Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 59 : De la différence de culte qui empêche le mariage

 

          Nous devons ensuite nous occuper de la différence de culte qui empêche le mariage. A ce sujet six questions se présentent : 1° Un fidèle peut-il se marier avec un infidèle ? — 2° Le mariage existe-t-il parmi les infidèles ? — 3° L’époux converti à la foi peut-il rester avec son épouse infidèle qui ne veut pas se convertir ? (Ce mariage est dissous par la conversion de l’une des parties, si la partie infidèle refuse d’habiter avec celle qui est convertie ; mais il n’en est pas de même si elle consent à habiter avec elle et qu’il n’y ait aucun danger pour celle-ci. C’est la doctrine constante de l’Eglise.) — 4° Peut-il quitter son épouse infidèle ? — 5° L’ayant quittée, peut-il en épouser une autre ? — 6° L’homme peut-il quitter sa femme pour d’autres péchés, de la même manière que pour l’infidélité ?

 

Article 1 : Un fidèle peut-il se marier avec une infidèle ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’un fidèle puisse marier avec une infidèle. Car Joseph se maria avec une Egyptienne et Esther épousa Assuérus. Or, dans ces deux mariages il y a eu la différence de culte ; puisque l’un était infidèle et l’autre fidèle. Donc la différence de culte qui précède le mariage ne l’empêche pas.

          Réponse à l’objection N°1 : Sous la loi ancienne il avait été permis à l’égard de certains infidèles qu’on pût se marier avec eux et cela avait été défendu pour d’autres. C’était spécialement défendu au sujet des infidèles qui habitaient sur la terre de Chanaan ; soit parce que le Seigneur avait ordonné de les exterminer à cause de leur obstination ; soit parce qu’il y avait plus de danger qu’ils n’entraînassent à l’idolâtrie les femmes ou les hommes qui s’uniraient à eux. Car les Israélites avaient plus d’inclination pour leur religion et pour leurs mœurs à cause des rapports qu’ils avaient avec eux. Mais à l’égard des autres nations la loi le permettait, surtout quand il n’y avait pas lieu de craindre qu’on ne se laissât aller à l’idolâtrie. Ainsi, Joseph, Moïse, Esther se sont mariés avec des infidèles. Mais sous la loi nouvelle qui est répandue dans le monde entier, on a la même raison de défendre le mariage à l’égard de tous les infidèles. C’est pourquoi la différence de culte qui précède le mariage l’empêche quand il doit être contracté, et le dirime quand il l’est.

 

          Objection N°2. C’est la même foi qu’enseignent la loi ancienne et la loi nouvelle. Or, d’après la loi ancienne il pouvait y avoir mariage entre un fidèle et une infidèle, comme on le voit (Deut., 21, 10) : Si étant allé combattre vos ennemis vous voyez parmi les captifs une femme qui soit belle et que vous l’aimiez, vous la prendrez pour vous… vous dormirez avec elle et elle sera votre épouse. Cela est donc aussi permis sous la loi nouvelle.

          Réponse à l’objection N°2 : Cette loi parle des autres nations avec lesquelles ils pouvaient licitement se marier, ou bien elle s’exprime ainsi pour le cas où cette captive voulait se convertir à la foi et au culte de Dieu.

 

          Objection N°3. Les fiançailles se rapportent au mariage. Or, dans certains cas les fiançailles peuvent avoir lieu entre un fidèle et une infidèle sous la condition que ce dernier se convertira. Le mariage peut donc se contracter entre eux sous la même condition.

          Réponse à l’objection N°3 : Le rapport du présent au présent et du futur au futur est le même. Par conséquent, comme quand le mariage se contracte présentement, on requiert l’unité de culte dans les deux parties contractantes ; de même pour les fiançailles où l’on fait la promesse d’un mariage futur, il suffit de mettre une condition qui se rapporte à l’unité future du culte.

 

          Objection N°4. Tout empêchement de mariage est contraire de quelque manière au mariage. Or, l’infidélité n’est pas contraire ; parce que le mariage est un devoir de nature et que la foi est supérieure à la nature. Donc la différence de foi n’empêche pas le mariage.

          Réponse à l’objection N°4 : Il est évident d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.), que la différence de culte est contraire au mariage en raison de son bien le plus important qui est le bien des enfants.

 

          Objection N°5. Quelquefois il y a une différence de foi entre deux personnes baptisées, comme quand on tombe dans l’hérésie après le baptême. Or, si on vient à se marier avec une chrétienne, le mariage est néanmoins valide. Donc la différence de foi n’empêche pas le mariage.

          Réponse à l’objection N°5 : Le mariage est un sacrement. C’est pourquoi quant à ce qui appartient à la nécessité du sacrement, il requiert la parité relativement au sacrement de la foi, c’est-à-dire relativement au baptême plutôt qu’à l’égard de la foi intérieure. Aussi on n’appelle pas cet empêchement la différence de foi, mais la différence de culte, parce que le culte se rapporte au service extérieur, comme nous l’avons dit (liv. 3, dist. 9, quest. 1, art. 1, quest. 1). C’est pour cela que si un fidèle se marie avec une hérétique baptisée, le mariage est véritable (La différence de culte entre les catholiques et les hérétiques ne constitue qu’un empêchement prohibant, et le mariage est valide, à moins que les parties ne soient liées entre elles par un empêchement dirimant, ou qu’elles se marient sans la présence du curé et de deux témoins dans les paroisses où le décret du concile de Trente sur la clandestinité est en vigueur.), quoiqu’il pèche en le contractant, s’il sait qu’elle est hérétique ; comme il pécherait s’il se mariait avec une excommuniée. Le mariage ne serait cependant pas pour cela dirimé. Au contraire si un catéchumène qui a la vraie foi, mais qui n’est pas encore baptisé, venait à se marier avec une fidèle baptisée, le mariage ne serait pas valide.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (2 Cor., 6, 14) : Quelle alliance y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ? Or, il y a entre l’homme et la femme la plus grande union. Donc celui qui est dans la lumière de la foi ne peut pas contracter mariage avec celle qui est dans les ténèbres de l’infidélité.

          Il est dit (Mala., 2, 11) : Juda a déshonoré la sainteté du Seigneur en aimant et en prenant pour femme celle qui adorait des dieux étrangers. Or, il n’en serait pas ainsi si le mariage pouvait véritablement se contracter entre eux. La différence de culte empêche donc le mariage.

 

          Conclusion Les parents qui n’ont pas la même foi ne peuvent élever leurs enfants dans la même crainte de Dieu ; la différence de culte qui précède le mariage empêche que l’infidèle ne puisse se marier avec un fidèle.

          Il faut répondre que le bien le plus important du mariage ce sont les enfants qui doivent être élevés dans la crainte de Dieu. Or, l’éducation étant faite communément par le père et la mère, l’un et l’autre se propose d’élever ses enfants dans le culte de Dieu conformément à sa foi. C’est pourquoi si leur foi est différente, l’intention de l’un sera contraire à l’intention de l’autre, et par conséquent il ne peut pas y avoir entre eux de mariage convenable. Et c’est pour cela que la différence de culte qui précède le mariage empêche qu’on puisse le contracter (Cet empêchement est de droit ecclésiastique ; le pape peut en dispenser.).

 

Article 2 : Peut-il y avoir mariage entre les infidèles ?

 

          Objection N°1. Il semble que le mariage ne puisse pas exister entre les infidèles. Car le mariage est un sacrement de l’Eglise. Or, le baptême est la porte des sacrements. Donc les infidèles qui ne sont pas baptisés ne peuvent pas se marier, comme ils ne peuvent pas non plus recevoir les autres sacrements.

          Réponse à l’objection N°1 : Le mariage n’a pas été établi seulement comme sacrement, mais encore comme devoir de nature. C’est pourquoi bien que le mariage ne convienne pas aux infidèles, selon qu’il est un sacrement qui consiste dans la dispensation des ministres, cependant il leur convient selon qu’il est un devoir de nature. Néanmoins ce mariage est encore un sacrement habituel d’une certaine manière, quoiqu’il ne le soit pas actuellement, parce qu’ils ne contractent pas en acte dans la foi de l’Eglise.

 

          Objection N°2. Deux maux empêchent plus le bien qu’un seul. Or, l’infidélité d’un seul empêche le bien du mariage. Donc à plus forte raison l’infidélité de l’un et de l’autre, et par conséquent le mariage ne peut exister entre les infidèles.

          Réponse à l’objection N°2 : La différence de culte n’empêche pas le mariage en raison de l’infidélité, mais en raison de la différence qu’il y a dans la croyance. Car la différence de culte n’empêche pas seulement la perfection seconde des enfants, mais elle empêche encore la première, puisque les parents s’appliquent à instruire leurs enfants dans des voies différentes, ce qui n’a pas lieu quand ils sont l’un et l’autre infidèles.

 

          Objection N°3. Comme il y a différence de culte entre un fidèle et un infidèle ; de même entre deux infidèles, par exemple si l’un est gentil et l’autre Juif. Or, la différence de culte empêche le mariage, comme nous l’avons dit (art. préc.). Donc le mariage ne peut être véritable au moins entre les fidèles qui ont un culte différent.

          Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (réponse N°1), il y a mariage entre les infidèles, selon que le mariage est un devoir de nature. Or, ce qui appartient à la loi naturelle peut être déterminé par le droit positif (Ainsi chez les infidèles le pouvoir civil peut établir des empêchements dirimants, et le grand turc pourrait rendre invalide le mariage de ses sujets musulmans avec des juifs et d’autres infidèles. Mais son décret serait nul s’il déclarait invalide le mariage des musulmans avec les chrétiens ou des chrétiens entre eux, parce que pour constituer un empêchement à l’égard des fidèles il faut que l’autorité de l’Eglise intervienne (Cf. quest. 57, art. 2, réponse N°4).). C’est pourquoi si parmi les infidèles il est défendu par une loi positive de contracter mariage avec des infidèles d’une autre religion ; la différence de culte empêchera le mariage entre eux. Mais cela n’est pas défendu de droit divin, parce que devant Dieu il est indifférent de quelque manière qu’on s’écarte de la foi, relativement à la privation de la grâce. Cela n’est pas non plus défendu par une loi de l’Eglise qui n’a pas de juridiction sur ceux qui sont hors de son sein.

 

          Objection N°4. Il y a dans le mariage une véritable honnêteté. Or, comme le dit S. Augustin (De adul. conj., liv. 1, chap. 18), et comme on le voit (Sent. 4, dist. 39, l’infidèle n’a pas avec son épouse l’honnêteté véritable. Le mariage n’existe donc pas véritablement.

          Réponse à l’objection N°4 : On dit que l’honnêteté et les autres vertus des infidèles ne sont pas véritables, parce qu’elles ne peuvent atteindre la fin de la vraie vertu qui est la vraie félicité ; comme on dit que du vin n’est pas véritable quand il ne produit pas l’effet du vin.

 

          Objection N°5. Le mariage véritable excuse de péché l’union charnelle. Or, le mariage contracté entre les infidèles ne peut le faire, parce que toute la vie des infidèles est un péché, comme le dit la glose (ord. sup. illud : Omne quod non est ex fide. Rom., chap. 14). Donc il n’y a pas de mariage véritable entre les infidèles.

          Réponse à l’objection N°5 : L’infidèle en s’unissant à son épouse ne pèche pas, s’il lui rend le devoir conjugal dans l’intérêt des enfants ou de la fidélité à laquelle il est tenu : il y a en cela un acte de justice et de tempérance, car cette dernière vertu consiste à observer les circonstances légitimes dans les délectations du tact ; comme il ne pèche pas en accomplissant les autres actes des vertus politiques. On ne dit pas non plus que toute la vie des infidèles est péché, parce qu’ils pèchent dans chacun de leurs actes, mais parce qu’ils ne peuvent être délivrés de la servitude du péché au moyen de ce qu’ils font.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (1 Cor., 7, 12) : Si un de nos frères a une épouse qui soit infidèle et qu’elle consente à habiter avec lui, qu’il ne se sépare point d’elle. Or, on ne donne à une femme le nom d’épouse qu’à cause du mariage. Donc le mariage qui existe entre les infidèles est véritable.

         En éloignant ce qui est après on n’éloigne pas ce qui est avant. Or, le mariage appartient à l’office de nature, et la nature précède l’état de grâce dont la foi est le principe. Donc l’infidélité n’empêche pas le mariage d’exister entre les infidèles.

 

          Conclusion Puisque les infidèles peuvent non seulement engendrer des enfants, mais encore travailler à les faire arriver à un genre de perfection, le mariage qui a été établi comme un devoir de nature peut être véritable entre eux, quoiqu’il ne soit pas aussi parfait qu’entre les fidèles.

          Il faut répondre que le mariage a été principalement établi pour le bien des enfants qu’on ne doit pas seulement engendrer (car on peut le faire aussi sans le mariage), mais qu’on doit encore élever à l’état parfait. Car toute chose a naturellement pour but de conduire son effet à la perfection. Or, pour les enfants il y a deux sortes de perfection à considérer : celle de la nature qui ne se rapporte pas seulement au corps, mais encore à l’âme, et qui s’établit par les choses qui appartiennent à la loi de nature, et il y a la perfection de la grâce. La première perfection est matérielle et imparfaite par rapport à la seconde. C’est pourquoi les choses qui existent pour une fin étant proportionnées à cette fin, le mariage qui tend à la première perfection est imparfait et matériel par rapport à celui qui tend à la seconde. Et, parce que la première perfection peut être commune aux fidèles et aux infidèles, tandis que la seconde n’existe que parmi les fidèles, il s’ensuit qu’il y a mariage entre les infidèles, mais qu’il n’est pas parfait de la dernière perfection comme parmi les fidèles.

 

Article 3 : Le mari qui s’est converti à la foi peut-il rester avec son épouse infidèle qui ne veut pas se convertir ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’époux converti à la foi ne puisse demeurer avec son épouse infidèle qui refuse de se convertir et avec laquelle il s’était marié dans l’infidélité. Car où il y a le même péril il faut prendre les mêmes précautions. Or, on défend à un fidèle de se marier avec une infidèle à cause du péril que sa foi pourrait courir. Par conséquent, puisqu’il y a le même péril, si un fidèle reste avec une infidèle avec laquelle il s’était marié auparavant, et qu’il y en a même encore un plus grand, parce que les néophytes se pervertissent plus facilement que ceux qui ont été élevés dans la foi, il semble qu’un fidèle ne puisse pas après sa conversion demeurer avec une épouse infidèle.

          Réponse à l’objection N°1 : On empêche plus facilement ce qui doit être fait qu’on ne détruit ce qui a été fait légitimement. C’est pourquoi il y a beaucoup de choses qui empêchent le mariage qui doit être contracté, si elles le précèdent, et qui ne peuvent cependant le dissoudre, si elles le suivent, comme on le voit à l’égard de l’affinité (quest. 55, art. 6). Il faut en dire autant de la différence de culte.

 

          Objection N°2. Il est dit (28, quest. 1, chap. Judæi) : L’infidèle ne peut rester uni à celle qui s’est convertie à la foi chrétienne. Le fidèle est donc obligé de quitter sa femme infidèle.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans la primitive Eglise au temps des apôtres il y avait de tous côtés des Juifs et des Gentils qui se convertissaient à la foi. C’est pourquoi un homme qui était chrétien pouvait avoir des espérances probables à l’égard de la conversion de son épouse, quand même elle ne promettrait pas de se convertir. Mais plus tard en avançant dans les temps les Juifs devinrent plus obstinés que les gentils, parce que les gentils se convertissaient encore à la foi, comme dans les siècles des martyrs, à l’époque de l’empereur Constantin et vers ces temps. C’est pourquoi il n’y avait pas de sécurité pour un fidèle de vivre avec une femme infidèle qui était Juive, et il n’y avait pas d’espoir de la convertir, comme on pouvait espérer la conversion d’une femme qui avait été païenne. C’est pour cela qu’alors un fidèle converti pouvait cohabiter avec une païenne, mais non avec une Juive, à moins qu’elle ne promît de se convertir. C’est dans ce sens ce qu’exprime le décret. Mais maintenant les juifs et les gentils sont placés sur la même ligne, parce qu’ils sont l’un et l’autre obstinés, et c’est pour cela qu’à moins qu’une femme infidèle ne consente à se convertir, il n’est pas permis de cohabiter avec elle soit qu’elle soit païenne, soit qu’elle soit juive.

 

          Objection N°3. Le mariage qui se contracte entre les fidèles est plus parfait que celui qui se contracte entre les infidèles. Or, si les fidèles se marient à un degré prohibé par l’Eglise, leur mariage est dissous. Donc celui des infidèles l’est aussi, et par conséquent le mari qui est chrétien ne peut demeurer avec son épouse infidèle ; au moins quand il s’est marié avec elle dans l’infidélité à un degré prohibé.

          Réponse à l’objection N°3 : Les infidèles qui ne sont pas baptisés ne sont pas atteints par les lois de l’Eglise, mais ils sont astreints aux lois qui sont de droit divin. C’est pour cela que s’ils se sont mariés aux degrés défendus par la loi divine (Ceci ne doit s’entendre que des cas exprimés en cet endroit par la loi divine, et qui ont de droit naturel la force de dirimer le mariage, comme l’observe Dominic. (dist. 39, art. 5 ad 4).) (Lév., chap. 18), soit qu’ils se convertissent à la foi tous les deux, soit qu’il n’y en ait qu’un seul, ils ne peuvent demeurer ainsi mariés. Mais s’ils se sont unis à des degrés prohibés par les lois de l’Eglise, ils peuvent rester ensemble s’ils se convertissent l’un et l’autre, ou s’il n’y en a qu’un qui se convertisse et qu’il espère la conversion de l’autre.

 

          Objection N°4. Un infidèle a quelquefois plusieurs femmes selon le rite de sa loi. Si donc il peut demeurer avec celles auxquelles il s’est marié dans l’infidélité, il semble qu’il puisse aussi après sa conversion conserver plusieurs femmes.

          Réponse à l’objection N°4 : Il est contraire à la loi naturelle, à laquelle les infidèles sont aussi astreints, d’avoir plusieurs femmes. C’est pourquoi le mariage d’un infidèle n’est valide qu’à l’égard de la première femme avec laquelle il s’est d’abord uni. Par conséquent s’il se convertit avec toutes ses femmes, il peut rester avec la première et il doit renvoyer toutes les autres. Mais si la première n’a pas voulu se convertir et que l’une des autres se convertisse, il a le même droit de se marier avec elle de nouveau qu’il aurait de se marier avec une autre. Nous parlerons de ceci ailleurs (art. 5).

 

          Objection N°5. Il peut arriver qu’ayant répudié une femme il en ait épousé une autre et qu’il se convertisse pendant qu’il est marié avec cette dernière. Il semble donc qu’au moins dans ce cas il puisse demeurer avec la femme qu’il a prise en dernier lieu.

          Réponse à l’objection N°5 : La répudiation de la femme est contraire à la loi naturelle ; par conséquent il n’est pas permis à un infidèle de répudier sa femme. C’est pourquoi s’il se convertit après avoir répudié une femme pour en épouser une autre, on doit le juger de la même manière que celui qui a plusieurs femmes. Il est tenu d’épouser la première qu’il avait répudiée, si elle veut se convertir, et de renvoyer l’autre.

 

          Mais ce qui est contraire, c’est que l’Apôtre (1 Cor., chap. 7) conseille de demeurer ensemble.

          Aucun empêchement qui survient à un mariage véritable ne le détruit. Or, le mariage était véritable quand ils étaient l’un et l’autre infidèles. Par conséquent, quand l’un des deux se convertit, le mariage n’est pas dirimé par là, et ainsi il semble qu’il puisse demeurer licitement avec l’autre.

 

          Conclusion Puisque le mariage entre infidèles est véritable, son lien n’est pas rompu parce que l’un des époux se convertit à la foi, tandis que l’autre reste dans l’infidélité ; cependant il peut être dissous quant à l’habitation et debiti solutionem, s’il n’y a aucune espérance de correction.

          Il faut répondre que la foi de celui qui est marié ne détruit pas, mais perfectionne le mariage. Par conséquent, puisqu’entre les infidèles le mariage est véritable, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc., réponse N°1), de ce que l’un deux se convertit à la foi, le lien du mariage n’est pas pour cela rompu. Mais quelquefois le lien du mariage subsistant, le mariage est rompu par rapport à la cohabitation et au devoir conjugal ; à cet égard l’infidélité et l’adultère sont placés sur la même ligne, parce que l’un et l’autre sont contraires au bien des enfants. Par conséquent comme le mari a le pouvoir de quitter sa femme adultère ou de demeurer avec elle, de même il est libre de quitter sa femme qui est infidèle ou de demeurer avec elle. Car un homme innocent est libre de demeurer avec une femme adultère dans l’espérance qu’elle se corrigera, mais il peut le faire si elle s’obstine dans sa faute, de peut qu’il ne paraisse complice de sa turpitude, et il est libre aussi de l’abandonner même quand il y aurait espérance de la corriger. De même le fidèle qui est converti peut rester avec son épouse infidèle dans l’espérance de la convertir, s’il ne la voit pas obstinée dans son infidélité ; et il fait bien de rester avec elle, quoiqu’il n’y soit pas tenu. A cet égard l’Apôtre ne donne qu’un conseil (1 Cor., chap. 7).

 

Article 4 : Celui qui s’est converti à la foi peut-il quitter son épouse infidèle qui veut habiter avec lui sans faire injure à Dieu ?

 

          Objection N°1. Il semble que celui qui est converti à la foi ne puisse pas quitter son épouse infidèle qui veut habiter avec lui sans faire injure à Dieu. Car le lien de l’homme à l’égard de la femme est plus grand que celui qui du serf à l’égard du seigneur. Or, le serf qui se convertit n’est pas délivré du lien de la servitude, comme on le voit (1 Cor., chap. 7 et 1 Tim., chap. 6). Donc un fidèle ne peut pas abandonner son épouse infidèle.

          Réponse à l’objection N°1 : La servitude n’est pas quelque chose d’incompatible avec la perfection de la religion chrétienne qui professe tout particulièrement l’humilité. Mais le lien qui unit l’homme à la femme ou le lien du mariage déroge souvent sous un rapport à la perfection de la vie chrétienne, dont l’état le plus élevé se trouve dans ceux qui sont continents. C’est pourquoi il n’y a pas de parité entre l’un et l’autre. — De plus un des époux n’est pas attaché à l’autre comme sa possession de la façon que le serf l’est au maître, mais ils sont unis par des liens de société qui ne peuvent convenablement exister entre une infidèle et un infidèle, comme on le voit (2 Cor., chap. 7). C’est pour cela qu’il n’y a pas de parité à l’égard d’un serf et d’une femme.

 

          Objection N°2. Personne ne peut porter préjudice à un autre sans son consentement. Or, l’épouse infidèle a droit sur le corps de l’époux infidèle. Si donc de ce que l’homme se convertit à la foi la femme pouvait en subir le préjudice d’être renvoyée librement, il ne pourrait se convertir à la foi sans le consentement de son épouse ; comme il ne peut être ordonné, ni faire vœu de continence sans son consentement.

          Réponse à l’objection N°2 : La femme n’avait droit sur le corps de l’homme que tant qu’il demeurait dans cette vie où elle s’était unie à lui ; car du moment que l’homme est mort l’épouse est affranchie de sa loi, selon l’expression de saint Paul (Rom., 7, 3). C’est pourquoi si l’homme se sépare d’elle, après avoir changé de vie en mourant à la première, il ne lui porte aucun préjudice. Celui qui entre en religion ne meurt que d’une mort spirituelle et non d’une mort corporelle. C’est pourquoi si le mariage a été consommé, il ne peut sans le consentement de son épouse entrer dans un ordre religieux. Mais il le peut avant la consommation du mariage, quand il n’y a eu qu’une alliance spirituelle. Au contraire celui qui s’approche du baptême est enseveli pour mourir corporellement avec le Christ, et c’est pour cela qu’il est affranchi du devoir conjugal, même après que le mariage a été consommé. — Ou bien on doit dire que c’est par sa faute que la femme qui refuse de se convertir souffre un préjudice.

 

          Objection N°3. Si on se marie sciemment avec une serve, qu’on soit serf ou qu’on soit libre, on ne peut pas la quitter à cause de la différence de condition. Par conséquent puisque l’homme quand il s’est marié avec une infidèle a su qu’elle était infidèle, il semble que pour la même raison il ne puisse la renvoyer à cause de l’infidélité.

          Réponse à l’objection N°3 : La différence de culte rend la personne absolument illégitime ; mais il n’en est pas de même de la condition de la servitude ; elle ne le fait que quand elle est ignorée. C’est pourquoi on ne peut raisonner à l’égard d’une infidèle comme à l’égard d’une serve.

 

          Objection N°4. Le père est tenu par devoir à faire le salut de ses enfants. Or, s’il se séparait de son épouse infidèle, les enfants de l’un et l’autre resteraient à la mère, parce que la progéniture suit la mère, pet conséquent leur salut serait exposé. Il ne peut donc pas licitement abandonner son épouse infidèle.

          Réponse à l’objection N°4 : Si les enfants sont arrivés à l’âge de discrétion ils sont libres de suivre leur père qui est chrétien ou leur mère qui est infidèle. S’ils sont dans un âge inférieur, on doit alors les donner au fidèle, quoiqu’ils aient encore besoin de l’assistance de leur mère quant à leur éducation.

 

          Objection N°5. Un époux adultère ne peut renvoyer son épouse adultère, même après qu’il a fait pénitence de son péché. Donc si l’on juge de la même manière de l’adultère et de l’infidèle, un époux infidèle ne peut abandonner sa femme infidèle, même après qu’il s’est converti à la foi.

          Réponse à l’objection N°5 : Par la pénitence l’adultère ne passe pas à une autre vie, comme l’infidèle par le baptême. C’est pourquoi la raison n’est pas la même.

 

          Mais c’est le contraire que dit l’Apôtre (1 Cor., chap. 7).

          L’adultère spirituel est plus grave que l’adultère charnel. Or, l’homme peut abandonner sa femme quant à la cohabitation à cause de l’adultère charnel. A plus forte raison le peut-il à cause de l’adultère spirituel.

 

          Conclusion Puisque celui qui se convertit à la foi et qui est régénéré dans le Christ meurt à sa première vie, il peut quitter son épouse quand elle ne veut pas se convertir ; il n’est pas tenu d’habiter avec elle ou de vivre maritalement.

          Il faut répondre qu’il convient à l’homme et qu’il lui est avantageux de faire des choses différentes selon les vies diverses qu’il mène. C’est pourquoi celui qui meurt à une vie antérieure n’est pas tenu de faire les choses qui étaient pour lui obligatoires dans ce premier état. D’où il résulte que celui qui a fait certains vœux lorsqu’il menait une vie séculière, n’est plus tenu de les accomplir, quand il meurt au monde en embrassant la vie religieuse. Or, celui qui s’approche du baptême est régénéré dans le Christ et meurt à sa vie antérieure, puisque la génération d’une chose est la corruption de l’autre. C’est pourquoi il est délivré de l’obligation où il était de rendre à son épouse le devoir conjugal, et il n’est pas tenu de cohabiter avec elle, quand elle ne veut pas se convertir ; quoique dans certains cas il puisse le faire librement, ainsi que nous l’avons dit (art. préc.), comme religieux est aussi libre de remplir les vœux qu’il a faits dans le siècle, s’ils ne sont pas contraires à son ordre ; quoiqu’il n’y soit pas tenu (Pour se séparer dans le cas où la partie infidèle consent à vivre pacifiquement avec celle qui est convertie, il faudrait que le divorce fût prononcé par une sentence ecclésiastique, et cette sentence ne pourrait reposer que sur des présomptions de péril, et avant d’avoir d’obtenu le divorce le fidèle doit à l’infidèle le devoir conjugal, et après le divorce obtenu il ne pourrait se remarier tant que l’autre partie existe.).

 

Article 5 : Le fidèle qui se sépare de son épouse infidèle peut-il en épouser une autre ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’un fidèle qui se sépare d’une épouse infidèle ne puisse pas en épouser une autre. Car l’indissolubilité est de l’essence du mariage ; puisque la répudiation de la femme est contraire à la loi de nature. Or, parmi les infidèles, le mariage est véritable. Il ne peut donc être dissous d’aucune manière, et comme tant que le lien du mariage subsiste à l’égard d’une femme, on ne peut se marier avec une autre, il s’ensuit que le fidèle qui se sépare d’une épouse infidèle ne peut se marier avec une autre.

          Réponse à l’objection N°1 : Le mariage des infidèles est imparfait, comme nous l’avons dit (art. 2), tandis que celui des fidèles est parfait et par conséquent plus ferme. Et comme le lien le plus fort détruit toujours le lien le plus faible, quand il lui est contraire, il s’ensuit que le mariage que l’on contracte ensuite dans la foi du Christ, détruit le mariage qui avait été contracté auparavant dans l’infidélité. Ainsi le mariage des infidèles n’est pas absolument ferme et arrêté, mais il est ensuite ratifié par la foi du Christ.

 

          Objection N°2. Le crime qui survient après le mariage ne le détruit pas. Or, si une femme veut cohabiter sans faire injure à Dieu, le lien du mariage n’est pas détruit, parce que l’homme ne peut pas en épouser une autre. Le péché de la femme qui ne veut pas cohabiter sans faire injure à Dieu ne détruit donc pas le mariage de manière que l’homme puisse librement se marier avec une autre.

          Réponse à l’objection N°2 : Le crime de la femme qui ne veut pas cohabiter sans faire injure à Dieu, affranchit l’homme du lien qui le tenait attaché à son épouse, de manière qu’il ne puisse pas en épouser une autre de son vivant, mais le mariage n’est pas encore détruit. Car si elle se convertissait de ses blasphèmes avant que son mari ne contractât un nouveau mariage, il lui serait rendu. Mais ce mariage est dissous par le mariage subséquent que le mari qui est converti n’aurait pu contracter, s’il n’avait été délivré de ses engagements à l’égard de sa femme, par la faute de cette dernière.

 

          Objection N°3. L’homme et la femme sont égaux dans les liens du mariage. Par conséquent, puisqu’il n’est pas permis à une femme infidèle d’épouser un autre homme du vivant de son mari, il semble que cela ne soit pas permis non plus au fidèle.

          Réponse à l’objection N°3 : Après que le fidèle s’est marié, le lien du mariage a été brisé des deux côtés, parce que le mariage n’est pas boiteux quant au lien, il ne l’est quelquefois que par rapport à son effet. Par conséquent c’est plutôt pour punir la femme infidèle que par la vertu du mariage antérieur qu’on lui signifie qu’elle ne peut se marier avec un autre. Mais si elle vient à se convertir ensuite, on peut lui accorder par dispense la faculté de se marier avec un autre, si son époux s’est marié avec une autre femme.

 

          Objection N°4. Le vœu de continence est plus favorable que le contrat de mariage. Or, il n’est pas permis, à ce qu’il semble, à un homme qui est chrétien de faire le vœu de continence sans le consentement de son épouse qui est infidèle ; parce qu’alors la femme serait privée du mariage, si elle se convertissait ensuite. Il lui est donc encore beaucoup moins permis de se marier avec une autre femme.

          Réponse à l’objection N°4 : Si après la conversion de l’homme on a des espérances probables à l’égard de la conversion de la femme, son mari ne doit pas faire vœu de continence, ni contracter un autre mariage, parce que son épouse se convertirait plus difficilement en se voyant privée de son mari. Mais s’il n’y a pas d’espérance de la voir se convertir, il peut recevoir les ordres sacrés ou entrer en religion, après l’avoir auparavant engagée à se convertir. Dans ce cas, si après que l’homme a reçu les ordres sacrés, la femme se convertit, on ne doit pas lui rendre son mari, mais on doit lui imputer la privation de son mari comme une peine de sa conversion tardive.

 

          Objection N°5. L’enfant qui reste dans l’infidélité, après la conversion de son père, perd droit à l’héritage paternel ; cependant s’il se convertit ensuite, son héritage lui doit être rendu, même dans le cas où un autre en aurait pris possession. Il semble donc que si la femme vient à se convertir, on doive également lui rendre son mari, même quand il se serait marié avec une autre, ce qui ne pourrait avoir lieu si le second mariage était véritable. Il ne peut donc se marier avec une autre femme.

          Réponse à l’objection N°5 : Le lien de la paternité n’est pas détruit par la différence de culte, comme le lien du mariage. C’est pour cela qu’il n’y a pas de parité à l’égard de l’héritage et de la femme.

 

          Mais c’est le contraire. Le mariage n’est pas ratifié sans le sacrement de baptême. Or, ce qui n’est pas ratifié peut être dissous. Donc le mariage contracté dans l’infidélité peut être dissous, et par conséquent le lien du mariage ayant été brisé, il est permis à l’homme d’épouser une autre femme.

          L’homme ne doit pas cohabiter avec une femme infidèle qui ne veut pas rester avec lui sans faire injure au Créateur. Si donc il ne lui était pas permis d’épouser une autre femme, il serait forcé de garder la continence, ce qui ne paraît pas convenable, parce qu’il résulterait ainsi de sa conversion un désavantage.

 

          Conclusion L’homme qui se sépare d’une épouse infidèle qui ne veut pas rester avec lui sans faire injure au Créateur peut l’abandonner et en épouser une autre ; mais si elle veut habiter avec lui pacifiquement, il peut la renvoyer, mais il ne peut pas en épouser une autre.

          Il faut répondre que si l’un des époux se convertit à la foi, tandis que l’autre reste dans l’infidélité, il faut distinguer. Car si l’infidèle veut cohabiter sans faire injure à Dieu, c’est-à-dire sans rechercher à l’entraîner dans l’infidélité, l’époux qui est chrétien est libre de l’abandonner ; mais s’il l’abandonne, il ne peut se marier avec une autre. Mais si la partie infidèle ne veut pas cohabiter sans faire injure à Dieu, qu’elle se laisse aller à des paroles de blasphème, qu’elle ne veuille pas entendre le nom du Christ et qu’elle s’efforce de l’entraîner dans l’infidélité, dans ce cas l’homme qui a la foi peut après s’être séparé d’elle se marier avec une autre (Cette doctrine est celle d’Innocent III (Decret., liv. 4, tit. 19, chap. 7), de Benoît XIV (De Synod. diocæs., liv. 6, chap. 4), de Pie V, de Grégoire XIII, de tous les souverains pontifes et de presque tous les théologiens, contre les jansénistes et quelques auteurs imbus des préjugés parlementaires.).

 

Article 6 : Les autres vices détruisent-ils le mariage ?

 

          Objection N°1. Il semble que les autres vices détruisent le mariage, comme le fait l’infidélité. Car l’adultère paraît être plus directement contraire au mariage que l’infidélité. Or, l’infidélité détruit le mariage dans un cas au point qu’il est permis de se marier de nouveau. Donc l’adultère fait de même.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique l’adultère soit plus directement opposé au mariage, selon qu’il est un devoir de nature, que l’infidélité ; cependant c’est le contraire si on le considère comme un sacrement de l’Eglise, d’où il tire sa stabilité parfaite, suivant qu’il signifie l’union indivisible du Christ et de l’Eglise. C’est pour cela que le mariage qui n’est pas ratifié peut être dissous quant au lien par l’infidélité plutôt que par l’adultère.

 

          Objection N°2. Comme l’infidélité est une fornication spirituelle, de même aussi tout péché. Si donc l’infidélité détruit le mariage, parce qu’elle est une fornication spirituelle, pour la même raison, tout péché le détruit.

          Réponse à l’objection N°2 : L’union première de l’âme avec Dieu se fait par la foi. C’est pour cela que l’âme est pour ainsi dire mariée à Dieu par cette vertu, comme on le voit d’après ces paroles du prophète (Osée, 2, 20) : Je vous rendrai mon épouse dans la foi. C’est pour ce motif que dans l’Ecriture sainte l’idolâtrie et l’infidélité sont spécialement désignées par la fornication. Quant aux autres péchés ils sont appelés des fornications spirituelles d’après une signification plus éloignée.

 

          Objection N°3. Il est dit (Matth., 5, 30) : Si votre main droite vous scandalise, coupez-la et jetez-la loin de vous, et la glose dit (Hier.) que par la main et l’œil droit on peut entendre les frères, l’épouse, les proches et les enfants. Or, par tout péché ils deviennent pour nous un empêchement. Le mariage peut donc être détruit à cause de tout péché.

          Réponse à l’objection N°3 : Cela doit s’entendre du cas où la femme donne à son mari de grandes occasions de pécher, de telle sorte qu’il a lieu de craindre pour lui le danger. Car dans ce cas l’homme peut se soustraire à sa société, comme nous l’avons dit (art. préc.).

 

          Objection N°4. L’avarice est une idolâtrie, comme le dit saint Paul (Eph., chap. 5). Or, on peut quitter sa femme à cause de l’idolâtrie. Donc pour la même raison on doit l’abandonner pour cause d’avarice et par conséquent pour d’autres péchés qui sont plus graves que l’avarice.

          Réponse à l’objection N°4 : On donne à l’avarice le nom d’idolâtrie à cause de l’analogie qu’il y a entre leur asservissement, parce que l’avare aussi bien que l’idolâtre servent la créature plutôt que le Créateur ; mais on ne lui donne pas ce nom par suite de la ressemblance que ce vice a avec l’infidélité, parce que la corruption de l’infidélité existe dans l’intellect, tandis que l’avarice existe dans la volonté.

 

          Objection N°5. Le Maître des sentences le dit expressément (Sent. 4, dist. 39).

          Réponse à l’objection N°5 : Les paroles du Maître des sentences doivent s’entendre des fiançailles, parce qu’à cause du crime qui survient les fiançailles peuvent être dissoutes. Ou bien s’il s’agit du mariage, il faut les entendre de la séparation de la vie commune pour un temps, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article), ou quand la femme ne veut cohabiter qu’à condition que le mari péchera, par exemple si elle dit : Je ne serai ton épouse qu’à condition que tu m’amasseras de la fortune par des brigandages ; dans ce cas l’homme doit l’abandonner plutôt que de commettre des actes semblables.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Matth., 5, 32) : Tout homme qui aura répudié sa femme, si ce n’est en cas d’adultère, la fait devenir adultère.

          S’il en était ainsi, on divorcerait constamment, puisqu’il est rare de trouver un mariage dans lequel l’un des époux ne tombe pas dans le péché.

 

          Conclusion Le mariage, s’il a été ratifié, ne peut être dissous pour aucune cause quant au lieu, autrement il peut être dirimé par l’infidélité et non par l’adultère. Quant à l’acte il peut être dissous par la fornication corporelle aussi bien que par la fornication spirituelle ; mais, à cause des autres vices, il ne peut l’être jamais que pour un temps, par manière de châtiment.

          Il faut répondre que la fornication corporelle et l’infidélité sont spécialement contraires aux biens du mariage, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 3). Elles ont donc une puissance toute particulière pour dissoudre les mariages. Mais toutefois il faut savoir que le mariage se dissout de deux manières : 1° quant au lien, et il ne peut être ainsi dissous ni par l’infidélité, ni par l’adultère ; après qu’il a été ratifié. Mais s’il n’est pas ratifié, le lien est détruit quand, l’un des époux restant dans l’infidélité, l’autre se convertit à la foi et contracte un autre mariage. Mais ce lien n’est pas détruit par l’adultère, autrement un infidèle aurait la liberté de donner un libelle de répudiation à son épouse adultère et d’en épouser une autre, après l’avoir renvoyée : ce qui est faux. 2° Le mariage est dissous quant à l’acte, et de la sorte il peut être dissous par l’infidélité aussi bien que par la fornication. Mais à cause des autres péchés le mariage ne peut être dissous, même quant à l’acte, à moins que par hasard le mari ne veuille pour un temps vivre séparé de sa femme pour la punir, en lui enlevant ainsi la consolation de sa présence.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.