Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 101 : De l’état des âmes qui sont purifiées dans le purgatoire à cause du péché actuel ou de sa peine

 

          Nous devons ensuite nous occuper des âmes qui sont purifiées après cette vie par le feu du purgatoire à cause de la peine due aux péchés actuels. A cet égard il y a six questions à examiner : 1° La peine du purgatoire surpasse-t-elle toutes les peines temporelles de cette vie ? — 2° Cette peine est-elle volontaire ? — 3° Les âmes qui sont dans le purgatoire sont-elles punies par les démons ? — 4° Le péché véniel est-il expié par la peine du purgatoire quant à sa faute ? — 5° Le feu du purgatoire délivre-t-il de la peine que l’on doit ? — 6° L’un est-il plutôt délivré que l’autre de cette peine ?

 

Article 1 : La peine du purgatoire surpasse-t-elle toutes les peines temporelles de cette vie ?

 

          Objection N°1. Il semble que la peine du purgatoire ne surpasse pas toutes les peines temporelles de cette vie. Car plus on est passif et plus on s’afflige vivement quand on a le sentiment d’une lésion. Or, le corps est plus passif que l’âme séparée ; soit parce qu’il a quelque chose de contraire au feu qui agit sur lui, soit parce qu’il a une matière qui est susceptible de recevoir la qualité de l’agent ; ce qui ne peut se dire de l’âme. Donc la peine que le corps subit en ce monde est plus grande que celle qui purifie l’âme après cette vie.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique l’âme soit moins passive que le corps, cependant elle est plus capable de connaître ce qu’elle éprouve ; et où le sentiment de l’impression est plus vif, la douleur est plus profonde, même dans le cas où l’impression serait moindre.

 

          Objection N°2. La peine du purgatoire se rapporte directement aux péchés véniels. Or, les péchés véniels méritent la peine la plus légère, puisqu’ils sont les plus légers, si la peine se mesure d’après l’étendue de la faute. Donc la peine du purgatoire est très légère.

          Réponse à l’objection N°2 : La violence de la peine résulte moins de l’étendue du péché que de la disposition de celui qui est puni ; parce que le même péché est puni plus grièvement dans l’autre monde que dans celui-ci ; comme celui qui jouit d’une meilleure complexion est plus puni qu’un autre tout en subissant les mêmes peines, et néanmoins le juge agit avec justice en imposant à l’un et à l’autre les mêmes peines pour les mêmes fautes.

 

          Objection N°3. La dette étant un effet de la faute elle ne s’accroît qu’autant que la faute s’accroît elle-même. Or, la faute ne peut croître dans celui à qui elle a déjà été pardonnée. Donc à la mort la dette ne s’accroît pas dans celui à qui le péché mortel a été remis et pour lequel il n’a pas pleinement satisfait. Et comme dans cette vie il n’était pas passible de la peine la plus grave, il s’ensuit que la peine qu’il souffrira après cette vie, ne sera pas pour lui plus grave que toutes les peines de ce monde.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit dans un sermon (serm. 4 De defunctis qui est 41 de SS. circ. med. et sup. Ps. 37, à princ.) : Ce feu du purgatoire sera plus cruel que toutes les peines qu’on peut sentir, voir ou imaginer en ce monde.

          Plus une peine est universelle et plus elle est grave. Or, l’âme séparée est punie tout entière, puisqu’elle est simple ; tandis qu’il n’en est pas de même du corps. Donc cette peine qu’éprouve l’âme séparée l’emporte sur toutes les peines que le corps éprouve.

 

          Conclusion La peine du purgatoire surpasse toutes les peines temporelles de ce monde.

          Il faut répondre qu’il y aura dans le purgatoire deux sortes de peine : la peine du dma qui résultera de ce que la jouissance divine est différente ; celle du sens qui proviendra de ce qu’ils seront punis par le feu corporel. Et sous ces deux rapports la moindre peine du purgatoire l’emporte sur la plus grande peine de cette vie (Saint Bonaventure nie que la peine de la privation de la vue de Dieu l’emporte sur toutes les peines de ce siècle, mais il est du même sentiment que saint Thomas au sujet de la peine du sens. Quoiqu’on ne puisse déterminer l’étendue de cette peine, il est certain qu’elle est très grave, car telle est la doctrine de l’Eglise.). Car plus on désire une chose et plus son absence cause de peine. Et comme le sentiment d’après lequel on regrette le souverain bien après cette vie est très ardent dans les âmes saintes ; parce qu’il n’est point ralenti par le poids du corps et que d’ailleurs le moment de jouir de ce bien serait arrivé, s’il n’y avait pas quelque obstacle ; il s’ensuit qu’elles souffrent beaucoup de ce retard. De même puisque la douleur n’est pas la lésion, mais le sentiment de la lésion, on souffre d’autant plus d’une chose qui blesse qu’on a une plus grande sensibilité. C’est pour cela que les lésions qui atteignent les endroits les plus sensibles sont celles qui causent la plus grande douleur. Et parce que toute la sensibilité du corps vient de l’âme, il s’ensuit que si quelque chose de blessant agit sur l’âme elle-même, il en doit nécessairement résulter l’affliction la plus vive. Nous supposons ici que l’âme souffre du feu corporel ; car nous démontrerons (dist. 44, quest. 3, art. 3, quest. 3. Voy. suppl., quest. 70, art. 3). C’est pourquoi il faut que la peine du purgatoire surpasse toutes les peines de cette vie, quant à la peine du dam et à celle du sens. Il y en a qui donnent pour raison que l’âme est punie tout entière et non le corps. Mais cette raison ne veut rien, parce que dans ce cas la peine des damnés serait plus douce après la résurrection qu’avant ; ce qui est faux.

          La réponse à la troisième objection est par là même évidente.

 

Article 2 : Cette peine est-elle volontaire ?

 

          Objection N°1. Il semble que cette peine soit volontaire. Car ceux qui sont dans le purgatoire ont le cœur droit. Or, cette droiture de cœur consiste en ce que l’on conforme sa volonté à la volonté divine, comme le dit saint Augustin (conc. 1 in Ps. 32 à princ.). Donc puisque Dieu veut qu’ils soient punis, ils supportent cette peine volontairement.

 

          Objection N°2. Tout sage veut ce sans quoi il ne peut parvenir à la fin qu’il s’est proposée. Or, ceux qui sont dans le purgatoire savent qu’ils ne peuvent parvenir à la gloire, s’ils ne sont préalablement punis. Ils veulent donc l’être.

 

          Mais au contraire. Personne ne demande à être délivré d’une peine qu’il souffre volontairement. Or, ceux qui sont dans le purgatoire demandent à être délivrés, comme on le voit par une foule de faits que rapporte saint Grégoire (Dial., liv. 4, chap. 40 et 65). Ils ne supportent donc pas volontairement cette peine.

 

          Conclusion Les âmes qui sont dans le purgatoire veulent conditionnellement leurs peines en raison de ce qu’elles savent que sans elles ne parviendraient pas à la béatitude.

          Il faut répondre qu’on dit qu’une chose est volontaire de deux manières. 1° Elle l’est d’une volonté absolue ; il n’y a aucune peine qui soit ainsi volontaire ; car il est de l’essence de la peine qu’elle soit contraire à la volonté. 2° On dit qu’une chose est volontaire d’une volonté conditionnelle ; c’est ainsi qu’on se laisse volontairement brûler pour recouvrer sa santé. Une peine peut donc être volontaire de deux façons. D’une façon parce que par la peine nous acquérons un bien ; c’est ainsi que la volonté elle-même assure une peine ; comme on le voit dans la satisfaction ; ou parce qu’on la reçoit volontiers et qu’on ne voudrait pas qu’elle n’existât pas, comme il arrive dans le martyre. D’une autre façon parce que quoique la peine n’augmente en nous aucun bien, cependant nous ne pouvons pas sans elle parvenir au bien, comme cela est évident pour la mort naturelle. Dans ce cas la volonté n’assume pas la peine et elle voudrait en être délivrée ; mais elle la supporte et sous ce rapport on dit qu’elle est volontaire. La peine du purgatoire est volontaire de cette manière. — Il y en a qui disent qu’elle n’est volontaire d’aucune manière ; parce que ceux qui sont dans le purgatoire sont tellement absorbés par leurs souffrances qu’ils ne savent pas qu’ils sont purifiés par elles, mais qu’ils se croient damnés. Cela est faux ; parce que s’ils ne savaient pas qu’ils doivent être délivrés ils ne demanderaient pas des suffrages ; ce qu’ils font souvent.

          La réponse aux objections est par là même évidente.

 

Article 3 : Les âmes sont-elles punies dans le purgatoire par les démons ?

 

          Objection N°1. Il semble que les âmes soient punies dans le purgatoire par les démons. Car, comme le dit le Maître des sentences (Sent., 4, dist. 47), elles auront pour les tourmenter au milieu des supplices ceux qui les ont excitées à pécher. Or, les démons excitent non seulement à faire des fautes mortelles, mais encore à faire des fautes vénielles, quand ils ne peuvent pas en faire faire d’autres. Ils tourmenteront donc dans le purgatoire les âmes pour leurs péchés véniels.

 

          Objection N°2. Il convient aux justes d’être purifiés de leurs péchés en ce monde-ci et après. Or, ici-bas ils sont purifiés par les peines que le démon leur inflige, comme on le voit au sujet de Job. Donc ceux qui doivent être purifiés après cette vie seront aussi punis par les démons.

 

          Mais c’est le contraire. Il est injuste que celui qui a triomphé de quelqu’un lui soit soumis après son triomphe. Or, ceux qui sont dans le purgatoire ont triomphé des démons en mourant sans péché mortel. Ils ne leur seront donc pas soumis pour être puni par eux.

 

          Conclusion Les âmes dans le purgatoire ne sont pas punies par le démon.

          Il faut répondre que comme après le jour du jugement la justice divine allumera le feu par lequel les damnés brûleront éternellement ; de même les élus sont purifiés après cette vie uniquement par la justice divine, non par le ministère des démons dont ils ont été victorieux, ni par celui des anges qui n’affligeraient pas si vivement leurs concitoyens. Mais cependant il est possible qu’ils les conduisent au lieu des supplices, et que les démons qui se réjouissent des peines des hommes les accompagnent et assistent à leur purification, soit pour se rassasier de leurs peines, soit pour qu’à leur sortie du corps ils trouvent là quelque chose qui est à eux. Mais dans ce monde, où le lieu du combat existe encore, les hommes sont punis par les mauvais anges, comme par leurs ennemis, ainsi que cela est évident pour Job, et ils le sont par les bons, comme cela est évident pour Jacob, dont le nerf de la cuisse se dessécha lorsque l’ange l’eût frappé (Gen., chap. 33). Saint Denis dit aussi expressément (De div. nom., chap. 4, part. 4, 16) que les bons anges punissent quelquefois.

          La réponse aux objections est par là même évidente.

 

Article 4 : Le péché véniel est-il expié par la peine du purgatoire quant à la faute ?

 

          Objection N°1. Il semble que le péché véniel ne soit pas expié par la peine du purgatoire quant à la faute. Car sur ces paroles (1 Jean, chap. 5) : Est peccatum ad mortem, etc., la glose dit (interl. Gregor., Mor., liv. 16, chap. 28) que pour ce qui n’est pas effacé en cette vie, c’est en vain qu’on demande son pardon après la mort. Aucun péché n’est donc pardonné après la mort.

          Réponse à l’objection N°1 : La glose parle du péché mortel. — Ou bien il faut dire que quoiqu’il ne soit pas ici-bas effacé en lui-même, il l’est cependant méritoirement, parce que cet homme a mérité que cette peine soit pour lui méritoire.

 

          Objection N°2. C’est au même qu’il appartient de tomber dans le péché et d’en être délivré. Or, l’âme après la mort ne peut pécher véniellement. Elle ne peut donc pas être absoute du péché véniel.

          Réponse à l’objection N°2 : Le péché véniel provient de la corruption du foyer de la concupiscence, lequel n’existera plus dans l’âme séparée, lorsqu’elle sera dans le purgatoire, et c’est pour cela qu’elle ne pourra pécher véniellement. Mais la rémission du péché véniel vient de la volonté ennoblie par la grâce, qui existera dans l’âme séparée lorsqu’elle sera dans le purgatoire. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

          Objection N°3. Saint Grégoire dit (Dial., liv. 4, chap. 39 à princ.) : qu’au jugement chacun doit être tel qu’il est sorti du corps ; parce que l’arbre restera où il est tombé (Eccl., 11, 3). Si donc on sort de ce monde avec un péché véniel, on sera dans cet état au jugement ; et par conséquent on n’est pas purifié de ce péché par le purgatoire.

          Réponse à l’objection N°3 : Les péchés véniels ne changent pas l’état de l’homme parce qu’ils ne détruisent, ni diminuent la charité, d’après laquelle se mesure l’étendue de la bonté surnaturelle de l’âme. C’est pourquoi, que les péchés véniels soient pardonnés ou qu’on les commette, l’âme reste telle qu’elle l’était auparavant.

 

          Objection N°4. Nous avons dit (Suppl., quest. 2, art. 3) qu’une actuelle n’est effacée que par la contrition. Or, après cette vie, la contrition qui est un acte méritoire n’existera plus. Car il n’y aura plus alors ni mérite ni démérite ; puisque, d’après saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 2, chap. 4 in fin.), la mort est pour les hommes ce que la chute est pour les anges. Donc après cette vie le péché véniel n’est pas remis dans le purgatoire quant à la faute.

          Réponse à l’objection N°4 : Après cette vie on ne peut plus mériter par rapport à la récompense essentielle, mais on peut encore mériter à l’égard de la récompense accidentelle, tant que l’homme subsiste d’une certaine manière à l’état de voyageur. C’est pourquoi il peut y avoir dans le purgatoire des actes méritoires relativement à la rémission du péché véniel.

 

          Objection N°5. Le péché véniel n’existe en nous qu’en raison du foyer de la concupiscence. Ainsi dans l’état primitif Adam n’aurait pas péché véniellement, comme nous l’avons dit (liv. 2, dist. 21, quest. 2, art. 3). Or, après cette vie l’appétit sensitif n’existera plus dans le purgatoire, le foyer de la concupiscence se trouvant détruit dans l’âme séparée ; car on appelle ce foyer la loi de la chair (Rom., chap. 7). Il n’y aura donc plus là de faute vénielle, et par conséquent elle ne peut être expiée par le feu du purgatoire.

          Réponse à l’objection N°5 : Quoique le péché véniel provienne du penchant de la concupiscence, cependant la faute existe dans l’âme ; et c’est pour cela que le foyer de la concupiscence ayant été détruit la faute peut encore subsister.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Grégoire (Dial., liv. 4, chap. 3ç) et saint Augustin (alius auct. De vera et falsa pœnitentia, chap. 4 à princ. et chap. 18) disent qu’il y a des fautes légères qui sont remises dans l’autre vie. On ne peut pas entendre que ce soit quant à la peine ; parce que dans ce sens toutes les fautes, quelques graves qu’elles soient, soient expiées par le feu du purgatoire quant à la dette de la peine. Donc les péchés véniels sont purifiés par le feu du purgatoire quant à la faute.

          On entend (1 Cor., chap. 3) les péchés véniels par le bois, le foin et la paille, comme nous l’avons dit (4, dist. 21, quest. 1, art. 2 et 1a 2æ, quest. 89, art. 2). Or, le bois, le foin et la paille sont consumés par le purgatoire. Donc les fautes vénielles sont elles-mêmes remises après cette vie.

 

          Conclusion Le péché véniel est expié par les peines du purgatoire quant à la faute.

          Il faut répondre qu’il y en a qui ont dit qu’après cette vie aucun péché n’est remis quant à la faute ; que si on meurt avec un péché mortel on est damné et on n’est pas susceptible de pardon ; mais qu’il ne peut se faire avec un péché véniel sans péché mortel, parce que la grâce finale efface elle-même le péché véniel. Car ce péché vient de ce que celui qui a le Christ pour fondement aime trop une chose temporelle, et cet excès est un effet de la corruption de la concupiscence. D’où il arrive que si la grâce triomphe complètement de la corruption de la concupiscence, comme cela s’est fait dans la B. Vierge, il ne reste plus de place pour le péché véniel. Et puisque dans la mort cette concupiscence est totalement détruite et anéantie, les puissances de l’âme sont complètement soumises à la grâce, et le péché véniel est effacé. — Mais cette opinion est frivole en soi et dans sa cause. En soi parce qu’elle est contraire aux paroles des Pères et de l’Evangile qui ne peuvent s’entendre de la rémission des péchés véniels quant à la faute, comme le dit le Maître des sentences (4, dist. 21), parce que les choses légères aussi bien que les choses graves sont ainsi pardonnées dans l’autre monde. Quant à saint Grégoire (loc. cit.), il dit qu’il n’y a que les fautes légères qui soient remises après cette vie. Il ne suffit pas de dire, comme ils le font, que cela s’entend spécialement des fautes légères, dans la crainte qu’on ne pense que nous ne souffrirons aucune peine grave à leur sujet ; parce que la rémission de la peine détruit la gravité des souffrances plutôt que de l’établir. Elle est frivole aussi quant à sa cause. Car le défaut du corps tel qu’il existe à la fin de la vie ne détruit pas la corruption de la concupiscence, ou il ne diminue pas quant à la racine, mais quant à l’acte, comme on le voit à l’égard de ceux qui sont très infirmes. Il ne calme pas non plus les puissances de l’âme pour les soumettre à la grâce ; parce que les puissances sont tranquilles et soumises à la grâce, quand les facultés inférieures obéissent aux facultés supérieures qui se délectent dans la loi de Dieu ; ce qui ne peut avoir lieu dans cet état, puisque les actes des unes et des autres sont empêchés, à moins qu’on n’appelle calme l’absence de combat, comme cela arrive dans ceux qui dorment ; quoiqu’on ne dise cependant pas pour cela que le sommeil affaiblit la concupiscence, ou qu’il donne aux puissances de l’âme leur repos ou qu’il les soumet à la grâce. De plus en supposant que ce défaut affaiblisse radicalement la concupiscence et qu’il soumette à la grâce les puissances de l’âme, cela ne suffirait pas encore pour la purifier des fautes vénielles qu’elle aurait commise, quoique cela suffise pour les lui faire éviter à l’avenir. Car une faute actuelle, même vénielle, n’est pas remise sans un mouvement actuel de contrition, comme nous l’avons dit (4, dist. 17, quest. 2, art. 2, quest. 3, et suppl., quest. 2, art. 3), quelle que soit d’ailleurs son intensité habituelle. Or, il arrive quelquefois que l’on meurt en dormant, étant dans l’état de grâce après s’être endormi avec un péché véniel. Celui qui meurt ainsi ne peut faire un acte de contrition à l’égard du péché véniel qu’il a commis avant sa mort. On ne peut pas dire, comme ils font, que s’il ne s’est pas repenti en acte ou en intention, en général ou en particulier, il est tombé dans le péché mortel, parce que le péché véniel devient mortel quand on s’y complaît. Car toutes les fois qu’on se complaît dans le péché véniel il ne devient pas mortel (autrement tout péché véniel serait mortel, parce que tout péché véniel plaît puisqu’il est volontaire), mais il n’est mortel que quand cette complaisance se rapporte à la jouissance dans laquelle consiste toute la perversité humaine, quand nous jouissons des choses dont il ne faut qu’user, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 10, chap. 10). Dans ce cas cette complaisance qui rend mortel le péché est une complaisance actuelle, parce que tout péché mortel consiste dans un acte. Mais il peut se faire que quelqu’un, après avoir commis un péché véniel, ne pense pas actuellement à obtenir le pardon de son péché ou à s’y complaire, mais qu’il pense, par exemple, qu’un triangle a trois angles égaux à deux angles droits, qu’il s’endorme et meure dans cette pensée. D’où il est évident que cette opinion est absolument irraisonnable. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres, que le péché véniel est remis après cette vie par le feu du purgatoire à celui qui meurt en état de grâce ; parce que cette peine étant volontaire d’une certaine manière aura par la vertu de la grâce la puissance d’expier toutes les fautes qui sont compatibles avec la grâce elle-même (Dans son opuscule De malo, quest. 7, art. 11 ad 9 et 17, saint Thomas rétracte ou modifie ainsi ce qu’il avait écrit dans son Commentaire sur le Maître des sentences : Culpa non remittitur per pœnam, sed remittitur in purgatorio veniale quantùm ad culpam virtute gratiæ, non solùm secundùm quod est in habitu ; quia sic compatitur veniale peccatum ; sed prout exit in actum charitatis, detestantis veniale peccatum.).

 

Article 5 : Le feu du purgatoire délivre-t-il de la dette de la peine ?

 

          Objection N°1. Il semble que le feu du purgatoire ne délivre pas de la dette de la peine. Car toute purification se rapporte à une souillure. Or, la peine n’implique pas une souillure. Donc le feu du purgatoire ne délivre pas de la peine.

          Réponse à l’objection N°1 : Quoique la dette n’implique pas la souillure en elle-même, cependant elle s’y rapporte, parce qu’elle en provient comme de sa cause.

 

          Objection N°2. Le contraire n’est purifié que par son contraire. Or, la peine n’est pas contraire à la peine. On n’est donc pas purifié de la peine que l’on doit par la peine du purgatoire.

          Réponse à l’objection N°2 : Quoique la peine ne soit pas contraire à la peine elle est contraire à la dette que l’on a contractée ; car on est obligé de subir une peine par là même qu’on n’a pas subi celle qu’on devait endurer.

 

          Objection N°3. Sur ces paroles (1 Cor., 3, 15) : Il sera lui-même sauvé, mais comme à travers le feu, la glose dit : Ce feu est la tentation de la tribulation dont il est écrit : La fournaise éprouve les vases du potier (Ecclésiastique, 27, 6). L’homme est donc délivré de toute peine par les peines de ce monde, du moins par la mort qui est la plus grande des peines et non par le feu du purgatoire.

          Réponse à l’objection N°3 : Ces paroles de l’Ecriture renferment plusieurs sens. Or, par ce feu on peut entendre les tribulations présentes et les peines futures ; et les péchés véniels peuvent être purifiés par les unes et par les autres. Mais nous avons dit que la morte naturelle ne suffisait pas à cet égard (4, dist. 20, quest. 1, art. 1, quest. 3, dist. 3).

 

          Mais ce qu’il y a de contraire c’est que la peine du purgatoire est plus grave que toutes les peines de ce monde, comme nous l’avons dit (art. 3). Or, par les peines satisfactoires qu’on endure en ce monde, on s’acquitte de la peine qu’on doit. Donc à plus forte raison par la peine du purgatoire.

 

          Conclusion Le feu du purgatoire délivre de la peine que l’on doit.

          Il faut répondre que celui qui est débiteur de quelqu’un est délivré de sa dette par là même qu’il paye ce qu’il doit. Et parce que la dette de la peine n’est rien autre chose que la peine qu’on doit, par là même qu’on souffre la peine qu’on devait on est quitte de sa dette ; et c’est en ce sens que la peine du purgatoire nous en délivre.

 

Article 6 : L’un est-il délivré de cette peine plutôt que l’autre ?

 

          Objection N°1. Il semble que l’un ne soit pas délivré de cette peine plutôt qu’un autre. Car plus une faute est grave, et plus la dette est grande, plus aussi la peine infligée dans le purgatoire est violente. Car la proportion d’une peine légère à une faute légère est la même que celle d’une peine plus grande à une faute plus grande. Donc l’un est délivré de cette peine aussitôt qu’un autre.

          Réponse à l’objection N°1 : La violence de la peine répond proprement à l’étendue de la faute, mais sa durée est proportionnée à la manière dont la faute est enracinée dans le sujet. Il peut donc se faire que celui qui souffre moins reste plus longtemps dans le purgatoire et réciproquement.

 

          Objection N°2. Des mérites inégaux reçoivent dans le ciel et dans l’enfer des récompenses égales quant à la durée. Il semble donc qu’il en soit de même dans le purgatoire.

          Réponse à l’objection N°2 : Le péché mortel qui mérite le supplice de l’enfer et la charité qui mérite le paradis sont établis et enracinés dans le sujet d’une manière immuable après cette vie. C’est pour cela que de part et d’autre la durée est la même pour tous. Mais il en est autrement du péché véniel qui est puni dans le purgatoire, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 6) (Nicolaï ajoute à cet article un très grand nombre de citations pour prouver que la peine du purgatoire est celle du feu. Cette opinion est communément admise dans l’Eglise latine ; cependant les grecs au concile de Florence ne l’admirent pas. Ils voulaient que le purgatoire fût un lieu obscur, pénible, mais ils prétendaient qu’il n’y avait pas de feu ; ce qui ne fut pas condamné.).

 

          Mais ce qu’il y a de contraire c’est la comparaison de l’Apôtre qui a marqué la différence des péchés véniels au moyen du bois, du foin et de la paille (2 Cor., chap. 3). Or, il est certain que le bois reste plus longtemps dans le feu que le foin et la paille. Donc un péché véniel est puni plus longtemps dans le purgatoire qu’un autre.

 

          Conclusion L’un est délivré plutôt que l’autre des peines du purgatoire.

          Il faut répondre qu’il y a des péchés véniels qui sont plus fortement attachés à l’âme que d’autres, selon que la volonté a pour eux plus d’inclination et qu’elle s’y fixe plus vivement. Et parce que les choses auxquelles on est plus attaché s’en vont plus lentement, il s’ensuit qu’il y en a qui sont tourmentés plus longtemps que d’autres dans le purgatoire, en raison de ce que leur volonté s’est plongée davantage dans le péché.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.