Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

Supplément = 5ème partie

Question 102 : Du purgatoire (Les deux articles suivants sont placés par Nicolaï à la question 69 dont ils forment les articles 7 et 8. D’autres éditeurs les placent au commencement de la question précédente dont ils font la 100e du supplément.)

 

Article 1 : Y a-t-il un purgatoire après cette vie ? (Il est de foi que le purgatoire existe. On peut voir à ce sujet les décisions du concile de Florence (sess. ult.) et du concile de Trente (sess. 6, can. 30, sess. 22, chap. 2 et sess. 25, in decreto de Purgatorio).)

 

          Objection N°1. Il semble qu’il n’y ait pas de purgatoire après cette vie. Car il est dit (Apoc., 14, 13) : Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur ; dès maintenant, dit l’Esprit, ils se reposeront de leurs travaux. Il n’y a donc plus d’action purificatoire après cette vie pour ceux qui meurent dans le Seigneur ; il n’y en a pas non plus pour ceux qui ne meurent pas en lui, parce qu’ils ne peuvent être purifiés. Il n’y a donc pas de purgatoire après cette vie.

          Réponse à l’objection N°1 : Ce passage s’entend du travail des œuvres relativement au mérite et non du travail de la souffrance par rapport à la purification.

 

          Objection N°2. Ce que la charité est à la récompense éternelle le péché mortel l’est au supplice éternel. Or, ceux qui meurent dans le péché mortel sont immédiatement en proie au supplice éternel. Donc ceux qui meurent dans l’état de grâce obtiennent immédiatement leur récompense et par conséquent il n’y a plus pour eux de purgatoire après cette vie.

          Réponse à l’objection N°2 : Le mal n’a pas une cause parfaite, mais il provient de défauts particuliers, tandis que le bien ne vient que d’une cause parfaite, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 4, part. 4, lect. 22). C’est pour cela que tout défaut empêche la perfection du bien ; tandis que tout bien n’empêche pas la consommation du mal ; parce que le mal n’existe jamais sans quelque bien. C’est pourquoi le péché véniel empêche celui qui a la charité de parvenir au bien parfait, c’est-à-dire à la vie éternelle, tant qu’il n’est pas purifié ; au lieu que le péché mortel ne peut être empêché par un bien qui lui est adjoint de conduire immédiatement au dernier des maux.

 

          Objection N°3. Dieu qui est souverainement miséricordieux est plus porté à récompenser les bonnes actions qu’à punir les mauvaises. Or, comme ceux qui sont en état de grâce font de mauvaises actions qui ne méritent pas le supplice éternel ; de même ceux qui sont dans le péché mortel produisent quelquefois des actions qui sont bonnes dans leur genre et qui ne sont pas dignes de la récompense éternelle. Donc puisque ces biens ne sont pas récompensés dans ceux qui doivent être damnés après cette vie et que ces maux ne doivent pas être non plus punis, il s’ensuit, etc.

          Réponse à l’objection N°3 : Celui qui tombe dans le péché mortel frappe de mort toutes les bonnes œuvres qu’il a faites auparavant ; et les choses qu’il a fait étant dans cet état sont des œuvres mortes ; parce qu’en offensant Dieu il mérite de perdre tous les biens qu’il tient de lui. Aussi après cette vie il n’y a aucune récompense pour celui qui meurt dans le péché mortel ; tandis qu’il reste quelquefois une peine pour celui qui meurt dans la charité, laquelle n’efface pas toujours le mal qu’elle trouve, mais seulement celui qui lui est contraire.

 

          Mais au contraire. Il est dit (2 Mach., 12, 46) : C’est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés. Or, on ne doit pas prier pour les morts qui sont dans le ciel, parce qu’ils n’en ont nullement besoin ; on ne doit pas non plus le faire pour ceux qui sont dans l’enfer, parce qu’ils ne peuvent être délivrés de leurs péchés. Donc après cette vie il y en a qui n’ont pas encore été délivrés de leurs péchés et qui peuvent l’être. Ceux-là ont la charité sans laquelle on n’obtient pas la rémission de ses fautes ; parce que la charité couvre tous les délits (Ps. 10, 12), et c’est pour cela qu’ils ne subiront pas la mort éternelle ; car celui qui vit et qui croit en moi ne mourra pas éternellement (Jean, 11, 26). Ils ne seront cependant admis à la gloire qu’autant qu’ils auront été purifiés ; car rien d ’immonde n’y parviendra comme on le voit (Apoc., chap. 22). Il y a donc après cette vie une purification.

          Saint Grégoire de Nysse dit (æquival. in orat. De iis qui in fide dorm., à med.) : Si quelqu’un qui est un ami du Christ n’a pu absolument se purifier de ses fautes en cette vie, une fois qu’il est sorti de ce monde il est délivré par le feu du purgatoire. Il y a donc après cette vie une purification.

 

          Conclusion Il est contraire à la foi catholique de nier qu’il y ait un purgatoire pour les âmes des fidèles qui sont sorties de ce monde en état de grâce.

          Il faut répondre que d’après ce qui a été dit plus haut (4, dist. 14, quest. 2, art. 1, quest. 2 et 3 et 3a pars, quest. 86, art. 4 et 5, et suppl. quest. 12, art. 1), il est assez évident qu’il y a un purgatoire après cette vie. Car quand le péché est effacé par la contrition, la dette de la peine n’est pas absolument détruite ; les péchés véniels ne sont pas non plus toujours remis avec les péchés mortels ; et la justice exige que le péché reçoive la peine qui lui est due. Il faut donc que celui qui meurt après avoir eu la contrition de son péché et après en avoir reçu l’absolution, mais avant d’avoir satisfait comme il le doit, soit puni après cette vie. C’est pourquoi ceux qui nient le purgatoire parlent contre la justice divine. C’est pour cela que c’est une chose erronée et contraire à la foi. Aussi après ces paroles que nous avons citées saint Grégoire de Nysse ajoute : C’est là ce que nous prêchons en suivant le dogme de la vérité et c’est aussi ce que nous croyons ; l’Eglise universelle l’enseigne également en priant pour les morts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés ; ce qui ne peut s’entendre que de ceux qui sont dans le purgatoire. Or, quiconque résiste à l’autorité de l’Eglise devient hérétique.

 

Article 2 : Le lieu où les âmes sont purifiées est-il le même que celui où les damnés sont punis ?

 

          Objection N°1. Il semble que lieu où les âmes sont purifiées ne soit pas le même que celui où les damnés sont punis. Car la peine des damnés est éternelle, comme on le voit (Matth., 25, 46) : Ils iront au feu éternel. Or, le feu du purgatoire n’existe que pour un temps, comme le dit le Maître des sentences (Sent. 4, dist. 21). Donc les uns et les autres ne sont pas simultanément punis par le même feu, et par conséquent il faut que ces lieux soient distincts.

          Réponse à l’objection N°1 : Le feu du purgatoire est éternel quant à sa substance, mais il est temporel quant à l’effet ou à la purification qu’il produit.

 

          Objection N°2. La peine de l’enfer est appelée de plusieurs manières ; ainsi on l’appelle feu, soufre, esprit des tempêtes (Ps., 10). Or, la peine du purgatoire n’est désignée que par un seul nom, le feu. Ils ne sont donc pas punis par le même feu et dans le même lieu.

          Réponse à l’objection N°2 : La peine de l’enfer existe pour affliger ; c’est pour cela qu’on le désigne sous les noms de toutes les choses qui nous causent ordinairement de l’affliction ici-bas. Au contraire la peine du purgatoire existe principalement pour purifier les restes du péché : c’est pour cela qu’on n’attribue au purgatoire que la peine du feu, parce que le feu a la vertu de purifier et de consumer.

 

          Objection N°3. Hugues de Saint-Victor dit (De sacram., liv. 2, part. 16, chap. 4) : Il est probable qu’ils sont punis dans ces lieux où ils ont commis leur faute. Saint Grégoire raconte aussi dans ses dialogues (liv. 4, chap. 40) que Germain, évêque de Capoue, trouva Paschase (Paschase, diacre de l’Eglise romaine, qui mourut en 512. Ce qui donna lieu à cette histoire, c’est que dans le schisme de 498, il soutint le parti de l’antipape Laurent contre Symmaque. (Voyez Baronius, ad an. 498.)) qui était purifié dans les bains. Il ne sont donc pas purifiés dans l’enfer, mais en ce monde.

          Réponse à l’objection N°3 : Cette raison repose sur ce qui a lieu d’après une dispense particulière et non d’après la loi commune.

 

          Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (id hab. August., De civ. Dei, liv. 1, chap. 8 ad fin.) : que comme dans le même feu l’or brille et la paille plume ; ainsi le même feu brûle le pécheur et purifie l’élu. Donc le feu du purgatoire et de l’enfer est le même, et par conséquent ils sont dans le même lieu.

          Les justes de l’ancienne loi ont été avant l’avènement du Christ dans un lieu plus noble que celui où sont maintenant purifiées les âmes après la mort ; parce qu’il n’y avait pas là de peine sensible. Or, ce lieu était uni à l’enfer où il était le même que l’enfer ; autrement quand le Christ est descendu aux limbes on ne dirait pas qu’il est descendu aux enfers. Le purgatoire est donc dans le même lieu ou près de l’enfer.

 

          Conclusion D’après la loi ordinaire le lieu où les âmes sont purifiées est uni à celui où les damnés sont punis.

          Il faut répondre que sur le lieu du purgatoire on ne trouve rien de positif dans l’Ecriture et qu’on ne peut pas à ce sujet donner des raisons convaincantes. Mais probablement et d’après ce qui s’accorde le mieux avec les écrits des Pères et la révélation faite à un grand nombre, il y a deux sortes de lieux de purification. L’un d’après la loi commune. En ce sens le lieu du purgatoire est un lieu inférieur, joint à l’enfer, de telle sorte que c’est le même feu qui tourmente les damnés en enfer et qui purifie les justes dans le purgatoire : bien que les damnés doivent être placés dans des lieux inférieurs selon l’infériorité de leurs mérites. L’autre lieu est un lieu de purification qui est tel en vertu d’une dispense. C’est ainsi que quelquefois nous voyons qu’il y en a qui ont été punis en divers lieux, soit pour l’instruction des vivants, soit en faveur des morts, afin que leurs souffrances étant connues des vivants elles soient adoucies par les suffrages de l’Eglise. Cependant il y en a qui disent que d’après la loi commune le lieu du purgatoire est où l’homme pèche. Ce qui ne paraît pas probable ; parce que l’homme peut être puni simultanément pour les péchés qu’il a commis en divers lieux. D’autres prétendent qu’ils sont punis au-dessus de nous d’après la loi commune ; parce qu’ils tiennent le milieu entre nous et Dieu quant à l’état ; mais cela ne signifie rien parce qu’ils ne sont pas punis pour ce qui les met au-dessus de nous, mais pour ce qu’il y a d’infirme en eux, c’est-à-dire le péché.

 

 

FIN DE LA SOMME THEOLOGIQUE DE SAINT THOMAS D’AQUIN.

 

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.