Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 52 : De l’empêchement de la condition de servitude
Nous
devons ensuite nous occuper de l’empêchement de la condition de servitude. A
cet égard quatre questions se présentent : 1° La condition de la servitude
empêche-t-elle le mariage ? (La condition de la servitude est un empêchement
dirimant, quand une personne libre épouse une personne qui est esclave, la
croyant libre.) — 2° Le serf peut-il se marier sans le consentement de son maître
? — 3° Après qu’il est marié, peut-il se rendre serf sans le consentement de sa
femme ? — 4° Les enfants doivent-ils suivre la condition du père ou de la mère
?
Article
1 : La condition de la servitude empêche-t-elle le mariage ?
Objection
N°1. Il semble que la condition de la servitude n’empêche pas le mariage. Car
le mariage n’est empêché par une chose qu’autant qu’elle lui est opposée. Or,
la servitude n’a rien de contraire au mariage ; autrement les serfs ne
pourraient pas marier entre eux. Elle n’empêche donc pas le mariage.
Réponse
à l’objection N°1 : La servitude est contraire au mariage en ce qui concerne
l’acte par lequel le mariage lie une partie à l’autre, parce qu’elle empêche la
libre exécution de cet acte ; et aussi en ce qui concerne le bien des enfants
qui devient sujet à la même condition en raison de la servitude des parents.
Cependant, puisque tout le monde peut librement subir un tort dans ce qui lui
est dû, si une des parties sait que l’autre est serve, le mariage est néanmoins
valide. De même, il y a dans le mariage une obligation égale des deux côtés
pour s’acquitter de la dette, et aucune partie ne peut exiger de l’autre une
plus grande obligation que celle à laquelle elle est tenue. Donc, si un serf se
marie à une serve, pensant qu’elle est libre, le mariage ne peut être rendu
invalide. Il est par conséquent évident que la servitude n’est un empêchement
au mariage que quand elle est inconnue de l’autre partie, même si celle-ci est
dans une condition libre. Ainsi rien n’empêche le mariage entre serfs, ou même
entre un homme libre et une serve.
Objection
N°2. Ce qui est contre nature ne peut pas empêcher ce qui est conforme à la
nature. Or, la servitude est contre nature, parce que, comme le dit saint
Grégoire (Past., part. 2, chap. 6) il est contre
nature que l’homme veuille dominer sur son semblable. Ce qui est encore évident
d’après ce qui a été dit à l’homme (Gen., chap. 1) de commander aux poissons de la mer,
etc. et non de commander à l’homme. La servitude ne peut donc pas empêcher le
mariage qui est une chose naturelle.
Réponse
à l’objection N°2 : Rien n’empêche qu’une chose soit contraire à la nature
quant à sa première intention, sans lui être contraire quant à sa seconde
intention. Ainsi toute corruption, tout défaut, la vieillesse est-même est contre nature, comme le dit Aristote (De cœlo, liv.
2, text. 37), parce que la nature a pour but l’être
et la perfection ; cependant ces choses ne sont pas contraires à la seconde
intention de la nature, parce que du moment que la nature ne peut conserver
l’être dans un individu, elle le conserve dans un autre qui naît de la
corruption d’un troisième, et quand elle ne peut pas mener un individu à une
perfection plus grande, elle s’arrête à une moindre, comme quand elle ne peut pas
faire un mâle, elle fait une femelle qui est un mâle imparfait selon
l’expression d’Aristote (De an., liv.
10, seu De gener. anim., liv. 2, chap. 3
ad fin.). De même je dis aussi que la servitude est contre l’intention première
de la nature, mais non contre la seconde. Car le but de la raison naturelle et
ce que veut la nature, c’est que chacun soit bon. Mais du moment que l’on
pèche, la nature veut aussi que l’on reçoive la peine de sa faute, et c’est
ainsi que la servitude a été introduite en punition du péché. D’ailleurs il ne
répugne pas qu’une chose naturelle soit de la sorte empêchée par ce qui est
contre nature. Car le mariage est ainsi empêché par l’impuissance qui est
contre nature de la manière dont nous venons de le dire.
Objection
N°3. Si elle est un empêchement, cet empêchement est de droit naturel ou de
droit positif. Or, il n’est pas de droit naturel, parce que d’après le droit
naturel tous les hommes sont égaux, comme le dit saint Grégoire (loc. cit.), et au commencement des
Digestes (l. Manumissionis,
f. De just. et jure) il est
dit aussi que la servitude n’est pas de droit naturel. Le droit positif descend
aussi du droit naturel, selon la pensée de Cicéron, (De invent., liv. 2, aliquant. antè fin.). La
servitude ne peut donc empêcher le mariage d’après aucun droit.
Réponse
à l’objection N°3 : Le droit naturel proclame qu’on doit infliger la peine pour
la faute, et que personne ne doit être puni sans avoir péché ; mais c’est au
droit positif à déterminer la peine selon la condition de la personne et de la
faute. C’est pourquoi la servitude, qui est une peine déterminée, est de droit
positif et part du droit naturel, comme ce qui est déterminé vient de ce qui
est indéterminé, et c’est aussi d’après une détermination du droit positif que
la servitude qu’on ignore empêche le mariage, dans la crainte qu’on ne soit
puni sans être coupable. Car c’est une peine pour une femme d’avoir pour mari
un serf, et réciproquement.
Objection
N°4. Ce qui empêche le mariage l’empêche également, soit qu’on le sache, soit
qu’on l’ignore, comme on le voit à l’égard de la consanguinité. Or, la
servitude de l’un quand elle est connue par l’autre n’empêche pas le mariage.
Donc la servitude ne peut pas, autant qu’il est en elle, empêche le mariage, et
par conséquent on ne devrait pas la considérer comme un empêchement de mariage
distinct des autres.
Réponse
à l’objection N°4 : Il y a des empêchements qui rendent le mariage illicite. Et
comme ce n’est pas notre volonté qui rend une chose licite ou illicite, mais la
loi à laquelle la volonté doit être soumise, il s’ensuit que l’ignorance d’un
empêchement de cette nature qui détruit le volontaire, ou sa connaissance, ne
fait rien pour rendre le mariage valide ou invalide. Tels sont l’affinité, ou
le vœu, ou les autres empêchements semblables. Mais il y a des empêchements qui
rendent le mariage inefficax ad solutionem deiti. Et parce qu’il est en notre pouvoir de faire la
remise de ce qui nous est dû, il s’ensuit que ces empêchements, s’ils sont
connus (Ils ne l’empêchent pas au point de vue de l’erreur, mais ils peuvent
l’empêcher d’après leur propre nature.) ne détruisent pas le mariage ; ils ne
le détruisent que quand l’ignorance exclue le volontaire. Tel est l’empêchement
de la servitude et tel est celui de l’impuissance. Et parce qu’ils ont aussi
par eux-mêmes une raison d’empêchement, on en fait pour ce motif des
empêchements spéciaux, indépendamment de l’erreur. Mais le changement de la
personne ne produit pas un empêchement spécial autre que celui de l’erreur,
parce que l’introduction d’une autre personne ne produit un empêchement qu’en
raison de l’intention de la partie contractante.
Objection
N°5. Comme il arrive qu’on se trompe à l’égard de la servitude en pensant libre
celui qui est serf, de même il peut y avoir erreur au sujet de la liberté en
prenant pour un serf celui qui est libre. Or, on ne fait pas de la liberté un
empêchement de mariage. On ne doit donc pas non plus en faire un de la
servitude.
Réponse
à l’objection N°5 : La liberté n’empêche pas l’acte du mariage ; par conséquent
la liberté qu’on ignore n’est pas un empêchement.
Objection
N°6. La maladie de la lèpre rend la société du mariage plus pénible et nuit
plus aux enfants que la servitude. Or, la lèpre n’est pas un empêchement de
mariage. Donc on ne doit pas non plus en faire un de la servitude.
Réponse
à l’objection N°6 : la lèpre n’empêche pas le mariage quant à son premier acte,
parce que les lépreux peuvent librement debitum reddere, quoiqu’ils rendent le mariage très désastreux
quant à ses effets secondaires. C’est pour cela qu’elle n’est pas un
empêchement, comme la servitude.
Mais
c’est le contraire. D’après le droit (chap. Ad
nostra) l’erreur de la condition empêche le
mariage qui doit être contracté et dirime celui qui l’est.
Le
mariage est du nombre des biens que l’on doit rechercher par eux-mêmes en tant
qu’il est honnête. Au contraire la servitude est du nombre des choses que l’on
doit fuir pour elles-mêmes. Le mariage et la servitude sont donc contraires, et
par conséquent la servitude empêche le mariage.
Conclusion
Puisque le mariage oblige de s’acquitter de la dette conjugale avec l’autre, la
condition de la servitude, qui enlève la faculté de s’acquitter de cette dette,
dirime nécessairement le mariage si elle est ignorée.
Il
faut répondre que dans le contrat de mariage, une partie est liée à l’autre
afin de s’acquitter de la dette. D’où, si quelqu’un qui s’est ainsi lié est
incapable de s’acquitter de cette dette, l’ignorance de cette incapacité, du
côté de la partie à qui il s’est lié, rend le contrat nul. Or, comme une
impuissance, en ce qui concerne les rapports sexuels, rend une personne
incapable de s’acquitter de la dette, à tel point qu’elle reste entière, de
même la servitude rend incapable de s’en acquitter librement. Par conséquent,
puisque l’ignorance ou l’impuissance sont un empêchement en ce qui concerne les
rapports charnels si elles sont ignorées mais ne le sont pas si elles sont
connues, de même la condition de servitude est un empêchement si elle est
ignorée, mais ne l’est pas si elle est connue.
Article
2 : Le serf peut-il contracter mariage sans le consentement de son maître ?
Objection
N°1. Il semble que le serf ne puisse pas contracter mariage sans le
consentement de son seigneur. Car on ne peut donner à quelqu’un ce qui
appartient à un autre, sans le consentement de ce dernier. Or, le serf est la
chose du maître. Il ne peut donc pas, en se mariant, donner pouvoir sur son
corps à sa femme sans le consentement de son seigneur.
Réponse
à l’objection N°1 : Le serf est la chose du seigneur à l’égard de ce qui se
surajoute aux actes naturels, mais par rapport aux actes naturels eux-mêmes
tous les hommes sont égaux. par conséquent, en ce qui
appartient aux actes naturels, un serf peut par le mariage transférer à un
autre pouvoir sur son corps, malgré son seigneur.
Objection
N°2. Le serf est tenu d’obéir à son seigneur. Or, le seigneur peut lui ordonner
de ne pas consentir au mariage. Il ne peut donc pas contracter mariage sans son
consentement.
Réponse
à l’objection N°2 : Le serf est tenu d’obéir à son maître dans les choses que
celui-ci peut licitement lui commander. Or, comme le seigneur ne peut pas
licitement commander au serf de ne pas manger ou de ne pas dormir, il ne peut
non plus lui ordonner de s’abstenir de se marier. Car il importe au législateur
de quelle manière chacun use de sa chose. C’est pourquoi si le seigneur ordonne
à un serf de ne pas se marier, celui-ci n’est pas tenu de lui obéir.
Objection
N°3. Après le contrat de mariage, le serf est lié par un précepte de la loi
divine à s’acquitter de sa dette avec sa femme. Or, au moment où sa femme
demande le paiement de sa dette, son seigneur peut lui demander un service
qu’il sera incapable d’accomplir s’il est occupé par des relations charnelles.
Par conséquent, si un serf peut se marier sans le consentement de son seigneur,
celui-ci sera privé d’un service qui lui est dû sans qu’il n’y ait aucune faute
de sa part, ce qui ne devrait pas être.
Réponse
à l’objection N°3 : Si un serf qui s’est marié avec le consentement de son
seigneur, il devrait passer outre le service commandé par son seigneur et
s’acquitter de sa dette envers son épouse, parce que le seigneur, en consentant
au mariage de son serf, a consenti implicitement à tout ce qu’implique le mariage.
Si, cependant, le mariage a été contracté sans la connaissance ou le
consentement du seigneur, il n’est pas obligé de s’acquitter de sa dette, mais
il doit plutôt obéir à son seigneur, si les deux choses sont incompatibles. Néanmoins,
dans de telles matières, il y a à considérer beaucoup de cas particuliers,
comme dans tous les actes humains, à savoir le danger auquel la chasteté de sa
femme est exposée, et l’obstacle qui oppose le paiement de la dette au service
commandé, ainsi que d’autres considérations similaires ; tout ceci devant être
pesé comme il convient afin qu’il soit possible de juger auquel des deux le
serf devra obéir de préférence, son seigneur ou son épouse.
Objection
N°4. Le seigneur peut vendre son serf pour des pays étrangers où son épouse ne
pourra le suivre, soit parce qu’elle n’en aura pas la force corporelle, soit à
cause du péril imminent que courrait sa foi, dans le cas, par exemple, où il
serait venu à des infidèles ; soit encore parce que le seigneur de la femme ne
le lui permettrait pas si elle était serve, et le mariage serait ainsi dissous,
ce qui ne serait pas convenable. Un serf ne peut donc pas contracter mariage
sans le consentement de son seigneur.
Réponse
à l’objection N°4 : Dans ce cas le seigneur doit être contraint de vendre son
serf, de telle façon qu’il ne rende pas les devoirs du mariage trop onéreux,
surtout quand il a la faculté de vendre partout son serf pour un prix
raisonnable.
Objection
N°5. L’obligation par laquelle l’homme s’engage au service de Dieu est plus
graciable que celle par laquelle il se soumet à une femme. Or, un serf, sans le
consentement de son seigneur, ne peut entrer en religion ni être promu aux
ordres. Il peut donc encore beaucoup moins se marier sans son consentement.
Réponse
à l’objection N°5 : En entrant en religion ou en recevant les ordres on
s’oblige au service de Dieu pour la totalité du temps ; tandis qu’un mari n’est
pas obligé de satisfaire son épouse toujours, mais seulement au temps
convenable. C’est pourquoi il n’y a pas de parité. De plus celui qui entre en
religion ou qui reçoit un ordre s’oblige à des œuvres qui sont surajoutées aux
choses naturelles ; le seigneur a pouvoir sur ces œuvres, tandis qu’il n’a pas
de pouvoir sur les actes naturels auxquels il s’oblige par le mariage. Il
pourrait donc faire vœu de continence sans le consentement de son seigneur.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (Gal.,
3, 28) : En Jésus-Christ il n’y a ni
serf, ni homme libre. Donc, pour contracter mariage dans la foi du Christ,
les hommes libres et les serfs ont la même liberté.
La
servitude est de droit positif. Or, le mariage est de droit naturel et de droit
divin. Donc puisque le droit positif ne préjudicie ni au droit naturel, ni au
droit divin, il semble que le serf puisse contracter mariage sans le
consentement du seigneur.
Conclusion
Puisque le mariage se rapporte au droit naturel et la servitude au droit
positif, le serf peut librement se marier sans le consentement de son maître.
Il
faut répondre que le droit positif, comme nous l’avons dit (art. préc. ad 3), provient du droit naturel. C’est pourquoi la
servitude, qui est de droit positif, ne peut pas préjudicier à ce qui est de
droit naturel. Or, comme l’appétit naturel a pour but la conservation de
l’individu, de même il a pour but la conservation de l’espèce par la
génération. Par conséquent, comme le serf n’est pas soumis au seigneur au point
de ne pouvoir librement manger et dormir, et faire les autres choses de cette
nature qui sont nécessaires à l’entretien du corps, et sans lesquelles la
nature ne peut se conserver ; de même il ne lui est pas soumis non plus au
point de ne pouvoir librement se marier, même à son insu ou malgré lui.
Article
3 : La servitude peut-elle survenir au mariage ?
Objection
N°1. Il semble que la servitude ne puisse pas survenir au mariage, de manière
qu’un homme marié se vende à un autre en servitude. Car ce qui est fait en
fraude et au préjudice d’un autre ne doit pas être ratifié. Or, l’homme qui se
vend pour être serf le fait quelquefois en fraude du mariage, et à tout le
moins au détriment de sa femme. Une pareille vente ne doit donc pas valider
pour établir la servitude.
Réponse
à l’objection N°1 : La fraude peut bien nuire à celui qui la fait, mais elle ne
peut porter préjudice à un autre. C’est pourquoi, si un homme se donne en
servitude à un autre en fraude de sa femme, il en supporte la peine en perdant
le bien inestimable de la liberté ; or ceci ne peut porter préjudice en aucune
manière à sa femme, et il doit toujours s’acquitter de sa dette quand elle le
demande, et aussi faire tout ce que le mariage exige de lui, car il ne peut pas
être déchargé de ses obligations par le commandement de son seigneur.
Objection
N°2. Deux choses favorables préjudicient à l’une qui ne l’est pas. Or, le
mariage et la liberté sont favorables et répugnent à la servitude qui n’est pas
favorable en droit. Donc cette servitude doit être absolument anéantie dans le
mariage.
Réponse
à l’objection N°2 : En tant que la servitude répugne au mariage, le mariage
préjudicie à la servitude ; puisque le serf est alors obligé de s’acquitter de
sa dette envers sa femme, même si son seigneur s’y oppose.
Objection
N°3. Dans le mariage l’homme et la femme sont jugés sur le pied de l’égalité.
Or, la femme ne peut pas se donner pour serve sans le consentement du mari.
Donc le mari ne le peut pas non plus sans le consentement de sa femme.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique dans l’acte du mariage et dans les choses qui
regardent la nature et auxquelles la condition de la servitude ne s’étend
point, l’homme et la femme soient jugés sur le pied de l’égalité, cependant
quant à l’administration de la maison et aux autres choses de ce genre qui sont
surajoutées à la nature, l’homme est le chef de la femme et doit la corriger et
non réciproquement. C’est pourquoi l’épouse ne peut se donner en servitude sans
le consentement de son mari.
Objection
N°4. Ce qui empêche la génération d’une chose dans l’ordre naturel détruit
aussi la chose engendrée. Or, la servitude de l’homme, si elle est ignorée de
la femme, empêche l’acte du mariage avant qu’il ne soit fait. Donc si elle
pouvait survenir au mariage, elle le détruirait, ce qui répugne.
Réponse
à l’objection N°4 : Ce raisonnement s’appuie sur les choses corruptibles, parmi
lesquelles il y en a beaucoup qui empêchent la génération et qui ne suffisent
pas pour détruire la chose engendrée. Mais dans les choses perpétuelles il peut
y avoir des empêchements capables d’empêcher la chose de commencer d’être, mais
qui ne peuvent la faire cesser une fois qu’elle existe, comme on le voit à
l’égard de l’âme raisonnable. Il en est de même du mariage qui est un lien
perpétuel, tant que dure la vie présente
Mais
c’est le contraire. Tout le monde peut donner à un autre ce qui est à soi. Or,
l’homme s’appartient, puisqu’il est libre. Donc il peut donner son droit à un
autre.
Le
serf peut se marier sans le consentement de son seigneur, comme nous l’avons
dit (art. préc.). Donc pour la même raison l’homme
peut se soumettre au seigneur sans que l’épouse le veuille.
Conclusion
L’homme n’étant soumis à la femme que dans ce qui regarde l’acte de la nature,
peut se donner en servitude à un autre sans le consentement de sa femme.
Il
faut répondre que l’homme n’est soumis à la femme que dans les choses qui
appartiennent à l’acte de nature, dans lesquelles ils sont égaux et auxquelles
la soumission de la servitude ne s’étend pas. C’est pourquoi l’homme peut se
donner en servitude à un autre sans le consentement de sa femme. Cependant le
mariage n’est pas pour cela dissous, parce qu’aucun empêchement qui survient au
mariage ne peut le dissoudre, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 1,
Réponse N°7).
Article
4 : Les enfants doivent-ils suivre la condition du père ?
Objection
N°1. Il semble que les enfants doivent suivre la condition du père. Car la
dénomination se tire de ce qu’il y a de plus noble. Or, dans la génération le
père est plus noble que la mère. Donc, etc.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique le père soit un principe plus noble que la mère, cependant
la mère donne la substance corporelle d’après laquelle la condition de la
servitude s’engage.
Objection
N°2. L’être d’une chose dépend de la forme plus que de la matière. Or, dans la
génération c’est le père qui donne la forme et la mère la matière, selon
l’expression d’Aristote (De animalib., liv. 16, seu
De generat. anim., liv. 2, chap. 4, aliquant
à princ.). Les enfants doivent donc suivre le père
plutôt que la mère.
Réponse
à l’objection N°2 : En ce qui appartient à la nature de l’espèce, l’enfant
ressemble plus au père qu’à la mère. Mais pour les conditions matérielles il
doit plus ressembler à la mère qu’au père, parce que la chose tire de la forme
son être spécifique, au lieu qu’elle tire de la matière ses conditions
matérielles.
Objection
N°3. On doit principalement suivre celui auquel on ressemble le plus. Or, le
fils ressemble plus au père qu’à la mère, comme la fille ressemble plus à la
mère. Donc le fils doit au moins suivre la condition du père et la fille la
condition de la mère.
Réponse
à l’objection N°3 : L’enfant ressemble au père par rapport à la forme qu’il
reçoit dans le complément de son être ; c’est pourquoi cette raison ne prouve
rien relativement à la thèse actuelle.
Objection
N°4. Dans l’Ecriture on ne dresse pas la généalogie d’après les femmes, mais
d’après les hommes. Donc les enfants suivent le père plutôt que la mère.
Réponse
à l’objection N°4 : L’honneur de l’enfant provenant plus du père que de la
mère, dans les généalogies, dans les Ecritures et selon la loi commune les
enfants tirent leur nom de leur père plutôt que de leur mère ; mais pour ce qui
regarde la servitude ils suivent plutôt la mère.
Mais
c’est le contraire. Si on sème sur la terre d’autrui, les fruits appartiennent
au maître de la terre. Or, la femme est par rapport à l’homme ce qu’une terre
est par rapport à la semence. Donc, etc.
Dans
les animaux qui naissent de différentes espèces on remarque que les petits
tiennent plus de la mère que du père. Ainsi les mulets qui naissent d’une
cavale et d’un âne ressemblent plus aux chevaux que ceux qui naissent d’une
ânesse et d’un cheval. Il doit donc en être de même pour les hommes.
Conclusion
Puisque de la condition de la servitude se considère par rapport à la substance
corporelle qui vient de la mère, il est raisonnable que par rapport à la
condition de la liberté et de la servitude l’enfant suive la mère plutôt que le
père, quoique dans certains pays qui ne sont pas régis par le droit civil
l’enfant suive la pire condition.
Il
faut répondre que d’après les lois civiles (liv. 19 ff.
De stat. hom.
et liv. 7, chap. De
rei vendit.), l’enfant suit la mère. Ce qui est
raisonnable ; parce que l’enfant reçoit du père son complément formel, mais il
tient de sa mère la substance du corps. La servitude étant une condition
corporelle, puisque le serf est, pour ainsi dire, l’instrument dont le seigneur
se sert dans ses opérations, il s’ensuit que l’enfant suit la mère sous le
rapport de la liberté et de la servitude. Mais en ce qui regarde la dignité,
comme elle vient de la forme de la chose, l’enfant suit le père, comme dans les
honneurs, les charges, l’héritage et les autres avantages de cette nature. Les
canons sont d’ailleurs d’accord sur ce point avec les lois civiles (chap. Liberi 32, quest.
4 in Glos., et chap. Indecens, De natis
ex libero ventre) ainsi que la loi de Moïse, comme on le voit (Ex., chap. 21). Cependant dans certains
pays qui ne sont pas régis par le droit civil, l’enfant suit la condition du
père, de manière que si le père est serf, quoique la mère soit libre, les
enfants doivent être serfs. Mais ils ne le deviennent pas si, après le mariage
contracté, le père se donne en servitude, malgré la mère. Il en est de même si
c’est le contraire. S’ils sont l’un et l’autre de condition servile et qu’ils
appartiennent à des maîtres divers, alors ils partagent les enfants s’il y en a
plusieurs ; ou s’il n’y en a qu’un celui qui prend l’enfant à son service doit
payer à l’autre une certaine somme à titre de compensation. Toutefois on ne
peut pas croire que cette coutume puisse être aussi raisonnable que ce qui a
été arrêté d’après les conseils expérimentés d’une foule de sages. D’ailleurs
dans la nature on voit que ce qui est reçu dans un sujet existe à la manière de
celui qui le reçoit et non à la manière de celui qui le donne. C’est pourquoi
il est raisonnable que l’enfant né de la femme suive sa condition.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.