Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 68 : Des enfants illégitimes

 

          Nous devons ensuite nous occuper des enfants illégitimes, et à cet égard trois questions se présentent : 1° Ceux qui naissent hors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ? — 2° Les enfants illégitimes doivent-ils souffrir de leur illégitimité un dommage ? — 3° Peuvent-ils être légitimes ?

 

Article 1 : Les enfants qui naissent hors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ?

 

          Objection N°1. Il semble que les enfants qui naissent hors d’un vrai mariage soient légitimes. Car on appelle fils légitime celui qui est né selon la loi. Or, tout le monde naît selon la loi, du moins selon la loi de nature qui est la plus forte. Donc on dit de tout enfant qu’il est légitime.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique ceux qui naissent de rapports illicites naissent selon la nature qui est commune à l’homme et à tous les animaux, cependant ils naissent contrairement à la loi de nature qui est propre aux hommes ; parce que la fornication, l’adultère et les autres crimes de ce genre sont contraires à la loi naturelle. C’est pour ce motif qu’ils ne sont légitimes d’après aucune loi.

 

          Objection N°2. On dit communément qu’un enfant légitime est celui qui est né d’un mariage légitime ou d’un mariage qui est réputé tel aux yeux de l’Eglise. Or, il arrive quelquefois qu’un mariage est réputé légitime à la face de l’Eglise et qu’il a un empêchement qui le rend invalide, et que ceux qui se marient à la face de l’Eglise le savent bien ; et s’ils se marient en secret et qu’ils ignorent l’empêchement, le mariage paraît légitime à la face de l’Eglise du moment que l’Eglise ne le défend pas. Donc les enfants nés hors d’un mariage véritable ne sont pas illégitimes.

          Réponse à l’objection N°2 : L’ignorance excuse de péché les rapports illicites, si elle n’est pas affectée. Par conséquent ceux qui se marient de bonne foi à la face de l’Eglise, quoiqu’il y ait un empêchement, ne pèchent pas, parce qu’ils l’ignorent, et leurs enfants ne sont pas illégitimes. Mais s’ils connaissent l’empêchement, quoique l’Eglise qui l’ignore les supporte, ils ne sont pas exempts de péché et leurs enfants n’en sont pas moins illégitimes. S’ils ne le connaissent pas et qu’ils contractent en secret (Dans ce cas le mariage est nul, puisque d’après le concile de Trente tous les mariages clandestins sont illicites. Il n’est pas nécessaire, dans les pays où ce décret est reçu, qu’il y ait d’autres empêchements.), ils ne sont pas non plus excusés, parce que cette ignorance paraît affectée.

 

          Mais c’est le contraire. On appelle illégitime ce qui est contraire à la loi. Or, ceux qui naissent hors mariage, naissent contrairement à la loi. Ils sont donc illégitimes.

 

          Conclusion Les enfants qui naissent de la simple fornication ne sont pas légitimes, mais seulement naturels ; ceux qui naissent de l’inceste ou de l’adultère ne sont ni naturels, ni légitimes.

          Il faut répondre que pour les enfants on distingue quatre sortes d’états. Car il y en a qui sont naturels et légitimes, comme ceux qui naissent d’un mariage légitime et véritable. Il y en a qui sont naturels sans être légitimes, comme les enfants qui naissent d’une simple fornication. Il y en a qui sont légitimes et qui ne sont pas naturels, comme les enfants adoptifs. Il y en a qui ne sont ni légitimes, ni naturels ; comme les enfants nés de l’adultère ou de l’inceste (On les appelle incestueux ou adultérins.). Car ils naissent contrairement à la loi positive et contrairement à la loi naturelle. Il faut donc reconnaître qu’il y a des enfants illégitimes.

 

Article 2 : Les enfants illégitimes doivent-ils subir quelque dommage de leur naissance ?

 

          Objection N°1. Il semble que les enfants illégitimes ne doivent subir aucun dommage de leur naissance. Car un fils ne doit pas être puni pour un péché de son père, comme on le voit par la sentence du Seigneur (Ezech., chap. 18). Or, si un enfant naît de rapports illicites, ce n’est pas faute, mais celle de son père. Il ne doit donc par suite subir aucun dommage.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce n’est pas une peine d’encourir ce dommage de la seconde manière. C’est pour ce motif que nous ne disons pas que c’est une peine pour quelqu’un de ne pas succéder à un royaume, parce qu’il n’est pas le fils du roi. De même ce n’est pas une peine pour quelqu’un qui n’est pas légitime que les choses qui appartiennent aux enfants légitimes ne lui soient pas dues.

 

          Objection N°2. La justice humaine vient de la justice divine. Or, Dieu donne également les biens naturels aux enfants légitimes et illégitimes. D’après le droit humain les enfants illégitimes doivent donc aussi être mis sur la même ligne que les enfants légitimes.

          Réponse à l’objection N°2 : La relation criminelle n’est pas contraire à la loi, selon qu’elle est un acte de la puissance génératrice, mais selon qu’elle procède de la volonté dépravée. C’est pour cela qu’un enfant illégitime n’encourt pas de perte par rapport aux choses qui s’acquièrent au moyen de l’origine naturelle mais par rapport à celles qui sont produites par la volonté ou qui se possède de cette manière.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Gen., chap. 25) qu’Abraham donna tous ses biens à Isaac et qu’il fit des présents aux enfants qu’il avait eus de ses concubines ; ils n’étaient cependant pas nés de relations criminelles. Donc à plus forte raison ceux qui naissent de relations coupables doivent plutôt éprouver une perte en ne succédant pas aux biens de leurs pères.

 

          Conclusion Les enfants illégitimes sont frappés d’une double perte : l’une résulte de ce qu’ils ne sont pas admis aux actes légitimes ; l’autre provient de ce qu’ils ne succèdent pas à l’héritage de leur père. Cependant les enfants naturels peuvent hériter du sixième ; les incestueux ne le peuvent d’aucune manière, sinon que les parents sont tenus de leur procurer les choses nécessaires.

          Il faut répondre qu’on dit d’une personne qu’elle subit une perte par suite d’une chose de deux manières : 1° Quand on lui soustrait ce qui lui était dû. Un enfant illégitime n’encourt ainsi aucune perte. Quand on lui retire quelque chose qui ne lui est pas dû, mais qui autrement pouvait lui être dû. Un enfant illégitime subit ainsi deux sortes de pertes : l’une parce qu’il n’est pas admis aux actes légitimes, comme aux offices et aux dignités qui requièrent une certaine honnêteté dans ceux qui les exercent (Comme les ordres, ainsi que nous l’avons vu (quest. 39, art. 5).) ; l’autre parce qu’ils ne succèdent pas à l’héritage de leur père. Cependant les effets naturels peuvent hériter, mais pour le sixième seulement (D’après notre code civil les enfants naturels ne sont point héritiers ; la loi ne leur accorde de droit sur les biens de leur père ou de leur mère décédés que lorsqu’ils ont été légalement reconnus. Et dans le cas où l’enfant naturel est légalement reconnu : si le père ou la mère a laissé des descendants légitimes, ce droit est d’un tiers de la portion héréditaire que l’enfant naturel aurait eue s’il eût été légitime ; il est de la moitié, lorsque les pères ou mère ne laissent pas de descendants, mais bien des ascendants ou des frères ou des sœurs ; il est des trois quarts lorsque les père ou mère ne laissent ni descendants, ni ascendants, ni frères, ni sœurs. Il a droit à la totalité des biens, lorsque ses père ou mère ne laissent pas de parents au degré successible. — Ces dispositions ne sont pas applicables aux enfants adultérins ou incestueux ; la loi ne leur accorde que les aliments (art. 756, 757, 758 et 762).). Les incestueux ne le peuvent nullement, quoique leurs parents soient tenus de droit naturel à leur fournir le nécessaire. Il appartient donc à la sollicitude de l’évêque de forcer leur père et leur mère de pourvoir à leurs besoins.

 

Article 3 : Un enfant illégitime peut-il être légitimé ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’un enfant illégitime ne puisse être légitimé. Car il y a autant de distance du légitime à l’illégitime que de l’illégitime au légitime. Or, le légitime ne devient jamais illégitime. L’illégitime ne devient donc jamais non plus légitime.

          Réponse à l’objection N°1 : On peut faire grâce à quelqu’un sans injustice, mais on ne peut condamner personne que pour une faute. C’est pourquoi on peut rendre légitime celui qui est illégitime, plutôt qu’on ne peut faire le contraire. Car quoique un enfant légitime soit quelquefois privé de son héritage pour une faute, cependant on ne dit pas qu’il est illégitime, parce qu’il est né légitimement.

 

          Objection N°2. Un acte charnel illégitime produit un enfant illégitime. Or, un acte illégitime ne devient jamais légitime. Donc un enfant illégitime ne peut être légitime.

          Réponse à l’objection N°2 : L’acte charnel illégitime a en lui un défaut indestructible par lequel il est contraire à la loi. C’est pour cela qu’il ne peut devenir légitime. Il n’en est pas de même de l’enfant illégitime qui n’a pas un défaut de cette nature.

 

          Mais c’est le contraire. Ce qui est établi par une loi peut être révoqué par elle. Or, l’illégitimité des enfants a été établie par la loi positive. Un enfant illégitime peut donc être légitimé par celui qui a l’autorité de la loi.

 

          Conclusion Puisque les enfants sont appelés illégitimes d’après la loi positive, ils peuvent aussi être légitimés par cette même loi.

          Il faut répondre qu’un enfant illégitime peut être légitimé, non de manière que sa naissance soit rendue légitime, parce que c’est un fait passé et qu’on ne peut jamais rendre légitime une chose du moment qu’elle a été illégitime une fois ; mais on dit qu’il est légitimé dans le sens que les pertes que subit un enfant illégitime lui sont épargnées par l’autorité de la loi. Il y a six manières de légitimer. Il y en a deux d’après les canons (chap. Conquestus et chap. Tanta, Qui filii sunt legit.), quand on épouse la femme dont on a eu un enfant illégitime, s’il n’y a pas eu d’adultère (D’après nos lois un enfant naturel peut être légitimé par un mariage subséquent, pourvu que cet enfant ne soit ni incestueux, ni adultérin. Il est à remarquer que c’est l’époque de la conception qui fixe l’état de l’enfant. Les enfants adultérins et incestueux peuvent cependant être reconnus à l’effet d’obtenir des aliments, conformément à l’article 762.), et par une indulgence spéciale et une dispense du souverain pontife. D’après les lois civiles il y a encore quatre autres manières de légitimer (Ces lois appartiennent au droit ancien. Voyez à ce sujet e code civil (liv. 1, chap. 3).). La première c’est quand le père offre son fils naturel à la cour de l’empereur, car il est par là même légitimé à cause de l’honneur attaché à cette position. Le second quand le père le désigne pour son héritier légitime sur son testament et que le fils présente ensuite le testament à l’empereur. Le troisième lorsqu’il n’y a point de fils légitime et que le fils naturel se met au service du prince. Le quatrième quand le père dans un acte public, ou sous l’attestation de trois témoins, l’appelle légitime sans ajouter qu’il est naturel.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.