Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 74 : De l’embrasement du monde
Nous
devons ensuite nous occuper du feu du dernier embrasement du monde. A cet égard
neuf questions se présentent : 1° Doit-il y avoir une purification du monde ? —
2° Doit-elle avoir lieu par le feu ? — 3° Ce feu est-il de la même espèce que
le feu élémentaire ? — 4° Ce feu doit-il aussi purifier les cieux supérieurs ?
— 5° Ce feu doit-il consumer les autres éléments ? — 6° Doit-il purifier tous
les éléments ? — 7° Ce feu précède-t-il le jugement ou le suit-il ? — 8° Tous
les hommes doivent-ils être consumés par ce feu ? (Celui qui est désigné dans
le Maître des sentences (4, dist. 47), dont cet article n’est que le
commentaire. Pierre Lombard dit en cet endroit que ce feu consumera les
méchants, qu’il purifiera les bons qui auraient encore quelques souillures à
expier, et qu’il ne fera aucun mal aux autres.) — 9° Doit-il engloutir les
méchants ?
Article
1 : Le monde doit-il être purifié ?
Objection
N°1. Il semble que le monde ne doive pas être purifié. Car il n’y a que ce qui
est impur qui ait besoin de purification. Or, les créatures de Dieu ne sont pas
impures. D’om il est dit (Actes, 10,
15) : Ce que Dieu a purifié, ne l’appelez
pas commun, c’est-à-dire impur. Les créatures du monde ne sont donc pas
purifiées.
Réponse
à l’objection N°1 : Quand on dit que toute créature de Dieu est pure, on doit
par entendre par là qu’il n’y a dans sa substance aucune perversité qui s’y
trouve jointe, comme le supposaient les manichéens qui disaient que le bien et
le mal étaient deux substances tantôt divisées et tantôt mélangées ; mais on ne
nie pas que la créature ne soit mêlée à une nature étrangère qui est bonne en
elle-même, mais qui répugne à la perfection de cette créature. On ne nie pas
non plus que le mal n’arrive à une créature par accident, quoiqu’il ne soit pas
mélangée à elle comme une partie de sa substance.
Objection
N°2. La purification d’après la justice divine a pour but d’enlever l’impureté
de la faute, comme on le voit par la purification qui a lieu après la mort. Or,
dans les éléments de ce monde, la souillure du péché ne peut exister
aucunement. Il semble donc qu’ils n’aient pas besoin d’être purifiés.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique les éléments corporels ne puissent pas être le
sujet du péché, cependant par suite du péché que l’on a commis il résulte en
eux un défaut qui empêche qu’ils ne soient aptes à recevoir la perfection de la
gloire.
Objection
N°3. On dit qu’une chose est purifiée, quand on sépare d’elle ce qui lui est
étranger et qui la rendait ignoble. Car la séparation de ce qui fait sa
noblesse n’est pas appelée une purification, mais plutôt un amoindrissement. Or,
il appartient à la perfection et à la noblesse des éléments d’être mêlés à
quelque chose d’une nature étrangère, parce que la forme d’un corps mixte est
plus noble que celle d’un corps simple. Il semble donc que les éléments de ce
monde ne puissent être purifiés convenablement d’aucune manière.
Réponse
à l’objection N°3 : La forme du corps mixte et la forme de l’élément peuvent se
considérer de deux manières : ou quant à la perfection de l’espèce, et alors le
corps mixte est plus noble ; ou quant à la perfection de la durée, et dans ce
cas c’est le corps simple qui l’emporte, parce qu’il n’a pas en lui-même de
principe de corruption, à moins que sa corruption ne vienne d’une cause
extérieure. Au contraire, le corps mixte a en lui-même la cause de sa
corruption, qui est la composition des contraires. C’est pourquoi le corps
simple quoiqu’il soit corruptible selon une partie est cependant incorruptible
selon le tout ; ce qu’on ne peut dire d’un corps mixte. Et comme
l’incorruptibilité est de la perfection de la gloire, la perfection du corps
simple convient plus pour ce motif à la perfection de la gloire qu’à la
perfection du corps mixte ; à moins que le corps mixte n’ait lui aussi en
lui-même un principe d’incorruptibilité, comme le corps humain dont la forme
est incorruptible. Néanmoins quoique le corps mixte soit plus noble d’une
certaine manière que le corps simple, le corps simple qui existe en lui-même a
cependant un être plus noble que celui qui existe dans un corps mixte ; parce
que dans un corps mixte les corps simples sont en puissance d’une certaine
manière, au lieu que ceux qui existent en eux-mêmes sont à leur dernière
perfection.
Mais
au contraire. Tout renouvellement se fait par une purification. Or, les
éléments seront renouvelés. D’où il est dit (Apoc., 21, 1) : J’ai vu un ciel
nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont
disparu. Les éléments seront donc purifiés.
Sur
ces paroles de l’Apôtre (1 Cor.,
chap. 7) : La figure de ce monde passe,
la glose dit (Aug., liv. 20 De civ. Dei, chap. 16, antè med.) : la beauté de ce monde périra dans une conflagration
générale ; et par conséquent, etc.
Conclusion
Comme il faut que l’homme quand il sera glorifié dans son corps, soit purifié
pour enlever ce qui est un obstacle à sa gloire, de même il est convenable que
le monde qui a été fait en quelque sorte à cause de l’homme, soit purifié de
ses dispositions contraires avant qu’il soit amené à la gloire.
Il
faut répondre que le monde ayant été fait en quelque sorte à cause de l’homme,
il faut que quand l’homme sera glorifié dans son corps, les autres corps qui
composent le monde soient aussi améliorés dans leur état, pour qu’il devienne
un lieu plus convenable et d’un aspect plus agréable. Or, pour que l’homme
obtienne la gloire du corps, il faut que les choses qui sont opposées à la gloire
soient auparavant écartées, et ces choses au nombre de deux, ce sont la
corruption et la souillure de la faute. Car, comme le dit saint Paul (1 Cor., 15, 50) : La corruption ne possédera point ce qui est incorruptible, et tous
ceux qui sont impurs seront en dehors de la cité de la gloire (Apoc., chap. 22). De même il faut aussi que
les éléments soient purifiés des dispositions contraires avant d’être élevés à
la nouveauté de la gloire, proportionnellement à ce qu’on dit de l’homme.
Quoique une chose corporelle ne puisse être proprement le sujet de la souillure
du péché, cependant le péché fait que les choses corporelles ne sont pas
convenables pour être affectées aux choses spirituelles. Ainsi nous voyons que
les lieux dans lesquels on a commis des crimes ne sont pas jugés dignes que
l’on célèbre au milieu d’eux des choses saintes, sains
qu’ils aient été préalablement purifiés. Sous ce rapport les péchés des hommes
ont empêché la partie du monde que nous employons à notre usage d’être apte à
recevoir la gloire ; par conséquent elle a besoin à cet égard d’une
purification. De même, dans les lieux intermédiaires, par suite du contact des
éléments, il y a beaucoup de corruptions, de générations et d’altérations
d’éléments qui dérogent à la pureté. C’est pourquoi il faut que les éléments
soient purifiés de toutes ces choses pour qu’ils soient en état de recevoir
convenablement l’état nouveau de la gloire.
Article
2 : La purification du monde doit-elle se faire par le feu ?
Objection
N°1. Il semble que cette purification ne doive pas se faire par le feu. Car le
feu étant une partie du monde, a besoin de purification comme les autres
parties. Or, la même chose ne doit pas être purifiante et purifiée. Il semble
donc que le feu ne purifiera pas.
Réponse
à l’objection N°1 : Nous ne faisons pas usage du feu, selon qu’il existe dans
sa matière propre (car de cette manière il est éloigné de nous), mais nous nous
en servons seulement selon qu’il existe dans une matière étrangère ; et sous ce
rapport le monde pourra être purifié par le feu existant dans sa pureté. mais selon qu’il est adjoint à quelque chose d’étranger il
pourra être purifié, et c’est ainsi que sous divers rapports la même chose sera
purifiante et purifiée, ce qui ne répugne pas.
Objection
N°2. Comme le feu a la vertu de purifier, de même l’eau. Par conséquent puisque
tout ne doit pas être purifié par le feu, mais qu’il est nécessaire qu’il y ait
certaines choses qui soient purifiées par l’eau, selon la distinction que fait
aussi la loi ancienne, il semble que le feu ne purifiera pas au moins
universellement.
Réponse
à l’objection N°2 : La première purification du monde, qui a été faite par le
déluge, ne se rapportait qu’à la souillure du péché. Comme c’était
principalement le péché de concupiscence qui régnait alors, il s’ensuit qu’il
était convenable qu’il fût purifié par le contraire, c’est-à-dire par l’eau.
Mais la seconde purification se rapporte à la souillure de la faute et à
l’impureté du mélange, et sous ces deux rapports il est plus convenable qu’elle
se fasse par le feu que par l’eau. Car l’eau n’a pas la vertu de séparer, mais
plutôt de réunir, et par conséquent l’impureté naturelle des éléments ne peut
être enlevée par l’eau comme par le feu. De même vers la fin du monde ce sera
le vice de la tiédeur qui régnera, le monde étant pour ainsi dire dans l’âge de
la vieillesse, parce que, selon l’expression de l’Evangile (Matth.,
24, 12), la charité d’un grand nombre se
refroidira. La purification se fera donc convenablement par le feu. A la
vérité il n’y a rien qui puisse être purifié par le feu de quelque manière.
Mais il y a des choses qui ne peuvent être purifiées par le feu sans qu’elles
ne se corrompent, comme les linges, les vases de bois et les autres choses
semblables. La loi ordonne de les purifier par l’eau ; mais à la fin toutes ces
choses seront corrompues par le feu.
Objection
N°3. La purification semble avoir pour but de rendre les parties du monde plus
pures en les séparant les unes des autres. Or, la séparation des parties du
monde les unes des autres a été faite au commencement du monde par la seule
vertu divine, parce que c’est par elle que l’œuvre de distinction a été
déterminée. C’est pour cela qu’Anaxagoras a supposé
que la séparation était faite par l’acte de l’intellect qui meut toutes choses,
comme le rapporte Aristote (Phys.,
liv. 7, text. 77). Il semble donc qu’à la fin du
monde la purification sera faite par Dieu immédiatement, et non au moyen du
feu.
Réponse
à l’objection N°3 : L’œuvre de distinction a donné aux choses des formes
diverses qui les distinguent les unes des autres. C’est pour cette raison que
cela n’a pu être fait que par celui qui est l’auteur de la nature. Mais la
purification finale ramènera les choses à la pureté dans laquelle elles avaient
été créées ; et c’est pour cela que la nature créée pourra offrir son ministère
au Créateur, et ce pouvoir est confié à la créature parce qu’il tourne à son
avantage.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Ps. 49,
3) : Il y aura devant lui un feu dévorant
et il sera entouré d’une violente tempête, et ensuite on ajoute au sujet du
jugement : Il l’appellera d’en haut le
ciel et la terre, afin de juger son peuple. Il semble donc que la dernière
purification du monde doive se faire par le feu.
Il
est dit (2 Pierre, 3, 12) : L’ardeur du feu dissoudra les cieux et fera
fondre tous les éléments. Cette purification se fera donc par le feu.
Conclusion
Puisque le feu est le plus noble et le plus pur de tous les éléments, et que sa
sphère est la plus éloignée du lieu où nous habitons, il est convenable qu’il
purifie le monde.
Il
faut répondre que cette purification du monde, comme nous l’avons dit (art. préc.), éloignera du monde la souillure laissée par suite
du péché, et l’impureté du mélange, et elle sera une disposition à la
perfection de la gloire. C’est pourquoi il sera très convenable que la
purification s’opère par le feu, sous ces trois rapports : 1° Parce que le feu
étant le plus noble des éléments, a les propriétés naturelles qui ressemblent
le plus aux propriétés de la gloire, comme on le voit évidemment par la
lumière. 2° Parce que le feu, à cause de l’efficacité de sa vertu active, ne
reçoit pas le mélange d’un corps étranger, comme les autres éléments. 3° Parce
que la sphère de feu est éloignée du lieu que nous habitons, et que comme nous
ne faisons pas usage du feu aussi communément que de la terre, de l’eau et de
l’air, il s’ensuit qu’il n’est pas aussi souillé. Et en outre il a la plus
grande efficacité pour purifier et diviser en subtilisant.
Article
3 : Le feu qui purifiera le monde est-il de la même espèce que le feu
élémentaire ?
Objection
N°1. Il semble que ce feu ne soit pas de la même espèce que le feu élémentaire.
Car rien ne se consume lui-même. Or, ce feu consumera les quatre éléments,
comme le dit la glose (ord. Bedæ, sup. illud : Elementa vero, 2 Pierre, chap. 3). Donc ce feu ne sera pas de la
même espèce que le feu élémentaire.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce feu, quoiqu’il soit de la même espèce que le feu qui
existe parmi nous, n’est cependant pas le même numériquement. Et comme nous
voyons que de deux feux de la même espèce l’un détruit l’autre, le plus grand
absorbe le plus petit en consumant sa matière, de même ce feu pourra aussi
consumer le feu qui existe actuellement sur terre.
Objection
N°2. Comme la vertu se manifeste par l’action, de même la nature se manifeste
par la vertu ou la puissance. Or, ce feu aura une autre vertu que le feu qui
est un élément, parce qu’il purifiera l’univers, ce que ne peut faire ce feu.
Il ne sera donc pas de même espèce que lui.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme l’action qui procède de la vertu d’une chose est
l’indice de cette vertu ; de même la vertu qui procède des principes essentiels
de la chose est l’indice de son essence ou de sa nature. Mais l’action qui ne
procède pas de la vertu de la chose qui l’opère, n’indique pas sa vertu, comme
on le voit évidemment pour les instruments. Car l’action d’un instrument
manifeste plutôt la vertu de celui qui le meut que la vertu de l’instrument ;
parce qu’elle manifeste la vertu de l’agent comme le premier principe de
l’opération, au lieu qu’elle ne manifeste la vertu de l’instrument qu’autant il
est susceptible de recevoir l’action de l’agent principal, selon qu’il est mû
par lui. De même la vertu qui ne procède pas des principes essentiels d’une
chose ne manifeste sa nature que relativement à ce qu’elle est susceptible de
recevoir ; comme la vertu que l’eau échauffée possède pour échauffer ne
manifeste sa nature que par rapport à la chaleur qu’elle est capable d’obtenir.
C’est pourquoi rien n’empêche que l’eau qui a cette vertu soit de a même espèce
que l’eau qui ne l’a pas. De même il ne répugne pas non plus que ce feu qui
aura la puissance de purifier la face du monde soit de même espèce que le feu
qui existe parmi nous ; puisque la puissance qu’il a d’échauffer ne vient pas
en lui de ses principes essentiels, mais de la vertu de l’opération divine ;
soit qu’on dise que cette vertu est une qualité absolue, comme la chaleur dans
l’eau échauffée, soit qu’il ait plus d’intensité, comme nous l’avons dit de la
vertu instrumentale (Sent. 4, dist.
1, quest. 1, art. 4). Et c’est ce qu’il y a de plus probable ; parce que ce feu
n’opère que comme l’instrument de la puissance divine.
Objection
N°3. Les choses qui sont de même espèce dans les corps naturels ont le même
mouvement. Or, ce feu aura un autre mouvement que le feu qui est un élément,
parce qu’il ira partout pour pouvoir tout purifier. Il n’est donc pas de la
même espèce.
Réponse
à l’objection N°3 : Le feu ne fait que s’élever d’après sa propre nature, mais
selon qu’il suit la matière qu’il recherche étant hors de sa propre sphère,
alors il suit la situation de la matière qu’il dévore et de cette manière, il
ne répugne pas qu’il délivre un circuit ou qu’il aille dans les lieux
inférieurs, et surtout s’il agit comme instrument de la puissance divine.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (De
civ. Dei, liv. 20, chap. 16, ant. med.) et on lit dans la glose (or. et interl.
implic. et super. illud : Præterit enim, 1 Cor., chap. 7) que la figure de ce
monde périra par l’embrasement des feux qui s’y trouvent. Donc ce feu sera de
la nature du feu qui est maintenant dans ce monde.
Comme
la purification future se fera par le feu, de même la purification antérieure
s’est faite par l’eau, et saint Pierre compare l’un à l’autre (2 Pierre, chap.
3). Or, dans la première purification l’eau fut de même espèce que l’eau
élémentaire. Donc dans la seconde purification le feu sera de même espèce que
le feu élémentaire.
Conclusion
Comme l’eau élémentaire produisit le déluge, de même le feu qui purifiera le
monde sera de même espèce que le nôtre.
Il
faut répondre qu’à cet égard il y a trois opinions. Car il y en a qui disent
que l’élément du feu qui est dans sa sphère descendra pour purifier le monde,
et ils supposent qu’en descendant il se multipliera. Car le feu s’accroît quand
on y ajoute de toutes parts des combustibles, et c’est ce qui arrivera
principalement alors quand la vertu du feu s’élèvera au-dessus de tous les
autres éléments. Mais ce qui paraît contraire à ce sentiment c’est que le feu
ne descendra pas seulement, mais que les Ecritures rapportent qu’il montera,
comme on le voit d’après l’expression de saint Pierre qui dit (2 Pierre, chap.
1) que le feu du jugement s’élèvera aussi haut que l’eau du déluge. D’où il
semble que ce feu doive être produit au milieu du monde. — C’est pour cela que
d’autres disent qu’il sera produit au milieu du monde par la réunion des rayons
célestes, comme nous voyons qu’on les concentre dans un miroir ardent, et que
ce qui tiendra lieu de miroirs ce seront les nuages concaves vers lesquels la
réverbération des rayons se produira. Mais cette opinion ne paraît pas encore
convenable ; car puisque les effets des corps célestes résultent de leurs situations
et de leurs aspects déterminés, si ce feu est engendré par la vertu des corps
célestes, le temps de cette purification pourrait être connu de ceux qui
considèrent les mouvements des astres ; ce qui répugne à ce que dit l’Ecriture.
— C’est pourquoi d’autres disent, d’après saint Augustin, que comme les eaux du
globe ont produit le déluge en se répandant sur la terre, de même la figure de
ce monde périra par l’embrasement des feux qu’il recèle, selon l’expression de
ce grand docteur (De civ. Dei, liv.
20, loc. sup. cit.). Ainsi cette conflagration n’est rien autre chose que la
réunion de toutes les causes inférieures et supérieures qui ont par leur nature
la vertu d’embraser. Cette réunion ne se fera pas par le cours naturel des
choses, mais par la vertu divine ; et toutes ces causes ainsi réunies
produiront le feu qui dévorera la face de ce monde. — Or, si on examine bien
ces opinions, on verra qu’elles diffèrent quant à la cause de la génération de
ce feu et non quant à son espèce. Car le feu engendré par le soleil ou par les
corps inférieurs échauffés est de même espèce que le feu qui est dans sa
sphère, il n’en diffère qu’en ce qu’il est mêlé à une matière étrangère, et il
faudra qu’alors il en soit ainsi, parce que le feu ne peut purifier une chose qu’en
la rendant autre par sa matière d’une autre façon. On doit donc accorder
absolument que ce feu sera de la même espèce que celui-ci.
Article
4 : Ce feu purifiera-t-il aussi les cieux supérieurs ?
Objection
N°1. Il semble que ce feu purifiera aussi les cieux supérieurs. Car il est dit
(Ps. 101, 20) : Les cieux sont les œuvres de vos mains ; ils périront, mais vous
resterez. Or, les cieux supérieurs sont aussi les œuvres des mains de Dieu.
Donc ils périront aussi dans cette conflagration finale du monde.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 20, chap. 24) ces paroles du Psalmiste doivent
s’entendre des cieux aériens qui seront purifiés par le feu du dernier
embrasement. — Ou bien il faut dire que si on les entend aussi des cieux
supérieurs, dans ce cas elle signifie qu’ils périront quant au mouvement par
lequel ils sont mus maintenant continuellement.
Objection
N°2. Il est dit (2 Pierre, 3, 12) : L’ardeur
du feu dissoudra les cieux et fera fondre les éléments. Or, les cieux qui
se distinguent des éléments sont les cieux supérieurs où se trouvent les
planètes. Il semble donc qu’ils seront aussi purifiés par le feu.
Réponse
à l’objection N°2 : Saint Pierre dit lui-même de quels cieux il entend parler.
Car avant les paroles citées dans l’objection il avait dit : Que les cieux et la terre périrent d’abord
par l’eau et qu’ils furent gardés avec soin par la même parole et réservés pour
être brûlés par le feu au jour du jugement. Donc les cieux qui seront
purifiés par le feu, ce sont ceux qui ont été auparavant purifiés par l’eau du
déluge, c’est-à-dire les cieux aériens.
Objection
N°3. Ce feu aura pour but d’éloigner des corps tout ce qui les empêche d’être
aptes à la perfection de la gloire. Or, il y a dans le ciel supérieur un défaut
de disposition du côté de la faute parce que le diable y a péché et du côté de
son imperfection naturelle ; car sur ces paroles (Rom., chap. 8) : Nous savons
que jusqu’à cette heure toutes les créatures gémissent et souffrent les
douleurs de l’enfantement, la glose dit (ord. Ambros.)
: Tous les éléments remplissent avec travail leurs offices ; comme le soleil et
la lune ne fournissent pas sans peine les espaces qui leur sont marqués. Donc
les cieux supérieurs seront aussi purifiés par ce feu.
Réponse
à l’objection N°3 : Cette peine et cet asservissement de la créature que saint
Ambroise attribue aux corps célestes n’est rien autre chose que la vicissitude
du mouvement qui fait qu’ils sont soumis au temps et qu’ils manquent de la
consommation dernière qui existera en eux finalement. D’ailleurs le ciel
empyrée n’a pas contracté de souillure par suite de la faute des démons, parce
qu’en péchant ils ont été immédiatement expulsés.
Mais
c’est le contraire. Ces corps célestes ne sont pas susceptibles d’une
impression étrangère.
Sur
ces paroles (2 Thess.,
chap. 1) : In flamma
ignis dantis vindictam, la glose dit (ord. Haym.)
: Le feu qui précédera occupera dans le monde autant d’espace que l’océan en a
occupé dans le déluge. Or, l’eau du déluge n’est pas montée jusqu’aux cieux
supérieurs, mais elle n’est montée que de quinze coudées au-dessus du sommet
des montagnes, comme on le voit (Gen., chap. 7).
Les cieux supérieurs ne seront donc pas purifiés par ce feu.
Conclusion
Les cieux supérieurs, puisqu’il ne faut rien séparer de leur substance, ne
seront purifiés ni par le feu, ni par toute autre action, mais leur repos et la
cessation de leur mouvement arrivant par la volonté divine leur tiendront lieu
de purification.
Il
faut répondre que la purification du monde aura pour but d’éloigner des corps
la disposition contraire à la perfection de la gloire. Cette perfection est la
consommation dernière des choses, et cette disposition se trouve dans tous les
corps, mais de différentes manières selon leurs différentes espèces. Car dans
certains corps on trouve un défaut de disposition en raison de quelque chose
d’inhérent à leur substance, comme dans les corps inférieurs qui par leur
mélange réciproque ont perdu leur propre pureté. Mais dans d’autres on ne
trouve pas de défaut de disposition qui se rapporte à quelque chose d’inhérent
à leur substance. C’est ce qui a lieu dans les corps célestes où l’on ne trouve
rien qui répugne à la perfection dernière de l’univers, si ce n’est le
mouvement qui est une voie qui mène à la perfection. Et il n’y a pas en eux
toute espèce de mouvement, mais il n’y a que le mouvement local, qui ne change
rien de ce qui est intrinsèque à la chose, comme la substance, ou la quantité
ou la qualité, mais qui ne change que selon le lieu qui est en dehors de la
chose. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’on écarte quelque chose de la
substance du ciel supérieur ; mais il faut que son mouvement soit arrêté. Or,
la cessation du mouvement local n’est pas produite par l’action d’un agent
contraire, mais parce que le moteur cesse de mouvoir. C’est pourquoi les corps
célestes ne sont purifiés ni par le feu, ni par l’action d’une créature, mais
leur repos arrivant par la seule volonté divine leur tiendra lieu de
purification.
Article
5 : Ce feu consumera-t-il les autres éléments ?
Objection
N°1. Il semble que ce feu consumera les autres éléments. Car, comme le dit la
glose (ord. sup. illud Elementa verò, 1 Pierre, chap. 5) : Ce feu
immense absorbera les autres éléments dont se compose le monde, il ne les
consumera pas tous au point qu’ils n’existent plus, mais il en consumera deux
totalement, et il remettra les deux autres dans un meilleur état. Il semble
donc qu’il y ait au moins deux éléments qui doivent être détruits par ce feu.
Réponse
à l’objection N°1 : On dit que ce feu absorbera les quatre éléments, dans le
sens qu’il les purifiera d’une certaine manière. Ce qui suit, qu’il en consumera deux totalement, ne doit pas
signifier que ces deux éléments seront détruits substantiellement, mais que ces
deux-là s’éloigneront davantage de la propriété qu’ils ont maintenant. Il y en
a qui disent que ces deux éléments sont le feu et l’eau qui excèdent
le plus dans les qualités actives, c’est-à-dire par la chaleur et le froid qui
sont dans les autres corps les principes de corruption les plus actifs. Et
comme alors l’action du feu et de l’eau, qui sont les principes les plus
actifs, n’existera plus, ils paraîtront tout particulièrement modifiés quant à
la vertu qu’ils ont maintenant. D’autres disent que ces deux éléments sont
l’air et l’eau à cause des mouvements divers de ces deux éléments, mouvements
qui résultent du mouvement des corps célestes. Et parce que ces mouvements
n’existeront plus (comme le flux et reflux de la mer et les agitations des
vents et d’autres mouvement semblables), il s’ensuit que ces éléments seront
tout particulièrement privés des propriétés qu’ils ont actuellement.
Objection
N°2. Il est dit (Apoc., 21, 1) : Le premier ciel et la première terre ont disparu, et déjà la mer
n’existe plus. Or, par le ciel on entend l’air, comme le dit saint Augustin
(De civ. Dei, liv. 20, chap. 18), et
la mer est la réunion des eaux. Il semble donc que ces trois éléments seront
totalement détruits.
Réponse
à l’objection N°2 : Selon la pensée de saint Augustin (De civ. Dei, liv. 20, chap. 16 in fin.), quand saint Jean dit : Et la mer n’est plus, on entend par la
mer le siècle présent dont il avait dit auparavant : La mer a livré les morts qui étaient dans son sein. — Toutefois si
l’on rapporte littéralement ces paroles à la mer, alors il faut dire que dans
la mer on comprend deux choses : la substance des eaux et leur disposition
quant à leur salaison et aux mouvements des flots. La mer ne subsistera plus
sous ce second rapport, mais elle subsistera sous le premier.
Objection
N°3. Le feu ne purifie qu’autant que les autres choses deviennent sa matière.
Si donc le feu purifie les autres éléments, il faut qu’ils deviennent sa
matière. Il faut donc qu’ils passent dans la nature du feu ; et par conséquent
ils seront corrompus par sa nature.
Réponse à l’objection N°3 : Ce
feu n’agira que comme un instrument de la providence et de la vertu divine. Il
n’agira donc pas sur les autres éléments jusqu’à ce qu’ils soient consumés,
mais seulement jusqu’à ce qu’ils soient purifiés. — D’ailleurs il n’est pas
nécessaire que ce qui devient la nature du feu soit totalement privé de son
espèce propre ; on le voit pour le feu embrasé qui, quand il est éloigné du
feu, retourne par la vertu de son espèce qui reste à son ancien état qui est
son état propre. Par conséquent il en sera aussi de même des éléments purifiés
par le feu.
Objection
N°4. La forme du feu est la plus noble des formes à laquelle la matière
élémentaire puisse être amenée. Or, par cette purification toutes les choses
seront ramenées à l’état le plus noble. Donc les autres éléments seront
totalement convertis en feu.
Réponse
à l’objection N°4 : Dans les parties des éléments on ne doit pas considérer
seulement ce qui convient à une partie prise en elle-même, mais encore ce qui
convient par rapport au tout. Je dis donc que quoique l’eau fût plus noble, si
elle avait la forme du feu, et quoiqu’on puisse en dire autant de la terre et
de l’air, l’univers serait néanmoins plus imparfait, si la matière entière des
éléments avait la forme du feu.
Mais
ces le contraire. Sur ces paroles (1 Cor.,
7, 31) : Car la figure de ce monde passe,
la glose dit (interl. Ambros.)
: La beauté du monde passe et non sa substance. Or, la substance même des
éléments appartient à la perfection du monde. Donc les éléments ne seront pas
consumés selon leur substance.
Cette
purification finale par le feu répondra à la purification première qui a été
faite par l’eau. Or, celle-ci n’a pas corrompu la substance des éléments. Donc
celle qui se fera par le feu ne la corrompra pas non plus.
Conclusion
Dans la purification du monde les quatre éléments subsisteront quant à leur
substance et à leurs qualités propres, mais ils seront purifiés des souillures
et des taches qu’ils ont contractées par suite des péchés des hommes.
Il
faut répondre que sur cette question il y a beaucoup d’opinions différentes.
Car il y en a qui disent que tous les éléments
subsisteront quant à la matière, mais que tous changeront quant à leur
imperfection. Deux d’entre eux conserveront leur propre forme substantielle, ce
sont la terre et l’eau. Les deux autres, c’est-à-dire l’eau et le feu, ne
conserveront pas leur forme substantielle, mais ils seront changés dans la
forme du ciel. Ainsi trois éléments, l’air le feu et l’eau, recevront le nom de
ciel, quoique l’air conserve la même
forme substantielle qu’il a maintenant, parce qu’on l’appelle ciel dès aujourd’hui. C’est pourquoi il
n’est fait mention dans l’Apocalypse (21, 1) que du ciel et de la terre : J’ai vu, y est-il dit, un ciel nouveau et une terre nouvelle.
Mais cette opinion est absolument absurde. Car elle est contraire à la
philosophie qui ne peut admettre que les corps inférieurs soient susceptibles
de recevoir la forme du ciel puisqu’ils n’ont pas la même matière et qu’il n’y
a pas de contrariété entre eux ; et elle est aussi opposée à la théologie parce
que d’après cette hypothèse l’univers ne subsisterait plus dans l’intégrité de
ses parties ; du moment qu’on en retrancherait deux éléments. Par conséquent
par le mot ciel on entend un
cinquième corps, et on désigne tous les éléments par le mot terre. C’est ainsi qu’après avoir dit (Ps. 148, 7) : Louez le Seigneur, créatures de la terre, le Psalmiste ajoute : feu, grêle, neige, glace, etc. — C’est pourquoi
d’autres disent que tous les éléments subsisteront substantiellement ; mais que
leurs qualités actives et passives leur seront enlevées. C’est ainsi qu’ils
supposent que dans un corps mixte les éléments subsistent selon leurs formes
substantielles sans conserver leurs qualités propres ; puisqu’elles sont
ramenées à un milieu et que le milieu n’est ni l’un ni l’autre des extrêmes.
Saint Augustin paraît être de ce sentiment quand il dit (De civ. Dei, liv. 20, chap. 16) : que dans la conflagration générale
du monde les qualités des éléments corruptibles, qui convenaient à nos corps
corruptibles, périront absolument par le feu ; et la substance elle-même aura
ces qualités qui conviennent aux corps immortels par un changement admirable.
Cependant ce sentiment ne paraît pas probable. Car les qualités propres des
éléments étant les effets des formes substantielles, il ne semble pas que les
formes substantielles subsistant, ces qualités puissent être changées, sinon
par une élection violente pour un temps, comme nous voyons l’eau échauffée
revenir par la puissance de son espèce à la fraîcheur qu’elle a perdu par
l’action du feu, tant que l’espèce de l’eau reste. Et de plus les qualités
élémentaires elles-mêmes appartiennent à la perfection seconde des éléments,
comme leurs propres passions ; et il n’est pas probable que dans cette
consommation finale on enlève aux éléments quelque chose de leur perfection
naturelle. C’est pourquoi il semble qu’on doive dire que les éléments
subsisteront quant à leur substance et à leurs qualités propres. Mais ils
seront purifiés de la souillure qu’ils ont contractée par suite des péchés des
hommes et de l’impureté qui a été produite en eux par leur action et leur
passion réciproque, parce que du moment que le mouvement du premier mobile
cessera, il ne pourra plus y avoir dans les éléments inférieurs de réciprocité
d’action et de passion ; et c’est ce que saint Augustin appelle (loc. cit.) les qualités des éléments
corruptibles, c’est-à-dire leurs dispositions naturelles d’après lesquelles ils
sont voisins de la corruption.
Article
6 : Tous les éléments seront-ils purifiés par ce feu ?
Objection
N°1. Il semble que tous les éléments ne seront pas purifiés par ce feu. Car ce
feu, comme nous l’avons dit (art. 3) ne montera que jusqu’où est montée l’eau
du déluge. Or l’eau du déluge n’est pas parvenue jusqu’à la sphère du feu.
L’élément du feu ne sera donc pas purifié de cette dernière purification.
Objection
N°2. Sur ces paroles (Apoc., chap. 21) : Vidi cœlum novam,
etc. la glose dit (ordin.) : Il n’est pas douteux que l’air et
la terre ne soient changés par le feu ; mais on a des doutes à l’égard de
l’eau, parce qu’on pense qu’elle a en elle-même sa purification. Il n’est donc
pas du moins certain que tous les éléments seront purifiés.
Réponse
à l’objection N°2 : Le motif que l’on a de douter d’après la glose, c’est qu’on
croit que l’eau a en elle une vertu de purification. Cependant elle n’a pas une
puissance purifiante telle que celle qui convient à l’état futur, comme on le
voit d’après ce que nous avons dit (art. préc. et
art. 2, Réponse N°2).
Objection
N°3. C'e qui est un lieu de souillure perpétuelle ne sera jamais purifié. Or,
il y aura dans l’enfer une souillure perpétuelle. Par conséquent, puisqu’on
place l’enfer au sein des éléments, il semble que les éléments ne seront pas
totalement purifiés.
Réponse
à l’objection N°3 : Cette purification aura principalement pour but d’éloigner
de l’habitation des saints tout ce qui est imparfait. C’est pourquoi, dans
cette purification, tout ce qui est souillure sera réuni dans le lieu des
damnés. L’enfer ne sera donc pas purifié ; mais on y conduira la lie du monde
entier, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps.
74, 9) : Sa lie n’est pas épuisée, tous
les pécheurs de la terre en boiront.
Objection
N°4. La terre renferme le paradis terrestre. Or, il ne sera pas purifié par le
feu ; car les eaux du déluge ne se sont pas élevées jusque-là, comme le dit
Bède (Comment. in Exod., chap. 5 ad fin. et hab. in glos. ord. sup. illud. Gen., chap. 2 : Plantaverat autem Deus et hab., Sent.
liv. 2, dist. 7). Il semble donc que tous les éléments
ne seront pas totalement purifiés.
Réponse
à l’objection N°4 : Quoique le péché du premier homme ait été commis dans le
paradis terrestre, ce lieu n’est cependant pas un lieu de pécheurs, pas plus
que le ciel empyrée. Car l’homme et le diable ont été chassés de ces deux lieux
immédiatement après leur péché. Ce lieu n’a donc pas besoin d’être purifié.
Mais
c’est le contraire. La glose citée (art. préc., Objection N°1) sur les paroles de saint Pierre, dit que
ce feu absorbera les quatre éléments.
Conclusion
Les impuretés des éléments qui proviennent de leur mélange seront purifiées par
le feu.
Il
faut répondre qu’il y en a qui disent que ce feu montera jusqu’à la partie
supérieure de l’espace qui contient les quatre éléments, de manière que les
éléments soient ainsi totalement purifiés et de la souillure du péché qui a
atteint même les parties supérieures des éléments (comme on le voit par la
fumée de l’idolâtrie qui souillait les êtres supérieurs) et de la corruption,
parce que les éléments sont incorruptibles dans toutes leurs parties. Mais
cette opinion est contraire au témoignage de l’Ecriture. Car il est dit (2
Pierre, chap. 3) que les lieux qui ont été purifiés par l’eau ont été réservés
pour le feu, et saint Augustin observe (De
civ. Dei, liv. 20, chap. 18) que le monde qui a péri par le déluge est
celui qui est réservé au feu. Or, il est constant que l’eau du déluge n’est pas
montée jusqu’à la partie supérieure de l’espace des éléments, mais seulement
jusqu’à quinze coudées au-dessus des montagnes. De plus on sait que les vapeurs
qui s’élèvent de terre ou les fumées quelles qu’elles soient ne peuvent
traverser la sphère entière la sphère du feu, pour parvenir jusqu’à son
extrémité la plus reculée. Par conséquent la souillure du péché n’est pas
parvenue jusqu’à cet espace. D’ailleurs les éléments ne peuvent pas non plus
être purifiés de leur corruptibilité par la soustraction de quelque chose qui
puisse être consumé par le feu ; mais le feu pourra consumer les impuretés qui
proviennent de leur mélange. Ces impuretés existent principalement dans la
terre jusqu’à la région moyenne de l’air. Le feu du dernier embrasement
purifiera donc les éléments jusqu’à cet espace ; car les eaux du déluge sont
montées aussi haut, comme on peut en juger avec probabilité d’après la hauteur
des montagnes qu’elles avaient dépassées dans une mesure déterminée.
Nous
accordons donc la première objection .
Article
7 : Le feu du dernier embrasement doit-il suivre le jugement ?
Objection
N°1. Il semble que le feu du dernier embrasement doive suivre le jugement. Car
saint Augustin établit ainsi l’ordre des choses qui doivent se passer dans le
jugement (De civ. Dei, liv. 20, chap.
ult. ad fin.) : Nous avons appris que dans ce jugement ces choses arriveront ;
la réapparition d’Elie de Thesbé, la conversion des
juifs, la persécution de l’antechrist, l’avènement du
Christ qui paraîtra pour juger, la résurrection des morts, la séparation des
bons et des méchants, l’embrasement du monde et son renouvellement. le jugement précédera donc l’embrasement général.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Augustin parle en cet endroit d’une manière plutôt
douteuse que d’une manière affirmative. Ce qui est évident d’après ce qui suit
: On doit croire que toutes ces choses arriveront, mais de quelles manières et
dans quel ordre arriveront-elles, alors l’expérience nous l’apprendra mieux que
l’intelligence de l’homme ne peut maintenant le saisir. Cependant je pense
qu’elles arriveront dans l’ordre que l’ai désigné. Ainsi il est évident qu’il
ne parle pas affirmativement.
Objection
N°2. Saint Augustin dit (in oed. lib., chap. 16, ant. med.): Les impies ayant été jugés et envoyés au feu
éternel, la figure de ce monde sera détruite dans l’embrasement de tous les
feux du globe. Donc, etc.
Réponse
à l’objection N°2 : De même que pour l’objection précédente.
Objection
N°3. Le Seigneur lorsqu’il viendra pour juger trouvera des hommes vivants,
comme on le voit d’après ces paroles de saint Paul (1 Thess, 4, 14) qui leur fait dire : Nous qui sommes vivants et qui avons été
réservés pour l’avènement du Seigneur. Or, il n’en serait pas ainsi, si
l’embrasement du monde eût précédé le jugement, parce qu’ils seraient consumés
par le feu. Ce feu suivra donc le jugement.
Réponse
à l’objection N°3 : Tous les hommes mourront et ressusciteront ; néanmoins on
dit de ceux qui vivront sur la terre jusqu’à l’époque de l’embrasement général
qu’ils seront trouvés vivants.
Objection
N°4. Il est dit que le Seigneur jugera le monde par le feu ; et c’est pour cela
que l’embrasement final paraît être l’exécution de la sentence ou du jugement
de Dieu. Or, l’exécution suit le jugement. Donc ce feu suivra aussi.
Réponse
à l’objection N°4 : Ce feu n’exécutera la sentence du juge que par rapport aux
méchants qu’il engloutira, et en ce sens il sera postérieur au jugement.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Ps. 96,
3) : Le feu marchera devant lui.
La
résurrection précédera le jugement ; autrement tous les yeux ne verraient pas
le Christ juger. Or l’embrasement du monde précédera la résurrection. Car les
saints qui ressusciteront auront des corps spirituels et impassibles, et par
conséquent ils ne pourront pas être purifiés par le feu ; quoique le Maître des
sentences dise (Sent. 4, dist. 47)
d’après saint Augustin (De civ. Dei,
liv. 20, chap. 27 et 29), que s’il reste encore en eux quelque chose à purifier
il le sera par le feu. Donc ce feu précédera le jugement.
Conclusion
Puisque la résurrection des morts doit précéder le jugement, il faut que
l’embrasement général, selon qu’il a pour but la purification du monde, précède
le jugement de Dieu ; mais en ce qui regarde l’acte de ce feu qui enveloppera
les méchants, le jugement précédera sa conflagration.
Il
faut répondre que cette conflagration précédera véritablement le jugement, si
on la considère dans son commencent. Ce qui peut se conclure manifestement de
ce que la résurrection des morts précède le jugement. Ce qui est évident d’après
saint Paul (1 Thess.,
chap. 4) que ceux qui sont morts seront emportés dans les nues pour aller dans
l’air au-devant du Christ qui viendra pour juger. La résurrection générale se
fera en même temps que la glorification des corps des saints. Car les saints en
ressuscitant reprendront leurs corps glorieux, comme on le voit par ces paroles
(1 Cor., 15, 43) : Ce qui est vil et abject quand on le met en
terre se lèvera dans la gloire. Pendant que les corps des saints seront
glorifiés, la création tout entière sera renouvelée à sa manière, comme
l’indiquent ces autres paroles du même apôtre (Rom., 8, 21) : La créature
elle-même sera délivrée de la servitude de la corruption pour participer à la
liberté glorieuse des enfants de Dieu. Ainsi la conflagration du monde
étant une disposition à ce renouvellement, comme on le voit d’après ce que nous
avons dit (art. 1 et 4), on peut en conclure évidemment que par rapport à la
purification du monde elle précédera le jugement ; mais que par rapport à un de
ses effets qui consistera à engloutir les damnés, elle le suivra.
Article
8 : Ce feu doit-il produire dans les hommes un effet tel que celui qui est désigné
?
Objection
N°1. Il semble que ce feu n’aura pas dans les hommes un effet tel que celui qui
est désigné dans le Maître des sentences (Sent.
4, dist. 47). Car on dit consumé ce qui est réduit au
néant. Or, les corps des impies ne seront pas réduits au néant ; mais ils
seront conservés éternellement pour endurer la peine éternelle. Ce feu n’aura
donc pas pour effet de consumer les méchants, comme il est dit (loc. cit.).
Réponse
à l’objection N°1 : Le mot consumer ne signifie pas en cet endroit qu’ils
seront anéantis, mais réduits en cendres.
Objection
N°2. Si on répond qu’il consumera les corps des méchants en ce sens qu’il les
réduira en cendres, on peut ainsi insister. Comme les corps des méchants seront
réduits en cendres, de même aussi ceux des bons. Car
c’est un privilège qui n’appartient qu’au Christ que sa chair n’ait pas vu la
corruption. Les bons qui existeront alors seront aussi consumés.
Réponse
à l’objection N°2 : Les corps des bons, quoiqu’ils doivent être réduits en
cendres par le feu, n’en ressortiront cependant pas de douleur comme les
enfants qui étaient dans la fournaise de Babylone ; et sous ce rapport il y a
une différence entre les bons et les méchants.
Objection
N°3. La souillure du péché existe plus dans les éléments, selon qu’ils entrent
dans la composition du corps humain dans lequel se trouve la corruption de la
concupiscence, même chez les bons, que dans les éléments qui existent en dehors
de lui. Or, les éléments qui existent en dehors du corps humain seront purifiés
à cause de la souillure du péché. A plus forte raison faut-il que le feu
purifie les ennemis qui existent dans les corps des hommes, qu’ils soient bons
ou qu’ils soient méchants, et par conséquent il faut que les corps des uns et
des autres soient réduits en poudre.
Réponse
à l’objection N°3 : Les éléments qui existent dans les corps des hommes seront
purifiés par le feu, même dans les corps des élus ; mais la puissance de Dieu
le fera sans qu’ils éprouvent de la douleur.
Objection
N°4. Tant que dure l’état d’épreuve, les éléments agissent sur les bons et les
méchants de la même manière. Or, cet état durera encore au moment de
l’embrasement général, parce qu’après cet état il n’y aura plus la mort
naturelle qui sera cependant produite par cette conflagration. Donc ce feu
agira également sur les bons et sur les méchants, et par conséquent il ne
semble pas qu’il y ait entre eux une différence par rapport à l’effet que ce
feu doit produire en eux, comme le suppose le Maître des sentences (loc. cit.).
Réponse
à l’objection N°4 : Ce feu n’agira pas seulement d’après la vertu naturelle de
cet élément, mais il agira encore comme instrument de la justice divine.
Objection
N°5. Cette conflagration au lieu pour ainsi dire dans un moment. Or, il se
trouvera beaucoup de vivants dans lesquels il y aura une foule de choses à
purifier. Cette conflagration ne suffira donc pas pour leur purification.
Réponse
à l’objection N°5 : Il y a trois causes pour lesquelles ceux qui seront vivants
pourront être tout à coup purifiés. La première c’est qu’il restera en eux peu
de choses à purifier, puisqu’ils auront été purifiés par les terreurs et les persécutions
antérieures. La seconde c’est qu’ils supporteront leur peine étant vivants et
volontairement ; et la peine que l’on supporte volontairement en cette vie
purifie beaucoup mieux que la peine que l’on subit après la mort ; comme on le
voit dans les martyrs. Car s’il se trouve en eux quelque chose à purifier, le
glaive de la souffrance l’efface, comme le dit saint Augustin (De unic. bapt. cont. Petil., chap. 13
à med.), quoique la peine du martyre soit courte
comparativement à la peine qu’on endure dans le purgatoire. La troisième c’est
que cette chaleur compensera en intensité ce qu’elle perdra sous le rapport de
la brièveté du temps.
Conclusion
Le feu agira naturellement avant le jugement sur les bons et les méchants qu’il
trouvera vivants et il les réduira en cendres ; mais les méchants seront
tourmentés par l’action de ce feu, tandis que les bons n’éprouveront aucune
douleur.
Il
faut répondre que le feu de la conflagration finale, selon qu’il précédera le
jugement, agira comme instrument de la justice divine, et aussi par sa vertu
naturelle. Pour ce qui regarde sa vertu naturelle, il agira de même sur les
méchants et sur les bons qui seront encore vivants, et il réduira les corps des
uns et des autres en poussière. Mais selon qu’il agira comme instrument de la
justice divine, il agira diversement sur les divers individus relativement au
sentiment de la peine. Car les méchants seront tourmentés par l’action du feu ;
tandis que les bons, dans lesquels il n’y aura plus rien à purifier,
n’éprouveront absolument aucune douleur, comme les enfants dans la fournaise ne
sentirent aucune souffrance (Dan., chap. 3). Cependant leurs corps ne seront
pas conservés dans leur intégrité, comme ceux de ces enfants l’ont été ; mais
la puissance divine pourra faire qu’ils tombent en poussière sans qu’ils
ressentent de douleur. Quant aux bons dans lesquels il y aura quelque chose à
purifier, ce feu leur causera des douleurs plus ou moins vives, selon qu’ils le
mériteront. Mais par rapport à l’effet que ce feu produira après le jugement,
il n’agira que sur les damnés ; parce que tous les bons auront des corps
impassibles.
Article
9 : Ce feu engloutira-t-il les réprouvés ?
Objection
N°1. Il semble que ce feu n’engloutira pas les réprouvés. Car sur ces paroles (Malach., chap. 3 : Purgabit filios Levi), la glose dit :
que c’est un feu qui consume les méchants et un feu qui purifie les bons. Et
sur ces paroles de saint Paul (1 Cor.,
chap. 3) : Uniuscujusque opus ingis probabit, la glose dit (ordin.)
: Nous lisons qu’il y aura deux feux : l’un qui purifiera les élus et précédera
le jugement ; l’autre qui tourmentera les réprouvés. Or, ce dernier est le feu
de l’enfer qui engloutira les méchants, tandis que le premier est le feu de
l’embrasement final. Ce n’est donc pas le feu de l’embrasement final qui
engloutira les méchants.
Réponse
à l’objection N°1 : Le feu qui purifiera les élus avant le jugement sera le
même que le feu qui embrasera le monde, quoique que quelques-uns disent le
contraire. Car l’homme étant une partie du monde, il est convenable que l’homme
et le monde soient purifiés par le même feu. Mais on dit qu’il y aura deux
feux, l’un qui purifiera les bons et l’autre qui purifiera les méchants ; ce
qui se rapporte au double office que ce feu remplira, et aussi d’une certaine
manière à sa substance, puisque toute la substance du feu purificateur ne sera
pas entraînée dans l’enfer, comme nous l’avons dit (dans le corps de
l’article.).
Objection
N°2. Ce feu obéira à Dieu dans la purification du monde. Les autres éléments
étant récompensés il doit donc l’être aussi ; et surtout puisque le feu est le
plus noble des éléments. Il ne semble donc pas qu’il doive être jeté en enfer
pour le tourment des damnés.
Réponse
à l’objection N°2 : Le feu sera récompensé en ce que ce qu’il y a de grossier
en lui sera séparé et entraîné dans l’enfer.
Objection
N°3. Le feu qui engloutira les méchants ce sera le feu de l’enfer. Or, ce feu a
été préparé aux damnés dès le commencement du monde. D’où il est dit (Matth., 25, 41) : Allez
maudits, au feu éternel qui a été préparé au démon, etc. Et le prophète dit
(Is., 30, 33) : La
vallée de Tophet a été préparée d’hier, elle a été
préparée par le Roi, etc. La glose ajoute (interl.
Hier.) : d’hier,
c’est-à-dire dès le commencement ; Tophet, c’est-à-dire la vallée de la géhenne. Or, le feu de
la conflagration finale n’a pas été préparée dès le commencent, mais il sera
produit par le concours des feux du monde. Donc ce feu n’est pas le feu de
l’enfer qui engloutira les réprouvés.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme la gloire des élus sera plus grande après le jugement
qu’avant ; de même aussi la peine des réprouvés. C’est pourquoi comme la clarté
sera ajoutée à la créature supérieure pour augmenter la gloire des élus ; de
même aussi tout ce qu’il y a de honteux dans les créatures sera précipité dans
l’enfer pour augmenter la misère des damnés. Par conséquent il ne répugne pas
qu’un autre feu s’ajoute au feu des damnés qui a été préparé dans l’enfer dès
le commencement.
Ce
qu’il y a de contraire c’est ce qu’il est dit de ce feu (Ps. 96, 3) : Il embrasera de
toutes parts ses ennemis.
Il
est dit (Dan., 7, 10) : Une fleuve de feu
très rapide sortait de devant sa face, pour entraîner les pécheurs dans
l’enfer ajoute la glose (interl. Hieron.).
Or, le prophète parle du feu dont il est question maintenant, comme on le voit
par une glose (interl. sup. illud
: Thronus ejus) qui dit
que ce fleuve est pour punir les méchants et purifier les bons. Donc le feu de
la conflagration finale sera englouti dans l’enfer avec les méchants.
Conclusion
Les réprouvés seront engloutis par le feu de l’embrasement final de manière que
tout ce qu’il y a de souillé et de honteux soit précipité en enfer, comme tout
ce qui se trouve de beau et de noble sera élevé dans le royaume céleste.
Il
faut répondre que la purification entière du monde et son renouvellement auront
pour le but la purification et le renouvellement de l’homme. C’est pourquoi il
faut que la purification et le renouvellement du monde répondent à la
purification et au renouvellement du genre humain. Or, il y aura une
purification du genre humain qui consistera dans la séparation des bons et des
méchants. D’où il est dit (Luc, 3, 17) : Il
a le van en main et il nettoiera son aire et il amassera le blé dans son grenier,
c’est-à-dire les élus ; et il brûlera la
paille, c’est-à-dire les réprouvés, dans
un feu qui ne s’éteindra jamais. Par conséquent il en sera ainsi de la
purification du monde. Tout ce qu’il y aura de honteux et de souillé sera
envoyé dans l’enfer avec les méchants, et tout ce qu’il y aura de beau et de
noble sera réservé dans les lieux supérieurs pour la gloire des élus. Il en
sera de même aussi du feu du dernier embrasement, comme le dit saint Basile sur
ces paroles du Psalmiste (Ps. 28, 7)
: La voix du Seigneur fait jaillir des
flammes de feu (hom. 1 nunc
Ps. inter. med. et fin.). Car, par rapport à sa
chaleur dévorante et à tout ce qu’il y aura en lui de grossier, il descendra
dans les enfers pour tourmenter les damnés ; mais, relativement à ce qu’il y a
en lui de subtil et de brillant, il restera dans les régions supérieures pour
la gloire des élus.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.