Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 63 : Des secondes noces
Nous
devons ensuite nous occuper des secondes noces, et à ce sujet deux questions se
présentent : 1° Sont-elles permises ? (Il est de foi contre les novatiens et
les montanistes que non seulement les secondes noces mais encore les
troisièmes, les quatrièmes, etc., sont permises. Declaramus, dit le pape Grégoire
IV, non solùm secundas ac tertias
nuptias, sed et quartus atque ulteriores,
si aliquod canonicum impedimentum non obstat, licitè contrahi posse (Decret. in Armen. in concil. Florent.).) — 2° Sont-elles un sacrement ? (Il est
certain que le second, le troisième, le quatrième mariage, etc., sont des
sacrements ; tous les théologiens l’enseignent, et les conciles l’insinuent en
disant que le mariage peut se réitérer. C’est ce que disent
le concile de Florence et le concile de Trente sess. 7).)
Article
1 : Les secondes noces sont-elles permises ?
Objection
N°1. Il semble que les secondes noces ne soient pas permises. Car on doit juger
des choses d’après la vérité. Or, saint Chrysostome dit (alius
auctor, hom. 32 in op. imperf.,
circ. med. et hab., chap. Hâc ratione 31, quest. 1) que prendre un
second mari, c’est une fornication selon la vérité. La fornication n’étant pas
licite, le second mariage ne l’est donc pas non plus.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Chrysostome s’exprime ainsi relativement à la cause
qui engage quelquefois à se marier, c’est-à-dire qu’il parle de la
concupiscence qui porte aussi à la fornication.
Objection
N°2. Tout ce qui n’est pas bien n’est pas licite. Or, saint Ambroise dit (implic. sup. illud 1 Cor., chap. 7 : Beatior autem, et liv. De viduis, aliquant
à med.) que le second
mariage n’est pas bien. Il n’est donc pas permis.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit que le second mariage n’est pas bien, non parce
qu’il n’est pas permis, mais parce qu’il manque de la signification glorieuse
qui s’attache aux premières noces, et qui résulte de l’union des conjoints qui
ressemble à l’unité du Christ et de l’Eglise.
Objection
N°3. On ne doit pas être empêché d’assister à ce qui est honnête et permis. Or,
on empêche les prêtres d’assister aux secondes noces, comme on le voit dans le
Maître des sentences (Sent. 4, dist.
42). Elles ne sont donc pas permises.
Réponse
à l’objection N°3 : Les hommes livrés aux choses divines sont éloignés non
seulement de ce qui est illicite mais encore des choses qui ont une apparence
de difformité. C’est pourquoi on les empêche d’assister aux secondes noces,
parce qu’elles n’ont pas l’honnêteté qui se trouvait dans les premières.
Objection
N°4. On ne subit de peine que pour une faute. Or, pour les secondes noces on
encourt la peine de l’irrégularité. Elles ne sont donc pas permises.
Réponse
à l’objection N°4 : L’irrégularité n’est pas toujours portée à cause d’une
faute, mais elle l’est à cause du défaut de sacrement. C’est pourquoi cette
raison n’est pas concluante.
Mais
c’est le contraire. L’Ecriture rapporte qu’Abraham
contracta de secondes noces (Gen., chap. 25).
Saint
Paul dit (1 Tim.,
5, 14) : Je veux que les jeunes veuves se
marient et qu’elles aient des enfants. Les secondes noces sont donc
permises.
Conclusion
Le lien du mariage étant détruit par la mort de l’un des époux, l’autre peut se
marier autant de fois qu’il entre dans un nouveau veuvage.
Il
faut répondre que le lien du mariage ne dure que jusqu’à la mort comme on le
voit (Rom., chap. 7). C’est pourquoi
l’un des époux étant mort, le lien matrimonial ne subsiste plus. Par conséquent
l’un des conjoints étant mort, l’autre n’est empêché par son mariage antérieur
de se marier de nouveau. Et ainsi non seulement on permet les secondes noces,
mais encore les troisièmes et ainsi de suite.
Article
2 : Le second mariage est-il un sacrement ?
Objection
N°1. Il semble que le second mariage ne soit pas un sacrement. Car celui qui
réitère un sacrement lui fait injure. Or, on ne doit faire injure à aucun
sacrement. Donc si le second mariage était un sacrement, on ne devrait le
réitérer d’aucune manière.
Réponse
à l’objection N°1 : Cela s’entend du sacrement qui produit un effet perpétuel :
car alors si on réitère le sacrement on donne à penser que le premier n’a pas
été efficace, et c’est ainsi qu’on lui fait injure ; comme on le voit dans tous
les sacrements qui impriment caractère. Mais les sacrements qui n’ont pas un
effet perpétuel peuvent être réitérés sans qu’on leur fasse injure, comme on le
voit à l’égard de la pénitence. Et comme le lien matrimonial est détruit par la
mort, une femme ne fait nullement injure au sacrement, si après la mort de son
mari elle se marie de nouveau.
Objection
N°2. Dans tous les sacrements on donne une bénédiction. Or, dans les secondes
noces on ne donne pas la bénédiction, comme on le voit (Sent. 4, dist. 42). Il n’y a donc là aucun sacrement.
Réponse
à l’objection N°2 : Le second mariage, quoique considéré en lui-même il soit un
sacrement parfait, cependant considéré par rapport au premier il a un défaut
sacramentel, parce qu’il n’a pas la signification pleine du sacrement,
puisqu’il n’a pas l’unité d’union qui existe dans l’alliance du Christ et de
l’Eglise. En raison de ce défaut on ne donne pas la bénédiction dans les
secondes noces. Toutefois ceci doit s’entendre du cas où les secondes noces
sont telles pour le mari et la femme également ou pour la femme seulement. En
effet si une vierge se marie avec un homme qui a eu une autre femme on bénit
néanmoins le mariage. Car dans ce cas la signification qui existait par rapport
au premier mariage est encore conservée d’une certaine manière ; parce que le
Christ, quoiqu’il n’ait qu’une seule Eglise pour épouse, s’unit cependant à
plusieurs personnes dans cette même Eglise. Mais l’âme ne peut pas être
l’épouse d’une autre que du Christ ; car autrement elle fornique avec le démon
et il n’y a pas là de mariage spirituel. C’est pour cela que quand une femme se
marie une seconde fois, on ne bénit pas le mariage à cause de ce défaut de
sacrement.
Objection
N°3. La signification est de l’essence du sacrement. Or, dans le second mariage
on ne retrouve pas la signification du mariage ; parce qu’il n’y a pas l’unité
d’union qui représente celle du Christ et de l’Eglise. Ce n’est donc pas un
sacrement.
Réponse
à l’objection N°3 : La signification parfaite se trouve dans le second mariage considéré
en lui-même ; mais il n’en est pas de même si on le considère par rapport au
mariage antérieur, et sous ce rapport il a un défaut de sacrement.
Objection
N°4. Un sacrement n’empêche pas d’en recevoir un autre. Or, le second mariage
empêche de recevoir les ordres. Ce n’est donc pas un sacrement.
Réponse
à l’objection N°4 : Le second mariage empêche le sacrement de l’ordre à cause
du défaut de sacrement qui se trouve en lui, mais non parce que c’est un
sacrement.
Mais
c’est le contraire. Les rapports conjugaux sont excusés du péché dans le second
mariage de la même manière que pour le premier. Or, les rapports conjugaux sont
excusés par les trois biens du mariage qui sont les enfants, la fidélité et le
sacrement. Par conséquent, le second mariage est un sacrement.
Il
ne résulte pas d’irrégularité d’une seconde union d’un homme avec une femme,
quand cette union n’est pas sacramentelle, comme on le voit à l’égard de la
fornication. Or, l’irrégularité se contracte dans les secondes noces. Elles
sont donc sacramentelles.
Conclusion
Puisqu’on trouve dans le second mariage les choses qui constituent le
sacrement, une personne légitime comme matière et l’expression du consentement per verba de præsenti
comme forme ; il faut reconnaître que c’est un sacrement véritable.
Il
faut répondre que partout où l’on trouve les choses qui sont de l’essence du
sacrement, il y a un sacrement véritable. Par conséquent puisque dans les
secondes noces on trouve tout ce qui est de l’essence du sacrement de mariage
(car il y a la matière voulue que produit la légitimité des personnes, et la
forme exigée, qui consiste dans l’expression du consentement intérieur per verba de præsenti),
il est évident que le second mariage est un sacrement aussi bien que le premier.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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