Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 73 : Des signes qui précéderont le jugement
Nous
devons ensuite nous occuper des signes qui précéderont le jugement. A cet égard
trois questions se présentent : 1° Des signes précéderont-ils le jugement du
Seigneur au jour du jugement ? — 2° Le soleil et la lune doivent-ils être alors
obscurcis en réalité ? — 3° Les Vertus des cieux seront-elles ébranlées quand
le Seigneur viendra ?
Article
1 : Y aura-t-il des signes qui précéderont l’arrivée du Seigneur au jour du
jugement ?
Objection
N°1. Il semble que des signes ne précéderont pas l’avènement du Seigneur au
jour du jugement. Car (1 Thess., 5, 3) : Lorsqu’ils
diront : Nous voici en paix et en sûreté, ils se retrouveront tout à coup
surpris par une ruine entière. Or, il n’y aurait pas de paix et de
sécurité, si les hommes étaient effrayés par des signes avant-coureurs. Donc
des signes ne précéderont pas cet avènement.
Réponse
à l’objection N°1 : D’après saint Augustin (in lib. ad Hesych., epist.
cit.) vers la fin du monde il y aura une persécution universelle des méchants
contre les bons ; par conséquent tout à la fois il y en aura qui craindront, ce
sont les bons, et il y en aura qui seront tranquilles, ce seront les méchants.
Ainsi ces paroles : Lorsqu’ils diront :
nous voici en paix et en sûreté, doivent se rapporter aux méchants qui ne
feront pas attention aux signes du jugement futur, au lieu que ces paroles
(Luc, 21, 26) : Les hommes sécheront de
frayeur, etc., doivent s’entendre des bons. — Ou bien on peut dire que tous
ces signes qui se rapporteront au jugement sont comptés dans le temps même du
jugement, de manière que le jour du jugement les renferme tous. Ainsi quoique
les hommes soient effrayés par les signes qui apparaîtront vers le jour du
jugement, les impies, avant que ces signes ne comment à apparaître, se croiront
néanmoins en paix et en sécurité après la mort de l’antechrist,
avant l’avènement du Christ, en ne voyant pas le monde immédiatement se
consommer, comme ils le pensaient auparavant.
Objection
N°2. Les signes ont pour but la manifestation d’une chose. Or, son avènement
doit être occulte. D’où il est dit (1 Thess., 5, 2) : Le
jour du Seigneur doit venir comme un voleur pendant la nuit. Les signes ne
doivent donc pas le précéder.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit que le jour du Seigneur vient comme un voleur, parce
qu’on en ignore l’époque déterminée qui ne pourra être connue par ces signes ; puisqu'e d’ailleurs on peut comprendre dans le jour du
jugement tous ces signes très manifestes qui précéderont le jugement
immédiatement, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article et Réponse N°1).
Objection
N°3. Les temps du premier avènement fut connu à
l’avance par les prophètes, et il n’en est pas de même du second. Or, des
signes de ce genre n’ont pas précédé le premier avènement du Christ. Ils ne
précéderont non plus le second.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans le premier avènement le Christ est venu en secret,
quoique l’époque déterminée de sa venue eût été connue à l’avance par les
prophètes. C’est pourquoi il ne fallait pas que ces signes parussent au premier
avènement, comme ils apparaîtront au second dans lequel il viendra avec éclat,
quoique l’époque précise en soit secrète.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Luc, 21, 25) : Il y aura des signes dans le soleil, la lune, les étoiles, etc.
Saint
Jérôme (id. hab. non Hier. sed Lyran.,
in glos. sup Luc, chap. 21)
indique quinze signes qui précéderont le jugement en disant que le premier jour
toutes les mers s’élèveront de quinze coudées au-dessus des montagnes. Le
second jour toutes les mers seront renfermées dans l’abîme au point qu’on
pourra à peine les voir. Le troisième jour elles seront ramenées à leur ancien
état. Le quatrième jour toutes les bêtes et tous les autres êtres qui se
meuvent dans les eaux se réuniront et lèveront leurs têtes au-dessus de
l’Océan, en mugissant les unes contre les autres comme si elles se battaient. Le
cinquième jour tous les oiseaux du ciel seront rassemblés dans les champs
pleurant les uns sur les autres, sans rien manger ni boire. Le sixième jour des
fleuves de feu s’élèveront contre le firmament, se précipitant depuis le
coucher du soleil jusqu’au lever. Le septième jour tous les astres errants et
fixes laisseront échapper des traînées de feu, comme les comètes. Le huitième
jour il y aura un grand tremblement de terre pour que tous les animaux soient
renversés. Le neuvième jour toutes les plantes donneront une rosée de sang. Le
dixième jour toutes les pierres grandes et petites seront brisées en quatre
parties, s’entrechoquant les unes les autres. Le onzième jour toutes les
collines, toutes les montagnes et tous les édifices seront réduits en poudre.
Le douzième jour tous les animaux viendront des forêts et des montagnes dans
les champs, rugissant et ne prenant aucune nourriture. Le treizième jour tous
les tombeaux depuis le levant jusqu’au couchant s’ouvriront pour que leurs
cadavres ressuscitent. Le quatorzième jour tous les hommes sortiront de leurs
demeures sans rien comprendre, sans rien dire, sans rien discerner. Le
quinzième jour tous mourront et ressusciteront avec leurs corps morts longtemps
auparavant.
Conclusion
Beaucoup de signes précéderont le jour du jugement, soit à cause de sa dignité,
soit pour nous inspirer du respect et de la soumission.
Il
faut répondre que le Christ en venant pour juger se montrera sous une forme
glorieuse, à cause de l’autorité qui est due au juge. Or, il appartient à la
dignité de la puissance judiciaire d’avoir certaines marques qui inspirent du
respect et de la soumission. C’est pourquoi beaucoup de signes précéderont
l’avènement du Christ lorsqu’il viendra pour juger, afin d’amener les cœurs des
hommes à se soumettre au juge qui doit arriver et les préparer au jugement, en les
avertissant à l’avance par ces signes. — Mais on ne peut pas facilement savoir
quels sont ces signes. Car les signes qu’on lit dans l’Evangile, comme
l’observe saint Augustin dans son Epître à Hésychius
sur la fin du monde (epist. 129) ne se rapportent pas
seulement à l’avènement du Christ pour le jugement, mais encore au temps de la
destruction de Jérusalem et à l’avènement par lequel il visite continuellement
son Eglise ; de telle sorte que si on y regarde avec soin, on trouvera
qu’aucune de ces choses n’appartient à l’avènement futur, comme le dit lui-même
ce docteur. Car ces signes qui sont indiqués dans l’Evangile, comme les combats
et les frayeurs, ont existé dès le commencement du genre humain. A moins par
hasard qu’on ne dise qu’à cette époque ils deviendront plus violents, mais
jusqu’à quel degré devront-ils s’élever pour annoncer que l’avènement est
proche, on ne le sait. Quant aux signes que donnent saint Jérôme (Lyran.) il n’est pas affirmatif, mais il dit qu’il les a
trouvés dans les annales des Hébreux, et ils sont d’ailleurs peu
vraisemblables.
Article
2 : A l’époque du jugement le soleil et la lune seront-ils obscurcis ?
Objection
N°1. Il semble qu’au moment du jugement le soleil et la lune seront
véritablement obscurcis. Car, comme le dit Raban sur ces paroles (Matth., chap. 24 : Sol
obscurabitur), rien n’empêche d’entendre qu’à
cette époque le soleil et la lune avec les autres astres seront véritablement
privés de leur lumière ; comme il est certain que le soleil le fut au temps de
la passion du Seigneur.
Réponse
à l’objection N°1 : Raban parle du temps qui précédera le jugement.
Objection
N°2. La lumière des corps célestes a pour but la génération des corps
inférieurs, parce que c’est par elle qu’ils agissent sur les corps et que ce n’est
pas seulement par le mouvement, comme le dit Averroës
dans son livre de la substance de l’univers (chap. 2, ad fnin.).
Or, la génération cessera dans ce moment. La lumière ne subsistera donc plus
dans les corps célestes.
Réponse
à l’objection N°2 : La lumière existe dans les corps célestes non seulement
pour produire la génération dans ces corps inférieurs, mais encore pour leur
perfection et leur beauté. Il n’est donc pas nécessaire que quand la génération
cessera la lumière des corps célestes cesse, mais il faudra plutôt qu’elle soit
augmentée.
Objection
N°3. Les corps inférieurs sont purifiés (d’après quelques-uns) des qualités par
lesquelles ils agissent. Or, les corps célestes n’agit
pas seulement par le mouvement, mais par la lumière, comme nous l’avons dit
(obj. préc.). Par conséquent comme le mouvement du
ciel cessera, de même aussi la lumière des corps célestes.
Réponse
à l’objection N°3 : Il ne paraît pas probable que les qualités élémentaires
soient séparées des éléments, quoique quelques-uns l’aient supposé. Dans le cas
où elles en seraient séparées, il n’y aurait pas encore de ressemblance entre
elles et la lumière, parce que les qualités élémentaires sont contraires les
unes aux autres, d’où il arrive qu’elles agissent en corrompant ; au lieu que
la lumière n’est pas un principe n’est pas un principe d’action qui agit par
voie de contrariété, mais elle agit à la manière d’un principe qui règle les
contraires et qui les ramène à l’harmonie.
Il
n’en est pas de même du mouvement des corps célestes. Car le mouvement est
l’acte d’un être imparfait ; par conséquent il doit cesser quand l’imperfection
cessera, ce qu’on ne peut dire de la lumière.
Mais
c’est le contraire. D’après les astronomes le soleil et la lune ne peuvent
subir d’éclipse en même temps. Or, on dit que cet obscurcissement du soleil et
de la lune sera simultané, lorsque le Seigneur viendra juger. Il n’y aura donc
pas d’obscurcissement véritable à la manière d’une éclipse naturelle.
Il
ne convient pas que la même chose soit la cause de la diminution d’une chose et
de son accroissement. Or, à l’avènement du Seigneur la lumière des astres sera
augmentée. D’où il est dit (Is., 30, 26) : La lumière de la lune sera comme la lumière
du soleil et la lumière du soleil sera sept fois plus grande. Il n’est donc
pas convenable qu’à l’avènement du Seigneur la lumière de ces corps cesse.
Conclusion
Il n’est pas croyable qu’au moment de l’avènement du Christ le soleil et la
lune soient obscurcis, mais dans le temps qui
approchera ce moment ils pourront l’être pour inspirer de la terreur aux
hommes.
Il
faut répondre que si nous parlons du soleil et de la lune au moment même de
l’avènement du Christ, il n’est pas croyable qu’ils soient alors obscurcis par
la privation de leur lumière, parce que le monde entier sera renouvelé, lorsque
le Christ arrivera et que les saints ressusciteront, comme nous le dirons
(quest. suiv.). Mais si nous en parlons pour les derniers moments qui
précéderont le jugement, alors il pourra se faire que le soleil et la lune et
les autres astres du ciel soient obscurcis par la privation de leur lumière,
soit dans des temps différents, soit simultanément, la puissance divine opérant
ce prodige pour effrayer les hommes.
Article
3 : Les Vertus des cieux seront-elles ébranlées à l’avènement du Seigneur ?
Objection
N°1. Il semble que les Vertus ne seront pas ébranlées à l’avènement du
Seigneur. Car on ne peut appeler les Vertus des cieux que les anges
bienheureux. Or, l’immutabilité est l’essence de la béatitude. Donc ils ne pourront
pas être ébranlés.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce changement n’amène pas de variation qui touche à leur
état, mais il se rapporte ou à leurs effets qui peuvent être changés sans
qu’ils soient changés eux-mêmes, ou à une vue nouvelle des choses qu’ils
n’avaient pu voir auparavant d’après leurs espèces concréées.
D’ailleurs la béatitude ne leur enlève pas cette vicissitude de pensées. D’où
saint Augustin dit (De Trin., liv. 3,
chap. 4 et 5) que Dieu met la créature spirituelle dans le temps.
Objection
N°2. L’ignorance est la cause de l’admiration, comme on le voit (Met., liv. 1, chap. 2, circ. med.). Car comme la crainte est très éloignée des anges, de
même aussi l’ignorance ; parce que, comme le dit saint Grégoire (Dial., liv. 4, chap. 33 in fin. et Moral., chap. 14) : Qu’y a-t-il qui ne
voient pas ceux qui voient celui qui voit tout ? Ils ne pourront dans pas être
émus par l’admiration, comme on le voit dans le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 48).
Réponse
à l’objection N°2 : L’admiration a coutume d’exister à l’égard des choses qui
surpassent notre connaissance ou nos facultés ; et sous ce rapport les Vertus
des cieux admireront la vertu divine produisant de telles choses qu’elles ne
pourront ni les imiter, ni les comprendre. C’est ainsi que sainte Agnès dit que
le soleil et la lune admireront sa beauté. Ainsi on ne suppose pas d’ignorance
dans les anges, mais on fait voir qu’ils ne peuvent comprendre Dieu.
Objection
N°3. Tous les anges assisteront au jugement de Dieu. D’où il est dit (Apoc., 7, 11) : Tous les anges se tenaient autour du trône. Or, les Vertus
désignent un ordre spécial parmi les anges. On n’a donc pas dû dire d’elles
plutôt des autres anges qu’elles seront ébranlées.
Mais
c’est le contraire (Job, 26, 11) : Les
colonnes du ciel tremblent et frémissent à son moindre signe. Or, on ne
peut entendre par les colonnes du ciel que les Vertus des cieux. Donc les
Vertus des cieux seront ébranlées.
Il
est dit (Matth., 24, 29) : Les étoiles tomberont du ciel et les Vertus des cieux seront ébranlées.
Conclusion
Les Vertus seront ébranlées à l’avènement du Seigneur à cause de la nouveauté
et de l’éclat de la chose, soit qu’on entende par Vertus tous les corps
célestes, soit qu’on désigne par là l’ordre particulier des anges qui portent ce
nom.
Il
faut répondre que les Vertus se disent des anges de deux manières, comme on le
voit par saint Denis (De cœlest. hier., chap. 11). Car quelquefois le nom des Vertus est
approprié à un seul ordre qui d’après saint Denis tient le milieu dans la hiérarchie
intermédiaire, et qui d’après saint Grégoire (hom. 34
in Evang.) est le premier de la hiérarchie
inférieure. D’autres fois on le prend en général pour tous les esprits
célestes. on peut ici l’entendre de ces deux manières.
Car dans le Maître des sentences (loc.
cit.) on l’explique selon qu’on l’entend de la seconde manière,
c’est-à-dire pour tous les anges. Dans ce cas on dit qu’ils seront émus à cause
de l’admiration que leur causera la nouveauté du spectacle que le monde
offrira, comme le dit le même auteur. On peut aussi l’entendre selon que le nom
de Vertu est le nom propre d’un ordre, et alors on dit que cet ordre est
ébranlé plutôt que les autres en raison de ses effets, parce que d’après saint
Grégoire (loc. cit.) c’est à cet
ordre qu’on attribue les miracles qui sont faits principalement vers cette
époque ; ou bien parce que cet ordre étant de la hiérarchie intermédiaire,
d’après saint Denis (De cœlest. hier., chap. 8 et 11), n’a pas une puissance
limitée ; par conséquent il faut que son ministère se rapporte aux causes
universelles. Ainsi l’office propre des Vertus paraît être de mouvoir les corps
célestes qui sont la cause des choses qui se passent dans la nature inférieure
; et c’est aussi ce que leur nom indique, puisqu’on les appelle les Vertus des cieux. Elles seront donc
ébranlées puisqu’elles cesseront de produire leur effet ; comme les anges qui
sont destinés à garder les hommes n’auront plus à remplir leur ministère
d’anges gardiens (On peut aussi entendre par là les cieux eux-mêmes, leur
solidité et leur stabilité qui seront ébranlées par des mouvements
extraordinaires, suivant ce passage de Job (26, 11) : Les colonnes du ciel tremblent, et s’effrayent à son moindre signe.).
La
réponse à la troisième objection est évidente d’après ce que nous avons dit
(dans le corps de l’article.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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