Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 54 : De l’empêchement de consanguinité
Nous
devons ensuite nous occuper de l’empêchement de consanguinité. A cet égard
quatre questions se présentent : 1° La consanguinité est-elle convenablement
définie par certains auteurs ? — 2° Est-elle convenablement distinguée par des
degrés et des lignes ? — 3° Empêche-t-elle le mariage de droit naturel à
certains degrés ? — 4° Les degrés qui empêchent le mariage peuvent-ils être
déterminés par une loi de l’Eglise ?
Article
1 : La définition de la consanguinité est-elle convenable ?
Objection
N°1. Il semble qu’on définisse mal la consanguinité en disant comme
quelques-uns le font : qu’elle est un
lien contracté par la propagation charnelle entre des personnes qui descendent
de la même souche. Car tous les hommes descendent de la même souche par la
propagation charnelle, c’est-à-dire d’Adam. Si donc cette définition de la
consanguinité était bonne, tous les hommes seraient consanguins entre eux, ce
qui est faux.
Réponse
à l’objection N°1 : La vertu active n’est pas reçue dans l’instrument avec la
même perfection que dans l’agent principal. Et comme tout moteur qui est mû est
un instrument, il s’ensuit que la vertu du premier moteur dans un genre
s’affaiblit et s’éteint en passant par plusieurs milieux et parvient enfin à
quelque chose qui est mû et qui ne meut pas. Or, la vertu de celui qui engendre
meut non seulement par rapport à ce qui est de l’espèce, mais encore par
rapport à ce qui est de l’individu. C’est pour cela que le fils ressemble au
père, non seulement pour la nature de l’espèce, mais encore pour les choses
accidentelles. Cependant cette vertu individuelle du père n’existe pas aussi
parfaitement dans le fils qu’elle était dans le père ; elle existe encore moins
dans le petit-fils et elle va ainsi toujours s’affaiblissant. De là il résulte
que cette vertu cesse quelquefois au point de ne pouvoir pas aller au-delà. Et
comme la consanguinité existe en ce que plusieurs participent à cette vertu qui
est passée d’un seul dans plusieurs par la propagation, il s’ensuit qu’elle
s’affaiblit peu à peu, selon l’expression de saint Isidore (Etym., liv. 9, chap. 6 in fin.). C’est pourquoi on ne doit pas parler
d’une souche éloignée dans la définition de la consanguinité, mais d’une souche
prochaine, dont la vertu subsiste encore dans ceux qui sont nés d’elle.
Objection
N°2. Un lien ne peut se rapporter qu’à des choses qui se conviennent entre
elles, parce que le lien unit. Or, il n’y a pas plus de rapports de convenance
entre les personnes qui descendent d’une même souche qu’entre les autres
hommes, puisqu’elles ont de commun l’espèce et qu’elles diffèrent
numériquement, comme les autres hommes. Donc la consanguinité n’est pas un
lien.
Réponse
à l’objection N°2 : Il est évident d’après ce que nous avons dit (dans le corps
de l’article.) que non seulement les consanguins ont de commun la nature de
l’espèce, mais encore la vertu propre de l’individu, qui passe de l’un en
plusieurs autres, et qui fait quelquefois que le fils ressemble non seulement
au père, mais au grand-père, ou aux parents éloignés, comme on le voit (De animalib.,
liv. 18, ac De gener. animal., liv. 4, chap. 3).
Objection
N°3. La propagation charnelle résulte, d’après Aristote (De gen. animal., liv. 2, chap. 19), du superflu de
l’aliment. Or, ce superflu a plus de rapport avec les choses mangées auxquelles
il ressemble substantiellement qu’avec celui qui les mange. Par conséquent
puisqu’il n’y a pas de lien de consanguinité entre celui que le sperme fait
naître et les choses mangées, il ne devrait pas non plus y avoir un lien de
parenté entre celui qui naît de la génération charnelle et celui qui
l’engendre.
Réponse
à l’objection N°3 : La convenance se considère plus selon la forme d’après
laquelle une chose est en acte que selon la matière d’après laquelle elle est
en puissance. Ainsi il est évident que le charbon a plus de rapport avec le feu
qu’avec l’arbre d’où le bois a été tiré. De même l’aliment qui est déjà
converti par la vertu nutritive en la substance de celui qui est nourri a plus
de rapport avec ce dernier qu’avec la chose dont la nourriture a été prise.
Mais cette raison serait concluante dans l’opinion de ceux qui disaient que
toute la nature de la chose est la matière et que toutes les formes sont des
accidents ; ce qui est faux.
Objection
N°4. Laban dit à Jacob (Gen., 29, 14) : Vous êtes mes os, vous êtes ma chair, en raison de la parenté qui
existait entre eux. Cette proximité doit donc être appelée charnelle plutôt que
consanguine.
Réponse
à l’objection N°4 : Ce qui se change le plus prochainement en sperme, c’est le
sang, comme le prouve Aristote (De animalib., liv. 15, scil.
De generat. animal., liv. 1,
chap. 18). C’est pour cela que le lien qui se contracte par la propagation
charnelle est plus convenablement appelé un lien de consanguinité qu’un lien
charnel. Et quand on dit que le parent de l’un est la chair de l’autre, c’est
parce que le sang, qui est transformé en la semence d’un homme ou en fluide
menstruel, est chair et os en puissance.
Objection
N°5. La propagation charnelle est commune aux hommes et aux animaux. Or, parmi
les animaux le lien de la consanguinité ne se contracte pas d’après la
propagation charnelle. Il ne doit donc pas non plus se contracter parmi les
hommes.
Réponse
à l’objection N°5 : Il y a des auteurs qui disent que le lien de la
consanguinité se contracte parmi les hommes par suite de la propagation
charnelle, tandis qu’il n’en est pas de même parmi les animaux, parce que tout
ce qui appartient véritablement à la nature humaine dans tous les hommes a
existé dans le premier homme ; ce qui n’a pas lieu à l’égard des autres
animaux. Mais d’après cela la consanguinité du mariage ne pourrait jamais être
dirimée. Cette hypothèse est réfutée (liv. 2, dist. 30, quest. 2, art. 1, et 1a
pars, quest. 119, art. 1). — Il faut donc dire qu’il en est ainsi, parce que
les animaux ne pas unis par la même amitié en raison de ce que plusieurs sont
nés d’une même souche qui est prochaine, comme les sont les hommes, ainsi que
nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Conclusion
Puisque cette définition : la
consanguinité est un lien contracté par la propagation charnelle entre des
personnes qui descendent de la même souche, renferme et explique le genre,
le sujet et le principe même de la consanguinité, on doit la regarder comme
convenable.
Il
faut répondre que d’après Aristote (Eth., liv. 12,
chap. 11 et 12) toute amitié consiste dans une certaine communication. Et parce
que l’amitié est une lien ou une certaine union, on donne pour ce motif à la
communication qui est la cause de l’amitié le nom de lien. C’est pourquoi on
donne à ceux qui sont unis sous un rapport une dénomination qui montre qu’ils
sont pour ainsi dire liés les uns aux autres. Ainsi on appelle concitoyens ceux qui ont ensemble la
même vie politique, compagnons d’armes ceux
qui sont unis pour faire la guerre ; on donne aussi au même titre le nom de
consanguins à ceux qui participent à la même vie naturelle. C’est pourquoi dans
cette définition le mot lien exprime
le genre de la consanguinité (Ce mot désigne que les personnes sont du même
sang : consanguinitas, quasi sanguinis unitas.) ; le sujet est désigné par les personnes qui descendent de la même
souche dont elle est le lien ; et le principe est indiqué par les mots propagation charnelle.
Article
2 : Distingue-t-on convenablement la consanguinité par des degrés et des lignes
?
Objection
N°1. Il semble que la consanguinité ne soit pas convenablement distinguée par
des lignes et des degrés. Car on dit que la ligne de consanguinité est une
collection de personnes qui descendent de la même souche, contenant divers
degrés. Or, la consanguinité n’est rien autre chose qu’une collection de
personnes de ce caractère. Donc la ligne de consanguinité est la même chose que
la consanguinité, et comme rien ne doit être distingué par lui-même, il
s’ensuit que la consanguinité n’est pas convenablement distinguée par les
lignes.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection part de prémisses fausses. Car la
consanguinité n’est pas une collection, mais une relation de certaines
personnes entre elles, dont la réunion produit la ligne de consanguinité.
Objection
N°2. Une chose d’après laquelle ce divise ce qui est commun ne peut entrer dans
la définition de ce dernier. Or, le mot descendant entre dans la définition que
nous avons donnée de la consanguinité. La consanguinité ne peut donc pas être
divisée par la ligne des ascendants et des collatéraux.
Réponse
à l’objection N°2 : C’est la descente prise en général que l’on considère par
rapport à toute espèce de ligne de consanguinité ; parce que la propagation charnelle
d’où vient le lien de la consanguinité est une descente ; mais la charnelle qui
produit la ligne des descendants est une descente particulière, c’est-à-dire la
descente de la personne dont on cherche la consanguinité.
Objection
N°3. La définition de la ligne c’est qu’elle existe entre deux points. Or, deux
points ne font qu’un degré. Donc une ligne n’a qu’un seul degré, et par
conséquent pour la même raison il semble qu’on ne doive pas diviser la
consanguinité en lignes et en degrés.
Réponse
à l’objection N°3 : La ligne peut se considérer de deux manières. Quelquefois
on la prend proprement pour la dimension elle-même qui est la première espèce
de quantité continue. Alors la ligne droit ne contient que deux points en acte,
ceux qui la terminent, mais elle en contient une infinité en puissance, et du
moment que l’un d’eux est désigné en acte, la ligne est divisée et il en résulte
deux lignes. D’autres fois la ligne se prend pour les choses qui sont disposées
avec une certaine suite. En ce sens on assigne dans les nombres la ligne et la
figure, selon que dans un nombre une unité se met après une unité. Dans cette
ligne toute unité qui vient s’y adjoindre produit un degré. C’est ainsi qu’il
en est de la ligne de consanguinité ; d’où il suit qu’une même ligne contient
plusieurs degrés.
Objection
N°4. On définit le degré le rapport qui se trouve entre des personnes éloignées
et d’après lequel on connaît la distance qui les sépare. Or, puisque la
consanguinité est une proximité, la distance des personnes est trop opposée à
la consanguinité pour être sa partie. On ne peut donc pas distinguer la
consanguinité par des degrés.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme il ne peut y avoir ressemblance où il n’y a pas de
diversité, de même il ne peut pas non plus y avoir proximité où il n’y a pas de
distance. C’est pourquoi toute distance n’est pas opposée à la consanguinité,
mais il n’y a que la distance qui exclut la proximité de la consanguinité.
Objection
N°5. Si la consanguinité se distingue et se connaît par des degrés, il faut que
ceux qui sont du même degré soient également parents. Or, c’est faux : car le
grand-oncle de quelqu’un et son petit-neveu sont au même degré et cependant ils
ne sont pas également, d’après le droit (chap. Porrò et chap. Parentelæ 35,
quest. 5). La consanguinité ne se distingue donc pas bien des degrés.
Réponse
à l’objection N°5 : Comme on dit que la blancheur est plus grande de deux
manières, en raison de l’intensité de cette qualité elle-même et en raison de
l’étendue de la surface ; de même on dit la consanguinité est plus ou moins
grande de deux manières, en intensité d’abord d’après la nature même de la
consanguinité et ensuite en étendue pour ainsi dire. L’étendue de la
consanguinité se mesure d’après les personnes entre lesquelles la propagation
de consanguinité a lieu, et c’est de cette seconde manière que les degrés de
consanguinité se distinguent. C’est pourquoi il arrive que de deux individus
qui sont parents au même degré de consanguinité par rapport à une personne,
l’un est plus parent que l’autre, si l’on considère la
première espèce de consanguinité. Ainsi le père et le frère sont par rapport à
un autre parents au premier degré de consanguinité,
parce que de part ni d’autre il n’y a point de personne intermédiaire. Mais
cependant si l’on regarde l’intensité, elle est plus grande du père au fils que
du frère au frère ; parce que les frères ne sont parents que parce qu’ils
viennent du même père. C’est pourquoi plus on est proche du principe commun
d’où vient la consanguinité et plus on est consanguin, quoiqu’on ne le soit pas
à un degré plus rapproché. Ainsi le grand-oncle d’un individu est plus
consanguin que son petit-neveu quoiqu’ils soient au même degré.
Objection
N°6 : Dans les choses ordonnées tout ce que l’on ajoute à l’une en produit une
autre en degré, comme toute unité ajoutée produit une autre espèce de nombre.
Or, une personne ajoutée à une autre personne ne produit pas toujours un autre
degré de consanguinité ; puisque dans le même degré de consanguinité il y a le
père et l’oncle qui est ajouté. Donc la consanguinité ne se distingue pas bien
au moyen des degrés.
Réponse
à l’objection N°6 : Quoique le père et l’oncle soient au même degré par rapport
à la racine de la consanguinité, parce qu’ils sont l’un et l’autre éloignés
d’un degré de l’aïeul, cependant par rapport à celui dont on recherche la
consanguinité ils ne sont pas au même degré, parce que le père est au premier
degré et l’oncle ne peut être qu’au second où se trouve le grand-père.
Objection
N°7. Entre deux proches parents il y a toujours la même proximité de
consanguinité ; parce que l’un des extrêmes est toujours également distant de
l’autre, et réciproquement. Or, le degré de consanguinité ne se trouve pas
toujours le même des deux côtés, puisque quelquefois l’un est parent au
troisième et l’autre au quatrième degré. Donc on ne peut pas suffisamment
connaître la proximité de la consanguinité au moyen des degrés.
Réponse
à l’objection N°7 : Deux personnes sont toujours éloignées l’une de l’autre à
nombre de degrés égal, quoique quelquefois elles ne soient pas éloignées à un
nombre égal de degrés de leur principe commun, comme on le voit d’après ce que
nous avons dit (dans le corps de l’article.).
Conclusion
La consanguinité est convenablement désignée par les degrés et les lignes de
ceux qui descendent d’un principe commun, ou qui remontent au même degré, ou
qui sont collatéraux.
Il
faut répondre que la consanguinité, comme nous l’avons dit (art. préc.), est une proximité fondée sur une communication
naturelle selon l’acte de la génération d’après lequel la nature se propage.
Ainsi, d’après Aristote (Eth., liv. 8, chap. 12), cette communication
se fait de trois manières. L’une selon le rapport du principe avec ce qu’il
produit, et c’est la consanguinité du père à l’égard du fils. D’où il dit que
les parents aiment leur enfants comme étant quelque
chose d’eux-mêmes. L’autre résulte du rapport de l’effet avec le principe
lui-même ; c’est la consanguinité du fils à l’égard du père. D’où il dit que
les enfants aiment leurs parents, comme recevant d’eux l’existence. La
troisième provient du rapport qu’ont entre eux ceux qui viennent d’un seul et même
principe, comme on dit que les frères naissent des mêmes parents, suivant
l’expression du philosophe. Et, parce que le mouvement du point produit la
ligne et que par la propagation le père descend d’une certaine manière dans le
fils, il s’ensuit qu’il y a trois lignes de consanguinité résultant de ces
trois rapports. Ainsi on distingue la ligne des descendants selon le premier,
la ligne des ascendants (Les ascendants et les descendants forment une même
ligne qu’on appelle la ligne directe. Seulement elle est ascendante selon
qu’elle comprend ceux de qui on est né, et elle es
descendante selon qu’elle est formée par ceux à qui on a donné le jour.) selon le second, et la ligne collatérale selon le troisième.
Mais parce que le mouvement de propagation ne s’arrête pas à un seul terme et
qu’il va au-delà, il en résulte qu’il faut rechercher le père du père et le
fils du fils, et ainsi de suite, et d’après ces divers mouvements on trouve
ainsi divers degrés dans une même ligne. Comme le degré d’une chose est une
partie de cette chose, le degré de proximité ne peut exister où il n’y a pas de
proximité. C’est pourquoi l’identité et la trop grande distance détruisent le
degré de consanguinité, parce que personne n’est proche à l’égard de soi-même,
comme on ne peut pas non plus se ressembler. C’est pour cela qu’aucune personne
ne produit par elle-même un degré, mais elle n’en produit un qu’autant qu’elle
est comparée à une autre. — Toutefois il y a différentes manières de compter
les degrés dans les différentes lignes. Car le degré de consanguinité dans la
ligne des ascendants et des descendants se contracte par là même que l’une des
personnes entre lesquelles le degré s’observe est née de l’autre. C’est
pourquoi d’après la loi canonique et la loi civile la personne qui se présente
au début de la génération, soit ascendante, soit descendante, est éloignée de
celle qui vient ensuite, par exemple, de Pierre, d’un degré, comme le père et
le fils ; celle qui se présente en second lieu est éloignée au second degré
comme le petit-fils et le grand-père, et ainsi de suite (En ligne directe il y
a autant de degrés qu’il y a de générations ou de personnes, sans compter la
souche.). Mais la consanguinité qui a lieu en ligne collatérale ne se contracte
pas de ce que l’un est né de l’autre, mais parce que l’un et l’autre sont nés
du même. C’est pourquoi le degré de consanguinité doit se compter dans cette
ligne par rapport au principe unique d’où l’on est issu. — Mais à cet égard la
loi canonique et la loi civile ne comptent pas de la même manière. Car la
supputation légale considère des deux côtés la descente d’une souche commune,
tandis que la loi canonique ne la considère que d’un côté, à savoir du côté où
se trouve le plus grand nombre de degrés. Ainsi d’après la supputation légale
le frère et la sœur sont au second degré, parce qu’ils sont distants l’un de
l’autre de la souche commune de chacun un degré, et pour la même raison les
enfants de deux frères sont distants les uns des autres au quatrième. Mais
selon la supputation canonique les deux frères sont parents au premier degré,
parce qu’ils ne sont éloignés ni de l’un ni l’autre de la souche commune que
d’un degré, et le fils de l’un des frères est éloigné de l’autre frère au
seconde degré, parce qu’ils sont éloignés de deux degrés de la souche commune.
C’est pourquoi, d’après la supputation canonique, on est éloigné de quelqu’un à
un degré supérieur d’autant de degrés qu’il est éloigné de chacun de ceux qui
descendent de lui, et jamais moins, d’après ce principe : Propter quod unumquodque tale et illud
magis. Ainsi, quoique d’autres personnes qui
descendent d’une souche commune s’accordent avec quelqu’un en raison de cette
souche, elles ne peuvent pas être plus proches à l’égard de celui qui descend
d’un autre côté que son premier principe ne l’est par rapport à lui. Cependant
quelquefois on est plus éloigné de quelqu’un qui descend d’un principe commun,
qu’il ne l’est lui-même de son principe, parce que l’un peut être plus éloigné
du principe commun que l’autre ; alors on doit compter les degrés de
consanguinité d’après la distance la plus éloignée (Le degré le plus éloigné
emporte le plus proche : Gradus remotior trahit ad se remotiorem).
Article
3 : La consanguinité empêche-t-elle le mariage de droit naturel ?
Objection
N°1. Il semble que la consanguinité n’empêche pas le mariage de droit naturel.
Car aucune femme ne peut être plus proche à l’égard d’un homme qu’Eve ne le fut
à l’égard d’Adam qui dit d’elle (Gen., 2, 23) : Voilà l’os de mes os et la chair de ma chair.
Or, Eve fut mariée à Adam. Donc aucune consanguinité n’empêche le mariage
d’après la loi naturelle.
Réponse
à l’objection N°1 : Eve, quoiqu’elle soit sortie
d’Adam, ne fut cependant pas sa fille, parce qu’elle n’en sortit pas à la
manière dont l’homme doit naturellement engendrer son semblable dans l’espèce,
mais par l’opération divine. Car Dieu aurait pu de la côte d’Adam faire un
cheval aussi bien qu’il a fait Eve. C’est pourquoi il n’y avait pas d’Eve à
Adam les mêmes rapports naturels qu’il y a de la fille au père. Adam ne fut pas
le principe naturel d’Eve, comme un père l’est de sa fille.
Objection
N°2. La loi naturelle est la même partout. Or, parmi les nations barbares on
n’exclut pas du mariage les personnes qui sont unies par la consanguinité. Donc
la consanguinité, pour ce qui est de la loi naturelle, n’empêche pas le
mariage.
Réponse
à l’objection N°2 : Si les barbares s’unissent charnellement avec leurs
parents, ceci ne provient pas de la loi naturelle, mais de l’ardeur de la
concupiscence qui a obscurci en eux la loi de nature.
Objection
N°3. Le droit naturel est ce que la nature a appris à tous les animaux, comme
on le dit au commencement des Digestes (liv. 1, ff De just. et jure).
Or, les animaux s’unissent à leur propre mère. La loi naturelle ne demande donc
pas qu’on éloigne une personne du mariage à cause de la consanguinité.
Réponse
à l’objection N°3 : On dit que l’union de l’homme et de la femme est de droit
naturel, parce que la nature l’a enseignée aux animaux, mais elle l’a apprise
de différentes manières aux divers animaux selon leurs différentes conditions.
Or, l’union charnelle avec les parents déroge au respect qui leur est dû. Car
comme la nature a inspiré aux parents la sollicitude de pourvoir à leurs
enfants, de même elle inspire a inspiré aux enfants le respect pour les
parents. Cependant elle n’a inspiré à aucun autre animal qu’à l’homme la
sollicitude des enfants et le respect des parents pour un temps indéfini, mais
elle a inspiré plus ou moins ces sentiments aux autres animaux suivant que les
enfants sont plus ou moins nécessaires aux parents ou les parents aux enfants.
Ainsi dans certains animaux les petits ont horreur de s’unir avec leur mère,
tant qu’ils en conservent la connaissance et qu’ils ont pour elle un certain
respect comme le rapporte Aristote (De anim., liv. 9, chap. 47) au sujet du
chameau et du cheval. Et comme tout ce qu’il y a de bon dans les animaux se
trouve naturellement réuni dans les hommes et y existe plus parfaitement, il en
résulte que l’homme a naturellement horreur de s’unir charnellement non
seulement à sa mère, mais encore à sa fille ; ce qui est moins contraire à la
nature, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). — De plus la
consanguinité ne se contracte pas suite à la propagation de la chair dans les
autres animaux comme dans les hommes, ainsi que nous l’avons dit (art. 1 ad 5).
C’est pourquoi il n’y a pas de parité.
Objection
N°4. Le mariage n’est pas empêché par ce qui n’est pas contraire à l’un des
biens du mariage. Or, la consanguinité n’est pas contraire à l’un des biens du
mariage. Elle ne l’empêche donc pas.
Réponse
à l’objection N°4 : D’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.)
on voit évidemment de quelle manière la consanguinité des époux est contraire
aux biens du mariage. Par conséquent ce raisonnement part d’une supposition
fausse.
Objection
N°5. L’union des choses qui sont proches et qui se ressemblent davantage est
meilleure et plus ferme. Or, le mariage est une union. Donc, puisque la
consanguinité est une proximité, elle n’empêche pas le mariage, mais elle y
porte plutôt.
Réponse
à l’objection N°5 : Il ne répugne pas que de deux unions l’une soit empêchée
par l’autre ; ainsi où il y a identité, il n’y a pas ressemblance. De même le
lien de la consanguinité peut empêcher l’union du mariage.
Mais
c’est le contraire. Ce qui empêche le bien des enfants empêche aussi le mariage
d’après la loi naturelle. Or, la consanguinité empêche le bien des enfants ;
parce que, comme on le voit (Sent. 4,
dist. 40) d’après les paroles de saint Grégoire (Regist., epist. 31, ad interrog. 6), nous
savons par expérience que les enfants nés de ces mariages ne peuvent réussir.
Donc la consanguinité empêche le mariage d’après la loi naturelle.
Ce
qui appartient à la condition première de la nature humaine appartient aussi à
la loi naturelle. Or, d’après la condition primitive de la nature humaine, on
ne peut se marier avec son père et sa mère ; ce qui est rendu évident par ces
paroles de la Genèse (2, 24) : Pour cela
l’homme abandonnera son père et sa mère. Ce qui ne peut s’entendre de la
cohabitation et ce qui doit par conséquent s’entendre de l’union du mariage.
Donc la consanguinité empêche le mariage d’après la loi de nature.
Conclusion
La consanguinité empêche le mariage de droit naturel relativement à certaines
personnes, de droit divin par rapport à d’autres, et de droit humain par
rapport à d’autres encore.
Il
faut répondre que dans le mariage on dit qu’une chose est contraire à la loi de
nature, quand elle rend le mariage inconvenant relativement à la fin pour
laquelle il a été établi. Or, la fin absolue et première du mariage, c’est le
bien des enfants. Ce bien est empêché par la consanguinité qui existe par
exemple entre le père et la fille ou entre le fils et la mère. A la vérité, il
n’est pas empêché au point qu’il soit totalement détruit, parce que la fille
peut avoir un enfant de son père et elle pourrait avec lui le nourrir et
l’instruire, et c’est en cela que consiste le bien de l’enfant, mais elle ne
pourrait faire tout cela d’une manière convenable. Car c’est un désordre que la
fille soit unie à son père par le mariage à titre de compagne pour lui donner
des enfants et les élever, tandis qu’elle devrait en tout être soumise à son
père, comme provenant de lui. C’est pourquoi la loi naturelle défend d’épouser
son père et sa mère, et plutôt encore la mère que le père, parce que le respect
dû aux parents est encore moins observé lorsque le fils épouse sa mère que
lorsque le père épouse sa fille ; puisque la femme doit être soumise d’une
certaine manière au mari. Mais la seconde fin absolue du mariage, c’est la
répression de la concupiscence. On ne pourrait l’atteindre si l’on pouvait
épouser toute espèce de parent. Car on donnerait à la concupiscence de grands
éléments, si l’union charnelle n’était pas défendue entre les personnes qui
doivent vivre dans la même maison. C’est pour ce motif que la loi divine défend
d’épouser non seulement son père et sa mère, mais encore les autres parents
avec lesquels on est obligé de vivre et qui doivent mutuellement conserver leur
pudeur et leur modestie. La loi divine en donne cette cause quand elle dit (Lév., chap. 18) : Ne révélez pas la honte de celle-ci ou de celle-là ; parce que c’est votre propre honte. Par
accident le mariage a pour fin d’unir les hommes et de multiplier leur amitié ;
parce que l’homme est aux parents de son épouse ce qu’il est par rapport aux
siens. C’est pour cela qu’on porterait préjudice à ce développement de
l’amitié, si on épousait une femme avec laquelle on se trouverait déjà uni par
le sang ; parce qu’il ne résulterait de ce mariage aucune amitié nouvelle pour
personne. C’est ce qui fait que d’après les lois humaines et les canons de
l’Eglise, il y a plusieurs degrés de consanguinité qui sont un empêchement au
mariage. Ainsi il est évident d’après ce que nous avons dit que la
consanguinité empêche le mariage de droit naturel relativement à certaines
personnes (Cet empêchement est de droit naturel, du moins pour le premier
degré. Il y a des théologiens qui prétendent que la parenté en ligne directe
est un empêchement de droit naturel à tous les degrés, mais l’opinion contraire
nous semble plus probable. Le concile de Trente dit (sess. 24, chap. 5) : In secundo gradu nunquam dispensetur, nisi inter magnos principes et ob publicam causam.)
qu’elle l’empêche de droit divin par rapport à
d’autres et qu’il y en a aussi à l’égard desquelles elle l’empêche d’après le
droit établi par les hommes.
Article
4 : Les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage ont-ils pu être
déterminés par l’Eglise ?
Objection
N°1. Il semble que les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage n’aient
pu être fixés par l’Eglise jusqu’au quatrième degré. Car il est dit (Matth., 19, 6) : Que
l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. Or, Dieu a uni ceux qui se marient
au quatrième degré de consanguinité ; car leur union n’est pas défendue par la
loi divine. Ils ne doivent donc pas être séparés par une loi humaine.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme Dieu n’unit pas ceux qui s’unissent contrairement au
précepte divin, de même il n’unit pas ceux qui s’unissent contrairement au
précepte de l’Eglise, qui a la même force obligatoire qu’un précepte divin.
Objection
N°2. Le mariage est un sacrement comme le baptême. Or, il ne pourrait pas se
faire d’après une loi de l’Eglise que celui qui s’approche du baptême ne reçût
pas le caractère baptismal, si de droit divin il en était capable. Une loi de
l’Eglise ne peut donc pas faire que le mariage n’existe pas entre ceux auxquels
il n’est pas défendu de droit divin de se marier ensemble.
Réponse
à l’objection N°2 : Le mariage n’est pas seulement un sacrement, mais il est
encore un devoir naturel. C’est pourquoi il est plus soumis au gouvernement des
ministres de l’Eglise que le baptême qui n’est qu’un sacrement. Car comme les
contrats et les offices humains sont déterminés par les lois humaines, de même
les contrats et les offices spirituels le sont par les lois de l’Eglise.
Objection
N°3. Le droit positif ne peut ni resserrer, ni étendre ce qui est naturel. Or,
la consanguinité est un lien naturel qui, autant qu’il est en lui, est de
nature à empêcher le mariage. L’Eglise ne peut donc
pas par une loi faire qu’on puisse marier ou ne pas se marier, comme elle ne
peut faire qu’on soit parent ou qu’on ne le soit pas.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique le lien de consanguinité soit naturel, cependant il
n’est pas naturel que la consanguinité empêche l’union charnelle sinon à un
certain degré, comme nous l’avons dit (art. préc.).
C’est pourquoi par ses règles l’Eglise ne fait pas qu’on soit ou qu’on ne soit
pas parent (car on reste également parent dans tous les temps), mais elle fait
que l’union charnelle est licite ou illicite, selon les divers temps, à
différents degrés de consanguinité.
Objection
N°4. Une loi de droit positif doit avoir une cause raisonnable, parce que c’est
en raison de cette cause raisonnable qu’elle procède du droit naturel. Or, les
causes que l’on donne au sujet du nombre des degrés ne paraissent point du tout
raisonnables ; puisqu’elles n’ont aucun rapport avec leurs effets. Ainsi on dit
que la consanguinité est défendue jusqu’au quatrième degré à cause des quatre
éléments, jusqu’au sixième à cause des six âges du monde, jusqu’au septième, à
cause des sept jours dans lesquels tout le temps s’écoule. Il semble donc que
cette défense n’ait aucune valeur.
Réponse
à l’objection N°4 : Les raisons qu’on assigne sont plutôt données par manière
de rapprochement et de convenance qu’à titre de cause et de nécessité.
Objection
N°5. Le même effet doit se rencontrer où est la même cause. Or, la cause pour
laquelle la consanguinité empêche le mariage, c’est le bien des enfants, la
répression de la concupiscence et la multiplication de l’amitié, comme on le
voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.). Ces
choses sont également nécessaires dans tous les temps. Les mêmes degrés de
consanguinité auraient donc pu empêcher le mariage en tout temps ; ce qui n’est
pas vrai, puisque maintenant la consanguinité l’empêche jusqu’au quatrième
degré, et autrefois c’était jusqu’au septième.
Réponse
à l’objection N°5 : On n’a pas dû défendre aux différentes époques les degrés
de consanguinité pour la même cause ; par conséquent, ce qu’il est utile
d’accorder en certain temps, il est avantageux de le défendre dans un autre.
Objection
N°6. Une seule et même union ne peut pas être un sacrement et un crime. Or, il
en serait ainsi, si l’Eglise avait le pouvoir d’établir des nombres divers à
l’égard des degrés qui empêchent le mariage. Par, exemple, si des personnes
s’étaient mariées au cinquième degré, quand c’était défendu, cette union serait
un crime, mais elle deviendrait ensuite un mariage véritable, du moment que
l’Eglise aurait retiré sa défense. Le contraire pourrait aussi arriver, dans le
cas où l’Eglise viendrait à interdire des degrés qu’elle avait auparavant
permis. Il semble donc que la puissance de l’Eglise ne s’étende pas à cela.
Réponse
à l’objection N°6 : Une loi ne s’applique pas aux faits passés, mais aux faits
à venir. Par conséquent, si l’on venait à défendre le cinquième degré qui est
actuellement permis, ceux qui sont mariés au cinquième degré ne devraient pas
être séparés. Car aucun empêchement qui survient après le mariage ne peut le
dirimer. Ainsi l’union qui a été auparavant un mariage ne deviendrait pas par
l’effet de la loi de l’Eglise un crime. De même si on permettait un degré qui
est maintenant prohibé, cette union ne deviendrait pas une union matrimoniale
d’après la loi de l’Eglise, en raison du premier contrat ; car ils pourraient
se séparer s’ils le voulaient. Cependant ils pourraient se marier de nouveau,
et alors ce serait une union.
Objection
N°7. Le droit humain doit imiter le droit divin. Or, d’après le droit divin qui
est renfermé dans la loi ancienne, la défense ne portait pas également sur les
degrés ascendants et descendants. Car sous la loi ancienne il était défendu
d’épouser la sœur de son père et non la fille de son frère. Il ne doit donc plu
maintenant y avoir de défense à l’égard des neveux et des oncles.
Réponse
à l’objection N°7 : Dans la défense des degrés de consanguinité l’Eglise
observe principalement la raison de l’amour. Et parce que cette raison n’est
pas moindre à l’égard du neveu qu’à l’égard de l’oncle, mais qu’elle est même
plus forte, parce que le père a plus d’attachement pour son fils que le fils
pour son père, selon la remarque d’Aristote (Eth., liv. 8, chap. 12), elle a défendu également pour ce motif les
degrés de consanguinité qui se rapportent aux oncles et aux neveux. Mais dans
ces défenses la loi ancienne fait principalement attention à la cohabitation
contre la concupiscence, et elle interdit le mariage aux personnes à l’égard
desquelles l’accès se montrait plus facile à cause de leur cohabitation
mutuelle. Or, il est plus ordinaire que la nièce cohabite avec l’oncle que la
tante avec le neveu, parce que la fille est pour ainsi dire la même chose avec
son père, puisqu’elle est une partie de lui ; tandis que la sœur n’est pas
ainsi la même chose avec son frère, puisqu’elle n’est pas quelque chose de lui,
mais qu’elle est plutôt née du même principe. C’est pourquoi il n’y avait pas
la même raison pour défendre la nièce et la tante.
Mais
c’est le contraire. le Seigneur dit à ses disciples
(Luc, 9, 16) : Celui qui vous écoute
m’écoute. Les préceptes de l’Eglise ont donc la même force que les
préceptes de Dieu. Or, l’Eglise a quelquefois défendu et elle a quelquefois
accordé des degrés que la loi ancienne n’a pas interdits. Ces degrés empêchent
donc le mariage.
Comme
les mariages des gentils étaient autrefois réglés par les lois civiles, de même
ils le sont maintenant par les canons de l’Eglise. Or, autrefois la loi civile
déterminait les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage et ceux qui ne
l’empêchent pas. la même chose peut donc être faite
maintenant par les lois de l’Eglise.
Conclusion
L’Eglise peut par ses lois fixer les degrés de
consanguinité qui empêchent le mariage, suivant que d’après l’inspiration de l’Esprit-Saint qui l’éclaire elle le juge utile au genre
humain.
Il
faut répondre que selon les divers temps on trouve que la consanguinité a
empêché le mariage à divers degrés. Ainsi au commencement du genre humain il
n’y avait que le père et la mère avec lesquels on ne devait pas se marier ;
parce qu’à cette époque il y avait peu d’hommes et qu’il fallait s’occuper tout
particulièrement de la propagation de l’espèce humaine. On ne devait donc
éloigner que les personnes qui étaient incapables de se marier par rapport à la
fin principale du mariage qui est le bien des enfants,
comme nous l’avons dit (art. préc.). Lorsque le genre
humain se fut multiplié, la loi de Moïse excepta plusieurs personnes pour
commencer à réprimer en elles la concupiscence. Ainsi, comme l’observe Moyse Maimonide (Dux errant, liv.
3, chap. 50 à med.), on défendit de se marier
ensemble à toutes les personnes qui ont coutume d’habiter dans la même famille
; parce que si elles avaient pu avoir ensemble licitement des relations
charnelles, cette liberté aurait vivement embrasé leurs passions. Mais la loi
ancienne a permis d’autres degrés de consanguinité et même elle a prescrit
d’une certaine manière à chacun d’épouser une femme de ses parentes pour qu’il
n’y ait pas de confusion dans les successions ; parce qu’à cette époque le
culte divin se propageait par la succession des familles. Mais sous la loi
nouvelle, qui est la loi de l’esprit et de l’amour, on a défendu plusieurs
degrés de consanguinité, parce que le culte de Dieu se répand et se multiplie
par la grâce spirituelle et non par l’origine charnelle. Par conséquent, il
faut que les hommes soient plus éloignés des choses charnelles et que,
s’attachant aux spirituelles, l’amour se répande en eux de plus en plus. C’est
pourquoi autrefois on empêchait le mariage jusqu’aux degrés de consanguinité
les plus éloignés, afin que l’amitié naturelle s’étendît à un plus grand nombre
par la consanguinité et l’affinité. On l’avait étendu avec raison jusqu’au
septième degré ; soit parce qu’au-delà on ne trouvait pas facilement le
souvenir de la souche commune, soit parce que ce nombre était en rapport avec
la grâce septiforme de l’Esprit-Saint. Mais ensuite,
dans ces derniers temps, l’Eglise a restreint sa défense jusqu’au quatrième
degré (Cette loi fut protée par le onzième concile de Latran en l’année 1215 (Decretal., liv. 4, chap. 8). C’est encore
aujourd’hui le degré fixé par les lois de l’Eglise.), parce qu’il était inutile
et dangereux de défendre au-delà les degrés de consanguinité. C’était inutile,
parce qu’à l’égard des parents plus éloignés, il n’y avait pas de rapports
d’amitié plus étroits qu’avec des étrangers, la charité s’étant refroidie dans
le cœur du plus grand nombre. C’était dangereux, parce que la concupiscence et
la négligence l’emportant, on ne tenait pas assez compte de cette multitude si
nombreuse de parents, et la défense qui portait sur les degrés les plus
éloignés devenait ainsi une cause de damnation pour un plus grand nombre. Il a
été assez convenable de restreindre cette défense jusqu’au quatrième degrés ;
soit parce que les hommes vivent ordinairement jusqu’à la quatrième génération,
de manière que le souvenir de la parenté ne peut pas être effacé, ce qui fait
dire à Dieu dans ses menaces qu’il punira les fautes des parents dans les
enfants jusqu’à la quatrième génération (Ex.,
chap. 20) ; soit parce que dans chaque génération nouvelle le mélange du sang
dont l’identité produit la consanguinité, se fait avec un sang étranger et il
s’éloigne du premier en raison de ce qu’il se mélange avec un autre. Et parce
qu’il y a quatre éléments et que chacun d’eux se mélange d’autant plus
facilement qu’il est plus subtil, il s’ensuit que dans le premier mélange
l’identité du sang s’évanouit quant au premier élément qui est le plus subtil,
que dans le second elle s’évanouit quant au second, dans le troisième quant au
troisième, et dans le quatrième quant au quatrième ; de telle sorte qu’après la
quatrième génération l’union charnelle peut convenablement avoir lieu de
nouveau.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.