Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 80 : De l’intégrité des corps ressuscités
Nous
devons ensuite nous occuper de l’intégrité des corps ressuscités. A cet égard,
cinq questions se présentent : 1° Tous les membres du corps ressusciteront-ils
avec lui ? — 2° Les cheveux et les ongles ? — 3° Les humeurs ? — 4° Tout ce
qu’il y a en lui appartenant à la vérité de la nature humaine ? (Ce qui
appartient à la vérité de la nature d’une chose, c’est ce qui appartient à sa
constitution. C’est la définition que saint Thomas donne lui-même de cette
expression.) — 5° Tout ce qui a existé en lui matériellement subsistera-t-il ?
Article
1 : Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?
Objection
N°1. Il semble que tous les membres du corps humain ne ressusciteront pas. Car
la fin n’existant plus, il est inutile de rétablir le moyen. Or, la fin d’un
membre quelconque c’est son acte. Par conséquent puisqu’il ne se fait rien
d’inutile dans les œuvres de Dieu, et que l’homme ne devra plus faire usage de
certains membres après la résurrection, surtout des organes générateurs, parce
qu’il est dit que les hommes n’auront
point de femmes, ni les femmes de maris (Matth.,
22, 30), il semble que tous les membres ne ressusciteront pas.
Réponse
à l’objection N°1 : On peut considérer les membres par rapport à l’âme de deux
manières, ou selon le rapport de la matière avec la forme ou selon le rapport
de l’instrument avec l’agent. Car le rapport du corps entier avec l’âme entière
est le même que le rapport des parties du corps avec les parties de l’âme,
comme le dit Aristote(De an., liv. 2, text. 9). Si donc on
considère les membres sous le premier rapport, leur fin n’est pas l’opération ;
mais c’est plutôt l’être parfait de l’espèce qui sera aussi requis après la
résurrection. Si on les considère sous le second, alors ils ont pour fin
l’opération. Cependant il ne s’ensuit pas que quand l’opération manque
l’instrument soit inutile, parce que l’instrument ne sert pas seulement à
exécuter l’opération de l’agent, mais encore à montrer sa vertu. il faudra donc que la vertu des puissances de l’âme se
montre dans les instruments du corps, quoique jamais elle n’en fasse usage,
pour faire ressortir la sagesse de Dieu.
Objection
N°2. Les intestins sont des membres. Or, ils ne ressusciteront pas. Car ils ne
peuvent ressusciter pleins sains contenir des immondices, et ils ne peuvent
ressusciter vides, parce qu’il n’y a rien de vide dans la nature. Donc tous les
membres ne ressusciteront pas.
Réponse
à l’objection N°2 : Les intestins ressusciteront dans le corps, comme les
autres membres, et ils seront remplis non de superfluités immondes, mais
d’humeurs nobles.
Objection
N°3. Le corps ressuscitera pour être récompensé des œuvres que l’âme a faites
par son intermédiaire. Or, le membre qu’on a coupé pour vol à un voleur qui
fait ensuite pénitence et qui est sauvé, ne peut pas être récompensé dans la
résurrection ni pour le bien, parce qu’il n’y a pas coopéré, ni pour le mal,
parce que la peine du membre rejaillirait sur l’homme. Tous les membres ne
ressusciteront donc pas avec l’homme.
Réponse
à l’objection N°3 : Les actes par lesquels nous méritons n’appartiennent pas , à proprement parler, à la main ou au pied, mais à
l’homme entier ; comme l’opération de l’art n’est pas attribuée à l’instrument,
mais à l’artisan. Ainsi quoique le membre qui a été mutilé avant la pénitence,
n’ait pas coopéré avec l’homme dans cet état où il a mérité la gloire,
cependant l’homme qui sert Dieu avec tout ce qu’il possède mérite d’être
récompensé tout entier.
Mais
au contraire. Les autres membres appartiennent plus à la vérité de la nature
humaine que les cheveux et les ongles. Or, ces choses seront rendues à l’homme
dans la résurrection, comme le dit le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 44) ; à plus forte raison
les autres membres.
Les œuvres de Dieu sont parfaites (Deut., 32, 4). Or, la résurrection sera
produite par l’opération de Dieu. Donc l’homme sera parfaitement rétabli dans
tous ses membres.
Conclusion
Puisqu’il faut que dans la résurrection le corps réponde à l’âme de tout point,
il faut aussi que tous les membres du corps humain ressuscitent dans la
résurrection.
Il
faut répondre que, comme le dit Aristote (De
an., liv. 2, art. 36 et 37), l’âme se rapporte au corps non seulement à
titre de forme et de fin, mais encore à titre de cause efficiente. Car on
compare l’âme au corps, comme l’art à l’objet qu’il produit, selon la pensée du
Philosophe (liv. 7 mag. Moral., chap. 11, circ. princ.). Et comme
tout ce qui se manifeste explicitement dans un objet d’art, est contenu tout
entier implicitement et originellement dans l’art lui-même ; de même tout ce
qui apparaît dans les parties du corps , est contenu tout entier originellement
et implicitement d’une certaine manière dans l’âme. Par conséquent comme
l’œuvre de l’art ne serait pas parfaite, s’il manquait à l’objet qu’elle
produit une des choses que l’art renferme ; de même l’homme ne pourrait pas
être parfait, si tout ce qui est contenu implicitement dans l’âme n’était pas
développé extérieurement dans le corps ; et le corps ne répondrait pas à l’âme
d’une manière absolument proportionnelle. Ainsi donc puisqu’il faut que dans la
résurrection le corps de l’homme corresponde totalement à l’âme, parce qu’il ne
ressuscitera que selon le rapport qu’il a avec l’âme raisonnable, il faut aussi
que l’homme ressuscite parfait, puisqu’il n’est ressuscité que pour arriver à
sa perfection dernière. Il faut donc que tous les membres qui existent
maintenant dans le corps de l’homme soient reconstitués dans la résurrection.
Article
2 : Les cheveux et les ongles ressusciteront-ils dans le corps humain ?
Objection
N°1. Il semble que les cheveux et les ongles ne ressusciteront pas dans le
corps humain. Car comme les cheveux et les ongles sont produits par le superflu
de la nourriture, il en est de même de l’urine, de la sueur et des autres
superfluités ou excréments. Or, ces choses ne ressusciteront pas avec le corps.
Donc ni les cheveux, ni les ongles.
Réponse
à l’objection N°1 : Ces superfluités sont repoussées par la nature, comme
n’étant utiles à rien ; par conséquent elles n’appartiennent pas à la
perfection du corps humain. Mais il en est autrement de ces superfluités que la
nature conserve pour produire les cheveux et les ongles dont elle a besoin pour
conserver les membres.
Objection
N°2. Parmi les autres superfluités qui résultent de la nourriture, le sperme
qui est un superflu dont on a besoin s’approche le plus de la vérité de la
nature humaine. Or, le sperme ne ressuscitera pas dans le corps de l’homme.
Donc les cheveux et les ongles ressusciteront beaucoup moins.
Réponse
à l’objection N°2 : Le sperme n’est pas nécessaire pour la perfection de
l’individu, comme les cheveux et les ongles, mais il l’est seulement pour la perfection
de l’espèce.
Objection
N°3. Rien n’est vivifié par l’âme raisonnable qu’il ne le soit par l’âme
sensible. Or, les cheveux et les ongles ne sont pas vivifiés par l’âme
sensible, puisque nous ne sentons pas par eux, comme le remarque Aristote (De an., liv. 3, text.
66). Par conséquent, puisque le corps humain ne ressuscite que parce qu’il a
été vivifié par l’âme raisonnable, il semble que les cheveux et les ongles ne
ressusciteront pas.
Réponse
à l’objection N°3 : Les cheveux et les ongles se nourrissent et grandissent et
il est ainsi évident qu’ils participent à une certaine opération ; ce qui ne
pourrait être si ces parties n’étaient d’une certaine manière vivifiées par
l’âme. Et parce que dans l’homme il n’y a qu’une âme, l’âme raisonnable, il est
constant qu’elles sont vivifiées par cette âme, quoiqu’elles ne soient pas au
point de participer à l’opération des sens, comme les os ne le sont pas non
plus, et il est cependant certain qu’ils ressusciteront et qu’ils appartiennent
à l’intégrité de l’individu.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Luc, 21, 18) : Il ne périra pas un cheveu de votre tête.
Les
cheveux et les ongles ont été donnés à l’homme pour l’orner. Or, les corps des
hommes, surtout des élus, doivent ressusciter avec tous leurs ornements. Ils
doivent donc ressusciter avec leurs cheveux.
Conclusion
Puisque l’homme doit ressusciter dans toute la perfection de sa nature, il
faudra qu’il ressuscite avec ses cheveux et ses ongles, car quoiqu’ils
n’appartiennent pas à la perfection première du corps humain, ils appartiennent
cependant à la seconde, étant destinés à protéger les autres parties.
Il
faut répondre que l’âme est au corps animé ce que l’art est à l’objet qu’il
produit, et elle est à ses parties ce que l’art est à ses instruments. C’est
pour cela que le corps animé est appelé organique. Or, l’art se sert de
certains instruments pour exécuter l’œuvre qu’il se propose, et ces instruments
appartiennent à l’intention première de l’art. Il en emploie aussi d’autres
pour la conservation des instruments principaux, et ceux-là appartiennent à son
intention secondaire. C’est ainsi que l’art militaire se sert de l’épée pour
combattre et du fourreau pour conserver l’épée. De même parmi les parties du
corps animé il y en a qui ont pour but d’exécuter les opérations de l’âme,
comme le cœur, le foie, la main et le pied ; et il y en a qui ont pour but de
conserver les autres parties, comme les feuilles servent à couvrir les fruits.
Les cheveux et les ongles servent ainsi dans l’homme à protéger les autres
parties ; par conséquent ils appartiennent à la perfection seconde du corps
humain, quoiqu’ils n’appartiennent pas à sa perfection première. Et parce que
l’homme ressuscitera dans toute la perfection de sa nature, il faut pour ce
motif que les cheveux et les ongles ressuscitent en lui.
Article
3 : Les humeurs ressusciteront-elles dans le corps ?
Objection
N°1. Il semble que les humeurs ne ressusciteront pas dans le corps. Car il est
dit (1 Cor., 15, 50) : La chair et le sang ne peuvent posséder le
royaume de Dieu. Or, le sang est principalement une humeur. Il ne
ressuscitera donc pas dans les bienheureux qui posséderont le royaume de Dieu
et beaucoup moins encore dans les autres.
Réponse
à l’objection N°1 : Dans ce passage de l’Apôtre la chair et le sang ne se
prennent pas pour la substance de la chair et du sang mais pour les œuvres de
la chair et du sang qui sont les œuvres du péché ou les œuvres de la vie
animale. — Ou bien d’après saint Augustin (Epist. 205 ad Consentium) la chair et le sang
se prennent en cet endroit pour la corruption qui domine maintenant dans la
chair et le sang ; et c’est pour cela que l’Apôtre ajoute : Que la corruption ne possèdera point ce qui
est incorruptible.
Objection
N°2. Les humeurs servent à réparer ce qui se perd. Or, après la résurrection il
n’y aura plus de déperdition. Donc le corps ne ressuscitera pas avec les
humeurs.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme les membres qui servent à la génération existeront
après la résurrection pour l’intégrité de la nature humaine, mais non pour
opérer les actes qu’ils accomplissent maintenant ; de même les humeurs
existeront aussi dans le corps non pour faire équilibre à la déperdition mais
pour rétablir la nature humaine dans son intégrité et pour montrer sa vertu.
Objection
N°3. Ce qui est en voie de génération dans le corps humain n’est pas encore
vivifié par l’âme raisonnable. Or, les humeurs sont encore en voie de
génération, parce qu’elles sont la chair et les os en puissance. Elles ne sont
donc pas encore vivifiées par l’âme raisonnable. Et comme le corps humain ne se
rapporte à la résurrection que selon qu’il est vivifié par une âme raisonnable,
les humeurs ne ressusciteront donc pas en lui.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme les éléments sont en voie de génération par rapport
aux corps mixtes, parce qu’ils sont leur matière, sans être toujours en voie de
transformation dans le corps mixte, de même les humeurs se rapportent aux
membres. C’est pour cela que comme les éléments ont dans les parties de
l’univers des formes déterminées, en raison desquelles elles appartiennent à la
perfection de l’univers comme les corps mixtes ; de même les humeurs
appartiennent aussi à la perfection du corps humain, comme les autres parties,
quoiqu’elles ne parviennent pas comme elles à la perfection totale, de la même
façon que les éléments n’ont pas non plus des formes parfaites, comme les corps
mixtes. Et comme toutes les parties de l’univers ne reçoivent pas de Dieu une
perfection égale, mais que chacune d’elles est perfectionnée selon sa manière
d’être ; de même aussi les humeurs sont perfectionnées d’une certaine manière
par l’âme raisonnable, quoiqu’elles ne le soient pas de la même manière que les
parties les plus parfaites.
Mais
c’est le contraire. Ce qui appartient à la constitution du corps humain
ressuscitera avec lui. Or, telles sont les humeurs, comme on le voit par saint
Augustin dit (alius auct.
liv. De spiritu
et an., chap. 20 ant. med.) : le corps consiste
dans les membres fonctionnels, les membres fonctionnels des parties homogènes
et les parties homogènes des humeurs. Donc les hommes ressusciteront dans le
corps.
Notre
résurrection sera conforme à la résurrection du Christ. Or, le sang est
ressuscité dans le Christ ; autrement le vin ne serait pas maintenant changé en
son sang au sacrement de l’autel. Le sang ressuscitera donc en nous et pour la
même raison les autres humeurs.
Conclusion
Puisque les humeurs dans le corps humain appartiennent à la perfection de la
nature humaine, il est nécessaire qu’elles ressuscitent simultanément avec le
corps.
Il
faut répondre que tout ce qui appartient à l’intégrité de la nature humaine
dans celui qui est ressuscité ressuscitera tout entier pour la raison que nous
avons donnée (art. 1 et 2). Par conséquent il faut que l’humidité du corps qui
appartient à l’intégrité de la nature humaine ressuscite. Or il y a dans
l’homme trois sortes d’humidités. Il y en a une qui s’éloigne de la perfection
de l’individu, soit parce qu’elle est en voie de corruption et qu’elle est
repoussée par la nature, comme l’urine, la sueur, etc., soit parce qu’elle est
destinée par la nature à la conservation de l’espèce dans un autre individu par
l’acte de la génération comme le sperme, ou par l’acte de la nutrition, comme
le lait. Aucune de ces humeurs ressuscitera, parce qu’elles n’appartiennent pas
à la perfection de l’individu ressuscité. — La seconde est celle qui n’est pas
encore arrivée à la perfection dernière que la nature opère dans l’individu,
mais qui y est destinée par elle. Il y en a de deux sortes. Car il y en a une
qui a une forme déterminée qui est contenue dans les parties du corps, comme le
sang et les trois autres humeurs (Les trois humeurs, la bile noire, la bile
jaune et le phlegme ; bilis atra et flava et phlegma.) que la
nature dispose pour les membres qu’elles engendrent ou qu’elles animent. Ces
humeurs ont des formes déterminées, comme les autres parties du corps, et c’est
pour cela qu’elles ressusciteront avec elles. Mais il y a une humidité qui est
en voie de passer d’une forme à une autre, c’est-à-dire de la forme d’humeur à
la forme de membre. Cette humidité ne ressuscitera pas, parce qu’après la
résurrection chacune des parties du corps sera établie dans sa forme, de
manière que l’une ne passe dans l’autre. C’est pourquoi cette humidité qui est
en voie de passer d’une forme dans une autre ne ressuscitera pas. Mais on peut
la considérer dans un double état : selon qu’elle est au commencement de sa
transformation, et alors on lui donne le nom de ros, c’est l’humidité qui se trouve dans les orifices des petites
veines, ou selon que la transformation s’avance et qu’elle commence à
s’altérer, et alors on lui donne le nom de cambium.
Elle ne ressuscitera ni dans l’un ni dans l’autre état. — Le troisième genre
d’humidité est celle qui est déjà parvenue à la perfection dernière que la
nature se propose dans le corps de l’individu et qui est déjà formée et
incorporée dans les membres, c’est ce qu’on appelle gluten. Et puisqu’elle est de la substance des membres, elle
ressuscitera comme les membres aussi.
Article
4 : Tout ce qui a appartenu dans le corps à la vérité de la nature humaine
ressuscitera-t-il avec lui ?
Objection
N°1. Il semble que tout ce qui a appartenu dans le corps à la vérité de la
nature humaine ne ressuscitera pas avec lui. Car l’aliment se change dans la
vérité de la nature humaine. Or, quelquefois on mange du bœuf ou de la chair
d’autres animaux. Si donc tout ce qui a appartenu à la vérité de la nature
humaine ressuscite, la chair du bœuf ou des autres animaux ressuscitera aussi ;
ce qui répugne.
Réponse
à l’objection N°1 : La chose naturelle n’emprunte pas son être de sa matière,
mais de sa forme. Par conséquent, quoique une partie de la matière qui a été
autrefois sous la forme de la chair d’un bœuf ressuscite dans l’homme sous la
forme de la chair humaine, il ne s’ensuit pas que ce sera la chair du bœuf qui
ressuscitera, mais la chair de l’homme ; car autrement on pourrait conclure que
le limon dont a été formé le corps d’Adam ressuscitera. Cependant la première
opinion accorde ce raisonnement.
Objection
N°2. La côte d’Adam a appartenu en lui à la vérité de la nature humaine, comme
nos côtes lui appartiennent en nous. Or, la côte d’Adam ne ressuscitera pas en
lui, mais dans Eve ; autrement Eve ne ressusciterait pas puisqu’elle a été
formée de cette côte. Tout ce qui a appartenu à la vérité de la nature humaine
ne ressuscitera donc pas dans l’homme.
Réponse
à l’objection N°2 : Cette côte n’a pas existé dans Adam pour sa perfection
individuelle, mais elle était destinée à la multiplication de l’espèce. Elle ne
ressuscitera donc pas dans Adam, mais dans Eve, comme le sperme ne ressuscitera
pas dans celui qui engendre, mais dans celui qui est engendré.
Objection
N°3. Il peut se faire que la même chose ressuscite dans différentes
individus. Cependant, il peut arriver que la même chose ait appartenu à la
vérité de la nature humaine dans différents individus, par exemple, si
quelqu’un mangeait de la chair humaine qui passât dans sa substance. Tout ce
qui a appartenu à la nature humaine dans quelqu’un ne ressuscitera donc pas en
lui.
Réponse
à l’objection N°3 : D’après la première opinion il est facile de répondre à
cela, parce que les viandes qu’on a mangées n’appartiennent jamais à la vérité
de la nature humaine dans celui qui les mange ; mais elles ont appartenu à la
vérité de la nature humaine dans celui dont les chairs sont mangées. Elles
ressusciteront donc dans le premier et non dans le second. — Mais, d’après la
seconde et la troisième opinion, chaque chose ressuscitera dans celui où elle
s’est le plus approchée de la participation parfaite de la vertu de l’espèce.
Et si elle s’en est approchée également dans l’un et l’autre, elle ressuscitera
dans celui où elle a existé tout d’abord, parce que c’est en lui qu’elle a été
primitivement destinée à la résurrection par suite de son union avec l’âme
raisonnable de cet homme. C’est pourquoi si dans les chairs mangées il y a eu
quelque superfluité qui n’appartenait pas à la vérité de la nature humaine dans
le premier, elle pourra ressusciter dans le second : autrement ce qui
appartenait à la résurrection dans le premier ressuscitera dans celui-ci et non
dans le second. On y suppléera en prenant quelque chose de ce qui s’est changé
dans sa chair par suite des autres aliments, ou s’il n’avait jamais mangé autre
chose que de la chair humaine, la puissance divine y suppléerait d’autre part
autant que le demanderait la perfection de la quantité, comme elle supplée
d’ailleurs dans ceux qui meurent avant la maturité de l’âge. Et il n’en résulte
pas de préjudice pour l’identité numérique, pas plus qu’il n’en résulte de ce
que les parties s’en vont et viennent matériellement.
Objection
N°4. Si on dit que tout ce qu’on a mangé dans la chair n’appartient pas à la
vérité de la nature humaine et que par conséquent l’une de ces choses peut
ressusciter dans le premier individu et l’autre dans le second, on fera cette
instance. Ce qui vient des parents paraît principalement appartenir à la vérité
de la nature humaine. Or, si quelqu’un ne mangeait que de la chair humaine et
qu’il eût un enfant, il faudrait que l’enfant doit à son père vint de la chair
des autres hommes que le père aurait mangés ; parce que le sperme vient du
superflu de la nourriture, comme le prouve Aristote (De generat. anim.,
liv. 1, chap. 18 et 19). Donc ce qui appartiendrait à la vérité de la nature
humaine dans cet enfant, aurait appartenu aussi à la vérité de la nature
humaine dans les autres hommes dont le père aurait mangé les chairs.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette difficulté est facile à résoudre d’après la première
opinion ; parce qu’elle suppose que le sperme ne vient pas du superflu de la
nourriture ; par conséquent les chair mangées ne passent pas dans le sperme
dont l’enfant est engendré. Mais d’après les deux autres opinions nous devons
répondre qu’il est impossible que l’intégralité de la chair se transforme en
sperme, parce que c’est après une longue séparation que la semence est
distillée de la nourriture, puisque le sperme est l’ultime surplus de
nourriture. Cette partie de la chair mangée qui est changée en sperme
appartient plus à la vérité de la nature humaine de celui qui est engendré du
sperme que de celui dont la chair a produit le sperme. Et donc, d’après la
règle dite plus haut (dans la réponse précédente et le corps de l’article) tout
ce qui a été changé en sperme ressuscitera de nouveau dans la personne
engendrée par le sperme ; tandis que la matière restante ressuscitera en lui
dans celui qui a produit le sperme.
Objection
N°5. Si l’on dit que ce qui appartenait à la vérité de la nature humaine dans
la chair des hommes qui ont été mangés n’a pas passé dans le sperme, mais que
c’était quelque chose qui n’appartenait pas là à la vérité de la nature
humaine, on peut faire cette nouvelle instance. Supposons que quelqu’un soit
entièrement nourri d’embryons dans lesquels il n’y a apparemment rien qui
n’appartienne à la vérité de la nature humaine, puisque tout ce qui est en eux
est tiré des parents ; alors, si l’excédent de nourriture est changée en sperme,
qui appartient à la vérité de la nature humaine, les embryons (et après que
ceux-ci aient reçu une âme raisonnable, la résurrection s’applique à eux)
doivent appartenir à la vérité de la nature humaine dans l’enfant engendré par
ce sperme ; et ainsi, puisque le même ne peut d’ailleurs pas ressusciter dans
deux sujets, il sera impossible pour tout ce qui appartenait à la vérité de la
nature humaine des deux de ressusciter de nouveau dans ces deux.
Mais
au contraire. Tout ce qui a appartenu à la vérité de la nature humaine, a été
vivifié par l’âme raisonnable. Comme le corps humain doit ressusciter parce
qu’il a été vivifié par une âme raisonnable, il s’ensuit donc que tout ce qui a
appartenu à la vérité de la nature humaine ressuscitera dans chacun de nous.
Si
on retranchait du corps d’un homme quelque chose qui appartient en lui à la
vérité de la nature humaine, ce corps ne serait pas parfait.
Or, toute imperfection sera détruite dans l’homme à la résurrection, surtout
chez les élus, auxquels il a été promis (Luc, 21, 18) qu’ils ne perdraient pas
un seul cheveu de leur tête. Tout ce qui a appartenu à la vérité de la nature
humaine ressuscitera donc dans l’homme.
Conclusion
Tout ce qui se rapporte à la vérité d’une chose se rapportant à son être, il
est convenable que tout ce qui appartient à la vérité de la nature humaine
ressuscite avec lui.
Il
faut répondre que chaque chose est à la vérité ce qu’elle est à l’être, comme
le dit Aristote (met., liv. 2, text. 4), parce qu’une chose vraie est telle qu’elle paraît
à celui qui la connaît en acte. C’est pour cela qu’Avicenne dit (Met., liv. 2, chap. 4) que la vérité de
chaque chose est la propriété de l’être qui lui a été donné. Ainsi on dit
qu’une chose appartient à la vérité de la nature humaine, parce qu’elle
appartient proprement à l’être de cette nature, et c’est ce qui participe à la
forme de la nature humaine ; comme on appel or véritable ce qui a la forme
véritable de l’or, d’où découle l’être propre de l’or. Par conséquent pour
qu’on voie ce qui appartient à la vérité de la nature humaine, il faut savoir
qu’il y a là-dessus trois sortes d’opinions (Ces opinions ont déjà été
rapportées et discutées à la fin de la première partie de la Somme. Voyez cet
article où Saint Thomas fait connaître son propre sentiment d’une manière plus
positive.). — Car il y en a qui ont supposé qui rien de nouveau ne commence à
appartenir à la vérité de la nature humaine, mais que tout ce qui appartient à
sa vérité a existé dans son institution même, et qu’elle se multiplie d’elle-même
afin qu’il soit possible pour le sperme duquel est engendré l’enfant d’être séparé
du père, et que cette partie se sépare à nouveau de l’enfant afin qu’il
atteigne la quantité parfaite par la croissance, et ainsi la race humaine
entière s’est multipliée. Ainsi d’après cette opinion, tout ce que la
nourriture engendre, quoique cela paraisse avoir l’apparence de la chair ou du
sang, n’appartient cependant pas à la vérité de la nature humaine. — D’autres
ont dit que quelque chose de nouveau est ajouté à la vérité de la nature
humaine par la transformation naturelle de l’aliment dans le corps humain, si
on considère la vérité de la nature humaine dans l’espèce dont la conservation
est le but de l’acte de la puissance génératrice. Mais si on considère la
vérité de la nature humaine dans l’individu, dont la conservation et le
perfectionnement sont le but de l’acte de la puissance nutritive, l’aliment
n’ajoute pas quelque chose qui appartienne primitivement à la vérité de la
nature humaine de cet individu, mais seulement quelque chose qui lui appartient
secondairement. Car ils supposent que la vérité de la nature humaine consiste
primitivement et principalement dans l’humide radical qui a été engendré par le
sperme, et d’où résulte la constitution première du genre humain. Ce qui se
change de l’aliment dans la chair véritable et dans le sang, n’appartient pas
principalement à la vérité de la nature humaine de cet individu, mais
secondairement. Toutefois il peut appartenir principalement à la vérité de la
nature humaine d’un autre individu qui serait engendré par le premier. Car ils
croient que le sperme est le superflu de la nourriture, ou qu’il existe avec le
mélange de quelque chose qui appartient à la vérité de la nature humaine dans
le générateur, selon l’opinion de quelques-uns, ou sans ce mélange, comme le
disent d’autres ; et qu’ainsi ce qui est l’humide nutritif dans l’un, devient
l’humide radical dans l’autre. — La troisième opinion veut que quelque chose de
nouveau commence à appartenir principalement à la vérité de la nature humaine,
même dans l’individu en particulier ; parce que dans le corps humain il n’y a
pas une distinction telle qu’une partie matérielle particulière subsiste nécessairement
pendant toute la vie ; toute partie prise en particulier se rapporte
constamment à ce qui subsiste toujours quant à ce qui appartient à l’espèce en
elle, mais elle peut s’en aller et revenir quant à ce qui appartient en elle à
la matière. Ainsi l’humide nutritif n’est pas distingué de l’humide radical de
la part du principe (de telle sorte qu’on appelle radical l’humide engendré par
le sperme, et nutritif celui qui est engendré par l’aliment) ; mais il est
plutôt distingué de la part du terme, de manière qu’on appelle radical celui
qui arrive au terme de la génération par l’acte de la puissance génératrice ou
nutritive, et qu’on appelle nutritif celui qui n’est pas encore parvenu à ce
terme, mais qui est en voie de nourrir l’individu. Ces trois opinions ont été
plus pleinement développées et approfondies (liv. 1, dist. 30, quest. 2). C’est
pourquoi il ne faut ici les reproduire qu’autant qu’il est nécessaire à notre
but. — Il faut donc savoir que d’après ces opinions il est nécessaire de
répondre de différentes manières à cette question. En effet, la première opinion,
au moyen de la voie de multiplication qu’elle suppose peut admettre la
perfection de la vérité de la nature humaine, et quant au nombre des individus,
et quant à la quantité que doit avoir chacun d’eux sans ce que la nourriture a
produit. Ce qu’elle produit ne s’ajoute que pour empêcher la consomption qui
pourrait être produite par l’action de la chaleur naturelle, comme on ajoute du
plomb à l’argent, de peur qu’il ne se consume en se liquéfiant. Par conséquent
puisque dans la résurrection il faut que la nature humaine soit rétablie dans
sa perfection, et alors que la chaleur naturelle n’agit plus pour consumer
l’humidité naturelle, il ne sera pas nécessaire que ce que la nourriture a
produit ressuscite dans l’homme, mais il ne ressuscitera que ce qui a appartenu
à la vérité de la nature humaine, et qui est parvenu à la perfection, quant au
nombre et à la quantité, en se séparant et se multipliant. La seconde opinion
suppose que ce qui est produit par la nourriture est nécessaire pour que
l’individu atteigne le développement qu’il doit avoir ; et pour qu’il se
multiplie par voie de génération il est nécessaire d’admettre que quelque chose
de ce qui a été produit par la transformation des aliments ressuscitera ; mais
il ne faut pas que tout ressuscite, il suffit qu’il ressuscite ce qui est
nécessaire pour la réintégration parfaite de la nature humaine dans tous ses
individus. Ainsi cette opinion prétend que tout ce qui a existé dans la
substance du sperme, ressuscitera dans l’homme que ce sperme a engendré, parce
que c’est ce qui appartient principalement à la vérité de la nature humaine en
lui. Mais, par rapport à ce que la nourriture a ensuite produit en lui, il n’en
ressuscitera qu’autant qu’il est nécessaire pour qu’il ait la quantité qu’il
doit avoir. Tout n’en ressuscitera pas, parce que cela n’appartient à la vérité
de la nature humaine qu’autant que la nature en a besoin pour parfaire cette
quantité. Mais parce que cet humide nutritif s’en va et revient, on le produira
dans l’ordre suivant ; c’est ce qui a primitivement appartenu à la substance du
corps de l’homme ressuscitera tout entier, ce qui n’y est arrivé qu’en second,
en troisième lieu et ainsi de suite ne ressuscitera que dans la proportion
nécessaire pour rétablir sa quantité. Ce qui est évident pour une double
raison. 1° Parce qui est survenu n’a existé que pour remplacer ce qui s’était
primitivement dissipé, et par conséquent il n’appartient pas à la vérité de la
nature humaine aussi principalement que ce qui a précédé. 2° Parce que l’adjonction
d’un humide étranger au premier humide radical fait que le tout mixte ne
participe pas aussi parfaitement à la vérité de l’espèce que le premier y
participait. Aristote en donne poux exemple (De gener., liv. 1, text. 83) l’eau mélangée de vin qui affaiblit toujours la
force du point au point qu’à la fin elle le rend aqueux. Par conséquent comme
la seconde eau, quoiqu’elle prenne l’espèce du vin, n’y participe cependant pas
aussi parfaitement que la première qu’on y a mise ; de même ce qui se change du
second aliment dans la chair n’appartient pas aussi parfaitement à l’espèce de
la chair que ce qui s’y est transformé tout d’abord. C’est pourquoi elle
n’appartient pas autant à la vérité de la nature humaine, ni à la résurrection.
Il est donc évident que cette opinion suppose que tout ce qui appartient
principalement à la vérité de la nature humaine ressuscite, mais qu’il n’en est
pas de même de tout ce qui lui appartient secondairement — La troisième opinion
diffère sous un rapport de la seconde, et sous un autre elle lui est conforme. Elle
en diffère en ce qu’elle suppose tout ce qui est sous la forme de la chair et
des os appartient au même titre à la vérité de la nature humaine. Car elle ne
distingue pas quelque chose de matériel et de particulier qui subsiste dans
l’homme pendant tout le temps de sa vie, et qui appartienne primitivement et
par lui-même à la vérité de la nature humaine, et quelque chose de mobile qui
appartienne à la vérité de la nature humaine uniquement à cause de la
perfection de la quantité, et non à cause de l’être premier de l’espèce, comme
le disait la seconde opinion. Mais elle suppose que toutes les parties qui
n’existent pas contrairement à l’intention de la nature, appartiennent à la
vérité de la nature humaine, quant à ce qu’elles ont de l’espèce, parce
qu’elles sont ainsi permanentes, mais non quant à ce qu’elles ont de la
matière, parce qu’elles changent ainsi indifféremment. Ainsi nous devons
représenter qu’il en est des parties du même homme ce qu’il en est de la
multitude entière d’une cité ; car chacun des individus étant séparé de la
multitude par la mort, et d’autres venant prendre leur place, il en résulte que
les parties de la multitude s’en vont et reviennent matériellement, tandis
qu’elles restent formellement, parce que d’autres remplissent les charges et
les places que laissent ceux qui s’en vont. D’où l’on dit que l’Etat reste le
même numériquement. De même certaines parties disparaissent pendant que
d’autres se remettent à la même place et dans la même situation, toutes les
parties s’en vont et reviennent selon la matière, tandis qu’elles subsistent
selon l’espèce ; et néanmoins l’homme reste le même numériquement. Mais la
troisième opinion est d’accord avec la seconde, parce qu’elle suppose que les
parties qui adviennent en second n’arrivent pas aussi parfaitement à la vérité
de l’espèce que celles qui sont advenues en premier. C’est pourquoi celle qui
doit ressusciter dans l’homme d’après la seconde opinion, doit aussi
ressusciter d’après la troisième, mais ce n’est pas absolument sous le même
rapport. Car elle suppose que tout ce que le sperme engendre, ressuscite, non
parce qu’il appartient à la vérité de la nature humaine d’une autre manière que
ce qui vient ensuite, mais parce qu’il participe plus parfaitement à la vérité
de l’espèce. La seconde opinion établissait cet ordre dans les choses qui
proviennent ensuite de la nourriture, et sous ce rapport elle s’accorde avec la
troisième.
Réponse
à l’objection N°5 : L’embryon n’est pas concerné par la résurrection tant qu’il
n’est animé par l’âme raisonnable, état dans lequel la substance de la
nourriture a beaucoup ajouté à la substance séminale, puisque l’enfant est
nourri dans le sein de sa mère. Conséquemment à l’opinion que l’homme a prise
une telle nourriture, et que quelqu’un a été engendré de ce surplus, ce qui
était dans la substance séminale ressuscitera en effet dans celui qui a été
engendré par ce sperme ; à moins qu’il ne contienne quelque chose qui aurait
appartenu à la substance séminale où le sperme était produit dans ceux dont la
chair a été mangée, car ceci ressusciterait dans le premier mais pas dans le
second ; ce qui reste de la chair mangée, n’étant pas changé en sperme,
ressuscitera assurément de nouveau en premier, la puissance divine suppléant aux
déficiences des deux. La première opinion n’est pas troublée par cette
objection, puisqu’elle ne considère pas le sperme comme venant du surplus de
nourriture ; mais il y a beaucoup d’autres raisons qui s’y opposent, comme on
peut le voir dans le second livre (dist. 30, quest. 2, art. 1 et 1a
pars, quest. 118, art. 2).
Article
5 : Tout ce qui a existé matériellement dans les membres de l’homme
ressuscitera-t-il tout entier ?
Objection
N°1. Il semble que tout ce qui a existe matériellement dans les membres de
l’homme ressuscitera tout entier. Car les cheveux paraissent moins appartenir à
la résurrection que les autres membres. Or, tout ce qui a existé dans les
cheveux ressuscitera tout entier, et sinon dans les cheveux, du moins dans les
autres parties du corps, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 22, chap. 19), d’après le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 44). Donc, à plus forte
raison, tout ce qui a existé matériellement dans les autres membres
ressuscitera tout entier.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme tout ce qui existe dans les autres parties du corps
ressuscitera, si l’on considère la totalité de l’espèce, mais que tout ne
ressuscitera pas si l’on considère la totalité de la matière ; ainsi il en est
des cheveux. Or, dans les autres parties il résulte de la nourriture quelque
chose qui produit une augmentation, et cela est regardé comme une autre partie
par rapport à la totalité de l’espèce, parce que cette addition obtient une
autre place et une autre situation dans le corps et qu’elle subsiste sous les
autres parties de la dimension. Mais il en résulte aussi autre chose qui ne
produit pas d’accroissement, mais qui ne fait que réparer par la nourriture la
déperdition. Ceci n’est pas compté comme une nouvelle partie du tout considéré
selon l’espèce ; puisqu’il n’occupe pas un autre lieu ou une autre situation
dans le corps que celui qu’occupait la partie qui s’en est allée ; quoiqu’on
puisse cependant la regarder comme une autre partie relativement à la totalité
matérielle. Et il en est de même des cheveux. Quant à saint Augustin, il parle
de la coupe des cheveux qui sont des parties qui produisent de l’accroissement
; et c’est pour cela qu’il faut que les parties ressuscitent, mais elles ne
doivent pas ressusciter de manière que la longueur des cheveux soit excessive ;
la divine providence répartira plutôt cette matière dans les autres parties du
corps, comme elle le jugera nécessaire. Ou bien il parle dans le cas où la
matière fera défaut dans les autres parties ; car alors ce qui leur manque
pourra être réparé par ce qu’il y a d’excessif dans la chevelure.
Objection
N°2. Comme les parties de la chair selon l’espèce sont perfectionnées par l’âme
raisonnable, de même les parties selon la matière. Or, le corps humain doit
ressusciter en raison de ce qu’il a été perfectionné ou vivifié par une âme
raisonnable. Il n’y a donc pas que les parties selon l’espèce, mais encore
toutes les parties selon la matière ressusciteront.
Réponse
à l’objection N°2 : D’après la troisième opinion les parties sont les mêmes
selon l’espèce et selon la matière. Car Aristote ne fait pas usage de cette
distinction (De gen.,
liv. 1, text. 35 à 37) pour distinguer les
différentes parties, mais pour montrer que les mêmes parties peuvent être
considérées et selon l’espèce quant à ce qui appartient à la forme et à
l’espèce en elles-mêmes, et selon la matière quant à ce qui est soumis à la
forme et à l’espèce. Or, il est certain que la matière de la chair ne se
rapporte à l’âme raisonnable qu’en tant qu’elle est sous cette forme, et c’est
pour cela qu’elle se rapporte à la résurrection en raison de cette forme. Mais
la première et la seconde opinion, qui supposent que les parties qui existent
selon l’espèce sont autres que celles qui existent selon la matière, disent que
l’âme raisonnable, quoiqu’elle perfectionne ces deux parties, ne perfectionne
cependant les parties selon la matière que par l’intermédiaire des parties
selon l’espèce ; et c’est pour ce motif qu’elles pas l’une et l’autre également
à la résurrection.
Objection
N°3. La totalité appartient au corps de la même manière que sa division en
parties. Or, le corps se divise en parties selon la matière dont la disposition
est la quantité d’après laquelle il est divisé. La totalité du corps se
considère donc d’après les parties de la matière, et par conséquent si toutes
les parties de la matière, et par conséquent si toutes les parties de la
matière ne ressuscitent pas, le corps entier ne ressuscitera pas non plus ; ce
qui répugne.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans la matière des choses qui doivent être engendrées et
se corrompre il faut concevoir des dimensions indéterminées avant la réception
de la forme substantielle. C’est pourquoi la division qui selon ces dimensions
appartient proprement à la matière. Mais la quantité complète et déterminée
advient à la matière après la forme substantielle. Par conséquent la division
qui est produite d’après des dimensions déterminées ; se rapporte à l’espèce ;
surtout quand la situation déterminée des parties appartient à la nature de
l’espèce, comme il arrive dans le corps humain.
Mais
au contraire. Les parties ne demeurent pas dans le corps selon la matière, mais
elles s’en vont et viennent, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (De gen., liv. 1, text. 35 à 37). Si donc toutes les parties du corps selon
la matière, qui ne demeurent pas en lui, mais qui vont et viennent,
ressuscitent, le corps ressuscité sera très dense ou d’une quantité excessive.
Tout
ce qui appartient à la vérité de la nature humaine dans un homme peut être une
partie de matière dans un autre qui s’est nourri de sa chair. Si donc toutes
les parties selon la matière viennent à ressusciter dans quelqu’un, il s’ensuit
qu’il ressuscitera dans l’un ce qui appartient à la vérité de la nature humaine
dans un autre ; ce qui répugne.
Conclusion
Puisque la matière qui a existé dans un homme depuis le commencement de sa vie
jusqu’à la fin surpasserait la quantité due à son espèce, tout ce qui a existé
dans l’homme matériellement ne ressuscitera pas tout entier avec lui, à moins
qu’on ne désigne ainsi la totalité de son espèce.
Il
faut répondre que ce qui existe dans l’homme matériellement ne doit ressusciter
qu’autant qu’il appartient à la vérité de la nature humaine, parce que c’est
sous ce point de vue qu’il se rapporte à l’âme raisonnable. Or, tout ce qui
existe dans l’homme matériellement appartient à la vérité de la nature humaine
par rapport à ce qu’il a de l’espèce ; mais tout ne lui appartient pas si on
considère la totalité de la matière. Car la matière entière qui a existé dans
l’homme depuis le commencement de sa vie jusqu’à la fin surpasserait la
quantité due à l’espèce, comme le dit la troisième opinion qui me paraît plus
probable que les autres. Et c’est pour cela que tout ce qui existe dans l’homme
ressuscitera, si l’on entend par là la totalité de l’espèce qui se considère
d’après la quantité, la figure, la situation et l’ordre des parties ; mais tout
ne ressuscitera pas, si on entend la totalité de la matière. La seconde opinion
et la première ne font pas usage de cette distinction ; mais elles distinguent
entre les parties dont l’une et l’autre admettent l’espèce et la matière. Ces
deux opinions s’accordent en ce que l’une et l’autre disent que ce qui a été
engendré par le sperme ressuscitera tout entier, même dans la totalité de sa
matière. Mais elles diffèrent en ce que la première opinion prétend que rien de
ce qui est engendré par l’aliment ne ressuscitera, tandis que la seconde
suppose qu’il ressuscitera quelque chose, mais non la totalité, comme on le
voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
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