Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 91 : De la qualité du monde après le jugement
Nous
devons ensuite nous occuper de la qualité du monde et des hommes ressuscités
après le jugement. A cet égard il y a trois considérations à faire : la
première sur l’état et la qualité du monde ; la seconde sur l’état des
bienheureux ; la troisième sur l’état des méchants. Sur la première de ces
trois considérations il y a cinq questions : 1° Le monde doit-il être renouvelé
? (Il est de foi que le monde sera renouvelé puisque l’Ecriture le dit dans une
foule d’endroits, mais nous n’avons rien de certain sur la manière dont
s’opérera cette transformation.) — 2° Le mouvement des corps célestes
cessera-t-il ? — 3° Les corps célestes seront-ils alors plus éclatants ? — 4°
Les éléments recevront-ils une plus grande clarté ? — 5° Les animaux et les
plantes subsisteront-ils ?
Article
1 : Le monde sera-t-il renouvelé ?
Objection
N°1. Il semble que le monde ne sera jamais renouvelé. Car il ne doit arriver
que ce qui a déjà existé selon l’espèce (Ecclésiaste,
1, 9) : Qu’est-ce qui a existé ? C’est ce
qui doit être. Or, le monde n’a jamais eu une autre disposition que
maintenant quant à ses parties essentielles, aux genres et aux espèces. Il ne
se renouvellera donc jamais.
Réponse
à l’objection N°1 : Salomon parle en cet endroit du cours naturel des créatures
; ce qui est évident puisqu’il ajoute : Il
n’y a rien de nouveau sous le soleil. En effet puisque cet astre se meut
circulairement, il faut que tout ce qui est soumis à sa puissance forme un
cercle, qui consiste en ce que les choses qui ont existé d’abord reviennent
ensuite les mêmes quant à l’espèce, quoiqu’elles soient diverses numériquement,
comme on le voit (De gen.,
liv. 1). Mais les choses qui appartiennent à l’état de la gloire ne sont pas
soumises au soleil.
Objection
N°2. Un renouvellement est une altération. Or, il est impossible que l’univers
soit altéré ; parce que tout ce qui est altéré se ramène à un principe altérant
qui n’est pas altéré lui-même et qui se meut localement ; ce que l’on ne peut
supposer en dehors de l’univers. Il ne peut donc pas se faire que le monde soit
renouvelé.
Réponse
à l’objection N°2 : Cette raison repose sur l’altération naturelle produite par
l’agent naturel qui agit d’après la nécessité de sa nature. Car cet agent n
peut produire une autre disposition qu’autant qu’il change lui-même de manière
d’être. Mais les choses que Dieu produit proviennent de la liberté de la
volonté. Par conséquent, sans qu’il y ait aucun changement en Dieu, il peut se
faire qu’il produise dans le monde telle ou telle disposition ; et ainsi ce
changement ne sera pas ramené à un principe qui est mû, mais à un principe
immobile, c’est-à-dire Dieu.
Objection
N°3. Il est dit (Gen., 2, 2) : Que Dieu se reposa le septième jour de toutes les œuvres qu’il avait
faites, et les Pères disent qu’il se reposa en cessant de produire des
créatures nouvelles. Or, dans cette création primitive ; les choses n’ont pas
reçu un autre mode d’être que celui qu’elles ont maintenant d’après l’ordre
naturel. Elles n’en auront donc jamais un autre.
Réponse
à l’objection N°3 : Il est dit seulement que Dieu a cessé le septième jour de
produire des créatures nouvelles, parce qu’il n’a plus rien fait qui n’ait
auparavant déjà existé selon la ressemblance du genre ou de l’espèce, ou au
moins comme dans son principe séminal ou dans sa puissance obédientielle. Je
dis donc que le renouvellement futur du monde a préexisté dans les œuvres des
six jours d’après une ressemblance éloignée, c’est-à-dire dans l’état de gloire
et de grâce des anges, et qu’il a aussi préexisté dans la puissance
d’obéissance qui a été dès lors imprimée à la créature pour qu’elle reçoive de
l’action de Dieu ce nouvel état.
Objection
N°4. Cette disposition des êtres qui existe maintenant est naturelle. Si donc
elles reçoivent une autre disposition, cette disposition nouvelle ne sera plus
naturelle. Or, ce qui n’est pas naturel et ce qui existe par accident ne peut
pas être perpétuel, comme on le voit (De cælo et mundo, liv. 1, text. 15). Par conséquent cette disposition nouvelle sera
un jour remplacée par une autre, et par conséquent il faudra admettre dans le
monde un cercle, comme l’ont supposé Empédocle et Origène (Periarch., liv. 2, chap. 3), de manière qu’après ce monde il y en ait un
autre, et après celui-ci encore un autre.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette disposition nouvelle ne sera ni naturelle, ni contre
nature ; mais elle sera au-dessus de la nature (comme la grâce et la gloire
sont au-dessus de la nature de l’âme), et elle viendra d’un agent éternel qui
la conservera perpétuellement.
Objection
N°5. La nouveauté de la gloire est accordée en récompense à la créature
raisonnable. Or, où il n’y a pas de mérite il ne peut pas y avoir de
récompense. Donc puisque les créatures insensibles n’ont rien mérité, il semble
qu’elles ne seront pas renouvelées.
Réponse
à l’objection N°5 : Quoique les corps insensibles n’aient pas mérité cette
gloire, à proprement parler, l’homme a cependant mérité que cette gloire soit
accordée à l’univers entier, en tant que cet avantage tourne à la gloire de
l’homme ; comme un homme mérite d’être vêtu d’habits plus éclatants, quoique
l’habit lui-même n’ait mérité d’aucune manière ces ornements.
Mais
c’est le contraire. Le prophète fait dire à Dieu (Is.,
65, 17) : Je m’en vais créer de nouveaux
cieux et une terre nouvelle, et tout ce qui a existé auparavant s’effacera de
la mémoire. Et saint Jean dit (Apoc., 21, 1) : J’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle,
car le premier ciel et la première terre ont disparu.
L’habitation
doit convenir à l’habitant. Or, le monde a été fait pour être l’habitation de
l’homme. Il doit donc convenir à l’homme, et puisque l’homme sera renouvelé, le
monde le sera aussi.
Tout animal aime son semblable (Ecclésiastique, 13, 19) ; d’où il est
évident que la ressemblance est la raison de l’amour. Or, l’homme a une
ressemblance avec l’univers, et c’est pour cela qu’il est appelé un petit
monde. Donc l’homme aime le monde entier naturellement, et par conséquent il
désire son bien. Il faut donc que l’univers soit amélioré pour satisfaire au
désir de l’homme.
Conclusion
Puisqu’on croit que le monde a été fait à cause de l’homme, il est convenable
que le monde soit renouvelé de la même manière que l’homme sera glorifié.
Il
faut répondre qu’ont croit que toutes les choses corporelles ont été faites à
cause de l’homme, et c’est pour cela qu’on dit qu’elles lui sont soumises. Or,
elles servent à l’homme de deux manières, d’abord pour soutenir sa vie
corporelle, et ensuite pour le faire avancer dans la connaissance de Dieu, dans
le sens que l’homme connaît les attributs
invisibles de Dieu au moyen des choses qu’il a faites, comme le dit saint
Paul (Rom., chap. 1). L’homme
glorifié n’aura nullement besoin du premier secours qu’il retire maintenant des
créatures ; puisque son corps doit être absolument incorruptible, suivant le
privilège que la puissance divine lui communiquera au moyen de l’âme qu’elle
glorifiera immédiatement. Il n’aura pas non plus besoin du second par rapport à
sa connaissance intellectuelle, parce que par cette connaissance les saints
verront Dieu immédiatement dans son essence. Mais l’œil de la chair ne pourra
pas atteindre à cette vision de l’essence. C’est pourquoi pour qu’il ait à
l’égard de la vision de la divinité une jouissance qui li convienne, il la
verra dans ses effets corporels, dans lesquels il trouvera des marques
éclatantes de la divine majesté. Il considérera principalement la chair du
Christ, ensuite les corps des bienheureux et enfin tous les autres corps. Et il
faudra pour ce motif que ces corps reçoivent un reflet plus vif de la bonté
divine que maintenant, sans changer pour cela leur espèce, mais en leur
ajoutant la perfection de la gloire, et c’est en cela que consistera le
renouvellement du monde. Il arrivera donc tout à la fois que le monde sera
renouvelé et l’homme glorifié.
Article
2 : Le mouvement des corps célestes cessera-t-il ?
Objection
N°1. Il semble que le mouvement des corps célestes ne cessera pas dans ce
renouvellement du monde. Car il est dit (Gen., 8, 22) : Tant que la terre
durera, le froid et le chaud, l’été et l’hiver, la nuit et le jour ne cesseront
de se succéder. Or, la nuit et le jour, l’été et l’hiver sont produits par
le mouvement du soleil. Donc ce mouvement ne cessera jamais.
Réponse
à l’objection N°1 : Ces paroles s’entendent de la terre tant qu’elle sera dans
l’état de pouvoir être le principe de la génération et de la corruption des
plantes ; ce qui est évident d’après ces paroles : Cunctis diebuts terræ sementis et messis, etc. Il
faut simplement accorder ce principe, c’est que tant que la terre sera apte à
recevoir des semences et à produire des moissons, le mouvement du ciel ne
cessera pas.
Objection
N°2. On lit (Jér., 31, 35) : Voici ce que dit le Seigneur qui fait lever le soleil pour être la
lumière du jour, et qui règle le cours de la lune et des étoiles pour être la
lumière de la nuit ; qui agite la mer et qui fait retentir le bruit de ses
flots : Si ces flots viennent à faillir devant moi, alors la race d’Israël
cessera d’être un peuple subsistant tous les jours en ma présence. Or, la
race d’Israël ne périra jamais, mais elle subsistera éternellement. les lois du jour et de la nuit et des flots de la mer qui sont
des effets du mouvement du ciel subsisteront donc à jamais. Le mouvement du
ciel ne cessera donc pas.
Réponse
à l’objection N°2 : De même que pour la première, le Seigneur parle en cet
endroit de la durée de la race d’Israël selon l’état présent ; ce qui est
évident d’après ces paroles : La race
d’Israël cessera d’être une nation subsistant tous les jours devant moi.
Car la succession des jours n’aura plus lieu après cet état. C’est pourquoi les
lois dont il avait fait mention n’existeront plus également à cette époque.
Objection
N°3. La substance des corps célestes existera toujours. Or, il est inutile
qu’une chose existe si celle pour laquelle elle a été faite n’existe plus. Or,
les corps célestes ont été faits pour séparer le jour et la nuit, pour servir
de signes aux temps et eux saisons, aux jours et aux années (Gen., 1, 14), ce qui ne peut se faire que
par le mouvement. Donc leur mouvement subsistera toujours ; autrement ces corps
subsisteraient en vain.
Réponse
à l’objection N°3 : La fin que l’on assigne à cet endroit aux corps célestes
est leur fin la plus prochaine, parce que c’est leur acte propre, mais cet acte
se rapporte ultérieurement à une autre fin, c’est-à-dire au service des
humains, comme on le voit par ces paroles (Deut., 4, 19) : De peur
qu’élevant vos yeux vers le ciel et y voyant le soleil, la lune et tous les
astres, vous ne tombiez dans l’erreur et que vous n’adoriez ces créatures que
le Seigneur votre Dieu a faites pour le service de toutes les nations qui sont
sous le ciel. C’est pourquoi on doit juger des corps célestes d’après le
service qu’ils rendent aux hommes, plutôt que d’après la fin assignée dans la
Genèse. Et comme les corps célestes serviront d’une autre manière à l’homme
glorifié, ainsi que nous l’avons dit auparavant (dans le corps de l’article et
art. préc.), il s’ensuit qu’ils ne subsisteront pas
en vain.
Objection
N°4. Dans ce renouvellement du monde l’univers entier sera amélioré. On
n’enlèvera donc à aucun corps qui subsiste ce qui est de sa perfection. Or, le
mouvement est de la perfection du corps céleste ; car, comme le dit Aristote (De cælo et mundo, liv. 2, text. 65 et
66), ces corps participeront à la bonté divine par le mouvement. Donc le
mouvement du ciel ne cessera pas.
Réponse
à l’objection N°4 : Le mouvement n’appartient à la perfection du corps céleste
qu’en raison de ce qu’il est par là la cause de la génération et de la
corruption dans ces êtres inférieurs, et c’est sous ce rapport que ce mouvement
fait participer le corps céleste à la bonté divine par une ressemblance de
causalité. Mais le mouvement n’appartient pas à la perfection de la substance
du ciel qui subsistera ; et c’est pour cela qu’il résulte de la cessation du
mouvement que la substance du ciel soit privée de quelque chose qui appartienne
à sa perfection.
Objection
N°5. Le soleil éclaire successivement les différentes parties selon qu’il se
meut circulairement. Si donc le mouvement circulaire du ciel cesse, il s’ensuit
qu’à la surface de la terre il y aura une obscurité perpétuelle ; ce qui ne
convient pas à ce nouvel ordre de choses.
Réponse
à l’objection N°5 : Tous les corps des éléments auront en eux-mêmes une
certaine clarté glorieuse. Par conséquent quoiqu’une face de la terre ne soit
plus éclairée par le soleil, elle ne sera pour cela dans l’obscurité d’aucune
manière.
Objection
N°6. Si le mouvement cessait, ce ne serait qu’autant qu’il produirait dans le
ciel une certaine imperfection, comme une lassitude ou un travail ; ce qui ne
peut pas être, puisque le mouvement est naturel et que les corps célestes sont
impassibles. Ils ne se fatiguent donc pas dans leur mouvement, comme le dit
Aristote (De cælo
et mundo, liv. 2, text.
3 et 4), et par conséquent leur mouvement ne cessera jamais.
Réponse
à l’objection N°6 : Sur ces paroles (Rom.,
chap. 8 : Omnis creatura ingemiscit), la glose de saint Ambroise dit
expressément (ord. vetus mss.) : que tous les
éléments remplissent avec travail leurs fonctions comme le soleil et la lune ne
remplissent pas sans peine les espaces qui leur sont déterminés ; ce qui est
cause de notre propre fatigue. Par conséquent ils se reposeront du moment que
nous serons glorifiés. Mais ce travail, à mon avis, ne signifie pas une fatigue
ou une passion produite dans ces corps par le mouvement ; parce que ce mouvement
est naturel n’ayant rien de violent, comme le prouve Aristote (De cælo et mundo, liv., text. 9 et
suiv.). Mais par travail on entend la privation de l’objet vers lequel une
chose tend. Ainsi comme ce mouvement a été établi par la divine providence pour
compléter le nombre des élus, tant que ce nombre n’est pas complet, tant que ce
nombre n’est pas complet, il n’est pas encore arrivé au but pour lequel il a
été produit. C’est pourquoi on dit par analogie que le ciel travaille, comme
l’homme qui n’a pas ce qu’il désire. Ce défaut n’existera plus dans le ciel du
moment que le nombre des élus sera rempli. — Ou bien on peut aussi rapporter
ces paroles à ce désir de renouvellement futur que l’on attend de la
disposition divine.
Objection
N°7. Une puissance qui ne passe pas à l’acte est vaine. Or, dans quelque
situation qu’on suppose le corps céleste il est en puissance à l’égard d’une
autre situation. SI donc elle ne passait pas à l’acte, cette puissance
subsisterait en vain et serait toujours imparfaite. Et comme elle ne peut
passer à l’acte que par le mouvement local, il en résulte que le ciel sera
toujours en mouvement.
Réponse
à l’objection N°7 : Il n’y a dans le corps céleste aucune puissance qui soit
perfectionné par le lieu ou qui ait été faite pour être dans un lieu déterminé.
Mais la puissance dans le corps céleste est au lieu ce que la puissance de
l’ouvrier est à l’aptitude qu’il a de construire différentes maisons de la même
manière. S’il en fait une on ne dit pas qu’il possède cette puissance en vain.
De même en quelque situation que soit le corps céleste, la puissance qu’il a
par rapport au lieu ne restera ni incomplète, ni vaine.
Objection
N°8. Quand une chose se rapporte indifféremment à plusieurs, on les lui
attribue l’une et l’autre ou on ne lui en attribue
aucune. Or, il est indifférent pour le soleil d’être à l’orient ou à l’occident
; parce qu’autrement son mouvement ne serait pas constamment uniforme, et qu’il
se porterait plus rapidement vers le lieu où il existerait plus naturellement.
On ne lui attribuera donc ni l’une ni l’autre de ces positions ou on les lui
attribuera toutes les deux. Or, on ne peut pas les lui attribuer toutes les
deux, et on ne peut ne lui attribuer ni l’une ni l’autre, sinon successivement
par le moyen du mouvement. Car il faut, s’il est en repos, qu’il se repose dans
une situation. Donc le corps du soleil sera perpétuellement en mouvement, et
pour la même raison il en sera de même de tous les autres corps célestes.
Réponse
à l’objection N°8 : Quoique le corps céleste se rapporte également selon sa
nature à toute situation qu’il peut avoir, cependant si on le compare avec les
choses qui sont hors de lui, il ne se rapporte pas également à toutes les
situations, mais dans une situation il est mieux disposé par rapport à
certaines choses que dans une autre, comme le soleil est mieux disposé par
rapport à nous le jour que la nuit. C’est pourquoi il est probable, puisque le
renouvellement entier du monde se rapporte à l’homme, que le ciel aura dans ce
nouvel ordre de choses la situation la plus convenable qu’il soit possible par
rapport à notre habitation. — Ou bien d’après quelques-uns, le ciel se reposera
dans la situation où il a été fait ; autrement il y aurait une révolution du
ciel qui resterait incomplète. Mais cette raison ne paraît pas convenable ;
parce que comme il y a dans le ciel une révolution qui n’est finie qu’après
36000 ans, il s’ensuivrait que le monde devrait durer autant de temps ; ce qui
ne semble pas probable. Et en outre d’après cela on pourrait savoir l’époque à
laquelle le monde devrait finir. Car les astronomes peuvent calculer avec
probabilité la situation dans laquelle le monde a été fait, en considérant le
nombre des années qu’on compte depuis le commencement du monde ; et on pourrait
savoir de la même manière le nombre fixe d’années d’après lesquelles il se
retrouvera dans la même disposition. Cependant nous avons vu qu’on ignore
l’époque de la fin du monde.
Objection
N°9. Le mouvement du ciel est la cause du temps. Si donc le mouvement du ciel
cesse, il faut que le temps cesse aussi, et s’il cessait, il devrait cesser
dans un instant. Or, on définit l’instant (Phys.,
liv. 8, text. 11), ce qui est le commencement de
l’avenir et la fin du passé. Par conséquent le temps existerait après le dernier
instant du temps, ce qui est impossible. Le mouvement du ciel ne cessera donc
jamais.
Réponse
à l’objection N°9 : Le temps cessera un jour quand le mouvement du ciel cessera
lui-même. Ce dernier instant ne sera pas le commencement d’un temps futur. Car
cette définition ne se rapporte qu’à l’instant selon qu’il continue les parties
du temps, mais non selon qu’il est le terme du temps entier.
Objection
N°10. La gloire ne détruit pas la nature. Or, le mouvement du ciel lui est
naturel. La gloire ne le lui enlèvera donc pas.
Réponse
à l’objection N°10 : Le mouvement du ciel n’est pas appelé naturel, comme s’il
était une partie de la nature, de la même manière qu’on appelle naturels les
principes de la nature, ni comme ayant son principe actif dans la nature du
corps, mais comme ayant seulement son principe passif. Mais son principe actif
est la substance spirituelle, comme le dit le commentateur (in princ. Cæl. et mund., liv. 1, comment. 5). C’est
pourquoi il ne répugne pas que ce mouvement soit détruit par le renouvellement
de la gloire ; car la nature du corps céleste ne sera pas pour cela changée.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Apoc., 10, 6) :
que l’ange qui apparut jura par celui qui
vit dans les siècles que le temps ne subsistera plus, c’est-à-dire après
que le septième ange eut sonné de la trompette dont le son ressuscitera les morts, comme le dit l’Apôtre (1 Cor., chap. 15). Or, si le temps n’existe plus, le mouvement du
ciel n’existera plus également, et par conséquent il cessera.
Le
prophète dit (Is., 65, 20) : Votre soleil ne se couchera plus et votre lune ne souffrira plus de
diminution. Or, c’est le mouvement du ciel qui fait que le soleil se couche
et que la lune décroît. Ce mouvement cessera donc un jour.
Comme
le prouve Aristote (De gen., liv. 2, text.
56), le mouvement du ciel existe à cause de la génération continue qui existe
dans les êtres inférieurs. Or, la génération cessera quand le nombre des élus
sera complet. Donc le mouvement du ciel cessera aussi.
Tout
mouvement existe pour une fin, comme one le voit (Met., liv. 2, text. 8). Or, tout
mouvement qui existe à cause d’une fin, cesse quand cette fin est obtenue. Donc
le mouvement du ciel n’obtiendra jamais sa fin, et alors il existerait en vain,
ou il cessera un jour.
Le
repos est plus noble que le mouvement. Car par là même que les choses sont
immobiles elles ressemblent davantage à Dieu en qui se trouve l’immobilité
souveraine. Or, le mouvement des corps inférieurs a naturellement le repos pour
terme. Donc, puisque les corps célestes sont beaucoup plus nobles, leur
mouvement aura naturellement le repos pour terme.
Conclusion
Puisque les corps célestes, aussi bien que les autres, ont été faits pour le
service de l’homme, et que les hommes glorifiés n’ont plus besoin de leur
ministère ; le mouvement du ciel par un effet de la volonté divine cessera
aussitôt que l’homme sera glorifié.
Il
faut répondre qu’à l’égard de cette question il y a trois sortes de sentiments.
Le premier est celui des philosophes qui disent que le mouvement du ciel durera
toujours. Mais ceci n’est pas d’accord avec notre foi qui établit qu’il a un
certain nombre d’élus que Dieu a déterminés à l’avance. Par conséquent il faut
que la génération des hommes ne dure pas toujours, ni pour le même motif les autres
choses qui se rapportent à cette génération, comme le mouvement du ciel et les
variations des éléments. — D’autres disent que le mouvement du ciel cessera
naturellement. Mais cela est faux également ; parce que tout corps qui est mû
naturellement a un lieu où il se repose naturellement, vers lequel il est mû
naturellement et dont il ne s’éloigne que par violence. Comme on ne peut
assigner aucun lieu de cette nature au corps céleste, parce qu’il n’est pas
plus naturel pour le soleil de s’approcher de l’orient que de s’en éloigner, il
s’ensuivrait ou que son mouvement ne serait pas totalement naturel, ou qu’il
n’aurait pas naturellement le repos pour terme. — Il faut donc dire avec
d’autres que dans le renouvellement du monde le mouvement du ciel cessera non
par une cause naturelle, mais par l’effet de la volonté divine. Car ce corps,
comme les autres, a été fait pour le service de l’homme de deux manières, ainsi
que nous l’avons dit auparavant (art. préc.). Après
l’état de la gloire l’homme n’aura pas besoin de l’un de ces secours ;
c’est-à-dire qu’il n’aura pas besoin des corps célestes selon qu’ils servent au
soutien de la vie corporelle. Ces corps lui servent de cette manière par le
mouvement en ce que c’est par le mouvement que le genre humain se multiplie,
que s’engendrent les animaux et les plantes qui sont nécessaires à l’usage de
l’homme, et que la température qui conserve la santé se produit dans l’air. Par
conséquent le mouvement du ciel cessera une fois que l’homme sera glorifié.
Nous
accordons les autres raisonnements, c’est-à-dire les trois premiers qui se
rapportent à la thèse opposée ; parce qu’ils concluent légitimement. Mais parce
que les deux autres paraissent supposer que le mouvement du ciel cessera
naturellement, il faut pour ce motif leur répondre.
Il
faut répondre au premier de ces deux arguments, que le mouvement cesse du
moment que l’on a atteint la fin pour laquelle il existe, si cet effet est une
conséquence du mouvement et qu’il ne l’accompagne pas. Mais le motif pour
lequel le mouvement céleste existe, d’après les philosophes, accompagne le
mouvement, car il existe pour imiter la bonté divine par la causalité qu’il
exerce sur les êtres inférieurs. C’est pourquoi il ne faut pas que ce mouvement
cesse naturellement.
Il
faut répondre au second, que quoique l’immobilité soit absolument plus noble
que le mouvement, cependant le mouvement dans un être qui peut par là arriver à
une participation parfaite de la bonté divine est plus noble que le repos dans
un être qui ne peut arriver à cette perfection d’aucune manière par le même
moyen. C’est ainsi que la terre qui est le dernier des éléments est sans
mouvement, quoique Dieu qui est le plus noble de tous les êtres soit sans ce
mouvement par lequel les corps les plus nobles sont susceptibles d’être mus.
D’où il suit que l’on pourrait supposer que le mouvement des corps supérieurs
se perpétuera selon la voie de la nature et qu’il n’aura jamais le repos pour
terme, quoique le mouvement des corps inférieurs se termine au repos.
Article
3 : La clarté dans les corps célestes s’accroîtra-t-elle dans ce renouvellement
?
Objection
N°1. Il semble que les corps célestes ne gagneront pas en clarté dans ce
renouvellement. Car ce renouvellement se fera dans les corps inférieurs par la
purification du feu. Or, le feu qui purifie n’atteindra pas jusqu’aux corps
célestes. Les corps célestes ne se renouvelleront donc pas en recevant une plus
grande clarté.
Réponse
à l’objection N°1 : Le feu qui purifie ne produira pas la forme du
renouvellement, mais il y disposera seulement en purifiant de la souillure du
péché et de l’impureté du mélange qui ne se trouve pas dans les corps célestes.
C’est pour cela que quoique les corps célestes de doivent pas être purifiés par
le feu, ils doivent cependant être renouvelés par Dieu.
Objection
N°2. Comme les corps célestes sont par le mouvement causes de la génération
dans les êtres inférieurs, de même ils le sont aussi par la lumière. Or, quand
la génération cessera, le mouvement cessera aussi, comme nous l’avons dit (art.
préc.). De même la lumière des corps célestes cessera
donc plutôt qu’elle n’augmentera.
Réponse
à l’objection N°2 : Le mouvement n’implique pas une perfection dans ce qui est
mû suivant qu’on le considère en lui-même, puisqu’il est l’acte d’un être imparfait
; quoiqu’il puisse appartenir à la perfection d’un corps selon qu’il est la
cause de certains effets. Ainsi la lumière appartenant à la perfection du corps
lumineux considéré en sa substance, lorsque le corps céleste cessera d’être
cause de la génération, sa clarté subsistera, mais son mouvement n’aura plus
lieu.
Objection
N°3. Si a la régénération de l’homme les corps
célestes sont renouvelés, il faut qu’à sa chute ils aient été détériorés. Or,
cela ne semble pas probable, puisque ces corps sont invariables quant à leur
substance. Ils ne seront donc pas renouvelés quand l’homme le sera.
Réponse
à l’objection N°3 : Sur ces paroles (Is., chap. 30) :
La lumière de la lune sera comme la
lumière du soleil, la glose dit (interl.) :
Toutes les choses faites à cause de l’homme ont été dégradées à sa chute : le
soleil et la lune ont perdu de leur lumière, et il y en a qui entendent cette
perte d’un affaiblissement réel de leur puissance lumineuse. Il est indifférent
d’ailleurs que les corps célestes soient invariables de leur nature, parce que
ce changement a été l’effet de la puissance divine. D’autres donnent à ces
paroles une interprétation plus probable en disant que cet affaiblissement ne
se rapporte pas à une diminution véritable de la lumière, mais qu’il ne
s’entend pas de l’usage de l’homme qui après le péché n’a pas retiré de la
lumière des corps célestes un aussi grand avantage qu’auparavant. C’est ainsi
qu’il est dit (Gen., 3, 17) : La terre sera maudite à l’égard de votre travail… elle vous produira
des épines et des ronces ; elle en aurait produit néanmoins auparavant,
mais non pour le châtiment de l’homme. Toutefois de ce que la lumière des corps
célestes n’a pas été essentiellement affaiblie par suite du péché de l’homme,
il ne s’ensuit pas qu’elle ne doive pas être réellement augmentée dans sa
glorification. Car le péché de l’homme n’a pas changé l’état de l’univers,
puisque l’homme a eu avant comme après la vie animale qui a besoin du mouvement
et de la génération de la créature corporelle, au lieu que la glorification de
l’homme changera l’état de toutes les créatures corporelles, comme nous l’avons
dit (quest. 74, art. 7). C’est pourquoi il n’y a pas de parité.
Objection
N°4. S’ils ont été alors détériorés, il faut qu’ils l’aient été autant qu’on
dit qu’ils doivent être améliorés dans la régénération de l’homme. Or il est
dit (Is., 30, 26) que la lumière de la lune sera comme celle du soleil. Par conséquent
dans l’état primitif avant le péché la lune brillait autant que brille
maintenant le soleil. Ainsi toutes les fois que la lune était au-dessus de la
terre, elle y produisait le jour comme le soleil le fait maintenant ; ce qui
paraît manifestement faux d’après ce que dit la Genèse, chap. 1, que la lune a
été faite pour présider à la nuit.
Donc par suite du péché de l’homme les corps célestes n’ont rien perdu de leur
lumière, et par conséquent elle n’augmentera pas non plus dans sa
glorification.
Réponse
à l’objection N°4 : Cet affaiblissement, comme on le croit avec plus de
probabilité ne se rapporte pas à la substance mais à l’effet. Il ne s’ensuit
donc pas que la lune étant au-dessus de la terre aurait produit le jour, mais
que l’homme aurait retiré de la lumière de la lune autant d’avantages qu’il en
retire maintenant de la lumière du soleil. Mais après la résurrection, quand la
lumière de la lune sera réellement accrue, la nuit n’existera plus nulle part
sur la terre, mais seulement au centre où se trouvera l’enfer. Car alors, comme
on le dit, la lune brillera autant que brille maintenant le soleil, et le
soleil sept fois plus que maintenant, et les corps des bienheureux sept fois
plus que le soleil, quoique cette opinion ne puisse se démontrer ni par
l’autorité ni par la raison.
Objection
N°5. La clarté des corps célestes a pour but d’être utile à l’homme comme les
autres créatures. Or, après la résurrection, la clarté du soleil ne servira
plus de rien à l’homme. Car il est dit (Is., 60, 19)
: Vous n’aurez plus le soleil pour vous
éclairer pendant le jour et la clarté de la lune ne luira plus sur vous. Et
ailleurs (Apoc., 21, 23) : Cette ville n’a pas besoin d’être éclairée par le soleil ou par la lune.
Leur clarté n’augmentera donc pas.
Réponse
à l’objection N°5 : Une chose peut servir à l’usage de l’homme de deux manières
: 1° Par nécessité. De cette manière aucune créature ne servira à l’usage de
l’homme, parce qu’il trouvera pleinement en Dieu tout ce qu’il lui faut. Et
c’est ce que saint Jean exprime (Apoc., 21, 23),
quand il dit que cette cité n’a besoin ni
du soleil ni de la lune. 2° On peut user d’une chose pour une plus grande
perfection. C’est ainsi que l’homme usera des créatures, mais il n’en usera pas
comme si elles lui étaient nécessaires pour parvenir à sa fin, ainsi qu’il le
fait maintenant.
Objection
N°6. Ce ne serait pas un ouvrier sage qui ferait de très grands instruments
pour construire une œuvre de peu d’importance. Or, l’homme est peu de chose
comparativement aux corps célestes, qui par leur masse immense surpassent d’une
manière pour ainsi dire incomparable le volume de l’homme, et même l’étendue de
la terre est au ciel ce que le point est à la sphère, comme disent les
astronomes. Par conséquent puisque Dieu est très sage, il ne semble pas que
l’homme soit la fin de la création du ciel, et par là même il ne semble pas que
par la chute de l’homme le ciel ait été détérioré, ni qu’il soit amélioré par
sa glorification.
Réponse
à l’objection N°6 : Cette raison est celle de Moïse Maimonide qui s’efforce (Dux errant., liv. 3, chap. 14) de démontrer
que le monde n’a pas été fait pour l’homme. Ainsi ce qu’on lit dans l’Ancien
Testament sur le renouvellement du monde, comme dans les passages que nous
avons cités d’Isaïe, il prétend que cela est dit métaphoriquement. C’est ainsi
qu’on dit que le soleil s’obscurcit pour quelqu’un, quand il tombe dans une
grande tristesse au point de ne plus savoir ce qu’il fait (cette manière de
s’exprimer se rencontre fréquemment dans l’Ecriture), et que dans un sens
opposé on dit également que le soleil brille plus vivement, et que le monde entier
est renouvelé, quand il passe de la tristesse à une grande joie. Mais ce
sentiment est en désaccord avec les témoignages et les explications des Pères.
Il faut donc répondre à cette raison que quoique les corps célestes surpassent
beaucoup le corps humain, cependant l’être raisonnable surpasse encore beaucoup
plus les corps célestes que ceux-ci ne surpassent le corps humain. Il ne
répugne donc pas de dire que les corps célestes ont été faits à cause de
l’homme, mais non comme pour leur fin principale, parce que la fin principale de toutes choses c’est Dieu.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Is., 30, 26) : La lumière de la lune sera comme la lumière
du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus grande.
Le
monde entier sera renouvelé pour devenir meilleur. Or, le ciel est la partie la
plus noble du monde corporel. Il sera donc changé à son avantage, et comme cela
ne peut pas être à moins qu’il ne brille d’une plus grande clarté, il sera donc
amélioré et sa clarté croîtra.
Toute créature gémit et souffre les douleurs
de l’enfantement en attendant la manifestation de la gloire des enfants de Dieu,
comme le dit saint Paul (Rom., 8,
18). Or, les corps célestes en sont là, comme l’observe la glose (ord. Ambros.). Ils attendent donc la gloire des saints. Mais ils
ne l’attendraient pas s’il n’en devait résulter pour eux un certain
accroissement. La clarté qui est la principale cause de leur éclat sera donc
augmentée.
Conclusion
Les corps célestes recevront dans ce renouvellement une plus grande clarté,
afin qu’ils fassent voir Dieu d’une manière pour ainsi dire sensible.
Il
faut répondre que ce renouvellement du monde a pour but de faire voir Dieu à
l’homme d’après des marques manifestes d’une manière pour ainsi dire sensible.
Or, la créature mène à la connaissance de Dieu, principalement par sa beauté et
son éclat qui manifestent la sagesse de celui qui les a faites et qui les
gouverne. D’où il est dit (Sag., 13, 5) : La grande beauté des créatures rend en
quelque sorte visible leur créateur. Mais la beauté des corps célestes
consiste principalement dans la lumière. C’est pourquoi il est dit (Ecclé., 43, 10) : L’éclat des étoiles est la beauté du ciel, par elles le Seigneur
éclaire le monde des lieux les plus hauts. Ainsi les corps célestes seront
principalement améliorés quant à la clarté ; mais le degré et le mode de cette
amélioration ne sont connus que de celui qui en sera l’auteur.
Article
4 : Les éléments seront-ils renouvelés en recevant une certaine clarté ?
Objection
N°1. Il semble que les éléments ne seront pas renouvelés en recevant une
certaine clarté. Car comme la lumière est la qualité propre du corps céleste,
de même le chaud et le froid, l’humidité et le sec sont les qualités propres
des éléments. Par conséquent, comme le ciel sera renouvelé par un accroissement
de clarté, de même les éléments doivent être renouvelés par un accroissement des
qualités actives et passives.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (art. 1), le renouvellement du monde
a pour but de faire voir à l’homme la divinité d’une manière pour ainsi dire
sensible par des manifestations éclatantes. Or, de tous nos sens la vue est le
plus spirituel et le plus subtil. C’est pourquoi, à l’égard des qualités
visuelles dont la lumière est le principe, il faut que tous les corps
inférieurs soient grandement perfectionnés. Au contraire les qualités
élémentaires appartiennent au tact, qui est le sens le plus matériel, et leur
excès de contrariété est plutôt une cause de tristesse que de joie, tandis que
l’excès de la lumière sera agréable, puisqu’elle ne nous est maintenant
contraire qu’en raison de la faiblesse de l’organe, laquelle ne subsistera
plus.
Objection
N°2. La rareté et la densité sont des qualités des éléments qu’ils ne perdront
pas dans cette rénovation. Or, la rareté et la densité des éléments paraissent
résider à la clarté, puisqu’il faut qu’un corps transparent ait été condensé.
Ainsi la rareté de l’air ne paraît pas compatible avec la clarté, et il en est
de même de la densité de la terre qui détruit la transparence. Il ne peut donc
pas se faire que les éléments soient renouvelés par une augmentation de clarté.
Réponse
à l’objection N°2 : La clarté de l’air ne sera pas comme celle d’un corps qui
projette des rayons, mais comme un corps transparent qui est illuminé. Quant à
la terre, quoique par sa nature elle soit opaque à cause du défaut de lumière,
cependant par l’effet de la vertu divine elle sera environnée de la clarté de
la gloire à sa surface, sans préjudicier à sa densité.
Objection
N°3. Il est constant que les damnés sont sur la terre. Or, ils seront non
seulement dans les ténèbres intérieures, mais encore dans les ténèbres
extérieures. la terre ne sera donc pas douée de clarté
dans ce renouvellement et pour la même raison les autres éléments n’en seront
pas doués non plus.
Réponse
à l’objection N°3 : Dans le lieu de l’enfer, la terre ne sera pas glorifiée par
la clarté ; mais les esprits raisonnables des hommes et des démons remplaceront
cette gloire dans la partie de la terre. Quoique ces esprits soient infirmes en
raison de leur faute, ils son cependant supérieurs à toute qualité corporelle
par la dignité de leur nature. — Ou bien il faut dire que quoique la terre
entière soit glorifiée, néanmoins les réprouvés seront dans les ténèbres
extérieures ; parce que le feu de l’enfer qui brillera pour eux sous un rapport
ne pourra pas briller sous un autre.
Objection
N°4. En ajoutant à la clarté dans les éléments on ajoute à la chaleur. Si donc
dans ce renouvellement les éléments ont une clarté plus grande que maintenant,
ils auront par conséquent une chaleur plus grande aussi. Il semble donc qu’ils
seront transformés à l’égard des qualités naturelles qui existent en eux selon
une certaine mesure, ce qui est absurde.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette clarté sera dans ces corps comme elle est dans les
corps célestes où elle ne produit pas de chaleur ; parce que ces corps seront
alors inaltérables, comme le sont maintenant les corps célestes.
Objection
N°5. Le bien de l’univers qui consiste dans l’ordre et l’harmonie des parties est plus noble que le bien d’une nature particulière. Or, si
une créature devient meilleure, elle détruit le bien de l’univers, parce que la
même harmonie ne subsistera plus. Donc si les corps élémentaires qui, en raison
du rang que leurs natures occupent dans l’univers, doivent être privés de
lumière, viennent à recevoir la clarté, la perfection de l’univers y perdra
plus qu’elle n’y gagnera.
Réponse
à l’objection N°5 : L’ordre de l’univers ne sera pas détruit par suite du
perfectionnement des éléments ; parce que toutes les autres parties seront
améliorées également, et par conséquent la même harmonie subsistera.
Mais
c’est le contraire. Il est dit (Apoc., 21, 1) : J’ai vu un ciel nouveau et une terre
nouvelle. Or, le ciel sera renouvelé par une plus grande clarté. Donc il en
sera de même de la terre et des éléments.
Les
corps inférieurs seront à l’usage de l’homme aussi bien que les corps
supérieurs. or, la nature corporelle sera récompensée
à cause des services qu’elle a rendus à l’homme, comme paraît le dire la glose
(Rom., chap. 8 Ambros.
sup. illud : Omnis creatura ingemiscit, et glos. ord. Hier. sup
illud Is., chap. 30 : Et erit lux lunæ). Les éléments seront donc glorifiés comme les
corps célestes.
Le
corps de l’homme est composé d’éléments. Donc les parties des éléments qui sont
dans le corps de l’homme seront glorifiées, quand l’homme le sera, en recevant
une certaine clarté. Et comme il convient que la disposition du tout et des
parties reste la même, il s’ensuit qu’il convient que les éléments eux-mêmes
soient doués de clarté.
Conclusion
Puisqu’il faut que les corps inférieurs soient perfectionnés principalement en
raison de la clarté qu’ils ont de commun avec les corps célestes, les éléments
devront être revêtus d’une certaine clarté, mais non d’une manière égale.
Il
faut répondre que comme il y a un rapport entre les esprits célestes et les
esprits terrestres ou les âmes humaines, de même il y en a un entre les corps
célestes et les corps terrestres. Donc puisque la créature corporelle a été
faite à cause de la créature spirituelle et qu’elle est régie par elle, il faut
de même que les choses corporelles soient disposées comme les choses
spirituelles le sont. Or, dans cette dernière consommation des choses les
esprits inférieurs recevront les propriétés des esprits supérieurs, puisque les
hommes seront comme les anges dans le
ciel, selon l’expression de l’Evangile (Matth.,
22, 30). Et cela se fera parce que ce que l’esprit humain a de commun avec
l’ange parviendra à la plus grande perfection. Par conséquent, puisque les
corps inférieurs n’ont de commun avec les corps célestes que la propriété
d’être lumineux et diaphane, selon l’expression d’Aristote (De an., liv. 2, text.
68), il faut que les corps inférieurs soient principalement perfectionnés sous
le rapport de la clarté. Tous les éléments seront donc revêtus d’une certaine
clarté, non pas cependant d’une manière égale, mais selon leur nature. Car il
est dit que la terre sera transparente comme du verre à sa surface extérieure,
l’eau comme du cristal, l’air comme le ciel, le feu comme les luminaires
célestes.
Article
5 : Les plantes et les animaux subsisteront-ils dans ce renouvellement ?
Objection
N°1. Il semble que les plantes et les animaux subsisteront dans ce
renouvellement. Car on ne doit pas soustraire aux éléments quelque chose de ce
qui appartient à leur ornement. Or, on dit que les animaux et les plantes sont
les ornements des éléments. Ils ne seront donc pas détruits dans ce
renouvellement.
Réponse
à l’objection N°1 : On dit que ces corps servent à l’ornement des éléments,
selon qu’ils sont des puissances actives et passives générales qui existent
dans les éléments et qui contribuent à des actions spéciales. C’est pourquoi
ils servent à l’ornement des éléments dans leur état d’activité et de
passivité. Mais cet état ne subsistera plus dans les éléments ; il n’est donc
pas nécessaire que les animaux et les plantes subsistent aussi.
Objection
N°2. Comme les éléments ont été utiles à l’homme, de même aussi les animaux,
les plantes et les corps minéraux. Or, les éléments seront glorifiés à cause
des services qu’ils ont rendu. Les animaux, les
plantes et les corps minéraux le seront donc aussi.
Réponse
à l’objection N°2 : Les animaux, les plantes et les autres corps n’ont rien
mérité par les services qu’ils ont rendu à l’homme, puisqu’ils n’ont pas de
liberté ; mais on dit seulement que certains corps seront récompensés parce que
l’homme a mérité que ceux qui se rapportent à cet ordre nouveau soient
renouvelés. Mais les plantes et les animaux ne se rapportent d’aucune manière à
l’incorruptibilité, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.) ; il
s’ensuit que l’homme n’a pas mérité qu’ils soient renouvelés, puisqu’on ne peut
mériter pour un autre une chose dont il n’est pas capable et qu’on ne peut même
la mériter pour soi. — Ainsi en supposant même que les animaux aient mérité par
les services qu’ils rendent à l’homme, ils ne devraient cependant pas être
renouvelés.
Objection
N°3. L’univers restera imparfait si on enlève quelque chose de ce qui
appartient à sa perfection. Or, les espèces des animaux, des plantes et des
corps minéraux appartiennent à la perfection de l’univers. Puisqu’on ne doit
pas dire que le monde restera imparfait dans son renouvellement, il semble donc
qu’il faille dire que les plantes et les animaux subsisteront.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme on considère de plusieurs manières la perfection de
l’homme (car il y a la perfection de la nature créée et de la nature glorifiée),
de même on distingue aussi dans l’univers deux sortes de perfection : l’une qui
se rapporte à son état de mobilité actuelle et l’autre à l’état de son
renouvellement futur. Or, les plantes et les animaux appartiennent à sa
perfection selon le premier état, mais non selon le second, puisqu’elles n’ont
pas de rapport avec ce nouvel ordre de choses.
Objection
N°4. Les animaux et les plantes ont une forme plus noble que les éléments
eux-mêmes. Or, le monde dans ce renouvellement final sera changé à son
avantage. Les animaux et les plantes doivent subsister plutôt que les éléments,
puisqu’ils sont plus nobles.
Réponse
à l’objection N°4 : Quoique les animaux et les plantes soient plus nobles que
les éléments sous certains rapports, cependant par rapport à l’incorruptibilité
les éléments sont plus nobles, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(dans le corps de l’article.).
Objection
N°5. Il répugne de dire que l’appétit naturel soit trompé. Or, d’après
l’appétit les animaux et les plantes désirent être perpétuels, sinon selon
l’individu, au moins selon l’espèce, et tel est le but de leur génération
continuelle, comme one le voit (De genre., liv. 2, text. 59). Il n’est donc pas convenable de dire que ces
espèces seront un jour éteintes.
Réponse
à l’objection N°5 : L’appétit naturel qui existe dans les animaux et les
plantes relativement à la perpétuité doit s’entendre de manière qu’il soit
subordonné au mouvement du ciel, de telle sorte qu’elles conservent l’être
autant de temps que le mouvement du ciel durera. Car l’effet ne peut pas avoir
l’appétit ou la tendance de subsister au-delà de sa cause. C’est pourquoi si à
la cessation du mouvement du premier mobile, les plantes et les animaux ne
subsistent plus selon l’espèce, il ne s’ensuit pas que l’appétit naturel soit
trompé.
Mais
au contraire. Si les animaux et les plantes subsistent, ils subsisteront tous
ou il n’y en aura que quelques-uns. Si l’on suppose qu’ils existeront tous, il
faudra que les animaux qui sont morts auparavant ressuscitent comme les hommes
ressusciteront aussi, ce qu’on ne peut pas dire : parce que leur forme étant
anéantie elle ne peut être rétablie numériquement la même. Si l’on dit qu’ils
ne subsisteront pas tous et qu’il n’y en aura que quelques-uns, puisqu’il n’y a
pas plus de raison pour perpétuer l’un que pour perpétuer l’autre, il semble
qu’aucun d’eux ne subsistera perpétuellement. Or, tout ce qui subsistera après
le renouvellement du monde sera perpétuel, puisque la génération et la
corruption auront cessé. Les plantes et les animaux n’existeront donc plus
après le renouvellement du monde.
D’après
Aristote (De gener.,
liv., text. 55 et suiv.) les animaux, les plantes et
les autres choses corruptibles ne sont perpétuellement conservées que par la
continuité du mouvement céleste. Or, ce mouvement n’existera plus alors. La
perpétuité ne pourra donc pas être conservée dans ces espèces.
La
fin cessant, ce qui s’y rapporte doit cesser aussi. Or, les animaux et les
plantes ont été faits pour soutenir la vie animale de l’homme. D’où il est dit
(Gen., 9, 3) : Je vous donne toute chair à manger comme les légumes et les herbes des
champs. Donc quand la vie animale de l’homme n’existera plus il ne devra
plus y avoir ni animaux, ni plantes. Et puisque après ce renouvellement la vie
animale n’existera plus dans l’homme, les plantes et les animaux ne devront
donc plus subsister également.
Conclusion
Puisqu’il n’y a que les choses qui peuvent se rapporter à l’incorruptibilité
qui appartiennent à ce renouvellement du monde, les plantes et les animaux qui
ne peuvent être incorruptibles ne subsisteront donc plus alors.
Il
faut répondre que le renouvellement du monde ayant lieu à cause de l’homme il
faut qu’il soit conforme au renouvellement de l’homme lui-même. Or, l’homme
renouvelé passera de l’état de corruption à l’incorruptibilité et à l’état d’un
repos parfait. D’où il est dit (1 Cor.,
15, 53) : Il faut que ce corps
corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité et que ce corps mortel soit
revêtu de l’immortalité. C’est pourquoi le monde sera renouvelé de telle
sorte qu’ayant dépouillé toute corruption il demeure perpétuellement en repos.
Par conséquent une chose ne pourra se rapporter à ce renouvellement qu’autant
qu’elle se rapporte à l’incorruptibilité. Tels sont les corps célestes, les
éléments et les hommes. Car les corps célestes sont incorruptibles de leur
nature dans leur tout et dans leurs parties ; les éléments sont corruptibles
par rapport aux parties, mais ils ne le sont pas par rapport au tout ; et les
hommes se corrompent quant au tout et quant aux parties, si on les considère
par rapport à la matière et non par rapport à la forme, c’est-à-dire par
rapport à l’âme raisonnable qui n’est pas corrompue après la corruption de
l’âme. Mais les animaux, les plantes, les minéraux et les corps mixtes se
corrompent dans leur tout et dans leurs parties et quant à la matière qui perd
sa forme et quant à sa forme qui ne subsiste plus en acte. Ces êtres ne se
rapportent donc pas à l’incorruptibilité d’aucune manière, et par conséquent
ils ne subsisteront pas dans ce renouvellement mais il n’y aura que les choses
dont nous avons parlé auparavant.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé
Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant
du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email
figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les
retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la
propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation
catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale
catholique et des lois justes.