Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 66 : De la bigamie et de l’irrégularité qui en résulte

 

          Nous devons ensuite nous occuper de la bigamie et de l’irrégularité qui en résulte. A cet égard cinq questions se présentent : 1° Y a-t-il une irrégularité annexée à cette bigamie qui consiste en ce qu’on a successivement eu deux épouses ? — 2° Celui qui a eu simultanément deux femmes contracte-t-il une irrégularité ? — 3° L’irrégularité se contracte-t-elle parce qu’on a épousé une femme qui n’était pas vierge ? — 4° La bigamie est-elle détruite par le baptême ? — 5° Est-il permis de dispenser un bigame ?

 

Article 1 : L’irrégularité est-elle annexée à la bigamie ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il n’y ait pas d’irrégularité annexée à cette bigamie qui provient de ce que l’on a eu successivement deux femmes. Car la multiplication et l’unité sont une conséquence de l’être. Par conséquent puisque le non-être ne produit pas de multiplicité, celui qui a successivement deux femmes, quand l’une existe et l’autre n’existe plus, il ne devient pas pour cela l’homme qui n’a pas qu’une femme et qui ne peut être promu à l’épiscopat, d’après l’Apôtre (1 Tim., chap. 3 et Tite, chap. 1).

          Réponse à l’objection N°1 : La pluralité des femmes qui existent ensemble est une multitude absolument. C’est pourquoi cette multitude répugne totalement à la signification du sacrement et elle détruit pour ce motif le sacrement lui-même. Mais la pluralité des femmes qui existent successivement n’est une multitude que sous un rapport. C’est pour ce motif qu’elle ne détruit pas totalement la signification du sacrement, et qu’elle ne rend pas le sacrement nul quant à son essence, mais quant à sa perfection, que l’on requiert dans ceux qui sont les dispensateurs des sacrements.

 

          Objection N°2. Celui qui s’unit à plusieurs femmes par la fornication donne une plus grande preuve d’incontinence que celui qui a successivement plusieurs épouses. Or, on ne devient pas irrégulier dans le premier cas ; on ne l’est donc pas non plus dans le second.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique les fornicateurs donnent des marques d’une plus grande concupiscence, cependant ce n’est pas d’une concupiscence aussi adhérente, parce que par la fornication l’un ne se lie pas à l’autre perpétuellement. C’est pourquoi le défaut du sacrement n’existe pas.

 

          Objection N°3. Si la bigamie produit l’irrégularité, c’est ou en raison du sacrement, ou en raison de l’union charnelle. Or, ce n’est pas en raison du sacrement, parce que dans ce cas si on s’était marié avec une femme per verba de præsenti et qu’on en eût épousé une autre, après avoir perdu la première avant d’avoir consommé le mariage, on deviendrait irrégulier ; ce qui est contraire au décret d’Innocent III (chap. Dubium, De bigamia). Ce n’est pas non plus en raison de l’union charnelle, parce qu’alors celui qui aurait commis la fornication avec plusieurs femmes serait irrégulier : ce qui est faux. La bigamie ne produit donc l’irrégularité d’aucune manière.

          Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article) la bigamie produit l’irrégularité, en ce qu’elle enlève la signification parfaite du sacrement, qui consiste dans l’union des âmes que produit le consentement et dans l’union des corps. C’est pour cela qu’il faut qu’en raison de l’un et de l’autre à la fois la bigamie qui produit l’irrégularité existe. Par conséquent, par le décret d’Innocent III on obvie à ce que dit le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 27), en prétendant que le consentement seul per verba de præsenti suffit pour entraîner l’irrégularité.

 

          Conclusion Puisque la bigamie détruit la signification entière du sacrement, et par conséquent la signification de l’union du Christ avec l’Eglise, qui est celle d’un seul avec une seule, c’est avec raison qu’elle entraîne l’irrégularité.

          Il faut répondre que par le sacrement de l’ordre on est établi ministre des sacrements. Celui qui doit administrer les sacrements aux autres, ne doit souffrir dans les sacrements aucun défaut. Or, il y a défaut dans un sacrement quand la signification d’un sacrement n’est pas entière. Ainsi le sacrement de mariage signifie l’union du Christ et de l’Eglise, qui est l’union d’un seul avec une seule. C’est pourquoi on requiert pour la signification parfaite du sacrement qu’un homme ne soit l’époux que d’une seule femme et qu’une femme ne soit l’épouse que d’un seul homme. C’est pour ce motif que la bigamie qui détruit cette unité d’union entraîne l’irrégularité. Il y a quatre sortes de bigamie. La première c’est quand on a légitimement plusieurs femmes successivement. La seconde quand on a simultanément plusieurs femmes, l’une de droit et l’autre de fait. La troisième quand on en a eu plusieurs successivement, l’une de droit et l’autre de fait. La quatrième quand on épouse une femme veuve (L’irrégularité existe encore quand un homme épouse une fille qu’un autre avait déjà connue, comme saint Thomas le démontre (art. 3), et quand il use du mariage après que sa femme a eu des rapports charnels avec un autre. Les canonistes distinguent encore la bigamie similitudinaire qui existe quand, après avoir contracté un mariage spirituel avec l’Eglise, par les vœux solennels de religion ou par la réception des ordres sacrés, on contracte ou l’on tente de contracter un mariage charnel.). Et c’est pour cela que dans tous les cas il y a une irrégularité qui leur est adjointe. On donne une autre cause qui découle de celle-là. C’est qu’on doit voir dans ceux qui reçoivent le sacrement de l’ordre la plus grande spiritualité ; soit parce qu’ils administrent les choses spirituelles, c’est-à-dire les sacrements ; soit parce qu’ils les enseignent et qu’ils doivent s’en occuper. Par conséquent puisque ce qui répugne le plus à la spiritualité c’est la concupiscence qui rend l’homme tout entier charnel, on ne doit pas remarquer en eux un signe de concupiscence constante ; ce qui se manifeste chez les bigames qui n’ont pas voulu se contenter d’une épouse. Mais la première raison est meilleure.

 

Article 2 : L’irrégularité est-elle annexée à la bigamie qui résulte de ce qu’un homme a deux femmes, l’une de droit, et l’autre de fait ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’irrégularité ne soit pas annexée à la bigamie qui résulte de ce qu’un homme a deux femmes à la fois ou successivement, l’une de droit et l’autre de fait. Car où il n’y a aucun sacrement, le défaut de sacrement ne peut exister. Or, quand on s’unit de fait avec une femme et non de droit, il n’y a pas de sacrement ; parce que cette union ne signifie pas l’union du Christ avec l’Eglise. Par conséquent, puisque l’irrégularité ne résulte de la bigamie qu’à cause du défaut de sacrement, il semble qu’elle ne résulte pas de cette espèce de bigamie.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique là il n’y ait pas de sacrement, il y a cependant une ressemblance de sacrement qui n’existe pas dans une fornication ou dans un adultère. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°2. Celui qui s’approche de la femme avec laquelle il s’est unit de fait et non de droit, commet la fornication s’il n’a pas d’épouse légitime, ou l’adultère s’il en a une. Or, quand on partage ainsi sa chair entre plusieurs femmes par la fornication ou l’adultère, il n’en résulte pas d’irrégularité. Cette espèce de bigamie n’en produit donc pas non plus.

          La réponse à l’objection N°2 est évidente d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article).

 

          Objection N°3. Il peut arriver qu’avant de consommer le mariage avec la femme qu’on a épousée de droit, on contracte avec une autre de fait et non de droit, et qu’on ait des rapports charnels avec elle après la mort de la première ou de son vivant. Celui qui a ainsi contracté avec plusieurs femmes de droit ou de fait, n’est cependant pas irrégulier parce qu’il n’a pas divisé sa chair entre plusieurs femmes. D’après cette espèce de bigamie on ne contracte donc pas l’irrégularité.

          Réponse à l’objection N°3 : Dans ce cas on n’est pas réputé bigame, parce que le premier mariage n’a pas eu sa signification parfaite ; cependant si par un jugement de l’Eglise il est contraint de retourner à sa première femme et d’avoir avec elle des rapports charnels, aussitôt il devient irrégulier ; parce que ce n’est pas le péché qui produit l’irrégularité, mais l’imperfection de la signification du sacrement.

 

          Conclusion Celui qui a une femme de droit et une autre de fait est censé bigame et encourt l’irrégularité annexée à la bigamie par cette dernière alliance.

          Il faut répondre que dans ces deux secondes espèces de bigamie on contracte l’irrégularité, parce que quoiqu’il n’y ait pas de sacrement dans la seconde alliance, il y a cependant une ressemblance de sacrement. Par conséquent ces deux modes sont secondaires, et le premier est le principal comme cause d’irrégularité.

 

Article 3 : L’irrégularité se contracte-t-elle en épousant une femme qui n’est pas vierge ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’irrégularité ne soit pas contractée en épousant une femme qui n’est pas vierge. Car les propres défauts d’un homme lui sont un plus grand empêchement que le défaut d’un autre. Or, si l’homme même qui se marie n’est pas vierge, il ne devient pas irrégulier. Il l’est donc bien moins si sa femme n’est pas vierge.

          La réponse à l’objection N°1 est évidente d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article).

 

          Objection N°2. Il peut se produire qu’un homme épouse une femme après l’avoir déflorée. Or, un tel homme ne devient apparemment pas irrégulier, puisqu’il n’a pas divisé sa chair parmi plusieurs, ni sa femme non plus ; cependant il épouse une femme qui n’est pas vierge. Par conséquent, cette espèce de bigamie ne cause pas d’irrégularité.

          Réponse à l’objection N°2 : Dans ce cas, les avis diffèrent. Cependant, il est plus probable qu’il ne soit pas irrégulier, parce qu’il n’a pas divisé sa chair parmi plusieurs.

 

          Objection N°3. On ne peut devenir irrégulier que volontairement. Or, parfois, un homme épouse involontairement une femme qui n’est pas vierge, par exemple quand il pense qu’elle est vierge, et qu’après cela, en s’unissant à elle, il découvre qu’elle ne l’est pas. Cette espèce de bigamie ne cause donc pas toujours l’irrégularité.

         Réponse à l’objection N°3 : L’irrégularité n’est pas une punition, mais le défaut d’un sacrement. Par conséquent, il n’est pas toujours nécessaire que la bigamie soit volontaire pour causer l’irrégularité. Ainsi, un homme qui épouse une femme, pensant qu’elle est vierge, alors qu’elle ne l’est pas, devient irrégulier en s’unissant charnellement à elle.

 

          Objection N°4. Un commerce illicite après le mariage est plus coupable qu’un avant le mariage. Or, si une femme, après que le mariage ait été consommé, s’unit à un autre homme, son mari n’en devient pas irrégulier, ou sinon il serait puni à cause du péché de sa femme. De plus, il pourrait se produire que, après l’avoir su, il lui paie la dette si elle la demande, avant qu’elle ne soit accusée et convaincue d’adultère. Par conséquent, il semble que cette espèce de bigamie ne cause pas d’irrégularité.

          Réponse à l’objection N°4 : Si une femme fornique après s’être mariée, son mari n’en devient pas irrégulier, sauf s’il s’unit charnellement à elle après qu’elle ait été corrompue par l’adultère, car la corruption de la femme n’affecte point du tout l’acte du mariage du mari. Mais, même s’il était contraint par la loi à lui payer la dette, ou s’il le fait parce qu’elle l’a demandé, étant poussé par sa propre conscience, et ceci avant même qu’elle n’ait été convaincue d’adultère, il en devient irrégulier, quoique les opinions divergent sur ce point. Cependant, ce que nous avons dit est plus probable, puisque ce n’est pas ici une question de péché, mais uniquement de signification.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (Regist., liv. 2, indict. 10, epist. 25) : Nous t’ordonnons de ne jamais faire d’ordinations illicites, ni d’admettre un bigame aux ordres sacrés, ou quelqu’un qui ait épousé une femme qui n’était pas vierge, ou quelqu’un d’illettré, ou quelqu’un qui ait une déformation dans un de ses membres, ou qui doive faire pénitence, ou accomplir une tâche curiale, ou qui soit en un quelconque état de sujétion.

 

          Conclusion Celui qui épouse une femme qui n’est pas vierge, devient irrégulier, pour ne pas l’être, il doit en épouser une qui ne soit pas corrompue.

          Il faut répondre que dans l’union du Christ avec l’Eglise, il y a unité de chaque côté. Par conséquent, si on trouve une division de la chair du côté du mari, ou du côté de la femme, il y a un défaut de sacrement ; il y a cependant une différence, parce que du côté du mari, il est requis qu’il n’ait épousé aucune autre femme, mais pas qu’il soit vierge ; tandis que du côté de la femme il est aussi requis qu’elle soit vierge. La raison attribuée par ceux qui s’y connaissent dans les Décrétales est que le mari signifie l’Eglise militante qui est confiée aux soins de l’évêque, et dans laquelle il y a beaucoup de corruption, tandis que l’épouse signifie le Christ qui était vierge. Pour cette raison, la virginité est requise du côté de l’épouse, mais non de celui du mari, pour qu’un homme puisse devenir un évêque. Mais cette raison est expressément contraire aux paroles de saint Paul (Eph., 5, 25) : Maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aussi aimé son Eglise. Ceci montre que l’épouse signifie l’Eglise et le futur mari le Christ ; et il dit aussi (ibid., 23) : parce que le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Eglise. — D’où d’autres disent que le Christ est signifié par le mari, et que l’épouse signifie l’Eglise triomphante dans laquelle il ne se trouve aucune tache. Ainsi, la synagogue a été d’abord unie au Christ en tant que concubine, afin que le sacrement ne perde rien de sa signification si le mari avait eu une concubine auparavant. Mais ceci est encore plus absurde, car, comme la foi des anciens et la nôtre est une, l’Eglise est aussi une. C’est pourquoi, ceux qui ont servi Dieu à l’époque de la synagogue appartenaient à l’unité de l’Eglise dans laquelle nous servons Dieu. De plus, ceci est expressément opposé à ce qui est dit (Jérem., chap. 3, Ez., chap. 16 et Osée, chap. 2), où les fiançailles de la synagogue sont mentionnées explicitement. En conséquence, elle n’était pas une concubine, mais une épouse. En outre, d’après ceci, la fornication serait le signe sacré de cette union, ce qui est absurde. Pour cette raison, les gentils, avant d’être épousés par le Christ dans la foi de l’Eglise, étaient corrompus par le diable via l’idolâtrie. D’où nous devons donc dire que l’irrégularité est causée par un défaut dans le sacrement lui-même. Or, quand la corruption de la chair est externe au mariage à cause d’un mariage précédent, ceci ne cause pas de défaut dans le sacrement du côté de la personne corrompue, mais de celui de l’autre personne, parce que l’acte de la partie qui contracte mariage ne met pas sa fin en elle-même, mais dans l’autre, d’où elle prend son espèce de son terme qui, de plus, en ce qui concerne cet acte, est la matière comme si elle appartenait au sacrement. Par conséquent, si une femme était capable de recevoir les ordres, de la même manière que son mari deviendrait irrégulier en se mariant à une femme qui n’est pas vierge, mais non parce qu’il n’est pas vierge en se mariant ; ainsi une femme devient irrégulière si elle se marie à un homme qui n’est pas vierge, mais non si elle n’était plus vierge lors de son mariage ; à moins qu’elle n’ait été corrompue auparavant par son précédent mariage.

 

Article 4 : La bigamie est-elle détruite par le baptême ?

 

          Objection N°1. Il semble que la bigamie soit détruite par le baptême. Car saint J2rôme dit (Epist. ad Tit., sup. illud., chap. 1 : Unius uxoris vir) que si on a avant le baptême plusieurs femmes, ou une avant et l’autre après, on n’est pas bigame. La bigamie est donc détruite par le baptême.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans ce cas l’opinion de saint Jérôme n’est pas soutenable, à moins que par hasard nous ne voulions l’interpréter en disant qu’il a entendu parler de la dispense qui s’obtient plus facilement.

 

          Objection N°2. Celui qui fait plus fait moins. Or, le baptême efface tout péché, ce qui est plus grave que l’irrégularité. Il détruit donc l’irrégularité de la bigamie.

          Réponse à l’objection N°2 : Ce qui fait plus ne fait moins que dans le cas où il se rapporte à une même chose ; ce qui n’a pas lieu dans la circonstance présente, parce que le baptême n’a pas pour but d’enlever l’irrégularité.

 

          Objection N°3. Le baptême détruit toute peine qui provient d’un acte. Or, l’irrégularité de la bigamie est de cette nature. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°3 : Cela doit s’entendre des peines qui résultent du péché actuel, comme ayant été infligées ou comme devant l’être. Car on ne recouvre pas la virginité par le baptême, et on ne recouvre plus l’indivisibilité de la chair.

 

          Objection N°4. Le bigame est irrégulier en ce qu’il ne représente pas le Christ. Or, par le baptême nous sommes pleinement rendus conformes au Christ. Cette irrégularité est donc détruite.

          Réponse à l’objection N°4 : Le baptême rend semblable au Christ quant à la vertu de l’âme, mais non quant à l’état corporel qu’on considère dans la virginité, ou dans la division de la chair.

 

          Objection N°5. Les sacrements de la loi nouvelle sont plus efficaces que ceux de la loi ancienne. Or, les sacrements de la loi ancienne détruisaient les irrégularités, comme l’a dit le Maître des sentences (in princ. liv. 4, Sent.). Donc le baptême, qui est le sacrement le plus efficace de la loi nouvelle détruit l’irrégularité que l’on a contractée par suite de la bigamie.

          Réponse à l’objection N°5 : Ces irrégularités se contractaient pour des causes légères qui n’étaient pas perpétuelles, et c’est pour cela qu’elles pouvaient aussi être enlevées par ces sacrements. En outre ils avaient été établis pour cela, tandis que ce n’est pas la fin du baptême.

 

          Mais c’est le contraire qui dit saint Augustin (De bono conjug., chap. 18) : Ils ont eu l’intelligence plus pénétrante ceux qui ont dit que l’on ne devait pas ordonner celui qui a eu une seconde femme étant catéchumène ou païen, parce qu’il s’agit du sacrement et non du péché.

          Comme le dit le même Père (ibid.), la femme, si elle a été souillée étant catéchumène ou vierge, ne peut plus être consacrée après son baptême parmi les vierges de Dieu. Donc pour la même raison on ne peut pas ordonner celui qui a été bigame avant son baptême.

 

          Conclusion Comme le baptême ne détruit pas le mariage, de même il ne peut enlever l’irrégularité de la bigamie.

          Il faut répondre que le baptême efface les fautes et ne brise pas les mariages. Par conséquent, puisque c’est du mariage lui-même que résulte l’irrégularité, elle ne peut être enlevée par le baptême, comme le dit saint Augustin (loc. cit.).

 

Article 5 : Est-il permis de dispenser un bigame ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis de dispenser un bigame. Car il est dit (extrà De bigamis, chap. Nuper) : qu’il n’est pas permis de dispenser comme bigames les clercs qui se sont mariés une seconde fois.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans cette décrétale on montre qu’on dispense aussi difficilement ceux qui ont contracté de fait avec plusieurs femmes, que s’ils eussent contracté de droit ; mais on ne refuse pas au pape le pouvoir de dispenser absolument dans ces circonstances.

 

          Objection N°2. Il n’est pas permis de dispenser du droit divin. Or, tout ce qui se trouve dans les saintes Ecritures appartient au droit divin. Par conséquent puisque l’Apôtre lit dans les saintes Ecritures : Il faut qu’un évêque soit un homme qui n’ait épousé qu’une femme (1 Tim., 3, 2), il semble qu’on ne puisse donner de dispense à cet égard.

          Réponse à l’objection N°2 : Ce principe est vrai quant à ce qui est de droit naturel et quant à ce qui est de nécessité de sacrement et de foi. Mais à l’égard des autres choses qui ont été établies par les apôtres, puisque l’Eglise a le même pouvoir d’établir et d’abroger qu’elle avait alors, celui qui a la primauté dans l’Eglise peut en dispenser.

 

          Objection N°3. Personne ne peut être dispensé à l’égard des choses qui sont de nécessité de sacrement. Or, il est nécessaire pour le sacrement de l’ordre de n’être pas irrégulier, puisque la signification qui est essentielle au sacrement fait défaut dans celui qui est irrégulier. On ne peut donc être dispensé à ce sujet.

          Réponse à l’objection N°3 : Toute signification n’est pas de l’essence du sacrement, mais seulement celle qui appartient à l’office du sacrement, et celle-là n’est pas détruite par l’irrégularité.

 

          Objection N°4. Ce qui a été fait raisonnablement ne peut être changé avec raison. Si donc on peut dispenser avec raison un bigame, on a donc eu tort de joindre l’irrégularité à la bigamie, ce qui répugne.

          Réponse à l’objection N°4 : Dans les choses particulières on ne peut pas trouver une raison qui convienne à toutes également, à cause de leur diversité. C’est pourquoi ce qui a été établir raisonnablement d’une manière générale, en considérant ce qui arrive ordinairement, peut être écarté avec raison par une dispense dans un cas déterminé.

 

          Mais c’est le contraire. Le pape Lucius dispensa l’évêque de Panorme qui était bigame (ut hab. in glos. sup. chap. Lector, dist. 34).

          Le pape Martin dit (hab. inter chap. Martini Bracharnensis, chap. 43, et loc. mox cit.) : Si un lecteur épouse une veuve, qu’il reste dans sa charge de lecteur, ou s’il y a nécessité qu’il devienne sous-diacre, mais qu’il ne monte pas plus haut ; qu’il en soit de même s’il a été bigame. On peut donc être dispensé comme bigame au moins au moins jusqu’au sous-diaconat.

 

          Conclusion L’irrégularité de la bigamie n’étant pas de droit naturel, mais de droit positif, le pape peut dispenser un bigame pour tous les ordres ; mais un évêque ne le peut que pour les ordres mineurs, sinon dans certains cas.

          Il faut répondre que l’irrégularité jointe à la bigamie n’est pas de droit naturel, mais de droit positif, et qu’il n’est pas non plus essentiel à l’ordre qu’on ne soit pas bigame, ce qui est évident, parce que si un bigame se présente pour les ordres il reçoit le caractère. C’est pourquoi le pape peut dispenser totalement de cette irrégularité ; mais un évêque ne le peut que quant aux ordres mineurs (D’après Mgr Gousset, les évêques n’ont pas droit généralement de dispenser des irrégularités ex defectu, il ne fait d’exception que pour les enfants illégitimes que les évêques peuvent dispenser pour la tonsure, les ordres mineurs et les bénéfices simples.). Il y en a qui disent que l’évêque peut aussi dispenser quant aux ordres majeurs ceux qui veulent servir Dieu en religion (Les canonistes ne regardent pas généralement cette opinion comme fondée.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.