Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 79 : Des conditions des corps ressuscités et d’abord
de leur identité
Nous
devons ensuite nous occuper des conditions de ceux qui ressusciteront. Nous
aurons considérer à cet égard : 1° ce qui appartient en général aux bons et aux
méchants ; 2° ce qui ne regarde que les bons ; 3° ce qui ne se rapporte qu’aux
méchants. Or, il y a trois choses qui appartiennent aux bons comme aux méchants
; c’est leur identité, leur intégrité et leur qualité. Nous aurons à voir : 1°
l’identité des corps ressuscités ; 2° leur intégrité ; 3° leur qualité. Sur
l’identité il y a trois questions à examiner : 1° Sera-ce le même corps
numériquement qui ressuscitera ? (Il est de foi, contrairement à l’hérésie d’Eutychius, patriarche de Constantinople, que l’âme
reprendra le même corps numériquement.) — 2° Sera-ce numériquement le même
homme ? (Cet article n’est qu’une conséquence de celui qui précède. La doctrine
que saint Thomas y soutient est aussi de foi.) — 3° Faut-il que les mêmes
poussières retournent dans les mêmes parties où elles avaient été auparavant ?
Article
1 : Dans la résurrection l’âme reprendra-t-elle le même corps numériquement ?
Objection
N°1. Il semble que l’âme ne reprenne pas numériquement le même corps dans la
résurrection. Ce n’est pas le corps qui
doit venir que vous semez, mais simplement le grain, dit saint Paul (1 Cor., 15, 37). Or, il compare en cet
endroit la mort à l’ensemencement et la résurrection à la germination. En
ressuscitant on ne reprend donc pas le même corps qu’on quitte en mourant.
Réponse
à l’objection N°1 : La ressemblance n’existe pas de tous points, mais sous un
rapport. Car dans l’ensemencent des terres le grain semé et le grain qui est
produit n’est pas numériquement la même, et il n’existe pas non plus de la même
manière, puisqu’il a été semé sans les feuilles avec lesquelles il se
développe. mais le corps ressuscité sera numériquement
le même, quoiqu’il existe d’une autre manière ; car il a été mortel et il ressuscitera
immortel.
Objection
N°2. La matière est adaptée à la forme selon sa condition, et il en est de même
de l’instrument par rapport à l’agent. Or, le corps est à l’âme ce que la
matière est à la forme, et ce que l’instrument est à l’agent. Par conséquent
puisque l’âme dans la résurrection n’est pas dans le même état que maintenant,
puisqu’elle est totalement transformée dans la vie céleste à laquelle elle
s’est attachée en vivant en ce monde ou qu’elle tombe dans la vie de la bête,
si elle a vécu comme elle ici-bas, il semble qu’elle ne reprendra pas le même
corps, mais qu’elle reprendra ou un corps céleste, ou un corps de bête.
Réponse
à l’objection N°2 : La différence qui existe entre l’âme de celui qui est
ressuscité et l’âme de celui qui vit dans ce monde ne repose pas sur quelque
chose d’essentiel, mais sur la gloire et la misère qui produisent une
différence accidentelle. Il n’est donc pas nécessaire que le corps ressuscité
soit autre numériquement, mais qu’il soit dans un autre état, pour que la
différence des corps réponde proportionnellement à la différence des âmes.
Objection
N°3. Le corps humain se dissout jusqu’aux éléments après la mort, comme nous
l’avons dit (art. préc.). Or, ces parties des
éléments dans lesquelles le corps humain a été dissous, ne s’accordent avec le
corps humain qui s’est dissous en elles que pour la matière première, et de
cette matière toutes les autres parties des éléments s’accordent avec lui.
Cependant si le corps était formé des autres parties des éléments on ne dirait
pas qu’il est le même numériquement. Il ne sera donc pas non plus le même
numériquement, s’il est réparé au moyen de ses parties.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce qu’on conçoit dans la matière avant la forme subsiste
dans la matière après la corruption ; parce qu’en écartant ce qui vient après,
ce qui est avant peut subsister encore. Or, il faut, comme le dit Averroës (Phys.,
liv. 1, comment. 63 et liv. De subst. orbis), que dans la matière des choses susceptibles
d’être engendrées et corrompues on conçoive avant la forme substantielle des
dimensions qui ne sont pas terminées, d’après lesquelles on considère la
division de la matière, comme étant susceptible des recevoir des formes
diverses dans ses différentes parties. Par conséquent après que la forme
substantielle est séparée de la matière, ces dimensions subsistent encore les
mêmes, et ainsi la matière qui existe sous ces dimensions, quelque forme
qu’elle reçoive, a plus de rapport avec ce qui a été engendré d’elle qu’une
autre partie de la matière existant sous une forme quelconque. C’est pourquoi
la même matière qui a été auparavant la matière du corps sera employée à le
reconstituer.
Objection
N°4. Il est impossible qu’une chose soit la même numériquement quand ses
parties essentielles sont numériquement autres. Or, la forme de l’être mixte,
qui est une partie essentielle du corps humain, ne peut être reprise
numériquement, comme sa forme. Le corps ne donc pas le même numériquement.
Voici la preuve de la mineure. On ne peut reprendre numériquement comme le
même, ce qui devient absolument un non-être : ce qui est évident parce qu’une
chose dont l’être est divers ne peut être numériquement la même, et
l’interruption de l’existence qui est un acte de l’être produit une diversité,
comme tout autre acte interrompu. Or, la forme du mélange devient absolument un
non-être par la mort, puisqu’elle est une forme corporelle, et il en est de
même des qualités contraires qui produisent le mélange. Donc la forme du
mélange ne revient pas numériquement la même.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme la qualité simple n’est pas la forme substantielle de
l’élément, mais son accident propre et la disposition par laquelle la matière
devient propre à telle ou telle forme ; de même la forme du mélange qui est une
qualité qui résulte des qualités simples annexées à un certain milieu, n’est
pas la forme substantielle du corps mixte, mais elle en est l’accident propre
et la disposition par laquelle la matière devient nécessaire à la forme. Mais
le corps humain n’a pas indépendamment de cette forme du mélange une autre
forme substantielle que l’âme raisonnable ; parce que s’il avait une autre
forme substantielle antérieure, elle lui donnerait l’être substantiel, et il
serait ainsi constitué par elle dans le genre de la substance. L’âme arriverait
donc dans le corps après qu’il serait déjà constitué dans le genre de la
substance, et par conséquent elle serait au corps ce que les formes
artificielles sont à leurs matières, relativement à ce qu’elles sont
constituées dans le genre de la substance par leur matière. Ainsi l’union de
l’âme avec le corps serait accidentelle ; ce qui est l’erreur des anciens
philosophes qu’Aristote réfute (De an., liv. liv. 2,
text. 4 et suiv et liv. 1, text. 52). Il s’ensuivrait aussi que le corps humain et
chacune de ses parties ne conserveraient pas d’une manière équivoque leurs
premiers noms, ce qui est contraire à ce qui est dit (De an.,
liv. 2, text. 9).Ainsi puisque l’âme raisonnable
subsiste, aucune forme substantielle du corps humain n’est absolument anéantie.
Et comme le changement des formes accidentelles ne produit pas de diversité
numériquement, il s’ensuit que le corps ressuscitera le même numériquement,
puisque c’est la même matière qui est reprise numériquement, comme nous l’avons
dit (Réponse N°3).
Mais
il y a de contraire ce qui est dit (Job, 19, 6) : Je verrai Dieu mon Sauveur dans la chair. Il s’agit là de la vision
après la résurrection ce qui est évident d’après ces paroles qui précèdent : Au dernier jour je dois ressusciter de terre.
Le corps ressuscitera donc le même numériquement.
Comme
le dit saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 4, chap.
ult.), la résurrection consiste en ce que ce qui est tombé se relève de
nouveau. Or, le corps que nous avons maintenant est tombé par la mort. Donc il
ressuscitera le même numériquement.
Conclusion
Puisqu’on ne peut dire qu’il y a résurrection qu’autant que l’âme retourne dans
le même corps, dans la résurrection l’âme reprendra le même corps
numériquement.
Il
faut répondre que les philosophes se sont trompés sur cette question, et qu’il
y a des hérétiques modernes qui errent également. En effet il y a des
philosophes qui ont supposé que les âmes séparées du corps étaient de nouveau
unies à des corps ; mais ils se trompaient à cet égard sur deux points : 1° Sur
le mode de l’union. Parce qu’ils croyaient que l’âme séparée était de nouveau
unie au corps naturellement par voie de génération. 2° Quant au corps auquel
elle était unie. Car ils pensaient que cette seconde union ne se rapportait pas
au même corps numériquement que la mort lui avait fait quitter, mais à un autre
qui était tantôt de la même espèce et tantôt d’une espèce différente (Cette
erreur est celle de la métempsycose qui fut particulièrement soutenue par
Pythagore et son école.). Elle était unie à un corps d’une espèce différente,
quand elle avait vécu d’une manière déréglée lorsqu’elle était dans le corps.
Ainsi après la mort elle passait du corps d’un homme dans celui d’un autre
animal dont elle avait imité les mœurs pendant sa vie : par exemple elle
passait dans le corps d’un chien par suite de la luxure, dans le corps d’un
lion pour la rapine et la violence, et ainsi des autres. Elle passait dans un
corps de même espèce quand, après avoir bien vécu dans le premier corps, elle avait
joui après la mort d’une certaine félicité, et qu’elle commençait après
quelques siècles à vouloir retourner dans un corps ; alors elle s’unissait de
nouveau à un corps humain. Mais cette opinion est venue de deux erreurs
radicales. La première c’est qu’ils disaient que l’âme n’est pas unie au corps
essentiellement, comme la forme à la matière, mais seulement accidentellement,
comme le moteur au mobile, ou comme le corps au vêtement. C’est pourquoi ils pouvaient
supposer que l’âme préexistait avant qu’elle ne fût unie au corps engendré dans
la génération naturelle, et qu’elle pouvait être infuse dans divers corps. La
seconde, c’est qu’ils supposaient que l’intellect ne diffère des sens
qu’accidentellement, de telle sorte qu’ils disaient que l’homme a plus
d’intelligence que les autres animaux, parce qu’en raison de l’excellence de sa
complexion corporelle la puissance sensitive a en lui plus de vigueur. Ainsi
ils pouvaient croire que l’âme de l’homme passe dans le corps d’une brute,
surtout du moment que l’âme humaine était descendue aux affections de la brute.
Mais ces deux erreurs radicales sont détruites par Aristote (De an., liv. 2, text.
4 et suiv. et text. 150 et suiv.), et du moment
qu’elles sont réfutées, on voit la fausseté de cette hypothèse. — On détruit de
la même manière les erreurs de certains hérétiques, parmi lesquels il y en a
qui sont tombés dans les opinions des philosophes que nous venons de réfuter.
D’autres ont rpétendu que les âmes étaient de nouveau
unies aux corps célestes, ou à nos corps à la manière d’un vent subtil, comme
saint Grégoire le rapporte d’un évêque de Constantinople (Le patriarche Eutychius.) (Mor., liv. 14,
chap. 29) en expliquant ce passage de Job (19, 26) : Dans ma chair je verrai mon Dieu, etc. En outre ces erreurs des
hérétiques peuvent être renversées en ce qu’elles sont contraires à la vérité
de la résurrection que l’Ecriture proclame. Car on ne peut dire qu’il y a
résurrection qu’autant que l’âme retourne dans le même corps ; parce que le mot
résurrection signifie se lever de nouveau. Or, c’est au même qu’il appartient
de se lever et de tomber. Par conséquent la résurrection se rapporte plus au
corps qui tombe après la mort qu’à l’âme qui vit néanmoins. Et si le corps que
l’âme reprend n’est pas le même, on ne dira pas qu’il y a résurrection, mais on
dire plutôt qu’elle prend un nouveau corps.
Article
2 : L’homme ressuscitera-t-il le même numériquement ?
Objection
N°1. Il semble que ce ne soit pas le même homme numériquement qui ressuscitera.
Car, comme le dit Aristote (De generat., liv. 2 in fin.), toutes les
choses qui ont une substance corruptible qui est mue ne se reproduisent pas les
mêmes numériquement. Or, telle est la substance de l’homme dans l’état présent.
Après le changement opéré par le mort, il ne peut donc pas reparaître le même
numériquement.
Réponse
à l’objection N°1 : Aristote parle de la réitération qui est produite par un
mouvement ou un changement naturel. Car il montre la différence qu’il y a entre
le mouvement circulaire qui existe dans la génération et la corruption, et
celui qui existe dans le mouvement du ciel ; parce que le ciel, par le
mouvement local, revient numériquement le même au commencement du mouvement, en
raison de ce qu’il a une substance incorruptible qui est mue ; au lieu que les
choses qui sont susceptibles d’être engendrées et corrompues reviennent par la
génération au même spécifiquement, mais non au même numériquement. Ainsi de
l’homme s’engendre le sang, du sang le sperme, et ainsi de suite jusqu’à ce
qu’on arrive à un homme qui est le même non numériquement, mais quant à
l’espèce. De même du feu s’engendre l’air, de l’air l’eau, de l’eau la terre,
et de la terre un feu qui n’est pas le même numériquement, mais spécifiquement.
D’où il est évident que la raison tirée de l’opinion d’Aristote ne revient pas
à la question. — Ou bien il faut répondre que la forme des autres choses qui
doivent être engendrées et corrompues n’est pas subsistante par elle-même, de
manière qu’elle puisse subsister après que le composé est détruit, comme il en
est de l’âme raisonnable qui conserve, même après sa séparation du corps,
l’être qu’elle a acquis dans le corps. Le corps est aussi amené par la
résurrection à participer à cet être, puisque l’être du corps n’est pas une
chose et l’être de l’âme dans le corps une autre ; autrement l’union de l’âme
et du corps serait accidentelle. Il ne s’est donc fait dans l’être substantiel
de l’homme aucune interruption de manière que le même home numériquement soit
dans l’impossibilité de reparaître par suite de cette interruption d’existence,
comme il arrive dans les autres choses corrompues, dont l’être est absolument
interrompu, puisque la forme ne subsiste plus et la matière demeure sous un
autre être. Toutefois l’homme n’est pas reproduit numériquement le même par la
génération naturelle, parce que le corps de l’homme engendré n’est pas fait
avec toute la matière de celui qui l’engendre. Ainsi le corps est numériquement
divers, et par conséquent l’âme aussi et l’homme tout entier.
Objection
N°2. Où il y a une humanité différente, il n’y a pas le même homme
numériquement. Ainsi Socrate et Platon sont deux hommes, et ne sont pas un seul
homme parce que l’humanité de l’un et de l’autre est différente. Or, l’humanité
de celui qui est ressuscité est autre que celle qu’il a maintenant. Ce n’est
donc pas le même homme numériquement. On peut prouver la mineure de deux
manières : 1° Parce que l’humanité, qui est la forme du tout, n’est pas la
forme et la substance comme l’âme, mais elle n’est que la forme ; et ces formes
sont absolument anéanties et ne peuvent par conséquent pas être reproduites. 2°
Parce que l’humanité résulte de l’union des parties. Or, l’union qui a existé
auparavant ne peut être reproduite numériquement la même ; parce que la
réitération est opposée à l’identité. Car la réitération implique le nombre, et
l’identité l’unité qui ne sont pas des choses
compatibles entre elles. Comme dans la résurrection l’union se réitère, il
s’ensuit qu’elle n’est pas la même, et que par conséquent, il n’y a ni la même
humanité, ni le même homme.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y a deux sortes d’opinion sur l’humanité, et sur la
forme d’un tout quelle qu’elle soit. Car il y en a qui disent que la forme du
tout et la forme de la partie est en réalité une même chose, et qu’on l’appelle
la forme de la partie selon qu’elle perfectionne la matière, et la forme du
tout selon qu’il résulte d’elle toute la nature de l’espèce. D’après cette
opinion l’humanité n’est pas en réalité autre chose que l’âme raisonnable, et
par conséquent puisque c’est la même âme raisonnable numérique qui est reprise,
l’humanité sera numériquement la même. Elle subsiste aussi après la mort,
quoiqu’elle ne subsiste pas sous sa raison d’humanité, parce que le composé ne
tire pas de l’âme séparée la nature de son espèce. L’autre opinion est celle
d’Avicenne qui paraît plus vraie, c’est que la forme du tout n’est pas la forme
de la partie seulement, ni une autre forme que la forme de la partie, mais
qu’elle est un tout qui résulte de la composition de la forme et de la matière,
qui comprend en soi l’une et l’autre. C’est cette forme qu’on appelle l’essence
ou la quiddité du tout. Comme dans la résurrection, le corps sera le même
numériquement et l’âme raisonnable aussi, l’humanité sera nécessairement la
même. — La première raison qui démontrait que l’humanité serait diverse
supposait que l’humanité était une forme qui survient à la forme et à la
matière, ce qui est faux. — La seconde raison ne peut pas empêcher l’identité
de l’humanité ; parce que l’union signifie l’action ou la passion qui,
quoiqu’elle soit diverse, ne peut empêcher l’identité de l’humanité. En effet
l’action et la passion d’où résultait l’humanité ne sont
pas de son essence ; par conséquent leur diversité ne produit pas la diversité
de l’humanité. Car il est constant que la génération et la résurrection ne sont
pas le même mouvement numériquement. Cependant cela n’empêche pas que celui qui
ressuscite ne soit identique avec celui qui a été engendré. De même l’identité
de l’humanité n’est pas non plus empêchée si on prend l’union pour la relation
elle-même : parce que cette relation n’est pas de l’essence de l’humanité, mais
elle l’accompagne, en raison de ce que l’humanité n’est pas une de ces formes
qui consistent dans la composition et l’ordre, selon l’expression d’Aristote (Phys., liv. 2, text.
13), comme les formes des choses artificielles. C’est ainsi que la composition
étant autre numériquement, la forme d’une maison n’est pas numériquement la
même.
Objection
N°3. Dans le même homme l’animalité n’est pas multiple. Par conséquent, si ce
n’est pas le même animal, ce n’est pas le même homme numériquement. Or, dès que
les sens ne sont pas les mêmes, l’animal n’est plus le même, parce qu’on
définit l’animal par le sens premier, c’est-à-dire par le tact, comme on le
voit (De an., liv. 2, text.
16 et 17). Or, puisque les sens ne subsistent pas dans l’âme séparée, comme le
disent quelques-uns, on ne peut reprendre les mêmes numériquement. Donc dans la
résurrection l’homme ressuscité ne sera pas numériquement le même animal, et
par conséquent il ne sera pas le même homme.
Réponse
à l’objection N°3 : Cette raison conclut très bien contre ceux qui prétendaient
que l’âme sensible et l’âme raisonnable étaient dans l’homme des âmes diverses
; parce que d’après ce sentiment l’âme sensitive ne serait pas incorruptible
dans l’homme, comme elle ne l’est pas non plus dans les autres animaux. Ainsi
dans la résurrection l’âme sensible ne serait pas la même, et par conséquent ce
ne serait ni le même animal, ni le même homme. Mais si nous admettons que dans
l’homme c’est substantiellement la même âme qui est raisonnable et sensible,
nous n’éprouverons à cet égard aucune difficulté ; parce qu’on définit l’animal
par la sensibilité qui est l’âme sensitive, comme par sa forme essentielle ; et
par les sens qui sont les puissances sensitives on connaît sa définition, comme
par la forme accidentelle qui contribue le plus à la connaissance de l’essence,
selon l’expression d’Aristote (De an., liv. 1, text. 11). Après la mort l’âme sensible subsiste donc
substantiellement aussi bien que l’âme raisonnable ; mais d’après certains
auteurs les puissances sensitives ne subsistent plus. Toutefois ces puissances
étant des propriétés accidentelles, elles ne peuvent par leur variation
détruire l’identité de l’animal pris dans son ensemble, ni l’identité de ses
parties, et ces puissances ne sont appelées les perfections ou les actes des
organes, que comme principes d’action, telle que la chaleur dans le feu.
Objection
N°4. La matière de la statue est plus principale dans la statue que la matière
de l’homme dans l’homme ; parce que les choses artificielles sont dans le genre
de la substance en raison de la matière, tandis que les choses naturelles y
sont d’après la forme, comme on le voit dans Aristote (Phys., liv. 2, text. 8 et suiv.), et dans
Averroës (De an., chap. 2,
comment. 8). Or, si on refait une statue avec le même airain, elle ne sera pas
la même numériquement. L’homme sera donc encore beaucoup moins le même si on le
reconstitue avec la même poussière.
Réponse
à l’objection N°4 : L’état peut être considéré de deux manières, ou selon qu’il
est une substance ou selon qu’il est une chose artificielle. Et parce qu’on le
met dans le genre de la substance en raison de sa matière, il ensuit que si on
le considère selon qu’il est une substance, la statue qu’on refait de la même
matière est numériquement la même. Mais on le met dans le genre des choses
artificielles, selon qu’il est une forme accidentelle qui passe, une fois que la
statue est détruite. Dans ce cas il ne revient pas le même numériquement, et la
statue ne peut être numériquement la même. Mais la forme de l’homme où l’âme
subsiste après la dissolution du corps. C’est pour cela qu’il n’y a pas de
parité.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Job, 19, 27) : C’est moi qui dois le voir et non un autre, en parlant de la vision
de Dieu après la résurrection. L’homme ressuscitera donc le même numériquement.
Saint
Augustin dit (De Trin., liv. 8, chap.
5 in fin.) que ressusciter n’est rien autre chose que revivre. Or, si l’homme
qui revient à la vie n’était pas numériquement le même que celui qui est mort
on ne dirait pas qu’il revit. On ne ressusciterait donc pas ; ce qui est
contraire à la foi.
Conclusion
C’est une hérésie de dire que l’homme qui ressuscitera n’est pas le même que
celui qui est mort ; car l’homme aurait été créé en vain, s’il ne pouvait
parvenir à la fin pour laquelle il a été créé.
Il
faut répondre que la nécessité d’admettre la résurrection résulte de ce que
l’homme doit arriver à la fin dernière pour laquelle il a été créé ; ce qui ne
peut avoir lieu en ce monde, ni dans la vie de l’âme séparée comme nous l’avons
dit (quest. 75, art. 1 et 2) ; autrement l’homme aurait été créé en vain, s’il ne
pouvait parvenir à la fin pour laquelle il a été créé. Et parce qu’il faut que
ce soit la chose qui a été faite pour une fin qui y arrive, pour qu’elle ne
semble pas avoir été faite en vain, il s’ensuit qu’il est nécessaire que ce
soit le même homme numériquement qui ressuscite ; et c’est ce qui a lieu, quand
la même âme numériquement qui est unie au même corps numériquement. Car
autrement la résurrection proprement dit n’aurait pas
lieu, si le même homme n’était pas reconstitué. C’est donc une hérésie et une
chose qui déroge à la vérité de l’Ecriture qui annonce la résurrection, que de
supposer que ce n’est pas le même homme numériquement qui ressuscitera.
Article
3 : La résurrection doit-elle faire revenir les cendres du corps humain dans la
partie qui les a produites ?
Objection
N°1. Il semble que la résurrection doive ramener les cendres du corps humain
dans la partie du corps qui les a produites. Car d’après Aristote (De an., liv. 2, text.
9) l’âme entière est au corps tout entier ce qu’une partie de l’âme est à une
partie du corps, comme la vue par rapport à la prunelle. Or, il faut qu’après
la résurrection le corps soit repris par la même âme.
Il faut donc aussi que les parties du corps soient également reprises pour les
mêmes membres dans lesquels elles étaient animées ou perfectionnées par les
mêmes puissances de l’âme.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection s’appuie sur les parties organiques ou
hétérogènes, et non sur les parties homogènes ou semblables.
Objection
N°2. La diversité de la matière produit la diversité numérique. Or, si les
cendres ne reviennent pas dans les mêmes parties, chaque partie ne sera pas
refaite avec la même matière dont elle était composée auparavant. Elles ne
seront donc pas les mêmes numériquement. Mais si les parties sont diverses, le
tout le sera aussi, parce que les parties sont au tout ce que la matière est à
la forme, comme on le voit (Phys.,
liv. 2, text. 31). L’homme ne sera donc pas le même
numériquement, ce qui est contraire à la vérité de la résurrection.
Réponse
à l’objection N°2 : La situation différente des parties de la matière ne
produit pas une diversité numérique, quoique la diversité de la matière la
produise.
Objection
N°3. La résurrection a lieu pour que l’homme reçoive la récompense de ses
œuvres. Or, les différentes parties du corps servent à différentes œuvres
méritoires ou déméritoires. Il faut donc que dans la résurrection toute partie
revienne à son état pour être récompensée selon sa manière.
Réponse
à l’objection N°3 : L’opération, à proprement parler, n’appartient pas à la
partie, mais au tout. Ce n’est donc pas à la partie, mais au tout que la
récompense est due.
Mais
au contraire. Les choses artificielles dépendent plus de leur matière que les
choses naturelles. Or, dans les choses artificielles pour que le même objet
d’art soit réparé avec la même matière, il j’est pas
nécessaire que les parties soient ramenées à la même situation. Il n’est donc
pas nécessaire non plus que cela ait lieu dans l’homme.
Une
variation accidentelle ne produit pas une diversité numérique. Or, la situation
des parties est un accident. Donc sa diversité dans l’homme ne produit pas une
diversité numérique.
Conclusion
Quoique la transposition de la matière d’une partie en une autre partie de la
même espèce ne détruise pas l’identité du tout, cependant on croit avec
vraisemblance que dans la résurrection du corps humain, les parties,
principalement les parties essentielles et organiques, occuperont la même
position que dans sa dissolution.
Il
faut répondre que dans cette question il est différent d’examiner ce qui peut
arriver sans préjudicier à l’identité du sujet et ce qui arrivera pour que les
choses se passent convenablement. Sous le premier
rapport il faut savoir que dans l’homme la diversité des parties peut se
considérer de deux manières : il y a les différentes parties d’un tout
homogène, comme les différentes parties d’un tout homogène, comme les
différentes parties de la chair, ou les différentes parties des os ; et il y a
les parties diverses qui appartiennent aux diverses espèces d’un tout
hétérogène, comme les os et la chair. Si on dit donc qu’une partie de matière
se trouvera se trouvera dans une autre partie de même espèce, cela ne produira
de changement que dans la situation des parties. Mais le changement dans la
situation des parties ne change pas l’espèce dans les touts homogènes. Par
conséquent si la matière d’une matière se trouve ainsi dans une autre partie,
l’identité du tout n’aura pas à en souffrir. C’est aussi ce qui a lieu dans
l’exemple cité par le Maître des sentences (Sent.
4, dist. 44), parce que la statue n’est pas reproduite la même numériquement
selon la forme, mais selon la matière d’après laquelle elle est une substance.
La statue est ainsi homogène, quoiqu’elle ne le soit pas selon la forme
artificielle. Mais si l’on dit que la matière d’une partie remplace une autre
partie d’une autre espèce, alors non seulement la situation des parties change
nécessairement, mais encore leur identité ; si toutefois la matière entière, ou
quelque chose qui appartenait à la vérité de la nature humaine dans l’une était
transférée dans l’autre. Il n’en serait pas de même si ce qui était superflu
dans une partie était transféré dans une autre. Or, l’identité des parties
étant détruite, l’identité du tout l’est aussi, si nous parlons des parties
essentielles ; mais il n’en est pas de même si nous parlons des parties
accidentelles, comme les cheveux, et les ongles dont saint Augustin paraît parler (De civ.
Dei, liv. 19, chap. 19). Ainsi on voit évidemment comment la transposition
d’une partie de la matière dans une autre partie détruit l’identité du tout, et
comment elle ne la détruit pas. Mais s’il s’agit de la convenance, il est plus
probable que la situation des parties sera la même dans la résurrection, surtout
pour les parties essentielles et organiques, quoique peut-être il n’en soit pas
de même pour les parties accidentelles, comme les ongles et les cheveux.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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