Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 48 : De l’objet du consentement

 

         Nous devons ensuite nous occuper de l’objet du consentement. A cet égard deux questions se présentent : 1° Le consentement qui produit le mariage est-il un consentement à l’union charnelle ? — 2° Le mariage peut-il exister d’après le consentement donné pour une cause déshonnête ?

 

Article 1 : Le consentement qui produit le mariage est-il un consentement à l’union charnelle ?

 

          Objection N°1. Il semble que le consentement qui produit le mariage soit un consentement à l’union charnelle. Car saint Jérôme dit (hab. ex August., liv. De bono viduit ; æquivalenter chap. 9, ante med.; voir chap. Voventibus, dist 27) dit qu’il est condamnable pour ceux qui ont fait vœu de virginité, non seulement de se marier, mais encore d’en avoir le désir. Ce ne serait pas condamnable si ce n’était pas contraire à la virginité, or, le mariage n’est contraire à la virginité qu’en raison de l’union charnelle. Par conséquent, le consentement de la volonté dans le mariage est un consentement à l’union charnelle.

          Réponse à l’objection N°1 : La raison pour laquelle le consentement au mariage est honteux après le vœu de virginité est que le consentement donne le pouvoir de faire ce qui est illicite, comme un homme pécherait s’il donnait à un autre homme le pouvoir de recevoir ce qu’il a en dépôt, et non pas seulement en le lui livrant. En ce qui concerne le consentement de la sainte Vierge, nous en avons parlé plus haut (Sent. 4, dist. 3, quest. 2, art. 2 et 3a pars, quest. 29, art. 2).

 

          Objection N°2. Tout ce qui peut être fait dans le mariage entre le mari et sa femme est aussi licite que ce qu’un frère et une sœur peuvent faire, à l’exception de l’union charnelle. Or, il n’y peut y avoir licitement de mariage entre eux. Le consentement du mariage est donc un consentement à l’union charnelle.

          Réponse à l’objection N°2 : Il ne peut y avoir entre frère et sœur de pouvoir sur l’autre en ce qui concerne l’union charnelle, comme il ne peut y avoir non plus d’union charnelle licite elle-même. Par conséquent, cette objection ne prouve rien.

 

          Objection N°3. Si la femme dit à l’homme : Je consens à te prendre du moment que nous ne nous unissons pas, ce n’est pas un consentement au mariage, parce qu’il contient quelque chose de contraire à la substance de ce consentement. Or, ce ne serait pas le cas si le consentement du mariage n’était pas un consentement à l’union charnelle. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°3 : Une telle condition explicite est non seulement contraire à l’acte mais aussi au pouvoir de l’union charnelle, et est par conséquent contraire au mariage.

 

          Objection N°4. Dans toutes choses, le commencement correspond à la consommation. Or, le mariage est consommé par l’union charnelle. Par conséquent, puisqu’il commence par le consentement, il semblerait que ce consentement concerne l’union charnelle.

          Réponse à l’objection N°4 : Le commencement du mariage correspond à sa consommation, comme l’habitude ou la puissance correspond à l’acte qui en est l’opération.

 

          Mais c’est le contraire. Celui qui consent à l’union charnelle ne peut être vierge de corps et d’esprit. Or, le bienheureux évangéliste Jean, après avoir consenti au mariage, a été vierge à la fois de corps mais aussi d’esprit. Il n’avait donc pas consenti à l’union charnelle.

          L’effet correspond à sa cause. Or, le consentement est la cause du mariage. Donc, puisque l’union charnelle n’est pas essentielle au mariage, il semble que le consentement qui produise le mariage ne soit pas un consentement à l’union charnelle non plus.

 

          Conclusion Comme l’union charnelle n’est pas essentielle au mariage, le consentement qui produit le mariage n’est pas un consentement à celle-ci, mais dans le mariage, l’union est ordonnée par l’union charnelle.

          Il faut répondre que le consentement qui produit le mariage est un consentement au mariage, parce que l’effet propre de la volonté est la chose voulue. D’où, selon que l’union charnelle est en relation avec le mariage, le consentement qui cause le mariage est un consentement à l’union charnelle. Cependant le mariage, comme nous l’avons dit (quest. 44, art. 1, et quest. 45 art. 1, Réponse N°2), n’est pas essentiellement l’union charnelle elle-même, mais une certaine union entre le mari et la femme, ordonnée par l’union charnelle, et par conséquent une union qui appartient au mari et à la femme dans la mesure où chacun reçoit le pouvoir sur l’autre en rapport avec l’union charnelle, qui les joint ensemble et est appelé le lien nuptial. Pour cette raison il est évident qu’il est convenable de dire que le consentement au mariage est un consentement implicite donné à l’union charnelle et non explicite ; or l’union charnelle ne peut être comprise excepté comme un effet qui est implicitement contenu dans sa cause, car le pouvoir de s’unir charnellement, qui est l’objet du consentement, est la cause de l’union charnelle, de la même manière que le pouvoir d’utiliser la propriété de quelqu’un est la cause de son utilisation.

          Les deux autres objections de la partie contraire montrent que le consentement à l’union charnelle n’est pas donné de manière explicite, ce qui est vrai.

 

Article 2 : Le mariage peut-il exister d’après le consentement donné pour une cause déshonnête ?

 

          Objection N°1. Il semble que le mariage ne puisse exister en vertu d’un consentement donné pour une cause déshonnête. Car une seule et même chose n’a qu’une raison unique. Or, le mariage est un sacrement. Il ne peut donc pas être produit quand on se propose une autre fin que celle pour laquelle Dieu l’a établi, c’est-à-dire la procréation des enfants.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce principe est vrai à l’égard de la cause absolue et principale ; mais ce qui a une fin absolue et principale peut avoir plusieurs fins secondaires et absolues et une infinité de fins par accident.

 

          Objection N°2. L’union du mariage vient de Dieu, comme on le voit d’après ces paroles (Matth., 19, 6) : Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. Or, l’union qui se forme pour des causes honteuses ne vient pas de Dieu. Elle n’est donc pas le mariage.

          Réponse à l’objection N°2 : L’union peut être prise pour la relation elle-même qui est le mariage. Cette union vient toujours de Dieu et elle est bonne, quelle que soit la cause la produise. Ou bien on peut la prendre pour l’acte de ceux qui s’unissent. Dans ce sens elle est quelquefois mauvaise, et elle ne vient pas de Dieu, absolument parlant. Il ne répugne pas d’ailleurs qu’un effet dont la cause est mauvaise vienne de Dieu, comme un enfant qui naît d’un adultère. Car l’effet ne vient pas de la cause en tant qu’elle est mauvaise, mais en tant qu’elle a quelque chose de bon, selon qu’elle vient de Dieu, quoiqu’elle n’en vienne pas absolument.

 

          Objection N°3. Dans les autres sacrements si l’on n’observe pas l’intention de l’Eglise, le sacrement n’est pas valide. Or, l’intention de l’Eglise dans le sacrement de mariage ne se rapporte pas à une cause honteuse. Donc si pour une cause honteuse on contracte mariage, le mariage ne sera pas véritable.

          Réponse à l’objection N°3 : L’intention de l’Eglise d’après laquelle elle se propose de conférer un sacrement est de nécessité pour toute espèce de sacrement ; de sorte que si l’on n’observe pas cette intention on ne produit rien dans les sacrements. Mais l’intention de l’Eglise qui a pour but l’utilité qu’on doit retirer d’un sacrement n’est pas nécessaire pour la validité du sacrement, mais seulement pour qu’il soit bien reçu. Par conséquent si on ne l’observe pas le sacrement n’en est pas moins véritable. Mais cependant celui qui néglige cette intention pèche, comme si dans le baptême on n’avait pas l’intention de rendre à l’âme sa pureté, tel que l’Eglise le propose. De même celui qui a l’intention de se marier quoiqu’il ne se propose pas la fin que l’Eglise se propose elle-même, est néanmoins marié véritablement.

 

          Objection N°4. D’après Boëce (Top., loc. cit.) : Une chose dont la fin est bonne aussi elle-même. Or, le mariage est toujours bon. Donc le mariage n’existe pas si on le contracte pour une fin mauvaise.

          Réponse à l’objection N°4 : Le mal qu’on se propose n’est pas la fin du mariage, mais la fin des parties contractantes.

 

          Objection N°5. Le mariage signifie l’union du Christ et de l’Eglise. Or, il n’y a là rien de honteux. On ne peut donc contracter mariage pour une cause honteuse.

          Réponse à l’objection N°5 : L’union elle-même est le signe de l’alliance du Christ et de l’Eglise, mais non l’action (Leur opération peut être bonne ou mauvaise, mais l’union qui est le signe sacramentel est toujours bonne.) des personnes qui sont unies. C’est pourquoi cette raison n’est pas concluante.

 

          Mais c’est le contraire. Celui qui baptise quelqu’un dans l’intention de faire un bénéfice le baptise véritablement. Donc celui qui se marie dans le but de gagner de l’argent se marie véritablement.

          Les exemples et les autorités cités par le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 30) prouvent la même chose.

 

          Conclusion Le mariage auquel on consent pour une cause déshonnête et véritable, quoique cette espèce de consentement.

          Il faut répondre que la cause finale du mariage peut se considérer de deux manières, par elle-même et par accident. La cause par elle-même du mariage est celle à laquelle le mariage se rapporte de lui-même. Cette cause est toujours bonne ; elle consiste à avoir des enfants et à éviter la fornication. Mais la cause finale par accident est ce que proposent à l’égard du mariage les parties contractantes. Et parce que ce qu’elles se proposent est une suite du mariage lui-même et que ce qui est antérieur n’et pas changé par ce qui vient ensuite, mais que c’est plutôt le contraire, il s’ensuit que le mariage ne tire pas sa bonté ou sa malice de cette cause, mais ce sont les parties contractantes dont elle est par elle-même la fin. Et comme les causes par accident sont infinies, il peut y avoir dans le mariage un nombre infini de causes accidentelles dont les unes sont honnêtes et les autres ne le sont pas.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.