Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 46 : Du consentement auquel vient s’adjoindre le serment ou l’union charnelle

 

          Nous devons ensuite considérer le consentement auquel vient s’adjoindre le serment ou l’union charnelle. A cet égard deux questions se présentent : 1° Le serment joint au consentement exprimé per verba de futuro produit-il le mariage ? — 2° L’union charnelle le produit-elle en venant s’adjoindre à ce même consentement ?

 

Article 1 : Le serment adjoint au consentement exprimé per verba de futuro produit-il le mariage ?

 

          Objection N°1. Il semble que le serment adjoint au consentement exprimé per verba de futuro produise le mariage. Car personne ne peut s’obliger à agir contrairement au droit divin. Or, on est tenu de droit divin de remplir son serment, comme on le voit d’après ces paroles (Matth., 5, 33) : Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous aurez faits. Donc aucune obligation postérieure ne peut dispenser l’homme de remplir le serment qu’il a fait auparavant. Par conséquent si après avoir donné son consentement à une personne per verba de futuro, et après l’avoir confirmé par un serment, on s’oblige envers un autre per verba de præsenti, il semble qu’on doive néanmoins observer son premier serment. Cependant il n’en serait pas ainsi si le serment n’avait pas ratifié le mariage. Donc le serment, joint au consentement exprimé per verba de futuro, produit le mariage.

          Réponse à l’objection N°1 : Il est de droit divin de remplir un serment licite, mais non de remplir un serment illicite. Par conséquent si une obligation subséquent rend illicite un serment, quoiqu’il ait été licite auparavant, celui qui n’observe pas le serment qu’il a fait auparavant ne déroge pas au droit divin. Et c’est précisément ce qui a lieu dans le cas présent. Car il jure illicitement celui qui promet illicitement, et il n’est pas permis de promettre ce qui appartient à autrui. Ainsi le consentement qui suit per verba de præsenti, par lequel on donne la propriété de son corps à un autre, rend le serment antérieur illicite, de licite, qu’il était auparavant.

 

          Objection N°2. La vérité divine est plus forte que la vérité humaine. Or, une chose est confirmée au moyen du serment, d’après la vérité divine. Par conséquent puisque les paroles qui expriment le consentement per verba de præsenti et qui ne renferment que la vérité humaine rendent le mariage parfait, il semble que les paroles de futuro, confirmées par le serment, puissent produire beaucoup plutôt le même effet.

          Réponse à l’objection N°2 : La vérité divine est la plus efficace pour confirmer la chose à laquelle on l’applique.

 

          Objection N°3. D’après saint Paul (Héb., 6, 16) : Le serment est la plus grande assurance que les hommes puissent se donner pour terminer leurs différends. Par conséquent dans le jugement on doit s’en tenir au serment plutôt qu’à une simple parole. Si donc on donne son consentement à une personne par une simple parole, per verba de præsenti, après avoir consenti à en prendre une autre avec serment, per verba de futuro, il semble que d’après le jugement de l’Eglise on doive être contraint à s’unir à la première et non à la seconde.

 

          Objection N°4. Les paroles prononcées simplement de futuro produisent les fiançailles. Or, le serment opère quelque chose. Il produit donc plus que les fiançailles. Et comme au-delà des fiançailles il n’y a que le mariage, il produit donc le mariage.

          Réponse à l’objection N°4 : Le serment opère quelque chose ; il ne produit pas une obligation nouvelle, mais il confirme celle qui a été prise, et par conséquent celui qui la viole pèche plus grièvement.

 

          Mais c’est le contraire. Ce qui doit arriver n’existe pas. Or, le serment qui s’ajout au consentement n’empêche pas que les paroles de futuro signifient le consentement qui se rapporte à l’avenir. Le mariage n’existe donc pas encore.

          Après que le mariage est parfait, il n’est pas nécessaire qu’un autre consentement intervienne par rapport au mariage lui-même. Or, après le serment il advient un autre consentement qui produit le mariage ; autrement il serait inutile de jurer que cela sera. Donc ce serment ne produit pas le mariage.

 

          Conclusion Le consentement exprimé per verba de futuro ne produit nullement le mariage, quand même il serait appuyé par un serment.

          Il faut répondre que le serment est employé pour confirmer ce que l’on dit. Par conséquent il confirme seulement ce que les paroles signifient, et il n’en change pas la signification. C’est pourquoi puisque les paroles de futuro doivent à leur signification même de ne pas produire le mariage, parce que ce que l’on promet dans l’avenir n’est pas encore fait, il s’ensuit que malgré le serment qu’on fait, le mariage n’est pas encore ratifié, comme le dit le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 28).

          La réponse au troisième argument est évidente.

 

Article 2 : L’union charnelle faite après le consentement exprimé per verba de futuro produit-elle le mariage ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’union charnelle faite après le consentement exprimé per verba de futuro produise le mariage, car consentir par l’acte est plus important que de le faire par la parole. Or, celui qui a une union charnelle consent par l’acte à la promesse qu’il a faite précédemment. Il semble par conséquent que ceci produise bien plus le mariage que quand on consent per verba de præsenti.

          Réponse à l’objection N°1 : Celui qui a une union charnelle consent par l’acte à l’union sexuelle mais ne consent pas au mariage pour cela sauf d’après l’interprétation de la loi.

 

          Objection N°2. Le consentement ne doit pas être seulement explicite mais aussi interprétatif pour produire le mariage. Or, il n’y a pas de meilleure interprétation du consentement que l’union charnelle. Elle accomplit donc par ceci le mariage.

          Réponse à l’objection N°2 : L’interprétation n’altère pas la vérité de la matière, mais change le jugement au sujet des choses externes.

 

          Objection N°3. Toute union charnelle en dehors du mariage est un péché. Or, il ne semble pas que la femme pèche en acceptant d’avoir une union charnelle avec son fiancé. Elle produit par conséquent le mariage.

          Réponse à l’objection N°3 : Si la femme accepte de s’unir à son fiancé, parce qu’elle pense qu’il désire consommer le mariage, elle est excusée du péché, à moins qu’il n’y ait des signes clairs de fraude ; par exemple, s’ils diffèrent considérablement de par la naissance ou la fortune, ou si d’autres preuves évidentes apparaissent. Néanmoins, le fiancé est coupable de fornication, et devrait être puni pour la fraude qu’il a commise.

 

          Objection N°4. Le péché ne peut être remis tant que la restitution de ce qui a été pris n’a pas été faite, comme le dit saint Augustin (Epist. ad Macedon.). Or, un homme ne peut pas rendre ce qu’il pris à une femme qu’il a violée sous prétexte de mariage tant qu’il ne l’épouse pas. Il semble donc que, même s’il fait un contrat per verba de præsenti avec une autre, il soit obligé de garder la première ; ce qui ne peut être possible que s’il est marié à elle. Par conséquent, l’union charnelle faite après le consentement exprimé per verba de futuro produit le mariage.

         Réponse à l’objection N°4 : Dans un cas de ce genre, le fiancé, avant son mariage avec l’autre femme, est obligé de se marier avec celle qui est sa fiancée, si elle est de rang supérieur ou égal au sien. Mais s’il s’est marié avec une autre femme, il n’est plus capable de remplir cette obligation, d’où il lui suffit de pourvoir aux frais de son mariage. Selon certains, il n’est pas même obligé de le faire si l’autre fiancé de la femme est de bien plus haut rang qu’elle, ou s’il y a des signes évidents de fraude, parce qu’il peut supposer avec probabilité que sa fiancée n’a pas été trompée mais qu’elle faisait semblant de l’être.

 

         Mais c’est le contraire. Le pape Nicolas Ier dit (resp. ad consult. Bulgar., chap. 3 et habet., chap. Tuas dudùm, De clandest. spons.) : S’il manque le consentement du mariage, les autres choses, comme l’’union charnelle, sont sans effet.

          Ce qui vient après une chose ne la produit pas. Or, l’union charnelle vient après le mariage, comme l’effet suit la cause. Elle ne peut par conséquent pas produire le mariage.

 

          Conclusion L’union charnelle accompagnée du consentement, d’après le for de l’Eglise, produit le mariage, et le for de la conscience le permet aussi, mais si le consentement intérieur manque, il ne le produit pas.

          Il faut répondre que nous pouvons parler du mariage de deux manières. 1° Par rapport au for de la conscience, et dans ce cas aucune union charnelle ne peut accomplir le mariage dont la promesse a été faite per verba de futuro, si le consentement intérieur manque, parce que la parole, même exprimée au présent, ne peut produire le mariage en l’absence du consentement mental, comme nous l’avons vu (quest. préc., art. 4). 2° Par rapport au jugement de l’Eglise ; et puisque le jugement du for extérieur est donné en accord avec des preuves externes, et comme rien n’exprime plus clairement le consentement que l’union charnelle, il s’ensuit que, d’après le jugement de l’Eglise, l’union charnelle qui suit les fiançailles produit le mariage, à moins qu’il n’y ait des signes clairs de dol ou de fraude (extra, De sponsalib. et matrim., chap. Is qui fidem, ex Gregorio IX, et chap. Tua nos, ex Innocentio III).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.