Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 47 : Du consentement contraint et conditionnel
Nous
devons ensuite nous occuper du consentement contraint et conditionnel. A cet
égard six questions se présentent : 1° Un consentement peut-il être contraint ?
— 2° La coaction de la crainte peut-elle agir sur un homme constant ? — 3° Le
consentement contraint détruit-il le mariage ? — 4° Le consentement contraint
produit-il le mariage par rapport à celui qui use de contrainte ? — 5° Le
consentement conditionnel produit-il le mariage ? (Le consentement conditionnel
de præsenti
vel præterito ne
rend pas le mariage invalide, mais il le rend illicite. les curés doivent
refuser leur ministère à ces sortes de mariage.) — 6° Peut-on être forcé par
son père à contracter mariage ?
Article
1 : Un consentement peut-il être forcé ?
Objection
N°1. Il semble qu’un consentement ne puisse être contraint. Car la contrainte
ne peut s’exercer sur le libre arbitre dans aucun de ses états, comme nous l’avons
dit (Sent., liv. 2, dist. 25, quest.
1, art. 2). Or, le consentement est un acte du libre arbitre. Il ne peut donc
pas être contraint.
Objection
N°2. La violence est la même chose que la contrainte. Or, la contrainte,
d’après Aristote (Eth., liv. 3, chap. 1), est une chose dont
le principe est extérieur, en sorte que celui qui est l’objet de l’action n’y
contribue en rien. Or, le principe de tout consentement est intérieur. Aucun
consentement ne peut donc être contraint.
Objection
N°3. Tout péché est consommé par le consentement. Or, ce qui est la
consommation du péché ne peut être contraint ; parce que d’après saint Augustin
(De lib arb., liv. 3, chap. 18) personne ne
pèche à l’égard de ce qu’il ne peut éviter. Par conséquent puisqu’en droit (liv.
1, ff. De eo quod metûs, etc.), on
définit la violence une force qui est d’une si grande puissance qu’on ne peut
la repousser, il semble que le consentement ne puisse pas être contraint ou
violenté.
Objection
N°4. La domination est opposée à la liberté. or, la
contrainte appartient à la domination, comme on le voit dans une définition
qu’en donne Cicéron. Car il dit que la violence est l’action d’une puissance
dominatrice qui retient une chose dans des limites qui lui sont étrangères. La
violence ne tombe donc pas sur le libre arbitre, et par conséquent elle ne
tombe pas non plus sur le consentement qui est son acte.
Mais
c’est le contraire. Une chose qui ne peut pas âtre ne peut en empêcher une
autre. Or, la contrainte du consentement empêche le mariage, comme le dit le
Maître des sentences (Sent. 4, dist.
29). Le consentement peut donc être forcé.
Dans
le mariage il y a un contrat. Or, dans les contrats la volonté peut être
contrainte ; ainsi le législateur remet entièrement les choses dans leur premier
état, parce qu’il ne considère pas comme valide ce qui est fait par violence ou
par crainte (liv. 1, ff. sup. cit.). Il ne peut donc
y avoir aussi dans le mariage un consentement forcé.
Conclusion
Quoique dans le mariage le consentement ne puisse pas être absolument forcé,
cependant il peut y avoir violence sous un rapport.
Il
faut répondre qu’il y a deux sortes de contrainte ou de violence. L’une qui
produit une nécessité absolue, c’est cette contrainte qu’Aristote dit (loc.
sup. cit.) absolument violente, comme quand on pousse quelqu’un corporellement
à un mouvement. L’autre qui produit une nécessité conditionnelle, et c’est
celle-là qu’Aristote appelle une violence mixte, comme quand on jette ses
marchandises à la mer dans la crainte d’un naufrage. Dans ce cas, quoique ce
que l’on fait ne soit pas volontaire par lui-même, cependant cela est
volontaire par rapport aux circonstances dans lesquelles on se trouve alors. Et
comme les actes existent d’après les conditions particulières, il s’ensuit que
cette action est absolument involontaire et qu’elle n’est involontaire que sous
un rapport. Par conséquent cette violence ou cette contrainte peut exister dans
le consentement qui est un acte de la volonté, tandis que la première ne le
peut pas. Et comme cette contrainte résulte de ce qu’on redoute un danger
imminent, il s’ensuit que cette violence est la même chose que la crainte qui
force la volonté d’une certaine manière, au lieu que la première violence porte
sur les actes corporels. Et parce que le législateur en
considère pas seulement les actes intérieurs, mais plutôt les actes extérieurs,
il en résulte que par la violence il entend la contrainte absolument ; et c’est
pour cela qu’il distingue la violence de la crainte par opposition. Or,
maintenant il s’agit du consentement intérieur, sur lequel ne porte pas la
contrainte, mais la violence qui se distingue de la crainte. C’est pour ce
motif que quant à ce qui regarde notre thèse, la contrainte est la même chose
que la crainte. D’ailleurs la crainte d’après les jurisconsultes est le trouble
que l’âme éprouve à cause du péril pressant ou futur (liv. sup. cit.).
La
réponse aux objections est par là même évidente. Car les premières raisons
reposent sur la première espèce de contrainte, et les autres sur la seconde.
Article
2 : La coaction de la crainte peut-elle agir sur un homme constant ?
Objection
N°1. Il semble que la coaction de la crainte n’agisse pas sur un homme
constant. Car il est de la nature d’un homme constant de ne pas trembler dans
les dangers. Par conséquent puisque la crainte est un trouble de l’âme qui
résulte d’un péril imminent, il semble que l’homme constant ne soit pas forcé
par la crainte.
Réponse
à l’objection N°1 : Le constant est intrépide, comme Aristote le dit du fort (Eth., liv. 3, chap. 6), il ne craint pas ce
qu’il ne faut pas, ni où, ni quand cela n’est pas nécessaire.
Objection
N°2. La mort est la fin de toutes les choses redoutables, d’après Aristote (Eth., liv. 3, chap. 6), comme étant de
toutes les choses redoutables celle qui occupe le premier rang. Or, ceux qui
sont braves ne sont pas contraints par la mort ; parce que celui qui est
courageux affronte les dangers de mort. Il n’y a donc pas de crainte qui agisse
sur un homme brave.
Réponse
à l’objection N°2 : Les péchés sont les plus grands des maux, c’est pourquoi
l’homme constant ne peut être forcé d’aucune manière à leur égard et même il
doit mourir plutôt que de les supporter, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 6 et 9). Mais il y a
des pertes corporelles qui sont moindres que d’autres ; les plus graves sont
celles qui se rapportent à la personne ; comme la mort, les coups, le viol et
la servitude. C’est pourquoi ces maux forcent l’homme constant à supporter
d’autres peines corporelles. Ces maux sont renfermés dans ce vers : Stupri, sive statûs, verberis, atque necis. Que ces maux se
rapportent à sa propre personne ou à celle des autres il n’y a pas de
différence.
Objection
N°3. Parmi les autres périls les gens de bien craignent surtout pour leur
réputation. Or, la crainte de la diffamation n’est pas considérée comme une
crainte qui agit sur celui qui est grave, parce que, comme le dit la loi (liv.
7, ff. De eo quod metûs, etc.), la
crainte de perdre sa réputation n’est pas comprise sous cette formule : Ce que l’on fait par crainte. Il n’y a
donc pas de crainte qui agisse sur un homme brave.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique la perte de la réputation soit un tort très grave,
cependant on peut facilement y remédier. C’est pour ce motif que d’après le
droit on ne considère pas la crainte de la diffamation comme ayant pouvoir sur
un homme constant.
Objection
N°4. La crainte est coupable dans celui qui est contraint par elle ; parce
qu’elle lui fait promettre ce qu’il ne veut pas tenir et par conséquent elle le
fait mentir. Or, il n’est pas d’un homme brave de faire par une crainte
quelconque un péché même le plus léger. Il n’y a donc pas de crainte qui agisse
sur un homme brave.
Réponse
à l’objection N°4 : L’homme constant n’est pas forcé de mentir, parce qu’alors
il veut donner ; mais néanmoins il veut ensuite demander la restitution ou du
moins faire sa dénonciation au juge, s’il a promis de ne pas demander la
restitution. Mais il ne peut pas promettre de ne pas faire de dénonciation ;
parce que cet engagement étant contraire au bien de la justice il ne peut pas y
être contraint, de manière à agir contrairement à la justice.
Mais
c’est le contraire. Abraham et Isaac furent des hommes courageux
. Or, ils ont eu peur, puisqu’ils ont dit par craintes que leurs épousés
étaient leur sœurs (Gen., chap. 17 et 26). Un homme brave peut donc être accessible à la
crainte.
Partout
où la violence mixte existe il y a une crainte coactive. or,
quelque brave qu’on soit on peut subir cette violence, car si on est en mer on jettera
ses marchandises dans un temps de naufrage. La crainte peut donc agir sur un
homme constant.
Conclusion
la coaction de la crainte peut agir sur un homme constant, de manière qu’il
tolère un mal moindre pour en éviter un plus grand.
Il
faut répondre que quand on dit que la crainte frappe sur quelqu’un, c’est comme
si l’on disait qu’il est contraint par la crainte. Or, on est contraint par la
crainte quand pour éviter ce que l’on craint, on fait quelque chose qu’on ne
ferait pas dans d’autres circonstances. Dans ce cas l’homme sage se distingue
de l’inconstant sous deux rapports. 1° Quant à la qualité du péril qu’on
redoute ; parce que l’homme sage et constant suit la droite raison par laquelle
il sait ce qu’il doit laisser ou ce qu’il doit faire. Ainsi il sait qu’il doit
toujours choisir le plus petit mal ou le plus grand bien. C’est pourquoi le
sage est contraint par la crainte d’un mal plus grand à supporter un mal
moindre ; mais il n’est pas contraint à supporter un mal plus grand pour en
éviter un moindre. Au contraire l’inconscient est contraint à un plus grand mal
par la crainte d’un mal moindre, c’est-à-dire qu’il est porté au péché par la
crainte des peines corporelles. Mais l’opiniâtre ne peut pas être contraint à
supporter ou à faire un mal moindre pour en éviter un plus grand. Le constant
tient par conséquent le milieu entre l’inconstant et l’opiniâtre. 2° Ils
diffèrent quant à l’appréciation du péril qui les menace. Car le constant n’est
contraint que par des prévisions fondées et probables, tandis que l’inconstant
l’est par des motifs légers, d’après ces paroles (Prov., 28, 11) : L’impie fuit
sans que personne le poursuive.
Article
3 : Le consentement contraint détruit-il le mariage ?
Objection
N°1. Il semble que le consentement forcé ne détruise pas le mariage. Car, comme
on requiert le consentement pour le mariage, de même on requiert l’intention
pour le baptême. Or, celui qui est forcé par la crainte à se faire baptiser
reçoit néanmoins ce sacrement. Donc Celui qui est forcé par crainte à donner
son consentement à un mariage est obligé par ce mariage même.
Réponse
à l’objection N°1 : L’intention n’est pas la cause efficient du sacrement dans
le baptême, mais elle produit seulement l’action de celui qui le confère, au
lieu que le consentement est la cause efficiente dans le mariage, et c’est pour
cela qu’il n’y a pas de parité.
Objection
N°2. La violence mixte, d’après Aristote (Eth., liv. 3, chap. 5), tient plus du volontaire que de
l’involontaire. Or, le consentement ne peut être forcé que par la violence
mixte. Le volontaire n’est donc absolument pas détruit, et par conséquent le
mariage existe encore.
Réponse
à l’objection N°2 : Toute espèce de volontaire ne suffit pas pour le mariage,
mais il faut un volontaire complet parce que le mariage doit être perpétuel ;
et c’est pour cela qu’une violence mixte l’empêche.
Objection
N°3. Il semble qu’on doive conseiller à celui qui a été forcé de consentir à un
mariage de s’en tenir à ce mariage ; parce que quand on promet et qu’on ne tient
pas il y a là une apparence de mal, dont l’Apôtre veut qu’on s’abstienne (1 Thess.,
chap. 5). Or, il n’en serait pas ainsi, si le consentement forcé détruisait
absolument le mariage. Donc, etc.
Réponse
à l’objection N°3 : On ne doit pas toujours engager celui qui en est là à
persévérer dans ce mariage, mais on ne doit le faire que quand on a un péril à
craindre de sa dissolution ; dès lors, en agissant autrement, il ne pèche pas.
Car il n’y a pas même une apparence de mal à ne pas acquitter une promesse qu’on
a faite malgré soi.
Mais
c’est le contraire. Le droit dit (chap. Cùm locum, De sponsal. et matrim.) : Le consentement n’ayant pas lieu, dès qu’il y a
crainte ou coaction, il est nécessaire que lorsque l’assentiment de chacun est
requis on écarte toute espèce de violence. Or, dans le mariage on requiert le
consentement des deux parties. Donc, etc.
Le
mariage signifie l’union du Christ avec l’Eglise qui est produite par un amour
parfaitement libre. Il ne peut donc pas être l’effet d’un consentement forcé.
Conclusion
Le mariage étant un lien perpétuel et la crainte qui agit sur un homme constant
étant contraire à cette perpétuité, il est manifeste que le consentement que
cette crainte force détruit le mariage.
Il
faut répondre que le lien du mariage est perpétuel. Par conséquent, ce qui
répugne à la perpétuité détruit le mariage. Or, la crainte qui agit sur un
homme détruit la perpétuité d’un contrat, parce qu’il peut demander qu’on le
remette dans son ancien état. C’est pourquoi la coaction de la crainte qui agit
sur un homme constant détruit le mariage, mais il n’en est pas de même d’une
autre. Or, on regarde comme un homme constant l’homme vertueux qui sert de mesure
pour toutes les actions humaines, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 4). — D’autres disent que si le consentement est
réel, quoique forcé, le mariage existe intérieurement par rapport à Dieu, mais
non par rapport à l’Eglise qui présume qu’il n’y a pas eu consentement
intérieur à cause de la crainte. Mais cette opinion n’est pas fondée. Car
l’Eglise ne doit pas présumer de quelqu’un qu’il a péché, tant qu’elle n’en a
pas de preuves. Or, celui qui dirait qu’il consent, tandis qu’il ne consent
pas, pécherait. L’Eglise présume donc qu’il a
consenti, mais elle juge que ce consentement extorqué n’est pas suffisant pour
produire le mariage.
Article
4 : Le consentement forcé produit-il le mariage de la part de celui qui use de
contrainte ?
Objection
N°1. Il semble que le consentement forcé produise le mariage au moins de la
part de celui qui use de contrainte. Car le mariage est un signe de l’union
spirituelle. Or, l’union spirituelle que la charité produit peut se rapporter à
celui qui n’a pas la charité. Donc le mariage peut aussi se rapporter à celui
qui ne le veut pas.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique l’acte de celui qui aime puisse se porter sur celui
qui n’aime pas, cependant il ne peut y avoir union entre eux qu’autant qu’ils
s’aiment mutuellement. C’est pourquoi Aristote dit (Eth., liv. 8, chap. 2) que l’amitié qui consiste dans une certaine
union exige une réciprocité d’affection.
Objection
N°2. Si la personne qui a été contrainte vient ensuite à consentir, le mariage
devient véritable. Or, celui qui a usé de contrainte tout d’abord n’est pas lié
d’après le consentement subséquent de l’autre partie. Il l’était donc d’après
son premier consentement.
Réponse
à l’objection N°2 : Le consentement libre de celui qui a été d’abord contraint
ne produit le mariage qu’autant que le consentement antérieur subsiste encore
dans l’autre selon toute sa force. Par conséquent, s’il retirait son
consentement le mariage n’existerait pas.
Mais
c’est le contraire. Le mariage est une relation d’égalité. Or, cette relation
existe pareillement dans les deux parties. Par conséquent, s’il y a empêchement
de la part de l’un, il n’y a pas mariage de la part de l’autre.
Conclusion
Le mariage de deux personnes indiquant entre elles relation et union, le
consentement forcé détruit le mariage de la part de celui qui violente, comme
de la part de celui qui est violenté.
Il
faut répondre que le mariage étant une relation et une relation ne pouvant
naître dans l’un des extrêmes sans être dans l’autre, il s’ensuit que tout ce
qui empêche le mariage dans l’un l’empêche dans l’autre ; parce qu’il ne peut
pas se faire qu’on soit époux sans épouse ou qu’on soit femme sans avoir de
mari, comme on ne peut être mère sans avoir d’enfant. C’est pour cela qu’on dit
communément que le mariage n’est pas boiteux.
Article
5 : Le mariage est-il produit par un consentement conditionnel ?
Objection
N°1. Il semble qu’un consentement conditionnel ne produise pas le mariage. Car
ce qui est mis sous condition n’est pas énoncé absolument. Or, dans le mariage
il faut que ces paroles expriment absolument le consentement. Donc un consentement
conditionnel ne le produit pas.
Objection
N°2. Le mariage doit être certain. Or, quand on dit une chose sous condition,
on la rend douteuse. Un consentement de cette nature ne produit donc pas le
mariage.
Mais
c’est le contraire. Dans les autres contrats l’obligation se forme sous
condition et elle subsiste tant que la condition subsiste. Le mariage étant un
contrat, il semble donc qu’il puisse se faire par un consentement conditionnel.
Conclusion
Le consentement soumis à une condition de
præsenti qui n’est pas contraire au mariage, ou à
une condition de futuro
qui est nécessaire, produit le mariage.
Il
faut répondre que la condition qu’on suppose se rapporte au présent ou au
futur. Si elle se rapporte au présent et qu’elle ne soit pas contraire au
mariage, soit qu’elle soit honnête, soit qu’elle ne le soit pas, le mariage
subsiste du moment que la condition est remplie, et il n’existe pas si on ne la
remplit pas. Mais si la condition est contraire aux biens du mariage, il n’y a
pas de mariage comme nous l’avons dit au sujet des fiançailles (quest .43, art. 1). — Si la condition se rapporte au futur,
ou elle est nécessaire comme quand on dit si le soleil se lève demain, et alors
le mariage existe parce que ces choses futures sont présentes dans leurs causes
; ou elle est contingente, comme le don d’une certaine somme ou le consentement
des parents ; et dans ce cas il faut juger de ce consentement, comme on juge du
consentement que l’on donne per verba de futuro. Il ne produit donc pas le mariage.
La
réponse aux objections est par là évidente.
Article
6 : Peut-on être forcé par l’ordre de son père à se marier ?
Objection
N°1. Il semble qu’on puisse être forcé de se marier par l’ordre de son père. Car
il est dit (Col., 3, 20) : Enfants, obéissez en tout à vos parents.
Donc ils sont tenus aussi de leur obéir en cela.
Réponse
à l’objection N°1 : Ces paroles de saint Paul ne s’entendent pas des choses où
l’on est libre de soi-même, comme le père. Et tel est le mariage par lequel le
fils devient père.
Objection
N°2. Isaac (Gen., chap. 28) a ordonné à Jacob de
n’épouser aucune des filles de Chanaan. Or, il ne lui aurait pas donné cet
ordre, si de droit il n’avait pas eu le pouvoir de le faire. Le fils est donc
tenu d’obéir en cela au père.
Réponse
à l’objection N°2 : Jacob était tenu de faire ce que lui ordonnait Isaac, soit
à cause de la malice de ces femmes, soit parce que la race de Chanaan devait
être exterminée de la terre promise aux descendants des patriarches. C’est
pourquoi Isaac pouvait lui donner ces ordres.
Objection
N°3. Personne ne doit faire de promesse, surtout par serment, pour quelqu’un
qu’on ne peut contraindre à l’observer. Or, les parents promettent des mariages
futurs pour leurs enfants, et ils scellent leur promesse par des serments. Ils
peuvent donc par leurs ordres obliger leurs enfants à les remplir.
Réponse
à l’objection N°3 : Les parents ne jurent qu’en sous-entendant cette condition
: si les parents y consentent ; et ils sont obligés à les y engager de bonne
foi.
Objection
N°4. Le père spirituel, c’est-à-dire le pape, peut par son ordre, forcer au
mariage spirituel, c’est-à-dire à recevoir l’épiscopat. Le père selon la chair
peut donc aussi forcer à un mariage charnel.
Réponse
à l’objection N°4 : Il y a des auteurs qui disent que le pape ne peut pas
ordonner à quelqu’un de recevoir l’épiscopat ; parce que le consentement doit
être libre. Mais dans cette hypothèse la hiérarchie ecclésiastique périrait ;
car si on ne pouvait être forcé de recevoir les charges de l’Eglise, l’Eglise
ne pourrait être conservée ; puisque quelquefois ceux qui sont aptes à un
emploi ne veulent l’accepter qu’autant qu’on les y contraint. — C’est pourquoi
il faut répondre qu’il n’y a pas de parité entre ces deux cas. Car il n’y a pas
de servitude corporelle dans le mariage spirituel comme dans le mariage
corporel ; puisque le mariage spirituel est une sorte d’office qui a pour objet
la dispensation publique des choses saintes d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 4, 1) : Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ, et les
dispensateurs des mystères de Dieu.
Mais
c’est le contraire. Quand le père commande à son fils de se marier, celui-ci
peut sans péché entrer en religion. Donc il n’est pas tenu de lui obéir sous ce
rapport.
S’il
était tenu d’obéir, les fiançailles contractées par les parents, sans le
consentement de leurs enfants seraient stables. Or, ceci est contraire au droit
(chap. Ex litteris,
De desponsat. impub.).
Donc, etc.
Conclusion
Puisque le mariage assujettit l’homme à une servitude perpétuelle, le père ne
peut contraindre le fils à se marier, quoiqu’il puisse l’y engager pour une
cause raisonnable.
Il
faut répondre que le mariage étant une servitude perpétuelle, le père ne peut
pas par son ordre contraindre le fils à se marier, puisque celui-ci est de
condition libre ; mais il peut l’y engager pour une cause raisonnable. Alors ce
que le fils est par rapport à cette cause, il l’est par rapport aux ordres du
père, de manière que si cette cause le contraint par nécessité ou par
honnêteté, l’ordre du père le contraint de la même manière ; autrement il ne le
contraint nullement.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous
moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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