Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 52 : De l’empêchement de la condition de servitude

 

          Nous devons ensuite nous occuper de l’empêchement de la condition de servitude. A cet égard quatre questions se présentent : 1° La condition de la servitude empêche-t-elle le mariage ? (La condition de la servitude est un empêchement dirimant, quand une personne libre épouse une personne qui est esclave, la croyant libre.) — 2° Le serf peut-il se marier sans le consentement de son maître ? — 3° Après qu’il est marié, peut-il se rendre serf sans le consentement de sa femme ? — 4° Les enfants doivent-ils suivre la condition du père ou de la mère ?

 

Article 1 : La condition de la servitude empêche-t-elle le mariage ?

 

          Objection N°1. Il semble que la condition de la servitude n’empêche pas le mariage. Car le mariage n’est empêché par une chose qu’autant qu’elle lui est opposée. Or, la servitude n’a rien de contraire au mariage ; autrement les serfs ne pourraient pas marier entre eux. Elle n’empêche donc pas le mariage.

          Réponse à l’objection N°1 : La servitude est contraire au mariage en ce qui concerne l’acte par lequel le mariage lie une partie à l’autre, parce qu’elle empêche la libre exécution de cet acte ; et aussi en ce qui concerne le bien des enfants qui devient sujet à la même condition en raison de la servitude des parents. Cependant, puisque tout le monde peut librement subir un tort dans ce qui lui est dû, si une des parties sait que l’autre est serve, le mariage est néanmoins valide. De même, il y a dans le mariage une obligation égale des deux côtés pour s’acquitter de la dette, et aucune partie ne peut exiger de l’autre une plus grande obligation que celle à laquelle elle est tenue. Donc, si un serf se marie à une serve, pensant qu’elle est libre, le mariage ne peut être rendu invalide. Il est par conséquent évident que la servitude n’est un empêchement au mariage que quand elle est inconnue de l’autre partie, même si celle-ci est dans une condition libre. Ainsi rien n’empêche le mariage entre serfs, ou même entre un homme libre et une serve.

 

          Objection N°2. Ce qui est contre nature ne peut pas empêcher ce qui est conforme à la nature. Or, la servitude est contre nature, parce que, comme le dit saint Grégoire (Past., part. 2, chap. 6) il est contre nature que l’homme veuille dominer sur son semblable. Ce qui est encore évident d’après ce qui a été dit à l’homme (Gen., chap. 1) de commander aux poissons de la mer, etc. et non de commander à l’homme. La servitude ne peut donc pas empêcher le mariage qui est une chose naturelle.

          Réponse à l’objection N°2 : Rien n’empêche qu’une chose soit contraire à la nature quant à sa première intention, sans lui être contraire quant à sa seconde intention. Ainsi toute corruption, tout défaut, la vieillesse est-même est contre nature, comme le dit Aristote (De cœlo, liv. 2, text. 37), parce que la nature a pour but l’être et la perfection ; cependant ces choses ne sont pas contraires à la seconde intention de la nature, parce que du moment que la nature ne peut conserver l’être dans un individu, elle le conserve dans un autre qui naît de la corruption d’un troisième, et quand elle ne peut pas mener un individu à une perfection plus grande, elle s’arrête à une moindre, comme quand elle ne peut pas faire un mâle, elle fait une femelle qui est un mâle imparfait selon l’expression d’Aristote (De an., liv. 10, seu De gener. anim., liv. 2, chap. 3 ad fin.). De même je dis aussi que la servitude est contre l’intention première de la nature, mais non contre la seconde. Car le but de la raison naturelle et ce que veut la nature, c’est que chacun soit bon. Mais du moment que l’on pèche, la nature veut aussi que l’on reçoive la peine de sa faute, et c’est ainsi que la servitude a été introduite en punition du péché. D’ailleurs il ne répugne pas qu’une chose naturelle soit de la sorte empêchée par ce qui est contre nature. Car le mariage est ainsi empêché par l’impuissance qui est contre nature de la manière dont nous venons de le dire.

 

          Objection N°3. Si elle est un empêchement, cet empêchement est de droit naturel ou de droit positif. Or, il n’est pas de droit naturel, parce que d’après le droit naturel tous les hommes sont égaux, comme le dit saint Grégoire (loc. cit.), et au commencement des Digestes (l. Manumissionis, f. De just. et jure) il est dit aussi que la servitude n’est pas de droit naturel. Le droit positif descend aussi du droit naturel, selon la pensée de Cicéron, (De invent., liv. 2, aliquant. antè fin.). La servitude ne peut donc empêcher le mariage d’après aucun droit.

          Réponse à l’objection N°3 : Le droit naturel proclame qu’on doit infliger la peine pour la faute, et que personne ne doit être puni sans avoir péché ; mais c’est au droit positif à déterminer la peine selon la condition de la personne et de la faute. C’est pourquoi la servitude, qui est une peine déterminée, est de droit positif et part du droit naturel, comme ce qui est déterminé vient de ce qui est indéterminé, et c’est aussi d’après une détermination du droit positif que la servitude qu’on ignore empêche le mariage, dans la crainte qu’on ne soit puni sans être coupable. Car c’est une peine pour une femme d’avoir pour mari un serf, et réciproquement.

 

          Objection N°4. Ce qui empêche le mariage l’empêche également, soit qu’on le sache, soit qu’on l’ignore, comme on le voit à l’égard de la consanguinité. Or, la servitude de l’un quand elle est connue par l’autre n’empêche pas le mariage. Donc la servitude ne peut pas, autant qu’il est en elle, empêche le mariage, et par conséquent on ne devrait pas la considérer comme un empêchement de mariage distinct des autres.

          Réponse à l’objection N°4 : Il y a des empêchements qui rendent le mariage illicite. Et comme ce n’est pas notre volonté qui rend une chose licite ou illicite, mais la loi à laquelle la volonté doit être soumise, il s’ensuit que l’ignorance d’un empêchement de cette nature qui détruit le volontaire, ou sa connaissance, ne fait rien pour rendre le mariage valide ou invalide. Tels sont l’affinité, ou le vœu, ou les autres empêchements semblables. Mais il y a des empêchements qui rendent le mariage inefficax ad solutionem deiti. Et parce qu’il est en notre pouvoir de faire la remise de ce qui nous est dû, il s’ensuit que ces empêchements, s’ils sont connus (Ils ne l’empêchent pas au point de vue de l’erreur, mais ils peuvent l’empêcher d’après leur propre nature.) ne détruisent pas le mariage ; ils ne le détruisent que quand l’ignorance exclue le volontaire. Tel est l’empêchement de la servitude et tel est celui de l’impuissance. Et parce qu’ils ont aussi par eux-mêmes une raison d’empêchement, on en fait pour ce motif des empêchements spéciaux, indépendamment de l’erreur. Mais le changement de la personne ne produit pas un empêchement spécial autre que celui de l’erreur, parce que l’introduction d’une autre personne ne produit un empêchement qu’en raison de l’intention de la partie contractante.

 

          Objection N°5. Comme il arrive qu’on se trompe à l’égard de la servitude en pensant libre celui qui est serf, de même il peut y avoir erreur au sujet de la liberté en prenant pour un serf celui qui est libre. Or, on ne fait pas de la liberté un empêchement de mariage. On ne doit donc pas non plus en faire un de la servitude.

          Réponse à l’objection N°5 : La liberté n’empêche pas l’acte du mariage ; par conséquent la liberté qu’on ignore n’est pas un empêchement.

 

          Objection N°6. La maladie de la lèpre rend la société du mariage plus pénible et nuit plus aux enfants que la servitude. Or, la lèpre n’est pas un empêchement de mariage. Donc on ne doit pas non plus en faire un de la servitude.

          Réponse à l’objection N°6 : la lèpre n’empêche pas le mariage quant à son premier acte, parce que les lépreux peuvent librement debitum reddere, quoiqu’ils rendent le mariage très désastreux quant à ses effets secondaires. C’est pour cela qu’elle n’est pas un empêchement, comme la servitude.

 

          Mais c’est le contraire. D’après le droit (chap. Ad nostra) l’erreur de la condition empêche le mariage qui doit être contracté et dirime celui qui l’est.

          Le mariage est du nombre des biens que l’on doit rechercher par eux-mêmes en tant qu’il est honnête. Au contraire la servitude est du nombre des choses que l’on doit fuir pour elles-mêmes. Le mariage et la servitude sont donc contraires, et par conséquent la servitude empêche le mariage.

 

          Conclusion Puisque le mariage oblige de s’acquitter de la dette conjugale avec l’autre, la condition de la servitude, qui enlève la faculté de s’acquitter de cette dette, dirime nécessairement le mariage si elle est ignorée.

          Il faut répondre que dans le contrat de mariage, une partie est liée à l’autre afin de s’acquitter de la dette. D’où, si quelqu’un qui s’est ainsi lié est incapable de s’acquitter de cette dette, l’ignorance de cette incapacité, du côté de la partie à qui il s’est lié, rend le contrat nul. Or, comme une impuissance, en ce qui concerne les rapports sexuels, rend une personne incapable de s’acquitter de la dette, à tel point qu’elle reste entière, de même la servitude rend incapable de s’en acquitter librement. Par conséquent, puisque l’ignorance ou l’impuissance sont un empêchement en ce qui concerne les rapports charnels si elles sont ignorées mais ne le sont pas si elles sont connues, de même la condition de servitude est un empêchement si elle est ignorée, mais ne l’est pas si elle est connue.

 

Article 2 : Le serf peut-il contracter mariage sans le consentement de son maître ?

 

          Objection N°1. Il semble que le serf ne puisse pas contracter mariage sans le consentement de son seigneur. Car on ne peut donner à quelqu’un ce qui appartient à un autre, sans le consentement de ce dernier. Or, le serf est la chose du maître. Il ne peut donc pas, en se mariant, donner pouvoir sur son corps à sa femme sans le consentement de son seigneur.

          Réponse à l’objection N°1 : Le serf est la chose du seigneur à l’égard de ce qui se surajoute aux actes naturels, mais par rapport aux actes naturels eux-mêmes tous les hommes sont égaux. par conséquent, en ce qui appartient aux actes naturels, un serf peut par le mariage transférer à un autre pouvoir sur son corps, malgré son seigneur.

 

          Objection N°2. Le serf est tenu d’obéir à son seigneur. Or, le seigneur peut lui ordonner de ne pas consentir au mariage. Il ne peut donc pas contracter mariage sans son consentement.

          Réponse à l’objection N°2 : Le serf est tenu d’obéir à son maître dans les choses que celui-ci peut licitement lui commander. Or, comme le seigneur ne peut pas licitement commander au serf de ne pas manger ou de ne pas dormir, il ne peut non plus lui ordonner de s’abstenir de se marier. Car il importe au législateur de quelle manière chacun use de sa chose. C’est pourquoi si le seigneur ordonne à un serf de ne pas se marier, celui-ci n’est pas tenu de lui obéir.

 

          Objection N°3. Après le contrat de mariage, le serf est lié par un précepte de la loi divine à s’acquitter de sa dette avec sa femme. Or, au moment où sa femme demande le paiement de sa dette, son seigneur peut lui demander un service qu’il sera incapable d’accomplir s’il est occupé par des relations charnelles. Par conséquent, si un serf peut se marier sans le consentement de son seigneur, celui-ci sera privé d’un service qui lui est dû sans qu’il n’y ait aucune faute de sa part, ce qui ne devrait pas être.

          Réponse à l’objection N°3 : Si un serf qui s’est marié avec le consentement de son seigneur, il devrait passer outre le service commandé par son seigneur et s’acquitter de sa dette envers son épouse, parce que le seigneur, en consentant au mariage de son serf, a consenti implicitement à tout ce qu’implique le mariage. Si, cependant, le mariage a été contracté sans la connaissance ou le consentement du seigneur, il n’est pas obligé de s’acquitter de sa dette, mais il doit plutôt obéir à son seigneur, si les deux choses sont incompatibles. Néanmoins, dans de telles matières, il y a à considérer beaucoup de cas particuliers, comme dans tous les actes humains, à savoir le danger auquel la chasteté de sa femme est exposée, et l’obstacle qui oppose le paiement de la dette au service commandé, ainsi que d’autres considérations similaires ; tout ceci devant être pesé comme il convient afin qu’il soit possible de juger auquel des deux le serf devra obéir de préférence, son seigneur ou son épouse.

 

          Objection N°4. Le seigneur peut vendre son serf pour des pays étrangers où son épouse ne pourra le suivre, soit parce qu’elle n’en aura pas la force corporelle, soit à cause du péril imminent que courrait sa foi, dans le cas, par exemple, où il serait venu à des infidèles ; soit encore parce que le seigneur de la femme ne le lui permettrait pas si elle était serve, et le mariage serait ainsi dissous, ce qui ne serait pas convenable. Un serf ne peut donc pas contracter mariage sans le consentement de son seigneur.

          Réponse à l’objection N°4 : Dans ce cas le seigneur doit être contraint de vendre son serf, de telle façon qu’il ne rende pas les devoirs du mariage trop onéreux, surtout quand il a la faculté de vendre partout son serf pour un prix raisonnable.

 

          Objection N°5. L’obligation par laquelle l’homme s’engage au service de Dieu est plus graciable que celle par laquelle il se soumet à une femme. Or, un serf, sans le consentement de son seigneur, ne peut entrer en religion ni être promu aux ordres. Il peut donc encore beaucoup moins se marier sans son consentement.

          Réponse à l’objection N°5 : En entrant en religion ou en recevant les ordres on s’oblige au service de Dieu pour la totalité du temps ; tandis qu’un mari n’est pas obligé de satisfaire son épouse toujours, mais seulement au temps convenable. C’est pourquoi il n’y a pas de parité. De plus celui qui entre en religion ou qui reçoit un ordre s’oblige à des œuvres qui sont surajoutées aux choses naturelles ; le seigneur a pouvoir sur ces œuvres, tandis qu’il n’a pas de pouvoir sur les actes naturels auxquels il s’oblige par le mariage. Il pourrait donc faire vœu de continence sans le consentement de son seigneur.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (Gal., 3, 28) : En Jésus-Christ il n’y a ni serf, ni homme libre. Donc, pour contracter mariage dans la foi du Christ, les hommes libres et les serfs ont la même liberté.

          La servitude est de droit positif. Or, le mariage est de droit naturel et de droit divin. Donc puisque le droit positif ne préjudicie ni au droit naturel, ni au droit divin, il semble que le serf puisse contracter mariage sans le consentement du seigneur.

 

          Conclusion Puisque le mariage se rapporte au droit naturel et la servitude au droit positif, le serf peut librement se marier sans le consentement de son maître.

 

         Il faut répondre que le droit positif, comme nous l’avons dit (art. préc. ad 3), provient du droit naturel. C’est pourquoi la servitude, qui est de droit positif, ne peut pas préjudicier à ce qui est de droit naturel. Or, comme l’appétit naturel a pour but la conservation de l’individu, de même il a pour but la conservation de l’espèce par la génération. Par conséquent, comme le serf n’est pas soumis au seigneur au point de ne pouvoir librement manger et dormir, et faire les autres choses de cette nature qui sont nécessaires à l’entretien du corps, et sans lesquelles la nature ne peut se conserver ; de même il ne lui est pas soumis non plus au point de ne pouvoir librement se marier, même à son insu ou malgré lui.

 

Article 3 : La servitude peut-elle survenir au mariage ?

 

          Objection N°1. Il semble que la servitude ne puisse pas survenir au mariage, de manière qu’un homme marié se vende à un autre en servitude. Car ce qui est fait en fraude et au préjudice d’un autre ne doit pas être ratifié. Or, l’homme qui se vend pour être serf le fait quelquefois en fraude du mariage, et à tout le moins au détriment de sa femme. Une pareille vente ne doit donc pas valider pour établir la servitude.

          Réponse à l’objection N°1 : La fraude peut bien nuire à celui qui la fait, mais elle ne peut porter préjudice à un autre. C’est pourquoi, si un homme se donne en servitude à un autre en fraude de sa femme, il en supporte la peine en perdant le bien inestimable de la liberté ; or ceci ne peut porter préjudice en aucune manière à sa femme, et il doit toujours s’acquitter de sa dette quand elle le demande, et aussi faire tout ce que le mariage exige de lui, car il ne peut pas être déchargé de ses obligations par le commandement de son seigneur.

 

          Objection N°2. Deux choses favorables préjudicient à l’une qui ne l’est pas. Or, le mariage et la liberté sont favorables et répugnent à la servitude qui n’est pas favorable en droit. Donc cette servitude doit être absolument anéantie dans le mariage.

          Réponse à l’objection N°2 : En tant que la servitude répugne au mariage, le mariage préjudicie à la servitude ; puisque le serf est alors obligé de s’acquitter de sa dette envers sa femme, même si son seigneur s’y oppose.

 

          Objection N°3. Dans le mariage l’homme et la femme sont jugés sur le pied de l’égalité. Or, la femme ne peut pas se donner pour serve sans le consentement du mari. Donc le mari ne le peut pas non plus sans le consentement de sa femme.

          Réponse à l’objection N°3 : Quoique dans l’acte du mariage et dans les choses qui regardent la nature et auxquelles la condition de la servitude ne s’étend point, l’homme et la femme soient jugés sur le pied de l’égalité, cependant quant à l’administration de la maison et aux autres choses de ce genre qui sont surajoutées à la nature, l’homme est le chef de la femme et doit la corriger et non réciproquement. C’est pourquoi l’épouse ne peut se donner en servitude sans le consentement de son mari.

 

          Objection N°4. Ce qui empêche la génération d’une chose dans l’ordre naturel détruit aussi la chose engendrée. Or, la servitude de l’homme, si elle est ignorée de la femme, empêche l’acte du mariage avant qu’il ne soit fait. Donc si elle pouvait survenir au mariage, elle le détruirait, ce qui répugne.

          Réponse à l’objection N°4 : Ce raisonnement s’appuie sur les choses corruptibles, parmi lesquelles il y en a beaucoup qui empêchent la génération et qui ne suffisent pas pour détruire la chose engendrée. Mais dans les choses perpétuelles il peut y avoir des empêchements capables d’empêcher la chose de commencer d’être, mais qui ne peuvent la faire cesser une fois qu’elle existe, comme on le voit à l’égard de l’âme raisonnable. Il en est de même du mariage qui est un lien perpétuel, tant que dure la vie présente

 

          Mais c’est le contraire. Tout le monde peut donner à un autre ce qui est à soi. Or, l’homme s’appartient, puisqu’il est libre. Donc il peut donner son droit à un autre.

          Le serf peut se marier sans le consentement de son seigneur, comme nous l’avons dit (art. préc.). Donc pour la même raison l’homme peut se soumettre au seigneur sans que l’épouse le veuille.

 

          Conclusion L’homme n’étant soumis à la femme que dans ce qui regarde l’acte de la nature, peut se donner en servitude à un autre sans le consentement de sa femme.

          Il faut répondre que l’homme n’est soumis à la femme que dans les choses qui appartiennent à l’acte de nature, dans lesquelles ils sont égaux et auxquelles la soumission de la servitude ne s’étend pas. C’est pourquoi l’homme peut se donner en servitude à un autre sans le consentement de sa femme. Cependant le mariage n’est pas pour cela dissous, parce qu’aucun empêchement qui survient au mariage ne peut le dissoudre, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 1, Réponse N°7).

 

Article 4 : Les enfants doivent-ils suivre la condition du père ?

 

          Objection N°1. Il semble que les enfants doivent suivre la condition du père. Car la dénomination se tire de ce qu’il y a de plus noble. Or, dans la génération le père est plus noble que la mère. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique le père soit un principe plus noble que la mère, cependant la mère donne la substance corporelle d’après laquelle la condition de la servitude s’engage.

 

          Objection N°2. L’être d’une chose dépend de la forme plus que de la matière. Or, dans la génération c’est le père qui donne la forme et la mère la matière, selon l’expression d’Aristote (De animalib., liv. 16, seu De generat. anim., liv. 2, chap. 4, aliquant à princ.). Les enfants doivent donc suivre le père plutôt que la mère.

          Réponse à l’objection N°2 : En ce qui appartient à la nature de l’espèce, l’enfant ressemble plus au père qu’à la mère. Mais pour les conditions matérielles il doit plus ressembler à la mère qu’au père, parce que la chose tire de la forme son être spécifique, au lieu qu’elle tire de la matière ses conditions matérielles.

 

          Objection N°3. On doit principalement suivre celui auquel on ressemble le plus. Or, le fils ressemble plus au père qu’à la mère, comme la fille ressemble plus à la mère. Donc le fils doit au moins suivre la condition du père et la fille la condition de la mère.

          Réponse à l’objection N°3 : L’enfant ressemble au père par rapport à la forme qu’il reçoit dans le complément de son être ; c’est pourquoi cette raison ne prouve rien relativement à la thèse actuelle.

 

          Objection N°4. Dans l’Ecriture on ne dresse pas la généalogie d’après les femmes, mais d’après les hommes. Donc les enfants suivent le père plutôt que la mère.

          Réponse à l’objection N°4 : L’honneur de l’enfant provenant plus du père que de la mère, dans les généalogies, dans les Ecritures et selon la loi commune les enfants tirent leur nom de leur père plutôt que de leur mère ; mais pour ce qui regarde la servitude ils suivent plutôt la mère.

 

          Mais c’est le contraire. Si on sème sur la terre d’autrui, les fruits appartiennent au maître de la terre. Or, la femme est par rapport à l’homme ce qu’une terre est par rapport à la semence. Donc, etc.

          Dans les animaux qui naissent de différentes espèces on remarque que les petits tiennent plus de la mère que du père. Ainsi les mulets qui naissent d’une cavale et d’un âne ressemblent plus aux chevaux que ceux qui naissent d’une ânesse et d’un cheval. Il doit donc en être de même pour les hommes.

 

          Conclusion Puisque de la condition de la servitude se considère par rapport à la substance corporelle qui vient de la mère, il est raisonnable que par rapport à la condition de la liberté et de la servitude l’enfant suive la mère plutôt que le père, quoique dans certains pays qui ne sont pas régis par le droit civil l’enfant suive la pire condition.

          Il faut répondre que d’après les lois civiles (liv. 19 ff. De stat. hom. et liv. 7, chap. De rei vendit.), l’enfant suit la mère. Ce qui est raisonnable ; parce que l’enfant reçoit du père son complément formel, mais il tient de sa mère la substance du corps. La servitude étant une condition corporelle, puisque le serf est, pour ainsi dire, l’instrument dont le seigneur se sert dans ses opérations, il s’ensuit que l’enfant suit la mère sous le rapport de la liberté et de la servitude. Mais en ce qui regarde la dignité, comme elle vient de la forme de la chose, l’enfant suit le père, comme dans les honneurs, les charges, l’héritage et les autres avantages de cette nature. Les canons sont d’ailleurs d’accord sur ce point avec les lois civiles (chap. Liberi 32, quest. 4 in Glos., et chap. Indecens, De natis ex libero ventre) ainsi que la loi de Moïse, comme on le voit (Ex., chap. 21). Cependant dans certains pays qui ne sont pas régis par le droit civil, l’enfant suit la condition du père, de manière que si le père est serf, quoique la mère soit libre, les enfants doivent être serfs. Mais ils ne le deviennent pas si, après le mariage contracté, le père se donne en servitude, malgré la mère. Il en est de même si c’est le contraire. S’ils sont l’un et l’autre de condition servile et qu’ils appartiennent à des maîtres divers, alors ils partagent les enfants s’il y en a plusieurs ; ou s’il n’y en a qu’un celui qui prend l’enfant à son service doit payer à l’autre une certaine somme à titre de compensation. Toutefois on ne peut pas croire que cette coutume puisse être aussi raisonnable que ce qui a été arrêté d’après les conseils expérimentés d’une foule de sages. D’ailleurs dans la nature on voit que ce qui est reçu dans un sujet existe à la manière de celui qui le reçoit et non à la manière de celui qui le donne. C’est pourquoi il est raisonnable que l’enfant né de la femme suive sa condition.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.