Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 88 : Du jugement général, du temps et du lieu où il se fera

 

          Nous devons ensuite nous occuper du jugement général, du temps et du lieu où il se fera. A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Le jugement général doit-il avoir lieu ? (Il est de foi que le jugement général aura lieu. L’Ecriture le dit dans une foule d’endroits : La reine du Midi se lèvera pour le jugement avec cette génération (Matth., 12, 42) ; Et réservés pour le feu, au jour du jugement et de la ruine des impies (2 Pierre, 3, 7), et l’Eglise exprime à ce sujet sa croyance dans tous les symboles, car elle dit que le Christ doit venir juger les vivants et les morts, judicare vivos et mortuos.) — 2° Sera-t-il prononcé par des paroles vocales ? — 3° Se fera-t-il dans un temps inconnu ? — 4° Aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?

 

Article 1 : Y aura-t-il un jugement général ?

 

          Objection N°1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir un jugement général. Car, comme le dit le prophète (Nahum, 1, 9 d’après les Septante), Dieu ne jugera pas deux fois pour la même chose. Or, Dieu juge maintenant chacune des œuvres des hommes, puisqu’après la mort il accorde à chacun des peines ou des récompenses selon ses mérites, et puisqu’il y en aussi qu’il récompense ou qu’il punit en cette vie pour leurs bonnes ou leurs mauvaises œuvres. Il semble donc qu’il ne doive pas y avoir un autre jugement.

          Réponse à l’objection N°1 : Tout homme est un individu et une partie du genre humain. A ce double titre il doit subir deux sortes de jugements. Un jugement particulier qui aura lieu après la mort, quand il recevra ce qui est dû à ses œuvres, non d’une manière absolue, puisqu’il ne recevra pas quant au corps, mais seulement quant à l’âme. Le second jugement doit avoir lieu selon qu’il est une partie du genre humain ; comme on dit selon la justice humaine que quelqu’un est jugé, quand un jugement est porté sur la société dont il fait partie. Ainsi quand le jugement universel de tout le genre humain aura lieu par la séparation universelle des bons et des méchants, alors tout le monde sera aussi jugé par voie de conséquence. Dieu ne jugera cependant pas deux fois la même chose, parce qu’il n’infligera pas deux peines pour un seul et même péché, mais la peine qui n’avait pas été infligée complètement avant le jugement recevra son complément dans le jugement dernier ; et les impies seront après cela tourmentés tout à la fois dans leur corps et dans leur âme.

 

          Objection N°2. Dans aucun jugement l’exécution de la sentence ne précède le jugement, mais la sentence du jugement de Dieu à l’égard des hommes a pour objet de les faire entrer dans le ciel ou de les en exclure, comme on le voit (Matth., chap. 25). Par conséquent puisque dès maintenant il y en a qui arrivent dans le royaume éternel et puisqu’il y en a qui en sont exclus à jamais, il semble qu’il ne doive pas y avoir un autre jugement.

          Réponse à l’objection N°2 : La sentence propre à ce jugement général c’est la séparation universelle des bons et des méchants, qui ne précédera pas le jugement. Mais maintenant encore par rapport à la sentence particulière de chacun l’effet du jugement ne l’a pas pleinement précédé, parce que les bons seront encore plus récompensés après le jugement, soit en raison de la gloire du corps qui leur sera ajoutée, soit en raison du nombre des saints qui se trouvera complet. Les méchants seront aussi plus tourmentés en raison de la peine du corps qu’ils auront de plus et du nombre des damnés qui sera alors rempli ; car ils souffriront d’autant plus qu’il y aura plus de victimes.

 

          Objection N°3. Il faut que des choses paraissent en jugement parce qu’on ne sait comment elles doivent être définies. Or, avant la fin du monde chaque damné a entendu sa damnation et chaque saint a reçu sa béatitude. Donc, etc.

          Réponse à l’objection N°3 : Le jugement universel se rapporte plus directement à l’universalité des hommes qu’au jugement de chaque individu, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Ainsi quoique tout homme ait avant le jugement une connaissance certaine de sa damnation ou de sa récompense ; cependant tout le monde ne connaîtra pas la damnation ou la récompense de tous les autres ; par conséquent ce jugement sera nécessaire.

 

          Mais au contraire. Il est dit (Matth., 12, 41) : Les Ninivites s’élèveront au jour du jugement contre cette génération et la condamneront. Il y aura donc après la résurrection un jugement.

          Il est dit (Jean, 5, 29) : Ceux qui auront fait de bonnes œuvres ressusciteront à la vie, tandis que ceux qui en auront fait de mauvaises ressusciteront pour le jugement. Il semble donc qu’après la résurrection il doive y avoir un jugement.

 

          Conclusion Comme dans la production première des choses tout est parti de Dieu immédiatement, de même il doit y avoir un jugement universel qui réponde à cette production première des choses et qui donne au monde son dernier complément.

          Il faut répondre que comme l’opération appartient au principe des choses qui leur a donné l’être, de même le jugement appartient au terme qui doit les conduire à leur fin. Or, on distingue deux sortes d’opération divine : l’une par laquelle Dieu a primitivement produit toutes choses, en établissant la nature et en distinguant les choses qui appartiennent à son complément. Il est dit que Dieu se reposa de cette œuvre (Gen., chap. 2). L’autre est celle par laquelle il opère pour le gouvernement des créatures dont il est dit (Jean, 5, 17) : Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, j’agis aussi incessamment. De même on distingue aussi deux sortes de jugement, mais dans un ordre contraire. L’un qui répond à l’opération du gouvernement qui ne peut exister sans un jugement. C’est par ce jugement que chacun est jugé en particulier pour ses œuvres, non seulement selon ce qui lui convient, mais encore selon ce qui convient au gouvernement de l’univers. D’où il suit que la récompense de l’un est différée dans l’intérêt des autres (Héb., chap. 11), et que les châtiments de l’un tournent à l’avantage de l’autre. Il est donc nécessaire qu’il y ait un autre jugement universel qui corresponde au contraire à la production première des êtres, de telle sorte que comme tous les êtres sont alors sortis de Dieu immédiatement, de même le monde reçoive alors son dernier complément, chacun recevant finalement ce qui lui est dû d’après lui-même. C’est pourquoi dans ce jugement on verra manifestement la justice divine par rapport à toutes les choses qui sont maintenant voilées, parce que quelquefois on dispose de l’un dans l’intérêt des autres d’une autre manière que paraissent l’exiger les œuvres extérieures. Il y aura aussi alors une séparation universelle des bons et des méchants, parce qu’il n’y aura plus lieu d’améliorer les méchants par les bons ou les bons par les méchants, et c’est en vue de cette amélioration qu’ils se trouvent parfois mélangés, pendant tout le temps que ce monde sera gouverné en cet état par la divine providence.

 

Article 2 : Ce jugement se fera-t-il vocalement ?

 

          Objection N°1. Il semble que ce jugement par rapport à la discussion et à la sentence se fera par une parole vocale. Car, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 20, chap. 1), on ne sait combien de jours doit durer ce jugement. Or, cela ne serait pas incertain, si ce qu’on doit faire dans ce jugement devait se passer seulement mentalement. Ce jugement se fera donc vocalement, et il ne se fera pas seulement d’une manière mentale.

          Réponse à l’objection N°1 : Saint Augustin dit seulement qu’on ne sait combien de jours durera ce jugement, puisqu’on n’a pas déterminé s’il se fera mentalement ou vocalement. Car s’il se faisait vocalement, il faudrait pour cela un temps très long ; tandis que s’il se faisait mentalement, il pourrait se faire en un moment.

 

          Objection N°2. Saint Grégoire dit (Mor., liv. 26, chap. 20) et on lit (Sent. 4, dist. 47) : Ils entendront du moins les paroles du juge, ceux qui ont reçu la foi de sa parole. Or, ce passage ne peut pas s’entendre du verbe intérieur, parce que de la sorte tous entendraient les paroles du juge, puisque tous les individus, les bons comme les méchants, connaîtront toutes les actions des autres. Il semble donc que ce jugement se fera vocalement.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique le jugement se fasse mentalement, on peut expliquer ce passage de saint Grégoire ; parce que, quoique tous connaissent leurs actions et les actions des autres, par l’effet de la puissance divine que l’Evangile appelle la parole ou le Verbe, cependant ceux qui ont eu la foi qu’ils ont conçue par l’effet des paroles divines seront jugés par ces paroles elles-mêmes. Car il est dit (Rom., 2, 12) : Ceux qui ont péché sous la loi seront jugés par la loi. Par conséquent on dira aux fidèles d’une manière spéciale quelque chose qu’on ne dira pas aux infidèles.

 

          Objection N°3. Le Christ jugera selon sa forme humaine pour qu’il puisse être vu de tous corporellement. Pour la même raison il semble donc qu’il fera usage de sa voix corporelle pour être entendu de tous.

          Réponse à l’objection N°3 : Le Christ se montrera corporellement pour que tous le connaissent comme juge corporellement, ce qui pourra se faire subitement. Mais la parole qui se mesure par le temps demanderait un temps excessivement long si on jugeait vocalement.

 

          Mais au contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 20, chap. 14) que par le livre de vie dont parle l’Apocalypse (chap. 20) on doit entendre la puissance divine qui fera que chacun se rappellera ses bonnes ou ses mauvaises œuvres et qu’on les verra d’un seul coup d’œil avec une promptitude merveilleuse, pour que la science accuse ou excuse la conscience, et que tous et chacun soient simultanément jugés. Or, si l’on discutait vocalement les mérites de chaque individu, tous et chacun ne pourraient pas être jugés à la fois. Il semble donc que cette discussion ne sera pas vocale.

          La sentence doit répondre proportionnellement au témoignage. Or, le témoignage, l’accusation et l’excuse n’existeront que mentalement. D’où il est dit (Rom., 2, 15) : Leur conscience leur rendant témoignage par la diversité des réflexions et des pensées qui les accusent ou qui les défendent, au jour où Dieu jugera les secrets des hommes. Il semble donc que cette sentence et le jugement tout entier s’accompliront mentalement.

 

          Conclusion Puisqu’il faudrait un temps presque infini pour le jugement universel si on le faisait vocalement, il est plus probable que le jugement dernier n’aura pas lieu vocalement, mais mentalement.

          Il faut répondre qu’on ne peut pas définir certainement ce qu’il y a de vrai sur cette question ; cependant on pense avec plus de probabilité que ce jugement se fera tout entier mentalement et quant à la discussion, et quant à l’accusation des méchants et à la glorification des bons, et quant à la sentence que l’on portera sur les uns et sur les autres. Car si on racontait vocalement les actions de chacun, il faudrait pour cela un temps excessivement long. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ Dei, liv. 20, loc. cit.) que si on entend charnellement le livre d’après lequel tout le monde sera jugé, comme le dit saint Jean (Apoc., chap. 20), qui pourrait en concevoir la grandeur ou l’étendue ? Combien de temps faudrait-il pour lire ce livre dans lequel la vie entière de tous les hommes a été écrite ? Or, il ne faut pas moins de temps pour raconter oralement les faits de chacun que pour les lire, s’ils avaient écrit sur un livre matériel. D’où il est probable que ce qui est dit (Matth., chap. 25) ne devra pas se faire vocalement, mais mentalement.

 

Article 3 : Le temps du jugement dernier est-il connu ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’époque du jugement dernier ne soit pas inconnue. Car comme les saints patriarches attendaient le premier avènement, de même nous attendons le second. Or, les saints patriarches ont su l’époque du premier avènement, comme on le voit par le nombre des semaines de Daniel (chap. 9). D’où on blâme les Juifs de ce qu’ils n’ont pas connu le temps de l’avènement du Christ, ainsi qu’il est dit (Luc, 12, 56) : Vous savez si bien juger de ce qui paraît au ciel et sur la terre ; comment donc ne reconnaissez-vous pas le temps où nous sommes ? Il semble donc que le temps du second avènement dans lequel Dieu viendra pour juger doive aussi être déterminé.

          Réponse à l’objection N°1 : Dans le premier avènement le Christ est venu caché, d’après cette parole du prophète (Is., 44, 15) : Dieu sauveur d’Israël, vous êtes véritablement un Dieu caché. C’est pourquoi pour qu’il pût être connu par les fidèles, il a fallu déterminer l’époque avec précision, mais dans le second avènement il viendra avec éclat, selon cette expression du Psalmiste (Ps. 49, 3) : Dieu viendra visiblement, etc. On ne pourra donc pas se tromper à l’égard de la connaissance de cet avènement, et c’est pour cela qu’il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°2. Les signes nous conduisent à la connaissance des choses signifiées. Or, l’Ecriture nous donne beaucoup de signes sur le jugement dernier, comme on le voit (Matth., chap. 24, Luc, chap. 21 et Marc, chap. 13). Nous pouvons donc arriver à la connaissance de cette époque.

          Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin dans son épître à Hesychius sur le jour du jugement (chap. 199), les signes qui se trouvent dans les Evangiles n’appartiennent pas tous au second avènement qui aura lieu à la fin, mais il y en a qui appartiennent à la destruction de Jérusalem qui est passée ; il y en a d’autres, et c’est le plus grand nombre, qui se rapportent à l’avènement par lequel il vient chaque jour dans l’Eglise pour la visiter spirituellement, selon qu’il habite en nous par la foi et l’amour. Ainsi ce qui se rapporte au jugement dernier dans les Evangiles ou les Epîtres ne peut pas suffire pour déterminer d’une manière précise l’époque de ce jugement, parce que les périls doivent présager la venue prochaine du Christ, ont existé dès le temps de l’Eglise primitive d’une manière plus ou moins vive. C’est pour cela que les temps des apôtres ont été appelés les derniers jours, comme on le voit (Actes, chap. 2) où saint Pierre entend ces paroles d’Isaïe (Is., 2, 2) : Il arrivera, dans les derniers temps, etc., de cette époque, et cependant il s’est écoulé depuis ce moment beaucoup de temps et l’Eglise a essuyé des tribulations plus ou moins grandes. On ne peut donc pas déterminer combien de temps il nous reste encore, ni préciser le mois ou l’année, ni dire la centaine ou le mille dans lequel cet avènement arrivera comme l’observe saint Augustin (epist. cit.). Quoiqu’on croie qu’à la fin ces périls seront plus considérables, on ne peut cependant déterminer quelle sera l’étendue de ces périls qui précéderont immédiatement le jour du jugement, ou l’avènement de l’antechrist, puisque dans les premiers temps de l’Eglise il y a eu aussi des persécutions si violentes et des erreurs si nombreuses que quelques-uns croyaient à l’avènement prochain et imminent de l’antechrist, comme le rapportent Eusèbe (Hist. eccles., liv. 6, chap. 6) et saint Jérôme (De viris illustribus, chap. Judex, de septuaginta, etc.).

 

          Objection N°3. L’Apôtre dit (1 Cor., 10, 11) : Nous nous trouvons à la fin des temps, et saint Jean dit aussi (1 Jean, 2, 18) : Mes petits enfants, c’est ici la dernière heure, etc. Puisqu’il y a déjà un long temps écoulé depuis que ces paroles ont été prononcées, il semble du moins que nous puissions maintenant savoir que le jugement dernier est proche.

          Réponse à l’objection N°3 : Ces paroles voici la dernière heure et les autres expressions semblables qu’on trouve dans l’Ecriture, ne peuvent déterminer une époque précise. En effet on ne les emploie pas pour signifier un court instant, mais pour exprimer le dernier état du monde qui est comme son dernier âge, et on n’a pas défini combien de temps durerait cette période. Car, puisqu’il n’y a pas de terme fixe assigné à la vieillesse qui est le dernier âge de l’homme, et qu’il arrive quelquefois qu’elle dure autant que tous les âges précédents ou plus, comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 58 à med.), l’Apôtre exclut pour ce motif (2 Thess., chap. 2) le faux sens que quelques-uns avaient conclu de ses paroles, en croyant que le jour du Seigneur était proche.

 

          Objection N°4. Le temps du jugement ne doit être tenu secret que pour qu’on se prépare au jugement avec plus de sollicitude, par là même qu’on en ignore l’époque précise. Or, la même sollicitude subsisterait néanmoins si l’époque en était certaine ; parce que tout le monde ignore le temps de sa mort, et le dernier jour du monde saisira chacun dans l’état où l’aura trouvé sa dernière heure, comme le dit saint Augustin à Hésychius (Ep. 199). Il n’est donc pas nécessaire que le temps du jugement soit secret.

          Réponse à l’objection N°4 : En supposant l’incertitude de la mort, l’incertitude du jugement sert de deux manières à exciter la vigilance. 1° Parce qu’on ignore si on en est aussi éloigné que du terme ordinaire de la vie, et que l’incertitude qui résulte ainsi de ces deux causes fait redoubler de sollicitude. 2° Parce que l’homme ne s’inquiète pas seulement de lui-même, mais de sa famille, ou de sa cité, ou de sa patrie, ou de l’Eglise entière dont la durée n’est pas déterminée d’après la vie de l’homme, et qu’il faut néanmoins que toutes ces choses soient disposées de manière que le jour du Seigneur ne les trouve pas non préparées.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Marc, 13, 32) : Quand à ce jour ou à cette heure personne n’en a connaissance, ni les anges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Père seul. Or, on dit que le Fils l’ignore dans le sens qu’il nous le laisse ignorer.

          Saint Paul dit (1 Thess., 5, 2) : Le jour du Seigneur doit venir comme un voleur qui viendra la nuit. Puisque l’arrivée d’un voleur dans la nuit est absolument incertaine, il semble donc que le jour du jugement dernier le soit absolument aussi.

 

          Conclusion Puisque la fin du monde comme son commencement est soumise exclusivement à la puissance divine, il a été convenable que Dieu se réservât à lui seul cette connaissance.

          Il faut répondre que Dieu est par sa science la cause des choses. Or, il communique aux créatures l’une et l’autre, puisqu’il donne aux la choses la vertu d’en produire d’autres dont elles sont les causes et il donne à quelques êtres la connaissance de ce qui existe. Mais sous ces deux rapports il se réserve quelque chose. Car il y a des choses qu’il fait sans qu’aucune créature y coopère avec lui, et de même il y en a qu’il connaît et qu’aucune créature ne connaît. Or, il n’y en a pas qui doivent lui être plus propres que les choses qui sont soumises à sa seule puissance et dans lesquelles aucune créature ne coopère avec lui. Telle est la fin du monde dans laquelle le jour du jugement arrivera. Car ce n’est pas une cause créée qui mettra fin au monde, qui n’a commencé à exister que par l’action immédiate de Dieu. D’où il est convenable que la connaissance de la fin du monde ne soit réservée qu’à Dieu. Le Seigneur paraît lui-même en donner cette raison (Actes, 1, 7) : Ce n’est pas à vous, dit-il, à connaître les temps et les moments que le Père a réservés à son pouvoir, comme s’il disait que ces choses sont réservées exclusivement à sa puissance.

 

Article 4 : Le jugement se fera-t-il dans la vallée de Josaphat ?

 

          Objection N°1. Il semble que le jugement n’aura pas lieu dans la vallée de Josaphat ou dans un lieu environnant. Car il faut du moins que tous ceux qui devront être jugés soient jugés sur la terre et qu’il n’y ait que ceux qui jugeront qui soient élevés dans les nues. Or, la terre promise tout entière ne pourrait pas contenir la multitude de ceux qui devront être jugés. Il ne peut donc pas se faire que le jugement doive avoir lieu dans cette vallée.

          Réponse à l’objection N°1 : Une grande multitude peut tenir dans un petit espace. Or, il suffit de supposer un espace quelconque dans ce lieu pour contenir la multitude de tous ceux qui doivent être jugés ; pourvu que de cet espace ils puissent voir le Christ, qui étant élevé dans l’air et tout resplendissant de la plus vive clarté pourra être vu de loin.

 

          Objection N°2. Il a été donné au Christ de juger l’humanité pour qu’il juge justement, parce qu’il a été injustement jugé dans le prétoire de Pilate et qu’il a subi la sentence de ce jugement inique sur le Golgotha. Ces lieux doivent donc être plutôt déterminés pour le jugement.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique le Christ ait mérité la puissance judiciaire par là même qu’il a été jugé injustement, il ne jugera cependant pas avec la forme humiliante sous laquelle il a été jugé injustement, mais il jugera sous la forme glorieuse qu’il avait en montant vers son Père. Par conséquent le lieu de son ascension convient mieux au jugement que le lieu de sa condamnation.

 

          Objection N°3. Les nuées se forment par la condensation des vapeurs. Or, il n’y aura alors ni vapeurs, ni condensation. Il ne pourra donc pas se faire que les justes soient portés dans l’air sur les nues au-devant du Christ. Il faudra donc que les bons et les méchants soient sur la terre, et par conséquent il faudra un lieu beaucoup plus vaste que cette vallée.

          Réponse à l’objection N°3 : Par nuées on entend dans cet endroit, d’après quelques-uns, une certaine condensation de la lumière qui resplendira des corps des saints, et non des évaporations qui s’élèvent de la terre et de l’eau. — Ou bien on peut dire que ces nuées seront produites par la puissance divine pour monter une certaine conformité entre l’avènement du jugement et l’ascension, et faire voir que c’est celui qui est monté dans une nuée qui vient pour juger. La nuée indique aussi la miséricorde du juge parce qu’elle a la vertu de rafraîchir.

 

          Mais c’est le contraire. Il est dit (Joël, 3, 2) : J’assemblerai tous les peuples et je les amènerai dans la vallée de Josaphat, et là j’entrerai en jugement avec eux. C’est donc dans ces lieux qu’il viendra pour juger.

          Il est dit (Actes, 1, 11) : Comme vous l’avez vu monter au ciel, de même il viendra. Or, il est monté au ciel sur la montagne des Oliviers qui domine la vallée de Josaphat. Il viendra donc dans ces lieux pour juger.

 

          Conclusion Comme le Christ est monté au ciel sur la montagne des Oliviers, il est probable que c’est dans ces lieux qu’il descendra, pour montrer que c’est le même qui est monté et qui est descendu.

          Il faut répondre qu’on ne peut pas savoir avec beaucoup de certitude de quelle manière ce jugement se fera et comment les hommes seront réunis pour être jugés. Cependant on peut conclure de l’Ecriture avec probabilité que le Christ descendra vers la montagne des Oliviers, comme c’est de là qu’il est monté, pour montrer que celui qui descend est le même que celui qui est monté.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.