Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 62 : De l’empêchement qui survient au mariage
consommé et qui résulte de la fornication
Nous
devons ensuite nous occuper de l’empêchement qui survient au mariage après
qu’il est consommé, c’est-à-dire de la fornication qui empêche le mariage
antérieur quant à l’acte, quoique le lien matrimonial subsiste. A cet égard six
questions se présentent : 1° Est-il permis à l’homme d’abandonner sa femme pour
cause de fornication ? — 2° Y est-il tenu ? — 3° Peut-il la renvoyer de son
propre jugement ? — 4° L’homme et la femme sont-ils sous ce rapport d’une
condition égale ? — 5° Doivent-ils rester après le divorce sans être mariés ? —
6° Peuvent-ils se réconcilier après le divorce ?
Article
1 : Est-il permis à l’homme de quitter sa femme pour cause de fornication ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis à un homme de renvoyer sa femme pour
cause de fornication. Car on ne doit pas rendre lelm
mal pour le mal. Or, l’homme paraît rendre le mal pour le mal en renvoyant sa
femme pour cause de fornication. Cela n’est donc pas permis.
Réponse
à l’objection N°1 : L’homme, s’il congédie sa femme pour fornication par
vengeance pèche ; mais s’il le fait pour éviter son propre déshonneur, dans la
crainte qu’il ne paraisse participer au même crime, ou pour corriger le vice de
son épouse, ou pour éviter l’incertitude des enfants, il ne pèche pas.
Objection
N°2. C’est un plus grand péché si les deux parties tombent dans la fornication
que quand il n’y en a qu’une seule. Or, si l’une et l’autre commettent cette
faute, le divorce ne peut pas avoir lieu pour cela. Il ne peut donc pas se
faire non plus, s’il n’y a qu’une seule partie qui ait fait ce péché.
Réponse
à l’objection N°2 : Le divorce pour cause de fornication a lieu quand l’un
accuse l’autre. Et comme on ne peut accuser un autre quand on se trouve dans le
même crime que lui, quand l’un et l’autre tombent dans la fornication le
divorce ne peut être prononcé ; quoique la faute soit plus grave contre le
mariage quand l’un et l’autre commettent ce crime que quand il n’y en a qu’un
seul.
Objection
N°3. La fornication spirituelle et quelques autres péchés sont plus graves que
la fornication charnelle. Or, on ne peut pas se séparer à cause de ces fautes.
On ne le peut donc pas non plus à cause de la fornication.
Réponse
à l’objection N°3 : La fornication est directement contraire au bien du
mariage, parce qu’elle rend les enfants incertains, qu’elle rompt la fidélité,
et détruit la signification du sacrement, quand l’un des époux donne sa chair à
plusieurs personnes. C’est pourquoi les autres crimes, quoiqu’ils soient plus
graves que la fornication, ne produisent cependant pas le divorce. Mais comme
l’infidélité, qu’on appelle la fornication spirituelle, est aussi contraire au
bien du mariage, qui est l’éducation des enfants dans la crainte de Dieu, elle
produit également le divorce, quoique d’une autre manière que la fornication
spirituelle. Car pour un seul acte de fornication charnelle on peut procéder au
divorce, tandis qu’on ne le peut pas pour un seul acte d’infidélité ; mais il
faut la coutume, qui montre l’obstination dans laquelle l’infidélité se
consomme.
Objection
N°4. Le vice contre nature est plus éloigné des biens du mariage que la
fornication qui se fait d’une manière naturelle. Donc on aurait dû en faire une
cause de séparation plutôt que de fornication.
Réponse
à l’objection N°4 : On peut aussi divorcer à cause du vice contre nature.
Cependant il n’en est pas fait mention, soit parce que cette passion ne peut
être nommée, soit parce qu’il se présente plus rarement, soit parce qu’il ne
rend pas de la même manière les enfants incertains.
Mais
le contraire est ce que dit (Matth., chap. 5).
On
n’est pas tenu d’être fidèle à l’égard de celui qui ne l’est pas. Or, l’un des
époux en forniquant manque à la fidélité qu’il doit à l’autre. L’un peut donc
renvoyer l’autre pour cause de fornication.
Conclusion
Puisqu’on n’est pas tenu de garder fidélité à celui qui l’a violée, il est accordé
à l’homme, d’après les paroles du Seigneur, de renvoyer son épouse pour cause
de fornication.
Il
faut répondre que le Seigneur a permis à l’homme de renvoyer son épouse à cause
de la fornication, pour punir celui qui a manqué à la fidélité et pour favoriser
celui qui l’a gardée, pour qu’il ne soit pas astreint à rendre le devoir
conjugal à celui qui n’a pas été fidèle (Dans ce cas la séparation est
seulement prononcée quoad thorum seu quoad habitationem,
et cette séparation n’a lieu parmi nous, quant aux effets temporels, qu’autant
qu’elle a été prononcée par les tribunaux civils. Les parties ne peuvent se
remarier, ni l’une, ni l’autre.). Cependant on excepte sept cas dans lesquels
il n’est pas permis à l’homme de renvoyer son épouse pour cause de fornication
: ce sont les cas où la femme est exempte de faute ou dans lesquels ils sont
également coupables l’un et l’autre. Le premier, c’est quand l’homme est tombé
lui-même dans la même faute ; le second, quand il a prostitué lui-même son
épouse ; le troisième, quand la femme croyant son mari est probablement mort à
cause de sa longue absence vient à se marier avec un autre ; le quatrième,
quand un étranger s’introduit dans son lit et qu’elle suppose que c’est son
mari ; le cinquième, quand elle est opprimée par la violence ; le sixième,
quand il l’a réconciliée avec lui après que l’adultère a été commis, en
s’unissant à elle charnellement ; le septième, quand l’un et l’autre s’étant
marié dans l’infidélité, l’homme a donné à la femme un libelle de répudiation
et que celle-ci s’est mariée à un autre. Car dans ce cas, s’ils se
convertissent l’un et l’autre, l’homme est tenu de recevoir la femme.
Article
2 : L’homme est-il tenu par la force du précepte de renvoyer sa femme coupable
de fornication ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme soit tenu ex præcepto de renvoyer son épouse coupable de
fornication. Car l’homme étant le chef de la femme est tenu de la corriger. Or,
la séparation de son mari a été établie pour corriger la femme qui se conduit
mal. Son époux est donc tenu de la séparer de lui.
Réponse
à l’objection N°1 : Le péché de fornication peut être corrigé dans une femme
non seulement par cette peine, mais encore par des paroles et des coups. C’est
pourquoi si elle est disposée à se corriger d’une autre manière, le mari n’est
pas tenu de lui appliquer cette peine pour sa correction.
Objection
N°2. Celui qui consent à celui qui est pèche fait un péché mortel. Or, l’homme
qui garde sa femme coupable de fornication paraît consentir à ses désordres,
comme le dit le Maître des sentences (Sent.
4, dist. 35). Il pèche donc, s’il ne l’éloigne pas de lui.
Réponse
à l’objection N°2 : L’homme paraît consentir à la conduite de sa femme, quand
il la garde quoiqu’elle ne cesse pas de continuer ses fautes passées ; mais si
elle vient à se corriger, il n’y consent pas.
Objection
N°3. Saint Paul dit (1 Cor., 6, 16) :
Celui qui s’unit à une prostituée ne
forme avec elle qu’un seul corps. Or, on ne peut être tout à la fois le
membre d’une prostituée et le membre du Christ, comme il le dit (ibid.). L’homme qui s’attache à sa femme
coupable de fornication cesse donc d’être le membre du Christ et par conséquent
il pèche mortellement.
Réponse
à l’objection N°3 : Du moment qu’elle s’est repentie de sa fornication, on ne
peut lui donner le nom de prostituée. C’est pour cela que l’homme en s’unissant
à elle ne devient pas le membre d’une prostituée. — Ou bien il faut dire qu’il
ne s’unit pas à elle comme à une prostituée, mais comme à son épouse.
Objection
N°4. Comme la parenté détruit le lien du mariage, de même la fornication sépare
du lit nuptial. Or, quand l’homme connaît sa consanguinité à l’égard de sa
femme, il pèche mortellement en s’unissant à elle charnellement. Donc s’il
s’unit à sa femme, après qu’il sait qu’elle a forniqué, il pèche aussi
mortellement.
Réponse
à l’objection N°4 : Il n’y a pas de parité ; parce que la consanguinité fait
qu’il n’y a pas entre eux de lien matrimonial, et c’est pour cela que l’union
charnelle devient illicite. Mais la fornication ne détruit pas ce lien, et
c’est pour ce motif que l’acte reste licite, autant qu’il est en lui ; à moins
qu’il ne devienne illicite par accident en ce que l’homme paraît consentir aux
désordres honteux de son épouse.
Objection
N°5. Mais le contraire est ce que dit la glose (interl.
sup. illud.
: Vir uxorem non dimittat, 1 Cor.,
chap. 7), que le Seigneur a permis de renvoyer sa femme pour cause de
fornication. Ce n’est donc pas de précepte.
Réponse
à l’objection N°5 : Cette permission doit s’entendre d’une privation de défense
et par conséquent elle ne se distingue pas par opposition au précepte ; car ce
qui est de précepte n’est pas prohibé.
Objection
N°6. Tout le monde peut pardonner à un autre la faute qu’il a faite contre lui.
Or, l’épouse a péché contre son mari en s’abandonnant à la fornication. Le mari
peut donc lui pardonner de manière à ne pas la renvoyer.
Réponse
à l’objection N°6 : La femme pèche non seulement contre l’homme, mais encore
contre elle-même et contre Dieu. C’est pour ce motif que l’homme ne peut pas
totalement remettre la peine, à moins qu’il ne s’ensuive une amélioration.
Conclusion
Si l’épouse adultère se repent d’avoir commis cette faute, l’homme n’est pas
tenu ex præcepto
de l’abandonner ; mais si elle ne se repent pas, il y est tenu pour ne pas
paraître consentir à sa faute.
Il
faut répondre que le renvoi de l’épouse pour cause de fornication a été établi,
afin de la corriger de ce vice par une telle peine. Mais la peine qui corrige
n’est plus nécessaire du moment qu’il y a eu déjà préalablement une
amélioration. C’est pourquoi si la femme se repent de son péché, l’homme n’est
pas tenu de la renvoyer ; mais si elle ne se repent pas, il y est tenu dans la
crainte de paraître consentir à son péché, en ne pas lui appliquant la correction
qu’elle mérite (Sylvius observe que saint Thomas parle de l’homme en
particulier, parce que la femme ne pèche pas en restant avec son mari lorsqu’il
continue à se rendre coupable d’adultère, et en lui rendant ou en lui demandant
le devoir conjugal. Le code civil ne met pas non plus la femme sur le même rang
que le mari, car il ne lui accorde le droit de demander la séparation de son
corps pour cause d’adultère qu’autant que le mari a tenu sa concubine dans la
maison commue (Cod. civ., art. 250).).
Article
3 : L’homme peut-il de son jugement propre abandonner son épouse coupable de
fornication ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme puisse de son jugement propre abandonner sa femme
coupable de fornication. Car il est permis d’exécuter la sentence portée par un
juge sans un autre jugement. Or, Dieu qui est un juste juge a rendu cette
sentence, c’est que l’homme pouvait abandonner son épouse pour cause de
fornication. Un autre jugement n’est donc pas nécessaire pour cela.
Réponse
à l’objection N°1 : Une sentence est une application du droit général à un fait
particulier. Ainsi Dieu a promulgué le droit d’après lequel la sentence doit
être portée en jugement.
Objection
N°2. L’Evangile dit (Matth.,
1, 19) que Joseph, parce qu’il était
juste, pensa à renvoyer son épouse secrètement. Il semble donc que l’homme
puisse secrètement prononcer le divorce sans le jugement de l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°2 : Saint Joseph voulut renvoyer la bienheureuse Vierge non
comme suspecte de fornication, mais par respect pour sa sainteté, craignant
d’habiter avec elle. — Toutefois il n’y a pas de parité ; parce qu’alors par
suite de l’adultère on ne procédait pas seulement au divorce, mais on allait
jusqu’à la lapidation, ce qui n’a pas lieu maintenant, quand il s’agit du
jugement de l’Eglise.
Objection
N°3. Si l’homme après avoir connu la fornication de son épouse lui rend le
devoir conjugal, il perd l’action qu’il avait contre elle. Donc le refus du
devoir conjugal qui appartient au divorce doit précéder le jugement de
l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°3 :
Objection
N°4. Ce qui ne peut être prouvé ne doit pas être cité devant le tribunal de
l’Eglise. Or, le crime de fornication ne peut être prouvé ; parce que l’œil de l’adultère cherche l’obscurité,
selon l’expression de Job (24, 15). Le divorce ne doit donc pas se faire
d’après le jugement de l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°4 : Quelquefois l’homme soupçonnant la fidélité de son épouse
lui tend des pièges pour pouvoir la surprendre dans l’acte du crime avec des
témoins ; et par conséquent il peut procéder à une accusation. — En outre s’il
ne démontre pas le fait lui-même il peut y avoir des présomptions très fortes,
et du moment qu’elles sont établies, la fornication paraît elle-même prouvée ;
comme dans le cas où elle se trouverait seule avec un homme seul dans des lieux
ou à des heures indus, ou s’ils étaient vus l’un et l’autre déshabillés.
Objection
N°5. L’accusation doit être précédée de l’inscription par laquelle on s’oblige
à la peine du talion, si on vient à échouer dans la preuve. Or, cela ne peut
avoir lieu dans cette circonstance, parce que quelle que soit l’issue du
procès, l’homme obtiendrait ce qu’il désire, soit qu’il congédie son épouse,
soit que celle-ci le renvoie. Cette cause ne doit donc pas être portée au
tribunal de l’Eglise par l’accusation.
Réponse
à l’objection N°5 : Le mari peut accuser sa femme d’adultère de deux manières :
1° il peut l’accuser devant un juge spirituel ad separationem tori
; dans ce cas l’inscription ne doit pas se faire avec l’obligation de la peine
du talion, parce qu’alors le mari arriverait toujours à ses fins, comme le
suppose l’objection. 2° Il peut l’accuser devant un juge séculier pour lui
faire infliger la peine due à son crime. Dans ce cas il doit antérieurement
faire l’inscription par laquelle il s’oblige à la peine du talion, s’il échoue
dans la preuve.
Objection
N°6. L’homme est plus tenu envers sa femme qu’envers un étranger. Or, l’homme
ne doit pas dénoncer à l’Eglise le crime d’un autre, même d’un étranger, sans
l’avoir averti auparavant en secret, d’après ce qui est dit (Matth., chap. 18). Il doit donc beaucoup moins déférer à
l’Eglise le crime de sa femme, s’il ne l’a pas auparavant reprise en secret.
Réponse
à l’objection N°6 : D’après le droit (extrà, De simon.,
chap. Licet)
on peut procéder de trois manières à l’égard des crimes : 1° par l’inquisition
qui doit précéder l’éclat de l’insinuation qui tient lieu d’accusation ; 2° par
l’accusation que doit précéder l’inscription légitime ; 3° par la dénonciation
que doit précéder la correction fraternelle. La parole du Seigneur s’entend
donc du cas où l’on agit par voie de dénonciation, mais non de celui où l’on
agit par voie d’accusation ; parce qu’alors on n’agit pas seulement pour
corriger le coupable, mais pour le punir dans l’intérêt du bien général de la
société qui périrait, si la justice venait à manquer.
Mais
c’est le contraire. Personne ne doit se venger. Or, si l’homme renvoyait son
épouse coupable de fornication de sa propre volonté, il se vengerait. Cela ne
doit donc pas se faire.
On
n’est pas dans la même cause juge et partie. Or, l’homme est partie
quand il attaque son épouse au sujet de l’offense qu’elle a commise contre lui.
Il ne peut donc pas être juge lui-même, et par conséquent il ne doit pas de sa
propre volonté.
Conclusion
L’homme ne peut éloigner que de son lit l’épouse après qu’elle a forniqué ;
mais il ne peut se séparer d’elle, quant au lit et à l’habitation, que d’après
un jugement de l’Eglise.
Il
faut répondre que l’homme peut abandonner sa femme de deux manières : 1° Quant
au lit seulement. Il peut ainsi l’abandonner de sa propre autorité aussitôt
qu’il a des preuves de sa fornication ; il n’est pas tenu de lui rendre le
devoir conjugal à moins qu’il n’y soit contraint par l’Eglise, et en le faisant
de cette manière il ne se porte aucun préjudice. 2° Quant au lit et à
l’habitation. De cette manière elle ne peut être renvoyée que d’après un
jugement de l’Eglise (Actuellement pour qu’il y ait séparation de corps et que
cette séparation ait ses effets temporels, il faut qu’elle soit prononcée par
les tribunaux séculiers.), et si elle avait été renvoyée autrement, le mari
devrait être contraint de la reprendre, à moins qu’il ne pût
démontrer immédiatement sa culpabilité. C’est à ce renvoi qu’on donne le nom de
divorce, et c’est pour cela qu’on doit reconnaître que le divorce ne peut être
prononcé que par un jugement de l’Eglise.
La
réponse à la troisième objection est évidente d’après ce que nous avons dit
(dans le corps de l’article.).
Article
4 : L’homme et la femme doivent-ils être jugés dans la cause du divorce sur le
pied de l’égalité ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme et la femme ne doivent pas être jugés dans la cause
du divorce sur le pied de l’égalité. Car le divorce est établi sous la loi
nouvelle à la place de la répudiation qui existait sous la loi ancienne, comme
on le voit (Matth., chap. 5). Or, à l’égard de la
répudiation l’homme et la femme n’étaient pas jugés sur le pied de l’égalité ;
parce que l’homme pouvait répudier la femme et non réciproquement. Ils ne
doivent donc pas être jugés non plus sur le pied de l’égalité dans le divorce.
Réponse
à l’objection N°1 : La répudiation n’était permise que pour éviter l’homicide.
Et parce que ce péril existait plus du côté des hommes que de femmes, le
libelle de répudiation permettait pour ce motif à l’homme de renvoyer sa femme,
mais non réciproquement.
Objection
N°2. Il est plus contraire à la loi naturelle qu’une femme ait plusieurs hommes
qu’un homme ait plusieurs femmes. Ainsi la seconde chose a été permise dans un
temps, tandis que la première ne l’a jamais été. La femme pèche donc plus que
l’homme dans l’adultère, et par conséquent ils ne doivent pas être jugés de la
même manière.
Réponse
à l’objection N°2 : Cette raison s’appuie sur ce que, par rapport au bien des
enfants, la cause du divorce est plus grave pour la femme adultère que pour le
mari, mais il ne s’ensuit pas qu’ils ne soient pas condamnés à la même peine,
comme on le voit d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article).
Objection
N°3. Quand on cause au prochain un plus grand dommage le péché est plus grave. Or,
l’épouse adultère nuit plus à l’homme que le mari adultère ne nuit à la femme,
parce que l’adultère de l’épouse rend les enfants incertains, tandis qu’il n’en
est pas de même de l’adultère de l’homme. Le péché de la femme est donc plus
grand, et par conséquent ils ne doivent pas être jugés également.
Réponse
à l’objection N°3 : Même réponse que pour l’objection N°2.
Objection
N°4. Le divorce est établi pour corriger le crime de l’adultère. Or, il
appartient plus à l’homme qui est le chef de la femme, selon l’expression de
saint Paul (1 Cor., chap. 11), de
corriger la femme qu’à celle-ci de corriger son mari. Ils ne doivent donc pas
être jugés sur le pied de l’égalité dans le divorce ; mais la condition du mari
doit être meilleure.
Réponse
à l’objection N°4 : Quoique l’homme soit le chef de la femme, comme son
gouverneur, il ne l’est cependant pas comme son juge, ni réciproquement. C’est
pourquoi dans les choses qui doivent se faire judiciairement, l’homme n’a pas plus de puissance sur la femme que celle-ci sur
l’homme
Objection
N°5. Mais au contraire. Il semble que dans ce cas la condition de la femme
doive être la meilleure. Car plus il y a de fragilité dans celui qui pèche et
plus sa faute est digne de pardon. Or, il y a dans les femmes plus de fragilité
que dans les hommes, et c’est ce qui fait dire à saint Chrysostome (alius auctor, hom.
40 in op. imperf.) que la luxure est proprement la
passion des femmes. Et Aristote observe (Eth., liv. 7, chap. 7) qu’on ne dit pas que les femmes sont
continentes, à proprement parler, à cause de la facilité de leur inclination
pour la concupiscence. Car les animaux ne peuvent se contenir, parce qu’il n’y
a rien en eux qui puisse résister aux convoitises. On devrait donc épargner les
femmes plus que les hommes dans la peine du divorce.
Réponse
à l’objection N°5 : Dans l’adultère on trouve la même culpabilité que dans la
simple fornication et quelque chose de plus qui aggrave la faute, c’est
l’injure faite au mariage. Si donc on considère ce qui est commun à l’adultère
et à la fornication, le péché de l’homme et de la femme sont entre eux comme ce
qui surpasse et ce qui est surpassé ; parce que dans les femmes il y a plus
d’humeur, et c’est pour cela qu’elles se laissent plus facilement mener par la
concupiscence, tandis que dans les hommes il y a plus de cette chaleur qui
excite la passion. Mais cependant, absolument parlant, toutes choses égales
d’ailleurs, l’homme pèche plus que la femme dans la simple fornication ; parce
qu’il y a en lui plus de raison et que c’est là ce qui prévaut dans la moralité
des passions corporelles. Mais par rapport à l’injure faite au mariage que
l’adultère ajoute à la fornication et qui produit le divorce, la femme pèche
plus que l’homme, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (dans le corps
de l’article). Et parce que cette faute est plus grave que la simple
fornication, il s’ensuit qu’absolument parlant, la femme adultère pèche plus
que l’homme adultère, toutes choses égales d’ailleurs.
Objection
N°6. L’homme est établi le chef de la femme pour la corriger. Il pèche donc
plus que la femme et par conséquent il doit être plus puni.
Réponse
à l’objection N°6 : Quoique l’autorité qui est donnée au mari sur la femme soit
une circonstance aggravante, cependant le péché est plus aggravé par cette
circonstance qui l’entraîne à une autre espèce (En y ajoutant une injustice.),
c’est-à-dire l’outrage fait au mariage qui se rapporte à une espèce de justice,
en ce qu’il introduit furtivement dans la famille les enfants d’un autre.
Conclusion
Puisque les époux se doivent également une fidélité mutuelle, l’homme et la
femme, dans la cause du divorce, sont jugés sur le pied de l’égalité, de telle
sorte que la même chose est permise et défendue à l’un aussi bien qu’à l’autre
; mais, par rapport au bien des enfants, l’épouse adultère pèche plus que
l’époux fornicateur.
Il
faut répondre que dans la cause du divorce l’homme et la femme sont jugés sur
le pied de l’égalité, de telle sorte que la même chose est permise et défendue
à l’un aussi bien qu’à l’autre, mais ils ne sont pas jugés de la même manière à
l’égard de ces choses ; parce que la cause du divorce est plus grave dans l’un
que dans l’autre, quoique ce soit dans l’un et l’autre une cause suffisante
pour divorcer. Car le divorce est la peine de l’adultère selon qu’il est
contraire aux biens du mariage. Par rapport à la fidélité que les époux se
doivent également l’un à l’autre, l’adultère de l’un est une faute aussi grave
contre le mariage que l’adultère de l’autre ; et cette cause suffit dans l’un
et l’autre pour le divorce (Nous avons déjà fait observer que les droits des
époux ne sont pas les mêmes d’après notre code civil, qui se trouve sur ce
point en désaccord avec le droit canon. Car d’après le code civil la femme n’a
le droit de demander la séparation de corps pour cause d’adultère de son mari,
qu’autant qu’il a tenu sa concubine dans
la maison commune (art. 250).). Mais par rapport au bien des enfants
l’adultère de l’épouse est une faute plus grave que celui de l’époux ; et c’est
pour cela que la cause du divorce est plus grave pour la femme que pour
l’homme. Ainsi ils sont obligés aux mêmes choses, mais non d’après une cause
égale. Cependant il n’y a point en cela d’injustice ; parce qu’il y a dans l’un
et l’autre une cause suffisante pour subir cette peine ; c’est ainsi qu’il en
est de deux criminels qui sont condamnés à la même peine de mort, quoique l’un
ait péché plus grièvement que l’autre.
Article
5 : Après le divorce, l’homme peut-il se marier avec une autre femme ?
Objection
N°1. Il semble qu’après le divorce l’homme puisse se marier avec une autre
femme. Car personne n’est tenu à la continence perpétuelle. Or, l’homme est
tenu en certain cas de séparer de lui à jamais sa femme pour cause de
fornication, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 2). Il semble
donc qu’au moins dans ce cas il puisse en épouser une autre.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique personne ne soit obligé absolument à la continence,
cependant on peut y être obligé par accident, par exemple si la femme a une
maladie incurable et qui soit de nature à empêcher l’union charnelle, et il en
est de même si elle est atteinte d’une manière incorrigible d’une infirmité
spirituelle, telle que la fornication.
Objection
N°2. On ne doit pas fournir à celui qui pèche une plus grande occasion de
pécher. Or, s’il n’est pas permis à celui qui est renvoyé pour cause de
fornication de contracter une autre union, on lui fournit une plus grande
occasion de pécher. Car il n’est pas probable que celui qui ne s’est pas
contenu dans le mariage puisse se contenir ensuite. Il semble donc qu’il lui
soit permis de contracter une autre alliance.
Réponse
à l’objection N°2 : La confusion qui résulte du divorce doit empêcher la femme
de pêcher ; que si elle ne peut l’empêcher, c’est un moindre mal que la femme
seule pèche que de faire encore participer l’homme à son péché.
Objection
N°3. La femme n’est tenue qu’à rendre à son mari le devoir conjugal et à
cohabiter avec lui. Or, par le divorce elle est délivrée de ces deux choses.
Elle est donc affranchie de la loi du mari et par conséquent elle peut se
marier avec un autre, et il en est de même de l’homme.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique la femme après le divorce ne soit pas tenue de
rendre le devoir conjugal à son mari adultère et d’habiter avec lui, cependant
le lien du mariage qui l’y obligeait subsiste encore, et c’est pour cela
qu’elle ne peut contracter un autre mariage du vivant de son mari. Cependant
elle peut faire le vœu de continence, malgré lui, à moins qu’on ne voie que
l’Eglise a été trompée par de faux témoins en prononçant la sentence du divorce
; parce que dans ce cas, quand même elle aurait fait le vœu de profession, elle
serait rendue à son mari et serait tenue de lui rendre le devoir conjugal,
quoiqu’elle n’ait pas le droit de l’exiger.
Objection
N°4. Il est dit (Matth., 19, 9) : Quiconque aura renvoyé sa femme, si ce n’est
pour cause de fornication et en épouse une autre, est adultère. Il semble
donc que s’il a renvoyé sa femme pour cause de fornication et qu’il en ait
épousé une autre, il ne soit pas adultère et que par conséquent le mariage soit
valide.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette exception dans les paroles du Seigneur se rapporte au
renvoi de la femme. C’est pourquoi l’objection part d’une fausse
interprétation.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (1
Cor., 7, 10) : Ce n’est pas moi mais
le Seigneur qui ordonne que la femme ne se sépare point de son mari, et que si
elle se sépare elle garde la continence.
Personne
de doit tirer avantage de son péché. Mais l’adultère
en tirerait avantage si on lui permettait d’épouser une autre personne qu’elle
désire davantage, et ce serait exciter au crime ceux qui veulent faire d’autres
alliances. Il n’est donc permis ni à l’homme, ni à la femme, de contracter une
autre union.
Conclusion
Puisque l’adultère qui survient au mariage ne peut faire que le mariage ne
demeure toujours vrai, il n’est pas permis à l’un de convoler en raison de
l’adultère à de secondes noces, tant que l’autre existe.
Il
faut répondre que rien de ce qui arrive après le mariage ne peut le dissoudre.
C’est pour cela que l’adultère ne fait pas que le mariage ne soit pas
véritable. Car, comme le dit saint Augustin (De nupt. et concupisc., liv. 1,
chap. 10), le lien conjugal subsiste entre les époux qui sont vivants ; ni la
séparation, ni l’union avec un autre ne peut le rompre. C’est pourquoi il n’est
pas permis à l’un de contracter une autre alliance, tant que l’autre existe.
Article
6 : Après le divorce l’homme et la femme peuvent-ils se réconcilier ?
Objection
N°1. Il semble qu’après le divorce l’homme et la femme ne puissent pas se
réconcilier. Car il y a une règle en droit qui dit (liv. 5, ff.
De decretis ab
ord. faciend.) que ce qui a été une fois bien défini ne doit être rétracté
par aucune décision nouvelle. Or, il a été arrêté par le jugement de l’Eglise
qu’ils doivent se séparer. Ils ne peuvent donc pas se réconcilier plus tard.
Réponse
à l’objection N°1 : La sentence de l’Eglise qui prononce le divorce n’oblige
pas à la séparation, mais elle permet la permet seulement, et c’est pour cela
que sans rétractation de la sentence antérieure la réconciliation peut se
faire.
Objection
N°2. Si la réconciliation était possible, il semble que l’homme serait tenu
principalement à recevoir sa femme après que celle-ci aurait fait pénitence.
Or, il n’y est pas tenu, car la femme ne peut apporter pour excuse en jugement
la pénitence qu’elle a faite contre son mari qui l’accuse de fornication. La
réconciliation ne peut donc se faire d’aucune manière.
Réponse
à l’objection N°2 : La pénitence de la femme doit engager l’homme à ne pas
l’accuser ou à ne pas la renvoyer ; mais elle ne peut cependant l’y
contraindre. Par sa pénitence la femme ne peut faire repousser son accusation,
parce que la faute n’existant plus quant à l’acte et quant à la tache, il reste
encore quelque chose de la peine qu’elle mérite, et cette dette n’existant plus
devant Dieu, elle subsiste encore quant à la peine qui doit être portée dans le
tribunal des hommes, parce que l’homme ne voit pas le cœur, comme Dieu.
Objection
N°3. Si la réconciliation était possible, il semble que l’épouse adultère
serait tenue de revenir près de son mari lorsqu’il la rappelle. Or, elle n’y
est pas tenue, parce qu’ils ont été séparés par le jugement de l’Eglise.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce qui est établi en faveur de quelqu’un ne lui cause pas
de préjudice. Par conséquent le divorce ayant été établi en faveur de l’homme,
il ne lui enlève pas le droit de demander le devoir conjugal, ni de rappeler
son épouse. Par conséquent la femme est tenue de le lui rendre et de revenir à
lui s’il la rappelle, à moins qu’elle n’ait fait le vœu de continence avec sa
permission.
Objection
N°4. S’il était permis de réconcilier la femme adultère, ce serait surtout dans
le cas où l’homme vient à commettre la même faute après le divorce. Or, dans ce
cas l’épouse ne peut le forcer à la réconciliation, puisque le divorce a été
justement prononcé. Elle ne peut donc être réconciliée d’aucune manière.
Réponse
à l’objection N°4 : L’adultère que commet après le divorce l’homme qui était
auparavant innocent, n’est pas une cause d’après la rigueur du droit pour
l’obliger à reprendre son épouse adultère. Cependant d’après l’équité du droit
le juge est tenu par sa charge de l’avertir de prendre
garde au danger que court son âme et au scandale qu’il va causer, quoique la
femme ne puisse pas demander à rentrer avec lui.
Objection
N°5. Si un homme qui a commis l’adultère en secret renvoie son épouse
convaincue d’adultère par un jugement de l’Eglise, il ne semble pas que le
divorce ait été prononcé avec justice. Cependant l’homme n’est pas tenu de se
réconcilier avec sa femme, parce que celle-ci ne peut prouver en jugement
l’adultère de son mari. La réconciliation peut donc encore beaucoup moins se
faire, quand le divorce a été justement prononcé.
Réponse
à l’objection N°5 : Si l’adultère de l’homme est secret, cette circonstance
n’enlève pas à la femme adultère le droit d’échapper à l’accusation de son
mari, quoiqu’elle ne puisse pas en fournir la preuve, et c’est pour cela que
l’homme pèche en demandant le divorce. Et si après la sentence du divorce la
femme demande le devoir conjugal ou la réconciliation, l’homme est tenu à ces
deux choses.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (1 Cor.,
7, 2) : Si elle se sépare, qu’elle garde
la continence ou qu’elle se réconcilie avec son mari.
L’homme
ne peut pas renvoyer sa femme après la fornication. Pour la même raison il peut
donc se réconcilier avec elle après le divorce.
Conclusion
L’homme peut rappeler son épouse qu’il a congédiée pour cause d’adultère, si
elle s’est corrigée en faisant pénitence de son péché ; autrement il ne le peut
pas, comme il ne peut pas la garder avec lui si elle refuse de changer de
conduite.
Il
faut répondre que si la femme après le divorce s’est corrigée en faisant
pénitence de son péché, son époux peut se réconcilier avec elle (On devrait
l’exhorter à la faire, parce que le ministère du prêtre est un ministère de
paix et de réconciliation, et surtout si la séparation était devenue un état
dangereux pour la vertu de l’un et de l’autre.) ; mais si elle reste incorrigible
dans son péché, il ne doit pas la reprendre, pour la même raison qui fait qu’il
ne lui aurait pas été permis de la garder, si elle avait refusé de quitter son
péché.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.