Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 77 : Du temps et du mode de la résurrection

 

          Nous avons ensuite à nous occuper du temps et du mode de la résurrection. A cet égard quatre questions se présentent : 1° Faut-il que le temps de la résurrection soit différé jusqu’à la fin du monde ? — 2° Ce temps est-il caché ? (Cet article a pour objet de combattre ceux qui ont la présomption de vouloir fixer l’époque de la fin du monde. Saint Thomas prouve ici que nous ne connaissons pas l’époque de la résurrection et il prouvera (quest. 88, art. 3) que nous ne connaissons pas non plus celle du jugement et que nous ne pouvons pas connaître.) — 3° La résurrection se fera-t-elle pendant la nuit ? — 4° Se fera-t-elle subitement ?

 

Article 1 : Le temps de notre résurrection doit-il être différé jusqu’à la fin du monde ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de différer l’époque de la résurrection jusqu’à la fin du monde, pour que tous les hommes ressuscitent simultanément. Car il y a plus de rapport du chef aux membres que des membres entre eux. Or, le Christ qui est notre chef n’a pas différé sa résurrection jusqu’à la fin du monde, pour ressusciter simultanément avec les autres. Il n’est donc pas nécessaire que la résurrection des premiers saints soit différée jusqu’à la fin du monde pour qu’ils ressuscitent simultanément avec les autres.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique la tête d’après la convenance de proportion qui est exigée pour qu’elle sur les membres, ait plus de rapport avec les membres que les membres n’en ont entre eux, cependant la tête a une certaine causalité sur les membres, que les membres n’ont pas ; et sous ce rapport les membres diffèrent de la tête et sont d’accord entre eux. Ainsi la résurrection du Christ est le type de la nôtre, et la foi que nous avons dans la sienne, nous fait espérer la nôtre ; mais la résurrection d’un membre du Christ n’est pas la cause de la résurrection des autres membres. C’est pour ce motif que la résurrection du Christ a dû précéder la résurrection des autres hommes qui ont dû ressusciter tous ensemble à la consommation des siècles.

 

          Objection N°2. La résurrection du chef est cause de la résurrection des membres. Or, la résurrection de quelques membres les plus nobles n’a pas été différée jusqu’à la fin du monde, en raison de ce qu’ils étaient plus proches du chef, mais elle a suivi immédiatement la résurrection du Christ, comme on le croit pieusement de la B. Vierge et de saint Jean l’Evangéliste. La résurrection des autres sera donc d’autant plus rapprochée de la résurrection du Christ qu’ils lui auront ressemblé davantage en grâce et en mérite.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique parmi les membres il y en ait de plus dignes que les autres et qui ressemblent davantage au chef ; cependant ils n’arrivent pas à la nature du chef au point d’être cause des autres. C’est pourquoi leur conformité plus parfaite avec le Christ ne fait pas que leur résurrection doive précéder la résurrection des autres, comme le type précède la copie, ainsi que nous l’avons dit de la résurrection du Christ (dans le corps de l’article.). S’il a été accordé à quelques-uns que leur résurrection ne soit pas différée jusqu’à la résurrection générale, c’est l’effet d’un privilège spécial de la grâce (Ce privilège a été accordé en particulier à la sainte Vierge ; et l’Eglise fait solennellement la fête de son assomption.) ; mais ce n’est pas une chose qui ait été due à leur ressemblance avec le Christ

 

          Objection N°3. L’état du Nouveau testament est plus parfait et il rend plus vivement l’image du Christ que l’état de l’Ancien. Or, il y a des saints de l’Ancien Testament qui sont ressuscités à la résurrection du Christ. Ainsi il est dit (Matth., 27, 52) que beaucoup de corps des saints qui étaient dans le sommeil de la mort ressuscitèrent. Il semble donc que la résurrection des saints du Nouveau Testament ne doive pas être différée jusqu’à la fin du monde, pour que tout le monde ressuscite à la fois.

          Réponse à l’objection N°3 : Au sujet de cette résurrection des saints qui sont sortis de leurs tombeaux avec le Christ, saint Jérôme paraît être dans le doute (in serm. Assumpt., alius auctor, Epist ad Paulam et Eustoch., aliquant à princ.), ne sachant si après avoir rendu témoignage à la résurrection, ils sont morts à nouveau, de manière que leur apparition aurait été plutôt un réveil momentané (comme fut celui de Lazare qui mourut de nouveau) qu’une résurrection véritable telle qu’elle aura lieu à la fin du monde, ou s’ils sont véritablement ressuscités pour la vie immortelle, devant toujours vivre dans leur corps et étant mortés corporellement au ciel avec le Christ, comme le dit la glose (ord.) sur ces paroles de l’Evangile : Beaucoup de corps de saints (Matth., 27, 52). Ce dernier sentiment paraît plus probable (Saint Thomas soutient le même sentiment (3a pars, quest. 53, art. 3).), parce que pour rendre un vrai témoignage sur la résurrection véritable du Christ, il a été convenable qu’ils ressuscitassent véritablement, comme l’observe saint Jérôme (ibid.). Leur résurrection n’a pas été avancée à cause d’eux, mais pour rendre témoignage à la résurrection du Christ. Comme ce témoignage avait pour but de d’établir la foi du Nouveau Testament, il était par conséquent convenable qu’il fût rendu par les Pères de l’Ancien Testament que par ceux qui moururent après que le Nouveau Testament était déjà fondé. Toutefois il faut savoir que quoiqu’il soit fait mention de leur résurrection dans l’Evangile avant celle du Christ, néanmoins, comme on le voit par le texte, on doit entendre qu’on en a ainsi parlé par anticipation, ce qui arrive souvent aux historiens sacrés. Car il n’y a personne qui soit véritablement ressuscité avant le Christ, puisqu’il est les prémices de ceux qui dorment, selon l’expression de l’Apôtre (1 Cor., chap. 15) ; quoiqu’il y en ait quelques-uns qui aient été ressuscités (Mais leur résurrection fut imparfaite, comme saint Thomas l’observe (3a pars, quest. 56, art. 1).) avant la résurrection du Christ, comme on le voit au sujet de Lazare.

 

          Objection N°4. Après la fin du monde il n’y aura plus un certain nombre d’années. Or, après la résurrection des martyrs on compte encore beaucoup d’années jusqu’à la résurrection des autres morts, comme on le voit (Apoc., 20, 4). Car il est dit : Je vis les âmes de ceux qui ont eu la tête coupée pour le témoignage qu’ils ont rendu à Jésus et pour la parole de Dieu. Et plus loin : ils ont vécu et régné avec le Christ, et les autres morts n’ont pas vécu jusqu’à ce que ces mille ans fussent accomplis. La résurrection de tous les hommes n’est donc pas différée jusqu’à la fin du monde, pour qu’ils ressuscitent tous ensemble.

          Réponse à l’objection N°4 : A l’occasion de ces paroles, comme le rapporte saint Augustin (De civ. dei, liv. 20, chap. 7), il y a des hérétiques qui ont supposé que la première résurrection aurait lieu pour qu’ils régnassent avec le Christ mille ans sur la terre. D’où ils ont été appelés chiliastes ou millénaires. C’est pourquoi saint Augustin dit (ibid.) que ces paroles doivent s’entendre autrement, c’est-à-dire qu’elles doivent s’entendre de la résurrection spirituelle par laquelle les hommes ressusciteront du péché par le don de la grâce. La seconde résurrection est celle des corps. Le royaume du Christ c’est l’Eglise dans laquelle règnent avec le Christ, non seulement les martyrs, mais encore les autres élus, en faisant signifier le tout à la partie. Ou bien tous règnent avec le Christ dans la gloire, et il est spécialement fait mention des martyrs, parce que ceux qui règnent principalement ce sont ceux qui ont combattu pour la vérité jusqu’au bout. Le nombre de mille ans ne signifie pas un nombre certain, mais il désigne tout le temps qui se passe maintenant, dans lequel les saints règnent maintenant avec le Christ ; parce que le nombre de mille désigne l’universalité plutôt que le nombre cent ; parce que cent est le carré de dix ; au lieu que mille est un nombre solide formé par le cube de dix, puisque dix fois dix font cent et dix fois cent font mille. De même il est du Verbe (Ps. 104, 8) qu’il a purifié mille générations, c’est-à-dire toutes.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Job, 14, 2) : Quand l’homme se sera endormi, il ne relèvera point jusqu’à ce que le ciel soit détruit, il ne se réveillera point et il ne sortira pas de son sommeil, et il s’agit là du sommeil de la mort. Donc la résurrection des hommes sera différée jusqu’à la fin du monde quand le ciel sera détruit.

          L’Apôtre dit encore (Héb., 11, 39) : Toutes les personnes à qui leur foi a mérité un pareil témoignage n’ont pas encore reçu l’effet de la promesse (c’est-à-dire la béatitude pleine de l’âme et du corps), Dieu ayant voulu, par une faveur particulière qu’il nous a faite, qu’elles ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur bonheur, afin, comme dit la glose (interl.), que dans la joie commune de tous, la joie de chacun fût plus grande. Or, la résurrection des corps n’aura pas lieu avant leur glorification, parce que le Christ transformera notre corps vil et abject, afin de le rendre conforme à son corps glorieux (Phil., 3, 21), et que les fils de la résurrection seront comme les anges dans le ciel, d’après l’Evangile (Matth., 22, 30). La résurrection sera donc différée jusqu’à la fin du monde, lorsque tous les hommes ressusciteront ensemble.

 

          Conclusion Puisque la matière entière des corps humains est soumise aux mouvements des corps célestes, il est convenable que leur résurrection soit différée jusqu’à la fin du monde, lorsque le mouvement du ciel cessera.

          Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De trin., liv. 3, chap. 4, ant. med.), la providence divine a voulu que les corps les plus grossiers et les plus faibles fussent régis d’une certaine manière par les corps les plus nobles et les plus puissants. C’est pourquoi toute la matière des corps inférieurs est soumise au changement d’après le mouvement des corps célestes. Ce serait donc une chose contraire à l’ordre que la providence divine a établi dans le monde, si la matière des corps inférieurs arrivait à l’état d’incorruptibilité pendant que le mouvement des corps supérieurs subsisterait. Et parce que, d’après la foi, la résurrection aura lieu pour qu’on arrive à un vie immortelle conformément au Christ, qui depuis qu’il est ressuscité des morts, ne meurt plus, selon l’expression de l’Apôtre (Rom., 6, 9), il s’ensuit que la résurrection des corps sera différée pour ce motif jusqu’à la fin du monde, alors que le mouvement du ciel cessera. C’est pour cela qu’il y a des philosophes qui ayant supposé que le mouvement du ciel ne cesserait jamais, ont avancé que les âmes humaines ressusciteraient dans des corps comme les nôtres, soit qu’ils aient prétendu que l’âme ressusciterait dans le même corps à la fin du grand siècle, comme Empédocle ; soit qu’ils aient cru qu’elle retournerait dans un autre corps, comme Pythagore, qui a enseigné que toute âme entrait dans un corps quelconque, comme on le voit (De an., liv. 1, text. 53).

 

Article 2 : Le temps de notre résurrection est-il caché ?

 

          Objection N°1. Il semble que ce temps ne soit pas caché. Car on peut dire d’une manière positive la fin d’une chose dont on sait positivement le commencement ; parce que tout se mesure d’après une certaine période, comme le dit Aristote (De gener., liv. 2, text. 59). Or, on sait d’une manière positive le commencement du monde ; on peut donc savoir aussi sa fin. Et comme ce sera alors le temps de la résurrection et du jugement, il s’ensuit que ce temps n’est pas caché.

          Réponse à l’objection N°1 : Il est nécessaire que nous connaissions la mesure d’une chose pour en déterminer la fin, lorsque nous en savons le commencement. C’est pourquoi quand nous connaissons le commencement d’une chose dont la durée est mesurée par le mouvement du ciel, nous pouvons en connaître la fin, parce que le mouvement du ciel nous est connu. Mais la mesure de la durée du mouvement du ciel ne dépend que de la volonté divine dont les dispositions nous sont inconnues. C’est pour ce motif que quelle que soit la science que nous ayons de son commencement, nous ne pouvons en savoir la fin.

 

          Objection N°2. Il est dit (Apoc., 12, 6) que la femme, ce qui signifie l’Eglise, a un lieu que Dieu lui a préparé pour qu’elle s’y nourrisse douze cent soixante jours. Daniel (chap. 12) donne aussi un nombre déterminé de jours qui paraissent signifier autant d’années, suivant cette parole d’Ezéchiel (4, 6) : C’est un jour que je vous donne pour chaque année. Donc, d’après l’Ecriture, on peut connaître d’une manière positive la fin du monde et l’époque de la résurrection.

          Réponse à l’objection N°2 : Les douze cent soixante jours dont il est parlé dans l’Apocalypse ne signifient pas tout le temps que doit durer l’Eglise, et ils ne déterminent pas un nombre particulier d’années. Il en est ainsi parce que la prédication du Christ sur laquelle l’Eglise est fondée a duré trois ans et demi, ce qui fait à peu près un nombre de jours égal à celui-là. De même le nombre des jours qui se trouvent dans Daniel ne doit pas se rapporter à un nombre d’années qui doivent s’écouler jusqu’à la fin du monde ou jusqu’à la prédication de l’antechrist ; mais on doit le rapporter au temps que prêchera l’antechrist et que sa persécution durera.

 

          Objection N°3. L’état du Nouveau Testament a été figuré à l’avance dans l’Ancien. Or, nous pouvons déterminer le temps pendant lequel l’Ancien Testament a existé. On peut donc aussi savoir positivement le temps que le Nouveau Testament durera. Et comme le Nouveau Testament durera jusqu’à la fin du monde, d’après ces paroles (Matth., 28, 20) : Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle, on peut donc connaître d’une manière positive la fin du monde et l’époque de la résurrection.

          Réponse à l’objection N°3 : Quoique l’état du Nouveau Testament en général ait été préfiguré par l’état de l’Ancien, il n’est cependant pas nécessaire qu’ils répondent chacun à chacun, surtout puisque toutes les figures de l’Ancien Testament ont été accomplies dans le Christ. C’est pour cela que saint Augustin répond (De civ. Dei, liv. 18, chap. 52) à certains auteurs qui voulaient compter les persécutions que l’Eglise a souffertes et qu’elle souffrira d’après le nombre des plaies d’Egypte : Je ne pense pas que ces persécutions aient été prophétiquement indiquées par ce qui s’est passé en Egypte, quoique que ceux qui étaient de ce sentiment aient fait ces choses par des rapprochements piquants et ingénieux, ayant été guidés moins par l’esprit prophétique que par des conjectures de l’esprit humain qui rencontrent le vrai quelquefois, mais qui d’autres fois s’égarent. Il nous semble qu’il en est de même de ce qu’a dit l’abbé Joachim, qui en faisant de semblables conjectures sur l’avenir a prédit des choses vraies et s’est trompé sur d’autres.

 

          Mais c’est le contraire. Ce qui a été ignoré des anges est encore beaucoup plus inconnu aux hommes, parce que les choses que les hommes peuvent atteindre par leur raison naturelle, les anges les connaissent naturellement d’une manière beaucoup plus claire et plus certaine. D’un autre côté, les révélations ne sont faites aux hommes que par l’intermédiaire des anges, comme on le voit par saint Denis (De eccles. hier., chap. 4, circ. med.). Or, les anges ne savent pas positivement cette époque, puisqu’il est dit (Matth., 24, 36) : Nul ne sait ce jour, ni cette heure, pas même les anges qui sont dans le ciel. Donc ce temps est caché aux hommes.

          Les apôtres ont mieux connu les secrets de Dieu que ceux qui sont venus après eux. Car, comme le dit saint Paul (Rom., chap. 8), ils ont eu les prémices de l’esprit ; et la glose ajoute (interl.) qu’ils l’ont eu avant et plus abondamment que tous les autres. Or, quand ils firent au Christ cette question, il leur répondit (Actes¸1, 7) : Ce n’est pas à vous à savoir les temps et les moments que le Père a réservés en son pouvoir. Donc, à plus forte raison, ce secret est-il caché aux autres.

 

          Conclusion Pour que nous soyons toujours prêts à nous présenter devant le Christ, nous ne pouvons connaître, ni calculer ni par la raison naturelle, ni par la révélation divine, l’époque de la résurrection future.

          Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 58, circ. med.) : On ne sait combien comptera de générations le dernier âge du genre humain qui commence à l’avènement du Christ pour durer jusqu’à la fin du siècle ; comme la vieillesse, qui est la dernière période de la vie de l’homme, n’a pas une durée déterminée selon l’étendue des autres parties ; puisque quelquefois elle dure autant de temps que toutes les autres périodes réunies. La raison en est qu’on ne peut connaître d’une manière positive l’étendue de l’avenir que par la révélation divine ou par la raison naturelle. Or, on ne peut calculer par la raison naturelle le temps qui s’écoulera jusqu’à la résurrection, parce que la résurrection aura lieu aussitôt que le mouvement du ciel cessera, comme nous l’avons dit (art. préc.). C’est d’ailleurs d’après le mouvement qu’on calcule toutes les choses que la raison prévoit devoir arriver dans un temps déterminé. Mais d’après le mouvement du ciel on ne peut connaître sa fin ; car puisqu’il est circulaire, il peut par là même durer perpétuellement, d’après sa nature. La raison naturelle ne peut donc pas calculer le temps qui s’écoulera jusqu’à la résurrection. On ne peut pas non plus le savoir par la révélation, et cela pour qu’on ait toujours la sollicitude d’être prêts pour se présenter au Christ. C’est pour ce motif que le Christ répondit aux apôtres qui lui faisaient cette question (Actes, 1, 7) : Ce n’est pas à vous à connaître les temps et les moments que le Père a réservés en son pouvoir ; et à l’occasion de ce passage, saint Augustin (De civ. Dei, liv. 18, chap. 53) qu’il a ainsi arrêté tous ceux qui faisaient des calculs à ce sujet, et qu’il leur a commandé de se tenir en repos. Car ce qu’il n’a pas voulu manifester à ces apôtres qui l’interrogeaient, il ne le révélera pas non plus aux autres. Aussi tous ceux qui ont voulu jusqu’aujourd’hui calculer ce temps ont été trouvés dans l’erreur. Car il y en a, comme le rapporte saint Augustin (ibid.), qui ont dit que depuis l’ascension du Seigneur jusqu’à son avènement, il devait y avoir 400 ans, d’autres 500, d’autres 1000. Leur fausseté est manifeste, et on verra de même la fausseté des calculs de ceux qui ne cessent pas encore de vouloir préciser cette époque.

 

Article 3 : La résurrection doit-elle avoir lieu au moment de la nuit ?

 

          Objection N°1. Il semble que la résurrection n’aura pas lieu au moment de la nuit. Car elle ne se fera pas tant que le ciel ne sera pas brisé, comme il est dit (Job, 14, 12). Or, le mouvement du ciel cessant, ce qu’on appelle son brisement, il n’y aura plus de temps, il n’y aura ni nuit ni jour. La résurrection ne se fera donc pas la nuit.

          Réponse à l’objection N°1 : Quand la résurrection aura lieu ce ne sera pas un temps, mais la fin du temps ; parce que la résurrection des morts se fera au même instant où le mouvement des cieux cessera. Cependant les astres seront alors dans une disposition semblable à celle qu’ils ont maintenant à une heure déterminée ; et c’est en ce sens qu’on dit que la résurrection aura lieu à telle ou telle heure.

 

         Objection N°2. La fin de chaque chose doit être la plus parfaite. Or, alors ce sera la fin la plus parfaite du temps ; d’où il est dit (Apoc., 10, 6) : que le temps n’existera plus. Le temps doit donc être alors dans sa disposition la meilleure et par conséquent ce doit être le jour.

          Réponse à l’objection N°2 : On dit que la meilleure disposition du temps, c’est à midi, à cause de la lumière que répand le soleil. Mais alors la cité de Dieu n’aura besoin ni du soleil ni de la lune, parce que la clarté de Dieu l’éclairera, comme on le voit (Apoc., chap. 22). C’est pourquoi il importe peu sous ce rapport que la résurrection se fasse de jour ou de nuit.

 

          Objection N°3. La qualité du temps doit répondre à ce qui s’y passe. Ainsi (Jean, chap. 13) il est parlé de nuit quand Judas se sépara de celui qui est la lumière. Or, on manifestera parfaitement alors toutes les choses qui sont maintenant cachées, puisque quand le Seigneur viendra il produira à la lumière ce qui est caché dans les ténèbres et il manifestera les desseins secrets des cœurs, selon l’expression de saint Paul (1 Cor., 4, 5). Il faut donc que cela se passe dans le jour.

          Réponse à l’objection N°3 : La manifestation convient à ce temps par rapport à ce qui se fera alors et le secret lui convient aussi relativement à la détermination de son époque. C’est pourquoi l’un et l’autre peut se faire convenablement, que la résurrection ait lieu de jour ou de nuit.

 

          Mais au contraire. La résurrection du Christ est le type de la nôtre. Or, la résurrection du Christ a eu lieu pendant la nuit, comme le dit saint Grégoire (hom. Pasch. 21 in Evang., ad fin.). Notre résurrection aura donc lieu aussi pendant la nuit.

          L’avènement du Seigneur est comparé à l’arrivée d’un voleur dans une maison, comme on le voit (Luc, chap. 12). Or, un voleur vient de nuit dans la maison. Le Seigneur viendra donc aussi dans ce moment, et comme c’est à son arrivée que la résurrection se fera, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 2), elle aura donc lieu la nuit.

 

          Conclusion Quoiqu’on ne puisse connaître à l’avance d’une manière positive l’époque de la résurrection future, on dit cependant avec probabilité qu’elle aura lieu au crépuscule, de telle sorte que le soleil et la lune se retrouvent au même point où l’on croit qu’ils ont été créés.

          Il faut répondre qu’on ne peut savoir avec certitude l’heure fixe à laquelle se fera la résurrection, comme le dit le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 43). Cependant il y en a qui disent avec assez de probabilité qu’elle se fera vers le crépuscule, le soleil étant à son lever et la lune à son coucher, parce qu’on croit que cette disposition que ces deux astres ont été créés, pour que leur mouvement circulaire soit absolument accompli par leur retour au même point. C’est pour cela qu’il est dit du Christ qu’il est ressuscité à cette heure.

 

Article 4 : La résurrection doit-elle avoir lieu subitement ou successivement ?

 

          Objection N°1. Il semble que la résurrection ne se fera pas subitement, mais successivement. Car Ezéchiel prédit la résurrection des morts quand il dit (37, 7) : Les os approchèrent les uns des autres… et je vis tout d’un coup que des nerfs se formèrent sur ces os, des chairs les environnèrent et de la peau s’étendit par-dessus, mais l’esprit n’y était point encore. Donc la réparation des corps précédera temporairement l’union des âmes et par conséquent la résurrection ne sera pas subite.

          Réponse à l’objection N°1 : Ezéchiel parlait à un peuple grossier comme Moïse aussi. Par conséquent comme Moïse a distingué les œuvres des six jours par des jours pour que le peuple pût le comprendre, quoique toutes ces œuvres aient été faites simultanément, d’après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 4, chap. 34), de même Ezéchiel a énuméré les différentes choses qui doivent se faire dans la résurrection, quoiqu’elles doivent toutes se faire à la fois instantanément.

 

          Objection N°2. Une chose pour laquelle on exige plusieurs actions qui se suivent ne peut pas être faite subitement. Or, on exige pour la résurrection plusieurs actions qui se suivent, comme la réunion des cendres, la reformation du corps et l’infusion de l’âme. La résurrection ne se fera donc pas subitement.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique ces opérations se suivent naturellement, cependant elles existent simultanément dans le temps ; parce que ou elles existent ensemble dans le même instant, ou l’une existe dans l’instant auquel l’autre se termine.

 

          Objection N°3. Tout son est mesuré par le temps. Or, le son de la trompette sera la cause de la résurrection, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 2). La résurrection se fera donc dans le temps et non subitement.

          Réponse à l’objection N°3 : Il semble que l’on doive dire du son la même chose que des formes des sacrements, c’est qu’il aura son effet au dernier instant.

 

          Objection N°4. Aucun mouvement local ne peut être subit, comme le dit Aristote (liv. De sensu et sensato, chap. 7 et liv. 6 Phys., text. 29). Or, on exige pour la résurrection un mouvement local qui consiste à réunir les cendres. Elle ne se fera donc pas subitement.

          Réponse à l’objection N°4 : La réunion des cendres qui ne peut avoir lieu sans un mouvement local sera faite par le ministère des anges. C’est pourquoi elle se fera dans un temps, mais dans un temps imperceptible, à cause de la facilité d’action qui convient aux anges.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (1 Cor., 15, 51) : Nous ressusciterons tous en un moment, en un clin d’œil. La résurrection se fera donc subitement.

          Une vertu infinie opère subitement. Or, saint Jean Damascène dit (liv. 4 Orth. fid., in fin.) : Croyez que la résurrection se fera par la vertu divine, qui est évidemment infinie. Elle aura donc lieu subitement.

 

          Conclusion Par rapport aux choses que la vertu divine fera immédiatement dans la résurrection, la résurrection se fera subitement, mais par rapport à celles qui sont faites par le ministère des anges elle se fera successivement.

          Il faut répondre que dans la résurrection il y a quelque chose qui se fera par le ministère des anges et quelque chose que produira immédiatement la puissance divine, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 3). Ce qui se fera par le ministère des anges ne sera pas instantané, si on appelle instant ce qu’il y a d’indivisible dans le temps ; cependant ce sera instantané, si on entend par instant un temps imperceptible. Mais ce qui se fera immédiatement par la vertu divine sera fait tout à coup, c’est-à-dire au moment où l’œuvre de l’ange sera terminée ; parce que la puissance supérieure mène l’inférieur à la perfection.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.