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Tertullien

père de l'église - Tertullien a fini sa vie dans l'hérésie montaniste
[né vers 155 - mort  vers 255]
télécharger gratuitement les livres de Tertullien
Tome 1                                                                                                            541 pages
    Contre Marcion - livre 1
    Contre Marcion - livre 2
    Contre Marcion - livre 3
    Contre Marcion - livre 4
    Contre Marcion - livre 5
    De la Chair de Jésus-Christ
    De la Résurrection de la chair

Tome 2                                                                                                             539 pages
    De l'Âme. Témoignage de l'âme
    De la Couronne du soldat
    Du Manteau
    De la Patience
    De la Pénitence
    De l'Idolâtrie
    Apologétique
    Des Prescriptions contre les hérétiques
        autre titre: Contre tous les hérétiques
    Contre les spectacles
    De la Fuite pendant la persécution
    Aux Martyrs
    À Scapula - proconsul d'Afrique
    Aux Nations

Tome 3                                                                                                            537 pages
    Contre les Juifs
    Contre Hermogène
    Contre les Valentiniens
    Le Scorpiaque
    Contre Praxeas ou sur la Trinité
    Du Baptême
    De l'Oraison dominicale
    Du Voile des vierges
    De l'Ornement des femmes
    À sa femme
    Exhortation à la chasteté
    Du Jeûne ou Traité contre les Psychiques
    De la Monogamie
    De la Pudicité

Vie de Tertullien
les Erreurs de Tertullien

Vie de Tertullien
QUINTUS - SEPTIMIUS - FLORENS TERTULLIANUS naquit à Carthage, vers l'an 150 de Jésus-Christ, selon les conjectures les plus probables; car on ne sait rien de-positif sur ce. point. Il était fils d'un centurion, qui servait dans la milice du proconsul de l'Afrique. On croit que sa famille était patricienne. Ses propres déclarations attestent qu'il avait reçu le jour dans le paganisme : «Autrefois, dit-il, nous insultions à la religion du Christ, comme vous le faites aujourd'hui. Nous avons été des vôtres; car on ne naît pas Chrétien: on le devient.» Il avoue ailleurs qu'il avait été long-temps sans aucune lumière et privé de la connaissance du vrai Dieu; qu'il avait pris plaisir aux cruels divertissements de l'amphithéâtre; qu'il se reconnaissait coupable de toute espèce de prévarications, sans même en excepter l'adultère, et qu'il n'était au monde que pour pleurer ses fautes dans les austérités de la pénitence.

Il faut savoir gré à Tertullien des tristes confidences qu'il livre à la publicité. L'humilité du pécheur repentant a voulu expier les souillures du vieil homme par ces aveux, et glorifier la grâce qui avait fait de lui un homme nouveau. Mais, quand même ces aveux ne fussent pas sortis, de sa bouche, il eût été facile de conjecturer qu'une âme, ardente, comme la sienne, et sans frein pour la retenir au milieu des désordres du paganisme, avait du faire plus d'un naufrage. Ajoutez à cela le climat dévorant de l'Afrique, les passions qui bouillonnent sous ce soleil, et l'àpre énergie de ses mœurs, qui, du temps même de saint Augustin, n'avaient pas encore perdu leur fougue ni leur rudesse. Aussi, quand Tertullien s'adresse à la volupté, on voit qu'il la flétrit comme |ii un ennemi personnel qu'il faut tenir à la chaîne, si on ne veut pas qu'il se venge de sa défaite.

Mais nous avons déjà anticipé sur l'avenir. Tertullien, orphelin de bonne heure, trouva dans sa mère un guide tendre et éclairé. Doué d'une imagination facile à s'enflammer, d'un esprit pénétrant et naturellement droit, et enfin d'une grande puissance d'élocution, il obtint des succès comme avocat et professeur de rhétorique. Ces deux carrières conduisaient infailliblement aux honneurs. La beauté de son génie les lui promettait s'il fût resté dans le paganisme. Mais à côté de lui grandissait une religion sublime dans ses dogmes, pure dans sa morale, passant des catacombes à l'échafaud et de l'échafaud au triomphe. Il avait senti d'ailleurs le néant de la gloire humaine; les folles dissipations dans lesquelles il avait précipité sa jeunesse ne lui laissaient que dégoût et amertume. Le christianisme lui offrait de nobles luttes pour y déployer toute l'étendue de ses forces, et un joug salutaire pour comprimer des penchants qui l'avaient maîtrisé jusque-là. Il se sentit donc attiré aux idées chrétiennes, d'abord par ce vide que laisse en nous le désordre, et ensuite par le spectacle de la constance que déployaient les martyrs, en mourant pour la défense de leur foi. La raison lui disait qu'il fallait en croire des témoins, si héroïques et si sincères, et qu'il n'y a qu'une conviction profonde qui souffre et meure pour des faits et des principes.

Ce fut Agrippinus, évêque de Carthage, qui acheva l'œuvre de la conversion de Tertullien, vers l'an 185. Le nom de cet évêque méritait d'être rappelé, pour avoir conquis au christianisme un homme qui en fut long-temps la gloire, avant de rompre si malheureusement avec l'Eglise. Tertullien se maria l'année suivante à une femme chrétienne. Il écrivit deux livres, qu'il lui adressa quelque temps après son baptême. Le premier est une espèce de testament dans lequel il l'engage, s'il venait à mourir le premier, à vivre dans la continence, et à observer la viduité. Dans l'autre, néanmoins, il se relâche un peu de cette rigueur. Il l'avertit que, dans le cas où elle voudrait se remarier, elle était obligée d'épouser un Chrétien, puisque saint Paul ne permet les secondes noces qu'à cette condition.

Quoique Tertullien dise quelque part qu'il n'avait point de |iii rang, et semble se compter parmi les laïques, il est certain que, dans un autre traité, il se sépare du peuple. Saint Jérôme, d'ailleurs, affirme positivement qu'il était prêtre de l'Eglise catholique. A quelle Eglise appartenait-il spécialement? On l'ignore; mais tous les écrivains s'accordent à reconnaître qu'il était prêtre de Rome ou de Carthage. Tertullien était marié quand il fut élevé au sacerdoce, il n'existait alors, comme on le sait, aucune constitution, qui empêchât de conférer les ordres: aux hommes précédemment engagés dans les liens du mariage.

Il est probable que ce fut à Carthage plutôt qu'à Rome que, déjà Montaniste, il découvrit l'hérésie que Praxéas semait contre la Trinité, vers la fin du pontificat de saint Victor. Praxéas reconnut son erreur après le lumineux traité de Tertullien, et scella sa réconciliation avec l'Eglise par un acte de rétractation. Le vainqueur triompha modestement. Il dit que cette conversion s'accomplit par celui que Dieu daigna employer à cette œuvre. Touchante modestie qui relève la victoire et adoucit la défaite!

Soit hasard malheureux, soit désir, de cacher sa vie à: tous les regards, Tertullien n'est guère connu que par les ouvrages qu'il nous a laissés. Sur tout le reste, excepté sur quelques points principaux, on en est réduit aux conjectures. On divise ses ouvrages en deux parties: ceux qui ont précédé la chute, ceux qui l'ont suivie.

Disons un mot des premiers. Quoique le traité de la Pénitence incline déjà à une rigueur, quelquefois désespérante, il fut écrit pendant que Tertullien était encore dans l'Eglise. Il y reconnaît que celle-ci peut remettre les péchés commis après le baptême; il semble même le déclarer particulièrement des péchés de la chair, et du crime de l'apostasie. Plus tard, il affirma que ces prévarications étaient irrémissibles. L'Oraison dominicale appartiendrait aussi à cette époque de communion et de paix avec les catholiques; j'en dis autant du Traité de la Patience, où il approuve la fuite pendant la persécution, qu'il condamna, lorsqu'il fut tombé dans le schisme. Le traité sur le Baptême ne porte d'autre trace de dissidence avec l'Eglise, sinon que le baptême administré par les hérétiques n'était pas valide. Mais il serait injuste d'imputer ce sentiment au prêtre de Carthage exclusivement. |iv Agrippinus, évêque de cette cité , avait rendu un décret qui autorisait cette opinion, pour laquelle s'était prononcé tout le littoral de l'Afrique. L'Eglise, d'ailleurs, n'avait pas encore décidé cette question, puisque ce grand débat ne fut plaidé et terminé qu'un demi-siècle plus tard. Il faut dire enfin, pour l'honneur de Tertullien et de ceux qui avaient embrassé cette cause dont il a été parlé à l'occasion de saint Cyprien, que les hérétiques mêlaient à l'administration du sacrement une foule de pratiques, qui souvent en détruisaient ou en dénaturaient la forme. Le traité du Baptême fut destiné à réfuter une femme de la secte des Caïnistes, nommée Quintilla, qui avait déjà trompé beaucoup de fidèles en combattant et en ruinant le baptême. Il nous est précieux à plus d'un titre, comme renseignement historique, et surtout comme monument de la tradition. On y voit que l'Eglise pratiquait déjà ce qu'elle pratique aujourd'hui pour initier le néophyte à la vie de la foi catholique.

Le traité des Prescriptions avait été composé antérieurement à tous ses autres traités particuliers contre l'erreur; il l'indique lui-même à la fin, par ces paroles: «Nous avons employé généralement contre toutes les hérésies l'argument solide et invincible des prescriptions; dans la suite, avec la grâce de Dieu, nous répondrons encore en particulier à quelques-unes.» Les traités contre Marcion, Valentin, Praxéas et Apelles ne sont venus qu'après. Quoique la date assignée ordinairement à cet admirable traité, ne soit qu'une conjecture, il n'est guère permis de supposer que Tertullien ait écrit dans le schisme et l'hérésie un ouvrage qui détruit par un argument irrécusable toutes les hérésies et tous les schismes. Tout en reconnaissant que le cœur humain renferme les contradictions les plus étonnantes, nous aimons à croire que Tertullien n'était pas assez aveugle pour se réfuter lui-même par ses propres paroles. Toujours est-il qu'il se fait gloire d'être en communion avec les Eglises , mères et apostoliques , comme il les appelle. Il cite en particulier celles de Corinthe, de Thessalonique, de Philippes , d'Ephèse , et principalement celle de Rome, dont il fait un magnifique éloge. Lui eût-il accordé ces louanges, s'il eût cessé d'être en communion avec elle ? Le terme de Prescription est, comme tout le monde sait, |v emprunté à la jurisprudence, et signifie une fin de non-recevoir, une exception péremptoire que le défendeur oppose au demandeur, et en vertu de laquelle celui-ci est déclaré non-recevable à intenter cette action sans qu'il soit besoin d'entrer dans le fond et les détails de la cause. Tertullien écarte donc à la fois et par un seul mot, toutes les sectes de l'Eglise. «Vous êtes d'hier; vois venez de naître; avant-hier, on ne vous connaissait pas.» Hesternus es,hodiernus. Magnifique idées, qui, annoncée d'avance dans l'Apologétique, avait eu son origine peut-être dans l'ouvrage de saint Irénée, et reçut un sublime commentaire dans les Variations de l'évêque de Meaux.

Le plus célèbre et le plus important des ouvrages que Tertullien écrivit pendant qu'il appartenait à la grande famille catholique, c'est son Apologetique, qu'il composa vers l'an 199, la septième année de Sévère, et quelque temps après la défaite de Niger et d'Albinus. Tous les écrivains sont d'accord pour mettre cet ouvrage au rang des chefs-d'œuvre que l'antiquité chrétienne nous a transmis. Sa réputation s'étendit bientôt aussi loin que l'Eglise elle-même, c'est-à-dire, aux rapports d'Eusèbe, jusqu'aux extrémités de l'univers. Quant à la conduite de l'ouvrage, suivant un écrivain moderne, elle est sans reproche; la méthode en est régulière, la marche vive et pressante, les matières savamment graduées. Les conséquences les plus décisives viennent toujours s'y enchaîner aux principes les plus lumineux. L'esprit, le bon sens et l'érudition y brillent également. Il jaillit de l'imagination de l'auteur des expressions éclatantes, créations du génie africain, qui font le désespoir du traducteur, et ne peuvent passer dans aucune langue, qu'affaiblies par la périphrase ou l'équivalent. La plaisanterie y est souvent mordante et descend jusqu'au sarcasme. Au reste, c'est là un des caractères de Tertullien; à la gravité du raisonnement, il mêle volontiers le sel de l'ironie. Ce n'est point un homme qui demande grâce, mais qui se rit de ses bourreaux.

Cette magnifique apologie de la religion chrétienne, la plus belle de toutes celles qu'ont entreprises les écrivains sacrés de l'antiquité, est adressée «aux magistrats de l'empire romain, qui rendaient leurs jugements dans le lieu le plus éminent de la Cité.» Il paraît qu'il entend parler des magistrats de Carthage sa patrie, plutôt que de Rome. C'est le sentiment de Dupin, de Tillemont et de l'abbé de Gourcy. Il parle à des |vi magistrats persécuteurs; or, la persécution était alors allumée à Carthage et non à Rome. Il ne nomme jamais le sénat ni les dignités de Rome. Il se sert des termes de praesides et de proconsul qui distinguaient les magistrats ou gouverneurs de provinces. Le mot civitas,, qu'il emploie plusieurs fois pour désigner la ville où il demeurait, convient encore à Carthage, mais point du tout à Rome, pour laquelle était consacré celui d'urbs, la ville par excellence.

Les deux Livres aux Nations ne sont guère que l'esquisse de l'Apologetique; c'est dire qu'ils n'ont ni l'élévation, ni la grandeur de ce beau monument. Ils nous sont parvenus, le dernier livre surtout, mutilés et incomplets. Mais, quoique défectueux, ils sont d'un grand secours aux traducteurs et aux commentateurs, pour réformer un grand nombre de, passages corrompus. Quelle autorité peut inspirer autant de confiance que Tertullien, se corrigeant ou s'expliquant lui-même dans cet ouvrage.

Le Témoignage de l'ame, l'Epître aux Confesseurs, le Scorpiaque, dirigés contre les Gnostiques, les Valentiniens et les Caïnistes; le livre contre les Spectacles; les deux qui sont intitulés, le, premier, du Vêtement des femmes, et le second, de l'Ornement des femmes, et enfin le traité sur l'Idolâtrie, sont le dernier anneau qui rattache Tertullien à la communion de l'Eglise catholique. Encore ne l'assurons-nous que bien timidement du traité, de l'Idolâtrie. Tertullien s'y exprime avec une rigueur inexorable et y parle en maître, comme s'il était à lui seul l'arbitre de l'Eglise. Il n'était pas Montaniste quand il le composa; mais peut-être faut-il le reporter à l'époque où il abandonna la secte qu'il avait embrassée, pour créer une secte plus exaltée encore.

Le prêtre de Carthage avait mérité les bénédictions et la reconnaissance de toutes les Eglises, par la profondeur de son génie et la solidité de ses raisonnements. Ses ouvrages étaient dans toutes les mains, lus, médités, encourageant les forts et soutenant les faibles. Son nom se confondait avec celui d'Apologiste du christianisme. Par quelle fatalité le docteur de la foi aima-t-il mieux perdre sa couronne que de persévérer jusqu'au terme du pèlerinage? Lorsque les Pères de l'Eglise, ses contemporains ou ses successeurs, interrogent les causes de cette lamentable chute, ils insinuent que la Religion n'a pas besoin |vii du génie pour se défendre, ou pour subsister. Ensuite, dans leur langage figuré, ils avertissent les humbles arbrisseaux de prendre garde de se laisser déraciner par le vent de l'hérésie, puisque les cèdres du Liban sont emportés par la tempête. On a voulu expliquer la rupture de Tertullien par le refus qu'il avait éprouvé, quand il brigua l'honneur de s'asseoir dans la chaire épiscopale d'Agrippinus, à Carthage, ou même de devenir évêque de Rome. Rien ne justifie cette conjecture. Saint Jérôme dit positivement que la jalousie et des paroles imprudentes du clergé romain précipitèrent, l'illustre docteur dans l'hérésie. Il faudrait à jamais regretter que des sévérités hors de saison eussent contribué à ce fatal divorce; mais, tout en respectant le témoignage du solitaire de Bethléem, qu'il nous soit permis d'entrer un peu plus profondément dans le caractère que nous étudions.

Tertullien n'était pas un de ces hommes qui pussent rester long-temps soumis à une marche régulière et méthodique. Arrivé à l'adolescence, il s'était jeté tête baissée dans les voluptés du paganisme. Une fois qu'il eut ouvert son cœur aux croyances nouvelles, il ne garda pas plus de mesure dans la foi catholique qu'il n'en avait gardé dans les désordres de sa jeunesse. Le spectacle de l'héroïsme chrétien aux prisés avec les chevalets, les bûchers et les échafauds, avait produit sur lui une vive impression, nous l'avons vu. Dans les intervalles de repos, son esprit impatient cherchait encore des périls à braver, des perfections, à atteindre, dés sacrifices à consommer, de la gloire à conquérir. Il lui semblait que les Chrétiens mettaient trop de tiédeur dans leurs prières, dans leurs paroles, dans leurs martyres. La vie était pour lui une lutte de tous les moments: il fallait la terminer par une mort généreuse qui le mit en possession du salaire. Plus il retranchait sur les sens, plus il immolait la chair, plus il lui semblait qu'il s'élevait dans la route de la perfection. Par malheur, le prêtre de Carthage, perdant de vue le précepte de saint Paul: Sapere ad sobrietatem, oubliait qu'il est une sagesse orgueilleuse qui conduit à l'abîme, et que le rigorisme n'est pas plus la vertu que la dureté n'est la justice.

Une coïncidence malheureuse voulut que l'hérésie de Montan trouvât alors des disciples parmi les Eglises d'Afrique. Ce sectaire, né en Phrygie, poussé par un orgueil que nous ne |viii savons comment caractériser, se persuada , ou essaya de se persuader qu'il n'était rien moins que l'Esprit saint. Lorsque l'on cherche par quels raisonnements il parvint à cette ridicule illusion, on trouve à ce sectaire quelque ressemblance avec nos réformateurs et les utopistes de notre époque. Il prétendait que Dieu n'ayant point voulu manifester tout d'un coup les desseins de sa providence sur le genre humain, ne lui dispensait que par degrés et avec une sorte d'économie les vérités et les préceptes qui devaient l'élever à la perfection. Ainsi d'abord il donne des lois aux Israélites , qu'il invite à la soumission par la sanction des châtiments ou par l'attrait des récompenses. Il envoie ensuite des prophètes qui élèvent l'intelligence de son peuple. Après les prophètes, arrive la révélation beaucoup plus complète de Jésus-Christ. Mais le Rédempteur ne dissimulait point à ses disciples qu'il réservait pour d'autres moments les vérités importantes qu'ils n'étaient pas encore capables de porter. D'où viendra cette seconde révélation? du Paraclet, que le Sauveur, montant aux cieux, promit à la terre. Montan se dit : Ce Paraclet, c'est moi.

Nos fondateurs de religions modernes n'ont pas, comme on le voit, le mérite de la découverte en fait d'audace et d'extravagance. Montan lui-même ne fut qu'un imitateur. Pour justifier sa mission, il feignit les extases, affecta l'enthousiasme, parut agité de mouvements extraordinaires. Ce n'était point assez d'éblouir les yeux, il fallait frapper l'intelligence. Il prêcha une morale plus pure et plus parfaite, disait-il, que celle de l'Eglise. L'Eglise pardonnait aux pécheurs publics, lorsqu'ils avaient accompli la pénitence imposée; Montan déclara qu'il y avait des prévarications irrémissibles. L'Eglise imposait un Carême et différents jeûnes ; Montan prescrivit trois carêmes, beaucoup de jeûnes extraordinaires, en outre deux semaines d'abstinence. L'Eglise ne condamnait pas les secondes noces; Montan les appela de véritables adultères déguisés. L'Eglise n'avait jamais regardé comme un crime de fuir la persécution; Montan vit une apostasie dans la fuite, ou dans toute mesure qui avait pour but de se dérober aux recherches des persécuteurs.

Ce pompeux étalage de rigorisme reçut bien quelque démenti. L'histoire affirme que le prétendu Paraclet n'avait pas des mœurs aussi sévères que l'annonçait sa doctrine, de sorte |ix qu'on pourrait lui appliquer ce vers du satyrique païen:

Qui Curios simulant et Bacchanalia vivunt.

Toujours est-il que Priscilla et Maximilla quittèrent leurs maris pour se mettre à la suite du sectaire. Bientôt elles prophétisèrent comme lui. En peu de temps l'on vit surgir une multitude de ridicules convulsionnaires, avec les contorsions de l'extase simulée et l'ardeur d'un funeste prosélytisme.

A ceux qui objectaient aux Montanistés que le Saint-Esprit était déjà venu, les hérétiques répondaient que le Saint-Esprit avait inspiré les Apôtres. Mais ils distinguaient le Saint-Esprit du Paraclet. Ce dernier avait inspiré Montan, selon quelques-uns. Suivant d'autres, Montan était le Paraclet lui-même. Le sectaire laissa un livre de prophéties; Priscilla et Maximilla, certaines sentences. Les adeptes mettaient cette dernière révélation au-dessus de ce qu'avaient enseigné Jésus-Christ et ses disciples.

Les doctrines inexorables que nous exposions tout à l'heure, avaient quelque affinité avec les tendances de Tertullien. Il les embrassa avidement. Les hommes, d'ailleurs, portent au fond d'eux-mêmes je ne sais quel respect pour l'austérité des moeurs, et se laissent prendre volontiers a la puissance du merveilleux et du surnaturel. Qu'il nous soit permis de croire au moins que le prêtre de Carthage, en quittant son drapeau, ne céda qu'à des illusions généreuses.

Dès ce moment sa gloire et son autorité l'abandonnent. Le pape saint Zéphyrin le frappe d'anathème; ou, si cet anathème est un fait douteux, les Pèrés de l'Eglise qui le suivent de loin ou de près parlent de lui comme d'un hérétique. Saint Cyprien, qui l'avait tant chéri, ne veut pas, dans un concile, se servir de son témoignage, parce qu'il a été infidèle à sa foi primitive. «Je ne dis rien de plus de Tertullien, s'écrie saint Jérôme, sinon qu'il a cessé d'être l'homme de l'Eglise,» Saint Vincent de Lérins ne voit plus en lui qu'un déserteur. Ecoutons encore saint Augustin : «Tertullien est tombé dans l'hérésie , parce qu'embrassant la secte des Cataphryges qu'il avait combattus, il condamna comme un adultère les secondes noces, au mépris de la doctrine apostolique. » Enfin tous les éloges se retirent de |x l'infidèle. Tertullien reste seul avec son génie tombé, ruine immense que ne vivifie plus le soleil de la grâce, et où germent les fruits de l'orgueil à la place des fruits de l'humilité.

Tertullien ne se contente point de déchirer le sein de l'Eglise par sa séparation, il s'emporte contre elle à des invectives violentes. Les catholiques ne sont plus pour lui que des psychiques, ou des hommes animaux, grossiers dans leurs sentiments, incapables de s'élever aux choses surnaturelles, et ployant sous le fardeau des choses de la terre. Ces injures que rien ne justifiait, ainsi que l'expression des doctrines nouvelles qu'il avait embrassées, sont déposées dans les traités qui suivirent la chute, arrivée vers l'an 203.

Le premier manifeste qu'il lança contre ses ennemis semble être la Monogamie, qui a pour but de condamner les secondes noces, et où il examine préalablement si le Paraclet a enseigné quelque chose de nouveau et qui diffère de la tradition catholique. Les catholiques reprenaient les Montanistes d'avoir des jeûnes et des austérités spéciales, qu'ils pratiquaient sur l'autorité du Paraclet, en faisant de ces règlements particuliers une loi indispensable. Tertullien composa son livre des Jeunes, pour répondre à ses adversaires et défendre les dessidents. Le livre de la Pudicitè suivit de près. Il est dirigé contre l'Eglise catholique, qui admettait les adultères, les apostats et les fornicateurs à la réconciliation, quand ils avaient accompli la pénitence canonique. Après avoir répondu aux rêveries d'Hermogène sur l'éternité de la matière, il attaqua les Valentiniens, se contentant d'exposer plutôt que de réfuter sérieusement leurs généalogies ridicules. Il suffisait de montrer, ce qu'étaient leurs Eons, pour faire tomber cet absurde système. Au reste, il ne fait presque qu'abréger saint Irénée. Comme le prêtre de Carthage était obligé d'employer plusieurs termes, sacramentels pour les hérétiques, et composés de plusieurs mots, il les mit en grec dans son original, avec la signification à la marge. Ceux qu'il traduisit en latin portaient en dessus la signification grecque. On a négligé ces précautions dans les différents manuscrits et dans les éditions de nos jours.

Le livre de l'Ame date du commencement de la chute. Non-seulement il y énonce des choses ridicules sur l'âme, qu'il |xi appuie sur des visions plus ridicules encore, mais il y nomme formellement le Paraclet, avec la variété de ses dons. Ce traité fut écrit certainement avant celui de la Chair de Jésus-Christ, et de la Résurrection de la chair, qui est comme la conséquence du principe posé auparavant. Tertullien prouve, dans le premier, que notre Seigneur a été homme véritable; dans le second, que la foi nous oblige de croire que nous ressusciterons un jour. Dans tous les deux il réfute Marcion et quelques autres hérétiques qui combattaient ces deux vérités, parce qu'ils ne voulaient pas que le créateur du corps fût le Dieu véritable.

Nous arrivons à son grand ouvrage contre Marcion, le plus volumineux de tous. Cet hérétique avait fait revivre le double principe de Manès, auquel il mêlait d'autres dogmes ténébreux et qui lui étaient particuliers. Tertullien déploya contre lui toute la puissance de l'argumentation , toute l'autorité de la science et de la tradition. Il s'y prit, à trois fois pour abattre cette hérésie. Son premier écrit n'était qu'un opuscule composé à la hâte; il le remplaça par un second, auquel il donna plus d'étendue. Ce second traité ne le satisfit pas encore, parce qu'un des frères, qui depuis fut apostat, le publia avant qu'il fût en état de paraître, et sur des copies chargées de fautes. Il fut donc obligé de le revoir de nouveau. Il est devenu ce grand traité en cinq livres, que nous avons aujourd'hui, un des titres de gloire du prêtre de Carthage, et, sauf quelques lignes, dignes des plus beaux jours de sa foi catholique.

Le livre où il soutient contre Praxéas la distinction des personnes divines, et dont nous avons déjà parlé, date de l'an 209. Il faut rapporter à cette époque le traité du Manteau, opuscule fort obscur, dans lequel il répond sur le ton d'une ironie habituelle, aux détracteurs qui lui reprochaient d'avoir abandonné la robe pour ce vêtement, que portaient alors les philosophes, et quiconque faisait profession de se vérité dans ses mœurs. Un beau génie, Malebranche, rebuté par ce style énigmatique, s'en est autorise pour flétrir Tertullien, qu'il appelle un visionnaire. Y a-t-il quelque justice à prendre quelques pages pour juger l'homme tout entier? Ce traité même renferme des lignes précieuses sur la tradition.

La Lettre à Scapula, proconsul d'Afrique, qui alors |xii persécutait les Chrétiens, est une troisième apologie pour tous les disciples du Christ quels qu'ils fussent, catholiques ou dissidents. Il cite le persécuteur au tribunal de Dieu, s'il continue de sévir contre des innocents.

Le livre de la Couronne du Soldat, celui de la Fuite pendant la persécution, et enfin celui où il prouve que les vierges doivent être voilées, semblent appartenir aux derniers temps de la chute.

Nous avons vu deux hommes dans Tertullien; nous rencontrons aussi deux écrivains. Tant qu'il est fidèle à ses premières croyances, son génie brille de tout son éclat. Profond et original, il sort des règles ordinaires du langage pour se créer un idiome nouveau. Il éblouit par la beauté de ses images; il tonne, il renverse par la solidité de ses arguments. Aussi long-temps qu'il est dans la vérité, il ne connaît point d'égal; mais du moment que l'esprit de Dieu s'est retiré de lui, comme autrefois de Saül, il faiblit et chancelle. Il conserve encore d'admirables clartés par intervalles, mais souvent aussi il tombe dans l'affectation et l'enflure. Ses arguments n'ont plus ni l'enchaînement ni la solidité accoutumée. Il se contente parfois de raisons plus spécieuses que solides pour prouver ce qu'il avance, lui qui avait tout à l'heure le regard si pénétrant et la parole si incisive. Il devient crédule comme un enfant. Le docteur s'est fait peuple, et accepte avec lui des chimères et des visions ridicules. Tant il est vrai que la pensée nourrit l'élocution, et que le style tout entier c'est l'homme. Qu'on le sache bien cependant : Tertullien, ainsi que l'ange déshérité de sa gloire, conserve encore dans sa chute une partie de sa puissance et de son génie.

Au reste, il ne fut pas plus constant dans l'erreur qu'il ne le fut dans la vérité. Vers la fin de sa carrière, il abandonna complètement la secte des Montanistes. Mais, au lieu de retourner à l'unité catholique, il se fit lui-même chef de secte. Pourquoi cette nouvelle révolution dans sa vie ? Avait-il découvert que Montan n'était qu'un grossier imposteur, cachant des mœurs suspectes sous un rigorisme hypocrite? Son orgueil chercha-t-il à son tour des disciples qui portassent son nom? Faut-il attribuer à tout autre motif cette dernière marque de versatilité humaine? L'histoire ne s'est pas expliquée là-dessus; mais le fait en lui-même est incontestable. |xiii Postmodum, dit saint Augustin etiam ab ipsis (cataphrygibus) divisus, sua conventicula propagavit. L'évêque d'Hippone est d'autant plus digne de foi dans ce témoignage, qu'il eut le bonheur de mettre fin, sous son épiscopat, à cette hérésie qui rappelait si malheureusement les aberrations d'un illustre génie. Ses disciples allèrent toujours en s'affaiblissant jusqu'à cette époque. Le grand docteur de l'Afrique eut avec eux plusieurs conférences, dans lesquelles il déploya toute la puissance d'une raison calme et persévérante. Ils se rendirent à ses arguments, et passèrent dans l'Eglise catholique, a laquelle ils réunirent leur basilique, alors fort connue à Carthage. Nous devons encore ces détails à la plume de saint Augustin, dans sa lettre à l'évêque, Quod-Vult-Deus. Tertullianistae, inquit, à Tertulliano, usque ad nostrum tempus paulatim deficientes, in extremis reliquiis durare potuerunt in urbe Carthaginiensi. Me autem ibi posito ante aliquot annos, omni ex parte consumpti sunt. Paucissimi enim qui remanserunt, in catholicam transierunt, suamque basilicam quae nunc etiam notissima est, catholicae tradiderunt. Ailleurs il dit qu'il les ramena, rationabiliter cum illis disputans.

Quelques-uns, sur la foi de leurs regrets et de leurs espérances, plutôt que sur celle de documents qui eussent la moindre valeur, ont affirmé que Tertullien était rentré dans de l'Eglise avant de mourir. Nous voudrions qu'il en fut ainsi pour la mémoire de ce grand homme. Mais, nous le Disons avec peine, on ne trouve ni dans ses écrits, ni dans ceux de l'antiquité, aucun indice qui justifie cette assertion. Loin de là, tous ceux qui le suivirent de près s'accordent à dire qu'il acheva sa carrière dans un vieillesse avancée, vers l'an 245, hors de la communion catholique. Il nous serait doux néanmoins de penser que, prêt à paraître devant le Dieu pour lequel il avait si long-temps combattu, il abjura intérieurement ses erreurs, et que tombé il trouva grâce devant celui à qui il devait son merveilleux génie.

Quelques ouvrages de Tertullien ont été perdus: ce sont les Traités sur l'Origine de l'âme, sur le Paradis, sur le Destin, sur l'Espérance des fidèles. D'autres lui sont attribués, mais à tort; on n'y reconnaît ni sa manière, ni son style.

Avant de terminer cette notice biographique, il nous a paru important d'exposer ici les principales erreurs de Tertullien, |xiv sous forme de propositions, et sans les accompagner d'aucune réflexion, qui les réfute, parce que les unes prit été condamnées depuis par l'Eglise, et que les autres n'étant que des opinions locales, n'eurent jamais grand retentissement.

Les Erreurs de Tertullien

---- Le Saint-Esprit a été donné aux Apôtres; mais il n'avait pas entièrement formé, ni enseigné l'Eglise par leur ministère: il s'était réservé des vérités plus capitales. La manifestation de ces vérités devait avoir lieu par Montan ou le Paraclet, dernier Messie qui achèverait la révélation.

---- Les secondes noces sont un véritable adultère.

---- Il y a des péchés irrémissibles: de ce nombre sont l'apostasie, l'adultère, la fornication.

---- Fuir la persécution est un crime. Il vaut mieux renoncer à la foi dans les tourments que la conserver par la fuite.

---- Les anges remplies ont péché avec les femmes des hommes.

---- L'âme a un corps sui generis; elle est mâle ou femelle; elle a les trois dimensions, longueur, largeur, profondeur; elle a des membres particuliers, une forme et une configuration en harmonie avec celles du corps humain; elle est palpable, transparente, de couleur aérienne. ---- Toutes les ames sortent l'une de l'autre par une espèce de propagation, sans que chacune soit formée par une création nouvelle.

---- Dieu a un corps, parce que rien ne peut exister s'il n'est corps. Saint Fulgence reproche à Tertullien ce déplorable égarement. Saint Augustin, néanmoins, dit que le prêtre de Carthage entend, par le mot de corps, l'être et la substance propres à chaque chose, et qu'il n'y avait pas d'apparence qu'il fût assez insensé pour croire que Dieu fût passible, lui qui avait si bien remarqué que tout corps, était susceptible de passibilité.

---- Les ames des bons et des méchants sont retenues dans les |xv lieux inférieurs de la terre, pour y attendre le jour du jugement, excepté seulement, celles des martyrs, qui vont directement dans le paradis.

---- Le baptême administré par les hérétiques n'est pas valide.

---- L'Eglise réside dans deux ou trois laïques rassemblés. Il répète plusieurs fois cette proposition ; néanmoins il n'y a que le livre de l'Exhortation à la Chasteté où elle ne puisse pas recevoir un sens plausible.

---- Dieu n'a pas toujours été Père, parce qu'il n'a pu l'être avant que le Fils eût été, et il y a eu un temps ou le Fils n'était pas. Hâtons-nous de dire cependant que, plus tard, Tertullien revint à l'opinion catholique sur la Trinité, et que l'hérésie est ici plutôt dans les mots que dans les sentiments.

---- La Mère de Dieu a cessé d'être vierge. Il dit positivement: Semel nuptura post partum. (Monogamie. )

---- Jésus-Christ a paru dans l'ancien Testament avec une chair aussi réelle et aussi véritable que celle qu'il a prise dans le sein de la sainte Vierge.

---- Jésus-Christ régnera sur la terre avec ses saints, dans une nouvelle Jérusalem, pendant mille ans avant le jour du jugement.

---- L'extase est une démence.

---- L'esprit prophétique s'est éteint dans Jean-Baptiste, qui ne fut plus qu'un homme ordinaire et semblable au premier venu. Communis jam homo et unus de turba.

---- La liberté humaine et la substance de l'âme sont en nous ce qu'elles étaient dans Adam avant sa chute.

---- Les anges ont conversé avec les hommes dans une chair véritable, quoique cette chair ne fût pas le fruit de la naissance.

Telles sont les erreurs les plus graves de Tertullien. Sans doute, elles lui ôtent une partie de son autorité, et son témoignage n'est reçu qu'en réservant les droits de l'Eglise. Mais on ne peut se dissimuler que, même dans les traités où s'est glissée l'hérésie, il reste encore une foule de passages où l'on |xvi reconnaît les inspirations de la foi catholique. Nous serions injustes, d'ailleurs, envers la mémoire de Tertullien, si nous ne disions, en finissant, que plusieurs de ces opinions, loin de lui être personnelles, appartenaient à certaines localités de l'Afrique, et que l'Eglise n'avait pas encore prononcé sur quelques autres.
 

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[Note au lecteur: plusieurs des faits indiqués en cette 'vie' sont imaginaires ou conjecturaux. RP, 2003].
 

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Quintus Septimius Florens Tertullianus naquit à Carthage vers l'an 160 après J.-C. Il était fils d'un centurion proconsulaire, c'est-à-dire que son père commandait la garde militaire du gouverneur d'Afrique. Les écoles de Carthage étaient alors florissantes et Tertullien y reçut une forte éducation littéraire. Il étudia à fond les poètes grecs et latins, les philosophes et les historiens. II s'adonna particulièrement au droit romain et devint peut-être avocat ou rhéteur. On a supposé que les fragments empruntés par le Digeste à un jurisconsulte nommé Tertullianus sont de lui, mais on n'a pu le prouver. Si saint Jérôme et saint Vincent de Lérins, qui étaient mieux placés que nous pour en juger, parce qu'ils avaient sous les yeux toute la littérature antique, ne vantaient pas son érudition immense, il nous suffirait de lire ses ouvrages pour la constater.

Tertullien resta païen jusqu'à l'âge mûr et il avoue que sa jeunesse ne fut pas exempte de désordres. Nature ardente et fougueuse, il se plaisait aux spectacles grossiers et barbares de la scène, du cirque et de l'amphithéâtre. Païen passionné, il se moquait du christianisme, dont les adeptes s'étaient rapidement multipliés en Afrique. Après avoir ri des chrétiens qu'il voyait livrés au supplice, il fut frappé de leur héroïque |pvi constance ; il comprit que plus on les persécutait, plus leur nombre augmentait: Semen est sanguis christianorum! (ch. L). Quand il se mit à regarder de plus près la religion nouvelle, il y trouva une conception de la vie, qui dut séduire son âme noble et généreuse : « J'étais aveugle, dira-t-il plus tard, sans la lumière de Dieu, n'ayant pour guide que la nature » (De poenitentia,1).

Il se convertit quelques années avant l'an 197, car l'Apologétique, qui vit le jour cette année-là, n'est pas l'œuvre d'un nouveau converti. Sa parole éloquente dut le faire remarquer tout de suite dans la communauté de Carthage; il fut élu prêtre et il remplit ces fonctions jusque vers le milieu de sa vie, dit saint Jérôme. Son élection eut lieu vers l'an 200 ; car, en 197, dans sa lettre Aux Martyrs (ch. I) et dans ses deux Apologies, il parle encore en simple fidèle.

Sa renommée fut grande dans toutes les églises jusqu'à l'an 210, dit encore saint Jérôme. En effet, il mit son talent d'écrivain au service de la foi, qu'il défendit contre tous ses ennemis, les païens, les hérétiques et les juifs. Avec une grande audace, il lança deux brochures contre les païens (197), l'une adressée au public (Ad nationes), l'autre aux gouverneurs des provinces (Apologeticum). On ne sait comment il échappa aux persécuteurs. Aux hérétiques qui cherchaient à corrompre la foi chrétienne, il opposait l'argument de la «prescription » qu'il avait déjà touché dans l'Apologétique(ch. XLVII, 10) ; aux Juifs jaloux, il montrait (Ad Judaeos) que toutes les nations sont appelées aux bienfaits de la loi nouvelle. En même temps, le prêtre de Carthage écrivait une série de traités pour l'instruction des fidèles.

Saint Jérôme l'appelle un homme érudit et ardent, « d'une nature âpre et véhémente ». Et en effet il discute avec une impétuosité fougueuse; il manie souvent  |pvii l'ironie mordante ; c'était un batailleur autoritaire et intransigeant. Et ce fut la cause de sa perte.

La morale rigoureuse des montanistes le séduisit ; il passa au montanisme. Après avoir défendu l'Église, il se tourna contre elle, parce qu'il la trouvait trop indulgente, trop conciliatrice. Il était de ceux qui vont toujours jusqu'au bout de leurs idées. La rupture devint définitive en 213, dit saint Jérôme, et désormais aucun de ses nombreux écrits (il en reste 31) n'est exempt d'erreurs. Le dernier de ses ouvrages paraît avoir été le De Poenitentia, écrit pour railler l'indulgence du pape Calliste (217-222) dans son édit sur la pénitence. Saint Augustin rapporte que Tertullien finit par se brouiller avec les montanistes et qu'il fonda la secte des tertullianistes. Saint Jérôme nous apprend qu'il vécut jusqu'à un âge très avancé (usque ad decrepitam aetatem).

Comme caractère, Tertullien avait de grandes qualités, celles qui font l'homme d'action, l'homme de combat; il avait une âme ardente et généreuse. Mais il poussait ses qualités jusqu'à l'excès : sa nature hautaine, indocile, intransigeante le perdit.

Comme écrivain et comme polémiste, il est admirable, mais il n'est pas non plus sans défaut. Il disposait d'une vaste érudition, il connaissait tous les secrets du droit romain et de la rhétorique classique; il avait l'imagination vive et puissante des Africains. Tour à tour il parle en rhéteur, en avocat, en jurisconsulte et en théologien. Son talent présente un singulier contraste : son éloquence entraînante, chaude et vibrante, est faite de foi enthousiaste et de chicane, d'imagination et de pédantisme, de sincérité et de rhétorique, d'émotion et de satire. (Voy. Paul Monceaux, Hist. litt.  de l'Afrique chrétienne, 1, p. 190.)

L'Apologétique est le plus parfait et le plus éloquent  de ses ouvrages : ses qualités d'écrivain et de polémiste s'y montrent dans tout leur éclat; ses défauts y sont moins sensibles.
 

Ad Martyras.  Traduit par Liette RÉAU, Connaissance des Pères de l'Église 71 (1998), pp.17-21.  Reproduit par permission.

Ad Scapulam -- A Scapula. Traduction M. de GENOUDE, 1852.       *

Apologeticum -- L'Apologétique de Tertullien. Traduction Litterale par J.P. WALTZING, Paris, 1914.

De Baptismo -- Traité du Baptême. 'Édité' par M. CHARPENTIER, Paris, 1844.

De Carne Christi -- Traité de la chair de Jésus-Christ.  'Édité' par M. CHARPENTIER, Paris, 1844.

De Corona Militis -- Traité de la Couronne du soldat.  'Édité' par M. CHARPENTIER, Paris, 1844.

De Cultu Feminarum -- Traité de l'ornement des femmes: Livre I -- Livre II  'Édité' par M. CHARPENTIER, Paris, 1844.

De Paenitentia -- Traité de la Pénitence.  Édité par P. DE LABRIOLLE, Paris, 1906.

De Patientia -- Traité de la Patience. 'Édité' par M. CHARPENTIER, Paris, 1844.

De Pallio -- Du Manteau.  Traduction M. de GENOUDE, 1852.       *

De Praescriptione Haereticorum -- Traité de la Prescription Contre les Hérétiques.  Édité par P. DE LABRIOLLE, Paris, 1907.

De Pudicitia -- Traité de la Pudicité.  Édité par P. DE LABRIOLLE, Paris, 1906.

De Spectaculis -- Contre les Spectacles. Traduction M. de GENOUDE, 1852.      *

De Testimonio Animae -- Témoignage de l'âme.  Traduction M. de GENOUDE, 1852.       *

Pseudo-Tertullien:

Adversus Omnes Haereses -- Contre tous les Hérétiques.  Traduction M. de GENOUDE, 1852.       Trouvé à http://nimispauci.free.fr/index.htm.  Transcrit par Ugo Bratelli.
 

* Les traductions par E.-A. de Genoude sont proposé en ligne par Ugo Bratelli.  Ils sont trouvés à http://nimispauci.free.fr/index.htm.

La seule traduction complète:
(par de Genoude)

Auteur : Tertullien
Titre : Oeuvres de Tertullien, traduites en français par E.-A. de Genoude.
Paris : Louis Vivès, 1852        3 vol. in-8 ° .
Tome 1 : 541 pages - Tome 2 : 539 pages - Tome 3:  537 pages
 

Berthold ALTANER, Précis de Patrologie. Tr. Marcel GRANDCLUDON (1941) pp. 126-138
 

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§ 30. TERTULLIEN (+ après 220).
Quintus Septimius Florens Tertullien, fils d'un centurion romain païen, naquit à Carthage vers 160. Il reçut une formation foncièrement scientifique, surtout juridique et apprit le métier de rhéteur (Eusèbe, Hist., 2, 2, 4). Il connaissait aussi parfaitement la langue grecque. Très vraisemblablement il doit être identifié avec le juriste du même nom cité dans les Pandectes. Vers 195 il revint de Rome où il était avocat dans sa ville natale, converti au christianisme, après avoir, comme il le rapporte lui-même (Res. carn. 59) vidé jusqu'à la lie la coupe des plaisirs. Bientôt il commença une activité littéraire intense au service de l'Eglise. S. Jérôme affirme (Vir. Ill., 53) qu'il était prêtre, mais c'est très invraisemblable. En 207 au plus tard, il consomma sa rupture avec l'Eglise. Son esprit sévère et dur, ennemi de tout compromis, le |127 conduisit à la secte des montanistes où il devint bientôt le chef d'un parti à lui, les Tertullianistes. Il mourut très âgé, après 220, à Carthage.

Tertullien est un des plus originaux et, mis à part S. Augustin, le plus personnel de tous les écrivains ecclésiastiques latins. En lui l'ardeur punique se mêlait à l'esprit pratique romain. Enflammé d'un zèle religieux, il possédait une intelligence pénétrante, une éloquence entraînante, un esprit aux reparties promptes et des connaissances extraordinaires dans tous les domaines. En outre il possédait comme pas un la langue latine et savait lui donner de nouvelles formes. Ses œuvres ont exercé, après la Vulgate, la plus grande influence sur le latin chrétien ancien. Il écrit dans un style concis, nerveux, mais fréquemment aussi obscur; S. Vincent de Lérins dit de lui avec raison : Quot paene verba, tot sententiae (c. 18). Mais quand il ajoute : Quot sensus, tot victoriae, il se trompe; car la dialectique de Tertullien éblouit plus qu'elle ne persuade et cela vient de sa personnalité. Il avait une nature exaltée, portée aux extrêmes et lui-même dut avouer un jour que la vertu, à l'éloge de laquelle il composa un ouvrage spécial (Pat 1) lui manquait totalement. Dans sa rhétorique entrent en jeu la colère pathétique, la verve ironique et la volubilité de l'avocat. Dans la lutte aucune considération ne l'arrête, tous ses ouvrages sont des écrits de polémique. La même amertume qui lui faisait stigmatiser, comme catholique, l'attitude des gouverneurs païens et ridiculiser la religion païenne, lui fit combattre plus tard, comme montanistè, le prétendu laxisme de l'Église catholique et osa même suspecter les cérémonies des agapes par des allusions obscures (Jejun., 17). A cause de sa langue difficile à comprendre, mais plus encore à cause de son passage au montanisme, on ne le lut plus bientôt ou du moins, comme déjà chez S. Cyprien, on ne le nomma plus.

Il est presque impossible de classer chronologiquement les œuvres de Tertullien; on peut habituellement déterminer avec certitude si elles appartiennent à la période catholique ou montanistè de l'auteur. Les renvois fréquents des ouvrages, les uns aux autres, et des raisons internes permettent d'établir l'ordre chronologique relatif de nombreux ouvrages. La tradition du texte aussi est très défectueuse. Un certain nombre d'écrits ont été perdus; pour d'autres (Pud, Jejun.) nous n'avons plus |128 les manuscrits sur lesquels ont été imprimées les plus anciennes éditions; d'autres encore n'existent plus que dans le seul Codex Agobardinus (à Paris) qui provient d'Agobard, archevêque de Lyon. Pour l'Apologeticum seul il existe de nombreux manuscrits. 31 ouvrages en tout ont été conservés. Tertullien a été l'écrivain latin le plus fécond de la période préconstantinienne.

Éditions générales : ML 1-2. Oehler, 1-3, 1851/54. Dans le CSEL jusqu'ici deux volumes de parus : 20, 1890 par Reifferscheid et Wissowa et 47, 1906 par Kroymann. ---- Traductions : allemande de Kellner 2 vol. 1882 et de Kellner et Esser (BKV2 7 et 24), 1912/15, française par De Genoude 3 vol. 1852; néerlandaise de Meyboom, Leyde 1931. ---- Monographies : Monceaux, Hist. litt, de l'Afrique chrétienne, I, 1901. Schulte, Het heidendom bij Tertullian, Nijkerk 1922. Ramorino, Mi 1923. Koch, PWK 115, 822/44. ---- Études spéciales : Esser, Die Seelenlehre T 1893. Hoppe, Syntax und Stil des T 1903. D'Alès, La théologie de Tertullien, 1905; Tertullianea, RSR 1936/37. K. Adam, Der Kirchenbegriff T', Pa 1907. Waltzing, La langue de Tertullien, Musée Belge, 1920, 44 sqq. De Labriolle, La crise montaniste, 1913, 291 sqq. Guilloux, RHE 1923, 5 sqq, 141 sqq. Roberts, The Theology of Tertullian, Lo 1924. Vitton, I concetti giuridici nelle opère di T. 1924. Beck, Römisches Recht bei T. und Cyprian, 1930. Lortz, Tertullian als Apologet, 2 vol., Mr 1927/28. Berton, Tertullien le Schismatique, 1928. Morgan, The importance of Tertullian in the development of Christian dogma, 1928. Bayard Tertullien et Cyprien, 1930. Warfield, Studies in Tertullian and Augustine, O 1930 (doctrine trinitaire). Favre, BLE 1936, 130 sqq (la communication des idiomes). Rivière, RveSR 1926, 199 (Tertullien et les droits du démon). Galtier, RHE 1928, 41 sqq (Tertullien et Calliste). Amann, RSR 1921, 208 sqq (L'ange du baptême dans T.). Koch, ThSK 1931, 108/14 (T. n'était pas prêtre). Schummer, Die altchristliche Fastenpraxis mit besonderer Berücksichtigung der Schriften Tertullians, Mr 1933; cf. RHE 1934, 370 sqq. Castiglioni, StU 255/61 (critique du texte). Aalders, Mn 1937, 241/82 (citations de S. Luc).

I. Ecrits apologétiques.
1. Ad nationes, 2 Livres (197) défense contre les attaques des païens et attaque du paganisme sur le point de se dissoudre moralement et religieusement (EH 186 sqq).

2. L'Apologeticum (fin de 197) est adressé aux gouverneurs de provinces de l'empire romain. A la différence de toutes les autres apologies anciennes, elle envisage presque exclusivement les accusations politiques portées contre les chrétiens, |129 notamment le mépris des dieux de l'état et le crime de lèse-majesté et fait passer l'apologétique du terrain philosophique sur le terrain juridique (EH 164/75; EP 274/85).

Avec une grande habileté il blâme la procédure contre les chrétiens préférée par la puissance païenne : le seul crime qui les fasse condamner est le «nomen christianum». A tous les autres criminels il est permis de se défendre, mais pas aux chrétiens; aux autres la torture doit arracher un aveu, aux chrétiens un reniement. Il réfute les accusations lancées communément contre les chrétiens et expose l'essentiel sur la foi chrétienne et la vie des communautés chrétiennes. Le christianisme, est-il dit en forme de conclusion, est une philosophie, mais on ne force pas les philosophes païens à sacrifier, ils peuvent même impunément nier les dieux. Pourtant les cruautés païennes ne nuisent pas aux chrétiens, au contraire : «Plures efficimur, quotiens metimur a vobis, semen est sanguis christianorum» (50).

Le texte de l'Apologeticum est très discuté. L'ouvrage est conservé dans le manuscrit aujourd'hui perdu du Codex Fuldensis sous une forme très différente de la recension habituelle («Vulgate», environ 30 manuscrits). L'opinion plusieurs fois soutenue (Schrörs, Thoernell) qu'il s'agit de deux éditions différentes faites par Tertullien lui-même pourrait être considérée aujourd'hui comme périmée. Les deux recensions, comme le prouvent des fautes communes, remontent à un seul et même archétype qui, de très bonne heure, à la suite de l'intervention de copistes maladroits, s'est séparé en deux branches. Le texte original est moins déformé dans le Codex Fuldensis que dans la Vulgate (Waltzing, Martin).

3. Le De testimonio animae développe une phrase de l'Apologeticum (17) : «O testimonium animae naturaliter christianae» (EP 286). Les païens montrent par leurs exclamations spontanées qu'au fond de leur âme ils croient à l'unité de Dieu, à la survie de l'âme et à l'existence de mauvais esprits, par exemple, quand ils disent : Dieu le voit, ou bien : Puisse le défunt reposer doucement.

4. Ad Scapulam (212) est une lettre ouverte qui menace du jugement de Dieu Scapula, proconsul d'Afrique, ennemi féroce des chrétiens, à l'occasion d'une éclipse de soleil (EH 217; EP 369).

5. Adversus Judaeos (EH 207). L'ancienne Loi de vengeance |130 doit céder la place à la Loi nouvelle de l'amour. Les païens aussi ont part à la grâce divine (1-8). La 2e partie (9-14) n'est pas authentique, c'est un extrait du 3e Livre de l'ouvrage «Adversus Marcionem».

Éditions partielles : Ad nationes : Borleffs, Ley 1929; cf. BFC 37, 1930/31, 43/46. Apologeticum Mayor and Souter, C 1917 (avec trad. angl. Waltzing, 1931 (avec commentaire). Martin 1933 (FIP 6); cf. PhWo 1935, 740/51. De testimonio animae; Scholte, Am 1934 (avec trad. néerland.); cf. PhWo 1935, 1143/51. Ad Scapulam : Bindley, O 1894. Meyboom, Ley 1930 (avec trad. néerland.). Adversus Judaeos : Meyboom, Ley 1927 (trad. néerlandaise). Koch, ThSK 1929, 462/69. D'Alès, RSR 1936, 99 sqq.

II. Œuvres dogmatiques et polémiques.
6. De praescriptione haereticorum (vers 200). En langue juridique le terme praescriptio signifie exception, habituellement exception par prescription (longae possessionis ou longi temporis praescriptio). Tertullien montre dans cet écrit que non pas les hérétiques, mais seule l'Église catholique peut revendiquer pour elle la protection légale de prescription (EP 288/300; EH 188, 191/94).

a) Les apôtres ont confié la vérité révélée aux églises fondées par eux; celles-ci sont donc seules les vrais témoins de la vérité et il faut être d'accord avec elles dans la foi.

b) Ce qui existe dès l'origine dans le christianisme est la vérité; or la doctrine catholique est originale, tandis que chaque hérésie est une nouveauté.

c) L'Église seule est en possession de la Sainte Écriture, car elle l'a reçue des mains des apôtres. Les hérétiques n'ont donc pas le droit de juger du sens et de l'origine de la Sainte Écriture. Tertullien dit aussi expressément (14) que c'est la foi (d'après la tradition) et non pas l'étude de l'Ecriture qui produit le salut.

Le catalogue de 32 hérésies (C. 46-53) qui se trouve en appendice au traité De praescriptione est, selon E. Schwartz (BAS 1936, 3) un écrit grec, remanié dans un sens antiorigéniste et traduit par Victorin de Pettau, qui fut composé par le pape S. Zéphyrin ou l'un de ses clercs (cf. p. 000, n° 2).

7. Les 5 Livres Adversus Marcionem conservés |131 dans leur troisième remaniement; le 1er Livre parut en 207.

Les Livres 1 et 2 montrent que le Créateur du monde ne peut être distinct du Dieu bon, le Livre 3 montre que le Christ est le Messie prédit dans l'A. T. et non pas un éon supérieur dans un corps fantastique, les Livres 4 et 5 critiquent la Bible de Marcion et prouvent qu'il n'existe pas de contradictions entre l'Ancien et le Nouveau Testament (EP 331/45; EH 210; EA 64/66).

8. Adversus Hermogenem (EP 321/28), défense de la doctrine chrétienne de la création contre le peintre gnostique Hermogène de Carthage.

9. Adversus Valentinianos, contre le gnostique Valentin et ses adeptes; cet écrit utilise beaucoup S. Irénée (Haer., 1).

10. Scorpiace, «remède contre la piqûre du scorpion», l'hérésie gnostique défend la valeur morale du martyre (213).

11. De carne Christi (EP 253/59; EH 209) réfute le docétisme des gnostiques; on y rencontre (9) cette affirmation que le visage du Christ était laid (vers 210/12).

12. De resurrectione carnis (EP 360/65) défend la résurrection de la chair contre les gnostiques.

13. Adversus Praxeam, la plus claire exposition anténicéenne de la doctrine ecclésiastique sur la Sainte Trinité, dirigé contre le patripassien Praxéas; c'est ici (3) que se rencontre pour la première fois le mot trinitas.

14. De baptismo, exposé de la doctrine catholique du baptême, de sa nécessité et de ses effets, le baptême des hérétiques est invalide (15).

15. De anima (210/11), après l'Adversus Marcionem, l'ouvrage le plus étendu, est la première psychologie chrétienne; à sa base se trouve la «psychologie» du médecin Soranus d'Ëphèse.

Éditions partielles : De praescriptione, Preuschen, 1910. De Labriolle, 1907 (avec trad. française). Martin, (FIP 4) 1930. Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.). Adversus Marcionem : Meyboom, Ley 1927 (trad. néerl.). Adversus Hermogenem, Ley 1930 (trad. néerl.). Adversus Valentinianos : Meyboom, Ley 1924, (trad. néerl.). Scorpiace : Meyboom, Ley 1930 (trad. néerl.). De resurrectione carnis : Lindner, Lo 1922. Souter, Lo 1922 (trad. anglaise). Adversus Praxeam : Kroymann, Tu 1907. Souter, Lo 1920 (trad. angl.). Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.). De baptismo: Rauschen (FIP n) 1916. Borleffs, |132 Mn 1931, 1/102. D'Alès, R 1933 (ces deux auteurs ont utilisé pour la première fois le nouveau manuscrit de Troyes). Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.) De anima : Lindner, Lo 1922. Waszink (avec trad. allemande et commentaire), Am 1933. ----Études : Vellico, La rivelazione e le sue fonti nel de praescriptione di Tertulliano, R 1935. D'Alès, RSR 1935, 593 sqq (De praescriptione 9, 1). Koch, ThSK 1929 (Praescr. 36). Cumont, RHR 103, 1931, 31 sqq (Praescr. 40).----Bosshardt, Essai sur l'originalité et la probité de T. dans son traité Adversus Marcionem, Lausanne 1921. Neumann, ZkTh 1934, 311/63, 533/51 (problème du mal dans Adv. Marc. 2). D'Alès, RSR 1936, 99 sqq, 585 sqq (Adv. Marc. 3, 18; 4, 21). Colson, JTS 1924, 364 sqq (Adv. Marc. 4, 12). ---- D'Alès, RSR 1935, 496 (Adv. Valent. 12); 1937, 97/99, 228/31. ---- Bardy, RSR 1922, 361 (Adv. Praxeam). ----Dölger, AC 3, 216/19 (De baptismo 16, 2); 4, 138/46 (De bapt. 2, 1). Amann, RSR 1921, 208/21. D'Alès, RSR 1924, 392. Leeming, Gr 1933, 423/31 (De bapt. 2). ---- De Vries, Bijdrage tot de psychologie van Tertullian, Am 1929. Bickel, PhWo 1932, 961 sqq (De anima, 1). Krapp, ZntW 1934, 31/47 (Soranus, source du De anima).

III. Ouvrages de morale et d'ascétisme.
a) de la période catholique :

16. Ad martyres (EA 40) veut consoler et fortifier les chrétiens qui languissent dans les cachots (197 ou bien 202/203).

17. De spectaculis (197/200) interdit la fréquentation de tout genre de spectacles païens à cause de leur immoralité et de leurs étroites relations avec le culte des idoles.

18. De oratione (EA 44/48) donne des prescriptions relatives à la prière en commun et explique le Pater (198/200).

19. De patientia (EA 49/52). Tertullien veut parler de cette vertu qu'il ne possède pas, à la manière du malade qui fait l'éloge de la valeur de la santé; sa plus grande ennemie est la soif de vengeance (200/203).

20. De paenitentia (EH 199/203; EP 311/17) traite de l'esprit de pénitence, de la pratique de la pénitence avant le baptême (1/6) et de la pénitence ecclésiastique unique à laquelle doit se soumettre un baptisé après avoir commis un «péché grave» (7/12).

21. De cultn feminarum (2 Livres; EA 57/62) combat les diverses formes de la toilette féminine (197-201).

22. Ad uxorem (2 Livres; EH 204/06; EA 53/56) il demande à sa femme de rester veuve, s'il vient à mourir, ou de n'épouser qu'un chrétien (vers 203). |133

b) de la période montaniste :

23. De exhortatione castitatis (EP 366; EA 68) exhorte un ami devenu veuf à ne pas contracter un second mariage qu'il désigne comme une «sorte de débauche» (9) (avant 207).

24. De monogamia (EP 380/82) sortie véhémente contre l'autorisation de contracter un second mariage (vers 217).

25. De virginibus velandis (EP 329) demande à toutes les jeunes filles de porter un voile, non seulement à l'église, mais aussi en public (avant 207).

26. De corona (211) rejette le couronnement des soldats comme quelque chose de spécifiquement païen et interdit le service militaire comme inconciliable avec la foi chrétienne.

27. De idololatria exige l'abstention la plus stricte du culte des idoles et de toutes les professions ayant quelque rapport avec lui (artistes, instituteurs, fonctionnaires, soldats).

28. De fuga in persecutione (EP 370). La fuite dans la persécution est interdite et va à l'encontre de la volonté de Dieu (vers 212).

29. De jejunio adver sus psychicos, défense de la pratique montaniste du jeûne avec de violentes attaques contre les psychiques (c'est-à-dire les catholiques) esclaves des plaisirs (16); important pour l'histoire de la pratique du jeûne.

30. De pudicitia (EP 383/87; EH 219/21) dénie à l'Église, contrairement à des affirmations antérieures (cf. n° 20) le droit de pardonner les péchés. Cette puissance appartient non pas à l' «Église épiscopale» juridiquement organisée, mais seulement aux «homines spirituales», les spirituels («apôtres et prophètes»). Le combat passionné de Tertullien est dirigé contre un edictum peremptorium d'un évêque (pontifex maximus quod est episcopus episcoporum) non désigné de façon plus précise, qui a déclaré : «Ego et moechiae et fornicationis delicta paenitentia functis dimitto» (1). L'opinion souvent soutenue qui voit ici le pape Calliste (217/22) doit être rejetée. On ne peut tirer du De pudicitia aucune preuve suffisante que Tertullien ait combattu un évêque vivant hors d'Afrique et de plus il y a, à la base du récit de S. Hippolyte (Philos., 9, 12) qui attaque Calliste et sa pratique «laxiste», une tout autre situation, que celle que l'on peut déduire du traité de Tertullien. Il se tourne manifestement contre l'évêque de Carthage, Agrippinus (S. Cyprien, Ép. 71, 4).

31. De pallio, le plus court de tous les ouvrages de Tertullien, est une défense personnelle; avec une ironie amère il légitime devant |134 ses concitoyens son abandon de la toge pour le manteau des philosophes (vers 210). Sur la Passio Sanctorum Perpetuae et Felicitatis, cf. § 45, n° 8.

32. Œuvres perdues et non authentiques. Dans la série respectable des œuvres perdues, il faut surtout mentionner les sept livres De exstasi, défense des discours extatiques des prophètes montanistes. Dans la Quaestio 115 de l'ouvrage «Quaestiones Veteris et Novi Testamenti» qui appartient à l'Ambrosiaster (318/49, édit. Souter 1908) l'ouvrage De fato a peut-être été utilisé. Le traité De exsecrandis gentium diis n'est pas authentique.

Éditions partielles : Ad martyres : Bindley, O 1894. Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.). De spectaculis : Boulenger, P 1933; cf. PhWo 1934, 377/84. Büchner 1935 (avec commentaire). De Labriolle, I (trad.), II (commentaire), 1936. Meyboom, Ley (trad. néerl.). De oratione : Muncey, Lo 1926. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De patientia : Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De paenitentia et De pudicitia : De Labriolle P 1906 (avec traduct.). Rauschen, (FIP 10) 1915. De cultu feminarum : Marra, Tu 1930, cf. PhWo 1934, 489/92. Kok, Diss. A 1934 (avec traduct. et comment.; cf. PhWo 1934, 1000/03. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). Ad uxorem:Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De exhortatione castitatis : Meyboom, Ley 1931. De monogamia : Meyboom, Ley 1919/30 (trad. néerland.). De virginibus velandis : Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De corona : Marra, Ti 1927; cf. Gn 1933, 321/26. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De idololatria : Meyboom, Ley 1930 (trad. néerl.). De fuga in persecutione : Marra, Tu 1932. Meyboom, Ley 1932 (trad. néerl.). De jejunio adversus psychicos : Meyboom, Ley 1931 (trad. néerl.). Depallio : Marra, Tu 1932. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerl.). ---- Études de détail : De spectaculis : Köhne, Tertullians Schrift : «Über die Schauspiele in kultur ---- und religionsgeschichtl. Beleuchtung, Diss Br 1929. De oratione : Dölger, AC 5, 116/37. De paenitentia : Chartier, L'excommunication ecclésiastique d'après les écrits de Tertullien, Ant 1935, 301 sqq, 499 sqq. De cultu feminarum : Koch, ThSK 1929, 469/71. Ad uxorem : Cortelezzi, Did 1923, 2, 57/79; 3, 43/106. De monogamia : Delzer, Ant 1932, 441 sqq. De corona : Vacandard, La question du service militaire chez les chrétiens des premiers siècles, 1910, 127 sqq. Franchi de' Cavalieri, ST 65, 1935, 357/86. De idololatria : Dölger, AC 3, 192/203. De jejunio : Schummer, Die altchristliche Fastenpraxis, Mr 1933. De pudicitia : D'Alès, L'Ëdit de Calliste, 1914. Adam, Das sog. Bussedikt des Papstes Kallistus, M 1917. D'Alès, RSR 1920, 254/57; 1936, 366 sqq; 1937, 230 sqq. Bardy, RSR 1924, 1/25. Galtier, RHE 1927, 465/88; 1928, 41/51. Pour Calliste comme adversaire de Tertullien dans le De Pudicitia : Köhler, ZntW 1932, 60/67; Koch, Cathedra Pétri, 1930 |135 5/32; ZntW 1932, 68/72; 1934, 317 sqq; Hoh 1932, 46 sqq.. Pour Agrippinus : Ehrard 1932, 361/63; Poschmann, Ecclesia principalis, 1933, 10 sqq; Van den Eynde 1933, 206 (cf. p. 31). Ne se décident pas Göller, RQ 39, 1931, 77 sqq. et Dölger, AC 3, 140 A. 20, 147 sqq. Stoeckius, AKK 1937, 24/121 («ecclesia Pétri propinqua»). De fato : Koch, ThSK 1929, 458/62.

Doctrine de Tertullien.
1) Devant les résultats contradictoires des philosophes païens, Tertullien reste sceptique à l'égard de la philosophie, sinon même tout à fait son adversaire, mais il demeure ami des efforts de la raison aux procédés sommaires et naïfs. Il approuve la philosophie, en tant qu'elle est d'accord avec la vérité chrétienne (Idolol., i; Credo, ut intelligam). Il affirme nettement (Resurr., 3) que l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme peuvent être connues par la raison, et aussi que l'éternité de Dieu découle de son absolue perfection : «Imperfectum non potest esse, nisi quod factum est» (Adv. Hermog., 28).

2) Tout ce qui existe est un «corpus», bien qu'un «corpus sui generis» (Carn., 11) et c'est pourquoi Dieu aussi est un «corpus etsi spiritus est» (Adv. Prax., 7). Que «corpus» signifie ici substance, que Tertullien attribue donc à Dieu la substan-tialité, n'est pas exclu, mais ensuite il attribue à la substance spirituelle des qualités que possède aussi le corps; car il dit de l'âme qu'elle a un «corpus» ou «corporalitas», mais aussi origine et couleur, la couleur de l'air lumineux (An., 7; 9; EP 346). Cf. S. Justin, p. 99 et No 6.

3) La doctrine trinitaire (EP 371/79) de Tertullien trouve dans l'Adversus Praxeam une formule expressive surprenante pour son temps : «Connexus Patris in Filio et Filii in Paracleto tres efficit cohaerentes, alterum ex altero. Qui tres unum sunt, non unus» (25); «tres unius substantiae et unius status et unius potestatis» (2). Cf. De Pudic., 21 : «Trinitas unius Divinitatis, Pater et Filius et Spiritus Sanctus». Le terme technique persona se trouve pour la première fois dans ses écrits : «Alium... personae, non substantiae nomine, ad distinctionem, non ad divisionem» (Adv. Prax., 12). Le Logos était déjà avant la création du monde une «res et persona», et cela «per substantiae proprietatem», mais c'est seulement à la création du monde que sa sortie du Père devint une «nativitas perfecta» (Adv. |136 Prax., 7) et que la «Sagesse» devint «Fils». Le Fils, comme tel, n'est donc pas éternel (Adv. Herrn., 3; EP 321); sa «diversitas» du Père est sans doute niée (Adv. Prax., 9), mais il est cependant différent de lui «gradu». Le Père a la plénitude de la divinité (tota substantia est), le Fils n'en a qu'une partie (derivatio totius et portio) et c'est pourquoi il dit aussi : Le Père est plus grand que moi (9). Le Fils sort du Père, comme le rayon du soleil (13).

4) Tertullien affirme sans équivoque la dualité des natures en la seule personne du Christ, il a été dans cette doctrine un précurseur pour l'Occident. Nous trouvons chez lui les expressions : «proprietas utriusque substantiae» (in una persona), «duplicem statum, non confusum sed conjunctum in una persona, Deum et hominem Jesum» (Adv. Prax., 27; EP 379). Les miracles de Jésus montrent la réalité de sa divinité, les sentiments et les souffrances, la réalité de son humanité (Carn., 5; EP 353).

5) Tertullien se déclare contre la virginité de Marie in partu (Carn., 23; EP 359) que nous rencontrons dans la tradition tout d'abord dans l'évangile apocryphe de Jacques et dans les Odes de Salomon (cf. p. 51).

6) L'âme de l'enfant est un rameau (tradux, traducianismé) de l'âme de son père, ainsi s'explique la similitude des états d'âme entre les parents et l'enfant (An., 36, 37) cf. plus haut, n° 2).

7) Le péché originel est déclaré (De anima 41) un «vitium originis» : par le péché d'Adam a pénétré dans la nature humaine le poison des mauvais instincts, le «vitium originis» qui est devenu, par le démon, un «naturale quodammodo». Le baptême des enfants n'est cependant à conseiller qu'en cas de nécessité (De bapt., 18).

8) Le concept d'Église dans De exhortatione, De Fuga 14 et De Pudicitia 21, 17 est purement montaniste : «Ubi tres, ecclesia est, licet laici» (EP 366).

9) La primauté et la puissance de lier et de délier sont personnelles à S. Pierre, selon De Pudic., 21, 9/11 et n'ont pas été données à d'autres évêques. S. Pierre et S. Paul sont morts à Rome (Scorpiace 15; Adv. Marc., 4, 5; EH 215; EP 341). Sur le terme de «pontifex maximus» voir p. 133. |137

10. La pénitence. Dans son traité montaniste De pudicitia, Tertullien nie la possibilité pour l'Église de remettre les «péchés graves». La puissance de pardonner du Christ était purement personnelle et n'a pas passé intégralement à l'Église (De Pud., 11). Le pouvoir de pardonner les péchés n'appartient qu'au «spiritalis homo», non pas au ministère episcopal; les Pneumatiques sont les organes du Saint-Esprit (De pudic 21; EP 387). Par contre dans son ouvrage catholique antérieur De paenitentia, il invite de façon pressante tous les pécheurs à la pénitence ecclésiastique unique et non renouvenable. Il faut répondre affirmativement à la question si, dans cet ouvrage, il fait entrevoir à tous une réconciliation ecclésiastique; cfr. «an melius est damnatum latere quam palam absolvi ?» (10). Tertullien traite en détail dans le De paenitentia (9-10) de la confession publique (exomologesis).

11. Tertullien appelle le culte divin eucharistique «gloriae relatio et benedictio et laus et hymni» et y voit la réalisation de la prophétie de Malachie i, 10 (Adv. Marc., 3, 22; Adv. Judaeos 5). Dans d'autres passages il parle des «orationes sacrificiorum», des «munditiae sacrificiorum»; celui qui y assiste reçoit «le corps du Seigneur», «le sacrement de l'Eucharistie» (De oratione, 19; Adv. Marc., 3, 22; De pudic., 9, 16; De corona, 3). Pour le pain consacré on trouve (Adv. Marc., 4, 40) l'expression «figura corporis mei», qui veut dire : le corps sous le symbole du pain. La réalité du corps ainsi reçu est si certaine pour lui qu'il veut démontrer par elle, contre Marcion, la réalité du corps crucifié (3, 19; EP 337). «Caro corpore et sanguine Christi vescitur, ut et anima de Deo saginetur» (De resurrectione 8).

12. Tertullien connaît un état d'expiation après la mort. Sauf les martyrs, les défunts demeurent jusqu'au jour du Seigneur dans les limbes et y subissent des supplicia dont les prières des vivants les font sortir pour entrer dans le refrigerium (De anima 55, 58; De resurrectione 43; De monogamia 10; EP 352, 382). Tertullien était millénariste (Adv. Marc., 3, 24; De spectaculis 30).
 

source:  http://www.tertullian.org/
 

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