Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 50 : Des empêchements de mariage en général

 

          Nous devons ensuite nous occuper des empêchements de mariage. Nous en parlerons : 1° en général ; 2° en particulier.

 

Article unique : Assigne-t-on convenablement au mariage des empêchements ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable d’assigner des empêchements au mariage. Car le mariage est un sacrement que l’on distingue par opposition des autres sacrements. Or, on n’assigne pas d’empêchements à l’égard des autres sacrements. On ne doit donc pas non plus en assigner pour le mariage.

          Réponse à l’objection N°1 : On peut aussi empêcher les autres sacrements , si l’on vient à omettre quelque chose qui soit de leur essence ou de leur solennité, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Cependant on assigne des empêchements au mariage plutôt qu’aux autres sacrements pour trois raisons. 1° Parce que le mariage exige le concours de deux individus, et c’est pour cela qu’il peut être empêché d’un plus grand nombre de manières que les autres sacrements qui ne conviennent en particulier qu’à une seule personne. 2° Parce que le mariage a sa cause en nous et en Dieu, tandis que les autres sacrements ne l’ont qu’en Dieu. Ainsi le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 16) a assigné certains empêchements à la pénitence qui existe en nous de quelque manière, tels que l’hypocrisie, les jeux, etc. 3° Parce qu’à l’égard des autres sacrements il y a précepte ou conseil, comme à l’égard des biens les plus parfaits ; tandis que pour le mariage il y a indulgence comme étant un bien moins parfait. C’est pour ce motif que pour donner une occasion d’avancer dans la perfection, on assigne au mariage plus empêchements qu’aux autres sacrements.

 

          Objection N°2. On doit empêcher une chose d’autant moins de manières qu’elle est moins parfaite. Or, le mariage est le moins parfait de tous les sacrements. On ne doit donc lui assigner aucun empêchement ou en déterminer le moins possible.

          Réponse à l’objection N°2 : Les choses les plus parfaites peuvent être empêchées d’un plus grand nombre de manières en ce sens qu’elles requièrent un plus grand nombre de choses. Mais si une chose est imparfaite et qu’on exige pour elle un plus grand nombre de choses, elle comportera aussi un plus grand nombre d’empêchements, et il en est ainsi du mariage.

 

          Objection N°3. Partout où se trouve la maladie il est nécessaire qu’on y applique le remède. Or, la concupiscence à laquelle le mariage doit remédier existe dans tout le monde. Il ne doit donc pas y avoir d’empêchement qui rende une personne absolument incapable de le contracter.

          Réponse à l’objection N°3 : Cette raison serait concluante s’il n’y avait pas de remèdes par lesquels on pût même plus efficacement subvenir à la maladie de la concupiscence, ce qui est faux.

 

         Objection N°4. On appelle illégitime ce qui est contraire à la loi. Or, les empêchements qu’on assigne au mariage ne sont pas contraires à la loi de nature. Car ils n’ont pas existé de la même manière dans tous les états du genre humain. En effet on trouve que l’on a prohibé plus de degrés de consanguinité dans un temps que dans un autre. D’ailleurs la loi humaine ne peut pas, à ce qu’il semble, créer des empêchements au mariage, parce que le mariage n’est pas d’institution humaine amis d’institution divine, comme les autres sacrements. On ne doit donc pas assigner au mariage des empêchements qui rendent les personnes incapables de le contracter.

          Réponse à l’objection N°4 : Les personnes sont dites inhabiles à contracter mariage par là même qu’elles sont en opposition avec la loi qui l’a établi. Or, le mariage selon qu’il est un devoir de la nature est établi par la loi naturelle, comme sacrement il est institué de droit divin, selon qu’il se rapporte à la société il est déterminé par la loi civile. C’est pourquoi d’après chacune de ces lois une personne peut être rendue inhabile à contracter mariage. Il n’en est pas de même des autres sacrements qui ne sont que des sacrements. Et parce que la loi naturelle reçoit des déterminations différentes selon les divers états, et que le droit positif varie aussi selon les conditions diverses des hommes dans les différents temps, le Maître des sentences établit pour ce motif (Sent. 4, dist. 34) qu’à des époques diverses il y a eu des personnes différentes frappées d’incapacité.

 

          Objection N°5. Le légitime et l’illégitime diffèrent en ce que l’un est contraire à la loi, tandis que l’autre ne lui est pas contraire. Il n’y a pas de milieu entre ces deux choses, puisqu’elles sont opposées selon l’affirmation et la négation. Il ne peut donc pas y avoir des empêchements de mariage d’après lesquels il y ait des personnes qui tiennent le milieu entre celles qui sont légitimes et celles qui ne le sont pas.

          Réponse à l’objection N°5 : La loi peut défendre une chose ou universellement ou en partie par rapport à certains cas. C’est pourquoi entre être totalement selon la loi et être totalement contre la loi, qui sont deux choses opposées d’une manière contraire et non selon l’affirmation et la négation, il ne peut y avoir un milieu qui consiste à être selon la loi sous un rapport, et contre la loi sous un autre. C’est pour cela qu’il y a des personnes qui tiennent le milieu entre celles qui sont absolument capables et celles qui sont incapables absolument.

 

          Objection N°6. L’union de l’homme et de la femme n’est licite que dans le mariage. or, toute union illicite doit être dirimée. Par conséquent si une chose empêche le mariage lorsqu’il doit être contracté, elle le dirimera après qu’il est contracté. Ainsi on ne doit donc pas assigner au mariage des empêchements qui empêchent de le contracter et qui ne le diriment pas après qu’il a été contracté.

          Réponse à l’objection N°6 : Les empêchements qui ne diriment pas le mariage contracté empêchent quelquefois celui qui doit être contracté, non de manière à le rendre invalide, mais de manière à le rendre illicite. Si néanmoins on se marie, le mariage contracté est valide, quoique celui qui le contracte pèche ; comme si on consacrait après avoir mangé, on pécherait en agissant contre les lois de l’Eglise ; néanmoins on consacrerait véritablement, parce que le jeûne de celui qui consacre n’est pas de nécessité de sacrement.

 

          Objection N°7. Aucun empêchement ne peut éloigner d’une chose ce qui entre dans sa définition. Or, l’indissolubilité entre dans la définition du mariage. Il ne peut donc pas y avoir d’empêchements qui diriment le mariage après qu’il est contracté.

          Réponse à l’objection N°7 : On ne dit pas que ces empêchements diriment le mariage contracté, comme s’ils détruisaient un mariage véritable qui a été validement contracté, mais parce qu’ils détruisent un mariage qui a été contracté de fait et non de droit. Par conséquent si un empêchement survient à un mariage qui a été convenablement fait il ne peut le détruire.

 

          Objection N°8. Mais au contraire. Il semble que les empêchements de mariage doivent être infinis. Car le mariage est un bien. Or, les défauts du bien peuvent exister d’une multitude infinie de manières, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 4, part. 4, lect. 22). les empêchements de mariage sont donc infinis.

          Réponse à l’objection N°8 : Les empêchements qui empêchent un bien quelconque par accident sont infinis, comme toutes les causes par accident. Mais les causes qui corrompent un bien par elles-mêmes sont ordonnées et déterminées, comme les causes qui les constituent ; parce que les causes de la destruction et de la formation d’une chose sont opposées, ou bien elles sont les mêmes prises en sens contraire.

 

          Objection N°9. Les empêchements de mariage résultent de l’état des individus. Or, ces conditions ou ces états sont infinis. Donc les empêchements de mariage le sont aussi.

          Réponse à l’objection N°9 : Les conditions des particuliers pris individuellement sont infinies, mais prises en général elles peuvent être ramenées à un nombre certain, comme on le voit pour la médecine et pour tous les arts pratiques qui ont pour objet les particuliers dont ils considèrent les actes et les conditions.

 

          Conclusion Les empêchements de mariage qui répugnent seulement à la solennité du sacrement, comme la défense de l’Eglise, le temps prohibé, empêchent le mariage qui doit être contracté mais ils ne diriment pas celui qu'i l’est ; tandis que ceux qui sont contraires à l’essence du sacrement, comme l’erreur, la condition, le vœu, la parenté, le crime, la différence de culte, la violence, l’ordre, le lien, l’honnêteté et l’impuissance, diriment le mariage contracté.

          Il faut répondre que dans le mariage il y a des choses qui sont de son essence et il y en a d’autres qui appartiennent à sa solennité, comme dans les autres sacrements. Et comme en écartant les choses qui appartiennent à sa solennité le sacrement reste encore véritable, il s’ensuit que les empêchements qui sont contraires à ce qui appartient à la solennité du mariage ne l’empêchent pas d’exister véritablement. On dit qu’ils empêchent le mariage qui doit être contracté, mais qu’ils ne diriment pas celui qui l’est (C’est ce qu’on appelle les empêchements prohibitifs ou prohibants. On en compte maintenant six : le défaut de publication de bans ; le défaut de consentement de la part des parents ; la différence de culte entre les catholiques et les hérétiques ; la défense de se marier en certains jours de l’année ; les fiançailles ; le vœu simple de chasteté.) : tels sont la défense de l’Eglise, le temps prohibé. Ce qui a donné lieu à ces vers : Ecclesiæ vestitum, necnon tempus feriatum, Impediunt fieri, permittunt juncta teneri. La défense de l’Eglise et le temps prohibé empêchent de faire le mariage, mais ils le laissent subsister quand il est contracté. Les empêchements qui sont contraires aux choses qui sont de l’essence du mariage ont pour effet de rendre le mariage nul. C’est pourquoi on dit que non seulement ils empêchent celui qui doit être contracté, mais ils le diriment après qu’il l’a été (C’est ce qu’on appelle les empêchements dirimants. On en compte aujourd’hui quatorze.). Ils sont renfermés dans ces vers :

 

                    Error, conditio, votum, cognatio, crimen,

                    Cultûs disparitas, vis, ordo, igamen, honestas,

                    Si sis affinis, si fortè coire nequibis (1),

                    Hæc socianda vetant connubia, facta retractant.

 

(1) : Pour compléter l’énumération, on a remplacé ce ver par les suivants : Amens, affinis, si clandestinus et impos, Si mulier sit rapta, loco nec reddita tuto. Ainsi les empêchements nouveaux ajoutés à ceux que reconnaît ici saint Thomas, ce sont : le défaut de raison et d’âge, la clandestinité et le rapt.

 

          On peut ainsi en déterminer le nombre. En effet le mariage peut-être empêché ou par rapport au contrat de mariage ou par rapport aux contractants. Sous le premier rapport le contrat de mariage étant produit par le consentement volontaire qui est détruit par l’ignorance et la violence, il en résulte deux empêchements de mariage, la violence, c’est-à-dire la contrainte, et l’erreur, qui vient de l’ignorance. C’est pourquoi le maître des sentences a traité de ces deux empêchements lorsqu’il a parlé de la cause du mariage (Sent. 4, dist. 29 et 30). Ici il parle des empêchements qui viennent des parties contractantes elles-mêmes et il les distingue ainsi. Car on peut être empêché de contracter mariage ou absolument ou par rapport à une personne. Si on l’est absolument, de manière qu’on ne puisse se marier avec qui que ce soit, cela ne peut provenir que de ce qu’on est empêché de produire l’acte du mariage. Ce qui arrive de deux manières. 1° Parce qu’on ne le peut de facto, soit parce qu’on ne le peut absolument, d’où résulte l’empêchement de l’impuissance, soit parce qu’on ne le peut librement, d’où vient l’empêchement de la condition de servitude. 2° Parce qu’on ne le peut licitement, et cela provient de ce qu’on est obligé à la continence ; ce qui arrive de deux façons, soit parce qu’on y est obligé d’après la charge qu’on a reçue, et dans ce cas c’est l’empêchement de l’ordre ; soit parce qu’on y est tenu d’après un vœu qu’on a fait, et alors c’est l’empêchement du vœu. Si on est empêché de se marier non absolument, mais par rapport à une personne, ou c’est par suite de l’obligation qu’on a contractée envers un autre, comme celui qui est déjà marié à une personne ne peut pas en épouser une autre, et on est ainsi tenu par le lien du mariage ; ou c’est parce qu’il n’y a pas entre les parties les rapports convenables, ce qui existe dans trois cas : 1° lorsqu’il y a trop de distance de l’une à l’autre, et alors c’est la disparité du culte ; 2 ° lorsqu’elles sont au contraire trop rapprochées, d’où résulte un triple empêchement celui de la parenté, puis l’affinité qui implique la proximité de deux personnes en raison d’une troisième qui a été mariée, et l’honnêteté publique qui est fondée sur la proximité de deux personnes en raison d’une troisième qui a été fiancée ; 3° à cause de l’union illégitime que l’on a tout d’abord contracté avec la femme qu’on veut épouser. De là l’empêchement du crime de l’adultère qu’on a auparavant commis avec elle.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.