quoique d’autres ne soient pas de cet avis pour le motif que nous avons donné, surtout si l’on avait à craindre le meurtre de sa femme (Le mariage doit être libre. Tout ce qu’on peut exiger du fiancé qui ne veut plus tenir sa promesse, c’est qu’il fasse à l’autre partie une indemnité proportionnée au tort qu’il a causé.).

 

          Objection N°3. Dans les fiançailles quelquefois il n’y a pas qu’une promesse, mais on y ajoute un serment et des arrhes. Il semble donc qu’on ne doive pas les définir seulement par la promesse.

          Réponse à l’objection N°3 : Ces choses ne sont ajoutées que pour confirmer la promesse ; par conséquent elles ne sont pas autre chose que la promesse.

 

          Objection N°4. Les mariages doivent être libres et absolus. Or, les fiançailles se font quelquefois sous la condition de recevoir de l’argent. Il n’est donc pas convenable de dire qu’elles sont une promesse de mariage.

          Réponse à l’objection N°4 : Cette condition qu’on appose ne détruit pas la liberté du mariage. Car si elle est déshonnête (Toute condition déshonnête rend nulle la convention qui en dépend (Cod. civ., art. 1172).) on doit l’écarter. Si elle est honnête, ou elle se rapporte au bien absolument comme quand on dit : Je vous épouserai si mes parents y consentent, et cette condition ne détruit pas la liberté des fiançailles, mais elle y ajoute la convenance ; ou bien elle a pour objet l’utile, comme quand on dit : Je ferai alliance avec vous si vous me donnez telle somme. Dans ce cas cette condition n’est pas mise comme si l’on vendait son consentement de mariage, mais on la regarde comme une promesse de dot. Le mariage ne perd donc pas pour cela sa liberté. Quelquefois on appose la condition d’argent à titre de peine. Alors cette condition n’est pas exigible parce que les mariages doivent être libres, et on ne peut exiger cette peine de celui qui ne veut pas contracter le mariage.

 

          Objection N°5. La promesse qui a pour objet les choses futures est blâmée (Jacques, chap. 4). Or, il ne doit rien y avoir de blâmable à l’égard d’un sacrement. On ne doit donc pas promettre de se marier dans un temps à venir.

          Réponse à l’objection N°5 : Saint Jacques n’a pas l’intention de défendre de faire absolument aucune promesse à l’égard des choses futures, mais il veut qu’on ne promette pas, comme si l’on avait l’assurance de vivre. Ainsi il enseigne qu’on doit ajouter la condition si Dieu le veut, et quand même on n’exprimerait pas cette condition par paroles, on devrait néanmoins l’avoir au fond du cœur.

 

          Objection N°6. Le mot d’époux (sponsus) ne vient que des fiançailles (sponsalia). Or, on a le nom d’époux en vertu du mariage que l’on contracte présentement, comme on le voit (Sent. 4, dist. 27). Les fiançailles ne sont donc pas toujours la promesse d’un mariage futur.

          Réponse à l’objection N°6 : Dans le mariage on peut considérer l’union matrimoniale et son acte. Par la promesse (sponsio) de la première chose que l’on fait pour l’avenir, le nom d’époux (sponsus) se dit des fiançailles (sponsalibus) que l’on contracte par des paroles qui se rapportent à l’avenir. Par suite de la promesse de la seconde on reçoit aussi le nom d’époux, même quand le mariage est contracté per verba de præsenti, parce que par là même on promet l’acte du mariage. Cependant les fiançailles (sponsalia) proprement dites se disent de la première promesse et elles sont des choses sacramentelles qui sont à l’égard du mariage ce que l’exorcisme est à l’égard du baptême.

 

          Conclusion Puisque le consentement à l’union conjugale exprimé au futur ne produit pas le mariage, les fiançailles (sponsalia) qui viennent du mot spondere ne sont pas le mariage, mais la promesse de se marier un jour.

          Il faut répondre que le consentement à l’union conjugale exprimé per verba de futuro ne produit pas le mariage, mais une promesse de mariage, et c’est cette promesse qu’on appelle fiançailles (sponsalia) du verbe spondere, promettre, comme le dit saint Isidore (loc. cit.). Car avant l’usage des tables ils se donnaient réciproquement des cautions de mariage d’après lesquelles ils s’engageaient à consentir l’un envers l’autre aux droits du mariage et ils donnaient des garants. Cette promesse se fait de deux manières, absolument et sous condition. Absolument elle a lieu de quatre manières : 1° Par une simple promesse, quand on dit : Je vous prendrai pour mon épouse, et réciproquement. 2° En donnant des arrhes de fiançailles, comme de l’argent ou toute autre chose. 3° En donnant un anneau à titre d’arrhe. 4° En faisant intervenir le serment. Si cette promesse se fait sous condition, il faut distinguer. Car la condition peut être honnête, comme quand on dit : Je vous prendrai si mes parents y consentent, et alors la condition étant remplie la promesse oblige, et du moment qu’elle n’est pas remplie la promesse ne subsiste plus. Ou bien la condition est déshonnête, et elle peut l’être de deux façons, ou parce qu’elle est contraire aux biens du mariage, comme si l’on disait : Je vous épouserai si vous vous rendez stérile en prenant certains breuvages, et dans ce cas les fiançailles ne sont pas contractées, ou elle n’est pas contraire à ces biens, comme je vous épouserai si vous consentez à mes vols. Alors la promesse subsiste, mais il faut enlever la condition.

 

Article 2 : L’âge de sept ans a-t-il été convenablement assigné pour contracter les fiançailles ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’âge de sept ans n’ait pas été convenablement assigné pour contracter les fiançailles. Car un contrat qui peut être fait par d’autres ne requiert pas l’âge de raison dans ceux qu’il concerne. Or, les fiançailles peuvent être faites par les parents, à l’insu des deux parties qui en sont l’objet. Elles peuvent être donc faites avant l’âge de sept ans comme après.

          Réponse à l’objection N°1 : Si avant l’âge de puberté les fiançailles sont contractées par un autre, les deux parties intéressées peuvent réclamer ou l’une des deux peut le faire. Par conséquent il n’y a rien de fait alors et il n’en résulte aucune affinité. C’est pourquoi les fiançailles qui sont contractées par d’autres personnes entre deux enfants n’ont de force qu’autant que les parties contractantes ne réclament pas quand elles sont arrivées à l’âge légitime ; si elles ne réclament pas, on les regarde comme consentant à ce que les autres ont fait.

 

          Objection N°2. Comme on requiert l’usage de raison pour contracter les fiançailles, de même on le requiert pour consentir au péché mortel. Or, saint Grégoire raconte (Dialog., liv. 4, chap. 18) qu’un enfant de cinq ans fut enlevé par le démon pour avoir fait un blasphème. On peut donc aussi contracter des fiançailles avant l’âge de raison.

          Réponse à l’objection N°2 : Il y en a qui disent que l’enfant dont parle saint Grégoire ne fut pas damné et qu’il ne pécha pas mortellement ; mais que cette vision eut lieu pour contrister le père qui avait péché dans cet enfant en ne le corrigeant pas. mais cette opinion est expressément contraire à la pensée de saint Grégoire qui dit (loc. cit. in arg.) que le père en négligeant l’âme de ce petit enfant élevé un grand pécheur pour les flammes de l’enfer. — C’est pourquoi il faut dire que pour un péché mortel il suffit de consentir à une chose présente, tandis que dans les fiançailles le consentement a pour objet une chose future. Et comme il faut plus de discernement pour prévoir l’avenir que pour consentir à un acte présent, il s’ensuit que l’homme peut pécher mortellement avant de pouvoir s’obliger à quelque chose pour l’avenir.

 

          Objection N°3. Les fiançailles se rapportent au mariage. Or, pour le mariage on n’assigne pas le même temps pour les filles que pour les garçons. Pour les fiançailles on ne doit donc pas assigner l’âge de sept ans pour l’un et l’autre.

          Réponse à l’objection N°3 : Pour le temps où l’on peut contracter mariage, on requiert des dispositions non seulement du côté de la raison dont on doit avoir l’usage, mais encore du côté du corps qui doit être capable d’engendrer. Et comme les filles peuvent être aptes à l’acte de génération dès l’âge de douze ans, tandis que les garçons ne le sont que sur la fin de leur quatorzième année, comme le di Aristote (Hist. anim., liv. 7, circ. princ. lib.) ; au lieu qu’ils ont l’un et l’autre en même temps l’usage de raison qui est la seule chose qui soit requise dans les fiançailles ; il s’ensuit que pour les fiançailles on détermine le même temps pour l’un et l’autre, tandis qu’on ne le fait pas dans le mariage.

 

          Objection N°4. Les parties peuvent contracter les fiançailles du moment que le mariage projeté peut leur plaire. Or, on voit souvent des signes de cette disposition dans les enfants avant sept ans. Donc ils peuvent contracter les fiançailles avant cette époque.

          Réponse à l’objection N°4 : Cette disposition qui se trouve dans les enfants avant l’âge de sept ans ne provient pas ne provient pas de l’usage parfait de la raison puisqu’ils ne sont pas encore susceptibles de raisonner, mais elle résulte plutôt du mouvement de la nature que de la raison elle-même. C’est pourquoi cette inclination réciproque ne suffit pas pour les fiançailles.

 

          Objection N°5. Si on contractait les fiançailles avant la septième année et qu’ensuite après la septième année avant l’âge de puberté on fasse alliance per verba de præsenti, on considère qu’il y a fiançailles entre les parties contractantes. Or, cela ne résulte pas du second contrat ; parce qu’alors il ne se proposent pas de contracter les fiançailles, mais le mariage. Donc cela résulte du premier, et par conséquent on peut contracter les fiançailles avant sept ans.

          Réponse à l’objection N°5 : Quoique par le second contrat il n’y ait pas mariage dans ce cas, cependant ils montrent qu’ils ratifient leur première promesse, et c’est pour cela que le premier contrat est affermi par le second.

 

          Objection N°6. Dans les choses qui sont faites en commun par plusieurs ce qui manque à l’un est suppléé par l’autre, comme on le voit à l’égard de ceux qui traînent un navire. Or, le contrat de fiançailles est une action commune entre les contractants. Par conséquent si l’un a l’âge de puberté, il peut contracter les fiançailles avec une fille qui n’a pas sept ans ; parce que ce qui manque de temps à l’un est compensé par ce que l’autre a de trop.

          Réponse à l’objection N°6 : Ceux qui traînent un navire agissent comme une cause unique ; c’est pourquoi ce qui manque à l’un peut être supplée par l’autre. Mais ceux qui contractent des fiançailles agissent comme des personnes distinctes, parce que les fiançailles ne peuvent se faire qu’entre deux ; c’est pour cela qu’il faut qu’il y ait dans l’un et l’autre tout ce qu’il faut pour faire un contrat. Ce qui manque à l’un empêche donc les fiançailles et ne peut être supplée par l’autre.

 

          Objection N°7. Si on approche de l’âge de puberté et qu’on se marie per verba de præsenti auparavant, on croit qu’il y a mariage entre les contractants. Donc pour la même raison si avant l’âge de sept ans, pourvu qu’on en approche, on contracte per verba de futuro, on doit croire que les fiançailles existent.

          Réponse à l’objection N°7 : Pour les fiançailles également, si ceux qui les contractent ont à peu près l’âge de sept ans, le contrat est valide ; parce que d’après Aristote (Phys., liv. 2, text. 56) quand il manque peu de chose, c’est considéré comme rien. Il y en a qui donnent une latitude de six mois. Mais il vaut mieux qu’on s’en rapporte pour cette détermination à l’état des parties contractantes ; parce que l’usage de raison est plus précoce dans les uns que dans les autres.

 

          Conclusion On peut contracter les fiançailles à la fin du premier septenaire, comme on peut contracter mariage et entrer en religion à la fin du second, et s’obliger civilement à la fin du troisième.

          Il faut répondre que la septième année est l’époque que le droit a déterminée assez raisonnablement pour contracter les fiançailles. Car puisque les fiançailles sont des promesses qui regardent l’avenir, comme nous l’avons dit (art. préc.), il faut qu’elles soient faites par ceux qui peuvent faire de quelque manière une promesse. Et il n’y a que ceux qui peuvent prévoir l’avenir, ce qui suppose l'usage de raison. A l’égard du développement de la raison on distingue trois degrés, d’après Aristote (Eth., liv. 1, chap. 4, in fin.). Le premier quand on ne comprend pas par soi-même et qu’on ne peut apprendre d’un autre. Le second c’est quand on peut recevoir quelque chose d’un autre, mais qu’on n’est pas capable de la considérer et de la comprendre par soi-même. Le troisième quand on peut recevoir d’un autre et considérer par soi-même. Et comme la raison se fortifie dans l’homme peu à peu suivant que le mouvement et la fluidité des humeurs se calment, il s’ensuit que l’homme est au premier état de la raison avant le premier septenaire, et c’est pour cela que pendant ce temps il n’est pas apte à aucun contrat et que par conséquent il ne peut se fiancer. On commence à arriver au second état sur la fin du premier septenaire. C’est pour cela qu’à dater de ce moment on envoie les enfants dans les écoles. L’homme commence à arriver à son troisième état sur la fin du second septenaire, relativement aux choses qui appartiennent à sa personne ; sa raison naturelle se fortifie alors ; mais par rapport aux choses qui sont hors de lui il les obtient sur la fin du troisième septenaire. C’est pourquoi avant le premier septenaire l’homme n’est apte à aucun contrat ; mais sur la fin du premier septenaire il commence à être apte à promettre quelque chose pour l’avenir, surtout à l’égard des choses auxquelles la raison naturelle incline le plus. Cependant il n’est pas apte à se lier par un lien perpétuel parce qu’il n’a pas encore une volonté ferme, et c’est pour cela que pendant ce temps il peut contracter les fiançailles. Mais sur la fin du second septenaire il peut s’obliger à l’égard de ce qui regarde sa personne, soit qu’il s’agisse d’entrer en religion, soit qu’il s’agisse de se marier. Après le troisième septenaire il peut s’obliger même à l’égard des autres choses. Ainsi la loi lui donne le pouvoir de disposer de ses biens après sa vingt-deuxième année.

 

Article 3 : Les fiançailles peuvent-elles être dirimées ?

 

          Objection N°1. Il semble que les fiançailles ne puissent pas être dirimées quand l’un des deux entre en religion. Car je ne puis pas licitement m’obliger envers quelqu’un pour de l’argent que j’ai promis à un autre. Or, celui qui contracte des fiançailles promet son corps à une femme. Il ne peut donc pas s’offrir encore à Dieu en religion.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette promesse est détruite par la mort spirituelle, puisqu’elle n’est que spirituelle, comme on le dira (quest. 61, art. 2).

 

          Objection N°2. Il semble que les fiançailles ne doivent pas être dirimées quand l’une des parties s’en va dans un pays éloigné. Car dans le doute il faut toujours choisir le parti le plus sûr. Or, il serait plus sûr de l’attendre. Donc on est tenu de le faire.

          Réponse à l’objection N°2 : Le doute provient de ce que l’une des parties ne se présente pas dans le temps marqué pour accomplir le mariage. Si ce n’est pas par sa faute que le mariage n’a pu s’accomplir, il peut licitement se marier à un autre sans faire de péché. Mais s’il est cause que le mariage n’a pas eu lieu, il doit faire pénitence du péché qu’il a commis en manquant à sa promesse ou en violant son serment, si le serment a eu lieu ; et il peut se marier avec un autre, s’il le veut, d’après le jugement de l’Eglise.

 

          Objection N°3. il semble qu’elles ne soient pas dirimées par une infirmité que l’on encourt après qu’elles ont été contractées. Car on ne doit pas être puni pour une peine. Or, l’homme qui encourt une infirmité est puni par là même qu’on lui enlève le droit qu’il avait sur celle qui lui avait été promise. Donc les fiançailles ne doivent pas être dirimées pour une infirmité corporelle.

          Réponse à l’objection N°3 : Si avant de contracter mariage, un des fiancés vient à encourir une infirmité grave qui ruine sa santé (comme l’épilepsie ou la paralysie), ou qu’il le déforme (comme s’il avait le nez coupé ou s’il perdait les yeux), ou qui soit contraire au bien des enfants (comme la lèpre qui a coutume de souiller les descendants), les fiançailles peuvent être dirimées dans la crainte qu’ils se déplaisent mutuellement et que le mariage ainsi contracté ait une mauvaise issue. On n’est pas puni alors pour une peine, mais il résulte d’une peine un dommage ; ce qui ne répugne pas.

 

          Objection N°4. Il semble qu’elles ne soient pas dirimées à cause d’une affinité qui survient, comme dans le cas où le fiancé aurait des rapports charnel avec la parente de sa fiancée, parce que dans ce cas la fiancée serait punie pour le péché du fiancé ; ce qui ne convient pas.

          Réponse à l’objection N°4 : Si un fiancé a des rapports charnels avec la parente de sa fiancée ou réciproquement, les fiançailles doivent être alors dirimées. Pour établir le fait, la renommée seule suffit à cause du scandale que l’on doit éviter. Car les causes qui doivent produire leurs effets à l’avenir en sont empêchées non seulement par ce qui est, mais encore par ce qui doit arriver. Par conséquent comme l’affinité, si elle eût existé au moment où les fiançailles ont été contractées, eût empêché ce contrat, de même si elle se présente avant la mariage qui est un effet des fiançailles, elle empêche le premier contrat d’avoir son effet. Dans ce cas, on ne fait pas de tort à l’autre partie, mais on lui est utile, parce qu’on la dégage de quelqu’un qui par sa fornication s’est rendu odieux à Dieu.

 

          Objection N°5. Il semble que les fiancés ne puissent se dégager réciproquement. Car il y aurait une grande légèreté à faire tout d’abord un contrat et à le dissoudre ensuite. Or, l’Eglise ne doit pas le supporter. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°5 : Il y en a qui n’admettent pas ce cas. Mais ils sont en opposition avec le droit commun qui dit expressément (chap. Præterea hi, De spons. et matrim.) qu’à l’imitation de ceux qui contractent une société et qui se rendent ensuite la foi qu’ils se sont donnée, on peut tolérer avec patience que ceux qui ont contracté des fiançailles se rendent mutuellement leurs engagements. Ils répondent à cela que l’Eglise, dans la crainte qu’il n’arrive quelque chose de pire, le supporte, plutôt qu’elle l’autorise. Mais cette opinion ne semble pas d’accord avec l’exemple que cite la Décrétale. C’est pourquoi il faut dire qu’il n’y a pas toujours de la légèreté à rétracter ce que l’on a auparavant décidé ; parce que nos prévisions sont incertaines, comme le dit la Sagesse (9, 14).

 

          Objection N°6. Il semble que les fiançailles ne soient pas dirimées à cause de la fornication de l’une des parties. Car par les fiançailles l’un ne reçoit pas encore pouvoir sur le corps de l’autre, et par conséquent il semble qu’ils ne pèchent pas l’un contre l’autre, s’ils viennent à forniquer pendant ce temps. Les fiançailles ne doivent donc pas être dirimées.

          Réponse à l’objection N°6 : Quoique ceux qui ont contracté des fiançailles ne se soient pas encore mutuellement donné pouvoir sur leurs corps, cependant ils se rendent par là suspects l’un à l’autre relativement à la foi qu’ils devraient se garder à l’avenir. C’est pourquoi l’un peut prendre ses précautions à l’égard de l’autre, en dirimant ses fiançailles.

 

          Objection N°7. Il semble qu’elles ne soient pas dirimées par un contrat fait avec un autre per verba de præsenti. Car une seconde vente ne déroge pas à la première. Le second contrat ne peut donc pas déroger au premier.

          Réponse à l’objection N°7 : Cette raison serait concluante, si les deux contrats étaient de même nature ; mais le second contrat, le contrat de mariage, l’emporte sur le premier et c’est pour cela qu’il le détruit.

 

          Objection N°8. Il semble que les fiançailles ne puissent pas être dirimées par le défaut d’âge. Car ce qui n’est pas ne peut être dissous. Or, les fiançailles faites avant l’âge déterminé n’existent pas. Elles ne peuvent donc pas être dirimées.

          Réponse à l’objection N°8 : Quoique les fiançailles n’aient pas été véritables, il y a eu cependant une certaine espèce de fiançailles. C’est pourquoi dans la crainte qu’arrivé à l’âge légitime on ne paraisse approuver ce qui s’est fait, on doit demander la dissolution des fiançailles qui doit être prononcée par le jugement de l’Eglise pour le bon exemple.

 

          Conclusion Les fiançailles sont dirimées de droit quand on entre en religion et quand l’une des parties contracte mariage avec un autre per verba de præsenti ; mais dans les autres cas elles sont dirimées d’après le jugement de l’Eglise.

          Il faut répondre que les fiançailles contractées dans tous les cas que l’on vient d’énumérer sont dirimées, mais de différentes manières. Car dans deux cas, c’est-à-dire quand on entre en religion et quand l’une des parties contracte mariage avec un autre per verba de præsenti, les fiançailles sont dirimées de droit, tandis que dans les autres cas elles doivent être dirimées d’après le jugement de l’Eglise (Pour la résiliation des fiançailles, il n’est pas nécessaire de recourir à l’officialité quand elles n’ont point été célébrées à l’Eglise.).

 

 

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.