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Saint Thomas d'Aquin
Chaîne d'Or sur l'Evangile selon Saint Jean - Catenae Aurea

CHAPITRE V
 

Vv. 1-13.
 

S. AUG. (de l'acc. des Evang., 4, 10.) Après que Jésus eut opéré ce miracle dans la Galilée, il revint à Jérusalem : « Après cela, la fête étant arrivée, Jésus s'en alla à Jérusalem. » — S. CHRYS. (hom. 36 sur S. Jean.) Cette fête, je pense, était celle de la Pentecôte. Jésus se rendait toujours à Jérusalem aux jours de fête ; en célébrant ces fêtes avec les Juifs, il détruisait le préjugé qu'il était opposé à la loi, et attirait à lui le peuple par l'éclat de ses miracles et de sa doctrine ; car c'était surtout aux jours de fête que ceux qui n'étaient pas éloignés de Jérusalem s'y rendaient en foule.

 

« Or, il y avait à Jérusalem une piscine probatique, » etc. — S. AUG. Le mot grec ???????? veut dire brebis. La piscine probatique était donc une piscine réservée aux animaux, et où les prêtres lavaient les corps des victimes. — S. CHRYS. Le Sauveur devait instituer un baptême pour la rémission des péchés, et dont nous trouvons un emblème dans cette piscine et dans d'autres figures semblables. Dieu ordonna d'abord des purifications extérieures pour laver les souillures du corps et les taches qui n'existaient pas en réalité, mais qu'on regardait comme telles, par exemple, celles que l'on contractait par le contact d'un cadavre, par la lèpre ou par d'autres causes du même genre. Dieu voulut ensuite que l'eau fût encore un remède efficace pour diverses maladies, comme nous le voyons ici : « Sous ces portiques gisaient un grand nombre de malades, d'aveugles, de boiteux, » etc. Pour nous préparer de plus près à la grâce du baptême, il ne se contente plus de purifier les souillures extérieures, il guérit encore les maladies. Ceux qui approchent de plus près les rois, occupent aussi un rang plus éminent que ceux qui sont plus éloignés, il en est de même des figures de l'ancienne loi. Or, cette eau ne guérissait pas les malades en vertu de sa nature (autrement, elle aurait toujours eu cotte efficacité), mais seulement lorsque l'ange descendait : « Un ange du Seigneur descendait à certain temps dans la piscine, et l'eau s'agitait. » Il en est de même dans le baptême, l'eau n'agit point par elle-même, mais ce n'est qu'après avoir reçu la grâce de l'Esprit saint, qu'elle efface tous les péchés. L'ange qui descendait du ciel agitait cette eau, et lui communiquait une vertu toute particulière contre les maladies, pour apprendre aux Juifs, qu'à plus forte raison le Seigneur des anges avait le pouvoir de guérir toutes les maladies de l'âme. Mais alors l'infirmité était elle-même un obstacle pour celui qui voulait obtenir la guérison, comme l'indique l'Evangéliste : « Et celui qui y descendait le premier après le mouvement de l'eau, était guéri de son infirmité. » Maintenant, au contraire, chacun peut avoir accès ; car ce n'est point un ange qui vient agiter l'eau, mais le Dieu des anges qui opère toutes ces merveilles. L'univers entier se présenterait que la grâce ne serait point épuisée, elle reste toujours la même ; de même que les rayons du soleil éclairent tous les jours qui se succèdent, sans qu'ils soient jamais épuisés, sans que la profusion avec laquelle le soleil répand sa lumière en diminue l'éclat ; ainsi, et à plus forte raison la multitude de ceux qui participent à la grâce de l'Esprit saint n'en amoindrit en rien l'efficacité toute divine. Or, un seul homme était guéri après que l'eau était agitée, afin que ceux qui connaissaient la puissance de cette eau pour guérir les maladies du corps, instruits par une longue expérience, pussent croire plus facilement que l'eau pouvait également guérir les maladies de l'âme.

 

S. AUG. (Traité 17 sur S. Jean.) C'est un plus grand miracle pour Nôtre-Seigneur d'avoir guéri les maladies de l'âme, que d'avoir porté remède aux maladies de ce corps périssable et mortel ; mais comme l'âme ne connaissait pas le divin médecin qui devait la guérir, qu'elle ne voyait pas les yeux du corps, que ce qui affectait les sens, et qu'elle n'avait point ces yeux du cœur, à l'aide desquels elle peut connaître le Dieu invisible, il fît un miracle que chacun pouvait voir pour guérir les yeux qui avaient perdu l'usage de la vue ; il entra dans ce lieu où gisaient un grand nombre de malades, et il en choisit un pour le guérir de son infirmité : « Or, il y avait là un homme qui était malade depuis trente-huit ans. »

 

S. CHRYS. (hom. 36 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne guérit pas cet homme tout d'abord, il commence par ouvrir son cœur à la confiance et à le préparer à la foi par une question toute de bienveillance. Il n'exige pas de lui la foi, comme lorsqu'il dit aux deux aveugles : « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous demandez ? » car ce paralytique ne savait pas encore bien clairement ce qu'était Jésus. Ceux qui connaissaient déjà la puissance du Sauveur par d'autres miracles, étaient comme préparés à cette demande, mais pour ceux qui n'en avaient aucune idée, Jésus attend qu'ils aient vu de leurs yeux de semblables prodiges pour leur demander s'ils ont la foi : « Jésus l'ayant vu couché, et sachant qu'il était malade depuis longtemps, il lui dit : Voulez-vous être guéri ? » Il lui fait cette question, non pour apprendre ce qu'il savait parfaitement, mais pour faire ressortir la patience de ce malade depuis trente-huit ans, et qui chaque année, sans se décourager jamais, se faisait porter en ce lieu dans l'espérance d'être guéri de sa maladie. Il voulait encore nous faire connaître le motif pour lequel parmi tant d'autres, il avait choisi cet homme de préférence pour le guérir. Et il ne lui dit pas : Si vous le voulez, je vous guérirai ; car cet homme ne se formait encore aucune idée bien grande de Jésus-Christ. Toutefois, il n'est nullement déconcerté par cette question, il ne dit pas au Sauveur : Vous venez insulter à mon malheur en me demandant si je veux être guéri, il lui répond avec une grande modération : « Le malade lui répondit : Seigneur, je n'ai personne qui me jette dans la piscine dès que l'eau est agitée. » II ne savait pas quel était celui qui lui faisait cette question, et ne soupçonnait pas qu'il allait lui rendre la santé ; il croyait simplement que Jésus l'aiderait à descendre dans la piscine, mais Jésus lui montre qu'il peut tout faire d'une seule parole : « Jésus lui dit : Levez-vous, prenez votre lit et marchez. »

 

S. AUG. (Traité 17.) Nôtre-Seigneur dit trois choses à cet homme ; ces paroles : « Levez-vous, » ne sont pas un commandement qu'il lui fait, c'est l'acte même de la guérison, et c'est lorsque cet homme est guéri, qu'il lui commande ces deux choses : « Prenez votre lit et marchez. »

 

S. CHRYS. (hom. 37.) Voyez jusqu'où s'étend la bonté divine, Jésus ne se contente pas de guérir cet homme, il lui ordonne d'emporter son lit, pour rendre le miracle de sa guérison plus évident et convaincre les plus incrédules, que ce n'était pas une illusion des sens, car comment aurait-il pu emporter son lit, si ses membres n'avaient repris toute leur force et leur fermeté. Le paralytique, en entendant cette parole d'autorité et de commandement : « Levez-vous, prenez votre lit, et marchez, » ne songe pas à les tourner en ridicule en répondant : Lorsque l'ange descend pour agiter l'eau, un seul homme peut-être guéri ; et vous qui n'êtes qu'un homme, vous espérez par une seule parole avoir plus de puissance que les anges ? Non, il écoute avec docilité, il ajoute foi au commandement qui lui est fait, et il obtient sa guérison : « Et à l'instant cet homme fut guéri. » — BEDE. Les guérisons opérées par le Seigneur sont bien différentes de celles qui sont dues aux soins et à l'habileté des médecins ; les premières se font sur une simple parole de commandement, et d'une manière instantanée, tandis que les secondes ont ordinairement besoin d'un temps fort long pour atteindre à leur perfection.

 

S. CHRYS. (hom. 36.) La conduite de cet homme est certainement admirable, mais ce qui suit l'est bien plus encore. Qu'il ait obéi au commandement du Sauveur, alors qu'aucune réclamation ne s'élevait encore, c'est un fait moins digne d'admiration que la fermeté avec laquelle il exécute l'ordre du Sauveur, malgré les récriminations violentes et les accusations des Juifs, que l'Evangéliste rapporte en ces termes : « Or, c'était un jour de sabbat, les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : C'est aujourd'hui le jour du sabbat, et il ne vous est pas permis d'emporter votre lit. » — S. AUG. (Traité 17.) Ils n'accusaient pas précisément le Sauveur d'avoir guéri cet homme le jour du sabbat, parce qu'il aurait pu leur répondre que si leur bœuf ou leur âne venait à tomber dans un puits, ils s'empresseraient bien de les retirer le jour du sabbat ; ils s'attaquent donc à celui qui portait son lit, et lui disent : Admettons qu'on ne dût point différer de vous guérir, pourquoi vous commander ce travail ? Cet homme se contente de leur opposer l'auteur de sa guérison : « Il leur répondit : Celui qui m'a guéri m'a dit : Prenez votre lit et marchez, » comme s'il leur disait : Pourquoi ne recevrai-je pas d'ordre de celui de qui j'ai reçu la santé ? — S. CHRYS. (hom. 36.) S'il avait voulu user de malice, il aurait pu leur dire : L'action que je fais est-elle répréhensible, accusez celui qui me l'a commandée, et je déposerai le lit que je porte. Mais en parlant de la sorte, il eût dissimulé la guérison qu'il avait obtenue ; il savait que ce qui les blessait, c'était moins la transgression du sabbat que la guérison de sa maladie, il ne cherche pas cependant à cacher ce bienfait, on à se le faire pardonner, mais il le proclame à haute voix. Quant aux Juifs, leur question cache une intention perfide : « Ils lui demandèrent : Quel est cet homme qui vous a dit : Prenez votre lit et marchez ? » Ils ne disent pas : Quel est celui qui vous a guéri ? ils insistent sur ce qui pouvait être regardé comme une violation de la loi. Or, celui qui avait été guéri ne savait pas qui il était ; car Jésus s'était retiré de la foule du peuple assemblé en ce lieu. » Jésus s'était éloigné pour mettre en dehors de tout soupçon le témoignage qui lui était rendu ; car cet homme était un témoin irrécusable du bienfait qu'il avait reçu. Il voulait éviter aussi de donner un nouvel aliment à leur méchanceté ; car la vue seule de celui à qui on porte envie redouble les ardeurs de cette honteuse passion. Il s'éloigne donc pour leur laisser toute facilité d'examiner ce fait miraculeux. Il en est qui pensent que ce paralytique est celui dont parle saint Matthieu (Mt 9), mais ils se trompent, le paralytique de saint Matthieu était entouré de gens qui prenaient soin de lui, et le portaient, celui-ci n'avait personne qui s'intéressât à lui. D'ailleurs les lieux où s'accomplirent ces deux miracles sont tout différents.

 

S. AUG. (Traité 17.) Si nous considérons ce miracle avec nos idées étroites et à un point de vue purement humain, nous n'y voyons pas un grand acte de puissance, et la part de la bonté ne nous y paraît guère plus grande. Dans un si grand nombre de malades, un seul est guéri, alors que Jésus pouvait d'un seul mot leur rendre à tous la santé. Il nous faut donc comprendre que ce que la puissance et la bonté du Sauveur se proposaient dans les miracles qu'il opérait, c'était l'intérêt et le salut éternel des âmes, beaucoup plus que la guérison temporelle des corps. Les miracles qui avaient pour objet la guérison des corps mortels, n'ont eu qu'une durée passagère ; l'âme au contraire qui a cru sur le témoignage de ces miracles a passé de cette vie d'un instant à une vie éternelle. Cette piscine et l'eau qu'elle contenait me paraissent être le symbole du peuple juif, car nous voyons clairement dans l'Apocalypse (Ap 17, 15), les peuples figurés sous l'emblème des eaux.

 

BEDE. C'est avec raison que cette piscine est appelée la piscine probatique ou des brebis, car le peuple juif est souvent représenté sous l'emblème de la brebis, selon ces paroles du psaume : « Nous sommes votre peuple et les brebis de votre troupeau.» — S. AUG. (Traité 17.) L'eau de cette piscine, c'est-à-dire le peuple juif, était renfermée dans les cinq livres de Moïse comme dans cinq portiques ; et ces livres découvraient les maladies, mais sans les guérir, car la loi convainquait les pécheurs de leurs crimes, mais sans pouvoir les absoudre. — BEDE. Toutes sortes d'infirmités se donnaient rendez-vous autour de cette piscine ; les aveugles qui sont privés de la lumière de la science, les boiteux qui n'ont pas la force d'accomplir ce que la loi leur commande, et les desséchés (ou les paralytiques) qui ont perdu la sève vivifiante de l'amour céleste.

 

S. AUG. (Traité 17.) Jésus-Christ est venu vers le peuple juif, et par les grands miracles qu'il a opérés, et par les enseignements salutaires qu'il leur a donnés, il a troublé les pécheurs (c'est-à-dire l'eau) par sa présence, et les a comme excités à le mettre à mort. Cependant c'est sans se découvrir qu'il les a troublés, car s'ils l'avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire. (1 Co 2) L'eau paraissait agitée tout d'un coup, sans qu'on pût voir l'auteur de cette agitation. Descendre dans cette eau agitée, c'est croire humblement à la passion du Sauveur. Un seul homme était guéri à la fois pour représenter l'unité de l'Eglise. Nul autre malade qui venait ensuite n'était guéri, parce qu'on ne peut être ni guéri ni sauvé en dehors de l'unité. Malheur à ceux qui n'aiment point l'unité, et qui forment des parties ou des sectes parmi les hommes ! Celui qui fut guéri de son infirmité était malade depuis trente-huit ans, et ce nombre est bien plutôt l'emblème de la maladie que de la santé. En effet, le nombre quarante est un nombre consacré pour signifier la perfection, ainsi la loi contient dix préceptes et elle devait être annoncée dans tout l'univers qui se divise en quatre parties, or le nombre dix pris quatre fois ou multiplié par quatre fait quarante. Peut-être encore est-ce parce que les quatre livres de la loi trouvent leur accomplissement dans l'Evangile. Si donc le nombre quarante emporte la perfection de la loi, et si la loi ne peut être accomplie que par le double précepte de la charité, pourquoi vous étonner que cet homme à qui il manquait deux ans pour avoir quarante ans fût languissant et malade ? Il lui fallait absolument un homme pour le guérir, mais un homme qui fût en même temps Dieu. Le Sauveur le trouve malade depuis, quarante ans moins deux années, et il lui ordonne deux choses pour combler cette lacune ; car ces deux commandements du Seigneur représentent les deux préceptes de la charité, c'est-à-dire de l'amour, de Dieu et de l'amour du prochain. L'amour de Dieu est le premier qui soit commandé ; l'amour du prochain est le premier qui doit être mis en pratique, Jésus lui dit : « Prenez votre lit, » c'est-à-dire : Lorsque vous étiez infirme, c'était votre prochain qui vous portait ; maintenant que vous êtes guéri, portez votre prochain à votre tour. Il lui dit encore : « Marche » mais quelle voie devez-vous suivre ? Celle qui conduit au Seigneur votre Dieu. —BEDE. Que signifient ces paroles : « Levez-vous et marchez ? » Sortez de votre torpeur et de votre indolence, et appliquez-vous à faire des progrès dans les bonnes œuvres. Prenez votre lit ; c'est-à-dire votre prochain qui vous porte lui-même et supportez patiemment ses défauts. — S. AUG. (Traité 17.) Portez celui avec qui vous marchez si vous voulez parvenir jusqu'à celui avec lequel vous désirez demeurer éternellement. Ce paralytique ne connaissait pas encore Jésus, ainsi nous-mêmes nous croyons en lui sans le voir, parce qu'il se retire de la foule pour se dérober aux regards. Dieu ne peut être vu que dans une certaine solitude que se fait l'intention ; la foule est toujours au milieu de l'agitation, et la vue de Dieu demande le silence et le secret.

 

Vv. 14-18.
 

S. CHRYS. (hom. 38 sur S. Jean. ) Cet homme une fois guéri ne va pas se mêler aux bruits tumultueux des affaires du monde, ni se livrer aux voluptés sensuelles ou à la vaine gloire, il va tout droit dans le temple, ce qui estime preuve de son grand esprit de religion. — S. AUG. (Traité 17) Le Seigneur Jésus le voyait aussi bien au milieu de la foule que dans le temple ; mais pour lui il ne peut connaître Jésus dans la foule, il ne le reconnaît pour vrai Dieu et pour Sauveur que dans un lieu sacré, dans le temple. — ALCUIN. Si nous voulons bien connaître la grâce de notre Créateur et parvenir à le voir, il faut éviter la foule, les pensées mauvaises et des affections coupables ; il faut fuir les assemblées des méchants, nous retirer dans le temple et nous efforcer de devenir nous-mêmes le temple où Dieu daigne venir et fixer sa demeure.

 

« Et il lui dit : Vous voilà guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire. » — S. CHRYS. (hom. 38.) Ces paroles nous apprennent d'abord que la longue infirmité du paralytique était la conséquence et la punition de ses péchés. Comme nous sommes la plupart du temps insensibles aux maladies de notre âme, tandis qu'à la moindre blessure que reçoit notre corps, nous prenons tous les moyens pour en être aussitôt guéris, Dieu frappe le corps en punition des péchés de l'âme. Elles renferment un second et un troisième avertissements, c'est la vérité des peines de l'enfer, et la durée infinie de ces mêmes peines. Il en est qui osent dire: Est-ce qu'un adultère d'un instant sera puni par un supplice éternel ? Mais est-ce que le paralytique avait péché autant d'années qu'avait duré sa maladie ? Concluons de là que la gravité du péché ne doit pas se calculer sur le temps que l'homme a mis à le commettre, mais la nature même de ces péchés. Ces paroles nous apprennent encore que si nous retombons dans les mêmes péchés pour lesquels Dieu nous a sévèrement châtiés, des peines beaucoup plus sévères nous sont réservées, et c'est justice ; car celui que les premiers châtiments n'ont pu rendre meilleur, doit s'attendre en punition de son insensibilité et de ses mépris à un supplice bien plus terrible. Si nous ne recevons pas tous ici-bas la punition de nos péchés, ne mettons pas notre confiance dans cette impunité, car elle nous présage pour la vie future des châtiments bien plus terribles. Cependant toutes les maladies ne sont pas absolument la peine du péché, les unes sont la suite de notre négligence, les autres nous sont envoyées comme au salut homme Job pour nous éprouver.  Mais pourquoi Nôtre-Seigneur rappelle-t-il ici ses péchés à ce paralytique ? Il en est qui le jugent sévèrement et qui prétendent que le Sauveur lui parle de la sorte parce qu'il avait été un des accusateurs de Jésus-Christ. Que diront-ils donc du paralytique dont il est question dans saint Matthieu (Mt 9), et à qui Nôtre-Seigneur dit aussi : « Vos péchés vous sont remis ? » D'ailleurs Jésus ne reproche pas au paralytique de la piscine ses péchés passés, il se contente de le prémunir pour l'avenir. Dans les autres guérisons miraculeuses qu'il opère, il ne les présente point comme la peine du péché parce qu'elles n'avaient pour cause que l'infirmité naturelle à l'homme, tandis que pour ces paralytiques, leurs maladies pouvaient être la punition de leurs péchés. Ou bien encore dans la personne de ces paralytiques, c'est un avertissement donné à tous les autres. On peut dire aussi que Nôtre-Seigneur parle de la sorte à ce paralytique, parce que témoin de sa grande patience, il le reconnut capable de recevoir cette leçon. Il lui donne en même temps une preuve de sa divinité, car ces paroles : « Ne péchez plus,» montrent évidemment qu'il connaissait toutes les fautes dont il s'était rendu coupable.

 

S. AUG. (Traité 17.) Quant à ce paralytique, aussitôt qu'il eut vu Jésus et qu'il eut connu qu'il était l'auteur de sa guérison, il s'empressa de publier sans aucun retard le nom de son bienfaiteur : « Cet homme s'en alla et apprit aux Juifs que c'était Jésus qui l'avait guéri. » — S. CHRYS. (hom. 38.) Gardons-nous de croire qu'après un si grand bienfait, et l'avertissement qui l'avait suivi, cet homme ait eu si peu de reconnaissance que d'agir ici par un sentiment de méchanceté ; s'il avait eu l'intention d'accuser le Sauveur, il n'eût parlé que de la violation du sabbat, sans rien dire de sa guérison ; mais il fait tout le contraire, il ne leur dit pas : C'est Jésus qui m'a commandé d'emporter mon lit (ce qui paraissait un crime aux yeux des juifs), mais : « C'est Jésus qui m'a guéri. » — S. AUG. (Traité 17.) A une déclaration si franche, les Juifs ne répondent que par une haine toujours croissante : « C'est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus, parce qu'il faisait ces choses-là le jour du sabbat. » Une œuvre évidemment matérielle et servile avait été faite sous leurs yeux, ce n'était point la guérison de ce paralytique, mais l'action d'emporter son lit, ce qui ne paraissait point aussi nécessaire que sa guérison. Nôtre-Seigneur déclare donc ouvertement que la loi figurative du sabbat, et l'obligation de garder ce jour n'avaient été données que pour un temps aux Juifs, et que cette loi figurative trouvait en lui son accomplissement : « Mais Jésus leur dit : Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et moi aussi j'agis sans cesse. » (Traité 20) C'est-à-dire : Ne croyez pas que mon Père se soit reposé le jour du sabbat, en ce sens qu'il ait cessé d'opérer; non, il continue d'opérer sans aucun travail, et j'agis de même à son exemple. Le repos de Dieu doit donc s'entendre dans ce sens, qu'après avoir achevé l'œuvre de la création, il n'a plus tiré du néant de nouvelles créatures. C'est ce que l'Ecriture appelle repos, pour nous apprendre que nos bonnes œuvres seront suivies d'un repos éternel. C'est après avoir fait l'homme à son image et à sa ressemblance, après avoir achevé tous ses ouvrages, et vu que toutes les choses qu'il avait faites étaient très-bonnes, que Dieu se reposa le septième jour ; ainsi n'espérez point de repos pour vous-même, avant d'avoir recouvré cette divine ressemblance que Dieu vous avait donnée et que vous avez perdue par vos péchés, et avant que votre vie ait été remplie par la pratique des bonnes œuvres.

 

S. AUG. (de la Genèse expliq., littér., chap. 11.) Il est probable que le précepte de l'observation du sabbat fut donné aux Juifs comme une figure de l'avenir et pour signifier le repos spirituel semblable au repos de Dieu, et qu'il promettait sous une forme mystérieuse aux fidèles qui auraient persévéré dans la pratique du bien. — S. AUG. Le sabbat viendra lorsque les six âges du monde qui sont comme les six jours seront écoulés, et c'est alors que les saints jouiront du repos qui leur est promis. — S. AUG. (de la Gen. expl. litt., ch. 2) Nôtre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a voulu consacrer par sa sépulture le mystère de ce repos, en se reposant dans le tombeau le jour du sabbat, après avoir achevé toutes ses œuvres le sixième jour, et il prononça cette parole solennelle : « Tout est consommé, » Qu'y aurait-il donc d'étonnant que Dieu, voulant comme figurer d'avance le jour où le Christ devait se reposer dans le tombeau, ait choisi ce jour pour se reposer de toutes ses œuvres avant de dérouler l'ordre des siècles ? (chap. 12) On peut encore entendre ce repos de Dieu, en ce sens qu'il a cessé de créer de nouvelles espèces d'êtres, car il n'en a créé aucune depuis ce repos mystérieux. Mais depuis cette époque jusqu'à la fin des siècles, il gouverne tous ces êtres qu'il a créés. Sa puissance n'a donc pas abdiqué le septième jour le gouvernement du ciel, de la terre, et de toutes les choses dont il est le créateur, autrement elles rentreraient aussitôt dans le néant. En effet, c'est la puissance du Créateur qui est l'unique cause de l'existence de toutes les créatures, et si l'action de cette divine puissance cessait un instant de se faire sentir, elles cesseraient elles-mêmes d'exister, et toute la nature rentrerait dans le néant. Il n'en est pas du monde comme d'un édifice que le constructeur peut abandonner après l'avoir construit, et qui reste debout alors que celui-ci a cessé d'y mettre la main ; le monde serait détruit en un clin d'œil si Dieu lui retirait son action régulatrice. Ces paroles du Sauveur : « Mon Père cesse d'agir, » indiquent une continuation de l'œuvre divine qui embrasse et gouverné toute créature. On pourrait les entendre dans un autre sens, s'il avait dit : « Et il opère maintenant, » sans qu'il fût nécessaire d'y voir la continuation non interrompue de son œuvre, mais nous sommes forcés de leur donner le premier sens, parce que Nôtre-Seigneur dit expressément : « Il ne cesse d'opérer jusqu'à présent, depuis le jour qu'il a créé toutes choses.

 

S. AUG. (Traité 17) Nôtre-Seigneur semble donc dire aux Juifs : Pourquoi vouloir que je ne fasse rien le jour du sabbat ? La loi qui vous ordonne de garderie jour du sabbat vous a été donnée en figure de ce que je devais faire. Vous considérez les œuvres de Dieu, c'est par moi que toutes choses ont été faites. Mon Père a créé la lumière mais en disant : « Que la lumière soit. » S'il a dit cette parole, c'est par son Verbe qu'il a créé la lumière, et c'est moi qui suis son Verbe. Mon Père a donc agi lorsqu'il a créé le monde, et il agit encore en le gouvernant ; donc c'est par moi qu'il a créé le monde lorsqu'il l'a tiré du néant, et c'est par moi qu'il le gouverne, lorsqu'il lui fait sentir les effets de son action providentielle.

 

S. CHRYS. Lorsque Jésus-Christ avait à défendre ses disciples contre le même grief, il produisait l'exemple de David comme eux serviteur de Dieu ; mais lorsque lui-même est en cause, il invoque l'exemple de son Père. Remarquons que ce n'est ni comme homme exclusivement, ni comme Dieu qu'il se justifie, mais tantôt sous un rapport, tantôt sous un autre, car il voulait que le mystère de ses humiliations fût l'objet de la foi comme le mystère de sa divinité. Il établit donc ici sa parfaite égalité aveu son Père, et en l'appelant son Père d'une manière toute spéciale (il dit en effet : « Mon Père »), et en faisant les mêmes choses que lui : (« Et moi aussi j'agis sans cesse. ») « Aussi les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, parce que non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu. » — S. AUG. (Traité 17.) Ce n'était pas d'une manière quelconque, mais dans quel sens ? « En se faisant égal à Dieu. » Nous disons tous à Dieu : « Notre Père qui êtes aux cieux ; » nous lisons dans Isaïe, que les Juifs lui disaient : « Vous êtes notre Père. » Ce qui les irritait n'était donc pas qu'il appelait Dieu son Père, mais de ce qu'il le faisait dans un autre sens que le reste des hommes. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 4, 10.) En disant : « Mon Père continue d'agir jusqu'à présent, et moi aussi j'agis sans cesse ; » il a voulu prouver qu'il était égal à son Père, car il donne comme conséquence que le Fils agit, parce que le Père agit lui-même, et que le Père ne peut agir sans le Fils. — S. CHRYS. (hom. 38 sur S. Jean.) Si Jésus n'était pas le Fils naturel et consubstantiel au Père, sa justification serait pire que le crime qu'on lui reproche. Un préfet, un gouverneur qui transgresserait un décret royal, ne pourrait se justifier en disant que le roi lui-même transgresse la loi. Mais comme ici la dignité du fils est égal à celle du Père, la justification ne laisse rien à désirer. Le Père qui continue d'agir le jour même du sabbat est à l'abri de tout reproche, il en est de même du Fils. — S. AUG. (Traité 17.) Voici que les Juifs comprennent ce que les ariens ne veulent point comprendre ; les ariens prétendent que le Fils n'est pas égal au Père, et de là vient cette hérésie qui afflige l'Eglise.

 

S. CHRYS. (hom. 38.) Ceux qui ne veulent pas interpréter ces paroles avec un esprit droit, disent que Jésus-Christ ne s'est pas fait égal à Dieu, mais que c'était là un simple soupçon des Juifs. Raisonnons ici d'après ce que nous avons dit plus haut. Il est incontestable que les Juifs poursuivaient Jésus-Christ, et parce qu'il transgressait la loi du sabbat, et parce qu'il disait que Dieu était son Père ; donc les paroles qui suivent : « En se faisant égal à Dieu, » doivent être entendues dans le même sens que celles qui précèdent, c'est-à-dire dans le sens littéral.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Quel est ici le dessein de l'Evangéliste ? C'est évidemment de faire connaître la cause pour laquelle les Juifs voulaient faire mourir Nôtre-Seigneur. — S. CHRYS. (hom. 38.) Si Nôtre-Seigneur n'avait pas voulu établir clairement cette vérité, et que ce ne fût là qu'un vain soupçon des Juifs, il ne les eût pas laissés dans cette erreur, et il se fût empressé de la combattre. L'Evangéliste lui-même n'aurait point omis cette circonstance, et il eût fait comme dans une autre occasion où Jésus avait dit aux Juifs : « Détruisez ce temple. » — S. AUG. (Traité 17.) Cependant les Juifs ne comprirent pas qu'il était le Christ, ni qu'il était le fils de Dieu ; mais ils comprirent que Jésus leur parlait d'un Fils de Dieu qui était égal à Dieu. Quel était ce Fils de Dieu ? ils ne le savaient pas, ils comprenaient cependant qu'il se disait le Fils de Dieu, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Se faisant égal à Dieu. » Or, ce n'est pas lui qui se faisait égal à Dieu, c'est Dieu qui l'avait engendré égal et consubstantiel à lui-même.

 

Vv. 19-20.
 

S. HIL. (de la Trin., 7) Au reproche qui lui est fait de violer le sabbat, Nôtre-Seigneur avait répondu : « Mon Père continue d'agir jusqu'à présent, et moi aussi j'agis sans cesse, » voulant leur faire comprendre qu'il s'appuyait sur l'autorité d'un si grand exemple, et tout à la fois que ce qu'il faisait était l'œuvre du Père, parce que le Père-agissait en lui lorsque lui-même agissait. A l'accusation que leur inspire leur jalousie, qu'il se faisait égal à Dieu, en l'appelant son Père, il répond en confirmant la vérité de sa naissance divine et l'excellence de sa nature : « Jésus donc leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit que le Père fait. » — S. AUG. (Traité 18.) Il en est qui revendiquant le nom de chrétiens (les hérétiques ariens), tout en affirmant que le Fils de Dieu fait homme est inférieur à son Père, veulent appuyer leur sacrilège erreur sur ces paroles et nous tiennent ce langage : Vous voyez que lorsque le Seigneur Jésus s'aperçut que les Juifs étaient indignés de ce qu'il se faisait égal à son Père, il s'empresse de détruire dans leur esprit toute idée d'égalité parfaite ; car, ajoutent-ils, celui qui ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit que le Père fait, lui est nécessairement inférieur et ne peut être son égal. Or, si le Verbe était Dieu, il y a donc un Dieu suprême, un Dieu inférieur, et nous adorons deux Dieux, et non pas un seul Dieu. — S. HIL. (de la Trin., 7) Nôtre-Seigneur dit que le Fils ne peut rien faire de lui-même, afin que cette égalité qu'il proclamait exister entre lui et son Père, ne pût détruire dans leur esprit la distinction d'avec le Père que lui donne sa naissance. — S. AUG. (Traité 20.) Voici le vrai sens de ces paroles : Pourquoi vous scandaliser de ce que j'ai appelé Dieu mon Père, et de ce que je me déclare égal à Dieu ? Je suis son égal, mais tout en étant engendré par lui ; je suis son égal, mais de telle sorte que ce n'est pas lui qui vient de moi, mais moi qui viens de lui. Pour le Fils, être et pouvoir c'est une seule et même chose, et comme le Fils tire sa substance du Père, la puissance du Fils vient également du Père. Donc puisque le Fils ne vient pas de lui-même, il ne peut rien aussi de lui-même. Et c'est ainsi que le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit que le Père fait : voir pour le Fils, c'est la même chose qu'être engendré du Père, la vision pour lui n'est pas différente de la substance. Tout ce qu'il est, c'est du Père qu'il le tient.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Pour conserver l'ordre qui doit exister dans notre confession de foi au Père et au Fils, Nôtre-Seigneur nous expose le mystère de sa naissance qui lui communique la puissance d'agir, non par un accroissement successif des forces nécessaires pour chaque action en particulier, mais en faisant découler ce pouvoir de la connaissance. Et encore, cette connaissance n'est-elle point produite par la vue d'une œuvre matérielle, que le Fils ferait après l'avoir vu faire à son Père ; le Fils est né du Père, et c'est par la certitude qu'il a de posséder en lui la nature et la puissance du Père, qu'il atteste que le Fils ne fait que ce qu'il voit faire au Père. Car Dieu ne voit pas comme nous par les yeux du corps, mais sa vue est tout entière dans la vertu de sa nature.

 

S. AUG. (de la Trin., chap. 1) Si nous croyons que ces paroles signifient que le Fils de Dieu en tant qu'il s'est revêtu d'une forme humaine est inférieur au Père, il nous faudra comme conséquence admettre que le Père a marché le premier sur les eaux, et qu'il a commencé aussi par faire toutes les actions que le Fils a faites dans sa vie mortelle, en prenant exemple sur sou Père ; mais qui serait assez insensé pour admettre une semblable opinion ? — S. AUG. (Traités 20 et 21 sur S. Jean.) Lorsque le Sauveur marchait sur la mer, c'était le Père qui agissait par le Fils, car lorsque le corps marchait dirigé par la divinité du Fils, le Père n'était pas absent, puisque le Fils dit expressément : « Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais. » (Jn 14, 2) Or, comme ces paroles : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, » pouvaient donner lieu à une interprétation toute matérielle d'après laquelle on se représenterait deux ouvriers l'un maître et l'autre disciple, l’un prenant exactement modèle sur l’autre avant de construire un meuble quelconque, Nôtre-Seigneur ajoute : « Car tout ce que faille Père, le Fils le fait pareillement. » Il ne dit point : Toutes les choses que fait le Père, le Fils en fait de semblables, mais il fait absolument les mêmes choses : C'est le Père qui a fait le monde, le Fils qui a fait le monde, le Saint-Esprit qui a fait le monde. Si le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne font qu'un seul Dieu, c'est donc le Père qui a fait le seul et même monde par le Fils dans le Saint-Esprit. Le Fils fait donc les mêmes choses que le Père. Nôtre-Seigneur ajoute : Il les fait pareillement pour prévenir une autre erreur qui pourrait s'élever dans l'esprit. Notre corps paraît faire les mêmes choses que notre âme, mais il ne les fait point pareillement, l'âme commande au corps, mais il y a une grande différence entre le corps et l'âme ; le corps est visible, l'âme est invisible. Le maître du corps fait une action, le serviteur fait la même action, mais c'est du maître que le serviteur a reçu le moyen de faire cette action ; tous deux l'ont faite, mais tous deux ne l'ont pas faite semblablement. Il n'en est pas ainsi du Père et du Fils, il fait les mêmes choses, et il les fait semblablement, c'est-à-dire qu'il nous faut comprendre que le Fils fait les mêmes choses que le Père, avec la même puissance, avec la même sagesse et par la même opération, et que par conséquent le Fils est égal au Père.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Ou bien encore : Nôtre-Seigneur dit qu'il fait toutes choses et les mêmes choses pour exprimer la puissance de la nature divine. C'est la même nature dans le Père et le Fils puisqu'il n'appartient qu'à la même nature de pouvoir absolument les mêmes choses. Mais puisque le Fils fait pareillement les mêmes choses, cette ressemblance dans la manière de faire les oeuvres exclut l'identité de celui qui agit. Tels sont donc les enseignements de la vraie foi qui nous montrent dans un même passage l'identité de nature dans ces mots : « Les mêmes œuvres, » et la distinction du Fils par sa naissance dans cette expression : « Il les fait pareillement. »

 

S. CHRYS. (hom. 38.) On peut encore donner une autre interprétation de tout ce passage : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, » en ce sens qu'il ne peut rien faire qui soit en opposition, en désaccord avec lePère. Et il ne dit point qu'il ne fait rien de contraire, mais qu'il ne peut rien faire, pour montrer l'égalité absolue du Père et du Fils. Ce n'est donc point la faiblesse du Fils mais sa puissance toute divine qui ressort de ces paroles. Ainsi lorsque nous disons : Il est impossible que Dieu commette le péché, nous n'accusons pas son impuissance, mais nous attestons sa puissance ineffable; ainsi lorsque le Fils dit : « Je ne puis rien faire de moi-même, » il nous déclare qu'il est impossible qu'il fasse quelque chose de contraire à son Père. — S. AUG. (Contre les Ariens, chap. 14) Ces paroles n'accusent donc pas un défaut de puissance dans le Fils, mais sont une attestation de la filiation divine qu'il a reçue du Père, et il est aussi glorieux au Tout-Puissant de ne pouvoir changer, qu'il lui est glorieux de ne pouvoir mourir. Le Fils pourrait faire ce qu'il n'aurait pas vu faire au Père, s'il pouvait faire ce que le Père ne fait point par le Fils ; c'est-à-dire s'il pouvait pécher, ce qui ne peut convenir à cette nature immuablement bonne que le Père a engendrée ; donc pour lui ne pouvoir pécher, ce n'est pas défaut de pouvoir, c'est an contraire un signe de puissance.

 

S. CHRYS. (hom. 38.) Les paroles qui suivent viennent confirmer cette interprétation : « Car tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. » C'est-à-dire si le Père fait toutes choses par lui-même, le Fils les fait également par lui-même, suivant la signification de cette parole : « Pareillement, de la même manière. » Vous voyez quelle doctrine relevée sous ces expressions si simples ; et il ne faut pas vous étonner de la simplicité, de l'humilité même du langage du Sauveur, car il s'exprime de la sorte par ménagement pour ses ennemis qui le poursuivaient à cause des hautes vérités qu'ils entendaient, et parce qu'ils le regardaient comme étant en opposition avec Dieu.

 

S. AUG. (Traité 21) Après avoir dit qu'il faisait les mêmes choses que fait le Père et qu'il les fait de la même manière, Nôtre-Seigneur ajoute : « Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait, » ce qui parait se rapporter à ce qu'il a dit plus haut : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit que le Père fait, parce que le Père lui montre tout ce qu'il fait lui-même. » Mais la pensée de l'homme se trouble encore à ces paroles, et je l'entends dire : Le Père agit donc séparément, pour que le Fils puisse voir ce que fait le Père, de même qu'un ouvrier qui veut apprendre son art à son fils, lui en montre tous les secrets, afin qu'il puisse faire lui même tout ce qu'il voit faire à son père ? Ainsi le Fils n'agirait pas en même temps que le Père, puisqu'il doit voir d'abord ce que fait son Père? (Traité 19.) Si nous admettons comme une vérité certaine et incontestable que le Père fait tout par le Fils, nous devons admettre qu'il lui montre ce qu'il fait avant d'agir. (Traité 21) D'ailleurs où le Père montre-t-il à son Fils tout ce qu'il fait, si ce n'est dans son Fils par lequel il fait toutes choses ? Car si le Père donne un modèle au Fils en ce sens que les yeux du Fils sont fixés sur les mains du Père pour voir comment il agit, comment comprendre alors l'indivisible Trinité ? (Traité23.) Ce n'est donc point en agissant que le Père montre au Fils ce qu'il fait ; c'est en faisant cette démonstration qu'il agit par le Fils : le Fils voit ce que le Père lui montre avant d'agir, et c'est de la démonstration du Père et de la vue du Fils que résulte l'action que le Père fait par le Fils. Vous me direz : Je montre à mon fils ce que je veux faire, et il le fait, et c'est moi qui, pour ainsi parler, le fait par lui. La différence ici est énorme, car avant d'agir, vous montrez à votre Fils ce que vous vous voulez faire afin que se guidant sur cet exemple que vous lui donnez avant d'agir, il se conforme parfaitement au modèle que vous lui donnez, et que vous agissiez par lui. Mais pour cela, il vous faut adresser à votre fils des paroles différentes de ce que vous êtes, différentes de ce qu'il est lui-même. Dieu le Père se serait-il servi aussi d'une parole étrangère pour parler à son Fils ? Mais le Fils est le Verbe du Père ; se servirait-il du Verbe pour parler au Verbe ? Ou bien, comme le Fils est la parole par excellence du Père, faut-il admettre entre le Père et le Fils un échange de paroles d'un ordre inférieur ? Peut-on supposer qu'un son créé et passager est sorti de la bouche du Père pour aller frapper l'oreille du Fils ? Eloignez toute image corporelle, ne voyez ici que la simplicité, si vous-même vous êtes simple. Si vous ne pouvez comprendre ce que c'est que Dieu, comprenez du moins ce qu'il n'est pas : vous aurez beaucoup gagné, si vous n'avez pas sur Dieu des pensées contraires à sa nature divine. Considérez dans votre âme une image de la vérité que je veux vous expliquer. Dans votre âme je vois la mémoire et la pensée. Votre mémoire présente la ville de Carthage à votre pensée et montre à votre intelligence attentive ce qui existait dans Carthage avant que votre attention se tournât de ce côté. Voilà donc tout à la fois et la démonstration de la mémoire, et la vue de l'intelligence, et tout cela sans aucun échange de paroles, sans qu'on ait fait usage d'aucun signe extérieur ; et cependant tout ce que vous possédez dans votre mémoire, vous l'avez reçu du dehors. Le Père au contraire n'a point reçu du dehors ce qu'il montre au Fils, tout ici se fait à l'intérieur ; car aucune créature n'existerait au dehors, si elle n'avait reçu l'existence du Père par le Fils, et c'est en la montrant à son Fils que le Père l'a créée, parce qu'il l'a créée par son Fils au même moment qu'il la voyait. Le Père engendre donc la vision du Fils, de la même manière qu'il engendre le Fils, et c'est la démonstration du Père qui engendre la vision du Fils, ce n'est pas la vision qui engendre la démonstration. Si l'œil de notre âme plus épuré pouvait pénétrer plus avant dans ces profondeurs, nous découvririons peut-être que le Père n'est point différent de l'acte par lequel il montre à son Fils, de même que le Fils n'est point différent de l'acte par lequel il voit ce qui lui est montré.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) Ce n'est donc point par ignorance, gardons-nous bien de le croire, que le Fils unique de Dieu a besoin de cette révélation, et cette expression ne doit réveiller dans notre esprit d'autre idée que la foi à la naissance du Fils, foi en vertu de laquelle nous croyons que le Fils est sorti de toute éternité du sein de Dieu toujours existant. — S. AUG. (Traité 21.) A l'égard du Fils, voir le Père c'est la même chose qu'être Fils. Le Père montre donc tout ce qu'il fait à son Fils, et c'est du Père qu'il reçoit la connaissance de toutes choses, voir et naître sont une même chose pour le Fils, et il tire la connaissance de toutes choses du même principe qui lui communique l'être, la naissance et l'existence éternelle.

 

S. HIL. (de la Trin., 7) La parole divine est pleine ici de prudence et de circonspection, de peur que l'ambiguïté des termes ne donne l'idée de deux natures différentes. Voilà pourquoi elle nous dit que les œuvres du Père ont été révélées au Fils, et non pas qu'il a reçu pour les opérer une nature et une force particulières. Ainsi cette révélation du Père au Fils c’est la génération elle-même du Fils, à qui l'amour du Père communique par cette génération elle-même la connaissance des œuvres qu'il veut faire par lui.

 

S. AUG. (Traité 21) Mais voici que celui que nous avons dit coéternel au Père, contemplant le Père, et le contemplant par l'acte même de sa génération, nous parle encore de succession de temps : « Et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci. » S'il les lui montrera, on bien s'il doit les lui montrer, il ne les a donc pas encore montrées, et il les montrera au Fils en même temps qu'à ceux qui l'écoutent : « Afin que vous les admiriez, » ajoute Notre-Seigneur. (Traité 19.) Il est assez difficile de comprendre comment le Père éternel peut révéler dans le temps de nouvelles choses à son Fils qui lui est coéternel, et qui connaît tout ce qui existe dans le Père. Quelles sont ces œuvres plus grandes ? la suite nous l'apprend : « Car comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut. » C'est une œuvre plus grande, en effet, de ressusciter les morts que de guérir les malades. (Traité 21.) Celui qui jusque-là avait parlé comme Dieu, commence ici à parler comme homme. (Traité 23.) Dieu montrera donc dans le temps à son Fils fait homme, des œuvres plus grandes, c'est-à-dire la résurrection des corps ; car les corps ressusciteront par suite de la divine économie de l'incarnation du Fils de Dieu dans le temps, tandis que les âmes ressusciteront par la vertu de la nature éternelle de Dieu. C'est par la participation à la nature de Dieu, que l'âme arrive au bonheur; ce n'est point en entrant en participation avec une âme sainte, qu'une âme faible peut obtenir la félicité. De même que l'âme (qui est inférieure à Dieu), communique la vie au corps qui lui est inférieur, il n'y a qu'un être supérieur à l'âme, c'est-à-dire, Dieu qui puisse lui communiquer la vie bienheureuse. Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur a dit précédemment que le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu'il fait ; le Père montre au Fils comment les âmes ressuscitent, car c'est par le Père et le Fils qu'elles sont arrachées à la mort, et elles ne peuvent vivre qu'à la condition que Dieu soit leur vie. (Traité 21) On peut dire encore que ce n'est pas précisément au Fils que le Père doit faire cette révélation, voilà pourquoi le Sauveur ajoute : « Afin que vous les admiriez, » paroles qui sont l'explication de celles qui précèdent : « Et il vous montrera des œuvres plus grandes encore, a Mais pourquoi n'a-t-il pas dit : Il vous montrera, au lieu de : « II montrera au Fils ? » C'est parce que nous sommes les membres de son Fils, et il apprend pour ainsi dire de la même manière, qu'il souffre dans ses membres. Il nous a dit : « Lorsque vous donnez au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous donnez ; » (Mt 25) de même, si nous lui demandons : Comment pouvez-vous apprendre, vous qui enseignez toutes choses ? il nous répondra : « Lorsque l'un des plus petits d'entre les miens apprend, c'est moi-même qui apprends. »

 

Vv. 21-23.
 

S. AUG. (Traité 21.) Le Sauveur venait de dire que le Père devait montrer à son Fils des œuvres plus grandes encore, il explique maintenant quelles sont ces œuvres : « Car comme le Père ressuscite  les morts, » etc. Evidemment, ces œuvres sont plus grandes, car c'est un plus grand miracle de ressusciter un mort, que de rendre la santé à un malade. Il ne faut pas entendre ces paroles dans ce sens que les uns soient ressuscites par le Père, et les autres par le Fils ; car le Fils ressuscite et vivifie ceux-là mêmes que le Père ressuscite et rend à la vie. Et pour qu'on ne dise pas : Le Père ressuscite les morts par le Fils, celui-ci en vertu de sa propre puissance, celui-là par le moyen d'une puissance étrangère, et comme le serviteur fait l'œuvre de son maître, il établit clairement la puissance du Fils en disant : « Ainsi le Fils donne la vie à qui il veut. » (Traité 19.) Ne séparez donc pas ici la puissance du Fils de sa volonté, le Père et le Fils ont une même puissance et une même volonté. (Traité 21.) Le Père n'a d'autre volonté que celle du Fils, ils n'ont qu'une seule et même volonté, comme ils n'ont qu'une seule et même nature. — S. HIL. (de la Trinit., 7) Vouloir est un effet de la liberté de la nature, et cette liberté concourt avec la volonté du libre arbitre à conduire à la parfaite félicité.

 

S. AUG. (Traité 21) Mais quels sont ces morts à qui le Père et le Fils rendent la vie ? Nôtre-Seigneur veut parler ici de la résurrection des morts, qui est l'objet commun de notre espérance ; non cette résurrection des morts qu'il a rappelés à la vie pour amener à la foi ceux qui en étaient témoins : Lazare, par exemple, qui ressuscita, mais pour être encore victime de la mort, tandis que pour nous, nous ressusciterons un jour pour vivre éternellement avec Jésus-Christ. Ces paroles : « Comme le Père ressuscite et vivifie les morts, » ne s'appliquent donc pas aux résurrections miraculeuses qu'il a opérées pendant sa vie mortelle, mais à la résurrection qui sera suivie de la vie éternelle ; et Nôtre-Seigneur prend soin d'établir cette vérité en ajoutant : « Car le Père ne juge personne, » etc., preuve évidente qu'il a voulu parler de la résurrection des morts, qui doit avoir lieu lors du jugement dernier. (Traité 23.) On peut dire encore que ces paroles : « Comme le Père ressuscite les morts, » etc., doivent s'entendre de la résurrection des âmes, et ces autres : « Le Père ne juge personne,» etc., de la résurrection des corps. En effet, la résurrection des âmes est l'œuvre de la puissance éternelle du Père et du Fils, et elle exige le concours simultané du Père et du Fils. La résurrection des corps, au contraire, est le fruit de l'incarnation du Fils de Dieu, incarnation qui n'est pas coéternelle au Père. (Traité 21.) Voyez comme la parole de Jésus-Christ dirige et conduit notre âme d'une pensée à une autre, et ne le laisse pas s'arrêter dans des idées exclusivement matérielles ; elle l'exerce par cette conduite, elle la purifie par cet exercice, et en la purifiant, elle la rend capable de recevoir la grâce divine qui doit la remplir. Nôtre-Seigneur avait dit précédemment : « Le Père montre au Fils tout ce qu'il fait, » c'est-à-dire que le Père agissait, et que le Fils semblait attendre. Ici, je vois le Fils qui agit seul, à l'exclusion, ce semble, du Père. — S. AUG. (de la Trin., 1, 13.) Ces paroles : « Il a donné tout jugement au Fils, » ne doivent pas s'entendre dans le même sens que ces autres : « Il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, » qui expriment la génération éternelle du Fils. Si ces deux passages devaient s'entendre dans le même sens, le Sauveur n'aurait pas dit : « Le Père ne juge personne, » car le fait seul pour le Père de la génération d'un Fils qui lui est égal, entraîne nécessairement le pouvoir de juger avec lui. Ces paroles signifient donc qu'au jour du jugement, ce ne sera pas la nature divine, mais la forme du Fils de l'homme qui apparaîtra. Il ne faut pas en conclure que celui qui a donné tout jugement au Fils, sera privé du droit déjuger lui-même, parce que le Fils a dit de lui : « Il est quelqu'un qui en prendra soin (de ma gloire), et qui jugera. » (Jn 8, 50.) Ces paroles : « Le Père ne juge personne, » signifient donc simplement : Personne ne verra le Père au jour du jugement, mais tous verront le Fils, parce qu'il est le Fils de l'homme, et qu'il sera vu même des impies qui jetteront les yeux sur celui qu'ils auront percé de plaies. (Za 12, 10. ) — S. HIL. (de la Trin., 7) On bien encore, Nôtre-Seigneur ne voulant pas que ces paroles : « Le Fils donne la vie à qui il veut, » fussent prises comme une négation de sa génération divine, et comme une preuve que sa puissance ainsi que sa nature ne venaient que de lui-même, il ajoute aussitôt : « Le Père ne juge personne,» etc. Dans ces seules paroles : « Il a donné tout jugement au Fils, » nous voyons tout à la fois la nature divine du Fils de Dieu et sa génération ; car la nature divine seule peut tout avoir, et celui qui est engendré ne peut rien avoir qu'il n'ait reçu. — S. CHRYS. (hom. 39.) De même qu'il lui a donné la vie, c'est-à-dire qu'il l'a engendré vivant, ainsi lui a-t-il donné tonte puissance pour juger, c'est-à-dire qu'il lui a communiqué cette puissance avec la génération. II se sert ici du mot « il a donné,» pour éloigner toute idée qui exclurait la génération, ou supposerait l'existence de deux Pères. Il dit : « Toute puissance de juger, » parce qu'il est le maître de punir et de récompenser selon son bon plaisir. — S. HIL, (de la Trin., 7) « Il lui a donné toute puissance de juger, » parce que le Fils donne la vie à qui il lui plait, mais il ne faut pas croire que le Père soit privé de la puissance de juger, parce qu'il ne juge pas lui-même, car le pouvoir judiciaire du Fils vient du pouvoir du Père qui a donné au Fils toute puissance de juger, et Nôtre-Seigneur fait connaître la raison de cette puissance qui lui est donnée : « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. »

 

S. CHRYS. (hom. 39.) De ce que le Père est le principe de l'existence et de la puissance du Fils, ne concluez pas que le Fils soit d'une nature différente et n'ait point droit au même honneur, car Nôtre-Seigneur unit étroitement l'honneur du Fils à l'honneur du Père, et il établit clairement que l'honneur qui est dû au Père, est le même qui est dû au Fils. Dirons-nous pour cela que le Fils est le Père ? Non, sans doute, celui qui lui donne le nom de Père , n'honore pas encore le Fils comme le Père, mais les confond tous deux ensemble. — S. AUG. (Traité 21.) Pendant sa vie mortelle, le Fils ne paraissait que comme un serviteur, le Père recevait les honneurs dus à Dieu, mais après le jugement, le Fils apparaîtra comme l'égal de son Père, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. (Traité 19.) Mais s'il en étaient qui honorent le Père sans honorer le Fils ? Cela est impossible : « Celui qui n'honore pas le Fils, poursuit Nôtre-Seigneur, n'honore pas le Père qui l'a envoyé. » Autre chose est de considérer Dieu en tant qu'il est Dieu, autre chose est de le considérer en tant qu'il est Père. Lorsqu'on vous le fait considérer comme Dieu, vous vous le représentez comme un être tout-puissant, comme un esprit souverain, éternel, invisible, immuable. Mais lorsqu'on vous le fait considérer comme Père, cette idée réveille aussitôt dans votre esprit l'idée de Fils, puisqu'on ne peut lui donner le nom de Père, que parce qu'il a un Fils. Et si vous veniez à honorer le Père comme plus grand que le Fils, et le Fils comme lui étant inférieur, vous diminuez la gloire du Père en diminuant l'honneur que vous rendez au Fils. Car quelle est alors votre pensée, c'est que le Père n'a pas voulu, ou qu'il n'a pu engendrer un Fils qui lui fût égal ; s'il n'a pas voulu, ce serait donc qu'il lui aurait envié l'existence, s'il ne l'a pu, c'est une preuve d'impuissance. (Traités 23) Ou bien encore, ces paroles : « Afin que tons honorent le Fils comme ils honorent le Père, » se rapportent à la résurrection des âmes que le Fils opère simultanément avec le Père, tandis que les paroles qui suivent : « Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père, » se rapportent à la résurrection des corps. Ici Nôtre-Seigneur ne dit pas : De la même manière que le Père, parce que Jésus-Christ en tant qu'homme n'a pas droit aux mêmes honneurs que Dieu le Père. (Traité 21.) Vous me direz : Le Fils a été envoyé, il est donc inférieur au Père qui l'a envoyé ? Eloignez de votre esprit toute idée charnelle, et comprenez qu'il y a eu mission, mais non point séparation ; les choses humaines nous induisent en erreur, les vérités divines purifient notre intelligence, bien qu'ici les choses humaines rendent témoignage contre elles-mêmes. Un homme veut demander une femme en mariage, il ne peut le faire par lui-même, il charge un ami plus puissant que lui de faire cette demande. Et cependant remarquez la différence qui existe dans les choses humaines, un homme ne va pas avec celui qu'il envoie, tandis que le Père, qui envoie le Fils, ne se sépare pas de lui, comme le déclare Nôtre-Seigneur : « Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi. » (Jn 16, 32.) — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Ce n'est pas précisément parce que le Fils est engendré du Père, que les Ecritures disent que le Fils est envoyé, mais parce qu'il s'est manifesté au monde, lorsque le Verbe s'est fait chair, ce qui lui fait dire : « Je suis sorti de mon Père, et je suis venu en ce monde ; » (Jn 16, 28) ou bien, parce qu'il est successivement envoyé et reçu dans le cœur des fidèles suivant cette parole : « Envoyez-la du ciel (votre sagesse), et du trône de votre grandeur, afin qu'elle soit avec moi, et qu'elle agisse avec moi. » (Sag., 9, 10.) — S. HIL. (de la Trin.) Toute issue est donc fermée aux inventions sataniques de l'hérésie. Jésus est le Fils de Dieu, parce qu'il ne fait rien de lui-même ; il est Dieu, parce qu'il fait tout ce que fait le Père, il ne fait qu'un avec le Père, parce qu'ils ont droit aux mêmes honneurs, et cependant il n'est point le Père, parce qu'il est envoyé.

 

V. 24.
 

LA GLOSE. Nôtre-Seigneur avait dit précédemment : « Le Fils donne la vie à qui il veut ; » il lui restait à faire connaître comment le Fils nous conduit à la vie : » En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole, » etc. — S. AUG. (Traité 22.) La vie éternelle consiste à écouter et à croire, mais encore plus à comprendre. La foi est le degré qu'il faut franchir pour arriver à l'intelligence qui est le fruit de la foi. Remarquez que le Sauveur ne dit pas : Celui qui croit en moi, mais : « Celui qui croit à celui qui m'a envoyé. » Pourquoi donc, Seigneur, entend-il votre parole, et croit-il à un autre que vous ? Que voulez-vous dire ? si ce n'est : la parole de celui qui m'a envoyé est en moi ? « Il entend ma parole, » c'est-à-dire, c'est moi qu'il entend : « Il croit à celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire, qu'en croyant en lui, il croit à sa parole, et en croyant à sa parole, c'est en moi qu'il croit, parce que je suis la parole, le Verbe du Père.

 

S. CHRYS. (hom. 39.) Le Sauveur ne dit pas : « Celui qui écoute ma parole et qui croit en moi; » ce que les Juifs auraient regardé comme l'expression d'un orgueil qui veut s'élever outre mesure. En disant au contraire : « Celui qui croit à celui qui m'a envoyé ; » il faisait plus facilement accepter sa doctrine. Deux considérations venaient à l'appui, il enseignait que c'était au Père qu'il fallait croire, et il promettait toute sorte de biens comme récompense de la foi qu'il demandait : « Il ne vient pas en jugement. » — S. AUG. (Traité 22.) Mais que signifient ces paroles ? Y aura-t-il donc un homme plus vertueux que saint Paul, qui nous déclare : « Qu'il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ. » (Rm 14 ; 2 Co 5) Nous répondons que le jugement emporte quelquefois l'idée de punition, tandis que dans d'autres circonstances, il signifie un simple examen ou un jugement de séparation. Nous devrons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, pour subir ce jugement de séparation et d'examen. Mais ici Nôtre-Seigneur veut parler du jugement qui emporte condamnation, et ces paroles : « Il ne vient point en jugement, » signifient : « Il n'encourt pas une sentence de condamnation, » mais ajoute le Sauveur : « Il a passé de la mort à la vie ; » ce passage n'est pas encore entièrement effectué, mais dès maintenant il a passé de la mort de l'infidélité à la vie de la foi, de la mort de l'iniquité à la vie de la justice. Ou bien encore, Nôtre-Seigneur veut vous désabuser de la pensée que la foi vous préserverait de la mort du corps, et bien vous convaincre que vous paierez cette dette de la mort que vous a fait contracter le péché d'Adam, qui nous représentait tout aux yeux de Dieu ; personne ne peut échapper à cette sentence qu'il entendit porter contre lui : « Vous mourrez de mort. » Mais après avoir payé on mourant cette dette du vieil homme, vous reprendrez la vie de l'homme nouveau, et vous passerez de la mort à la vie. (Traité 19.) Et à quelle vie ? à la vie éternelle, car les morts qui ressusciteront à la fin du monde ressusciteront pour la vie éternelle. (Traité 22.) Quant à cette vie, elle ne mérite point le nom de vie, parce qu'il n'y a de véritable vie que la vie éternelle.

 

S. AUG. (serm. 64 sur les par. du Seign.) Nous voyons les hommes dans leur amour passionné pour cette vie périssable et mortelle, se donner mille efforts pour combattre la crainte de la mort, et faire tout ce qu'ils peuvent, non pour se soustraire à la mort, mais pour en retarder l'heure fatale. Mais si vous prenez tant de soins, si vous vous donnez tant de peine pour prolonger votre vie de quelques jours, que ne devez-vous pas faire pour la rendre éternelle ? Et si l'on donne le nom de prudents, ceux qui tentent l'impossible pour retarder leur mort, et vivre quelques jours de plus, combien sont insensés ceux qui vivent de manière à perdre la vie éternelle.

 

Vv. 25-26.
 

S. AUG. (Traité 23 sur S. Jean.) On aurait pu faire cette difficulté au Sauveur : « Le Père vivifie ceux qui croient en lui, et vous, ne pouvez vous donner aussi la vie ? » Vous voyez ici que le Fils donne également la vie à qui il veut : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront. » — S. CHRYS. (hom. 39.) Et n'allez pas croire que ces paroles : « L'heure vient, » doivent s'entendre d'un temps encore éloigné, car Nôtre-Seigneur ajoute : « Et elle est venue, » et la parole du Fils de Dieu a été alors aussi efficace qu'elle le sera lorsqu'elle nous commandera de ressusciter à la fin du monde. — THEOPHYL. Le Sauveur voulait parler ici de ceux qu'il devait ressusciter pendant sa vie mortelle, de la fille du chef de la synagogue, du fils de la veuve de Naïm et de Lazare. — S. AUG. (Traité 22.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur ne veut pas que nous entendions de la résurrection future ces paroles : « Il passe de la mort à la vie, » et pour nous apprendre que ce bienheureux passage s'opère dans celui qui croit, il ajoute : « En vérité, en vérité, l'heure vient. » Quelle est cette heure ? Elle est venue, c'est l'heure où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'entendront vivront. (Traité 29.) Il ne dit pas : Ils entendent parce qu'ils vivent, mais ils revivront parce qu'ils entendront. Que veut dire ce mot : « Ils entendront ? » c'est-à-dire : « Ils obéiront. » (Traité 22.) Ceux qui croient et qui vivent selon les règles de la vraie foi, vivent véritablement et ne sont plus soumis à la mort ; mais pour ceux qui refusent de croire, ou dont la vie coupable est en désaccord avec leur foi, et qui ont perdu la charité, il faut bien plutôt les mettre au rang des morts. Cependant cette heure dont il est ici parlé dure encore, elle se prolonge jusqu'à la fin du monde, comme saint Jean le déclare : « Nous sommes dans la dernière heure. » (1 Jn 2) — S. AUG. (serm. 61 sur les par. du Seig.) Lorsque les morts, c'est-à-dire les infidèles, entendront la voix du Fils de Dieu (c'est-à-dire l'Evangile), ceux qui l'entendront (c'est-à-dire qui obéiront), vivront, c'est-à-dire, seront justifiés et cesseront d'être infidèles.

 

S. AUG. (Tr. 22.) On me fait cette question : Le Fils a-t-il en lui la vie qu'il puisse communiquer à ceux qui croient ? Je réponds : Oui il a en lui-la vie, lui-même vous l'atteste : « Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même. » (Traité 19.) La vie est une chose qui lui est propre, elle ne lui vient point d'un principe étranger, il ne l'a point par emprunt, comme s'il entrait en participation de la vie. La vie n'est antre chose que lui-même, et il a la vie en lui-même, il est lui-même sa vie. — Et vous, ô âme, est-ce que vous n'étiez pas morte ? Ecoutez le Père par la voix du Fils, levez-vous pour recevoir en vous la vie que vous n'avez pas en vous-même, cette vie vous est donnée par le Père, elle vous est donnée par le Fils qui a la vie en lui-même, et c'est la première résurrection. Or, cette vie qui est le propre du Père et du Fils, est la vie de l'âme, et l’âme raisonnable seule, à l'exclusion du corps, peut participer à cette vie de la sagesse.

 

S. HIL. (des syn. défin., 6.) Les hérétiques, pressés de tous côtés par l'autorité des Ecritures, sont forcés d'attribuer au Fils une puissance semblable à celle du Père, mais sans vouloir accorder qu'il ait une même nature, et ils ne comprennent pas que l'égalité de puissance ne peut venir que de l'égalité de nature. Une nature inférieure ne peut jamais recevoir la puissance d'une nature qui lui est de beaucoup supérieure. Or, on ne peut nier que le Fils de Dieu n'ait une puissance égale à celle du Père, puisqu'il affirme lui-même que : « Tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement, » et cette égalité de puissance entraîne nécessairement l'égalité de nature comme il le déclare expressément : « De même que le Père a la vie en lui ; ainsi il a donné à son Fils d'avoir la vie en lui. » La vie est ici synonyme de nature et d'essence, et Nôtre-Seigneur nous apprend à la fois qu'il possède cette vie et qu'elle lui a été donnée. (Défin. 4.) La vie qui est dans le Père et dans le Fils, signifie la nature, l'essence et la vie qui est engendrée de la vie (c'est-à-dire, l'essence qui est engendrée de l'essence) ; comme elle n'est point différente de son principe, parce qu'elle est la vie qui naît de la vie, elle possède en vertu de son origine une parfaite égalité de nature.

 

S. AUG. (de la Trin., 15, 26) Comprenons-donc que le Père ne donne pas la vie à son Fils, comme s'il en était privé auparavant, et qu'il l'engendre en dehors de toute succession de temps, en sorte que la vie que le Père donne à son Fils en l'engendrant, est coéternelle à la vie de celui qui l'engendre. — S. HIL. (de la Trin., 9) Ce qui naît vivant d'un être vivant, possède la perfection dès sa naissance, sans qu'il y ait création d'une nature nouvelle, car ce qui est engendré d'un autre être vivant, n'est point une nature nouvelle, parce que ce n'est pas du néant que la vie est sortie ; la vie qui prend sa naissance au sein même de la vie, doit nécessairement avoir l'unité de nature, et celui qui est ainsi engendré doit posséder toute perfection, de telle sorte qu'il vive dans celui qui l'a engendré, et qu'il ait en lui la vie véritable. Notre faible nature humaine est composée d'éléments fort disparates, et la vie pour elle semble sortir des choses inanimées ; elle ne vit pas aussitôt ni toute entière de la vie qu'elle reçoit par la génération, et il y a en elle beaucoup d'éléments qui, après s'être développés, tombent et périssent sans avoir eu le sentiment de la vie. En Dieu, au contraire, tout ce qui existe a la vie, car Dieu est la vie même, et la vie ne peut produire que la vie. — S. AUG. (Traité 22.) Ces paroles : « Il a donné au Fils, si ont donc la même signification que celles-ci : « Il a engendré son Fils, » car c'est en l'engendrant qu'il lui a donné la vie. De même qu'il lui a donné l'être, il lui a donné d'être la vie, d'être la vie en lui-même, sans avoir besoin de la recevoir d'ailleurs, et d'avoir en lui la plénitude de la vie pour la communiquer à tous ceux qui croient. Qu'importé donc que l'un ait donné et l'autre reçu ? — S. CHRYS. (hom. 39.) Vous voyez donc ici l'égalité absolue et parfaite, il n'y. a qu'une seule différence, c'est que l'un existe comme Père, et l'autre comme Fils. — S. HIL. (des synod. définit. 2.) Il faut distinguer ici entre celui qui donne et celui qui reçoit ; on ne peut supposer que ce soit la même personne qui donne et qui reçoive, puisque l'un est vivant par lui-même, et que l'autre déclare vivre de la vie qu'il a reçue de son Père.

 

Vv. 27-29.
 

THEOPHYL. Le Père a donné à son Fils, non-seulement le pouvoir de donner la vie, mais la puissance pour juger : « Et il lui a donné le pouvoir. » — S. CHRYS. (hom, 39.) Pourquoi Nôtre-Seigneur rappelle-t-il continuellement les idées de jugement, de résurrection et de vie ? parce que rien n'est plus propre à conduire à la foi les esprits les plus rebelles. Celui qui est profondément convaincu qu'il ressuscitera, cl qu'il doit payer au Fils de Dieu, la peine des fautes qu'il a commises, sans autre considération, s'empresse de se rendre son juge favorable.

 

« Parce qu'il est le Fils de l'homme ne vous étonnez pas. » Paul de Samosate dispose ainsi le texte sacré : « Il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme. » Mais cette manière de lire est contraire à toute logique ; le Sauveur en effet n'a pas reçu la puissance de juger parce qu'il est homme, car alors pourquoi tous les hommes ne recevraient-ils pas le même pouvoir ? Mais il est juge parce qu'il est le Fils ineffable de Dieu. Voici donc comment il faut lire : « Ne vous étonnez pas de ce qu'il est le Fils de l'homme. » Un des grands obstacles qui s'opposaient dans l'esprit des Juifs à la parfaite intelligence des enseignements du Sauveur, c'est qu'ils ne voyaient en lui qu'un homme ; tandis que sa doctrine était de beaucoup supérieure à celle des hommes, à celle des anges et semblait ne convenir qu'à un Dieu. Il va donc au-devant de cette difficulté et leur dit : « Ne vous étonnez point, parce qu'il est le Fils de l'homme, » et il en donne la raison : « Car l'heure vient où  tous ceux qui sont dans  les tombeaux  entendront la voix du Fils. » Et pourquoi leur dit-il : « Ne vous étonnez point parce qu'il est le Fils de l'homme, parce qu'il est en même temps le Fils de Dieu. » Il vient de parler de la résurrection, comme d'une oeuvre qui est l'œuvre de Dieu par excellence, et il laisse à ses auditeurs à tirer la conséquence qu'il était Dieu et Fils de Dieu. En effet ceux qui font usage de raisonnements, lorsque les propositions qu'ils avancent prouvent évidemment la vérité qu'ils établissent, se dispensent de tirer eux-mêmes la conclusion, mais pour rendre la victoire plus éclatante, ils laissent à leurs contradicteurs le soin de tirer cette conséquence contre eux-mêmes. Lorsqu'il a fait allusion précédemment à la résurrection de Lazare, il n'a point parlé du jugement, car Lazare n'est point ressuscité pour le jugement ; mais lorsqu'il parle de la résurrection générale, il y joint le souvenir du jugement : « Et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de châtiment. » Il avait dit précédemment : « Celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, n'entre point en jugement ; » mais pour ne point laisser croire que la foi suffît pour être sauvé, il y joint ici la nécessité d'une vie pleine de bonnes œuvres : « Et ceux qui ont fait le bien en sortiront pour une résurrection de vie. »

 

S. AUG. (Traités 22 et 23) On peut encore expliquer autrement ces paroles : « Dieu lui a donné d'avoir la vie en lui-même en tant qu'il était le Verbe qui était en Dieu dès le commencement ; mais le Verbe s'est fait chair dans le sein de la Vierge Marie, et c'est parce qu'il s'est fait homme qu'il est le Fils de l'homme, » et c'est à ce titre qu'il a reçu le pouvoir de juger, pouvoir qu'il exercera à la fin du monde alors qu'aura lieu la résurrection des corps. Dieu ressuscite donc les âme-par Jésus-Christ Fils de Dieu, et il ressuscite les corps par Jésus-Christ. Fils de l'homme. Et c'est pour cela qu'il ajoute : « Parce qu'il est le Fils de l'homme, » car comme Fils de Dieu, il a toujours eu ce pouvoir. » — S. AUG. (Sermon 64 sur les par. du Seign.) C'est sous la forme extérieure du Fils de l'homme que Jésus-Christ doit juger les hommes, il les jugera sous cette forme qu'ils l'ont jugé eux-mêmes, le même qui a comparu devant le tribunal d'un juge de la terre montera sur son tribunal pour juger à son tour, il condamnera les vrais coupables, lui qui a été condamné malgré les fausses accusations dont il a été chargé. Il fallait en effet que ceux qui devaient être jugés vissent leur juge de leurs propres yeux ; mais comme ce jugement devait s’étendre aux bons comme aux méchants, il convenait qu'il se manifestât sous la forme de serviteur aux bons et aux méchants, et qu'il réservât exclusivement aux bons la vue de la nature divine suivant ces paroles. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. »

 

S. AUG. (Traité 19) Aucun de ceux qui ont essayé d'établir des sectes où l'erreur était substituée à la vérité, n'ont pu nier la résurrection spirituelle qui rend les âmes meilleures, et les fait passer du vice à la vertu ; mais beaucoup d'entre eux ont nié la résurrection de la chair, et que pourrions-nous leur répondre, Seigneur Jésus, si vous n'eussiez affirmé cette vérité. C'est donc pour en établir plus solidement la croyance qu'il ajoute : « Ne vous étonnez pas, » c'est-à-dire ne soyez pas surpris que Dieu ait donné au Fils de l'homme le pouvoir de juger, car « l'heure vient, » etc.— S. AUG. (Sermon 64 sur les par. du Seig.) Il n'ajoute pas ici comme précédemment : « Et cette heure est venue, » parce qu'elle ne doit venir qu'à la fin du monde. Ne vous étonnez pas que j'aie dit : « Il faut que les hommes soient jugés par un homme, mais quels sont ces hommes ? Non-seulement ceux qui seront alors en vie ; car voici l'heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux, » etc. — S. AUG. (Traité 19) Quoi de plus évident ? Ce sont les corps et non pas les âmes qui sont dans les tombeaux. Lorsqu'il disait plus haut : « L'heure vient » et qu'il ajoutait : « Et elle est venue, » il continuait en ces termes : « Où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; » il ne dit pas : Tous les morts, car ces morts dont il parle sont les pécheurs, et tous n'obéissent pas à l'Evangile. Mais à la fin du monde, tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix et en sortiront. Notre-Seigneur n'ajoute point : Et ils vivront, comme précédemment, ce qu'il disait de la vie éternelle et bienheureuse, qui ne sera point le partage de tous ceux qui sortiront des tombeaux. Vous avez certainement et sans nul doute reçu le pouvoir de juger, parce que vous êtes le Fils de l'homme, les corps ressusciteront tout d'abord, mais dites-nous quelque chose de ce jugement. Ecoutez sa réponse : Ceux qui auront fait le bien sortiront des tombeaux pour la résurrection de la vie, c'est-à-dire pour vivre avec les anges de Dieu ; et ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement, » et ici le mot jugement est synonyme de châtiment.

 

V. 30.
 

S. AUG. (Traité 19 sur S. Jean.) Nous étions sur le point de dire à Nôtre-Seigneur Jésus-Christ : C'est vous qui jugerez et non pas votre Père, est-ce que votre jugement ne sera pas conforme à sa volonté ? C’est pourquoi le Sauveur ajoute : « Je ne puis rien faire de moi-même, » etc. — S. CHRYS. (hom. 39.) C'est-à-dire vous ne me verrez rien faire qui soit contraire ou opposé à la volonté du Père, mais « selon que j'entends, je juge, » c'est-à-dire qu'il est impossible que ma volonté ne soit pas conforme en tout à celle de mon Père ; et je juge absolument comme si mon Père lui-même jugeait. — S. AUG. (Traité 23) Lorsqu'il était question de la résurrection des âmes, il ne disait pas : J'entends mais je vois. » Ici au contraire, il dit « J'entends, » comme la voix du Père qui commande ; il parle ici comme homme, et sous ce rapport, son Père est plus grand que lui.

 

S. AUG (Contre le serm. des Ar., chap. 13) On peut dire encore que ces paroles : « Selon que j'entends, je juge » doivent s'entendre de la dépendance où Jésus se trouve vis-à-vis de Dieu comme Fils de l'homme ; ou même de cette nature simple et immuable qui appartient au Fils mais qu'il a reçue du Père, nature pour laquelle entendre, voir, être sont une seule et même chose, de sorte que la faculté de voir, d'entendre lui vient du même principe que son existence, (chap. 17) Il juge selon qu'il entend, parce que le Verbe ayant été engendré pour être la vérité, il doit nécessairement juger selon la vérité, (chap. 18) « Et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, » etc. En parlant de la sorte, Nôtre-Seigneur veut rappeler à notre pensée cet homme qui, en cherchant sa volonté et non la volonté de son Créateur, ne porta point de lui-même un juste jugement, mais obligea Dieu à porter sur lui ce juste jugement. En faisant sa volonté, il crut qu'il échapperait à la mort, et en cela son jugement ne fut pas juste. Il fit donc sa volonté et en fut puni par la mort, parce que le jugement de Dieu est juste, C'est ce jugement auquel le Fils de Dieu se conforme en ne cherchant pas sa volonté en tant qu'il est le Fils de l'homme, non pas que sa volonté n'ait aucune part dans le jugement qu'il rend, mais parce que cette volonté qui lui est propre est en tout point conforme à la volonté du Père. — S. AUG. (Traité 19.) Je ne cherche pas ma volonté propre, c'est-à-dire la volonté du Fils de l'homme qui soit opposée à celle de Dieu. Les hommes font leur volonté et non celle de Dieu, lorsqu'ils font ce qu'ils veulent au préjudice de ce que Dieu commande. Mais lorsque tout en faisant ce qu'ils veulent, ils suivent cependant la volonté de Dieu, ce n'est plus leur volonté qu'ils suivent. Ou bien encore, il dit : « Je ne cherche pas ma volonté, » parce que Jésus-Christ n'existe point par lui-même, mais par son Père. — S. CHRYS. (hom. 39.) C'est ainsi qu'il établit que la volonté du Père n'est point différente de la sienne, mais qu'ils n'ont tous deux qu'une seule et même volonté. Si son langage vous parait un peu trop le langage de l'homme, n'en soyez pas surpris, les Juifs ne voyaient en lui qu'un homme. Il prouve que son jugement est juste par les raisons que tout homme apporterait pour se justifier en pareille circonstance. En effet, celui qui songe à faire prévaloir ses intérêts, sera facilement soupçonné d'avoir altéré la justice ; mais celui qui ne se guide point d'après des vues personnelles n'est point exposé à prononcer des jugements injustes. — S. AUG. (Traité 22) Le Fils unique dit : « Je ne cherche pas ma volonté, » elles hommes ne veulent faire que leur volonté. Faisons donc la volonté du Père et de Jésus-Christ et de l'Esprit saint, parce qu'ils n'ont qu'une même volonté, une même puissance, une même majesté.

 

Vv. 31-40.
 

S. CHRYS. (hom. 40 sur S. Jean.) Notre-Seigneur Jésus-Christ venait de s'attribuer de grands privilèges, mais sans en donner encore de démonstration évidente. Pour première preuve, il apporte l'objection qu'on pouvait lui faire : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai. » Mais qui ne serait troublé en entendant ces paroles du Sauveur ? car en mille endroits, nous le voyons se rendre témoignage à lui-même. Si donc tous ces témoignages sont dépourvus de vérité, quelle espérance de salut nous reste-t-il ? Où pourrons-nous trouver la vérité, alors que la vérité elle-même nous dit : » Mon témoignage n'est pas vrai ? » Nôtre-Seigneur en parlant ainsi n'exprime pas sa pensée propre comme Fils de Dieu, mais celle des juifs qui pouvaient lui objecter : Nous ne croyons pas en vous, parce que nul bomme qui se rend témoignage à lui-même, n'est digne de foi. Après avoir reproduit cette objection des Juifs, il apporte trois preuves évidentes et irréfragables, en produisant trois témoins de la vérité de ses paroles, les œuvres qu'il a faites, le témoignage du Père et la prédication de Jean-Baptiste, et il commence par le témoignage le moins fort, celui de Jean-Baptiste : « Il en est un autre qui rend témoignage de moi, » etc. — S. AUG. (serm. 43 sur les par. du Seig.) Jésus savait bien que son témoignage était vrai ; mais le soleil cherchait des flambeaux par ménagement pour les infirmes et pour les incrédules, car leurs yeux malades ne pouvaient supporter l'éclat du soleil, Jean-Baptiste fut donc choisi pour rendre témoignage à la vérité. Est-ce que les martyrs ne sont pas les témoins de Jésus-Christ, pour rendre témoignage à la vérité ? Mais en y réfléchissant de plus près, lorsque les martyrs lui rendent témoignage, c'est lui qui se rend témoignage à lui-même, car c'est lui qui habite dans les martyrs, et leur inspire le témoignage qu'ils rendent à la vérité.

 

ALCUIN. On peut dire encore que Jésus-Christ étant Dieu et homme, manifeste tour à tour les propriétés de ces deux natures ; tantôt il parle le langage qui convient à l'humanité qu'il s'est unie, tantôt celui qui n'appartient qu'à la divinité. C'est donc en tant qu'homme qu'il dit. « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai, » paroles dont voici le sens : « Si je rends témoignage de moi-même en tant que je suis homme (c'est-à-dire en séparant ce témoignage de celui de Dieu), mon témoignage n'est pas vrai. » C'est pour cela qu'il ajoute : « C'est un autre qui rend témoignage de moi. » En effet, le Père a rendu témoignage de Jésus-Christ, et sa voix s'est fait entendre au baptême du Sauveur, et sur la montagne où il fut transfiguré : « Et je sais que son témoignage est vrai. » Car Dieu est vérité et le témoignage de la vérité ne peut être que véritable.

 

S. CHRYS. (hom. 40.) Mais d'après la première interprétation, les Juifs pouvaient faire au Sauveur cette nouvelle objection : « Si votre témoignage n'est pas vrai, comment pouvez-vous dire que vous savez que le témoignage de Jean-Baptiste est véritable ? » Nôtre-Seigneur répond à cette pensée en ajoutant : « Vous avez envoyé à Jean, » etc., ce qui veut dire : Vous n'auriez pas député des envoyés à Jean, si vous ne l'aviez pas cru digne de foi. Et ce qu'il y a de plus fort, ces envoyés ne devaient pas lui demander ce qu'il pensait du Christ, mais ce qu'il pensait de lui-même. Ils ne lui disent pas, en effet : Que dites-vous du Christ ? mais : « Qui êtes-vous ? » Que dites-vous de vous-même ? tant était grande l'admiration qu'ils professaient pour lui. — ALCUIN. Jean-Baptiste a rendu témoignage non pas à lui-même, mais à la vérité; comme un ami de la vérité, il a rendu témoignage à Jésus-Christ qui est la vérité. Or, Nôtre-Seigneur ne rejette pas précisément le témoignage de Jean, comme un témoignage qui ne lui fut pas nécessaire, mais il leur apprend que leurs regards ne doivent pas se fixer sur Jean, au point de les empêcher d'admettre que Jésus-Christ seul leur est nécessaire. C'est pour cela qu'il ajoute : « Pour moi, ce n'est pas d'un homme que je reçois témoignage. » — BEDE. Parce que je n'en ai pas besoin. Si Jean, d'ailleurs, rendit témoignage à Jésus-Christ, c'était moins pour le grandir dans l'esprit des juifs, que pour leur en donner la connaissance.

 

S. CHRYS. (hom. 40.) Le témoignage de Jean-Baptiste n'était autre que le témoignage de Dieu, car c'est Dieu lui-même qui le lui avait dicté. Mais Nôtre-Seigneur va au-devant d'une objection, que les Juifs pouvaient lui faire : Où est la preuve que c'est Dieu lui-même qui a dicté ce témoignage à Jean-Baptiste, en ajoutant : « Je vous dis ces choses, afin que vous soyez sauvés, » c'est-à-dire , moi qui suis Dieu, je n'avais pas besoin d'un témoignage humain, mais je vous rappelle ce témoignage, parce qu'il a eu le privilège d'attirer votre attention, et que vous l'avez jugé digne de confiance à l'exclusion de tout autre, tandis que vous n'avez pas voulu croire en moi malgré les miracles que j'ai opérés. Ils pouvaient encore lui dire : Qu'importé le témoignage de Jean, si nous ne l'avons pas reçu ? Jésus leur prouve qu'ils ont cru aux paroles du Précurseur : « Il était la lampe ardente et luisante, et un moment vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. » Cette expression : «  un moment » prouve la facilité avec laquelle ils ont cru, et le peu de durée de leur foi ; si cette foi avait persévéré, Jean les aurait conduits comme par la main à Jésus-Christ. Il appelle le saint Précurseur une lampe, parce que sa lumière ne venait pas de lui-même, mais de la grâce de l'Esprit saint. — ALCUIN. Jean était donc comme une lampe éclairée par Jésus-Christ qui est la vraie lumière, brûlant de foi et de charité, brillant par la parole et par les oeuvres, envoyé devant le Christ pour confondre ses ennemis, selon ces paroles du psaume 131 : « J'ai préparé une lampe à mon Christ, je couvrirai de confusion ses ennemis. »

 

S. CHRYS. (hom. 40.) Si donc je vous rappelle le souvenir de Jean, ce n'est pas que j'aie besoin de son témoignage, c'est dans l'intérêt de votre salut ; car pour moi, j'ai un témoignage plus grand que celui de Jean, c'est le témoignage de mes œuvres : « Car ces œuvres que mon Père m'a données à faire, ces œuvres que je fais moi-même, rendent témoignage de moi. »

 

ALCUIN. Jésus rend la vie aux aveugles, l'ouïe aux sourds, il délie la langue des muets, il met les démons en fuite, il ressuscite les morts, ce sont là les œuvres qui rendent témoignage de lui. — S. HIL. (de la Trin., 6) Ce n'est pas seulement par le témoignage du nom qu'il porte, que le Fils unique de Dieu prouve sa filiation divine, mais par les œuvres de sa puissance, qui attestent qu'il est vraiment l'envoyé du Père, en qui nous voyons éclater tout à la fois l'obéissance du Fils et l'autorité du Père. Mais comme les œuvres ne sont point un témoignage suffisant pour les incrédules, il ajoute : « Et mon Père qui m'a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi. » Parcourez toutes les pages de l'Evangile, et examinez sérieusement ce qu'elles renferment, et vous n'y trouverez aucun témoignage du Père qui ne proclame que Jésus-Christ est son Fils. Quelle est donc cette erreur calomnieuse (et quel en est le motif), qui ne voit dans la filiation divine qu'une simple adoption, accuse Dieu de mensonge, et réduit à rien les noms qui sont donnés au Fils ?

 

BEDE. La mission du Fils n'est autre que son incarnation. Notre-Seigneur prouve ensuite que Dieu est incorporel et ne peut par conséquent être vu des yeux du corps : « Mais vous n'avez jamais entendu sa voix, ni vu sa figure. » — ALCUIN. Les Juifs auraient pu lui dire : « Nos pères ont entendu la voix de Dieu sur le Sinaï, et ils l'ont vu sous la forme de feu ; si donc Dieu consentait à rendre témoignage de vous, nous pourrions entendre sa voix, Jésus les prévient et leur dit : « J'ai le témoignage que me rend mon Père, bien que vous ne le compreniez pas, parce que vous n'avez jamais entendu sa voix, et vous n'avez jamais vu sa figure. » — S. CHRYS. (hom. 40.) Comment donc Moïse a-t-il pu dire : « S'est-il jamais fait une chose semblable, et jamais a-t-on ouï dire qu'un peuple ait entendu la voix du Seigneur parlant du milieu du feu, comme vous l'avez entendue, sans être frappé de mort ? (Dt 4, 33-34.) Isaïe et plusieurs autres encore attestent qu'ils ont vu Dieu. Que signifient donc ces paroles du Sauveur ? Il veut donner aux Juifs des idées plus saines et plus exactes sur Dieu, en leur enseignant peu à peu que Dieu n'a ni voix, ni figure ; mais qu'il est supérieur à toutes les figures et à tous les langages possibles. En effet, ces paroles : « Vous n'avez jamais entendu sa voix, » ne signifient pas que Dieu ait une voix, bien qu'inintelligible pour l'homme ; de même que ces autres paroles : « Et vous n'avez jamais vu sa figure, » ne veulent pas dire que Dieu ait une forme sensible, quoique invisible pour l'homme ; mais il veut établir qu'il n'y a en Dieu ni voix ni figure. — ALCUIN. Ce n'est donc point avec les oreilles du corps, mais avec l'intelligence du cœur, que Dieu peut être entendu par la grâce de l'Esprit saint. Or, les Juifs n'avaient pas entendu cette voix toute spirituelle, parce qu'ils refusaient de l'aimer et d'obéir à ses commandements ; et ils ne pouvaient voir sa face, parce que ce n'est point des yeux du corps, mais des yeux de la foi et de l'amour qu'elle peut être vue.

 

S. CHRYS. (hom. 40.) Les Juifs ne pouvaient même se flatter d'avoir reçu les commandements de Dieu, et de les observer, aussi le Sauveur ne craint pas de leur dire : « Et vous n'avez point sa parole demeurant en vous, » c'est-à-dire les préceptes divins, la loi, les prophètes, dont Dieu est l'auteur, et que vous ne recevez pas comme vous devriez le faire. En effet, les Ecritures vous enseignent en mille endroits à croire en moi, et vous refusez de croire, n'est-ce pas une preuve évidente que vous n'avez point en vous la parole de Dieu, et il ajoute : « Parce que vous ne croyez pas en celui qu'il a envoyé. »

 

ALCUIN. Ou bien encore, ils n'ont pas le Verbe qui était au commencement demeurant en eux, parce qu'ils négligent de conserver le souvenir de la parole de Dieu qu'ils ont entendue, et encore plus de la mettre en pratique. Nôtre-Seigneur avait déclaré qu'il avait pour lui le témoignage de Jean, de ses œuvres, de son Père ; il y ajoute le témoignage de la loi qui leur avait été donnée par Moïse : « Approfondissez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle ; ce sont elles qui rendent témoignage de moi, » c'est-à-dire, vous qui pensez trouver dans les Ecritures la vie éternelle, et qui me rejetez comme contraire à Moïse, vous arriveriez à comprendre par le témoignage de Moïse lui-même, que je suis Dieu ; si vous vouliez étudier sérieusement ces Ecritures, car toutes les Ecritures rendent témoignage de Jésus-Christ, ou par les figures, ou par les prophéties, ou par le ministère des anges. Mais les Juifs n'ont point voulu appliquer au Christ ces différents témoignages, et c'est pourquoi ils ne peuvent avoir la vie éternelle : « Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie, » c'est-à-dire, les Ecritures rendent témoignage de moi, et malgré tant de témoignages, vous ne voulez pas venir à moi, vous ne voulez pas croire en moi, vous ne voulez pas chercher en moi votre véritable Sauveur.

 

S. CHRYS. (hom. 40.) On peut encore enchaîner autrement les différentes parties de ce discours de Nôtre-Seigneur. Les Juifs pouvaient lui dire : Comment nous assurer que Dieu vous ait rendu témoignage, si nous n'avons pas entendu sa voix ? Jésus leur répond : « Approfondissez les Ecritures, » preuve évidente qu'elles contiennent le témoignage que Dieu a rendu en sa faveur. Dieu, en effet, ne lui a-t-il pas rendu témoignage sur les bords du Jourdain et sur la montagne ? cependant Nôtre-Seigneur ne leur rappelle pas textuellement ces deux témoignages, qui eussent peut-être été pour eux l'occasion d'un nouvel acte d'incrédulité, car ils n'avaient pas été témoins de la voix qui se lit entendre sur la montagne, et quant à celle qui se fit entendre au baptême de Nôtre-Seigneur, ils l'avaient bien entendue, mais sans y faire aucune attention. Il les renvoie donc aux Ecritures, leur enseignant ainsi qu'elles renferment le témoignage que le Père lui a rendu. (hom. 41.) Remarquez qu'il ne les renvoie pas à une simple lecture, mais à un sérieux examen des Ecritures, parce que les témoignages dont il était l'objet dans les Ecritures, étaient couverts d'un voile et cachés comme un trésor sous l'écorce de la lettre. Il ne dit pas : Dans lesquelles vous avez la vie éternelle, mais : « Dans lesquelles vous pensez trouver la vie éternelle, » et il leur démontre ainsi le fruit médiocre qu'ils tiraient des Ecritures, en s'imaginant qu'il leur suffisait de les lire pour être sauvés, alors même qu'ils étaient dépourvus de la foi ; c'est pour cela qu'il leur dit : « Et vous ne voulez pas venir à moi, » parce qu'ils refusaient de croire en lui. — BEDE. Le Psalmiste nous apprend que le mot venir est ici synonyme du mot croire, lorsqu'il dit : « Approchez de lui et soyez sauvés. » (Ps 33, 6.) Nôtre-Seigneur ajoute : « Pour avoir la vie. » Si l'âme, en effet, qui commet le péché est frappée de mort, ils étaient morts d'esprit et de cœur. Il leur promettait donc la vie de l'âme ou de la félicité éternelle.

 

Vv. 41-47.
 

S. CHRYS. (hom. 41.) L'intention du Sauveur, en rappelant aux Juifs les témoignages de Jean-Baptiste, de Dieu et de ses œuvres, était de les attirer à lui, mais plusieurs d'entre eux pouvaient y voir le désir d'une gloire toute humaine ; il repousse donc cet injurieux soupçon par cette déclaration : « Je n'accepte point la gloire qui vient des hommes, » c'est-à-dire, je n'en ai pas besoin, et ma nature n'est pas réduite à la nécessité de rechercher cette gloire ; le soleil ne reçoit aucun nouvel éclat de la lumière d'une lampe, à bien plus forte raison, n'ai-je nul besoin de la gloire humaine. — ALCUIN. Ou bien encore, ces paroles : « Je n'accepte point la gloire qui vient des hommes, » veulent dire : Je ne recherche pas les louanges des hommes, je ne suis pas venu pour recevoir des hommes des honneurs terrestres, mais pour leur faire part d'honneurs tout spirituels. Si donc je parle de la sorte, ce n'est point pour rechercher la gloire, mais par compassion pour votre égarement, et pour vous ramener dans la voie de la vérité. C'est pour cela qu'il leur dit : « Mais j'ai reconnu que vous n'aviez point en vous l'amour de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 41.) C'est-à-dire, en parlant de la sorte, j'ai voulu vous convaincre que ce n'est point pour l'amour de Dieu que vous me persécutez, puisqu'il me rend lui-même témoignage par mes œuvres et par les Ecritures. Vous me repoussez dans la pensée que j'étais opposé à Dieu ; si donc vous aimiez véritablement Dieu, vous deviez donc venir à moi, mais vous n'avez pas cet amour en vous. Et il leur prouve non-seulement par leur conduite présente, mais par ce qu'ils feraient, si quelqu'un venait leur parler en son propre nom : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas, si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez. » Il déclare qu'il est venu au nom de son Père, pour leur ôter tout prétexte de lui refuser leurs hommages. — ALCUIN. Je suis venu au nom de mon Père, c'est-à-dire, je suis venu pour que le nom de mon Père soit glorifié par moi, parce que je renvoie tout à mon Père. Ils n'avaient donc pas en eux l'amour de Dieu, parce qu'ils ne voulaient pas recevoir celui qui venait faire la volonté de son Père. L'Antéchrist, au contraire, viendra non pas au nom du Père, mais en son propre nom, non point pour procurer la gloire du Père, mais pour chercher la sienne propre. Les Juifs n'ont point voulu recevoir Jésus-Christ ; comme juste châtiment de leur infidélité ils recevront l'Antéchrist, et croiront au mensonge pour avoir refusé de croire à la vérité.

 

S. AUG. (serm. 45 sur les par. du Seig.) Mais écoutons ce que dit Jean lui-même : « Vous avez oui-dire que l'Antéchrist doit venir, et maintenant il y a beaucoup d'antéchrists. » (1 Jn 2, 18.) Or, qui vous fait trembler dans l'Antéchrist ? c'est qu'il doit chercher à faire honorer son nom et à couvrir de mépris le nom de Dieu. Et que fait donc autre chose celui qui ose dire : « C'est moi qui justifie, » et ceux qui disent : « Si nous ne sommes bons et vertueux, vous êtes perdus sans ressources ? » Ainsi la vie de mon âme dépendra de vous, et mon salut sera attaché à vos mérites ? Ai-je donc oublié à ce point le fondement que Dieu lui-même a posé ? Est-ce que la pierre n'était pas le Christ ?

 

S. CHRYS. (hom. 41.) Nôtre-Seigneur leur donne ici une preuve incontestable de leur peu de religion en leur tenant équivalemment ce langage : Si c'est par amour pour Dieu que vous me persécutez, à plus forte raison, devriez-vous persécuter l'Antéchrist, car il ne vous dira point qu'il est envoyé par le Père, ou qu'il vient pour faire sa volonté, mais il usurpera au contraire les prérogatives qui ne lui appartiennent pas, et se donnera comme le Dieu qui est au-dessus de tout. Il est donc évident que les Juifs persécutaient Jésus-Christ par un sentiment d'envie contre lui et de haine contre Dieu. Le Sauveur leur fait connaître ensuite la cause de leur incrédulité : Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? Il leur fait voir une fois de plus que ce ne sont pas les intérêts de Dieu, mais les intérêts de leur passion qu'ils cherchaient à défendre.

 

ALCUIN. C'est donc un grand vice que la vanité, et le désir de la gloire humaine qui veut faire estimer en elle des qualités qu'elle n'a pas et qu'elle ne cherche pas à avoir. Ils ne peuvent donc croire, parce qu'ils sont avides de gloire humaine, mais quel est ce désir de la gloire humaine, si ce n'est l'enflure d'une âme orgueilleuse ? C'est donc comme si Jésus-Christ disait : « Ils ne peuvent croire, parce que leur âme superbe désire les louanges et veut s'élever au-dessus de tous les autres. » — BEDE. Or, le moyen, le plus efficace pour nous garantir de ce vice, c'est de rentrer dans notre conscience, de considérer que nous ne sommes que poussière, et si nous découvrons quelque bien en nous, de l'attribuer, non point à nous, mais à Dieu seul. Le Sauveur nous apprend en même temps à toujours être tels que nous voulons paraître aux yeux des autres. Ils pouvaient enfin lui faire cotte question : c'est donc vous qui nous accuserez près de votre Père ? Jésus les prévient et leur dit : « Ne pensez pas que ce soit moi qui doive vous accuser devant mon Père, » etc. — S. CHRYS. (hom. 41.) Car je ne suis point venu pour condamner, mais pour sauver. « Votre accusateur sera Moïse, en qui vous mettez votre espoir. » Il leur a dit plus haut, en parlant des Ecritures : « Vous pensez trouver eu elles la vie éternelle, » de même il leur dit ici : « Moïse, dans lequel vous espérez, » cherchant à les convaincre par leurs propres croyances. Mais ils pouvaient encore lui faire cette objection. Comment Moise pourra-t-il nous accuser ? Qu'y a-t-il de commun entre Moïse et vous, qui transgressez la loi du sabbat ? Jésus répond à cette objection : « Si vous croyez Moïse, peut-être me croiriez-vous aussi, car il a écrit de moi. » La preuve de ce que j'avance se trouve dans ce qui précède, puisqu'en effet les oeuvres que j'ai faites, le témoignage de Jean-Baptiste et celui de mon Père prouvent jusqu'à l'évidence que je suis envoyé de Dieu, il est également certain que Moïse sera votre accusateur, car il a dit : S'il s'élève parmi vous un homme qui opère des prodiges, conduise les hommes vers Dieu, et fasse des prédictions que les événements justifient, vous devrez lui obéir. Or, Jésus-Christ a fait toutes ces choses, et ils n'ont pas cru en lui. — ALCUIN. Nôtre-Seigneur emploie ici le mot « peut-être, » pour se conformer à notre manière de parler et non pas qu'il y ait en Dieu le moindre doute. Or, Moïse a prédit la venue du Christ, lorsqu'il a dit Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi, vous l'écouterez. » (Dt 18) — S. AUG. (contr. Faust., 16, 9.) On peut même dire que tout ce que Moïse a écrit, les figures, les événements, les discours ont Jésus-Christ pour objet, ou se rapportent entièrement à Jésus-Christ, aussi bien lorsque Moïse prophétise le règne de sa grâce et de sa gloire.

 

« Mais si vous ne croyez point à ses écrits, comment croirez-vous à ses paroles ? — THEOPHYL. C'est-à-dire, Moïse a écrit, et vous avez ses livres entre les mains, et si vous veniez à oublier ce qu'ils contiennent, vous pourriez facilement en rappeler le souvenir, mais vous ne croyez point aux écrits de Moïse, comment donc pourrez-vous croire à mes simples paroles ? — ALCUIN. On peut conclure de là que ceux qui lisent les commandements qui interdisent le vol et les autres crimes, sans prendre soin de les mettre en pratique, ne pourront accomplir à plus forte raison les préceptes évangéliques qui sont beaucoup plus parfaits et plus sublimes. — S. CHRYS. (hom. 41) S'ils avaient donné une sérieuse attention aux paroles du Sauveur, ils devaient lui demander et apprendre de lui ce que Moïse avait écrit sur le Christ, mais ils gardent le silence ; telle est en effet la malice du cœur humain, que malgré tout ce que l’on peut dire ou faire, il conserve le venin dont il est infecté.

 

 

CHAPITRE VI
 

Vv. 1-14.
 

S. CHRYS. (hom 42 sur S. Jean) Lorsque des traits viennent tomber sur un corps dur qui leur résiste, ils retournent avec force contre ceux qui les ont lancés, si, au contraire, ils ne rencontrent aucun obstacle, leur force s'affaiblit et finit bientôt par s'éteindre. Ainsi lorsque nous voulons résister à des hommes pleins d'audace, ils en deviennent plus furieux, si au contraire, nous prenons le parti de leur céder, nous voyons leur fureur s'apaiser aussitôt. Voilà comment Nôtre-Seigneur Jésus-Christ apaise la colère que ses discours ont fait naître dans le cœur de ses ennemis. Il se retire dans la Galilée, non pas cependant dans les mêmes lieux dont il était parti précédemment pour se rendre à Jérusalem, car ce n'est pas à Cana en Galilée, mais au delà de la mer qu'il se retire : « Jésus s'en alla ensuite de l'autre côté de la mer de Galilée qui est le lac de Tibériade. » — ALCUIN. Cette mer prend divers noms suivant les divers lieux qui se trouvent sur ses bords. On l'appelle ici la mer de Galilée de la province où elle se trouve et lac de Tibériade de la ville de Tibériade qui est située sur ces bords. On lui donne le nom de mer, non que l'eau en soit salée, mais parce que les Hébreux donnaient le nom de mer à toutes les grandes étendues d'eau. Nôtre-Seigneur traversa souvent ce lac pour prêcher l'Evangile aux peuples qui habitaient sur ses bords. — THEOPHYL. Le Sauveur va successivement d'un lieu dans un autre, pour éprouver la bonne volonté du peuple et rendre les hommes plus désireux et plus avides de l'entendre : « Et une grande multitude de peuple le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles qu'il faisait sur ceux qui étaient malades. » — ALCUIN. En rendant la vue aux aveugles et en opérant d'autres prodiges semblables. Et il ne faut pas oublier qu'il guérissait l'âme en même temps qu'il rendait la santé du corps.

 

S. CHRYS. (hom. 42.) Malgré l'éclat et la sublimité de sa doctrine, ses miracles faisaient beaucoup plus d'impression sur eux, ce qui est l'indice d'esprits encore peu instruits, car les miracles, dit saint Paul, sont un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles. Ceux dont saint Matthieu rapporte qu'ils étaient dans l'admiration de sa doctrine, (Mt 7, 28), faisaient preuve de plus grande sagesse. Mais pourquoi l'Evangéliste ne rapporte-t-il pas les miracles opérés par Jésus ? parce que le but qu'il s'est proposé était de consacrer la plus grande partie de son ouvrage à reproduire les discours du Seigneur. « Jésus monta donc sur une montagne et s'y assit avec ses disciples. » Il monte sur une montagne à cause du miracle qu'il doit opérer, ses disciples y montent avec lui et accusent ainsi la conduite du peuple qui ne peut l'y suivre. Il monte encore sur cette montagne pour nous apprendre à nous soustraire au tumulte et à l'agitation du monde, car la solitude est la meilleure préparation à l'étude de la sagesse et à la méditation des choses divines : « Or, la Pâque qui est la grande fête des Juifs était proche. » Vous voyez que dans l'espace d'une année tout entière, l'Evangéliste ne nous raconte que deux miracles de Jésus-Christ ; la guérison du paralytique et celle du fils de l'officier royal, car il ne s'est point proposé de tout raconter, mais de faire le choix de quelques faits plus importants. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur ne se rend-il pas à Jérusalem pour la fête de Pâques ? Il voulait laisser tomber peu à peu la loi, en s'autorisant pour cela des mauvaises dispositions des Juifs contre lui. — THEOPHYL. Les Juifs le poursuivaient avec acharnement, il prend occasion de leur animosité contre lai pour se dispenser d'observer la loi et il apprend ainsi aux observateurs de la loi que tontes les figures disparaissent à l'avènement de la vérité, et qu'il n'est ni soumis à la loi ni astreint à l'observance de cérémonies légales. Remarquez en effet que ce n'était point la fête de Jésus-Christ, mais la fête des Juifs.

 

BEDE. (sur S. Marc, chap. 6) En examinant avec attention le récit des évangélistes, on se convaincra facilement qu'il s'écoula un an tout entier entre la mort de Jean-Baptiste et la passion du Sauveur. En effet, saint Matthieu rapporte que le Seigneur ayant appris la mort de Jean-Baptiste, se retira dans le désert, et qu'il y nourrit miraculeusement la multitude ; saint Jean de son côté nous fait remarquer que la fête de Pâques était proche lorsque Jésus fit ce miracle, il s'en suit évidemment que Jean-Baptiste fut décapité aux approches de la fête de Pâques. Un an après eut lieu la passion du Sauveur, à l'époque de la même fête, « Jésus donc ayant levé les yeux, et voyant qu'une très-grande multitude était venue à lui, » etc. — THEOPHYL. Remarquez cette circonstance du récit de l'Evangéliste : « Jésus ayant levé les yeux, pour nous apprendre qu'il ne promenait pas librement ses regards de tous côtés, mais qu'il les tenait modestement baissés en conversant avec ses disciples. — S. CHRYS. (hom. 42 sur S. Jean.) Ce n'est pas sans motif que Nôtre-Seigneur était assis avec ses disciples, il voulait les instruire plus librement et avec plus de soin, et se les attacher plus étroitement. Il lève ensuite les yeux et aperçoit la multitude qui venait à lui. Pourquoi donc fait-il cette question à Philippe ? Il connaissait ceux de ses disciples qui avaient besoin d'un enseignement plus étendu, et tel était l'apôtre Philippe qui dit au Sauveur dans la suite : « Montrez-nous votre Père, et cela suffît. » Nôtre-Seigneur commence donc par instruire son disciple, car s'il avait opéré le miracle de la multiplication des pains sans autre préparation, ce miracle n'eût point apparu dans tout son éclat. Jésus l'oblige donc de reconnaître son impuissance à suffire aux besoins de cette multitude pour qu'il demeure bien convaincu de la grandeur du miracle qui va se faire : « Il parlait ainsi pour le tenter, » dit l'Evangéliste.

 

S. AUG. (Serm. 2 sur les par. du Seign.) Il est une tentation qui porte directement au péché, et elle ne peut jamais être l'œuvre de Dieu qui ne porte jamais personne au mal, selon la parole de saint Jacques. Il est encore une tentation qui a pour objet d'éprouver la foi, et dont Moïse dit : « Le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu'on sache si vous l'aimez on non , » (Dt 13, 3) et c'est dans ce sens qu'il faut entendre la question que Jésus faisait à Philippe pour le tenter. — S. CHRYS. (hom. 42.) Est-ce donc que Nôtre-Seigneur ignorait la réponse que lui ferait son disciple ? Non sans doute, mais l'Evangéliste se conforme ici à la manière déparier en usage parmi les hommes-Ainsi lorsque l'Ecriture dit de Dieu « qu'il sonde les cœurs des hommes, » (Rm 8, 27) cette expression ne signifie nullement un examen qui a pour cause l'ignorance, mais une absolue certitude, de même l'Evangéliste en rapportant que Jésus parlait de la sorte pour éprouver son disciple, veut simplement dire qu'il savait certainement ce que Philippe lui répondrait. On peut dire encore que par cette question, Nôtre-Seigneur voulait faire passer son disciple par cette épreuve pour le rendre plus certain du miracle qu'il allait opérer, et l'Evangéliste qui semble craindre que la manière dont il s'exprime ne donne une idée peu favorable du Sauveur, se hâte d'ajouter : « Car il savait ce qu'il devait faire. »

 

ALCUIN. Jésus fait donc cette question, non pour apprendre ce qu'il ignore, mais pour convaincre son disciple de la lenteur de son esprit et de sa foi, qu'il ne pouvait découvrir par lui-même. — THEOPHYL. Ou bien il voulait le faire connaître aux autres disciples, et leur montrer qu'il n'ignorait pas les pensées les plus intimes de son cœur. — S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 46.) D'après le récit de saint Jean, le Seigneur à la vue de cette nombreuse multitude, aurait demandé à Philippe pour l'éprouver où il trouverait de quoi nourrir tout ce peuple. Mais alors comment admettre la vérité du récit des autres évangélistes dans lesquels nous lisons que les apôtres pressèrent tout d'abord le Seigneur de congédier le peuple, et qu'il leur répondit : « Ils n'ont nul besoin de s'en aller, donnez-leur vous-mêmes à manger ? » Pour concilier cette difficulté, il suffit d'admettre qu'après ces paroles, le Sauveur regarda cette grande multitude de peuple et qu'il fit à Philippe la question qui est rapportée par saint Jean, et que les autres apôtres ont passée sous silence.— S. CHRYS. (hom, 42.) Ou bien encore, il s'agit ici de deux faits différents qui n'ont point eu lieu à la même époque.

 

THEOPHYL. Nôtre-Seigneur avait voulu éprouver la foi de son disciple, et il le trouve encore dominé par des sentiments tout humains, qui se trahissent dans sa réponse : « Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau. » — ALCUIN. Une semblable réponse accuse en effet un esprit bien lent à croire, car s'il avait compris parfaitement que Jésus était le Créateur de toutes choses, il n'aurait eu aucun doute sur l'étendue de sa puissance. — S. AUG. (de l'acc. des Evang. 2, 46.) Saint Marc prête à tous les disciples la réponse que saint Jean attribue exclusivement ici à Philippe. Mais on peut dire que ce dernier évangéliste laisse à comprendre que Philippe répondit au nom des autres apôtres, quoiqu'il ait pu, en se conformant à l'usage beaucoup plus reçu, mettre le pluriel à la place du singulier.

 

THEOPHYL. Les sentiments d'André étaient à peu près semblables à ceux de Philippe, bien qu'il eût sur Jésus-Christ des pensées plus élevées : « André, frère de Simon Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d'orge et deux poissons. » — S. CHRYS. (hom. 42.) Ce n'est pas sans raison qu'André tient ce langage, il se rappelait le miracle qu'avait fait le prophète Elisée qui avait multiplié vingt pains d'orge pour nourrir cent personnes. (4 R 4, 42-44.) Il lui vint donc dans l'esprit une idée un peu plus élevée, mais qui n'alla pas encore bien loin, comme l'indique la réflexion qu'il ajoute : « Mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ? » Il s'imaginait que celui qui opérait des miracles, les faisait plus ou moins grands, selon les éléments plus ou moins considérables qu'il avait à sa disposition, ce en quoi il se trompait. Il lui était aussi facile de nourrir une grande multitude avec quelques pains comme avec un plus grand nombre, parce qu'il n'avait nul besoin d'une matière préalable. Si donc il consent à se servir des éléments créés pour opérer ses miracles, c'est pour montrer que les créatures sont régies par sa providence pleine de sagesse. THEOPHYL. Ainsi sont confondus les Manichéens qui prétendent que les pains et tous les autres éléments crées viennent d'un principe mauvais, du Dieu du mal, puisque le Fils du Dieu bon, Jésus-Christ consent à multiplier ces pains, car si les créatures étaient mauvaises, Jésus, qui était bon, n'aurait pas voulu les multiplier.

 

S. AUG. (de l'acc. des Evang., 2, 46.) La réflexion que saint Jean prête à André au sujet des cinq pains et des deux poissons, est rapportée par les autres Evangélistes (qui ont mis le pluriel pour le singulier), comme ayant été faite collectivement par tous les disciples.

 

S. CHRYS. (hom. 42.) Apprenons ici, nous qui sommes tout entiers aux satisfactions de la sensualité, quelle était la nourriture de ces hommes admirables, quelle sobriété dans la quantité comme dans le choix de leurs aliments. Nôtre-Seigneur fait asseoir le peuple avant que les pains aient été multipliés, parce que, comme dit saint Paul, les choses qui n'existent pas lui sont soumises comme celles qui existent (Rm 4) : « Jésus leur dit : Faites-les asseoir. » — ALCUIN. L'expression discumbere signifie littéralement manger étant couché, suivant l'usage des anciens : « Or, il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu. » — THEOPHYL. C'est-à-dire du gazon encore vert, car on n'était pas loin de la fête de Pâques, qui se célébrait au premier mois du printemps : « Les hommes s'assirent donc au nombre d'environ cinq mille. » L'Evangéliste ne compte que les hommes, suivant la coutume des Juifs, c'est ainsi que Moïse fit le dénombrement de tous les hommes depuis vingt ans et au-dessus (Nb 1), sans faire aucune mention des femmes, nous indiquant ainsi que ce qui est plein de jeunesse et de force mérite seul d'être compté aux yeux de Dieu.

 

« Alors Jésus prit les pains, et après avoir rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des deux poissons, autant qu'ils en voulaient. » — S. CHRYS. (hom. 42.) Mais pourquoi Nôtre-Seigneur n'a-t-il point fait de prière avant de guérir le paralytique, de ressusciter les morts, d'apaiser la mer agitée, tandis que nous le voyons ici prier et rendre grâces ? C'est pour nous apprendre à rendre grâces à Dieu avant de commencer le repas. On peut dire encore qu'il prie avant de faire des miracles de moindre importance, pour faire voir qu'il ne prie pas pour obtenir du secours, car s'il avait eu besoin de demander le secours d'en haut, c'eût été surtout avant de faire ses plus grands miracles, et comme il les fait toujours avec autorité, il est évident que c'est par condescendance pour nous, qu'il adresse à Dieu sa prière. Une autre raison, c'est qu'il voulait bien persuader le peuple, qui était présent, que c'était par la volonté de Dieu qu'il était venu sur la terre. Voilà pourquoi il ne prie point avant de faire un miracle loin des yeux de la foule, il priait, au contraire, lorsqu'il devait le faire devant tout le peuple, pour le convaincre qu'il n'était point en opposition avec Dieu.

 

S. HIL. (de la Trin., 3) Les disciples présentent donc à cette multitude cinq pains, et les leur distribuent à mesure qu'ils les rompent, ils se succèdent dans leurs mains par une création instantanée de nouveaux morceaux de pain. Le pain qui est rompu ne diminue point, et cependant de nouveaux morceaux remplissent continuellement les mains qui les rompent, sans que les sens ni les yeux puissent suivre la continuité de cette création vraiment merveilleuse. Ce qui n'existait pas, existe, on voit ce qu'on ne comprend pas, et la seule pensée qui reste, est celle de la toute puissance de Dieu.— S. AUG. (Traité 24 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur multiplie ces cinq pains de la même manière qu'il fait sortir de quelques grains seulement d'abondantes moissons. Les mains de Jésus-Christ étaient pleines d'une puissance toute divine, et ces pains étaient comme des semences qui n'étaient pas confiées à la terre, mais qui étaient multipliées par celui qui a créé la terre.

 

S. CHRYS. (hom. 42.) Considérez ici la différence qui sépare le Seigneur de ses serviteurs ; les prophètes qui n'avaient la grâce qu'avec mesure, n'opéraient aussi des miracles que dans une certaine mesure, tandis que Jésus-Christ, qui agit avec une puissance absolue, faisait tous ses miracles dans toute la plénitude de son autorité : « Lorsqu'ils furent rassasiés il dit à ses disciples : Recueillez les morceaux qui sont restés. » Ce n'est point par vaine ostentation que le Sauveur commande de recueillir ces restes, mais pour bien établir la réalité du miracle, et c'est pour la même raison qu'il l'opère avec une matière préexistante. Mais pourquoi charge-t-il ses disciples plutôt que la foule, de recueillir ces restes ? parce qu'il voulait instruire surtout ceux qui devaient être les maîtres du monde entier. Quant à moi, j'admire non-seulement la multiplication des pains, mais le soin avec lequel l'Evangéliste mentionne le nombre précis de corbeilles. Il y avait cinq pains, et Jésus-Christ dispose le tout de manière à ce que les restes ne remplissent que douze corbeilles, ni plus ni moins autant qu'il y avait d'Apôtres. — THEOPHYL. Ce miracle nous apprend aussi à ne pas nous décourager au milieu des étreintes de la pauvreté.

 

BEDE. Le peuple, à la vue de ce miracle, était dans l'admiration, parce qu'il ne connaissait pas encore la divinité du Sauveur, c'est pour cela que l'Evangéliste ajoute : « Ces hommes (dont le jugement était dominé par les sens), ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le prophète qui doit venir dans le monde. » — ALCUIN. Leur foi était loin d'être parfaite, puisqu'ils ne regardaient le Seigneur que comme un prophète, sans reconnaître encore sa divinité, mais cependant l'éclat de ce miracle leur avait fait faire de grands progrès, puisqu'ils le distinguaient des autres par le nom de prophète ; ils se rappelaient, en effet, que leurs prophètes s'étaient quelquefois signalés par des miracles. D'ailleurs ils ne se trompent pas, en appelant Nôtre-Seigneur prophète, puisque lui-même a daigné prendre ce nom : « Il ne convient pas, dit-il, qu'un prophète périsse hors de Jérusalem. » (Lc 13) — S. AUG. (Traité 24.) Jésus-Christ est prophète et le Seigneur des prophètes, de la même manière qu'il est ange et le Seigneur des anges. Il est ange (ou envoyé) parce qu'il est venu annoncer des choses présentes ; il est prophète, parce qu'il a prédit l'avenir, et en tant que Verbe fait chair, il est le Seigneur des anges et des prophètes, car on ne peut concevoir un prophète sans le Verbe de Dieu. — S. CHRYS. (hom. 42.) Ils disent : « Qui doit venir en ce monde, » il est donc évident qu'ils attendaient un prophète extraordinaire. Aussi ces paroles : « Celui-ci est vraiment prophète, » se trouvent dans le texte grec avec l'article, comme preuve qu'ils le distinguent de tous les autres prophètes.

 

S. AUG. (Traité 24 sur S. Jean.) Remarquons que comme la nature divine ne peut être aperçue de nos yeux, et que les miracles de la Providence, par lesquels Dieu ne cesse de gouverner le monde et de régir toutes les créatures, ont perdu pour nous de leur éclat, parce qu'ils se renouvellent tous les jours ; il s'est réservé quelques œuvres extraordinaires, qu'il opère à des temps marqués en dehors des causes physiques et des lois ordinaires de la nature, pour émouvoir ainsi par la nouveauté plutôt que par la grandeur du miracle, ceux sur qui les prodiges de tous les jours ne font plus d'impression. En effet, le gouvernement du monde entier est un bien plus grand miracle que l'acte par lequel le Sauveur nourrit cinq mille hommes avec cinq pains : et cependant personne n'admire le premier miracle, et tous sont ravis d'admiration en présence du second, non pas précisément parce qu'il est plus grand, mais parce qu'il arrive rarement. Toutefois, ne nous contentons pas de voir seulement le fait extérieur dans les miracles du Christ, le Seigneur, sur la montagne, c'est le Verbe sur les hauteurs, il ne se présente donc point ici dans un état d'humiliation, et il ne faut point passer légèrement sur ce miracle, mais lever nos regards en haut. — ALCUIN. Dans le sens mystique, la mer est l'emblème du monde toujours agité. Mais dès que Jésus-Christ se fut comme embarqué par sa naissance sur la mer de notre mortalité, qu'il l'eut foulée aux pieds par sa mort, et traversée par sa résurrection, la multitude des croyants, formée des deux peuples, l'a suivi fidèlement par la foi et l'imitation de ses vertus. — BEDE. Le Seigneur a gagné le sommet de la montagne, lorsqu'il est monté au ciel dont cette montagne est la figure. — ALCUIN. Il laisse la multitude au pied de la montagne, et monte plus haut avec ses disciples, pour nous apprendre qu'il faut imposer des préceptes moins difficiles aux âmes encore faibles, et réserver la doctrine plus relevée pour les âmes plus parfaites. C'est aux approches de la fête de Pâques qu'il nourrit cette multitude, et il nous enseigne par là que celui qui désire se nourrir du pain de la divine parole, et du corps et du sang du Seigneur, doit s'y préparer en célébrant la pâque spirituelle, c'est-à-dire en passant de l'habitude du vice à la pratique de la vertu, puisque le mot pâque signifie passage. les yeux du Seigneur sont les dons spirituels, et il lève les yeux, c'est-à-dire qu'il laisse tomber le regard de sa miséricorde sur les élus qui reçoivent de lui ses dons spirituels.

 

S. AUG. (liv. des 83 quest., quest. 61.) Les cinq pains d'orge signifient la loi ancienne, soit parce que la loi a été donnée aux hommes, alors qu'ils se conduisaient plutôt par la chair que par l'esprit, et qu'ils étaient comme livrés aux cinq sens du corps (remarquez que cette multitude se composait de cinq mille hommes) ; soit parce que la loi a été donnée par Moïse, qui l'a renfermée dans les cinq livres qui portent son nom. Ces cinq pains étaient d'orge, et figuraient parfaitement la loi dans laquelle l'aliment vital de l'âme était recouvert par des signes extérieurs. La moelle de l'orge est en effet recouverte d'une paille très tenace. Ces pains d'orge peuvent encore représenter le peuple lui-même qui n'était pas encore dépouillé de ses désirs charnels, qui adhérait à son cœur comme la paille qui recouvre le grain d'orge. L'orge est la nourriture des bêtes de somme et des esclaves. Or, la loi a été donnée à des esclaves, et à des hommes charnels, dont les animaux sont la figure.

 

S. AUG. (comme précéd.) Les deux poissons destinés à donner au pain une saveur agréable, sont l'emblème des deux institutions qui gouvernaient le peuple, le sacerdoce et la royauté, et ces deux institutions figuraient à leur tour Nôtre-Seigneur, qui les réunissait toutes deux dans sa personne. — ALCUIN. On peut dire encore que ces deux poissons figurent les paroles ou les écrits des prophètes et des auteurs de Psaumes ; or, de même que le nombre cinq se rapporte aux cinq sens du corps, le nombre mille est le symbole de la perfection. Ceux qui s'appliquent à maîtriser et à diriger parfaitement les cinq sens de leur corps, sont appelés viri (hommes), du mot vires (forces). Ce sont ceux qui ne se laissent point corrompre par une mollesse féminine, qui vivent dans la chasteté et la tempérance, et méritent de goûter les douceurs de la sagesse céleste.

 

S. AUG. (Traité 24.) L'enfant qui portait ces cinq pains et ces deux poissons figurait le peuple juif, qui portait les cinq livres de la loi comme un enfant inexpérimenté, sans songer à s'en nourrir ; ces aliments, tant qu'ils restaient enveloppés, n'étaient pour lui qu'une charge accablante, et ils n'avaient la vertu de nourrir qu'à la condition d'être mis à découverts.

 

BEDE. La réflexion que fait André : « Qu'est-ce que cela pour tant de monde ? » est pleine de justesse, dans le sens allégorique, car la loi ancienne servait à peu de chose jusqu'au moment où Jésus la prit dans les mains, c'est-à-dire, en accomplit les prescriptions et nous offrit à l'entendre dans le sens spirituel ; car par elle-même la loi ne conduisait personne à la perfection.

 

S. AUG. (Tr. 24.) C'est au moment où les pains étaient rompus qu'ils se multipliaient, et c'est ainsi que les cinq livres de Moïse, par l'exposition (ou la fraction) qui en a été faite, ont donné naissance à une multitude d'autres livres.— S. AUG. (Liv. des 83 quest., qu. 61.) C'est, en brisant en quelque sorte, ce qu'il y avait de dur dans la loi, et en expliquant ce qu'elle avait d'obscur, que Nôtre-Seigneur nourrit ses disciples, lorsqu'après sa résurrection il leur découvrit le sens des Ecritures.

 

S. AUG. (Traité 24.)La question du Sauveur avait pour objet de faire ressortir l'ignorance de son disciple, qui était la figure de l'ignorance où le peuple était de la loi. Le peuple s'assoit sur l'herbe, parce qu'il avait encore des goûts charnels et se reposait volontiers dans les satisfactions de la chair, car « toute chair est comme l'herbe des champs. » (Is 40) Remarquez encore que le Seigneur ne nourrit et ne rassasie de ces pains multipliés miraculeusement que ceux qui traduisent dans leurs œuvres les enseignements qu'ils ont reçus.

 

S. AUG. (Traité 24.) Quels sont ces restes qu'il commande de recueillir ? C'est ce que le peuple n'a pu manger, et ces restes qui sont les vérités d'une intelligence plus cachée et que la multitude ne peut comprendre, sont confiés à ceux qui sont capables, et de les recevoir et de les enseigner aux autres, tels qu'étaient les Apôtres, et voilà pourquoi nous voyons que douze corbeilles furent remplies de ces restes. — ALCUIN et BEDE. Les corbeilles servent aux usages domestiques, elles figurent donc ici les Apôtres et leurs imitateurs qui, d'un extérieur peu remarquable aux yeux des hommes, sont cependant remplis intérieurement des richesses de tous les trésors spirituels. Les Apôtres sont comparés à des corbeilles, parce que c'est par leur ministère que la foi en la sainte Trinité devait être prêchée dans toutes les parties du monde. Le Sauveur n'a point voulu créer de nouveaux pains, mais s'est contenté de multiplier ceux qui existaient, pour nous apprendre qu'il n'est point venu pour rejeter et détruire la loi, mais en dévoiler les mystères en l'expliquant.

 

Vv. 15-21.
 

BEDE. A la vue d'un si grand miracle, le peuple comprit que Jésus réunissait la puissance à la bonté, et il voulut le faire roi, car les hommes veulent dans les princes qui sont à leur tête la bonté dans le gouvernement, jointe à la puissance pour les défendre. Mais aussitôt que le Sauveur en eut connaissance, il s'enfuit sur la montagne, c'est-à-dire, qu'il se retira promptement ; « Jésus ayant connu qu'ils devaient venir pour l'enlever et le faire roi, s'enfuit de nouveau sur la montagne tout seul ; » on peut conclure de là que Nôtre-Seigneur, qui était d'abord assis avec ses disciples sur la montagne d'où il vit la multitude qui venait à lui, était descendu ensuite de la montagne et avait nourri le peuple dans la plaine, car comment aurait-il pu se retirer de nouveau sur la montagne s'il n'en était d'abord descendu ?

 

S. AUG. (de l'acc. des Evang.) Le récit de saint Jean n'est point ici en contradiction avec celui de saint Matthieu, qui nous dit que : « Jésus monta seul sur la montagne pour prier. » (Mt 4) Car ces deux motifs prier et fuir ne s'excluent pas, bien au contraire, Nôtre-Seigneur nous enseigne que c'est surtout lorsque nous sommes dans la nécessité de fuir qu'il nous faut recourir à la prière. — S. AUG. (Traité 25.) Nôtre-Seigneur était roi, et cependant il craint de devenir roi, parce que sa royauté n'était pas de celle que peuvent donner les hommes, mais bien plutôt une royauté qu'il voulait communiquer aux hommes. En effet, comme Fils de Dieu, il ne cesse de régner avec son Père. Les prophètes ont aussi prédit son règne comme Fils de Dieu fait homme, il a fait chrétiens ceux qui ont cru en lui, et ce sont ceux qui composent son royaume, royaume qui sur la terre se forme et s'achète au prix du sang de Jésus-Christ. Un jour viendra où ce royaume disparaîtra dans toute sa splendeur, lorsqu'après le jugement dernier, la gloire des saints brillera de tout son éclat. Or, ses disciples et la multitude qui croyait en lui, pensaient que sa venue sur la terre avait pour objet l'établissement de ce royaume.

 

S. CHRYS. (hom. 42 et 43.) Voyez quelle est la puissance de la sensualité. Il n'est plus question pour eux de la transgression du sabbat, tout leur zèle pour Dieu s'est évanoui, ils sont rassasiés, tout est oublié ; Jésus est pour eux un prophète et ils veulent le faire roi et le mettre sur le trône. Mais Jésus-Christ se dérobe à leurs désirs, et nous apprend ainsi à mépriser les honneurs du monde. Jésus laisse donc ses disciples et se retire sur la montagne. Les disciples voyant que le Sauveur les avait quittés, descendirent vers la mer, lorsque le soir fut venu, comme le fait remarquer l'Evangéliste. Ils l'attendirent jusqu'au soir, espérant toujours qu'il viendrait les retrouver, mais le soir venu, ils ne peuvent résister davantage au désir de le chercher, tant était grand leur amour pour leur divin Maître ! et cet amour les porte à monter dans une barque pour aller à sa rencontre : « Et étant montés dans une barque, ils naviguèrent vers l'autre bord pour arriver à Capharnaüm, espérant qu'ils l'y trouveraient.

 

S. AUG. (Traité 24.) L'Evangéliste fait connaître d'abord le but de leur voyage, avant d'exposer quels en furent les incidents. Ils traversèrent le lac, et saint Jean raconte comme par récapitulation ce qui arriva pendant la traversée : « Il faisait déjà nuit, et Jésus n'était pas encore venu à eux. »

 

S. CHRYS. (hom. 42 sur S. Jean.) C'est avec dessein que l’Evangéliste précise le moment de la traversée, il veut faire ressortir la vivacité de leur amour pour Jésus-Christ. Ils ne disent pas : Le soir est venu, la nuit se fait, leur amour les pousse à s'embarquer malgré tous les obstacles qui se présentaient, d'abord le temps : « Il faisait déjà nuit, » puis la tempête : « La mer soulevée par un grand vent s'enflait ; » enfin le lieu où ils se trouvaient, la terre était fort éloignée : « Lorsqu'ils eurent ramé environ vingt-cinq ou trente stades. » — BEDE. Nous employons cette locution lorsque nous sommes dans le doute, à peu près vingt-cinq ou trente. — S. CHRYS. (hom. 43.) Une dernière difficulté, c'est l'apparition inattendue du Sauveur : « Ils virent Jésus marchant sur la mer et s'approchant de la barque, et ils eurent peur. » Il leur apparaît après les avoir quittés, il veut leur apprendre d'un côté ce que c'est que l'abandon et le délaissement, et rendre leur amour plus vif ; et de l'autre, leur manifester sa toute-puissance. Cette apparition est pour eux une cause d'effroi : « Et ils eurent peur, » dit l'Evangéliste. Aussi Notre-Seigneur s'empresse de dissiper leur frayeur et de relever leur courage : « Mais il leur dit : C'est moi, ne craignez point. » — BEDE. Il ne leur dit point : Je suis Jésus, mais simplement : « C'est moi, » parce qu'ils vivaient dans son intimité, et qu'au seul son de sa voix, ils purent facilement reconnaître leur maître ; ou bien, ce qui est plus vraisemblable, il voulut leur apprendre qu'il était celui qui dit à Moïse : « Je suis celui qui suis, » (Ex 3, 14)

 

S. CHRYS. (hom. 43.) Le Sauveur voulut apparaître aux yeux de ses disciples pour les convaincre que c'était lui-même qui allait apaiser la tempête, circonstance que l'Evangéliste nous fait comprendre, en ajoutant : « Ils voulurent le prendre dans leur barque, et aussitôt ils abordèrent au rivage vers lequel ils se dirigeaient. » C'est donc à Jésus qu'ils furent redevables de cette heureuse traversée. Cependant il ne voulut point monter dans la barque pour faire mieux ressortir la grandeur du miracle et la puissance divine qui l'opérait. — THEOPHYL. Vous voyez ici, en effet, trois miracles réunis : Jésus marche sur la mer, il calme la fureur des flots, et fait aborder aussitôt la barque au rivage dont les disciples étaient encore fort éloignés, lorsque le Seigneur apparut. — S. CHRYS. (hom. 43.) Jésus ne permit pas que la foule le vît marcher sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, il ne voulut pas même qu'il se prolongeât longtemps aux yeux de ses disciples, et il disparut presque aussitôt de leurs regards.

 

S. AUG. (de l'accord des Evang., 1, 47) D'après saint Matthieu, Jésus ordonna d'abord à ses disciples de monter dans une barque, de le devancer au delà du lac, et d'attendre là qu'il eût congédié la foule ; et après l'avoir congédiée, il se retire seul sur la montagne pour prier. Saint Jean, au contraire, rapporte que le Sauveur s'enfuit aussitôt sur la montagne, et il ajoute : « Le soir étant venu, ses disciples descendirent vers la mer, et lorsqu'ils furent montés dans une barque, » etc. Mais il n'y a ici aucune contradiction, car qui ne voit que saint Jean raconte par récapitulation, comme ayant été fait par les disciples, ce que Jésus leur avait ordonné avant de se retirer sur la montagne ? — S. CHRYS. (hom. 43.) On peut dire encore que ce miracle est différent de celui qui est rapporté par saint Matthieu. Dans le récit de saint Matthieu, les disciples ne reçurent pas aussitôt Nôtre-Seigneur, ici au contraire, ils s'empressent de le recevoir sans aucun retard. Dans le premier évangéliste encore, la tempête continuait de battre les flancs du navire, ici d'une seule parole, Jésus fait revenir le calme, on peut donc admettre deux miracles différents, ce qui n'a rien de surprenant, car Nôtre-Seigneur a pu faire plusieurs fois les mêmes miracles pour les rendre plus faciles à croire.

 

S. AUG. (Traité 25 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, Nôtre-Seigneur commence par nourrir la multitude et se retire ensuite sur la montagne, selon ce qui était prédit de lui : « L'assemblée des peuples vous entourera, et à cause d'elle remontez dans les hauteurs. » (Ps 7) C'est-à-dire, remontez dans les hauteurs, afin que l'assemblée des peuples vous entoure. Mais pourquoi l'Evangéliste dit-il que le Sauveur s'enfuit ? car on n'aurait pu le retenir malgré lui. Cette fuite a donc une signification mystérieuse, et nous apprend que la hauteur de ces mystères ne pouvait être comprise ; en effet, vous dites de tout ce que vous ne comprenez pas : « Cela me fuit. » Nôtre-Seigneur fuit donc seul sur une montagne lorsqu'il monte au-dessus de tous les cieux. Tandis qu'il est dans les hauteurs des cieux, ses disciples qui sont restés dans la barque sont exposés à la violence de la tempête. Cette barque était la figure de l'Eglise, il faisait déjà nuit, et il n'y avait rien d'étonnant, la vraie lumière ne brillait pas encore, Jésus n'était pas encore venu les trouver. Plus approche la fin du monde, et plus aussi on voit croître les erreurs et augmenter l'iniquité. En effet, la charité est lumière, suivant les paroles de saint Jean : « Celui qui hait son frère demeure dans les ténèbres. » (1 Jn 2, 9.) Les flots qui agitent le navire, la tempête, les vents sont les clameurs des réprouvés. La charité se refroidit, les flots ne cessent de monter et de battre les flancs du navire, et cependant ni les vents, ni la tempête, ni les flots, ni les ténèbres ne peuvent briser la barque et l'engloutir, ni même l'empêcher d'avancer, car celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé. Le nombre cinq est l'emblème de la loi, renfermée dans les cinq livres de Moïse ; le nombre vingt-cinq est donc aussi la figure de la loi, puisqu'il est le produit du nombre cinq multiplié par cinq. Mais la perfection qui est signifiée par le nombre six, manquait à la loi avant l'Evangile, et en multipliant cinq par six, on obtient le nombre trente, figure de la loi accomplie par l'Evangile. Nôtre-Seigneur vient donc trouver ceux qui accomplissent la loi, en marchant sur les flots, c'est-à-dire, en foulant aux pieds toutes les vaines enflures de l'orgueil et toutes les hauteurs du monde, et cependant les tribulations sont si grandes, que ceux mêmes qui croient en Jésus tremblent d'y succomber.

 

THEOPHYL. Lorsque les hommes ou les démons s'efforcent de nous ébranler par la crainte, écoutons Jésus-Christ qui nous dit : « C'est moi, ne craignez point, » c'est-à-dire je suis toujours près de vous, je demeure avec vous comme Dieu, et ne passe jamais, ne vous laissez donc point enlever par de vaines terreurs la foi que vous avez en moi. Voyez encore comment Nôtre-Seigneur ne vient pas au secours de ses disciples au commencement du danger, mais longtemps après. C'est ainsi que Dieu permet que nous soyons au milieu des dangers, pour éprouver notre courage parce combat contre les tribulations, et nous enseigner à recourir à celui-là seul qui peut nous sauver alors même que tout espoir est perdu. En effet c'est que lorsque l'intelligence de l'homme est à bout de ressources et déclare son impuissance, que le secours de Dieu arrive. Si nous voulons nous aussi recevoir Jésus-Christ dans notre barque, c'est-à-dire lui offrir une habitation dans nos cœurs, nous arriverons aussitôt au rivage où nous voulons aborder, c'est-à-dire au ciel.

 

BEDE. Mais cette barque ne porte point d'hommes indolents et paresseux, elle veut des rameurs vigoureux ; c'est ainsi que dans l'Eglise ce ne sont point les âmes molles et nonchalantes mais les âmes fortes et qui persévèrent dans la pratique des bonnes œuvres qui parviennent au port du salut éternel.

 

Vv. 22-27.
 

S. CHRYS. (hom. 43 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur n'a pas fait connaître clairement au peuple comment il avait marché sur la mer, mais il le lui a laissé soupçonner à en juger par ces paroles de l'Evangéliste : « Le lendemain, le peuple qui était demeuré de l'autre côté de la mer, vit que Jésus n'était point entré dans la seule barque qui était près du rivage, » etc. Cette manière de parler indique que le peuple pouvait présumer que le Sauveur avait traversé la mer à pied. Et on ne peut dire ici qu'il était monté dans une autre barque puisqu'il n'y en avait qu'une seule dans laquelle ses disciples étaient montés, sans que Jésus fût monté avec eux.

 

S. AUG. (Traité 25 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur leur suggère donc l'idée de ce grand miracle. D'autres barques arrivèrent près du lieu où ils avaient mangé le pain que le Sauveur leur avait donné, et le peuple monta dans ces barques pour aller à la recherche de Jésus : « D'autres barques suivirent, etc., et ils se dirigèrent vers Capharnaüm pour chercher Jésus. » — S. CHRYS. (hom. 42.) Et cependant après un si grand miracle, ils ne lui demandent pas comment il a traversé la mer, ni la manière dont s'est opéré ce prodige extraordinaire : « Et l'ayant trouvé au-delà de la mer, ils lui dirent : Maître, quand êtes-vous venu ici ? » A moins qu'on ne prenne ici le mot quand dans le sens de comment. Ils font ici preuve d'une habileté remarquable ; ils proclamaient précédemment que c'était un prophète, ils s'étaient concertés pour le faire roi, ils le trouvent aujourd'hui et ne lui découvrent rien de ce dessein. — S. AUG. Voici celui qui s'était enfui sur la montagne, dans la crainte que le peuple ne le fît roi, qui s'entretient maintenant avec le peuple, ils peuvent se saisir de sa personne et le proclamer roi. Mais Jésus, après le miracle plein de mystère qu'il a opéré, leur adresse ses enseignements, afin de nourrir de sa doctrine divine l'âme de ceux dont il a nourri miraculeusement le corps.

 

ALCUIN. Celui qui nous a enseigné par son exemple à fuir la louange et les honneurs de la terre, apprend également aux docteurs comment ils doivent remplir le ministère de la prédication.

 

S. CHRYS. (hom. 44.) La mansuétude et la douceur ne sont pas toujours utiles, lorsque vous avez affaire à un disciple d'un esprit lent et peu ouvert encore, il faut le presser avec l'aiguillon ; c'est ce que fait ici le Fils de Dieu. La multitude accourt à lui et cherche à le flatter en lui disant : « Maître, quand donc êtes-vous venu ici ? » et il ne répond à cette question que par un reproche pour montrer qu'il ne désire nullement l'honneur qui vient des hommes, mais qu'il ne cherche que leur salut, aussi il ne se contente pas de blâmer leur conduite, il dévoile les pensées les plus secrètes de leur cœur : « Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez non parce que vous avez vu des miracles, » etc. — S. AUG. C'est-à-dire : En me cherchant, vous obéissez aux instincts de la chair, et non aux désirs de l'esprit.

 

S. CHRYS. (hom. 44.) Aux reproches Nôtre-Seigneur ajoute l'enseignement de la doctrine : « Travaillez pour avoir, non la nourriture qui périt, mais celle qui demeure pour la vie éternelle. » C'est-à-dire : Vous cherchez la vie matérielle et périssable, mais mon intention en nourrissant vos corps a été de vous inspirer le désir de cette nourriture qui donne non point la vie du temps, mais la vie éternelle. — ALCUIN. La nourriture matérielle n'alimente et n'entretient que le corps, et encore n'atteint-elle ce but qu'à la condition d'être renouvelée tous les jours, mais la nourriture spirituelle demeure éternellement et nous donne une satiété perpétuelle et une vie qui n'a d'autre terme que l'éternité.

 

S. AUG. (Traité 25.) Il fait pressentir qu'il est lui-même cette nourriture comme il le déclarera plus ouvertement dans la suite de son discours, et il semble leur dire : Vous me cherchez pour toute autre chose que moi, cherchez-moi donc pour moi-même.

 

S. CHRYS. (hom. 44.) Mais comme il en est qui voudraient s'autoriser de ces paroles pour mener une vie toute de paresse et d'oisiveté, il est nécessaire de leur rappeler ce que dit saint Paul : « Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais qu'il s'occupe en travaillant des mains à quelque ouvrage bon et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence. » (Ep 4, 28.) Et lui-même lorsqu'il vint à Corinthe, demeurait chez Aquila et Priscille et travaillait de ses mains. (Ac 18) Ces paroles : « Ne travaillez pas pour avoir la nourriture qui périt, » n'autorisent en aucune façon la paresse et l'oisiveté, mais nous font un devoir de travailler et de distribuer le fruit de notre travail. C'est là en effet la nourriture qui ne périt pas, tandis que travailler pour la nourriture qui périt, c'est être dominé par l'amour des choses de la terre. Jésus leur tient ce langage parce qu'ils n'avaient aucun souci de la foi, et qu'ils ne songeaient qu'à se rassasier sans travailler, c'est ce qu'il appelle la nourriture qui périt. — S. AUG. De même qu'il avait dit précédemment à la Samaritaine : « Si vous saviez quel est celui qui vous demande à boire, vous lui en auriez demandé vous-même et il vous eût donné une eau vive. » Il ajoute ici : « Cette nourriture que le Fils de l'homme donnera. »

 

ALCUIN. Lorsque vous recevez le corps de Jésus-Christ des mains du prêtre, faites attention non au prêtre que vous voyez, mais à celui que vous ne voyez pas. Le prêtre n'est que le dispensateur de cette nourriture, il n'en est pas l'auteur. Or le Fils de l'homme se donne à nous, afin qu'il demeure en nous, et que nous demeurions en lui. Ne considérez pas ce Fils de l'homme comme un des enfants ordinaires des hommes, il en a été séparé par une grâce toute particulière qui l'a placé en dehors de tous les autres ; ce Fils de l'homme est tout ensemble le Fils de Dieu, comme il le déclare dans ce qui suit : « Car c'est lui que le Père a marqué de son sceau. » Marquer d'un sceau, c'est appliquer un signe, et Nôtre-Seigneur semble dire : Gardez-vous de me mépriser, parce que je suis le Fils de l'homme, car je suis le Fils de l'homme marqué du sceau de Dieu le Père, c'est-à-dire qu'il a imprimé sur moi un signe qui me distingue de tout le reste du genre humain, et qui me constitue son libérateur.

 

S. HIL. (de la Trin., 8) Les sceaux ont cette propriété de reproduire parfaitement la figure dont ils portent l'empreinte, et de la conserver néanmoins tout entière. Ils reçoivent cette empreinte gravée à leur surface, et la reproduisent dans toute son intégrité. Cette comparaison ne peut donc être appliquée à la génération divine, car dans les sceaux il y a la matière, la différence entre l'original et l'empreinte et l'impression qui reproduit sur une matière plus molle l'empreinte gravée sur un métal plus dur. Mais lorsque le Fils de Dieu qui est devenu le Fils de l'homme pour opérer le mystère de notre salut, dit qu'il a été marqué du sceau de Dieu, il veut nous faire comprendre qu'il reproduit en lui la nature du Père, et qu'il a le pouvoir de donner la nourriture qui renferme le germe de la vie éternelle, parce qu'il contient la plénitude de la nature divine du Père qui l'a marqué de son sceau. — S. CHRYS. (hom. 44.) Ou bien encore il l'a marqué de son sceau, c'est-à-dire il l'a comme désigné pour nous apporter cette nourriture ; ou enfin il l'a marqué de son sceau, c'est-à-dire il nous l'a fait connaître par son témoignage.

 

ALCUIN. Dans le sens mystique, c'est le lendemain, c'est-à-dire après l'ascension de Jésus-Christ, que la multitude, qui s'applique à la pratique des bonnes œuvres, et qui cesse d'être esclave des plaisirs des sens, attend l'arrivée de Jésus. Cette seule barque qui est sur le rivage, c'est l'Eglise qui est une ; les autres barques qui surviennent sont les conventicules des hérétiques, qui recherchent leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph 2) ; et c'est avec raison qu'il leur dit : « Vous me cherchez, parce que vous avez mangé des pains. »

 

S. AUG. (Traité 25 sur S. Jean.) Combien en est-il encore qui ne cherchent Jésus que pour en obtenir des faveurs temporelles ? L'un a une affaire, il vient réclamer l'appui du clergé, un autre est opprimé par un homme puissant, il s'empresse de venir réclamer le secours de l'Eglise ; à peine s'en trouvent-ils qui cherchent Jésus pour lui seul.

 

S. GREG. (Moral., 23, 17 ou 20.) Cette multitude représente encore ceux qui, au sein même de la sainte Eglise, s'attirent la haine de Dieu en recevant les ordres sacrés qui les rapprochent de Dieu, sans s'occuper des vertus qu'exigent les saints ordres, et en n'y cherchant qu'un moyen de subvenir aux besoins de la vie présente. On suit le Seigneur pour le pain dont on a été rassasié, lorsqu'on ne demande à la sainte Eglise que les biens et les aliments temporels ; on le cherche à cause des pains, et non pour ses miracles, lorsqu'on aspire au ministère sacré, non pour y pratiquer la vertu dans un degré plus excellent, mais pour un intérêt tout matériel. — BEDE. Ceux encore qui demandent dans leurs prières les biens temporels plutôt que les biens de l'éternité, cherchent Jésus, non pour Jésus, mais pour toute autre chose. Nous voyons ici, en figure, que les conciliabules des hérétiques ne peuvent avoir pour hôtes ni Jésus-Christ, ni ses disciples ; ces autres barques qui surviennent, ce sont les hérésies que l'on voit surgir tout d'un coup. Cette foule qui reconnaît que ni Jésus ni ses disciples n'étaient là, représente ceux qui, reconnaissant les erreurs des hérétiques, les abandonnent pour venir embrasser la vraie foi.

 

Vv. 28-34.
 

ALCUIN. Ils comprirent que cette nourriture, qui demeure pour la vie éternelle, c'était l'œuvre de Dieu, et ils demandent ce qu'ils doivent faire pour travailler à se procurer cette nourriture, c'est-à-dire pour opérer l'œuvre de Dieu : « Ils lui dirent donc : Que ferons-nous pour opérer les œuvres de Dieu ? » — BEDE. C'est-à-dire, quels préceptes devrons-nous observer pour accomplir les œuvres de Dieu ? — S. CHRYS. (hom. 45.) Ils lui faisaient cette question, non dans le dessein de s'instruire et d'agir en conséquence, mais pour l'amener à reproduire le miracle de la multiplication des pains. — THEOPHYL. Bien que Jésus-Christ connût parfaitement l'inutilité de ses enseignements pour ce peuple grossier, il ne laisse pas de lui répondre pour l'utilité générale ; et il lui apprend ainsi qu'à tous les hommes quelle est cette œuvre de Dieu : « Jésus répondit : L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé. » —S. AUG. (Traité 25.) Il ne dit pas : C'est que vous croyiez à lui, mais : « C'est que vous croyiez en lui. » On peut croire à Jésus-Christ, sans croire immédiatement en lui ; ainsi les démons croyaient à Jésus-Christ, sans cependant croire en lui ; ainsi nous croyons à Paul, sans pour cela croire en Paul. Croire en Jésus-Christ, c'est donc l'aimer en croyant, c'est unir la foi à l'amour, c'est s'unir à lui par la foi et faire partie du corps dont il est le chef. C'est la foi que Dieu exige de nous, et qui opère par la charité. (Gal 5) Cependant la foi est distincte des œuvres, selon la doctrine de l'Apôtre : « L'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. » (Rm 3, 28.) Il est des œuvres qui paraissent bonnes, quoique séparées de la foi en Jésus-Christ, mais elles ne le sont pas en réalité, parce qu'elles ne se rapportent pas à la fin qui les rend véritablement bonnes : « Car Jésus-Christ est la un de la loi, pour justifier tout homme qui croit. » (Rm 10) Voilà pourquoi Nôtre-Seigneur n'a pas voulu distinguer la foi des œuvres, mais qu'il a déclaré que la foi est l'ouvrage de Dieu ; car c'est la foi qui opère par la charité. Et il ne dit pas : Votre œuvre, mais : « L'œuvre de Dieu est que vous croyiez en lui, » afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur. (2 Co 10, 17.) Croire en lui, c'est donc manger la nourriture qui demeure pour la vie éternelle. Pourquoi préparer vos dents et votre estomac ? Croyez, et vous avez mangé. A cause de cette invitation que le Sauveur leur fait de croire en lui, ils répondent en demandant de nouveaux miracles pour appuyer leur foi ; car c'est le propre des Juifs de demander des miracles : « Ils lui répartirent : Quel miracle faites-vous, pour que, le voyant, nous croyions en vous ? »

 

S. CHRYS. (hom. 45.) Rien de plus déraisonnable à des hommes qui ont pour ainsi dire un miracle entre les mains, que de tenir un pareil langage, comme s'ils n'avaient jamais été les témoins d'aucun miracle. Ils ne laissent même pas au Sauveur le choix du miracle, mais ils veulent le mettre dans la nécessité de n'opérer d'autre prodige que celui qui a été fait en faveur de leurs ancêtres : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert. » — ALCUIN. Et pour ne point exposer cette manne au mépris, ils la relèvent par l'autorité du Psalmiste en ajoutant : « Ainsi qu'il est écrit : Il leur a donné à manger le pain du ciel. » (Ps 77) — S. CHRYS. (hom. 45.) Parmi tant de miracles que Dieu opéra dans l'Egypte, dans la mer Rouge, dans le désert, ils rappellent de préférence le souvenir du miracle de la manne, dont leurs instincts sensuels leur faisaient désirer le retour. Remarquez qu'ils n'attribuent point ce miracle à Dieu, pour ne point paraître égaler le Sauveur à Dieu, ils ne présentent point non plus Moïse comme en étant l'auteur, parce qu'ils ne veulent point humilier Jésus-Christ; ils échappent à cette double difficulté en disant : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert. »

 

S. AUG. (Traité 25.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur se posait comme supérieur à Moïse, car jamais Moïse n'osa dire de lui qu'il donnait la nourriture qui ne périt point. Au souvenir donc des granas miracles opérés par Moïse, ils en voulaient de plus grands encore, et semblaient dire au Sauveur : Vous promettez la nourriture qui ne périt point, et vous êtes loin de faire des miracles semblables à ceux de Moïse, ce ne sont point des pains d'orge qu'il a donnés au peuple de Dieu, mais la manne qui tombait du ciel.

 

S. CHRYS. (hom. 45.) Nôtre-Seigneur aurait pu leur répondre que Moïse avait fait de plus grands miracles que celui de la manne ; mais ce n'était pas le moment de leur parler de la sorte, il n'avait en vue qu'une seule chose, c'était de leur inspirer le désir de la nourriture spirituelle : « Jésus leur répondit donc : En vérité, en vérité, je vous le dis, Moïse ne vous a point donné le pain du ciel, » etc. La manne ne venait donc point du ciel, et si l'Ecriture dit qu'elle venait du ciel, c'est dans le même sens qu'elle appelle les oiseaux, les oiseaux du ciel (Ps 8), et qu'elle dit ailleurs : « Le Seigneur a tonné du haut du ciel. » (Ps 17 ; Qo 46.) Le Sauveur dit que la manne n'était pas un pain véritable, non pas que la manne ne fût vraiment miraculeuse, mais parce que c'était une figure et non la vérité. Remarquez encore qu'il ne se met pas en opposition avec Moïse, c'est Dieu qu'il oppose à Moïse, et il se met lui-même à la place de la manne. — S. AUG. (Traité 25.) Voici le vrai sens des paroles du Sauveur : La manne était le symbole de la nourriture dont je viens de vous parler, et toutes ces choses étaient des figures de la vérité qui devait s'accomplir en moi ; vous vous attachez aux figures, et vous n'avez que du mépris pour la vérité. C'est Dieu, en effet, qui donne le pain figuré par la manne, c'est-à-dire, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ : « Car le pain véritable est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde. » — BEDE. Le monde doit s'entendre ici non pas des éléments qui le composent, mais des hommes qui l'habitent. — THEOPHYL. Nôtre-Seigneur déclare qu'il est le pain véritable, parce que le premier et le principal objet figuré par la manne, c'était le Fils unique de Dieu fait homme. Le mot manne signifie en effet : Qu'est-ce que cela ? Car les Juifs ayant vu la manne tomber du ciel, se disaient l'un à l'autre dans leur étonnement : « Quelle chose est-ce là ? » (Ex 16) Or, le Fils de Dieu fait homme est par-dessus tout cette manne, objet d'étonnement pour les Juifs, qui se demandaient aussi les uns les autres : « Qu'est-ce que cela veut dire ? Comment le Fils de Dieu peut-il être le Fils de l'homme ? Comment deux natures ne forment-elles qu'une seule personne ? » — ALCUIN. Il est descendu des cieux en se revêtant de notre humanité, et c'est la divinité qui s'en est revêtue qui donne la vie au monde.

 

THEOPHYL. Ce pain, qui de sa nature est la vie, parce qu'il est le Fils du Dieu vivant, fait l'œuvre qui lui est propre, en donnant la vie à tout ce qui existe ; de même, en effet, que le pain matériel conserve la vie du corps, ainsi Jésus-Christ donne la vie à l'âme par les secrètes opérations de l'Esprit. Il communique même au corps un principe d'incorruptibilité, qu'il lui assure par sa résurrection, et c'est en ce sens qu'il donne la vie au monde. — S. CHRYS. (hom. 45.) Et ce n'est pas seulement aux Juifs, mais à tous les hommes répandus sur la surface de la terre. Mais ceux qui l'écoutaient ne portaient pas encore leurs pensées si haut : « Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous ce pain. » Il vient de leur déclarer que c'était son Père qui leur donnait ce pain, et ils ne lui disent pas : Priez-le de nous le donner, mais : « Donnez-nous ce pain. » À l'exemple de la Samaritaine, qui avait pris dans un sens matériel ces paroles du Sauveur : « Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif, » et qui lui disait pour se mettre à l'abri du besoin : « Donnez-moi de cette eau ; » les Juifs disent à Jésus : « Donnez-nous toujours ce pain pour nous soutenir. »

 

Vv. 35-49.
 

S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur, sur le point d'initier les Juifs à la connaissance de ses mystères, commence par établir sa divinité et leur dit : « Je suis le pain de vie, » paroles qui ne s'appliquent point à son corps, dont il dira plus tard : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair. » Il leur parle donc de sa divinité, car c'est par suite de son union avec le Verbe que la chair est un véritable pain qui devient le pain du ciel pour celui qui reçoit l'Esprit lui-même. — THEOPHYL. Il ne dit point : Je suis le pain qui sert d'aliment, mais : « Je suis le pain de vie.» Tout était devenu la proie de la mort, et c'est par lui-même que Jésus-Christ nous a rendu la vie ; et la vie que ce pain soutient et alimente n'est pas cette vie naturelle et passagère, mais la vie sur laquelle la mort n'a aucun empire. C'est pour cela qu'il ajoute : « Celui qui vient à moi, c'est-à-dire, celui qui croit en moi n'aura jamais soif. » Ces paroles : « Il n'aura jamais faim, » doivent être entendues dans le même sens que ces autres : « II n'aura jamais soif, » elles expriment ce rassasiement éternel qui ne laisse place à aucun besoin, à aucun désir.

 

THEOPHYL. Ou bien il n'aura jamais ni faim ni soif, c'est-à-dire, qu'il n'éprouvera jamais aucun dégoût, aucune langueur pour entendre la parole de Dieu, et qu'il ne souffrira jamais de la soif spirituelle, comme ceux qui n'ont point été régénérés dans l'eau du baptême et qui n'ont point été sanctifiés par l'Esprit saint.

 

S. AUG. (Traité 25.) Vous désirez donc le pain du ciel que vous avez devant vous, mais vous ne le mangez pas. « Je vous l'ai dit, vous m'avez vu et vous ne croyez point. » — ALCUIN. Si je m'exprime de la sorte, ce n'est pas que j'espère que vous chercherez à vous rassasier de ce pain, mais c'est bien plutôt pour condamner votre incrédulité qui, tout en me voyant, refuse de croire en moi. — S. CHRYS. (hom. 45.) Ou bien, Nôtre-Seigneur fait ici allusion au témoignage des Ecritures dont il a dit plus haut : « Les Ecritures rendent témoignage de moi ; » et encore à ces antres paroles : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m'avez pas reçu, » etc. Quant à ce qu'il leur dit ici : « Parce que vous m'avez vu et vous n'avez pas cru ; » il veut parler en termes couverts des miracles qu'il a opérés sous leurs yeux.

 

S. AUG. (Traité 25.) Cependant je n'ai point perdu le peuple de Dieu tout entier, parce que vous avez vu et que vous n'avez pas cru : « Car tout ce que me donne mon Père viendra à moi, et celui qui vient à moi je ne le rejetterai pas dehors. » — BEDE. Il dit en termes absolus : « Tout ce que me donne mon Père, » c'est-à-dire, la plénitude des fidèles. Ce sont ceux que le Père donné au Fils, lorsque, par une inspiration secrète, il les fait croire au Fils. — ALCUIN. Celui donc que le Père attire à la foi qui le fait croire en moi, viendra à moi par la foi pour entrer en union avec moi, et je ne rejetterai pas dehors celui que les pas de la foi et des bonnes œuvres conduiront jusqu'à moi, c'est-à-dire, qu'il demeurera avec moi dans le secret d'une conscience pure, et je finirai par le recevoir dans l'éternelle béatitude. — S. AUG. (Traité 25.) Cette retraite intérieure, d'où l'on n'est point chassé dehors, est un sanctuaire profond et une douce solitude sans aucun ennui, sans l'amertume des mauvaises pensées, sans les agitations des tentations et des douleurs, et c'est de cette retraite intérieure que Nôtre-Seigneur a voulu parler lorsqu'il dit : « Entrez dans la joie de votre maître. » (Mt 25)

 

S. CHRYS. (hom. 45.) Ces expressions : « Tout ce que me donne mon Père, » prouvent que la foi en Jésus-Christ n'est point une chose ordinaire et facile, ni qui soit l'œuvre exclusive de notre volonté, elle demande en même temps une révélation supérieure et une âme sincèrement disposée à recevoir cette révélation. Il suit de là que ceux à qui le Père ne donne point cette grâce ne sont pas à l'abri de toute accusation, car nous avons aussi besoin de notre volonté pour croire. Nôtre-Seigneur condamne en même temps leur incrédulité, en montrant que celui qui ne croit point en lui, va contre la volonté de son Père. Saint Paul dit de son côté, que c'est lui-même qui donne les fidèles à son Père : « Ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père. » (1 Co 15, 24.) Le Père, lorsqu'il donne, ne se dépouille pas de ce qu'il donne, il en est de même du Fils ; et s'il est dit de lui qu'il nous remet entre les mains de son Père, parce que c'est lui qui nous amène à son Père ; il est aussi écrit du Père : « C'est par lui que nous avons été appelés dans la société de son Fils. » (1 Jn 1) Celui donc qui croit en moi sera sauvé, car c'est pour les hommes que je suis venu sur la terre, et que je me suis incarné : « Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » Quoi donc ! est-ce que votre volonté est différente de celle de Dieu ? Nôtre-Seigneur va au-devant de cette pensée, en ajoutant : « Or, la volonté de mon Père, qui m'a envoyé, est que, quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle ; » donc c'est aussi la volonté du Fils, puisque le Fils donne la vie à ceux qu'il veut. Tel est donc le sens de ces paroles : Je ne suis point venu faire autre chose que ce que veut le Père, et je n'ai point d'autre volonté que la sienne : « Car tout ce qui est à mon Père, est également à moi ; » ce qu'il réserve de dire à la fin de son discours, car il voile de temps en temps les vérités trop relevées pour l'intelligence de ses auditeurs.

 

S. AUG. (Traité 25.) Ou bien encore, le Sauveur donne ici la raison pour laquelle il ne rejette pas dehors celui qui vient à lui : « C'est parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » L'âme est sortie de Dieu, parce qu'elle était orgueilleuse, c'est par l'orgueil que nous avons été chassés dehors, c'est par l'humilité seule que nous pouvons rentrer. Lorsqu'un médecin qui entreprend la guérison d'une maladie, guérit la maladie elle-même, sans guérir la cause qui l'a produite, la guérison n'est que momentanée, et le mal revient sous l'action de la cause qui persévère. Or, c'est pour guérir la cause de toutes les maladies ; c'est-à-dire, l'orgueil, que le Fils de Dieu est descendu des cieux, et qu'il s'est profondément humilié. Pourquoi donc vous enorgueillir, ô homme ? C'est pour vous que le Fils de Dieu s'est réduit à cet état d'humiliation. Peut-être rougirez-vous d'imiter l'exemple de l'humilité qui vous serait donné par un homme, imitez-le du moins quand cet exemple vous est donné par un Dieu, qui vous recommande si hautement l'humilité en vous disant : « Je suis venu, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé. » L'orgueil, en effet, ne veut faire que sa volonté, l'humilité, au contraire, fait la volonté de Dieu.

 

S. HIL. (de la Trin., 3) En s'exprimant de la sorte, le Sauveur ne veut point dire qu'il fait ce qu'il ne veut pas, mais il fait paraître son obéissance dans sa soumission à la volonté de son Père, volonté qu'il veut accomplir dans toute sa perfection. — S. AUG. (Traité 25.) Celui-là donc qui viendra à moi, je ne le rejetterai pas dehors, parce que je ne suis pas venu pour faire ma volonté ; humble moi-même, je suis venu enseigner l'humilité ; celui qui vient à moi s'unit et s'incorpore à moi, parce qu'il ne fait pas sa volonté, mais celle de Dieu, et c'est pour cela qu'il ne sera pas jeté dehors, car l'orgueil seul l'avait chassé dehors. On ne peut venir à moi qu'à la condition d'être humble, et on n'est rejeté dehors que par l'orgueil : celui qui pratique l'humilité ne tombe jamais des hauteurs de la vérité. Mais pour quelle raison ne jette-t-il pas dehors celui qui vient à lui, parce qu'il n'est pas venu faire sa volonté ? La voici : « Car la volonté de mon Père qui m'a envoyé, est que je ne perde aucun de ceux qu'il m'a donnés. » Celui qui est donné à Jésus-Christ est celui qui est resté fidèle à la pratique de l'humilité : « Votre Père qui est dans les cieux ne veut pas qu'il se perde un seul de ces petits. » (Mt 18, 14.) Il en peut périr parmi les orgueilleux, mais aucun de ceux qui sont petits ne périt, car il faut devenir semblable à ce petit pour entrer dans le royaume des cieux. (Mt 18, 3-5.) — S. AUG. (de la correct, et de la grâce, chap. 9) Ceux donc, qui dans les décrets de la providence de Dieu, ont été prévus, prédestinés, appelés, justifiés, glorifiés, sont déjà enfants de Dieu, avant leur seconde naissance et même avant la première, et il est impossible qu'ils périssent, parce qu'ils sont véritablement venus à Jésus-Christ. C'est lui donc qui leur donne la persévérance finale dans le bien, car elle n'est donnée qu'à ceux qui ne doivent point périr. Quant à ceux qui ne persévèrent point, leur perte est certaine.

 

S. CHRYS. (hom. 45 sur S. Jean.) Lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je ne perdrai aucun d'eux ; » ce n'est pas qu'il ait besoin d'eux, mais en s'exprimant de la sorte, il fait voir le désir qu'il a de leur salut. Après avoir dit : « Je n'en perdrai aucun, et je ne le jetterai pas dehors ; » il ajoute : « Mais je le ressusciterai au dernier jour. » C'est qu'en effet, à la résurrection générale, les méchants seront jetés dehors, selon ces paroles du Sauveur : « Prenez-le, et jetez-le dans les ténèbres extérieures. » (Mt 22 et 25) Vérité que confirment ces autres paroles : « Lui qui peut précipiter dans la géhenne l'âme et le corps. » (Mt 10) Il ramène souvent la pensée de la résurrection, pour que les hommes ne jugent pas la conduite de la Providence divine par les seules choses présentes, et pour qu'ils vivent dans l'attente d'une autre vie.

 

S. AUG. (Traités 23 et 25.) Voyez comme il parle ici en termes précis de cette double résurrection : « Celui qui vient à moi ressuscite dès maintenant, en partageant l'humilité de mes membres ; » et de plus : « Je le ressusciterai au dernier jour. » Pour expliquer davantage ce qu'il venait de dire : « Tout ce que mon Père m'a donné; » et encore : « Je ne perdrai aucun d'eux. » Nôtre-Seigneur ajoute : « Telle est la volonté de mon Père qui m'a envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle. » Il avait dit précédemment : « Celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé. » Ici au contraire : « Celui qui voit le Fils et qui croit en lui. » Il ne dit point : Et qui croit dans le Père, parce que croire dans le Fils et croire dans le Père, sont une seule et même chose ; car de même que le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même ; et ainsi celui qui voit le Fils et qui croit en lui, a la vie éternelle, en arrivant par la foi à la vie qui est comme la première résurrection. Mais cette première résurrection n'est pas la seule, aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour. »

 

Vv. 41-46.
 

S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) Les Juifs qui espéraient recevoir une nourriture matérielle, ne commencèrent à se troubler que lorsque cette espérance leur fut enlevée : « Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu'il avait dit : Je suis le pain vivant, » etc. La cause apparente de leur trouble, c'est que Nôtre-Seigneur leur déclarait qu'il était descendu du ciel, mais la cause véritable, c'est qu'ils avaient perdu l'espérance de la nourriture matérielle qu'ils attendaient. Cependant le miracle qu'il venait d'opérer leur inspirait encore pour lui quelque respect, voilà pourquoi ils n'osent le contredire ouvertement, ils se contentent de témoigner leur désapprobation par leurs murmures. Quel était l'objet de ces murmures, le voici : « Et ils disaient : Est-ce que ce n'est pas là Jésus, fils de Joseph ? » — S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Ils étaient encore loin du pain du ciel, et ils n'en connaissaient pas le désir; car ce pain exige la faim de l'homme intérieur. — S. CHRYS. (hom. 46.) Il est évident qu'ils ne connaissaient pas encore l'admirable génération du Sauveur, puisqu'ils l'appellent le fils de Joseph, et toutefois il ne leur en fait point de reproche, et ne leur dit point : Je ne suis pas le fils de Joseph, parce qu'ils étaient incapables de comprendre sa naissance miraculeuse ; car s'ils ne pouvaient comprendre sa naissance selon la chair, à plus forte raison sa naissance éternelle et ineffable. — S. AUG. (Traité 26.) Il a pris notre chair mortelle, mais non pas comme les hommes la prennent. Il avait un Père dans les cieux, et il s'est choisi une mère sur la terre ; il est né sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre. Mais quelle fut sa réponse aux murmures des Juifs ? « Jésus leur répondit : Ne murmurez, point entre vous, » c'est-à-dire : Je sais pourquoi vous n'avez point cette faim spirituelle, et pourquoi vous ne comprenez, ni ne cherchez ce pain : « C'est que personne ne peut venir à moi, si mon Père qui m'a envoyé, ne l'attire. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Nul ne vient, s'il n'est attiré ; ne cherchez point à savoir et à juger qui est attiré, et qui ne l'est pas ; pourquoi Dieu attire celui-ci plutôt que celui-là, si vous ne voulez vous égarer, et contentez-vous d'entendre cette vérité : Vous n'êtes point encore attiré, priez Dieu qu'il vous attire.

 

S. CHRYS. (hom. 46.) Les Manichéens saisissent avidement ces paroles pour nous objecter que notre libre arbitre n'a aucune puissance. Cependant Nôtre-Seigneur ne veut pas détruire ici ce qui est en nous, mais nous montrer simplement le besoin que nous avons du secours de Dieu, et il vent parler ici non de celui qui vient malgré lui, mais de celui qui rencontre de grands obstacles. — S. AUG. Si nous sommes attirés malgré nous à Jésus-Christ, c'est donc aussi malgré nous que nous croyons. C'est donc ici l'œuvre de la violence et non de la volonté ; mais on ne peut entrer dans l'Eglise qu'autant qu'on le veut, on ne peut croire que parce qu'on le veut, « car il faut croire de cœur pour obtenir la justice. » (Rm 10) Si donc celui qui est attiré vient malgré lui, il n'a point la foi ; s'il n'a point la foi, il ne vient pas. En effet, ce n'est pas en marchant que nous approchons de Jésus-Christ, mais en croyant ; ce n'est point par un mouvement de notre corps, mais par la volonté de notre cœur. C'est donc par la volonté que nous sommes attirés. Comment sommes-nous attirés par la volonté ? « Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre cœur demande. » (Ps 37) Il y a une certaine volupté du cœur pour celui qui goûte la douceur de ce pain céleste. Or, si le poète a pu dire : « Chacun est entraîné par son plaisir, » à combien plus juste titre pouvons-nous dire que l'homme qui place ses délices dans la vérité, dans la béatitude, dans la justice, dans la vie éternelle, est véritablement attiré vers le Christ ; car toutes ces choses c'est le Christ. Dira-t-on que les sens du corps ont leurs voluptés, et que l'âme n'en a point qui lui soient propres ? Donnez-moi une âme qui aime, donnez-moi une âme qui désire, une âme fervente, une âme qui se regarde comme exilée et qui ait faim et soif dans la solitude de cette vie, une âme qui soupire après la fontaine de l'éternelle patrie, et elle comprendra ce que je dis. Mais pourquoi Nôtre-Seigneur s'exprime-t-il de la sorte : « Si mon Père ne l'attire ? » S'il faut que nous soyons attirés, soyons-le par celui à qui l'Epouse des cantiques a dit: « Attirez-moi après vous. » (Ct 1) Mais examinons le véritable sens de ces paroles. Le Père attire au Fils ceux qui croient au Fils, parce qu'ils pensent qu'il a Dieu pour Père. En effet, Dieu le Père a engendré un Fils qui lui est égal, et celui qui pense et médite attentivement dans la foi de son âme, que celui en qui il met sa foi est égal au Père, est attiré par le Père vers le Fils. Arius ne voit en lui qu'une créature ; le Père ne l'a pas attiré. Photius dit que le Christ n'est qu'un homme, celui qui partage ses sentiments n'est pas attiré par le Père. Dieu le Père attire Pierre, lorsqu'il dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16) Aussi que lui répond Nôtre-Seigneur : « Ce n'est point la chair et le sang qui vous l'a révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. » Il l'attire par là même qu'il lui révèle ; car si les révélations qui ont lieu parmi les jouissances de la terre sont assez fortes pour entraîner ceux qui aiment, comment supposer que Jésus-Christ, révélé par le Père, n'ait pas la même force pour nous entraîner ? Qu'est-ce que l'âme désire plus vivement que la vérité ? Mais ici les hommes sont tourmentés par la faim et la soif de la vérité, ce n'est que dans le ciel que leurs désirs seront rassasiés, c'est pour cela que Nôtre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour. » La soif qu'il éprouve ici-bas sera rassasiée à la résurrection des morts, parce que je le ressusciterai.

 

S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Ane. Test., chap. 27) Ou bien encore, le Père attire au Fils par les œuvres qu'il faisait par le Fils. — S. CHRYS. (hom. 46.) Quelle est grande la dignité du Fils, puisqu'il ressuscite ceux que le Père lui amène, que ses œuvres ne sont point séparées de celles du Père, et qu'il nous montre ici la parfaite égalité de sa puissance avec celle du Père. Mais de quelle manière le Père attire au Fils ? la voici : « Et il est écrit dans les prophètes : Et ils seront tous enseignés de Dieu. » Voyez ici la dignité de la foi, ce n'est point des hommes, ni par le moyen des hommes, qu'elle nous est enseignée, Dieu seul en est le souverain maître, toujours prêt à répandre sur tous lès hommes ses grâces aussi bien que sa doctrine. Mais si tous sont enseignés de Dieu, comment expliquer l'incrédulité d'un certain nombre ? L'expression tous doit s'entendre de plusieurs, ou bien de tous ceux qui ont la bonne volonté. — S. AUG. (de la prédest., chap. 8) On peut encore l'entendre dans un autre sens : Lorsqu'un maître de belles-lettres est seul dans une ville, nous disons : Il enseigne les lettres à tout le monde, non pas que tous les habitants de la ville les apprennent, mais parce que ceux qui veulent les apprendre n'ont que lui pour maître ; de même nous disons ici que Dieu enseigne à tous les hommes à venir à Jésus-Christ, non pas que tous soient dociles à ses enseignements, mais parce que personne ne peut venir par une autre voie. — S. AUG. (Traité 26.) Ou bien encore, tous les hommes de ce royaume seront enseignés de Dieu, dans ce sens que les hommes ne seront point leur véritable maître. Sans doute, ce sont les hommes qui leur enseignent extérieurement la doctrine qu'ils cherchent à comprendre, mais c'est au dedans que l'intelligence en est donnée, au dedans que la lumière brille, au dedans que la révélation se fait. Le bruit de mes paroles vient frapper vos oreilles, mais si le maître intérieur n'en révèle le sens, qu'est-ce que je dis ? que sont mes paroles ? Nôtre-Seigneur dit donc aux Juifs : « Et ils seront tous enseignés de Dieu, » c'est-à-dire : Comment, Juifs, pouvez-vous me connaître, vous que le Père n'a pas enseignés ?

 

BEDE. Nôtre-Seigneur dit au pluriel : « Il est écrit dans les prophètes, » parce que tous les prophètes, remplis d'un seul et même esprit, tendaient au même but, bien que l'objet de leurs prophéties fût différent. Aussi tous les prophètes s'accordent avec chacun d'entre eux, c'est ainsi que le prophète Joël s'accorde avec le prophète qui a dit : « Ils seront tous enseignés de Dieu. » On ne trouve pas ces paroles dans Joël, mais on y lit quelque chose de semblable : « Enfants de Sion, faites éclater votre joie, livrez-vous à votre allégresse, à la présence du Seigneur votre Dieu, parce qu'il vous a donné un docteur de justice. » (Jl 2, 23.) Cependant cette pensée se trouve plus explicitement exprimée dans Isaïe, lorsqu'il dit : « Je rendrai tous tés-enfants disciples de Dieu. » — S. CHRYS. (hom. 46.) C'est qu'en effet avant Jésus-Christ, c'étaient les hommes qui enseignaient les vertus divines, maintenant, au contraire, c'est le Fils unique de Dieu et l'Esprit saint.

 

S. AUG. (de la prédestin., chap. 8) Tous ceux qui sont ainsi enseignés de Dieu, viennent au Fils, parce que le Père les a instruits et enseignés par le Fils : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui, vient à moi. » Si tout homme qui a entendu le Père et appris de lui,  vient au Fils, tous ceux qui ne l'ont pas entendu sont privés d'enseignement. Que cette école céleste dans laquelle le Père se fait entendre, et apprend à venir au Fils, est éloignée des sens de la chair ! Ce n'est point à l'oreille du corps qu'il s'adresse, mais à l'oreille du cœur, là où est le Fils lui-même, parce qu'il est le Verbe, par lequel le Père enseigne ; là où est aussi l'Esprit saint, car la foi nous apprend que les œuvres de la Trinité sont indivisibles ; cependant ce divin enseignement est attribué au Père, parce que le Fils procède de lui ainsi que le Saint-Esprit. Ainsi la grâce qui se répand secrètement dans les âmes par un effet de la bonté divine, n'est rejetée par aucune dureté de cœur, car son premier objet est de faire disparaître cette dureté de cœur. Pourquoi donc Dieu n'enseigne-t-il pas à tous les hommes à venir à Jésus-Christ ? C'est que ceux qui sont enseignés, le sont par miséricorde, tandis que ceux qui ne le sont pas en sont privés par un juste jugement. Dirons-nous que ceux qu'il n'enseigne pas veulent cependant apprendre ? On nous répondra : Et que signifient ces paroles : « O Dieu ! vous nous convertirez de nouveau vers nous, et vous nous donnerez la vie ? » (Ps 84) Et si ce n'est pas Dieu qui inspire la bonne volonté à ceux qui ne l'ont pas, pourquoi l'Eglise prie-t-elle pour ses persécuteurs, conformément au précepte que lui en fait le Seigneur ? Il n'est personne qui puisse dire : J'ai cru et c'est ma foi qui a été le principe de ma vocation, car c'est la miséricorde de Dieu qui prévient celui qui est appelé, afin qu'il puisse recevoir le don de la foi.

 

S. AUG. (Traité 26.) Voilà donc comment le Père nous attire en nous enseignant la vérité, et sans nous imposer aucune nécessité, et il n'appartient qu'à Dieu de nous attirer ainsi : « Quiconque a entendu le Père, et appris de lui, vient à moi. » Quoi donc ! est-ce que Jésus. Christ n'a rien enseigné ? Mais les hommes n'ont point vu le Père se faisant leur maître, et ils ont vu le Fils qui en remplissait les fonctions à leur égard ? C'était le Fils qui parlait, mais c'était le Père qui enseignait. Si donc moi qui ne suis qu'un homme, j'enseigne celui qui a entendu ma parole, à plus forte raison le Père enseigne celui qui a entendu sa parole ou son Verbe. C'est ce que le Sauveur nous explique parfaitement en ajoutant immédiatement : « Non que personne ait vu le Père, si ce n'est celui qui est de Dieu, » paroles dont voici le sens : Je viens de vous dire : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui ; » n'allez pas vous tenir à vous-mêmes ce langage : Nous n'avons jamais vu le Père, comment pourrons-nous être instruits par lui ? Apprenez de moi comment vous pourrez être instruits : Je connais mon Père, je viens de lui comme la parole sort de celui qui la profère, je suis non pas la parole qui retentit et qui passe, mais la parole qui demeure avec celui qui la prononce, et qui attire celui qui l'entend. — S. CHRYS. (hom. 46.) Tous nous venons de Dieu, mais Nôtre-Seigneur ne parle point ici de ce qui distingue le Fils de Dieu et lui est propre, à cause de l'esprit encore faible et grossier de ses auditeurs.

 

Vv. 47-52.
 

S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur en vient enfin à révéler, aux Juifs ce qu'il était : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle ; » c'est-à-dire, celui qui croit en moi, me possède. Qu'est-ce que me posséder ? c'est posséder la vie éternelle ; car la vie éternelle, c'est le Verbe qui était au-commencement avec Dieu, et cette vie était la lumière des hommes. La vie s'est revêtue de la mort, afin que la mort fût détruite par la vie.

 

THEOPHYL. Comme ce peuple insistait pour obtenir la nourriture corporelle, et rappelait à ce dessein le souvenir de la manne qui avait été donnée à leurs pères, le Sauveur veut leur montrer que tous les faits de la loi ancienne étaient une figure de la vérité qu'ils avaient présente sous leurs yeux, et les élève à la pensée d'une nourriture toute spirituelle, en leur disant : « Je suis le pain de vie. » — S. CHRYS. (hom. 46.) Il se donne le nom de pain de vie, parce qu'il contient le principe de notre vie, de cette vie présente et de la vie future.

 

S. AUG. (Traité 26.) Mais pour réprimer l'orgueil des Juifs qui étaient fiers de la manne qui avait été donnée à leurs pères, Jésus ajoute : Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et sont morts. » Ce sont véritablement vos pères, et vous leur êtes semblables, ils sont les pères murmurateurs d'enfants imitateurs de leurs murmures, car le plus grand crime que Dieu ait relevé contre ce peuple, ce sont ses murmures contre Dieu. Or, ils sont morts, parce qu'ils ne croyaient que ce qu'ils voyaient, et qu'ils ne croyaient ni ne comprenaient ce qui était invisible à leurs yeux. — S. CHRYS. (hom. 46.) Ce n'est pas sans dessein que le Sauveur ajoute cette circonstance : « Dans le désert, » il veut leur rappeler indirectement le peu de temps pendant lequel la manne a été donnée à leurs pères, et qu'elle ne les a pas suivis dans la terre promise. Mais les Juifs estimaient encore le miracle de la multiplication des pains comme de beaucoup inférieur au miracle de la manne, parce que la manne semblait descendre du ciel, et que le miracle de la multiplication des pains avait lieu sur la terre ; c'est pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : « Voici le pain descendu du ciel. » — S. AUG. (Traité 26.) Ce pain a été figuré par la manne, il a été figuré par l'autel de Dieu. Départ et d'autre c'étaient des symboles figuratifs ; les signes extérieurs sont différents, l'objet figuré est le même. Entendez l'Apôtre qui vous dit : « Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle. » (1 Co 10)

 

S. CHRYS. (hom. 46.) Nôtre-Seigneur relève ensuite une circonstance qui devait faire sur eux une vive impression, c'est qu'ils ont été bien plus favorisés que leurs pères que la manne n'a pas empêchés de mourir : « Voici le pain qui descend du ciel, pour que celui qui en mange ne meure point. » Il fait ressortir la différence des deux nourritures par la différence des résultats. Le pain dont il parle ici, ce sont les vérités du salut, et la foi que nous devons avoir en lui, ou bien son corps, car toutes ces choses conservent la vie de l'âme.

 

S. AUG. (Traité 26) Mais est-ce que nous qui mangeons le pain descendu du ciel, nous ne mourrons pas aussi ? Ceux qui ont mangé la manne sont morts comme nous mourrons nous-mêmes un jour de la mort du corps. Mais quand à la mort spirituelle dont leurs pères sont morts, Moïse et un grand nombre d'autres qui ont mangé la manne et qui ont été agréables à Dieu, n'y ont pas été soumis, parce qu'ils ont reçu cette nourriture visible avec des dispositions toutes spirituelles, ils l'ont désirée dans l'esprit, goûtée dans l'esprit, ils en ont été rassasiés dans l'esprit. Encore aujourd'hui nous recevons une nourriture visible, mais autre chose est le sacrement, autre chose est la vertu du sacrement. Combien qui reçoivent ce pain de l'autel, et qui meurent en le recevant ! comme le dit l'Apôtre : « Il mange et boit son jugement. » (1 Co 11) Mangez donc spirituellement ce pain céleste, apportez l'innocence au saint autel. Tous les jours vous péchez, mais que vos péchés ne soient point de ceux qui donnent la mort à l'âme. Avant d'approcher de l'autel, pesez bien ce que vous dites : Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs. Si vous les remettez véritablement, on vous remettra les vôtres. Approchez donc avec confiance, c'est du pain et non du poison qu'on vous présente : « Si quelqu'un mange de ce pain, il ne mourra point. » Mais il s'agit ici de la vertu du sacrement, et non de ce qui est visible dans le sacrement ; de celui qui se nourrit intérieurement de ce pain, et non de celui qui se contente de le manger extérieurement. — ALCUIN. Celui qui mange ce pain ne meurt pas « parce que je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. » — THEOPHYL. Il est descendu du ciel par son incarnation, il n'a donc point commencé par être homme avant de s'unir à la divinité comme le rêve Nestorius. — S. AUG. (Traité 26.) La manne est aussi descendue du ciel, mais la manne n'était que figurative, et nous avons ici la vérité. Or, ma vie, dit le Sauveur, est pour les hommes une source de vie : « Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra non-seulement dans cette vie par la foi et la justice, mais il vivra éternellement. » « Et le pain que je donnerai, est ma chair qui sera livrée pour la vie du monde. » — LA GLOSE. Le Seigneur explique ici dans quel sens il est un véritable pain, ce n'est pas seulement par sa divinité qui donne la nourriture à tout ce qui existe, mais par son humanité qui a été unie au Verbe de Dieu, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde. » — BEDE. Le Seigneur a donné ce pain lorsqu'il a livré à ses disciples le mystère de son corps et de son sang, et quand il s'est offert lui-même à Dieu son Père sur l'autel de la croix. La vie du monde dont il parle ici ne doit point s'entendre des éléments matériels qui composent le monde, mais de tous ceux que l'on comprend sous le nom de monde. — THEOPHYL. En disant : « Que je donnerai, » il fait ressortir sa puissance et prouve que s'il a été crucifié, ce n'est pas comme étant inférieur à son Père, mais de sa pleine volonté. Car bien que nous disions qu'il a été livré par son Père, cependant il s'est véritablement livré lui-même. Considérez encore que le pain que nous mangeons dans les saints mystères n'est pas seulement la figure de la chair de Jésus-Christ, mais qu'il est lui-même la vraie chair de Jésus- Christ. Car il ne dit pas : Le pain que je donnerai est la figure de ma chair, mais : « c'est ma chair. » En vertu de paroles ineffables, ce pain est changé au corps de Jésus-Christ par une bénédiction mystérieuse et par l'habitation de l'Esprit saint dans la chair de Jésus-Christ. Mais pourquoi ne voyons-nous pas cette chair ? Parce que la vue de cette chair nous inspirerait une vive horreur lorsque nous voudrions nous en nourrir. C'est donc pour condescendre à notre faiblesse que cette nourriture spirituelle nous est donnée d'une manière conforme à nos habitudes. Jésus donne sa chair pour la vie du monde, parce que c'est en mourant qu'il a détruit l'empire de la mort. Cette vie du monde, je puis l'entendre de la résurrection, car la mort du Seigneur a été pour tout le genre humain un principe de résurrection. Peut-être aussi peut-on entendre cette vie qui est le fruit de la justification et de la sanctification par l'Esprit ; car bien que tous n'aient pas reçu la vie qui consiste dans la sanctification et dans la participation de l'Esprit saint, cependant le Seigneur s'est livré pour le monde et il a fait ce qui dépendait de lui, pour que le monde tout entier fût sanctifié.

 

S. AUG. (Traité 26.) Mais comment la chair pourrait-elle comprendre que Nôtre-Seigneur ait donné le nom de pain à sa propre chair ? Les fidèles connaissent le corps de Jésus-Christ, si toutefois ils ne négligent pas de devenir eux-mêmes le corps de Jésus-Christ. Oui, qu'ils fassent partie du corps de Jésus-Christ, s'ils veulent vivre de l'esprit de Jésus-Christ. Est-ce que mon corps peut recevoir le mouvement et la vie de votre esprit ? C'est ce pain dont parle l'Apôtre, lorsqu'il dit : « Nous ne faisons tous qu'un même corps, nous qui mangeons d'un même pain. O sacrement de la piété ! O symbole de l'unité ! O lien de la charité! Celui qui veut vivre, possède ici une source de vie, qu'il approche, qu'il croie, et qu'il s'incorpore à Jésus-Christ pour recevoir la vie.

 

Vv. 53-55.
 

S. AUG. (Traité 26 sur S. Jean.) Les Juifs ne comprenaient pas quel était ce pain d'union, et c'est la raison de leurs disputes : « Les Juifs donc se disputaient entre eux, disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Pour ceux au contraire qui se nourrissent de ce pain, ils n'ont point de dispute entre eux, car c'est par la vertu de ce pain que Dieu fait habiter ensemble ceux qui n'ont qu'un même esprit. (Ps 67, 7)

 

BEDE. Les Juifs s'imaginaient que le Seigneur leur partagerait sa chair par morceaux, et la leur donnerait ainsi à manger, ils disputaient donc entre eux, parce qu'ils ne comprenaient point. — S. CHRYS. (hom. 46.) Ils prétendaient qu'il était impossible qu'il leur donnât ainsi sa chair, et il leur montre que loin d'être impossible, c'est une chose absolument nécessaire : « Et Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, » etc., c'est-à-dire vous ignorez comment ce pain peut vous être donné, et de quelle manière vous devez le manger, et cependant, je vous le déclare, si vous ne mangez ce pain, vous n'aurez point la vie en vous., etc.

 

BEDE. Et pour étendre à tous l'obligation de ce précepte il le généralise en disant : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, » etc. Or, dans la crainte de voir appliquer à la vie présente les effets de la communion à sa chair, il ajoute : « Il a la vie éternelle. » Celui donc, qui ne mange pas sa chair et ne boit pas son sang, demeure privé de cette vie. On peut jouir de la vie présente sans manger ce pain, mais pour la vie éternelle, cela est impossible. Il n'en est pas ainsi de la nourriture que nous prenons pour soutenir la vie du corps, elle est absolument nécessaire à la conservation de cette vie, et cependant elle ne peut la conserver indéfiniment, car il arrive tous les jours qu'un grand nombre de ceux qui l'ont prise meurent par suite de maladie, de vieillesse ou de quelque autre accident. Mais les effets de cette nourriture et de ce breuvage, c'est-à-dire du corps et du sang de Jésus-Christ, sont bien différents ; celui qui ne les reçoit point ne peut avoir la vie, et celui qui les reçoit a nécessairement la vie et la vie éternelle. — THEOPHYL. Car ce n'est pas seulement la chair d'un homme, c'est la chair d'un Dieu, chair qui a la puissance de rendre l'homme tout divin, en l'enivrant de sa divinité.

 

S. AUG. (de la Cité de Dieu, 21, 19.) Il en est qui s'appuient sur ces paroles pour promettre à ceux qui ont reçu le baptême du Christ, et qui participent à la réception de son corps, qu'ils seront délivrés des supplices éternels, quelle qu'ait été d'ailleurs leur vie. C'est une erreur que l'apôtre saint Paul condamne lorsqu'il dit : « Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, etc., dont je vous déclare, comme je vous l'ai déjà dit que ceux qui commettent ces crimes, ne seront point héritiers du royaume de Dieu. (Ga 5) Nous devons donc examiner avec soin dans quel sens il faut entendre les paroles du Sauveur. Celui qui fait partie de l'unité de son corps, c'est-à-dire de cette union étroite des chrétiens membres de ce corps dont les fidèles reçoivent le sacrement dans la sainte communion, mange véritablement le corps et boit .le sang de Jésus-Christ. Par conséquent, les hérétiques et les schismatiques qui sont séparés de l'unité de son corps, peuvent bien recevoir le même sacrement, mais sans aucune utilité pour eux ; je dirai plus, il leur est nuisible et il devient pour eux la cause d'un jugement rigoureux, plutôt qu'un principe de délivrance. Ceux dont les mœurs sont évidemment mauvaises et condamnables et qui par leurs impuretés ou par d'autres actions semblables, c'est-à-dire par l'iniquité de leur vie se séparent de la justice de la vie qui est Jésus-Christ, ne mangent pas véritablement le corps de Jésus-Christ, parce qu'ils ne font point partie de ses membres. Pour ne pas en dire davantage, ils ne peuvent être en même temps les membres de Jésus-Christ et les membres d'une prostituée. (1 Co 6, 15.)

 

S. AUG. (Traité 26.) Nôtre-Seigneur veut donc que dans cette nourriture et dans ce breuvage, nous voyions la société de son corps et de ses membres, c'est-à-dire l'Eglise, composée de saints que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés, et glorifiés, et de ses fidèles. Le symbole de cette vérité, c'est-à-dire, l'unité du corps et du sang de Jésus-Christ, nous est présenté tous les jours dans certains lieux, à des jours marqués dans d'autres endroits, sur la table du Seigneur, et c'est sur cette table que les fidèles prennent ce sacrement, les uns pour leur vie, les autres pour leur mort. Mais la vérité qui est elle-même figurée par ce sacrement est un principe de vie pour tous, et n'est une cause de mort pour aucun de ceux qui ont le bonheur d'y participer. Comme les Juifs auraient pu croire que la promesse de la vie éternelle faite à ceux qui prendraient cette nourriture et ce breuvage, entraînait l'affranchissement de la mort du corps, Nôtre-Seigneur prévient cette pensée en ajoutant : « Et je le ressusciterai au dernier jour, » c'est-à-dire, que son âme jouira d'abord de la vie éternelle dans le repos que Dieu a préparé aux âmes des saints, et que son corps lui-même ne sera point privé de cette vie éternelle, dont il entrera en possession au dernier jour de la résurrection des morts.

 

Vv. 56-60.
 

BEDE. Le Sauveur venait de dire précédemment : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; » il montre maintenant quelle distance sépare la nourriture et le breuvage matériel du mystère spirituel de son corps et de son sang : « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. » — S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur tient ce langage pour fortifier la foi aux enseignements qui précèdent, et bien persuader ceux qui l'écoutent, que ce n'est point ici une parabole et une figure, mais qu'il faut absolument manger le corps du Christ; ou bien son intention est de nous apprendre que la nourriture véritable est celle qui donne le salut à notre âme.

 

S. AUG. (Traité 26.) Ou bien encore, ce que les hommes cherchent dans la nourriture et la boisson, c'est d'apaiser leur faim et leur soif, or cet effet ne peut être complètement atteint qu'au moyen de cette nourriture et de ce breuvage, qui communiquent à ceux qui les prennent, l'immortalité et l'incorruptibilité, et les fait entrer dans la société des saints dans laquelle ils jouiront d'une paix absolue et de l'unité la plus parfaite. C'est pour cela que Nôtre-Seigneur nous a donné son corps et son sang sous des symboles qui nous offrent une parfaite image de cette unité. C'est ainsi que le pain résulte de l'assemblage d'un grand nombre de grains de blé, et que le vin est le produit d'un grand nombre de grains de raisin. Le Sauveur explique ensuite ce que c'est que manger sa chair et boire son sang, en ajoutant : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c'est donc demeurer en Jésus-Christ, et avoir Jésus-Christ demeurant en soi ; par conséquent, celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne demeure pas, ne mange pas sa chair et ne boit point son sang ; mais au contraire il ne mange et ne boit cet auguste mystère que pour son jugement et sa condamnation.

 

S. CHRYS. (hom. 47.) On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède : Nôtre-Seigneur avait promis la vie éternelle à ceux qui mangeraient ce pain, il confirme cette promesse par ces paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » — S. AUG. (serm. 2 sur les par. du Seig.) Il en est un grand nombre qui mangent la chair du Sauveur et boivent son sang avec un cœur hypocrite, ou qui après s'en être nourris deviennent des apostats ; peut-on dire d'eux qu'ils demeurent en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ demeure en eux ? Il y a donc une manière particulière de manger cette chair et de boire ce sang pour que nous demeurions en Jésus-Christ et que Jésus-Christ demeure en nous. — S. AUG. (de la Cité de Dieu, 12, 25.) Il faut pour cela ne point participer seulement au sacrement extérieur, mais manger véritablement le corps et boire le sang de Jésus-Christ. — S. CHRYS. (hom. 47.) Comme je suis vivant, il est évident que celui qui mangera mon corps et boira mon sang, entrera en participation de cette vie, c'est ce que le Sauveur établit en ajoutant : « Comme mon Père qui est vivant m'a envoyé, et que je vis par mon Père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi. » —S. AUG. (serm. 2 sur les par. du Seig.) C'est-à-dire, je vis comme mon Père ; il ajoute, par mon Père, pour établir sa génération et prouver indirectement que le Père était le principe de son existence. La vie qu'il promet par ces paroles : « Celui qui me mange vivra par moi, » n'est point cette vie ordinaire et commune même aux infidèles qui ne se nourrissent pas de la chair du Sauveur, mais cette vie spirituelle qui a seule quelque prix aux yeux de Dieu. La résurrection dont il parle n'est pas non plus la résurrection commune à tous les hommes, mais la résurrection glorieuse qui sera suivie des récompenses éternelles.

 

S. AUG. (Tr. 26 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne dit point : Comme je me nourris de mon Père et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi, parce qu'en effet, l'union étroite qui existe entre le Père et le Fils ne donne pas au Fils un degré supérieur de bonté, comme la participation que nous avons au Fils par l'union étroite avec son corps et avec son sang, nous rend évidemment meilleurs. Si donc Nôtre-Seigneur s'exprime de la sorte : « Je vis par mon Père, » parce qu'il vient du Père, son égalité avec le Père n'en souffre en aucune manière. Et cependant en ajoutant : « Et celui qui me mange vivra par moi, » il ne veut pas établir une parfaite égalité avec lui, mais simplement exprimer la grâce, bienfait du médiateur. Or si nous entendons ces paroles : « Je vis par mon Père ; » dans le sens de ces autres paroles : « Mon Père est plus grand que moi ; » ces autres paroles : « Comme mon Père m'a envoyé, » etc., reviennent à celles-ci : L'anéantissement qui a été la suite de mon incarnation, a eu pour fin de me faire vivre à cause de mon Père, c'est-à-dire, de lui rapporter toute ma vie comme à celui qui était plus grand que moi, et la participation à la nourriture que je donne fait que chacun vit à cause de moi.

 

S. HIL. (de la Trin., 8) Il ne reste donc aucun moyen de douter de la vérité de la chair et du sang de Jésus-Christ, la déclaration du Sauveur aussi bien que notre foi, concourent à établir que c'est véritablement sa chair et véritablement son sang ; et le principe de notre vie, c'est que nous possédons dans notre nature Jésus-Christ, qui demeure en nous par le moyen de sa chair, et qui nous donne la vie aux mêmes conditions qu'il vit lui-même par son Père. Si donc nous avons la vie par lui en vertu de sa chair, c'est-à-dire, en participant à la nature de sa chair, comment n'aurait-il pas naturellement en lui son Père selon l'esprit, puisqu'il ne vit que par son Père ? Or, il vit par son Père, parce que sa naissance ne lui a pas donné une nature différente de celle de son Père.

 

S. AUG. (Traité 26.) Or, ce pain est descendu ciel afin que nous puissions recevoir la vie en le mangeant, nous qui de nous-mêmes ne pouvions prétendre à la vie éternelle : « C'est ici, dit Nôtre-Seigneur, le pain qui est descendu du ciel. » — S. HIL. (de la Trin., 10) Il se donne ici le nom de pain, et il déclare que ce pain est sa chair, pour prévenir la pensée que la puissance et la nature du Verbe aient éprouvé quelque amoindrissement par leur union avec la chair, car par-là même que ce pain descend du ciel, il prouve clairement que son corps n'est point le produit d'une conception ordinaire, mais qu'il a une origine divine. Et comme il nous déclare que ce pain c'est lui-même, il prouve par-là que le Verbe s'est uni à un corps véritable. — THEOPHYL Ce n'est pas Dieu seul que nous mangeons dans ce sacrement, puisqu'il est impalpable et incorporel ; ce n'est pas non plus la chair d'un simple mortel qui ne nous servirait de rien. Mais comme Dieu s'est uni notre chair, sa chair est un principe de vie ; ce n'est pas qu'elle ait été transformée et qu'elle soit devenue la nature de Dieu, mais de même que le fer embrasé conserve sa nature du fer, et possède en même temps la propriété du feu, ainsi la chair du Seigneur est devenue une. chair vivifiante comme étant la chair du Verbe de Dieu.

 

BEDE. Pour montrer la distance qui sépare l'ombre de la lumière, la figure de la vérité, il ajoute : « Ce n'est pas comme vos pères, qui ont mangé la manne et qui sont morts. » — S. AUG. (Tr. 26.) Cette mort doit être entendue de la mort éternelle, car ceux mêmes qui mangent le corps du Christ, ne sont pas exempts de la mort du corps, mais ils reçoivent en échange la vie éternelle, parce que Jésus-Christ est la vie éternelle. — S. CHRYS. (hom. 47 sur S. Jean.) Dieu a bien pu sans moisson, sans provision de blé et sans le secours d'autres aliments, leur conserver la vie pendant quarante ans, combien plus facilement pourrait-il le faire' à l'aide de cette nourriture spirituelle dont la manne était la figure ? Le Sauveur fait souvent des promesses de vie, parce que rien n'est plus agréable aux hommes ; dans l'Ancien Testament, Dieu promettait une longue vie, maintenant Jésus-Christ nous promet une vie qui ne doit point avoir de fin. Il nous fait voir en même temps qu'il a révoqué la sentence qui nous livrait à la mort en punition de nos péchés, et qu'il l'a remplacée par la promesse de la vie éternelle : Jésus dit ces choses dans la synagogue, lorsqu'il enseignait à Capharnaüm, où il avait opéré un grand nombre de miracles. Il enseignait dans la synagogue et dans le temple pour attirer le peuple à lui et lui prouver qu'il n'était pas en opposition avec Dieu le Père.

 

BEDE. Dans le sens mystique, Capharnaüm dont le nom signifie très-belle campagne représente le monde, comme la synagogue est la figure du peuple juif, et le Sauveur nous apprend ici qu'en apparaissant au monde dans le mystère de son incarnation il a enseigné au peuple juif un grand nombre de vérités que ce peuple a comprises.

 

Vv. 61-72.
 

S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Les Juifs ne crurent pas que ces paroles de Jésus renfermaient de sublimes vérités, et recouvraient un grand mystère de grâce, ils les entendirent à leur manière, dans un sens tout naturel, et comme si Jésus devait leur partager et leur distribuer par morceaux la chair dont le Verbe s'était revêtu : « Plusieurs donc, non point de ses ennemis, mais de ses disciples, l'entendant, dirent : Ces paroles sont dures. » — S. CHRYS. (hom. 47.) C'est-à-dire qu'elles étaient difficiles à comprendre, et dépassaient la portée de leur intelligence. Ils s'imaginaient que le Sauveur tenait un langage bien supérieur à sa puissance, et ils se disaient : « Qui peut l'écouter ? » cherchant par là à justifier leur conduite inexcusable. — S. AUG. (Traité 27.) Mais si les disciples de Jésus trouvèrent ces paroles dures, que durent en penser ses ennemis ? Et cependant il fallait leur enseigner cette vérité bien que tons ne dussent pas la comprendre ; le secret de Dieu doit exciter l'attention et ne point soulever d'opposition. — THEOPHYL. Par ces disciples qui murmuraient, il ne faut point comprendre ceux qui étaient réellement et véritablement ses disciples, mais ceux qui paraissaient extérieurement prendre part à ses enseignements, car parmi ses véritables disciples, il se trouvait un certain nombre d'hommes qui passaient pour ses disciples, uniquement parce qu'on les voyait depuis longtemps avec eux. — S. AUG. (Traité 27.) Ils faisaient cette réflexion entre eux, de manière à ne pas être entendus, mais Jésus qui connaissait les pensées les pins intimes de leur cœur les entendait en lui-même : « Or Jésus connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit : Cela vous scandalise ? » — ALCUIN. C'est-à-dire ce que je viens de vous enseigner, la nécessité de manger ma chair et de boire mon sang.

 

S. CHRYS. (hom. 47.) Une des preuves de sa divinité, c'était de révéler publiquement le secret des cœurs. Il ajoute : « Donc, quand vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » Suppléez : Que direz-vous ? C'est la réflexion qu'il avait déjà faite à Nathanaël : « Parce que je vous ai dit : Je vous ai vu sous le figuier, vous croyez ; vous serez témoin de plus grandes choses. » Nôtre-Seigneur n'ajoute pas ici difficultés sur difficultés, mais il veut les attirer par la grandeur et le nombre des vérités sublimes qu'il leur enseigne. S'il leur avait dit simplement tout d'abord qu'il était descendu du ciel, sans rien ajouter de plus, il aurait augmenté le scandale de ceux qui l'écoutaient ; il suit donc une marche toute différente, il déclare que sa chair est la vie du monde, que de même qu'il a été envoyé par son Père vivant, il vit aussi par son Père, et c'est alors qu'il ajoute qu'il est descendu du ciel pour faire disparaître toute espèce, de doute. Ce n'est donc point pour scandaliser ses disciples, c'est au contraire pour détruire le scandale que ses paroles avaient fait naître qu'il s'exprime de la sorte. Tant qu'ils ne voyaient en lui que le Fils de Joseph, ses paroles n’avaient pour eux aucune autorité ; ceux au contraire qui croiraient qu’il était descendu du ciel, et qu'il devait y remonter, prêteraient une attention plus grande à ses enseignements. — S. AUG. (Traité 27.) Ou bien encore, il résout la difficulté qui les troublait ; ils s'imaginaient qu’il donnerait son corps par morceaux, et il leur dit qu'il remontera tout entier dans le ciel : « Que sera-ce donc lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » Certes vous comprendrez alors qu'il ne donne pas son corps de la manière que vous pensez et qu'on ne peut consumer par la bouche le mystère de sa grâce. Le Christ n'a commencé à être le Fils de l'homme que sur la terre par sa naissance de la Vierge Marie, lorsqu'il se fut revêtu d'une chair mortelle ; pourquoi donc s'exprime-t-il de la sorte : « Lorsque vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant ? » C'est qu'il voulait nous faire comprendre que le Christ Dieu et homme tout à la fois, ne forme qu'une seule personne et non pas deux, et que l'objet de notre Foi doit être non pas la quaternité, mais la Trinité. Le Fils de l'homme était donc dans le ciel, comme le Fils de Dieu était sur la terre. Il était sur la terre le Fils de Dieu dans la chair qu'il s'était unie, il était le Fils de l'homme dans le ciel par suite de l'unité de personne. — THEOPHYL. N'allez pas croire pour cela que le corps de Jésus-Christ soit descendu du ciel comme l'enseigne l'hérésie de Marcion et d'Apollinaire, le Fils de Dieu et le Fils de l'homme ne sont qu'une seule et même personne.

 

S. CHRYS. (hom. 47.) Nôtre-Seigneur donne encore une autre solution : « C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. » Voici le véritable sens de ces paroles : Il faut entendre spirituellement ce que je viens de dire de moi, si vous prenez mes paroles dans un sens charnel, vous n'en retirerez aucune utilité. Or entendre ces paroles dans un sens charnel, c'est ne voir que ce qui frappe les yeux sans aller au delà. Ce n'est pas ainsi qu'il en faut juger, il faut considérer les mystères avec les yeux intérieurs et les entendre toujours spirituellement. C'était au contraire les entendre dans un sens charnel, que de formuler ce doute. Comment pourra-t-il nous donner sa chair à manger ? Quoi donc, est-ce qu'il ne nous donne pas sa véritable chair ? Sans aucun doute, il nous la donne ; si donc il déclare que la chair ne sert de rien, il ne veut point parler de sa chair, mais de ceux qui donnaient à ses paroles une interprétation toute charnelle. — S. AUG. (Traité 27.) Ou bien encore, la chair ne sert de rien, dans le sens des Capharnaïtes qui s'imaginaient que cette chair serait comme la chair d'un cadavre qu'on démembre ou qu'on vend au marché, et ne comprenaient pas que cette chair était remplie de l'esprit de Dieu et de la vie delà grâce. Quel esprit s'unisse à la chair, alors la chair est d'une grande utilité. Car si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. C'est donc à l'esprit qu'il faut rapporter ce qui a été opéré par la chair pour notre salut.— S. AUG. (de la Cité de Dieu, 10, 24.) Ce n'est point évidemment par elle-même que la chair purifie noire âme, mais parle Verbe qui s'en est revêtu, et qui étant le principe de toutes choses, s'est uni à la fois à une âme et à un corps pour purifier l'âme et la chair de ceux qui croiraient en lui. C'est donc l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, de la manière qu'ils l'entendaient, ce n'est pas ainsi que je la donne à manger, et ce n'est pas dans ce sens tout charnel que nous devons goûter cette chair. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » — S. CHRYS. (hom. 47.) C'est-à-dire elles sont toute spirituelles, elles n'ont rien de charnel, elles ne sont point soumises aux effets naturels, et sont eu dehors de toute nécessité terrestre et de toutes les lois d'ici bas. — S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Si vous entendez ces paroles spirituellement, elles sont esprit et vie pour vous, si vous les entendez dans un sens charnel, elles sont encore esprit et vie, mais non point pour vous. Nous avons dit précédemment que la fin que s'est proposée Nôtre-Seigneur en nous donnant sa chair à manger et son sang à boire c'est que nous, demeurions en lui et qu'il demeure en nous ; or, la charité seule peut produire cet effet, et la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné. (Rm 5) C'est donc l'esprit qui vivifie.

 

S. CHRYS. (hom. 47.) Après avoir signalé cette interprétation charnelle et grossière, Nôtre-Seigneur ajoute : « Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point. » En disant : « Quelques-uns, il excepte ses disciples, en même temps qu'il prouve sa puissance divine en révélant le secret des cœurs. — S. AUG. (Traité 27 sur S. Jean.) Il ne dit pas : Il en est parmi vous qui ne comprennent pas, mais il indique la cause de leur défaut d'intelligence, car le prophète a dit : « Si vous ne commencez par croire, vous ne comprendrez point. » Comment celui qui résiste peut-il être vivifié ? Il est l'ennemi du rayon de lumière qui veut le pénétrer, il en détourne les yeux, il lui ferme son âme. « Qu'ils croient donc et qu'ils ouvrent leur âme, et ils seront comblés de lumière. — S. CHRYS. (hom. 47) Et remarquez que ce n'est point après leurs murmures et le scandale qu'ils ont pris des paroles du Sauveur, qu'il a connu les dispositions de leur cœur, car l'Evangéliste prend soin d'ajouter : « Jésus savait, dès le commencement, qui étaient ceux qui ne croyaient point. » — THEOPHYL. Il nous apprend ainsi qu'avant même la création du monde, il connaissait toutes choses, ce qui était une preuve évidente de sa divinité.

 

S. AUG. (Traité 27) Après avoir fait la distinction de ceux qui croient d'avec les incrédules, Nôtre-Seigneur remonte à la cause pour laquelle ils ne croient point : « C'est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père. » — S. CHRYS. (hom. 47) C'est-à-dire je ne suis ni troublé ni surpris de ce que quelques-uns ne croient point, car je connais ceux à qui mon Père a fait cette grâce. Il s'exprime ainsi pour leur prouver qu'il ne cherchait en aucune façon la gloire qu'ils pouvaient lui donner, et pour les bien convaincre que son Père n'était pas Joseph, mais Dieu lui-même. — S. AUG. (Traité 27.) La foi est donc un don de Dieu, et un don d'une grande importance. Or, si ce don est aussi grand et aussi précieux, réjouissez-vous d'avoir la foi, mais n'en concevez pas d'orgueil, « car qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ? » (l Co 4) — S. AUG. (de la prédest. des saints, chap. 9) Que ce don de la foi soit accordé aux uns et refusé aux autres, c'est ce qu'on ne peut nier sans se mettre en opposition avec les témoignages les plus incontestables de la sainte Ecriture. Le chrétien ne doit pas s'étonner que ce don ne soit pas accordé à tous, dès lors qu'il croit que le péché d'un seul a été le juste sujet de la condamnation de tous les hommes, à ce point qu'on ne pourrait adresser à Dieu aucun juste reproche quand même un seul homme n'échapperait pas à cette sentence de mort. C'est donc par l'effet d'une grâce tout à fait extraordinaire qu'un grand nombre sont arrachés à la damnation. Mais pourquoi l'un est-il plutôt sauvé que l'autre ? c'est là un effet des jugements incompréhensibles de Dieu et de ses voies impénétrables. (Rm 11, 33.)

 

« De ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent et ne marchaient plus dans sa compagnie. » — S. CHRYS. (hom. 47.) L'Evangéliste ne dit pas précisément qu'ils l'abandonnèrent, mais qu'ils marchèrent en arrière, c'est-à-dire, qu'ils cessèrent de suivre les enseignements du Sauveur avec de bonnes dispositions et qu'ils perdirent la foi qu'ils avaient pu avoir auparavant. — S. AUG. (Traité 27 sur S, Jean.) Ils perdirent la vie en se séparant du corps, parce que peut-être ils n'en firent jamais partie, et ils doivent être rangés parmi les incrédules, bien qu'ils parussent être du nombre des disciples de Jésus. Ce fut en grand nombre qu'ils se retirèrent de Jésus-Christ pour marcher à la suite de Satan, comme l'Apôtre le dit de certaines femmes de son temps : « Déjà quelques-unes se sont égarées pour suivre Satan. » Quant à Pierre, Nôtre-Seigneur ne le repousse point en le renvoyant à la suite de Satan, mais il lui commande seulement d'aller derrière lui.

 

S. CHRYS. (hom. 46 sur S. Jean.) On demandera peut-être quelle utilité pouvaient avoir ces discours, puisqu'ils étaient bien plutôt un sujet de scandale que d'édification. Nous répondons qu'ils avaient une immense utilité. Les Juifs recherchaient avec empressement la nourriture du corps, ils rappelaient le souvenir de la manne donnée à leurs pères, Notre-Seigneur leur apprend donc que ce n'étaient là que des figures, et il leur suggère l'idée de la nourriture spirituelle. Il n'y avait là aucune raison pour eux de se scandaliser, et ils devaient se contenter de l'interroger. La cause de leur scandale doit donc être tout entière attribuée à leurs mauvaises dispositions plutôt qu'à l'obscurité de la doctrine du Sauveur. — S. AUG. (Traité 27.) Peut-être aussi Dieu permit-il ce scandale pour notre consolation ; il arrive en effet quelquefois qu'un homme dit la vérité sans parvenir à se faire comprendre, ceux qui l'entendent se scandalisent et se retirent ; cet homme regrette alors d'avoir fait connaître la vérité, et il se dit : Je n'aurais pas dû parler de la sorte. C'est ce qui arrive ici à notre Sauveur, il fait connaître la vérité, et il perd un grand nombre de disciples ; cependant il ne s'en trouble point, parce qu'il savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croiraient point. Si donc nous sommes soumis à la même épreuve, n'en soyons point troublés, cherchons notre consolation en Nôtre-Seigneur, cependant que la prudence dirige toutes nos paroles.

 

BEDE. Notre-Seigneur savait parfaitement si les autres disciples avaient l'intention de s'en aller; cependant il les interroge pour faire ressortir leur foi et la proposer comme modèle aux autres : « Jésus dit donc aux douze : Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? » — S. CHRYS. (hom. 47.) C'est en effet le moyen le plus convenable pour les attirer à lui. S'il leur avait prodigué les éloges, ils y eussent été par trop sensibles, et se seraient persuadés qu'en restant fidèles à Jésus-Christ, ils lui rendaient un grand service. Il se les attache donc bien plus fortement, en leur montrant qu'il n'a que faire de leur obéissance et de les voir marcher à sa suite. Toutefois il ne leur dit pas : Allez-vous en, (ce qui eût été les renvoyer,) mais il leur demande s'ils veulent s'en aller, il leur donne toute liberté, il ne veut pas qu'un certain sentiment de pudeur les retienne à sa suite, le suivre par nécessité est pour lui comme s'ils l'abandonnaient. Or, Pierre qui aimait ses frères et professait un ardent amour pour le Sauveur, répond pour tout le collège apostolique : « Mais Simon Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? » — S. AUG. (Traité 21) Il semble dire : Est-ce que vous nous renvoyez ? Donnez-nous donc un autre à qui nous puissions aller, si nous venons à vous quitter. — S. CHRYS. (hom. 47.) Ces paroles montrent le grand amour des vrais disciples de Jésus pour leur divin Maître ; ils le mettaient dans leur esprit et dans leur cœur bien au-dessus de leurs pères et de leurs mères. Et s'il parlait ainsi, ce n'est point dans la crainte que personne ne voulût les recevoir, après qu'ils auraient quitté Jésus, c'est pourquoi il ajoute : « Vous avez les paroles de la vie éternelle. » Il montre ainsi qu'il se rappelle les paroles du Seigneur : « Je le ressusciterai au dernier jour; » et encore : « Il aura la vie éternelle. » Les Juifs disaient : « C'est le fils de Joseph, » Pierre, au contraire, s'écrie : « Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. — S. AUG. (Traité 27.) Nous avons cru pour connaître, car si nous avions voulu connaître avant de croire, nous n'aurions été capables ni de connaître, ni de croire. Nous avons cru et nous avons connu que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, c'est-à-dire, que vous êtes la vie éternelle, et que c'est vous-même que vous nous donnez dans votre chair et dans votre sang.

 

S. CHRYS. (hom. 47.) Pierre venait de dire : « Et nous avons cru. » Nôtre-Seigneur excepte Judas du nombre des croyants : « Jésus leur répondit : Ne vous ai-je pas choisis tous les douze ? Et cependant parmi vous il y a un démon, » c'est-à-dire, ne croyez point, parce que vous vous êtes rangés à ma suite, que je m'abstienne de reprendre ceux qui sont mauvais. Mais pourquoi les disciples restent-ils ici dans le silence, eux qui plus tard diront en tremblant : « Est-ce moi, Seigneur ? » Jésus n'avait pas encore dit à Pierre : « Retire-toi de moi, Satan. » (Mt 16) Ces paroles ne lui inspirent donc aucune crainte. D'ailleurs Nôtre-Seigneur ne dit pas : Un de vous me trahira, mais : « Un de vous est un démon. » Ils ne comprenaient donc pas la portée de cette expression et n'y voyaient qu'une parole de blâme tombant sur les mauvaises dispositions de l'un d'eux. Les incrédules font ici à Jésus-Christ un reproche insensé, car le choix qu'il fait d'un homme ne lui impose aucune violence, aucune nécessité, et notre salut comme notre perte sont subordonnés à notre volonté.

 

BEDE. On peut dire encore que le Sauveur s'est proposé des fins différentes dans la vocation de Judas et dans celle des onze autres Apôtres. Il a choisi les onze pour les faire persévérer dans la dignité d'Apôtres ; il a choisi Judas pour que sa trahison fût l'occasion du salut du genre humain. — S. AUG. (Traité 27.) Judas a été choisi pour devenir l'instrument d'un grand bien qu'il ne voulait pas et qu'il ne connaissait même pas ; car de même que les impies font servir au mal les œuvres bonnes de Dieu, Dieu au contraire sait faire servir au bien les actions coupables des hommes. Quoi de pire que Judas ? et cependant le Seigneur a su tirer le bien du crime qu'il a commis, et il a souffert d'être trahi par lui pour nous racheter. On peut encore entendre autrement ces paroles : « Je Vous ai choisis au nombre de douze, » dans ce sens que c'est le nombre consacré de ceux qui devaient annoncer aux quatre points du monde le mystère de la Trinité ; or, ce nombre n'a perdu ni sa gloire ni son caractère sacré, parce que l'un d'entre eux s'est perdu, puisqu'un autre lui a succédé.

 

S. GREG. (Moral., 13, 12.) Lorsque Notre-Seigneur dit d'un de ses disciples livré au mal : « L'un de vous est un démon, » il donne le nom du chef à un de ses membres, comme l'Evangéliste l'explique en ajoutant : « Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon, car c'était lui qui devait le trahir, quoiqu'il fût un des douze. » — S. CHRYS. (hom. 47.) Admirez la sagesse de Jésus-Christ, il ne fait point connaître ce disciple infidèle, de peur que perdant toute retenue, il ne lui fît une guerre ouverte ; il ne veut point non plus que ses dispositions restent entièrement cachées, ce qui, en l'affranchissant de toute crainte, l'aurait rendu plus audacieux dans l'exécution de son crime.

 

 

CHAPITRE VII
 

Vv. 1-8.
 

S. AUG. (Traité 28 sur S. Jean.) Les fidèles disciples de Jésus-Christ devaient dans la suite chercher dans des retraites cachées un asile contre la fureur de leurs persécuteurs, et c'est pour justifier cette fuite prudente, que Nôtre-Seigneur veut donner dans le chef l'exemple que devaient un jour suivre les membres : « Après cela, Jésus parcourut la Galilée, car il ne voulait point aller en Judée, parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir. » — BEDE. La liaison que ces paroles : « Après cela, » semblent établir entre ce chapitre et le précédent, n'est pas tellement étroite, qu'on ne puisse supposer dans l'intervalle on grand nombre d'événements intermédiaires. Or, la Judée et la Galilée sont des provinces de la Palestine, la Judée tire son nom de la tribu de Juda, et cependant ce nom de Judée ne fut pas seulement donné à la contrée occupée par la tribu de Juda, mais à celle qui était échue à la tribu de Benjamin, parce que c'est de la Judée que les rois tiraient leur origine. La Galilée, au contraire, fut ainsi appelée de la blancheur du teint qui distingue ses habitants, car le mot grec ????, signifie lait en latin.

 

S. AUG. (Traité 28.) L'Evangéliste s'exprime ici comme si Nôtre-Soigneur ne pouvait parcourir la Judée sans être mis à mort par les Juifs. Il manifesta, lorsqu'il le voulut, la puissance divine qui était en lui, mais il n'avait point perdu cette puissance, parce qu'il voulait servir d'exemple à notre faiblesse. — S. CHRYS. (hom. 48.) Disons encore que Nôtre-Seigneur faisait paraître en lui tour à tour les caractères de sa divinité et de son humanité, il fuyait ses persécuteurs en tant qu'homme, et il se manifestait à eux comme Dieu, puisqu'il était à la fois l'un et l'autre.

 

THEOPHYL. Il se retire pour le moment dans la Galilée, parce que le temps de sa passion n'était pas encore venu. Il regardait donc comme inutile de demeurer au milieu de ses ennemis, pour ne point augmenter la haine qu'ils avaient contre lui. L'Evangéliste nous fait connaître ensuite à quelle époque de l'année on se trouvait alors : « Or, la fête des Juifs, dite Scénopégie ou des Tabernacles, était proche. »

 

S. AUG. (Traité 28.) Ceux qui ont lu les saintes Ecritures savent ce que c'est que cette fête des Tabernacles. Pendant cette fête, les Juifs se construisaient des tentes semblables à celles que leurs pères avaient habitées, en traversant le désert après leur sortie d'Egypte. Ils célébraient cette fête en souvenir des bienfaits du Seigneur, eux qui bientôt devaient, mettre à mort le Seigneur. L'Evangéliste appelle cette fête un jour de fête bien qu'elle durât, non pas un jour seulement, mais sept jours consécutifs.

 

S. CHRYS. (hom. 48.) Nous avons ici une preuve que l'Evangéliste passe sous silence un temps assez long de la vie du Sauveur. Lorsqu'on effet, Nôtre-Seigneur s'assit sur la montagne, on était près de la fête de Pâques, ici c'est la fête des Tabernacles qui était proche, et saint Jean ne mentionne d'autre fait dans les cinq mois intermédiaires entre ces deux fêtes, que le miracle de la multiplication des pains, et le discours que le Sauveur fit à ceux qu'il avait miraculeusement nourris. Il faut en conclure que les Evangélistes ne pouvaient raconter tous les miracles que le Seigneur ne cessait de faire, non plus que tous ses discours, mais qu'ils s'attachaient de préférence à ce qui était, de la part des Juifs, l'objet d'une dispute ou d'une contradiction quelconque, comme nous le voyons ici. — THEOPHYL. Ses frères, voyant qu'il n'était pas disposé à aller à Jérusalem, lui dirent : « Quittez ce pays et allez en Judée. » — BEDE. C'est-à-dire, vous faites des miracles devant un petit nombre de témoins, allez dans la ville royale où se trouvent les princes de la nation, pour recueillir la gloire qu'ils ne peuvent manquer d'accorder à l'auteur de si grands prodiges. Comme tous les disciples de Jésus ne marchaient pas à sa suite, et qu'il en était un grand nombre dans la Judée, ils ajoutent : « Afin que vos disciples voient eux aussi les œuvres que vous faites. » — THEOPHYL. C'est-à-dire la multitude qui s'empresse autour de vous, car ils ne veulent point parler ici des douze, mais de ceux qui accompagnaient ordinairement le Sauveur.

 

S. AUG. (Traité 28.) Par les frères du Seigneur, vous ne devez entendre que les parents de Marie, et non aucun autre fils né de son sein ; car de même que ni avant ni après la mort du Sauveur aucun corps ne fut placé dans le sépulcre où avait été déposé son corps sacré, ainsi le sein virginal ne porta aucun autre enfant soit avant soit après la naissance de Jésus : Les œuvres du Seigneur n'étaient point cachées pour les disciples du Seigneur, mais elles demeuraient voilées pour ceux dont il est ici question. Aussi écoutez leur langage : « Afin que vos disciples eux aussi voient les œuvres que vous faites. » C'est le langage de la prudence de la chair au Verbe qui est fait chair ; ils ajoutent : « Car personne n'agit en secret, lorsqu'il désire être connu. » c'est-à-dire, vous opérez des prodiges, faites-les en présence des hommes pour recueillir leurs louanges. En lui parlant de la sorte, ils semblaient épouser les intérêts de sa gloire ; mais comme ils recherchaient une gloire tout humaine, ils ne croyaient pas en lui : « Car ses frères mêmes, dit l'Evangéliste, ne croyaient pas en lui. » Ils étaient unis à Jésus-Christ par les liens du sang, mais cette parenté fut pour eux un obstacle volontaire qui les empêcha de croire en lui.

 

S. CHRYS. (hom. 48.) C'est une chose digne d'admiration de voir que les Evangélistes, dans leur amour pour la vérité, n'ont pas craint de raconter les faits qui paraissaient les plus défavorables à leur Maître, et se sont même attaché à en conserver le souvenir. En effet, l'incrédulité de ses frères ne paraissait pas fort honorable pour le Sauveur. Le langage qu'ils lui tiennent parait inspiré par l'amitié, mais il est empreint d'un profond sentiment d'aigreur, et ils l'accusent à la fois de timidité et d'amour de la vaine gloire : « Personne, disent-ils, n'agit en secret. » Voilà l'accusation de crainte et de timidité, et en même temps l'expression d'an doute sur la vérité de ses miracles. Ils ajoutent : « Lorsqu'il désire d'être connu, » voilà le reproche d'aimer la vaine gloire. Cependant Jésus leur répond avec douceur, et nous enseigne par sa conduite à ne point nous irriter des conseils qui peuvent nous être donnés par des hommes peu estimables. Mais Jésus leur dit : « Mon temps n'est pas encore venu, pour vous votre temps est toujours prêt. »

 

BEDE. Ces paroles pourraient paraître contraires à ce que dit l'Apôtre : « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; » etc. (Ga 4) il faut donc les rapporter non pas au temps de la naissance du Sauveur, mais à celui où il devait être glorifié. — S. AUG. (Traité 28.) Ils lui donnent le conseil de rechercher la gloire, obéissant en cela à des inspirations mondaines et terrestres, et ne pouvant souffrir que le Sauveur restât dans l'obscurité et l'oubli. Mais Jésus veut au contraire frayer par l'humilité le chemin qui conduit à la gloire : « Il leur dit donc : Mon temps (c'est-à-dire le temps de ma gloire, où je viendrai juger le monde avec majesté), n'est pas encore venu, mais votre temps (c'est-à-dire le temps de la gloire du monde), est toujours prêt. » Puisque nous sommes le corps du Seigneur, lorsque les partisans du monde nous insultent, répondons-leur : « Votre temps est toujours prêt, notre temps n'est pas encore arrivé ; » notre patrie est sur les hauteurs, le chemin qui nous y conduit est humble : celui qui refuse de suivre le chemin, c'est en vain qu'il cherche la patrie.

 

S. CHRYS. (hom. 48.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur fait allusion aux dispositions secrètes de ceux qui lui tenaient ce langage. Peut-être avaient-ils l'intention de le trahir et de le livrer aux Juifs ; il leur dit donc : « Mon temps n'est pas encore venu (c'est-à-dire le temps de ma croix et de ma mort) ; mais votre temps est toujours prêt, car vous êtes bien toujours au milieu des Juifs, » mais ils ne vous mettront point à mort, puisque vous partagez leurs sentiments. C'est pourquoi il ajoute : « Le monde ne saurait vous haïr, mais il me hait, parce que je rends de lui le témoignage que ses œuvres sont mauvaises. » C'est-à-dire, comment voulez-vous que le monde haïsse ceux qui n'ont point d'autres volontés que les siennes, et obéissent aux mêmes inclinations ? Pour moi, au contraire, il me hait, parce que je le reprends de ses vices. Je suis si loin de rechercher la gloire des hommes, que je me fais un devoir de leur adresser de sévères reproches, bien que je sache qu'ils en concevront une haine violente, et qu'ils chercheront à me faire mourir. Nous avons ici une preuve que la cause de la haine des Juifs contre le Sauveur, n'était point la transgression du sabbat, mais les reproches publics qu'il leur adressait.

 

THEOPHYL. On peut dire encore que le Seigneur fait ici deux réponses aux deux accusations dont il était l'objet, on l'accusait de se laisser dominer par la crainte, et il répond en disant qu'il censure publiquement les œuvres du monde, c'est-à-dire les œuvres des mondains, ce qui n'est point le fait d'un homme accessible à la crainte. Il répond au reproche de vaine gloire, en les envoyant eux-mêmes à la fête : « Pour vous, allez à cette fête. » S'il avait été l'esclave de la vaine gloire, il les eût retenus près de lui, car ceux qui sont dominés par cette passion aiment à se voir environnés d'un grand nombre de personnes. — S. CHRYS. (hom. 48.) Il s'exprime de la sorte, pour leur montrer que son intention n'est pas de les flatter, et qu'il leur laisse accomplir les observances légales. — S. AUG. Ou bien : « vous allez à cette fête où vous cherchez la gloire humaine, où vous voulez augmenter les joies de la chair au lieu de penser aux joies éternelles. Pour moi, je n'y vais point, parce que mon temps n'est pas encore accompli. » — S. CHRYS. (hom. 48.) C'est-à-dire, je n'y vais point avec vous, parce que mon temps n'est pas encore accompli, car ce n'était qu'à la fête de Pâque suivante qu'il devait être crucifié. — S. AUG. (Traité 28.) Ou bien encore, mon temps, c'est-à-dire le temps de ma gloire n'est pas encore venu, ce sera là mon véritable jour de fête, non pas une fête passagère et transitoire comme les fêtes d'ici-bas, mais une fête qui durera éternellement ; ce sera la fête et la joie sans fin, l'éternité sans travail, la sérénité sans nuages.

 

Vv. 9-13.
 

THEOPHYL. Le Seigneur ayant déclaré qu'il n'irait pas à la fête avec ses frères, refuse tout d'abord d'y aller pour ne point s'exposer à la colère des Juifs qui avaient juré sa perte : « Ayant dit ces choses, il demeura en Galilée. » Et il s'y rendit ensuite lui-même : « Et lorsque ses frères furent partis, il alla aussi lui-même à la fête. » — S. AUG. (hom. 28.) Il n'y est point conduit par un vain désir de gloire humaine, il n'a d'autre but que de leur donner de salutaires enseignements, et de leur rappeler la pensée de la fête éternelle. — S. CHRYS. (hom. 48 et 49 sur S. Jean.) Ou bien, il se rend à cette fête, non pour souffrir, mais pour instruire. Il y vient secrètement, il aurait pu sans doute s'y rendre publiquement, et maîtriser les efforts désordonnés de leur colère, comme il le fit souvent dans d'autres circonstances, mais il ne voulait pas faire un usage continuel de sa puissance, pour ne pas dévoiler sa divinité d'une manière trop éclatante, pour rendre plus certain le mystère de son incarnation, et nous enseigner la pratique de la vertu. C'est donc pour nous apprendre ce que nous devons faire, à nous, qui ne pouvons arrêter les efforts de nos persécuteurs, qu'il se rend secrètement à cette fête. L'Evangéliste ne dit pas : En secret, mais : « Comme en secret, » pour nous montrer qu'il agissait ici par un dessein tout particulier de sa Providence. En effet, s'il avait toujours agi comme Dieu, comment pourrions-nous savoir ce que nous devons faire, lorsque nous sommes aux prises avec les dangers ? — S. AUG. (Traité 28.) Ou bien encore, il monte secrètement, parce qu'il ne cherche pas la faveur des hommes, et ne prend point plaisir à se voir entouré du glorieux cortège de la multitude qui aurait marché à sa suite. BEDE. Dans le sens mystique, nous voyons ici que pendant que des hommes charnels cherchent avec empressement la gloire humaine, le Seigneur reste dans la Galilée, dont le nom signifie transmigration, c'est-à-dire qu'il demeure dans ses membres qui passent des vices aux vertus, et font de grands progrès dans la perfection. Le Seigneur se rend lui-même à Jérusalem, parce que les membres du Christ cherchent non pas la gloire de cette vie ; mais celle de la vie éternelle. Mais il s'y rend en secret, parce que toute sa gloire vient de l'intérieur (Ps 44), c'est-à-dire, d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère. (1 Tm 1, 5) — S. AUG. (Traité 28.) On peut dire encore qu'en se rendant comme en secret à cette fête, Jésus a voulu nous donner une leçon mystérieuse. Toutes les lois et les prescriptions imposées au peuple ancien, et par conséquent la fête des Tabernacles, étaient la figure des choses futures ; or, tout ce qui était pour eux figure, est devenu pour nous une réalité. Jésus se rend donc à cette fête comme en secret, pour figurer qu'il demeurait comme voilé. Au jour même de la fête, le Sauveur demeura caché, parce que ce jour de fête figurait l'exil des membres de Jésus-Christ. N'est-ce pas, en effet, habiter comme dans des tentes, que de regarder cette vie comme un pèlerinage et un exil ? Or, la Scénopégie était la fête des Tabernacles ou des tentes.

 

« Les Juifs donc le cherchaient pendant la fête, et disaient : Où est-il ? » — S. CHRYS. (hom. 49.) La haine et l'aversion qu'ils ont pour lui les empêchent même de prononcer sou nom. « Où est-il ? » Quel grand respect pour la fête, quel esprit de religion ! ils veulent profiter de cette solennité pour se saisir frauduleusement du Sauveur.

 

« Et il y avait une grande rumeur dans le peuple à son sujet. » — S. AUG. (Traité 28.) Cette rumeur était produite par la diversité des opinions que l'Evangéliste nous fait connaître : « Les uns disaient, c'est un homme de bien ; non, disaient les autres, il séduit la foule. » Ainsi qu'un homme se distingue par quelque mérite extraordinaire, tel est le jugement qu'on portera de lui ; les uns diront : C'est un homme de bien ; les autres : Il séduit le peuple. Mais quelle consolation pour un chrétien, de penser que ce qu'on dit de lui on l'a dit auparavant de Jésus-Christ ! En effet, s'ils donnent au mot séduire le sens de tromper, il est évident que Jésus-Christ n'est pas un séducteur ; mais si séduire, c'est simplement amener quelqu'un par la persuasion à son sentiment, il faut pour apprécier cette action, examiner d'où l'on part et où l'on arrive. Celui qui entraîne du bien au mal est un mauvais séducteur ; celui qui ramène du mal au bien est un bon séducteur, et plût à Dieu qu'on nous appelle et que nous soyons en effet des séducteurs de cette sorte. — S. CHRYS. (hom. 49.) A mon avis, c'était le peuple qui le proclamait un homme de bien, tandis que l'opinion défavorable était celle des chefs du peuple et des prêtres, comme le prouve d'ailleurs leur manière de s'exprimer, car ils ne disent pas : Il nous séduit, mais : « Il séduit la foule. »

 

« Cependant personne ne parlait ouvertement en sa faveur par crainte des Juifs. » C'était surtout ceux qui disaient : « C'est un homme de bien, » plutôt que ceux qui le traitaient de séducteur; ces derniers s'exprimaient plus ouvertement, tandis que les autres ne disaient qu'à voix basse : « C'est un homme de bien. » — S. CHRYS. (hom. 49.) Voyez la corruption des chefs de la nation, et la timidité du peuple qui leur est soumis ; il a des idées plus droites, et il n'ose les manifester, ce qui est un des caractères de la multitude.

 

Vv. 14-19.
 

S. CHRYS. (hom. 49.) Nôtre-Seigneur, en ne se rendant pas à la fête dans les premiers jours, mais vers le milieu de la fête, comme l'Evangéliste le remarque, voulait par ce retard rendre les Juifs plus attentifs à sa doctrine. En effet, ceux qui l'avaient cherché dans les premiers jours, en le voyant tout à coup sous leurs yeux, quelles que fussent d'ailleurs leurs dispositions, qu'ils le considérassent comme un homme de bien ou comme un séducteur, étaient naturellement portés à donner une plus grande attention à ses enseignements, les uns pour admirer sa doctrine, et en profiter, les autres pour le surprendre et se saisir de sa personne. — THEOPHYL. Dans les premiers jours de la fête, l'attention était presque tout entière à la solennité elle-même ; mais dans les jours suivants, les esprits étaient plus disposés à écouter attentivement le Sauveur. — S. AUG. (Traité 28.) Cette fête, comme le récit le donne à entendre, se célébrait durant plusieurs jours; voilà pourquoi l'Evangéliste dit : « Vers le milieu de la fête, » c'est-à-dire, lorsqu'il restait encore autant de jours qu'il s'en était écoulé. Nôtre-Seigneur agit de la sorte pour tenir la parole qu'il a donnée : « Je ne vais point à ce jour de fête que vous m'indiquez, » c'est-à-dire le premier ou le second, mais il se rend à Jérusalem vers le milieu de la fête. — S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., quest. 78.) Jésus se rendit alors à Jérusalem, moins pour la solennité que pour manifester sa divine lumière. Ses parents s'y rendirent pour y jouir des plaisirs de cette fête, mais le vrai jour de fête pour Jésus-Christ, fut celui où il racheta le monde par sa passion.

 

S. AUG. (Traité 29) Voilà celui qui avait voulu d'abord se couvrir des voiles de l'obscurité qui enseigne, et parle en public, et personne ne s'empare de lui, car s'il a voulu rester caché, c'est pour notre instruction, et s'il se manifeste, c'est pour donner des preuves de sa puissance. — S. CHRYS. (hom. 49.) Quel était le sujet de son enseignement ? L’Evangéliste n'en dit rien, il rapporte seulement qu'il instruisait d'une manière admirable, car son enseignement-avait un tel caractère d'autorité, que ceux mêmes qui l'accusaient de séduire le peuple étaient complètement changés et dans un profond étonnement : « Et les Juifs étonnés disaient : Comment sait-il les Ecritures, puisqu'il ne les a pas apprises ? » Voyez comme leur étonnement est plein de malice ; l'Evangéliste ne nous dit pas en effet que ce fut sa doctrine qui excitât leur étonnement, c'était une autre cause, le désir de savoir comment il pouvait avoir tant de science. — S. AUG. (Traité 28.) Tous sans doute partageaient cet étonnement, mais tous ne se convertissaient pas. Et d'où venait donc cet étonnement ? C'est qu'un grand nombre d'entre eux connaissaient le lieu de sa naissance et le genre de son éducation. Ils ne l'avaient jamais vu apprendre les lettres, et ils l'entendaient cependant discuter la loi, citer les textes de la loi, ce qu'on ne peut faire sans avoir lu la loi, que personne ne peut lire avant d'avoir fait des études littéraires, et c'est ce qui causait leur étonnement.

 

S. CHRYS. (hom. 49.) Cette incertitude et ce doute devaient leur faire conclure que la science du Sauveur n'était pas d'origine humaine, mais qu'elle était divine. Ils ne vont pas au delà de l'étonnement, parce qu'ils ne veulent pas tirer cette conclusion. Nôtre-Seigneur va donc s'en charger : « Jésus lui répondit : Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé. » — S. AUG. (Traité 29) Il semble y avoir une contradiction dans ces paroles : « Ma doctrine n'est pas la mienne, mais la doctrine de celui qui m'a envoyé. » S'il avait dit : Cette doctrine n'est pas la mienne, il n'y aurait eu aucune difficulté. Quelle est donc la doctrine du Père, si ce n'est le Verbe du Père ? Jésus-Christ est donc la doctrine du Père, s'il est le Verbe du Père. Mais comme le Verbe ou la parole doivent nécessairement avoir un auteur, Nôtre-Seigneur s'identifie avec sa doctrine, et déclare cependant qu'elle n'est pas de lui, parce qu'il est le Verbe du Père. Qu'y a-t-il de plus à vous que vous-même ? Et qu'y a-t-il de moins à vous que vous-même, si vous tenez d'un antre tout ce que vous avez ? En un mot, voici ce que le Sauveur a voulu dire : « Ma doctrine n'est pas de moi. » Ce qui revient à cette proposition : Je ne viens pas de moi-même. » Ces paroles renversent l'hérésie des Sabelliens, qui ont osé avancer que le Fils était le même que le Père, et qu'il y avait deux noms pour exprimer une seule chose. — S. CHRYS. (hom. 49.) Ou bien encore, il dit : « Ma doctrine, » parce qu'il l'avait enseignée, et il déclare qu'elle n'est pas de lui, parce que c'était la doctrine du Père. Mais si tout ce qui appartient au Père lui appartient également, dès lors que cette doctrine est la doctrine du Père, elle devrait être la sienne ? Sans doute, mais en disant : « Elle n'est pas la mienne. » Il affirme énergiquement que son Père et lui n'ont qu'une seule et même doctrine ; comme s'il disait : Il n'y a aucune différence entre la doctrine de mon Père et la mienne ; et dans mes paroles comme dans mes actions, je fais en sorte qu'on ne remarque rien qui soit contraire, soit aux paroles, soit à la manière d'agir de mon Père. — S. AUG. (De la Trin., 1, 12.) Ou bien encore, il dit qu'elle est sa doctrine dans un sens, et qu'elle ne l'est pas dans un autre sens ; si on le considère comme Dieu, c'est sa doctrine ; si on le considère comme homme, elle n'est plus sa doctrine, mais celle de son Père. — S. AUG. (Traité 29.) Si l'intelligence dé ces paroles laisse encore à désirera quelques-uns, qu'ils écoutent le conseil que leur donne le Sauveur : « Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu. » Mais, que signifient ces paroles : « Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu ? » C'est-à-dire, s'il veut croire en Jésus-Christ, car il a dit lui-même précédemment : « L'œuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu'il a envoyé ; » or, qui ne sait qu'accomplir la volonté de Dieu, c'est faire son œuvre ? De même encore, connaître c'est comprendre. Ne cherchez donc pas à comprendre pour arriver à la foi, mais commencez par croire pour arriver à l'intelligence, car si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. (Is 5, 9, selon la vers. des Sept.) — S. CHRYS. (hom. 49.) Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : Bannissez de vos cœurs la colère, l'envie, la haine que vous nourrissez injustement contre moi, et rien alors ne vous empêchera de connaître que mes paroles sont-les paroles mêmes de Dieu. Il apporte ensuite une autre preuve non moins forte qu'il puise pour notre instruction dans la conduite ordinaire des hommes : « Celui qui parle de soi-même cherche sa propre gloire, » c'est-à-dire, celui qui veut établir une doctrine qui lui est personnelle, n'a point d'autre but que d'acquérir de la gloire. Si donc je cherche la gloire de celui qui m'a envoyé, pour quelle raison voudrais-je vous enseigner une doctrine étrangère ? c'est le sens des paroles qui suivent : « Mais qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé est digne de foi, et il n'y a point en lui d'imposture. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, je suis digne de foi, parce que ma doctrine est l'expression de la vérité, il n'y a point en moi d'imposture, parce que je ne cherche pas à usurper la gloire d'autrui. — S. AUG. (Traité 29.) Celui qui cherche sa propre gloire est un Antéchrist. Nôtre-Seigneur nous a donné un grand exemple d'humilité, lorsque s'étant rendu semblable à nous par ce qui a paru de lui au dehors, il a cherché non point sa gloire, mais celle de son Père ; pour vous, au contraire, faites-vous quelque bonne action, vous n'y cherchez que votre gloire ; faites-vous le mal, vous le rejetez injustement sur Dieu. — S. CHRYS. (hom. 49.) Remarquez donc qu'une des causes de ce langage si humble dans la bouche du Sauveur, c'est de bien persuader les Juifs qu'il ne désire ni la gloire, ni la puissance ; c'est aussi de s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs, et enfin d'enseigner aux hommes la fuite de l'orgueil et la pratique de l'humilité dans les pensées comme dans les paroles.

 

Vv. 20-24.
 

S. CHRYS. (hom. 49 sur S. Jean.) Les Juifs formulaient deux accusations contre Jésus-Christ, l'une qu'il violait le sabbat, l'autre qu'il appelait Dieu son Père, et se faisait ainsi l'égal de Dieu. Il confirme cette dernière proposition en montrant qu'il n'est nullement opposé à Dieu, et qu'il enseigne la même doctrine. Quant à la violation du sabbat, voici comment il y répond : « Est-ce que Moïse ne vous a pas donné la loi ? et personne de vous n'accomplit la loi, » paroles dont voici le sens : La loi dit : Vous ne tuerez pas, et cependant vous vous rendez coupables de meurtre, comme il le leur reproche ouvertement : « Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir ? » c'est-à-dire, supposons que j'aie violé la loi en guérissant cet homme, au moins cette transgression a-t-elle eu pour objet de le sauver ; vous, au contraire, vous violez le sabbat pour commettre le mal ; je vous récuse donc pour juges dans cette question. Il leur oppose donc deux moyens de défense, et en leur reprochant de chercher à le mettre à mort, et en leur prouvant que le meurtre qu'ils méditent, les rend indignes de se constituer les juges d'un autre. — S. AUG. (Traité 30.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur leur parle de la sorte, parce que s'ils observaient la loi, ils auraient trouvé et reconnu Jésus-Christ dans les Ecritures, et ne chercheraient point à le mettre à mort, alors qu'il est au milieu d'eux. La réponse que fait la foule au Sauveur, lui est inspirée non par le désir de la paix, mais par un esprit de désordre : « Le peuple lui répondit : Vous êtes possédé du démon, qui cherche à vous mettre à mort ? » Ils accusent d'être possédé du démon celui qui chassait les démons. Mais le Seigneur, sans se troubler, et avec ce calme que donne la vérité, ne leur rend pas injure pour injure, et leur fait une réponse pleine de modération. — BEDE. Il nous donne ici un exemple de la patience avec laquelle nous devons supporter les fausses accusations dont nous sommes victimes, sans faire connaître la vérité qui peut nous justifier, et en nous contentant de donner de salutaires avis : « Jésus répliqua et leur dit : J'ai fait une seule œuvre (le jour du sabbat), et vous en êtes tous surpris. » — S. AUG. (Traité 29.) C'est-à-dire, que serait-ce s'il vous était donné de voir toutes mes œuvres ? Ses œuvres, c'était tout ce qu'ils voyaient dans le monde, mais ils ne voyaient pas celui qui a fait toutes choses. Il a fait une seule œuvre sous leurs yeux, il a guéri un homme le jour du sabbat, et ils en sont tous surpris, comme si tout malade, guéri le jour du sabbat, pouvait l'être par un autre que celui dont ils se sont scandalisés, parce qu'il avait rendu la santé à un homme le jour du sabbat. — S. CHRYS. (hom. 49.) « Vous êtes surpris, étonnés, » c'est-à-dire, vous êtes en proie au trouble, à l'agitation. Voyez avec quelle prudence il raisonne contre eux en s'appuyant sur la loi même. Il veut leur prouver qu'en guérissant cet homme, il n'a point transgressé la loi, car il est beaucoup d'autres points plus importants que le précepte du sabbat, et dont l'observation accomplit la loi, loin de la violer. Il ajoute donc : « Cependant Moïse vous a donné la circoncision (bien qu'elle soit non de Moïse, mais des patriarches), et vous la pratiquez le jour du sabbat. » — S. AUG. (Traité 29.) Comme s'il leur disait : Vous avez bien fait en recevant la circoncision, non point parce qu'elle vient de Moïse, mais des patriarches. Ce fut, en effet, Abraham qui, le premier, reçut du Seigneur le précepte de la circoncision : « Et vous pratiquez la circoncision le jour même du sabbat. » Vous êtes convaincus par Moïse lui-même, la loi vous fait un devoir de circoncire les enfante le huitième jour, elle vous oblige également à vous abstenir d'œuvre servile le septième jour. Si le huitième jour qui suit la naissance d'un enfant, tombe justement le septième jour de la semaine, vous ne laissez pas de le circoncire, parce que la circoncision est un moyen de salut, et qu'il n'est pas défendu aux hommes de travailler à leur salut le jour du sabbat. — ALCUIN. La circoncision a été établie pour trois raisons, la première pour être un signe de la grande foi d'Abraham ; la seconde pour être un signe distinctif entre les Juifs et les autres nations ; la troisième, afin que la circoncision qui était faite sur l'organe de la virilité, rappelât l'obligation d'observer la chasteté du corps et de l'âme. La circoncision conférait alors la même grâce que le baptême confère aujourd'hui, avec cette différence que la porte du ciel n'était pas encore ouverte. Nôtre-Seigneur tire donc la conclusion des propositions qui précèdent : « Or, si un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, pour ne pas violer la loi de Moïse, comment vous indignez-vous contre moi, parce que le jour du sabbat, j'ai rendu un homme sain dans tout son corps ? » — S. CHRYS. C'est-à-dire, violer la loi du sabbat pour donner la circoncision, c'est observer la loi ; c'est ainsi que j'ai moi-même observé la loi en guérissant un homme le jour du sabbat ; et vous qui n'êtes point des législateurs, vous défendez la loi outre mesure. Moïse, au contraire, ordonne de transgresser la loi pour observer un précepte qui ne vient pas de la loi, mais qui a été donné aux patriarches. En disant : « J'ai rendu un homme sain tout entier, » il montre que la circoncision ne rendait l'homme sain qu'en partie.

 

S. AUG. (Traité 30.) Peut-être encore cette circoncision était la figure du Seigneur, car qu'est-ce que la circoncision, sinon le dépouillement de la chair ? Elle signifiait donc que le cœur était dépouillé de toutes les convoitises charnelles. Et ce n'est pas sans raison que la circoncision était opérée sur le membre qui sert à la génération, « car c'est par un seul homme que le péché est entré dans le monde. » (Rm 5) Tout homme naît avec le prépuce de sa chair, parce qu'il naît avec le vice qu'il tire de son origine, et c'est par Jésus-Christ seul, que Dieu le purifie, soit de ce vice originel, soit de ceux qu'il ajoute volontairement par une vie criminelle. La circoncision s'opérait avec des couteaux de pierre, et la pierre est la figure de Jésus-Christ. La circoncision avait lien le huitième jour, parce que c'est après le septième jour de la semaine que Nôtre-Seigneur est ressuscité le dimanche. C'est cette même résurrection qui nous circoncit, c'est-à-dire qui nous dépouille de tous les désirs charnels. Comprenez donc que cette circoncision était la figure de cette bonne oeuvre, par laquelle j'ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat, je l'ai guéri pour rendre la santé à son corps, et sa foi lui a procuré la santé de l'âme. La loi vous interdit les œuvres serviles le jour du sabbat. Est-ce donc une œuvre servile que de guérir un homme le jour du sabbat ? Vous mangez et vous buvez le jour du sabbat, parce que le soin de votre santé l'exige, et vous prouvez ainsi que ce qui est nécessaire à la conservation de la santé n'est nullement défendu le jour du sabbat.

 

S. CHRYS. (hom. 49.) Nôtre-Seigneur ne dit pas : J'ai fait une œuvre plus grande que la circoncision, il se contente d'exposer le fait, et leur en laisse l'appréciation : « Ne jugez pas selon l'apparence, mais jugez selon la justice. » C'est-à-dire, vous avez pour Moïse une plus grande estime que pour moi, mais ce n'est point sur l'importance des personnes que vous devez appuyer votre jugement, c'est sur la nature même des choses ; car c'est là juger selon la justice. Or, personne n'a accusé Moïse d'avoir ordonné que le précepte d'observer le jour du sabbat, le céderait au précepte de la circoncision qui avait été établi en dehors de la loi. Moïse doit donc être plus digne de foi à vos yeux, lui qui vous commande de violer la loi pour observer un commandement établi antérieurement à la loi.

 

S. AUG. (Traité 30.) La recommandation que fait ici Nôtre-Seigneur, de ne point juger d'après les personnes, est très-difficile à observer en ce monde. Cet avertissement qu'il donne aux Juifs, il nous le donne à nous-mêmes. C'est pour nous que toute parole importante, tombée des lèvres du Sauveur, a été écrite, qu'elle est conservée, et qu'elle est répétée. Le Seigneur est dans les cieux, mais il continue d'être la vérité sur la terre : le corps qu'il a ressuscité peut n'être que dans un seul lien, mais sa vérité est répandue par toute la terre. Quel est donc celui qui ne juge point sur l'apparence et d'après les personnes ? Celui qui a pour tous les hommes une même charité. Ce n'est pas que nous ayons à craindre de faire acception de personnes, lorsque nous rendons aux hommes les honneurs qui sont dus à leur position. Ainsi, par exemple, un père est en litige avec son fils, nous ne rendons pas au fils un honneur égal à celui du père, nous lui faisons simplement justice, si sa cause est bonne. Egalons le père au fils dans la vérité, et de cette manière nous rendrons à chacun l'honneur qui lui est dû, sans sacrifier les droits de la justice et de l'équité.

 

Vv. 25-30.
 

S. AUG. (Traité 31 sur S. Jean.) L'Evangéliste nous a dit précédemment que Nôtre-Seigneur se rendit à cette fête comme en secret, non pas dans la crainte qu'on se saisit de sa personne, lui qui, par sa puissance, était à l'abri de tonte violence, mais pour figurer qu'il était comme caché dans ce jour de fête célébré par les Juifs, et qu'elle renfermait son mystère. Il fait maintenant éclater son pouvoir qu'on regardait comme de la timidité, et il parle publiquement au milieu de la fête, de manière que le peuple en est tout étonné : « Alors quelques-uns de Jérusalem commencèrent à dire, » etc. Ils connaissaient avec quelle méchanceté on cherchait à s'emparer de lui, et ils s'étonnaient de la puissance qui le dérobait à la violence de ses ennemis. — S CHRYS. (hom. 50.) L'Evangéliste dit : « Quelques-uns de Jérusalem, » parce qu'en effet, c'étaient ceux sous les yeux desquels il avait opéré ses plus grands miracles, qui se conduisaient de la manière la plus misérable, et qui, témoins d'une des plus grandes preuves de sa divinité, laissaient toute liberté aux chefs corrompus de leur nation, pour l'accomplissement de leurs projets. Quelle plus grande preuve, en effet, de la puissance divine du Sauveur, que de voir ces hommes ivres de fureur, et qui cherchaient à le mettre à mort, s'arrêter tout à coup et laisser tomber leur colère, alors qu'il était en leur pouvoir ?

 

S. AUG. (Traité 31.) Le peuple qui ne comprenait point parfaitement encore la puissance du Sauveur, attribua cette modération des chefs de la nation à la connaissance qu’ils avaient que Jésus était le Christ : « Les princes du peuple, dirent-ils, auraient-ils reconnu qu'il est vraiment le Christ ? » — S. CHRYS. (hom. 50.) Cependant loin de partager ce sentiment qu'ils prêtent aux princes du peuple, ils émettent leur opinion personnelle aussi fausse qu'insensée : « Celui-ci, cependant, nous savons d'où il est, mais quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est. » — S. AUG. (Traité 30.) Cette opinion ne s'était point produite sans fondement parmi les Juifs. Les Ecritures ont prédit que le Christ serait appelé Nazaréen ; (Mt 2) elles ont donc annoncé le lieu d'où il viendrait. Les Juifs, interrogés par Hérode, lui ont répondu qu'il devait naître à Bethléem, ville de Juda, et ont cité à l'appui un témoignage prophétique. D'où pouvait donc venir cette opinion parmi les Juifs, que lorsque le Christ viendrait, personne ne saurait d'où il viendrait ? C'est que les Ecritures avaient exprimé ces deux vérités, elles avaient prédit d'où il viendrait comme homme, mais en tant que Dieu, son avènement restait caché aux impies, et ne se dévoilait qu'aux âmes pieuses. Ce qui avait donné lieu à cette opinion parmi les Juifs, c'était cette prophétie d'Isaïe : « Qui racontera sa génération ? » (Is 8) Nôtre-Seigneur répond en affirmant les deux choses, et qu'ils savaient d'où il était, et qu'ils ne le savaient pas : « Jésus enseignait donc à haute voix dans le temple, disant : Et vous savez qui je suis, et vous savez d'où je suis ; » c'est-à-dire, vous savez d'où je suis, et vous ne le savez pas. Vous savez d'où je suis, Jésus de Nazareth dont vous connaissez les parents, car la seule chose qu'ils ignoraient ici, c'est l'enfantement virginal de sa mère, et sauf cette circonstance, ils connaissaient en Jésus tout ce qui avait rapport à son humanité. C'est donc avec raison qu'il leur dit : « Et vous savez qui je suis, et vous savez d'où je suis, » selon la chair, et cette forme humaine dont je suis revêtu, mais comme Dieu : « Je ne suis pas venu de moi-même, mais celui qui m'a envoyé est véritable. » — S. CHRYS. (hom. 50.) C'est ainsi qu'il révèle les secrètes pensées de leur cœur : Je ne suis pas, semble-t-il leur dire, du nombre de ceux qui sont venus sans mission comme sans raison, celui qui m'a envoyé est véridique, et s'il est véridique, il m'a envoyé dans la vérité, et par conséquent celui qu'il a envoyé doit être également digne de foi. Il les convainc ensuite par leurs propres paroles. Ils disaient : « Lorsque le Christ sera venu, personne ne saura d'où il vient, » et il leur prouve qu'il est véritablement le Christ, parce qu'il vient du Père qu'ils ne connaissaient pas, comme il le leur reproche : « Et vous ne le connaissez pas. »

 

S. HIL. (de la Trin., 6) Est-ce que tout homme, bien qu'il ait reçu de Dieu une naissance qu'on peut appeler charnelle, ne vient pas de Dieu, selon l'opinion commune ? Comment donc le Sauveur peut-il nier que les Juifs sachent ce qu'il est, ou bien d'où il vient, s'il n'a ici dans l'esprit l'auteur même de sa nature ? Il fait voir la nature d'où il provient, en affirmant qu'ils ignorent d'où il vient. On ne peut ignorer, en effet, d'où vient ce qui est tiré du néant, car par là même qu'où sait que cette chose a été tirée du néant, on n'ignore pas le principe de son existence. Mais pour le Sauveur, ils ignorent ce qu'il est, parce qu'ils ignorent d'où il vient. Ce n'est point reconnaître le Fils, que de nier sa naissance éternelle, et on ne reconnaît point sa naissance quand on croit qu'il a été tiré du néant.

 

S. CHRYS (hom. 50) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur veut parler ici de l'ignorance qui se traduit par les œuvres, et dont saint Paul a dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs œuvres. (Tt 1, 16.) Remarquez que le Sauveur les confond de deux manières : premièrement, il révèle an grand jour ce qu'ils n'osaient dire qu'en secret, et en second lieu il les enseigne et les confond à haute voix pour les couvrir de honte.

 

S. AUG. (Traité 31) Enfin, il leur indique le moyen qu'ils doivent prendre pour savoir ce qu'il est et d'où il vient : « Moi je le connais, dit-il (celui qui m'a envoyé), c'est donc à moi qu'il faut vous adresser pour le connaître vous-mêmes ; » car personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. (Mt 11) Et si je dis que je ne le connais point, je serai semblable à vous, c'est-à-dire un menteur. — S. CHRYS. (hom. 50.) Or, cela est impossible, celui qui m'a envoyé est véridique, il est donc nécessaire que son envoyé soit également véridique et digne de foi ; partout il s'attribue exclusivement la connaissance du Père, parce qu'il vient du Père. C'est pour cela qu'il ajoute : « Moi je le connais, parce que je suis de lui. » — S. HIL. (de la Trin., 6) Je me demande si ce qui vient du Père, dans le sens du Sauveur, a le caractère de création ou de génération. Si c'est une création, toutes les choses créées viennent de Dieu, et comment se fait-il que toutes ces choses ne connaissent point le Père, alors que le Fils affirme qu'il le connaît, par cela seul qu'il vient de lui ? Si, au contraire, la connaissance du Père est le privilège spécial et réservé de ce qui vient de lui, comment ce qui vient de lui pourrait-il n'être pas le vrai Fils de Dieu ayant avec lui une même nature ? Le privilège de la connaissance vient donc ici du privilège de la génération, mais de peur que l'hérésie n'interprète ces paroles : « Parce que je suis de lui, » de son avènement temporel, il ajoute : « Et il m'a envoyé. » Il conserve ainsi l'ordre des mystères que nous révèle l'Evangile, il proclame à la fois sa naissance et sa mission. — S. AUG. (Traité 31.) Je suis de lui, parce que je suis le Fils qui vient du Père, mais en tant que vous me voyez revêtu d'un corps mortel, c'est lui qui m'a envoyé, paroles où il faut voir non la diversité de nature, mais l'autorité de celui qui a engendré.

 

S. CHRYS. (hom. 50.) Les Juifs furent irrités de ce que le Sauveur leur reprochait de ne point connaître le Père, alors qu'ils faisaient semblant d'avoir cette connaissance : « Ils cherchaient donc à le prendre, » etc. Voyez comme leur fureur se trouve invisiblement enchaînée. Cependant l'Evangéliste, pour parler un langage plus rapproché de nos idées et plus conforme à l'humilité du Sauveur, et confirmer la foi à son incarnation, ne dit pas qu'il les retint par une puissance invisible, mais a parce que, dit-il, son heure n'était pas encore venue. » — S. AUG. (Traité 30.) C'est-à-dire, parce qu'il ne le voulait pas, car le Seigneur n'a pas été soumis au destin à sa naissance ; vous-même n'y avez pas été soumis, combien moins celui par lequel vous avez été fait ? Si votre heure n'est autre que sa volonté, que sera son heure si ce n'est cette même volonté ? L'heure dont il est ici question n'est donc pas celle où il serait forcé de mourir, mais où il daignerait se soumettre à la mort.

 

Vv. 31-36.
 

S. AUG. (Traité 31 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur sauvait de préférence les pauvres et les humbles : « Beaucoup d'entre le peuple crurent en lui, » etc. Le peuple, en effet, reconnut- aussitôt ses infirmités, et embrassa sans retard les moyens de guérison qui lui étaient offerts. — S. CHRYS. (hom. 50.) Cependant sa foi n'était pas encore pure, et son langage était bien le langage vulgaire de la multitude : « Et ils disaient : Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que celui-ci ? » Ce langage, en effet : « Lorsque le Christ viendra, » n'indiquait pas qu'ils croyaient bien fermement que Jésus fut le Christ ; ou bien si l'on veut, c'était dans leur esprit une espèce de preuve qu'il le fût, comme s'ils disaient : Lorsque le Christ viendra, sera-t-il supérieur à celui-ci, et fera-t-il un plus grand nombre de miracles ? Le peuple, en effet, se laissé bien plus facilement gagner par l'éclat des miracles que par l'excellence de la doctrine. — S. AUG. (Traité 3l.) Ou bien ils veulent dire : S’il ne peut y avoir deux christs, celui-ci doit nécessairement l'être. Mais les princes du peuple, loin de partager ce sentiment, se livraient aux transports d'une fureur insensée. Non-seulement ils refusaient de reconnaître le médecin, mais ils voulaient le mettre à mort : « Les pharisiens entendirent que le peuple murmurait ainsi à son sujet, et ils envoyèrent des gardes pour le prendre. » — S. CHRYS. (hom. 50.) Bien des fois précédemment, il leur avait annoncé sa doctrine, et jamais ils ne s'étaient portés à cette extrémité. Ce qui les blessait au vif, c'est que le peuple glorifiait Jésus comme le Christ ; la violation du sabbat n'était que le prétexte qu'ils mettaient en avant. Ils n'osent cependant eux-mêmes s'emparer de sa personne, dans la crainte du danger qu'ils pourraient courir, et ils délèguent ce soin à leurs gardes, comme étant habitués à braver les dangers.

 

S. AUG. (Traité 31) Comme ils ne pouvaient se saisir du Sauveur contre sa volonté, leur mission n'eut d'autre effet que de les rendre témoins de ses enseignements : « Jésus donc leur dit : Je suis encore avec vous un peu de temps. » — S. CHRYS. (hom. 50.) Ces paroles respirent une profonde humilité, ne semble-t-il pas leur dire : Pourquoi vous empresser de me mettre à mort ? attendez un peu de temps. — S. AUG. (Traité 31.) Ce que vous voulez faire actuellement vous le ferez, mais pas aujourd'hui, parce que je ne le veux pas, il me faut auparavant remplir l'objet de ma mission, et parvenir ainsi au temps de ma passion. — S. CHRYS. (hom. 50.) Il calmait ainsi la fureur des plus audacieux, et excitait vivement l'attention de la partie du peuple plus zélée pour l'entendre, eu lui annonçant qu'il lui restait peu de temps pour profiter de ses enseignements. Remarquez qu'il ne dit pas : Je suis, mais : « Je suis avec vous, » c'est-à-dire, bien que vous me persécutiez, je ne cesserai de m'occuper de vos intérêts et de vous prodiguer les enseignements qui peuvent vous conduire au salut. Ces paroles qu'il ajoute : « Je m'en vais à celui qui m'a envoyé, » suffisaient pour les remplir d'effroi. — THEOPHYL. Il s'en allait à son Père, comme pour les accuser ; car en couvrant d'outrages l'envoyé, nul doute qu'ils n'aient également outragé celui qui l'a envoyé. — BEDE. « Je m'en vais à celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire, je remonte vers mon Père qui m'a commandé de m'incarner pour votre salut ; il dit qu'il s'en va vers celui dont il ne s'est jamais séparé.

 

S. CHRYS. (hom. 50.) Il leur fait connaître ensuite le besoin qu'ils auraient de lui, en ajoutant : « Vous me chercherez et vous ne me trouverez point. » Mais où donc les Juifs l'ont-ils cherché ? Saint Luc (Lc 23) nous rapporte que les femmes le suivaient eu pleurant et en se lamentant. Il est vraisemblable qu'un grand nombre d'autres furent tourmentés du même désir, et qu'au moment surtout du siège et de la prise de Jérusalem, ils se souvinrent de Jésus-Christ, de ses miracles, et qu'ils recherchèrent sa présence. — S. AUG. (Traité 31.) Ou bien encore, le Sauveur prédit ici sa résurrection, parce que les Juifs devaient le chercher alors dans les sentiments de la plus vive componction. Ils refusèrent de le reconnaître, alors qu'il était au milieu d'eux, et ils le cherchèrent lorsqu'ils virent que la multitude croyait en lui, et un grand nombre, pénétrés de repentir, s'écrièrent : « Que ferons-nous ? » Ils virent le Christ expirer, victime de leur haine impie et criminelle, et ils crurent au Christ qui leur accordait le pardon de leurs crimes ; ils ne désespérèrent de leur salut que jusqu'au moment où ils consentirent à boire le sang qu'ils avaient répandu.

 

S. CHRYS. (hom. 50.) Le Sauveur ne veut pas laisser croire qu'il sortira de ce monde par la mort, suivant les règles ordinaires, et il ajoute : « Et où je suis, vous ne pouvez venir. » S'il demeurait au sein de la mort, ils pourraient aller le rejoindre, car c'est vers ce terme que nous nous dirigeons tous. — S. AUG. (Traité 31.) Il ne dit pas : Où je serai, mais : « Où je suis, » car le Christ n'a jamais quitté le lieu où il retournait, et il y est retourné sans nous abandonner; Jésus eu tant que revêtu d'une chair visible était sur la terre ; mais par son invisible majesté, il était à la fois dans le ciel et sur la terre. Il ne dit pas non plus : Vous ne pourrez pas, mais : « Vous ne pouvez pas venir, » car l'état où ils se trouvaient ne leur permettait pas de le suivre alors ; mais pour vous bien convaincre qu'il m voulait point par ces paroles, les jeter dans le désespoir, nous lui voyons tenir à peu près le même langage à ses disciples : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » et il en explique le sens à Pierre, lorsqu'il lui dit : « Vous ne pouvez maintenant me suivre où je vais, mais vous me suivrez un jour. » (Jn 13, 36.)

 

S. CHRYS. (hom. 50.) En s'exprimant de la sorte, Jésus veut les attirer à lui, le peu de temps qu'il devait passer avec eux, le désir qu'ils devaient éprouver de le revoir après qu'il les aurait quittés, l'impossibilité pour eux de le retrouver, étaient des raisons bien suffisantes pour leur persuader de venir à lui. En leur disant d'ailleurs : « Je vais à celui qui m'a envoyé, » il fait voir qu'il n'a rien à redouter de leurs embûches, et que sa passion est tout à fait volontaire. Cependant les Juifs furent impressionnés de ces paroles, et ils se demandent entre eux où il devait aller, question qui ne peut guère s'expliquer, s'ils désiraient être délivrés de lui : « Les Juifs dirent donc entre eux, où doit-il aller, que nous ne le trouverons pas ? » Doit-il aller chez les nations dispersées, et enseigner les Gentils ? C'est ainsi que les Juifs appelaient les nations par un sentiment de mépris pour elles, et dans la haute idée qu'ils avaient d'eux-mêmes, parce que les nations étaient dispersées par tout l'univers et peu unies entre elles. Mais cette dénomination injurieuse pesa plus tard sur les Juifs eux-mêmes, qui furent dispersés par toute la terre. Autrefois, toute la nation ne formait qu'un seul corps, mais au temps de Jésus-Christ, les Juifs étaient disséminés parmi toutes les nations, le Sauveur n'aurait donc pas dit : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » si par ces mots, il eut voulu entendre les Gentils. — S. AUG. (Traité 31.) Ces paroles : « Où je vais, » signifiaient le sein du Père. C'est ce qu'ils ne comprirent en aucune façon, et cependant, à l'occasion de ces paroles, ils prédiront notre salut en annonçant que le Sauveur irait vers les Gentils, non par sa présence corporelle, mais cependant par ses pieds, car ce sont ses propres membres qu'il a envoyés pour nous mettre nous-mêmes au rang de ses membres.

 

S. CHRYS. (hom. 50.) Leur intention n'est pas de dire qu'il doit aller vers les nations pour leur causer du mal, mais pour les enseigner. Déjà en effet, leur colère s'était calmée, et ils avaient ajouté foi à ses paroles, car s'ils n'y avaient point cru, ils ne se seraient pas fait cette question : « Qu'est-ce que cette parole qu'il a dite : « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez point, et là où je vais, vous ne pouvez venir ? »

 

Vv. 37-39.
 

S. CHRYS. (hom. 51 sur S. Jean.) Au moment où la fête étant terminée ils allaient retourner chez eux, Notre-Seigneur leur donne pour le voyage la nourriture du salut : « Le dernier jour de la fête, qui en est le plus solennel, » etc. — S. AUG. (Traité 32) C'est en ce jour qu'avait lieu la fête de la Scénopégie, c'est-à-dire de la construction des tentes. — S. CHRYS. (hom. 51.) Cette fête, comme nous l'avons vu, durait sept jours, le premier jour et le dernier étaient les plus solennels, comme l'Evangéliste nous l'apprend, lorsqu'il dit : « Le dernier jour de la fête, qui en est le plus solennel ; » les jours intermédiaires étaient surtout consacrés aux délassements. Le Sauveur s'est donc abstenu de leur parler le premier jour et les jours suivants, parce que ses enseignements eussent été perdus pour des cens livrés aux divertissements et aux plaisirs, il élève la voix à cause du grand concours de peuple qui se pressait autour de lui. — THEOPHYL. Il élève la voix pour se faire entendre, leur inspirer de la confiance, et montrer qu'il ne craint personne.

 

S. CHRYS. (hom. 51.) Notre-Seigneur crie à haute voix : « Si quelqu'un a soif, » c'est-à-dire, je n'attire personne par nécessité ou par violence, je n'appelle que celui qui éprouve un vif désir de se rendre à mon appel. — S. AUG. (Traité 32.) Il y a une soif intérieure, parce qu'il y a un homme intérieur. Il est certain d'ailleurs que l'homme intérieur est l'objet d'un plus grand amour que l'homme extérieur. Si donc nous éprouvons cette soif, approchons, non avec les pieds du corps, mais avec les affections de l'âme, non pas en marchant, mais en aimant. — S. CHRYS. (hom. 51) Il leur fait comprendre qu'il s'agit ici d'une boisson intellectuelle par les paroles qui suivent : « Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive, comme dit l'Ecriture, couleront de son sein. » Mais où donc l'Ecriture parle-t-elle de la sorte ? nulle part. Comment donc expliquer cette citation du Sauveur ? Il faut séparer de cette manière les deux membres de la proposition : « Celui qui croit en moi, » comme dit l'Ecriture, et ajouter comme venant du Sauveur : « Des fleuves d'eau vive couleront de son sein. » Nôtre-Seigneur leur apprend qu'il faut avoir des idées plus droites, et croire en lui bien plus sur le témoignage des Ecritures que sur celui des miracles. C'est pourquoi il les avait renvoyés précédemment aux Ecritures, on leur disant : « Approfondissez les Ecritures. » — S. JER. (Prol. de la Genèse.) On peut dire encore que ce témoignage est emprunté au livre des Proverbes, où nous lisons : « Que tes eaux jaillissent au dehors, et que tes eaux coulent sur les places publiques. » (Pr 5, 16.) — S. AUG. (Traité 32.) Le sein de l'homme intérieur, c'est la conscience de son cœur. Lorsque la conscience a bu cette divine liqueur, elle est purifiée et reprend une nouvelle vie, et en puisant de nouveau de cette eau, elle devient elle-même une source d'eau vive. Or, quelle est cette source, ou bien quel est ce fleuve qui coule du sein de l'homme intérieur ? C'est la bonté qui le porte à se consacrer aux intérêts du prochain. Celui qui boit de cette eau est celui qui croit au Seigneur, mais s'il pense que cette eau qui lui est donnée, n'est que pour lui seul, l'eau vive ne coulera point de son sein ; si, au contraire, il prodigue à son prochain les soins empressés de la charité, cette source intérieure ne tarit point, parce qu'elle coule au dehors. — S. GREG. (sur Ezéch.) Lorsque les paroles sacrées de la prédication évangélique coulent de l'âme des fidèles, ce sont comme autant de fleuves d'eau vive qui sortent de leur âme. Les entrailles, qu'est-ce autre chose que ce qu'il y a de plus intime dans l'âme, c'est-à-dire l'intention droite, les saints désirs, l'humilité envers Dieu et la volonté d'être utile au prochain ?— S. CHRYS. (hom. 51) Il dit « des fleuves » et non un fleuve, pour exprimer sous cette image l'abondance et la fécondité de la grâce ; ce sont « des fleuves d'eau vive, » et qui ne cesse d'agir. En effet, lorsque la grâce de l'Esprit entre dans une âme et s'y affermit, elle coule plus abondamment que toutes les sources, elle ne tarit point, ni ne se dessèche ni ne s'arrête, comme on peut s'en convaincre en considérant la sagesse d'Etienne, la parole éloquente de Pierre, la fécondité abondante des discours de Paul ; rien ne les arrêtait ; mais semblables à des fleuves au cours rapide, ils entraînaient tout avec eux.

 

S. AUG. (Traité 32.) L'Evangéliste explique ensuite quel était ce breuvage que le Seigneur les invitait à venir boire : « Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » Quel est cet esprit, si ce n'est l'Esprit saint ? car tout homme a en lui-même son propre esprit. — ALCUIN. Le Sauveur avait promis avant son ascension l'Esprit saint à ses Apôtres, et il le leur envoya après l'ascension sous la forme de langues de feu, c'est pour cela que l'Evangéliste dit : « L'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » — S. AUG. (Traité 32.) Cet esprit était donc l'Esprit de Dieu, mais il n'était pas encore dans ceux qui croyaient en Jésus-Christ, car le Seigneur avait résolu de ne leur donner l'Esprit saint qu'après sa résurrection : « L'Esprit n'avait pas encore été donné, » parce que Jésus-Christ n'était pas encore glorifié. — S. CHRYS. (hom. 51.) Les Apôtres chassaient d'abord les démons, non par la vertu de l'Esprit-Saint, mais par la puissance qu'ils avaient reçue de Jésus-Christ. En effet, lorsqu'il leur donnait leur mission, on ne lit pas qu'il leur donna l'Esprit saint, mais le pouvoir de chasser les démons. Quant aux prophètes, tous reconnaissent que l'Esprit saint leur était donne, mais cette grâce avait cessé de se répandre sur la terre. — S. AUG. (de la Trin., 4, 20.) Mais comment est-il dit de Jean-Baptiste : « Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère ? » Comment Zacharie est-il inspiré par ce divin Esprit pour prédire la mission future du Précurseur ? Comment Marie elle-même est remplie de l'Esprit saint pour annoncer les destinées de son divin Fils, aussi bien que Siméon et Anne pour proclamer la grandeur de Jésus-Christ dès son berceau. La seule explication qu'on puisse donner des paroles de l'Evangéliste, c'est que l'Esprit saint devait être donné après la glorification de Jésus-Christ, comme il ne l'avait jamais été auparavant, c'est-à-dire que l'effusion de ce divin Esprit devait avoir un caractère d'efficacité qu'elle n'avait jamais été précédemment. En effet, nous ne lisons nulle part que sous l'action de l'Esprit saint qui descendait en eux, les hommes aient parlé des langues qu'ils ne connaissaient pas, comme il arriva lors de la descente de l'Esprit saint, dont l'avènement devait être démontré par des prodiges extérieurs et sensibles.

 

S. AUG. (Traité 32.) Mais comment se fait-il que l'Esprit saint qui est encore actuellement reçu par les fidèles, ne donne à personne de parler les langues de tous les peuples ? C'est que l'Eglise parle elle-même la langue de toutes les nations ; et on ne peut recevoir l'Esprit saint qu'autant qu'on est dans l'Eglise. Si vous aimez l'unité, tout ce que possède chacun de vos frères est à vous. Bannissez l'envie de votre cœur, et ce que j'ai vous appartient. L'envie sépare, la charité unit ; ayez la charité, et vous posséderez tout avec elle, et au contraire, tout ce que vous pourrez avoir sans elle, ne vous servira de rien. Or, la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné. (Rm 5) Mais pourquoi le Sauveur n'a-t-il voulu donner le Saint-Esprit qu'après sa résurrection ? C'est pour nous apprendre qu'après cette résurrection spirituelle, notre charité doit être ardente, nous séparer entièrement de l'amour du siècle, et se diriger toute entière vers Dieu, car celui qui nous a dit : « Celui qui croit en moi, qu'il vienne et qu'il boive, et des fleuves d'eau vive couleront de son sein, » nous a promis la vie éternelle où nous serons délivrés de tout danger, et affranchis de la crainte de la mort. C'est donc à raison de ces magnifiques promesses qu'il a faites à ceux que l'Esprit saint embraserait des feux de la charité, que le Sauveur n'a point voulu donner ce divin Esprit avant d'être glorifié, pour nous donner dans son corps ressuscité, un modèle de la vie que nous n'avons pas encore maintenant, mais dont nous espérons jouir après notre résurrection.

 

S. AUG. (cont. Faust., 32, 17.) Si donc la raison pour laquelle le Saint-Esprit n'était pas donné, c'est que Jésus n'était pas encore glorifié, il devait l'envoyer aussitôt qu'il serait glorifié. Les Cataphrygiens ont prétendu que c'est sur eux que le Saint-Esprit est descendu en vertu de cette promesse, et sont tombés par là dans l'hérésie. Les Manichéens affirment aussi que la promesse du Sauveur d'envoyer l'Esprit saint s'est accomplie dans Manès et dans leur secte, comme si ce divin Esprit n'avait pas été donné auparavant. — S. CHRYS. (hom. 51.) Ou bien encore, cette gloire dont parle ici Jésus, c'est sa croix. Nous étions les ennemis de Dieu, et comme ce sont nos amis et non pas nos ennemis que nous comblons de nos dons, il était nécessaire que le Sauveur offrit à Dieu la victime d'expiation, qu'il détruisît les inimitiés dans sa chair, et que devenus ainsi les amis de Dieu, nous fussions capables de recevoir ses dons.

 

Vv. 40-53.
 

S. AUG. (Traité 33 sur S. Jean.) Lorsque le Seigneur eut invité ceux qui croyaient en lui, à venir s'abreuver aux sources de l'Esprit saint, le peuple fut divisé à son sujet : « Dès ce moment, parmi cette multitude qui avait entendu ses paroles, quelques-uns disaient : Celui-ci est vraiment le prophète. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, le prophète que l'on attendait. Les autres, au contraire, c'est-à-dire le peuple, disaient : C'est le Christ. — ALCUIN. Ils avaient déjà commencé à puiser à cette source spirituelle, ils n'étaient plus tourmentés par la soif de l'infidélité, tandis que les autres demeuraient dans la sécheresse de leur incrédulité : « Mais, disaient les autres, est-ce que le Christ viendra de la Galilée ? L'Ecriture ne dit-elle pas que c'est de la race de David et de la petite ville de Bethléem, où naquit David, que le Christ doit venir ? » Ils connaissaient donc les prophéties qui avaient le Christ pour objet, mais ils ne savaient pas qu'elles avaient leur accomplissement en Jésus, ils savaient qu'il avait été élevé à Nazareth, mais ils ne songeaient pas à s'informer du lieu de sa naissance, et ils ne croyaient pas que la prophétie qu'ils avaient sous les yeux était accomplie en lui. — S. CHRYS. (hom. 51) Admettons toutefois qu'ils ignoraient le lieu de sa naissance, pouvaient-ils ignorer également la race d'où il sortait, sa naissance de la maison et de la famille de David ? Pourquoi donc cette réflexion : « Est-ce que le Christ ne doit pas sortir de la race de David ? » Mais c'est justement cette circonstance qu'ils voulaient cacher, en alléguant son éducation à Nazareth, et toutes leurs paroles sont inspirées par une profonde malice. Aussi voyez, ils ne viennent pas trouver Jésus pour lui faire cette observation : Les Ecritures disent que le Christ doit sortir de Bethléem, comment se fait-il que vous venez de la Galilée ? Non encore une fois, et la malignité seule conduit leur langue et dicte leurs paroles. Comme ils ne prêtaient aucune attention aux enseignements du Sauveur et qu'ils n'avaient aucun désir de s'instruire, Jésus-Christ ne leur fit aucune réponse, tandis qu'il avait donné les plus grands éloges à Nathanaël, qui lui disait : « Est-ce qu'il peut venir quelque chose de bon de Nazareth ? » (Jn 1) Parce qu'il était un vrai Israélite, qu'il cherchait la vérité et qu'il était instruit à fond dans la science des Ecritures de 1'ancionne loi.

 

« Le peuple était donc partagé à son sujet. » — THEOPHYL. Ce n'étaient pas les princes du peuple, ils étaient trop bien d'accord pour ne pas le reconnaître comme le Christ. Ceux dont la malice était moins profonde, se contentaient d'attaquer par leurs paroles la gloire du Sauveur, mais ceux dont la méchanceté était extrême, désiraient vivement se saisir de sa personne, et c'est de ces derniers dont l'Evangéliste ajoute : « Quelques-uns d'entre eux voulaient le prendre. » — S. CHRYS. (hom. 51.) L'Evangéliste fait cette remarque, pour montrer qu'ils ne manifestaient dans leur langage ni le désir de chercher la vérité, ni le désir de la dire : « Mais personne ne mit la main sur lui. » — ALCUIN. C'est-à-dire qu'ils eu furent empêchés par celui qui avait la puissance de réprimer leurs efforts. — S. CHRYS. (hom. 51.) Cette seule circonstance aurait dû suffire pour leur inspirer un profond repentir, ils n'en firent rien. Tel est le caractère propre de la méchanceté, elle ne veut céder à personne, et n'a qu'une chose en vue, c'est de mettre à mort celui à qui elle tend des embûches.

 

S. AUG. (Traité 33.) Ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de Jésus, revinrent sans s'être souillés de ce crime et remplis d'admiration : « Lors donc que les gardes revinrent vers les pontifes et les pharisiens, ceux-ci leur dirent : Pourquoi ne l'avez-vous pas amené ? » — ALCUIN. Ils n'ont pu eux-mêmes se saisir de sa personne lorsqu'ils ont voulu le lapider, et ils reprochent à leurs émissaires de ne l'avoir point amené. — S. CHRYS. (hom. 52.) Les pharisiens et les scribes, témoins des miracles de Jésus, et versés dans la science des Ecritures, n'en tirent aucun profit; leurs gardes, qui n'ont en aucun de ces avantages, sont gagnés par un seul des discours du Sauveur; ils étaient envoyés pour le charger de chaînes, et ils reviennent enchaînés par l'admiration dont ils sont remplis. Et ils ne disent pas : Nous n'avons pu nous saisir de sa personne à cause de la foule, mais ils proclament hautement la sagesse de Jésus-Christ : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme. » — S. AUG. (Traité 33.) Or, il parlait de la sorte, parce qu'il était Dieu et homme tout ensemble. — S. CHRYS. (hom. 52.) Nous ne devons pas seulement admirer la prudence de ces hommes qui, sans avoir besoin de miracles, se laissent gagner par l'attrait de la doctrine du Sauveur (en effet, ils ne disent pas : Jamais homme n'a fait de tels miracles, ils disent : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme, ») mais encore leur courage, la liberté avec laquelle ils s'expliquent de la sorte devant les pharisiens qui étaient les ennemis de Jésus-Christ. Le Sauveur cependant ne leur avait point parlé longuement, mais lorsque l'âme n'est pas viciée, elle n'a pas besoin de longs discours.

 

S. AUG. (Traité 33.) Mais les pharisiens ne se rendirent point à leur témoignage : « Les pharisiens leur répliquèrent : Avez-vous été séduits, vous aussi ? » C'est-à-dire, nous voyons que vous avez trouvé un véritable charme dans ses discours. — ALCUIN. Et en effet, ils avaient été heureusement séduits, parce qu'ils avaient renoncé au malheur de l'incrédulité pour embrasser la foi. — S. CHRYS. (hom. 52.) Voyez quel raisonnement insensé et pitoyable leur font les pharisiens : « Est-il quelqu'un d'entre les chefs du peuple ou d'entre les pharisiens qui aient cru en lui ? Pour cette populace qui ne connaît point la loi, ce sont des gens maudits. » Mais c'est justement le plus grand chef d'accusation contre eux, que la foule ait cru en Jésus-Christ, tandis qu'ils ont eux-mêmes refusé de croire. — S. AUG. (Traité 33.) Ceux qui n'avaient point la connaissance de la loi, croyaient en celui qui avait donné la loi, et les docteurs de la loi ne craignaient pas de condamner l'auteur même de la loi, accomplissant ainsi ces paroles du Seigneur : « Je suis venu en ce monde pour le jugement, afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » (Jn 9, 39.) — S. CHRYS. (hom. 52.) Comment peut-on appeler maudits ceux qui se laissent persuader par la loi (ou qui obéissent à la loi) ? Les maudits sont bien plutôt ceux qui, comme vous, n'observent pas la loi. — THEOPHYL. Les pharisiens gardent quelque modération et quelque douceur dans leur réponse à ceux qu'ils avaient envoyés, dans la crainte de les voir se séparer complètement d'eux pour s'attacher à Jésus-Christ.

 

S. CHRYS. (hom. 52.) Ils venaient d'objecter qu'aucun des princes du peuple n'avait cru en Jésus, raison dont l'Evangéliste fait voir la fausseté, en ajoutant : « Nicodème, l'un d'entre eux, celui qui était venu de nuit trouver Jésus, leur dit : » — S. AUG. (Traité 33.) Il n'était pas incrédule mais timide dans sa foi, c'est pour cela qu'il était venu de nuit trouver la lumière ; il voulait être éclairé, mais il craignait d'être connu. Il répondit donc aux Juifs : « Notre loi condamne-t-elle un homme sans l'avoir entendu et sans avoir instruit sa cause ? Il espérait que si les pharisiens consentaient seulement à l'entendre patiemment, ils éprouveraient la même impression que ceux qu'ils avaient envoyés pour se saisir de lui, et qui aimèrent mieux croire en lui ; mais ces hommes, profondément pervers, voulaient condamner avant de connaître. — S. AUG. (de la Cité de Dieu, 22, 1.) Nicodème appelle la loi de Dieu, « notre loi, » parce que Dieu l'a donnée aux hommes.

 

S. CHRYS. (hom. 52.) Nicodème leur prouve donc à la fois qu'ils ne connaissent point la loi et qu'ils ne l'observent point. Mais les pharisiens, au lieu de montrer, comme ils auraient dû le faire, qu'ils avaient eu raison d'envoyer se saisir de la personne de Jésus, se laissent aller aux propos injurieux et outrageants : « Ils lui répondirent : Est-ce que vous êtes aussi Galiléen ? »— S. AUG. (Tr. 33.) C'est-à-dire, séduit par le Galiléen, car le Sauveur était appelé Galiléen, parce que ses parents habitaient Nazareth ; je dis ses parents du côté de Marie et non du côté d'un père qu'il n'eut point sur la terre. — S. CHRYS. (hom. 52.) Ils ajoutent ce reproche blessant pour Nicodème, d'ignorer les Ecritures : « Examinez les Ecritures, lui disent-ils, et vous verrez que de la Galilée il ne sort point de prophète ; » absolument comme s'ils lui disaient : Allez et instruisez-vous. — ALCUIN. Leur attention ne se portait que sur le lieu où il passait sa vie, et non sur le lieu de sa naissance, c'est pourquoi ils refusaient de le reconnaître, non-seulement pour le Messie, mais pour un simple prophète. » — S. AUG. (Traité 33.) La Galilée ne voit point sortir de prophète de son sein, mais elle a vu s'élever au milieu d'elle le Seigneur, des prophètes.

 

« Et il s'en retournèrent, chacun eu sa maison. — ALCUIN. Ils retournèrent dans la maison de leur incrédulité et de leur impiété, sans avoir rien fait, vides de foi et sans aucun résultat utile pour le salut de leurs âmes.

 

 

CHAPITRE VIII
 

Vv. l-11.
 

alguin. (1) Nôtre-Seigneur, aux approches de sa passion, avait coutume de passer le jour dans le temple de Jérusalem pour y prêcher la parole de Dieu et y opérer dos miracles en prouve de sa divinité ; il retournait le soir à Béthanie où il demeurait chez les sœurs de Lazare, et le lendemain il revenait à Jérusalem pour y recommencer les mêmes œuvres. C'est d'après cette coutume qu'après avoir enseigné tout le jour dans le temple le dernier jour de la fête des Tabernacles, nous le voyons se retirer le soir sur le mont des Oliviers, selon la remarque de l'Evangéliste. — S. AUG. (Traité 33 sur S. Jean.) Où convenait-il que le Christ enseignât, si ce n'est sur le mont des Oliviers, sur lu montagne des parfums, sur la montagne de l'onction ? En effet, le nom de Christ vient d'onction, et le mot grec ????? chrême veut dire en latin unctio onction. Or, Dieu nous a donné cette onction pour faire de nous de forts lutteurs contre le démon. — ALCUIN. L'onction procure du soulagement aux membres fatigués et souffrants. Le mont des Oliviers signifie aussi la sublimité de la bonté du Sauveur, parce que le mot grec ????? veut dire en latin misericordia, miséricorde. La nature de l'huile se prête parfaitement à cette signification mystérieuse, car elle surnage au-dessus de tous les antres liquides, et comme le chante le Psalmiste : Ses miséricordes sont au-dessus de toutes ses oeuvres : « Et dès le point du jour il retourna dans le temple, » pour nous donner un symbole de sa miséricorde qu'il faisait éclater aux yeux des fidèles, concurremment avec la lumière naissante du Nouveau Testament. En effet, en revenant au point du jour, il annonçait l'aurore de la grâce de la loi nouvelle.

 

BEDE. Il voulait encore signifier que dès qu'il commença d'habiter par sa grâce dans son temple, c'est-à-dire dans son Eglise, la foi en lui trouva des adhérents dans toutes les nations : « Et tout le peuple vint à lui, dit l'Evangéliste, et s'étant assis, il les enseignait. » — ALCUIN. L'action de s'asseoir signifie l'humilité de l'incarnation. Lors donc que Je Seigneur fut assis, le peuple vint à lui, parce qu'en effet, lorsqu'il se fut rendu visible par son incarnation, un grand nombre commencèrent à écouter ses enseignements et à croire en celui que son humanité rapprochait d'eux. Mais tandis que les simples et les humbles sont dans l'admiration des paroles du Sauveur, les scribes et les pharisiens lui font des questions, non pour s'instruire, mais pour tendre des pièges à la vérité : « Alors les scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et ils la placèrent au milieu de la foule, et ils lui dirent : Maître, celte femme vient d'être surprise en adultère. » — S. AUG. (Traité 33.) Ils avaient remarqué l'excessive douceur du Sauveur, car c'est de lui que le Roi-prophète avait prédit : « Avancez-vous, soyez heureux, et établissez votre règne par la vérité, parla douceur et par la justice. » (Ps 44, 5) Il nous a donc apporté la vérité comme docteur, la douceur comme notre libérateur, et la justice comme celui qui connaît tout. Lorsqu'il ouvrait la bouche, la vérité éclatait dans ses paroles ; on admirait sa douceur dans le calme et la modération qu'il gardait vis-à-vis de ses ennemis, ils cherchent donc à lui tendre un piège sur le troisième point, celui de la justice. Voilà, en effet, ce qu'ils se dirent entre eux : S'il déclare qu'il faut renvoyer cette femme, il n'observera pas les prescriptions de la justice ; car la loi ne pouvait commander de faire quelque chose d'injuste ; aussi ont-ils soin d'apporter le témoignage de la loi : « Or, Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider les adultères. » Mais Jésus, pour ne point perdre la réputation de douceur qui l'a rendu aimable au peuple, déclarera qu'il faut la renvoyer sans la punir. Ils lui demandent son avis sur ce point : « Vous donc que dites-vous ? » En agissant de la sorte, se disaient-ils, nous trouverons l'occasion de l'accuser, et nous le traduirons comme coupable et prévaricateur de la loi. C'est la réflexion que fait l'Evangéliste : « C'était pour le tenter qu'ils l'interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l'accuser. »

 

Mais le Seigneur, dans la réponse qu'il leur fait, restera fidèle à la justice, sans s'écarter de sa douceur habituelle : « Mais Jésus, se baissant, écrivait du doigt sur la terre. » — S. AUG. (de l'acc. Des Evang., 4, 18.) Il signifiait ainsi que le nom de ces hommes ne serait pas écrit dans le ciel, où ses disciples devaient se réjouir de voir leurs noms écrits ; ou bien, il voulait montrer que c'est en s'humiliant (comme l'indiquait l'action de se baisser), qu'il opérait des miracles sur la terre ; ou bien enfin, il voulait enseigner que le temps était venu d'écrire la loi, non plus sur une pierre stérile, mais sur une terre qui pourrait produire des fruits. — ALCUIN. La terre est en effet le symbole du cœur humain qui produit ordinairement le fruit des bonnes et des mauvaises actions ; le doigt qui doit sa souplesse à la flexibilité des articulations, figure la subtilité du discernement. Jésus nous apprend donc à ne pas condamner aussitôt et avec précipitation le mal que nous pouvons apercevoir dans nos frères, mais à rentrer humblement dans notre conscience, et à l'examiner à fond et avec le plus grand soin, comme avec le doigt du discernement. — BEDE. Quant au sens qu'on peut appeler historique, Jésus, en écrivant de son doigt sur la terre, prouvait que c'était lui qui avait autrefois écrit la loi sur la pierre.

 

« Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa. » — S. AUG. (Traité 34.) Il ne leur dit pas : Elle ne doit pas être lapidée, pour ne pas se mettre en opposition avec la loi ; encore moins leur dit-il : Qu'elle soit lapidée, car il n'est point venu perdre ce qu'il avait trouvé, mais chercher ce qui avait péri. Quelle est donc sa réponse ? « Que celui de vous qui est sans péché, jette le premier la pierre contre elle. » C'est la voix de la justice elle-même : Que la pécheresse soit punie, mais non point par les pécheurs, que la loi soit exécutée, mais non par les prévaricateurs de la loi. — S. GREG. (Moral., 14, 13 ou 15.) Celui qui ne commence point par se juger tout d'abord, est incapable de porter un jugement juste sur les autres ; malgré les renseignements extérieurs qu'il peut recueillir, il ne peut apprécier avec, équité le mérite des actions du prochain, si la conscience de son innocence personnelle ne lui donne pas une règle sûre de jugement.

 

S. AUG. (Traité 34.) Après les avoir ainsi percés du trait de la justice, le Sauveur ne daigne même pas jeter un regard sur leur humiliation, il détourne les yeux : « Et se baissant de nouveau, il écrivait sur la terre. » — ALCUIN. On peut dire encore que le Sauveur, comme cela arrive souvent, paraissait faire une chose, tout en fixant son attention sur une autre, pour leur laisser la liberté de se retirer. Il nous apprend on même temps d'une manière figurée qu'avant de reprendre nos frères de leurs fautes, comme après avoir rempli le devoir de la correction, nous devons examiner sérieusement si nous ne sommes pas coupables des mêmes fautes ou d'autres semblables. — S. AUG. (Traité 34.) Frappés tous par la voix de la justice comme par un trait perçant et se reconnaissant coupables, ils se retirèrent les uns après les autres : « Ayant entendu cette parole, ils s'en allèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus anciens. » — LA GLOSE. C'étaient peut-être les plus coupables, ou du moins ceux qui connaissaient plus leurs crimes.

 

S. AUG. (Traité 34.) Ils restèrent deux, la misère et la miséricorde, c'est-à-dire qu'il ne resta que Jésus et la femme qui était au milieu de la foule. Cette femme, je le suppose, fut saisie d'effroi, elle pouvait craindre d'être punie par celui qu'il lui était impossible de convaincre de péché. Mais ce bon Sauveur qui avait confondu ses ennemis par le langage de la justice, leva sur elle les yeux de la douceur et lui fit une question : « Alors, Jésus, se relevant, lui dit : Femme, où sont ceux qui vous accusaient ? Personne ne vous a condamnée ? Elle répondit : Personne, Seigneur. » Nous avons entendu la voix de la justice, entendons maintenant la voix de la douceur : « Et Jésus lui dit : Ni moi non plus je ne vous condamnerai, » bien que vous ayez pu le craindre, parce que vous n'avez pas trouvé de péché en moi. Quelle est donc, cette conduite, Seigneur ? Vous vous montrez favorable au péché ? Non, assurément. Ecoutez ce qui suit : « Allez, et ne péchez plus. » Vous le voyez donc, le Seigneur condamne le péché, mais il ne condamne pas l'homme ; s'il favorisait le péché, il aurait dit à cette femme : Allez et vivez comme vous l'entendez. Soyez assurée que je serai votre libérateur, quelque énormes que soient vos crimes, je vous délivrerai de l'enfer et de ses supplices, mais tel n'est point son langage. Que ceux qui aiment dans le Seigneur la douceur et craignent la vérité, pèsent avec attention ces paroles : « Car le Seigneur est plein de douceur et de droiture. » (Ps 24)

 

V. 12.
 

ALCUIN. Le pardon que Notre-Seigneur venait d'accorder à cette femme, pouvait faire naître dans l'esprit de ceux qui ne voyaient en lui qu'un homme le doute qu'il pût remettre les péchés, aussi croit-il devoir mettre dans un plus grand jour sa puissance divine : « Jésus leur parla de nouveau, disant : Je suis la lumière du monde. » — BEDE. Remarquez qu'il ne dit pas : Je suis la lumière des anges, ou la lumière du ciel, mais : « La lumière du monde, » c'est-à-dire des hommes qui demeurent dans les ténèbres, selon cette prophétie de Zacharie dans saint Luc : « Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. » — S. CHRYS. (hom. 52 sur S. Jean.) Ou bien encore, comme ils avaient toujours à la bouche la Galilée, et qu'ils doutaient s'il n'était pas un prophète, il veut leur prouver qu'il n'est pas un des prophètes, mais qu'il est le maître de l'univers entier : « Jésus leur parla de nouveau, disant : Je suis la lumière du monde, » et non pas seulement la lumière de la Galilée, de la Palestine, de la Judée.

 

S. AUG. (Traité 34.) Les Manichéens ont cru que le soleil qui éclaire les yeux de notre corps était Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ; mais l'Eglise catholique condamne cette interprétation, car Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est point ce soleil qui a été créé, mais celui par lequel le soleil a été créé. Toutes choses, en effet, ont été faites par lui, et cette lumière qui a créé le soleil s'est faite visible pour nous sous le soleil, elle s'est couverte de la chair comme d'un nuage, non pour obscurcir, mais pour tempérer son éclat, c'est donc en parlant à travers le nuage de la chair, que la lumière indéfectible, la lumière delà sagesse a dit aux hommes : « Je suis la lumière du monde. » — THEOPHYL. Vous pouvez vous servir de ces paroles pour combattre l'erreur de Nestorius. Nôtre-Seigneur, en effet, n'a pas dit : La lumière du monde est en moi, mais : « Je suis la lumière du monde ; » car celui qui paraissait être un homme ordinaire, était en même temps le Fils de Dieu et la lumière du monde ; et le Fils de Dieu n'habitait pas seulement dans l'homme, comme le prétendait sans fondement Nestorius.

 

S. AUG. (Traité 31.) Le Sauveur vous rappelle des yeux du corps aux yeux du cœur par les paroles qui suivent : « Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie ; car il ne lui suffisait pas de dire : « Il aura la lumière, » mais il ajoute : « De vie. » Ces paroles du Sauveur s'accordent avec ces autres du psaume 33 : « Nous verrons la lumière dans votre lumière, parce qu'en vous est une source de vie. » Dans les choses extérieures qui sont à l'usage du corps, la lumière est différente de la source. La gorge altérée cherche la source, les yeux demandent la lumière ; mais en Dieu la lumière est la même chose que la source, Dieu est tout à la fois la lumière qui brille pour vous éclairer, et la source qui coule pour étancher votre soif. L'effet de la promesse est au futur, dans les paroles du Sauveur, ce que nous devons faire est au présent : « Celui qui me suit, aura, » il me suit actuellement par la foi, il me possédera plus tard dans ma nature. Suivez ce soleil visible, vous irez nécessairement à l'Occident, où il se dirige lui-même ; et quand vous ne voudriez pas l'abandonner, il vous abandonnera lui-même. Votre Dieu, au contraire, est tout entier en tout lieu, et il n'aura jamais pour vous de couchant, si vous n'avez pas pour lui de défaillance. Les ténèbres les plus à craindre sont celles des mœurs et non les ténèbres des yeux, on du moins ce ne sont que les ténèbres des yeux intérieurs à l'aide desquels on distingue non le blanc du noir, mais le juste de l'injuste. — S. CHRYS. (hom. 52.) C'est dans un sens spirituel qu'il faut entendre ces paroles : « Il ne demeure pas dans les ténèbres, » c'est-à-dire, il ne demeure pas dans l'erreur. Le Sauveur donne ici des éloges à Nicodème et aux serviteurs envoyés par les pharisiens, tandis que pour ces derniers il laisse à entendre qu'ils sont des artisans de ruses et de fraudes, qu'ils sont dans les ténèbres et dans l'erreur, mais que cependant ils ne triompheront point de la lumière.

 

Vv. 13-18.
 

S. CHRYS. (hom. 52 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de déclarer qu'il était la lumière du monde, et que celui qui le suivait ne marchait pas dans les ténèbres ; les Juifs cherchent à détruire l'effet de ces paroles : « Alors les pharisiens lui dirent : Vous vous rendez témoignage à vous-même, » etc. — ALCUIN. Ils s'expriment vis-à-vis du Sauveur, comme s'il était le seul à se rendre témoignage, quoiqu'il fût certain que bien longtemps avant son incarnation, il s'était fait précéder par un grand nombre de témoins qui prédirent les mystères de sa vie.

 

S. CHRYS. (hom. 52.) Le Sauveur combat à son tour la raison qu'ils viennent de lui opposer : « Jésus leur répondit : Bien que je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai. » Parlant de la sorte, il se conforme à l'opinion des Juifs, qui pensaient qu'il n'était qu'un homme, et il donne la raison de ce qu'il vient d'avancer : « Parce que je sais d'où je viens et où je vais, » c'est-à-dire, que je suis de Dieu, Dieu moi-même, et Fils de Dieu. Il ne s'exprime pas aussi clairement suivant son habitude de voiler sous un langage plein d'humilité les vérités les plus élevées. Or, Dieu est pour lui un témoin assez digne de foi. — S. AUG. (Traité 35 sur S. Jean.) En effet, le témoignage de la lumière est véritable, soit qu'elle se découvre elle-même, soit qu'elle se répande sur d'autres objets. Un prophète annonce la vérité, mais à quelle source a-t-il puisé ses oracles ? A la source même de la vérité. Jésus pouvait donc parfaitement se rendre témoignage à lui-même. Il déclare qu'il sait d'où il vient et où il va, et il veut parler de son Père, car le Fils rendait gloire au Père qui l'avait envoyé, à combien plus forte raison l'homme doit-il glorifier le Dieu qui l'a créé ? Toutefois le Fils de Dieu ne é'est point séparé de son Père en venant vers nous, de même il ne nous a pas délaissés en retournant vers lui. Qu'y a-t-il en cela d'étonnant puisqu'il est Dieu ? Au contraire, cela est impossible à ce soleil visible, qui, lorsqu'il tourne vers l'Occident quitte nécessairement l'Orient. Or, de même que ce soleil visible répand sa lumière sur le visage de celui qui a les yeux ouverts et sur celui de l'aveugle, avec cette différence que l'un la voit et l'autre ne la voit pas : ainsi la sagesse de Dieu, c'est-à-dire, le Verbe de Dieu, est présent en tous lieux, même aux yeux des infidèles qui ne peuvent le voir, parce qu'ils n'ont pas les yeux du cœur. C'est donc pour établir cette différence entre ceux qui lui sont fidèles et les Juifs ses ennemis, comme entre les ténèbres et la lumière, que le Sauveur ajoute : « Pour vous, vous ne savez ni d'où je viens ni où je vais. » Ces Juifs voyaient donc en lui un homme et ne pouvaient croire qu'il fût Dieu, c'est pourquoi il leur dit encore : « Vous, vous jugez selon la chair, lorsque vous dites : Vous rendez témoignage de vous-même, votre témoignage n'est pas véritable. » — THEOPHYL. C'est-à-dire, vous me voyez revêtu d'un corps mortel, vous concluez que je ne suis qu'un homme, et vous ne voulez pas croire que je suis Dieu, c'est en quoi vous vous trompez en jugeant selon la chair. — S. AUG. (Traité 36.) Comme vous ne pouvez comprendre que je sois Dieu, et que vous ne voyez en moi qu'un homme, vous regardez comme une témérité présomptueuse que je me rende témoignage à moi-môme, car tout homme qui veut se rendre un témoignage favorable encourt le soupçon d'orgueil et de présomption. Les hommes sont faibles de leur nature, ils peuvent dire la vérité, ils peuvent aussi mentir, mais pour la lumière elle est incapable de mentir.

 

S. CHRYS. (hom. 52.) Ou bien encore, vivre selon la chair, c'est vivre d'une manière coupable, ainsi juger selon la chair, c'est faire des jugements injustes. Et comme ils pouvaient lui dire : Si nous jugeons injustement, pourquoi ne pas démontrer l'injustice de nos jugements, pourquoi ne pas nous condamner ? Il ajoute : « Moi, je ne juge personne. » — S. AUG. (Traité 36.) Ce qui peut s'entendre de deux manières : Je ne juge personne actuellement, comme il dit dans un autre endroit : « Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. » Il ne nie pas le pouvoir qu'il a de juger, il en diffère l'exercice. Ou bien encore, il venait de leur dire : « Vous, vous jugez selon la chair, » et il ajoute : « Pour moi, je ne juge personne, » sous-entendez selon la chair, c'est-à-dire, que Jésus-Christ ne juge pas comme il a été jugé. Car afin que chacun reconnaisse que le Sauveur est juge dès maintenant, il ajoute : « Et si je juge, mon jugement est vrai. »

 

S. CHRYS. (hom. 52.) Tel est donc le sens de ses paroles, si je vous dis : « Je ne juge personne ; » ce n'est pas que je ne sois sûr de mon jugement, car si je voulais juger, mon jugement serait juste, mais le temps déjuger n'est pas encore venu. Il leur annonce ensuite indirectement le jugement futur en ajoutant : « Parce que je ne suis pas seul, mais moi et mon Père qui m'a envoyé, » et leur apprend que son Père doit se joindre à lui pour les condamner. Il répond ainsi en se conformant à leurs pensées, car ils ne croyaient pas que le Fils fut digne de foi, à moins de joindre le témoignage du Père à son propre témoignage.

 

S. AUG. (Traité 36.) Mais si le Père est avec vous, comment vous a-t-il envoyé ? Donc, Seigneur, votre mission, c'est votre incarnation. Le Fils de Dieu incarné, le Christ était donc avec nous sans qu'il eût quitté son Père, parce que le Père et le Fils étaient partout en vertu de l'immensité divine. Rougissez donc, disciple de Sabellius, car Jésus ne dit pas : Je suis le Père, et en même temps : Je suis le Fils, mais : « Je ne suis pas seul, parce que mon Père est avec moi. » Distinguez donc les personnes, faites cette distinction par l'intelligence, reconnaissez que le Père est le Père, et que le Fils est le Fils, mais ne dites pas : Le Père est plus grand, le Fils lui est inférieur. Ils ont une même substance, une même éternité, une égalité parfaite. Donc, dit le Sauveur, mon jugement est vrai, parce que je suis le Fils de Dieu. Comprenez cependant dans quel sens le Père est avec moi, je ne suis pas son Fils, de manière à être séparé de lui, j'ai pris la forme de serviteur, mais je n'ai pas perdu celle de Dieu.

 

Après avoir parlé du jugement, il en vient au témoignage : « Il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai. » — S. AUG. (contr. Faust., 16, 13.) Les manichéens vont-ils trouver dans ces paroles un nouveau sujet de calomnie, parce que le Sauveur ne dit pas : Il est écrit dans la loi de Dieu, mais ; « Il est écrit dans votre loi ? » Qui ne reconnaît ici une expression consacrée dans les Ecritures ? Votre loi signifie ici la loi qui vous a été donnée, de même que l'Apôtre appelle son Evangile (Rm 2), l'Evangile qu'il déclare avoir reçu, non par un homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. (Ga 2)

 

S. AUG. (Traité 36.) Ces paroles que Dieu dit à Moïse : « Que tout soit assuré par la déposition de deux ou trois témoins, » (Dt 19, 18) ne laissent pas de soulever une grande difficulté et paraissent renfermer un sens mystérieux ; car il peut arriver que deux témoins se rendent coupables de mensonge. La chaste Suzanne était accusée par deux faux témoins (Dn 13) ; le peuple juif tout entier se rendit coupable de calomnies atroces contre Jésus-Christ (Mt 27) ; comment donc entendre ces paroles : « Tout sera assuré par la déposition de deux ou trois témoins, » si nous n'y voyons une allusion mystérieuse à la sainte Trinité, qui possède éternellement l'immuable vérité ? Recevez donc, dit le Sauveur, notre témoignage, si vous ne voulez éprouver la rigueur de notre jugement ; je diffère le jugement, mais je ne diffère point le témoignage : « Or, je rends moi-même témoignage de moi, » etc. — BEDE. Nous voyons dans bien des passages de l'Ecriture, que le Père rend  témoignage à son Fils, comme dans le Psaume 2 : « Je vous ai engendré aujourd'hui, » et dans saint Matthieu (3 et 17), où le Père dit de lui : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. »

 

S. CHRYS. (hom. 52.) Ou bien encore, si l'on prend cette parole dans le sens le plus simple, elle présente une véritable difficulté. Parmi les hommes, il a été établi que toute déposition doit être appuyée sur le témoignage de deux ou trois témoins, parce qu'un seul témoin n'est pas digne de foi ; mais comment faire à Dieu l'application de cette règle ? Cependant cette proposition n'a point d'autre raison d'être. Parmi les hommes, lorsque deux témoins déposent sur un fait qui ne leur est point personnel, leur témoignage est vrai, parce que c'est le témoignage de deux personnes distinctes, mais si l'un des deux vient à se rendre témoignage à lui-même, ce ne sont plus deux témoins, il n'y a plus qu'un seul. Nôtre-Seigneur ne s'est donc exprimé de la sorte que pour montrer qu'il n'est pas inférieur a son Père, autrement il n'aurait pas dit : « Moi et mon Père qui m'a envoyé. » Considérez encore que sa puissance n'est en rien au-dessous de celle de son Père. Lorsqu'un homme est par lui-même digne de foi, il n'a pas besoin d'un autre témoignage, lorsqu'il s'agit d'un fait qui lui est étranger ; mais dans une affaire personnelle où il a besoin du témoignage d'autrui, il n'est plus également digne de foi. Ici c'est tout le contraire, le Sauveur rend témoignage dans sa propre cause, tout en ayant pour lui le témoignage d'un autre, et il se déclare digne de foi.

 

ALCUIN. On peut encore entendre ces paroles dans ce sens : Votre loi reçoit comme vrai le témoignage de deux hommes qui peuvent être trompés et tromper eux-mêmes, ou faire des déclarations fausses et incertaines, pourquoi donc refusez-vous d'admettre comme véritable le témoignage de mon Père et le mien, qui a pour lui la garantie de la plus haute vérité ?

 

Vv. 19-20.
 

S. AUG. (Traité 37 sur S. Jean.) Notre-Seigneur avait reproché aux Juifs de juger selon la chair, et ils justifient la vérité de ce reproche, en prenant dans un sens charnel le Père dont il leur parlait : « Ils lui dirent donc : Où est votre Père, » etc. C'est-à-dire, nous vous avons entendu dire : « Je ne suis pas seul, mais moi et le Père qui m'a envoyé ; » cependant nous ne voyons que vous, montrez-nous donc que votre Père est avec vous.

 

THEOPHYL. Il on est qui voient dans ces paroles des Juifs, une intention d'outrager le Sauveur et de le couvrir de mépris ; ils lui demandent insolemment où est son Père, comme s'il était le fruit de la fornication, ou comme s'il était le Fils d'un père inconnu ou d'un homme d'une condition obscure, tel qu'était Joseph, qui passait pour être son père. Ils semblent lui dire : Votre père est un homme sans considération, sans nom dans le monde, pourquoi nous parler sans cesse de votre Père ? Ce n'est point par le désir de s'instruire, mais pour éprouver le Sauveur qu'ils lui adressent cette question ; aussi ne veut-il pas y répondre, et il se contente de leur dire : « Vous ne me connaissez, ni moi ni mon Père. »

 

S. AUG. (Traité 37.) C'est-à-dire, vous me demandez où est mon Père, comme si vous me connaissiez déjà, comme si je n'étais que ce que vous voyez. Or, c'est parce que vous ne me connaissez pas, que je ne veux pas vous faire connaître mon Père ; vous ne voyez en moi qu'un homme, et par-là même vous me cherchez un Père qui ne soit aussi qu'un homme. Mais comme indépendamment de ce que vous voyez, je suis encore autre chose que vous ne voyez pas, et qu'inconnu de vous, je vous parle ; de mon Père qui vous est également inconnu, il faudrait que vous me connaissiez d'abord avant de connaître mon Père : « Si vous me connaissiez, ajoute-t-il, peut-être connaîtriez-vous mon Père. » — S. CHRYS. (hom. 52.) En leur parlant de la sorte, il leur fait voir qu'il ne leur sert de rien de connaître le Père, s'ils ne connaissent le Fils.

 

ORIG. (Traité 19 sur S. Jean.) Il semble y avoir contradiction entre ce que dit ici Nôtre-Seigneur : « Vous ne me connaissez ni moi ni mon Père, » et ce qu'il a dit plus haut : « Vous savez qui je suis et d'où je suis. » Mais cette espèce de contradiction disparaît, lorsqu'on fait attention que ces paroles : « Vous savez qui je suis, » s'adressent à quelques habitants de Jérusalem, qui disaient : « Est-ce que les chefs de la nation ont reconnu qu'il était le Christ ? » Tandis que c'est aux pharisiens que le Sauveur dit : « Vous ne me connaissez pas. » Cependant il est vrai que dans ce qui précède, nous voyons Jésus dire aux habitants de Jérusalem : Celui qui m'a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas. On se demande donc, comment il a pu dire ici : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père, » alors que les habitants de Jérusalem, à qui il dit ailleurs : « Vous savez qui je suis, » n'ont pas connu son Père. Nous répondons que le Sauveur parle tantôt de lui en tant qu'il est homme, et tantôt en tant qu'il est Dieu. Ces paroles : « Vous savez qui je suis, » doivent s'entendre de lui comme homme ; et ces autres : « Vous ne me connaissez pas, » veulent dire : Vous ne me connaissez pas comme Dieu. — S. AUG. (Traité 37.) Que signifient ces paroles : « Si vous me connaissiez vous connaîtriez mon Père, » si ce n'est : « Mon Père et moi nous ne faisons qu'un. » (Jn 10, 30.) Lorsque vous rencontrez une personne qui ressemble à une autre, vous dites tous les jours : Si vous avez vu l'une, vous avez vu l'autre, et c'est la ressemblance parfaite de ces deux personnes qui vous fait tenir ce langage. Voilà aussi pourquoi Nôtre-Seigneur dit aux Juifs : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez mon Père, non que le Père soit le Fils, mais parce que le Fils est semblable au Père.

 

THEOPHYL. Que les ariens rougissent en entendant ces paroles, car si, comme ils le prétendent, le Fils est une simple créature, comment celui qui connaît cette créature peut connaître par là même Dieu. Est-ce que celui qui connaît la nature d'un ange, connaît par là même la nature divine ? Donc puisque celui qui connaît le Fils, connaît le Père, le Fils est nécessairement consubstantiel au Père.

 

S. AUG. (Traité 37.) Cette locution « peut-être, » qui parait être une expression dubitative, est une parole de reproche ; ainsi les hommes s'expriment d'une manière dubitative sur des choses qu'ils regardent comme certaines, par exemple, dans un mouvement d'indignation contre votre serviteur, vous lui dites : Tu me méprises, veuille y réfléchir, peut-être suis-je ton maître. C'est ainsi que Notre-Seigneur s'exprime vis-à-vis des Juifs infidèles, lorsqu'il leur dit : « Peut-être connaîtriez-vous aussi mon Père. »

 

ORIG. Examinons ici l'opinion de certains hérétiques qui prétendent pouvoir prouver clairement par ces paroles, que le Dieu qu'adoraient les Juifs n'était pas le Père de Jésus-Christ; car, disent-ils, c'est aux pharisiens qui adoraient un Dieu maître du monde, que le Sauveur tenait ce langage. Or, il est certain que les pharisiens n'ont jamais connu un Père de Jésus différent du Créateur du monde. En parlant de la sorte, ces hérétiques ne réfléchissent pas sur le langage ordinaire des Ecritures. En effet, qu'un homme veuille nous exposer les notions sur la divinité, qu'il doit à l'instruction que lui ont donnée ses parents, sans prendre soin d'y conformer sa conduite ; nous disons qu'il n'a pas la connaissance de Dieu ; voilà pourquoi l'Ecriture dit des fils d'Héli, par suite de leur méchanceté, qu'ils ne connaissaient pas Dieu ; (1 R 2) c'est ainsi que les pharisiens eux-mêmes n'ont pas connu Dieu, parce qu'ils ne vivaient pas conformément aux préceptes du Créateur. Il y a d'ailleurs une autre manière d'entendre la connaissance de Dieu. En effet, connaître Dieu, c'est autre chose que de croire simplement en Dieu. Nous lisons dans le psaume 45 (vers. 10) : « Soyez dans le repos et considérez que c'est moi qui suis Dieu. » Qui ne reconnaîtra que ces paroles sont écrites pour le peuple, qui croit en Dieu créateur de cet univers ? Il y a une grande différence entre la foi jointe à la connaissance, et la foi seule. Jésus aurait pu avec raison dire aux pharisiens à qui il reproche de ne connaître ni son Père ni lui : Vous ne croyez pas à mon Père ; car celui qui nie l'existence du Fils, nie par là même l'existence du Père, c'est-à-dire qu'il n'admet le Père ni par la foi, ni par la connaissance. Suivant l'Ecriture, il y a encore une autre manière de connaître quelqu'un, c'est de lui être uni. Aussi Adam connut sa femme lorsqu'il lui fut uni ; (Gn 4) celui qui s'attache à une femme, connaît cette femme, et celui qui s'attache au Seigneur, devient un seul esprit avec lui, (1 Co 6, 17) et connaît Dieu. S'il en est ainsi, les pharisiens n'ont connu ni le Père, ni le Fils. Enfin il y a aussi une différence entre connaître Dieu, et connaître le Père, c'est-à-dire qu'on peut connaître Dieu sans connaître le Père. Ainsi dans le nombre presque infini de prières que nous trouvons dans l'ancienne loi, nous n'en trouvons aucune où Dieu soit invoqué comme Père, les Juifs le priaient et l'invoquaient comme Dieu et Seigneur, pour ne pas prévenir la grâce que Jésus devait répandre sur le monde entier, en appelant tous les hommes à l'honneur de la filiation divine, suivant ces paroles : « J'annoncerai votre nom à mes frères. » (Ps 21)

 

« Jésus parla de la sorte, dans le parvis du Trésor , lorsqu'il enseignait dans le temple. » — ALCUIN. Le mot gaza dans la langue persane signifie richesse, et le mot grec ??????? signifie conserver, c'était l'endroit du temple où l'on conservait les offrandes. — S. CHRYS. (hom. 53 sur S. Jean.) Le Sauveur parlait comme maître et docteur dans le temple, ce qui aurait dû les toucher davantage : mais ce qu'il disait les blessait, et ils l'accusaient de se faire égal à Dieu le Père. — S. AUG. (Traité 37) Il montre une grande confiance sans mélange d'aucune crainte, car il pouvait ne rien souffrir, à moins qu'il ne le voulût : « Et personne ne se saisit de lui, dit l'Evangéliste, parce que son heure n'était pas encore venue. » Il en est qui, en entendant ces paroles, prétendent que Jésus était soumis aux lois du destin. Mais si le mot latin fatum (destin) vient du verbe fari, qui veut dire parler, comment admettre que le Verbe, la parole de Dieu, soit esclave du destin ? Où sont les destins ? Dans le ciel, direz-vous, où ils dépendent du cours et des révolutions des astres. Mais comment encore soumettre à ce destin celui qui a créé le ciel et les astres, alors que votre volonté à vous-même, si vous êtes conduit par la sagesse, s'élève bien au-dessus des astres. Est-ce parce que, vous avez appris que le corps de Jésus-Christ a vécu sous le ciel, que vous voulez soumettre sa puissance à l'influence des cieux ? Comprenez donc que « son heure n'était pas encore venue, » non pas l'heure où il souffrirait la mort malgré lui. mais l'heure où il daignerait l'accepter volontairement.

 

ORIG. (Traité 19) Toutes les fois que l'Evangéliste mentionne cette circonstance : « Jésus parla de la sorte en tel lieu, » si vous voulez y faire attention, vous découvrirez que ce n'est pas sans raison qu'il s'exprime ainsi. Le Trésor était l'endroit où se conservait l'argent destiné au service du temple et à la subsistance des pauvres ; les pièces de monnaie sont les paroles divines qui sont marquées à l'effigie du grand roi. Or, chacun doit concourir à l'édification de l'Eglise, en déposant dans le trésor spirituel tout ce qui peut contribuer à l'honneur de Dieu, au bien général ; et puisque tous les Juifs déposaient leurs offrandes volontaires dans le trésor, il était juste aussi que Jésus mît son offrande dans le trésor, c'est-à-dire les paroles de la vie éternelle. Personne n'osa se saisir de la personne du Sauveur, tandis qu'il parlait dans le temple, parce que ses discours étaient plus forts que ceux qui voulaient s'emparer de lui, car il n'y a aucune faiblesse dans ceux qui sont les instruments et les organes du Verbe de Dieu.

 

BEDE. Ou bien encore, Jésus parle dans le parvis du Trésor, parce qu'il parlait aux Juifs en paraboles, et il commença à ouvrir le trésor, lorsqu'il découvrit à ses disciples les mystères des cieux. Or, le trésor était une dépendance du temple, parce que toutes les prophéties figuratives de la loi et des prophètes avaient le Sauveur pour objet.

 

Vv. 21-24.
 

S. AUG. (Traite 38 sur S. Jean.) L'Evangéliste vient de nous dire que « personne ne se saisit de Jésus, parce que son heure n'était pas encore venue. » Nôtre-Seigneur prend cette occasion de parler aux Juifs de sa passion, qui dépendait non de la fatalité, mais de sa puissance : « Jésus leur dit encore : Je m'en vais. » En effet, pour Jésus-Christ, la mort fut comme un départ vers le lieu d'où il était venu vers nous, sans qu'il l'ait cependant quitté. — BEDE. L'enchaînement qui paraît exister ici dans le récit de l'Evangéliste, nous permet de supposer également que ces, paroles ont été dites dans le même lieu et dans le même temps que les précédentes, où qu'elles ont été dites dans un lieu et dans un temps tout différent, car il est aussi vraisemblable d'admettre qu'elles font suite immédiate au discours qui précède, que de supposer d'autres discours ou d'autres faits intermédiaires.

 

ORIG. On peut faire tout d'abord cette objection : Si Nôtre-Seigneur s'adresse ici à ceux qui persévéraient dans leur incrédulité , comment peut-il leur dire : « Vous me chercherez ? » Car chercher Jésus, c'est chercher la vérité et la sagesse. Nous pouvons répondre qu'il est dit quelquefois de ses persécuteurs qu'ils cherchaient à se saisir de lui. Il y a, en effet, de grandes différences entre ceux qui cherchent Jésus ; car tous ne le cherchent pas pour leur salut et le bien qui peut leur en revenir. Aussi il n'y a que ceux qui le cherchent avec droiture, qui trouvent la paix. Or, chercher avec droiture, c'est chercher celui qui était en Dieu au commencement, afin qu'il nous conduise à son Père.

 

S. AUG. (Traité 38.) Vous me chercherez donc, leur dit-il, sous l'inspiration non d'un pieux désir, mais d'une haine mortelle. En effet, lorsqu'il se fut dérobé aux regards des hommes, ceux qui le haïssaient, comme ceux qui l'aimaient, le cherchèrent, les uns pour le persécuter, les autres pour jouir de sa présence. Or, ne croyez pas que vous me chercherez avec de bonnes dispositions, car « vous mourrez dans votre péché. » Mourir dans son péché, c'est donc chercher Jésus-Christ avec une intention coupable, c'est avoir de la haine pour l'unique auteur de notre salut, et c'est contre ceux qui cherchent ainsi Jésus, que le Sauveur prononce prophétiquement cette sentence : « Ils mourront dans leur péché. » — BEDE. Remarquez que le mot péché est au singulier, et le pronom votre au pluriel, pour montrer que tous étaient coupables du même crime.

 

ORIG. (Traité 19 sur S. Jean.) Je me demande comment l'Evangéliste a pu dire plus bas, qu'à la parole de Jésus-Christ un grand nombre crurent en lui. Est-ce que ce n'est pas à tous ceux qui étaient présents qu'il disait : « Vous mourrez dans votre péché ? » Non, c'était à ceux dont il savait qu'ils ne croiraient point, qu'ils mourraient pour cela dans leur péché, et qu'ils ne pourraient marcher à sa suite, et c'est à ceux-là qu'il dit : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » c'est-à-dire où est la vérité et la sagesse, car c'est là qu'est Jésus. Ils ne peuvent venir, parce qu'ils ne veulent pas ; car s'ils l'avaient voulu sans le pouvoir, le Sauveur n'eût pu leur dire avec justice : « Vous mourrez dans votre péché. » — S. AUG. (Traite 38.) Il tient dans un autre endroit le même langage à ses disciples, toutefois il ne leur dit pas : Vous mourrez dans votre péché, mais : « Vous ne pouvez maintenant venir là où je vais, » il ne leur ôte pas l'espérance, il en retarde seulement l'accomplissement.

 

ORIG. En s'exprimant de la sorte, le Sauveur menace donc les Juifs de se retirer d'eux, mais pour nous, tant que nous conservons les semences de vérité qu'il a répandues dans nôtre âme, le Verbe de Dieu ne se retire pas de nous ; si, au contraire, la corruption du mal entre dans notre âme à la suite d'une chute dans le péché, alors il nous dit : « Je m'en vais, » et nous le chercherons sans pouvoir le trouver, et nous mourrons dans notre péché, saisis que nous serons par la mort elle-même. Il ne faut point passer légèrement sur ces paroles : « Vous mourrez dans votre péché. » Si on prend ces paroles dans le sens naturel qu'elles présentent, elles veulent dire évidemment que les pécheurs mourront dans leurs péchés, comme les justes mourront dans leur justice. Mais si l'on entend ces paroles : « Vous mourrez, » de la mort dont est frappé celui qui commet un péché mortel, il est clair que ceux à qui Nôtre-Seigneur les adressait n'étaient pas morts encore, mais ils vivaient dans une grande infirmité spirituelle, infirmité qui devait les conduire à la mort, voilà pourquoi le médecin voyant toute la gravité de leur maladie, leur disait : « Vous mourrez dans votre péché, » et ces paroles font comprendre celles qui suivent : « Là où je vais , vous ne pouvez venir ; » car celui qui meurt dans son péché, ne peut aller où va Jésus, puisqu'aucun de ceux qui sont morts ne peut suivre Jésus, selon ces paroles du Psalmiste : « Ce ne sont pas les morts qui vous loueront, Seigneur. » (Ps 113)

 

S. AUG. (Traité 38.) Ces paroles ne firent naître chez les Juifs que des pensées charnelles, et ils interrogent le Sauveur en conséquence : « Les Juifs disaient donc : Se tuera-t-il lui-même, puisqu'il dit : Là où je vais, vous ne pouvez venir ? » Quelles paroles insensées ! Quoi, ils ne pourraient venir là où il irait s'il se donnait la mort ? Est-ce donc qu'ils ne devaient pas eux-mêmes mourir. Lors donc qu'il leur dit : « Vous ne pouvez venir là où je vais, » il ne veut point parler du lieu où l'on va par la mort, mais de celui où il allait lui-même après la mort. — THEOPHYL. Il déclarait ainsi par avance qu'il devait ressusciter dans la gloire, et s'asseoir à la droite de Dieu.

 

ORIG. (Traité 49.) Examinons cependant si ce langage n'est pas dans la bouche des Juifs l'expression de pensées plus relevées. Car ils puisaient souvent dans leurs traditions ou dans leurs livres apocryphes des idées qui leur étaient particulières, de même que dans leurs traditions sur Jésus-Christ, il y en avait de conformes aux oracles authentiques des prophètes, d'après lesquels il devait naître à Bethléem ; il pouvait aussi se rencontrer des traditions relatives à sa mort, et qui annonçaient qu'il quitterait cette vie de la manière qu'il le dit lui-même : « Nul ne m'ôte ma vie, mais je la donne de moi-même. » (Jn 10) Lors donc que les Juifs se demandent : « Se tuera-t-il lui-même, » il ne faut point prendre ces paroles dans leur sens ordinaire, mais y voir une allusion à quelque tradition juive qui se rapportait au Christ; car ces paroles du Sauveur : « Je m'en vais, » tendaient à faire ressortir dans tout son jour le pouvoir qu'il avait de mourir eu se séparant volontairement de son corps. Je pense toutefois que ce n'est point pour faire honneur à Jésus, mais bien plutôt pour l'outrager, qu'ils citent cette tradition relative à sa mort, et qu'ils se demandent : « Est-ce qu'il se tuera lui-même ? » car s'ils avaient eu l'intention de lui appliquer cette tradition dans un sens honorable pour le Sauveur, ils auraient dû s'exprimer de la sorte : « Est-ce que son âme sortira de son corps, quand il lui plaira ? »

 

Le Seigneur leur répond comme à des hommes charnels et terrestres : « Et il leur dit : Vous êtes d'en bas, » c'est-à-dire, vous goûtez les choses de la terre, et vous ne portez pas bien haut les affections de votre cœur. — S. CHRYS. (hom. 53.) C'est-à-dire, il n'est point surprenant que des hommes charnels et qui ne comprennent rien de ce qui est spirituel, aient de semblables pensées, mais : « Pour moi je suis d'en haut. » — S. AUG. Quelles sont ces hauteurs d'où il descend ? De Dieu le l'ère lui-même, qui n'a rien au-dessus de lui. Vous, vous êtes de ce monde, mais pour moi je ne suis pas de ce monde, et comment, en effet, celui par qui le monde a été fait, pourrait-il être du monde ? BEDE. Comment pourrait-il être du monde, celui qui était avant le monde ? pour eux, ils étaient du monde, parce qu'ils ont été créés longtemps après la création du monde. — S. CHRYS. (hom. 53.) Ou bien encore : « Je ne suis pas de ce monde, » c'est-à-dire, je n'en partage point les pensées vaines et profanes. — THEOPHYL. Je n'ai aucun sentiment mondain ou terrestre ; je ne puis donc arriver à cet excès de folie de me donner la mort. Apollinaire, par une fausse interprétation de ces paroles, prétend que le corps du Seigneur ne fut pas formé dans ce monde, mais qu'il vint d'en haut, c'est-à-dire du ciel. Mais dira-t-on que les Apôtres avaient aussi un corps formé dans les cieux, parce que Nôtre-Seigneur leur a dit : « Vous n'êtes pas de ce monde ? » Ces paroles : « Je ne suis pas de ce monde, » signifient donc : Je ne suis pas du nombre de ceux qui, comme vous, sont plongés tout entiers dans les préoccupations du monde.

 

ORIG. (Traité 19.) On peut encore donner une autre explication des choses qui sont d'en bas et de celles qui sont de ce monde. L'expression en bas, signifie un endroit spécial ; or, ce monde matériel se divise en une multitude d'endroits qui sont tous en bas, relativement aux choses immatérielles et invisibles. Mais si l'on établit une comparaison entre ces divers lieux du monde, les uns seront en haut et les autres en bas. Or, chacun a son cœur là où est son trésor. (Mt 6) Celui donc qui thésaurise sur la terre, descend en bas ; celui au contraire qui amasse des trésors pour le ciel, monte en haut, il est véritablement d'en haut, et en s'élevant au-dessus des d'eux, il parviendra à la souveraine béatitude. Disons encore, que l'amour du monde fait l'homme du monde ; celui au contraire qui n'aime ni le monde, ni les choses qui sont dans le monde, n'est pas de ce monde. Il est cependant en dehors de ce monde sensible, un autre monde habité par les êtres invisibles, et dont l'éclat et la splendeur seront révélés à ceux qui ont le cœur pur. Enfin on peut aussi donner le nom de monde au premier né de toute créature, et en tant qu'il est la souveraine sagesse, car toutes choses ont été faites dans la sagesse. Le monde et tout ce qu'il renferme était donc en lui, mais d'une manière aussi différente du monde matériel, que la raison même du monde pure de tout principe matériel diffère du monde extérieur et sensible. L'âme de Jésus-Christ dit donc : « Je ne suis pas de ce monde, » parce qu'elle ne vit pas dans ce monde.

 

S. AUG. (Traité 38.) Le Seigneur explique le sens de ces paroles qu'il leur adresse : « Vous êtes de ce monde, » parce qu'ils étaient pécheurs ; or, nous sommes tous nés dans le péché, et tous nous avons ajouté à ce premier péché par une vie coupable. Tout le crime d'infidélité des Juifs consistait donc, non pas d'être coupables du péché, mais de mourir dans leur péché. C'est pourquoi Nôtre-Seigneur ajoute : « Je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés. » Parmi cette multitude qui écoutait le Sauveur, il en était qui devaient croire en lui. Mais comme cette sentence sévère : « Vous mourrez dans votre péché, » semblait tomber sur tous, et ôter toute espérance à ceux qui devaient croire en lui, il fait renaître l'espérance dans leur cœur, en ajoutant : « Car si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans votre péché. » Donc si vous croyez que je suis, vous ne mourrez point dans votre péché. — S. CHRYS. (hom. 53.) En effet, si Notre-Seigneur est venu sur la terre pour effacer les péchés du monde, et si le péché ne peut être effacé que par le baptême, celui qui ne croit pas est nécessairement encore revêtu du vieil homme. Car celui qui refuse de mourir et de s'ensevelir spirituellement par la foi, mourra avec le vieil homme, et ne sortira de cette vie que pour souffrir les peines ducs à ses crimes. Aussi Nôtre-Seigneur disait-il : « Celui qui ne croit pas est déjà jugé, » non-seulement parce qu'il ne croit pas, mais parce qu'il sort de cette vie chargé des crimes dont il s'est rendu coupable. — S. AUG. (Traité 38.) Nôtre-Seigneur, en disant aux Juifs : « Si vous ne croyez pas que je suis, » sans rien ajouter, leur apprend une grande vérité ; c'est dans les mêmes termes que Dieu avait dit à Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3) Mais comment entendre ces paroles : « Je suis celui qui suis ; » et ces autres : « Si vous ne croyez pas que je suis, » comme si les autres êtres n'existaient pas ? C'est qu'en effet, quelles que soient l'excellence et la perfection d'un être, dès lors qu'il est soumis à la loi de la mutabilité, il n’existe vraiment pas. L'être véritable ne peut se trouver là où il y a alternative de l'être et du néant. Examinez la nature des êtres soumis à la loi des changements, vous y trouverez le passé et le futur ; reportez votre pensée sur Dieu, vous trouverez cette seule chose, il est, sans qu'il soit possible de trouver de temps passé : si donc vous voulez être véritablement, élevez-vous au-dessus du temps. Ces paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis, » par lesquelles Nôtre-Seigneur nous exhorte à ne point mourir dans nos péchés, n'ont point d'autre signification que celle-ci : Si vous ne croyez que je suis Dieu. Rendons grâces à Dieu de ce que le Sauveur nous dit : « Si vous ne croyez pas, » et non : Si vous ne comprenez pas, car qui pourrait comprendre ces mystères ? — ORIG. Il est évident que celui qui meurt dans ses péchés, affirmerait-il qu'il croit en Jésus-Christ, n'y croit pas véritablement. En effet, celui qui croit à la justice, ne doit commettre aucune injustice ; celui qui croit à la sagesse, ne doit ni dire ni faire rien qui lui soit contraire. Parcourez ainsi les autres perfections de Jésus-Christ, et vous comprendrez comment celui qui ne croit point en lui, meurt dans ses péchés, et comment celui dont la conduite est en opposition avec les divins attributs de Jésus-Christ.

 

Vv. 25-27.
 

S. AUG. (Traité 39.) Le Sauveur venait de leur dire : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans votre péché ; » ils lui demandent maintenant en qui ils doivent croire pour éviter cette mort dans le péché : « Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous ? » (Traité 38) Vous nous avez bien dit : Si vous ne croyez pas que je suis ; mais vous ne nous avez pas appris qui vous étiez. Il savait que quelques-uns d'entre eux devaient croire en lui, aussi à cette question : Qui êtes-vous ? Il leur répond : « Le Principe, moi-même qui vous parle, » pour leur apprendre ce qu'ils devaient croire de lui. Il ne leur dit point : Je suis le Principe, mais : « Croyez que je suis le Principe ; » ce qui parait clairement dans le texte grec où le mot Principe est du genre féminin. Croyez donc que je suis le Principe, pour éviter de mourir dans vos péchés, car le Principe est immuable, il demeure toujours le même, en renouvelant toute chose. (Traité 39.) Il serait absurde de dire que le Fils est le Principe en refusant cette dénomination au Père, cependant il n'y a pas plus deux principes qu'il n'y a deux Dieux. L'Esprit saint est l'Esprit du Père et du Fils, mais il n'est ni le Père, ni le Fils. Cependant le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu, une seule lumière, un seul Principe. Il ajoute : « Qui vous parle, » c'est-à-dire, je me suis humilié pour vous, et je m'abaisse jusqu'à vous tenir ce langage. Croyez donc que je suis le Principe, car pour justifier et appuyer votre foi, non-seulement je suis en effet le Principe, mais je vous parle. En effet, supposez que le Principe fut resté tel qu'il est dans le Père, sans prendre la forme de l'esclave, comment les hommes pourraient-ils croire en lui, puisque leur esprit si faible ne peut recevoir l'idée d'une chose intellectuelle sans l'intermédiaire de la voix extérieure ? — BEDE. On lit dans quelques exemplaires : « Moi qui vous parle, » mais il est plus convenable de lire : « Car je vous parle, » de manière à offrir ce sens : Croyez que je suis le Principe, car pour vous je me suis abaissé jusqu'à vous tenir ce langage.

 

S. CHRYS. (hom. 53) On peut encore considérer à un autre point de vue la coupable folie des Juifs qui, depuis si longtemps qu'ils sont témoins des miracles de Jésus-Christ, et reçoivent ses divins enseignements, osent encore lui faire cette question : « Qui êtes-vous ? » Aussi que leur répond le Sauveur ? « Je ne cesse de vous le dire depuis le commencement ». C'est-à-dire, vous êtes indignes d'entendre mes paroles, bien loin de mériter que je vous dise qui je suis, vous ne m'interrogez que pour me tenter, et vous ne faites aucune attention à ce que je vous dis ; aussi serais-je en droit de vous condamner et de vous punir : « J'ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous. » — S. AUG. (Traité 39.) Il a déclaré plus haut qu'il ne jugeait personne ; mais autre chose est de dire : « Je ne juge point, » et : « J'ai à juger, » « je ne juge point, » doit s'entendre du présent, tandis que ces paroles : « J'ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous, » sont des paroles prophétiques du jugement futur. Or, la vérité réglera mon jugement, parce que je suis le Fils de celui qui est véridique, et que je suis la vérité même : « Et celui qui m'a envoyé est véridique. » Le Père est véridique, non pas en participant à la vérité, mais en engendrant la vérité. Dirons-nous qu'ici celui qui est la vérité est supérieur à celui qui est véridique ? Mais alors ce serait reconnaître que le Fils est plus grand que le Père. — S. CHRYS. (hom. 53) Il leur parle de la sorte pour leur faire comprendre que s'il ne les punit pas de tant d'outrages qu'il reçoit d'eux, ce n'est point par faiblesse, ou parce qu'il ne connaît ni leurs pensées, ni les injures qu'ils lui font. — THEOPHYL. Ou peut encore donner cette explication : « En leur disant : J'ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous, » il renvoyait, pour ainsi dire, l'exercice du jugement à l'autre vie, il ajoute donc : « Mais celui qui m'a envoyé est véridique, c'est-à-dire, si vous êtes infidèles, mon Père ne laisse pas d'être véridique, » et il a établi un jour on vous recevrez ce que vous méritez. — S. CHRYS. (hom. 53.) Ou bien encore : Si mon Père m'a envoyé, non pour juger le monde, mais pour sauver le monde, comme mon Père est véridique je ne dois juger personne, et mes paroles ont pour objet votre salut, et non votre jugement et votre condamnation : « Et ce que j'ai entendu de lui je le dis au monde. » — ALCUIN. Entendre du Père pour le Fils, c'est la même chose qu'exister par le Père, car celui qui lui donne d'entendre est aussi celui qui lui donne son essence. — S. AUG. (Traité 39.) Le Fils égal et consubstantiel à son Père, rend gloire à son Père, comme s'il disait : Je rends gloire à celui dont je suis le Fils, comment pouvez-vous affecter de l'orgueil devant celui dont vous n'êtes que le serviteur ? — ALCUIN. Mais ils ne comprirent point de qui Jésus voulait parler en disant : « Celui qui m'a envoyé est véridique. » C'est ce qu'ajouté l’Evangéliste : « Et ils ne comprirent point, » qu'il disait que Dieu était son Père, car ils n'avaient pas encore ouvert ces yeux du cœur, qui auraient pu leur faire comprendre l'égalité du Père et du Fils.

 

Vv. 28-30.
 

S. AUG. (Traité 40 sur S. Jean.) Les Juifs ne comprirent donc pas que le Sauveur parlait de son Père, lorsqu'il disait : « Celui qui m'a envoyé est véridique. » Mais comme il en voyait quelques-uns parmi eux qu'il prévoyait devoir croire en lui après sa passion, il leur dit : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que je suis. » Rappelez-vous ces paroles : « Je suis celui qui suis, » (Ex 3) et vous comprendrez ce que signifie cette parole : « Je suis. » Je diffère le moment où vous me connaîtrez pour rendre possible ma passion, et vous connaîtrez en votre temps qui je suis, lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme. Il veut parler ici de son élévation sur la croix, parce qu'il fut élevé en réalité lorsqu'il fut suspendu à l'arbre de la croix ; or, il fallait que sa mort sur la croix s'accomplît par les mains de ceux qui devaient par la suite croire en lui. Mais dans quel dessein leur adresse-t-il ces paroles ? C'est afin que personne ne se laisse aller au désespoir, sa conscience lui reprochât-elle les plus grands crimes, lorsqu'il voit ceux qui avaient mis Jésus-Christ à mort, obtenir le pardon de leur homicide.

 

S. CHRYS. (hom. 53.) On peut encore établir autrement la suite du discours du Sauveur. Il n'avait pu convertir les Juifs, malgré la multitude de ses miracles et la force de ses divins enseignements ; il ne lui reste donc plus qu'à leur parler de sa croix : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, » etc., c'est-à-dire, vous pensez que vous serez délivrés de moi lorsque vous m'aurez mis à mort ; mais moi, je vous dis que c'est alors surtout que l'éclat des miracles, ma résurrection, et votre propre captivité, vous feront connaître que je suis le Christ, le Fils de Dieu, et que je ne lui suis point opposé. C'est pour cela qu'il ajoute : « Alors vous reconnaîtrez que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ce que mon Père m'a enseigné. » C'est ainsi qu'il prouve que le Père et le Fils ont une seule et même nature, et qu'il ne dit rien qui ne soit l'expression de là pensée de son Père. Car si j'étais en opposition avec Dieu, je n'aurais pu exciter une si grande colère contre ceux qui ont refusé de m'écouter.

 

S. AUG. (Traité 40.) Ou bien encore comme il venait de dire : « Alors vous connaîtrez que je suis, » et que la Trinité tout entière est le principe et la source de l'être même, le Sauveur prévient l'erreur des Sabelliens, en ajoutant aussitôt : « Et que je ne fais rien de moi-même, » c'est-à-dire, je ne viens pas de moi-même ; car le Fils, qui est Dieu, vient du Père, qui est Dieu. Si donc il ajoute encore : « Et je dis ce que mon Père m'a enseigné, » gardez-vous, à ces paroles, de toute pensée charnelle ; ne vous représentez point deux hommes devant les yeux, l'un qui serait le père, l'autre le fils, et le père parlant à son fils comme lorsque vous adressez vous-même la parole à votre fils ; car quelles paroles le Père pourrait-il adresser à son Verbe unique ? Si Dieu parle à vos cœurs sans l'intermédiaire d'aucune voix extérieure, comment parle-t-il à son Fils ? Il lui parle d'une manière incorporelle, parce qu'il l'a engendré d'une manière incorporelle ; il ne l'a point enseigné comme s'il l'avait engendré sans aucune science. Pour Dieu le Père, enseigner son Fils, c'est l'engendrer dans toute sa science ; car comme la nature de la vérité est simple, être et connaître sont une même chose pour le Fils. Et en l'engendrant, le Père lui a donné la connaissance, de la même manière qu'il lui a donné l'être.

 

S. CHRYS. (hom. 53.) Nôtre-Seigneur ramène de nouveau son discours à des proportions plus humbles : « Et celui qui m'a envoyé est avec moi. » Mais dans la crainte que ces paroles : « Il m'a envoyé, » ne paraissent à leurs yeux un signe d'infériorité, il ajoute : « Il est avec moi. » L'une de ces deux choses entrait dans l'économie de l'incarnation, l'autre est une preuve de divinité. — S. AUG. (Traité 40.) Tous deux sont ensemble, cependant l'un a été envoyé, l'autre a envoyé, parce que l'incarnation est une véritable mission, le Fils seul s'est incarné, et non le Père. Le Sauveur dit : « Celui qui m'a envoyé, » c'est-à-dire celui qui, par son autorité paternelle, a été la cause de mon incarnation. Ainsi le Père a envoyé le Fils, mais il ne s'est point séparé du Fils. Aussi ajoute-t-il : « Et il ne me laisse pas seul. » En effet, le Père ne pouvait être absent du lieu où il envoyait le Fils, lui qui nous dit, par son prophète : « Je remplis le ciel et la terre. » (Jr 23, 24.) Le Sauveur donne ensuite la raison pour laquelle Dieu ne l'abandonne point : « Parce que je fais toujours ce qui lui plaît. » Je n'ai pas commencé à le faire, je fais ce qui lui plaît sans commencement comme sans fin, car la génération divine n'a pas de commencement. — S. CHRYS. (hom. 53.) Ou bien encore Nôtre-Seigneur répond ici à l'objection qu'ils lui faisaient de ne pas venir de Dieu et de ne pas observer la loi du sabbat, en leur disant : « Je fais toujours ce qui lui plaît, » et il leur démontre ainsi qu'il était agréable à Dieu qu'il transgressât la loi du sabbat, car il s'applique en toute circonstance à prouver qu'il ne fait rien de contraire à Dieu son Père. Ces paroles, ce langage moins élevé, en déterminèrent un certain nombre à croire en lui : « Comme il disait ces choses, plusieurs crurent en lui. » L'Evangéliste semble dire : Ne soyez pas surpris d'entendre sortir de la bouche du Sauveur une doctrine moins relevée, puisque vous voyez que ceux que la sublimité de ses enseignements n'avaient pu persuader, sont amenés à croire en lui par des paroles en disproportion ce semble avec sa grandeur. Ils crurent donc en lui, mais non pas comme ils le devaient ; ils se contentèrent de se reposer avec joie dans les paroles plus humbles qu'ils venaient d'entendre. La suite prouvera bientôt, en effet, toute l'imperfection de leur foi, puisque nous les verrons se laisser aller à de nouveaux outrages contre le Sauveur.

 

Vv. 31-36.
 

S. CHRYS. (hom. 54 sur S. Jean.) Notre-Seigneur voulait appuyer sur de solides fondements la foi de ceux qui avaient cru en lui, pour que cotte foi ne fut point purement superficielle. Jésus dit donc à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples. » Par ces paroles : « Si vous demeurez, » il révèle les dispositions intérieures de leur cœur; il savait bien, en effet, qu'ils avaient cru, mais il savait aussi que leur foi ne persévérerait pas, et pour les affermir dans la foi, il leur fait une magnifique promesse, c'est qu'ils deviendront ses disciples. Il blâme indirectement par là ceux qui s'étaient précédemment séparés de lui ; ils l'avaient entendu, ils avaient cru en lui, et ils le quittèrent, parce que leur foi ne fut point persévérante.

 

S. AUG. (serm. 40 sur les par. du Seig.) Nous n'avons tous qu'un seul maître, et nous sommes tous également ses disciples. Nous ne portons pas justement le titre de maîtres, parce que nous enseignons d'un lieu plus élevé, le véritable maître de tous les hommes est celui qui habite au dedans de nous. Or, l'important pour le disciple n'est point d'approcher de son maître, il faut que nous demeurions en lui ; et si nous ne demeurons pas en lui, notre chute est inévitable. Si vous demeurez, c'est là une œuvre abrégée en apparence, oui, abrégée dans les termes, mais bien étendue dans l'exécution. Qu'est-ce, en effet, que demeurer dans les paroles du Seigneur, si ce n'est ne succomber à aucune tentation ? Si vous agissez sans efforts, vous recevez la récompense sans l'avoir méritée, mais si vous avez de grands obstacles à vaincre, considérez aussi la grande récompense qui vous attend : « Et vous connaîtrez la vérité. » — S. AUG. (Traités 40 et 41.) C'est-à-dire, vous croyez maintenant, si vous demeurez dans la foi, vous verrez ce qui fait l'objet de votre foi ; car remarquez-le bien, la foi ne fut point produite par la connaissance, mais la connaissance a été le fruit de la foi. Qu'est-ce que la foi ? croire ce que vous ne voyez pas ; qu'est-ce que la vérité ? voir ce que vous avez cru. Si donc nous demeurons dans ce que nous croyons, nous parviendrons à la claire vision, c'est-à-dire que nous contemplerons la vérité telle qu'elle est, non plus par l'intermédiaire de paroles qui retentissent à nos oreilles, mais à la splendeur éclatante delà lumière elle-même. Or, la vérité est immuable, c'est un pain véritable qui répare les forces de l'âme, et qui est inépuisable ; il change en lui celui qui s'en nourrit, mais il n'est pas changé en celui qu'il nourrit. La vérité c'est le Verbe de Dieu lui-même, cette vérité s'est revêtue d'une chair mortelle ; c'est pour nous qu'elle se cachait sous l'enveloppe de la chair, non point dans le dessein de se voir niée, mais elle différait de se faire connaître, afin qu'elle pût ainsi souffrir dans la chair, et racheter par ses souffrances la chair du péché. — S. CHRYS. (hom. 53.) Ou bien vous connaîtrez la vérité, c'est-à-dire, vous me connaîtrez moi-même, car je suis la vérité, la loi des Juifs ne renfermait que des figures, c'est par moi que vous connaîtrez la vérité.

 

S. AUG. (serm. sur les par. du Seign.) Quelqu'un dira peut-être : Et que me servira-t-il de connaître la vérité ? Ecoutez ce qu'ajoute Nôtre-Seigneur : « Et la vérité vous délivrera. » Il semble leur dire : Si la vérité vous touche peu, soyez du moins sensibles au charme de la liberté, car être délivré, c'est être libre, de même qu'être guéri, c'est être rendu à la santé. Cette signification ressort bien plus clairement du texte grec ?????????, car dans la langue latine, le mot délivrer (liberari) signifie plutôt échapper au danger, être affranchi de toutes choses pénibles. — THEOPHYL. Il a menacé plus haut ceux qui persévèrent dans leur infidélité de les laisser mourir dans leurs péchés, ici, au contraire, il promet à ceux qui demeurent dans sa parole l'absolution de leurs péchés. — S. AUG. (de la Trin., 4, 18.) Mais de quoi la vérité nous délivrera-t-elle, si ce n'est de la mort, de la corruption, du changement ? car la vérité demeure immortelle, incorruptible, immuable, et la véritable immutabilité, c'est l'éternité elle-même.

 

S. CHRYS. (hom. 53.) Il était du devoir de ceux qui avaient cru en Jésus-Christ du supporter au moins les reproches qu'il leur adressait ; loin de là, ils entrent aussitôt en fureur contre lui. Mais si les paroles du Sauveur avaient dû être pour eux une cause d'agitation et de trouble, c'était plutôt celles qui précèdent : « Et vous connaîtrez la vérité ; » et ils auraient eu quelque raison de dire : Nous ne connaissons donc point la vérité, notre loi n'est donc que mensonge, ainsi que notre science. Mais ils n'ont aucun souci de la vérité, et leur mécontentement porte tout entier sur des objets profanes, car ils ne connaissaient d'autre servitude que la servitude extérieure. Les Juifs lui répondirent : « Nous sommes la race d'Abraham, et nous n'avons jamais été esclaves de personne. » C'est-à-dire, vous ne devez pas traiter d’esclaves ceux qui sont libres par leur naissance, nous n'avons jamais été esclaves. — S. AUG. (Traité 41.) On peut dire aussi que cette réponse fut faite non point par ceux qui avaient cru aux paroles du Sauveur, mais par ceux qui n'avaient pas encore la foi en lui. Mais comment pouvez-vous dire en vérité que vous n'avez jamais été en servitude, si vous l'entendez de la servitude extérieure et publique ? Est-ce que Joseph n'a pas été vendu ? Est-ce que les saints prophètes n'ont pas été conduits en captivité. O ingrats que vous êtes ! pourquoi donc Dieu vous reproche-t-il continuellement d'oublier qu'il vous a délivrés de la demeure de la servitude, si vous n'avez jamais été esclaves ? Mais vous-mêmes qui tenez ce langage, pourquoi payez-vous le tribut aux Romains, si vous n'avez jamais été asservis à personne ?

 

S. CHRYS. (hom. 53.) Or comme le Sauveur ne parlait point par un motif de vaine gloire, mais uniquement pour leur salut, il s'abstient de leur prouver qu'ils étaient esclaves des hommes, et il se borne à leur montrer qu'ils sont sous l'esclavage du péché, esclavage le plus dur de tous, et dont Dieu seul peut délivrer : « Jésus leur répartit : En vérité, en vérité, je vous le dis, » etc.

 

S. AUG. (Traité 41) Cette manière de parler dans la bouche du Sauveur, annonce toujours une vérité sur laquelle il veut attirer notre attention, c'est comme une espèce de serment. Amen veut dire vrai, et cependant ni l'interprète grec, ni l'interprète latin n'ont voulu exprimer cette signification du mot amen qui est un mot hébreu ; peut-être pour protéger le mystère de ce mot sous le voile du secret, non pas sans doute pour en cacher absolument la signification, mais pour en prévenir la profanation. Sa répétition même prouve son importance : « En vérité je vous le dis, » c’est la vérité même qui vous parle, quand bien même elle ne vous préviendrait pas qu'elle dit la vérité, il lui serait absolument impossible de ne point la dire ; cependant elle tient à le rappeler, elle réveille pour ainsi dire les âmes endormies, elle veut défendre de tout mépris ses divins enseignements. Tout homme, dit-elle, Juif ou Grec, riche ou pauvre, roi ou mendiant, s'il commet le péché, devient esclave du péché. — S. GREG. (4 Mor., 21 ou 42) Tout homme, en effet, qui se laisse dominer par un désir coupable, abaisse et plie la liberté de son âme sous le joug de la servitude ; nous résistons à cette servitude, lorsque nous luttons contre l’iniquité qui veut nous dominer, lorsque nous résistons énergiquement à la tyrannie de l'habitude, lorsque nous détruisons en nous le crime par le repentir, lorsque nous lavons dans nos larmes les souillures de nos fautes.

 

S. GREG. (Moral., 25, 14 ou 20.) Plus on se plonge librement dans tous les excès du crime, et plus on resserre étroitement les chaînes de cet esclavage. — S. AUG. (Traité 41) O misérable servitude ! L'esclave d'un homme, fatigué du joug tyrannique de son maître, cherche son repos dans la fuite, mais où peut fuir l'esclave du péché ? Partout où il dirige ses pas, il se porte avec lui ; le péché qu'il a commis est nu-dedans de lui-même ; la volupté passe, le péché ne passe pas ; le plaisir qui flatte passe, le remords qui déchire demeure. Celui-là seul peut nous délivrer du péché qui est venu sur la terre sans aucun péché, et qui s'est offert en sacrifice pour le péché. Car pour l'esclave, ajoute le Sauveur, il ne demeure pas toujours dans la maison. Cette maison, c'est l'Eglise, l'esclave, c'est le pécheur ; un grand nombre de pécheurs entrent dans l'Eglise, aussi Nôtre-Seigneur ne dit pas : L'esclave n'est pas dans la maison, mais : « Il ne demeure pas toujours dans la maison. » Mais s'il n'y a point d'esclave dans la maison, qu'y aura-t-il donc ? Qui peut se glorifier d'être pur de tout péché ? Cette parole du Sauveur est vraiment effrayante, aussi ajoute-t-il : « Mais le Fils y demeure toujours. » Est-ce donc que le Christ sera seul dans sa maison ? Ou bien, sous le nom de Fils, comprend-il le chef et les membres ? Ce n'est pas sans raison qu'il inspire tour à tour la crainte et l'espérance, la crainte pour nous détourner d'aimer le péché, l'espérance pour ne point nous laisser désespérer du pardon de nos péchés. Notre espérance est donc d'être délivré par celui qui est libre ; c'est lui qui a payé notre rançon, non point avec de l'argent, mais avec son sang, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Si le Fils vous délivre, vous serez véritablement libres. »

 

S. AUG. (serm. 48 sur les par. du Seig.) Vous serez libres, non point du joug des barbares, mais des chaînes du démon, non point de la captivité du corps, mais de l'iniquité de l'âme. — S. AUG. (Traité 41 sur S. Jean.) La liberté qui vient en premier lieu consiste à être exempt de tout crime, mais ce n'est que le commencement de la liberté, ce n'en est point la perfection, parce que la chair ne laisse point de convoiter encore contre l'esprit, de sorte que vous ne fassiez pas ce que vous voulez. (Ga 6) La liberté pleine et parfaite nous sera donnée, lorsque toutes les inimitiés auront cessé, et que la mort, c'est-à-dire, le dernier ennemi, sera détruite. (1 Co 15, 26.)

 

S. CHRYS. (hom. 43 sur S. Jean.) On peut encore donner cette explication. Les Juifs, à ces paroles du Sauveur : « Celui qui commet le péché est esclave du péché, pouvaient objecter : nous avons des sacrifices qui peuvent nous délivrer du péché ; Nôtre-Seigneur les prévient donc en leur disant : « L'esclave ne demeure pas toujours dans la maison. » Sous le nom de maison, il veut désigner le royaume de son Père, et par cette comparaison empruntée aux choses humaines, il leur apprend qu'il a puissance et autorité sur toutes choses, de même que le maître d'une maison sur tout ce qu'elle renferme. En effet, cette expression : « Il ne demeure pas, » signifie : Il n'a le pouvoir de rien donner, le Fils, au contraire, qui est le maître de la maison, a ce pouvoir ; voilà pourquoi les prêtres de l'ancienne loi n'avaient point le pouvoir de remettre les péchés par les sacrifices de la loi ancienne, « car tous ont péché, » (Rm 7, 23) même les prêtres, qui ont aussi besoin, comme le dit l'Apôtre, d'offrir des sacrifices pour eux-mêmes (He 7, 27) ; le Fils, au contraire, a ce pouvoir, c'est pour cela qu'il conclut en disant : « Si le Fils vous délivre, vous serez vraiment libres, » leur montrant ainsi que la liberté extérieure dont ils se glorifiaient, n'était pas la vraie liberté. — S. AUG. (Traité 41) Gardez-vous donc d'abuser de celte liberté pour pécher plus librement, mais servez-vous-en, au contraire, pour fuir le péché, car votre volonté sera libre si elle est sincèrement pieuse ; vous serez affranchis du péché si vous êtes esclaves de la justice.

 

Vv. 37-41.
 

S. AUG. (Traité 42 sur S. Jean.) Les Juifs se proclamaient libres, parce qu'ils étaient les enfants d'Abraham. Que répond le Sauveur à cette prétention ? « Je sais que vous êtes enfants d'Abraham, » c'est-à-dire, je sais que vous êtes les descendants d'Abraham par la chair, mais non par la foi du cœur, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Mais vous cherchez à me faire mourir. » — S. CHRYS. (hom. 53 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ajoute ces paroles pour réprimer leur arrogance et les empêcher de dire : « Nous n'avons point de péché. » Il s'abstient de relever les autres crimes de leur vie, il les prend sur le fait et leur met sous les yeux l'acte coupable qu'ils voulaient consommer. Il leur enlève peu à peu l'honneur de cette parenté et leur apprend à ne point tant s'en glorifier, car ce sont les œuvres surtout qui établissent la véritable parenté, de même que ce sont les œuvres qui font les hommes libres ou esclaves. Et pour leur ôter tonte excuse de dire qu'ils agissaient en cela avec justice, le Sauveur leur fait connaître la cause de leurs desseins coupables : « Parce que ma parole ne prend point en vous. » — S. AUG. (Traité 42) C'est-à-dire, elle ne prend point votre cœur, parce qu'il ne la reçoit pas. La parole de Dieu est pour les fidèles ce qu'est l'hameçon pour le poisson, il prend l'hameçon lorsqu'il est pris, et ici aucun mal n'est fait à ceux qui sont pris de la sorte, car c'est pour leur salut et non pour leur, perte qu'on les prend. S. CHRYS. (hom. 53.) Nôtre-Seigneur ne dit pas : Vous ne prenez pas ma parole, mais : « Ma parole ne prend point en vous, » pour montrer la hauteur des vérités qu'il enseigne. Mais ils pouvaient lui dire : Où est la justice de votre réponse, si vous parlez de vous-même ? Il se hâte donc d'ajouter : « Ce que j'ai vu dans mon Père, je le dis, » non-seulement j'ai la même nature, mais la même vérité que lui. — S. AUG. (Traité 42.) Nôtre-Seigneur veut leur faire comprendre que son Père est Dieu : J'ai vu la vérité, leur dit-il ; je dis la vérité, parce que je suis la vérité. Si donc le Seigneur dit la vérité qu'il a vue dans son Père, il s'est vu lui-même, il s'affirme lui-même, parce qu'il est lui-même la vérité du Père. — ORIG. (Traité 20 sur S. Jean.) Ces paroles prouvent que le Sauveur a vu par lui-même ce qui était dans le Père, taudis que les hommes à qui la vérité est révélée, ne la voient point par eux-mêmes. — THEOPHYL. Il ne faut pas entendre ces paroles du Sauveur : « Je dis ce que j'ai vu ; » dans le sens d'une vision corporelle, elles expriment une connaissance naturelle, véritable et parfaite, et veulent dire : De même que les yeux en fixant un objet, le voient dans son intégrité et dans sa vérité sans se tromper ; ainsi je dis dans toute leur vérité toutes les choses que j'ai vues dans mon Père.

 

« Et vous, ce que vous avez vu dans votre père, vous le faites. » — ORIG. (Traité 20.) Il ne nomme pas encore leur Père, il a parlé plus haut d'Abraham, mais il va leur parler d'un autre père, c'est-à-dire du démon, dont ils sont enfants, non pas en tant qu'hommes, mais en tant qu'ils sont livrés au mal. C'est ce mal qu'ils commettent, que le Seigneur reprend et condamne en eux. — S. CHRYS. (hom. 53.) Une autre version porte : « Faites ce que vous avez vu dans votre père. » C'est-à-dire, de même que je montre mon Père par mes paroles et par la vérité de mes œuvres, montrez vous-mêmes Abraham par vos œuvres. — ORIG. Une autre version porte encore : Pour vous, faites ce que vous avez entendu de votre père, car ils avaient appris du Père ce qui est écrit dans la loi et les prophètes. Si l'on adopte cette version, on pourra la faire servir à prouver contre ceux qui sont d'une opinion contraire, que le Dieu qui a donné la loi et inspiré les prophètes, n'est autre que le Père de Jésus-Christ. Interrogeons aussi ceux qui soutiennent le système des deux natures, diront-ils qu'ils ont entendu la parole du Père, quoique lui étant étrangers ? Cela n'est pas possible ; soutiendront-ils qu'ils participaient à la même nature que le Sauveur, comment alors cherchaient-ils à le mettre à mort, et ne pouvaient-ils comprendre sa parole ?

 

Ils ne purent supporter que le Sauveur prolongeât la discussion sur cette question, quel était leur père, car ils se prétendaient les enfants de celui que Dieu a déclaré le père d'un grand nombre de nations : « Ils lui répondirent : Notre père est Abraham. » — S. AUG. Ils semblent lui dire : Quel reproche pouvez-vous faire à Abraham ? Et veulent-ils l'exciter à dire du mal d'Abraham pour y trouver eux-mêmes l'occasion d'exécuter leur dessein ? — ORIG. Mais le Sauveur leur enlève ce moyen de défense comme n'étant point fondé sur la vérité : « Jésus leur dit : Si vous êtes les enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham. » — S. AUG. Et cependant il leur a dit plus haut : Je sais que vous êtes les enfants d'Abraham, il ne met donc point en doute leur origine, mais il condamne leur conduite. Leur chair descendait d'Abraham, mais leur vie n'en venait pas. — ORIG. (Traité 20.) On peut encore donner une autre explication fondée sur le texte grec : « Je sais que vous êtes de la race, ou littéralement de la semence d'Abraham. » Pour rendre cette explication plus claire, voyons d'abord la différence qui existe entre la semence destinée à former le corps et l'enfant. Il est évident d'abord que la semence a en elle-même toutes les raisons constitutives de celui dont elle est la semence, bien qu'elles soient encore à l'état d'inaction et de repos. Mais après la transformation de cette semence et son action particulière sur la matière qui lui est présentée par la femme, l'enfant, au moyen de l'alimentation qu'il reçoit, prend lui-même la forme de celui qui l'a engendré. Quant au corps, tout enfant vient nécessairement d'une semence, mais toute semence ne se transforme pas en enfant. Mais puisque c'est par les œuvres que l'on juge quels sont ceux qui méritent d'être considérés comme la race, comme la semence d'Abraham, voyons si ce ne serait pas au moyen de certaines semences intellectuelles répandues dans les âmes qu'on pourrait reconnaître ceux qui sont de la race d'Abraham. Tous les hommes ne sont donc pas la semence d'Abraham, parce que tous n'ont pas ces semences intellectuelles infuses dans leurs âmes. Il faut que celui qui est la semence d'Abraham, devienne aussi son fils en prenant sa ressemblance. Or, il peut arriver que par suite de sa négligence ou de son inaction, il détruise en lui cette précieuse semence. Quant à ceux à qui Nôtre-Seigneur s'adressait, toute espérance n'était pas encore détruite, Jésus savait qu'ils étaient encore la semence d'Abraham, et qu'ils n'avaient pas encore perdu le pouvoir de devenir enfants d'Abraham. C'est pourquoi il leur dit : « Si vous êtes les enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham. » S'ils avaient voulu laisser croître cette précieuse semence jusqu'à son parfait développement, ils auraient compris la parole de Jésus. Mais comme ils ne sont point parvenus à être les enfants d'Abraham, ils ne peuvent comprendre cette parole, et ils cherchent à la détruire et comme à la briser, parce qu'ils n'en comprennent point la grandeur. Si donc quelqu'un d'entre vous est la semence d'Abraham, et qu'il ne comprenne pas encore le Verbe de Dieu, qu'il se garde bien de chercher à mettre le Verbe à mort, mais qu'il se transforme en fils d'Abraham, et alors il pourra comprendre le Fils de Dieu. Il en est qui se bornent à choisir une seule des œuvres d'Abraham, celle que l'Apôtre relève en ces termes : « Abraham crut à la parole de Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice. » Mais si, comme ils le prétendent, la foi est la seule œuvre nécessaire, pourquoi le Sauveur n'a-t-il pas dit au singulier : « Faites l'œuvre d'Abraham, » mais au pluriel : « Faites les œuvres d'Abraham » ? Ces paroles sont l'équivalent de celles-ci : Faites toutes les œuvres d'Abraham, en prenant toutefois la vie d'Abraham dans le sens allégorique et ses actions dans un sens spirituel. En effet, celui qui veut devenir le fils d'Abraham, ne doit point, à l'exemple d'Abraham, prendre ses servantes pour épouses, ni après la mort de sa femme en épouser une autre dans sa vieillesse.

 

« Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité. » — S. CHRYS. (hom. 53.) Quelle vérité ? Qu'il est égal au Père, car c'est pour cela que les Juifs cherchaient à le mettre à mort. Et pour leur montrer que cette vérité n'est pas contraire à Dieu, il ajoute : « Que j'ai entendue de Dieu. » — ALCUIN. C'est qu'en effet, celui qui est la vérité, avait été engendré par le Père, car pour lui entendre du Père, n'est autre qu'être engendré de Dieu le Père. — ORIG. « Moi, un homme qui vous ai dit la vérité. » Je ne dis pas encore : Moi le Fils de Dieu, je ne dis pas : Moi le Verbe, parce que le Verbe ne meurt pas ; je dis ce que vous voyez, parce que vous pouvez mettre à mort ce que vous voyez, et que vous ne pouvez qu'outrager ce que vous ne voyez pas.

 

« Ce n'est point ce qu'à fait Abraham. » — ALCUIN. C'est-à-dire, vous prouvez justement que vous n'êtes pas les enfants d'Abraham, parce qui; vous faites des œuvres contraires à celles qu'a faites Abraham. — ORIG. Mais, me dira-t-on, c'est bien in utilement qu'on fait un mérite à Abraham de n'avoir point fait ce qu'il n'aurait pu faire de son temps, car le Christ n'était pas né du temps d'Abraham ? Nous répondons qu'au temps même d'Abraham il y avait des hommes qui annonçaient la vérité qu'ils avaient entendue de Dieu, et que certainement Abraham ne chercha point à les mettre à mort. Il faut se rappeler, en effet, que l'avènement spirituel de Jésus a toujours été présent pour les saints, d'où je conclus que tout homme qui après sa régénération et les grâces célestes qu'il a reçues, retombe dans le péché, crucifie de nouveau le Fils de Dieu par les crimes dans lesquels il retombe. Ce que n'a pas fuit Abraham.

 

« Vous faites les oeuvres de votre père. » — S. AUG. (Traité 42.) Il ne leur dit pas encore quel est leur père. — S. CHRYS. (hom. 53.) Son dessein, en leur parlant de la sorte, est de détruire en eux ces sentiments de vaine gloire, que leur inspire leur parenté avec Abraham, et de bien les persuader de placer l'espérance de leur salut, non point dans une parenté toute naturelle, mais dans la parenté fondée sur l'adoption spirituelle, parce, qu'en effet ce qui les empêchait de venir à Jésus-Christ, c’est qu'ils pensaient que cette parenté avec Abraham suffisait pour le salut.

 

Vv. 41-43.
 

S. AUG. (Traité 42 sur S. Jean.) Les Juifs avaient commencé à comprendre que Jésus ne leur parlait pas de la génération ou de la parenté selon la chair, mais qu'il s'agissait de la sage direction de toute la vie. Et comme les saintes Ecritures donnent le nom de fornication spirituelle au culte, que l'âme, semblable à une prostituée, rend à une multitude de fausses divinités, ils se hâtent de répondre : « Nous ne sommes pas nés de la fornication, nous avons un seul père qui est Dieu. » — THEOPHYL. Ils lui font entendre par là qu'ils demandent vengeance à Dieu , et qu'ils invoquent son appui dans les desseins qu'ils forment contre lui.

 

ORIG. (Traité 22 sur S. Jean.) Ou bien encore, comme Jésus leur a reproché de n'être pas les enfants d'Abraham, ils lui répondent par un outrage personnel, et veulent insinuer à mots couverts que le Sauveur est le fruit de l'adultère. Il me parait cependant plus vraisemblable que cette réponse fait suite à la discussion. Ils ont commencé par dire : « Notre père est Abraham, » et Jésus leur a répondu : « Si vous êtes les enfants d'Abraham, faites les œuvres d'Abraham, » ils déclarent maintenant qu'ils ont un père plus grand qu'Abraham, c'est-à-dire Dieu, et qu'ils ne sont point enfants de la fornication. Car ce n'est point d'une épouse légitime, mais de la matière comme d'une prostituée, que le démon qui ne fait rien de lui-même, produit ceux qui, plongés dans les jouissances charnelles, sont esclaves de la matière. — S. CHRYS. (hom. 54) Mais que dites-vous ? Vous avez Dieu pour père, et vous faites un crime au Christ de tenir ce langage ? Et cependant un grand nombre d'entre eux étaient nés de la fornication, car les unions illicites étaient fréquentes chez les Juifs. Le Sauveur, toutefois, ne leur en fait point un reproche, mais il s'attache à leur prouver qu'ils ne sont point de Dieu : « Jésus leur dit donc : Si Dieu était votre père, vous m'aimeriez certainement, parce que je suis sorti de Dieu, et que je viens de sa part. » — S. HIL. (De la Trin., 6) Le Fils de Dieu ne défend pas que cet auguste nom soit porté par ceux qui, faisant profession d'être les enfants de Dieu, reconnaissent Dieu pour leur père ; mais il blâme la téméraire présomption des Juifs qui prétendaient que Dieu était leur père, et qui n'avaient pour lui, son Fils, aucun amour. On ne peut dire que sortir de Dieu et venir de Dieu soient deux termes identiques, mais comme il déclare que ceux qui proclament Dieu leur père, devraient l'aimer par ce seul motif qu'il est sorti de Dieu , il donne donc pour motif de cet amour le motif de sa naissance, car sortir de Dieu est la même chose que naître, incorporellement de lui. On n'est donc vraiment digne de la religion, par laquelle on reconnaît Dieu pour père, qu'en aimant Jésus-Christ qui a été engendré du Père, et il est impossible d'être vraiment religieux envers le Père, sans aimer le Fils, puisque l'unique cause d'aimer le Fils, c'est qu'il est sorti de Dieu. Le Fils virait donc du Père, non par avènement, mais par naissance, et la plus grande marque d'amour envers le Père sera toujours de croire que le Fils est venu de lui.

 

S. AUG. (Traité 42) Le Verbe procède donc de Dieu, et il en procède éternellement,  car il en procède comme le Verbe du Père, et il est venu jusqu’à nous, parce que le Verbe s’est fait chair. Son avènement c'est donc son humanité, et sa demeure, sa divinité. Vous dites que Dieu est votre Père, reconnaissez-moi au moins pour votre frère. — S. HIL. Nôtre-Seigneur enseigne clairement qu'il ne tire point son origine de lui-même en ajoutant : « Je ne suis pas venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé. » — ORIG. Je pense que le Sauveur s'exprime de la sorte pour blâmer la conduite de ceux qui venaient de leur propre autorité, sans être envoyés par le Père, et dont Jérémie disait : « Je ne les envoyais point, et ils couraient d'eux-mêmes. » (Jr 21, 23.) Mais comme les partisans des deux natures appuient leur erreur sur ces paroles, nous pouvons leur demander sous forme d'objection : Paul, sans doute, haïssait Jésus, lorsqu'il persécutait l'Eglise de Dieu ? Et voilà pourquoi le Seigneur lui disait : « Pourquoi me persécutez-vous ? » Si donc nous devons admettre la vérité de cette proposition : « Si Dieu était votre Père, vous m'aimeriez certainement, » il faut admettre également la vérité de cette autre proposition : « Si vous ne m'aimiez pas, Dieu ne serait pas votre Père. » Il fut donc un temps où Paul n'aimait pas Jésus, il fut un temps où Dieu n'était pas le père de Paul, Paul ne fut donc jamais enfant de Dieu par nature, mais il est devenu par la suite enfant de Dieu. Or, quand devient-on le fils de Dieu, si ce n'est quand on observe ses commandements ?

 

S. CHRYS. (hom. 54.) Comme ils faisaient sans cesse cette question : Que veut-il dire, quand il nous déclare que là où il va, nous ne pouvons aller ? le Sauveur ajoute : « Pourquoi ne reconnaissez-vous point mon langage ? parce que vous ne pouvez point entendre ma parole. » — S. AUG. (Traité 42.) Or, ils ne pouvaient l'entendre, parce qu'ils ne voulaient pas y croire pour réformer leur vie. — ORIG. (Traité 22.) La première chose est donc d'obtenir la vertu d'écouter le Verbe divin, afin d'être plus fort ensuite pour suivre la doctrine de Jésus dans toute son étendue ; car tant que l'homme n'a pas été guéri dans le sens de l'ouïe, par la parole qui a dit au sourd de l'Evangile : « Ouvrez-vous, » (Mc 7) il lui est impossible d'en faire usage pour entendre.

 

Vv. 44-47.
 

S. CHRYS. (hom. 54 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur a prouvé aux Juifs qu'ils n'avaient aucun droit à se dire la race d'Abraham, et comme ils élevaient plus haut encore leurs prétentions, en proclamant qu'ils avaient Dieu pour père, ils les confond de nouveau en leur disant : « Vous avez le démon pour père. » — S. AUG. (Traité 42) Il faut nous garder ici de l'erreur des Manichéens, qui prétendent qu'il existe un certain principe du mal, une nation de ténèbres avec ses chefs, d'où le démon a tiré son origine, c'est de là aussi que notre chair puiserait la raison de son existence, et c'est pour confirmer cette opinion que le Sauveur dit aux Juifs : « Vous avez le démon pour père, » c'est-à-dire qu'ils seraient mauvais par nature, parce qu'ils tiraient leur origine de la nation des ténèbres, en hostilité avec Dieu.

 

ORIG. (Traité 22) Ils sont tombés dans la même erreur que celui qui prétendrait que l'œil d'un homme qui voit, diffère quant à sa nature de l'œil de l'aveugle où de celui qui détourne les yeux de la lumière. Non la nature de l'œil est la même dans ces deux hommes, mais il y a une cause particulière qui empêche l'un de ces deux hommes de voir. Ainsi la nature de l'âme reste la même soit qu'elle se rende à la raison, soit qu'elle y résiste.

 

S. AUG. (Traité 42.) Les Juifs étaient donc les enfants du démon, non par naissance, mais par imitation : « Et vous voulez accomplir les désirs de votre Père. » Ce qui vous fait ses enfants, ce n'est pas que vous soyez nés de lui, c'est que vous nourrissez les mêmes désirs. Car vous cherchez à me faire mourir, moi un homme qui vous ai dit la vérité ; et le démon a aussi porté envie au premier homme et l'a mis à mort : « Et il était homicide dès le commencement. » Il a été homicide à l'égard du premier homme qu'il a pu mettre à mort, puisqu'il n'aurait pu le mettre à mort avant qu'il commençât d'exister. Ce n'est point avec le glaive que le démon s'est présenté pour attaquer l'homme, il lui a suffi de semer dans son âme une mauvaise parole pour lui donner la mort. Ne vous regardez donc pas comme innocent d'homicide, lorsque vous persuadez le mal à votre frère. Mais pour vous, vous voulez exercer votre fureur sur mon corps, parce que vous ne pouvez rien sur mou âme.

 

ORIG. Remarquez que le démon a mérité ce nom d'homicide dès le commencement, non pour avoir commis un seul homicide, mais pour avoir mis à mort tout le genre humain (en tant que tous les hommes sont morts dans Adam). — S. CHRYS. (hom. 54.) Jésus ne leur dit pas : Vous faites les œuvres, mais : « Vous voulez accomplir les désirs de votre père, » pour exprimer la violente passion du meurtre qui les domine, à l'exemple du démon ; et comme ils lui reprochaient continuellement de ne point venir de Dieu, il leur insinue indirectement que celle pensée vient aussi du démon : « Et il n'est point demeuré dans la vérité. » — S. AUG. (Cité de Dieu, 11, 13.) Il en est qui prétendent que dès le commencement de son existence, le démon n'est point demeuré dans la vérité, et qu'il n'a jamais eu part à la béatitude des saints anges ; car, disent-ils, il a refusé de se soumettre à son Créateur, et il est devenu aussitôt un esprit faux et trompeur, parce qu'au lieu de conserver par une humble soumission ce qu'il était véritablement, il a mieux aimé affecter par un excès d'orgueil, une élévation qui ne lui appartenait pas. Ce sentiment n'a rien de commun avec l'erreur des Manichéens qui enseignent que le démon tient sa nature mauvaise d'un principe essentiellement mauvais et opposé à Dieu. Séduits par la vanité de leurs pensées, ils ne font point attention que Nôtre-Seigneur n'a pas dit : Il fut étranger à la vérité, mais : « Il n'est pas demeuré dans la vérité, » ce qui indique qu'il est tombé des hauteurs de la vérité, (chap. 15) Ils entendent encore ces paroles de saint Jean : «Le démon pèche dès le commencement, » (1 Jn 3) dans ce sens qu'il n'a jamais été sans péché. Mais comment expliquer alors les témoignages contraires des prophètes ? celui d'Isaïe qui, voulant figurer le démon dans la personne du roi de Babylone, lui dit : « Comment est tombe du ciel Lucifer, ce bel astre qui se levait dès le matin ? » (Is 14) et celui d'Ezéchiel : « Vous avez été dans les délices du paradis de Dieu. » (Ez 28) Si l’on ne peut donner de ces deux passages une interprétation plus fondée, il faut les entendre dans ce sens que le démon a été dans la vérité, mais qu'il n'y a pas demeuré. Quant à ces paroles de saint Jean : « Le démon pèche dès le commencement, » il faut les entendre non point du moment qu'il a été créé, mais de celui où il a commencé à pécher. Car c'est en lui que le péché a commencé, et il a été lui-même le commencement du péché.

 

ORIG. (Traité 20.) Il n'y a qu'une manière uniforme de demeurer dans la vérité, tandis qu'on en sort par des voies nombreuses et variées ; les uns dont les genoux sont chancelants, s'efforcent de demeurer dans la vérité, et ne peuvent y réussir ; d'autres, sans être aussi faibles, éprouvent la même hésitation au milieu des dangers, selon cette parole du Roi-prophète : « Pour moi, mes pieds ont été ébranlés ; » (Ps 71) d'autres enfin tombent et se détachent complètement delà vérité. Or, le Sauveur nous donne la raison pour laquelle le démon n'est pas resté fidèle à la vérité, « c'est que la vérité n'est point en lui, » c'est-à-dire qu'il s'est laissé entraîner par la vanité de ses pensées, et qu'il a été son propre séducteur, en cela d'autant plus méchant, que les hommes sont trompés par lui, tandis qu'il est lui-même l'auteur de sa déception. Mais dans quel sens est-il dit que la vérité n'est pas en lui ? Faut-il admettre qu'il n'a jamais possédé la véritable doctrine, et que toutes ses pensées ne sont que mensonge ? Ou bien ces paroles signifient-elles qu'il n'a jamais été participant de Jésus-Christ qui a dit de lui-même : « Je suis la vérité ? » Il est impossible, ce me semble, qu'une nature raisonnable ait des idées fausses sur toutes choses, et n'aperçoive pas, ne fût-ce qu'une petite partie de la vérité, et le démon comprend au moins cette vérité qu'il est lui une nature raisonnable. L'essence de sa nature n'est donc pas contraire à la vérité, elle n'est pas un composé d'erreur et d'impuissance ; car alors il ne pourrait jamais connaître la vérité. — S. AUG. (Cité de Dieu, 11, 18.) Ou bien encore, Nôtre-Seigneur en disant : « La vérité n'est point en lui, » répond à la question qu'on pourrait lui faire, et donne la raison pour laquelle le démon n'est point demeuré dans la vérité, c'est que la vérité n'était point en lui, et elle eût été en lui, s'il y fût demeuré.

 

« Lorsqu'il dit le mensonge, il dit ce qu'il trouve en lui-même, parce qu'il est menteur et le père du mensonge. » — S. AUG. Ces paroles ont donné lieu à quelques-uns de penser que le démon avait un père, et de rechercher quel était son père, c'est l'erreur des Manichéens. Le Sauveur dit que le démon est le père du mensonge. En effet, tout homme qui ment n'est pas le père de son mensonge ; ainsi vous avez entendu un mensonge et vous le répétez ; vous avez menti, il est vrai, mais vous n'êtes pas le père de ce mensonge. Le démon, au contraire, n'a point reçu d'ailleurs le mensonge avec lequel il a tué le premier homme, comme un serpent avec son venin ; il est donc le père du mensonge, comme Dieu est le père de la vérité. — THEOPHYL. Il a été tout à la fois l'accusateur de Dieu près des hommes, en disant à Eve que c'était par envie qu'il leur avait défendu de manger du fruit de l'arbre ; et l'accusateur des hommes près de Dieu, lorsqu'il dit à Dieu, par exemple : Est-ce donc en vain que Job honore Dieu ?

 

ORIG. (Traité 20.) Remarquez que ce nom de menteur est donné aussi bien au démon, qui est le père du mensonge, qu'à l'homme, selon ces paroles du Psalmiste : « Tout homme est menteur ; » (Ps 115) car celui qui n'est pas coupable de mensonge n'est pas seulement un homme, et ou peut lui appliquer, ainsi qu'à ceux qui lui ressemblent, ces paroles : « Je l'ai dit, vous êtes des dieux. » (Ps 81, 6.) Lors donc qu'un homme profère un mensonge, il parle de son propre fonds. L'Esprit saint, au contraire, parle d'après le Verbe de la vérité et de la sagesse, d'après ces paroles du Sauveur : « Il recevra de ce qui est à moi, et vous l'annoncera. » (Jn 15, 14.) — S. AUG. (Quest. sur le Nouv. et l'Anc. Test., quest. 90.) Ou bien encore le diable n'est pas ici un nom spécial, mais un nom commun, que vous pouvez donner à tout homme en qui vous trouvez les œuvres du diable, car c'est un nom qui convient aux actions plutôt qu'à la nature. Nôtre-Seigneur veut indiquer que les Juifs ont pour père Caïn, parce qu'ils veulent se rendre ses imitateurs en le mettant à mort. C'est Caïn, en effet, qui a donné le premier exemple de fratricide, et le Sauveur dit qu'il puise le mensonge dans son propre fonds, pour nous apprendre qu'on ne peut pécher que par sa propre volonté. Comme Caïn a été lui-même l'imitateur du diable, on lui donne pour père le diable, dont il a imité les œuvres.

 

ALCUIN. Dieu est la vérité, et le Fils de Dieu, qui est la vérité ne peut dire lui-même que la vérité; mais les Juifs (qui étaient les enfants du démon) avaient la vérité en horreur, comme le Sauveur le leur reproche : « Et moi, si je vous dis la vérité, vous ne me croyez point. » — ORIG. ( Traité 20. ) Mais comment peut-il faire ce reproche aux Juifs qui ont cru en lui ? Il faut remarquer ici qu'on peut croire sous un rapport, et ne pas croire sous un autre, comme ceux par exemple qui croient en Celui qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, et qui ne croient pas qu'il soit né de la Vierge Marie ; ils croient et tout à la fois ne croient pas à la même personne. C'est ainsi que les Juifs à qui s'adressait Nôtre-Seigneur croyaient en lui à la vue des miracles qu'il opérait, et ne croyaient pas aux vérités sublimes qu'il leur enseignait.

 

S. CHRYS. (hom. 54) C'est donc parce que vous êtes les ennemis de la vérité, que sans avoir aucune accusation à formuler contre moi, vous voulez me mettre à mort. C'est pour cela qu'il ajoute : « Quel est celui d'entre vous qui me reprendra de péché ? » — THEOPHYL. C'est-à-dire, si vous êtes les enfants de Dieu, vous devez nécessairement haïr ceux qui l'offensent, si donc vous ne pouvez me convaincre de péché, moi, l'objet de votre haine, il est évident que c'est par haine de la vérité que vous me haïssez, parce que je me dis le Fils de Dieu. — ORIG. (Traité 20.) Ces paroles de Jésus-Christ sont l'expression d'une confiance extraordinaire, et aucun autre homme ne peut porter un semblable défi, si ce n'est Nôtre-Seigneur, qui n'a jamais connu le péché. (1 P 2, 22.) — S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Considérez ici la douceur de Nôtre-Seigneur, il ne dédaigne point de prouver qu'il n'est point pécheur, lui qui par sa vertu divine pouvait justifier les pécheurs. Il ajoute donc : « Celui qui est de Dieu, entend les paroles de Dieu, et c'est parce que vous n'êtes pas de Dieu, que vous ne les entendez pas. » — S. AUG. (Traité 43.) Ne considérez donc pas ici la nature, mais le vice de la nature. Les Juifs étaient de Dieu, et n'étaient pas de Dieu; leur nature venait de Dieu, le vice de leur nature n'en venait point. Or, le Sauveur adresse ce reproche non-seulement à ceux qui étaient coupables de péché, car ils l'étaient tous ; mais à ceux qu'il prévoyait devoir repousser la foi, qui seule aurait pu les affranchir des liens de leurs péchés. — S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Que chacun se demande s'il écoute les paroles de Dieu avec l'oreille du cœur, et il saura d'où il vient. Il en est, en effet, qui ne veulent même pas écouter les préceptes divins des oreilles du corps ; il en est d'autres qui ouvrent ces oreilles pour les entendre, mais qui n'éprouvent pour ces préceptes aucun désir du cœur; il en est d'autres enfin, qui reçoivent volontiers la parole de Dieu, et qui s'en laissent pénétrer jusqu'aux larmes, mais après ce moment consacré aux larmes du repentir, ils retournent à leurs iniquités ; et on peut dire qu'ils n'écoutent pas véritablement les paroles de Dieu, parce qu'ils refusent de les traduire dans leurs œuvres.

 

Vv. 48-51.
 

S. CHRYS. (hom. 54 sur S. Jean.) Toutes les fois que le Sauveur leur enseignait une doctrine plus relevée, les Juifs, aveugles par leur fureur insensée, n'y voyaient qu'un acte de folie. « Les Juifs lui répondirent donc : N'avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain, » etc. — ORIG. (Traité 20.) C'est une question digne d'intérêt que de savoir comment les Juifs ont osé traiter de Samaritain le Sauveur, lui qui n'a cessé de multiplier ses enseignements sur la résurrection et le jugement, alors que les Samaritains, au contraire, nient la vie future et l'immortalité de l'âme. Mais peut-être est-ce un outrage purement gratuit qu'ils lui font en lui donnant le nom d'une secte dont il ne partage pas les opinions. — ALCUIN. Les Samaritains, nation odieuse au peuple juif, occupaient le pays habité autrefois par les dix tribus qui furent emmenées en captivité. — ORIG. On peut dire aussi que quelques-uns pensaient que Jésus partageait l'opinion des Samaritains sur l'anéantissement de l'âme après la mort, et que c'était pour plaire aux Juifs, et sans y croire, qu'il leur parlait de la résurrection et de la vie éternelle. Ils l'accusent d'avoir en lui le démon, parce que les grandes vérités qu'il leur enseignait, que Dieu était son Père, qu'il était descendu du ciel et d'autres choses semblables, dépassaient la portée de l'intelligence humaine. Ou bien encore ils adoptaient les soupçons de plusieurs d'entre eux, qui pensaient que c'était par Béelzébub, prince des démons, qu'il chassait lui-même les démons.— THEOPHYL. Ou bien encore ils le traitaient de Samaritain, comme détruisant les pratiques de la loi des Hébreux, en particulier l'observance du sabbat, car les Samaritains n'observaient point parfaitement toutes les pratiques de la loi juive. Ils soupçonnaient qu'il avait en lui un démon, parce qu'il leur révélait leurs propres pensées. L'Evangéliste ne mentionne pas dans quelles circonstances ils l'avaient appelé Samaritain, preuve que les Evangélistes ont passé beaucoup de choses sous silence.

 

S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Le Fils de Dieu reçoit ces outrages et n'y répond point par des injures : Jésus repartit : « Il n'y a point en moi de démon ; » ainsi nous enseigne-t-il à ne point divulguer les véritables défauts du prochain, lors même que ses outrages n'ont d'autre fondement que la calomnie, de peur que le ministère de la correction fraternelle ne devienne une occasion et un instrument de vengeance. — S. CHRYS. (hom. 54) Remarquons aussi que lorsqu'il s'agissait de les instruire et de combattre leur orgueil, Jésus se montrait plus sévère, mais lorsqu'il n'y avait que des outrages à supporter, il faisait preuve de la plus grande douceur, nous apprenant ainsi à venger les injures qui sont faites à Dieu, et à mépriser celles dont nous sommes l'objet. — S. AUG. (Traité 43.) Son dessein est encore que l'homme imite d'abord sa patience pour parvenir à la puissance qu'il désire. Nôtre-Seigneur ne rend donc pas injure pour injure ; toutefois il regarde comme un devoir de repousser leur imputation calomnieuse. Ils avaient formulé contre lui deux accusations : « Vous êtes un Samaritain, » et : « Vous êtes possédé du démon. » Jésus ne nie point qu'il est Samaritain, car le mot Samaritain veut dire gardien, et il savait qu'il était notre gardien par excellence, car s'il avait pour mission de nous racheter, n'avait-il pas aussi celle de nous conserver ? — ORIG. N'est-il pas d'ailleurs le bon Samaritain, qui s'est approché du voyageur blessé, et a pratiqué à son égard tous les devoirs de la miséricorde ? (Lc 18) Disons encore que le Sauveur, bien plus que l'apôtre saint Paul, a voulu se faire tout à tous pour gagner tous les hommes, et c'est pour cela qu'il ne nia point qu'il fût Samaritain. Il n'appartenait du reste qu'à Jésus seul de pouvoir dire : « Il n'y a point de démon en moi, » etc. ; et encore ces autres paroles : « Le prince de ce monde vient et il n'a rien en moi ; » (Jn 14) car les péchés qui sont regardés comme les plus légers, étaient attribués au démon.

 

S. AUG. (Traité 43 sur S. Jean,) Après avoir reçu un tel outrage, Nôtre-Seigneur ne dit que ces paroles dans l'intérêt de sa gloire : « Mais j'honore mon Père, » c'est-à-dire, je ne m'honore point moi-même, pour ne pas prêter à l'accusation d'arrogance, il eu est un autre que j'honore. — THEOPHYL. Il a honoré son Père en vengeant sa gloire et en ne permettant pas à des homicides et des menteurs de se proclamer les vrais enfants de Dieu. — ORIG. (hom. 20.) Jésus-Christ seul a véritablement honoré son Père, car personne ne peut prétendre honorer Dieu, s'il témoigne encore quelque honneur à des choses que Dieu n'a point en estime. — S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Mais comme tout homme qui brûle de zèle pour la gloire de Dieu est exposé aux outrages des méchants, le Seigneur a voulu nous donner dans sa personne un exemple de patience, lorsqu'il se contente de répondre aux Juifs : « Et vous, vous me déshonorez. » — S. AUG. C'est-à-dire, je fais ce que je dois faire, et vous, vous ne faites pas ce que vous devez faire. — ORIG. (Traité 20.) Ces paroles ne s'adressent pas seulement aux Juifs, mais à tous ceux qui commettent l'injustice, à ceux qui outragent Jésus-Christ, qui est la justice, comme à ceux qui font outrage à la sagesse, parce que Jésus-Christ est la sagesse, et ainsi des autres vertus. — S. GREG. Mais que devons-nous opposer aux outrages que nous recevons ? Le Sauveur nous l'apprend par son exemple : « Pour moi, je glorifie mon Père, » etc. — S. CHRYS. (hom. 54.) C'est-à-dire, l'honneur que je professe pour mon Père m'a porté à vous adresser ces paroles, et c'est pour cela que vous me déshonorez, mais peu m'importent vos outrages, je laisse le soin de les châtier à celui pour l'honneur duquel je les supporte.

 

ORIG. (Traité 20.) Dieu cherche la gloire de Jésus-Christ dans chacun de ceux qui le reçoivent, et il la trouve dans tous ceux qui cultivent avec soin les principes de vertu répandus dans leur âme, mais s'il est trompé dans ses recherches, il punit sévèrement ceux en qui il ne trouve pas la gloire de son Fils. C'est ce que signifient ces paroles : « Il est quelqu'un qui en prendra soin et qui fera justice. » — S. AUG. (Traité 43) De qui veut-il parler, si ce n'est de son Père ? Or comment dit-il dans un autre endroit : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout pouvoir de juger à son Fils ? » (Jn 5) Il faut se rappeler que le mot jugement se prend quelquefois dans le sens de condamnation, tandis qu'ici il signifie simplement discernement, séparation ; Nôtre-Seigneur leur dit donc : « C'est à mon Père de discerner, de séparer ma gloire de la vôtre ; » car vous ne recherchez que la gloire de ce monde, quant à moi, je ne veux point de cette gloire, Dieu distingue et sépare encore la gloire de son Fils de la gloire des hommes, car le mystère de son incarnation ne l'a pas entièrement assimilé à nous ; nous sommes des hommes coupables de péché, mais pour lui il est sans péché, même en tant qu'il a pris la forme d'esclave ; car qui pourrait dignement redire ces paroles : « Au commencement était le Verbe ? » — ORIG. Ou bien encore, s'il faut admettre la vérité de ces paroles du Sauveur à son Père : « Tout ce qui est à vous est à moi, » il est évident que le pouvoir de juger qui est propre au Fils appartient au Père.

 

S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Lorsque les prédicateurs voient s'accroître la perversité des méchants, non-seulement ils ne doivent point s'en laisser abattre, ils doivent au contraire redoubler de zèle. Voyez Nôtre-Seigneur, les Juifs l'accusent d'avoir en lui le démon, et pour toute vengeance, il leur donne avec plus de profusion les bienfaits de sa divine doctrine : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra point la mort, » etc. — S. AUG. (Traité 43) Il ne verra point, c'est-à-dire, il n'éprouvera point la mort. Le Sauveur qui devait mourir parlait à des hommes qui devaient mourir eux-mêmes, que signifient donc ces paroles : « Celui qui gardera ma parole ne verra point la mort ? » C'est qu'il avait en vue une autre mort dont il était venu nous délivrer, la mort éternelle, la mort de la damnation avec le démon et ses anges. Voilà la seule vraie mort, l'autre n'est qu'un passage. — ORIG. (Traité 20.) Ces paroles : « Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort, » doivent être entendues dans ce sens : Si quelqu'un garde fidèlement ma lumière, il ne verra point les ténèbres. Le mot éternellement doit être entendu dans cette signification usuelle : Celui qui gardera éternellement ma parole, ne verra pas éternellement la mort. On ne voit jamais en effet la mort tant qu'on garde la parole de Jésus, mais lorsqu'on se relâche dans l'observance de ses commandements et dans la vigilance sur soi-même, on cesse de garder sa parole, alors on voit la mort qu'on ne trouve nulle part ailleurs qu'en soi-même. Ainsi instruits par le Sauveur, nous pouvons répondre au prophète qui nous demande : « Quel est l'homme qui vivra et ne verra pas la mort ? » C'est celui qui aura gardé la parole de Jésus-Christ. — S. CHRYS. (hom. 54) Celui qui aura gardé, non-seulement par la foi, mais par la pratique d'une vie pure. Nôtre-Seigneur, en même temps, fait entendre indirectement aux Juifs qu'ils ne peuvent rien contre lui, car si celui qui garde sa parole ne mourra jamais, à plus forte raison ne peut-il mourir lui-même.

 

Vv. 52-56.
 

S. grég. (hom. 18 sur les Evang.) De même que les bons deviennent meilleurs par les outrages dont ils sont l'objet, ainsi les méchants deviennent pires par les bienfaits qu'ils reçoivent, c'est ainsi que les Juifs, en reconnaissance des enseignements du Sauveur, blasphèment de nouveau contre lui. Les Juifs lui dirent : Nous voyons maintenant qu'un démon est en vous. — ORIG. Ceux qui croient aux saintes Ecritures savent que ce que les hommes font de contraire à la droite raison, n'est point étranger à l'action du démon. Les Juifs pensaient donc que c'était sous l'inspiration du démon, que Jésus avait dit : « Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » Ils tombèrent dans cette erreur, parce qu'ils n'ont point considéré la puissance de Dieu. Le Sauveur veut parler ici de celte mort ennemie de la droite raison et qui frappe tous les pécheurs ; les Juifs, au contraire, n'entendent que la mort ordinaire, et tournent en ridicule ses paroles, en lui rappelant qu'Abraham et les prophètes sont morts : « Abraham et les prophètes sont morts, vous dites : Si quelqu'un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort, » etc. Il y a une différence entre « goûter la mort et voir la mort, » cependant au lieu de : « Il ne verra pas la mort, » ils disent : « Ils ne goûtera pas la mort, » comme des auditeurs inattentifs qui confondent les paroles du Sauveur. De même, en effet, que le Seigneur, en tant qu'il est le pain vivant, peut être goûté, et qu'il est la beauté visible en tant qu'il est la sagesse de Dieu ; de même, la mort qui est son ennemie, peut être goûtée et vue. Tout homme qui se tient dans un milieu spirituel ne goûtera point la mort s'il reste dans cet état, selon ces paroles : « Il en est de ceux qui se tiennent ici qui ne goûteront pas la mort, » (Mt 16) mais pour celui qui reçoit et garde la parole de Jésus-Christ, il ne verra jamais la mort.

 

S. CHRYS. (hom. 55.) La vaine gloire les fait encore invoquer leur parenté avec Abraham : « Etes-vous plus grand que notre père Abraham, qui est mort ? » Ils auraient pu aussi bien lui dire : « Etes-vous plus grand que Dieu, qui n'a point sauvé de la mort ceux qui ont entendu sa parole ? » Mais ils ne le font pas, parce qu'ils le considèrent comme bien inférieur à Abraham. — ORIG. Ils ne comprennent pas que celui qui est né de la Vierge est plus grand, non-seulement qu'Abraham, mais que tous ceux qui sont nés des femmes. D'ailleurs, il est contraire à la vérité de dire comme ils le font, qu'Abraham est mort, car Abraham a entendu la parole du Christ et l'a gardée aussi bion que les prophètes, dont les Juifs ajoutent : « Et que les prophètes qui sont morts. » Ils ont gardé, en effet, la parole de Dieu, lorsque cette parole s'est fait entendre par exemple à Osée ou à Jérémie ; d'autres ont pu la garder, mais les prophètes l'ont gardée les premiers. Ils mentent donc à la vérité, et lorsqu'ils accusent Jésus-Christ d'être possédé du démon, et lorsqu'ils disent : « Abraham est mort aussi bien que les prophètes. » —S. GREG. (hom. 18 sur les Ev.) Ils étaient livrés à la mort éternelle, et ils n'apercevaient pas cette mort à laquelle ils s'étaient dévoués, au milieu des ténèbres qui les environnaient, ils ne voyaient que la mort du corps dans les discours de la vérité. Ils lui font ensuite cette question : « Qui êtes-vous ? » — THEOPHYL. C'est-à-dire, vous qui n'êtes digne d'aucune considération, fils d'un charpentier de la Galilée, vous voulez vous attribuer une gloire qui ne vous appartient pas. — BEDE. « Que prétendez-vous être ? » c'est-à-dire, quel mérite, quelle dignité voulez-vous qu'on vous suppose ? Abraham était mort de la mort du corps, mais son âme était vivante ; or, la mort de l'âme qui doit vivre éternellement, est bien autrement importante que la mort du corps destiné à mourir un jour.

 

ORIG. Cette question suppose un grand aveuglement dans les Juifs, car Jésus ne s'est pas fait ce qu'il est, mais il l'a reçu de son Père : « Jésus répondit : Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien. » — S. CHRYS. (hom. 55.) Nôtre-Seigneur en parlant de la sorte, se conforme à leur manière de voir, comme dans ces autres paroles : « Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai. »

 

BEDE. Le Sauveur fait ainsi voir le néant de la gloire de ce monde. — S. AUG. (Traité 42.) C'est la réponse à la question qu'ils lui ont faite : « Que prétendez-vous être ? » Il rapporte toute sa gloire à Dieu son Père de qui il vient. Il ajoute : « C'est mon Père qui m'a glorifié. » Les Ariens accusent ici notre foi et disent : Le Père est donc plus grand que le Fils, puisqu'il le glorifie ? Hérétiques que vous êtes, vous n'avez donc pas entendu le Fils, vous dire qu'il glorifie lui-même son Père ? — ALCUIN. Quant au Père, il a glorifié son Fils lors de son baptême (Mt 3), sur la montagne du Thabor (Mt 16), aux approches de sa passion, lorsqu'une voix du ciel se fit entendre devant le peuple (Jn 12), et après sa passion, lorsque Dieu l'a ressuscité et placé à la droite de sa majesté. (Ep 1 ; He 1) Il ajoute : « Lui que vous dites être votre Dieu. » — S. CHRYS. Il voulait leur prouver que non-seulement ils ne le connaissaient pas, mais qu'ils ne connaissaient même pas Dieu. — THEOPHYL. En effet, s'ils connaissaient véritablement le Père, ils honoreraient son Fils. Mais ils méprisent Dieu lui-même qui a défendu l'homicide dans la loi, lorsqu'ils demandent à grands cris la mort du Sauveur : Aussi, ajoute-t-il encore : « Et vous ne le connaissez pas. » — ALCUIN. C'est-à-dire, vous l'appelez votre Dieu dans un sens tout charnel, vous ne le servez que pour un obtenir les biens de la terre, et vous ne le connaissez pas comme il doit être connu, vous ne lui rendez pas un culte spirituel.

 

S. AUG. (Traité 45 sur S. Jean.) Il est des hérétiques qui prétendent que le Dieu annoncé dans l'Ancien Testament n'est point le Père de Jésus-Christ, mais je ne sais quel prince des mauvais anges. Notre-Seigneur combat cette erreur, en appelant son Père celui qu'ils disaient être leur Dieu, sans le connaître, car s'ils l'avaient connu, ils auraient reçu son Fils : « Quant à moi, ajoute le Sauveur, je le connais. » Cette assertion put paraître téméraire et présomptueuse à ceux qui ne le jugeaient que selon les yeux de la chair, mais s'il faut fuir la présomption, ce ne doit jamais être aux dépens de la vérité, c'est pour cela qu'il ajoute : « Et si je disais que je ne le connais point, je serais menteur comme vous. » — S. CHRYS. (hom. 55.) C'est-à-dire, de même que vous mentez en disant que vous le connaissez, je mentirais moi-même, si je disais que je ne le connais point. Mais la plus grande preuve que Jésus est envoyé de Dieu, c'est ce qu'il ajoute : « Pour moi je le connais, et je garde sa parole. » — THEOPHYL. Je le connais d'une connaissance naturelle et parfaite, car je suis absolument égal à mon Père, donc je le connais, puisque je me connais moi-même. Et la preuve qu'il le connaît, c’est, ajoute-t-il, « que je garde sa parole, » c'est-à-dire ses commandements. Il en est qui l'entendent en ce sens : « Je garde la raison d'être, » parce qu'en effet, le Fils a la même raison d'être que le Père. C'est pour cela que je connais mon Père, la particule mais doit être prise ici dans le sens de parce que : « Je connais mon Père, parce que je garde sa parole ou sa raison d'être. » — S. AUG. (Traité 45.) Comme Fils du Père, il faisait entendre sa parole, et il était lui-même le Verbe de Dieu qui parlait aux hommes.

 

S. CHRYS. (hom. 55) Etes-vous plus grand que notre père Abraham, lui avaient demandé les Juifs ? Nôtre-Seigneur eu leur répondant ne leur dit rien de sa mort, et voici comme il leur montre qu'il est plus grand qu'Abraham : « Abraham, votre père, a tressailli du désir de voir mon jour, il l'a vu, et a été rempli de joie, » pour tout le bien qu'il a reçu de moi comme lui étant supérieur. — THEOPHYL. C'est-à-dire, mon jour a été l'objet de ses désirs les plus ardents, et de sa joie la plus vive, et il ne l'a pas considéré comme quelque chose de fortuit et de peu d'importance. — S. AUG. (Traité 45.) Abraham ne craignit pas de voir ce jour, mais il tressaillit du désir de le voir , sa foi le fit aussi tressaillir d'espérance de voir et de comprendre mou jour. On ne peut dire d'une manière certaine si le Sauveur a voulu parler du jour de sa vie mortelle, ou de ce jour qui n'a ni lever ni coucher. Mais pour moi, je ne doute pas qu'Abraham n'ait connu l'un et l'autre de ces deux jours, car lorsqu'il envoie son serviteur demander une épouse pour son fils Isaac, il lui dit : « Mets ta main sous ma cuisse et jure-moi par le Dieu du ciel. » (Gn 24) Or, que signifiait ce serment ? que c'était de la race d'Abraham que le Dieu du ciel viendrait un jour dans une chair mortelle. — S. GREG. (hom. 18 sur les Evang.) Abraham vit encore le jour du Seigneur, lorsqu'il donna l'hospitalité à trois anges qui étaient la figure de la sainte Trinité. (Gn 8) Ou bien encore, ce jour, c'est le jour de sa croix, dont Abraham vit la figure dans l'immolation du bélier et d'Isaac. (Gn 22) Il leur prouvait ainsi que ce n'était point malgré lui qu'il allait endurer les souffrances de sa passion, et en même temps qu'ils étaient de véritables étrangers pour Abraham, puisqu'ils trouvaient un sujet de douleur dans ce qui l'avait fait tressaillir d'allégresse. — S. AUG. (Traité 45.) Quelle joie dut inonder le cœur de celui qui vit le Verbe immuable, brillant d'un éclat resplendissant aux regards de la piété, Dieu restant toujours avec son Père, et qui ne devait point quitter le sein de Dieu, lorsqu'il viendrait sur la terre revêtu d'une chair mortelle ?

 

Vv. 57-59.
 

S. GREG. (hom. 48 sur les Evang.) L'esprit charnel des Juifs en entendant ces paroles de Jésus-Christ n'élève pas les yeux au-dessus de la terre, et ne songe qu'à l'âge de la vie mortelle du Sauveur : « Mais les Juifs lui répliquèrent : Vous n'avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ? » c'est-à-dire , il y a bien des siècles qu'Abraham est mort, et comment a-t-il pu voir votre jour ? Ils entendaient ces paroles dans un sens tout charnel. — THEOPHYL. Jésus-Christ n'avait alors que trente-trois ans, pourquoi donc ne lui disent-ils pas : Vous n'avez pas encore quarante ans, mais : « Vous n'avez pas encore cinquante ans ? » Question tout à fait inutile. Les Juifs dirent tout simplement ce qui se présenta à leur esprit. Il en est cependant qui pensent qu'ils ont choisi le nombre cinquante par respect pour l'année du jubilé, dans laquelle ils rendaient la liberté aux esclaves et où chacun rentrait dans les biens qu'il avait possédés. (Lv 25, 26) — S. GREG. (hom. 18.) Notre Sauveur les détourné avec douceur de ces pensées qui n'avaient pour objet que sa chair, et cherche à les élever jusqu'à la contemplation de sa divinité : « Jésus leur répondit : En vérité, en vérité , je vous le dis, avant qu'Abraham fût fait, moi je suis, » paroles qui ne peuvent convenir qu'à sa divinité ; car le mot avant embrasse tout le temps passé, et le mot je suis, le présent, or comme la divinité ne connaît ni passé ni futur, mais qu'elle est continuellement au présent, Nôtre-Seigneur ne dit pas : Avant Abraham j'étais, mais : « Avant Abraham je suis, » selon ces paroles de Dieu à Moïse : « Je suis celui qui suis. » (Ex 3) Celui donc qui s'est rapproché de nous en nous manifestant sa présence, et qui s'en est séparé en suivant le. cours ordinaire de la vie, a existé avant comme après Abraham. — S. AUG. Remarquez encore que comme Abraham est une créature, le Sauveur ne dit pas : Avant qu'Abraham existât, mais : « Avant qu'Abraham fût fait, » et il ne dit pas non plus : J'ai été fait, car le Verbe était au commencement.

 

S. GREG. (hom. 18.) Mais ces esprits incrédules ne peuvent supporter ces paroles d'éternité, et ils cherchent à écraser celui qu'ils ne peuvent comprendre : « Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter. » — S. AUG. A quoi ces cœurs si durs pouvaient-ils avoir recours qu'à ce qui leur ressemblait, c'est-à-dire à des pierres ? — THEOPHYL. C'est après qu'il a terminé tous les enseignements qui avaient pour objet sa divine personne, qu'ils lui jettent des pierres, et Jésus les abandonne comme incapables de revenir à de meilleurs sentiments : « Mais Jésus se cacha et sortit du temple. » Jésus ne se cache pas dans un coin du temple par un sentiment de crainte, il ne s'enfuit pas dans une maison écartée, il ne se dérobe pas à leurs regards derrière un mur ou une colonne, mais par un effet de son pouvoir divin, il se rend invisible aux yeux de ses ennemis, et passe au milieu d'eux. — S. GREG. S'il avait voulu faire un usage public de sa puissance divine, il eût pu les enchaîner dans leurs propres filets par un seul acte de sa volonté, ou les frapper du terrible châtiment d'une mort subite, mais il était venu pour souffrir, et ne voulait pas faire les fonctions de juge. — S. AUG. Il valait mieux d'ailleurs nous recommander la pratique de la patience que l'exercice de la puissance. — ALCUIN. Il fuit encore, parce que l'heure de sa passion n'était pas encore venue, et qu'il n'avait pas choisi ce genre de mort. — S. AUG. Il fuit donc, comme le ferait un homme, les pierres qu'on veut lui jeter, mais malheur aux cœurs de pierre dont le Seigneur s'enfuit !

 

BEDE. Dans le sens allégorique, autant de mauvaises pensées, autant de pierres lancées contre Jésus, et celui qui va plus loin jusqu'au délire de la passion, étouffe Jésus, autant qu'il le peut faire. — S. GREG. Mais quelle leçon le Sauveur veut-il nous donner eu se cachant ? c'est que la vérité se cache aux yeux de ceux qui négligent de suivre ses enseignements. La vérité s'enfuit de l'âme, en qui elle ne trouve point la vertu d'humilité. Que nous enseigne-t-il encore par cet exemple ? c'est que lors même que nous avons le droit de résister, nous nous dérobions avec humilité à la colère des esprits orgueilleux.

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