Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 75 : De la résurrection
Nous
devons ensuite nous occuper de ce qui environnera et de ce qui accompagnera la
résurrection. La première considération que nous ayons à faire à ce sujet doit
porter sur la résurrection elle-même. la seconde sur
sa cause. La troisième sur son temps et sur son mode. la
quatrième sur le terme à quo. La
cinquième sur les conditions de ceux qui ressusciteront. Sur la résurrection
elle-même il y a trois questions à examiner : 1° La résurrection des corps
doit-elle avoir lieu ? — 2° Doit-elle être générale ? (Cette question a pour
objet d’examiner sui tous ceux qui sont morts ressusciteront, et il est de foi
qu’ils ressusciteront tous sans exception. Mais on n’examine pas ici si tous
doivent mourir pour ressusciter ensuite, car cette question doit être traitée
plus loin (quest. 78, art. 1).) — 3° Est-elle naturelle ou miraculeuse ? (Saint
Thomas enseigne que la résurrection n’est pas naturelle. Son sentiment est
certain quoiqu’il n’y ait pas de définition expresse sur ce point. Il est
soutenu par saint Chrysostome (hom. 65 in Joan.),
saint Ambroise (liv. 4 in chap. 4 Eccles.), saint Augustin (De civ. Dei, liv. 22, chap. 4), saint
Grégoire (hom. 20 in Ezech.),
par Durand et par tous les scolastiques (Cf. Cont. Gent., liv. 4,
chap. 41) et quod., liv. 4, art. 5).)
Article
1 : La résurrection des corps doit-elle avoir lieu ?
Objection
N°1. Il semble que les corps ne doivent pas ressusciter. Car il est dit (Job,
14, 12) : Quand l’homme est mort il ne
ressuscitera pas jusqu’à ce que le ciel soit détruit. Or, le ciel ne sera
jamais détruit ; car la terre qui
vaut moins que le ciel restera
éternellement, comme on le voit (Eccles.,
1, 4). Donc l’homme qui est mort ne ressuscitera jamais.
Réponse
à l’objection N°1 : Le ciel ne sera jamais détruit quant à sa substance, mais
il le sera quant à l’effet de la puissance qu’il exerce sur les corps
inférieurs pour leur génération et leur corruption, et c’est ce qui fait dire à
l’Apôtre (1 Cor., 7, 31) : La figure de ce monde passe.
Objection
N°2. Le Seigneur prouve la résurrection par ce passage (Matth.,
22, 32) : Je suis le Dieu d’Abraham, le
Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ; parce qu’il n’est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants. Or, il
est certain que quand il prononçait ces paroles, Abraham, Isaac et Jacob ne
vivaient pas dans leur corps, mais seulement dans leur âme. Donc la
résurrection des corps n’aura pas lieu ; il n’y aura que la résurrection des
âmes.
Réponse
à l’objection N°2 : L’âme d’Abraham n’est pas, à proprement parler, Abraham
lui-même, mais elle est une partie de lui et il en est ainsi des autres. Par
conséquent la vie de l’âme d’Abraham ne suffirait pas pour qu’Abraham fût
vivant ou que le Dieu d’Abraham fût le Dieu de ce patriarche vivant ; mais il
faut la vie de l’être composé tout entier ; c’est-à-dire de l’âme et du corps.
Quoique cette vie n’existât pas en acte, quand le Christ prononçait ces
paroles, elle existait cependant en ce que les deux parties étaient destinées à
ressusciter. Ainsi par ces paroles le Christ prouve la résurrection avec autant
de force que de profondeur.
Objection
N°3. L’Apôtre (1
Cor., chap. 15) paraît prouver la résurrection d’après la récompense des
peines que les saints supportent en ce monde, parce que si leur espérance se bornaient à cette vie ils seraient les plus malheureux de
tous les hommes. Or, l’homme peut être suffisamment récompensé de toutes ses
peines dans son âme, car il n’est pas nécessaire que l’instrument soit
récompensé simultanément avec celui qui opère. Or, le corps est l’instrument de
l’âme ; d’où il suit que dans le purgatoire où les âmes seront punies pour ce
qu’elles ont fait dans le corps, l’âme est punie sans le corps. Il n’est donc
pas nécessaire d’admettre la résurrection des corps, mais il suffit d’admettre
la résurrection des âmes qui a lieu, quand on passe de la mort du péché et de
la misère à la vie de la grâce et de la gloire.
Réponse
à l’objection N°3 : L’âme n’est pas seulement au corps ce que l’agent qui opère
est à l’instrument dont il se sert, mais elle se rapporte encore à lui comme la
forme à la matière. Ainsi l’opération appartient à l’être composé et
n’appartient pas seulement à l’âme, comme le prouve Aristote (De an., liv. 1, text.
64 et 66). Et parce que la récompense de l’œuvre est due à celui qui l’opère,
il faut que l’homme lui-même, ou l’être composé de l’âme et du corps, reçoive
la récompense de ses actions. Quant aux fautes vénielles comme on appelle les
péchés véniels qui sont, pour ainsi dire, des dispositions au mal, mais qui
n’ont pas ce qui constitue l’essence du péché d’une manière absolue et
parfaite, la peine qui leur est infligée dans le purgatoire n’est pas
simplement une rétribution, mais c’est plutôt une purification qui se fait à
part dans le corps par la mort et la dissolution et dans l’âme par le feu du
purgatoire.
Objection
N°4. La dernière évolution d’une chose est ce qu’il y a en elle de plus parfait, parce que c’est par là qu’elle atteint sa fin. Or,
l’état de l’âme le plus parfait c’est quand elle est séparée du corps, parce
que dans cet état elle est plus conforme à Dieu et aux anges et qu’elle est
plus pure, puisqu’elle est en quelque sorte séparée de toute nature étrangère. Sa
séparation du corps est donc son dernier état, et par conséquent de cet état
elle ne revient pas au corps, pas plus que d’homme on devient enfant.
Réponse
à l’objection N°4 : Toutes choses égales d’ailleurs, l’état de l’âme est plus
parfait dans le corps que hors du corps ; parce qu’elle est une partie d’un
tout composé et que toute partie intégrante d’une matière existe par rapport au
tout. Et quoiqu’elle ressemble à Dieu plus parfaitement sous un rapport, cela
n’est pas exact absolument. Car, absolument parlant, elle ressemblera à Dieu
plus parfaitement, quand elle aura tout ce que requiert la condition de sa
nature, parce qu’alors elle imitera mieux la perfection divine. C’est ainsi que
le cœur d’un animal est plus conforme à Dieu quand il se meut que quand il est
en repos ; parce que la perfection du cœur consiste dans son mouvement et que
son repos est sa destruction.
Objection
N°5. La mort corporelle a été établie pour punir l’homme de sa première
prévarication, ainsi qu’on le voit (Gen., chap. 2),
comme la mort spirituelle qui est la séparation de l’âme de Dieu a été infligée
à l’homme à cause du péché mortel. Or, l’homme ne revient jamais de la mort
spirituelle à la vie, après que la sentence de damnation a été portée contre
lui. Il ne reviendra donc pas non plus de la mort corporelle à la vie
corporelle, et par conséquent les corps ne ressusciteront pas.
Réponse
à l’objection N°5 : La mort corporelle a été introduite dans le monde par le
péché d’Adam, qui a été effacé par la mort du Christ. Par conséquent cette
peine ne doit pas subsister éternellement. Mais le péché mortel qui produit la
mort éternelle par l’impénitence ne s’expie pas au-delà de ce monde ; et c’est
pour ce motif que cette mort sera éternelle.
Mais
c’est le contraire. il est dit (Job, 19, 25) : Car je sais que mon Rédempteur est vivant et
qu’au dernier jour il me ressuscitera de la poussière, et lorsque j’aurai de
nouveau revêtu ma chair, etc. Les corps ressusciteront donc.
Le
don du Christ est supérieur au péché d’Adam, comme on le voit (Rom., chap. 5). Or, la mort a été
introduite par le péché, parce que si le péché n’eût pas existé, personne ne
serait mort. L’homme sera donc ramené de la mort à la vie par le don du Christ.
Les
membres doivent être conformes au chef. Or, notre chef vit et vivra éternellement
dans son corps et son âme, parce que le Christ
qui est ressuscité des morts ne meurt plus, comme on le voit (Rom., 6, 9). Donc les hommes qui sont
ses membres vivront aussi dans leur corps et leur âme, et par conséquent il
faut que la chair ressuscite.
Conclusion
Puisque l’homme ne peut être bienheureux qu’autant que son âme est unie
véritablement au corps, comme la forme à la matière, on doit reconnaître qu’il
y aura une résurrection dans laquelle l’âme sera unie au corps pour jamais.
Il
faut répondre Il faut répondre que les opinions de ceux qui admettent ou qui
nient la résurrection ont varié suivant leurs divers sentiments au sujet de la
fin dernière de l’homme. Car la fin dernière de
l’homme, que tous les hommes désirent naturellement, c’est la béatitude. il y en a qui ont pensé que l’homme pouvait l’atteindre en
cette vie ; par conséquent ils n’étaient pas contraints d’admettre une autre
vie après celle-ci, dans laquelle l’homme arriverait à sa perfection dernière,
et ils niaient ainsi la résurrection (Cette opinion est celle des matérialistes
et des incrédules.). Mais cette opinion est assez fortement combattue par les
vicissitudes de la fortune, les infirmités du corps humain, l’imperfection et
l’instabilité de la science et de la vertu qui sont autant d’obstacles qui
empêchent la perfection de la béatitude, comme l’observe saint Augustin (De civ. Dei, in fin. et liv. 19, chap.
3). — C’est pourquoi d’autres ont supposé qu’il y avait une autre vie après
celle-ci, dans laquelle l’homme ne vivait après la mort que par son âme. Ils
supposaient que cette vie-là était suffisante pour remplir le désir naturel que
nous avons d’arriver à la béatitude. D’où Porphyre disait, d’après saint
Augustin (De civ. dei, liv. ult., chap. 26), que pour que l’âme fût heureuse, il fallait
absolument qu’elle fût délivrée du corps. Ils n’admettaient donc pas la
résurrection. — Les raisons fausses sur lesquelles s’appuyait cette opinion
étaient différentes selon ses divers partisans. Car il y a eu des hérétiques
qui ont prétendu que toutes les choses corporelles venaient du mauvais
principe, tandis que les choses spirituelles venaient du bon. D’après cela
l’âme ne pouvait être souverainement parfaite qu’autant qu’elle était séparée
du corps qui la détourne de son principe dont la participation la rend
heureuse. C’est pourquoi toutes les sectes des hérétiques qui supposent que
tous les êtres corporels ont été créés ou formés par le diable nient la
résurrection des corps. La fausseté de ce principe fondamental a été démontrée
(in princ. liv. 2 Sent.,
dist. 1, quest. 1, art. 3). D’autres ont cru que toute la nature de l’homme
était renfermée dans l’âme, de manière que l’âme se servait du corps comme d’un
instrument, ou comme le pilote se sert de son navire (Cette opinion fut celle
de Platon et de ses disciples.). D’après cette opinion il s’ensuit que l’âme en
restant seule n’est pas privée de sa béatitude, et que par conséquent il n’y a
pas de nécessité à admettre la résurrection. Mais Aristote détruit suffisamment
cette doctrine (De an., liv. 2, à princ.)
en montrant que l’âme est unie au corps, comme la forme à la matière. Par
conséquent il est évident que si l’homme ne peut être heureux en cette vie il
est nécessaire d’admettre la résurrection.
Article
2 : Tous les hommes ressusciteront-ils ?
Objection
N°1. Il semble que la résurrection des corps ne sera pas générale. Il est dit (Ps. 1, 6) : Les impies ne ressusciteront pas au jour du jugement. Or, la
résurrection des hommes n’aura lieu qu’à l’époque du jugement universel. Les
impies ne ressusciteront donc d’aucune manière.
Réponse
à l’objection N°1 : Le Psalmiste parle de la résurrection spirituelle à
laquelle les impies n’auront pas part au jour du jugement, lorsqu’on examinera
leur conscience, comme le dit la glose (interl. et
ord. aug.). — Ou bien il s’agit des impies qui sont
absolument infidèles et qui ne ressusciteront pas pour être jugés ; parce
qu’ils l’ont déjà été.
Objection
N°2. Le prophète dit (Dan., 12, 2) : Beaucoup
de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront. Or, cette
manière de dire implique une certaine restriction. Donc tous ne ressusciteront
pas.
Réponse
à l’objection N°2 : Saint Augustin entend (De
civ. Dei, liv. 20, chap. 23 in fin.) le mot beaucoup, comme s’il y avait tous
; et cette manière de dire se rencontre fréquemment dans l’Ecriture sainte. —
Ou bien on peut dire que cette restriction se rapporte aux enfants qui sont
damnés dans les limbes. Car quoiqu’ils ressuscitent, on ne dit pas proprement
qu’ils seront réveillés ; puisqu’ils n’éprouveront ni le sentiment de la peine,
ni celui de la gloire. Car on est à l’état de veille quand on jouit de ses
sens.
Objection
N°3. Par la résurrection les hommes sont rendus semblables au Christ qui est
ressuscité. D’où l’Apôtre conclut (1 Cor.,
chap. 15) que si le Christ est
ressuscité, nous ressusciterons aussi. Or, il n’y a que ceux qui ont porté
son image qui doivent ressembler au Christ ressuscité
; c’est-à-dire il n’y a que les bons. Donc il n’y a qu’eux qui ressusciteront.
Réponse
à l’objection N°3 : Tous les hommes bons et méchants, tant qu’ils sont en cette
vie, ressemblent au Christ, par les choses qui appartiennent à la nature de
l’espèce, mais non par celles qui appartiennent à la grâce. C’est pour ce motif
qu’ils lui ressembleront tous dans la réparation de la vie naturelle, mais il
n’y a que les justes qui auront avec lui la ressemblance de la gloire.
Objection
N°4. La peine n’est remise qu’autant que la faute a été enlevée. Or, la mort
corporelle est la peine du péché originel. Donc puisque le péché originel n’a
pas été remis à tout le monde, tous ne ressusciteront pas.
Réponse
à l’objection N°4 : Ceux qui sont morts dans le péché originel ont subi en
mourant la peine de ce péché. Ils peuvent donc, malgré ce péché, ressusciter ;
car la peine du péché originel consiste plutôt à mourir qu’à être l’esclave de
la mort.
Objection
N°5. Comme nous renaissons par la grâce du Christ ; de même nous ressusciterons
par sa grâce. Or, ceux qui meurent dans le sein de leurs mères ne pourront
jamais renaître. Donc ils ne pourront pas ressusciter et par conséquent tous ne
ressusciteront pas.
Réponse
à l’objection N°5 : Nous renaissons par la grâce du Christ qui nous est donnée,
mais nous ressuscitons par la grâce du Christ qui lui a fait prendre notre
nature, parce que c’est par là que nous lui ressemblons dans les choses
naturelles. Ainsi ceux qui meurent dans le sein de leur mère, quoiqu’ils ne
renaissent pas en recevant la grâce, ressusciteront néanmoins à cause de la
conformité de nature qu’ils ont avec lui, conformité qu’ils ont eue du moment
qu’ils ont atteint la perfection de l’espèce humaine.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Jean, 5, 28) : Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu
et tous ceux qui l’auront entendu vivront. Donc tous les morts
ressusciteront.
Saint
Paul dit aussi (1 Cor., 15, 51) : Nous ressusciterons tous, etc.
La
résurrection est nécessaire pour que tous ceux qui seront ressuscités reçoivent
la peine ou la récompense qu’ils méritent. Or, tous méritent une peine ou une
récompense soit à cause de leurs mérites propres, comme les adultes, soit par
suite du mérite d’un autre, comme les petits enfants. Tout le monde
ressuscitera donc.
Conclusion
Puisqu’une âme ne peut être perpétuellement séparée du corps il est nécessaire
que tous ressuscitent aussi bien qu’un seul.
Il
faut répondre que les choses dont la raison se tire de la nature de l’espèce
doivent se trouver de même dans tous les individus de cette même espèce. Or,
telle est la résurrection. Car la raison de la résurrection, comme on le voit
d’après ce que nous avons dit (art. préc.), c’est que
l’âme séparée du corps ne peut arriver à la perfection dernière de l’espèce
humaine ; par conséquent aucune âme ne restera perpétuellement séparée du
corps. C’est pourquoi ce qui fait que l’un ressuscitera prouve également que
tous ressusciteront.
Article
3 : La résurrection est-elle naturelle ?
Objection
N°1. Il semble que la résurrection soit naturelle. Car, comme le dit saint Jean
Damascène (De orth.
fid., liv. 3, chap. 14, ant. med.) : Ce qu’on trouve en
général dans tous les individus caractérise leur nature. Or, la résurrection
est commune à tout le monde. Donc elle est naturelle.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Jean Damascène parle des choses qui se trouvent dans
tous les individus produites d’après les principes de leur nature. Car si par
une opération divine tous les hommes étaient blancs ou s’ils étaient tous
réunis dans un seul lieu, comme cela s’est fait au temps du déluge, il
s’ensuivrait que la blancheur serait une propriété naturelle de l’homme, comme
d’être dans tel ou tel lieu.
Objection
N°2. Saint Grégoire dit (Mor., liv. 14, chap. 28, circ. med.) : Ceux qui n’admettent pas la croyance de la
résurrection par obéissance, doivent du moins avec certitude au nom de la
raison. Car, que se passe-t-il chaque jour dans les éléments, sinon une
imitation de notre résurrection ? Et il donne pour exemple la lumière qui
disparaît aux yeux pour ainsi dire en mourant et qui reparaît ensuite comme si
elle ressuscitait ; il cite les arbustes qui perdent la fraîcheur de leur
feuillage et qui la retrouvent ensuite comme s’ils étaient ressuscités ; enfin
il parle des semences qui meurent et pourrissent pour germer ensuite et
ressusciter ainsi d’une certaine manière. L’Apôtre
donne lui-même ce dernier exemple (1 Cor.,
chap. 15). Or, la raison ne peut connaître d’après les opérations de la nature
que ce qui est naturel.
Réponse
à l’objection N°2 : D’après les choses naturelles on ne connaît pas une chose
qui n’est pas naturelle par une raison démonstrative ; mais on peut ainsi
connaître quelque chose de surnaturel par une raison de convenance ; parce que
les choses qui sont dans la nature donnent une image de celles qui sont
surnaturelles ; comme l’union de l’âme et du cops représente l’union de l’âme
avec Dieu par la jouissance de la gloire, comme le dit le Maître des sentences
(Sent. 2, dist. 1). Les exemples que
citent saint Paul et saint Grégoire sont de la même manière des moyens
persuasifs qui viennent à l’appui de la croyance de la résurrection.
Objection
N°3. Les choses qui sont en dehors de la nature ne subsistent pas beaucoup de
temps, parce qu’elles sont en quelque sorte violentes. Or, la vie qui sera
renouvelée par la résurrection subsistera éternellement. Donc la résurrection
sera naturelle.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce raisonnement repose sur l’opération qui a pour terme ce
qui n’est pas produit par la nature, mais ce qui lui est contraire. Mais il
n’en est pas de même de la résurrection, et par conséquent cela ne revient pas
à notre thèse.
Objection
N°4. Le but auquel se rapporte
l’existence de la nature entière paraît être ce qu’il y a de plus
naturel. Or, telle est la glorification et la résurrection des saints, comme on
le voit (Rom., chap. 8). La
résurrection sera donc naturelle.
Réponse
à l’objection N°4 : L’opération entière de la nature est sous l’opération
divine, comme l’opération d’un art inférieur est sous celle d’un art supérieur.
Par conséquent comme tout opération de l’art inférieur attend une fin à
laquelle on ne parvient que par l’opération de l’art supérieur qui donne la
forme ou qui emploie ce qui a été fait ; de même on ne pet parvenir par
l’opération de la nature à la fin dernière qui est l’objet de son attente, et
c’est ce qui fait que sa réalisation n’est pas naturelle.
Objection
N°5. La résurrection est un mouvement qui a pour but l’union perpétuelle de
l’âme et du corps. Or, un mouvement est naturel quand il a pour terme un repos
naturel, comme on le voit (Phys.,
liv. 5, text. 59). Or, l’union de l’âme et du corps
sera naturelle. Car, puisque l’âme est le moteur propre du corps, elle a un
corps qui lui est proportionné, et par conséquent il devra être perpétuellement
vivifié par elle, comme elle doit vivre elle-même éternellement. Donc la
résurrection sera naturelle.
Réponse
à l’objection N°5 : Quoiqu’il ne puisse pas y avoir un mouvement naturel qui
ait pour terme un repos violent ; néanmoins il peut se faire qu’un mouvement
qui n’est pas naturel ait pour terme un repos naturel, comme on le voit d’après
ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
au contraire. On ne revient pas de la privation à l’habitude naturellement. Or,
la mort est une privation de vie. Donc la résurrection par laquelle on revient
de la mort à la vie n’est pas naturelle.
Les
choses qui sont de même espèce ont un seul et même mode d’origine déterminé. ainsi les animaux qui sont engendrés par la putréfaction et séminalement ne sont jamais de la même espèce, comme le dit
Averroës (in 8 Phys.,
comment. 46). Or, le mode d’origine naturel à l’homme, c’est sa génération par
son semblable dans l’espèce ; ce qui n’a pas lieu dans la résurrection. Donc la
résurrection ne sera pas naturelle.
Conclusion
Puisque la nature ne peut pas être le principe de la résurrection on doit
considérer la résurrection comme absolument miraculeuse ; elle ne peut être
naturelle que sous un rapport dans le sens qu’elle a la vie de la nature pour
terme.
Il
faut répondre que le mouvement ou l’action se rapporte à la nature de trois
manières. En effet il y a un mouvement ou une action dont la nature n’est le
principe, ni le terme. Ce mouvement vient quelquefois d’un principe qui est
supérieur à la nature, comme on le voit pour la glorification du corps. D’autres
fois il vient d’un autre principe quelconque, comme on le voit pour le
mouvement violent de la pierre de bas en haut qui a pour terme un repos forcé.
Il y aussi un mouvement dont la nature est le principe et le terme, comme on le
voit dans le mouvement de la pierre de haut en bas. Enfin il y a un mouvement
dont la nature est le terme sans en être le principe. Quelquefois ce principe
est supérieur à la nature, comme on le voit dans la guérison d’un aveugle qui
recouvre la vue ; parce que la vue est naturelle, tandis que le principe de la
vue est supérieur à la nature. Dans d’autres circonstances c’est une autre
chose, comme on le voit dans la précocité des fleurs et des fruits que l’on
obtient artificiellement. Mais il ne peut pas se faire que le principe soit
naturel et que le terme ne le soit pas, parce que les principes naturels sont
circonscrits à des effets déterminés au-delà desquels ils ne peuvent s’étendre.
Ainsi donc l’opération ou le mouvement qui se rapporte à la nature de la première
manière, ne peut être naturelle d’aucune manière. Il faut ou qu’elle soit
miraculeuse, si elle vient d’un principe supérieur à la nature, ou qu’elle soit
violente, si elle vient d’un autre principe quelconque. L’opération ou le
mouvement qui se rapporte à la nature de la seconde manière est absolument
naturelle. Mais l’opération qui s’y rapporte de la troisième manière ne peut
être dite naturelle absolument, elle ne l’est que sous un rapport, en ce
qu’elle conduit à ce qui est conforme à la nature. Mais on doit dire qu’elle
est ou miraculeuse, ou artificielle, ou violente. Car on dit naturel proprement
ce qui est selon la nature. Et l’on dit conformes à la nature ce qui a la
nature et les choses qui en découlent, comme on voit (Phys., liv. 2, text. 4 et 5). Ainsi le
mouvement, absolument parlant, ne peut être dit naturel qu’autant que la nature
en est le principe. Or, la nature ne peut être le principe de la résurrection,
quoique la résurrection ait pour terme la vie de la nature. Car la nature est
le principe du mouvement dans le sujet où elle est. Elle en est le principe
actif, comme on le voit dans le mouvement des corps graves et légers, et dans
les mouvements naturels des animaux, ou bien elle en est le principe passif,
comme on le voit dans la génération des corps simples. Mais le principe passif
d’une chose naturelle est une puissance passive naturelle qui a toujours une
puissance active qui lui correspond dans la nature, comme on le voit (Met., liv. 9, text.
10). Peu importe d’ailleurs que le principe actif réponde dans la nature au
principe passif par rapport à la perfection dernière, c’est-à-dire par rapport
à la forme, ou par rapport à la disposition qui est nécessaire à la forme
dernière, comme il arrive dans la génération de l’homme, selon l’enseignement
de la foi, ou à l’égard de toutes les autres choses selon l’opinion de Platon
et d’Avicenne. Or, il n’y a dans la nature aucun principe actif de
résurrection, ni par rapport à l’union de l’âme avec le corps, ni par rapport à
la disposition qui est nécessaire à cette union ; parce que cette disposition
ne peut être produite par la nature que d’une manière déterminée par le moyen
de génération ex semine.
Par conséquent, quoiqu’on suppose du côté du corps une puissance passive ou une
inclination quelconque à l’union de l’âme, elle n’est pas telle qu’elle suffise
à la nature d’un mouvement naturel. Ainsi la résurrection, absolument parlant,
est miraculeuse ; elle n’est naturelle que sous un rapport, comme on le voit
d’après ce que nous avons dit.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
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