Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 56 : De l’empêchement de la parenté spirituelle

 

          Nous devons ensuite nous occuper de l’empêchement de la parenté spirituelle. A cet égard cinq questions se présentent : 1° La parenté spirituelle empêche-t-elle le mariage ? — 2° Pour quelle cause se contracte-t-elle ? — 3° Entre qui ? — 4° Passe-t-elle de l’homme à la femme ? — 5° Passe-t-elle aux enfants charnels du père ?

 

Article 1 : La parenté spirituelle empêche-t-elle le mariage ?

 

          Objection N°1. Il semble que la parenté spirituelle n’empêche pas le mariage. Car une chose n’empêche le mariage qu’autant qu’elle est contraire à l’un de ses biens. Or, la parenté spirituelle n’est contraire à aucun des biens du mariage. Elle ne l’empêche donc pas.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique la parenté spirituelle n’empêche pas un des biens principaux du mariage, cependant elle empêche un de ses biens secondaires qui est la multiplication de l’amitié. Car la parenté spirituelle est une raison suffisante d’amitié par elle-même. Par conséquent il faut que par le mariage on cherche à établir des liaisons et des rapports d’amitié avec d’autres personnes.

 

          Objection N°2. Ce qui est un empêchement perpétuel au mariage ne peut exister simultanément avec lui. Or, la parenté spirituelle existe quelquefois simultanément avec le mariage, comme le dit le maître des sentences (Sent. 4, dist. 42), comme quand quelqu’un baptise son fils dans le cas de nécessité. Car alors il devient uni à son épouse par une parenté spirituelle, et le mariage n’est cependant pas dissous. Donc la parenté spirituelle n’empêche pas le mariage.

          Réponse à l’objection N°2 : Le mariage est un lien perpétuel. C’est pour ce motif qu’aucun empêchement qui survient ne peut le dirimer. Ainsi il arrive quelquefois que le mariage et l’empêchement du mariage existent simultanément ; mais il n’en est pas de même si l’empêchement précède.

 

          Objection N°3. L’union de l’esprit ne passe pas dans la chair. Or, le mariage est une union charnelle. Donc, puisque la parenté spirituelle est une union spirituelle, elle ne peut parvenir à empêcher le mariage.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans le mariage il n’y a pas seulement une union corporelle, mais il y a encore une union spirituelle. C’est pourquoi la proximité spirituelle est pour lui un empêchement, sans que la parenté spirituelle doive passer à l’union charnelle.

 

          Objection N°4. Les contraires ne produisent pas les mêmes effets. Or, la parenté spirituelle paraît être contraire à la différence de culte ; puisque la parenté spirituelle est une proximité qui provient d’un sacrement qu’on a donné ou de l’intention qu’on a eue à l’égard de ce sacrement ; tandis que la différence de culte consiste dans l’absence du sacrement, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 1, et 4, dist. 39, quest. 1, art. 1). Donc puisque la différence de culte empêche le mariage, il semble que la parenté spirituelle n’ait pas cet effet.

          Réponse à l’objection N°4 : Il ne répugne pas que deux choses qui sont contraires réciproquement soient contraires à une même troisième, comme le grand et le petit par rapport à ce qui est égal. C’est ainsi que la disparité du culte et la parenté spirituelle répugnent au mariage. Car dans l’une il y a une distance et dans l’autre une proximité plus grande que celle que le mariage requiert. C’est pourquoi le mariage est empêché par l’une et l’autre.

 

          Mais au contraire, plus un lien est saint et plus il doit être respecté. Or, un lien spirituel est plus saint qu’un lien corporel. Par conséquent, puisque le lien de parenté corporelle empêche le mariage, il semble que la parenté spirituelle fasse aussi de même.

          Dans le mariage l’union des âmes est plus principale que l’union des corps, parce qu’elle la précède. Donc la parenté spirituelle peut empêcher le mariage beaucoup plus que la parenté charnelle.

 

          Conclusion Comme la parenté charnelle empêche le mariage qui doit être contracté et dirime celui qui l’est, de même la parenté spirituelle ; mais elle le fait d’après une loi de l’Eglise, si elle est antérieure au mariage.

          Il faut répondre que comme l’homme reçoit l’être naturel par la propagation de la chair, de même il reçoit l’être spirituel de la grâce par les sacrements. Par conséquent comme le lien qui se contracte d’après la propagation de la chair est naturel à l’homme, selon qu’il est une chose de la nature ; de même le lien qui se contracte par suite de la réception des sacrements lui est naturel d’une certaine manière, selon qu’il est membre de l’Eglise. C’est pourquoi, comme la parenté charnelle empêche le mariage, de même la parenté spirituelle l’empêche d’après une loi de l’Eglise. Cependant il faut faire une distinction à l’égard de la parenté spirituelle ; car ou elle a précédé le mariage ou elle le suit. Si elle l’a précédé, elle empêche le mariage qui doit être contracté et dirime celui qui l’est. Si elle le suit, dans ce cas elle ne dirime pas le mariage, mais quant à l’acte du mariage il faut encore distinguer. Car ou la parenté spirituelle a été produite pour cause de nécessité, comme quand le père baptise son fils à l’article de la mort, dans ce cas elle n’empêche l’acte du mariage ni de part, ni d’autre ; ou bien elle est produite hors le cas de nécessité par ignorance. Alors si celui dont l’acte l’a produite a employé la diligence nécessaire pour s’instruire, la décision est la même que dans le premier cas, ou bien elle est produite à dessein hors le cas de nécessité (Ce sentiment est le plus commun, et on doit le suivre dans la pratique, quoique saint Liguori regarde le sentiment contraire comme assez probable, parce que l’alliance spirituelle n’est pas appliquée expressément par le droit au cas dont il s’agit (liv. 6, n° 150).) ; alors celui dont l’acte l’a produite perd son droit de demander la dette conjugale ; cependant il doit la payer si l’autre partie la demande, parce que la faute de l’un ne doit pas causer de préjudice à l’autre.

 

Article 2 : La parenté spirituelle ne se contracte-t-elle que par le baptême ?

 

          Objection N°1. Il semble que la parenté spirituelle ne se contracte que par le baptême. Car ce que la parenté spirituelle est à la génération corporelle, la parenté spirituelle l’est à la génération spirituelle. Or, il n’y a que le baptême qui porte le nom de génération spirituelle. Donc la parenté spirituelle ne se contracte que par ce moyen, comme la parenté charnelle ne se contracte que par la génération charnelle.

          Réponse à l’objection N°1 : Il y a deux sortes de naissance charnelle. la première dans le sein de la mère où l’enfant qui s’y trouve est encore si faible qu’il ne peut être produit au dehors sans danger. La régénération produite par le baptême ressemble à cette naissance ; celui que le baptême engendre a pour ainsi dire besoin d’être encore animé et vivifié dans le sein de l’Eglise. La seconde naissance, c’est quand l’enfant sort du sein de la mère et qu’après s’y être formé il a acquis assez de force pour pouvoir être exposé sans péril aux accidents extérieurs qui peuvent avoir naturellement action sur lui. La confirmation ressemble à cette seconde naissance ; elle fortifie l’homme et le met à même de paraître en public pour confesser le nom du Christ. C’est pourquoi il est convenable que la parenté spirituelle se contracte par ces deux sacrements.

 

          Objection N°2. Comme la confirmation imprime caractère, de même l’ordre. Or, de ce qu’on reçoit l’ordre il n’en résulte pas de parenté spirituelle. Elle n’est donc pas non plus l’effet de la confirmation, et par conséquent elle ne provient que du baptême.

          Réponse à l’objection N°2 : Le sacrement de l’ordre ne produit pas de régénération, mais une promotion de puissance. C’est pour ce motif que la femme ne reçoit pas l’ordre ; et par conséquent il ne peut en résulter aucun empêchement pour le mariage. C’est pour cela qu’on ne compte pas cette parenté.

 

          Objection N°3. Les sacrements sont plus nobles que les choses sacramentelles. Or, il ne résulte pas de parenté spirituelle de certains sacrements, comme on le voit à l’égard de l’extrême-onction. Il en résulte donc encore beaucoup moins du catéchisme, comme quelques-uns le prétendent.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans le catéchisme on promet de recevoir plus tard le baptême, comme dans les fiançailles on fait la promesse de se marier. Par conséquent, comme dans les fiançailles on contracte une certaine espèce de parenté, de même dans le catéchisme. Cela empêche au moins le mariage qui doit être contracté, comme quelques-uns le disent, tandis qu’il n’en est pas de même pour les autres sacrements.

 

          Objection N°4. Indépendamment du catéchisme on compte une multitude d’autres choses parmi les choses sacramentelles du baptême. Donc la parenté spirituelle ne se contracte pas plus d’après le catéchisme que d’après ces autres choses.

          Réponse à l’objection N°4 : Cette profession de foi ne se fait pas dans les autres parties sacramentelles du baptême comme dans le catéchisme. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°5. La prière n’est pas moins efficace pour porter au bien que l’instruction ou le catéchisme. Or, la parenté spirituelle ne se contracte pas d’après la prière. Elle ne se contracte donc pas d’après le catéchisme.

          Réponse à l’objection N°5 : Même réponse que pour l’objection N°4 au sujet de la prière.

 

          Objection N°6. L’instruction que l’on fait à ceux que l’on baptise par manière de prédication n’a pas moins de valeur que celle qu’on fait à ceux qui ne sont pas encore baptisés. Or, par la prédication on ne contracte pas de parenté spirituelle. Il n’en résulte donc pas non plus du catéchisme.

          Réponse à l’objection N°6 : Même réponse que pour l’objection N°4 au sujet de la prédication.

 

          Objection N°7. Mais au contraire. Saint Paul dit (1 Cor., 4, 15) : Je vous ai engendrés en Jésus-Christ par l’Evangile. Or, la génération spirituelle produit la parenté spirituelle. Donc la parenté spirituelle résulte de la prédication de l’Evangile et de l’instruction, et elle ne provient pas seulement du baptême.

          Réponse à l’objection N°7 : L’Apôtre les avait instruits à l’égard de la foi comme le fait le catéchiste. Par conséquent, cette instruction se rapportait d’une certaine manière à la génération spirituelle.

 

          Objection N°8. Comme le péché originel est effacé par le baptême, de même le péché actuel l’est par la pénitence. Donc comme le baptême produit la parenté spirituelle, de même aussi la pénitence.

          Réponse à l’objection N°8 : La parenté spirituelle ne se contracte pas par le sacrement de pénitence à proprement parler. Ainsi l’enfant d’un prêtre peut se marier avec la femme que le prêtre a entendue en confession ; autrement le fils d’un prêtre ne trouverait pas dans toute la paroisse une femme avec laquelle il pût se marier. Peu importe d’ailleurs que la pénitence efface le péché actuel ; parce qu’elle ne le fait pas par manière de génération, mais par manière de guérison. Cependant par la pénitence il se contracte entre la femme qui se confesse et le prêtre une certaine alliance semblable à la parenté spirituelle, de manière que s’il a avec elle des relations charnelles il pèche autant que si elle était sa fille spirituelle. Et il en est ainsi parce qu’il y a la plus grande intimité entre le prêtre et la personne qui se confesse, et on a établi pour ce motif cette prohibition afin de lui enlever l’occasion de pécher.

 

          Objection N°9. Le mot père est un nom de parenté. Or, par la pénitence, l’enseignement et la charge pastorale et beaucoup d’autres choses semblables on dit qu’on est le père spirituel à l’égard d’un autre. Donc la parenté spirituelle se contracte d’après une multitude d’autres choses que le baptême et la confirmation.

          Réponse à l’objection N°9 : On donne le nom de père spirituel par analogie avec le père charnel. Or, le père charnel, d’après Aristote (Eth., liv. 8, chap. 2, circ. princ. et chap. 12, circ. med.) donne trois choses à son fils, l’être, la nourriture et l’instruction. C’est pour cela qu’on est appelé le père spirituel de quelqu’un en raison de l’une de ces trois choses. Cependant de ce qu’on est père spirituel, on ne contracte pas de parenté spirituelle, à moins qu’on ne soit père quant à la génération qui donne l’être. La huitième objection qui précède peut aussi être résolue de cette manière.

 

          Conclusion Puisque la naissance qu’on a reçue par le baptême est affermie et complétée par le sacrement de confirmation, on contracte une parenté spirituelle au moyen de ces deux sacrements.

          Il faut répondre qu’à cet égard il y a trois sortes d’opinion. En effet, il y en a qui disent que comme la régénération spirituelle vient de la grâce septiforme de l’Esprit-Saint, de même elle est produite par sept choses, en commençant par le sel béni qui se met dans la bouche jusqu’à la confirmation faite par l’évêque, et ils prétendent que la parenté spirituelle se contracte par chacune de ces sept choses. Mais cette opinion ne semble pas raisonnable ; parce que la parenté charnelle ne se contracte que par l’acte complet de la génération. L’affinité ne se contracte non plus que par suite du mélange du sang d’où peut résulter la génération charnelle. Or, la génération spirituelle n’est produite que par un sacrement. Il paraît donc convenable que la parenté spirituelle ne se contracte aussi que par un sacrement. — C’est pourquoi d’autres disent que la parenté spirituelle ne se contracte que par trois sacrements : le catéchisme, le baptême et la confirmation. Mais ils paraissent ignorer le sens propre des mots ; parce que le catéchisme n’est pas un sacrement, mais une chose sacramentelle. — C’est pour cela que d’autres disent qu’on ne le contracte que par deux sacrements, la confirmation et le baptême, et cette opinion est la plus commune. Cependant à l’égard du catéchisme (Cet empêchement qui existait autrefois a été détruit par le concile de Trente, ainsi que tous les autres empêchements de parenté spirituelle, à l’exception de ceux qui naissent du baptême ou de la confirmation.), il y en a qui disent que c’est un empêchement débile, parce qu’il empêche le mariage qui doit être contracté, mais qu’il ne dirime pas celui qui l’est.

 

Article 3 : La parenté spirituelle se contracte-t-elle entre celui qui reçoit le sacrement de baptême et celui qui le tient sur les fonts baptismaux ?

 

          Objection N°1. Il semble que la parenté ne se contracte pas entre celui qui reçoit le sacrement de baptême et celui qui le tient sur les fonts sacrés. Car dans la génération charnelle la parenté ne se contracte que de la part de celui dont le sang engendre l’enfant, mais non de la part de celui qui reçoit l’enfant lorsqu’il est né. Donc il ne se contracte pas de parenté spirituelle entre celui qui reçoit quelqu’un sur les fonts sacrés et celui qui est reçu.

          Réponse à l’objection N°1 : Non seulement le père dont le sang engendre l’enfant contracte une parenté charnelle avec lui, mais encore la mère qui fournit la matière et dans le sein de laquelle l’enfant est engendré. Par conséquent le parrain qui offre au nom de l’Eglise entière celui qui doit être baptisé et qui le tient pendant la confirmation, contracte aussi une parenté spirituelle.

 

          Objection N°2. Celui qui tient quelqu’un sur les fonts sacrés est appelé par saint Denis anadochus (De eccles. hier., chap. 2), et il appartient à son office d’instruire l’enfant. Or, l’instruction n’est pas une cause suffisante de parenté spirituelle comme nous l’avons dit (art. préc.). Donc il ne se contracte aucune parenté spirituelle entre celui qui est baptisé et le parrain.

          Réponse à l’objection N°2 : Il ne contracte pas une parenté spirituelle en raison de l’instruction qu’il doit donner à l’enfant, mais en raison de la génération spirituelle à laquelle il coopère.

 

          Objection N°3. Il peut arriver qu’on tienne quelqu’un sur les fonts sacrés avant d’être soi-même baptisé. Or, il n’en résulte aucune parenté spirituelle ; parce que celui qui n’est pas baptisé n’est capable d’aucun effet spirituel. Il ne suffit donc pas de tenir quelqu’un sur les fonts sacrés pour contracter une parenté spirituelle.

          Réponse à l’objection N°3 : Celui qui n’est pas baptisé ne peut tenir quelqu’un sur les fonts sacrés, puisqu’il n’est pas membre de l’Eglise que le parrain représente, quoiqu’il puisse baptiser, parce qu’il est la créature de Dieu que représente celui qui baptise. Mais il ne peut contracter aucune parenté spirituelle, parce qu’il n’a pas la vie spirituelle à laquelle l’homme naît par le baptême.

 

          Mais il y a de contraire la définition de la parenté spirituelle que nous avons donnée (art. 1) et les témoignages cités par le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 42).

 

          Conclusion Celui qui tient quelqu’un sur les fonts sacrés remplissant le rôle de l’Eglise qui est notre mère, il en résulte une parenté spirituelle entre lui et celui qui reçoit le sacrement de baptême.

          Il faut répondre que comme dans la génération charnelle on naît d’un père et d’une mère ; de même dans la génération spirituelle on renaît ayant Dieu pour père et l’Eglise pour mère. Or, comme celui qui confère le sacrement agit en la personne de Dieu dont il est l’instrument et le ministre ; de même celui qui tient quelqu’un sur les fonts sacrés et dans la confirmation représente la personne de l’Eglise. Par conséquent la parenté spirituelle se contracte à l’égard de l’un et de l’autre (Mais comme l’observe saint Liguori : requiritur ad contrahendam cognationem, ut patrinus vel teneat, aut tangat infantem dum baptizatur, vel statim levet aut suscipiat de sacro fonte, vel de manibus baptizantis (liv. 6, n° 1408).).

 

Article 4 : La parenté spirituelle passe-t-elle de l’homme à la femme ?

 

          Objection N°1. Il semble que la parenté spirituelle ne passe pas de l’homme à la femme. Car l’union spirituelle et l’union corporelle sont disparates et de divers genres. Donc on ne passe pas à la parenté spirituelle par le moyen de l’union charnelle qui existe entre l’homme et la femme.

          Réponse à l’objection N°1 : De ce que l’union corporelle et l’union spirituelle sont de divers genres on peut en conclure que l’une n’est pas l’autre, mais non plus que l’une ne puisse pas être cause de l’autre ; parce que quelquefois quand il s’agit de choses qui appartiennent à des genres divers, l’une est cause de l’autre soit par elle-même, soit par accident.

 

          Objection N°2. Dans la génération spirituelle qui est la cause de la parenté spirituelle, le père et la mère spirituels ont plus de rapport ensemble que l’homme qui est le père spirituel n’en a avec sa femme. Or, le père et la mère spirituels ne contractent par là aucune parenté spirituelle. Donc la femme n’en contracte aucune également de ce que son mari est le père spirituel de quelqu’un.

          Réponse à l’objection N°2 : Le père spirituel et la mère spirituelle du même enfant ne sont unis dans la génération spirituelle que par accident ; parce que l’un suffirait pour cela par lui-même. Il n’est donc pas nécessaire qu’il en résulte entre eux une parenté spirituelle au point que le mariage ne puisse exister entre eux. De là ces vers : Unus semper erit compatrum spiritualis, Alter carnalis : non fallit regula talis. Mais par le mariage l’homme et la femme ne deviennent qu’une chair, absolument parlant. C’est pour cela qu’il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°3. Il peut arriver que l’homme soit baptisé et que la femme ne le soit pas ; comme quand l’un se convertit et que l’autre reste infidèle et ne se convertit pas. Or, la parenté spirituelle ne peut parvenir à celui qui n’est pas baptisé. Elle ne passe donc pas toujours de l’homme à la femme.

          Réponse à l’objection N°3 : Si la femme n’est pas baptisée elle ne contractera pas de parenté spirituelle, parce qu’elle n’en est pas capable, mais non parce que la parenté spirituelle ne peut être transmise à la femme par le mariage.

 

          Objection N°4. L'homme et la femme peuvent tenir ensemble quelqu’un sur les fonts sacrés. Si donc la parenté spirituelle passait de l’homme à la femme, il s’ensuivrait qu’ils seraient l’un et l’autre deux fois père et deux fois mère spirituellement du même enfant ; ce qui répugne.

          Réponse à l’objection N°4 : Par là même qu’il n’y a pas de parenté spirituelle entre le père spirituel et la mère, rien n’empêche que l’homme et la femme ne tiennent ensemble quelqu’un sur les fonts sacrés. Il ne répugne pas que la femme pour des causes différentes devienne deux fois la mère spirituelle du même enfant ; comme elle peut aussi être parente par affinité et par consanguinité par la proximité charnelle.

 

          Mais au contraire. Les biens spirituels sont plus susceptibles de se multiplier que les biens corporels. Or, la consanguinité corporelle de l’homme passe à la femme par l’affinité. Donc à plus forte raison la parenté spirituelle.

 

          Conclusion La parenté spirituelle passe de l’homme à la femme qu’il a connue charnellement, s’il tient par son acte propre l’enfant d’un autre sur les fonts sacrés.

          Il faut répondre qu’on peut devenir le compère de quelqu’un de deux manières : 1° Par l’acte d’un autre, de celui qui baptise ou qui tient l’enfant au baptême. De la sorte la parenté spirituelle ne passe pas de l’homme à la femme, à moins que l’enfant ne soit le fils de la femme, parce qu’alors la femme contracte directement la parenté spirituelle comme le mari. 2° Par son acte propre, comme quand on tient l’enfant d’un autre sur les fonts sacrés. Dans ce cas la parenté spirituelle passe à la femme avec laquelle on a eu des relations charnelles (D’après le concile de Trente cette alliance spirituelle ne passe plus du mari à la femme ni de la femme au mari.). Mais elle n’y passe pas si le mariage n’a pas été consommé, parce qu’ils ne sont pas encore devenus une seule chair. Cette parenté se produit par manière d’affinité. Pour la même raison il semble qu’elle passe aussi à la femme qu’on a connue charnellement, quoiqu’on ne l’ait pas pour épouse. De là ces vers :

                              Quæ mihi, vel cujus natum mea fonte levavit,

                              Hæc mea comamter, fieri mea non valet uxor ;

                              Si qua meæ natum non ex me fonte levavit,

                              Hanc post fata mea non inde vetabor habere.

 

Article 5 : La parenté spirituelle passe-t-elle aux enfants charnels du père spirituel ?

 

          Objection N°1. Il semble que la parenté spirituelle ne passe pas aux enfants charnels du père spirituel. Car on n’assigne pas de degrés à la parenté spirituelle. Or, il y aurait des degrés si elle passait du père au fils ; parce que la personne engendrée change le degré, comme nous l’avons dit (quest. 55, art. 5). Elle ne passe donc pas aux enfants charnels du père spirituel.

          Réponse à l’objection N°1 : La personne ajoutée par la propagation de la chair produit un degré par rapport à la personne qui lui est parente dans le même genre, mais non par rapport à celle qui lui est parente dans un autre genre ; comme le fils se trouve au même degré que le père par rapport à l’épouse du père, quoique ce soit dans un autre genre de proximité. Or, la parenté spirituelle est d’un autre genre que la parenté charnelle. C’est pourquoi le fils spirituel n’est pas parent avec le fils naturel de son père spirituel au même degré que l’est son père par le moyen duquel passe la parenté spirituelle. Par conséquent il n’est pas nécessaire que la parenté spirituelle ait un degré.

 

          Objection N°2. Le père est au même degré à l’égard du fils que le frère à l’égard du frère. Si donc la parenté spirituelle passe du père au fils, pour la même raison elle passera du frère au frère, ce qui est faux.

          Réponse à l’objection N°2 : Le frère n’est pas quelque chose du frère, comme le fils est quelque chose du père ; mais l’épouse est quelque chose de l’homme avec lequel elle ne fait qu’un corps ; c’est pour cela que la parenté spirituelle ne passe pas du frère au frère, soit qu’il ait été engendré avant la fraternité spirituelle, soit qu’il l’ait été après.

 

          Mais c’est le contraire qui est prouvé par des autorités dans le Maître des sentences (Sent. 5, dist. 42).

 

          Conclusion La parenté spirituelle passe aux enfants charnels du père spirituel, de telle sorte qu’elle empêche le mariage qui doit être contracté et dirime celui qui l’est.

          Il faut répondre le fils est quelque chose du père et non réciproquement, comme le dit Aristote (Eth., liv. 8, chap. 12). C’est pourquoi la parenté spirituelle passe du père au fils charnel et non réciproquement. Ainsi il est évident qu’il y a trois parentés spirituelles : l’une qu’on appelle la paternité spirituelle qui existe entre le père spirituel et le fils spirituel ; l’autre qu’on appelle la compaternité qui existe entre le père spirituel et le père charnel du même enfant ; et la troisième qu’on appelle la fraternité spirituelle qui existe entre l’enfant spirituel et les fils charnels du même père. Chacune de ces espèces de parenté empêche le mariage qui doit être contracté et dirime celui qui l’est (D’après le concile de Trente, pour le baptême l’affinité spirituelle se contracte seulement entre celui qui baptise et celui qui est baptisé, entre celui qui baptise et les père et mère de celui qui est baptisé, entre les parrain et marraine et celui qui est baptisé, et entre le parrain et la marraine et le père et la mère de celui qui est baptisé. Pour la confirmation, entre le confirmant et le confirmé son père et sa mère, et le parrain et la marraine (Voy. sess. 24 de reform. matr. chap. 2).).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.