Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 72 : De la prière par rapport aux saints qui sont dans le ciel

 

          Nous devons ensuite nous occuper de la prière par rapport aux saints qui sont dans le ciel. A cet égard trois questions se présentent : 1° Les saints connaissent-ils nos prières ? (Il est certain que les saints qui sont dans le ciel connaissent les prières que nous leur adressons. C’est ce que prouve la coutume de l’Eglise qui les prie constamment, contrairement à l’erreur des Pauvres de Lyon et des réformés, qui ont prétendu qu’ils n’entendaient pas nos prières.) — 2° Devons-nous les interpeller pour qu’ils prient pour nous ? (Il est de foi que l’invocation des saints est une chose utile pour nous et qu’il nous est avantageux de les choisir pour nos intercesseurs (Voyez à ce sujet le concile de Trente, sess. 25, decret. De invocat. et venerat. sanctorum.).) — 3° Les prières qu’ils font pour nous sont-elles toujours exaucées ?

 

Article 1 : Les saints connaissent-ils nos prières ?

 

          Objection N°1. Il semble que les saints ne connaissent pas nos prières. Sur ces paroles (Is., 63, 16) : C’est vous qui êtes notre Père ; Abraham ne nous connaît point et Israël ne sait qui nous sommes, la glose dit (interl.) dit que les saints qui sont morts ne savent pas ce que font les vivants, même leurs enfants, et elle est extraite de saint Augustin (De cura pro mort. agenda, chap. 13) qui cite ce passage. D’ailleurs voici les expressions de ce docteur : Si de si grands patriarches ont ignoré ce qui se passait à l’égard du peuple issu de leur sang, comment les morts se mêleraient-ils des affaires et des actes des vivants pour les connaître et les aider. Les saints ne peuvent donc connaître nos prières.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce passage de saint Augustin doit s’entendre de la connaissance naturelle des âmes séparées. Cette connaissance n’est pas obscurcie dans les saints comme elle l’est dans les pécheurs ; mais il ne parle pas de la connaissance qui a lieu dans le Verbe et qu’Abraham évidemment n’avait pas dans le temps que ces paroles ont été prononcées par Isaïe ; puisqu’avant la passion du Christ personne n’est parvenu à la vision de Dieu.

 

          Objection N°2. Il est dit au roi Josias (4 Rois, 22, 20) : C’est pourquoi, c’est-à-dire parce que vous avez pleuré devant moi, je vous ferai reposer avec vos pères… pour que vos yeux ne voient point les maux que je dois faire tomber sur ce lieu. Or, on ne serait pas arrivé à ce but en faisant mourir Josias, si après sa mort il eût su ce qui devait arriver à sa nation. Donc les saints qui sont morts ne connaissent pas nos actes, et par conséquent ils ne comprennent pas nos prières.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique les saints connaissent après cette vie les choses qui se font ici-bas, il ne faut cependant pas croire qu’ils soient affligés, lorsqu’ils connaissent les malheurs de ceux qu’ils ont aimé dans ce siècle ; car ils sont tellement remplis de la joie de la béatitude que la douleur ne trouve pas de place en eux. Par conséquent quoiqu’ils connaissent les infortunes des leurs après leur mort, néanmoins on leur en a épargné la douleur en les retirant de ce monde avant que ces maux n’éclatent. — Mais peut-être que les âmes non glorifiées éprouveraient de la douleur, si elles connaissaient les afflictions de ceux qui leur sont chers. Et comme l’âme de Josias ne fut pas glorifiée aussitôt qu’elle sortit de son corps, saint Augustin (De cura pro mort. agenda, chap. 13 à 15) s’efforce de conclure de là que les âmes des morts n’ont pas connaissance de ce que font les vivants.

 

          Objection N°3. Plus on est parfait en charité et plus on vient en aide au prochain dans les dangers. Or, les saints qui vivent ici-bas s’occupent dans les dangers de leurs parents et de ceux qui leur sont les plus unis et les aident manifestement. Par conséquent puisque après la mort leur charité est beaucoup plus vive, s’ils connaissent ce que nous faisons ils prendraient beaucoup plus soin de leurs amis et de leurs parents et les aideraient dans les cas de nécessité, ce qu’ils ne paraissent pas faire. Il ne semble donc pas qu’ils connaissent nos actes et nos prières.

          Réponse à l’objection N°3 : Les âmes des saints ont une volonté pleinement conforme à la volonté divine pour l’objet voulu. C’est pourquoi bien qu’elles conservent l’affection de la charité à l’égard du prochain, cependant elles ne lui viennent pas en aide autrement que selon le mode qu’elles voient que la justice divine a disposé. Cependant il faut croire qu’elles aident beaucoup leurs proches en intercédant pour eux devant Dieu.

 

          Objection N°4. Comme les saints voient le Verbe après leur mort, de même aussi les anges dont il est dit (Matth., 18, 10) : Leurs anges voient toujours la face de mon Père. Or, les anges qui voient le Verbe ne connaissent pas tout à cause de cela ; puisque les inférieurs sont délivrés de leur ignorance par ceux qui sont au-dessus d’eux, comme on le voit dans saint Denis (chap. 7 Hier., à med., et chap. 6, Eccles. hierarch., sub. fin.). Donc les saints, quoiqu’ils voient le Verbe, ne connaissent pas en lui nos prières et les autres actions que nous faisons.

          Réponse à l’objection N°4 : Quoiqu’il ne soit pas nécessaire que ceux qui voient le Verbe voient tout en lui ; cependant ils voient ce qui appartient à la perfection de leur béatitude, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

         Objection N°5. Il n’y a que Dieu qui voie le fond des cœurs. Or, la prière consiste principalement dans le cœur. Il n’appartient donc qu’à Dieu de connaître les prières, et par conséquent les saints ne connaissent pas les nôtres.

          Réponse à l’objection N°5 : Dieu seul connaît par lui-même les pensées des cœurs, mais les autres les connaissent selon qu’elles leur sont révélées soit par la vision du Verbe (Ainsi les saints ne connaissent nos prières que quand Dieu les leur manifeste par une révélation ; c’est ce que dit positivement S. Thomas (2a, 2æ, quest. 83, art. 4, Réponse N°2) : Petitiones quas ad eos dirigimus, Deo manifestatne, cognoscunt (Cf. De verit., quest. 8, art. 13).)), soit de toute autre manière.

 

          Mais au contraire. Sur ces paroles de Job (14, 21, Que ses enfants soient dans l’écalt ou qu’ils soient dans l’ignominie, il ne le saura pas), saint Grégoire dit (Moral., liv. 12, chap. 14 à princ.) : Ces paroles ne doivent pas s’entendre des âmes saintes, parce que pour ceux qui voient intimement la clarté du Dieu tout-puissant, on ne doit pas croire qu’il y ait quelque chose en dehors qu’ils ignorent. Ils connaissent donc nos prières.

          Saint Grégoire dit (Dial., liv. 2, chap. 35 à med.) : Pour l’âme qui voit Dieu toute créature est étroite, car quelque peu qu’elle aperçoive de la lumière du Créateur, tout ce qui est créé lui paraît court. Or, ce qui paraît le plus empêcher les âmes des saints de connaître nos prières et toutes les autres choses qui nous concernent, c’est qu’ils sont éloignés de nous. Donc puisque la distance n’est pas pour eux un obstacle, comme on le voit d’après le passage que nous avons cité, il semble que les âmes des saints connaissent nos prières et les choses qui se passent ici.

          S’ils ne connaissaient pas ce qui nous concerne, ils ne prieraient pas pour nous, puisqu’ils ignoreraient nos défauts. Or, c’est l’erreur de Vigilance, comme le dit saint Jérôme dans son épître contre lui (inter princ. et med.). Les saints connaissent donc les choses qui nous concernent.

 

          Conclusion Quoique les saints ne connaissent pas toutes choses, puisqu’ils ne comprennent pas l’essence de Dieu, cependant ils connaissent dans le Verbe les choses qui les regardent, par exemple, nos prières par lesquelles nous avons recours à leur aide.

          Il faut répondre que l’essence divine est un moyen suffisant de connaître toute chose ; ce qui résulte évidemment de ce que Dieu en voyant son essence voit toutes choses. Cependant il ne s’ensuit pas que tous ceux qui voient l’essence de Dieu connaissent tout, mais il n’y a que ceux qui la comprennent : comme quand on connaît un principe il ne s’ensuit pas que l’on connaisse toutes les connaissances qui en découlent, à moins qu’on ne comprenne toute la vertu du principe. Par conséquent, puisque les âmes des saints ne comprennent pas l’essence divine, il ne s’ensuit pas qu’ils connaissent tout ce qui peut être connu par cette essence. Ainsi quoique tous les anges voient l’essence divine, l'es anges inférieurs apprennent néanmoins certaines choses des anges supérieurs. Mais il est seulement nécessaire que chaque bienheureux voie dans l’essence divine tout ce qui requiert la perfection de sa béatitude. Car pour la perfection de la béatitude il est requis que l’homme ait tout ce qu’il veut et qu’il ne veuille rien de déréglé. Or, tout homme d’une volonté droite veut connaître les choses qui le concernent. Ainsi les saints ne manquent d’aucune espère de droiture, ils veulent connaître les choses qui les regardent, et c’est pour cela qu’il faut qu’ils les connaissent dans le Verbe. D’ailleurs il appartient à leur gloire de prêter leur secours à ceux qui en ont besoin pour leur salut. Car ils deviennent par là les coopérateurs de Dieu et il n’y a rien de plus divin que cette coopération, comme le dit saint Denis (De cœlest. hier., chap. 3, in med.). D’où il est évident que les saints ont connaissance des choses qui sont requises pour cet effet. Et par conséquent il est manifeste qu’ils connaissent dans le Verbe les vœux, les dévotions et les prières des hommes qui implorent leur secours.

 

Article 2 : Devons-nous demander aux saints de prier pour nous ?

 

          Objection N°1. Il semble que nous ne devons pas demander aux saints de prier pour nous. Car personne ne sollicite les amis de quelqu’un à prier pour lui, sinon pour qu’il croie qu’il peut plus facilement obtenir grâce d’eux. Or, Dieu est infiniment plus miséricordieux que tous les saints, et par conséquent sa volonté est plus facilement portée à nous exaucer que la volonté d’un saint. Il semble donc inutile de consulter les saints médiateurs entre Dieu et nous, pour qu’ils intercèdent pour nous.

          Réponse à l’objection N°1 : Comme ce n’est pas par faiblesse que la puissance divine agit par le moyen des causes secondes efficientes, mais qu’elle le fait pour compléter l’ordre de l’univers en répandant d’une manière plus multiple sa bonté sur les êtres, puisque les êtres ne reçoivent pas seulement d’elle leurs bontés propres, mais qu’ils ont de plus le pouvoir d’être pour les autres une cause de bonté ; de même ce n’est pas à cause de l’imperfection de sa miséricorde qu’il faut que sa clémence soit sollicitée par les prières des saints, mais c’est pour que l’ordre dont nous avons parlé soit observé.

 

          Objection N°2. Si nous devons les solliciter de prier pour nous, c’est uniquement parce que savons que leur prière est agréable à Dieu. Or, plus un saint est élevé parmi les saints et plus sa prière est agréable à Dieu. Nous devrions donc toujours choisir pour nos intercesseurs près de Dieu des saints d’un ordre supérieur et jamais des saints inférieurs.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique les grands saints soient plus agréables à Dieu que les saints d’un ordre inférieur ; cependant il est utile de prier aussi ces derniers quelquefois, et cela pour cinq raisons : 1° Parce que quelquefois on a plus de dévotion envers un saint inférieur qu’envers un plus grand saint ; et c’est de la dévotion principalement que dépend l’effet de la prière. 2° Pour éviter l’ennui ; parce que l’assiduité de la même chose produit l’ennui : au lieu qu’en priant divers saints il en résulte pour ainsi dire à l’égard de chacun d’eux une nouvelle ferveur de dévotion. 3° Parce qu’il a été donné à certains saints d’exercer principalement leur patronage pour certains causes spéciales, comme il a été accordé à saint Antoine de préserver du feu de l’enfer. 4° Pour que nous rendions à tous l’honneur qui leur est dû. 5° Parce qu’on obtient quelquefois par les prières de plusieurs ce qu’on n’obtiendrait pas par la prière d’un seul.

 

          Objection N°3. Le Christ comme homme est appelé le Saint des saints, et il lui convient de prier, selon qu’il est homme. Or, jamais nous n’interpellons le Christ pour qu’il prie pour nous. Nous ne devons donc pas non plus interpeller les autres saints.

          Réponse à l’objection N°3 : La prière est un acte, et les actes appartiennent aux suppôts particuliers. C’est pourquoi si nous disions : Christ, priez pour nous, sans rien ajouter, il semblerait que cela se rapporte à la personne du Christ, et il semblerait que nous disons quelque chose d’analogue ou à l’erreur de Nestorius, qui a distingué dans le Christ la personne du fils de l’homme de la personne du Fils de Dieu, ou à l’erreur d’Arius qui a supposé la personne du Fils moindre que le Père. Ainsi pour éviter ces erreurs l’Eglise ne dit pas : Christ, priez pour nous, mais : Christ, écoutez-nous, ou ayez pitié de nous.

 

          Objection N°4. Celui qui est prié d’intercéder pour quelqu’un représente les prières de ce dernier à celui près duquel il intercède en sa faveur. Or, il est superflu de représenter quelque chose à celui à qui tout est présent. Il est donc superflu d’établir les saints pour être nos intercesseurs auprès de Dieu.

          Réponse à l’objection N°4 : Comme nous le verrons (art. suiv.), on ne dit pas que les saints représentent à Dieu nos prières, comme s’ils lui manifestaient des choses inconnues, mais on s’exprime ainsi parce qu’ils demandent à Dieu de les exaucer ou parce qu’ils consultent à leur sujet la volonté divine, pour savoir ce qui doit être fait selon sa providence.

 

          Objection N°5. C’est une chose superflue que celle qu’on fait pour une chose qui se ferait ou qui ne se ferait pas sans cela de la même manière. Or, les saints prieraient de même pour nous ou ne prieraient pas, soit que nous les priions, soit que nous les priions pas. Car si nous sommes dignes qu’ils prient pour nous, ils le feraient quand même nous ne leur demanderions pas ; au lieu que si nous n’en sommes pas dignes, ils ne le feront pas quand même nous le leur demanderions. Il semble donc absolument superflu de les solliciter de prier pour nous.

          Réponse à l’objection N°5 : On devient digne d’avoir un saint pour intercesseur du moment qu’on recourt à lui dans la nécessité avec une vraie dévotion. Et par conséquent il n’est pas inutile que nous priions les saints.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Job, 5, 1) : Appelez, s’il y a quelqu’un qui vous réponde, et tournez-vous vers quelqu’un des saints. C’est à nous à appeler, comme le dit saint Grégoire (Moral., liv. 5, chap. 30 in princ.), et à demander à Dieu avec une humble prière. Par conséquent, quand nous voulons prier Dieu nous devons nous tourner vers les saints pour qu’ils prient Dieu pour nous.

          Les saints qui sont dans le ciel sont plus agréables à Dieu que sur la terre. or, nous devons constituer nos intercesseurs près de Dieu les saints qui sont sur la terre, à l’exemple de l’Apôtre qui disait (Rom., 15, 30) : Je vous conjure, mes frères, par Notre-Seigneur Jésus-Christ et par la charité de l’Esprit-Saint de m’aider en adressant pour moi vos prières à Dieu. Donc à plus forte raison nous devons demander des saints qui sont dans le ciel de nous aider par leurs prières près de Dieu.

          A cet égard la coutume de l’Eglise qui demande les prières des saints dans les litanies est générale.

 

          Conclusion Puisque l’ordre de la loi divine demande que nous qui sommes très éloignés de Dieu nous y soyons ramenés par les saints qui en sont très proches, nous devons demander d’eux qu’ils prient pour nous.

          Il faut répondre que tel est l’ordre établie par Dieu dans l’univers, d’après saint Denis (De cœlest. hier., chap. 5), c’est que les derniers êtres soient ramenés à Dieu par les êtres intermédiaires. Par conséquent les saints qui sont dans le ciel étant les plus rapprochés de Dieu, l’ordre de la loi divine demande que nous qui sommes sur cette terre éloignés du Seigneur, nous soyons ramenés à lui par l’intermédiaire des saints : ce qui a lieu quand par eux la bonté divine répand sur nous ses effets. Et parce que notre retour vers Dieu doit répondre au mouvement de ses bontés vers nous ; comme ses bienfaits nous arrivent par l’intermédiaire des suffrages des saints ; de même il faut que nous soyons ramenés à Dieu pour que nous recevions de nouveau ses bienfaits par l’intermédiaire des saints. D’où il suit que nous les établissons nos intercesseurs et pour ainsi dire nos médiateurs près de Dieu, quand nous leur demandons qu’ils prient pour nous.

 

Article 3 : Les prières que saints font à Dieu pour nous sont-elles toujours exaucées ?

 

          Objection N°1. Il semble que les prières que les saints font à Dieu pour nous ne soient pas toujours exaucées. Car si elles étaient toujours exaucées, les saints seraient surtout exaucés à l’égard de ce qui les concerne. Or, ils ne sont pas toujours exaucés au sujet de ces choses. D’où il est dit (Apoc., 6, 11) qu’il a été répondu aux martyrs qui demandaient à être vengés de ceux qui habitent sur la terre, d’attendre en repos encore un peu de temps jusqu’à ce que le nombre de leurs frères fut rempli. Ils sont donc encore beaucoup moins exaucés à l’égard de ce qui concerne les autres.

          Réponse à l’objection N°1 : Cette prière des martyrs n’est rien autre chose que le désir qu’ils ont d’être unir à leurs corps, de jouir de la société des saints qui doivent être sauvés et l’assentiment qu’ils donnent à la justice divine qui punit les méchants. D’où la glose (ordin.) dit sur ces paroles de l’Apocalypse (6, 10) : Jusques à quand, Seigneur, etc. : Ils désirent une plus grande joie et la société des saints et ils consentent à la justice de Dieu.

 

          Objection N°2. Le prophète dit (Jér., 15, 1) : Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon cœur ne se tournerait pas vers ce peuple. Les saints ne sont donc pas toujours exaucés quand ils prient Dieu pour nous.

          Réponse à l’objection N°2 : Le Seigneur parle là de Moïse et de Samuel, selon l’état où ils furent dans cette vie. Car l’Ecriture rapporte qu’en priant pour le peuple ils résistèrent à la colère de Dieu. Néanmoins s’ils eussent existé à cette époque, ils n’auraient pu par leurs prières apaiser Dieu à l’égard du peuple, à cause de la malice de ce dernier. Tel est le sens de ce passage (Voyez ce que dit S. Thomas à ce sujet (3a pars, 86, art. 1 ad 2).).

 

          Objection N°3. On dit que les saints dans le ciel sont égaux aux anges, comme on le voit (Matth., chap. 22). Or, les anges ne sont pas toujours exaucés dans leurs prières qu’ils adressent à Dieu ; ce qui est évident d’après ces paroles de Daniel (10, 12) : Vos prières m’ont fait venir ici, mais le prince du royaume des Perses m’a résisté vingt et un jours. Or, l’ange qui parlait n’était venu en aide à Daniel qu’en demandant à Dieu sa délivrance, et cependant sa prière n’avait pu s’accomplir. Donc les autres saints qui prient pour nous ne sont pas non plus toujours exaucés.

          Réponse à l’objection N°3 : Ce combat des bons anges ne s’entend pas de ce qu’ils adressaient à Dieu des prières contraires, mais de ce qu’ils se rapportaient à Dieu de parties diverses des mérites contraires en attendant la sentence divine. C’est ce que dit saint Grégoire en expliquant ces paroles de Daniel (Mor., liv. 17, chap. 8) : Les esprits supérieurs qui sont à la tête des nations ne combattent jamais pour ceux qui agissent injustement, mais ils examinent leurs actions et les jugements avec justice, et lorsque la faute ou la justice d’une nation est amenée au conseil de la cour suprême, on dit que celui qui est préposé à cette nation l’a emporté dans le combat ou qu’il ne l’a pas emporté (Cette question a été traitée ex professo (1a pars, quest. 113, art. 8).). Mais la cause unique de toutes ces victoires c’est la volonté suprême de leur auteur, et comme ils l’ont toujours sous les yeux, ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir et par conséquent ils ne le demandent pas. D’où il est évident que leurs prières sont toujours exaucées.

 

          Objection N°4. Celui qui obtient une chose par la prière la mérite d’une certaine manière. Or, les saints qui sont dans le ciel ne sont pas en état de mériter. Donc ils ne peuvent pas obtenir de Dieu quelque chose pour nous par leurs prières.

          Réponse à l’objection N°4 : Quoique les saints ne soient plus en état de mériter pour eux, après qu’ils sont dans le ciel ; ils sont cependant en état de mériter pour les autres ou plutôt d’aider les autres en vertu de leur mérite antérieur. Car ceux qui vivent en Dieu ont mérité que leurs prières fussent exaucées après leur mort. — Ou bien il faut dire que la prière est méritoire pour un motif et impétratoire pour un autre. Car le mérite consiste dans une certaine égalité entre l’acte et la fin pour laquelle il existe et qui lui est accordée pour ainsi dire comme une récompense, au lieu que l’impétration de la prière s’appuie sur la libéralité de celui qu’on prie. C’est pour cela que la prière obtient quelquefois de la libéralité de celui qu’on prie ce que n’a mérité ni l’auteur de la prière, ni celui pour qui elle est faite. Ainsi quoique les saints ne soient pas en état de mériter, il ne s’ensuit cependant pas qu’ils ne soient pas en état d’obtenir pour les autres.

 

          Objection N°5. Les saints conforment en tout leur volonté à la volonté divine. Ils ne veulent donc que ce qu’ils savent que Dieu veut. Or, personne ne demande que ce qu’il veut. Ils ne prient donc que pour ce qu’ils savent que Dieu veut. Et comme ce que Dieu veut arriverait, quand même ils ne prieraient pas, il s’ensuit que leurs prières ne sont pas efficaces pour obtenir quelque chose.

          Réponse à l’objection N°5 : Comme on le voit d’après le passage de saint Grégoire cité (in resp. ad 3), les saints ou les anges ne veulent que ce qu’ils voient dans la volonté divine et par conséquent ils ne demandent rien autre chose. Cependant leur prière n’est pas infructueuse ; parce que, comme le dit saint Augustin dans son livre de la prédestination des saints (seu De dono perserv., chap. 22, à med. et Grég., liv. 1 Dial., chap. 8, à med.), les prières des saints servent aux prédestinés, parce qu’il peut être établi à l’avance qu’ils seront sauvés par les prières de leurs intercesseurs ; et par conséquent Dieu veut aussi que ce que les saints voient dans sa volonté soit accompli par leurs prières.

 

          Objection N°6. Les prières de toute la cour céleste, si elles pouvaient obtenir quelque chose, seraient plus efficaces que tous les suffrages de l’Eglise présente. Or, si l’on multipliait les suffrages faits par l’Eglise militante pour quelqu’un qui est dans le purgatoire, il serait totalement délivré de la peine. Par conséquent puisque les saints qui sont dans le ciel prient pour ceux qui dans le purgatoire, comme ils prient pour nous quand ils nous obtiennent quelque chose, alors leurs prières délivreraient totalement de leurs peines ceux qui sont dans le purgatoire ; ce qui est faux, parce que dans ce cas les suffrages de l’Eglise faits pour les défunts seraient superflus.

          Réponse à l’objection N°6 : Les suffrages de l’Eglise sont pour les défunts comme des satisfactions que les vivants remplissent à la place des morts, et c’est sous ce rapport qu’ils délivrent les morts de la peine qu’ils n’ont pas acquittée. Mais les saints qui sont dans le ciel ne sont pas en état de satisfaire. C’est pourquoi il n’en est pas de même de leurs prières et des suffrages de l’Eglise.

 

          Mais c’est le contraire (2 Mach., 15, 14) : C’est là Jérémie, le prophète de Dieu qui prie beaucoup pour le peuple et pour toute la ville sainte. Ce qui prouve évidemment que sa prière a été exaucée, c’est qu’on ajoute : Que Jérémie étendit la main et qu’il donna un glaive à Judas en lui disant : Prenez cette épée sainte, comme un présent que Dieu vous fait, etc.

          Saint Jérôme dit dans son épître contre Vigilance (int. princ. et med.) : Tu dis dans ton libelle que tant que nous vivons, nous pouvons prier mutuellement les uns pour les autres, mais qu’après que nous serons morts la prière d’aucun de nous ne doit exaucée pour une autre. Puis il le réfute en disant : Si les apôtres et les martyrs, pendant qu’ils sont encore sur la terre, peuvent prier pour les autres, quand ils doivent encore s’occuper d’eux, combien plus après qu’ils sont couronnés, victorieux et triomphants.

          On a aussi la coutume de l’Eglise qui demande souvent le secours des prières des saints.

 

          Conclusion Puisque les saints ne désirent rien autre chose que ce que Dieu veut, ils obtiennent toujours ce qu’ils demandent dans leurs prières, quoique le défaut qui vient de notre empêche du moins leurs prières interprétatives d’avoir leur effet.

          Il faut répondre qu’on dit que les saints prient pour nous de deux manières : 1° Par une prière expresse, quand ils font monter leurs vœux en notre faveur aux oreilles de la clémence divine ; 2° par une prière interprétative, c’est-à-dire au moyen de leurs mérites qui, étant en présence de Dieu, ne tournent pas seulement à leur gloire, mais sont encore pour nous des suffrages et des prières, comme on dit également que le sang du Christ répandu pour nous demande pardon. De ces deux manières, les prières des saints sont, autant qu’il est en elles, efficaces pour obtenir ce qu’ils demandent. Mais de notre part il peut y avoir un défaut qui empêche le fruit de leurs prières, selon qu’on dit qu’ils prient pour nous par là même que leurs mérites nous servent. Mais selon qu’ils prient pour nous, en demandant pour nous quelque chose par leurs vœux, ils ne sont pas toujours exaucés ; parce qu’ils ne veulent que ce que Dieu et ils ne demandent que ce qu’ils veulent voir arriver. Or, ce que Dieu veut s’accomplit toujours, à moins que nous ne parlions de la volonté antécédente, d’après laquelle il veut que tous les hommes soient sauvés ; cette volonté n’est pas toujours accomplie. par conséquent il n’est pas étonnant si ce que les saints veulent à la manière de cette volonté ne s’accomplit pas quelquefois.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.