Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
Supplément =
5ème partie
Question 95 : Des dots des bienheureux (Saint Thomas a traité des dots ou des
perfections du corps à la question 82 et aux trois questions suivantes ; il
s’agit ici des dots des âmes ou des dons qu’elles recevront de Dieu.)
Nous
devons ensuite nous occuper des dots des bienheureux. A cet égard cinq
questions se présentent : 1° Doit-on assigner aux bienheureux des dots ? — 2°
La dot diffère-t-elle de la béatitude ? (Ce que dit sur cette question saint
Thomas a besoin d’être conféré avec ce qu’il dit sur le même sujet (1a
2æ, quest. 4, art. 3 et 1a pars, quest. 12, art. 7 ad 1).
Sylvius conclut de la collation de ces divers passages que toutes les dots de
l’âme ne diffèrent pas réellement de la béatitude et qu’elles ne sont pas
toutes des qualités.) — 3° Convient-il au Christ d’avoir ce qu’on appelle dot ?
— 4° Cela convient-il aux anges ? — 5° Est-il convenable d’assigner à l’âme
trois dots ? (On reconnaît généralement dans l’âme trois dots : la vision qui
répond à la foi, la compréhension qui répond à l’espérance, et la jouissance
qui répond à la charité. Ces trois dots sont comprises dans ces vers : Spiritus apprendit fruiturque videtque Beatus.)
Article
1 : Doit-il y avoir dans les bienheureux des dots ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir de dots dans les bienheureux. Car
d’après le droit (liv. Pro oneribus, chap. De jure dotium,
et liv. Dotis fruct., ff. eod.) la
dot est donnée à l’époux pour qu’il supporte les charges du mariage. Or, les
saints ne représentent pas l’époux, mais plutôt l’épouse, selon qu’ils sont
membres de l’Eglise. On ne leur donne donc pas de dots.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique la dot soit assignée à l’époux dans le mariage
charnel pour l’usage, cependant la propriété et le domaine appartiennent à
l’épouse ; ce qui est évident puisque du moment que le mariage est dissous, la
dot reste à l’épouse d’après le droit (chap. 1 à 3 de De donat. inter virum et uxor.).
Et ainsi dans le mariage spirituel les ornements eux-mêmes qui sont accordés à
l’épouse spirituelle, c’est-à-dire à l’Eglise dans ses membres, appartiennent à
l’époux lui-même selon qu’ils tournent à sa gloire et à son honneur, et ils
appartiennent à l’épouse selon qu’ils la parent.
Objection
N°2. D’après le droit (liv. ult., chap. De dotis promissione, et liv. Qui libros, ff. De rit. nupt.) les dots sont
accordés non par le père de l’époux, mais par le père de l’épouse. Or, tous les
biens de la béatitude sont donnés aux bienheureux par le père de l’époux,
c’est-à-dire par le père du Christ (Jac., 1, 17) : Toute grâce excellente et tout don parfait
vient d’en haut et descend du Père des lumières. Ces dons qui sont accordés
aux bienheureux ne doivent donc pas être appelés des dots.
Réponse
à l’objection N°2 : Le père de l’époux, c’est-à-dire du Christ, est la personne
seule du Père ; tandis que le père de l’épouse c’est la Trinité tout entière.
Car l’effet produit dans les créatures appartient à toute la Trinité. Ainsi
dans le mariage spirituel ces dots, à proprement parler, sont donnés par le père de l’épouse plutôt que par le père de
l’époux. Mais quoique ce don émane de toutes les personnes, il peut cependant
être approprié à chacune d’elles d’une certaine manière. On l’approprie à la
personne du Père, comme à celle qui donne ; parce que l’autorité réside en lui,
et la paternité lui étant aussi appropriée par rapport à la créature, il en
résulte qu’il est tout à la fois le père de l’époux et de l’épouse. On
l’approprie au Fils en tant que c’est à cause de lui et par lui que ces
privilèges sont accordés ; enfin on l’approprie à l’Esprit selon qu’ils sont
donnés en lui et d’après lui ; car l’amour est la raison de tous les dons qu’on
fait.
Objection
N°3. Dans le mariage charnel on donne des dots pour qu’on supporte plus
facilement les charges du mariage. Or, dans le mariage spirituel il n’y a pas
de charges, surtout d’après l’état de l’Eglise triomphante. On ne doit donc pas
y assigner de dots.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce qui convient à la dot absolument c’est ce qu’elle
produit, c’est-à-dire le soulagement et la joie du mariage ; mais ce qu’elle
éloigne ne se rapporte à elle que par accident, comme les charges du mariage
qu’elle rend plus légères. C’est ainsi qu’il convient à la grâce par elle-même
de rendre juste, tandis qu’il ne lui convient que par accident de faire de
l’impie un juste. Ainsi quoique dans le mariage spirituel il n’y ait pas de
charges, il y a cependant une très grande joie, et c’est pour rendre cette joie
parfaite que la dot est accordée à l’épouse ; c’est-à-dire, pour que son union
avec l’époux soit par là même rendue agréable.
Objection
N°4. Les dots ne sont accordés que pour le mariage.
Or, dans l’état de l’Eglise militante le mariage spirituel se contracte avec le
Christ par la foi. Donc s’il y a des dots qui conviennent aux bienheureux,
elles conviendront aussi pour la même raison aux saints qui sont dans cette
vie. Comme elles ne leur conviennent pas, elles ne conviennent donc pas non
plus aux bienheureux.
Réponse
à l’objection N°4 : Ordinairement la dot n’est pas assignée à l’épouse quand
les fiançailles se font, mais quand on la conduit dans la maison de son époux
pour jouir de sa présence. Or, comme le dit l’Apôtre : Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes loin de Dieu (2 Cor., 5, 6). C’est pourquoi les dons
que les saints reçoivent ici-bas ne sont pas appelés des dots ; mais on donne
ce nom à ceux qui leur sont conférés, quand ils sont introduits dans la gloire
où ils jouissent de la présence de l’époux.
Objection
N°5. Les dots appartiennent aux biens extérieurs qu’on appelle les biens de la
fortune. Or, les récompenses des bienheureux auront pour objet les biens
intérieurs. On ne doit donc pas leur donner le nom de dots.
Réponse
à l’objection N°5 : Pour le mariage spirituel la beauté intérieure est requise.
D’où il est dit (Ps. 44, 14) : Toute la gloire de la fille du roi vient du
dedans, etc. Au contraire la beauté extérieure est requise dans le mariage
corporel. Il n’est donc pas nécessaire que la dot soit assignée dans l’un et
l’autre de la même manière.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (Eph., 5, 32) : Ce mystère est grand ; je dis en
Jésus-Christ et en son Eglise, d’où l’on voit que le mariage spirituel est
signifié par le mariage charnel. Or, dans le mariage charnel l’épouse dotée est
conduite dans la maison de l’époux. Donc puisque les saints sont conduits dans
la maison du Christ, lorsqu’ils sont béatifiés, il semble qu’ils doivent
recevoir des dots.
Dans
le mariage corporel on assigne des dots pour rendre le mariage agréable. Or, le
mariage spirituel est plus agréable que le mariage corporel. On doit donc lui
assigner principalement des dots.
Les
ornements des épouses appartiennent à la dot. Or, les saints sont introduits
dans la gloire tout ornés, selon cette expression du prophète (Is., 61, 10) : Il m’a
revêtu des vêtements de salut… comme une épouse parée de tous ses joyaux.
Les saints ont donc dans le ciel des dots.
Conclusion
Les bienheureux seront ornés dans le paradis de certains dons que les
théologiens appellent dots.
Il
faut répondre que sans aucun doute les bienheureux quand ils sont introduits
dans la gloire, reçoivent de Dieu des dons pour leur ornement et ce sont ces
ornements que les théologiens ont appelé des dots.
Ainsi on définit la dot dont nous nous occupons maintenant de la manière
suivante : la dot est un ornement perpétuel de l’âme et du corps, qui suffit à
la vie et qui persévère à jamais dans la béatitude éternelle. Cette description
est faite par analogie avec la dot corporelle par laquelle l'épouse est ornée,
et qui donne au mari de quoi nourri suffisamment sa femme et ses enfants, et la
dot est conservée d’une manière inamissible à l’épouse de telle sorte qu’elle
lui retourne après la séparation du mariage. Mais sur la nature de ce nom il y
a divers auteurs qui ont des opinions différentes. — Car il y en a qui disent
que la dot ne s’entend pas par analogie avec le mariage corporel, mais suivant
notre manière de parler qui nous fait donner ce nom à toute perfection ou à
tout ornement d’un homme quelconque. C’est ainsi qu’on dit de quelqu’un qui est
très savant qu’il est bien doté sous le rapport de la science. Ovide a employé
ce mot dans le sens quand il a dit (De
art. an.,
liv. 1, v. 598) : Et quâcumque
potes dote placere, place. Mais ce sentiment ne
paraît pas parfaitement fondé. Car toutes les fois qu’un mot a été employé pour
signifier principalement une chose, on n’a coutume de le transporter à d’autres
choses qu’en vertu d’une analogie. par conséquent,
puisque d’après la première application du mot, la dot se rapporte au mariage
charnel, il faut que dans toute autre acception on trouve de l’analogie avec sa
signification principale. — C’est pourquoi d’autres disent qu’il y a analogie
en ce que l’on appelle proprement dot le don qui est fait à l’épouse dans le
mariage corporel de la part de l’époux, quand il la conduit dans sa maison ; ce
qui fait partie de ses ornements. Ce qui est manifeste d’après ces paroles que
Sichem dit à Jacob et à ses fils (Gen., 34, 12) : Faites monter sa dot aussi haut que vous
voudrez et demandez des présents. (Ex.,
22, 16) : Si quelqu’un séduit une vierge
et qu’il dorme avec elle, il la dotera et la prendra pour épouse. C’est
pour cela que l’ornement que le Christ accorde aux saints quand ils entrent
dans la maison de la gloire reçoit le nom de dot. Mais ceci est manifestement
contraire à ce que disent les juristes (loc. cit. in arg.
1) auxquels il appartient de traiter de ces choses. Car ils disent qu’on
appelle dot proprement dite, le don
qui est fait de la part de la femme au mari pour les charges du mariage que le
mari supporte. Mais ce que l’époux donne à l’épouse est appelé le présent de
noces. C’est dans ce sens qu’est pris le mot dot (3 Rois, 9, 16), où il est dit que Pharaon, roi d’Egypte, prit gazer, et qu’il la donna pour la dot de sa
fille qu’il avait marie à Salomon. Les passages cités ne prouvent rien
contre ce sentiment. Car quoique la dot soit ordinairement assignée par le père
de la jeune fille, cependant il arrive quelquefois que l’époux ou le père de
l’époux donne la dot à la place du père de la jeune fille : ce qui arrive en
deux circonstances : ou à cause de l’affection vive que l’on a pour l’épouse,
comme Hemor, le père de Sichem, qui voulut donner la
dot qu’il devait recevoir en raison de l’ardeur de l’amour que son fils avait
conçu pour Dina ; ou bien cela se fait pour punir
l’époux, de telle sorte qu’il soit obligé de faire avec son bien à la fille
qu’il a corrompue la dot qu’il aurait dû recevoir du père de cette personne. Et
c’est dans cette circonstance que Moïse s’exprime comme il le fait dans les
passages cités (hic sup.). — C’est pour cela que d’après d’autres il faut dire
que la dot dans le mariage corporel s’entend proprement de ce qui est donné par
les parents de la femme à ceux qui sont du côté du mari pour supporter les
charges du mariage, comme nous l’avons dit (hic sup.). Mais alors reste la
difficulté comment cette signification peut s’adapter à la question actuelle ;
puisque les ornements qui existeront dans la béatitude sont donnés à l’épouse
spirituelle par le père de l’époux. C’est ce qui s’éclaircira dans la réponse
aux arguments.
Article
2 : La dot est-elle la même chose que la béatitude ?
Objection
N°1. Il semble que la dot soit la même chose que la béatitude. Car, comme on le
voit d’après la définition que nous avons donnée précédemment de la dot (art. préc.), la dot est un ornement du corps et de l’âme qui
dure à jamais dans la béatitude éternelle. Or, la béatitude de l’âme est aussi
un de ses ornements. La béatitude est donc la même chose que la dot.
Réponse
à l’objection N°1 : La béatitude, à proprement parler, n’est pas un ornement de
l’âme, mais elle est quelque chose qui provient de l’ornement de l’âme,
puisqu’elle est une opération ; au lieu qu’on appelle ornement ce qui fait la
beauté du bienheureux lui-même.
Objection
N°2. On appelle dot ce qui fait que l’épouse est agréablement unie avec
l’époux. Or, la béatitude produit cet effet dans le mariage spirituel. La
béatitude est donc une dot.
Réponse
à l’objection N°2 : La béatitude ne se rapporte pas à l’union, mais elle est
l’union elle-même de l’âme avec le Christ, qui est produite par l’opération ;
tandis que les dots sont des dons qui disposent à cette union.
Objection
N°3. La vision, d’après saint Augustin (De
Trin., liv. 1, chap. 8, à med.), est toute la
substance de la béatitude. Or, on regarde la vision comme une des dots. La
béatitude en est donc une aussi.
Réponse
à l’objection N°3 : On peut considérer la vision de deux manières : 1°
Actuellement, c’est-à-dire la prendre pour l’acte même de la vision ; la vision
ainsi comprise n’est pas une dot, mais elle est la béatitude elle-même. 2° On
peut l’entendre habituellement, c’est-à-dire la prendre pour l’habitude de
laquelle cette opération émane, ou pour la clarté elle-même de la gloire, au
moyen de laquelle l’âme est naturellement éclairée pour voir Dieu. Dans ce sens
elle est une dot et elle est le principe de la béatitude, mais elle n’est pas
la béatitude elle-même.
Objection
N°4. La jouissance rend bienheureux. Or, la jouissance est une dot. Donc la dot
rend bienheureux et par conséquent la béatitude est une dot.
Réponse
à l’objection N°4 : De même que pour la troisième, au sujet de la jouissance
(La jouissance est peut-être la seule dot qui diffère réellement de la
béatitude éternelle.).
Objection
N°5. D’après Boëce (De cons.,
liv. 3, pros. 2, circ. princ.) la béatitude est un
état parfait qui résulte de la réunion de tous les biens. Or, l’état des
bienheureux est rendu parfait par les dots. Elles sont donc des parties de la
béatitude.
Réponse
à l’objection N°5 : La béatitude réunit tous les biens, non comme des parties
de l’essence de la béatitude, mais comme se rapportant à elle de quelque
manière, ainsi que nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
au contraire. La dot se donne sans les mérites. Or, la béatitude n’est pas
ainsi donnée, mais elle est accordée selon les mérites. La béatitude n’est donc
pas une dot.
Il
n’y a qu’une seule habitude, tandis qu’il y a plusieurs dots. la béatitude n’est donc pas une dot.
La
béatitude existe dans l’homme selon ce qu’il y a en lui de plus important,
comme le dit Aristote (Eth., liv. 10, chap. 7). Or, la dot se
rapporte aussi au corps. Donc la dot et la béatitude ne sont pas une même
chose.
Conclusion
Puisque la béatitude consiste dans une opération, tandis que la dot est plutôt
une qualité ou une disposition, il est certain que ces choses diffèrent
réellement entre elles.
Il
faut répondre qu’à cet égard il y a deux sortes d’opinion. Car il y en a qui
disent que la béatitude et la dot sont en réalité une même chose, mais qu’elles
diffèrent rationnellement ; parce que la dot se rapporte au mariage spirituel
qui a lieu entre le Christ et l’âme, tandis qu’il n’en est pas de même de la
béatitude. Mais cela ne peut pas être d’après notre avis ; puisque la béatitude
consiste dans l’opération, tandis que la dot n’est pas une opération, mais
qu’elle est plutôt une qualité ou une disposition. — C’est pourquoi il faut
dire d’après d’autres que la béatitude et la dot diffèrent réellement ; de
telle sorte qu’on appelle béatitude l’opération parfaite par laquelle l’âme
bienheureuse est unie à Dieu ; au lieu qu’on donne le nom de dot aux habitudes
ou aux dispositions, ou à toutes les autres qualités qui se rapportent à cette
opération parfaite. Ainsi les dots se rapportent à la béatitude comme ses
parties.
Article
3 : Convient-il au Christ d’avoir des dots ?
Objection
N°1. Il semble qu’il convienne au Christ d’avoir des dots. Car les saints
seront rendus semblables au Christ par la gloire : d’où il est dit (Philipp., 3, 21) : Qu’il transformera notre corps vil et abject afin de le rendre conforme
à son corps glorieux. Le Christ a donc aussi des dots.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette ressemblance doit s’entendre des choses qui sont
l’objet de la dot, et non de la nature de la dot qui existera dans le Christ.
Car il n’est pas nécessaire que les choses par lesquelles nous ressemblerons au
Christ, soient en lui et en nous de la même manière.
Objection
N°2. Dans le mariage spirituel on exige des dots par analogie avec le mariage
corporel. Or, on trouve dans le Christ un mariage spirituel qui lui est propre,
c’est l’union des deux natures dans une personne, selon qu’il est dit qu’en lui
la nature humaine a été épousée par le Verbe, comme on le voit d’après la glose
(ord. Aug., liv. 1, De consensu Evangelist.,
chap. 30 ad fin.), sur ces paroles (Ps.
18, 6) : Il a établi sa tente dans le
soleil, etc., et (Apoc., 21, 3) : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes. Il convient donc au
Christ d’avoir une dot.
Réponse
à l’objection N°2 : On ne donne pas proprement à la nature humaine le nom
d’épouse dans cette union par laquelle elle est unie au Verbe ; puisqu’il n’y a
pas là cette distinction de personnes qui est requise entre l’époux et
l’épouse. Si l’on dit quelquefois que la nature humaine a été épousée en raison
de son union avec le Verbe, cette parole signifie qu’elle ressemble à l’épouse,
parce qu’elle est unie comme elle inséparablement, et parce que dans cette
union la nature humaine est inférieure au Verbe, et qu’elle est régie par lui,
comme l’épouse par l’époux.
Objection
N°3. Comme le dit saint Augustin (De
doct. christ.,
liv. 3, chap. 31), le Christ d’après la règle de Ticonius
se nomme l’époux et l’épouse à cause de l’unité de son corps mystique, qui
existe entre le chef et les membres, comme on le voit d’après ces paroles du
prophète qui le compare (Is., 61, 10) : à un époux décoré de sa couronne et à une
épouse ornée de ses joyaux. Par conséquent puisque les dots sont dues à
l’épouse, le Christ doit aussi en avoir.
Réponse
à l’objection N°3 : Si quelquefois on donne au Christ le nom d’épouse, ce n’est
pas parce qu’il est véritablement une épouse, mais parce qu’il prend quelquefois
le rôle de son épouse, c’est-à-dire de l’Eglise qui lui est spirituellement
unie. Rien n’empêche donc que d’après cette manière de parler on ne puisse dire
qu’il a une dot, non parce qu’il la possède lui-même, mais parce que l’Eglise a
cet avantage.
Objection
N°4. La dit est due à tous les membres de l’Eglise ;
puisque l’Eglise est l’épouse. Or, le Christ est un membre de l’Eglise, comme
on le voit d’après ces paroles (1 Cor.,
12, 27) : Vous êtes les corps du Christ
et les membres dépendant du membre, c’est-à-dire du Christ, d’après la
glose (interl.). La dot est donc due au Christ.
Réponse
à l’objection N°4 : Le mot d’Eglise se prend en deux sens. Car quelquefois il
ne désigne que le corps qui est uni au Christ, comme à son chef ; et alors
l’Eglise n’est que l’épouse. En ce sens le Christ, le Christ n’est pas un
membre de l’Eglise, mais il est le chef qui agit sur tous les membres de
l’Eglise. L’Eglise se prend dans un autre sens selon
qu’elle désigne le chef et les membres qui lui sont unis. Dans ce cas, le
Christ est appelé un membre de l’Eglise, selon qu’il a un office distinct de
tous les autres, qui consiste à leur communiquer la vie, quoiqu’à proprement
parler on ne lui donne pas le nom de membre. Car un membre désigne quelque
chose de partiel, tandis que le bien spirituel n’existe pas dans le Christ par
partie, mais il y est totalement dans toute son intégrité (Saint Thomas a
examiné ex professo si le Christ est
le chef de l’Eglise, et en quel sens on doit prendre cette expression (3a
pars, quest. 8, art. 1).). Ainsi, il est le bien tout entier de l’Eglise ; lui
et les autres ne forment pas quelque chose de plus grand que lui seul. Aussi
quand on parle de l’Eglise, ce mot ne désigne pas seulement l’épouse, mais
l’époux et l’épouse, selon que par l’union spirituelle ils ne forment qu’une
seule chose. Par conséquent, quoiqu’on dise d’une certaine manière que le
Christ est membre de l’Eglise, cependant on ne peut dire d’aucune façon qu’il
est le membre de l’épouse ; et ainsi la dot ne lui convient pas.
Objection
N°5. Le Christ a la vision, la jouissance et la délectation parfaite. Or,
toutes ces choses sont des dots. Donc, etc.
Réponse
à l’objection N°5 : Dans ce raisonnement il y a ce qu’on appelle l’erreur de
l’accident (Fallacia accidentalis,
c’est ainsi qu’on désigne un des sophismes.). Car ces choses ne conviennent pas
au Christ à titre de dot.
Mais
au contraire. Entre l’époux et l’épouse il faut qu’il y ait une distinction de
personnes. Or, dans le Christ il y a rien qui soit personnellement distinct du
Fils de Dieu qui est l’époux, comme on le voit (Jean, 3, 29) : Celui qui a l’épouse est l’époux. Par
conséquent puisque la dot est assignée à l’épouse ou pour elle, il semble qu’il
ne convienne pas au Christ d’avoir des dots.
Ce
n’est pas au même à donner la dot et à la recevoir. Or, c’est le Christ qui
donne les dots spirituelles. Il ne convient donc pas au Christ de les recevoir.
Conclusion
La nature de la dot ne convient point du tout au Christ, ou bien elle ne lui
convient pas aussi proprement qu’aux autres saints ; mais les choses qu’on
désigne sous le nom de dot lui conviennent de la manière la plus excellente.
Il
faut répondre qu’à cet égard il y a deux sortes d’opinion. Car il y en a qui disent qu’il y a dans le Christ une triple union. L’une
qu’on appelle l’union de consentement par laquelle il est uni à Dieu par le
lien de l’amour ; l’autre de dignité par laquelle la nature humaine est unie à
la nature divine ; la troisième par laquelle le Christ lui-même est uni à
l’Eglise. Ils disent donc que selon les deux premières unions il convient au
Christ d’avoir des dots d’après la nature même de la dot ; mais que par rapport
à la troisième ce qui est l’objet de la dot lui convient de la manière la plus
excellente, mais non à titre de dot ; parce que dans cette union le Christ est
comme l’époux et l’Eglise comme l’épouse. Or, la dot est donnée à l’épouse,
quant à la propriété et au domaine, quoiqu’elle soit donnée à l’époux quant à
l’usage. Mais cela ne paraît pas être convenable. Car dans cette union par
laquelle le Christ est uni au Père par un consentement d’amour, même en tant
qu’il est Dieu, on ne dit pas qu’il y a mariage ; parce qu’il n’y a pas dans ce
cas la sujétion qui doit exister de l’épouse à l’époux. De même dans l’union de
la nature humaine avec la nature divine qui existe dans l’union de la personne
ou qui a lieu aussi par la conformité de la volonté, la nature propre de la dot
ne peut exister pour trois motifs : 1° Parce qu’on exige une conformité de
nature entre l’époux et l’épouse, dans ce mariage où l’on donne des dots, et
c’est ce qui n’a pas lieu dans l’union de la nature humaine avec la nature
divine. 2° Parce qu’on exige dans le mariage une distinction de personnes,
tandis que la nature humaine n’est pas distincte personnellement du Verbe. 3°
Parce que la dot se donne quand l’épouse est conduite dans la maison de
l’époux, et alors elle semble appartenir à l’épouse qui de libre qu’elle était
devient unie à lui. Mais la nature humaine, que le
Verbe s’est personnellement unie, n’a jamais existé sans lui être unie
parfaitement. — On doit donc dire d’après d’autres théologiens que la dot ne
convient point du tout au Christ, ou qu’elle ne lui convient pas aussi
proprement qu’aux autres saints ; quoique les choses qu’on appelle dot lui
conviennent de la manière la plus excellente.
Article
4 : Les anges ont-ils des dots ?
Objection
N°1. Il semble que les anges aient des dots. Car sur ces paroles (Cant., 6, 8) : Elle est unique, ma colombe, la glose dit : Il n’y a qu’une Eglise
pour les hommes et les anges. Or, l’Eglise est l’épouse et par conséquent il
convient à ses membres d’avoir des dots. Les anges en ont donc.
Réponse
à l’objection N°1 : Quoique les anges appartiennent à l’unité de l’Eglise, ils
n’en sont cependant pas les membres selon qu’on donne à l’Eglise le nom
d’épouse, par suite de sa conformité de nature. Et ainsi il ne leur convient
pas proprement d’avoir des dots.
Objection
N°2. Sur ces paroles (Luc, 12, 36) : Et
vous, soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne de
noces, la glose dit (ordin.) : le Seigneur est
allé à la noce quand, après la résurrection, l’homme nouveau s’est uni à la
multitude des anges. Donc la multitude des anges est l’épouse du Christ, et par
conséquent il convient aux anges d’avoir des dots.
Réponse
à l’objection N°2 : Cette alliance se prend dans le sens large pour l’union qui
ne suppose pas une conformité de nature dans l’espèce ; de la sorte, rien
n’empêche non plus, si on prend le mot dot dans un sens large, de reconnaître
des dots dans les anges.
Objection
N°3. Le mariage spirituel consiste dans l’union spirituelle. Or, l’union
spirituelle n’est pas moindre entre les anges et Dieu qu’entre Dieu et les
bienheureux. Donc puisque les dots, dont nous parlons maintenant, sont exigées
en raison du mariage spirituel, il semble qu’elles conviennent aux anges.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique dans le mariage spirituel il n’y ait qu’une union
spirituelle, cependant pour l’essence parfaite du mariage il faut que ceux qui
s’unissent aient la même nature quant à l’espèce. Et c’est pour cela que le
mariage n’appartient pas proprement aux anges.
Objection
N°4. Le mariage spirituel requiert un époux spirituel et une épouse
spirituelle. Or, les anges, par leur nature ressemblent mieux que les hommes au
Christ, selon qu’il est l’esprit souverain. Il peut donc y avoir mariage
spirituel du Christ avec les anges plutôt qu’avec les hommes.
Réponse
à l’objection N°4 : Cette ressemblance d’après laquelle les anges sont
semblables au Christ, en tant qu’il est Dieu, n’est pas telle qu’elle suffise
pour l’essence parfaite du mariage ; puisqu’elle ne résulte de ce qu’ils sont
de la même espèce que lui, mais qu’il reste plutôt une distance infinie qui les
sépare.
Objection
N°5. Il faut qu’il y ait plus de rapports entre le chef et les membres qu’entre l’époux et l’épouse. Or, la conformité qu’il y a
entre le Christ et les anges suffit pour que le Christ soit appelé le chef des
anges. Donc, pour la même raison, ces rapports suffisent pour qu’il reçoive le
nom d’époux par rapport à eux.
Réponse
à l’objection N°5 : Le Christ n’est pas appelé proprement le chef des anges,
d’après cette raison qui exige qu’il y ait une conformité de nature entre le
chef et les membres. Cependant il est à remarquer que quoique la tête et les
autres membres soient des parties d’un individu d’une même espèce ; si on
considère chacune de ces choses par elle-même, l’une n’est pas de la même
espèce que l’autre ; car la main est une partie d’une autre espèce que la tête.
Par conséquent, en parlant des membres considérés en eux-mêmes, on ne requiert
pas entre eux une autre convenance qu’une convenance de proportion ; de telle
sorte que l’un reçoive de l’autre et que celui-ci serve celui-là. Et ainsi le
rapport qu’il y a entre Dieu et les anges convient mieux à l’idée de chef qu’à
l’idée d’époux.
Mais
au contraire. Sur les cantiques (in princ. Prolog.),
Origène distingue quatre personnes : l’époux et l’épouse, les jeunes filles et
les compagnons de l’époux, et il dit que les anges sont les compagnons de
l’époux. Donc, puisque les dots ne sont dues qu’à l’épouse, il semble qu’elles
ne conviennent pas aux anges.
Le
Christ a épousé l’Eglise par son incarnation et sa passion. C’est pour cela
qu’il est figuré par ces paroles (Ex.,
4, 25) : Vous m’êtes un époux de sang.
Or, le Christ par sa passion et son incarnation n’a pas été uni aux anges
autrement qu’il ne l’était avant. les anges
n’appartiennent donc pas à l’Eglise selon qu’on lui donne le nom d’épouse, et
par conséquent les dots ne leur conviennent pas.
Conclusion
Puisqu’il faut qu’il y ait conformité de nature entre l’époux et l’épouse, et
que le Christ ne ressemble aux anges ni selon l’unité d’espèce, ni selon la
nature humaine, la dot ne convient pas aussi proprement aux anges qu’aux
hommes.
Il
faut répondre qu’il est certain que les choses qui appartiennent aux dots de
l’âme conviennent aux anges aussi bien qu’aux hommes ; mais à titre de dot
elles ne leur conviennent pas comme aux hommes : parce que les anges ne peuvent
recevoir le nom d’époux aussi proprement que les hommes. Car il faut entre
l’époux et l’épouse une conformité de nature, de telle sorte qu’ils soient de
la même espèce. Les hommes sont ainsi unis avec le Christ en raison de ce qu’il
a pris la nature humaine et de ce que, par cet acte, il est devenu semblable à
tous les hommes relativement à la nature de l’espèce humaine. Mais il n’est
semblable aux anges ni selon l’unité d’espèce, ni selon la nature divine, ni
selon la nature humaine. C’est pourquoi l’idée de dot ne convient pas aux anges
aussi proprement qu’aux hommes. Cependant comme dans les choses qui se disent
métaphoriquement, on ne requiert pas qu’elles se ressemblent sous tous les
rapports, on ne peut conclure d’un défaut de ressemblance qu’une chose ne peut
pas se dire d’une autre métaphoriquement. Et ainsi d’après la raison que nous
avons donnée, on ne peut pas dire absolument que les dots ne conviennent pas
aux anges ; mais seulement qu’elles ne leur conviennent pas aussi proprement qu’aux
hommes, pour le défaut de ressemblance que nous avons constaté.
Article
5 : Est-il convenable reconnaître dans l’âme trois dots ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit convenable de reconnaître dans l’âme trois dots :
la vision, la dilection et la jouissance. Car l’âme est unie à Dieu par
l’entendement dans lequel se trouve l’image de la Trinité d’après la mémoire,
l’intelligence et la volonté. Or la dilection appartient à la volonté et la
vision à l’intelligence. On doit donc aussi établir quelque chose qui réponde à
la mémoire ; puisque la jouissance n’appartient pas à la mémoire, mais plutôt à
la volonté.
Réponse
à l’objection N°1 : La mémoire et l’intelligence n’ont qu’une seule opération
ou parce que l’intelligence elle-même est une opération de la mémoire, ou bien
si l’on dit que l’intelligence est une puissance, la mémoire ne passe à l’acte
que par l’intermédiaire de l’intelligence, parce qu’il appartient à la mémoire
de conserver la connaissance. Ainsi il n’y a qu’une seule habitude, la connaissance,
qui réponde à la mémoire et à l’intelligence, et c’est pour cela qu’il n’y a
qu’une dot qui réponde à l’une et à l’autre, c’est la vision.
Objection
N°2. On dit que les dots répondent aux vertus par lesquelles nous sommes
ici-bas unis à Dieu ; ces vertus sont la foi, l’espérance et la charité, qui
ont Dieu lui-même pour objet. Or, la dilection répond à la charité, tandis que
la vision répond à la foi. On devrait donc établir quelque chose qui appartînt
à l’espérance, puisque la jouissance appartient plutôt à la charité.
Réponse
à l’objection N°2 : La jouissance répond à l’espérance, selon qu’elle renferme
la compréhension qui succédera à l’espérance. Car on n’a pas encore ce que l’on
espère, et c’est ce qui fait que l’espérance afflige d’une certaine manière à
cause de la distance de l’objet aimé. C’est pour cela qu’elle ne subsistera
plus dans le ciel, mais que la compréhension lui succédera.
Objection
N°3. Nous ne jouissons de Dieu que par la dilection et la vision ; car nous
jouissons des choses que nous aimons pour elles-mêmes, comme le dit saint
Augustin (De doct. christ., liv. 1, chap. 4). On ne doit donc
pas considérer la jouissance comme une autre dot que la dilection.
Réponse
à l’objection N°3 : La jouissance, selon qu’elle renferme la compréhension, se
distingue de la vision et de la dilection, cependant d’une autre manière que la
dilection se distingue de la vision. Car la dilection et la vision désignent
des habitudes diverses, dont l’une appartient à l’intellect et l’autre à la
volonté. Mais la compréhension ou la jouissance, selon qu’on la prend pour la
compréhension, n’implique pas une autre habitude que la vision et la dilection,
elle implique seulement l’éloignement des empêchements qui faisaient que l’âme
ne pouvait être unie à Dieu et jouir de sa présence. Cet effet résulte de ce
que l’habitude de la gloire délivre l’âme de tout défaut, comme elle la rend
apte à connaître sans images sensibles, et à exercer son empire sur le corps et
à faire toutes les autres choses qui détournent les obstacles qui sont causes
que nous sommes maintenant séparés de Dieu.
Objection
N°4. La perfection de la béatitude requiert la compréhension, d’après ces
paroles (1 Cor., 9, 24) : Courez de manière à le remporter. On
doit donc en faire une quatrième dot.
Objection
N°5. Saint Anselme dit (De similitud.,
chap. 48) que les choses qui appartiennent à la béatitude de l’âme sont : la
sagesse, l’amitié, la concorde, la puissance, l’honneur, la sécurité, la joie.
Les dots précédentes paraissent donc avoir été mal déterminées.
Réponse
à l’objection N°5 : Les dots proprement dites sont les principes immédiats de
cette opération dans laquelle consiste la béatitude parfaite qui unit l’âme au
Christ. Mais les choses que saint Anselme énumère ne sont pas de cette nature,
mais ce sont des choses qui accompagnent ou qui suivent de quelque manière la
béatitude non seulement par rapport à l’époux auquel de toutes les choses qu’il
a énumérées la sagesse seule appartient, mais encore par rapport aux autres,
soit par rapport à ses égaux auxquels appartient l’amitié quant à l’union des
volontés et la concorde quant à l’harmonie des actions, soit par rapport à ses
inférieurs auxquels appartiennent la puissance selon que les supérieurs
disposent des inférieurs, et l’honneur selon les devoirs que les inférieurs
rendent aux supérieurs ; et aussi par rapport à lui-même à qui appartiennent la
sécurité relativement à l’éloignement du mal et la joie quant à la possession
du bien.
Objection
N°6. Saint Augustin dit (in fin. De civ.
Dei, chap. ult.) que dans cette béatitude on verra
Dieu sans fin, on l’aimera sans dégoût et on le louera sans fatigue. Donc la
louange doit être comptée parmi les dots qu’on a assignées.
Réponse
à l’objection N°6 : La louange, que saint Augustin regarde comme la troisième
des choses qui existeront dans le ciel, n’est pas une disposition à la
béatitude, mais elle en est plutôt une conséquence ; car par là même que l’âme
est unie à Dieu en qui consiste la béatitude, il s’ensuit qu’elle éclate en
louanges. La louange n’a donc pas le caractère d’une dot.
Objection
N°7. Boëce établit cinq choses qui appartiennent à la
béatitude (De cons., liv. 3, pros. 10) : ce sont la suffisance que les richesses promettent,
le plaisir que promet la volupté, la célébrité que promet la renommée, la sécurité que promet la puissance, le respect que promet la dignité. Il semble
qu’on doive assigner ces choses pour dots plutôt que les qualités précédentes.
Réponse
à l’objection N°7 : Ces cinq choses qu’énumère Boëce
sont des conditions de la béatitude, mais non des dispositions à la béatitude
ou à l’acte de la béatitude, parce que la béatitude, en raison de sa
perfection, renferme seule par elle-même et d’une manière particulière tout ce
que les hommes recherchent dans les différentes choses, comme on le voit (Eth., liv. 1, chap. 7, et liv. 10, chap. 7
et 8). D’après cela, Boëce montre que ces cinq choses
sont dans la béatitude véritable, parce que ce sont les choses que les hommes
recherchent dans la félicité temporelle. Car, ou elles appartiennent à
l’affranchissement de tout mal, comme la sécurité, ou à la possession du bien
qui convient comme le plaisir, ou de ce qui est parfait, comme la suffisance,
ou à la manifestation du bien comme la célébrité, selon que les mérites d’une
personne arrivent à la connaissance d’un grand nombre ; et le respect selon
qu’on donne des marques de cette connaissance ou de ce bien. Car le respect
consiste à rendre un honneur qui est un témoignage de vertu. D’où il est
évident que ces cinq choses ne doivent pas être appelés des dots, mais des
conditions de béatitude.
Conclusion
Il est convenable d’assigner à l’âme trois dots : la vision qui répond à la
foi, la compréhension qui répond à l’espérance et la jouissance qui répond à la
charité.
Il
faut répondre qu’en général tout le monde assigne à l’âme trois dots, mais de
différentes manières. Car il y en a qui disent que les trois dots de l’âme sont
la vision, la dilection et la jouissance ; d’autres veulent que ce soit la
vision, la compréhension et la jouissance (Saint Thomas détermine lui-même ces
trois dots (1a pars, quest. 12, art. 7, Réponse N°1 et 1a
2æ, quest. 4, art. 3).) ; enfin il y en a qui prétendent que ce sont
la vision, la délectation et la compréhension. Cependant toutes ces déterminations
reviennent au même et leur nombre est assigné de la même manière. Car nous
avons dit (art. 2) que la dot est quelque chose d’inhérent à l’âme par lequel
elle est ordonnée à l’égard de l’opération dans laquelle consiste sa béatitude.
Dans cette opération il faut à la vérité deux choses : la substance même de
l’opération, qui est sa vision, et sa perfection, qui est la délectation. Car
il faut que la béatitude soit une opération parfaite. Or, une vision est
délectable de deux manières : 1° de la part de l’objet selon que ce que l’on
voit est agréable. 2° de la part de la vision selon que la vue elle-même est
agréable. C’est ainsi que nous trouvons du plaisir à connaître les maux,
quoique les maux ne nous délectent pas. Et parce que cette opération dans laquelle
la béatitude dernière consiste doit être très parfaite, on exige pour ce motif
que cette vision soit agréable des deux manières. Mais pour qu’elle soit
agréable du côté de la vision, il faut qu’il y ait une habitude qui la rende de
même nature que celui qui la voit ; et pour qu’elle soit agréable du côté de
l’objet visible, il faut deux choses, c’est que l’objet visible lui-même soit
convenable et qu’il soit uni à l’intellect. Ainsi donc, pour que la vision soit
agréable en elle-même, il faut une habitude qui la produise, et telle est la
première dot que tout le monde désigne sous le nom de vision. Mais de la part
de l’objet visible il faut deux choses ; d’abord la convenance qui résulte de
l’affection. A cet égard les uns reconnaissent pour dot la dilection et les
autres la jouissance, suivant que la jouissance appartient à l’affection. Car
ce que nous aimons beaucoup nous le jugeons très convenable. On requiert aussi
de la part de l’objet visible l’union. A ce sujet il y en a qui désignent comme
la dot la compréhension, qui n’est rien autre chose que d’avoir Dieu en sa
présence et de le conserver en soi, et d’autres désignent la jouissance, non
selon qu’elle appartient à l’espérance, comme ici-bas, mais selon qu’elle a
pour objet la chose, telle qu’elle est dans le ciel. Et ainsi les trois dots
répondent aux trois vertus théologales ; la vision répond à la foi, la
compréhension ou la jouissance d’après une acception répond à l’espérance, et
la jouissance ou la délectation d’après une autre terminologie, répond à la
charité. Car la jouissance parfaite, telle qu’on l’aura dans le ciel, renferme
en elle la délectation et la compréhension, et c’est
ce qui fait que les uns la prennent pour l’une et les autres pour l’autre. Il y
en a qui attribuent ces trois dots aux trois puissances de l’âme : la vision à
la puissance rationnelle, la délectation au concupiscible, et la jouissance à
l’irascible, en raison de ce que cette jouissance a été le fruit d’une
victoire. Mais on ne peut dire cela dans le sens propre, parce que l’irascible
et le concupiscible n’existent pas dans la partie intellectuelle de l’âme, mais
dans la partie sensitive, tandis que les dots de l’âme existent dans
l’intellect même.
La
réponse à la quatrième objection est évidente d’après ce que nous avons dit
(dans le corps de l’article.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
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relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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