Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 43 : Du mariage considéré par rapport aux
fiançailles
Nous
devons ensuite nous occuper du mariage considéré d’une manière absolue. Nous
avons à traiter : 1° des fiançailles ; 2° de la nature du mariage ; 3° de sa
cause efficiente ou du consentement ; 4° de ses biens ; 5° de ses empêchements
; 6° des secondes noces ; 7° de certaines choses qui sont annexées au mariage.
— Sur les fiançailles il y a trois questions à faire : 1° Qu’est-ce que les
fiançailles ? — 2° Quels sont ceux qui peuvent les contracter ? (Les lois
canoniques, dit Mgr Gousset, exigent pour la validité des fiançailles, au moins
l’âge de sept ans. Mais les curés et les confesseurs devront faire tout ce qui
dépendra d’eux pour détourner, non seulement de toute promesse, mais encore de
toute pensée de mariage, les jeunes gens qui n’ont pas l’âge suffisant pour se
marier.) — 3° Les fiançailles peuvent-elles être dirimées ?
Article
1 : Les fiançailles sont-elles la promesse d’un mariage futur ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable de dire que les fiançailles sont
une promesse que l’on fait de s’épouser un jour, comme on le voit d’après les
paroles du pape Nicolas Ier (in resp. ad consult. Bulgar., chap. 3). Car,
comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 9,
chap. 8), on est marié non parce que l’on fait une promesse, mais parce qu’on
s’engage et qu’on donne des garants. Or, le mot époux (sponsus) vient du mot fiançailles
(sponsalia).
C’est donc à tort qu’on appelle les fiançailles une promesse.
Réponse
à l’objection N°1 : Ces engagements et le don des époux sont la confirmation de
la promesse, et c’est pour cela qu’elle tire de là son nom comme de ce qui est
le plus parfait.
Objection
N°2. Celui qui promet une chose doit être contraint à l’exécuter. Or, ceux qui
ont contracté des fiançailles ne sont pas forcés par l’Eglise à se marier. Les
fiançailles ne sont donc pas une promesse.
Réponse
à l’objection N°2 : D’après cette promesse l’un est obligé envers l’autre à se
marier, et celui qui ne tient pas sa promesse pèche mortellement, à moins qu’il
n’en soit légitimement empêché. En ce sens l’Eglise le contraint en lui
imposant une pénitence pour sa faute. Cependant au for contentieux elle ne
force pas de se marier, parce que les mariages forcés ont ordinairement des
suites fâcheuses à moins que par hasard il n’y ait eu serment, parce que dans
ce cas on doit contraindre, d’après le sentiment de quelques-uns, celui qui a
promis, quoique d’autres ne soient pas de cet avis pour le motif que nous avons
donné, surtout si l’on avait à craindre le meurtre de sa femme (Le mariage doit
être libre. Tout ce qu’on peut exiger du fiancé qui ne veut plus tenir sa
promesse, c’est qu’il fasse à l’autre partie une indemnité proportionnée au
tort qu’il a causé.).
Objection
N°3. Dans les fiançailles quelquefois il n’y a pas qu’une promesse, mais on y
ajoute un serment et des arrhes. Il semble donc qu’on ne doive pas les définir
seulement par la promesse.
Réponse
à l’objection N°3 : Ces choses ne sont ajoutées que pour confirmer la promesse
; par conséquent elles ne sont pas autre chose que la promesse.
Objection
N°4. Les mariages doivent être libres et absolus. Or, les fiançailles se font
quelquefois sous la condition de recevoir de l’argent. Il n’est donc pas
convenable de dire qu’elles sont une promesse de mariage.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette condition qu’on appose ne détruit pas la liberté du
mariage. Car si elle est déshonnête (Toute condition déshonnête rend nulle la
convention qui en dépend (Cod. civ., art.
1172).) on doit l’écarter. Si elle est honnête, ou elle se rapporte au bien
absolument comme quand on dit : Je vous
épouserai si mes parents y consentent, et cette condition ne détruit pas la
liberté des fiançailles, mais elle y ajoute la convenance ; ou bien elle a pour
objet l’utile, comme quand on dit : Je
ferai alliance avec vous si vous me donnez telle somme. Dans ce cas cette
condition n’est pas mise comme si l’on vendait son consentement de mariage,
mais on la regarde comme une promesse de dot. Le mariage ne perd donc pas pour
cela sa liberté. Quelquefois on appose la condition d’argent à titre de peine.
Alors cette condition n’est pas exigible parce que les mariages doivent être
libres, et on ne peut exiger cette peine de celui qui ne veut pas contracter le
mariage.
Objection
N°5. La promesse qui a pour objet les choses futures est blâmée (Jacques, chap.
4). Or, il ne doit rien y avoir de blâmable à l’égard d’un sacrement. On ne
doit donc pas promettre de se marier dans un temps à venir.
Réponse
à l’objection N°5 : Saint Jacques n’a pas l’intention de défendre de faire
absolument aucune promesse à l’égard des choses futures, mais il veut qu’on ne
promette pas, comme si l’on avait l’assurance de vivre. Ainsi il enseigne qu’on
doit ajouter la condition si Dieu le veut,
et quand même on n’exprimerait pas cette condition par paroles, on devrait
néanmoins l’avoir au fond du cœur.
Objection
N°6. Le mot d’époux (sponsus)
ne vient que des fiançailles (sponsalia). Or, on a le nom d’époux en vertu du mariage que
l’on contracte présentement, comme on le voit (Sent. 4, dist. 27). Les fiançailles ne sont donc pas toujours la
promesse d’un mariage futur.
Réponse
à l’objection N°6 : Dans le mariage on peut considérer l’union matrimoniale et
son acte. Par la promesse (sponsio) de la première chose que l’on fait pour l’avenir,
le nom d’époux (sponsus)
se dit des fiançailles (sponsalibus)
que l’on contracte par des paroles qui se rapportent à l’avenir. Par suite de
la promesse de la seconde on reçoit aussi le nom d’époux, même quand le mariage
est contracté per verba de præsenti,
parce que par là même on promet l’acte du mariage. Cependant les fiançailles (sponsalia)
proprement dites se disent de la première promesse et elles sont des choses
sacramentelles qui sont à l’égard du mariage ce que l’exorcisme est à l’égard
du baptême.
Conclusion
Puisque le consentement à l’union conjugale exprimé au futur ne produit pas le
mariage, les fiançailles (sponsalia) qui viennent du mot spondere ne sont pas le mariage,
mais la promesse de se marier un jour.
Il
faut répondre que le consentement à l’union conjugale exprimé per verba de futuro ne
produit pas le mariage, mais une promesse de mariage, et c’est cette promesse
qu’on appelle fiançailles (sponsalia) du verbe spondere, promettre, comme le dit saint Isidore (loc. cit.).
Car avant l’usage des tables ils se donnaient réciproquement des cautions de
mariage d’après lesquelles ils s’engageaient à consentir l’un envers l’autre
aux droits du mariage et ils donnaient des garants. Cette promesse se fait de
deux manières, absolument et sous condition. Absolument elle a lieu de quatre
manières : 1° Par une simple promesse, quand on dit : Je vous prendrai pour mon épouse, et réciproquement. 2° En donnant
des arrhes de fiançailles, comme de l’argent ou toute autre chose. 3° En
donnant un anneau à titre d’arrhe. 4° En faisant intervenir le serment. Si
cette promesse se fait sous condition, il faut distinguer. Car la condition
peut être honnête, comme quand on dit : Je
vous prendrai si mes parents y consentent, et alors la condition étant
remplie la promesse oblige, et du moment qu’elle n’est pas remplie la promesse
ne subsiste plus. Ou bien la condition est déshonnête, et elle peut l’être de
deux façons, ou parce qu’elle est contraire aux biens du mariage, comme si l’on
disait : Je vous épouserai si vous vous
rendez stérile en prenant certains breuvages, et dans ce cas les
fiançailles ne sont pas contractées, ou elle n’est pas contraire à ces biens, comme
je vous épouserai si vous consentez à mes
vols. Alors la promesse subsiste, mais il faut enlever la condition.
Article
2 : L’âge de sept ans a-t-il été convenablement assigné pour contracter les
fiançailles ?
Objection
N°1. Il semble que l’âge de sept ans n’ait pas été convenablement assigné pour
contracter les fiançailles. Car un contrat qui peut être fait par d’autres ne
requiert pas l’âge de raison dans ceux qu’il concerne. Or, les fiançailles
peuvent être faites par les parents, à l’insu des deux parties qui en sont
l’objet. Elles peuvent être donc faites avant l’âge de sept ans comme après.
Réponse
à l’objection N°1 : Si avant l’âge de puberté les fiançailles sont contractées
par un autre, les deux parties intéressées peuvent réclamer ou l’une des deux
peut le faire. Par conséquent il n’y a rien de fait alors et il n’en résulte
aucune affinité. C’est pourquoi les fiançailles qui sont contractées par
d’autres personnes entre deux enfants n’ont de force qu’autant que les parties
contractantes ne réclament pas quand elles sont arrivées à l’âge légitime ; si
elles ne réclament pas, on les regarde comme consentant à ce que les autres ont
fait.
Objection
N°2. Comme on requiert l’usage de raison pour contracter les fiançailles, de
même on le requiert pour consentir au péché mortel. Or, saint Grégoire raconte
(Dialog., liv. 4, chap. 18) qu’un enfant de
cinq ans fut enlevé par le démon pour avoir fait un blasphème. On peut donc
aussi contracter des fiançailles avant l’âge de raison.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y en a qui disent que l’enfant dont parle saint Grégoire
ne fut pas damné et qu’il ne pécha pas mortellement ; mais que cette vision eut
lieu pour contrister le père qui avait péché dans cet enfant en ne le
corrigeant pas. mais cette opinion est expressément
contraire à la pensée de saint Grégoire qui dit (loc. cit. in arg.) que le père en négligeant l’âme de ce petit enfant
élevé un grand pécheur pour les flammes de l’enfer. — C’est pourquoi il faut
dire que pour un péché mortel il suffit de consentir à une chose présente,
tandis que dans les fiançailles le consentement a pour objet une chose future.
Et comme il faut plus de discernement pour prévoir l’avenir que pour consentir
à un acte présent, il s’ensuit que l’homme peut pécher mortellement avant de
pouvoir s’obliger à quelque chose pour l’avenir.
Objection
N°3. Les fiançailles se rapportent au mariage. Or, pour le mariage on n’assigne
pas le même temps pour les filles que pour les garçons. Pour les fiançailles on
ne doit donc pas assigner l’âge de sept ans pour l’un et l’autre.
Réponse
à l’objection N°3 : Pour le temps où l’on peut contracter mariage, on requiert
des dispositions non seulement du côté de la raison dont on doit avoir l’usage,
mais encore du côté du corps qui doit être capable d’engendrer. Et comme les
filles peuvent être aptes à l’acte de génération dès l’âge de douze ans, tandis
que les garçons ne le sont que sur la fin de leur quatorzième année, comme le
di Aristote (Hist. anim.,
liv. 7, circ. princ. lib.) ; au lieu qu’ils ont l’un
et l’autre en même temps l’usage de raison qui est la seule chose qui soit
requise dans les fiançailles ; il s’ensuit que pour les fiançailles on
détermine le même temps pour l’un et l’autre, tandis qu’on ne le fait pas dans
le mariage.
Objection
N°4. Les parties peuvent contracter les fiançailles du moment que le mariage
projeté peut leur plaire. Or, on voit souvent des signes de cette disposition
dans les enfants avant sept ans. Donc ils peuvent contracter les fiançailles
avant cette époque.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette disposition qui se trouve dans les enfants avant
l’âge de sept ans ne provient pas ne provient pas de l’usage parfait de la
raison puisqu’ils ne sont pas encore susceptibles de raisonner, mais elle
résulte plutôt du mouvement de la nature que de la raison elle-même. C’est
pourquoi cette inclination réciproque ne suffit pas pour les fiançailles.
Objection
N°5. Si on contractait les fiançailles avant la septième année et qu’ensuite
après la septième année avant l’âge de puberté on fasse alliance per verba de præsenti,
on considère qu’il y a fiançailles entre les parties contractantes. Or, cela ne
résulte pas du second contrat ; parce qu’alors il ne se
proposent pas de contracter les fiançailles, mais le mariage. Donc cela
résulte du premier, et par conséquent on peut contracter les fiançailles avant
sept ans.
Réponse
à l’objection N°5 : Quoique par le second contrat il n’y ait pas mariage dans
ce cas, cependant ils montrent qu’ils ratifient leur première promesse, et
c’est pour cela que le premier contrat est affermi par le second.
Objection
N°6. Dans les choses qui sont faites en commun par plusieurs ce qui manque à
l’un est suppléé par l’autre, comme on le voit à l’égard de ceux qui traînent
un navire. Or, le contrat de fiançailles est une action commune entre les
contractants. Par conséquent si l’un a l’âge de puberté, il peut contracter les
fiançailles avec une fille qui n’a pas sept ans ; parce que ce qui manque de
temps à l’un est compensé par ce que l’autre a de trop.
Réponse
à l’objection N°6 : Ceux qui traînent un navire agissent comme une cause unique
; c’est pourquoi ce qui manque à l’un peut être supplée par l’autre. Mais ceux
qui contractent des fiançailles agissent comme des personnes distinctes, parce
que les fiançailles ne peuvent se faire qu’entre deux ; c’est pour cela qu’il
faut qu’il y ait dans l’un et l’autre tout ce qu’il faut pour faire un contrat.
Ce qui manque à l’un empêche donc les fiançailles et ne peut être supplée par
l’autre.
Objection
N°7. Si on approche de l’âge de puberté et qu’on se marie per verba de præsenti auparavant, on croit
qu’il y a mariage entre les contractants. Donc pour la même raison si avant
l’âge de sept ans, pourvu qu’on en approche, on contracte per verba de futuro, on doit croire que les
fiançailles existent.
Réponse
à l’objection N°7 : Pour les fiançailles également, si ceux qui les contractent
ont à peu près l’âge de sept ans, le contrat est valide ; parce que d’après
Aristote (Phys., liv. 2, text. 56) quand il manque peu de chose, c’est considéré
comme rien. Il y en a qui donnent une latitude de six mois. Mais il vaut mieux
qu’on s’en rapporte pour cette détermination à l’état des parties contractantes
; parce que l’usage de raison est plus précoce dans les uns que dans les
autres.
Conclusion
On peut contracter les fiançailles à la fin du premier septenaire,
comme on peut contracter mariage et entrer en religion à la fin du second, et
s’obliger civilement à la fin du troisième.
Il
faut répondre que la septième année est l’époque que le droit a déterminée
assez raisonnablement pour contracter les fiançailles. Car puisque les
fiançailles sont des promesses qui regardent l’avenir, comme nous l’avons dit
(art. préc.), il faut qu’elles soient faites par ceux
qui peuvent faire de quelque manière une promesse. Et il n’y a que ceux qui
peuvent prévoir l’avenir, ce qui suppose l'usage de raison. A l’égard du
développement de la raison on distingue trois degrés, d’après Aristote (Eth., liv. 1, chap. 4, in fin.). Le premier
quand on ne comprend pas par soi-même et qu’on ne peut apprendre d’un autre. Le
second c’est quand on peut recevoir quelque chose d’un autre, mais qu’on n’est
pas capable de la considérer et de la comprendre par soi-même. Le troisième
quand on peut recevoir d’un autre et considérer par soi-même. Et comme la
raison se fortifie dans l’homme peu à peu suivant que le mouvement et la
fluidité des humeurs se calment, il s’ensuit que l’homme est au premier état de
la raison avant le premier septenaire, et c’est pour
cela que pendant ce temps il n’est pas apte à aucun contrat et que par
conséquent il ne peut se fiancer. On commence à arriver au second état sur la
fin du premier septenaire. C’est pour cela qu’à dater
de ce moment on envoie les enfants dans les écoles. L’homme commence à arriver
à son troisième état sur la fin du second septenaire,
relativement aux choses qui appartiennent à sa personne ; sa raison naturelle
se fortifie alors ; mais par rapport aux choses qui sont hors de lui il les
obtient sur la fin du troisième septenaire. C’est
pourquoi avant le premier septenaire l’homme n’est
apte à aucun contrat ; mais sur la fin du premier septenaire
il commence à être apte à promettre quelque chose pour l’avenir, surtout à
l’égard des choses auxquelles la raison naturelle incline le plus. Cependant il
n’est pas apte à se lier par un lien perpétuel parce qu’il n’a pas encore une
volonté ferme, et c’est pour cela que pendant ce temps il peut contracter les
fiançailles. Mais sur la fin du second septenaire il
peut s’obliger à l’égard de ce qui regarde sa personne, soit qu’il s’agisse
d’entrer en religion, soit qu’il s’agisse de se marier. Après le troisième septenaire il peut s’obliger même à l’égard des autres
choses. Ainsi la loi lui donne le pouvoir de disposer de ses biens après sa
vingt-deuxième année.
Article
3 : Les fiançailles peuvent-elles être dirimées ?
Objection
N°1. Il semble que les fiançailles ne puissent pas être dirimées quand l’un des
deux entre en religion. Car je ne puis pas licitement m’obliger envers
quelqu’un pour de l’argent que j’ai promis à un autre. Or, celui qui contracte
des fiançailles promet son corps à une femme. Il ne peut donc pas s’offrir
encore à Dieu en religion.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette promesse est détruite par la mort spirituelle,
puisqu’elle n’est que spirituelle, comme on le dira (quest. 61, art. 2).
Objection
N°2. Il semble que les fiançailles ne doivent pas être dirimées quand l’une des
parties s’en va dans un pays éloigné. Car dans le doute il faut toujours
choisir le parti le plus sûr. Or, il serait plus sûr de l’attendre. Donc on est
tenu de le faire.
Réponse
à l’objection N°2 : Le doute provient de ce que l’une des parties ne se
présente pas dans le temps marqué pour accomplir le mariage. Si ce n’est pas
par sa faute que le mariage n’a pu s’accomplir, il peut licitement se marier à
un autre sans faire de péché. Mais s’il est cause que le mariage n’a pas eu
lieu, il doit faire pénitence du péché qu’il a commis en manquant à sa promesse
ou en violant son serment, si le serment a eu lieu ; et il peut se marier avec
un autre, s’il le veut, d’après le jugement de l’Eglise.
Objection
N°3. il semble qu’elles ne soient pas dirimées par une
infirmité que l’on encourt après qu’elles ont été contractées. Car on ne doit
pas être puni pour une peine. Or, l’homme qui encourt une infirmité est puni
par là même qu’on lui enlève le droit qu’il avait sur celle qui lui avait été
promise. Donc les fiançailles ne doivent pas être dirimées pour une infirmité
corporelle.
Réponse
à l’objection N°3 : Si avant de contracter mariage, un des fiancés vient à
encourir une infirmité grave qui ruine sa santé (comme l’épilepsie ou la
paralysie), ou qu’il le déforme (comme s’il avait le nez coupé ou s’il perdait
les yeux), ou qui soit contraire au bien des enfants (comme la lèpre qui a
coutume de souiller les descendants), les fiançailles peuvent être dirimées
dans la crainte qu’ils se déplaisent mutuellement et que le mariage ainsi
contracté ait une mauvaise issue. On n’est pas puni alors pour une peine, mais
il résulte d’une peine un dommage ; ce qui ne répugne pas.
Objection
N°4. Il semble qu’elles ne soient pas dirimées à cause d’une affinité qui
survient, comme dans le cas où le fiancé aurait des rapports charnel avec la
parente de sa fiancée, parce que dans ce cas la fiancée serait punie pour le
péché du fiancé ; ce qui ne convient pas.
Réponse
à l’objection N°4 : Si un fiancé a des rapports charnels avec la parente de sa
fiancée ou réciproquement, les fiançailles doivent être alors dirimées. Pour
établir le fait, la renommée seule suffit à cause du scandale que l’on doit
éviter. Car les causes qui doivent produire leurs effets à l’avenir en sont
empêchées non seulement par ce qui est, mais encore par ce qui doit arriver.
Par conséquent comme l’affinité, si elle eût existé au moment où les
fiançailles ont été contractées, eût empêché ce contrat, de même si elle se
présente avant la mariage qui est un effet des
fiançailles, elle empêche le premier contrat d’avoir son effet. Dans ce cas, on
ne fait pas de tort à l’autre partie, mais on lui est utile, parce qu’on la
dégage de quelqu’un qui par sa fornication s’est rendu odieux à Dieu.
Objection
N°5. Il semble que les fiancés ne puissent se dégager réciproquement. Car il y
aurait une grande légèreté à faire tout d’abord un contrat et à le dissoudre
ensuite. Or, l’Eglise ne doit pas le supporter. Donc, etc.
Réponse
à l’objection N°5 : Il y en a qui n’admettent pas ce cas. Mais ils sont en
opposition avec le droit commun qui dit expressément (chap. Præterea hi, De spons. et matrim.) qu’à
l’imitation de ceux qui contractent une société et qui se rendent ensuite la
foi qu’ils se sont donnée, on peut tolérer avec patience que ceux qui ont
contracté des fiançailles se rendent mutuellement leurs engagements. Ils
répondent à cela que l’Eglise, dans la crainte qu’il n’arrive quelque chose de
pire, le supporte, plutôt qu’elle l’autorise. Mais cette opinion ne semble pas
d’accord avec l’exemple que cite la Décrétale. C’est pourquoi il faut dire
qu’il n’y a pas toujours de la légèreté à rétracter ce que l’on a auparavant
décidé ; parce que nos prévisions sont
incertaines, comme le dit la Sagesse (9, 14).
Objection
N°6. Il semble que les fiançailles ne soient pas dirimées à cause de la
fornication de l’une des parties. Car par les fiançailles l’un ne reçoit pas
encore pouvoir sur le corps de l’autre, et par conséquent il semble qu’ils ne
pèchent pas l’un contre l’autre, s’ils viennent à forniquer pendant ce temps.
Les fiançailles ne doivent donc pas être dirimées.
Réponse
à l’objection N°6 : Quoique ceux qui ont contracté des fiançailles ne se soient
pas encore mutuellement donné pouvoir sur leurs corps, cependant ils se rendent
par là suspects l’un à l’autre relativement à la foi qu’ils devraient se garder
à l’avenir. C’est pourquoi l’un peut prendre ses précautions à l’égard de
l’autre, en dirimant ses fiançailles.
Objection
N°7. Il semble qu’elles ne soient pas dirimées par un contrat fait avec un
autre per verba de præsenti.
Car une seconde vente ne déroge pas à la première. Le second contrat ne peut
donc pas déroger au premier.
Réponse
à l’objection N°7 : Cette raison serait concluante, si les deux contrats
étaient de même nature ; mais le second contrat, le contrat de mariage,
l’emporte sur le premier et c’est pour cela qu’il le détruit.
Objection
N°8. Il semble que les fiançailles ne puissent pas être dirimées par le défaut
d’âge. Car ce qui n’est pas ne peut être dissous. Or, les fiançailles faites
avant l’âge déterminé n’existent pas. Elles ne peuvent donc pas être dirimées.
Réponse
à l’objection N°8 : Quoique les fiançailles n’aient pas été véritables, il y a
eu cependant une certaine espèce de fiançailles. C’est pourquoi dans la crainte
qu’arrivé à l’âge légitime on ne paraisse approuver ce
qui s’est fait, on doit demander la dissolution des fiançailles qui doit être
prononcée par le jugement de l’Eglise pour le bon exemple.
Conclusion
Les fiançailles sont dirimées de droit quand on entre en religion et quand
l’une des parties contracte mariage avec un autre per verba de præsenti ; mais dans les autres
cas elles sont dirimées d’après le jugement de l’Eglise.
Il
faut répondre que les fiançailles contractées dans tous les cas que l’on vient
d’énumérer sont dirimées, mais de différentes manières. Car dans deux cas,
c’est-à-dire quand on entre en religion et quand l’une des parties contracte
mariage avec un autre per verba de præsenti,
les fiançailles sont dirimées de droit, tandis que dans les autres cas elles
doivent être dirimées d’après le jugement de l’Eglise (Pour la résiliation des
fiançailles, il n’est pas nécessaire de recourir à l’officialité quand elles
n’ont point été célébrées à l’Eglise.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.