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Saint Thomas d'Aquin
Chaîne d'Or sur l'Evangile selon Saint Luc - Catenae Aurea

Chapitre XVIII

vv. 1-8.

Théophyl. Après avoir prédit les persécutions et les souffrances qui attendent ses disciples, Notre-Seigneur en indique le remède, c’est-à-dire une prière continuelle et attentive : " Il leur disait encore cette parabole, " etc. — S. Chrys. Celui qui vous a racheté vous enseigne ici ce que vous devez faire. Il ne veut point que vous cessiez de prier, il veut que vous méditiez les bienfaits qui sont l’objet de votre prière, il veut que vous soyez redevable à la prière des grâces que sa bonté désire vous accorder. Comment pourrait-il ne pas exaucer les prières qu’on lui adresse, alors qu’il nous presse par sa miséricorde, de rendre notre prière continuelle ? Recevez donc avec amour ces, exhortations du Seigneur, sa volonté doit être la règle de votre conduite dans ce qu’elle commande comme dans ce qu’elle défend. D’ailleurs considérez quel, honneur vous est accordé de vous entretenir dans la prière avec Dieu, et de pouvoir lui demander tout ce que vous désirez, car si vous n’entendez pas sa voix, il vous répond cependant par les bienfaits qu’il vous accorde. Il ne dédaigne point vos demandes, il n’en témoigne aucun ennui, votre silence seul lui fait peine. — Bède. Celui-là prie toujours et ne cesse point de prier, qui est fidèle à la prière canoniale aux diverses heures de la journée ; on peut dire encore que tout ce que le juste fait, ou dit conformément à la volonté de Dieu, peut être assimilé à une prière. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 45.) Tantôt le Seigneur tire ses paraboles d’une similitude, comme dans la parabole du créancier qui, ayant remis à ses deux débiteurs ce qu’ils lui devaient, fut plus aimé de celui à qui il avait remis une plus forte dette. (Lc 7.) Tantôt il s’appuie sur une opposition, comme dans ces paroles : " Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs qui, aujourd’hui est, et qui demain sera jetée dans le four, combien aura-t-il plus soin de vous vêtir, hommes de peu de foi ? " (Mt 6.) L’exemple de ce juge impie n’est point un exemple de ressemblance mais bien d’opposition : " Il y avait dans certaine ville un juge, " etc. — Théophyl. Voyez comme l’insolence à l’égard des hommes est un indice de souveraine méchanceté. La plupart, en effet, sans craindre Dieu, sont cependant retenus par la crainte des hommes, et sont moins sujets au péché. Mais lorsqu’un homme perd toute pudeur même à l’égard des hommes, alors les vices sont bientôt à leur comble.

" Dans cette même ville était une veuve, " etc. — S. Aug. (Quest. évang.) Cette veuve peut être considérée comme la figure de l’Église, laquelle est dans la désolation jusqu’à l’avènement du Seigneur, qui la couvre ici-bas de sa protection mystérieuse. La prière que cette femme adresse au juge : " Faites-moi justice de mon adversaire, " nous porte à demander pour quel motif les élus de Dieu lui demandent vengeance, comme font les martyrs dans l’Apocalypse de saint Jean (Ap 6), bien qu’il nous soit expressément recommandé de prier pour nos ennemis et nos persécuteurs. Il faut donc comprendre que cette vengeance des justes a pour objet la destruction des méchants. Or, cette destruction peut se faire de deux manières, ou par le retour des méchants à la justice, ou par le châtiment qui leur ôte le pouvoir de faire le mal. En supposant que tous les hommes se convertissent à Dieu, resterait encore le démon qui doit être condamné à la fin du monde, et comme les justes désirent ardemment que cette fin du monde arrive, on conçoit qu’ils désirent aussi d’être vengés de leur mortel ennemi. — S. Cyr. Dans un autre sens, on peut dire que toutes les fois qu’une injure s’adresse à nous, nous devons tenir à honneur d’oublier le mal qu’on nous fait ; mais lorsque ceux qui font la guerre aux ministres de la vérité divine dirigent leurs outrages contre Dieu lui-même, nous invoquons alors le secours de Dieu, et nous lui demandons hautement vengeance contre les ennemis de sa gloire.

S. Aug. (Quest. évang.) Les instances persévérantes de cette femme triomphèrent de ce juge d’iniquité et le déterminèrent à lui accorder ce qu’elle demandait : " Mais enfin il dit à lui-même : Quoique je ne craigne pas Dieu, et que je me soucie peu des hommes, " etc. Quelle certitude bien plus grande doivent avoir ceux qui prient avec persévérance le Dieu, qui est la source de la justice et de la miséricorde ? " Vous entendez, ajouta le Seigneur, ce que dit ce juge inique. " — Théophyl. Comme s’il disait : Si la persévérance de cette femme a pu fléchir ce juge pétri de tous les crimes, combien plus facilement nos prières pourront-elles fléchir en notre faveur le Dieu de toute miséricorde. " Et Dieu ne vengerait pas bientôt ses élus qui, jour et nuit, crient vers lui, et il différerait de les secourir ? Je vous le dis, il les vengera bientôt. " Il en est qui ont donné de cette parabole une interprétation plus subtile que fondée. ils prétendaient que cette femme est toute âme qui s’est séparée de son premier époux (c’est-à-dire du démon), lequel se déclare son adversaire, parce qu’elle s’approche de Dieu, le juste Juge par excellence, qui ne peut craindre Dieu, puisqu’il est le seul Dieu, ni les hommes, parce qu’il ne fait pas acception de personne. Or, Dieu, touché de la prière persévérante de cette veuve, c’est-à-dire de l’âme qui le supplie, étend sur elle sa miséricorde et la défend contre le démon.

Après avoir enseigné la nécessité et l’utilité de la prière à la fin des temps pour échapper aux dangers qui surviendront alors, le Sauveur ajoute : " Mais quand le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre ? " — S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Notre-Seigneur veut parler ici de la foi parfaite, à peine la trouve-t-on sur la terre ; l’Église de Dieu est remplie de fidèles, qui pourrait y entrer sans avoir la foi ? et si la foi était parfaite, qui ne transporterait les montagnes ? — Bède. Or, lorsque le Créateur tout-puissant apparaîtra sous la forme du Fils de l’homme, les élus seront en si petit nombre, que la ruine du monde sera comme accélérée, moins par les instantes prières des fidèles que par l’indifférence et la tiédeur des autres. Le Sauveur semble parler ici sous une forme dubitative, mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas un doute, c’est un reproche qu’il exprime. C’est ainsi que nous-mêmes, dans les choses que nous tenons pour certaines, nous employons la forme dubitative, par exemple lorsque nous disons à un de nos serviteurs : " Faites-y attention, ne suis-je pas votre maître ? " — S. Aug. (Comme précéd.) Notre-Seigneur a voulu ajouter cet avertissement pour nous apprendre que si la foi s’éteint, la prière cesse elle-même d’exister. Croyons donc pour assurer le succès de nos prières, et prions pour que notre foi ne vienne pas à faiblir. La foi produit la prière, et la prière à son tour obtient l’affermissement de la foi.

 

vv. 9-14.

S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Comme la foi ne peut être donnée aux orgueilleux, mais qu’elle est le partage des humbles ; à la parabole qui précède, Notre-Seigneur en ajoute une autre, pour recommander l’humilité et condamner l’orgueil : " Il dit encore cette parabole pour quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes, " etc.

Théophyl. L’orgueil est de toutes les passions celle qui tourmente le plus le coeur des hommes, aussi le Sauveur en fait-il plus souvent la matière de ses enseignements. Or, l’orgueil est le mépris de Dieu, car toutes les fois qu’on s’attribue à soi-même le bien qu’on fait, au lieu d’en renvoyer à Dieu la gloire, c’est une véritable négation de Dieu (cf. Jb 31, 27). Cette parabole est donc à l’adresse de ceux qui se confient en eux-mêmes, ne renvoient pas à Dieu la gloire de leurs bonnes oeuvres, et qui, pour cela, n’ont que du mépris pour les autres. Notre-Seigneur veut nous y apprendre que lors même que la justice approcherait l’homme de Dieu, si elle est entachée d’orgueil, elle le précipite dans l’abîme : " Deux hommes montèrent au temple, " etc.

Astér. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur nous a enseigné le zèle pour la prière par la parabole de la veuve et du juge, il nous apprend par l’exemple du pharisien et du publicain, quelles doivent être les conditions de nos prières, si nous ne voulons qu’elles soient frappées de stérilité, car le pharisien fut condamné pour avoir mal prié : " Or, le pharisien se tenant debout, priait ainsi en lui-même. " — Théophylacte. Sa contenance seule indique une âme superbe, et son attitude trahit un orgueil excessif. — S. Bas. (sur Is 2.) " Il faisait en lui-même cette prière, " c’est-à-dire qu’il ne l’adressait pas à Dieu, parce que dans son orgueil il n’envisageait que lui-même : " Mon Dieu, je vous rends grâces. " — S. Aug. (serm. 36 sur les par. du Seig.) Ce qui est répréhensible dans la conduite de ce pharisien, ce n’est pas de rendre grâces à Dieu, mais de ce qu’il semblait ne plus rien désirer pour lui-même. Vous êtes donc parfait, vous avez tout en abondance, vous n’avez plus besoin de dire : " Remettez-nous nos dettes. " Quel crime n’est-ce pas de combattre la grâce avec impiété, puisque cet homme est coupable pour avoir rendu grâces avec orgueil. Écoutez donc, vous qui dites : C’est Dieu qui m’a fait homme, c’est moi-même qui me fais juste. Ah ! vous êtes pire que le pharisien, et votre orgueil plus détestable que le sien. Son orgueil le portait à se proclamer juste, mais cependant il en rendait grâces à Dieu.

Théophyl. Considérez attentivement toute la suite de sa prière. Il énumère d’abord les défauts dont il est exempt, puis les vertus qu’il croyait avoir : " Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, " etc. — S. Aug. (comme précéd.) S’il disait seulement : Je ne suis pas comme un grand nombre d’hommes. Mais qu’est-ce que le reste des hommes ? Tous les hommes, excepté lui seul. Pour moi, dit-il, je suis juste, tous les autres sont pécheurs.

S. Grég. (Moral., 4, 23.) L’orgueil des âmes arrogantes se manifeste sous quatre formes différentes : ou elles s’imaginent que le bien qui est en elles vient d’elles-mêmes ; ou elles attribuent à leurs mérites personnels de l’avoir reçu de Dieu, ou elles se vantent de vertus qu’elles n’ont point, ou enfin elles veulent qu’on ne soit occupé que du bien qu’elles peuvent faire et qu’on n’ait que du mépris pour les autres. C’est ainsi que le pharisien n’attribue qu’à lui seul le mérite de ses bonnes oeuvres. — S. Aug. Mais voici que le publicain qui était près de lui, devient pour lui l’occasion d’un plus grand orgueil : " De ce que je ne suis pas comme ce publicain, " comme s’il disait : Je suis seul de mon côté, celui-ci est du reste des hommes. — S. Chrys. (Disc. sur le phar. et le publ.) Le genre humain tout entier n’avait pu assouvir ce désir de mépris, il faut qu’il s’attaque à ce publicain. Son péché eût été moins grand s’il eût excepté le publicain ; mais au contraire, d’une seule parole il s’en prend aux absents, et rouvre les blessures de celui qu’il a sous les yeux. Or, l’action de grâces n’est pas une invective contre le prochain, si vous rendez sérieusement grâces à Dieu, ne vous occupez que de lui seul, sans tourner vos regards du côté des hommes pour condamner votre prochain. — S. Bas. (comme précéd.) L’orgueilleux ne diffère de celui qui insulte que par l’extérieur ; celui-ci abaisse les autres par ses outrages, celui-là s’élève au-dessus par les efforts présomptueux de son âme. — S. Chrys. (comme précéd.) Or, celui qui outrage son prochain, se nuit considérablement en même temps qu’il fait beaucoup de mal aux autres. D’abord il rend plus mauvais celui qui l’écoute. Est-il pécheur, il est dans la joie d’avoir trouvé un complice de ses péchés. Est-il juste, les fautes des autres le portent à avoir de lui une meilleure opinion. Secondement, il fait tort à la société de l’Église, car ceux qui sont témoins de ces outrages, ne blâment pas seulement celui qui s’en rend coupable, mais ils comprennent la religion chrétienne elle-même dans leur condamnation et leurs mépris. Troisièmement, il est cause que la gloire de Dieu est blasphémée, car nos péchés font blasphémer le nom de Dieu, de même que nos bonnes oeuvres le font glorifier. Quatrièmement, il couvre de confusion celui à qui s’adressent les outrages, le rend plus inconsidéré et s’en fait un ennemi. Cinquièmement, il se rend digne de châtiment pour avoir proféré des paroles outrageantes et coupables.

Théophyl. Mais il ne suffit pas d’éviter le mal, il faut encore faire le bien. Aussi après avoir dit : " Je ne suis pas comme le reste des hommes, voleurs, injustes, adultères ; " il ajoute par opposition : " Je jeûne deux fois la semaine, " (dans le sabbat.) Les Juifs donnaient à la semaine le nom de sabbat, de son dernier jour qui était un jour de repos. Or, les pharisiens jeûnaient le second et le cinquième jour. Ce pharisien oppose donc ses jeûnes à la passion de l’adultère, car la dissolution vient de la sensualité. Aux voleurs et à ceux qui commettent des injustices, il oppose le paiement fidèle de la dîme : " Je donne la dîme de tout ce que je possède, " comme s’il disait : Je suis si éloigné des rapines et des injustices, que je distribue mon propre bien. — S. Grég. (Moral., 19, 42.) C’est ainsi que par son orgueil, ce pharisien a ouvert la cité de son coeur aux ennemis qui l’assiégeaient ; vainement il l’a fermée par les jeûnes et la prière, vainement il a fortifié tous les autres côtés, puisqu’il a laissé sans défense l’endroit ouvert par lequel l’ennemi peut entrer dans la place.

S. Aug. (comme précéd.) Cherchez dans ses paroles, vous n’en trouverez aucune qui soit l’expression d’une prière à Dieu. Il était monté au temple pour prier, mais au lieu de prier effectivement, il a préféré se louer lui-même et insulter celui qui priait. Quant au publicain, le sentiment de sa conscience le tenait éloigné, mais sa piété le rapprochait de Dieu : " Le publicain se tenant éloigné, " etc. — Théophyl. Bien que le publicain nous soit représenté comme se tenant debout, il différait cependant du pharisien par son langage autant que par son attitude et le repentir de son âme. Il n’osait lever les yeux vers le ciel, il les jugeait indignes de contempler les choses d’en haut, parce qu’ils avaient préféré regarder et chercher les choses de la terre. Il frappait encore sa poitrine, comme le remarque le Sauveur, meurtrissant pour ainsi dire son coeur pour le punir de ses mauvaises pensées et le réveiller de son sommeil. Aussi n’a-t-il recours qu’à la miséricorde de Dieu : " Mon Dieu, ayez pitié de moi, qui ne suis qu’un pécheur. " — S. Chrys. Il a entendu le pharisien dire : " Je ne suis pas comme ce publicain ; " loin d’en concevoir de l’indignation, il s’en humilié avec compassion ; le pharisien a découvert la blessure, il en cherche la guérison. Que personne donc ne prononce cette froide parole : Je n’ose, j’ai trop de honte, je ne puis ouvrir la bouche. Cette crainte est diabolique, le démon veut vous fermer les portes qui donnent accès auprès de Dieu.

S. Aug. (serm. 36, sur les par. du Seign.) Pourquoi vous étonner que Dieu pardonne au publicain, puisqu’il se juge lui-même ? Il se tenait éloigné, mais néanmoins il s’approchait de Dieu, et le Seigneur était près de lui attentif à ses paroles, car le Dieu très-haut abaisse ses regards sur les humbles. Il ne levait pas les yeux vers le ciel, il ne regardait point pour mériter d’être regardé. Sa conscience l’accablait, l’espérance le relevait, il frappait sa poitrine, il se punissait lui-même ; aussi le Seigneur lui pardonnait-il les péchés qu’il confessait si humblement. Vous avez entendu l’orgueilleux accusateur, vous avez entendu l’humble coupable, écoutez maintenant la sentence du juge : " Je vous le dis, celui-ci s’en retourna justifié dans sa maison, et non pas l’autre. "

S. Chrys. (hom. sur la nat. incompréh. de Dieu.) Cette parabole nous représente deux chars et deux conducteurs dans une arène, l’un porte la justice unie à l’orgueil, l’autre le péché avec l’humilité ; et vous voyez le char du péché dépasser celui de la justice, non par ses propres forces, mais par la vertu de l’humilité qui lui est unie, tandis que le char de la justice reste en arrière, retardé non par la faiblesse de la justice, mais par la masse pesante de l’orgueil. En effet, de même que l’humilité par son élévation et son excellence triomphe du poids du péché, et s’élance pour atteindre Dieu ; ainsi l’orgueil par sa masse pesante entrave facilement la marche de la justice. Ainsi quand vous auriez fait un grand nombre d’actions vertueuses, si elles sont pour vous un sujet de vaine présomption, vous avez perdu tout le fruit de votre prière, elle est tout à fait stérile pour vous. Au contraire, votre conscience fût-elle chargée d’une multitude innombrable de fautes, si vous vous estimez le dernier de tous, vous pourrez vous présenter devant Dieu avec une grande confiance. Notre-Seigneur donne la raison de la sentence qu’il vient de prononcer " Car quiconque s’exalte sera humilié, et quiconque s’humilie sera exalté. " Le nom d’humilité s’applique à plusieurs choses toutes différentes. Il y a la vertu d’humilité que nous voyons dans ces paroles : " Mon Dieu, vous ne rejetterez pas un coeur contrit et humilié " (Ps 50) ; il y a l’humilité produite par les tribulations : " Il a humilié mon âme jusqu’à terre. " (Ps 142.) Il y a l’humilité ou l’humiliation qui est la suite du péché, de l’orgueil, du désir insatiable des richesses, car quelle humiliation plus profonde que celle de ces hommes qui se rendent esclaves, qui s’abaissent et s’avilissent dans la recherche des honneurs et des richesses, et qu iles regardent comme le comble de la grandeur ? — S. Bas. (sur Is 2.) Il y a aussi une fierté louable, c’est celle de l’âme qui dédaigne de penser aux choses de la terre, et qui s’élève avec noblesse jusqu’à la hauteur de la vertu. Cette grandeur d’âme consiste à dominer les chagrins, à faire preuve de courage dans les tribulations, à mépriser toutes les choses de la terre, pour penser à celles du ciel. Cette grandeur de l’âme diffère autant de la hauteur qui est le produit de l’orgueil, que l’embonpoint d’un corps bien portant diffère de la grosseur qui vient de l’hydropisie.

S. Chrys. (comme précéd.) Ce faste orgueilleux peut précipiter du ciel celui qui s’y abandonne, de même que l’humilité peut retirer le pécheur de l’abîme de ses crimes. C’est elle qui a justifié le publicain de préférence au pharisien, c’est elle qui a conduit dans le paradis le bon larron avant les apôtres eux-mêmes, tandis que l’orgueil étant entré dans l’esprit des puissances célestes (Ep 2, 12), a été la cause de leur perte. Or, si l’humilité jointe au péché marche si rapidement qu’elle dépasse la justice qui est unie à l’orgueil, quelle ne sera pas la rapidité de sa course, si vous l’unissez à la justice ? Elle se présentera avec confiance devant le tribunal de Dieu au milieu de l’assemblée des anges. Mais d’un autre côté, si l’orgueil joint à la justice peut ainsi l’abaisser, dans quel abîme nous précipitera-t-il, s’il est uni au péché ? Je parle de la sorte, non pour nous faire négliger la pratique de la justice, mais pour nous faire éviter l’orgueil. — Théophyl. On s’étonnera peut-être que ce peu de paroles dites à sa louange ait suffi pour faire condamner le pharisien, tandis que Job qui fit plusieurs discours pour se justifier, fut récompensé de Dieu. Nous répondrons que le pharisien en se vantant de ses bonnes oeuvres, accusait les autres sans motif aucun, tandis que Job accusé par ses amis, et pressé par la souffrance fut forcé de faire l’énumération de ses vertus dans l’intérêt de la gloire de Dieu, et afin que les hommes ne fussent point découragés.

Bède. Dans le sens figuré, le pharisien représente le peuple des Juifs, qui fier de la justice qui vient de la loi exalte bien haut ses mérites ; le publicain représente le peuple des Gentils, qui se tient éloigné de Dieu, et confesse humblement ses péchés ; l’orgueil de l’un fut cause de son humiliation, et les humbles gémissements de l’autre lui méritèrent de s’approcher de Dieu et la grâce d’une élévation sans égale.

 

vv. 15-17.

Théophyl. Notre-Seigneur montre immédiatement dans sa conduite la pratique des leçons d’humilité qu’il vient de donner, en ne repoussant pas les petits enfants, mais en les accueillant avec bonté : " On lui présentait aussi des petits enfants, pour qu’il les touchât. " — S. Aug. (serm. 36, sur les par. du Seign.) A qui présente-t-on ces enfants pour être touchés ? Au Sauveur. Mais s’il est le Sauveur, c’est pour qu’ils soient sauvés qu’on les présente à celui qui est venu sauver ce qui avait péri. Or, quand ces enfants ont-ils pu périr, innocents qu’ils sont de toute faute ? Mais selon la doctrine de l’Apôtre : " Le péché est entré dans ce monde par un seul homme. " (Rm 5.) Que ces petits enfants viennent donc comme des malades à leur médecin, comme des coupables à leur Rédempteur.

S. Ambr. Il peut paraître dur à quelques-uns que les disciples aient empêché ces petits enfants de s’approcher du Seigneur, car l’Évangéliste ajoute : " Ce que voyant, ses disciples les repoussaient avec de rudes paroles. " Mais il faut voir dans cette conduite des disciples, ou un mystère ou une marque d’attention pour le Sauveur, En effet, ils n’agissaient pas ainsi par un sentiment d’envie ou de dureté à l’égard de ces enfants, mais par un empressement de zèle attentif pour leur divin Maître qu’ils ne voulaient point exposer à être pressé par la foule. il faut en effet renoncer à nos intérêts, lorsque la gloire de Dieu se trouve compromise. Leur conduite renferme d’ailleurs un mystère, c’est-à-dire, qu’ils désiraient que le peuple juif dont ils descendaient selon la chair, fût sauvé le premier. Ils savaient bien que les deux peuples devaient être appelés à la foi, puisqu’ils avaient prié le Sauveur en faveur de la Chananéenne, mais ils ne savaient pas encore dans quel ordre cette vocation devait avoir lieu. Que leur répond Jésus ? " Mais Jésus les appelant, dit : Laissez les enfants venir à moi, " etc. Ce n’est donc point l’âge de l’enfance qu’il préfère à un autre âge de la vie, autrement il serait nuisible de croître et de se développer. Pourquoi donc déclare-t-il que les enfants sont plus propres au royaume des cieux ? Peut-être parce qu’ils sont sans malice, sans tromperie, qu’ils n’osent se venger, qu’ils sont étrangers à toute volupté coupable, qu’ils ne désirent ni les richesses, ni les honneurs, ni les dignités. Cependant la vertu ne consiste pas à ignorer toutes ces choses, mais à les mépriser, car la vertu n’est point dans l’impuissance de commettre le péché, mais dans la volonté de le fuir. Ce n’est donc pas l’enfance, mais la vertu qui imite la simplicité de l’enfance que Notre-Seigneur nous recommande ici. — Bède. Aussi a-t-il soin de dire : " Le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent, " et non pour ces enfants, nous montrant ainsi que ce n’est pas l’âge, mais les moeurs de l’enfance qui donnent accès dans le royaume des cieux, et que c’est à ceux qui imitent leur simplicité et leur innocence que la récompense est promise. — S. Ambr. C’est cette même vérité que Notre-Seigneur veut exprimer lorsqu’il ajoute : " En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas comme un enfant le royaume de Dieu, n’y entrera pas. " Quel est cet enfant que Jésus propose à l’imitation de ses apôtres ? c’est celui dont Isaïe a dit : " Un petit enfant nous est né (Is 9) ; qui, lorsqu’on le maudissait, ne répondait point par des injures. " (1 P 2.) Il y a donc dans l’enfance quelque chose des moeurs vénérables de la vieillesse ; comme la vieillesse à quelque chose de l’innocence des enfants. — S. Bas. (Règl. abrég. quest. 127.) Or, nous recevrons le royaume de Dieu comme un enfant, si nous apportons aux enseignements du Seigneur les dispositions d’un enfant aux instructions qui lui sont données ; il ne contredit pas ses maîtres, il ne dispute pas avec eux, mais il reçoit leurs leçons avec confiance et soumission. — Théophyl. Au contraire, les sages parmi les Gentils, cherchant la sagesse dans le mystère qui est le royaume de Dieu, et ne voulant l’admettre qu’autant qu’il serait appuyé sur des preuves tirées de la raison, ont été justement exclus de ce royaume.

 

vv. 18-23.

Bède. Un des principaux d’entre le peuple avait entendu dire au Seigneur qu’on ne pouvait entrer dans le royaume de Dieu, si l’on ne devenait semblable aux enfants ; il le prie donc de lui apprendre non en paraboles, mais ouvertement les oeuvres nécessaires pour mériter la vie éternelle : " Alors un jeune homme de qualité lui fit cette demande : Bon Maître, " etc. — S. Ambr. C’était pour tenter le Sauveur que cet homme l’appelle bon Maître, lui qui aurait dû l’appeler Dieu bon : car bien que la divinité soit inséparable de la bonté, comme la bonté de la Divinité, cependant en l’appelant bon Maître, il ne confesse sa bonté que dans un sens non général, mais particulier, car Dieu est bon dans le sens le plus étendu de ce mot, tandis que l’homme ne l’est que d’une manière limitée.

S. Cyr. Ce jeune homme s’imagina qu’il allait surprendre Jésus-Christ, qui peut-être en lui répondant jetterait le blâme sur la loi de Moise pour lui substituer ses propres commandements. Il s’approche donc du divin Maître, et en l’appelant bon maître, il lui dit qu’il vient dans l’intention de s’instruire, tandis qu’il ne venait que pour lui tendre un piége. Mais celui qui surprend les sages dans leur propre finesse (Jb 5, 13 ; 1 Co 3, 50), lui fait une réponse digne de lui : " Jésus lui dit : Pourquoi m’appelez-vous bon ? nul n’est bon que Dieu seul. " — S. Ambr. Il ne nie pas qu’il ne soit bon, mais il fait entrevoir qu’il est Dieu ; car celui-là seul est bon qui a la plénitude de la bonté. Vous êtes impressionné de ces paroles : " Nul n’est bon, " mais faites donc attention à celles qui suivent : " Si ce n’est Dieu. " Si vous ne pouvez concevoir Dieu sans son Fils, vous ne pouvez concevoir Jésus-Christ sans la bonté ; car comment pourrait-il n’être pas bon, étant né de celui qui est la bonté par essence ? Car tout bon arbre produit de bons fruits. (Mt 7.) Comment pourrait-il n’être pas bon, puisque la substance de sa bonté qu’il a reçue du Père n’est point dégénérée dans le Fils, de même qu’elle n’est point dégénérée dans l’Esprit saint : " Votre bon Esprit, dit le Psalmiste, me conduira dans la terre de la justice. " (Ps 140.) Or, si l’Esprit est bon de la bonté qu’il a reçue du Fils, comment le Fils, qui est le principe de cette bonté, ne serait-il pas bon lui-même ? Mais comme celui qui venait pour tenter Jésus-Christ était un docteur de la loi, ainsi que nous l’avons démontré dans un autre livre, le Sauveur lui répond on ne peut plus à propos : " Nul n’est bon, si ce n’est Dieu, " afin de lui rappeler qu’il est écrit : " Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu, " et de le porter à rendre gloire au Seigneur, parce qu’il est bon. (Ps 117 ; 135.)

S. Chrys. (Hom. 64 sur S. Matth.) Ou bien encore, je ne craindrai pas d’avancer que ce jeune homme de qualité ne venait point pour surprendre Jésus-Christ, mais qu’il était avare (car le Sauveur lui en fait un reproche indirect.) — Tite de Bostr. En faisant à Jésus-Christ cette question : " Bon maître, que dois-je faire pour posséder la vie éternelle ? " il semble lui dire : Vous êtes bon, daignez répondre à la question que je vous adresse : Je suis instruit de tout ce que contient l’Ancien Testament, mais je trouve vos enseignements supérieurs, car ce ne sont point les biens de la terre que vous promettez, c’est le royaume des cieux que vous annoncez ; dites-moi donc, que ferai-je pour arriver à la vie éternelle ? Comme la foi est le chemin qui conduit aux oeuvres, le Sauveur, ne considérant que l’intention de ce jeune homme et sans répondre à la question qu’il lui fait, l’amène à la connaissance de la foi. Il agit comme un médecin à qui son malade demanderait : Que dois-je manger ? et qui lui répondrait en lui prescrivant ce qu’il doit faire avant de prendre de la nourriture. Le Sauveur élève donc son esprit jusqu’à son Père, en lui disant " Pourquoi m’appelez-vous bon ? " Ce n’est pas qu’il ne fût bon ; car il était le bon fruit d’un bon arbre. — S. Aug. (Quest. évang., 1.) Le récit de saint Matthieu présente ici une différence (Mt 19) ; Notre-Seigneur dit à ce jeune homme : " Pourquoi m’interrogez-vous sur ce qui est bon ? " ce qui répond plus directement à cette question : Quel bien dois-je faire ? " etc., car ces paroles renferment une question qui a pour objet ce qui est bien. On peut donc parfaitement admettre que Notre-Seigneur a fait ces deux réponses : " Pourquoi m’appelez-vous bon ? " et " pourquoi m’interrogez-vous sur ce qui est bon ? " deux choses, dont l’une revient à l’autre.
 

Tite de Bostr. Après lui avoir donné la connaissance de la foi, le Sauveur ajoute : " Vous connaissez les commandements ? " comme s’il lui disait : Après avoir commencé par connaître Dieu, il est naturel que vous cherchiez à savoir ce que vous devez faire. — S. Cyr. Ce jeune homme de qualité s’attendait à ce que Jésus lui dit : " Laissez les commandements de la loi de Moïse, et suivez les miens ; " mais au contraire, le Sauveur le renvoie aux préceptes de la loi : " Vous ne tuerez point, vous ne commettrez pas d’adultère, " etc. La loi cherche d’abord à prévenir les fautes dans lesquelles nous tombons plus facilement, comme la fornication et l’adultère, pour lesquels nous avons en nous un penchant naturel, et l’homicide, parce que la fureur fait de nous comme autant de bêtes féroces. Le vol et le faux témoignage sont des crimes que l’on commet plus rarement, et qui sont généralement moins graves que les précédentes. Aussi Notre-Seigneur place en second lieu le vol et le faux témoignage, parce qu’ils sont de moindre gravité, et entraînent moins souvent les hommes.

" Vous ne déroberez point. " — S. Bas. (cf. Is 1, 23). Par voleurs, il ne faut pas seulement entendre les coupeurs de bourse, et ceux qui font métier de voler dans les bains, mais encore ceux qui sont placés à la tête des légions, ou préposés au gouvernement des villes et des provinces, les premiers volent furtivement, les seconds emploient la violence et la force ouverte. — Tite de Bost. Remarquez ici que l’observation des préceptes consiste à s’abstenir ; en effet, si vous ne commettez pas d’adultère, vous serez chaste ; si vous ne dérobez point, vous serez honnête et bon ; si vous ne faites point de faux témoignages, vous serez vrai dans votre conduite. Voyez comme la vertu nous est rendue facile par la bonté de celui qui nous en fait un devoir, il nous impose la fuite du mal, plutôt que la pratique du bien. Or, il est bien plus facile de s’abstenir du mal, que de pratiquer le plus petit acte de vertu.
 

Théophyl. L’outrage contre les parents est un grand crime, mais comme ce crime est peu fréquent, Notre-Seigneur le place en dernier lieu : " Honorez votre père et votre mère. " — S. Ambr. Or, cet honneur ne consiste pas seulement dans le respect qu’on leur témoigne, mais dans l’assistance qu’on leur donne ; car c’est leur rendre honneur que de les assister en reconnaissance de leurs bienfaits. Nourrissez votre père, nourrissez votre mère ; et lorsque vous les aurez nourris, vous n’aurez pas encore payé les douleurs et les déchirements que votre mère a soufferts pour vous. Vous devez à votre père ce que vous avez, à votre mère ce que vous êtes. Quel jugement sévère vous attend si l’Église nourrit ceux que vous avez refusé de nourrir. Mais, direz-vous, je préfère donner à l’Église, ce que je donnerai à mes parents. Le Seigneur ne veut pas d’un don qui condamne vos parents à mourir de faim. Cependant, de même que l’Écriture fait un devoir de nourrir ses parents, ainsi elle commande de les quitter pour Dieu, s’ils sont un obstacle aux sentiments religieux de l’âme.

" Il répondit : J’ai gardé tous ces commandements depuis ma jeunesse. " — S. Jér. (sur Mt 19.) Ce jeune homme fait ici un mensonge. En effet, s’il avait accompli le commandement suivant : " Vous aimerez le prochain comme vous-même, " il ne se serait pas retiré plein de tristesse en entendant ces paroles : " Allez, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres. " — Bède. On peut admettre aussi que sans faire de mensonge, il a simplement avoué quelle avait été sa vie extérieure, autrement saint Marc n’aurait pas ajouté que Jésus, ayant jeté les yeux sur lui, conçut pour lui de l’affection.

Tite de Bost. Le Sauveur nous apprend ensuite qu’on n’est point parfait pour accomplir tout ce que commande l’Ancien Testament, mais qu’il faut encore suivre Jésus-Christ : " Ce qu’entendant, Jésus lui dit : Une chose vous manque encore, vendez tout ce que vous avez, et donnez-le aux pauvres. " C’est-à-dire : Vous me demandez comment vous pourrez arriver à la vie éternelle, distribuez vos biens aux pauvres, et vous la mériterez, ce que vous donnez est. peu de chose, ce que vous recevrez est immense. — S. Athan. (Ch. des Pèr. gr.) Ne pensons pas, en effet, avoir fait un grand sacrifice en renonçant aux biens de ce monde ; car la terre tout entière est bien petite en comparaison du ciel ; fussions-nous donc maîtres de toute la terre, le sacrifice que nous en ferions ne serait rien en comparaison du royaume des cieux. — Bède. Que celui donc qui veut être parfait, vende tous ses biens, non en partie, comme Ananie et Saphire, mais sans réserver rien absolument. — Théophyl. " Vendez tout ce que vous avez ; " le Sauveur conseille donc la pauvreté absolue, si vous vous réservez quelque chose, ou s’il vous reste quelque partie de votre bien, vous en êtes l’esclave.
 

S. Bas. (règ. abrég., quest. 92.) Cependant si Notre-Seigneur conseille à ce jeune homme de vendre ses biens, ce n’est pas qu’ils soient mauvais par leur nature, autrement ils ne seraient pas des créatures de Dieu. Le Sauveur ne lui conseille pas de les rejeter, mais de les distribuer aux pauvres, et ce que Dieu condamne dans quelques-uns, ce n’est pas la possession des richesses, mais le mauvais usage. Au contraire, en les distribuant aux pauvres selon le commandement de Dieu, on efface ses péchés et on mérite le royaume des cieux. C’est ce que Notre-Seigneur indique par ces paroles : " Et donnez-le aux pauvres. " — S. Chrys. (hom. 22 sur la 1re Epit. aux Cor.) Dieu, sans doute, pouvait nourrir les pauvres sans l’intermédiaire de notre compassion pour eux, mais il a voulu établir des liens de charité entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. — S. Bas. (rég. développ., quest. 9.) Devant cette parole formelle du Sauveur : " Donnez-le aux pauvres, " la négligence dans l’accomplissement de ce devoir n’est permise à personne, et chacun doit s’en acquitter avec le plus grand soin, par lui-même autant que cela est possible ; ou s’il ne le peut, par celui dont la prudence et la fidélité lui sont connues ; car : " Maudit est celui qui fait les oeuvres de Dieu avec négligence. " (Jr 48, 18.) — S. Chrys. (comme précéd.) Mais comment Jésus-Christ enseigne-t-il que la perfection consiste à distribuer tous ses biens aux pauvres, tandis que saint Paul déclare que sans la charité, c’est une oeuvre très-imparfaite ? Ce qui suit fait disparaître toute opposition entre le maître et le disciple : " Alors, venez et suivez-moi, " ce qui ne peut se faire que par un motif de charité ; " car tous reconnaîtrons que vous êtes mes disciples, si vous avez la charité les uns pour les autres. " (Jn 17.) — Théophyl. Le chrétien doit joindre, en effet, à la pauvreté toutes les autres vertus, c’est pour cela que Jésus dit à ce jeune homme : " Et venez, et suivez-moi, " c’est-à-dire soyez mon disciple en tout, et suivez-moi constamment.

S. Cyr. Mais cet homme de qualité n’était point capable de contenir ce vin nouveau, il était comme ces outres trop vieilles dont parle Notre-Seigneur (Mt 9 ; Mc 2 ; Lc 5), et il fut brisé par la tristesse : " Mais lui, entendant ces paroles, devint triste, parce qu’il était fort riche. " — S. Bas. (hom. sur l’aum.) Le marchand ne s’attriste pas de dépenser son avoir dans les marchés publics pour acheter les choses dont il a besoin, et vous vous affligez de donner une misérable poussière pour acquérir la vie éternelle ?

 

vv. 24-30.

Théophyl. Ce riche ayant entendu la réponse du Sauveur, qu’il fallait renoncer à ses biens, en devint tout triste, jusque là que Jésus en exprime son étonnement : " Voyant qu’il était devenu triste, Jésus lui dit : Que difficilement ceux qui ont des richesses entreront dans le royaume de Dieu ! " Il ne dit pas : Il est impossible, mais : " Il est difficile. " En effet, les riches peuvent acquérir au moyen de leurs richesses les biens célestes, mais ils ne le peuvent que difficilement, parce que les richesses sont plus gluantes que la glu elle-même, et que le coeur qui s’y laisse prendre peut à peine s’en détacher. Cependant le Sauveur semble insinuer par la comparaison qui suit, qu’il y a pour eux une véritable impossibilité : " Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. " Le mot grec peut signifier également un chameau, ou un câble, ou cordage de navire. De quelque manière que vous l’entendiez, il est impossible que l’un ou l’autre puisse passer par le trou d’une aiguille. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’être sauvé. Or, ce qui est plus facile est impossible ; donc l’impossibilité pour le riche d’être sauvé est encore plus grande. Que dire donc à cela ? D’abord qu’il est vrai, en effet, qu’un riche ne peut être sauvé. Ne me dites pas que des riches ont été sauvés pour avoir distribué leurs richesses, ce n’est pas comme riches qu’ils ont été sauvés, mais parce qu’ils se sont faits pauvres, ou qu’ils ont été les simples administrateurs de leurs biens. Il y a, en effet, une grande différence entre un riche et un économe ou un administrateur : le riche garde toutes ses richesses pour lui, l’économe ou l’administrateur ne les tient en réserve que pour l’utilité des autres. — S. Chrys. (hom. 24 sur la 1re Epît. aux Cor.) Abraham possédait ses richesses dans l’intérêt des pauvres ; et ceux qui en sont les justes possesseurs, reconnaissent qu’ils les tiennent de Dieu pour les employer conformément à ses préceptes. Ceux au contraire qui les ont acquises contre la volonté de Dieu, les dépensent également contre sa volonté, en débauches ou en festins, ou les enfouissent dans la terre, sans que les pauvres y aient la moindre part. (Hom. 18 sur S. Jean.) Dieu ne défend donc point d’amasser des richesses, mais de se rendre esclave des richesses. Il veut qu’elles soient employées à nos besoins, et non pas conservées comme un dépôt inutile. La fonction du serviteur est de garder ce qui lui est confié, le privilège du maître est de pouvoir distribuer ce qu’il possède. Si Dieu avait voulu que les richesses fussent tenues en réserve, il ne les aurait pas données aux hommes, il les aurait laissées ensevelies dans le sein de la terre.

Théophyl. Remarquez que pour le riche, le Sauveur déclare qu’il lui est impossible d’être sauvé, tandis que pour celui qui possède les richesses, cela est simplement difficile, c’est comme s’il disait : Le riche, qui est épris des richesses jusqu’à en devenir l’esclave, ne pourra être sauvé ; mais celui qui possède les richesses, c’est-à-dire, celui qui en est vraiment le maître, se sauvera difficilement, tant est grande la fragilité humaine. En effet, tant que le démon nous voit posséder des richesses, il fait tout pour nous perdre, et il est bien difficile d’échapper aux piéges qu’il nous tend ; aussi la pauvreté est un véritable bien qui nous met à l’abri des tentations. — S. Chrys. (hom. 81 sur S. Matth.) Car à quoi servent les richesses, lorsque l’âme est dans l’indigence, et en quoi peut nuire la pauvreté à l’âme qui nage au sein des richesses ? Si le signe le plus assuré de la richesse est de n’avoir besoin de rien, comme le signe le plus certain de la pauvreté est de manquer de tout, n’est-il pas évident qu’on devient d’autant plus riche qu’on est plus pauvre, car il est bien plus facile de mépriser les richesses dans la pauvreté qu’au sein de l’abondance ? Qui ne sait, en effet, qu’une fortune immense, loin d’apaiser le désir des richesses, ne fait que l’enflammer davantage, comme un feu dans lequel on jette un nouvel aliment. De plus, les peines qui paraissent attachées à la pauvreté, lui sont communes avec les richesses, tandis que les richesses en ont qui leur sont exclusivement propres.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 47.) Le riche ici, dans le sens que lui donne le Sauveur, est celui qui est avide, des biens de la terre et en fait un aliment pour son orgueil. Ceux qui sont opposés à ces riches, sont les pauvres d’esprits auxquels appartient le royaume des cieux. Dans le sens mystique, on peut dire qu’il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir pour ceux qui aiment le siècle, qu’à ces derniers de se convertir à Dieu. Le Sauveur a voulu se représenter sous la figure du chameau, parce qu’il s’est humilié volontairement pour se charger du fardeau de nos faiblesses ; l’aiguille signifie les piqûres, les piqûres, les douleurs qu’il a endurées dans sa passion, et le trou de l’aiguille figure les angoisses de sa passion.

S. Chrys. (hom. 64 sur S. Matth.) Ce discours si relevé était au-dessus des forces des disciples de Jésus, aussi " ceux qui l’écoutaient, lui dirent : Qui peut donc être sauvé ? " Ce n’est point pour eux-mêmes qu’ils craignent, c’est pour le monde entier. — S. Aug. (Quest. évang.) Comme le nombre des pauvres qui peuvent espérer d’être sauvés est incomparablement plus considérable que celui des riches qui se perdent, les disciples comprirent qu’il fallait mettre au nombre des riches, tous ceux qui aiment les richesses, alors même qu’ils ne peuvent les acquérir : " Jésus leur répondit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu ; " paroles qu’il ne faut pas entendre dans ce sens que les riches puissent jamais entrer dans le royaume des cieux, elles signifient simplement qu’il est possible à Dieu de les ramener de la cupidité et de l’orgueil à la pratique de la charité et de l’humilité. — Théophyl. Le salut est donc impossible, comme on vient de le dire, à ceux dont les affections rampent sur la terre, mais il est possible avec le secours de Dieu, car si l’homme veut prendre Dieu pour conseiller, se pénétrer des enseignements divins sur la manière dont Dieu nous justifie, et sur la pauvreté, et de plus invoquer son secours, toute difficulté s’aplanira.

S. Cyr. Il est juste que le riche qui a fait le sacrifice d’une fortune considérable, en attende une grande récompense ; mais il était aussi à propos de demander ce que devait espérer celui qui avait renoncé au peu qu’il possédait : " Pierre lui dit alors : Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre. " Saint Matthieu ajoute : " Que nous sera-t-il donc donné ? " (Mt 19.)— Bède. C’est-à-dire, nous avons fait ce que vous avez commandé, quelle récompense nous donnerez-vous ? Et parce qu’il ne suffit pas de renoncer à tout ce qu’on possède, il ajoute, ce qui nous rend parfaits : " Et nous vous avons suivi. " — S. Cyr. Il est nécessaire de remarquer que ceux qui renoncent au peu qu’ils possèdent, à ne considérer que leur intention et leur obéissance, ont aux yeux de Dieu le même mérite que les riches, parce que c’est la même disposition de renoncement qui leur a inspiré le sacrifice volontaire de tout ce qu’ils possèdent : " Jésus leur répliqua : En vérité, je vous le dis, il n’est personne qui ait quitté sa maison, etc., qui ne reçoive beaucoup plus en ce monde même, et dans le siècle à venir, la vie éternelle. " Le Sauveur élève l’âme de ceux qui l’écoutent aux plus douces espérances, en joignant à sa promesse la formule ordinaire du serment : " En vérité. " En effet, lorsque la prédication de la divine parole vint appeler le monde à la foi de Jésus-Christ, quelques-uns, par considération pour leurs parents infidèles, ne voulurent point les contrister eux ou leurs propres frères, en embrassant la foi chrétienne ; d’autres, au contraire, quittèrent généreusement leur père, leur mère, et sacrifièrent toutes les affections de famille par amour pour Jésus-Christ.
 

Bède. Voici donc le sens de ces paroles : Celui qui, pour mériter le royaume de Dieu. aura renoncé à toutes les affections de la terre, et foulé aux pieds toutes les richesses, tous les plaisirs et toutes les joies du monde, recevra dans le siècle présent beaucoup plus qu’il n’aura quitté. Il en est qui cherchent à appuyer sur ces paroles de Jésus-Christ, l’opinion fabuleuse de certains Juifs, qui prétendent qu’après la résurrection, les justes jouiront sur la terre de mille ans de bonheur, pendant lesquels tout ce que nous avons sacrifié nous sera rendu, en attendant que nous entrions en possession de la vie éternelle. Ils ne voient pas, les insensés, que si pour tout le reste, cette récompense abondante peut être digne, de Dieu, elle serait d’une souveraine inconvenance pour ce qui est des femmes (d’après les autres évangélistes, on doit recevoir au centuple), d’autant plus que Notre-Seigneur nous atteste qu’il n’y a plus de mariage après la résurrection ; d’ailleurs saint Marc, affirme que tout ce que nous aurons quitté nous sera rendu dans cette vie avec les persécutions, et, de leur propre témoignage, ces mille ans doivent être entièrement exempts.
 

S. Cyr. Nous affirmons donc que celui qui aura renoncé aux jouissances de la chair, recevra beaucoup plus qu’il n’a quitté, à l’exemple des Apôtres, qui, pour avoir sacrifié bien peu de chose, ont reçu les dons multipliés de la grâce, et sont devenus célèbres par tout l’univers. Un bonheur semblable nous attend ; celui qui abandonne sa maison recevra en échange la demeure des cieux ; s’il quitte son père il deviendra fils du Père céleste ; s’il quitte ses frères, il aura Jésus-Christ pour frère ; s’il se sépare de son épouse, il s’unira à la sagesse divine qui lui donnera des fruits spirituels ; s’il quitte sa mère il trouvera la Jérusalem céleste qui est notre mère à tous. (Ga 4, 26.) Dès cette vie même il trouvera une affection beaucoup plus douce et plus pure dans les frères et les soeurs qui lui sont unis par les liens spirituels d’une même résolution.
 

 

vv. 31-34.

S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Le Sauveur qui prévoyait le trouble que sa passion devait jeter dans l’esprit de ses disciples, leur prédit longtemps à l’avance et les souffrances de la passion, et la gloire de sa résurrection : " Ensuite Jésus prit à part les douze, et leur dit : Voici que nous montons à Jérusalem, " etc. — Bède. Il prévoyait aussi que certains hérétiques prétendraient qu’il avait enseigné une doctrine contraire à la loi et aux prophètes, et il leur montre que les oracles des prophètes ont annoncé au contraire la consommation de son sacrifice sanglant, et la gloire qui devait le suivre.
 

S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth.) Il prend à part ses disciples pour s’entretenir avec eux de sa passion ; il ne voulait pas qu’elle fût connue pour le moment du peuple parmi lequel cette prédiction eût jeté le trouble et l’agitation ; mais il la fait exclusivement connaître à ses disciples pour leur donner le courage de supporter ce triste événement lorsqu’il serait arrivé.
 

S. Cyr. Il veut aussi les convaincre que sa passion lui était parfaitement connue, qu’il allait volontairement au-devant de ses souffrances, et prévenir ainsi dans leur esprit cette difficulté : Comment celui qui promettait de nous sauver, est-il tombé lui-même dans les mains de ses ennemis ? Aussi leur raconte-t-il par ordre toute la suite de sa passion : " Il sera livré aux Gentils, et moqué, et flagellé, et couvert de crachats. " — S. Chrys. (hom. 66, sur S. Matth.) C’est ce qu’avait prédit Isaïe : " J’ai livré mes épaules aux coups, et mes joues aux soufflets, je n’ai point détourné mon visage de ceux qui me couvraient d’injures et de crachats. " (Is 50.) Le même prophète a également prédit le supplice de la croix : " Il a livré son âme à la mort, et il a été mis au nombre des scélérats. " (Is 53.) Notre-Seigneur ajoute : " Et après qu’ils l’auront flagellé, ils le mettront à mort. " David a aussi prédit sa résurrection, lorsqu’il disait (Ps 15) : " Vous ne laisserez pas mon âme dans l’enfer (Ac 2). " Le Sauveur renouvelle ici cette prédiction : " Et il ressuscitera le troisième jour. "
 

S. Isid. (Liv. 2, lett. 212.) J’admire la folie de ceux qui demandent pourquoi Jésus-Christ a ressuscité avant le troisième jour. Qui ne voit que s’il eut ressuscité plus tard qu’il ne l’avait prédit, ce serait un signe d’impuissance, tandis qu’en ressuscitant plutôt il donne une preuve de sa puissance toute divine. Qu’un débiteur qui a promis à son créancier de payer sa dette dans trois jours, s’acquitte le jour même, nous le regarderons non comme un menteur, mais comme un homme fidèle à sa parole. Je dirai plus, le Sauveur n’a pas prédit qu’il ressusciterait après trois jours, mais le troisième jour. Or, vous avez la veille du sabbat, le jour du sabbat lui-même jusqu’au coucher du soleil, et le jour qui suit le sabbat, lequel fut celui de sa résurrection.
 

S. Cyr. Les disciples ne comprenaient pas encore parfaitement ce que les prophètes avaient prédit ; mais après sa résurrection, il leur ouvrit l’esprit pour qu’ils comprissent les Écritures (Lc 24, 45) : " Mais ils ne comprirent rien à cela. " — Bède. Ils désiraient ardemment voir se prolonger la vie de leur maître, par conséquent ils ne pouvaient souffrir d’entendre parler de sa mort. Ils savaient d’ailleurs qu’il était non seulement un homme innocent, mais qu’il était véritablement Dieu, et ils ne pouvaient supposer qu’il pût mourir ; et comme il leur parlait souvent en paraboles, ils croyaient pouvoir entendre dans un sens figuré tout ce qu’il leur disait de sa passion : " Et cette parole leur était cachée, et ils ne comprenaient point ce qui leur était dit. " Les Juifs au contraire qui conspiraient pour le faire mourir, comprenaient parfaitement qu’il voulait parler de sa passion, lorsqu’il leur disait : ce que nous lisons dans saint Jean : " Il faut que le Fils de l’homme soit élevé. " Aussi lui répondirent-ils : " Nous avons appris de la loi que le Christ demeure éternellement, comment donc pouvez-vous dire : " Il faut que le Fils de l’homme soit élevé ? "

 

vv. 35-43

S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Comme les disciples encore charnels ne pouvaient comprendre le mystère que Jésus venait de leur prédire, il fait suivre cette prédiction d’un miracle sous leurs yeux, rend la vue à un aveugle, pour les affermir dans la foi par cette guérison toute divine : " Comme il approchait de Jéricho, il arriva qu’un aveugle était assis sur le bord du chemin. " — Théophyl. Notre-Seigneur guérit miraculeusement cet aveugle pendant qu’il était en chemin pour ne pas laisser ses voyages même sans utilité, et nous apprendre à nous ses disciples que nous devons rendre toutes nos actions profitables au prochain, et à n’en point souffrir d’inutiles. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 48.) Ces paroles : " Comme ils étaient près de Jéricho, " pourraient signifier qu’ils en étaient déjà sortis, mais qu’ils n’en étaient pas encore éloignés. A la vérité, cette manière de parler n’est pas très-usitée, mais ce qui motiverait ici cette interprétation c’est que d’après le récit de saint Matthieu, comme ils sortaient de Jéricho, Jésus rendit la vue à deux aveugles qui étaient assis le long du chemin. Le nombre des aveugles ne pourrait faire difficulté ; qu’un évangéliste ne parle que d’un seul sans faire mention de l’autre, peu importe, saint Marc lui-même ne parle que d’un seul, lorsqu’il raconte que Jésus lui rendit la vue, comme il sortait de Jéricho. Il va même jusqu’à faire mention de son nom et de son père, pour nous faire entendre qu’il était très-connu, tandis que l’autre ne l’était pas du tout, ce qui explique pourquoi il a cru ne devoir parler que de celui que l’on connaissait davantage. Cependant comme la suite du récit, dans l’Évangile selon saint Luc, prouve évidemment que la guérison de cet aveugle eut lieu lorsque Jésus allait à Jéricho, il ne nous reste d’autre solution que de dire que le Sauveur a deux fois opéré ce miracle, la première fois sur un seul aveugle, lorsqu’il allait entrer dans Jéricho, et la seconde sur deux aveugles, lorsqu’il sortait de cette ville, de sorte que saint Luc a rapporté le premier miracle et saint Matthieu le second
 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Une foule nombreuse entourait Jésus-Christ, l’aveugle ne le connaissait pas, mais il sentait intérieurement sa présence, et son coeur lui faisait pressentir celui que ses yeux ne pouvaient apercevoir : " Entendant le bruit du peuple qui passait, il demanda ce que c’était. " Ceux qui le voyaient de leurs yeux lui répondirent d’après l’idée qu’on s’était faite du Sauveur : " Ils lui dirent que c’était Jésus de Nazareth qui passait. " Mais l’aveugle proclame bien haut la vérité. On lui enseigne une chose, et il en annonce hautement une autre : " Et il se mit à crier : Jésus fils de David, ayez pitié de moi. " Qui vous a donc enseigné cette vérité ? Avez-vous pu lire les livres sacrés, privé que vous êtes de la vue ? Comment donc avez-vous pu connaître celui qui est la lumière du monde ? Ah ! c’est vraiment ici que " Dieu éclaire les aveugles. " (Ps 145.) — S. Cyr. Cet homme élevé dans la loi des Juifs ne pouvait ignorer que le Dieu fait homme devait naître de la race de David ; aussi s’adresse-t-il à lui comme à un Dieu, en lui disant : " Ayez pitié de moi ; " bel exemple qu’il donne à imiter à ceux qui divisent le Christ en deux personnes, il proclame ici que le Christ est Dieu, en même temps qu’il proclame sa descendance de David. Qu’ils admirent aussi la justice de sa foi ; ceux qui l’entendaient voulaient en comprimer les élans et la constance : " Ceux qui marchaient devant, le gourmandaient pour le faire taire, " mais sa pieuse hardiesse ne se laissait pas intimider par ces défenses répétées, c’est que la foi sait résister à tous les obstacles, et triompher de toutes les difficultés. Il est bon de se dépouiller de toute fausse honte, lorsqu’il s’agit du service de Dieu, car si nous en voyons quelques-uns déployer tant d’audace pour acquérir quelques sommes d’argent, ne faut-il pas que nous soyons saintement audacieux lorsqu’il s’agit du salut de notre âme : Voyez en effet cet aveugle : " Mais il criait beaucoup plus encore : Fils de David, ayez pitié de moi. " Jésus-Christ s’arrête à la voix de ceux qui l’invoquent avec foi, et il abaisse sur eux ses regards. Aussi appelle-t-il cet aveugle et lui commande-t-il de s’approcher : " Alors Jésus s’arrêtant, commanda qu’on le lui amenât. " Il voulait que celui qui l’avait déjà touché par la foi s’approchât aussi de lui par le corps : " Et quand il se fut approché, il lui demanda : Que voulez-vous que je vous fasse ? " Il lui fait cette question, non par ignorance, mais dans l’intérêt de ceux qui étaient présents, afin de les convaincre que ce pauvre aveugle ne demandait pas d’argent, mais un acte de puissance divine à Jésus comme à un Dieu : " Il lui dit : Seigneur, que je voie. "
 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les Juifs toujours prêts à calomnier la vérité pouvaient dire ainsi que pour l’aveugle-né (Jn 9) : ce n’est pas lui, c’est quelqu’un qui lui ressemble, le Sauveur voulut que l’aveugle avouât ouvertement l’infirmité de sa nature, pour qu’il connût mieux ensuite la puissance de la grâce divine ; mais dès que cet aveugle a formulé l’objet de sa demande, Jésus, avec une majesté souveraine lui commande de voir : " Et Jésus lui dit : Voyez ; " ce ton d’autorité rendait plus coupable l’incrédulité des Juifs, car quel prophète avait jamais tenu un pareil langage ? Considérez cependant ce que le divin Médecin a exigé de celui qu’il a guéri : " Votre foi vous a sauvé. " C’est au prix de la foi que Dieu vend ses bienfaits, et la grâce ne se répand que là où la foi est prête à la recevoir. La grâce est comme une fontaine abondante, ceux qui viennent y puiser avec des vases de petite dimension, remportent une petite quantité d’eau, ceux au contraire qui puisent avec de plus grands vases, en remportent davantage ; ou bien encore, elle est comme la lumière du soleil qui pénètre plus ou moins dans l’intérieur d’un appartement selon la grandeur des fenêtres qui sont ouvertes, ainsi la grâce se répand dans une âme selon la mesure de ses intentions et de ses désirs. La voix de Jésus-Christ devient pour cet aveugle un principe de lumière, car il était la parole ou le Verbe de la véritable lumière : " Il vit aussitôt, " ajoute l’Évangéliste. Or, cet aveugle montra autant de reconnaissance après sa guérison, qu’il avait manifesté de foi avant de l’obtenir.
 

" Et il suivait Jésus en glorifiant Dieu. " — S. Cyr. Preuve évidente qu’il est délivré d’une double cécité, de celle du corps et de celle de l’âme, car il n’eût point ainsi glorifié Dieu, s’il n’eût véritablement recouvré la vue. Il devient en outre pour les autres une occasion de rendre gloire à Dieu : " Et tout le peuple voyant cela, rendit gloire à Dieu. " — Bède. Non seulement pour le bienfait de la vue qui vient d’être rendue à cette aveugle, mais pour la foi vive qui lui a obtenu sa guérison.
 

S. Chrys. C’est ici le lieu d’examiner pourquoi Jésus-Christ défendit au possédé qu’il avait délivré du démon, de marcher à sa suite (Mc 5, 19 ; Lc 8, 38 ; Mt 8), tandis qu’il ne s’oppose pas à ce même désir que manifeste l’aveugle après sa guérison. Ces deux manières d’agir ont leur raison d’être. Il renvoie le premier comme un hérault qui devra proclamer partout par sa guérison, la puissance de son bienfaiteur ; car c’était un miracle vraiment extraordinaire, qu’un possédé aussi furieux eût recouvré le parfait usage de sa raison. Il permet au contraire à l’aveugle de le suivre, alors qu’il se rendait à Jérusalem pour y consommer le grand mystère de la croix, afin qu’en ayant sous les yeux le souvenir de ce miracle si récent, ses disciples fussent bien persuadés que sa passion était l’effet non de sa faiblesse, mais de sa miséricorde.
 

S. Ambr. Cet aveugle est la figure du peuple des Gentils, qui dut au mystère de la rédemption du Seigneur de recouvrer la lumière qu’il avait perdue. Peu importe que sa guérison soit figurée par un seul aveugle ou par deux ; car comme il tire son origine de Cham et de Japhet (cf. Gn 10, 1), fils de Noé, il peut trouver dans ces deux aveugles la figure des deux auteurs de sa race. — S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Ou bien encore, cet aveugle représente le genre humain, aveugle lui-même par la faute de son premier père qui lui a fait perdre la clarté de la céleste lumière, et l’a plongé dans les ténèbres de sa condamnation. Jéricho veut dire lune, et cet astre par ses décroissances mensuelles représente les défaillances continuelles de notre nature mortelle. C’est au moment où notre Créateur s’approche de Jéricho, que l’aveugle recouvre la lumière, parce qu’en effet le genre humain a recouvré la lumière qu’il avait perdue, lorsque la divinité s’est revêtue des infirmités de notre chair. Celui donc qui ne connaît pas la clarté de l’éternelle lumière est un aveugle. S’il se contente de croire au Rédempteur, qui a dit : " Je suis la voie, " (Jn 11) il est assis le long du chemin, mais si à la foi s’ajoute la prière pour obtenir de voir la lumière éternelle, il demande l’aumône. Ceux qui marchent devant Jésus représentent la multitude des désirs de la chair, et l’agitation tumultueuse des vices qui, avant que Jésus entre dans notre coeur, dissipent toutes nos pensées, et viennent nous troubler jusque dans l’exercice de la prière. Cet aveugle loin de se taire, criait beaucoup plus encore ; ainsi, plus nous sommes accablés par l’agitation et le tumulte de nos pensées, plus devons-nous persévérer avec ferveur dans la prière. Lorsqu’en priant nous sommes obsédés de pensées étrangères, nous sentons jusqu’à un certain point que Jésus passe. Si au contraire nous nous appliquons fortement à la prière, Dieu s’arrête dans notre coeur, et nous rend la lumière que nous avions perdue. Ou bien encore, l’action de passer est propre à l’humanité, celle de s’arrêter ne convient qu’à la divinité. Le Seigneur entendit en passant les cris de cet aveugle, et il s’arrêta pour lui rendre la vue, parce qu’en effet, c’est par son humanité qu’il a compâti avec miséricorde aux cris que nous poussons vers lui dans notre aveuglement, et c’est par la puissance de sa divinité qu’il a répandu en nous la lumière de sa grâce. Il lui demande tout d’abord ce qu’il veut, pour exciter notre coeur à prier, car il veut que nous lui demandions ce qu’il a prévu que nous demanderions et ce qu’il accorderait à nos prières. — S. Ambr. Ou bien encore, il fait cette question à cet aveugle, pour nous enseigner qu’on ne peut être sauvé sans confesser sa foi. — S. Grég. (hom. 2, sur les Evang.) Cet aveugle, ne demande pas au Seigneur de lui donner de l’argent, mais de lui rendre la vue ; gardons-nous donc nous-mêmes de demander les richesses trompeuses, mais demandons cette lumière, qu’il n’est donné de voir qu’à nous et aux anges ; et c’est la foi qui nous conduit à cette lumière. Comme Notre-Seigneur le dit à cet aveugle : " Voyez, votre foi vous a sauvé. " Il voit en effet, et marche à la suite du Sauveur, parce qu’il pratique le bien qu’il connaît.
 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 48.) Si Jéricho veut dire lune, et par là même est la figure de notre mortalité, nous pouvons dire que le Sauveur lorsque sa mort était proche, avait commandé de prêcher la lumière de l’Évangile aux Juifs seuls, qui sont représentés par cet aveugle dont parle ici saint Luc. Mais lorsqu’il ressuscite des morts et quitte la terre, il ordonne d’annoncer cette lumière aux Juifs et aux Gentils qui sont figurés par les deux aveugles dont parle saint Matthieu (Mt 10, 5 ; Mt 13, 10).
 

 

 

Chapitre XIX

vv. 1-10.

S. Ambr. Zachée était monté sur un sycomore, l’aveugle était assis le long du chemin ; le Seigneur attend l’un pour le guérir, il honore l’autre en daignant descendre dans sa maison : " Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville, " etc. C’est par un dessein particulier de Dieu que nous voyons paraître ici un chef de publicains ; car qui pourra désespérer de son salut, puisque cet homme, dont les richesses venaient en grande partie de la fraude, a cependant trouvé grâce devant Dieu ? Il était fort riche, pour vous apprendre que tous les riches ne sont pas nécessairement des avares. — S. Cyr. Mais Zachée, de son côté, n’a point mis le moindre retard, et s’est ainsi montré digne de la miséricorde de Dieu, qui rend la vue aux aveugles, et appelle ceux qui sont éloignés.
 

Tite de Bost. La semence du salut avait germé dans son âme, puisqu’il désirait voir Jésus : " Et il cherchait à voir Jésus pour le connaître. " Il ne l’avait jamais vu, car s’il l’eût vu une seule fois, il aurait renoncé depuis longtemps aux injustices de sa vie ; en effet, lorsqu’on a vu Jésus, il est impossible de persévérer dans l’iniquité. Or, deux choses s’opposaient à ce que Zachée pût voir Jésus : il en était empêché par la foule, moins des hommes que de ses péchés et de ses crimes, et il était d’ailleurs petit de taille : " Et il ne le pouvait à cause de la foule, parce qu’il était fort petit, " ajoute l’Évangéliste. — S. Ambr. D’où vient qu’il n’est fait mention dans l’évangile de la taille d’aucun autre que de celle de Zachée ? La raison n’en serait-elle pas qu’il était petit par suite de sa malice, ou qu’il était petit par son peu de foi ? car il n’était pas encore bien zélé, lorsqu’il monta sur cet arbre, il n’avait pas encore vu le Christ. — Tite de Bost. Mais il eut une bonne inspiration, car il courut en avant et monta sur un sycomore, et il vit ainsi passer Jésus qu’il désirait tant de connaître : " Courant donc en avant, dit l’Évangéliste, il monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. " Il désirait seulement voir Jésus, mais celui qui nous accorde toujours plus que nous ne demandons, lui donne au delà de ses espérances : " Arrivé à cet endroit, Jésus le vit. " Il vit son âme pleine du désir ardent de mener une vie sainte, et il l’inclina doucement vers la piété. — S. Ambr. Sans être invité, il s’invite lui-même à descendre chez lui : " Et l’ayant vu, il lui dit : Zachée, descendez vite, " etc. Il savait que l’hospitalité qu’il demandait serait largement récompensée, et bien qu’il n’eût pas encore entendu Zachée lui adresser d’invitation, il voyait les sentiments de son cœur.
 

Bède. Voici que le chameau a déposé la lourde protubérance qu’il portait sur son dos, et il passe par le trou d’une aiguille, c’est-à-dire, un riche, un publicain, sacrifie l’amour des richesses, renonce à tous ses profits frauduleux, et reçoit la bénédiction que lui apporte la visite du Sauveur : " Et il se hâta de descendre, et il le reçut avec joie. " — S. Ambr. Que les riches apprennent donc que le crime n’est pas dans les richesses, mais dans le mauvais usage qu’on en fait ; car si les richesses sont un moyen de perdition pour les méchants, elles sont dans la main des bons un puissant auxiliaire de leur vertu.
 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez l’excessive bonté du Sauveur : innocent, il se mêle aux coupables ; source de toute justice, il entre en relation avec l’avarice qui est la cause de toute perversité ; en entrant dans la maison d’un publicain, sa sainteté n’est point obscurcie par les sombres vapeurs de l’avarice, qu’il dissipe au contraire par l’éclat de sa justice. Cependant les envieux, et ceux qui ne cherchaient qu’à le calomnier, s’efforcent d’incriminer sa conduite : " Voyant cela, tous murmuraient en disant : " Il est descendu chez un pécheur. " Mais Jésus, accusé d’être le convive et l’ami des publicains, dédaigne ces calomnies pour accomplir son oeuvre ; car le médecin ne peut guérir les malades qu’à la condition de supporter ce que leurs plaies ont de rebutant. C’est ce qui arriva, le publicain changea de vie et devint meilleur : " Mais Zachée, se tenant devant Jésus, lui dit : Voici, Seigneur, que je donne la moitié de mes biens aux pauvres, " etc. Entendez cette admirable résolution, Jésus n’a point encore parlé, et il obéit déjà. De même que le soleil, dont les rayons pénètrent dans une maison, l’éclaire non point par des paroles, mais par son action, ainsi le Sauveur dissipe les ténèbres de l’iniquité par les seuls rayons de sa justice, car il est la lumière qui luit dans les ténèbres. Tout ce qui est uni est fort, tout ce qui est divisé est faible, c’est pourquoi Zachée fait le partage de ses biens. Il faut avoir soin de remarquer que les richesses de Zachée n’étaient pas toutes le fruit de l’injustice, mais qu’elles provenaient aussi de son patrimoine. Comment aurait-il pu sans cela rendre le quadruple de ce qu’il avait acquis injustement ? Il savait que la loi prescrit de rendre le quadruple de tout bien mal acquis (Ex 22), afin que si l’on ne craint pas de violer la loi, on soit au moins arrêté par l’obligation onéreuse qu’elle impose. Mais Zachée n’attend pas la condamnation de la loi, il se fait lui-même son propre juge.
 

Théophyl. Si nous voulons pénétrer plus avant, nous trouverons qu’il ne restait plus rien à Zachée de ses biens. Après avoir donné la moitié de ses biens aux pauvres, il emploie le reste à rendre le quadruple à tous ceux qu’il avait pu léser. Et non seulement il le promet, mais il le fait aussitôt, car il ne dit pas : Je donnerai la moitié de mes biens, et je rendrai quatre fois autant à ceux à qui j’ai fait tort, mais voici que je donne, et que je restitue. Aussi Jésus-Christ lui annonce-t-il qu’il a reçu le salut : " Jésus lui dit : Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison. " La maison ici signifie celui qui l’habite, et le Sauveur veut dire que Zachée a obtenu la grâce du salut. Il ajoute, en effet : " Parce que celui-ci est aussi enfant d’Abraham. " Or, il n’aurait pu dire d’un édifice matériel et inanimé qu’il était enfant d’Abraham. — Bède. Zachée est appelé enfant d’Abraham, non parce qu’il est né de sa race, mais parce qu’il a été l’imitateur de sa foi, et qu’il a renoncé à ses biens pour les distribuer aux pauvres, de même qu’Abraham avait quitté son pays et la maison de son père. Notre-Seigneur dit : " Il est aussi enfant d’Abraham, " pour nous apprendre que ce ne sont pas seulement ceux qui ont vécu dans la sainteté, mais ceux qui renoncent à leur vie injuste qui sont enfants de la promesse.
 

Théophyl. Jésus ne dit pas que Zachée était fils d’Abraham, mais qu’il l’est maintenant ; car tant qu’il était chef des publicains, il n’avait aucun trait de ressemblance avec le juste Abraham, et ne pouvait être son fils. Cependant comme quelques-uns murmuraient de ce que le Sauveur était descendu dans la maison d’un pécheur, il calme leur indignation en ajoutant : " Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. " — S. Chrys. Pourquoi me faire un crime de chercher à ramener les pécheurs ? Je suis si loin de les haïr, qu’ils sont la cause de ma venue sur la terre ; je suis venu comme médecin et non comme juge, aussi je ne dédaigne pas de devenir le convive des malades, et je supporte la mauvaise odeur de leurs plaies, afin de pouvoir y appliquer des remèdes plus efficaces. Mais on me demandera comment saint Paul défend aux chrétiens de manger avec un de leurs frères qui serait ou fornicateur, ou avare (1 Co 5, 11), tandis que nous voyons Jésus-Christ s’asseoir à la table des publicains. Je réponds que les publicains n’étaient pas encore élevés à la dignité de frères ; et d’ailleurs saint Paul défend tout commerce avec ceux de nos frères qui persévèrent dans le mal. Or, tels n’étaient point les publicains avec qui le Sauveur ne dédaignait pas de manger.
 

Bède. Dans le sens figuré, Zachée, qui veut dire justifié, représente le peuple des Gentils qui a embrassé la foi. Il était comme amoindri et rapetissé par les préoccupations de la terre, mais Dieu l’a grandi et sanctifié. Il a désiré voir Jésus qui entre dans Jéricho, lorsqu’il a cherché à participer à la foi que le Sauveur était venu apporter au monde. — S. Cyr. La foule représente cette multitude ignorante et tumultueuse qui n’a pu élever ses regards jusqu’au sommet de la sagesse ; aussi longtemps que Zachée demeure dans la foule, il ne peut voir Jésus-Christ, mais aussitôt qu’il s’élève au-dessus de cette multitude ignorante, il mérite de recevoir dans sa maison celui qu’il désirait simplement de voir. — Bède. Ou bien encore la foule (c’est-à-dire les habitudes criminelles), qui défendait à l’aveugle de demander à Jésus par ses cris qu’il lui rendit la vue, est aussi l’obstacle qui empêche Zachée de voir le Sauveur. Or, de même que l’aveugle a triomphé de la foule en redoublant ses cris suppliants, ainsi Zachée qui était petit, s’est élevé au-dessus des obstacles de la foule, en abandonnant toutes les choses de la terre, et en montant sur l’arbre de la croix. En effet, le sycomore, dont les feuilles sont semblables à celles du mûrier, mais qui s’élève à une plus grande hauteur (ce qui lui a fait donner par les latins le nom de celsa, élevé), porte aussi le nom de figuier sauvage. Or, la croix du Seigneur est comme le figuier qui nourrit les fidèles, tandis que les incrédules s’en moquent comme d’une folie. Zachée qui était petit, monte sur cet arbre pour grandir sa taille ; ainsi le chrétien qui est humble et qui a la conscience de sa propre misère s’écrie : A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6.) — S. Ambr. L’Évangéliste ajoute avec dessein : " Parce que le Seigneur devait passer par là, " soit où était le sycomore, soit où Zachée se trouvait lui-même. Le Sauveur voulait observer l’ordre mystérieux d’après lequel la grâce de la foi devait se répandre, et son dessein était d’annoncer l’Évangile aux Juifs avant de le porter aux Gentils. Il voit donc Zachée sur l’arbre, car déjà la sublimité de sa foi l’élevait au milieu des fruits des bonnes oeuvres à la hauteur d’un arbre fécond, Zachée est monté sur l’arbre, parce qu’en effet, il s’élève au-dessus de la loi.
 

Bède. Le Seigneur, en traversant la ville, arrive à l’endroit où Zachée était monté sur le sycomore. C’est ainsi qu’après avoir envoyé des prédicateurs dans la personne desquels il allait prêcher lui-même l’Évangile, Jésus arriva au milieu du peuple des Gentils, qui déjà s’était relevé de son état d’abaissement par la foi à sa passion ; le Sauveur jette sur lui un regard en le choisissant par sa grâce. Notre-Seigneur était aussi entré quelquefois dans la maison d’un des chefs des pharisiens, mais tandis qu’il y opérait des oeuvres dignes d’un Dieu, ils trouvaient le moyen de calomnier sa conduite. Aussi ne pouvant plus souffrir leur audace criminelle, il les abandonne en leur disant : " Votre maison sera laissée déserte. " (Mt  23.) Aujourd’hui, au contraire, il faut qu’il descende dans la maison de Zachée qui était petit, c’est-à-dire qu’il se repose dans le coeur des Gentils devenus humbles, en faisant briller à leurs yeux la grâce de la nouvelle loi. Zachée reçoit l’ordre de descendre de ce sycomore, et de préparer à Jésus une demeure dans sa maison ; c’est ce que l’Apôtre nous recommande par ces paroles : " Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte ; " (2 Co 5, 16) ; et par ces autres : " Encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair ; il vit néanmoins maintenant par la vertu de Dieu. " (2 Co 13, 4.) Il est manifeste que les Juifs ont toujours été opposés au salut des Gentils ; mais cette grâce du salut qui remplissait autrefois les demeures des Juifs, brille aujourd’hui aux yeux des Gentils, parce qu’ils sont devenus eux-mêmes enfants d’Abraham, en imitant la foi qu’il avait en Dieu.
 

Théophyl. Il est facile de tirer de ce récit des inductions morales. Ainsi celui qui a sur les autres la triste prééminence du vice, est très petit au point de vue spirituel, et il ne peut voir Jésus à cause de la foule, car embarrassé qu’il est par ses passions et par les préoccupations du monde, il ne voit point Jésus marcher, c’est-à-dire agir en nous, et il ne reconnaît aucune de ses opérations. Il monte sur un sycomore (c’est-à-dire qu’il s’élève au-dessus des fausses douceurs de la volupté figurées par cet arbre), il le domine, et de cette hauteur, il voit Jésus-Christ et en est vu. — S. Grég. (Moral., 27, vers la fin.) Ou encore, comme le sycomore est aussi appelé figuier sauvage (ficus fatua), Zachée, qui est petit, monte sur un sycomore, et voit ainsi le Seigneur, parce que ceux qui embrassent ce qui est une folie aux yeux du monde, contemplent dans tout son éclat la sagesse de Dieu. En effet, quelle folie plus grande pour le monde, que de ne pas chercher à recouvrer ce qu’on a perdu, d’abandonner ses biens à ceux qui les ravissent, et de ne pas rendre injure pour injure ? Or, c’est justement cette sage folie qui nous obtient de voir la sagesse de Dieu, sinon pleinement telle qu’elle est, du moins par la lumière de la contemplation.
 

Théophyl. Or, le Seigneur lui dit : " Hâtez-vous de descendre, " c’est-à-dire : Vous êtes monté par la pénitence en un lieu élevé, descendez maintenant par un sentiment d’humilité, de peur que l’orgueil ne soit la cause de votre ruine, car je ne puis descendre que dans la maison de celui qui est humble. Il y a en nous deux sortes de biens, les biens du corps, et ceux de l’âme ; le juste se dépouille donc de tous ses biens corporels, mais il conserve les biens spirituels. De plus, s’il a fait tort à quelqu’un, il lui en rend quatre fois autant ; c’est-à-dire que celui qui, sous la conduite de la pénitence, marche dans un sentier tout opposé à la voie de ses anciennes iniquités, répare ainsi par ses nombreuses vertus tous ses péchés passés, il mérite ainsi la grâce du salut, et le nom d’enfant d’Abraham, parce qu’il s’est séparé de sa propre famille, c’est-à-dire de ses anciennes iniquités.

 

vv. 11-27.

Eusèbe. Il en était qui pensaient que le premier avènement du Sauveur serait immédiatement suivi de l’établissement de son royaume, et ils croyaient que ce royaume commencerait lors de son entrée à Jérusalem, tant la vue des miracles qu’il avait opérés les avait frappés d’étonnement. Il les avertit donc que son père ne le mettrait pas en possession de son royaume, avant qu’il eût quitté les hommes pour retourner à son Père : " Comme ils écoutaient ces discours, il ajouta encore une parabole sur ce qu’il était près de Jérusalem, " etc. — Théophyl. Le Seigneur leur fait voir qu’ils sont dans l’illusion ; car le royaume de Dieu n’est pas une chose extérieure et sensible. Il leur montre aussi que comme Dieu il connaît leurs pensées, en leur proposant la parabole suivante : " Il dit donc : Un homme de grande naissance s’en alla en un pays lointain pour prendre possession d’un royaume et revenir ensuite. "
 

S. Cyr. L’explication de cette parabole retrace tous les mystères de Jésus-Christ, depuis le premier jusqu’au dernier. En effet, le Verbe qui était Dieu s’est fait homme, et quoiqu’il ait pris la forme d’esclave, il est cependant d’une noblesse éclatante par sa naissance ineffable au sein du Père. — S. Bas. (sur Is 13.) Cette noblesse, il ne la tire pas seulement de sa divinité, mais de son humanité, puisqu’il est né selon la chair de la race de David. Il s’en est allé dans un pays lointain, non point par la distance matérielle qui nous sépare de lui, mais par l’effet des rapports qui existent entre lui et nous. Dieu est près de chacun de nous, toutes les fois que nous lui sommes unis par la pratique des bonnes oeuvres, et il s’en éloigne, toutes les fois que poursuivant notre perte, nous nous séparons de lui. Il s’en alla donc dans cette région terrestre si éloignée de Dieu, pour prendre possession du royaume des nations, selon cette prédiction du Roi-prophète : " Demandez-moi, et je vous donnerai toutes les nations pour héritage. " (Ps 2 ; cf. Ac 13, 3 ; He 1, 5 ; He 5, 5) — S. Aug. (Quest. évang., 2, 40.) Ou bien cette région lointaine, c’est l’Église des Gentils qui s’est étendue jusqu’aux extrémités de la terre ; car le Sauveur s’en est allé pour faire entrer la plénitude des nations, et il reviendra pour que tout le peuple d’Israël obtienne la grâce du salut.
 

Eusèbe. Ou bien ce départ pour un pays lointain, signifie son ascension de la terre aux cieux ; et lorsqu’il ajoute " Pour prendre possession de son royaume et revenir, " il fait allusion à la gloire et à la majesté de son second avènement. Il prend seulement d’abord le nom d’homme, à cause de sa naissance temporelle, il y ajoute le titre de noble, mais il n’y joint pas celui de roi, parce que lors de son premier avènement il n’était pas environné de l’éclat de la majesté royale. Il ajoute avec raison : " Pour entrer en possession de son royaume, car il l’a reçu des mains de son Père qui le lui a donné, selon ces paroles de Daniel : " Le Fils de l’homme venait sur les nuées, et le royaume lui fut donné. " (Dn 7.) — S. Cyr. En effet, lorsqu’il monte dans les cieux, il va s’asseoir à la droite de la majesté du Très-Haut ; et en y montant il répand suivant certaine mesure les grâces divines sur ceux qui croient en lui, de même qu’un maître confie ses biens à ses serviteurs pour qu’ils les fassent fructifier, et qu’ils méritent ainsi la récompense de leurs services : " Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines. " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La sainte Écriture emploie ordinairement le nombre dix pour exprimer la perfection. En effet, lorsqu’on veut dépasser ce nombre, il faut commencer de nouveau par l’unité, comme si le dernier était la limite du nombre parfait ; voilà pourquoi dans la distribution des talents, celui qui atteint la limite des devoirs que Dieu lui impose, reçoit dix mines. — S. Aug. (quest. Evang.) Ou bien encore, les dix mines signifient le décalogue de la loi, et les dix serviteurs, tous ceux qui étaient soumis à la loi et auxquels la grâce de l’Évangile a été annoncée. Car nous devons entendre que ces dix mines ne leur ont été confiées, que lorsqu’ils comprirent que la loi, débarrassée de ses voiles, se rapportait à l’Évangile. — Bède. La mine que les Grecs appellent ???, pesait cent drachmes, et tout discours de l’Écriture qui nous enseigne la perfection de la vie des cieux a, pour ainsi dire, la valeur éclatante du nombre cent.
 

Eusèbe. Ceux qui reçoivent ces mines représentent ses disciples, à chacun desquels il confie la même somme, en leur recommandant à tous le même emploi, c’est-à-dire de la faire fructifier : " Et il leur dit : Faites-les valoir jusqu’à ce que je revienne. " Or, le seul moyen pour les disciples de les faire valoir, était d’annoncer aux hommes attentifs la doctrine de son royaume, doctrine qui est la même pour tous, c’est la même foi, le même baptême, et c’est pour cela que chacun d’eux reçoit une mine. — S. Cyr. Mais il y a une grande différence entre ces derniers, et ceux qui ont refusé de recevoir le royaume de Dieu, et dont il ajoute : " Or, ceux de son pays le haïssaient, " etc. C’est le reproche que Jésus-Christ adressait aux Juifs : " Maintenant ils ont vu les oeuvres que j’ai faites, et ils ont haï, et mon Père et moi. " (Jn 15.) Ils ont refusé de se soumettre à son règne, lorsqu’ils dirent à Pilate : " Nous n’avons pas d’autre roi que César. " (Jn 19.) Dans ceux qu’il appelle ses concitoyens, les Juifs se trouvent clairement désignés, puisqu’ils avaient les mêmes ancêtres selon la chair, et parce qu’il se conformait comme eux aux prescriptions de la loi. S. Aug. (quest. Evang.) Ils envoyèrent une députation après lui, parce que même après sa résurrection ils poursuivirent les Apôtres par de continuelles persécutions, et rejetèrent ouvertement la prédication de l’Évangile
 

Eusèbe. Le Sauveur, après avoir parlé de ce qui a trait à son premier avènement, prédit son retour dans tout l’éclat de sa gloire et de sa majesté : " Etant donc revenu après avoir été mis en possession de son royaume. " — S. Chrys. (hom. 39, sur la 1re Epît. aux Cor.) (1 Co 15, 24). La sainte Écriture distingue deux règnes de Dieu sur les hommes, l’un qu’il tient de la création, et qu’il possède comme Roi universel de tout ce qui existe, en vertu de son droit de Créateur ; l’autre qui est un règne d’affection qu’il n’exerce que sur les justes qui lui sont librement et volontairement soumis ; c’est ce dernier royaume dont il prend ici possession.
 

S. Aug. (quest. Evang.) Il revient après avoir pris possession de ce royaume, parce qu’il doit revenir dans tout l’éclat de sa gloire, lui qui avait apparu d’abord si humble au milieu des hommes, lorsqu’il disait : " Mon royaume n’est pas de ce monde. " (Jn 18.)
 

S. Cyr. Or, lorsque Jésus-Christ reviendra, après avoir pris possession de son royaume, il donnera aux ministres de sa parole les éloges qu’ils ont mérités, et les comblera de joie et d’honneurs dans les cieux, parce qu’en faisant valoir le talent qui leur avait été confié, ils en ont acquis un grand nombre d’autres : " Le premier vint et dit : Seigneur, votre mine a produit dix autres mines. " Ce premier serviteur représente l’ordre des docteurs qui ont été envoyés au peuple de la circoncision, il a reçu une mine pour la faire valoir, parce que les docteurs ont reçu l’ordre de prêcher une seule et même foi. Cette mine en a produit dix autres, parce que leurs enseignements ont fait entrer en société avec eux le peuple qui vivait sous la loi.
 

" Il lui dit : Fort bien, bon serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, " etc. Ce serviteur a été fidèle en peu de choses, c’est-à-dire qu’il n’a point altéré la parole de Dieu ; car tous les dons que nous pouvons recevoir dans la vie présente, ne sont rien en comparaison de ceux qui nous sont réservés pour l’avenir. — Evagr. (Ch. des Pèr. gr.) L’Évangile nous dit que ce serviteur reçoit le gouvernement de dix villes, parce qu’il reçoit la récompense de ses propres biens. Il en est qui interprétant ces promesses dans un sens grossier et laissant encore dominer dans leur âme l’ambition du pouvoir et des honneurs, s’imaginent qu’ils recevront les dignités de préteurs et de gouverneurs dans la Jérusalem terrestre qu’ils espèrent voir rebâtir avec des pierres précieuses. — S. Ambr. Ces dix villes sont les âmes à la tête desquelles est placé à juste titre celui qui a fait fructifier dans le coeur des hommes les trésors du Seigneur, c’est-à-dire : " Les paroles du Seigneur qui sont pures comme l’argent éprouvé par le feu. " (Ps 11.) Jérusalem est bâtie comme une ville (Ps 121) ; ainsi en est-il des âmes pacifiques, et ceux qui ont été jugés dignes de la vie des anges, sont établis comme les anges au-dessus de ces âmes pour les diriger et les conduire.
 

" Un autre vint et dit : Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines. " — Bède. Ce serviteur représente la phalange de ceux qui ont été envoyés pour prêcher l’Évangile aux Gentils. La mine qui leur a été confiée, (c’est-à-dire la foi de l’Évangile) a produit cinq mines, parce qu’ils ont converti à la grâce de la foi les nations qui étaient auparavant esclaves des sens du corps : " Vous, lui répondit-il, vous aurez puissance sur cinq villes, " c’est-à-dire la perfection de votre vie brillera d’un éclat supérieur à celui des âmes que vous, avez initiées à la foi.
 

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : Celui qui a gagné cinq mines est celui qui est chargé d’enseigner les préceptes de la morale, parce que notre corps a cinq sens qui ont chacun leurs obligations distinctes ; celui qui en a gagné dix, reçoit le double, le pouvoir d’enseigner les mystères de la loi, et la sainteté de la morale chrétienne. Nous pouvons encore voir dans les dix mines, les dix commandements de la loi (c’est-à-dire la doctrine de la loi), et dans les cinq mines, les conseils de la perfection ; mais je veux que le docteur de la loi soit parfait en toutes choses. Comme il est ici question des Juifs, il n’y a que deux serviteurs qui apportent le produit de leur argent, non de l’argent de lui-même, mais de leur bonne administration ; car le produit de la doctrine céleste ne ressemble point au produit de l’argent que l’on prête à intérêt. — S. Chrys. Pour les biens de la terre, l’on ne peut guère devenir riche sans qu’un autre s’appauvrisse ; pour les biens spirituels, au contraire, on ne peut s’enrichir qu’à la condition d’enrichir les autres ; c’est qu’en effet, le partage des biens extérieurs les diminue nécessairement, tandis que les biens spirituels ne font que s’accroître en se partageant.
 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 46.) On peut dire encore que les dix et les cinq mines qui ont été gagnées par les deux serviteurs qui ont fait un bon emploi de la somme qui leur était confiée, représentent ceux à qui la grâce avait déjà donné l’intelligence de la loi et qui ont été comme acquis au troupeau de Dieu ; analogie fondée sur les dix préceptes de la loi, ou sur les cinq livres écrits par Moïse qui a été chargé de donner la loi. Les dix et les cinq villes, à la tête desquelles le Seigneur place ces fidèles serviteurs, se rapportent au même sujet ; car la multiplicité des interprétations variées qui sortent en abondance de chaque précepte ou de chaque livre, ramenées ou réduites à un seul et même objet, forme comme la ville des intelligences, qui vivent des pensées éternelles. En effet, une ville n’est pas une agglomération d’êtres quelconques, mais une multitude d’êtres raisonnables unis entre eux par les liens d’une loi commune. Les serviteurs qui reçoivent des éloges pour avoir fait valoir et fructifier la somme qui leur était confiée, représentent ceux qui justifieront du bon emploi qu’ils ont fait du talent qu’ils ont reçu en multipliant les richesses du Seigneur, c’est-à-dire le nombre de ceux qui croient en lui. Ceux qui ne peuvent rendre compte sont figurés par le serviteur qui avait gardé dans un linge la mine qu’il avait reçue : " Et un troisième vint et dit : Seigneur, voilà votre mine que j’ai gardée enveloppée dans un suaire, " etc. Il y a, en effet, des hommes qui se rassurent dans cette coupable erreur, qu’il suffit que chacun rende compte de lui-même. A quoi bon, disent-ils, prêcher aux autres et travailler à leur salut, pour assumer ainsi devant Dieu la responsabilité des autres ? puisque d’ailleurs ceux-mêmes qui n’ont pas reçu la loi, sont inexcusables devant Dieu, aussi bien que ceux qui sont morts sans que l’Évangile leur ait été annoncé, parce que les uns et les autres pouvaient connaître le Créateur par les créatures : " Je vous ai craint, parce que vous êtes un homme sévère, " etc. En effet, Dieu semble moissonner ce qu’il n’a pas semé, en condamnant comme coupables d’impiété, ceux qui n’ont jamais entendu parler ni de la loi, ni de l’Évangile. Or, c’est sous le prétexte d’éviter la responsabilité de ce jugement sévère, qu’ils vivent dans l’oisiveté, et négligent le ministère de la parole, et c’est comme s’ils enveloppaient dans un suaire le talent qu’ils ont reçu. — Théophyl. C’est avec un suaire que l’on couvre la face des morts. Ce n’est donc pas sans raison qu’il est dit que ce serviteur paresseux avait enveloppé dans un suaire la mine qu’il avait reçue, parce qu’il l’avait laissée comme ensevelie et sans emploi, sans la faire ni valoir ni fructifier.
 

Bède. On peut dire encore qu’envelopper l’argent dans un suaire, c’est ensevelir dans l’oisiveté d’une indolente apathie les dons qu’on a reçus de Dieu. Or, ce que ce serviteur prétendait donner comme excuse, est justement ce qui le fait déclarer plus coupable : " Le maitre lui répondit : Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur. " Il l’appelle méchant serviteur, tant pour sa négligence à faire valoir le talent qui lui était confié, que pour l’orgueilleuse hardiesse avec laquelle il accuse Injustice du Seigneur : " Vous saviez que j’étais un homme sévère, reprenant ce que je n’ai pas déposé, et moissonnant ce que je n’ai pas semé, pourquoi donc n’avez-vous pas mis mon argent à la banque ? " c’est-à-dire : Vous saviez que j’étais dur et prêt à reprendre ce qui ne m’appartenait pas, pourquoi cette pensée ne vous a-t-elle pas inspiré la crainte que j’exigerais avec bien plus de sévérité encore ce qui m’appartient ? Cet argent, c’est la prédication de l’Évangile et la parole divine, car la parole de Dieu est pure comme l’argent éprouvé par le feu. (Ps 11.) Cette parole de Dieu devait être mise à la banque, c’est-à-dire déposée dans des coeurs ouverts et bien disposés. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou encore, cette banque à laquelle l’argent doit être placé, c’est la profession extérieure et publique de la religion qui nous est imposée comme un moyen nécessaire de salut.
 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Dans l’ordre des richesses matérielles, les débiteurs ne sont obligés qu’à représenter la somme qui leur a été donnée ; ils ne doivent rendre qu’autant qu’ils ont reçu, et on ne leur en demande pas davantage. Mais pour la parole divine, non seulement nous sommes obligés de la garder fidèlement, mais nous devons encore la faire fructifier, comme le Sauveur nous en avertit par les paroles qui suivent : " Afin qu’à mon retour, je reprisse mon argent avec intérêt. " — Bède. Celui, en effet, qui reçoit par la foi l’argent de la parole divine que lui confient les docteurs de l’Évangile, doit le rendre avec usure, soit par la pratique des bonnes oeuvres, soit en se servant de ce qu’il a entendu pour chercher à comprendre ce que les prédicateurs ne lui ont point encore expliqué. — S. Cyr. Le devoir des docteurs c’est d’annoncer aux fidèles les salutaires enseignements de l’Évangile ; mais il n’appartient qu’à la grâce divine de leur faire comprendre ce qu’ils écoutent avec docilité, et de seconder leur intelligence. Or, ce serviteur n’a mérité ni louange, ni honneur, loin de là, il a été condamné comme un serviteur paresseux et inutile : " Et il dit à ceux qui étaient présents : ôtez-lui la mine, et la donnez à celui qui en a dix. " — S. Aug. (Quest. évang.) Nous apprenons de là qu’on peut perdre les dons de Dieu, si on les a sans les avoir, c’est-à-dire sans en faire usage, et qu’on mérite, au contraire, de les voir augmenter lorsqu’on les possède véritablement, c’est-à-dire quand on en fait un salutaire emploi.
 

Bède. Dans le sens figuré, cette dernière circonstance signifie je pense, que lorsque la plénitude des nations sera entrée dans l’Église, tout Israël sera sauvé (Rm 11), et qu’alors la grâce spirituelle se répandra avec abondance sur les docteurs. — S. Chrys. (hom. 43 sur les Actes.) Le Seigneur dit à ceux qui étaient présents : " Ôtez-lui la mine, " parce qu’il ne convient pas à l’homme sage de punir par lui-même, et il se sert d’un autre pour infliger le châtiment qu’il a prononcé comme juge ; ainsi Dieu ne punit point par lui-même les pécheurs, mais par le ministère des anges. — S. Ambr. On ne dit rien des autres serviteurs, qui, comme des débiteurs prodigues, ont laissé perdre ce qui leur avait été confié. Les deux serviteurs qui ont fait fructifier ce qu’ils avaient reçu, représentent le petit nombré de ceux qui, par deux fois, sont appelés à cultiver la vigne du Seigneur ; les autres représentent tous les Juifs : " Seigneur, lui dirent-ils, il a déjà dix mines. " Mais pour justifier cette mesure de toute injustice, le Seigneur ajoute : " On donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance. "
 

Théophyl. Puisqu’il a décuplé la mine qu’il avait reçue, et en a représenté dix à son maître, il est évident que s’il en multiplie un plus grand nombre dans la même proportion, le profit de son maître sera plus considérable. Quant au serviteur oisif et paresseux, qui n’a point cherché à augmenter ce qu’il avait reçu, on lui ôtera même ce qu’il possède : " Et à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a, " afin que l’argent du maître ne demeure pas infructueux, tandis qu’il peut être donné à d’autres qui le feront fructifier. Cette vérité s’applique non seulement à la prédication et à l’enseignement, mais à la pratique des vertus morales. En effet, Dieu nous donne pour ces vertus des grâces et une aptitude particulière, il donne à l’un la grâce du jeûne, à l’autre celle de la prière, à un troisième la grâce de la douceur et de l’humilité. Si nous sommes attentifs à profiter de ces grâces, nous les multiplierons, mais si nous sommes indifférents, nous les perdrons sans retour. Notre-Seigneur ajoute ensuite pour ses ennemis : " Quant à mes ennemis, qui n’ont pas voulu m’avoir pour roi, amenez-les ici, et tuez-les devant moi. " — S. Aug. (Quest. évang.) Il désigne ici l’impiété des Juifs qui n’ont pas voulu se convertir à lui. — Théophyl. Il les livrera à la mort en les jetant dans le feu extérieur (cf. Mt 8, 22 ; 25), et dès cette vie même, ils ont été massacrés impitoyablement par les armées romaines.
 

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Cette sentence tombe directement sur les Marcionites. Jésus-Christ dit ici : " Amenez mes ennemis, et qu’on les mette à mort en ma présence ; " et cependant ils prétendent que le Christ est bon, et que le Dieu de l’Ancien Testament est mauvais. Or, il est évident que le Père et le Fils font ici la même chose, le Père envoie une armée à la vigne pour détruire ses ennemis (Mt 21), et le fils les fait mettre à mort en sa présence. — S. Chrys. (hom. 79 sur S. Matth.) Cette parabole est différente de la parabole des talents racontée par saint Matthieu (Mt 25). Nous voyons ici le même capital donner divers produits, puisqu’une seule mine rapporte d’un côté cinq, de l’autre, dix mines. Dans la parabole de saint Matthieu, c’est le contraire, celui qui a reçu deux talents, en a gagné deux autres, celui qui en avait reçu cinq, en a gagné autant ; et c’est la raison pour laquelle ils ne reçoivent pas la même récompense.
 

 

vv. 28-37.

Tite de Bostr. (Ch. des Pèr. gr.) Les disciples qui avaient entendu dire au Sauveur : " Le royaume de Dieu est proche, " et qui le voyaient se diriger vers Jérusalem, pensaient qu’il allait commencer à y établir le royaume de Dieu. Dans la parabole qui précède, Jésus a redressé cette erreur, et montré qu’il n’avait pas encore triomphé de la mort qu’on lui préparait. Cette parabole achevée, il va au-devant de sa passion en continuant sa marche vers Jérusalem : " Après ce discours, il continua de marcher vers Jérusalem. " — Bède. Il leur apprend en même temps que cette parabole est une prédiction de la triste destinée de cette ville qui allait le mettre à mort, et devait périr elle-même au milieu des horreurs de la guerre : " Comme il approchait de Bethphagé et de Béthanie, " etc. Bethphagé était une bourgade habitée par les prêtres, et située sur le versant du mont des Oliviers ; Béthanie était aussi une petite ville située sur le penchant de la même montagne, à quinze stades environ de Jérusalem (cf. Mc 11, 1 ; Lc 19, 59 ; Jn 11, 1.14).

S. Chrys. (hom. 67, sur S. Matth.) Dans les commencements de sa vie publique, Jésus se mêlait simplement et sans distinction avec les Juifs ; mais lorsqu’il eut donné assez de preuves de sa puissance, toutes ses actions sont empreintes d’une grande autorité. Les miracles se multiplient, il annonce à ses disciples qu’ils trouveront un ânon qui n’a pas encore été monté : " Allez à ce village qui est devant vous, " etc. Il leur prédit également que personne ne les empêchera, mais qu’aussitôt qu’ils auront parlé, on les laissera faire sans dire un seul mot. Il ajoute donc : " Déliez-le, et me l’amenez. "
 

Tite de Bostr. Il y eut ici un ordre divin bien clairement connu, car personne ne peut résister à Dieu, quand il réclame ce qui lui appartient. Or, les disciples chargés de conduire cet ânon, ne refusèrent point de remplir cette office comme peu relevé, mais ils partirent aussitôt pour l’amener : " Ceux qui étaient envoyés, s’en allèrent, " etc. — S. Bas. C’est ainsi que nous devons accepter avec empressement et avec zèle les plus humbles fonctions, persuadés qu’aucune action n’est petite lorsqu’elle est faite en vue de Dieu, et qu’elle est digne du royaume des cieux.

Tite de Bostr. Ceux qui avaient attaché l’ânon, obéissent en silence à cet acte de puissance du Sauveur, et ne peuvent résister à l’ordre qu’il leur donne : " Comme ils détachaient l’ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils répondirent : Parce que le Seigneur en a besoin. " C’est qu’en effet le nom du Seigneur annonce la majesté, et qu’il allait paraître comme un roi à la vue de tout le peuple.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 66.) Ne soyez pas surpris que saint Matthieu parle de l’ânesse et de son ânon, tandis que les autres ne disent rien de l’ânesse ; car lorsque deux faits peuvent se concilier, il n’y a aucune contradiction à les admettre, alors même que chaque évangéliste y mêlerait des circonstances différentes, a plus forte raison quand un évangéliste raconte une circonstance qu’un autre passe tout simplement sous silence.

La Glose. Les disciples témoignent ici leur empressement et leur zèle pour Jésus-Christ, non seulement en lui amenant l’ânon qui ne leur appartenait pas, mais en se dépouillant de leurs propres vêtements qu’ils jetèrent sur l’ânon, et qu’ils étendirent le long du chemin : " Et ils l’amenèrent à Jésus, et jetant leurs vêtements sur l’ânon, " etc. — Bède. D’après les autres évangélistes, ce ne furent pas seulement les disciples, mais une grande partie de la foule, qui étendirent leurs vêtements le long du chemin.

S. Ambr. Dans le sens figuré, Notre-Seigneur vient sur la montagne des Oliviers, pour planter de nouveaux oliviers en vertu de sa souveraine puissance ; or, cette montagne, c’est Jésus-Christ lui-même, car quel autre que lui pourrait produire ces olives fécondées par la plénitude de l’Esprit ? — Bède. Les villes dont il est ici question, sont situées sur le versant du mont des Oliviers, c’est-à-dire sur le Seigneur lui-même, qui entretient l’onction des grâces spirituelles par la double lumière de la science et de la piété.

Orig. (hom. 37, sur S. Luc.) Béthanie veut dire maison d’obéissance, et Bethphagé, ville habitée par les prêtres, signifie maison des mâchoires, parce que la loi attribuait aux prêtres les mâchoires des victimes dans les sacrifices. C’est donc dans la maison de l’obéissance et dans une ville habitée par les prêtres, que le Sauveur envoie ses disciples pour délier le petit de l’ânesse. — S. Ambr. Ils trouvèrent donc dans ce village l’ânon qui était lié avec l’ânesse : il ne pouvait être délié que par l’ordre du Seigneur, et ce fut la main des Apôtres qui le délia. Telles sont les actions, telle est la vie, telle est la grâce. Soyez donc tels que vous méritiez de rompre les liens de ceux qui sont attachés. Dans l’ânesse, saint Matthieu a comme figuré la mère de l’erreur ; et saint Luc représente dans l’ânon l’universalité du peuple des Gentils. Notre-Seigneur ajoute avec dessein : " Sur lequel aucun homme ne s’est encore assis, " parce qu’avant Jésus-Christ, personne n’avait appelé les Gentils à faire partie de l’Église. Ce peuple était retenu dans les liens de l’infidélité, attaché à un maître injuste, et esclave de l’erreur. Il ne pouvait revendiquer son indépendance, parce qu’elle était enchaînée non par sa nature, mais par sa faute. Aussi quand on parle ici du Seigneur, on ne veut parler que d’un seul. Misérable servitude que celle dont les droits ne sont pas clairement définis ; car celui qui n’est pas soumis à un seul maître en a nécessairement plusieurs. Les maîtres étrangers lient pour posséder, celui-ci délie pour retenir, car il sait que les bienfaits sont plus forts pour retenir que tous les liens. — Orig. (hom. 37, sur S. Luc.) Cet ânon avait donc plusieurs maîtres avant que le Sauveur en eût besoin, mais dès qu’il en fut devenu le véritable maître, les autres cessèrent d’avoir autorité sur lui, car personne ne peut servir Dieu et l’argent. (Mt 12.) Lorsque nous étions esclaves du péché, nous étions sous la domination d’une multitude de passions et de vices. Or, le Seigneur déclare qu’il a besoin de l’ânon, parce que son grand désir est de rompre les liens qui nous attachent au péché.

Orig. (Traité 11, sur S. Jean.) Ce n’est pas sans raison que le lieu où l’ânesse et l’ânon se trouvaient attachés, était un village ; parce que la terre tout entière, en comparaison du monde céleste, n’est elle-même que comme un simple hameau.

S. Ambr. Ce n’est pas non plus sans un dessein particulier qu’il envoie deux de ses disciples, ils figurent Pierre qui fut envoyé au centurion Corneille, et Paul au reste de la gentilité ; et c’est pourquoi l’Évangéliste se contente d’indiquer le nombre sans désigner les personnes. Si cependant on veut ici une désignation spéciale, ou peut appliquer ceci à Philippe que l’Esprit-Saint envoya dans la ville de Gaza, lorsqu’il baptisa l’eunuque de la reine Candace. (Ac 8.) — Théophyl. Ou bien encore, ces deux disciples figurent les deux ordres des prophètes et des Apôtres qui doivent amener à l’Église, et soumettre à Jésus-Christ le peuple des Gentils, Us amènent cet ânon d’un simple village, pour signifier la grossièreté et l’ignorance de ce peuple avant sa conversion. — S. Ambr. Ces deux disciples envoyés pour délier l’ânon, ne parlent point en leur propre nom, ils reproduisent les paroles de Jésus, pour vous apprendre que ce n’est point par la vertu de leurs discours, mais par la parole de Dieu, ni en leur nom, mais au nom de Jésus-Christ qu’ils ont converti les Gentils à la foi, et que les puissances ennemies qui exerçaient sur les nations un empire tyrannique ont cédé devant l’ordre de Dieu. — Orig. Les disciples jettent leurs vêtements sur l’ânon et y font asseoir le Sauveur, lorsqu’ils prennent la parole de Dieu et la déposent sur l’âme de ceux qui les écoutent. Ils se dépouillent de leurs vêtements, et les étendent le long du chemin ; les vêtements des Apôtres, ce sont leurs bonnes oeuvres, et il est vrai de dire que l’ânon délié par les disciples, et qui porte Jésus, marchent sur les vêtements des Apôtres, quand il pratique leur doctrine et qu’il imite leurs vertus. Qui de nous est assez heureux pour porter ainsi Jésus ? — S. Ambr. Ce n’est pas que le Maître du monde trouve aucun plaisir à être ainsi porté par une ânesse ; mais cette action est un emblème mystérieux de sa présence sur le siège intime de notre âme où il est assis comme un guide invisible pour diriger les démarches de notre âme, et réprimer tous les mouvements de la concupiscence de la chair par la vertu de sa parole dont il se sert à la fois comme de rênes et d’aiguillon.

 

vv. 37-40.

Orig. (sur S. Luc.) Tant que le Seigneur fut sur la montagne, il était avec les Apôtres seuls ; mais lorsqu’il est près de descendre, le peuple vient à sa rencontre : " Et comme il approchait de la descente du mont des Oliviers, les disciples en foule, " etc. — Théophyl. L’Évangéliste appelle disciples non seulement les douze, ou les soixante-douze, mais encore tous ceux qui suivaient Jésus-Christ, entraînés par l’éclat de ses miracles ou par le charme de sa doctrine qui attirait même jusqu’aux enfants, comme le racontent les autres évangélistes : " Ils commencèrent à louer Dieu de tous les prodiges qu’ils avaient vus. " — Bède Le Sauveur les avaient rendus témoins d’un grand nombre de miracles, mais ils étaient surtout frappés de la résurrection de Lazare, car comme le dit saint Jean : " Une grande multitude de peuple vint à sa rencontre, parce qu’ils avaient entendu parler de ce miracle. " (Jn 12, 48.) Il faut remarquer aussi que ce n’est pas la première fois que Notre-Seigneur venait à Jérusalem, nous voyons dans l’Évangile selon saint Jean, qu’il y était déjà venu plusieurs fois.

S. Ambr. La foule reconnaît sa dignité, elle l’appelle son roi, elle lui applique les oracles des prophètes, et proclame que le Fils de David selon la chair qu’ils attendaient, est arrivé : " Béni soit, disaient ils, le roi qui vient au nom du Seigneur ! " — Bède. C’est-à-dire, au nom de Dieu le Père ; bien qu’on puisse entendre aussi, en son propre nom, car il est Dieu lui-même ; mais il vaut mieux adopter ici le sens que nous indiquent les propres paroles : " Je suis venu, nous dit-il, au nom de mon Père, " (Jn 5, 43) car Jésus est le maître et le modèle de l’humilité. Si donc il consent à être appelé roi, ce n’est ni pour exiger des impôts, lever des armées, et combattre visiblement contre ses ennemis ; mais parce qu’il est le roi des coeurs, et qu’il veut conduire dans le royaume des cieux tous ceux qui croient, espèrent en lui, et qui l’aiment ; car s’il a voulu être roi d’Israël, c’est pour nous montrer sa miséricorde et non pour augmenter sa puissance. Or, comme Jésus-Christ s’est manifesté dans une chair mortelle pour être la victime de propitiation du monde entier, le ciel est la terre s’unissent dans un admirable concert pour célébrer ses louanges. A sa naissance, les armées des cieux ont, chanté un cantique de louanges sur son berceau, et lorsqu’il est sur le point de retourner dans les cieux, les hommes publient à leur tour ses louanges : " Paix dans les cieux ! " — Théophyl. C’est-à-dire que la guerre que nous faisions depuis si longtemps à Dieu a enfin cessé : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! " parce qu’en effet les anges louent Dieu d’avoir opéré cette réconciliation, car n’est-ce pas une preuve que Dieu est en paix avec nous, de le voir se manifester sous une forme visible au milieu même de ses ennemis ? Cependant les pharisiens murmuraient d’entendre la foule le proclamer roi, et le louer comme un Dieu. Lui donner le nom de roi, c’est à leurs yeux un acte de sédition, lui donner celui, de Dieu un blasphème " Alors quelques pharisiens qui étaient parmi le peuple, lui dirent : Maître, faites taire vos disciples. " — Bède. Dans quel excès de folie tombent les envieux ; ils n’ont pas hésité à lui donner le nom de Maître, parce qu’ils ont reconnu la vérité de sa doctrine, et comme s’ils étaient maintenant mieux instruits, ils veulent empêcher ses disciples de publier ses louanges.

S. Cyr. Mais le Sauveur, loin de faire taire ceux qui publiaient ses louanges, comme s’il était Dieu, impose silence à ceux qui veulent les reprendre, et atteste lui-même la gloire de sa divinité : " Il leur répondit : Je vous le dis, si ceux-ci se taisent, les pierres crieront. — Théophyl. C’est-à-dire, ce n’est pas sans raison qu’ils publient mes louanges, mais ils agissent sous l’impression des miracles dont ils ont été les témoins.

Bède. Lorsque le Seigneur fut crucifié, tandis que la crainte fermait la bouche à ses amis, les pierres et les rochers publièrent sa gloire, alors qu’au moment où il rendait le dernier soupir la terre trembla, les rochers se fendirent, et les tombeaux s’ouvrirent. — S. Ambr. Or, il n’est pas étonnant que les rochers, contre leur nature, publient sa divinité, puisque ses bourreaux, plus durs que les rochers, sont obligés de la reconnaître. N’entendons-nous pas, en effet, cette même foule qui, dans quelques jours, doit crucifier son Dieu, et renier dans son coeur celui dont sa voix confesse aujourd’hui la divinité ? Ne peut-on pas dire aussi qu’au milieu du silence gardé par les Juifs après la passion du Seigneur, les pierres vivantes (selon le langage de saint Pierre) (1 P 2, 5), élèveront la voix. — Orig. (sur S. Luc.) Lorsque nous gardons le silence (c’est-à-dire lorsque la charité d’un grand nombre se refroidit, les pierres élèvent la voix ; car Dieu, des pierres mêmes, peut susciter des enfants d’Abraham. — S. Ambr. Ce n’est pas sans un dessein mystérieux que nous voyons la foule qui louait Dieu, venir à la rencontre du Sauveur, lorsqu’il descendait de la montagne, elle nous apprend par cette démarche que celui qui doit accomplir les mystères du salut de nos âmes est descendu du ciel. La multitude descend avec le Seigneur de la montagne des Oliviers, pour nous apprendre encore, à nous qui avons besoin de la miséricorde du Sauveur, à marcher sur les traces de l’auteur de la miséricorde qui s’est si profondément humilié pour notre salut.

 

vv. 41-44.

Orig. (hom. 38 sur S. Luc.) Jésus a confirmé par son exemple toutes les béatitudes qu’il a proclamées dans son Évangile. Il a dit " Bienheureux ceux qui sont doux, " et il confirme cette vérité en disant de lui-même : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. " Il a dit : " Bienheureux ceux qui pleurent, " et il a pleuré lui-même sur la ville de Jérusalem : " Et comme il approchait, voyant la ville, il pleura sur elle, " etc. — S. Cyr. Jésus-Christ, qui veut sincèrement le salut de tous les hommes, était ému de compassion, mais comment aurions-nous pu en être certains, si le Sauveur ne nous en avait donné une preuve sensible ? Les larmes, en effet, sont le signe de la tristesse.

S. Grég. (hom. 39 sur les Evang.) Notre miséricordieux Rédempteur pleure donc la ruine de cette ville infidèle qui ne savait pas que cette ruine était si proche : " Si tu connaissais, toi aussi, a dit-il ; sous entendez : Tu verserais des larmes, toi qui te livres aux transports de la joie dans l’ignorance où tu es de ta triste destinée. Il ajoute : " Du moins en ce jour qui t’est encore donné, " etc. Comme elle s’abandonnait aux plaisirs sensibles, elle avait ce qui pouvait lui apporter la paix. Notre-Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle elle mettait sa paix dans les biens sensibles : " Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. " En effet, si les malheurs qui la menacent, n’étaient pas cachés aux yeux de son coeur, elle ne placerait pas sa joie dans les prospérités de la vie présente. Aussi lui prédit-il aussitôt le châtiment dont elle était menacée : " Viendront des jours sur toi. "

S. Cyr. " Si tu connaissais, toi aussi. " Ils n’étaient pas dignes, en effet, de comprendre les Écritures divinement inspirées, qui annoncent les mystères de Jésus-Christ. Car toutes les fois qu’ils lisent les livres de Moïse, le voile qui est sur leur coeur ne leur permet pas de voir l’accomplissement de la loi en Jésus-Christ qui, étant la vérité, dissipe toutes les ombres ; et pour n’avoir pas voulu voir la vérité, ils se sont rendus indignes du salut que Jésus-Christ leur apportait : " Du moins en ce jour, ce qui importe à ta paix. " — Eusèbe. Il nous apprend ainsi que son avènement a eu pour objet la paix du monde entier ; il est venu, en effet, pour annoncer la paix à ceux qui étaient près, comme à ceux qui étaient loin (Ep 2, 17), mais cette paix est restée cachée pour eux, parce qu’ils n’ont pas voulu la recevoir, lorsqu’elle était annoncée " Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. " Il lui prédit donc dans les termes les plus clairs le siège qui la menace : " Viendront des jours sur toi, " etc. — S. Grég. (comme précéd.) Il veut parler des généraux qui commandaient les armées romaines, car il décrit ici la ruine de Jérusalem qui eut lieu sous Vespasien et sous Tite : " ils t’environneront, " etc.

Eusèbe. Nous pouvons vérifier l’accomplissement de ces paroles dans le récit de Josèphe, qui, tout juif qu’il était, a raconté ces événements d’une manière conforme à ce qui avait été prédit par Jésus-Christ. — S. Grég. La translation même de cette ville vient rendre témoignage à ces paroles du Sauveur : " Et ils ne laisseront pas sur toi pierre sur pierre ; " car elle est rebâtie aujourd’hui hors de la porte où Notre-Seigneur a été crucifié, tandis que l’ancienne Jérusalem est totalement détruite. Quelle a été la cause de cette entière destruction ? Parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée. " — Théophyl. C’est-à-dire le temps de mon avènement ; car je suis venu pour te visiter et te sauver ; si tu m’avais connu, et si tu avais voulu croire en moi, tu serais restée en paix avec les Romains, préservée de tout danger, comme l’ont été tous ceux qui ont embrassé la foi en Jésus-Christ.

Orig. (hom. 36 sur S. Luc.) J’admets que cette Jérusalem a été détruite en punition des crimes de ses habitants ; mais je me demande si ces larmes du Sauveur n’ont pas été versées sur une autre Jérusalem qui est la vôtre. Si après avoir connu les mystères de la vérité, un chrétien retombe dans le péché, Jésus pleure sur lui, il ne pleure point sur les Gentils, mais sur celui qui appartenait à Jérusalem, et qui a cessé d’en faire partie. — S. Grég. (comme précéd.) Notre Rédempteur ne cesse de pleurer dans la personne de ses élus, lorsqu’il en voit un certain nombre faire succéder à une vie sainte, une conduite criminelle. S’ils pouvaient connaître le jugement de condamnation qui les menace, ils mêleraient leurs larmes à celles des élus. L’âme coupable a ici-bas son jour, parce qu’elle met sa joie dans des jouissances passagères ; elle a ce qui importe à sa paix, puisqu’elle met son bonheur dans les biens de la terre, et elle ne veut pas prévoir l’avenir dont la vue pourrait troubler sa joie présente : " Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. "

Orig. (hom. 36 sur S. Luc.) Le Sauveur pleure sur notre Jérusalem, c’est-à-dire sur notre âme, de ce qu’en punition des péchés qu’elle a commis, ses ennemis (c’est-à-dire les esprits mauvais), l’environnent et l’entourent de tranchées pour en faire le siège, et ne pas laisser dans son enceinte pierre sur pierre. Tel est surtout le sort de celui qui, après une longue pratique de la continence, après plusieurs années de chasteté, succombe à la tentation, et séduit par les attraits des plaisirs de la chair, perd le sentiment de la pudeur. S’il devient impudique, les démons ne laisseront pas en lui pierre sur pierre, selon cet oracle d’Ézéchiel (18) : " Je ne me souviendrai plus de ses premières justices.

S. Grég. (comme précéd.) Ou encore, les esprits mauvais assiègent l’âme lorsqu’elle est sur le point de sortir du corps. Comme ils l’ont toujours vue dominée par l’amour de la chair, ils la séduisent par l’attrait des plaisirs trompeurs. Ils l’environnent de tranchées, en ramenant devant ses yeux toutes les iniquités qu’elle a commises, et en la resserrant par la triste perspective des compagnons de sa damnation ; et ainsi, cette pauvre âme, saisie de toutes parts au dernier moment de sa vie, voit quels ennemis l’environnent, sans qu’elle trouve aucune issue pour leur échapper, parce qu’elle ne peut plus faire le bien qu’elle a négligé de pratiquer, lorsqu’elle le pouvait. Ils la serrent de toutes parts, en lui représentant tous ses péchés, non seulement d’actions, mais de paroles et de pensées ; et parce qu’elle s’est donnée autrefois toute latitude pour le crime, elle se voit resserrée dans cette extrémité, par les angoisses du châtiment qu’elle a mérité. Cette âme, alors en punition de ses crimes, est renversée par terre, lorsque ce corps, qu’elle croyait être toute sa vie, est forcé de retourner dans la poussière. Ses enfants tombent sous les coups de la mort, alors que les pensées coupables, qui prenaient naissance au milieu d’elles, se dissipent dans ce dernier jour de la vengeance. Ces pensées peuvent aussi être représentées par les pierres. En effet, lorsque l’âme coupable ajoute à une pensée mauvaise une pensée plus criminelle encore, elle met pour ainsi dire pierre sur pierre ; mais lorsqu’arrive le jour de la vengeance et du châtiment, tout cet édifice de pensées mauvaises s’écroule. Or, Dieu visite l’âme continuellement en lui rappelant ses préceptes, quelquefois par des châtiments, quelquefois par des miracles, pour lui faire entendre la vérité qu’elle ne connaissait pas, lui faire mépriser ce qu’elle aimait, afin que, ramenée à lui par la douleur du repentir ou vaincue par ses bienfaits, elle rougisse du mal qu’elle a fait. Mais comme elle n’a point voulu connaître le jour où Dieu l’a visitée, elle est livrée à ses ennemis, avec lesquels la sentence du jugement dernier doit l’unir par les tristes liens d’une éternelle damnation.

 

vv. 45-48.

S. Grég. (hom. 39 sur les Evang.) Après avoir prédit les malheurs qui devaient fondre sur Jérusalem, Jésus entre aussitôt dans le temple, pour en chasser les vendeurs et les acheteurs, montrant ainsi que la ruine du peuple a pour cause la conduite coupable des prêtres : " Et étant entré dans le temple, il commença à chasser ceux qui y vendaient et y achetaient. " — S. Ambr. Dieu ne veut pas que son temple soit un rendez-vous de marchands, mais la maison de la sainteté, et son dessein, en instituant le ministère sacerdotal, n’a pas été que ses fonctions augustes devinssent l’objet d’un trafic sacrilège, mais qu’elles fussent remplies avec un désintéressement parfait.

S. Cyr. Il y avait, en effet, dans le temple, une multitude de marchands qui vendaient les animaux destinés à être immolés conformément aux prescriptions de la loi. Mais le temps était venu où les ombres allaient faire place au brillant éclat de la vérité en Jésus-Christ. C’est pourquoi Notre-Seigneur, qui était adoré dans le temple avec son Père, commence à réformer les rites défectueux de la loi, et rappelle que le temple est une maison de prières : " Il est écrit : Ma maison est une maison de prières, et vous en faites une caverne de voleurs. " — S. Grég. C’est, qu’en effet, ceux qui demeuraient dans le temple pour recevoir les offrandes, commettaient souvent des exactions à l’égard de ceux qui refusaient de donner.

Théophyl. Notre-Seigneur avait déjà vengé de la sorte la sainteté du temple au commencement de sa prédication, comme nous le voyons dans saint Jean, il le fait encore aujourd’hui, et fait ainsi ressortir en même temps la conduite sacrilège des Juifs, que le premier avertissement n’avait pu corriger.

S. Aug. (Quest. évang., 2, 48.) Dans le sens figuré, le temple, c’est l’humanité de Jésus-Christ, ou le corps qu’il s’est uni, qui est l’Église. C’est comme chef de l’Église qu’il disait : " Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours ; " et c’est en tant qu’il est uni à l’Église, qu’il dit en cet endroit : " Emportez tout cela d’ici, " etc. Il a voulu nous signifier par là qu’il s’en trouverait qui chercheraient leurs intérêts dans l’Église, ou qui s’en feraient un asile pour cacher leurs crimes au lieu de pratiquer la charité de Jésus-Christ, et de réformer leur vie après avoir obtenu le pardon de leurs fautes par une confession sincère.

S. Grég. (hom. 39.) Notre divin Rédempteur ne veut pas priver de ses divins enseignements les indignes mêmes et les ingrats, et après cet acte de vigueur pour venger la sainteté du temple, en chassant ceux qui l’outrageaient, il répand sur eux les dons de sa grâce : " Et il enseignait tous les jours dans le temple. " — S. Cyr. La doctrine de Jésus-Christ, aussi bien que ses oeuvres, auraient dû les convaincre qu’ils devaient l’adorer comme leur Dieu, mais loin de là, ils cherchaient à le mettre à mort : " Cependant les princes des prêtres, les scribes et les principaux du peuple cherchaient à le perdre. " — Bède. Ou parce qu’il enseignait tous les jours dans le temple, ou parce qu’il en avait chassé les voleurs, ou enfin, parce qu’en y entrant comme roi et Seigneur, il avait été reçu par la foule de ceux qui croyaient en lui au milieu des louanges et des chants des hymnes célestes. — S. Cyr. Mais le peuple avait conçu de Jésus-Christ une idée meilleure et plus juste que les scribes, les pharisiens et les princes des Juifs, qui, refusant de croire en lui, blâmaient ceux qui proclamaient ses louanges : " Mais ils ne trouvaient aucun moyen de rien faire contre lui, car tout le peuple était ravi en l’écoutant. " — Bède. Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières ; soit que dans la crainte de soulever le peuple, ils ne sussent que faire de Jésus, qu’ils avaient résolu de mettre à mort, soit qu’ils cherchassent à le perdre, parce qu’ils en voyaient un grand nombre abandonner leur enseignement pour se presser en foule autour du Sauveur.

S. Grég. (hom. 39.) Dans un sens figuré, de même que le temple est au milieu de la ville, ainsi ceux qui sont consacrés à Dieu, se trouvent au milieu du peuple fidèle. Or, il arrive souvent que quelques-uns de ceux qui prennent l’habit religieux et qui remplissent les fonctions des saints ordres, font de cet auguste ministère l’objet d’un commerce terrestre. Les vendeurs dans les temples sont ceux qui ne veulent donner qu’à prix d’argent ce qui appartient de droit aux fidèles, car c’est vendre la justice de ne vouloir en faire part que moyennant une somme d’argent. Ceux à leur tour qui achètent dans le temple, sont ceux qui ne veulent pas rendre au prochain ce qui lui est dû, et qui en refusant de faire ce qui est juste, achètent à prix d’argent les coupables faveurs de leurs supérieurs.

Orig. (Hom. 37 sur S. Luc.) Celui qui vend sera donc chassé du temple et surtout s’il vend les colombes. En effet, si je vends au peuple à prix d’argent les vérités qui m’ont été révélées et confiées par l’Esprit saint, ou que je refuse de les enseigner gratuitement, que fais-je autre chose que de vendre une colombe, c’est-à-dire l’Esprit saint ? — S. Ambr. Le Seigneur nous apprend donc en général que toute transaction commerciale doit être bannie du temple. Dans un sens spirituel, il chasse les changeurs qui cherchent à trafiquer avec l’argent du Seigneur, c’est-à-dire avec les divines Écritures, et qui ne mettent plus de distinction entre le bien et le mal. — S. Grég. (hom. 39 sur S. Luc.) Ils font de la maison de Dieu une caverne de voleurs, car lorsque des hommes pervers remplissent les fonctions du ministère sacerdotal, ils mettent à mort avec le glaive de leur malice ceux qu’ils auraient dû vivifier par leurs prières médiatrices. Le temple, c’est encore l’âme des fidèles, si elle se laisse aller à des pensées préjudiciables aux intérêts du prochain, elle devient comme une caverne de voleurs. Au contraire, la vérité enseigne tous les jours dans le temple, lorsqu’elle instruit soigneusement l’âme des fidèles des moyens à prendre pour éviter le mal.
 

 

 

CHAPITRE XX

vv. 1-8.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 2, 69.) Saint Luc ayant raconté comment Jésus avait chassé du temple les vendeurs et les acheteurs, passe sous silence qu’il retournait chaque jour à Béthanie, et revenait le lendemain à Jérusalem, ne dit rien du figuier qu’il dessécha, ni de la réponse qu’il fit à ses disciples étonnés sur la vertu de la foi (Mt 21, 21 ; Mc 11, 28), et au lieu de suivre par ordre les événements de chaque jour, il continue ainsi son récit : " Un de ces jours-là, " etc., paroles qui doivent s’entendre du jour où saint Matthieu et saint Marc placent les mêmes faits. — Eusèbe. Tandis que les principaux d’entre les Juifs auraient dû être dans l’admiration devant la doctrine tonte céleste du Sauveur, et reconnaître à ses paroles comme à ses actions qu’il, était le Christ prédit par les prophètes, ils ne cherchent qu’à soulever le peuple contre lui et à entraver son enseignement : " Et ils lui parlèrent de la sorte : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses, " etc. — S. Cyr. C’est-à-dire, d’après la loi de Moïse, il n’y a que ceux qui sont de la tribu de Lévi, qui aient reçu le droit d’enseigner et le pouvoir de remplir les fonctions sacrées dans le temple ; or, comme vous êtes de la tribu de Juda, vous usurpez évidemment les fonctions qui nous ont été confiées. Mais, ô pharisien ! si vous connaissiez les Écritures, vous vous rappelleriez qu’il est le prêtre selon l’ordre de Melchisédech, qui doit offrir à Dieu ceux qui croient en lui par le moyen d’un culte bien supérieur à la loi. Pourquoi donc vous tourmenter de ce qu’il a chassé et banni des parvis sacrés des coutumes qui n’avaient leur raison d’être que dans les sacrifices prescrits par la loi, puisqu’il vient appeler les hommes à la véritable justification par la foi.

Bède. Ou encore : Quand ils font au Sauveur cette question : Par quelle autorité faites-vous ces choses ? ils doutent que ce soit par la puissance de Dieu, et veulent faire entendre que ses oeuvres sont les oeuvres du démon. D’ailleurs, en ajoutant : Qui vous a donné cette puissance, ils nient ouvertement qu’il soit le Fils de Dieu, puisqu’ils attribuent les miracles qu’il opère à une puissance autre que la sienne. Notre-Seigneur pouvait confondre cette atroce calomnie par une réponse péremptoire, mais il préfère leur adresser une question pleine de sagesse pour les confondre et les condamner par leur silence ou par leur propre réponse : " Jésus leur répondit : Moi aussi, je vous ferai une question, " etc. — Théophyl. Il veut leur prouver qu’ils ont toujours résisté à l’Esprit saint, et qu’ils ont refusé de croire non seulement à Isaïe dont ils ne se souvenaient plus, mais à Jean-Baptiste qui avait paru récemment au milieu d’eux, Il leur adresse donc à son tour une question pour leur faire entendre que s’ils n’ont point voulu croire au témoignage que lui rendait Jean-Baptiste, un si grand prophète, et qui jouissait parmi eux d’une si grande considération, ils ne le croiraient pas davantage lui-même lorsqu’il leur dirait par quelle puissance il fait ces choses.

Eusèbe. Le Sauveur demande non pas quelle était l’origine de Jean-Baptiste, mais d’où venait son baptême ? — S. Cyr. Et ils ne rougirent pas de reculer devant la vérité, car n’est-ce pas Dieu qui avait envoyé Jean comme une voix qui criait : " Préparez la voie du Seigneur (Is 40, 3 ; Mt 3, 3 ; Mc 1, 3 ; Lc, 3, 4). " Or, ils craignirent de dire la vérité de peur de s’attirer cette réponse : Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru ? Et ils n’osent d’ailleurs blâmer le saint précurseur, non par un sentiment de crainte de Dieu, mais par crainte du peuple : " Et ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion : Si nous répondons : Du ciel, il dira : Pourquoi donc n’y avez-vous pas cru ? " — Bède. C’est-à-dire : Celui qui de votre aveu a reçu du ciel le don de prophétie, m’a rendu témoignage, et vous avez appris de lui par quelle puissance je fais ces choses : " Et si nous répondons : Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean était un prophète. " Ils comprirent donc que quelle que fût leur réponse, ils tomberaient dans un piége ; car ils craignaient d’être lapidés ; mais plus encore peut-être de confesser la vérité : " Ils lui répondirent donc qu’ils ne savaient d’où il était. " Ils n’ont pas voulu avouer ce qu’il savaient ; par un juste retour Notre-Seigneur ne veut pas leur dire non plus ce qu’il sait : " Et moi, leur dit Jésus, je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses. " Il y a deux raisons en effet qui autorisent à cacher la connaissance de la vérité : lorsque celui qui demande à la connaître n’a pas assez d’intelligence pour comprendre ce qu’il demande, ou qu’il est indigne de la connaître par la haine ou le mépris qu’il affecte pour la vérité.

 

vv. 9-18.

EusÈBE. Les princes des Juifs s’étant trouvés réunis dans le temple, Jésus leur prédit sous le voile de cette parabole les excès auxquels ils allaient se porter contre lui, et la destruction de leur nation qui devait en être le châtiment : " Alors il commença à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, " etc. — S. Aug, (acc. des Evang., 2, 70.) Saint Matthieu, pour abréger, passe sous silence cette circonstance rapportée par saint Luc : que le Sauveur raconta cette parabole, non seulement aux principaux d’entre les Juifs qui l’avaient interrogé sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. — S. Ambr. La plupart des interprètes diffèrent sur la signification de la vigne dont parle ici Notre-Seigneur, mais il faut s’en tenir à l’explication d’Isaïe, qui dit clairement que la vigne du Dieu des armées, c’est la maison d’Israël. (Is 5.) Quel autre que Dieu a planté cette vigne ? — Bède. Cet homme qui a planté cette vigne est le même qui, dans une autre parabole, loue des ouvriers pour travailler à sa vigne. — Eusèbe. Mais dans la parabole d’Isaïe c’est à la vigne que le Seigneur adresse ses reproches ; ici au contraire, ce n’est pas à la vigne, mais aux vignerons : " Il la loua à des vignerons, c’est-à-dire, aux anciens du peuple, aux princes des prêtres et aux grands de la nation. — Théophyl. Ou bien encore : tout homme est à la fois la vigne et je vigneron, car chacun de nous se cultive lui-même. Or, après avoir ainsi confié sa vigne aux vignerons, il s’en alla, c’est-à-dire qu’il les laissa faire à leur gré : " Puis il s’en alla pour longtemps en voyage. " — S. Ambr. Ce n’est pas que le Seigneur se transporte d’un lieu dans un autre, lui qui est toujours présent partout, mais parce qu’il fait sentir plus particulièrement sa présence à ceux qui l’aiment, et son absence à ceux qui l’oublient. Il fut longtemps absent, pour que la demande de ce qui lui était dû ne parût point prématurée ; car plus la générosité à fait preuve d’indulgence, plus la résistance est inexcusable.

S. Cyr. Ou encore : Dieu fut absent de sa vigne pendant une longue suite d’années, parce qu’en effet depuis qu’il apparut au milieu du feu sur le mont Sinaï (Ex 19), il ne manifesta plus sa présence d’une manière sensible. Cependant il ne cessa d’envoyer sans interruption à son peuple des prophètes et des justes pour lui rappeler ses devoirs : " Le temps de la vendange étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons, afin qu’ils lui donnassent du fruit de la vigne. " — Théophyl. Il dit : " Du fruit de la vigne, " parce qu’il ne réclamait pas la totalité, mais seulement une partie des fruits ; car qu’est-ce que Dieu peut gagner de nous, si ce n’est la connaissance que nous avons de lui et qui encore tourne à notre avantage ? — Bède. C’est à dessein qu’il parle du fruit et non du revenu de la vigne, car elle ne produisit jamais aucun revenu. Or, le premier serviteur que Dieu envoya, fut Moïse, qui pendant quarante ans (Ps 94, 19) demanda aux vignerons quelque fruit de la loi qu’il leur avait donnée ; mais au contraire : " Il fut affligé à cause d’eux, car ils aigrirent son esprit " (Ps 105, 32) : " Mais eux l’ayant battu, dit Notre-Seigneur, le renvoyèrent les mains vides. "

S. Ambr. Il leur envoya encore plusieurs autres serviteurs que les Juifs renvoyèrent avec toute sorte d’outrages, et sans en avoir tiré aucun profit : " Il envoya encore un autre serviteur, " etc. — Bède. Cet autre serviteur, c’est David qui fut envoyé de Dieu après la promulgation de toutes les observances de la loi, pour exciter par les chants harmonieux des psaumes ; les ouvriers de la vigne à la pratique des bonnes oeuvres. Mais au lieu de l’écouter, ils dirent : " Quelle part avons-nous avec David, et qu’attendons-nous du fils d’Isaïe ? " (2 R 20, 1 ; 3 R 12, 16) : " Et ayant aussi battu et chargé d’outrages ce second serviteur, ils le renvoyèrent les mains vides. " Cependant le maître ne s’en tint pas là : " Il en envoya un troisième, " c’est-à-dire le choeur des prophètes, qui ne cessèrent de faire entendre au peuple leurs enseignements et leurs réclamations. Mais quel est celui des prophètes que ce peuple n’ait persécuté ? " Ils le blessèrent, et le jetèrent dehors. " Notre-Seigneur, dans ces trois serviteurs différents, a voulu comprendre les docteurs de la loi mosaïque ; interprétation qu’il autorise lui-même lorsqu’il dit dans un autre endroit : " il est nécessaire que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes s’accomplisse. " (Lc 24, 44.)

Théophyl. Après que les prophètes eurent souffert tous ces outrages, Dieu résolut d’envoyer son Fils. Alors le maître de la vigne dit : " Que ferai-je ? " — Bède. Si le Seigneur s’exprime ici en termes dubitatifs, ce n’est point par ignorance de ce qu’il doit faire, (car qu’est-ce que Dieu peut ignorer ?) mais il emploie cette forme dubitative pour laisser à l’homme le libre usage de sa volonté. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Le maître de la vigne parait délibérer en lui-même sur ce qu’il doit faire, non pas qu’il manque de serviteurs, mais parce qu’après avoir tenté tous les moyens de sauver les hommes, sans qu’ils en aient jamais profité, il a eu recours à un moyen qui surpasse tous les autres : " J’enverrai mon fils bien aimé, peut-être qu’en le voyant ils le respecteront. " — Théophyl. S’il parle de la sorte, ce n’est pas qu’il ignorât qu’ils le traiteraient plus cruellement encore qu’ils n’avaient traité les prophètes, mais parce que le fils avait plus de droits à leurs respects que les serviteurs, et qu’ils mettraient le comble à leurs crimes en refusant de lui obéir et en le mettant à mort. S’il emploie encore ici la forme dubitative, c’est donc pour qu’on ne pût dire que la prescience divine avait été la cause de leur désobéissance.

S. Ambr. Les Juifs perfides voulant se défaire du Fils unique que Dieu leur envoyait, et qu’ils refusaient de reconnaître pour héritier, le chassèrent en le reniant, et le mirent à mort en l’attachant à une croix : " Les vignerons l’ayant vu, dirent en eux-mêmes : Voici l’héritier, tuons-le, afin que l’héritage soit pour nous. " Jésus-Christ est tout à la fois l’héritier et le testateur ; l’héritier, parce qu’il a survécu à sa propre mort, et que nos progrès dans le bien sont comme les biens héréditaires qu’il reçoit en vertu des testaments qu’il a faits en notre faveur. — Bède. Notre-Seigneur prouve ici de la manière la plus évidente que ce n’est point par ignorance, mais par envie que les princes des Juifs ont crucifié le Fils de Dieu. Car ils comprirent que c’était à lui que s’appliquaient ces paroles du Roi-prophète : " Je vous donnerai les nations pour héritage, " (Ps 2.) " Et l’ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent. " En effet, " Jésus, afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors la porte de la ville. " (He 13.) — Théophyl. Comme nous avons expliqué plus haut la vigne du peuple juif plutôt que de la ville de Jérusalem, peut-être serait-il plus naturel de dire ici que le peuple a mis à mort le Fils hors de la vigne, dans ce sens que le Fils de Dieu n’a point souffert par ses mains, parce qu’en effet, il ne le fit pas mourir de ses propres mains, mais le livra à Pilate et aux mains des Gentils. Il en est qui par la vigne entendent la sainte Écriture, ce fut pour avoir, refusé d’y croire qu’ils mirent le Seigneur à mort, et c’est pour cela qu’il est dit qu’ils le firent mourir hors de la vigne, c’est-à-dire hors de l’Écriture. — Bède. Ou bien encore : il a été jeté hors de la vigne avant d’être mis à mort, parce qu’il a été repoussé du coeur des infidèles avant d’être attaché à la croix.

S. Chrys. C’est par un dessein de miséricorde et non par oubli ou indifférence que Dieu a envoyé Jésus-Christ après les prophètes. En effet, Dieu ne précipite pas l’exécution de ses oeuvres, mais son amour use à notre égard d’une grande condescendance ; n’est-il pas vrai que si les Juifs ont maltraité le fils qui venait après les serviteurs, à plus forte raison ne l’auraient-ils pas écouté tout d’abord ? Comment auraient-ils pu entendre des enseignements plus élevés, eux qui ne voulaient même pas entendre les plus simples ?

S. Ambr. Le Sauveur leur adresse ensuite une question pour qu’ils prononcent eux-mêmes leur condamnation : " Que leur fera donc le maître de la vigne ? " — S. Bas. (sur le chap. 6 d’Isaïe.) Il leur parle de la sorte comme à des criminels qui n’ont rien à opposer à la justice de leur condamnation. Or, c’est le propre de la miséricorde divine de ne jamais punir sans avertir, sans prédire les châtiments dont les coupables sont menacés pour exciter en eux un repentir salutaire : " Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à d’autres. " — S. Ambr. Il annonce que le maître de la vigne viendra, parce que le Fils a la même majesté et la même puissance que le Père, ou parce que dans les derniers temps il fera sentir plus sensiblement sa présence pour répondre aux désirs des hommes.

S. Cyr. Les principaux d’entre les Juifs ont donc été rejetés comme rebelles à la volonté du Seigneur, et pour avoir laissé stérile la vigne qui leur avait été confiée. La culture de cette vigne a été donnée aux prêtres du Nouveau-Testament. Or, dès qu’ils comprirent l’application de cette parabole, ils voulurent s’y soustraire : " Ce qu’ayant entendu, ils lui dirent : A Dieu rie plaise. " Et cependant ils n’en devinrent pas meilleurs, par suite de leur opiniâtreté et de leur résistance à la foi en Jésus-Christ.

Théophyl. Le récit de saint Matthieu paraît tant soi peu différent, puisqu’à cette question du Seigneur : " Que fera donc aux vignerons le maître de la vigne ? " les Juifs répondent : " Il fera périr misérablement ces misérables. " (Mt 21.) Cependant il n’y a ici aucune contradiction, et les deux récits sont également vrais. En effet, les Juifs ont d’abord rendu cette sentence ; puis, quand ils comprirent le but de cette parabole, ils se récrièrent et dirent : " A Dieu ne plaise, " comme saint Luc le raconte ici. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 4, 70.) Ou bien encore, dans la multitude qui entourait le Sauveur, il en était qui lui avaient demandé astucieusement par quelle puissance il faisait ces choses ; il en était aussi qui, sans aucun artifice et de bonne foi, l’avaient acclamé en disant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. " Et ce sont ces derniers qui ont pu dire : " Il fera périr misérablement ces misérables, et donnera sa vigne à d’autres. " On peut aussi attribuer cette parole au Seigneur, soit qu’il l’ait dite véritablement, soit à cause de l’union de ses membres avec leur chef. D’autres aussi ont pu répondre à ceux qui prononçaient cette sentence : " A Dieu ne plaise, " parce qu’ils comprenaient que cette parabole était dirigée contre eux.

" Mais Jésus les regardant, dit : Qu’est-ce donc que cette parole de l’Écriture : " La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l’angle ? " — Bède. C’est-à-dire, comment s’accomplira cette prophétie, si ce n’est lorsque le Christ que vous avez rejeté et mis à mort, sera prêché aux Gentils, qui croiront en lui, et que, comme une pierre angulaire, il se bâtira un seul temple avec les deux peuples. — Eusèbe. Le Christ est comparé ici à une pierre à cause de son corps d’une nature terrestre ; cette pierre a été détachée de la montagne sans la main d’aucun homme, selon la vision de Daniel (Dn 2, 34), parce qu’il est né d’une vierge : cette pierre n’est ni d’argent ni d’or, parce qu’il n’a point paru comme un roi resplendissant de gloire, mais comme un homme humble et méprisé ; aussi ceux qui bâtissaient l’ont rejeté. — Théophyl. Les princes du peuple l’ont rejeté, lorsqu’ils ont dit " Cet homme ne vient pas de Dieu. " (Jn 7, 16.) Et cependant cette pierre était si utile et d’un si grand choix, qu’elle est devenue le sommet de l’angle. — S. Cyr. L’angle, dans le langage de la sainte Écriture, représente l’union des deux peuples Juif et Gentil dans une même foi (Ep 2; 1 P 2), car de ces deux peuples le Sauveur n’a formé lui-même qu’un seul homme nouveau, et les réunissant tous deux en un seul corps, les a réconciliés à Dieu. Il est donc une pierre de salut pour l’angle qu’il a construit, mais il devient une cause de ruine pour les Juifs qui s’opposent à cette union spirituelle des deux peuples.

Théophyl. Notre-Seigneur distingue ici deux condamnations ou deux ruines des Juifs : la ruine de leurs âmes, lorsque Jésus-Christ leur a été un objet de scandale, et il y fait allusion par ces paroles : " Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ; " la ruine de leur nation et sa dispersion dans tout l’univers, qui eurent pour cause cette pierre qu’ils avaient rejetée, comme l’indique le Sauveur : " Et celui sur qui elle tombera elle l’écrasera " (ou le réduira en poussière). En effet, les Juifs ont été dispersés loin de la Judée, dans tout l’univers, comme la paille qui est emportée par le vent. Et remarquez l’ordre des événements, d’abord le crime énorme qu’ils ont commis contre Jésus-Christ, et puis à la suite la juste vengeance de Dieu. — Bède. Ou encore, celui qui pèche, mais qui néanmoins continue de croire en Jésus-Christ, tombe sur la pierre et s’y brise, mais la pénitence lui ouvre encore une voie de salut ; celui au contraire sur qui tombera cette pierre (parce qu’il l’a rejetée), elle l’écrasera comme un vase dont il ne restera pas même un fragment pour aller puiser un peu d’eau. Ou bien encore, ceux qui tombent sur lui sont ceux qui le méprisent et qui ne périssent pas encore entièrement, mais qui sont brisés, en sorte qu’ils ne peuvent plus marcher droit. Mais pour ceux sur lesquels il tombe, il descendra du ciel pour leur infliger le juste châtiment de leurs crimes, et ils seront écrasés comme la poussière que, le vent disperse de dessus la face de la terre. (Ps 1.)
 

S. Ambr. Cette vigne est encore notre image, Dieu le Père est le laboureur, Jésus-Christ est la vigne, nous sommes les branches. (Jn 15.) C’est à juste titre que le peuple chrétien est appelé la vigne du Christ, ou parce qu’il porte sur le front le signe de la Croix, soit parce que son fruit n’est cueilli que dans la dernière saison de l’année, soit parce que dans l’Église, les pauvres et les riches, les serviteurs et les maîtres sont placés indistinctement comme les ceps de la vigne. De même que la vigne se marie aux arbres autour desquels elle s’enlace, ainsi le corps est étroitement uni à l’âme. Le vigneron diligent prend soin de cultiver et de tailler cette vigne, pour retrancher la trop grande abondance de feuilles et cette stérile ostentation de paroles qui paralyse la force naturelle de la vigne et empêche son fruit de parvenir à sa maturité. Enfin la vendange de cette vigne se fait par tout l’univers, puisqu’elle est répandue jusqu’aux extrémités du monde. — Bède. (sur S. Marc.) Ou encore, dans le sens moral, Dieu donne à chaque fidèle la vigne à cultiver, lorsqu’il lui confie le soin de faire fructifier le baptême qu’il a reçu. Il lui envoie cm premier, un second, un troisième serviteur, lorsqu’il lui fait lire la loi, les psaumes et les prophètes. Le serviteur qu’il envoie est couvert d’outrages et déchiré de coups, lorsqu’on méprise ou qu’on blasphème la parole qu’on entend ; et on met à mort l’héritier (autant qu’on peut le faire), lorsqu’on foule aux pieds le Fils de Dieu par ses péchés. (He 6.) Le mauvais vigneron ayant reçu le châtiment qu’il mérite, la vigne est confiée à un autre, lorsque l’humble fidèle s’enrichit du don de la grâce que le superbe a méprisé.

 

vv. 19-26.

S. Cyr. Les princes des prêtres, comprenant que cette parabole s’appliquait à eux, et instruits de ce qui devait leur arriver, auraient dû renoncer à leurs mauvais desseins ; mais loin de là, ils cherchent l’occasion de les mettre à exécution : " Les princes des prêtres cherchaient à se saisir de lui, " etc. Ils ne sont point retenus par ce commandement de la loi : " Tu ne feras périr ni l’innocent ni le juste. " (Ex 23.) Et s’ils ajournent l’accomplissement de leurs criminels desseins, c’est par crainte du peuple : " Mais ils craignaient le peuple. " Ils mettent la crainte des hommes au-dessus de la crainte de Dieu. Or, quel motif leur fit concevoir ce coupable projet ? le voici : " Car ils comprirent que cette parabole s’appliquait à eux. " — Bède. (sur S. Marc.) En cherchant à faire mourir le Sauveur, ils confirmaient la vérité de ce qu’il avait dit dans cette parabole, car il était l’héritier dont la mort injuste devait être vengée par le châtiment des meurtriers, et ils étaient eux-mêmes ces méchants vignerons, qui cherchaient à faire mourir le Fils de Dieu. La même chose se renouvelle encore tous les jours dans l’Église, lorsqu’un chrétien qui ne l’est que de nom, n’a aucune affection pour l’unité de la foi et de la paix dans l’Église, quoiqu’il rougisse ou qu’il craigne de la combattre, à cause de la multitude des fidèles dont il est environné. Les princes des prêtres voulaient se saisir de la personne de Jésus et ne pouvant le faire par eux-mêmes, ils cherchaient à le livrer aux mains du gouverneur : " C’est pourquoi l’épiant, ils lui envoyèrent des gens apostés, " etc. — S. Cyr. Ils paraissaient agir avec légèreté, mais au fond ils agissaient avec une malice réfléchie, ils oubliaient que Dieu a dit : " Qui est celui-là qui prétend dérober à Dieu le secret de ses desseins ? " (Jb 42.) Ils viennent trouver le Sauveur comme un homme ordinaire : " Pour le surprendre dans ses paroles. "

Théophyl. Ils voulurent tendre un piége au Seigneur, et ils y tombèrent eux-mêmes les premiers. Écoutez, en effet, leur question astucieuse : " Et ils vinrent donc ainsi l’interroger : Maître, nous savons que vous parlez et que vous enseignez avec droiture. " — Bède (de S. Jér. sur S. Matth.) Par cette flatterie mensongère et cette question insidieuse, ils veulent le forcer à déclarer qu’il craint plus Dieu que César : " Et vous ne faites acception de personne, mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. " En parlant ainsi, ils veulent l’amener à dire qu’on ne doit pas payer le tribut, afin que les satellites du gouverneur, qui étaient présents, selon les autres Évangélistes, se saisissent de lui, comme cherchant à soulever le peuple contre les Romains. C’est pour cela qu’ils lui font cette question : " Nous est-il permis de payer le tribut à César, ou non ? " Il y avait, en effet, une grande division d’opinions parmi le peuple, les uns soutenaient qu’à raison de la paix et de la sécurité, dont toute la nation jouissait sous les Romains, on devait leur payer le tribut ; les pharisiens, au contraire, prétendaient que le peuple de Dieu, qui donnait déjà la dîme et les prémices, ne devait pas être soumis à des lois qui venaient des hommes. — Théophyl. Ils épiaient donc la réponse qu’il allait faire : s’il faisait une obligation de payer le tribut à César, le peuple l’accuserait de vouloir réduire la nation en servitude ; s’il défendait, au contraire, de le payer, on le dénoncerait au gouverneur comme rebelle. Mais Jésus échappe au piége qu’ils lui tendent : " Considérant leur démarche astucieuse, il leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi un denier, quelle image et quel nom porte-t-il ? " — S. Ambr. Notre-Seigneur nous apprend ici avec quelle circonspection nous devons répondre aux hérétiques ou aux Juifs, comme il nous l’a recommandé ailleurs : " Soyez prudents comme des serpents. " (Mt 10.)

Bède. Ceux qui pensent que le Seigneur interrogeait par ignorance, doivent reconnaître ici que Jésus pouvait parfaitement savoir de qui cette monnaie portait l’image, cependant il interroge les Juifs pour leur répondre d’après leurs propres paroles : " Ils lui répondirent : De César. " Ce César n’est pas César Auguste, mais Tibère ; car tous les empereurs romains, depuis le premier, Caius César, ont porté le nom de César. Notre-Seigneur résoud la difficulté qu’ils lui ont proposée, d’après leur réponse : " Et il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. " — Tite. Comme s’il leur disait : Vous me tentez par vos paroles, conformez votre conduite à vos oeuvres ; vous avez accepté la domination de César, vous jouissez des avantages qu’elle vous procure, rendez-lui donc le tribut, et à Dieu la crainte qui lui est due ; car Dieu ne vous demande point votre argent, mais votre foi. — Bède. Rendez aussi à Dieu ce qui appartient à Dieu, c’est-à-dire les dîmes, les prémices, les offrandes et les victimes. — Théophyl. Et remarquez qu’il ne dit pas : " Donnez, " mais : " Rendez, " parce que c’est une dette qu’il nous faut payer. Le prince vous protège contre vos ennemis, il assure la tranquillité de votre vie, vous lui devez donc en retour le tribut qu’il exige de vous. Cette pièce de monnaie, même que vous lui payez, c’est de lui que vous la tenez, rendez donc au roi, la monnaie qui vient du roi. Dieu vous a donné aussi l’intelligence et la raison, rendez-lui ces biens, en vous gardant de devenir rendre semblable aux animaux (cf. Ps 48, 12, 21), et en prenant, au contraire, la raison pour guide dans toutes vos actions. — S. Ambr. Si donc vous ne voulez point vous rendre tributaire de César, ne désirez posséder aucune chose du monde. C’est avec raison qu’il veut qu’on rende d’abord à César ce qui lui appartient ; car on ne peut se donner au Seigneur sans avoir tout d’abord renoncé au monde. Quelle grave responsabilité de promettre à Dieu et de ne rien donner ! Les obligations souscrites par la foi, sont plus pressantes que les obligations qui ont pour objet une somme d’argent.

Orig. (hom. 39 sur S. Luc.) Ce passage a aussi un sens mystique. En effet, il y a deux images dans l’homme, l’une qu’il a reçue de Dieu, comme il est écrit dans la Genèse : " Faisons l’homme à notre image, " l’autre qui est l’image de son ennemi, et que le péché et la désobéissance ont comme gravée sur son âme, lorsqu’il s’est laissé gagner et entraîner par les séductions du prince de ce monde. Car de même qu’une pièce de monnaie porte l’image du roi de la terre, ainsi celui qui fait les oeuvres du prince des ténèbres, porte en lui l’image de celui dont il fait les oeuvres. Le Sauveur dit donc : " Rendez à César ce qui est à César, " c’est-à-dire : Effacez cette image terrestre, afin que, retraçant en vous l’image céleste, vous puissiez rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire, l’aimer de tout votre coeur, car c’est là ce que Dieu demande de vous, comme Moïse le disait à son peuple (Dt 10, 12.) Or, Dieu nous le demande, ce n’est pas qu’il en ait besoin, mais parce qu’il veut rendre profitable à notre salut ce que nous lui avons donné.

Bède. Une réponse aussi sage aurait dû les déterminer à croire en lui ; ils se contentent d’admirer comment leur ruse n’avait pu réussir à le faire tomber dans le piége : " Et ils ne purent reprendre aucune de ses paroles devant le peuple, et ayant admiré sa réponse, ils se turent. " — Théophyl. Le but principal qu’ils se proposaient était de le prendre en défaut en présence du peuple, mais ils ne purent y parvenir, tant sa réponse était pleine de sagesse.

 

vv. 27-40.

Bède. (de S. Jér. sur S. Matth.) Il y avait parmi les Juifs deux sectes principales, l’une des pharisiens, qui faisaient consister toute leur justice dans l’observance des traditions, ce qui leur faisait donner par le peuple le nom de séparés ; l’autre des sadducéens, dont le nom signifie justes, et qui s’attribuaient une justice qu’ils n’avaient pas. Les premiers donc s’étant retirés, ceux-ci s’approchent pour tenter le Sauveur : " Quelques-uns des sadducéens, qui nient la résurrection, s’approchèrent alors, " etc. — Orig. La secte des sadducéens ne niait pas seulement la résurrection des morts, mais enseignait que l’âme meurt avec le corps. Comme ils veulent aussi surprendre le Sauveur dans ses paroles, ils lui proposent cette difficulté au moment où il venait de parler à ses disciples de la résurrection : " Maître, lui dirent-ils, Moïse a écrit pour nous cette loi : Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d’enfants, " etc. — S. Ambr. La lettre de la loi oblige cette veuve à se remarier, même contre son gré, mais l’esprit conseille bien plutôt la chasteté (Rm 2, 29 ; 7, 6, 9 ; 2 Co 3, 6).

Théophyl. Les sadducéens, sur un fondement des plus fragiles, refusaient de croire à la résurrection des morts. Persuadés qu’ils étaient que la vie future, dans la résurrection, ne pouvait être que charnelle, ils tombaient dans une grossière erreur, qui les amenait à nier la possibilité de la résurrection, ce qu’ils font en inventant le récit suivant : " Il y avait sept frères, " etc. — Bède. Ils imaginent cette fable pour convaincre de folie ceux qui affirment la résurrection des morts, et ils opposent l’inconvenance de ce récit fabuleux pour s’inscrire en faux contre la vérité de la résurrection : " Dans la résurrection donc, duquel sera-t-elle la femme ?

S. Ambr. Dans le sens figuré, cette femme représente la synagogue qui a eu sept maris. Notre-Seigneur dit à la Samaritaine : " Vous avez eu cinq maris, " (Jn 4) parce que la Samaritaine n’admettait que cinq livres de Moïse, tandis que la synagogue en reconnaissait sept principaux. Mais par suite de son infidélité, elle n’en eut aucune postérité, elle ne put donc être unie à ses maris dans la résurrection, parce qu’elle a entendu dans un sens charnel les préceptes spirituels de la loi. Ce ne fut point un frère selon la chair qui l’épousa pour donner des enfants à celui qui était mort ; mais le frère qui lui fut donné, prit pour épouse, après la mort du peuple juif, la sagesse du culte divin, et en fit naître des enfants spirituels dans la personne des Apôtres. Ceux-ci qui étaient comme les restes du peuple juif, et qui avaient été comme abandonnés dans le sein de la synagogue, avant d’être formés, ont mérité d’être sauvés selon l’élection de la grâce, comme fruits de cette union toute spirituelle. — Bède. Ou bien ces sept frères figurent les réprouvés qui, pendant toute cette vie (laquelle se compose de semaines de sept jours), sont tout à fait stériles en bonnes oeuvres ; ils sont enlevés successivement par la mort, et leur vie toute mondaine passe de l’un à l’autre jusqu’au dernier, comme une épouse stérile.

Théophyl. Cependant Notre-Seigneur, voulant démontrer qu’après la résurrection, la vie des sens et de la chair cesserait d’exister, renverse là croyance des sadducéens avec le fragile fondement sur lequel ils l’appuyaient : " Et Jésus leur dit : Les enfants de ce siècle se marient, " etc. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 49.) En effet, la fin du mariage est d’avoir des enfants, on a des enfants pour en faire ses héritiers, et on leur laisse son héritage, parce que la mort en fait une obligation. Là donc où il n’y a plus de mort, il n’y a plus de mariage : " Mais ceux qui sont trouvés dignes du siècle à venir et de la résurrection des morts, ne se marieront point, " etc. — Bède. Ces paroles ne veulent pas dire qu’il n’y aura que ceux qui seront dignes de la résurrection pour ressusciter et ne point se marier, car les pécheurs eux-mêmes ressusciteront, sans également se marier dans le siècle futur. Mais le Sauveur, voulant nous inspirer un vif désir pour la gloire de la résurrection, n’a voulu parler ici que des élus.

S. Aug. (Quest. évang.) Nos paroles se composent de qui se suivent et se succèdent ; de même les hommes, auteurs de la parole, se succèdent et se remplacent les uns les autres, et ils composent et forment ainsi l’ordre du monde présent, qui résulte de l’ensemble et de la beauté des choses extérieures. Dans la vie future, au contraire, le Verbe de Dieu, dont nous jouirons, ne se compose d’aucune suite, d’aucune succession de syllabes tout en lui est immuable et simultané ; ainsi pour ceux qui seront admis à la participation de sa félicité, et dont il sera l’unique principe de vie, il n’y aura plus ni destruction par la mort, ni succession par la naissance, ils seront comme sont les anges : " Ils ne pourront plus mourir, parce qu’ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu, " etc. — S. Cyr. La multitude innombrable des anges ne se propage point par la génération, elle ne doit son existence qu’à la création, ainsi le mariage cessera d’être nécessaire à ceux qui seront comme créés de nouveau par la résurrection : " Ils seront enfants de Dieu, et enfants de la résurrection. " — Théophyl. C’est-à-dire : Comme Dieu est le principe de la résurrection, ceux qui reprennent une nouvelle vie en ressuscitant, sont appelés avec raison les enfants de Dieu. En effet, nous ne voyons rien de charnel dans cette nouvelle vie de la résurrection, ni l’union des époux, ni le sein de la mère, ni l’enfantement. — Bède. Ou bien encore : " Ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu, " parce qu’étant renouvelés par la gloire de la résurrection, ils jouiront de l’éternelle vision de Dieu, sans aucune crainte de la mort, sans aucune atteinte de la corruption, sans aucune des vicissitudes de la vie présente.

Orig. D’après saint Matthieu, Notre-Seigneur aurait ajouté ici ces paroles omises par saint Luc : " Vous vous trompez, ne comprenant pas les Écritures ; " (Mt 22) or, je me demande où sont écrites ces paroles : " Ils ne se marieront point et n’épouseront point de femmes. " Autant que je le puis savoir, on ne trouve rien de semblable ni dans l’Ancien, ni dans le Nouveau Testament. Notre-Seigneur veut donc dire que l’erreur des sadducéens vient tout entière de ce qu’ils lisent l’Écriture sans la comprendre. En effet, on lit dans le prophète Isaïe : " Ils n’engendreront point d’enfants soumis à la malédiction, " etc. (Is 65, 23) ; ils s’imaginent que ces choses existeront encore après la résurrection. Mais saint Paul interprète toutes ces bénédictions dans un sens spirituel, et pour en éloigner toute idée charnelle, il dit aux Ephésiens : " Dieu le Père nous a comblés de toutes sortes de bénédictions spirituelles. " (Ep 1, 3.) — Théophyl. A, la raison qu’il avait donnée plus haut, Notre-Seigneur ajoute le témoignage de l’Écriture : " Or, que les morts ressuscitent, Moïse le déclare lui-même dans le récit du buisson, quand il appelle le Seigneur, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, " c’est-à-dire : Si les patriarches étaient rentrés dans le néant, et ne vivaient pas en Dieu dans l’espérance de la résurrection, Dieu n’eût pas dit : " Je suis, " mais : " J’ai été ; " en effet, lorsque nous parlons des choses qui ne sont plus ou qui sont passées, nous disons : " J’étais maître de cette chose, " mais Dieu dit au contraire : " Je suis le Dieu et le Seigneur des vivants ; car tous sont vivants devant lui ; et bien que ces patriarches soient morts pour les hommes, ils vivent à ses yeux dans l’espérance de la résurrection. — Bède. Ou bien en parlant ici, Notre-Seigneur veut établir que les âmes survivent à leur séparation d’avec le corps (ce que niaient les sadducéens), et en tirer comme conséquence la résurrection des corps qui ont participé aux bonnes et aux mauvaises actions des âmes. Il y a, en effet, une véritable vie, dont les justes vivent en Dieu, même après la mort du corps. Le Sauveur eût pu établir la vérité de la résurrection sur des témoignages plus évidents, empruntés aux prophètes, mais les sadducéens rejetaient tous les livres des prophètes, et n’admettaient que les cinq livres de Moïse.

S. Chrys. Les saints ne diminuent en rien le souverain domaine de Dieu, en appelant spécialement : " Mon Dieu, " le Maître commun de l’univers ; ils ne font que manifester l’étendue de leur amour, et agissent en cela comme ceux qui, dominés par une affection vive, ne veulent point que leur amour soit partagé par un grand nombre, mais qu’il soit pour ainsi dire exclusif et privilégié. Ainsi Dieu se dit spécialement le Dieu de ces patriarches, sans restreindre pour cela son domaine, mais en l’agrandissant au contraire ; car ce qui étend le domaine de Dieu, ce n’est pas tant la multitude des créatures qui lui sont soumises, que la vertu de ses fidèles serviteurs. Aussi se glorifie-t-il moins d’être appelé le Dieu du ciel et de la terre, que le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob. Voyez d’ailleurs parmi les hommes, les serviteurs sont désignés par le nom de leur maître (nous disons, par exemple, le fermier de tel seigneur), ici, au contraire, Dieu s’appelle le Dieu d’Abraham, son serviteur.

Théophyl. Les scribes qui étaient les ennemis déclarés des sadducéens, approuvent hautement Jésus qui vient de les confondre : " Quelques-uns des scribes, prenant la parole, lui dirent : Maître, vous avez bien parlé. " — Bède. Honteux d’avoir été ainsi confondus, ils cessent de l’interroger : " Et ils n’osaient plus lui faire aucune question. " Mais ils se saisirent bientôt de sa personne pour le livrer au pouvoir des Romains, preuve trop évidente qu’on peut triompher de l’envie, mais qu’il est bien difficile de jamais l’apaiser.

 

vv. 41-44.

Théophyl. Le Seigneur était près de sa passion, il n’en proclame pas moins sa divinité, non pas sans précaution et avec fierté, mais avec la plus grande modération. En effet, il se contente de leur adresser une question qui jette le doute dans leur esprit, et leur permet de tirer eux-mêmes la conséquence de ses paroles : " Alors Jésus leur demanda : Comment dit-on que le Christ est Fils ne David, " etc. — S. Ambr. Le Sauveur ne leur reproche point de l’appeler Fils de David, puisque c’est en lui donnant ce nom, que l’aveugle avait mérité sa guérison (Lc 13) ; et que les enfants avaient offert à Dieu le plus beau tribut de louanges et de gloire par cette acclamation : " Hosanna au Fils de David. " Mais il leur fait un reproche de ne pas le reconnaître pour le Fils de Dieu ; voilà pourquoi il ajoute : " David lui-même dit dans le livre des Psaumes (Ps 109) : Le Seigneur a dit à mon Seigneur. " Ce n’est pas qu’il y ait deux Seigneurs ; il n’y en a qu’un seul, parce que le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père, fi est assis à la droite du Père, parce qu’étant égal et consubstantiel au Père, il n’a personne au-dessus de lui : " Asseyez-vous à ma droite. " Il n’est pas supérieur au Père, parce qu’il est assis à sa droite ; il ne lui est pas inférieur, parce qu’il est envoyé, la dignité ne peut être plus ou moins grande, là où se trouve la plénitude de la divinité.

S. Aug. (du Symb., 2, 7.) Il ne faut pas entendre ces paroles " Asseyez-vous à ma droite, " dans un sens matériel, comme si le Père était réellement assis à la gauche, et le Fils à la droite ; mais la droite ici signifie la puissance de l’humanité unie à la divinité, puissance en vertu de laquelle le Sauveur viendra juger les hommes, lui qui, dans son premier avènement, était venu pour être jugé. — S. Cyr. Ou bien encore : Il est assis à la droite du Père, parce que sa gloire est la gloire souveraine de Dieu ; ceux, en effet, qui ont un même trône, ont une même majesté. Or, cette expression figurée : être assis exprime la souveraineté et la puissance de Dieu sur toutes choses. Il est donc assis à la droite du Père, parce que le Verbe consubstantiel au Père n’a pas cessé d’être Dieu en se faisant homme. — Théophyl. Il leur fait voir ensuite que loin d’être opposé à Dieu le Père, il est avec lui dans la plus parfaite union, puisque le Père se déclare contre ses ennemis : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds. " — S. Ambr. Croyons donc que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme, et que Dieu le Père lui a soumis tous ses ennemis ; non que le Fils lui soit inférieur en puissance, mais parce qu’ils ont une seule et même nature, et que l’un opère nécessairement avec l’autre ; car le Fils lui-même assujettit aussi ses ennemis à son Père, par la gloire qu’il lui procure sur la terre. (Jn 17.) — Théophyl. Notre-Seigneur les interroge donc lui-même, et après avoir fait naître le doute dans leur esprit, il leur laisse tirer la conséquence de ce qu’il vient de dire : " David l’appelle son Seigneur, comment peut-il être son fils. " — S. Chrys. David est à la fois père et serviteur du Christ, père selon la chair, et serviteur selon l’esprit. — S. Cyr. Et nous aussi nous adressons la même question à ces nouveaux pharisiens qui refusent d’admettre que celui qui est né de la très-sainte Vierge soit le vrai Fils de Dieu et Dieu lui-même, et qui le divisent en deux personnes, et nous leur demandons : Comment le Fils de David est-il son Seigneur, en vertu d’une puissance qui n’est pas une puissance humaine, mais une souveraineté toute divine ?

 

vv. 45-47.

S. Chrys. Rien n’est plus fort que les preuves tirées des prophètes, elles sont bien supérieures aux faits eux-mêmes. Voyez eu effet, malgré les miracles que Jésus opérait, ses ennemis ne laissaient pas de le contredire, mais lorsqu’il eut cité les témoignages des prophètes, ils se turent, parce qu’ils n’avaient rien à répliquer. Or, comme ils gardaient le silence, Notre-Seigneur leur adresse les reproches qu’ils méritaient : " Il dit ensuite à ses disciples, devant tout le peuple qui l’écoutait. " — Théophyl. Il les envoyait pour être les docteurs de l’univers, il leur recommande donc avec raison de ne point imiter les prétentions ambitieuses des pharisiens : " Gardez-vous des scribes qui affectent de se promener vêtus de longues robes. — Bède. C’est-à-dire qui aiment à paraître en public vêtus d’habits magnifiques et somptueux ; ce qui est relevé comme une des fautes dont le mauvais riche s’est rendu coupable.
 

S. Cyr. Les principaux vices des scribes étaient l’amour de la gloire et de l’argent. C’est contre ces vices les pires de tous que Notre-Seigneur prémunit ses disciples en leur disant : " Ils aiment à être salués dans les places publiques. " — Théophyl. C’est le propre de ceux qui recherchent et poursuivent l’éclat de la renommée, Ou encore, ils agissaient ainsi par un motif d’intérêt pécuniaire.
 

" Ils aiment à occuper les premiers siéges dans les synagogues. " — Bède. Il ne défend point de s’asseoir les premiers dans les synagogues ou dans les festins, à ceux que leur position appelle à occuper ces premières places, mais il recommande à ses disciples de se garder de ceux qui les recherchent sans y avoir droit. C’est l’intention qu’il condamne ici et non le rang qu’on occupe, bien qu’on ne puisse entièrement excuser ceux qui veulent à la fois se mêler aux discussions, aux litiges de la place publique, et en même temps être appelés maîtres dans les synagogues. Or, le Sauveur nous donne deux raisons pour nous engager à nous prémunir contre les sectateurs de la vaine gloire : la première, afin que nous ne soyons pas dupes de leur hypocrisie, en regardant leur conduite comme irrépréhensible ; la seconde, afin que nous ne soyons pas tentés de les imiter, en mettant follement notre joie dans les louanges que l’on donne à leurs vertus apparentes. Et ce ne sont pas seulement les louanges qu’ils recherchent, mais encore les richesses : " Et qui sous prétexte de longues prières dévorent les maisons des veuves. " Ils affectent en effet d’être justes et de jouir d’un grand crédit auprès de Dieu, et ils n’hésitent pas à recevoir de l’argent des personnes faibles et troublées par la conscience de leurs péchés, pour se constituer leurs défenseurs au jugement de Dieu. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ils absorbent les biens des veuves, et foulent aux pieds la pauvreté, car ils n’épuisent pas ces biens d’une manière quelconque, mais ils les dévorent, et font servir la prière d’instrument à leurs iniquités, ce qui les rend dignes d’un plus terrible châtiment : " Ils subiront une condamnation plus rigoureuse ". Théophyl. Car non seulement ils font le mal, mais ils se servent de leurs prières pour le commettre, et veulent faire de la vertu l’excuse du crime. Ils dépouillent d’ailleurs les veuves dont ils devraient avoir pitié, en exigeant d’elles des rétributions pour la protection qu’ils leur accordent. — Bède. Ou encore : " Ils subiront une condamnation plus rigoureuse parce qu’ils cherchent à obtenir à la fois des louanges et de l’argent. "
 

 

 

CHAPITRE XXI

vv. 1-4.

La Glose. Après avoir condamné l’avarice des scribes qui dévoraient les maisons des veuves, Notre-Seigneur fait l’éloge de l’offrande d’une pauvre veuve : " Jésus regardait un jour les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc, " etc.
 

Bède. Le mot grec ???????, veut dire conserver, et le mot persan gaza, signifie richesse, de là vient le nom de gazophylacium, donné à l’endroit où on déposait l’argent. C’était un coffre percé d’un trou à la partie supérieure et placé près de l’autel, à la droite de ceux qui entraient dans le temple, et dans lequel les prêtres qui gardaient les offrandes mettaient toutes les sommes d’argent que le peuple apportait au temple du Seigneur (Mc 12, 41). Or, de même que le Seigneur discerne le mérite de ceux qui travaillent dans sa maison, il regarde aussi attentivement ceux qui viennent lui présenter leurs offrandes, et il donne des éloges à celui qu’il en juge digne, comme il condamne celui dont les intentions sont mauvaises : " Et il vit aussi une pauvre veuve qui mit deux petites pièces de monnaie. " — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Elle offrait deux petites pièces de monnaie qu’elle gagnait à la sueur de son front pour sa subsistance de chaque jour. Ou encore : elle donnait à Dieu ce qu’elle demandait chaque jour à la charité publique, elle montrait ainsi la richesse et la fécondité de son indigence qui l’emportait sur tous les autres et recevait de Dieu les justes éloges qu’elle méritait : " Et il dit : En vérité je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. " — Bède. Dieu a pour agréable tout ce que nous lui offrons d’un coeur généreux ; il pèse les intentions bien plus que l’objet même de notre offrande, et il considère moins la matière de notre sacrifice que la disposition généreuse de celui qui l’offre : " Car tous ceux-là ont fait des offrandes à Dieu de leur superflu, mais cette femme a mis de son indigence même tout ce qu’elle avait pour vivre. " — S. Chrys. (hom 1, sur l’Epit. aux Hebr.) Ce n’est pas la modicité de l’offrande, mais la richesse du coeur que Dieu considère ici. (hom. 28.) L’aumône en effet ne consiste pas à donner une petite partie des grandes richesses qu’on possède, mais à imiter cette veuve qui s’est dépouillée de tout ce qu’elle possédait. Si vous ne pouvez donner autant qu’elle, donnez au moins tout votre superflu.
 

Bède. Dans le sens allégorique, les riches qui déposaient leurs offrandes dans le tronc du temple, sont la figure des Juifs fiers de la justice de la loi ; cette pauvre veuve représente la simplicité de l’Église ; elle est pauvre parce qu’elle s’est dépouillée de l’esprit d’orgueil et des péchés qui sont comme les richesses du monde ; elle est veuve, parce que son époux a souffert la mort pour elle ; elle met deux petites. pièces de monnaie dans le tronc, parce que c’est en présence de Dieu (qui conserve les offrandes que nous lui faisons de nos oeuvres), qu’elle vient apporter l’offrande soit de l’amour de Dieu et du prochain, soit de la foi et de la prière qui l’emportent de beaucoup sur toutes les oeuvres des Juifs orgueilleux. En effet, les Juifs qui présument de leur justice, donnent à Dieu de leur abondance ; l’Église au contraire offre tout ce qui sert à sa subsistance, parce qu’elle reconnaît que tout ce qui contribue à entretenir sa vie, est un don de Dieu. — Théophyl. Ou encore, cette veuve est l’image de toute âme qui, veuve de la loi ancienne, comme de son premier mari, n’est pas encore digne de s’unir au Verbe de Dieu ; elle donne à Dieu pour gage sa foi et sa bonne conscience, et c’est ainsi qu’elle paraît offrir beaucoup plus que ceux qui sont riches en paroles, beaucoup plus que toutes les vertus morales qui forment les richesses des Gentils.
 

 

vv. 5-9.

Eusèbe ou Théophane. (Ch. des Pèr. gr.) L’histoire nous atteste quelle était la magnificence des constructions du temple, et ce qui en reste encore aujourd’hui nous fait comprendre quelle devaient être la grandeur et la richesse de cet édifice. Or, comme ses disciples admiraient les constructions du temple, Notre-Seigneur leur déclare qu’il n’en restera pas pierre sur pierre : " Quelques-uns lui faisant remarquer la beauté des pierres du temple, et les riches offrandes dont il était orné, il dit : Il ne restera pas pierre suit pierre. " Il était juste, en effet, que ce lieu fût entièrement détruit, pour punir l’insolence audacieuse de ceux qui venaient y accomplir les cérémonies de leur culte. — Bède. Ce fut encore par un dessein particulier de la Providence divine que la ville et le temple furent voués à, une entière destruction, car il était à craindre que des chrétiens, faibles encore dans la foi, voyant la ville et le temple debout, et considérant avec étonnement les sacrifices qu’on y offrait, ne fussent comme ébranlés par le spectacle de ces rites si différents. — S. Ambr. Ce que le Sauveur prédisait de la destruction future de ce temple bâti par les hommes, était vrai, car tout ce qui est construit de main d’homme, ou périt nécessairement de vétusté, ou est renversé par la force, ou est consumé par le feu. Il y a cependant un autre temple (la synagogue), dont l’antique édifice devait s’écrouler à la naissance de l’Église. Nous avons tous aussi un temple au-dedans de nous, qui s’écroule lorsque la foi s’affaiblit, et surtout lorsqu’on affecte par hypocrisie de paraître extérieurement chrétien pour se déclarer plus facilement contre Jésus-Christ dans l’intérieur de son âme.
 

S. Cyr. Les disciples ne comprenaient point le sens de ces paroles, ils s’imaginaient que le Sauveur voulait parler de la fin du monde, c’est pourquoi ils lui demandent quand cette destruction devait avoir lieu : " Alors ils lui demandèrent : Maître, quand cela arrivera-t-il ? et à quel signe connaîtra-t-on que ces choses sont, prêtes à s’accomplir ? " — S. Ambr. Saint Matthieu ajoute une troisième question, c’est-à-dire, que les disciples demandent à la fois le temps de la destruction du temple, les signes de l’avènement du Sauveur, et ceux qui doivent précéder la fin du monde. Or, Notre-Seigneur, interrogé sur le temps de la destruction du temple et sur les signes de son avènement, s’explique sur cette dernière question, mais ne répond pas à la première : " Il leur dit : Prenez garde d’être séduits. " — S. Athan. (Disc. 4 contr. les Ar.) Dieu nous a donné des grâces et fait connaître des vérités qui appartiennent à l’ordre surnaturel (par exemple les règles de la vie céleste, la puissance contre les démons, l’adoption, la connaissance du Père et du Fils, et le don de l’Esprit saint) ; aussi le démon, notre ennemi, rôde sans cesse autour de nous pour nous ravir la semence de la parole divine. Dieu donc, pour conserver en nous les dons précieux qu’il nous a faits et les enseignements qu’il nous a donnés, nous prémunit contre la séduction. Le Verbe de Dieu nous a fait une grâce extraordinaire, c’est non seulement de ne pas nous laisser tromper par les choses apparentes, mais encore de discerner, à l’aide de la grâce de l’Esprit saint celles qui sont cachées. Le démon, auteur de tout mal, sait l’horreur qu’il inspire, il cache donc avec soin ce qu’il est, et se couvre astucieusement d’un nom qu’il sait être cher à tous. Il fait comme celui qui veut gagner des enfants en l’absence de leurs parents, il prend leur extérieur et simule leur Voix pour tromper l’amour de ces enfants. Ainsi donc, dans toutes les hérésies, le démon se déguise et dit : Je suis le Christ, la vérité est avec moi : " Plusieurs viendront en mon nom et diront : C’est moi, et le temps approche. " — S. Cyr. Avant que Jésus-Christ descende du ciel, il en viendra plusieurs qu’il faudra se garder de suivre, ce qui sera facile, car si le premier avènement du Verbe, Fils unique de Dieu, venant pour sauver le monde, a été obscur et caché, parce qu’il voulait souffrir pour nous la mort de la croix ; son second avènement, au contraire, sera éclatant et terrible, car il descendra environné de la gloire de Dieu le Père, au milieu des anges, qui seront ses ministres, pour juger le monde dans la justice ; ne les suivez donc point, nous dit-il. — Tite de Bostr. Peut-être ne veut-il point parler ici de des faux christs qui viendront avant la fin du monde, mais de ceux qui parurent au temps des Apôtres. — Bède. En effet, peu de temps avant la ruine de Jérusalem, on vit paraître plusieurs chefs de sédition, qui affirmaient qu’ils étaient le Christ, et annonçaient l’approche de l’ère de l’affranchissement et de la liberté. On vit aussi dans l’Église, des hérésiarques, que l’Apôtre a condamnés (2 Th 2, 2), et qui annonçaient que le jour du Seigneur approchait. Il parut aussi plusieurs antéchrists, qui déclaraient venir au nom du Christ ; le premier d’entre eux fut Simon le magicien, qui disait de lui-même : " Celui-ci est la grande vertu de Dieu (Ac 8, 10). "

 

vv. 9-11.

S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Notre-Seigneur prédit les calamités qui doivent précéder la fin du monde, pour diminuer par cette prédiction le trouble qu’elles produiront quand elles seront arrivées, car les coups qui sont prévus se font moins sentir. Il commence donc ainsi : " Et lorsque vous entendrez parler de guerres et de séditions, " etc. Les guerres viendront des ennemis, les séditions des concitoyens entre eux, et le Sauveur prend soin de distinguer ce que nous aurons à souffrir des ennemis extérieurs et de nos propres frères, pour nous faire comprendre que nous serons en proie au trouble et à l’affliction tout à la fois au dedans et au dehors. — S. Ambr. Qui peut mieux attester la vérité de ces paroles divines que nous-mêmes, qui devons être les témoins de la fin du monde ? Quelles guerres avons-nous apprises, et quels bruits de combats avons-nous entendus !

S. Grég. (hom. 35.) Mais la fin du monde ne doit pas suivre immédiatement ces calamités, qui en seront comme les signes précurseurs. Aussi Notre-Seigneur ajoute : " Il faut d’abord que ces choses arrivent, mais la fin ne viendra pas immédiatement après. " La dernière tribulation sera précédée par beaucoup d’autres tribulations, car Dieu veut que le malheur qui n’aura point de fin soit précédé et annoncé par des calamités sans nombre : " Alors, ajouta-t-il, on verra se soulever peuple contre peuple et royaume contre royaume. " Les maux que nous aurons à souffrir nous viendront, les uns du ciel, les autres de la terre, ceux-ci des éléments, ceux-là des hommes, et Notre-Seigneur commence par ces derniers. Il ajoute : " Il y aura en divers lieux de grands tremblements de terre. " Voilà les effets de la colère céleste. — S. Chrys. (hom 2 sur les Actes.) Les tremblements de terre sont quelquefois les effets de la colère de Dieu, comme lorsque le Sauveur fut crucifié ; quelquefois, ils sont un signe de la grâce et des faveurs divines, c’est ainsi que le lieu où les Apôtres étaient réunis pour prier, trembla lorsque l’Esprit saint descendit sur eux : " Et des pestes. " — S. Grég. (hom. 35.) Voilà la perturbation des corps : " Et les famines ; " c’est la stérilité de la terre : " Il paraîtra des signes épouvantables et des signes extraordinaires dans le ciel, " c’est la perturbation dans les airs, Il faut entendre ces paroles des tempêtes qui viennent en dehors des lois ordinaires de la nature, car pour celles qui suivent ses lois, elles ne sont point des signes. Nous avons détourné à des usages coupables, ce que nous avions reçu pour les besoins de notre vie ; Dieu, à son tour, fera servir à notre châtiment toutes les créatures dont nous aurons fait des instruments d’iniquité.
 

S. Ambr. La fin du monde sera donc précédée de divers fléaux qui en seront comme les maladies, c’est-à-dire, la famine, la peste et la persécution. — Théophyl. Suivant quelques interprètes, ces prédictions n’ont pas seulement pour objet les événements qui doivent précéder la fin du monde, mais elles ont reçu leur accomplissement au temps du siège et de la ruine de Jérusalem. C’est à juste titre, en effet, que les Juifs qui avaient mis à mort l’auteur de la paix, virent éclater parmi eux les guerres et les séditions. La guerre à son tour fut suivie de la peste et de la famine, comme conséquence, la première, de l’air infecté par les cadavres ; la seconde, des champs restés sans culture. L’historien Josèphe, rapporte les effroyables extrémités dont cette famine fut la cause, nous voyons dans les Actes, que sous le règne de l’empereur Claude, la Judée fut en proie à une grande famine (Ac 11), et le même Josèphe raconte beaucoup d’autres terribles fléaux, qui annonçaient la prise de Jérusalem.
 

S. Chrys. Notre-Seigneur prédit que la prise et la ruine de la ville ne suivront pas immédiatement ces signes précurseurs, mais qu’elles n’auront lieu qu’après de longs et nombreux combats. — Bède. Notre-Seigneur veut aussi avertir les Apôtres, de ne pas s’effrayer de ces signes précurseurs, et de ne quitter ni Jérusalem ni la Judée. On peut voir encore dans ces royaumes soulevés les uns contre les autres, dans ces pestes, les doctrines pestilentielles qui s’étendent et rongent comme un cancer (2 Tm n, 16) ; dans ces famines, la faim d’entendre la parole de Dieu ; dans ce tremblement de toute la terre, la séparation de la vraie foi même dans les hérétiques qui, en luttant les uns contre les autres, contribuent ainsi au triomphe de l’Église. — S. Ambr. Il y a encore d’autres guerres que doit soutenir un chrétien, ce sont les combats contre les passions multipliées et contre les désirs coupables qui naissent en nous, et ces ennemis domestiques sont mille fois plus redoutables que ceux du dehors.

 

vv. 12-19.

S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Comme les calamités que le Sauveur vient de prédire, ne viennent pas de l’injustice de Dieu qui les envoie, mais sont un juste châtiment des crimes du monde, Notre-Seigneur fait connaître ces attentats des hommes pervers : " Avant que toutes ces choses arrivent, ils se saisiront de vous, " etc., c’est-à-dire, le trouble s’emparera des coeurs des hommes avant qu’il s’étende aux éléments ; on saura ainsi, lorsque l’ordre de la nature sera bouleversé, quelle tribulation en est la cause ? car bien que la fin du monde soit une conséquence des éléments qui le composent, le Sauveur nous fait connaître que les hommes qui vivront alors seront justement écrasés sous ses ruines en punition de leurs crimes énormes. — S. Cyr. Ou encore, Notre-Seigneur veut parler ici des persécutions que ses disciples eurent à souffrir des Juifs, qui les jetèrent en prison et les traînèrent devant les tribunaux avant la prise de Jérusalem par les Romains. C’est ainsi que saint Paul fut envoyé à Rome pour être jugé par César, et qu’il comparut devant Festus et Agrippa.
 

" Et ce sera pour vous une occasion de rendre témoignage. " Le grec porte : " Pour le martyre (??? ?????????), c’est-à-dire, d’obtenir la gloire du martyre. — S. Grég. (hom. 35.) Ou bien encore, pour être en témoignage contre eux, parce qu’ils vous ont persécutés et mis à mort, ou parce qu’ils n’ont pas imité dans leur vie les exemples que vous leur avez donnés, ou parce que ces exemples qui ont été pour les élus un principe de vie, sont devenus pour les méchants une cause de mort sans excuse. Mais ces terribles prédictions pouvaient jeter le trouble dans le coeur de ceux qui les entendaient, le Sauveur ajoute donc pour les consoler : " Gravez cette pensée dans vos coeurs, de ne point préméditer ce que vous devrez répondre. " — Théophyl. Comme les Apôtres étaient sans instruction et sans lettres, Notre-Seigneur leur recommande de ne point se troubler lorsqu’ils sont appelés à rendre compte de leur conduite devant les sages du monde, et il en donne la raison : " Car je mettrai moi-même sur vos lèvres des paroles et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront résister et qu’ils ne pourront contredire, " c’est-à-dire, vous recevrez à l’instant de moi l’éloquence et la sagesse, de sorte que tous vos ennemis, quand ils réuniraient tous leurs efforts, ne pourront vous résister, ni par leur sagesse (c’est-à-dire, par la force des raisonnements), ni par l’éloquence et par l’élégance du langage. Il en est beaucoup, en effet, qui ont un grand fond de sagesse, mais qui, faciles à troubler, voient se confondre toutes leurs idées lorsque le moment est venu de les exposer. Tels ne furent point les Apôtres, qui reçurent le double don de la sagesse et de la parole. — S. Grég. Le Sauveur semble leur dire : Ne vous effrayez pas, vous marchez au combat, mais c’est moi qui combats pour vous ; vous prononcez les paroles, mais c’est moi qui les forme sur vos lèvres. — S. Ambr. Tantôt c’est Jésus-Christ qui parle par la bouche de ses disciples, tantôt c’est le Père (Mt 16), tantôt enfin l’Esprit saint. (Mt 10) Ces divers passages, loin de se contredire, s’accordent parfaitement, car ce que l’un dit, les trois le disent également, parce que la Trinité n’a qu’une seule et même voix.
 

Théophyl. Après leur avoir ainsi parlé, pour dissiper la crainte que pouvait leur inspirer leur ignorance, il les prémunit contre un autre danger non moins important, qui aurait pu aussi jeter le trouble dans leurs coeurs, s’il les avait surpris à l’improviste : " Vous serez même trahis et livrés par vos pères, par vos frères, par vos amis, et on en fera mourir plusieurs d’entre vous. " — S. Grég. (hom. 35.) Les épreuves les plus cruelles nous viennent de ceux sur l’affection desquels nous croyions pouvoir compter, parce qu’aux souffrances extérieures viennent se joindre alors la douleur de l’affection que nous avons perdue. — S. Grég. de Nysse. Considérons quelle était alors la situation de la société. Dans toutes les familles divisées par la différence de religion, on était suspect les uns aux autres. Le fils encore idolâtre trahissait ses parents devenus chrétiens ; le père, obstiné dans son infidélité, devenait l’accusateur de son fils qui avait embrassé la foi. Tous les âges étaient exposés à la persécution, et les femmes elles-mêmes, n’en étaient pas à l’abri par la faiblesse naturelle de leur sexe.

Théophyl. Notre-Seigneur leur prédit ensuite la haine universelle dont ils seront l’objet : " Et vous serez haïs de tout le monde à cause de mon nom. " — S. Grég. (Hom. 35.) Mais comme ces prédictions qui leur montrent une mort cruelle en perspective ont quelque chose d’effrayant et de redoutable, il les console aussitôt par l’espérance des joies de la résurrection : " Cependant il ne se perdra pas un seul cheveu de votre tête, " c’est-à-dire : Pourquoi craindriez-vous de voir périr ce que vous ne pouvez perdre sans douleur, puisque même ce qui peut vous être retranché sans vous causer aucune souffrance, ne peut périr ? — Bède. Ou bien encore : Il ne périra pas un seul cheveu de la tête des disciples, parce que non seulement les grandes actions et les paroles des saints, mais encore leurs moindres pensées recevront de Dieu leur juste récompense.
 

S. Grég. (Moral., 5, 13.) Celui qui pratique la patience dans l’adversité, puise sa force contre toutes les tribulations, par le même principe qui lui fait remporter la victoire sur lui-même : " Vous posséderez vos âmes dans la patience. " Qu’est-ce que posséder son âme, c’est mener une vie entièrement irréprochable, et comme du haut d’une forteresse, dominer par la vertu tous les mouvements de son coeur. — S. Grég. (hom. 35.) Ainsi nous possédons nos âmes par la patience, parce qu’en nous dominant nous-mêmes, nous commençons à être les maîtres de ce que nous sommes. La possession de l’âme dépend de la vertu de patience, parce que la patience est la racine et la gardienne de toutes les vertus. Or, la patience consiste à supporter avec calme les épreuves qui nous viennent d’autrui, et à ne nourrir aucun ressentiment contre ceux qui en sont la cause.

 

vv. 20-24.

Bède. Jusqu’ici Notre-Seigneur a prédit les événements qui arriveraient pendant les quarante années qui devaient suivre, mais sans qu’il fût question de la ruine définitive des Juifs, il en vient maintenant à la destruction de cette malheureuse nation, et aux ruines qu’amoncellera l’armée romaine : " Lorsque vous verrez une armée environner Jérusalem, sachez que la désolation est proche. " — Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) Il appelle cette ruine la désolation de Jérusalem, parce qu’elle ne sera plus rebâtie par ses habitants, ni reconstituée selon les prescriptions de la loi, et que personne, après le siège et la désolation qui doivent avoir lieu, ne doit espérer ion rétablissement, comme au temps du roi des Perses, d’Antiochus le Grand, et aussi comme au temps de Pompée.
 

S. Aug. (Lettre 80 à Hésych.) Saint Luc rapporte ici ces paroles du Seigneur, pour nous faire comprendre que ce fut lors du siége de Jérusalem qu’eut lieu l’abomination de la désolation prédite par le prophète Daniel, et dont saint Matthieu (Mt 24) et saint Marc (Mc 13) ont parlé. — S. Ambr. Les Juifs crurent que cette abomination de la désolation s’était alors vérifiée, parce que les Romains avaient jeté une tête de porc dans le temple, pour insulter aux observances judaïques. — Eusèbe. Or, le Seigneur, prévoyant que la ville devait être désolée par la famine, avertissait ses disciples de ne point s’y réfugier lors du siége, comme dans un lieu sûr et protégé de Dieu, mais de s’en éloigner bien plutôt, et de s’enfuir vers les montagnes : " Alors que ceux qui sont dans la Judée, s’enfuient vers les montagnes. " — Bède. L’histoire ecclésiastique (Eusèbe, 3, 5) rapporte qu’aux approches de la ruine de Jérusalem, tous les chrétiens qui étaient dans la Judée en sortirent, sur l’avis qu’ils avaient reçu du Seigneur, et allèrent habiter au delà du Jourdain, la ville de Pella, jusqu’à ce que la désolation. de la Judée fût consommée. — S. Aug. (Lettre 80 à Hésych.) Au lieu de ces paroles, nous lisons dans saint Matthieu et dans saint Marc : " Que celui qui sera sur le toit, ne descende pas dans sa maison ; " salut Marc ajoute : " Et n’y entre point pour en emporter quelque chose. " Saint Luc, au contraire : " Et que ceux qui sont au milieu d’elle s’en retirent. "
 

Bède. Mais comment ceux qui sont au milieu de Jérusalem pourront-ils en sortir lorsqu’elle sera investie par une armée ? Pour résoudre ces difficultés, il faut rapporter ces paroles, non pas au temps même du siége, mais à celui qui le précéda immédiatement, lorsque les soldats romains commencèrent à se répandre sur les frontières de la Galilée ou de la Samarie. — S. Aug. (comme précéd.) Saint Matthieu et saint Marc disent : " Et que celui qui sera dans les champs, n’en revienne pas pour prendre son vêtement. " Saint Luc est plus explicite : " Et que ceux qui sont dans les régions voisines n’y entrent point ; car ce sont les jours de la vengeance dans lesquels doivent s’accomplir toutes les prédictions qui ont été faites. " — Bède. Ces jours de la vengeance sont les jours où Dieu vengera le sang du Seigneur que les Juifs ont répandu.
 

S. Aug. (comme précéd.) Saint Luc continue ensuite comme les deux autres Évangélistes : " Malheur aux femmes qui seront grosses ou nourrices en ces jours-là ". C’est ainsi que cet Évangéliste fait disparaître toute ambiguïté, et nous rend certains que ce que le Sauveur a dit de l’abomination de la désolation, doit se rapporter non pas à la fin du monde, mais au temps du siége de Jérusalem. — Bède. Notre-Seigneur dit : " Malheur aux femmes qui seront grosses (aux, approches de la captivité), ou à celles qui nourriront ou qui allaiteront, parce qu’il leur sera bien difficile de fuir avec ce précieux, mais lourd fardeau, qu’elles porteront dans leur sein ou dans leurs bras. " — Théophyl. Quelques-uns pensent que Notre-Seigneur fait ici allusion aux mères qui allèrent jusqu’à manger leurs enfants, selon le récit de l’historien Josèphe.
 

S. Chrys. (cont. les détract. de la vie mon.) Le Sauveur donne la raison de ce qu’il vient de dire : " Car la terre sera accablée de maux, et la colère du ciel tombera sur ce peuple. " En effet, les Juifs virent fondre sur eux un si grand déluge de maux, qu’aucun désastre ne pourra jamais être comparé aux calamités qu’ils éprouvèrent alors, au témoignage du même historien. — Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) Lorsque les Romains arrivèrent et s’emparèrent de Jérusalem, une multitude innombrable de Juifs périrent par le glaive, selon la prédiction du Sauveur : " Ils tomberont sous le tranchant du glaive. " Néanmoins, un plus grand nombre furent victimes de la famine. Ces tristes événements arrivèrent d’abord sous Tite et Vespasien, et ensuite sous le règne de l’empereur Adrien, quand il fut interdit aux Juifs de rentrer dans leur patrie : " Ils seront emmenés captifs dans toutes les nations. " En effet, les Juifs furent dispersés dans tout l’univers, et se répandirent jusqu’aux extrémités de la terre, et tandis que la Judée est habitée par des étrangers, ils sont les seuls qui ne puissent remettre le pied dans leur patrie : " Et Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli. " — Bède. C’est ce mystère dont veut parler l’Apôtre, lorsqu’il dit : " Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la multitude des nations soit entrée, et que tout le peuple d’Israël fût ainsi sauvé. " Lorsqu’il aura enfin obtenu le salut qui lui a été promis, il pourra légitimement espérer de rentrer dans sa patrie.

S. Ambr. Dans le sens figuré, l’abomination de la désolation est l’avènement de l’Antéchrist, parce qu’il doit souiller l’intérieur des âmes par ses abominations sacrilèges, et selon la prédiction littérale de l’Écriture (2 Th 2, 3, 4), s’asseoir dans le temple pour usurper le trône de la divine majesté. Il est aussi l’objet du sens spirituel de ces paroles, parce qu’il voudra imprimer dans les âmes les traces profondes de sa perfidie, en cherchant à prouver par les Écritures qu’il est le Christ. Alors approchera la désolation, parce que la plupart succomberont honteusement, et abandonneront la véritable religion. Alors aussi ce sera le jour du Seigneur ; car de même que son premier avènement a eu pour objet de nous racheter de nos iniquités, le second aura pour fin de réprimer les coupables efforts de ceux qui voudraient entraîner les fidèles dans l’erreur et l’infidélité. Il y a encore un autre Antéchrist, c’est le démon qui s’efforce d’assiéger Jérusalem (c’est-à-dire l’âme pacifique), avec l’armée de sa loi tyrannique. Or, quand le démon se trouve au milieu du temple, c’est l’abomination de la désolation. Mais lorsque la présence spirituelle du Christ vient à nous éclairer de sa lumière au milieu de nos tentations, le démon s’éloigne, et la justice commence à régner. Il y a encore un troisième Antéchrist, c’est Arius et Sabellius, et tous ceux qui cherchent à nous séduire pour nous perdre. Les femmes qui sont enceintes, dont le Sauveur déplore le triste sort, sont les chrétiens qui flattent les instincts de la chair, dont la marche est ralentie et entravée par la mollesse, qui sont stériles pour la vertu, et n’ont de fécondité que pour le vice. Ceux mêmes qui sont pour ainsi dire comme en travail de bonnes oeuvres, et qui n’eu ont encore produit aucune, ne sont pas à l’abri de cet anathème. Il en est, en effet, qui conçoivent par un sentiment de crainte de Dieu, mais tous n’enfantent pas ; quelques-uns font, pour ainsi parler, comme avorter la parole de Dieu, et la rejettent avant de l’enfanter ; d’autres portent le Christ dans leur sein, mais il n’est pas encore formé. Ainsi l’âme qui enfante la justice, enfante le Christ. Hâtons-nous aussi d’allaiter nos enfants, pour n’être pas surpris par le jour du jugement ou de la mort. Il en sera ainsi, si vous conservez dans votre coeur toutes les paroles de la justice, sans attendre le temps de la vieillesse, et si dès votre premier âge vous vous hâtez de concevoir la sagesse et de la nourrir, en la préservant de la corruption des sens. A la fin du monde, les nations qui auront embrassé la foi, soumettront toute la Judée par le glaive de la parole spirituelle, qui est comme un glaive à deux tranchants. (Ap 1, 16 ; 19, 15.)

 

vv. 25-27.

Bède. Notre-Seigneur annonce ensuite successivement ce qui doit arriver, lorsque les temps des nations seront accomplis " Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. " — S. Ambr. Saint Matthieu explique plus clairement quels seront ces signes : " Alors, dit-il, le soleil s’obscurcira, et la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel. " — Eusèbe. (Ch. des pèr. gr.) En effet, lorsque la consommation de cette vie mortelle et corruptible sera venue, la figure de ce monde passera, selon l’expression de l’Apôtre, (1 Co 7) pour faire place à un monde nouveau, dans lequel, au lieu des astres visibles, Jésus-Christ lui-même brillera comme l’astre et le roi de ce monde nouveau, et l’éclat de la gloire de sa divinité sera si grand, que le soleil qui nous éclaire maintenant, la, lune, et les autres astres disparaîtront en présence de cette incomparable lumière. — S. Chrys. (Ch. des pèr. gr.) Aussitôt que le soleil se lève, la lune et les étoiles sont comme éclipsés ; ainsi lorsque le Christ apparaîtra dans sa gloire, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, c’est-à-dire que ces astres seront dépouillés de leur premier vêtement, pour se revêtir d’une lumière plus éclatante.

Eusèbe. Le Sauveur expose ensuite ce qui doit arriver après que les astres du ciel seront obscurcis, et quelles seront les angoisses de tous les peuples de la terre : " Et sur la terre, les nations seront dans l’abattement et dans la consternation, " etc. Il semble vouloir nous dire que le principe de la transformation de l’univers viendra de la suppression de l’élément liquide, qui sera dévoré par le feu ou gelé par le froid, de sorte qu’on n’entendra plus le bruit de la mer, que ses flots ne viendront plus mouiller les sables du rivage, par suite de cette excessive sécheresse, et qu’alors les autres parties du monde, ne recevant plus ces vapeurs humides, produites par les eaux, seront transformées. Comme l’avènement du Sauveur doit combattre et renverser les prodiges de l’ennemi de Dieu, c’est-à-dire de l’Antéchrist, ses premières vengeances commenceront par ce fléau de la sécheresse, qui sera si grande, qu’on n’entendra plus ni le bruit des tempêtes de la mer, ni le frémissement de ses flots soulevés ; ce qui jettera dans les plus terribles angoisses les hommes qui survivront : " Les hommes sècheront de frayeur dans l’attente de ce qui doit arriver dans tout l’univers. " Quels seront ces nouveaux fléaux qui doivent fondre sur l’univers, c’est ce que nous apprend la suite des paroles du Sauveur : " Les vertus des cieux seront ébranlées. "

Théophyl. Ou encore : Lorsque le monde du firmament sera bouleversé, les éléments terrestres devront ressentir les mêmes secousses : " Et sur la terre les nations seront dans l’abattement, " etc. Comme s’il voulait dire : Les mugissements de la mer seront si épouvantables, et ses rivages seront battus par de si violentes tempêtes, que les peuples seront dans l’angoisse, (c’est-à-dire dans une détresse universelle), jusqu’à sécher de frayeur dans l’attente des maux dont le monde entier sera menacé : " Les hommes sécheront de frayeur dans l’attente de ce qui doit arriver à tout l’univers. "

S. Aug. (Lettre 80, à Hésych.) Mais, direz-vous, nos calamités nous forcent de reconnaître que la fin des temps est venu, puisque les prédictions du Sauveur ont revu leur accomplissement, car n’est-il pas certain qu’il n’y a aucun peuple, aucune contrée qui ne soit actuellement dans l’angoisse et la tribulation ? Or, si ces calamités qui pèsent en ce moment sur le genre humain, sont des signes certains de la venue prochaine du Seigneur, pourquoi l’Apôtre nous dit-il au contraire : " Lorsque les hommes diront : Nous sommes dans la paix et la sécurité ? " (1 Th 5.) Avec un examen plus sérieux des prédictions du Sauveur, nous découvrirons qu’elles n’ont point encore reçu leur accomplissement ; mais qu’il faut le différer jusqu’au temps où la tribulation s’étendra à tout l’univers, c’est-à-dire à l’Église qui sera persécutée dans le monde entier, et non à ses persécuteurs qui diront : " Nous sommes dans la paix et la sécurité. " Or, nous voyons au contraire que les malheurs de notre temps, que nous regardons comme les grandes calamités qui doivent précéder la fin du monde, sont communs aux deux royaumes de Jésus-Christ et du démon. Les bons et les méchants en sont également victimes, et au milieu de ces épreuves déchirantes, les hommes continuent à se plonger partout dans les excès de la table et de la débauche. Est-ce là sécher de frayeur ? n’est-ce pas plutôt brûler des ardeurs de la volupté ?

Théophyl. Ce ne sont pas seulement les hommes qui trembleront devant ces terribles épreuves auquel le mondé sera soumis, les anges eux-mêmes seront saisis d’étonnement à la vue des bouleversements épouvantables de l’univers : " Car les vertus des cieux seront ébranlées. " — S. Grég. Quelles sont ces vertus des cieux, si ce n’est les anges, les dominations, les principautés et les puissances ? Ils apparaîtront visiblement à nos yeux à l’avènement du juge sévère de nos âmes, pour exiger rigoureusement de nous ce que notre Créateur invisible supporte maintenant avec tant de miséricorde. — Eusèbe. Ajoutons que le Fils de Dieu devant venir dans sa gloire pour confondre la superbe tyrannie du fils du péché (2 Th 2, 3), environné des anges du ciel qui lui serviront de ministres, les portes du ciel depuis si longtemps fermées s’ouvriront pour nous laisser contempler les splendeurs du ciel. — S. Chrys. (Lettre 2, à Olymp.) Ou bien encore, les vertus des cieux, quoiqu’elles n’aient la conscience d’aucune faute, seront ébranlées, c’est-à-dire qu’elles perdront leur assurance. — Bède. C’est ce qui est écrit dans le livre de Job : " Les colonnes du ciel tremblent, et sont saisies d’effroi devant un seul signe de sa volonté, " or, si les colonnes tremblent, que feront les planches légères ? Que deviendra le roseau du désert, lorsque les cèdres du paradis sont ébranlés ? — Eusèbe. Ou encore : Les vertus des cieux, sont les esprits qui gouvernent les diverses parties du monde visible ; ils s’ébranleront alors pour s’élever à un état meilleur, car ils seront déchargés du ministère qu’ils remplissent par ordre de Dieu auprès des créatures visibles qui sont encore soumises à la corruption. — S. Aug. (A Hésych.) Cependant, afin qu’on ne puisse dire que Notre-Seigneur a donné comme signes extraordinaires de son second avènement des choses qui arrivaient fréquemment dans le monde avant son premier avènement, et pour ne point nous exposer à la risée de ceux qui ont lu dans l’histoire des peuples le récit de calamités plus nombreuses et plus grandes, je crois qu’il vaut mieux appliquer ces prédictions à l’Église. En effet, l’Église est le soleil, la lune et les étoiles ; et c’est d’elle qu’il est dit : " Vous êtes belle comme la lune, éclatante comme le soleil ; " (Ct 6) et elle cessera de briller sous les violences inouïes de ses persécuteurs. — S. Ambr. Par suite de l’apostasie d’un grand nombre, la clarté de la foi sera obscurcie par les nuages de l’infidélité, car le soleil de justice croît ou décroît pour moi, en raison de ma foi ; et de même que dans ses révolutions mensuelles, la lune perd sa clarté à mesure que la terre s’interpose entre elle et le soleil, de même la sainte Église ne peut plus emprunter aux rayons de Jésus-Christ, l’éclat de sa divine lumière, lorsque les vices de la chair viennent s’interposer entre elle et la lumière céleste. En effet, presque toujours dans les persécutions l’amour de cette vie devient un obstacle à la lumière de ce soleil divin. Les étoiles (c’est-à-dire les personnages célèbres) tombent des cieux, lorsque la violence de la persécution redouble. Tout cela doit s’accomplir, jusqu’à ce que le nombre des enfants de l’Église soit complet, car la persécution est la pierre de touche qui fait reconnaître les bons et les mauvais. — S. Aug. (A Hésych.) Notre-Seigneur ajoute : " Et sur la terre les nations seront dans l’abattement et la consternation ; " Les nations ne sont pas les nations qui seront bénies dans celui qui sortira d’Abraham (Gn 12, 3 ; 23, 18 ; et Mt 25, 32), mais les peuples qui au dernier jour seront placés à la gauche.

S. Ambr. L’agitation et les angoisses des esprits seront si grandes que la multitude des crimes dont le souvenir se réveillera par la crainte du jugement, desséchera pour nous la source de la rosée divine. Or, de même que l’avènement du Seigneur est ardemment attendu afin que sa présence se fasse sentir dans toute l’humanité comme dans tout l’univers, et que cette présence se manifeste à tous ceux qui reçoivent le Christ avec toutes les affections de leur coeur ; de même les vertus des cieux recevront à l’avènement du Sauveur, une augmentation de grâce et seront comme ébranlées par la plénitude de la divinité qui se communiquera de plus près à elles. Ces vertus des cieux peuvent encore être celles qui racontent la gloire de Dieu, et qui s’ébranlerait pour contempler le Christ, lorsqu’il épanchera sur elle une plus grande abondance de ses grâces. — S. Aug. (A Hésych.) Ou bien encore : Les vertus des cieux seront ébranlées, parce que la persécution des impies sera si violente qu’elle ébranlera les plus forts dans la foi.

" Alors ils verront le Fils de l’homme venant sur une nuée. " — Théophyl. Aussi bien les infidèles que les fidèles, car il sera plus resplendissant que le soleil, lui et sa croix, de sorte que tous le connaîtront. — S. Aug. (comme précéd.) Ces paroles : " Il viendra sur une nuée, " peuvent s’entendre de deux manières : ou il viendra dans son Église comme dans une nuée lumineuse, ainsi qu’il ne cesse de venir dans le temps présent ; mais il viendra avec une grande puissance et une grande majesté, parce que sa puissance et sa majesté se manifesteront avec plus d’éclat aux yeux des saints pour leur donner la force qui doit les faire triompher de la violence de la persécution. Ou bien il viendra dans ce même corps avec lequel il est assis à la droite de son Père, et nous devons croire en effet, qu’il viendra non seulement dans le même corps, mais sur une nuée, parce qu’il reviendra des cieux comme il y est remonté ; or, ce fut une nuée qui le déroba aux yeux de ses disciples (Ac 1, 11). — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Nous voyons dans l’Écriture que Dieu apparaît toujours au milieu d’une nuée, selon ces paroles : " Les nuées sont autour de lui, et l’obscurité l’environne. " (Ps 17.) Le Fils de l’homme aussi viendra sur les nuées comme Dieu et Seigneur, non plus en cachant sa divinité, mais au milieu d’une gloire digne de Dieu, c’est pourquoi il ajoute : " Avec une grande puissance et majesté. " — S. Cyr. Il faut sous-entendre : Avec une grande majesté. Dans son premier avènement, il a voulu paraître revêtu de notre infirmité et de notre bassesse, mais lorsqu’il reviendra, pour la seconde fois, ce sera avec la puissance qui lui est propre. — S. Grég. Ceux qui n’ont pas voulu l’écouter dans son état d’humiliation, le verront alors dans sa puissance et dans sa gloire, et ils ressentiront d’autant plus les effets de sa colère que leurs coeurs auront résisté davantage aux avarices de sa miséricorde.

 

vv. 28-33.

S. Grég. (hom. 4.) Les prédictions qui précèdent s’adressaient aux réprouvés, les paroles de consolation qui suivent sont pour les élus : " Pour vous, lorsque ces choses commenceront d’arriver, regardez en haut, et levez la tête, parce que votre rédemption est proche. " Comme s’il disait : Lorsque vous verrez se multiplier les fléaux du monde, levez la tête, c’est-à-dire livrez-vous à la joie de vos coeurs, parce qu’en même temps que finit ce monde que vous n’aimez pas, la rédemption que vous avez cherchée approche. Dans le langage de l’Écriture la tête est souvent prise pour le coeur (Si 2, 14 ; Si 32, 11), parce que le coeur dirige les pensées comme la tête gouverne les membres du corps ; lever la tête, c’est donc élever nos âmes vers les joies de la patrie céleste. — Eusèbe. Ou encore : aux choses corporelles et sensibles qui, auront cessé d’exister, succéderont les choses spirituelles et célestes, c’est-à-dire le règne d’un siècle qui n’aura plus de fin, et alors ceux qui en sont dignes, verront s’accomplir pour eux les promesses du salut : " Lorsque ces choses commenceront d’arriver, regardez en haut, " etc. En effet, en voyant l’effet des promesses qui faisaient l’objet de nos espérances, nous nous relèverons, nous qui étions auparavant dans l’abaissement, et nous lèverons la tête, nous qui étions humiliés, parce que la rédemption que nous espérions et que toutes les créatures attendaient, est arrivée. — Théophyl. C’est-à-dire, la parfaite liberté du corps et de l’âme ; car de même que le premier avènement du Seigneur avait pur but la réformation de nos âmes, le second aura pour but la réformation de nos corps. — Eusèbe. Notre-Seigneur parle ainsi à ses disciples, non pas que leur vie dût se prolonger jusqu’à la fin du monde, mais parce qu’ils ne font qu’un seul corps avec nous et avec tous ceux qui dans la suite de temps doivent croire en Jésus-Christ jusqu’à la consommation des siècles.

S. Grég. (comme précéd.) Notre-Seigneur apporte ensuite une comparaison pleine de justesse pour nous faire comprendre que nous devons fouler aux pieds et mépriser le monde : " Voyez, dit-il, la figuier et tous les autres arbres, lorsqu’ils commencent à produire leurs fruits, vous savez que l’été est proche, " etc. C’est-à-dire, de même que les fruits des arbres vous font juger de la proximité de l’été, ainsi la destruction du monde vous fera connaître que le royaume de Dieu approche. Nous voyons ici que le fruit du monde n’est que destruction. Il ne produit que pour détruire ce qu’il a contribué à faire croître et à nourrir. Le royaume de Dieu au contraire est justement comparé à l’été, parce qu’il dissipera tous les nuages de nos afflictions, et répandra sur les jours de notre vie les splendeurs du soleil éternel. — S. Ambr. Saint Matthieu ne parle ici que du figuier, tandis que saint Luc étend la comparaison à tous les autres arbres. Or, le figuier a ici une double signification symbolique, il figure à la fois l’adoucissement des dures épreuves, et la funeste abondance de tous les vices. Lors donc que nous verrons les arbres chargés de fruits encore ; verdoyants, et le figuier si fécond, couvert de fleurs, (c’est-à-dire lorsque toute langue louera Dieu de concert même avec le peuple juif), nous devons espérer l’avènement prochain du royaume de Dieu qui sera pour nous comme l’été et le temps de la moisson des fruits de la résurrection. De même encore, lorsque l’homme d’iniquité se sera revêtu de l’orgueil léger et frivole de la synagogue comparé aux feuilles des arbres, nous devons conjecturer que le jugement approche ; car le Seigneur se hâtera de récompenser la foi et de mettre fin à l’iniquité. — S. Aug. (A Hésych.) A quels signes se rapportent ces paroles : " Lorsque vous verrez ces choses arriver ? " évidemment à ceux qui sont rapportés plus haut ; or, parmi ces signes, nous lisons : " Alors ils verront le Fils de l’homme qui viendra. " Ainsi l’avènement du Fils de l’homme ne sera pas encore le royaume de Dieu, mais il annoncera qu’il est proche. Ou bien faut-il dire que ces paroles : " Lorsque vous verrez arriver ces choses, " ne doivent pas s’entendre de tous les signes qui précèdent, mais d’une partie seulement en exceptant celui-ci : " Alors ils verront le Fils de l’homme ? " Mais le récit de saint Matthieu ne nous permet pas de faire la moindre exception, puisqu’il dit en termes exprès : " Lorsque vous verrez arriver toutes ces choses. " Or, parmi ces choses se trouve la venue du Fils de l’homme qu’on peut entendre, ou de sa venue dans ses membres figurés par les nuages, ou de sa venue dans l’Église comparée à une grande nuée. — Tite. Ou encore : Le Seigneur dit : " Le royaume de Dieu est proche, " parce que ces signes précurseurs n’annonceront pas la fin immédiate et irrévocable du monde, mais qu’il touche à sa fin, car la venue du Seigneur aura pour but de renverser tout pouvoir sur la terre pour préparer les voies au règne tout-puissant de Dieu. — Eusèbe. De même que dans cette vie, lorsque le printemps succède à l’hiver, le soleil réchauffe et vivifie de ses rayons les semences confiées à la terre, les transforme et leur fait produire d’innombrables plantes nuancées à l’infini ; ainsi le glorieux avènement du Fils unique de Dieu répandant ses rayons vivifiants sur le monde nouveau, fera renaître à la lumière les semences ensevelies dans le monde entier, c’est-à-dire ceux qui dorment dans la poussière de la terre (cf. Dn 12, 2), leur rendra des corps bien préférables aux premiers, et fera succéder au règne de la mort vaincue à jamais, le règne d’une vie toute nouvelle.

S. Grég. (homél. 1 sur les Evang.) Le Sauveur donne à toutes ces prédictions le sceau d’une certitude infaillible, en ajoutant : " Je vous le dis en vérité, " etc. — Bède. Il donne ainsi la plus grande autorité à ses paroles, et s’il est permis de le dire, il fait une espèce de serment, car le mot amen, veut dire il est vrai. C’est donc la vérité elle-même qui nous dit : " Je vous dis la vérité, " bien qu’elle ne puisse mentir en aucune manière, quand elle ne s’exprimerait pas de la sorte. Cette génération dont il parle est tout le genre humain en général, ou le peuple juif en particulier. Eusèbe. Ou bien, c’est la génération de sa sainte Église, et Jésus prédit au peuple fidèle, qu’il vivra jusqu’au temps où il sera témoin de tous ces événements, et contemplera de ses yeux l’accomplissement des promesses du Sauveur. — Théophyl. Comme il avait prédit, en effet, qu’il y aurait des troubles, des guerres et des bouleversements, tant parmi les éléments que parmi toutes les autres créatures, il ne veut point laisser croire que le peuple chrétien lui-même périrait, et il ajoute : " Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point ; " comme s’il disait : Quand tout serait bouleversé, ma foi ne périra pas, preuve évidente qu’il met l’Église au-dessus de toutes les autres créatures, car toutes les autres créatures seront soumises au changement et à la destruction, tandis que l’Église des fidèles et les paroles de l’Évangile ne passeront pas. — S. Grég. (comme précéd.) Ou encore : " Le ciel et la terre passeront, " etc., c’est-à-dire, tout ce qui vous parait durable sur la terre ne l’est point sans changement et ne peut durer toujours, tandis que ce qui semble passer en moi, demeure fixe et immuable, parce que mes paroles qui passent sont l’expression de vérités, permanentes et immuables. — Bède. Ce ciel qui doit passer, n’est ni le firmament, ni le ciel parsemé d’étoiles, mais l’atmosphère céleste, d’où les oiseaux prennent le nom d’oiseaux du ciel ; mais si la terre doit aussi passer, pourquoi est-il dit dans l’Ecclésiaste : " La terre demeure éternellement. " (Si 1.) C’est-à-dire, que le ciel et la terre passeront quant à leur forme présente et leurs propriétés actuelles, mais ils existeront toujours dans leur essence.

 

vv. 34-36.

Théophyl. Notre-Seigneur vient de prédire les signes terribles et manifestes des calamités qui doivent fondre sur les pécheurs, mais il donne comme préservatif contre ces maux la vigilance et la prière : " Prenez donc garde à vous, " etc. — S. Bas. (hom. 1 sur ces par. du Dt 15, 9 : veillez sur vous.) Tous les animaux ont reçu de Dieu un mystérieux instinct qui leur fait pourvoir à leur propre conservation. Or, le Sauveur nous donne cet avertissement pour que nous fassions ici par raison et par prudence ce qui est chez les animaux l’effet de l’instinct naturel. Nous devons donc fuir le péché, comme les animaux sans raison évitent les aliments qui leur seraient mortels, et rechercher la justice comme ils recherchent les plantes pleines pour eux d’un suc nutritif. C’est donc pour nous faire discerner ce qui est salutaire de ce qui est nuisible, que Notre-Seigneur nous dit : " Prenez garde à vous. " Mais il y a deux manières de prendre garde ou de veiller, l’une extérieure par les yeux du corps, l’autre intérieure par l’attention de l’esprit ; or, l’oeil du corps ne peut conduire à la vertu, c’est donc un acte de l’esprit que Notre-Seigneur nous conseille, lorsqu’il nous dit : " Prenez garde à vous, " etc., c’est-à-dire, soyez pleins de circonspection, et que la lumière de votre âme veille sans cesse sur vous pour vous garder de tout danger. il ne nous dit pas : Veillez sur ce qui est à vous ou sur les choses, qui vous entourent, mais : " Veillez sur vous. " Ce qui est vous, c’est votre intelligence et votre âme, ce qui est à vous, c’est votre corps et vos sens, ce qui est autour de vous, ce sont vos biens, votre industrie et tous les autres soutiens de votre vie. Or, ce n’est point à toutes ces choses que doit s’étendre votre vigilance, c’est votre âme qui doit être l’objet principal de vos soins. Ce même avertissement guérit à la fois les malades et donne une santé, parfaite à ceux qui sont déjà guéris ; il nous fait conserver le présent et pourvoir à l’avenir, il nous détourne de la censure du prochain pour reporter toute notre attention sur nos propres actions, il ne permet pas que notre esprit devienne l’esclave de ses passions, et soumet le corps et les sens dépourvus de raison à l’âme spirituelle et raisonnable. Mais pour quel motif devons nous veiller ? Le voici : " De peur que vos coeurs ne s’appesantissent, " etc. — Tite de Bostr. Comme s’il disait : Prenez garde que les yeux de votre âme ne s’appesantissent, car les préoccupations de la vie présente, la crapule et l’ivresse font perdre la prudence, ébranlent la foi, et sont cause de naufrages malheureusement certains.
 

Clém. d’Alexand. (Pédag., liv. 2, chap. 2.) L’ivresse, c’est l’usage immodéré du vin, la crapule, c’est le malaise et les vomissements qui sont la suite de l’ivresse, elle est ainsi appelée d’un mot grec qui veut dire branlement de tête. Or, de même que nous ne devons faire usage des aliments que pour apaiser la faim, nous ne devons user de la boisson que pour éteindre la soif, et nous devons éviter avec soin tout excès, car le vin est un breuvage trompeur. L’âme qui sera libre des excès du vin aura la prudence et la sagesse en partage ; mais celle qui se plonge dans les vapeurs de l’ivresse, sera comme couverte d’un nuage épais. — S. Bas. (Règl. abrég., quest. 88.) Nous devons éviter la curiosité et les préoccupations de cette vie, alors même qu’elles semblent n’avoir rien de coupable si elles ne concourent point à nous faire honorer Dieu. Le Sauveur donne ensuite la raison de cet avertissement : " De peur que ce jour ne vienne tout d’un coup vous surprendre, " etc. — Théophyl. Car ce jour viendra à l’improviste, sans qu’on en soit prévenu et il surprendra comme un filet ceux qui ne sont point sur leurs gardes : " Car il viendra, dit le Sauveur, comme un filet sur tous ceux qui habitent la face de la terre, " etc. Approfondissons davantage ces paroles : Ce jour surprendra tous ceux qui sont assis (sedentes) sur la terre, c’est-à-dire, ceux qui vivent dans l’imprévoyance et l’inaction. Mais pour ceux qui sont pleins de vigilance et d’activité pour le bien, et qui, loin de croupir dans l’inaction et le désoeuvrement des plaisirs de la terre, s’arrachent à ces obstacles et se disent : " Lève-toi, marche, ce n’est pas ici le lieu du repos ; " ce jour ne viendra ni comme un filet, ni comme un malheur, mais comme un jour de fête.
 

Eusèbe. Notre-Seigneur nous recommande donc la vigilance pour nous prémunir contre l’appesantissement que produisent les plaisirs et les sollicitudes de la terre : " Veillez donc et priez en tout temps, afin que vous soyez trouvés dignes d’échapper à tous ces maux qui arriveront. " — Théophyl. C’est-à-dire, la faim, la peste et les autres fléaux de ce genre, qui menacent les élus aussi bien que les autres hommes, et les supplices éternels réservés aux coupables, car nous ne pouvons éviter ces malheurs que par la vigilance et la prière. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 77.) C’est dans ce sens qu’il faut entendre cette fuite dont parle saint Matthieu, et qui ne doit avoir lieu ni dans l’hiver, ni le jour du sabbat. L’hiver est la figure des soucis de cette vie qui sont tristes comme la saison d’hiver ; le sabbat figure les excès de l’intempérance et de l’ivresse, qui submergent et étouffent le coeur dans les jouissances et les voluptés de la chair. Ces excès sont figurés par le sabbat, parce que c’est le jour où les Juifs se livrent à toutes les jouissances de la terre, dans l’ignorance où ils sont du sabbat spirituel. — Théophyl. Et comme il est du devoir d’un chrétien, non seulement de fuir le mal, mais de s’efforcer de parvenir à la gloire que Dieu lui réserve, le Sauveur ajoute : " Et de paraître avec confiance devant le Fils de l’homme, " car c’est la gloire des anges de se tenir devant le Fils de l’homme, qui est notre Dieu, et de contempler éternellement sa face. — Bède. Si un habile médecin nous recommandait de prendre bien garde au suc de quelque plante, de peur qu’elle ne nous donnât aussitôt la mort, avec quel soin nous observerions ses prescriptions. Cependant le Sauveur nous avertit de nous préserver de l’ivresse, de l’excès de la débauche et dés sollicitudes de cette vie, et nous ne craignons ni les blessures, ni la mort, dont toutes ces choses sont pour nous la cause, parce que, nous refusons d’accorder aux paroles du Seigneur, la même confiance que nous accordons aux paroles d’un médecin.

 

vv. 37-38

Bède. Notre-Seigneur confirme ses enseignements par son exemple ; il vient de nous recommander la vigilance et la prière pour attendre avec confiance l’arrivée du Fils de l’homme et le jour si incertain de notre mort, et lui-même, aux approches de sa passion, se donne tout entier à la prédication, aux veilles et à la prière : " Or, le jour il enseignait dans le temple. " Il nous enseigne ainsi par son exemple, que la vigilance vraiment digne de Dieu est de faire connaître au prochain la voie de la vérité par ses paroles ou par ses actions. — S. Cyr. Quel était l’objet de son enseignement, si ce n’est cette religion sublime bien supérieure à celle de Moïse ? Le temps approchait, en effet, où les ombres devaient faire place à la vérité.
 

Théophyl. Les Évangélistes ont passé sous silence la plus grande partie des enseignements de Jésus-Christ ; il a prêché publiquement pendant près de trois années, et c’est à peine si ce qu’ils ont écrit suffirait à remplir une journée. Ils ne nous ont donc laissé qu’un abrégé de ses nombreux enseignements, pour nous donner le goût de la douceur et de la suavité de sa doctrine. Le Sauveur nous enseigne encore que nous devons converser avec Dieu dans le silence de la nuit et travailler pendant le jour à être utile au prochain, qu’il faut amasser des trésors pendant la nuit et les distribuer quand le jour est arrivé : " Et la nuit il sortait et se retirait sur la montagne appelée des Oliviers. " Ce n’est point sans doute que la prière lui fût nécessaire, mais parce qu’il voulait nous donner l’exemple.
 

S. Cyr. Comme sa parole était puissante et qu’il substituait avec autorité le culte en esprit et en vérité aux traditions figuratives de Moïse et des prophètes, le peuple était avide de l’entendre : " Et tout le peuple accourait de grand matin dans le temple pour l’écouter. " Ce peuple qui s’empressait ainsi autour de lui avant l’aurore, aurait pu dire : " Seigneur mon Dieu, je vous cherche dès l’aurore. " (Ps 62.)
 

Bède. Dans le sens figuré, lorsqu’au milieu de la prospérité nous vivons dans la tempérance, la piété, la justice, nous enseignons nous-mêmes dans le temple, en donnant aux fidèles l’exemple des bonnes oeuvres ; nous passons les nuits sur la montagne des Oliviers, lorsqu’au milieu des ténèbres de l’adversité, nous aspirons après les consolations spirituelles ; enfin le peuple vient à nous dès le matin, lorsqu’ayant dissipé les oeuvres de ténèbres, les nuages des tribulations, il s’empresse de nous imiter.

 

CHAPITRE XXII

vv. 1-2.

S. Chrys. Les solennités des Juifs étaient l’ombre et la figure des nôtres ; si donc vous interrogez un juif sur la pâque et les azymes, il ne vous répondra rien de bien élevé, et se contentera de vous rappeler la délivrance de la captivité d’Égypte. Si, au contraire, vous me faites la même question, je ne vous parlerai ni de l’Égypte, ni de Pharaon, mais de la délivrance du péché et des ténèbres du démon, accomplie, non par Moïse, mais par le Fils de Dieu. — La Glose. En commençant le récit de la passion du Sauveur, l’Évangéliste parle d’abord de ce qui en était la figure : " La fête des pains sans levain, appelée la pâque, était proche. " — Bède. Le mot pâque, en hébreu phase, ne tire pas son nom du mot souffrance, mais du mot passage, parce que l’ange exterminateur, voyant le sang de l’agneau sur les portes des Israélites, passa sans mettre à mort leurs premiers-nés ; ou encore, parce que le Seigneur lui-même vint du ciel et passa au milieu d’eux pour secourir son peuple. Or, la pâque diffère des azymes, en ce que le nom de pâque est donné exclusivement au jour où l’on devait immoler l’agneau (c’est-à-dire le quatorzième de la lune du premier mois), tandis que le quinzième de la lune, jour de la sortie d’Égypte, commençait la fête des azymes qui durait sept jours, jusqu’au vingt et unième jour du même mois. C’est pourquoi les Évangélistes emploient indifféremment ces deux noms, comme dans cet endroit : " Le jour des azymes qui est appelé la pâque. " Le sens mystique de cette interprétation est que Jésus-Christ, qui a souffert une fois pour nous, nous fait un devoir de vivre dans les azymes de la sincérité et de la vérité (1 Co 5, 7-8), pendant toute la durée de cette vie, qui se compose de révolutions successives de sept jours.

S. Chrys. (hom. 80 sur S. Matth.) Les princes des prêtres concertent des projets criminels même pendant cette fête : " Et les princes des prêtres cherchaient un moyen pour faire mourir Jésus, " etc. D’après les prescriptions de Moïse, il ne devait y avoir qu’un seul grand prêtre, et ce n’est qu’à sa mort qu’on pouvait en créer un autre. Mais comme les observances judaïques commençaient à se relâcher, on nommait chaque année plusieurs grands prêtres. Or, en voulant faire mourir Jésus, ils ne craignent point que la justice divine ne punisse un forfait d’autant plus énorme, qu’ils le commettaient dans ces jours sacrés, et ils redoutent beaucoup plus les hommes : " Mais ils craignaient le peuple. " — Bède. Ce n’est pas qu’ils craignissent une sédition, mais ils avaient peur que le peuple ne vînt le délivrer de leurs mains. Ceci se passa, d’après saint Matthieu, deux jours avant la pâque, dans la maison de Caïphe, où ils étaient assemblés.

 

vv. 3-6.

Théophyl. Les princes des prêtres cherchaient donc le moyen de mettre Jésus à mort, sans courir de danger ; l’Évangéliste raconte maintenant le moyen d’exécution qui vint s’offrir à eux : " Or, Satan entra dans Judas. " Il entra dans Judas sans violence, et comme dans une place ouverte ; car, absorbé tout entier par son avarice, il avait oublié tous les prodiges qu’il avait vus. — S. Chrys. (hom. 81 sur S. Matth.) L’auteur sacré fait connaître son surnom, qui était Iscariote, parce qu’il y avait un autre Judas. Il ajoute : " L’un des douze apôtres, " car Judas complétait le nombre, mais il était loin de remplir les devoirs d’un apôtre. — S. Chrys. Ou encore, l’Évangéliste fait mention de cette circonstance, pour établir un contraste, comme s’il disait : Il était de la première compagnie que Jésus avait choisie avec le plus de soin. "

Bède. Il n’y a aucune contradiction entre le récit de saint Luc, et ce que dit saint Jean, que Satan entra dans Judas après le morceau de pain que Jésus lui avait présenté. (Jn 13, 27.) Il entra la première fois comme sur un terrain qui n’était pas à lui, et pour tenter Judas, il entra la seconde fois comme dans un coeur qui lui appartenait, et pour le plier à toutes ses volontés. — S. Chrys. Considérez ici l’insigne méchanceté de Judas ; c’est lui-même qui se charge de cet odieux forfait, et il met à prix sa trahison : " Et il s’en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer, et ils en furent pleins de joie. " — Théophyl. Ces officiers sont ceux qui étaient chargés de veiller à l’entretien et à la garde du temple, ou bien ceux que les Romains avaient établis pour prévenir les séditions auxquelles le peuple juif était porté.
 

S. Chrys. Or, ce fut l’avarice qui fut la cause de la perte de Judas : " Et ils convinrent de lui donner de l’argent. " Telles sont les passions qu’engendre l’avarice, elle précipite les hommes dans l’impiété et dans l’ignorance de Dieu ; et alors même qu’ils ont reçu des bienfaits sans nombre, elle les porte à se déclarer contre leurs bienfaiteurs : " Et il le leur promit. " — Théophyl. C’est-à-dire qu’il s’engagea de son côté à livrer Jésus : " Et il cherchait une occasion favorable de le leur livrer, sans exciter de troubles, " c’est-à-dire qu’il épiait le moment où il le verrait éloigné de la foule. — Bède. Combien en est-il qui ont en horreur le crime de Judas, et qui ne laissent pas de l’imiter. Car celui qui viole les droits de la charité et de la vérité, trahit Jésus-Christ (qui est la vérité et la charité), surtout lorsque sa trahison n’est l’effet ni de la faiblesse ni de l’ignorance, mais qu’à l’exemple de Judas, il cherche l’occasion de trahir sans témoin la vérité par le mensonge, et la vertu par le crime.

 

vv. 7-13.

Tite de Bost. Notre-Seigneur voulait nous donner la pâque céleste, il se soumet pour cela à manger la pâque figurative, et il supprime le symbole pour lui substituer la vérité : " Vint le jour des azymes, " etc. — Bède. L’Évangéliste appelle jour des azymes le quatorzième jour du premier mois, dans lequel on avait coutume de faire disparaître tout pain fermenté, et d’immoler vers le soir la pâque, c’est-à-dire l’agneau pascal. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) On me dira peut-être : Puisque les disciples ont préparé, le premier jour des azymes, ce qu’il fallait pour que leur divin Maître pût manger la pâque, nous devons aussi célébrer la pâque le même jour, je réponds que ce n’est pas ici une prescription, mais le simple récit d’un fait qui a eu lieu au temps de la passion du Sauveur, et que le récit d’un fait qui s’est passé est tout différent de l’établissement d’une règle qui oblige pour l’avenir. Je dirai plus, c’est que le Sauveur n’a point mangé la pâque le jour où les Juifs immolaient l’agneau pascal ; car cette immolation n’eut lieu que la veille du sabbat, le jour même de la passion du Seigneur : c’est pour cela qu’ils n’entrèrent point dans le prétoire de Pilate, afin de pouvoir manger la pâque. (Jn 19.) Du moment qu’ils conspirèrent contre la vérité, ils ne craignirent plus de s’écarter des règles tracées par la vérité, et ils ne mangèrent plus la pâque, comme ils avaient coutume de le faire le premier jour des azymes, où la pâque devait être immolée (car ils étaient occupés de bien autre chose), mais ils la célébrèrent le jour suivant, qui était le second jour des azymes. Le Seigneur, au contraire, célébra la pâque avec ses disciples le premier jour des azymes, c’est-à-dire le cinquième jour après le sabbat.

Théophyl. Ce même jour qui était le cinquième, il envoya pour préparer la pâque deux de ses disciples, Pierre, le plus ardent pour son Maître, et Jean, celui qui en était le plus aimé : " Il envoya Pierre et Jean pour préparer ce qu’il fallait, " etc. C’est ainsi qu’il se montre en tout fidèle observateur de la loi jusqu’à la fin de sa vie. Il envoie ses disciples dans une maison étrangère ; car ni lui ni ses disciples n’avaient de maison en propre, autrement il eût célébré la pâque chez l’un d’eux : " Ils lui dirent donc : Où voulez-vous que nous la préparions ? " — Bède. Comme s’ils disaient : Nous n’avons ni demeure ni habitation. Entendez ces paroles, vous qui mettez tous vos soins à vous construire des maisons sur la terre, et apprenez que le Christ, le Maître de toutes choses, n’avait même pas où reposer sa tête. — S. Chrys (hom. 82 sur S. Matth.) Comme ils ne connaissaient point celui à qui Notre-Seigneur les envoyait, il leur donna pour le reconnaître un signe semblable à celui que Samuel avait donné à Saul (1 R 10, 2 ) : " Il leur répondit : En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau ; suivez-le dans la maison où il entrera. "

S. Ambr. Considérez d’abord la puissance de la divinité dans ces paroles du Sauveur, il s’entretient avec ses disciples, et il sait ce qui doit se passer dans un autre endroit. Admirez ensuite sa condescendance ; ce n’est ni un riche ni un puissant du siècle, mais un pauvre dont il choisit la maison, et il préfère cette étroite et modeste demeure aux palais des grands. Le Seigneur connaissait le nom de celui dont il prévoyait ainsi la mystérieuse rencontre, mais il le désigne sans le nommer, pour faire ressortir son humble condition. — Théophyl. Ou encore, il les adresse à un homme inconnu, pour leur faire comprendre que c’était volontairement qu’il allait souffrir dans sa passion. En effet, celui qui pouvait inspirer à cet inconnu des dispositions si favorables pour ses disciples, aurait bien pu aussi amener les Juifs à faire tout ce qu’il aurait voulu. Quelques-uns pensent que le Sauveur ne voulut point dire le nom de cet homme, de peur que le traître, venant à savoir ce nom, ne fît connaître la maison aux pharisiens, qui auraient pu venir s’emparer de lui avant qu’il eût célébré la cène et distribué aux disciples les augustes mystères ; il se contente de leur donner quelques signes pour trouver cette maison : " Et vous direz au maître de cette maison : Le Maître vous mande : Où est le lieu où je mangerai la pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande salle meublée, " etc. — La Glose. Les disciples ayant reconnu les signes qui leur avaient été donnés, accomplirent exactement ce qui leur avait été prescrit : " S’en allant donc, ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la pâque. " — Bède. L’apôtre saint Paul, parlant de cette pâque, nous dit : " Notre agneau pascal, Jésus-Christ a été immolé, " (1 Co 5.) Il fallait que cette pâque fût alors immolée, pour obéir à un ordre tout divin, et au décret du Père céleste ; et bien que le Sauveur n’ait été crucifié que le jour suivant, c’est-à-dire le quinzième jour de la lune ; cependant il fut arrêté et chargé de chaînes la nuit même où l’agneau pascal était immolé par les Juifs, et il consacra ainsi les préliminaires de son immolation ou de sa passion.

Théophyl. Par le jour des azymes, il nous faut entendre cette vie lumineuse et toute spirituelle, qui n’a rien de commun avec la vie ancienne, suite de la faute de notre premier père, et lorsque nous vivons de cette vie, nous devons mettre toute notre joie dans les mystères de Jésus-Christ. C’est Jean et Pierre qui nous préparent ces mystères, c’est-à-dire l’action et la contemplation ; la ferveur du zèle et la douceur de la paix. Ces deux disciples rencontrent un homme, parce que ces deux vertus nous font retrouver l’homme qui a été créé à l’image de Dieu. Cet homme porte une cruche d’eau, symbole de la grâce de l’Esprit saint. Ce vase figure l’humilité du coeur, car Dieu ne donne sa grâce qu’aux humbles qui reconnaissent qu’ils ne sont que cendre et poussière. — S. Ambr. Ou encore, ce vase c’est la mesure de la perfection, et cette eau est celle qui a mérité de devenir la matière du sacrement de Jésus-Christ, et de purifier au lieu d’être elle-même purifiée.

Bède. Les disciples préparent la pâque là où ils voient cet homme porter la cruche d’eau, parce que le temps était venu où le sang devait cesser de marquer la porte de ceux qui célèbrent la pâque véritable, pour être remplacé par la source vivifiante du baptême qui efface les péchés. — Orig. (Traité 35 sur S. Matth.) Cet homme que les disciples rencontrèrent à leur entrée dans la ville, portant une cruche d’eau, était, à mon avis, un des serviteurs du père de famille, qui portait dans un vase de terre l’eau destinée à la boisson ou aux purifications légales, et je pense qu’il était la figure de Moïse, dont la doctrine spirituelle était contenue dans le récit de faits extérieurs. Ceux qui ne peuvent atteindre à cette doctrine spirituelle, ne célèbrent point la pâque avec Jésus. Montons donc avec le Seigneur lui-même, qui est au milieu de nous, à cet endroit plus élevé où se trouve le lieu du festin, et que l’intelligence (figurée par le père de famille), découvre à chacun des disciples de Jésus-Christ. Que cette salle située dans l’endroit le plus élevé de la maison, soit grande pour recevoir Jésus, le Verbe de Dieu, qui ne peut être reçu que par les âmes vraiment grandes. Que ce soit le père de famille (c’est-à-dire, l’intelligence), qui prépare cette demeure pour le Fils de Dieu, qu’elle soit purifiée et ne conserve plus aucune des souillures de l’iniquité. Que le nom du maître de cette maison ne soit point connu de la foule, comme l’indiquent ces paroles de Jésus dans saint Matthieu : " Allez dans la ville chez un tel. " — S. Ambr. Cet homme a une grande salle au haut de sa maison, ce qui vous fait comprendre quel mérite éminent doit avoir celui en qui le Seigneur vient prendre avec ses disciples un doux repos au milieu des plus sublimes vertus. — Orig. N’oublions pas que ceux qui passent leur vie dans les plaisirs de la table et les sollicitudes de ce monde, ne montent point dans cette salle supérieure et ne célèbrent point la pâque avec Jésus. Car ce n’est qu’après que les paroles des disciples ont instruit le père de famille, c’est-à-dire, l’intelligence, que Dieu vient avec ses disciples dans cette maison pour y célébrer le festin sacré.

 

vv. 14-17.

S. Cyr. Après que les disciples eurent préparé ce qu’il fallait pour célébrer la pâque, l’heure vint de la manger : " Et l’heure étant venue, " etc. — Bède. L’heure de manger la pâque, c’est le soir du quatorzième jour du premier mois, au moment où la lune du quinzième jour se lève. — Théophyl. Mais pourquoi l’Évangéliste nous dit-il que le Seigneur se mit à table, puisque les Juifs devaient se tenir debout pour manger l’agneau pascal ? Nous répondons qu’après avoir mangé l’agneau pascal, suivant les prescriptions de la loi, ils se mirent à table, suivant l’usage, pour prendre d’autres aliments.

" Et il leur dit : J’ai désiré d’un grand désir de manger cette pâque avec vous, " etc. — S. Cyr. Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, parce que l’avare disciple épiait le moment où il pourrait livrer son divin Maître, mais le Sauveur n’avait fait connaître ni la maison ni le nom de celui chez qui il devait célébrer la pâque, pour qu’on ne pût se saisir de sa personne avant qu’il l’eût célébrée, et il donne ici la raison de cette conduite. — Théophyl. Ou encore : " J’ai désiré d’un grand désir, " c’est-à-dire, c’est la dernière cène que je fais avec vous, aussi m’est-elle précieuse et chère. Ainsi ceux qui partent pour un long voyage, adressent à leurs amis leurs plus tendres adieux. — S. Chrys. Ou encore, il s’exprime ainsi, parce que cette pâque devait être suivie de sa mort sur la croix ; or, nous voyons que plusieurs fois, pendant sa vie, il prédisait sa passion et manifestait le désir ardent de la voir arriver. — Bède. Il désire manger d’abord avec ses disciples la pâque figurative et révéler ainsi au monde les mystères de sa passion. — Eusèbe. Ou bien encore, le Seigneur étant sur le point d’instituer une pâque nouvelle, il dit avec raison : " J’ai désiré ardemment cette pâque, " c’est-à-dire, le mystère nouveau du Nouveau Testament qu’il donnait à ses disciples, et que tant de prophètes et de justes avaient désiré voir. Or, comme il avait soif du salut de tous les hommes, il instituait un mystère qui devait être célébré dans le monde entier, tandis que la pâque établie par Moïse ne pouvait être célébrée que dans un seul endroit, c’est-à-dire, à Jérusalem ; elle n’était donc point destinée à toutes les nations et ne pouvait être l’objet d’un désir si ardent. — S. Epiph. (Liv. 1 cont. les hérés., 30, 22.) Ce fait seul peut servir à confondre l’erreur insensée des ébionites sur l’usage de la chair, puisque le Sauveur a mangé l’agneau pascal des Juifs, et il dit expressément : " J’ai désiré manger cette pâque, " afin qu’on ne puisse l’entendre autrement.
 

Bède. Notre-Seigneur donne ainsi par son exemple son approbation à la pâque légale, et en même temps il en interdit désormais la célébration, en enseignant qu’elle n’était que la figure des mystères qu’il venait révéler : " Car je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu, " c’est-à-dire, je ne célébrerai plus la pâque mosaïque, jusqu’à ce que Je mystère dont elle est la figure, soit accompli dans l’Eglise, car elle est vraiment le royaume de Dieu, selon cette parole : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous. " (Lc 17.) C’est encore à cette pâque ancienne à laquelle le Sauveur voulait mettre fin que se rapportent les paroles qui suivent : " Et prenant le calice, il rendit grâces et dit : Prenez et partagez entre vous, " etc. Il rend grâces, parce que toutes les cérémonies de l’ancienne loi allaient finir et céder la place à des rites tout nouveaux. — S. Chrys. (Disc. 1 sur Lazare.) Lorsque vous prenez place à table, souvenez-vous que la prière doit succéder au repas ; mangez donc avec modération et sobriété, de peur qu’appesantis par les excès de la table, vous ne puissiez ni fléchir les genoux, ni prier Dieu. Après nos repas, ne nous dirigeons donc pas aussitôt vers notre lit, mais livrons-nous à la prière, car évidemment le Sauveur a voulu nous enseigner ici qu’au repas doivent succéder, non le sommeil et le repos, mais la prière et la lecture des saintes Écritures : " Car je vous le dis ; je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu. " — Bède. Ces paroles peuvent être entendues simplement en ce sens, que le Sauveur ne devait plus boire de vin depuis cette heure de la cène jusqu’au temps de sa résurrection où il devait venir établir le royaume de Dieu. En effet, saint Pierre atteste qu’ils le virent alors manger et boire avec eux : " Il s’est manifesté… à nous qui avons mangé et bu avec lui depuis sa résurrection. " (Ac 10, 41.) — Théophyl. La résurrection de Jésus-Christ est appelée le royaume de Dieu, parce qu’elle a détruit l’empire de la mort, ce qui a fait dire à David : " Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de gloire, " c’est-à-dire que, selon la prophétie d’Isaïe, il s’est dépouillé de la corruption du corps pour se revêtir d’un vêtement de magnificence et d’honneur. Or, après sa résurrection, il a voulu boire en présence de ses disciples, pour leur prouver que sa résurrection était réelle. — Bède. Cependant, il est plus logique de dire que Notre-Seigneur déclare qu’il ne boira plus le vin de in pâque comme il a déclaré précédemment qu’il ne mangerait plus l’agneau figuratif, jusqu’à ce que la manifestation de la gloire de son royaume fît embrasser la foi chrétienne à tout l’univers, et que le changement spirituel des deux grandes prescriptions de la loi (la nourriture et le breuvage de la pâque), vous fît comprendre que toutes les observances figuratives de la loi ne seraient plus désormais accomplies que d’une manière spirituelle.

 

vv. 19-20.

Bède. Après avoir accompli les cérémonies solennelles de la pâque ancienne, le Sauveur institue la nouvelle pâque, et commande à son Église de la célébrer en mémoire du mystère de la rédemption. Établi prêtre selon l’ordre de Melchisédech (Ps 109, et He 7), il remplace la chair et le sang de l’agneau par le sacrement de son corps et de son sang sous les espèces du pain et du vin : " Et ayant pris du pain il rendit grâces. " Il avait déjà rendu grâces en mettant fin à la pâque ancienne, et il nous enseigne ainsi par son exemple à louer, à glorifier Dieu au commencement comme à la fin de chacune de nos bonnes oeuvres. " Il le rompit. " Il rompt lui-même le pain qu’il donne à ses disciples, pour montrer que son corps ne sera brisé dans sa passion que par sa volonté : " Et il le leur donne en disant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous. " — S. Grég. de Nysse. (sur le bapt. de Jésus-Christ.) Avant la consécration, le pain est un pain ordinaire, mais aussitôt le mystère de la consécration, il devient et il est appelé le corps de Jésus-Christ.

S. Cyr. Ne doutez point de cette vérité, puisque le Fils de Dieu vous dit clairement : " Ceci est mon corps. " Mais plutôt recevez avec foi les paroles du Sauveur, car il est la vérité et ne peut mentir. C’est donc une erreur autant qu’une folie, de dire que l’effet de la consécration mystérieuse cesse, lorsqu’on réserve pour le jour suivant quelques fragments du pain consacré, car aucun changement ne se fait dans le corps sacré de Jésus-Christ, et il conserve toujours la vertu de la consécration aussi bien que la grâce qui donne la vie (Liv. 4 sur Jn 14). Car la vertu vivifiante de Dieu le Père, c’est le Verbe, son Fils unique, qui s’est fait chair sans cesser d’être le Verbe, et qui a communiqué à sa chair une vertu vivifiante (chap. 23). Si vous trempez un peu de pain dans une liqueur quelconque, il s’imprègne aussitôt du goût de cette liqueur. C’est ainsi que le Verbe de Dieu, source de vie, communique cette vertu vivifiante à sa chair par l’union étroite qu’il a contractée avec elle. Pouvons-nous en conclure que notre corps a part aussi à cette vertu vivifiante, parce que la vie de Dieu est en nous, et que le Verbe de Dieu demeure dans notre âme ? Non, car il y a une différence entre la participation que le Fils de Dieu nous donne à sa vertu lorsqu’il demeure en nous, et l’union étroite par laquelle il s’est incarné dans le corps qu’il a pris dans le sein de la vierge Marie, et dont il a fait son propre corps. Il était convenable, en effet, que le Fils de Dieu s’unit à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux que nous recevons sous les espèces du pain et du vin, pour nous communiquer une bénédiction vivifiante. Nous aurions eu horreur de la chair et du sang placés sur les saints autels, Dieu, plein de condescendance pour notre faiblesse, a donc communiqué aux dons offerts une vertu vivifiante en les changeant véritablement en sa propre chair, afin que ce corps vivifiant soit en nous comme une semence de vie, il ajoute : " Faites ceci en mémoire de moi. " — S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean.) Jésus-Christ a institué ce mystère pour nous faire contracter avec lui une alliance plus étroite, et nous manifester toute l’étendue de son amour ; c’est pour cela que, non seulement il se rend visible à ceux qui désirent le voir, mais encore qu’ils les laissent le toucher, le manger, l’embrasser et rassasier leurs saints désirs. Nous sortons donc de cette table, semblables à des lions qui respirent la flamme, et devenus terribles au démon. — S. Bas. (Moral., règl. 21, chap. 3, et régl. abrég., quest. 172.) Apprenez à quelles conditions il nous est permis de manger le corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire, en mémoire de l’obéissance qu’il a portée jusqu’à la mort, de sorte que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. (2 Co 5, 45.) — Théophyl. Il est question dans saint Luc de deux coupes, l’une dont Jésus dit plus haut : " Prenez-la et distribuez-la entre vous ; " la seconde qu’il distribue lui-même à ses disciples après la fraction et la distribution du pain, et dont il est dit : " De même le calice après le souper. " — Bède. Il faut sous-entendre : Il leur donna, afin que la phrase soit complète. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 1.) Ou encore, saint Luc parle deux fois de la coupe, d’abord avant que Jésus distribuât le pain, et une seconde fois lorsqu’il l’eût distribué ; ce qu’il en dit en premier lieu, il le fait par anticipation, selon sa coutume, et il raconte ensuite en son temps ce dont il n’avait point parlé précédemment ; or, en réunissant ces deux parties, nous avons le même récit que nous donne saint Matthieu et saint Marc. — Théophyl. Le Sauveur appelle ce calice le calice du Nouveau Testament : " Ce calice est le Nouveau Testament en mon sang qui sera répandu pour vous. " Il nous apprend ainsi que le Nouveau Testament commence dans son sang. En effet, dans l’Ancien Testament, le sang des animaux vint consacrer la promulgation de la loi, et maintenant le sang du Verbe de Dieu est pour nous le signe sacré de la nouvelle alliance. Ces paroles : " Qui sera répandu pour vous, " ne signifient pas que Jésus-Christ n’ait donné son corps et répandu son sang que pour les Apôtres seuls, car il a donné l’un et l’autre pour le salut du genre humain tout entier. La pâque ancienne avait pour objet la délivrance de la servitude d’Égypte, le sang de l’agneau avait été versé pour sauver de la mort les premiers nés des Hébreux ; la pâque nouvelle a pour fin la rémission des péchés, et le sang de Jésus-Christ est versé pour le salut éternel de ceux qui sont consacrés au service de Dieu. — S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean.) Ce sang imprime en nous l’image auguste de notre roi, il préserve de toute flétrissure la noblesse de notre âme, il pénètre notre coeur de sa divine rosée, et lui inspire une force surhumaine. Ce sang met en fuite les démons et fait descendre en nous les anges et le Seigneur des anges ; ce sang répandu sur la terre l’a purifiée et lui a ouvert les portes des cieux. Ceux qui participent à ce sang divin sont associés aux vertus des cieux, revêtus du manteau royal de Jésus-Christ, ou plutôt revêtus de ce divin roi lui-même. Or, si vous approchez de lui avec un coeur pur, il sera pour vous un principe de grâce et de salut ; mais si vous osez vous présenter devant lui avec une conscience coupable, vous commettez un sacrilège et vous le recevez pour votre condamnation et votre supplice. En effet, si ceux qui profanent la pourpre royale sont punis du même châtiment que ceux qui la mettent en pièces, est-il contraire à la raison de dire que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ dans une conscience souillée, méritent le même supplice que ceux qui l’ont percé de clous ? — Bède. Comme le pain a pour but de fortifier notre corps, et le vin de produire le sang dans nos membres, l’un, le pain, se rapporte au corps de Jésus-Christ, et le vin à son sang. Mais aussi comme nous devons demeurer en Jésus-Christ, et que Jésus-Christ doit demeurer en nous, on mêle au vin de l’eau dans le calice du Seigneur, car au témoignage de l’apôtre saint Jean, les eaux sont la figure des peuples (Ap 17). Le Sauveur distribue d’abord le pain, et puis ensuite le calice ; en effet, dans la vie spirituelle, il faut commencer par les actions laborieuses et pénibles qui sont comme le pain, non seulement parce que nous ne devons manger notre pain qu’à la sueur de notre front (Gn 3), mais parce que le pain quand on le mange est d’une déglutition tant soit peu difficile. Ensuite aux fatigues de cette vie laborieuse, succède la joie produite par la grâce divine dont le calice est la figure. — Bède. Les Apôtres communièrent au corps de Jésus-Christ après la cène, parce qu’il fallait d’abord accomplir et terminer la pâque figurative avant de célébrer les mystères de la véritable pâque. Mais depuis, pour l’honneur d’un si grand sacrement, l’autorité de l’Église nous a ordonné de prendre tout d’abord cette nourriture spirituelle avant tout aliment terrestre. — Eutych. Patriar. Or, celui qui communie reçoit tout le corps et tout le sang du Seigneur, alors même qu’il ne reçoit qu’une partie des espèces consacrées ; car de même qu’un sceau imprime son empreinte tout entière sur plusieurs choses à la fois, et demeure intégralement le même après l’avoir communiquée ; de même encore qu’une seule et même parole se fait entendre à un grand nombre, nous devons croire aussi sans hésiter que le corps et le sang du Seigneur sont tout entiers dans tous ceux qui communient. Quant à la fraction du pain consacré, elle est une figure de la passion.

 

vv. 21-23.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 1) Après avoir distribué le calice è ses disciples, Notre-Seigneur parle de nouveau de celui qui devait le trahir : " Cependant voici que la main de celui qui me trahit est avec moi à cette table. " — Théophyl. Il tient ce langage, non seulement pour montrer qu’il connaît l’avenir, mais pour faire ressortir sa grande bonté, qui épuisa tous les moyens propres à détourner Judas de son perfide dessein. C’est ainsi qu’il nous donne l’exemple du zèle avec lequel nous devons poursuivre jusqu’à la fin la conversion des pécheurs. Il veut aussi nous montrer la noire méchanceté de ce traître disciple qui ne rougit point de s’asseoir à la table de son Maître. — S. Chrys. (hom. 83 sur S. Matth.) La participation aux divins mystères rie le fait pas renoncer à son dessein ; son crime n’en devient donc que plus monstrueux, et parce qu’il a osé s’approcher des saints mystères avec cette intention criminelle, et parce qu’il les reçoit sans en devenir meilleur, et en restant insensible à la crainte, aussi bien qu’à la reconnaissance et à l’honneur incomparable que le Sauveur lui témoigne. — Bède. Et cependant Jésus ne le désigne pas spécialement, de peur que ce reproche public ne le rende plus audacieux, et il parle en général de celui qui doit le trahir, pour toucher de repentir celui qui se sentira coupable. Il prédit en même temps le châtiment dont le traître sera puni, pour ramener par la perspective du supplice celui que la honte n’a pu fléchir : " Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, " etc. — Théophyl. Ce n’est pas qu’il n’eût pu se défendre lui-même, mais parce qu’il avait résolu de souffrir la mort pour le salut des hommes.

S. Chrys. Quant à Judas, il accomplissait les Écritures avec une pensée criminelle ; gardons-nous de le justifier comme ayant été l’instrument de la Providence ; écoutons plutôt le Sauveur : " Cependant malheur à l’homme par lequel il sera trahi ! " — Bède. Malheur aussi à l’homme qui s’approche indignement de la table du Seigneur, et qui, à l’exemple de Judas, trahit le Fils de l’homme, en le livrant non pas aux Juifs, mais à des membres souillés par le péché ! Les onze Apôtres savaient bien qu’ils ne méditaient rien contre leur divin Maître ; néanmoins ils s’en rapportent plus volontiers à son témoignage, qu’à celui de leur conscience, et la crainte de leur faiblesse leur fait se demander s’ils ne sont pas coupables d’une faute qu’ils ne découvrent point en eux-mêmes : " Et ils commencèrent à se demander les uns aux autres, " etc. — S. Bas. (règ. aarég. quest. 301.) Parmi les maladies du corps, il en est qui ne sont point senties par ceux mêmes qui en sont atteints, et ils ont plus de foi aux conjectures des médecins qu’à leur propre insensibilité. Il en est de même pour les maladies de l’âme, celui qui ne se sent point coupable, doit s’en rapporter plus volontiers au témoignage de ceux qui peuvent mieux connaître l’état de son âme.

 

vv. 24-27.

Théophyl. Ils venaient de rechercher entre eux quel était celui qui trahirait le Seigneur, il était donc naturel de les entendre se dire l’un à l’autre : " C’est vous qui le trahirez, " et de tirer cette conclusion : " Je suis le premier, c’est moi qui suis le plus grand, " et autres choses semblables. C’est ce que raconte l’Évangéliste : " Il s’éleva aussi parmi eux une contestation, lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand. " — Apollin. (Ch. des Pèr. gr.) Ou encore, la cause de cette contestation put venir de ce que le Seigneur devant bientôt quitter la terre, il fallait que l’un d’eux fût mis à la tête des autres, et tînt la place du Sauveur. Or, de même que les bons cherchent dans les Écritures les exemples de nos pères dans la foi qui peuvent augmenter en eux le zèle pour la perfection et l’humilité, de même aussi les méchants saisissent avec joie ce qu’il peut y avoir de répréhensible dans la conduite des élus, pour autoriser et couvrir leurs propres fautes. Aussi sont-ils enchantés de lire qu’une contestation s’éleva entre les disciples de Jésus-Christ. — S. Ambr. La conduite des Apôtres dans cette circonstance, n’est point pour nous une excuse, mais un avertissement. Veillons donc à ce qu’aucune contestation sur la préséance ne s’élève entre nous pour notre perte. — Bède. Considérons plutôt, non ce que les Apôtres ont fait sous l’impression d’un sentiment tout humain, mais la recommandation que leur a faite leur divin Maître : " Il leur dit : Les rois des nations, " etc. — S. Chrys. (hom. 66 sur S. Matth.) Il dit : " Les rois des nations, " ce qui déjà est un préjugé défavorable contre l’action dont il s’agit ; car c’était le défaut dominant des païens d’ambitionner la primauté. — S. Cyr. Ajoutons que leurs sujets leur adressent des paroles de flatterie : " Et ceux qui exercent sur elles l’autorité, sont appelés bienfaiteurs. " Comme ils sont étrangers à toutes les lois divines, ils sont en proie à toutes ces passions funestes ; mais pour vous, votre grandeur sera dans la pratique de l’humilité : " Mais pour vous, il n’en sera pas ainsi, " etc. — S. Bas. (rég. dévelop., quest. 30 et 31.) Que personne donc ne s’enorgueillisse de la préséance, s’il ne veut perdre le mérite et la récompense de la béatitude promise à l’humilité (Mt 5), et qu’il sache que la véritable humilité nous porte à être le serviteur de tous nos frères. Or, de même que celui qui est chargé du soin d’un grand nombre de blessés, et qui étanche le sang de leurs plaies, ne s’enorgueillit point des services qu’il leur rend, à plus forte raison celui à qui Dieu a confié le soin de guérir les langueurs spirituelles de ses frères, et qui doit, comme serviteur de tous, rendre compte de tout au tribunal de Dieu, doit veiller avec le plus grand soin sur lui-même, et ainsi : " Celui qui est le plus grand, doit être comme le moindre. " Il est juste encore que ceux qui sont à la tête des autres, leur rendent des services même corporels, à l’exemple de Notre-Seigneur qui a lavé les pieds de ses disciples : " Et celui qui a la préséance, doit être comme celui qui sert. " Il n’est pas à craindre que cette condescendance du supérieur ne détruise l’humilité dans, l’inférieur, c’est au contraire pour lui une éclatante leçon d’humilité.

S. Ambr. Remarquez que l’humilité ne consiste pas seulement dans les marques d’honneur que vous témoignez aux autres ; car vous pouvez agir en cela pour obtenir la faveur du monde, par crainte de ceux qui ont la puissance, ou par un motif d’intérêt personnel ; vous cherchez alors votre avantage, plutôt que l’honneur des autres ; aussi Notre-Seigneur formule-t-il pour tous la même règle qui défend toute recherche de la préséance, et ne permet que les saintes luttes de l’humilité. — Bède. Pour suivre cette règle que prescrit le Seigneur, les supérieurs ont besoin d’un grand discernement, ils doivent éviter l’esprit de domination sur leurs inférieurs, ce qui est le propre des rois des nations, et la vaine complaisance dans les louanges qui leur sont données, sans cesser néanmoins d’être animés du zèle de la justice contre les vices des coupables. Le Sauveur confirme ensuite cette leçon par son exemple : " Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert ? Et moi cependant je suis au milieu de vous comme celui qui sert. " — S. Chrys. Paroles qui reviennent à celles-ci : Ne croyez pas que vos inférieurs aient besoin de vous, tandis que pour vous, vous en êtes complètement indépendants ; car moi-même, qui n’ai besoin de personne, de qui, au contraire, toutes les créatures du ciel et de la terre ont besoin, je suis descendu au rang de serviteur. — Théophyl. Il a exercé à leur égard les fonctions de serviteur, lorsqu’il leur a distribué le pain sacré et le calice, et il fait mention de ce fait pour leur rappeler que puisqu’ils ont mangé du même pain et bu du même calice, ils doivent tous faire profession des mêmes sentiments que Jésus-Christ, qui n’a point dédaigné de se rendre leur serviteur. — Bède. Ou encore, il veut parler de l’humble office qu’il a rempli en leur lavant les pieds, lui leur Maître et Seigneur. (Jn 13, 34.) On pourrait encore appliquer cet office de serviteur à toutes les actions de sa vie mortelle. Enfin, on peut aussi l’entendre du sang qu’il a répandu sur la croix pour notre salut.

 

vv. 28-30.

Théophyl. De même que Notre-Seigneur avait dit malheur au traître, il promet des récompenses aux disciples qui lui resteront fidèles : " Pour vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations, " etc. — Bède. Ce n’est point aux premiers essais de la vertu de patience, mais à la persévérance qu’est donnée la gloire du royaume des cieux ; parce qu’en effet, la persévérance (qui est aussi appelée constance ou force d’âme), est comme la base et la colonne de toutes les vertus, Ce sont donc ceux qui ont persévéré avec lui dans les tentations, que le Fils de Dieu fait entrer dans son royaume éternel ; car si nous sommes implantés en lui pour la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés pour sa résurrection (Rm 6, 8), comme l’ajoute le Sauveur : " Et moi, je vous prépare un royaume, " etc.

S. Ambr. Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Remarquons ici que l’homme ne doit pas ambitionner la parfaite égalité avec Dieu, mais seulement la ressemblance avec lui ; car Jésus-Christ seul est la parfaite image de Dieu, parce qu’il reproduit en lui l’unité de la gloire du Père. L’homme juste porte en lui l’image de Dieu, lorsque la connaissance de Dieu le porte à mépriser le monde pour reproduire en lui la ressemblance de la vie divine. Or, nous mangeons le corps de Jésus-Christ afin de pouvoir participer à la vie éternelle, suivant la promesse du Sauveur : " Afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans mon royaume. " Ce que Jésus-Christ nous promet ici pour récompense, n’est ni le manger, ni le boire, mais la communication de la grâce et de la vie des cieux. — Bède. Ou encore, cette table qui est préparée pour le bonheur de tous les saints, c’est la gloire elle-même de la vie des cieux, dont ceux qui ont eu faim et soif de la justice seront rassasiés, par la pleine jouissance du vrai bien, objet de tous leurs désirs. — Théophyl. Ces paroles du Sauveur ne signifient donc point qu’il y aura dans les cieux des aliments matériels, ni que son royaume doit être extérieur et sensible ; car la vie des élus sera semblable à celle des anges, comme il l’a prédit lui-même aux sadducéens (Mt 22 ; Lc 20) ; et saint Paul, d’ailleurs, nous déclare que le royaume de Dieu n’est ni dans le manger ni dans le boire (Rm 14, 17).

S. Cyr. Notre-Seigneur explique les vérités spirituelles par des comparaisons prises dans ce qui se passe au milieu de nous. En effet, ceux qui s’asseoient à la table des rois de la terre, jouissent auprès d’eux de certaines prérogatives, et c’est par cet usage qu’il veut nous faire comprendre ceux qui auront part aux premiers honneurs dans son royaume. — Bède. C’est la droite du Très-Haut qui opère cette transformation (Ps 117) ; elle fait asseoir à la table des cieux pour les nourrir des mets de la vie éternelle ceux qui sur la terre se sont fait gloire d’être les humbles serviteurs de leurs frères ; et elle établit les justes juges de leurs persécuteurs, ceux qui sont restés fidèles avec le Seigneur au milieu des tentations et des injustes jugements des hommes : " Et que vous siégiez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. " — Théophyl. C’est-à-dire pour condamner dans les douze tribus ceux qui auront persévéré dans l’infidélité. — S. Ambr. Ces douze trônes ne sont point des siéges matériels et sensibles comme ceux dont se servent les hommes pour s’asseoir ; mais il faut les entendre dans ce sens, que de même que Jésus-Christ juge comme Dieu, récompense la vertu et punit l’impiété par la seule connaissance qu’il a des coeurs, et sans avoir besoin de discuter les actions ; ainsi les Apôtres entreront en participation de ce jugement tout spirituel, par les louanges qu’ils donneront à la foi et l’horreur qu’ils témoigneront pour l’infidélité, en condamnant l’erreur par l’exemple de leur vertu, et en poursuivant de leur haine le crime des sacrilèges.
 

S. Chrys. (hom. 65 sur S. Matth.) Mais est-ce que Judas prendra place aussi avec les autres Apôtres ? Non, sans doute, écoutez la loi que Dieu proclame par la bouche du prophète Jérémie : " Lorsque j’aurai promis quelque bien ou quelque faveur, si vous vous en rendez indigne, je vous châtierai (Jr 18, 9.10). " Aussi la promesse du Sauveur n’est pas absolue, mais conditionnelle : " Vous qui avez persévéré avec moi dans les tentations. " — Bède. Judas est donc exclus de ces magnifiques promesses ; il faut d’ailleurs admettre qu’il était sorti avant ces paroles de Notre-Seigneur. Nous devons aussi excepter de ces promesses ceux qui se retirèrent de Jésus et ne marchèrent plus avec lui après qu’ils l’eurent entendu parler de l’incompréhensible sacrement de son corps et de son sang. (Jn 6, 67.)

 

vv. 31-34.

Bède. Dans la crainte que les onze Apôtres ne se laissent aller à un sentiment d’orgueil et n’attribuent à leurs propres forces d’avoir été presque les seuls de tant de milliers de Juifs, pour demeurer avec le Seigneur au milieu des tentations, le Sauveur leur déclare que s’ils n’avaient été protégés et soutenus par l’assistance divine, ils eussent été brisés comme les autres par la même tempête : " Le Seigneur dit encore Simon, Simon, voilà que Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment, " etc. C’est-à-dire, qu’il a demandé à vous tenter et à vous secouer, comme on secoue le froment pour le cribler, paroles qui nous apprennent que le démon ne peut tenter la foi de personne sans la permission de Dieu. — Théophyl. Il s’adresse à Pierre, parce qu’il était plus fort que les autres, et qu’il pouvait s’enorgueillir des promesses que Jésus-Christ lui avait faites. Ou encore, il veut nous apprendre que les hommes qui ne sont rien (tant par leur nature que par la faiblesse de leur esprit), doivent fuir tout désir de domination sur leurs frères, c’est pour cela que, laissant tous les autres disciples, il s’adresse à Pierre qui avait été placé à leur tête : " J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. "
 

S. Chrys. (hom. 83 sur S. Matth.) Il ne dit pas : J’ai voulu, mais : " J’ai prié, " langage plein d’humilité qu’il tient aux approches de sa passion, pour prouver la vérité de sa nature humaine. Car comment supposer que celui qui, sans recourir à la prière, avait dit avec le ton du commandement : " Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux, " ait eu besoin de la prière pour confirmer dans la foi l’âme chancelante d’un homme ? Il ne lui dit pas non plus : J’ai prié, afin que tu ne me renies point, mais afin que tu ne perdes point la foi. — Théophyl. Tu seras, il est vrai, ébranlé pour un moment, mais tu conserveras la semence de la foi que j’ai déposée dans ton âme ; le vent des tentations fera tomber les feuilles, mais la racine demeurera ferme. Satan, jaloux de l’amour que je te porte, demande et cherche à te nuire, et bien que j’ai prié pour toi, tu ne laisseras pas de succomber à ses attaques : " Et quand tu seras converti, confirme tes frères. " C’est-à-dire, après que tu auras expié dans les larmes et dans la pénitence le crime de m’avoir renié, confirme tes frères, toi que j’ai établi le prince des Apôtres ; c’est là ton devoir, comme étant avec moi la force et la pierre fondamentale de l’Église. Ce ne sont point seulement les Apôtres qui existaient alors que Pierre devait fortifier, mais tous les fidèles qui se succéderont jusqu’à la fin du monde. Que personne donc, parmi les chrétiens, ne perde confiance en voyant cet Apôtre renier son divin Maître, et recouvrer ensuite par la pénitence la sublime prérogative qui fait de lui le souverain Pontife du monde entier.
 

S. Cyr. Admirez ici la patience vraiment inépuisable de Dieu, pour empêcher son disciple de tomber dans la défiance et le désespoir, il lui promet le pardon avant même qu’il ait commis son crime, et il le rétablit ensuite dans tous les droits de sa dignité d’Apôtre, en lui disant : " Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. " — Bède. C’est-à-dire, j’ai préservé ta foi par mes prières, afin qu’elle ne vint point à défaillir. Souviens-toi donc aussi de fortifier la faiblesse de tes frères, afin qu’ils ne désespèrent point du pardon. — S. Athan. Gardez-vous donc de tout sentiment d’orgueil, gardez-vous du monde, c’est à celui qui a dit : " Nous avons tout quitté pour vous suivre, " (Mt 19) que Notre-Seigneur commande de confirmer ses frères.
 

Bède. Le Seigneur ayant promis à Pierre qu’il prierait, pour que sa foi ne vînt pas à défaillir, cet Apôtre, plein de confiance dans l’amour qu’il ressent pour le Sauveur, dans la ferveur de sa foi, et ne prévoyant point la chute lamentable qu’il va faire, ne peut croire qu’il puisse jamais être infidèle à son maître : " Pierre lui dit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous en prison et à la mort. " — Théophylacte. La grandeur de son amour l’enflamme et lui fait promettre l’impossible, tandis qu’il aurait dû ne point s’obstiner, en entendant la vérité même lui prédire qu’il succomberait à la tentation. Or, le Seigneur voyant ce langage présomptueux, lui précise la tentation à laquelle il doit succomber ; et lui prédit qu’il le reniera " Jésus lui répondit : Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera point aujourd’hui que tu ne m’aies renié, " etc. — S. Athan. Le Sauveur prédit à Pierre, dont l’esprit était prompt mais dont la chair était faible, qu’il le renierait, car il ne pouvait égaler le courage et la force d’âme de son divin Maître. Notre-Seigneur, dans sa passion, peut avoir des imitateurs mais pas d’égaux. — Théophyl. Il nous donne ici une grande leçon, c’est que la volonté de l’homme ne peut rien sans le secours de Dieu. Pierre, en effet, malgré toute sa ferveur, fut abandonné de Dieu, et vaincu par l’ennemi du salut.
 

S. Bas. (Régl. abrég., guest. 8.) Il est bon de savoir que Dieu permet quelquefois que les justes eux-mêmes fassent des chutes pour les guérir de l’orgueil dont ils se sont précédemment rendus coupables. Bien que leurs fautes paraissent avoir les mêmes caractères que celles des autres, il y a cependant une grande différence ; le juste, en effet, pèche comme par surprise, et presque sans le vouloir, tandis que les autres pèchent sans prendre aucun souci, ni d’eux-mêmes, ni de Dieu, et ne mettent même aucune distinction entre le péché et la vertu. Aussi ne doivent-ils pas être repris de la même manière, l’âme timorée a besoin d’être soutenue, et la réprimande qui lui est faite doit se borner à la faute qu’elle a commise. Quant aux autres, au contraire, qui ont détruit dans leur âme tout ce qu’il y avait de bien, il faut les soumettre aux châtiments, aux avertissements, aux reproches sévères, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils ont pour juge un Dieu juste, et qu’ils en conçoivent une crainte salutaire.
 

S. Amb. (De l’acc. des Evang., 3, 2.) Tous les évangélistes racontent cette prédiction que le Sauveur fit à Pierre, qu’il le renierait, mais tous ne la racontent pas dans les mêmes circonstances. Saint Matthieu et saint Marc placent cette prédiction après que Notre-Seigneur fut sorti de la maison où il avait mangé la pâque ; saint Luc et saint Jean, avant qu’il en fût sorti. Il nous serait facile de les concilier en disant que les deux derniers racontent cette prédiction, comme par récapitulation, et les deux autres par anticipation, si nous n’étions arrêtés par les paroles si diverses du Sauveur, et par les avertissements si différents, qui donnent lieu à Pierre de faire cette promesse si téméraire de mourir pour son Maître ou avec son Maître ; ce qui nous force d’admettre que Pierre fit éclater trois fois sa confiance présomptueuse à l’occasion de trois divers discours du Seigneur, et qu’à trois reprises, le Seigneur lui répondit qu’il le renierait trois fois avant que le coq eût chanté.

 

vv. 35-38.

S. Cyr. Notre-Seigneur avait prédit à Pierre qu’il le renierait alors qu’il le verrait au pouvoir de ses ennemis ; et comme il avait déjà parlé de la manière dont les Juifs s’empareraient de sa personne, il annonce à ses disciples la lutte qu’ils vont avoir à soutenir contre les Juifs : " Il leur dit ensuite : Quand je vous ai envoyés sans bourse, " etc. En effet, le Sauveur avait envoyé ses saints Apôtres prêcher le royaume des cieux dans les villes et les bourgades, en leur défendant toute préoccupation des besoins du corps, et leur commandant de mettre en lui toute leur confiance pour lés choses de la vie,
 

S. Chrys. (sur ces par. de Rm 16, 3 : Saluez Priscille et Aquilée) Celui qui enseigne l’art de la natation, commence par soutenir avec grande attention ses élèves de la main, mais ensuite il retire de temps en temps la main, et leur commande de s’aider eux-mêmes, il les laisse même s’enfoncer quelque peu. Notre-Seigneur tient cette conduite à l’égard de ses disciples. Dans les commencements il était attentif à tous leurs besoins, et leur préparait toutes choses avec une extrême abondance : " Et ils lui dirent : Nous n’avons manqué de rien. " Mais lorsque le moment fut venu pour eux de montrer leurs propres forces, il leur retira une partie de son secours et voulut qu’ils agissent un peu par eux-mêmes. Il leur dit donc : " Mais maintenant que celui qui a une bourse (pour mettre son argent), la prenne, qu’il prenne de même son sac qui porte ses vivres. " Or, lorsqu’ils n’avaient ni chaussures, ni ceinture, ni bâton, ni argent, ils n’ont manqué absolument de rien ; au contraire, dès que le Sauveur leur eut permis d’avoir une bourse et un sac, ils furent exposés à souffrir la faim, la soif, la nudité ; comme s’il leur disait : Jusqu’à présent vous avez eu tout en abondance, maintenant je veux que vous éprouviez la pauvreté ; aussi je ne vous oblige plus d’observer la loi que je vous ai donnée en premier lieu (Mt 10, 18 ; Mc 6, 8 ; Lc 9, 3), et je vous permets de porter une bourse et un sac. Dieu aurait pu sans doute les maintenir dans cette même abondance, il ne le voulut pas pour plusieurs raisons : premièrement, afin que ses disciples, loin de rien s’attribuer, fussent obligés de reconnaître que tout ce qu’ils avaient venait de Dieu ; secondement, pour leur apprendre à se conduire eux-mêmes ; troisièmement pour prévenir l’idée trop avantageuse qu’ils auraient eue d’eux-mêmes. Ainsi, comme il permet que ses disciples soient exposés à des épreuves imprévues, il adoucit la sévérité de la première loi qu’il leur avait imposée, pour que la vie ne fût pas pour eux trop dure et trop accablante. — Bède. Le Sauveur ne prescrit pas à ses disciples la même règle de vie pour les temps de persécution et pour lés temps de paix. Lorsqu’il envoie ses disciples prêcher l’Évangile, il leur défend de rien emporter avec eux, il veut que celui qui annonce l’Évangile, vive de l’Évangile, mais quand l’heure de sa mort approche, et que le peuple juif tout entier est sur le point de persécuter à la fois le pasteur et le troupeau, il leur donne, une règle appropriée aux circonstances, et leur permet d’emporter les choses nécessaires à la vie, jusqu’à ce que la fureur des persécuteurs soit apaisée, et que le temps d’annoncer l’Évangile soit revenu. Il nous donne en même temps l’exemple de nous relâcher un peu pour une cause juste et pressante des règles sévères que nous nous sommes prescrites. — S. Aug. (cont. Faust., 12, 77.) Le Sauveur n’agit donc point ici par inconstance, mais par une sage économie, il modifie suivant la diversité de temps, ses préceptes, ses conseils ou ses permissions.
 

S. Ambr. Mais pourquoi Notre-Seigneur, qui défend de frapper, commande-t-il d’acheter un glaive ? C’est pour les préparer à une légitime défense, et non pour autoriser un acte de vengeance, et pour qu’il soit bien constant qu’on a renoncé à se venger, alors qu’on aurait pu le faire. Il ajoute : " Et que celui qui n’en a point, vende sa tunique et achète une épée. " — S. Chrys. Que signifient ces paroles ? Jésus a dit à ses disciples : " Si l’on vous frappe sur la joue droite, présentez l’autre, " (Mt 6) et voilà qu’il les arme pour se défendre, et seulement d’une épée. S’il jugeait nécessaire de les armer, il fallait joindre à l’épée le bouclier et le casque. Mais encore quand ils auraient eu ces armes par milliers, comment les Apôtres auraient-ils pu lutter contre tant de violences et d’embûches venant à la fois des peuples, des tyrans, des villes et des nations. Le seul aspect des armées ennemies eût jeté la terreur dans l’âme de ces hommes, qui avaient passé leur vie sur le bord des lacs et des fleuves. Ne croyons donc pas que Notre-Seigneur commande ici à ses disciples de se munir de glaives, il se sert ici de cette expression pour figurer les embûches que les Juifs lui tendaient pour le perdre. C’est pour cela qu’il ajoute : " Car je vous le dis, il faut encore que cette parole de l’Écriture s’accomplisse en moi. " " Il a été mis au rang des malfaiteurs. " (Is 52.) — Théophyl. Le Sauveur, qui venait d’entendre ses disciples se disputer entre eux la préséance, leur dit : Ce n’est point ici le moment de vous occuper des premières places, c’est le temps des dangers et des blessures, moi-même qui suis votre maître, je vais être conduit à une mort ignominieuse et mis au rang des malfaiteurs, car toutes les prédictions qui me regardent touchent à leur fin, c’est-à-dire, à leur accomplissement. Sous cette image du glaive, Notre-Seigneur leur fait pressentir l’agression violente dont il va être l’objet, il ne la leur révèle pas tout entière pour ne point les frapper de terreur et d’abattement, il ne veut pas non plus la leur laisser entièrement ignorer, de peur que cette attaque subite et imprévue ne vînt les ébranler. Les disciples ainsi avertis, rappelleraient plus tard leurs souvenirs, et admireraient comment leur divin Maître s’était offert lui-même dans sa passion pour être la rançon du genre humain. — S. Bas. (Règl. abrég., quest. 31.) Ou encore, le Seigneur ne fait pas ici un commandement de porter une bourse et un sac et d’acheter un glaive, mais il prédit ce qui doit arriver à ses Apôtres, qui, oubliant les circonstances de la passion, les grâces qu’ils avaient reçues, et la loi de Dieu, oseront se servir de l’épée ; souvent, en effet, l’Écriture emploie l’impératif pour le futur dans les prophéties, quoique cependant, dans plusieurs manuscrits, on ne lise point : Qu’il prenne, qu’il porte et qu’il achète, mais : " Il prendra, il portera, il achètera. " — Théophyl. Ou bien, il leur annonce qu’ils auront à souffrir la faim et la soif (sous l’expression figurée du sac), et de nombreuses tribulations (figurées par le glaive).
 

S. Cyr. Ou bien encore, ces paroles du Sauveur : " Que celui qui a une bourse la prenne, et qu’il prenne aussi un sac, " ne s’adressent pas à ses disciples, mais à tous les Juifs en général, et il semble leur dire : Si quelqu’un, parmi vous, a de grandes richesses, qu’il les réunisse et qu’il prenne la fuite ; et si quelque habitant de ce pays se trouve réduit à la dernière indigence, qu’il vende sa tunique pour acheter une épée ; car le choc de l’attaque qui viendra fondre sur eux sera si terrible, que rien ne pourra lui résister. Il leur fait connaître ensuite la cause de ces calamités, c’est-à-dire parce qu’il a été condamné au supplice destiné aux criminels, et qu’il a été crucifié avec des voleurs. Or, lorsque ce crime aura été consommé, les prophéties qui avaient pour objet la rédemption seront accomplies, et les persécuteurs subiront les châtiments prédits par les prophètes. Notre-Seigneur a donc prédit ici le sort réservé à la nation juive ; mais les disciples ne comprenaient pas la portée de ses paroles et pensaient que c’était pour résister à l’attaque du perfide disciple qu’il était besoin d’épées : " Ils lui dirent donc : Seigneur, voici deux épées. " — S. Chrys. Si son intention était qu’ils eussent recours pour le défendre à des moyens humains, cent épées n’auraient pas suffi, et s’il ne voulait qu’ils se servissent de ces moyens naturels, ces deux épées étaient même de trop.
 

Théophyl. Le Seigneur ne voulut point les reprendre de leur peu d’intelligence, il se contenta de leur dire : " C’est assez, " c’est ce que nous disons nous-mêmes lorsqu’une personne à qui nous adressons la parole, ne nous comprend pas : C’est bien, cela suffit, pour ne pas la fatiguer davantage. Quelques-uns prétendent que c’est par ironie que le Sauveur dit : " C’est assez, " comme pour dire : Puisqu’il y a deux épées, elles suffiront pour nous défendre contre la multitude qui doit nous assaillir. — Bède. Ou bien encore, ces deux épées suffisent pour attester que le Sauveur a souffert volontairement sa passion, l’une témoigne du courage des Apôtres pour défendre leur divin Maître, et de la puissance qu’il a de guérir les blessures ; l’autre, qui n’est point tirée du fourreau, prouve qu’il ne leur a pas permis de faire tout ce qu’ils auraient pu pour le défendre. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la loi ne défendait pas de frapper celui qui avait frappé, peut-être le Seigneur dit-il a Pierre : " C’est assez, " pour faire entendre que cette juste vengeance n’était permise que jusqu’au règne de l’Évangile, parce que la loi ne commandait que la stricte justice, tandis que l’Évangile enseigne la charité parfaite. Il y a aussi un glaive spirituel qui porte le chrétien à vendre son patrimoine pour acheter la parole qui est comme le vêtement intérieur de l’âme. Il y a encore le glaive de la souffrance qui nous fait sacrifier notre corps, et acheter la couronne sacrée du martyre avec les dépouilles de notre chair immolée. Dans ces deux glaives que les disciples avaient avec eux, je ne puis m’empêcher de voir encore la figure de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui sont les armes mises en nos mains contre les attaques insidieuses du démon (Ep 6, 13.17). Enfin Notre-Seigneur dit : " C’est assez, " comme pour dire que rien ne manque à celui qui a pour armes la doctrine de l’Ancien et du Nouveau Testament.

 

vv. 39-42.

Bède. Le Sauveur voyant arriver l’heure où son disciple devait le trahir, se dirige vers l’endroit où il avait coutume de se retirer, pour que ses ennemis le trouvent plus facilement : ce Et étant sorti, il s’en alla, suivant sa coutume, à la montagne des Oliviers. " — S. Cyr, Il passait toute la journée dans la ville de Jérusalem, et le soir venu, il se retirait avec ses disciples sur la montagne des Oliviers : " Et ses disciples le suivirent. " — Bède. C’est avec dessein qu’après les avoir nourris des mystères de son corps et de son sang, il les conduit sur la montagne des Oliviers, pour nous apprendre que tous ceux qui ont été baptisés en sa mort, doivent être confirmés par l’onction du Saint-Esprit.
 

Théophyl. Après le repas, le Seigneur ne se laisse aller ni à l’oisiveté, ni aux douceurs du repos, ni au sommeil, mais il s’applique à la prière et à l’enseignement : ce Lorsqu’il fut arrivé en ce lieu, il leur dit : Priez, " etc. — Bède. Il est impossible que l’âme de l’homme soit exempte de tentations. Aussi ne leur dit-il pas : Priez afin de n’être point tentés, mais : " Priez, afin de ne point entrer en tentation ; " c’est-à-dire afin de n’être pas vaincus dans cette dernière tentation.
 

S. Cyr. Mais ce n’est pas seulement par ses paroles qu’il veut leur être utile ; il s’avance donc un peu plus loin, et se met en prière : " Et il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre, " etc. Partout vous voyez le Sauveur se retirer à l’écart pour prier, il vous apprend ainsi la nécessité du recueillement de l’esprit et de la paix du coeur pour vous entretenir avec le Dieu très-haut, Or, s’il s’applique ainsi à la prière, ce n’est point qu’il ait besoin d’un secours étranger, lui qui est la vertu toute puissante du Père, mais il veut nous apprendre qu’il ne faut pas s’endormir dans les tentations, mais prier avec plus d’instance. — Bède. Le Sauveur prie seul pour tous les hommes, lui qui devait seul souffrir pour tous, et il nous enseigne par là que sa prière est aussi élevée au-dessus de la nôtre, que sa passion l’est au-dessus de nos souffrances. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 50.) Il s’éloigne de ses disciples à la distance d’un jet de pierre, comme pour les avertir par cette figure qu’ils devaient diriger vers lui la pierre, c’est-à-dire conduire jusqu’à lui le sens de la loi qui fut écrite sur la pierre.
 

S. Grég. de Nysse. (ou Isid., Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi fléchit-il les genoux, selon le récit de l’Évangéliste : " Et s’étant mis à genoux, il priait ? " Les hommes ont coutume de se prosterner ainsi devant les grands pour les supplier, témoignant ainsi par leur attitude, que ceux qu’ils prient leur sont supérieurs. Or, il est évident que la nature humaine n’est rien en comparaison de celle de Dieu, c’est pourquoi dans les devoirs que nous rendons à cette nature incomparable, nous employons les marques d’honneur en usage parmi nous, pour témoigner notre respect à l’égard de ceux qui sont élevés au-dessus de nous. C’est ainsi que celui qui a pris sur lui nos misères, et s’est rendu notre médiateur, fléchit pour prier les genoux de l’humanité dont il s’est revêtu, pour nous apprendre à fuir l’orgueil pendant que nous prions, et à suivre en tout les inspirations de l’humilité ; car Dieu résiste aux superbes, et il accorde sa grâce aux humbles. (Jc 4 ; 1 P 5.)

S. Chrys. Tout homme qui enseigne un art quelconque, doit joindre l’exemple aux paroles ; c’est pourquoi Notre-Seigneur qui est venu nous enseigner toutes les vertus, conforme sa conduite à ses enseignements. Il nous fait un devoir de prier pour ne point entrer en tentation, il appuie ce précepte de son exemple : " Il priait, disant : Mon Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice. " Ces paroles : " Si vous le voulez, " ne supposent pas que le Sauveur ignorât que sa prière était agréable à son Père ; car cette connaissance n’était pas plus difficile pour lui que la science de la nature du Père, que lui seul connaît dans toute son étendue, ainsi qu’il le déclare lui-même : " Comme mon Père me connaît, ainsi je connais mon Père. " (Jn 10.) S’il parle de la sorte, ce n’est pas non plus pour éloigner sa passion, car comment admettre qu’il refusât d’être crucifié, lui qui, voyant un de ses Apôtres s’opposer à ses souffrances, l’avait repris sévèrement jusqu’à l’appeler Satan, après qu’il avait fait un si magnifique éloge de sa foi ? (Mt 16.) Pour comprendre la raison de cette prière, considérez combien il était difficile de croire qu’un Dieu ineffable et incompréhensible, ait voulu se renfermer dans le sein d’une vierge, être nourri de son lait, et souffrir toutes les infirmités humaines. Or, comme tous les mystères de sa vie mortelle étaient presque incroyables, il envoya d’abord les prophètes pour les prédire à l’avance ; puis il vint lui-même revêtu d’une chair véritable (pour bien convaincre qu’il n’était pas un fantôme), et il permit que cette chair fût soumise à toutes les infirmités de la nature humaine ; à la faim, à la soif, au sommeil, au travail, à la douleur, à l’angoisse, et c’est par suite du même dessein, et pour prouver la vérité de son humanité, qu’il demande à son Père d’éloigner de lui la mort.
 

S. Ambr. Il dit donc à Dieu : " Si vous le voulez, éloignez de moi ce calice ; " comme homme, il repousse la pensée de la mort ; comme Dieu, il maintient la loi qu’il a portée. — Bède. Ou encore, il demande à Dieu d’éloigner de lui ce calice, non par crainte des souffrances, mais par un sentiment de miséricorde pour son ancien peuple, des mains duquel il ne voudrait pas recevoir ce calice. Aussi ne dit-il pas : Éloignez de moi le calice, mais : " Éloignez de moi ce calice, " c’est-à-dire le calice que me prépare le peuple juif, qui ne peut alléguer son ignorance pour excuser son crime, s’il me met à mort, puisqu’il a entre les mains la loi et les prophètes qui lui parlent tous les jours de moi. — S. Denys d’Alex. (Ch. des Pèr. gr.) Ou bien encore, ces paroles : " Éloignez de moi ce calice, " ne veulent pas dire : Faites qu’il ne m’arrive pas ; car on ne peut l’éloigner que parce qu’il est déjà arrivé. C’est donc lorsque le Sauveur sentit que ce calice était présent, qu’il commença à être affligé et attristé ; et c’est lorsqu’il le vit sous ses yeux, qu’il dit à son Père : " Éloignez de moi ce calice, " car ce qui passe, ne demeure pas dans le même état, Jésus donc demande à Dieu d’éloigner de lui la tentation qui commence à l’assaillir ; et c’est dans ce sens qu’il nous conseille de prier pour ne point entrer en tentation. Or, il nous indique la voie la plus parfaite et la plus sûre pour échapper aux tentations : " Cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. " En effet, Dieu est essentiellement étranger au mal, et il veut sincèrement nous combler de biens, au delà même de ce que nous pouvons demander et comprendre. Le Sauveur demande donc que la volonté parfaite du Père qui lui est connue, ait son plein effet, parce que cette volonté est la même que la sienne en tant qu’il est Dieu, et il renonce à l’accomplissement de la volonté humaine, qu’il appelle la sienne, et qui est inférieure à celle de son Père. — S. Athan. (de l’incarn. contre les Ariens.) Notre-Seigneur nous fait donc voir en lui deux volontés, la volonté humaine et la volonté divine ; la volonté humaine, qui ne voit que la faiblesse de la chair, refuse de souffrir, mais la volonté divine se soumet à la passion avec amour, parce qu’elle sait que le Fils de Dieu ne peut rester enchaîné dans les liens de la mort.
 

S. Grég. de Nysse. Apollinaire prétend que la nature humaine en Jésus-Christ n’avait pas de volonté propre, et qu’il n’y a en lui qu’une seule volonté, celle du Dieu qui est descendu du ciel. Qu’il nous dise donc quelle est cette volonté dont le Sauveur ne veut point l’accomplissement, car la divinité ne peut renoncer à sa propre volonté. — Bède. Le Sauveur, aux approches de sa passion, a pris la voix de nos infirmités, pour nous apprendre à demander dans notre faiblesse l’éloignement des maux dont nous sommes menacés, tout en ayant la force d’être prêts à dire : Que la volonté de notre Créateur s’accomplisse, fût-elle opposée à la nôtre.

 

vv. 43-46.

Théophyl. Le Seigneur veut être fortifié par un ange alors qu’il priait, pour nous faire comprendre la puissance de la prière et nous apprendre à y recourir avant tout dans nos adversités. — Bède. Nous lisons dans un autre endroit, que les anges s’approchèrent de lui et le servaient. (Mt 4.) Nous avons donc une preuve de sa double nature dans ces anges qui tour à tour le servent et le fortifient, car le Créateur n’a pas besoin du secours de ses créatures, mais s’étant fait homme, il a voulu être fortifié pour notre instruction, de même qu’il s’est soumis à nos tristesses par amour pour nous. — Théophyl. Selon quelques-uns, cet ange apparut au Sauveur pour le glorifier et lui dire : Seigneur, c’est à vous qu’appartient la puissance, car vous pouvez délivrer le genre humain de la mort et de l’enfer.
 

S. Chrys. Notre-Seigneur s’est revêtu véritablement de notre chair, et c’est pour établir la vérité de son incarnation et fermer la bouche aux hérétiques, qu’il se soumet à toutes les faiblesses de notre nature : " Et étant tombé en agonie, il priait encore plus. " — S. Ambr. Cette tristesse, cette agonie, sont un sujet de difficultés pour un grand nombre de ceux qui inclinent à voir dans la tristesse du Sauveur une preuve de l’infirmité essentielle à sa nature plutôt que la suite d’une faiblesse qu’il n’avait acceptée que pour un temps. Quant à moi, non seulement je ne crois pas devoir excuser ce sentiment, mais nulle part je ne trouve plus à admirer sa miséricorde et sa puissance. En effet, la rédemption de Notre-Seigneur m’eût été beaucoup moins avantageuse, s’il n’avait pris sur lui toutes nos passions, toutes nos faiblesses, car il a pris ma tristesse pour me communiquer sa joie. C’est avec confiance que je parle de la tristesse, parce que je suis prédicateur de la croix. Le Sauveur a dû prendre sur lui nos douleurs pour en triompher, car ceux en qui les souffrances produisent la stupeur et l’insensibilité plutôt que la douleur, n’ont point le mérite du véritable courage. Jésus a donc voulu nous apprendre à triompher de la mort, et surtout des tristesses de la mort. Vous êtes affligé, Seigneur, mais ce n’est pas de vos blessures, c’est des miennes, car c’est à cause de nos péchés qu’il a été blessé. Peut-être aussi est-il triste de ce que depuis la chute d’Adam, la mort est la seule voie par laquelle nous puissions sortir de ce monde. Ajoutons qu’il n’est pas moins vraisemblable que sa tristesse eût pour cause les châtiments que le crime sacrilège de ses persécuteurs devait attirer sur eux.
 

S. Grég. (Moral., 7, 24.) Aux approches de sa mort, le Sauveur a voulu reproduire en lui les combats de notre âme qui est aussi en proie à la terreur et à l’effroi, lorsque la dissolution prochaine de notre corps nous annonce l’heure du jugement éternel, et ce n’est pas sans raison, puisqu’elle est sur le point d’entendre la sentence qui doit fixer immuablement son sort pour l’éternité.
 

Théophyl. Une nouvelle preuve que la prière du Sauveur était un acte de la nature humaine et non de la divinité, c’est la sueur dont il est inondé : " Et il eut une sueur comme des gouttes de sang découlant jusqu’à terre. " — Bède. Il ne faut point attribuer cette sueur à la faiblesse, une sueur de sang est contre nature, mais reconnaître plutôt l’enseignement que Notre-Seigneur a voulu nous y donner, c’est qu’il avait obtenu l’effet de sa prière, qui était d’épurer par son sang la foi de ses disciples encore entachée des imperfections de la fragilité humaine. — S. Aug. (sur les max. de Prosp.) Cette sueur sanglante, qui accompagne la prière du Sauveur, figurait encore, que tous les martyres découleraient de son corps sacré qui est l’Église. — Théophyl. Ou encore, c’est ici une manière de parler au figuré, et cette sueur de sang signifie une sueur très-abondante. L’Évangéliste voulant nous représenter Notre-Seigneur inondé de sueur, nous dit qu’il eut une sueur de sang. Cependant il trouve ses disciples endormis sous le poids de la tristesse, et il leur en fait un reproche en même temps qu’il leur recommande de prier : " S’étant levé après sa prière, il vint à ses disciples, et les trouva endormis à cause de la tristesse. " — S. Chrys. On était au milieu de la nuit, les yeux des disciples étaient appesantis par le chagrin, et ils succombaient au sommeil plutôt par tristesse que par épuisement. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 4.) Saint Luc ne dit pas combien de fois le Seigneur avait adressé à Dieu sa prière avant de venir trouver ses disciples, mais il n’y a ici aucune contradiction entre son récit et celui de saint Marc.

Bède. Notre-Seigneur apprend à ses disciples que c’est pour eux qu’il a prié, et il les engage à entrer en participation de ses prières, en veillant et en priant eux-mêmes. " Et il leur dit : Pourquoi dormez-vous ? levez-vous et priez, afin de ne point entrer en tentation. " — Théophyl. C’est-à-dire, pour n’être point vaincu par la tentation ; car ne pas entrer en tentation, signifie n’en être pas victime. Ou encore, il nous recommande de prier pour obtenir une vie calme et tranquille, exempte de tout mal, car c’est en suivant les inspirations du démon et de l’orgueil qu’os se jette dans la tentation. Aussi l’apôtre saint Jacques ne dit pas : Jetez-vous dans la tentation, mais : " Considérez comme le sujet d’une grande joie lorsque vous tomberez dans les tentations, en acceptant volontiers et avec joie ce qui vous arrive malgré vous. " (Jc 2.)

 

vv. 47-53.

La Glose. Après le récit de la prière de Jésus-Christ, l’Évangéliste raconte sa trahison par son perfide disciple : " Il parlait encore, lorsqu’une troupe de gens parut, et à leur tête celui qui s’appelait Judas. " — S. Cyr. Il dit : " Celui qui s’appelait Judas, " comme si ce nom lui faisait horreur. Il ajoute : " Un des douze, " pour faire ressortir davantage la méchanceté de ce traître disciple, qui est devenu la cause de la mort de Jésus-Christ, après avoir été élevé par lui à la sublime dignité de l’apostolat. — S. Chrys. Il est des maladies incurables qui sont rebelles aux remèdes les plus énergiques, comme à ceux qui sont les plus doux ; ainsi l’âme une fois captivée et enchaînée volontairement dans les liens du vice, ne se rend à aucun avertissement. C’est ce qui s’est vérifié dans Judas, qui ne renonça pas au dessein de trahir son maître, bien que Jésus ait cherché à l’en détourner par tous les moyens possibles : " Et il s’approcha de Jésus pour le baiser. " — S. Cyr. Il avait oublié la gloire qui avait environné la vie du Christ, il crut donc pouvoir consommer son crime en secret, et il osa donner pour signal de cette trahison sacrilège le symbole de l’affection la plus tendre.

S. Chrys. (Disc. 1 sur Laz.) Nous ne devons pas cesser d’avertir nos frères, lorsque bien même ils ne profitent pas de nos avertissements, car les ruisseaux ne cessent pas de couler, lors même que personne ne vient y puiser. Vous ne persuadez pas aujourd’hui, peut-être serez-vous plus heureux demain. Le pêcheur traîne ses filets vides pendant toute la journée, et c’est vers le soir qu’il les remplit de poissons. Aussi bien que le Seigneur sut parfaitement qu’il ne convertirait pas Judas, il ne laissa pas de faire tout ce qui pouvait le détourner de son mauvais dessein : " Jésus lui dit : Judas, vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ? " — S. Ambr. Il faut donner à ces paroles la forme interrogative, comme exprimant mieux le reproche tendre et affectueux que le Sauveur fait à ce traître disciple. — S. Chrys. Il l’appelle par son nom plutôt pour exprimer sa douleur et ramener le traître à de meilleurs sentiments que pour redoubler sa fureur. — S. Ambr, Il lui dit : " Vous trahissez par un baiser, " c’est-à-dire, vous choisissez le symbole et le gage de l’amour pour me faire le plus cruel outrage, et c’est avec le plus doux signe de la paix que vous me donnez le coup de la mort. Vous, mon serviteur, vous trahissez votre Seigneur, vous, mon disciple, vous trahissez votre maître, vous que j’ai choisi pour apôtre, vous trahissez le Dieu, auteur de votre vocation. — S. Chrys. Cependant il ne lui dit pas en termes exprès : Vous trahissez votre maître, votre Seigneur, votre bienfaiteur ; mais " Vous trahissez le Fils de l’homme, " c’est-à-dire, la mansuétude et la douceur même, celui qui vous a témoigné tant de tendresse et de bonté, que vous ne devriez jamais songer à le trahir, quand même il ne serait pas votre Seigneur et votre maître.

S. Ambr. Le Sauveur donne ici à la fois une preuve éclatante de sa puissance divine et une grande leçon de vertu. Il dévoile le crime de son traître disciple, et il le supporte encore avec patience ; il lui montre celui qu’il trahit, en dévoilant aux yeux de tous les secrets de ses noirs desseins ; il montre celui qu’il va livrer, en disant : " Le Fils de l’homme ; " car ce n’est pas la divinité, mais l’humanité dont les ennemis de Jésus vont se saisir. Et cependant ce qui rend plus odieuse l’ingratitude du traître disciple, c’est d’avoir trahi celui qui, étant le Fils de Dieu, a voulu devenir pour nous le Fils de l’homme, et Jésus semble lui dire : Ingrat, c’est pour toi que j’ai pris cette humanité que tu trahis avec tant d’hypocrisie — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 5.) Lorsque le Seigneur fut trahi, les premières paroles qu’il prononça furent celles-ci rapportées par saint Luc : " Vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ; " puis celle que lui prête saint Matthieu : " Mon ami, dans quel dessein êtes-vous venu ? " Et enfin celles que rapporte saint Jean : " Qui cherchez-vous ? " — S. Ambr. Le Sauveur donne le baiser à Judas, non pour nous enseigner à dissimuler, mais pour nous montrer qu’il ne repousse pas même ce traître, et pour rendre sa trahison plus odieuse.

Théophyl. Cependant les disciples veulent prendre la défense de leur maître, et tirent l’épée : " Ceux qui étaient avec lui, voyant ce qui allait arriver lui dirent : Seigneur, si nous frappions de l’épée ? " Mais comment pouvaient-ils avoir des épées ou des glaives ? Parce qu’ils venaient d’immoler l’agneau et sortaient de table. Tandis que les autres disciples demandent s’ils doivent se servir de leur épée, Pierre, toujours plein de zèle pour son divin Maître, n’attend pas sa réponse, et frappe aussitôt le serviteur du grand-prêtre : " Et l’un d’eux frappa l’un des serviteurs du grand-prêtre, " etc. — S. Aug. (De l’acc. des Evang.) D’après saint Jean, celui qui frappa fut Pierre, et celui qui fut frappé s’appelait Malchus. — S. Ambr. Pierre, dont l’ardeur n’avait pas d’égale et qui était instruit dans la loi, savait que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort des sacrilèges, lui avait été imputé à justice (Nb 25 ; Ps 105, 31 ; Si 45, 28 ; 1 M 2, 54), et il frappe sans hésiter le serviteur du grand-prêtre. — S. Amb. (De l’acc. des Evang.) Saint Luc ajoute : " Jésus dit : Arrêtez, laissez-les. " C’est ce que saint Matthieu rapporte en d’autres termes : " Remettez votre épée dans son fourreau. " Il n’y a pas de contradiction entre la réponse du Seigneur, telle que la rapporte saint Luc : " Arrêtez-vous là, " et d’après laquelle le Sauveur approuverait ce qui avait été fait, mais sans vouloir rien de plus ; et celle que saint Matthieu prête au Sauveur, qui semble désapprouver tout ce que Pierre a fait en se servant de son épée. Il est certain que lorsque les disciples lui firent cette question : " Si nous frappions avec l’épée ? " il leur répondit : " Arrêtez-vous là, laissez-les ; " c’est-à-dire, ne vous inquiétez pas de ce qui doit arriver, il faut les laisser s’avancer jusqu’au bout, c’est-à-dire, se saisir de moi pour accomplir ce que les prophètes ont écrit de moi. En effet, l’Évangéliste ne dirait pas : " Jésus répondit, " s’il ne répondait par le fait à la question de ses disciples plutôt qu’à l’action de Pierre. Or, dans l’intervalle qui s’écoule entre la question faite au Seigneur et sa réponse, Pierre, emporté par son zèle, frappa le serviteur du grand-prêtre, mais les Évangélistes n’ont pu raconter en même temps ce qui s’était passé simultanément. Alors, selon le récit de saint Luc, Jésus guérit celui qui avait été frappé : " Et ayant touché l’oreille de cet homme il le guérit. " — Bède. Jamais le Seigneur ne cesse d’exercer sa miséricorde, ils vont faire mourir le juste, et à ce moment même il guérit les blessures de ses bourreaux.

S. Ambr. En guérissant la sanglante blessure de cet homme, Notre-Seigneur nous révèle ses divins mystères, et nous montre le serviteur du prince de ce monde réduit en servitude, non par la condition de sa nature, mais par sa fauté, et recevant une blessure à l’oreille, parce qu’il n’a point voulu écouter les enseignements de la sagesse ; ou si Pierre lui-même a voulu frapper cet homme à l’oreille, c’est pour nous enseigner que celui qui n’a point l’oreille du coeur ouverte pour les saints mystères, ne mérite point d’avoir l’oreille du corps qui en est la figure, Mais pourquoi est-ce Pierre plutôt qu’un autre disciple ? Parce qu’il a reçu le pouvoir de lier et de délier, et c’est pour cela qu’il coupe avec le glaive spirituel l’oreille intérieure de celui dont l’intelligence est rebelle aux divins enseignements. Mais le Seigneur rend aussitôt à cet homme l’usage de l’ouïe, pour nous apprendre que ceux mêmes qui ont été blessés et scandalisés de sa passion, peuvent parvenir au salut, s’ils veulent se convertir, parce qu’il n’y a point de péché qui ne puisse être effacé par la puissance mystérieuse des sacrements de la foi. — Bède. Ou encore, ce serviteur est la figure du peuple juif, réduit injustement en servitude par les princes des prêtres, et qui, dans la passion du Sauveur, perd l’oreille droite, c’est-à-dire, l’intelligence spirituelle de la loi. Cette oreille est coupée par le glaive de Pierre, non que cet Apôtre ôte le sens de l’intelligence à ceux qui en font un bon usage, mais il le retranche aux âmes négligentes qui méritent de le perdre par un juste jugement de Dieu. Cependant la bonté divine rétablit dans son premier état l’oreille droite de ceux qui, parmi le peuple juif, ont embrassé la foi.

" Or, Jésus leur dit : Vous êtes venus comme à un voleur, avec des épées et des bâtons, " etc. — S. Chrys. Ils étaient venus de nuit, parce qu’ils craignaient le soulèvement de la multitude, et Jésus leur dit : " Qu’aviez-vous besoin de ces armes pour prendre celui qui est tous les jours au milieu de vous, puisque j’étais tous les jours avec vous dans le temple ? " — S. Cyr. Notre-Seigneur ne blâme pas les principaux d’entre les Juifs de n’avoir pas cherché plutôt à le mettre à mort, mais il leur reproche de s’imaginer, dans leur aveuglement, qu’ils peuvent se saisir de lui contre sa volonté ; et tel est le sens de ses paroles : Vous n’avez pu vous saisir de moi alors, parce que je ne le voulais pas, et aujourd’hui encore vous ne le pourriez pas davantage, si je ne me livrais moi-même entre vos mains : " Mais voici votre heure, " c’est-à-dire mon Père qui se rend à mes voeux, vous accorde ce peu de temps pour exercer contre moi votre cruauté. Il ajoute que cette puissance de sévir contre le Christ, a été donnée aux ténèbres (c’est-à-dire au démon et aux Juifs) ; mais voici votre heure et la puissance des ténèbres. — Bède. C’est-à-dire : Vous vous réunissez contre moi dans les ténèbres, parce que la puissance dont vous vous armez contre la lumière est la puissance des ténèbres. On se demande comment saint Luc a pu dire que Jésus parlait ainsi aux princes des prêtres, aux officiers du temple, et aux anciens qui étaient venus pour le prendre ; tandis que d’après les autres Évangélistes, ils ne vinrent pas en personne, mais envoyèrent leurs serviteurs, et attendirent dans la maison de Caïphe. Nous répondons que cette contradiction n’est qu’apparente, et que les princes des prêtres vinrent effectivement, non par eux-mêmes, mais par ceux qu’ils envoyèrent en leur nom, et qui avaient reçu d’eux l’ordre de se saisir de Jésus-Christ.

 

vv. 54-62.

S. Ambr. Ces infortunés ne comprirent point le mystère de cette guérison, et n’eurent aucun égard pour ce sentiment de bonté et de clémence, qui ne peut souffrir que ses ennemis mêmes soient blessés : " S’étant donc saisis de lui, ils l’amenèrent, " etc. Lorsque nous lisons qu’ils se saisirent de Jésus, gardons-nous de l’entendre de sa divinité, ou de croire que ce fut malgré lui, et par suite de sa faiblesse ; ils ne s’emparent de lui et ne le chargent de chaînes qu’en tant qu’il est revêtu d’un corps véritable semblable au nôtre. — Bède. Le prince des prêtres était Caïphe, qui était grand-prêtre pour cette année. — S. Aug. (de l’acc. des Evang) Cependant Jésus fut conduit premièrement chez Anne, beau-père de Caïphe, selon le récit plus circonstancié de saint Jean, et non chez Caïphe, comme le raconte saint Matthieu. Saint Marc et saint Luc ne disent pas le nom du grand-prêtre. — S. Chrys. (hom. 84 sur S. Matth,) Il fut conduit dans la maison du grand-prêtre, pour que tout se fit de son consentement et par son ordre ; car c’est là qu’ils s’étaient tous réunis pour attendre Jésus. Pierre donne ici une preuve de son ardent amour, il a vu tous les disciples prendre la fuite, et ne les a point imités : " Et Pierre le suivait de loin. " — S. Ambr. Remarquez cependant qu’il le suivait de loin, parce qu’il allait bientôt le renier ; car il n’eût pu se rendre coupable de ce crime, s’il se fût tenu plus près de Jésus-Christ. Toutefois il est digne d’éloges pour n’avoir point abandonné le Sauveur, malgré la crainte qu’il éprouvait ; cette crainte était un sentiment naturel, mais son zèle était l’effet de son amour. — Bède. Pierre, suivant de loin le Seigneur qui se dirige vers le lieu de ses souffrances, est la figure de l’Église, qui suit, il est vrai, c’est-à-dire qui doit imiter la passion du Sauveur, mais d’une manière bien différente ; car l’Église souffre pour elle-même, tandis que Jésus-Christ souffre pour l’Église.

S. Ambr. Or, on avait allumé du feu dans la maison du prince des prêtres : " Après avoir allumé du feu au milieu de la cour, ils s’assirent autour, et Pierre s’assit parmi eux. " Pierre s’approcha pour se réchauffer, parce qu’à la vue du Seigneur chargé de chaînes, la chaleur de son âme s’était déjà refroidie. — S. Aug. (serm. 124 du temps.) Pierre avait reçu les clefs du royaume des cieux, et devait avoir la charge d’une multitude innombrable de peuples encore ensevelis dans leurs péchés. Mais il avait encore quelque dureté dans le caractère, comme il le fait voir en coupant l’oreille au serviteur du grand-prêtre. Or, avec cette sévérité et cette dureté, quelle indulgence aurait-il eue pour les peuples qui devaient lui être confiés, s’il avait reçu le privilège de l’impeccabilité ? La Providence divine permit donc qu’il tombât le premier dans le péché, pour que le souvenir de sa propre chute modérât la sévérité de ses jugements à l’égard des pécheurs. Comme il était près du feu pour se chauffer, une jeune fille s’approcha de lui : " Une servante qui le vit assis devant le feu, l’ayant considéré attentivement, " etc. — S. Ambr. Pourquoi est-ce une servante qui découvre la première la présence de Pierre, alors que c’était bien plutôt aux hommes à la reconnaître ? N’est-ce point que Dieu permit que ce sexe ne se rendît coupable dans la passion du Seigneur, pour qu’il eût part aussi à la grâce de la rédemption par sa passion ? Pierre étant reconnu, renie son Maître ; je préfère voir Pierre renier Jésus, plutôt que de dire que le Seigneur s’est trompé : " Et Pierre le nia, disant : Femme, je ne le connais point. " — S. Aug. (comme précéd.) Que faites-vous, Pierre ? votre langage est tout à coup changé ; votre bouche, pleine de foi et d’amour, ne laisse plus sortir que des paroles de haine et de perfidie ? Vous n’avez encore à craindre ni violences, ni tortures ; aucun de ceux qui vous interrogent, n’a assez d’autorité pour vous faire trembler ; une femme vous fait une simple question, sans intention peut-être d’abuser de votre réponse pour vous faire connaître ; que dis-je, ce n’est pas une femme, c’est une jeune fille chargée de garder la porte, c’est une humble servante.

S. Ambr. Or, Pierre a renié Jésus, parce que sa promesse a été présomptueuse. Il ne le renie pas sur la montagne, ni dans le temple, ni dans sa maison, mais dans le prétoire des Juifs, il renie Jésus là où il est enchaîné, là où ne se trouve point la vérité. Il le renie en disant " Je ne le connais point ; " il eût été téméraire, en effet, de dire qu’il connaissait celui que l’esprit humain ne peut comprendre : " Car personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père. " (Mt 11, 47.) Bientôt il renie Jésus une seconde fois : " Un peu après, un autre le voyant, lui dit : Vous aussi, vous êtes de ces gens là. " — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Lors de ce second reniement, Pierre fut interpellé par deux personnes ; par cette servante dont parlent saint Matthieu et saint Marc, et par une autre personne, dont fait mention saint Luc. Au moment dont saint Luc dit : " Un peu après, " Pierre était déjà sorti, et le coq avait chanté pour la première fois, comme le raconte saint Marc, puis il était rentré (selon le récit de saint Jean), et se tenait devant le feu près de renier Jésus pour la seconde fois. En effet, écoutez-le : " Pierre répondit : Mon ami, je n’en suis point. " — S. Ambr. Il aime mieux se renier lui-même que de renier Jésus-Christ ; ou encore, c’est en niant qu’il soit de la société de Jésus, qu’il se renie lui-même. — Bède. Ce reniement de Pierre nous apprend qu’on ne renie pas seulement Jésus-Christ en soutenant qu’il n’est pas le Christ, mais en niant qu’on soit chrétien, lorsqu’on l’est en effet.
 

S. Ambr. La même question est répétée à Pierre une troisième fois : " Une heure environ s’était écoulée, lorsqu’un autre vint dire avec assurance : Certainement cet homme était avec lui. " — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Saint Luc précise l’intervalle qui s’écoula entre le deuxième et le troisième renoncement : " Une heure environ s’était écoulée, " intervalle dont saint Matthieu et saint Marc ne parlent qu’en ces termes généraux : " Un peu après, " saint Jean n’en fait point mention. De même saint Matthieu et saint Marc parlent au pluriel de ceux qui adressaient ces questions à Pierre, tandis que saint Luc et saint Jean ne font mention que d’un seul. Il est facile de résoudre cette contradiction apparente en disant : ou bien que saint Matthieu et saint Marc ont suivi l’usage souvent adopté de mettre le pluriel pour le singulier ; ou bien qu’un seul surtout affirmait avoir vu Pierre, et que tous les autres insistaient en s’appuyant sur son témoignage. D’un autre côté, saint Matthieu raconte qu’un de ceux qui étaient présents dit à saint Pierre : " Certainement vous êtes aussi de ces gens-là ; car votre langage même vous trahit, " et saint Jean qu’un autre lui dit également : " Est-ce que je ne vous ai pas vu dans le jardin ? " tandis que selon saint Marc et saint Luc, ils s’entretenaient de Pierre à peu près dans les mêmes termes. On peut adopter l’opinion de ceux qui croient que d’après tous les Évangélistes Pierre fut interpellé directement (car parler de lui devant lui-même, n’était-ce pas la même chose que lui parler à lui-même), ou bien qu’on s’est servi de ces deux manières de parler, et que les Évangélistes n’en ont raconté qu’une seule des deux. — Bède. On ajoute : " Car il est aussi Galiléen, " non pas sans doute que les Galiléens eussent une langue différente de celle des habitants de Jérusalem (qui étaient aussi des hébreux), mais parce que chaque province et chaque pays ayant ses usages propres, ne pouvait éviter, en parlant, l’accent qui lui était particulier.

" Pierre répondit : Mon ami, je ne sais ce que vous dites. " — S. Ambr. C’est-à-dire, je ne connais point vos discours sacrilèges. Nous cherchons à excuser Pierre, mais lui-même ne s’excusa point, c’est qu’en effet, ce n’est pas avec une réponse vague que l’on peut confesser Jésus-Christ, il faut une déclaration claire et formelle ; aussi ne peut-on dire que Pierre ait eu dessein de répondre dans ce sens, puisque bientôt le. souvenir de son reniement lui fit verser des larmes amères.

Bède. L’Écriture sainte a coutume de caractériser le mérite des faits par les différentes circonstances des temps ; ainsi Pierre, qui avait renié son divin Maître au milieu de la nuit, se repentit de son péché au chant du coq : " Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta, " le souvenir de la vraie lumière lui fait expier le crime qu’il a commis dans les ténèbres de l’oubli. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 7.) Le chant du coq se fit entendre après le triple reniement de Pierre, comme saint Marc le dit expressément. — Bède. Dans le sens figuré, ce coq représente les docteurs qui excitent les âmes languissantes et engourdies, en leur adressant ces paroles de l’Apôtre : Justes, tenez-vous dans la vigilance, et gardez-vous du péché. " (1 Co 15, 34.)

S. Chrys. (hom. 42 sur S. Jean.) Admirez la tendre sollicitude du Sauveur, il est chargé de chaînes et il veille avec amour sur son disciple, et d’un seul regard, il le touche et lui fait verser un torrent de larmes : " Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. " — S. Aug. (de l’accord des Evang.) Il faut examiner attentivement dans quel sens il faut entendre ces paroles. En effet, d’après saint Matthieu, " Pierre était assis au dehors dans la cour, " et il ne se fût pas exprimé de la sorte, si Notre-Seigneur n’eût été alors dans l’intérieur de la maison. Saint Marc, de son côté, nous dit que " Pierre était en bas, dans la cour, " paroles qui indiquent que les faits qui concernent Jésus, et font l’objet de son récit, se passaient non seulement dans l’intérieur, mais dans le haut de la maison. Comment donc le Seigneur a-t-il regardé Pierre ? Ce ne fut pas des yeux du corps, puisque Pierre alors se trouvait en dehors, dans la cour, avec ceux qui se chauffaient, pendant que tout le reste se passait dans l’intérieur de la maison. Il est donc ici question d’un regard tout divin, tel que celui qu’implorait le Psalmiste, lorsqu’il disait : " Regardez-moi, et exaucez-moi ; " (Ps 13) et encore " Tournez-vous vers moi, et délivrez mon âme ; " (Ps 6) et c’est dans ce sens qu’il faut entendre ces paroles : " Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre. " — Bède. En effet, pour Jésus, regarder, c’est faire miséricorde, et cette miséricorde nous est nécessaire non seulement pour faire pénitence, mais même pour en concevoir la résolution.
 

S. Ambr. Ceux sur lesquels Jésus daigne ainsi jeter un regard, pleurent amèrement leurs fautes : " Et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : " Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et Pierre étant sorti, pleura amèrement. " Quelle fut la cause de ses larmes ? la faute qu’il avait commise. Je lis bien que Pierre a pleuré ; je ne vois point qu’il ait cherché à s’excuser ; ses larmes effacent le crime qu’il avait honte d’avouer. Il avait renié son divin Maître une première et une seconde fois, mais sans verser de larmes, parce que le Seigneur ne l’avait pas encore regardé ; il le renie une troisième fois, Jésus le regarde, et il pleure amèrement. Si donc vous voulez mériter votre pardon, vous aussi lavez vos fautes dans vos larmes. — S. Cyr. Cependant Pierre n’osait pleurer publiquement, de peur que ses larmes ne le fissent découvrir, mais il sortit dehors pour donner un libre cours à ses larmes. Or, il pleurait non par crainte du châtiment qu’il avait mérité, mais parce qu’il avait renié son Maître bien-aimé, pensée plus accablante pour lui que tous les supplices.

 

vv. 63-71.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 6.) Tous les évangélistes ne rapportent pas dans le même ordre le reniement de Pierre, qui eut lieu pendant que le Seigneur était en butte aux outrages de ses ennemis. Saint Matthieu et saint Marc racontent d’abord ces outrages, et puis la chute de Pierre ; saint Luc suit un ordre contraire, et ce n’est qu’après le reniement de Pierre, qu’il parle de ces outrages en ces termes : " Cependant ceux qui tenaient Jésus le raillaient, " etc. — S. Chrys. Jésus, le Seigneur du ciel et de la terre, supporte et souffre les dérisions des impies, pour nous donner un sublime exemple de patience. — Théophyl. Ajoutons que le Seigneur des prophètes est l’objet de leurs moqueries comme un faux prophète.
 

" Puis lui ayant bandé les yeux, ils le frappaient au visage, " etc. — Bède. Ils lui faisaient subir cet indigne traitement, parce qu’il avait voulu se faire passer aux yeux du peuple pour un prophète. Or, ce même Jésus qui fut alors souffleté par les Juifs, est encore aujourd’hui outragé de la même manière par les blasphèmes des faux chrétiens. Ils lui bandèrent les yeux, non pour lui dérober le spectacle de leurs violences, mais pour dérober à eux-mêmes la vue de sa face adorable. C’est ainsi que les hérétiques, les Juifs et les mauvais catholiques, qui continuent de l’outrager par leur conduite criminelle, lui disent encore pour se moquer de lui : " Qui t’a frappé ? " lorsqu’ils s’imaginent qu’il ne peut connaître leurs pensées et leurs oeuvres de ténèbres.

S. Aug. (De l’accord des Evang.) Le Seigneur fut donc en butte à ces outrages pendant toute la nuit dans la maison du prince des prêtres où il avait d’abord été conduit : " Et dès qu’il fut jour, les anciens du peuple, les princes des prêtres et les scribes s’assemblèrent, et l’ayant fait amener devant eux, ils lui dirent : Si vous êtes le Christ, dites-le nous. " — Bède. Ils ne désirent point connaître la vérité, mais ils attendent sa réponse pour le calomnier. Le Christ dont ils espéraient la venue, devait être de la race de David, et ils lui font cette question, pour lui faire un crime de s’être attribué la puissance royale, s’il répondait affirmativement : " Je suis le Christ. "
 

Théophyl. Mais Jésus connaissait leurs dispositions intérieures, et il savait bien que n’ayant point voulu croire à ses oeuvres, ils se rendraient encore bien moins à ses discours : " Et il leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez pas. " — Bède. Souvent en effet, il leur avait déclaré qu’il était le Christ ; par exemple lorsqu’il leur disait : " Mon Père et moi nous sommes un, " (Jn 10) et en d’autres termes semblables : " Et si je vous interroge, vous ne me répondrez pas. " C’est ainsi qu’il leur avait demandé comment ils pouvaient dire que le Christ fût le Fils de David, puisque David inspiré l’appelait son Seigneur (cf. Mt 22, 42 ; Mc 12, 35.36 ; Lc 20, 42, etc). Or, ils n’avaient voulu ni croire à sa parole, ni répondre à ses questions, et comme ils s’attachaient à calomnier le fils de David, il leur fait entendre une vérité beaucoup plus importante : " Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. " — Théophyl. Paroles dont voici le sens : Le temps des discours et des enseignements est passé pour vous ; désormais c’est le temps du jugement, où vous me verrez, moi le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu. — S. Cyr. Lorsque la sainte Écriture nous représente Dieu comme assis, et qu’elle nous parle de son trône, elle veut exprimer qu’il est le Roi de l’univers, et qu’il a sur tous les hommes une puissance souveraine. Nous ne pouvons admettre, en effet, qu’il existe un tribunal où le Seigneur de toutes choses vienne siéger, ni que la nature divine ait une droite ou une gauche, car il n’appartient qu’aux corps d’avoir une forme, d’occuper une place, ou d’être assis. Mais comment le Fils de l’homme pourra-t-il paraître dans la même gloire et au même rang que son Père, s’il n’est pas son Fils par nature, s’il n’a pas en lui l’essence même du Père ? — Théophyl. Cette déclaration solennelle aurait dû leur inspirer une crainte salutaire, loin de là, elle ne fait que redoubler leur acharnement : " Alors ils dirent tous : Vous êtes donc le Fils de Dieu ? " — Bède. ils comprirent qu’il s’était déclaré le Fils de Dieu en disant de lui-même : " Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. " — S. Ambr. Notre-Seigneur aime mieux prouver qu’il était roi plutôt que de le dire, afin de leur ôter tout motif de le condamner, puisqu’ils étaient forcés d’avouer eux-mêmes ce dont ils lui faisaient un crime : " il répondit : Vous le dites, je le suis. " — S. Cyr. A ces paroles, toute la troupe des pharisiens entre en fureur, et l’accuse de blasphème : " Et ils repartirent : Qu’avons-nous besoin d’autre témoignage ? nous l’avons entendu nous-mêmes de sa propre bouche. " — Théophyl. Cette conduite des Juifs nous montre que les esprits rebelles ne tirent aucun avantage des mystères qui leur sont révélés, mais qu’ils n’en deviennent que plus coupables, aussi vaut-il mieux les leur laisser ignorer.
 

 

CHAPITRE XXIII

vv. 1-5.

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 7.) Saint Luc ayant achevé le récit du reniement de Pierre, résume tout ce que le Sauveur eut à souffrir vers le matin, en rapportant quelques circonstances que les autres évangélistes ont passées sous silence, et il poursuit son récit en racontant les mêmes faits que les autres : " Toute l’assemblée s’étant levée, ils le menèrent à Pilate, " etc. — Bède. C’est ainsi que s’accomplit cette prophétie de Jésus sur sa mort : " il sera livré aux Gentils, " c’est-à-dire, aux Romains, car Pilate était romain, et c’était l’empereur romain qui l’avait nommé gouverneur de la Judée. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 8.) Saint Luc raconte ensuite ce qui se passa chez Pilate : " Et ils commencèrent à l’accuser en disant : Nous avons trouvé cet homme pervertissant notre nation, " etc. Saint Matthieu et saint Marc n’ont point fait mention de cette circonstance, bien qu’ils disent qu’ils portaient contre le Sauveur diverses accusations, tandis que saint Luc précise l’objet de ces fausses accusations.

Théophyl. Évidemment, ces accusations sont contraires à la vérité. Loin de défendre, le Sauveur a bien plutôt recommandé de payer le tribut. Pour quel motif d’ailleurs aurait-il cherché à soulever le peuple ? Est-ce pour se faire roi ? Mais qui pourrait le croire, lorsqu’on le voit se dérober par la fuite à la multitude qui voulait le choisir pour roi. — Bède. Les ennemis de Jésus formulaient surtout contre lui deux griefs : qu’il défendait de payer le tribut à César, et qu’il se disait le Christ-roi. Or, il put très-bien se faire que Pilate lui-même eût appris que le Sauveur enseignait formellement : " Rendez à César ce qui est à César ; " aussi sans s’arrêter à cette accusation qu’il regardait comme un mensonge flagrant des Juifs, il crut ne devoir l’interroger que sur ce qu’il ignorait, c’est-à-dire, sur ce que Jésus avait pu dire de sa royauté : " Pilate l’interrogea donc en lui disant : Êtes-vous le roi des Juifs ? " — Théophyl. Pilate, je crois, fait cette question à Jésus-Christ, par dérision pour ces Juifs hypocrites, qui l’accusent d’un crime si peu vraisemblable. Comment semble-t-il lui dire, vous qui êtes pauvre, méprisé, dénué de tout, sans appui ; on vous accuse d’aspirer à la royauté, qu’on ne peut obtenir qu’à l’aide d’une multitude de partisans et d’immenses richesses ? — Bède. Jésus fait au gouverneur la même réponse qu’aux princes des prêtres, pour qu’il soit condamné aussi par son propre aveu : " Jésus lui répondit : Vous le dites. "

Théophyl. Les Juifs voyant l’inutilité de leurs calomnies, ont recours aux cris et aux vociférations : " Mais redoublant leurs instances, ils dirent : Il soulève le peuple, répandant sa doctrine dans toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici. " C’est-à-dire, il soulève le peuple, non seulement dans une partie du pays, mais depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici où il est venu en traversant la Judée. C’est avec dessein qu’ils font mention de la Galilée, ils veulent réveiller les craintes de Pilate, car les Galiléens étaient schismatiques et amateurs de nouveautés, tel que fut Judas le Galiléen, dont il est parlé dans le livre des Actes (Ac 5, 37). — Bède. Mais en parlant de la sorte, ils s’accusent eux-mêmes au lieu d’accuser Jésus, car ce n’est point un crime, mais un acte et une preuve de vertu que d’avoir par ses enseignements, fait sortir ce peuple de sa trop longue torpeur et parcouru toute la terre promise, en y produisant de semblables effets. — S. Ambr. Devant ces accusations, Notre-Seigneur se tait, parce qu’il n’a pas besoin de défense. Que ceux-là cherchent des défenseurs, qui craignent à bon droit de perdre leur cause. Il ne confirme donc point ces accusations par son silence, mais il les dédaigne comme indignes d’être réfutées. Que craindrait-il d’ailleurs, lui qui ne désire point échapper à la mort qu’on lui prépare ? Lui, le Sauveur de tous, abandonne le soin de son propre salut pour ne s’occuper que du salut de tous les hommes.

 

vv. 6-12.

Bède. Pilate, convaincu qu’il ne peut ni interroger, ni condamner le Sauveur, sur les accusations portées contre lui, saisit avec empressement l’occasion qui lui est offerte, d’échapper à la responsabilité du jugement de Jésus : " Pilate, entendant nommer la Galilée, demanda si cet homme était Galiléen. " Il craint d’être obligé de prononcer une sentence de mort contre un homme innocent à ses yeux, et qui n’est accusé, il le sait, que par la noire envie de ses ennemis ; il le renvoie donc au tribunal d’Hérode, pour être absous ou condamné par le tétrarque qui gouvernait son pays : " Et dès qu’il sut qu’il était de la juridiction d’Hérode, il le renvoya à ce prince qui se trouvait lui-même à Jérusalem en ces jours-là. " — Théophyl. Il se conforme en cela aux prescriptions de la loi romaine, d’après laquelle chacun devait être jugé par son prince naturel.

S. Grég. (Moral., 10, 17.) Or, Hérode voulut s’assurer de la renommée de Jésus-Christ, et il désirait lui voir opérer quelque prodige : " Hérode eut une grande joie de voir Jésus, " etc. — Théophyl. Ce n’est pas qu’il voulut tirer quelque utilité de la présence du Sauveur, mais il avait la passion des nouveautés, et il s’attendait à voir un homme extraordinaire dont il avait entendu vanter la sagesse et les prodiges : " Car il avait entendu raconter beaucoup de choses de lui, et il espérait lui voir faire quelque miracle. " Il voulait aussi savoir ce qu’il lui dirait, et dans ce dessein il l’interroge sur le ton de la dérision et de la raillerie : " Il lui fit donc beaucoup de questions. " Mais Jésus, dont toute la conduite est dirigée par une raison souveraine, et qui, au témoignage de David, règle tous ses discours avec prudence et jugement (Ps 111, 5), crut plus utile pour Hérode de garder le silence dans cette circonstance. En effet, tout discours adressé à celui qui n’en fait aucun profit, devient pour lui une cause de condamnation : " Mais Jésus ne lui répondit rien. " — S. Ambr. Jésus se tait et ne fait aucun miracle, parce qu’Hérode n’avait pas la foi qui mérite d’avoir des miracles, et que lui-même fuyait toute ostentation. Peut-être aussi, Hérode est-il la figure de tous les impies, qui ne peuvent voir et comprendre les miracles de Jésus-Christ, racontés dans l’Évangile, qu’à la condition de croire à la loi et aux prophètes. — S. Grég. (Moral., 22, 42.) Cette conduite de Jésus nous apprend à garder nous-mêmes un silence absolu, toutes les fois que nos auditeurs témoignent le désir de nous entendre pour faire l’éloge de nos discours plutôt que pour corriger leurs vices, de peur qu’en annonçant la parole de Dieu par un motif de vaine gloire, nos discours n’aient d’autre résultat que de nous rendre coupables, sans avoir rendu les autres meilleurs. Or, nous pouvons reconnaître à plusieurs signes les intentions douteuses de ceux qui nous écoutent, mais surtout lorsque nous les voyons louer sans cesse ce qu’ils entendent, sans jamais mettre en pratique les enseignements dont ils font l’éloge.
 

S. Grég. (Moral., 10, 17.) Notre-Seigneur ne répond à aucune des questions qui lui sont adressées, il dédaigne d’opérer les prodiges qu’on attend de lui, il se recueille dans l’intérieur de son âme, et laisse dehors sans leur accorder aucune grâce, ceux qu’il voit ne rechercher que ce qui frappe les sens, il préfère le mépris public des orgueilleux aux louanges stériles de ceux qui refusent de croire en lui : " Cependant les princes des prêtres et les scribes étaient là, l’accusant avec opiniâtreté. Or, Hérode, avec sa cour, le méprisa, et l’ayant par dérision revêtu d’une robe blanche, il le renvoya. " — S. Ambr. Ce n’est pas sans un dessein mystérieux que Jésus est revêtu par Hérode d’une robe blanche, le symbole de sa mort innocente et le signe glorieux de l’agneau sans tache, qui devait expier les péchés du monde.

Théophyl. Cependant, considérez comme le démon est pris et entravé dans ses propres filets. Il multiplie contre Jésus-Christ les dérisions et les outrages, qui prouvent jusqu’à l’évidence qu’il n’est point coupable de sédition, car on ne se serait pas contenté de se moquer de lui, s’il avait soulevé contre l’autorité, ce peuple qui aimait tant les nouveautés. Ce renvoi de Jésus, de Pilate à Hérode, devint pour eux une occasion de rapprochement, Pilate voulant ainsi prouver à Hérode qu’il n’usurpait point la juridiction sur ses propres sujets : " Et ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent amis, car auparavant ils étaient ennemis l’un de l’autre. " Voyez comme le démon sait réunir ceux qui sont le plus divisés, pour arriver à consommer la mort de Jésus-Christ. Rougissons donc nous-mêmes, si, dans l’intérêt de notre propre salut, nous ne savons pas conserver l’union avec nos amis.

S. Ambr. Dans un sens figuré, Hérode et Pilate, qui se réconcilièrent à l’occasion de Jésus-Christ, représentent jusqu’à un certain point le peuple juif et le peuple des Gentils, qui devaient aussi se réconcilier entre eux par la passion du Seigneur, en suivant néanmoins cet ordre que les Gentils recevraient les premiers la parole de Dieu, et feraient ensuite entrer en participation de leur foi et de leur charité, les Juifs qui revêtiraient aussi de gloire et de majesté le corps de Jésus-Christ, objet autrefois de leurs mépris. — Bède. Ou encore, la réconciliation d’Hérode et de Pilate signifie que les Gentils et les Juifs, si différents d’origine, de religion et de sentiments, se réuniront et se ligueront pour persécuter les chrétiens.

 

vv. 13-25.

S. Aug. (Quest. Evang., 3, 8.) Saint Luc revient aux événements qui se passèrent chez le gouverneur et dont il avait interrompu le récit pour raconter ce qui arriva chez Hérode : " Pilate, ayant assemblé les princes des prêtres, " etc. Nous voyons par là que cet Évangéliste a passé sous silence la demande que Pilate fit au Seigneur de répondre à ses accusateurs (Mt 27, 13 ; Mc 15, 4).

S. Ambr. Pilate reconnaît judiciairement l’innocence du Sauveur, et il le crucifie par un acte arbitraire de son autorité. Jésus est envoyé à Hérode, qui le renvoie à Pilate : " Je n’ai trouvé en lui aucun des crimes dont vous l’accusez, ni Hérode non plus, car je vous ai renvoyés à lui, et on ne l’a convaincu de rien qui mérite la mort. " Ainsi tous deux s’accordent à proclamer son innocence, et cependant, par un lâche sentiment de crainte, Pilate se rend aux désirs sanguinaires d’un peuple cruel.

Théophyl. Jésus est donc déclaré innocent par le témoignage de ces deux hommes, tandis que les Juifs qui l’accusent, ne peuvent produire aucun témoin digne de foi. Voyez quelle est la puissance de la vérité, Jésus se tait, et ses ennemis lui rendent témoignage ; les Juifs demandent sa mort à grands cris, et personne ne vient appuyer leurs vociférations sanguinaires. — Bède. Périssent donc ces écrits qui ont été composés si longtemps après contre Jésus-Christ, ils n’ont pu réussir à prouver que le Sauveur avait été accusé de magie au tribunal de Pilate, mais ils démontrent jusqu’à l’évidence que ceux qui les ont composés sont coupables au tribunal de Dieu de perfidie et de mensonge.

Théophyl. Pilate donc lâche et timide et sans fermeté pour la défense de la vérité, parce qu’il craint d’être lui-même accusé, ajoute : " Je le renverrai donc après l’avoir fait châtier. " — Bède. Paroles dont voici le sens : Je l’accablerai de coups, je le couvrirai d’ignominie, tant que vous le voudrez, pourvu que vous cessiez d’avoir soif du sang innocent. " Or, il était obligé de leur accorder la délivrance d’un prisonnier à la fête de Pâques. " Cette nécessité lui était imposée, non par une disposition d’une loi impériale, mais par la coutume annuelle dont la nation juive était en possession, et qu’il observait fidèlement pour leur être agréable. — Théophyl. En effet, les Romains avaient permis aux Juifs de vivre selon leurs lois et leurs rites particuliers. Or, c’était une coutume nationale parmi les Juifs de demander à celui qui les gouvernait la grâce des condamnés, c’est ainsi que nous les voyons, demander à Saül la grâce de Jonathas. (1 R 14, 45.) Or, voici la demande qu’ils firent à Pilate : " La foule entière s’écria : Faites mourir celui-ci et donnez-nous Barabbas ". — S. Ambr. Il est juste qu’ils sollicitent la grâce d’un homicide, eux qui demandaient avec tant d’instance la mort d’un innocent, telles sont les lois auxquelles obéit l’iniquité, l’affection du crime est acquise à ce que l’innocence a en horreur. Le nom de ce grand criminel a d’ailleurs une signification symbolique : Barabbas veut dire en latin fils du père. Or, ce sont ceux à qui Jésus a dit : " Vous êtes les enfants du démon, " que nous voyons donner la préférence au fils de leur père, c’est-à-dire à l’Antéchrist sur le vrai Fils de Dieu. — Bède. Les Juifs sont encore aujourd’hui victimes de cette indigne préférence. Sur le choix qu’il leur fut donné, ils ont préféré à Jésus un voleur, au Sauveur un assassin, et ils ont mérité par là de perdre à la fois le salut et la vie, et ils se sont livrés à tant de brigandages et de séditions. qu’ils se sont vu enlever leur patrie et leur royaume. — Théophyl. C’est ainsi que cette nation autrefois sainte s’acharne à de— mander la mort de l’innocent, tandis que Pilate, païen d’origine s’oppose à ce désir sanguinaire : " Pilate leur parla de nouveau, dans le désir qu’il avait de délivrer Jésus. Mais ils redoublaient leurs clameurs, en disant : Crucifiez-le, crucifiez-le. " — Bède. Ils demandent que l’innocent meure de la mort la plus affreuse, c’est-à-dire de la mort de la croix. En effet, les crucifiés attachés au bois de la croix par des clous qui leur perçaient les pieds et les mains, étaient condamnés à mourir d’une mort lente pour prolonger plus longtemps leurs souffrances. Mais le Seigneur avait choisi cette mort de la croix, parce qu’il voulait, après avoir triomphé du démon, placer cette croix sur le front des fidèles comme un trophée de sa victoire.

Théophyl. Pilate proclame une troisième fois l’innocence de Jésus : " Pour la troisième fois Pilate leur dit : Qu’a-t-il donc fait de mal ? Je ne trouve rien en lui qui mérite la mort. Je vais donc le faire châtier et je le renverrai. " — Bède. Nous lisons dans l’Évangile selon saint Jean, que Pilate ne se contenta pas de proposer aux Juifs pour leur être agréable, de châtier Jésus, espérant désarmer ainsi leur acharnement à demander sa mort, mais qu’après l’avoir fait flageller, il le leur présenta comme un objet de dérision. Alors les Juifs, voyant que tout le système d’accusations qu’ils avaient dressé contre Jésus ne pouvait tenir contre la persistance de Pilate à le déclarer innocent, n’ont plus recours qu’à la prière, et demandent avec instance qu’il soit crucifié. — Théophyl. Ils renouvellent trois fois leurs cris de mort contre Jésus-Christ, pour constater par ce triple cri que cette mort du Sauveur est bien leur oeuvre, et qu’ils l’ont obtenue violemment par leurs demandes répétées : " Alors Pilate ordonna que ce qu’ils demandaient fût exécuté. Il leur délivra, selon leur désir, celui qui avait été mis en prison pour cause de meurtre et de sédition, et il abandonna Jésus à leur volonté. " — S. Chrys. Ils croyaient ainsi pouvoir persuader que Jésus était mille fois pire que ce voleur, et tellement coupable que ni la compassion, ni l’occasion privilégiée de la fête n’avaient pu déterminer à lui rendre ta liberté.

 

vv. 26-32.

La Glose. Après le récit de la condamnation de Jésus vient naturellement celui de son crucifiement : " Or, comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs et le chargèrent de la croix, la lui faisant porter après Jésus. " — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 10.) Saint Jean raconte que Jésus portait lui-même sa croix, ce qu’il faut entendre du moment où il sortait pour aller au lieu dit du Calvaire, et que dans le chemin, ils requirent Simon pour la porter jusqu’à ce lieu. — Théophyl. Personne, en effet, n’eût consenti à porter la croix, qu’on regardait comme un bois infâme et maudit, c’est pour cela qu’ils imposèrent à Simon l’humiliation forcée de se charger de cette croix que tous les autres refusaient de porter. Ainsi fut accomplie la prophétie d’Isaïe : " Il portera sur ses épaules le signe de sa puissance. (Is 9.) En effet, sa croix est vraiment le signe de sa puissance, et c’est à cause de sa croix que Dieu l’a élevé si haut. (Ph 2.) Vous voyez les uns porter comme marque de leur dignité un riche baudrier, les autres une tiare ou un diadème ; quant au Sauveur, la marque de sa dignité, c’est sa croix. Et si vous voulez bien y réfléchir, vous verrez que Jésus n’établit en nous son royaume que par les souffrances ; aussi ceux qui recherchent les délices de la vie sont ennemis de la croix de Jésus-Christ.

S. Ambr. Jésus portant sa croix, est comme un vainqueur qui porte déjà le trophée de sa victoire ; la croix est placée sur ses épaules, soit en effet qu’il l’ait portée lui-même, ou que Simon en ait été chargé, c’est toujours le Christ qui la porte dans l’homme, de même que l’homme la porte dans la personne du Christ. Il n’y a point ici de contradiction dans le récit des évangélistes, puisque la signification mystérieuse est la même. L’ordre de notre progrès dans la perfection demandait que Jésus dressât d’abord lui-même le trophée de sa croix, et qu’il le transmît aux martyrs pour le porter après lui. Or, ce n’est pas un Juif qui porte la croix, mais un étranger et un voyageur, et il ne marche pas devant Jésus, mais se contente de le suivre, selon la parole du Sauveur : " Qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. "

Bède. Simon veut dire obéissant, et Cyrène, signifie héritier ; cet homme est donc la figure du peuple des nations, qui autrefois était complètement étranger aux alliances (Ep 2, 12), et qui maintenant est devenu par son obéissance héritier de Dieu. C’est en revenant de la maison des champs, que Simon porte la croix après Jésus, figure en cela des Gentils qui commencent par renoncer aux superstitions du paganisme pour suivre avec obéissance les traces de la passion du Sauveur, car maison des champs se dit en grec ????? (pagos), d’où les païens ont tiré leur nom. — Théophyl. Ou encore : Celui qui porte la croix de Jésus-Christ revient des champs, c’est-à-dire se sépare du monde et de ses oeuvres, pour se diriger vers Jérusalem, c’est-à-dire vers la liberté des cieux. Notre-Seigneur nous donne encore ici une importante leçon, c’est que celui qui est à son exemple le mettre de ses frères, doit commencer aussi par porter sa croix et crucifier sa propre chair par la crainte de Dieu, avant d’en charger ceux qu’il instruit et qu’il dirige.

" Cependant Jésus était suivi d’une grande multitude de peuple, et de femmes qui pleuraient et se lamentaient sur lui. " Une grande multitude suit la croix de Jésus-Christ, mais avec des dispositions bien différentes ; le peuple qui a demandé et obtenu qu’il fût crucifié, veut rassasier ses yeux du spectacle de sa mort, tandis que les pieuses femmes au contraire le suivent pour répandre des larmes sur lui. Si l’Evangéliste remarque que les femmes seules le suivaient en pleurant, ce n’est pas que dans cette multitude innombrable d’hommes, il ne s’en trouvât aussi qui ne fussent profondément affligés de sa passion, mais parce que les femmes attirant moins l’attention, pouvaient donner un cours plus libre à leurs sentiments. — S. Cyr. D’ailleurs, les femmes sont naturellement portées aux larmes, et leur âme est plus accessible à la compassion.

Théophyl. Ces femmes sont aussi la figure de la grande multitude des Juifs qui devait un jour suivre la croix et embrasser la foi. La femme signifie aussi l’âme pécheresse qui, brisée par la contrition verse les larmes du repentir, et marche à la suite de Jésus affligé pour notre salut. Les femmes pleuraient donc par compassion. Cependant il ne faut point pleurer sur celui qui marche volontairement au-devant des souffrances, mais bien plutôt applaudir à son généreux dessein ; aussi Notre-Seigneur défend-t-il à ces femmes de pleurer " Jésus, se tournant vers elles, leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi. " — Bède. Né pleurez pas sur moi dont la prompte résurrection va bientôt briser les liens de la mort, dont la mort a triomphé de la mort et détruit l’auteur même de la mort. Remarquez que le Sauveur les appelle : " Filles de Jérusalem, " parce qu’aux femmes qui l’avaient suivi de la Galilée, s’étaient jointes celles de la ville de Jérusalem qui s’étaient attachées à lui.
 

Théophyl. Il engage ces femmes qui pleurent sur lui, à porter leurs regards sur les calamités qui les menacent, et à pleurer sur elles-mêmes : " Mais pleurez sur vous mêmes. " — S. Cyr. Il leur fait pressentir que bientôt les femmes seront privées de leurs enfants, car lorsque la guerre viendra fondre sur la Judée, tous sans distinction en seront victimes, grands et petits : " Car voici que viendront des jours où l’on dira : heureuses les stériles, " etc. — Théophyl. C’est-à-dire ces jours où des mères dénaturées feront cuire leurs propres enfants et que leurs entrailles recevront de nouveau le fruit malheureux qui en était sorti. — Bède. Il prédit ici le siége de Jérusalem par les Romains, et le temps de la captivité dont il avait dit précédemment : " Malheur aux femmes qui seront grosses ou qui nourriront ! " Lorsqu’on est envahi par un ennemi qui doit vous entraîner en captivité, il est naturel de chercher dans les montagnes on dans les lieux inaccessible, un refuge assuré. C’est le sens qu’on peut donner à ces paroles : " Alors il commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous. " Josèphe nous raconte en effet, qu’aux approches de l’armée romaine, les Juifs s’enfuirent précipitamment dans les cavernes et les antres creusés dans le flanc des collines et des montagnes. Ces paroles : " Heureuses les stériles, " peuvent aussi s’entendre des chrétiens des deux sexes qui ont embrassé volontairement la chasteté pour le royaume des cieux, et celles qui suivent : " Montagnes, tombez sur nous, collines, couvrez-nous, " peuvent être mises sur les lèvres de ceux à qui le souvenir de leur fragilité fait chercher du secours, au fort de la tentation, dans les exemples, les leçons, et les prières des hommes d’une perfection éminente.

" Car si l’on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? " — S. Grég. (Moral., 12, 4.) Notre-Seigneur se compare au bois vert et nous au bois sec, parce qu’il avait en lui la sève de la puissance divine, tandis que nous, qui n’avons que la faible humanité en partage, nous ressemblons au bois sec. — Théophyl. Voici le sens de ces paroles : Si les Romains se sont portés à de tels excès de cruauté sur moi, arbre toujours vert et fécond, que ne feront-ils pas contre vous, c’est-à-dire, contre ce peuple qui est comme un bois sec, privé de toute sève vivifiante et qui n’a jamais produit aucun fruit ? — Bède : Ou encore, c’est à tous que le Sauveur s’adresse et dit : Si moi qui n’ai point commis de péché, qui suis appelé l’arbre de vie, je ne puis sortir de ce monde sans passer par le feu de ma passion, quels, pensez-vous, seront les tourments réservés à ces arbres tombés qui n’ont jamais porté de fruits ?

Théophyl. Pour noircir dans l’esprit du peuple la réputation du Sauveur, le démon porte ses ennemis à croiser avec lui deux voleurs : " On menait aussi avec lui deux voleurs pour les faire mourir. "

 

v. 33.

S. Athan. Notre-Seigneur a livré son corps aux souffrances et à la mort, là où le genre humain a perdu son intégrité première, afin que l’incorruptibilité prit naissance là où la corruption avait comme été semée, et c’est pour cette raison qu’il veut être crucifié sur le mont du Calvaire : " Et lorsqu’ils furent arrivés au lieu qui est appelé Calvaire, ils le crucifièrent. " Les docteurs des Juifs disent que c’est sur cette montagne que se trouvait le tombeau d’Adam. — Bède. Ou encore, il y avait hors des portes de la ville, des lieux affectés au supplice des criminels, qui devaient avoir la tête tranchée, d’où leur venait le nom de lieu du Calvaire (c’est-à-dire, des décapités), et le Sauveur a voulu être crucifié comme un coupable au milieu des coupables, pour le salut de tous les hommes, afin que la grâce surabondât là où le péché avait abondé. (Rm 5, 20.)
 

S. Cyr. Ce n’est point dans sa nature divine et en tant que Dieu, mais dans sa nature humaine et en tant qu’homme, que le Fils unique de Dieu a souffert ces tourments corporels, car tel est le langage qu’il convient de tenir à l’égard de la personne du Fils de Dieu, c’est qu’il n’a pas souffert comme Dieu, mais qu’il a souffert comme homme. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Si au contraire, après avoir vécu sur la terre au milieu des hommes, il eût disparu subitement sans passer par la mort, on l’eût regardé comme un fantôme. De même donc que pour prouver qu’un vase quelconque est à l’épreuve du feu, et d’une nature incombustible, on le jette dans les flammes pour l’en retirer complètement intact ; ainsi le Verbe de Dieu, voulant prouver que le corps dont il s’est servi pour le salut du genre humain est supérieur à la mort, l’a livré à la mort pour montrer sa nature, puis, presque aussitôt, l’a délivré de la mort par la vertu de sa divine puissance. Telle est la première raison de la mort de Jésus-Christ ; la seconde est de faire ressortir la puissance divine qui habite dans son corps comme dans un temple. Dans l’antiquité, on déifiait les hommes qui avaient subi la loi commune de la mort, et on leur décernait le nom de héros et de dieux ; mais Jésus a voulu nous enseigner que celui-là seul méritait d’être proclamé vrai Dieu après sa mort, qui avait triomphé de la mort, et s’était revêtu des glorieux trophées de sa victoire. La troisième raison de sa mort, a été d’immoler une victime digne pour le salut du genre humain tout entier, une victime dont l’immolation détruisit la puissance des démons et anéantit toutes les erreurs. Une quatrième raison enfin, était de rendre ses disciples témoins de sa résurrection, de ranimer ainsi leur foi, de relever leur espérance, et de les préparer à marcher avec joie au combat contre toutes les erreurs, sans craindre la mort.
 

S. Chrys. Ce n’est point sa propre mort que le Sauveur est venu détruire (puisque étant la vie il ne pouvait être soumis à la mort), mais il est venu détruire la mort à laquelle l’homme était condamné ; aussi la séparation de son âme d’avec son corps a été l’effet, non d’une mort qui lui fut propre, mais du supplice cruel que les hommes lui ont fait souffrir. Si son corps eût été en proie aux maladies, et qu’on l’eût vu se dissoudre et se détruire comme dans les autres hommes, on eût, trouvé étrange que celui qui guérissait les infirmités des autres, ne pût en garantir son propre corps. Si au contraire il eût quitté secrètement son corps sans être atteint d’aucune maladie, et l’eût fait venir ensuite de nouveau, on n’eût pas voulu croire aux preuves de sa résurrection, car la résurrection doit nécessairement être précédée de la mort. Pourquoi d’ailleurs prêcher publiquement sa résurrection, après qu’il aurait tenu sa mort secrète ? Si les circonstances de sa passion s’étaient passées dans l’ombre, que de calomnies l’incrédulité n’eût-elle pas inventées ? Comment aurait-on pu savoir la victoire de Jésus-Christ sur la mort, s’il ne l’avait soufferte au grand jour, et s’il n’eût ainsi rendu publique sa défaite par l’incorruptibilité de son corps ? Mais, me direz-vous, il aurait dû au moins trouver une mort glorieuse pour échapper aux ignominies de la croix. S’il eût agi ainsi, il aurait excité les justes soupçons que sa puissance ne s’étendait pas sur toute espèce de mort. De même donc qu’un athlète qui terrasse l’adversaire que lui oppose son ennemi, fait ressortir la supériorité incontestable de sa force sur tous les autres ; ainsi celui qui est la vie de tous les hommes, a voulu souffrir la mort ignominieuse de la croix, que ses ennemis lui ont fait souffrir comme la plus cruelle et la plus infâme, pour détruire complètement, par le triomphe de sa résurrection l’empire universel de la mort. On ne lui coupe point la tête comme à Jean-Baptiste, son corps n’est pas scié comme celui d’Isaïe, mais il veut que ce corps reste entier et indivisible jusque dans la mort, pour ne point donner un prétexte à ceux qui voudraient un jour mettre la division dans l’Église. Il voulait encore porter la malédiction que nos péchés avaient attirée sur nous, en subissant une mort qui était maudite, la mort de la croix, selon cette parole : " Maudit de Dieu est l’homme qui est suspendu au bois. " (Dt 21, 23) Il meurt aussi les bras étendus sur la croix, pour attirer d’une main le peuple ancien, et de l’autre le peuple des Gentils, et ne plus faire des deux qu’un seul peuple. Il meurt encore sur la croix pour purifier l’air souillé par la présence des démons, et nous ouvrir la voie qui conduit au ciel. — Théophyl. C’est par le bois que la mort était entrée dans le monde, c’est par le bois qu’elle devait en être chassée, et le Seigneur devait passer, sans en être victime par les douleurs du bois de la croix pour expier la volupté produite par le fruit de l’arbre du paradis.
 

S. Grég. de Nysse. (Disc. 1 sur la résurrect. de Jésus-Christ) La forme de la croix, dont les quatre extrémités partent d’un même centre, signifie que la vertu et la puissance de celui qui y est attaché s’étendent partout. — S. Aug. (De la grâce de l’Anc. et du Nouv. Test.) Ce n’est pas sans raison que Jésus a choisi ce genre de mort ; il a voulu nous enseigner quelle est cette largeur, cette longueur, cette hauteur, cette profondeur dont parle l’Apôtre. (Ep 3, 18.) La largeur est dans la partie de la croix qui est en travers, elle désigne les bonnes oeuvres, parce que les mains y sont attachées ; la longueur est dans la partie du bois qui descend du haut jusqu’à terre, c’est là qu’elle trouve son point d’appui, c’est-à-dire, sa fermeté et de sa persévérance, qui sont le fruit de la patience ; la hauteur est cette partie de la croix qui part du centre et s’étend vers le haut, c’est-à-dire, vers la tête du crucifié, parce que la véritable espérance tend vers le ciel ; enfin la partie du bois de la croix qui, enfoncée dans la terre, ne parait point et soutient tout le reste, représente la profondeur de la grâce que Dieu nous donne gratuitement.
 

S. Chrys. Ils crucifièrent aussi avec lui deux voleurs, pour l’associer à leurs crimes dans l’opinion publique : " Ils le crucifièrent, et les voleurs aussi, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche ; mais il en fut tout autrement ; ces voleurs sont maintenant oubliés, tandis que la croix de Jésus reçoit partout des honneurs. Les rois déposent leurs couronnes et mettent la croix sur leur pourpre royale, sur leurs diadèmes, sur leurs armes, la croix brille sur les saints autels dans tout l’univers. Il n’en est pas ainsi des choses humaines, tant que vivent ceux qui ont fait des actions d’éclat, leurs oeuvres sont exaltées, mais à peine sont-ils morts, que le souvenir en périt avec eux. Pour Jésus-Christ, c’est tout le contraire ; avant sa croix, ce n’est que tristesse profonde, mais après sa croix tout est triomphe, tout est gloire, pour vous apprendre que ce crucifié n’était pas seulement un homme. — Bède. Les deux voleurs crucifiés avec Jésus-Christ figurent les chrétiens qui soutiennent les combats sanglants du martyre, ou ceux qui embrassent les obligations d’une chasteté plus parfaite ; ceux qui pratiquent cette perfection en vue de la gloire éternelle, sont représentés par le voleur de droite, et ceux qui n’agissent que par un motif de vaine gloire, imitent la conduite du voleur de gauche.

 

vv. 34-37.

S. Chrys. Notre-Seigneur pratique sur la croix le commandement qu’il nous a donné : " Priez pour ceux qui vous persécutent. " (Mt 5.) " Et Jésus disait : Mon Père, pardonnez-leur. " S’il fait cette prière, ce n’est pas qu’il ne pût leur pardonner lui-même, mais il voulait par son exemple autant que par ses paroles, nous enseigner à prier pour nos persécuteurs. Or, il dit pardonnez-leur, mais à la condition qu’ils se repentiront, car Dieu est plein de miséricorde pour les vrais pénitents qui prennent la généreuse résolution d’effacer par la foi les longues iniquités de leur vie. — Bède. Gardons-nous de croire que la prière du Sauveur ait été sans effet, elle a eu toute son efficacité pour ceux qui, après sa passion, crurent en lui. Remarquons encore qu’il n’a point prié pour ceux qui, tout en reconnaissant qu’il était le Fils de Dieu, ont mieux aimé le crucifier que le confesser hautement ; mais pour ceux qui, égarés par un zèle qui n’était pas selon la science, ne savaient pas ce qu’ils faisaient, comme il le dit expressément : " Car ils ne savent ce qu’ils font. " — Chaîne des pèr. gr. Quant à ceux qui persévèrent dans leur incrédulité, depuis que Jésus-Christ a été crucifié, qu’ils n’espèrent point pouvoir s’excuser sur leur ignorance, alors que d’éclatants miracles ont proclamé hautement sa divinité.
 

S. Ambr. Mais il importe de considérer dans quel état Jésus monte sur la croix ; je le vois entièrement dépouillé de ses vêtements, tel doit être celui qui veut triompher du monde, il ne doit rechercher ni les biens ni les consolations du siècle. Adam fut vaincu par le démon, et se couvrit de vêtements ; Jésus se dépouille de ses vêtements, et triomphe de l’ennemi du salut, il monte sur la croix tel que Dieu a formé l’homme dès l’origine. C’est dans cet état que le premier Adam habita le paradis terrestre, c’est dans le même état que le second Adam entre dans le paradis des cieux. Ce n’est pas sans raison qu’avant de monter sur la croix, il se dépouille de ses vêtements, il voulait nous apprendre que c’est en tant qu’homme qu’il a souffert, et non comme Dieu, bien que le Christ soit l’un et l’autre. — S. Athan. (disc. sur la pass. du Seig.) Celui qui, par amour pour nous, s’était soumis à toutes les conditions de notre nature, se couvrit aussi de nos vêtements (signes de la mortalité d’Adam), pour s’en dépouiller ensuite, et nous revêtir en échange de la vie et de l’incorruptibilité.
 

" Partageant ensuite ses vêtements, ils les jetèrent au sort. " Peut-être plusieurs d’entre eux en avaient besoin, ou plutôt c’est par dérision et pour lui faire outrage qu’ils agirent de la sorte, car de quel prix pouvaient être les vêtements du Sauveur. — Bède. Le sort parait être ici le symbole de la grâce de Dieu ; car quand on consulte le sort, on ne tient aucun compte des personnes ou du mérite, on abandonne tout au secret jugement de Dieu. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 3, 12.) Les trois premiers évangélistes (Mt 25, 35 ; Mc 5, 24) rapportent sommairement cette circonstance qui se trouve plus détaillée dans l’évangile selon saint Jean. (Jn 19, 23.)
 

Théophyl. C’est donc par dérision qu’ils tirent au sort les vêtements du Sauveur. Or que devait faire le peuple en voyant les chefs de la nation donner l’exemple de ces railleries outrageantes ? " Et le peuple était là (ceux qui avaient demandé qu’il fût crucifié), attendant (quelle serait la fin), et les membres du grand conseil le raillaient aussi bien que le peuple. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 3.) Sous le nom de princes, en général, sans ajouter : des prêtres, l’Évangéliste comprend tous les premiers de la nation, soit les scribes, soit les anciens. — Bède. Ils sont forcés de reconnaître malgré eux que Jésus a sauvé les autres : " Il a sauvé les autres, disent-ils, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu. " — S. Athan. Le Seigneur Jésus, qui est le Sauveur véritable, voulait être reconnu en cette qualité, non en se sauvant lui-même, mais en délivrant ses créatures. Un médecin ne fait point connaître son talent médical en se guérissant lui-même, mais en appliquant sa science aux maladies des autres ; ainsi Notre-Seigneur qui était aussi notre Sauveur, n’avait pas besoin d’être sauvé, il voulait être reconnu pour Sauveur, non pas en descendant de la croix, mais en mourant sur la croix ; car en mourant sur la croix, il a sauvé bien plus efficacement les hommes, qu’il n’aurait pu le faire en descendant de la croix.
 

Chaîne des Pères grecs. Le démon, se voyant forcé dans tous ses retranchements, ne savait plus que faire, et en désespoir de cause, il fait présenter du vinaigre à boire au Sauveur : " Les soldats aussi s’approchaient et l’insultaient, lui présentant du vinaigre. " Le démon ignorait qu’il agissait ici contre lui-même. En effet, il offrait au Sauveur l’amertume de la colère, produite par les prévarications de la loi (qui pesaient sur tous les hommes) ; Jésus prenait pour lui toute cette amertume, pour nous donner à boire, en échange de ce vinaigre, le vin préparé par la sagesse divine. (Pv 9.) — Théophyl. Les soldats présentèrent ce vinaigre à Jésus-Christ comme à un roi : " Et ils lui disaient : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi. " — Bède. Remarquez que les Juifs font du nom du Christ, que les Écritures leur avaient appris, l’objet de leurs blasphèmes et de leurs dérisions, tandis que les soldats, qui ne connaissaient pas les Écritures, n’insultent pas le Christ, l’élu de Dieu, mais le roi des Juifs.

 

vv. 38-43.

Théophyl. Considérez le nouvel artifice que le démon met en oeuvre contre Jésus-Christ. Il publie par trois inscriptions, en caractères différents, la cause de la condamnation de Jésus, afin que tous les passants voient qu’il a été crucifié, parce qu’il se disait roi : " Et au-dessus de sa tête était une inscription en grec, en latin, et en hébreu, où était écrit : Celui-ci est le roi des Juifs. " Cette triple inscription signifiait que les peuples les plus puissants, comme les Romains, les plus sages, comme les Grecs, les plus religieux, comme le peuple juif, se soumettraient à l’empire de Jésus-Christ. — S. Athan. C’est avec raison que cette inscription est placée au haut de la croix, parce que le règne de Jésus-Christ n’a point pour principe sa nature humaine, mais sa puissance divine. Je lis l’inscription du roi des Juifs, lorsque je lis dans saint Jean : " Mon royaume n’est pas de ce monde. " (Jn 19.) Je lis au-dessus de la tête de Jésus-Christ la cause de sa condamnation, quand je lis : " Et le Verbe était Dieu ; car Dieu est la tête ou le chef de Jésus-Christ. " (1 Co 11.)
 

S. Cyr. Cependant un des voleurs s’associait aux outrages des Juifs contre le Sauveur : " Or, l’un des voleurs qui étaient suspendus en croix, le blasphémait en disant : Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même et nous avec toi, " l’autre lui adressait ce reproche : " Ne crains-tu pas Dieu non plus, toi qui partages le même supplice ? " Il va plus loin, et confesse ses propres crimes : " Pour nous, du moins, c’est justice, nous sommes traités comme nous le méritons. " — S. Chrys. Ici donc, c’est le condamné qui remplit les fonctions de juge, celui qui, après mille tortures, a fini par avouer ses crimes devant le tribunal de Pilate, commence à reconnaître de lui-même la vérité ; c’est qu’en effet, le jugement de l’homme qui ignore le secret des coeurs, est bien différent de celui de Dieu, qui pénètre jusqu’au fond des consciences. Là, d’ailleurs, l’aveu est suivi du châtiment, ici, au contraire, la confession de son crime devient pour lui un principe de salut. Il fait plus encore, il proclame l’innocence de Jésus-Christ en ajoutant : " Mais celui-ci n’a rien fait de mal ; " comme s’il disait : Voyez ce nouveau genre d’injustice qui condamne l’innocence avec le crime. Pour nous, nous avons tué les vivants, celui-ci a ressuscité les morts ; nous avons dérobé le bien d’autrui, celui-ci commande de donner son propre bien. C’est ainsi que ce bienheureux larron instruisait ceux qui étaient présents, tout en reprenant le complice de ses crimes, Mais dès qu’il vit que cette multitude avait les oreilles fermées, il revient à celui qui connaît le secret des coeurs : " Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, quand vous serez entré dans votre royaume. " Quoi ! vous ne voyez qu’un crucifié, et vous l’appelez votre Seigneur ; vous avez sous les yeux la figure d’un condamné, et vous proclamez sa puissance royale ; vous êtes couvert de crimes, et vous demandez à la source de toute justice de se souvenir de vos iniquités ? Oui, mais je découvre son royaume caché aux yeux des autres, et vous, Seigneur, vous effacez mes crimes publics, et vous agréez la foi des sentiments secrets de mon âme. L’iniquité s’est emparé précédemment du disciple de la vérité, est-ce que la vérité ne changera point le disciple de l’iniquité ?
 

S. Grég. (Moral., 18, 23.) Les pieds et les mains de ce voleur étaient attachés à la croix avec des clous, et il n’avait de libre des souffrances que le coeur et la langue. Dieu lui inspire donc de lui offrir tout ce qu’il avait encore de libre, afin que selon la doctrine de l’Apôtre : " Il crût de coeur pour être justifié, et confessât de bouche pour obtenir le salut. " (Rm 10, 10.) C’est ainsi que cet heureux larron, rempli tout à coup de la grâce divine, reçut et conserva sur la croix les trois vertus dont parle encore l’Apôtre saint Paul (1 Co 3.) Il eut en effet la foi, puisqu’il crut que celui qu’il voyait mourir avec lui, régnerait un jour en Dieu, il eut l’espérance, puisqu’il lui demanda l’entrée de son royaume, il fit aussi profession en mourant d’une vive charité, en reprenant de sa conduite coupable, son compagnon et son complice, qui mourait en punition des mêmes crimes.
 

S. Ambr. Quel exemple plus puissant pour nous exciter à revenir à Dieu, que l’exemple de ce voleur qui obtient si facilement son pardon ? Le Seigneur pardonne promptement, mais la conversion a été prompte aussi ; la grâce est plus abondante et s’étend bien plus loin que la prière, car Dieu accorde toujours plus qu’on ne demande, le larron le prie de se souvenir de lui, et Jésus lui répond : " En vérité, je vous le dis, vous serez avec moi dans le paradis, " car la vie, c’est d’être avec Jésus-Christ, et là où est Jésus-Christ, là aussi est le royaume. — Théophyl. De même qu’un roi victorieux rentre en triomphateur dans ses États, portant avec lui les plus riches dépouilles, ainsi Notre-Seigneur ayant enlevé au démon une partie de son butin (c’est-à-dire ce larron), la porte avec lui dans le paradis.
 

S. Chrys. Quel spectacle admirable de voir le Sauveur au milieu de ces deux larrons, pesant avec la balance de la justice la foi et l’incrédulité. Le démon avait chassé Adam du paradis, Jésus-Christ introduit un voleur dans le ciel avant tous les hommes, avant les Apôtres eux-mêmes, une simple parole et la foi seule lui ont ouvert les portes du paradis, afin que personne ne désespère d’obtenir la même grâce après ses égarements. Et voyez avec quelle promptitude s’opère ce changement, il passe de la croix dans les cieux, d’un supplice infâme dans le paradis, pour vous apprendre que c’est ici l’oeuvre de la miséricorde de Dieu plutôt que l’effet des bons sentiments de ce grand coupable. Or, si Dieu accorde dès maintenant la récompense des cieux, la résurrection ne devient-elle pas inutile ? Le Seigneur introduit ce larron dans le paradis, et abandonne sur la terre son corps à la corruption, il est donc évident qu’il n’y a point de résurrection des corps. Tel est le langage que tiennent quelques-uns. Mais quoi ! est-ce que le corps qui a partagé les travaux de l’âme, n’aurait aucune part dans les récompenses ? Écoutez ces paroles de saint Paul : " Il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l’incorruptibilité. " (1 Co 15.) Mais puisque le Seigneur a promis au bon larron le royaume des cieux, et qu’il le fait entrer dans le paradis, il ne lui a pas encore donné la récompense promise. On dit à cela que sous le nom de paradis, le Sauveur a voulu désigner le royaume des cieux, et il s’est servi de cette expression usitée chez les Juifs, en s’adressant au larron qui n’avait jamais entendu ses sublimes enseignements. Il en est d’autres qui au lieu de lire : " Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis, " coupent ainsi la phrase : " Je vous le dis aujourd’hui ; vous serez avec moi dans le paradis. " Voici toutefois une explication plus claire : lorsque les médecins voient un malade dans un état désespéré, ils disent : " Il est mort ; " ainsi dit-on de ce larron qu’il est entre dans le paradis, parce qu’on n’avait plus à craindre qu’il retombât dans l’abîme de la perdition. — Théophyl. Enfin, il est plus vrai de dire encore que le bon larron et les autres saints n’ont pas encore reçu tout l’effet des promesses, parce que selon la doctrine de saint Paul dans l’épître aux Hébreux (He 11, 40), Dieu n’a pas voulu qu’ils reçussent sans nous l’accomplissement de leur félicité, mais ils sont néanmoins dans le royaume des cieux et dans le paradis.

S. Grég. de Nysse. Il nous faut encore examiner comment le bon larron est jugé digne d’entrer dans le paradis, alors qu’un glaive de feu en interdit l’entrée aux saints. Mais remarquez que le texte sacré dit que ce glaive de feu s’agitait toujours pour éloigner les indignes et laisser librement entrer dans la vie ceux qui en sont dignes. — S. Grég. (Moral., 12, 61.) Ou encore, il est dit que ce glaive de feu s’agitait toujours, parce qu’il savait qu’il devait disparaître un jour, lorsque viendrait celui qui devait nous ouvrir le chemin du paradis par le mystère de l’incarnation. — S. Ambr. Une autre difficulté se présente : les autres évangélistes, saint Matthieu et saint Marc, rapportent que les deux voleurs insultaient le Sauveur ; d’après saint Luc, au contraire, l’un deux insultait Jésus, et l’autre s’opposait à ces outrages. Nous répondons qu’ils ont pu tous deux commencer par l’insulter, et que l’un d’eux ne tarda pas à changer de sentiments et de langage. On peut encore dire que les deux premiers évangélistes ont employé ici le pluriel pour le singulier comme dans ce passage : " Ils ont mené une vie errante, couverts de peaux de chèvres, " et dans cet autre : " Ils ont été sciés, " bien qu’Élie seul fût vêtu de cette manière, et que le seul prophète Isaïe ait souffert le supplice de la scie. Dans le sens figuré, ces deux larrons sont le symbole des deux peuples pécheurs qui devaient être crucifiés par le baptême avec Jésus-Christ, et leur conduite si opposée représente la conduite si différente de ceux qui ont embrassé la foi. — Bède. " Car nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort, " (Rm 5.) Et lorsque nous étions pécheurs, nous avons été purifiés dans les eaux du baptême ; cependant les uns sont couronnés, parce qu’ils glorifient le Dieu qui a daigné souffrir dans une chair mortelle, tandis que les autres perdent la grâce qu’ils ont reçue, parce qu’ils ont renoncé à la foi et aux oeuvres de leur baptême.

 

vv. 44-47.

S. Cyr. Aussitôt que les Juifs eurent crucifié le Seigneur de toutes choses, l’univers tout entier pleura son Créateur et son Maître, et la lumière s’obscurcit en plein midi selon la prédiction du prophète Amos (Am 8, 9) : " Il était environ la sixième heure, " etc. Cette profonde obscurité était la figure manifeste des ténèbres qui devaient se répandre dans l’âme de ceux qui avaient crucifié le Fils de Dieu. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 17). Saint Matthieu et saint Marc rapportent également que les ténèbres couvrirent toute la terre, mais saint Luc en indique la cause en ajoutant : " Et le soleil s’obscurcit. " — S. Aug. (De la cité de Dieu, 3, 15.) Une preuve évidente que cet obscurcissement du soleil n’était pas le résultat du cours régulier des astres, c’est que c’était la Pâque des Juifs qui se célébrait à la pleine lune ; or, les éclipses ordinaires de soleil n’ont lieu que lorsque la lune est en pleine décroissance. — S. Denys. ( Lettre 7 à Polyc.) Nous étions alors à Héliopolis, et nous vîmes que la lune était venue inopinément se placer devant le soleil (car ce n’était pas l’époque de sa conjonction), et qu’ensuite, depuis la neuvième heure jusqu’au soir, elle revint miraculeusement en opposition directe avec le soleil. Nous vîmes aussi cette éclipse commencer du côté de l’Orient, et elle atteignit jusqu’au bord occidental du soleil. Ensuite elle rebroussa chemin, de sorte que la disparition et le retour de la lumière ne se firent point par le même côté, mais par le côté opposé. Tels sont les phénomènes surnaturels qui parurent alors et qui n’ont pu avoir pour auteur que le Christ, créateur de toutes choses. — Ch. des Pèr. gr. Ce prodige eut lieu pour montrer jusqu’à l’évidence que celui qui se soumettait à la mort, était le Seigneur et le maître de toutes les créatures. — S. Ambr. Le soleil se voile aux yeux de ces sacrilèges, pour ne pas éclairer le triste spectacle de ce crime affreux, et les ténèbres se répandent sur les yeux de ces perfides pour rendre plus éclatante la lumière de la foi.
 

Bède. A ce miracle, saint Luc en ajoute un autre : " Et le voile du temple se déchira par le milieu. " C’est au moment même où Jésus expira que ce prodige eut lieu, comme le rapportent saint Matthieu et saint Marc ; saint Luc le place ici par anticipation. — Théophyl. Le Seigneur annonçait ainsi que désormais le saint des saints ne serait plus inaccessible, qu’il serait livré aux profanations des Romains, et que l’entrée en serait ouverte à tous. — S. Ambr. Le voile du temple se déchira encore pour figurer la division des deux peuples, et la profanation de la synagogue. Le voile ancien se déchire pour laisser l’Eglise déployer et suspendre les voiles nouveaux de la foi chrétienne. Le voile de la synagogue disparaît, pour nous permettre de voir des yeux de nôtre âme les profonds mystères de la religion. — Théophyl. C’est encore une figure que le voile qui nous séparait des mystères du ciel est déchiré, c’est-à-dire, que l’inimitié de Dieu et le péché sont détruits.
 

S. Ambr. Dès que Jésus eut bu le vinaigre qu’on lui présentait, tous les mystères de sa vie mortelle furent accomplis et l’immortalité seule demeura : " Alors Jésus s’écria d’une voix forte : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains. " — Bède. En invoquant Dieu comme son Père, il déclare qu’il est le Fils de Dieu, et en remettant son esprit entre ses mains, il ne révèle point un défaut de puissance, mais la confiance qu’il possède une seule et même puissance avec son Père. — S. Ambr. Le corps du Sauveur ne meurt que pour ressusciter, et il remet son esprit à son Père, afin que toutes les créatures qui habitent les cieux soient affranchies des liens de l’iniquité, et que la paix commence par le ciel pour servir de modèle à celle qui doit se faire sur la terre. — S. Cyr. Ces paroles du Sauveur nous apprennent que les âmes des saints ne sont plus retenues captives dans les enfers, comme auparavant, mais qu’elles sont avec Dieu, depuis que Jésus-Christ les a délivrées. — S. Athan. (De l’incarn. cont. les Ar.) Dans sa personne, il recommande à son Père tous les hommes auxquels il a rendu la vie, car nous sommes ses membres, selon ces paroles de l’apôtre saint Paul aux Galates : " Vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ. " (Ga 4, 28.)

S. Grég. de Nysse. Il convient ici d’examiner comment Jésus-Christ a pu dans le même temps se diviser en trois et aller dans les entrailles de la terre, comme il l’avait prédit aux pharisiens (Mt 12, 4), dans le paradis, comme il l’a dit au bon larron, et dans les mains de son Père, d’après ses dernières paroles. Or, cette difficulté ne forme même pas une question pour ceux qui veulent tant soi peu réfléchir, car celui qui est partout, est à la fois présent en tout lieu par sa divine puissance. — S. Ambr. Il recommande son âme à son Père, mais tout en étant dans le ciel, il éclaire les enfers (les limbes) et étend à toute créature les effets de la rédemption, car le Christ est en toutes choses, et toutes choses subsistent en lui. (Col 1, 17.) — S. Grég. de Nysse. On peut encore répondre qu’au temps de la passion, la divinité n’abandonna aucune partie de l’humanité à laquelle elle s’était unie, et qu’elle sépara volontairement l’âme du corps en restant elle-même unie à l’une et à l’autre. C’est ainsi qu’il détruit la puissance de la mort par son corps qu’il livre à la mort, tandis que par son âme, il ouvre au bon larron l’entrée du paradis. Or, le prophète Isaïe, en décrivant la céleste Jérusalem, qui n’est autre que le paradis, fait ainsi parler Dieu : " Je vous porte gravée sur ma main, vos murailles sont sans cesse devant mes yeux ; " (Is 49, 16) paroles qui prouvent que la main de Dieu le Père est dans le paradis. — S. Damas. (hom. pour le samedi saint.) Ou encore pour être plus précis : il était dans le tombeau quant à son corps ; quant à son âme, à la fois dans les enfers et dans le paradis avec le bon larron, et comme Dieu sur son trône avec le Père et l’Esprit saint.

Théophyl. Il expire en poussant un grand cri, parce qu’il avait le pouvoir de quitter la vie et de la reprendre (Jn 10, 18) : " Et en prononçant ces mots il expira. " — S. Ambr. Paroles dont voici le sens : Il rendit l’âme, il ne perdit point la vie malgré lui, car ce qu’on rend est volontaire, mais ce qu’on perd est forcé,

 

vv. 47-49.

S. Aug. (De la Trinité, 4, 13.) Tous ceux qui étaient présents furent saisis d’étonnement en voyant Jésus rendre l’âme après avoir poussé ce grand cri, car les crucifiés ne mouraient qu’après de longues tortures : " Or, le centurion voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu en disant Vraiment, cet homme était juste. " — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 30.) Il n’y a point de contradiction entre saint Matthieu, qui attribue l’étonnement du centurion au tremblement de terre qui eut alors lieu, et saint Luc, d’après lequel le centurion fut saisi d’étonnement de voir Jésus expirer après avoir poussé ce grand cri, et montrer ainsi quelle puissance il avait en mourant. D’ailleurs saint Matthieu, en attribuant l’étonnement du centurion au tremblement de terre et à tout ce qui se passait, démontre la vérité du récit de saint Luc, qui donne pour cause de cet étonnement la mort même du Sauveur. Saint Luc, de son côté, en s’exprimant de la sorte : " Le centurion voyant ce qui était arrivé, " comprend dans cette manière générale de parler, tous les prodiges qui eurent lieu alors, et le renferme dans un seul prodige dont les apôtres faisaient partie et dont ils étaient comme des circonstances détaillées. On pourrait peut-être trouver une divergence en ce que, d’après un autre évangéliste, le centurion dit : " Celui-ci est vraiment le Fils de Dieu, " tandis que d’après saint Luc, il se contente de dire : " Cet homme était vraiment juste. " Mais on peut admettre que le centurion a confessé ces deux vérités, et que chacun des évangélistes n’en a rapporté qu’une seule, ou que saint Luc a exprimé dans quel sens le centurion avait confessé que Jésus était le Fils de Dieu. En effet, le centurion n’a peut-être pas voulu dire qu’il était le Fils unique et consubstantiel du Père, mais il l’a proclamé Fils de Dieu, parce qu’il croyait à son innocence, et dans le même sens qu’un grand nombre de justes ont été appelés fils de Dieu (cf. Gn 6, 2.4). D’après le récit de saint Matthieu encore, ceux qui étaient avec le centurion partagèrent sa crainte, circonstance dont saint Luc n’a rien dit ; mais où est la contradiction, lorsque l’un raconte ce que l’autre passe sous silence ? Enfin, suivant saint Matthieu : " Ils furent saisis de crainte, " tandis que saint Luc dit simplement du centurion : " Il glorifia Dieu. " Mais qui ne comprend que c’est un sentiment de crainte qui l’a porté à glorifier Dieu ?
 

Théophyl. Nous voyons ici l’accomplissement de cette prédiction. du Sauveur : " Lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. " En effet, c’est lorsqu’il fut élevé sur la croix qu’il attira le bon larron, le centurion et plusieurs autres d’entre les Juifs, dont l’Evangéliste dit : " Et toute la multitude de ceux qui assistaient à ce spectacle et qui virent toutes ces choses, frappaient leurs poitrines, " etc. — Bède. Ils frappaient leur poitrine eu signe de repentir et de tristesse, ce qui peut s’entendre de deux manières, ou parce qu’ils s’affligeaient de la mort injuste de celui dont ils avaient tant aimé la vie, ou parce qu’ils voyaient celui dont ils avaient demandé la mort, environné dans sa mort même d’une gloire encore plus éclatante. Remarquez aussi que la crainte de Dieu ouvre la bouche des Gentils, et leur fait confesser et glorifier Dieu à haute voix, tandis que les Juifs se contentent de frapper leur poitrine et retournent en silence dans leurs maisons.
 

S. Ambr. O coeurs des Juifs plus durs que les rochers ! Celui qu’ils ont pris pour juge les condamne, le centurion est forcé de croire, le traître disciple désavoue son crime par sa mort, les éléments se troublent, la terre est ébranlée, les sépulcres s’ouvrent, et cependant la dureté des Juifs demeure inflexible au milieu du bouleversement de l’univers. — Bède. Le centurion figure ici la foi de l’Église, qui proclame que Jésus est le Fils. de Dieu, tandis que la synagogue garde un coupable silence. C’est alors aussi que s’accomplit cette prédiction du Roi-prophète, où le Seigneur se plaint à Dieu son Père en ces termes : " Vous avez éloigné de moi mes amis et mes proches, et vous avez fait que ceux qui me connaissaient m’ont quitté à cause de ma misère. " (Ps 87, 19.) " Là aussi, dit l’Évangéliste, à quelque distance se tenaient tous ceux de la connaissance de Jésus. " — Théophyl. Les femmes, dont le sexe fut autrefois maudit, demeurent et considèrent toutes ces choses : " Et les femmes qui l’avaient suivi de Galilée se tenaient à l’écart, regardant ce qui se passait ; " et c’est ainsi qu’elles reçurent les premières la grâce de la justification et toutes les bénédictions qui découlent de la passion aussi bien que de la résurrection de Jésus-Christ.

 

vv. 50-56.

Chaîne des Pèr. gr. Joseph avait été jusque là un disciple caché de Jésus-Christ ; il triomphe aujourd’hui de la crainte qui le retenait, et plein de zèle et d’ardeur, il dépose le corps du Seigneur de la croix où il était ignominieusement attaché, et acquiert ainsi la pierre précieuse de l’Évangile par la sagesse de ses paroles : " Et voici qu’un membre du grand conseil nommé Joseph, " etc. — Bède. Il est appelé décurion, parce qu’il appartenait à la curie et en gérait les affaires ; cette charge est aussi appelée curiale, parce qu’elle a pour objet de veiller sur les intérêts civils des citoyens, Joseph était donc revêtu d’une haute dignité, dans le monde, mais il était bien plus élevé encore en vertu et en mérite aux yeux de Dieu : " C’était un homme vertueux et juste, d’Arimathie, ville de Judée, " etc. Arimathie est la même ville que Ramatha, patrie d’Helcana et de Samuel.

S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 22.) Saint Jean dit qu’il était disciple de Jésus, ce qui fait ajouter à saint Luc : " Et il attendait, lui aussi, le royaume de Dieu. " On s’étonne avec raison que ce disciple qui avait jusque là dissimulé soigneusement ses relations avec Jésus, dans la crainte d’encourir la haine des Juifs, ait osé demander. son corps, ce qu’aucun de ceux qui le suivaient publiquement n’aurait osé faire : " Il vint trouver Pilate, et lui demanda le corps de Jésus. " Mais cette difficulté disparaît, si l’on considère que la haute dignité de Joseph lui donnait ses entrées chez Pilate, et lui inspira assez de confiance pour lui faire cette demande, D’ailleurs, si lorsqu’il allait écouter les divins enseignements du Sauveur, il prenait soin d’éviter la haine et la vengeance des Juifs, il semble ne plus se préoccuper d’eux, aujourd’hui qu’il s’agit de rendre au corps de Jésus les derniers devoirs.
 

Bède. Joseph fut donc jugé digne d’ensevelir le corps du Seigneur, à cause de son éminente vertu, de même qu’il obtint de Pilate le corps de Jésus, en considération du rang élevé qu’il occupait parmi les Juifs : " Et l’ayant détaché de la croix il l’enveloppa d’un linceul. " Cette modeste sépulture du Seigneur condamne la vanité des riches, qui veulent être entourés de leurs richesses jusque dans la poussière du tombeau.
 

S. Athan. (Vie de S. Ant.) C’est un véritable crime que d’embaumer les corps des morts, et de ne pas les ensevelir, même quand ce seraient les corps des saints, car qu’y a-t-il de plus saint ou de plus grand que le corps du Seigneur ? Cependant il fut mis dans le tombeau et y demeura jusqu’au troisième jour, où il ressuscita : " Et il le déposa dans un tombeau taillé dans le roc. " — Bède. Ce tombeau était taillé dans le roc, car s’il avait été construit de plusieurs pierres assemblées, on aurait accusé ses disciples d’en avoir soulevé les fondements pour enlever le corps de leur maître. Il est déposé dans un tombeau neuf, comme le fait remarquer l’Évangéliste : " Dans lequel personne n’avait encore été mis, " car s’il était resté d’autres corps dans ce sépulcre, après la résurrection on aurait pu croire que c’était un autre que Jésus qui était ressuscité. C’est le sixième jour que l’homme avait été créé, c’est aussi le sixième jour que le Seigneur fut crucifié pour accomplir le mystère de la réparation du genre humain : " Or, c’était le jour de la préparation ;  " c’est le nom que les Juifs donnaient au sixième jour, parce qu’ils préparaient ce jour-là tout ce qui était nécessaire pour le jour du sabbat. De même aussi que le créateur s’est reposé de son oeuvre le septième jour, ainsi le Sauveur s’est reposé dans le sépulcre le septième jour : " Et le jour du sabbat allait commencer. " Nous avons vu plus haut que tous ceux qui étaient de la connaissance de Jésus, et les femmes qui l’avaient suivi se tenaient à l’écart. Lors donc que le corps de Jésus eut été détaché de la croix, les amis du Sauveur s’en retournèrent chez eux ; et les femmes seules qui l’aimaient plus tendrement, suivirent ses funérailles, dans le désir qu’elles avaient de voir où son corps serait déposé. " Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus, ayant suivi Joseph, virent le sépulcre, et comment le corps de Jésus y avait été déposé, " afin de pouvoir lui offrir en temps opportun l’hommage de leur pieuse affection.

Théophyl. Cependant elles n’avaient pas encore une foi véritable. Elles préparent des aromates et des parfums pour la sépulture définitive de Jésus, comme s’il n’était qu’un homme, suivant la coutume des Juifs qui ensevelissaient ainsi leurs morts : " Et s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums, " etc. Après que le Sauveur fut déposé dans le sépulcre, elles s’occupèrent à préparer des aromates, tant qu’il leur fut permis de travailler ; c’est à-dire jusqu’au coucher du soleil. Or, la loi voulait que le silence ou le repos du sabbat fût scrupuleusement observé depuis le soir du jour précédent, jusqu’au soir du jour suivant : " Et le jour du sabbat, elles demeurèrent en repos pour obéir aux préceptes de la loi. "

S. Ambr. Dans le sens figuré, remarquons que c’est un juste qui ensevelit le corps de Jésus-Christ ; car la fraude et l’iniquité ne doivent prendre aucune part à la sépulture du Sauveur. Ce n’est pas sans raison que saint Matthieu nous fait observer que Joseph, qui se charge d’ensevelir le corps de Jésus-Christ, était riche ; car en portant lui-même le corps d’un riche, il ne connut point la pauvreté de la foi. Il enveloppa le corps de Jésus-Christ dans un linceul ; et vous aussi revêtez le corps du Seigneur de sa gloire, si vous voulez être juste, et bien que vous croyiez, qu’il a souffert la mort, couvrez-le de la plénitude de la divinité. L’Église elle-même se revêt aussi de la grâce de l’innocence. — Bède. Celui qui reçoit Jésus dans un coeur pur, l’enveloppe dans un suaire blanc. — S. Ambr. Ce n’est pas sans raison non plus qu’un évangéliste rapporte que le tombeau était neuf, et un autre que c’était le tombeau de Joseph. En effet, c’est à ceux qui sont soumis à la loi de la mort qu’on prépare un tombeau, mais le vainqueur de la mort n’a pas besoin d’avoir son sépulcre ; car quel rapport peut-il y avoir entre Dieu et un tombeau. Il est mis seul dans ce sépulcre, parce que bien que la mort de Jésus-Christ lui soit commune avec nous, à ne considérer que la nature de son corps, elle est exceptionnelle à raison de sa puissance. Jésus-Christ est enseveli dans le sépulcre d’un juste, pour nous apprendre qu’il prend volontiers son repos dans la demeure de la justice. Le juste a creusé ce sépulcre à l’aide de la parole pénétrante dans la pierre dure du coeur des Gentils, pour faire éclater parmi les nations la puissance de Jésus-Christ ; c’est aussi dans un dessein mystérieux qu’on roule une grande pierre à l’entrée du sépulcre. Celui qui a donné à Jésus-Christ une sépulture convenable dans son coeur, doit le garder avec soin pour ne pas s’exposer à le perdre et ne pas donner entrée dans son âme à l’incrédulité.

Bède. Notre-Seigneur a voulu être crucifié le sixième jour, et se reposer le septième jour dans le sépulcre, pour nous apprendre que pendant le sixième âge du monde, nous devons souffrir et être crucifié au monde pour le Seigneur. (Ga 6, 14.) Mais au septième âge, c’est-à-dire après la mort, les corps reposent dans les tombeaux et les âmes dans le sein de Dieu. Aujourd’hui encore, il y a de saintes femmes, c’est-à-dire des âmes vraiment humbles et embrasés d’amour qui suivent avec un pieux empressement la passion de Jésus-Christ, et qui, afin d’en faire l’objet de leur imitation, méditent avec soin l’ordre dans lequel elle s’est accomplie. Après qu’elles l’ont lue, entendue et gravée dans leur mémoire, elles s’appliquent à la pratique des bonnes oeuvres qui sont agréables à Jésus-Christ, afin que lorsque finira la préparation de la vie présente, elles puissent, le jour de la résurrection, aller au-devant du Sauveur dans le repos bienheureux, portant avec elles les parfums des oeuvres spirituelles.
 

 

CHAPITRE XXIV

vv. 1-12.

Bède. Les saintes femmes ne se contentèrent pas de ce qu’elles avaient fait le jour de la préparation ; lorsque le sabbat fut passé (c’est-à-dire après le coucher du soleil) et dès qu’il leur fut permis de reprendre leur travail, elles achetèrent des parfums, pour aller embaumer dès l’aurore le corps de Jésus, comme le rapporte saint Marc ; mais l’obscurité de la nuit les empêcha d’aller au sépulcre : " Le premier jour donc de la semaine, de grand matin, elles vinrent au sépulcre, " etc. Le jour d’après le sabbat, ou le premier jour de la semaine, est le premier qui suit le sabbat, et que les chrétiens ont appelé depuis le jour du Seigneur, à, cause de la résurrection du Sauveur. La démarche de ces pieuses femmes, qui viennent au sépulcre de grand matin, montre la grandeur de leur amour et du désir qu’elles avaient de chercher et de trouver le Seigneur.
 

S. Ambr. Toutefois, le récit des évangélistes présente ici une assez grande difficulté ; saint Luc dit que les saintes femmes sont venues de grand matin au sépulcre ; saint Matthieu, qu’elles sont venues le soir du sabbat. Mais cette divergence de temps disparaît, en admettant que des femmes différentes vinrent au sépulcre à plusieurs reprises, et qu’il y eut aussi plusieurs apparitions distinctes. Quant à ces paroles de saint Matthieu : " Le soir ou la nuit du sabbat, à la première lueur du jour qui suit le sabbat, " eut lieu la résurrection du Seigneur, il ne faut pas les entendre dans ce sens que le Sauveur soit ressuscité le matin du dimanche, qui est le premier jour après le sabbat, ni le jour même du sabbat ; car où seraient dans cette dernière hypothèse les trois jours qui devaient s’écouler jusqu’à la résurrection ? Ce n’est donc pas au déclin du jour, mais au déclin de la nuit, qu’il est ressuscité. D’ailleurs, le texte grec de l’Évangile selon saint Matthieu porte ???, en latin sero, qui veut dire tard. Or, ce mot signifie le déclin du jour, et aussi tout ce qui vient tard, comme lorsque l’on dit : Cela m’a été suggéré trop tard. Cette expression signifie donc que la nuit était profonde, ce qui permit aux saintes femmes d’approcher du sépulcre pendant le sommeil des gardes. Une nouvelle preuve que la résurrection eut lieu pendant la nuit, c’est que parmi ces saintes femmes les unes en étaient instruites, c’étaient celles qui ont veillé le jour et la nuit ; les autres l’ignoraient, parce qu’elles s’étaient retirées. Saint Jean parle d’une Marie Madeleine qui ne savait où on avait mis le corps du Seigneur ; saint Matthieu, d’une autre Madeleine qui le savait ; car la même personne n’a pu le savoir d’abord, et l’ignorer ensuite. Si donc il y a plusieurs Maries, on peut admettre aussi plusieurs Maries Madeleines, le premier nom étant celui de la personne, et le second celui de son pays. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 24.) Ou encore, saint Matthieu, dans la première partie de la nuit qui est le soir, a voulu comprendre la nuit elle-même ; c’est au déclin de cette nuit que les saintes femmes allèrent au sépulcre, ce qui s’explique d’autant plus facilement, qu’elles avaient préparé les aromates dès le soir, et que le jour du sabbat étant passé, il leur était permis de les apporter.

Eusèbe. Le corps du Verbe était étendu sans vie dans le tombeau, et une grande pierre en fermait l’entrée, comme si la mort eût voulu le retenir captif ; mais trois jours n’étaient pas encore écoulés, que la vie se manifesta de nouveau, après que la mort du Sauveur eut été environnée de toute la certitude possible : " Et elles virent que la pierre qui était au-devant du sépulcre, en avait été ôtée. " — Théophyl. C’était un ange qui l’avait renversée, comme le rapporte saint Matthieu. — S. Chrys. (hom. 91 sur S. Matth.) Cette pierre fut ôtée après la résurrection, afin que les pieuses femmes, à la vue du sépulcre, vide du corps du Sauveur, n’hésitassent pas à croire qu’il était ressuscité : " Et étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. " — S. Cyr. Or, ne trouvant point le corps du Sauveur qui était ressuscité, elles étaient agitées de diverses pensées, mais leur tendre amour pour Jésus-Christ, et leur pieuse sollicitude leur méritèrent d’être visitées par les anges : " Pendant qu’elles étaient remplies de frayeur et d’anxiété, près d’elles parurent deux anges revêtus de robes resplendissantes. — Eusèbe. Les messagers de cette heureuse résurrection apparaissent revêtus d’habits resplendissants, comme présages de joie et de bonheur. Lorsque Moïse était sur le point de frapper l’Égypte de plaies, il vit un ange au milieu d’une flamme ardente ; mais ce n’est point dans cet appareil terrible, que les anges se montrent aux saintes femmes, ils sont environnés de la grâce et de la douceur qui convenaient au règne et au glorieux triomphe du Seigneur. Et de même qu’au temps de sa passion le soleil s’était éclipsé, pour témoigner son horreur et sa tristesse aux bourreaux qui crucifièrent le Fils de Dieu ; ainsi les anges messagers de la vie et de la résurrection annoncent, par l’éclat de leurs vêtements, la joie de cette grande fête qui est le salut du monde.
 

S. Ambr. Mais comment se fait-il que saint Matthieu et saint Marc ne parlent que d’un jeune homme assis et vêtu de blanc, tandis que d’après saint Luc et saint Jean les saintes femmes virent deux anges revêtus de robes blanches ? — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Nous pouvons très-bien admettre que les saintes femmes ne virent qu’un seul ange lorsqu’elles entrèrent dans le sépulcre, c’est-à-dire dans une espèce d’enceinte qui entourait le sépulcre taillé dans le roc, et était fermée d’une muraille ; c’est là qu’elles virent assis à droite l’ange dont parle saint Marc. Elles avancèrent ensuite pour regarder dans l’intérieur du sépulcre, où le corps du Seigneur avait été déposé, et c’est alors que d’après le récit de saint Luc, elles virent ces deux autres anges qui raniment leur courage et fortifient leur foi : " Et comme dans leur frayeur, elles tenaient leur visage abaissé vers la terre, " etc. — Bède. A la vue des anges qui leur apparaissent, les saintes femmes ne se prosternent pas la face contre terre, elles tiennent simplement leurs yeux baissés vers la terre. Nous ne voyons également qu’aucun des saints qui furent témoins de la résurrection du Seigneur se soit prosterné la face contre terre, lorsque le Seigneur lui-même ou ses anges leur apparaissaient. C’est de là qu’est venu l’usage dans l’Église de prier les yeux baissés vers la terre, mais sans fléchir les genoux, tous les jours de dimanche et pendant les cinquante jours qui forment le temps pascal, soit en mémoire de la résurrection du Seigneur, soit comme un signe de l’espérance de notre propre résurrection. Or, ce n’était point dans un sépulcre (qui est la demeure des morts), qu’il fallait chercher celui qui était ressuscité d’entre les morts à une vie nouvelle. Aussi les anges disent-ils aux saintes femmes : " Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici, il est ressuscité. " En effet, c’est le troisième jour après sa mort, qu’il célébra le triomphe de sa résurrection, comme il l’avait prédit aux saintes femmes qui étaient avec ses disciples : " Souvenez-vous de ce qu’il vous a dit lorsqu’il était encore en Galilée : Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. " En effet, il expira le jour de la préparation du sabbat, vers la neuvième heure, il fut enseveli le soir du même jour, et ressuscita au commencement du premier jour après le sabbat. — S. Athan. (de l’incarn. du Fils de Dieu.) Il aurait pu sans doute ressusciter immédiatement son corps, mais on n’eût pas manqué de dire qu’il n’était pas véritablement mort, ou que la mort ne l’avait pas entièrement atteint ; au contraire, si la résurrection du Seigneur avait été différée, la gloire de son incorruptibilité eût été moins évidente ; il mit donc un intervalle d’un jour entre sa mort et sa résurrection, pour prouver que son corps était véritablement mort, et il le ressuscita le troisième jour pour démontrer qu’il n’était pas soumis à la corruption. — Bède. Il est resté dans le tombeau un jour et deux nuits, parce qu’il a voulu joindre la lumière de sa mort qui est une aux ténèbres de notre double mort.

S. Cyr. Les saintes femmes, instruites par les paroles des anges, se hâtèrent de venir annoncer toutes ces choses aux Apôtres : " Elles se ressouvinrent des paroles de Jésus ; et étant revenues du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze et à tous les autres. " Ainsi la femme qui fut autrefois comme le ministre et l’instrument de la mort, est la première pour apprendre et pour annoncer l’auguste mystère de la résurrection. C’est ainsi que la femme a mérité le pardon de l’opprobre et l’affranchissement de la malédiction qui pesaient sur elle. — S. Ambr. Il n’est point permis aux femmes d’enseigner dans l’Église (1 Tm 2), elles doivent se contenter d’interroger leurs maris dans l’intérieur de leurs maisons. (1 Co 14.) C’est pour cela que la femme est envoyée à ceux qui sont de la famille de Jésus. L’Évangéliste nous fait connaître le nom de ces femmes : " Ce fut Marie Madeleine. " —Bède. (la soeur de Lazare), et Jeanne (épouse de Chusaï, intendant d’Hérode) ; et Marie, mère de Jacques, (de Jacques le Mineur et de Joseph.) Quant aux autres, saint Luc ne les désigne que de cette manière générale : " Et les autres qui étaient avec elles, qui racontèrent ceci aux Apôtres. " — Bède. (d’apr. S. Ambr.) Pour décharger la femme du crime et de l’opprobre perpétuel dont elle était chargée aux yeux des hommes, Dieu permet qu’après avoir été pour l’homme l’intermédiaire du mal, elle devienne aujourd’hui l’intermédiaire de la grâce.

Théophyl. A ne consulter que les lois de la nature, le miracle d’une résurrection est une chose incroyable pour les hommes : " Aussi, ajoute l’Évangéliste, les Apôtres regardèrent comme une rêverie ce qu’elles leur disaient, et ne les crurent point. " — Bède. (d’après S. Grég.) Ce doute est moins un effet de la faiblesse de leur foi, que le fondement inébranlable de la nôtre, car pour triompher de leurs doutes, Dieu fit ressortir la vérité de la résurrection par une multitude de preuves, et lorsque nous lisons ces preuves, le doute même des Apôtres produit en nous la certitude. — Théophyl. Pierre, à cette nouvelle, court sans tarder au sépulcre, prompt comme le feu qui n’attend pas qu’on lui jette le bois qu’il doit consumer : " Pierre se leva aussitôt et courut au sépulcre. "

Eusèbe. Seul parmi les Apôtres, il se rend au témoignage des femmes, qui lui rapportent l’apparition des anges, et comme il avait pour Jésus un amour plus grand que les autres Apôtres, il montrait aussi un plus grand zèle, et regardait de tous côtés pour découvrir le Seigneur : " Et s’étant penché, il ne vit que les linges par terre. "

Théophyl. Lorsqu’il fut venu au sépulcre, le premier sentiment qu’il éprouva fut un sentiment d’admiration pour les choses qu’il avait pu tourner en dérision aussi bien que les autres Apôtres : " Et il s’en alla, admirant en lui-même, ce qui était arrivé, " c’est-à-dire, qu’il admirait comment les linges seuls qui avaient servi à recouvrir le corps embaumé de myrrhe, avaient été laissés, ou quelles circonstances avaient favorisé le voleur à ce point, qu’au milieu des gardes qui environnaient le sépulcre, il ait eu le temps de débarrasser le corps des linges qui l’entouraient avant de l’enlever.
 

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 25.) Saint Luc a voulu résumer ici tout ce que fit Pierre dans cette circonstance. En effet, Pierre courut au sépulcre en même temps que Jean, alors seulement que les saintes femmes, et Marie Madeleine en particulier, vinrent leur annoncer que le corps avait été enlevé, et l’apparition des anges n’eut lieu qu’ensuite. Saint Luc ne parle ici que de Pierre, parce que c’est à lui d’abord que Marie Madeleine annonça ce qu’elle avait vu. On peut aussi s’étonner que d’après le récit de saint Luc, Pierre n’entrât point dans le sépulcre, mais qu’étant penché il vit simplement les linges par terre, et se retira plein d’admiration, tandis que saint Jean dit positivement qu’il vit aussi ces linges posés à terre et qu’il entra dans le sépulcre après Pierre. Cette difficulté disparaît, en admettant que Pierre vit d’abord ces linges en se penchant sur le sépulcre (circonstance que saint Luc rapporte et saint Jean passe sous silence), et qu’il entra ensuite dans le sépulcre avant que Jean y entrât lui-même.

Bède. Dans le sens figuré, ces pieuses femmes qui viennent au tombeau de grand matin, nous apprennent par leur exemple à dissiper les ténèbres de nos péchés avant d’approcher du corps de Jésus-Christ. En effet, ce sépulcre était la figure de l’autel du Seigneur où les mystères du corps de Jésus-Christ doivent être consacrés, non dans la soie ou dans la pourpre, mais sur le lin pur, figuré par le suaire dans lequel Joseph d’Arimathie l’enveloppa. Ainsi de même que le Sauveur a offert pour nous à la mort la véritable substance de sa nature terrestre, nous aussi, en souvenir de sa passion, nous étendons sur l’autel le lin blanc et pur que produit la terre après l’avoir préparé par un travail qui figure les divers genres de mortification. Les aromates que les saintes femmes apportent, sont l’emblème de l’odeur des vertus et du parfum suave des prières avec lesquelles nous devons approcher de l’autel (cf. Ap 8, 4.8). Le renversement de la pierre figure la révélation des mystères qui étaient cachés sous le voile de la lettre de la loi, écrite sur des, tables de pierre ; lorsque cette pierre est ôtée on ne trouve plus dans le sépulcre le corps de Jésus-Christ, qu’on y avait déposé après sa mort, mais on annonce et on prêche qu’il est plein de vie, " parce que si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. " (2 Co 5, 16.) De même enfin que les anges se tenaient autour du corps. du Seigneur déposé dans le sépulcre, ainsi devons-nous croire que les anges environnent le corps du Seigneur au moment de la consécration des divins mystères. Nous donc aussi, à l’exemple des saintes femmes, chaque fois que nous approchons des saints mystères, et autant par respect pour les anges qui sont présents que par vénération pour l’oblation sainte, abaissons nos yeux vers la terre dans un profond sentiment d’humilité, en nous rappelant que nous ne sommes que cendre et poussière.

 

vv. 13-24.

La Glose. Après que les anges ont fait connaître aux saintes femmes la résurrection de Jésus-Christ, le Sauveur apparaît lui-même à ses disciples, pour leur apprendre qu’il est ressuscité : " Or, ce jour-là même deux d’entre s’en allaient à un village nommé Emmaüs. " — Théophyl. Il en est qui prétendent que l’un de ces deux disciples était saint Luc lui-même, et que c’est la raison pour laquelle il a caché son nom. — S. Ambr. Le Sauveur se manifeste sur le soir et séparément à ces deux disciples nommés Ammaon et Cléophas, comme il se manifesta plus tard séparément aux onze Apôtres. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 3, 25.) Saint Marc a pu sans absurdité appeler campagne le bourg d’Emmaüs. Saint Luc fait connaître ensuite la situation de ce bourg, en ajoutant : Il était éloigné d’environ soixante stades de Jérusalem et s’appelait Emmaüs. — Bède. C’est aujourd’hui Nicopolis, ville célèbre de la Palestine, qui après que la Judée eut été réduite en servitude, fut rebâtie par l’empereur Marc-Aurèle, et changea d’aspect et de nom. Le stade qui, selon les Grecs, fut inventé par Hercule pour mesurer les distances, est la huitième partie du mille, ainsi soixante stades font sept mille cinq cents pas, ce fut la distance qu’eurent à parcourir ceux qui étaient certains de la mort et de la sépulture du Seigneur, mais qui doutaient encore de sa résurrection ; on ne peut nier en effet que la résurrection qui eut lieu après le septième jour de la semaine, ne soit figurée par le nombre huit. Or, ces deux disciples qui marchaient en s’entretenant du Seigneur, avaient déjà parcouru six mille de chemin, parce qu’ils s’affligeaient qu’on eût mis à mort (le sixième jour), un homme innocent de tout crime. Ils avaient même parcouru le septième mille, parce qu’ils ne doutaient nullement que son corps n’eût reposé dans le sépulcre, mais ils n’avaient encore parcouru que la moitié du huitième, parce qu’ils ne croyaient qu’imparfaitement à la gloire de la résurrection qui s’était déjà accomplie.

Théoph. Ces deux disciples s’entretenaient donc entre eux des choses qui étaient arrivées, sans y croire, et comme tout étonnés de ces événements extraordinaires " Et ils s’entretenaient de tout ce qui s’était passé. " — Bède. Pendant qu’ils s’entretiennent ainsi du Seigneur Jésus, il s’approche et fait route avec eux pour allumer dans leurs âmes la foi de sa résurrection, et accomplir cette promesse qu’il avait faite : " Là où deux où trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. " (Mt 18.) " Pendant qu’ils discouraient et se communiquaient leurs pensées, Jésus lui-même vint les joindre et se mit à marcher avec eux. " — Théophyl. Le corps de Jésus étant doué de spiritualité depuis sa résurrection, la distance des, lieux ne l’empêchait plus de se manifester au milieu de ceux auxquels il voulait apparaître ; son corps n’était plus soumis aux lois naturelles, mais aux lois surnaturelles qui régissent les esprits. Voilà pourquoi saint Marc rapporte qu’il apparut aux deux disciples sous une autre forme qui ne leur permettait pas de le reconnaître. (Mc 16.) " Et quelque chose empêchait que leurs yeux ne le reconnussent. " Le Sauveur se conduit de la sorte à leur égard pour leur donner lieu de révéler le doute qui assiége leur esprit, et d’obtenir la guérison de leurs blessures en les découvrant à ce divin médecin. Son intention est encore de leur apprendre que bien que son corps ressuscité fût le même qui avait souffert, cependant il n’était plus dans un état où il pût être vu de tous indifféremment, mais seulement de ceux à qui il voulait se manifester. Il veut enfin qu’ils sachent pourquoi désormais il ne vit plus au milieu des hommes, c’est que depuis sa résurrection les hommes ne sont plus dignes de cette vie nouvelle et toute divine qui est une image de notre résurrection future, où notre vie sera celle des anges et des enfants de Dieu.

S. Grég. (hom. 23 sur les Evang.) C’est par un dessein plein de sagesse que Jésus n’apparaît pas aux deux disciples sous une forme qui le fit reconnaître ; il reproduit extérieurement pour les yeux du corps ce qui se passait intérieurement pour les yeux de leur âme. En effet, l’amour pour Jésus et le doute se partageaient à la fois leur coeur. Il leur manifeste donc sa présence, pendant qu’ils s’entretenaient de lui, mais il leur apparaît sous une forme qui ne leur permettait pas de le reconnaître, parce que leur âme est en proie au doute. Cependant il leur adresse la parole : " Et il leur dit : De quoi vous entretenez-vous ainsi en marchant et d’où vient votre tristesse ? " — Ch. des Pèr. gr. Ils s’entretenaient ensemble comme ayant perdu toute espérance de revoir le Christ vivant, et ils s’affligeaient vivement de la mort du Sauveur : " L’un d’eux, nommé Cléophas, lui répondit : Êtes-vous seul si étranger dans Jérusalem que vous ne sachiez pas les choses qui y sont arrivées ces jours-ci ? " — Théophyl. C’est-à-dire, êtes-vous donc seul étranger, habitez-vous si loin de Jérusalem et vous inquiétez-vous si peu de ce qui s’est passé au milieu de cette ville que vous l’ignoriez complètement ? — Bède. Ils lui tiennent ce langage, parce qu’ils le prenaient pour un étranger dont le visage leur était inconnu ; en effet, il était véritablement pour eux un étranger, la gloire de sa résurrection mettait entre lui et leur faible nature une distance immense, et il demeurait aussi comme un étranger pour leur foi qui ne pouvait croire à sa résurrection. Cependant il continue de les interroger : " Quelles choses, leur dit-il ? Ils répondirent : Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète. " Ils reconnaissent hautement qu’il est un prophète mais non qu’il est le Fils de Dieu, soit que leur foi sur ce point fût encore imparfaite, soit par crainte de tomber dans les mains persécutrices des Juifs. Ils ne savaient donc qui il était, ou ils dissimulaient ce qu’ils regardaient comme la vérité : ils ajoutent cependant à sa louange : " Puissant en oeuvres et en paroles. " — Théophyl. Les oeuvres d’abord, ensuite les paroles ; aucune doctrine, en effet, n’est acceptable, si celui qui l’enseigne ne commence par la mettre en pratique ; les oeuvres doivent précéder les considérations, et si vous ne purifiez pas vos bonnes oeuvres, le miroir de votre intelligence, elle n’aura pas l’éclat que vous désirez. Ils ajoutent encore : " Devant Dieu et devant tout le peuple, " car nous devons chercher avant tout à plaire à Dieu, et veiller ensuite autant qu’il est possible, à ce que notre vertu édifie les hommes, c’est-à-dire, que nous devons mettre au premier rang le service de Dieu, et éviter ensuite tout ce qui peut scandaliser nos frères.

Ch. des Pèr. gr. Ils font connaître ensuite la cause de leur tristesse, c’est la passion du Christ livré à la fureur de ses ennemis : " Et comment les princes des prêtres et nos anciens l’ont livré pour être condamné à mort. " Et ils laissent ensuite échapper cette parole de désespoir : " Nous espérions qu’il était celui qui doit délivrer Israël " Nous espérions, disent-ils, nous n’espérons plus, comme si la mort de Jésus-Christ était semblable à la mort des autres hommes. — Théophyl. Lorsqu’ils espéraient, en effet, que le Christ délivrerait le peuple d’Israël des maux qui l’accablaient et de la servitude des Romains, ils croyaient qu’il serait roi à la manière des rois de la terre, et qu’il aurait pu par conséquent échapper à la sentence de mort portée contre lui. — Bède. C’est donc avec raison qu’ils sont dans la tristesse, ils se reprochent pour ainsi dire d’avoir placé leurs espérances de rédemption dans celui qu’ils ont vu mourir sur la croix, et à la résurrection duquel ils ne peuvent croire, et ils s’affligent de la mort injuste de celui dont ils connaissaient l’innocence. Théophyl. Les paroles qui suivent prouvent toutefois qu’ils ne sont pas complètement incrédules : " Et cependant après tout cela, c’est aujourd’hui le troisième jour que ces choses se sont passées. " Ils avaient donc quelque souvenir de ce que le Seigneur leur avait dit qu’il ressusciterait le troisième jour.
 

Ch. des Pèr. gr. Ils rapportent même le bruit que les saintes femmes avaient répandu de la résurrection de Jésus : " A la vérité, quelques-unes des femmes qui sont avec nous, nous ont fort étonnés, " etc. ils rapportent ce bruit sans y croire, la seule impression qu’il ait produite sur eux, c’est l’étonnement, la frayeur, car ils ne pouvaient supposer la vérité de ce qui leur était raconté ni croire à l’apparition des anges, cette nouvelle les jetait donc dans l’étonnement et le trouble. Le témoignage de Pierre lui-même ne leur paraissait pas certain, car il n’affirmait pas qu’il avait vu le Seigneur, mais de ce que son corps n’était plus dans le sépulcre, il conjecturait qu’il pouvait être ressuscité : " Quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre, et ont trouvé toutes choses comme les femmes les leur avaient rapportées, mais pour lui, ils ne l’ont point trouvé. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Luc vient de dire précédemment que Pierre courut au sépulcre, et en rapportant les paroles de Cléophas : " Quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre, " il confirme le récit de Jean, d’après lequel deux disciples (Jn 20) allèrent au sépulcre ; mais saint Luc n’a parlé d’abord que de Pierre, comme étant le premier à qui Marie annonça ce qu’elle avait vu.

 

vv. 25-35.

Théophyl. Notre-Seigneur voyant l’âme de ses deux disciples en proie à d’aussi grands doutes, les en reprend avec sévérité : " Alors il leur dit : O insensés (ils venaient en effet de tenir le même langage que les Juifs au pied de la croix : Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même) et lents de coeur, à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! " On en voit, en effet, qui croient à quelques-uns des oracles prophétiques, mais non pas à toutes les prophéties ; ainsi ils ajouteront foi aux prophéties qui ont pour objet la croix de Jésus-Christ, à celle-ci par exemple : " ils ont percé mes pieds et mes mains ; " (Ps 21) mais ils ne croiront pas à celles qui ont annoncé sa résurrection, comme à cette autre du même Roi-prophète : " Vous ne souffrirez point que votre saint soit sujet à la corruption. " (Ps 15.) Or, nous devons croire indistinctement à toutes les prophéties, à celles qui ont prédit ses gloires, comme à celles qui ont annoncé ses humiliations ; car c’est justement par ses humiliations et ses souffrances qu’il est entré dans sa gloire : " Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ? " ce qu’il faut entendre de son humanité.

S. Isid. de Péluse. Mais bien qu’il fallût que le Christ passât par les souffrances, ceux qui l’ont crucifié n’en sont pas moins coupables ; car ils ne cherchaient point à accomplir les desseins de Dieu ; aussi leur action a-t-elle été souverainement impie, tandis que la providence de Dieu s’est montrée pleine de sagesse en faisant servir leur iniquité au salut du genre humain, comme on se sert de la chair des vipères pour composer un antidote efficace et salutaire. — S. Chrys. Aussi le Sauveur leur explique comment les choses ne sont pas arrivées naturellement, mais par un dessein depuis longtemps prémédité de Dieu : " Et parcourant tous les prophètes, en commençant par Moïse, il leur expliquait ce qui le concerne dans toutes les Écritures. " Il semble leur dire : Puisque vous êtes ai lents à croire, je vais vous rendre une sainte activité en vous expliquant les mystères des Écritures ; ainsi le sacrifice d’Abraham, immolant un bélier à la place d’Isaac, a été la figure du sacrifice de la croix (Gn 22, 12), et c’est ainsi que les mystères de la croix et de la résurrection de Jésus-Christ se trouvent annoncés ça et là dans tous les oracles prophétiques. — Bède. Or, si Moise et les prophètes ont parlé de Jésus-Christ et prédit qu’il n’entrerait dans sa gloire que par le chemin des souffrances, comment peut-on se glorifier d’être chrétien, et ne point examiner avec soin le rapport que les Écritures ont avec Jésus-Christ, et surtout ne point vouloir obtenir par les souffrances la gloire qu’on désire partager avec Jésus-Christ ?

Ch. des Pèr. gr. L’Évangéliste nous a fait observer précédemment que les yeux des deux disciples étaient comme fermés, et qu’ils ne purent le reconnaître, jusqu’à ce que les paroles du Sauveur eurent disposé leur âme à la foi ; il raconte maintenant comment Jésus se découvrit à eux après les avoir préparés par ses enseignements : " Cependant ils approchèrent du village où ils allaient, et Jésus feignit d’aller plus loin. " — S. Aug. (Quest. évang., 2, 51.) Il n’y a point ici de mensonge de la part du Sauveur, car toute feinte n’est pas un mensonge. il y a mensonge toutes les fois que l’action que nous, feignons de faire ne signifie absolument rien, mais lorsque cette action a une signification, ce n’est plus un mensonge, mais une figure de la vérité ; autrement il faudrait regarder comme autant de mensonges tout ce que les saints et Notre-Seigneur lui-même ont dit en termes figurés, puisque ces paroles, prises dans leur sens naturel et ordinaire, n’ont rien de vrai. On peut donc sans mensonge user de feinte dans ses actions aussi bien que dans ses paroles, en se proposant, dans ces actions, la signification d’une vérité quelconque.

S. Grèg. (hom. 22 sur les Evang.) Jésus feint d’aller plus loin, parce qu’il était encore étranger pour leurs coeurs qui avaient si peu de foi en lui. Feindre veut dire façonner, de là vient le nom que nous donnons à ceux qui façonnent l’argile. La vérité qui est simple, n’a donc rien fait ici par duplicité, elle s’est montrée extérieurement aux yeux de leur corps, telle qu’elle était pour les yeux de leur âme. Cependant comme ils ne pouvaient rester étrangers à la charité, alors qu’ils avaient pour compagnon de voyage la charité elle-même, ils lui offrent l’hospitalité comme à un étranger : " Et ils le pressèrent. " Apprenons par cet exemple, que nous devons non seulement inviter les étrangers, mais encore les forcer à accepter l’hospitalité. — La Glose. Non contents de le forcer, ils lui apportent une raison déterminante : " Ils le pressèrent, en disant : Demeurez avec nous, car il se fait tard, et le jour est déjà sur son déclin. "

S. Grég. (hom. 22.) Lorsque Jésus-Christ est reçu dans la personne de ses membres, il s’approche lui-même de ceux qui le reçoivent : " Et il entra avec eux. " Ils dressent la table, servent les aliments, et ils vont reconnaître dans la fraction du pain le Dieu qu’ils n’ont pas reconnus quand il leur expliquait les saintes Écritures : " Etant avec eux à table, il prit le pain et le bénit, et l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent. " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ils le reconnurent non pas des yeux du corps, mais des yeux de l’âme. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Ce n’est pas qu’ils eussent les yeux fermés en marchant avec lui, mais quelque chose les empêchait de reconnaître ce qu’ils voyaient par un effet semblable à celui que produit un brouillard, ou une humeur répandue sur les yeux). Notre-Seigneur aurait pu sans doute transformer son corps et lui donner une autre forme apparente que eau, qu’ils avaient coutume de voir, lui qui, avant sa passion, s’était transfiguré sur la montagne, et avait donné à son visage la splendeur du soleil. Mais il n’en fut point ainsi, et nous sommes fondés à croire que ç’est le démon qui avait placé ce bandeau sur leurs yeux, pour les empêcher de reconnaître Jésus-Christ. Or le Sauveur ne laissa ce bandeau sur leurs yeux que jusqu’au moment où il leur distribua le sacrement du pain, pour nous faire comprendre que la communion à son corps sacré, a la puissance d’écarter les obstacles qui nous empêchent de reconnaître Jésus-Christ. — Théophyl. Il veut encore nous apprendre que la participation au pain sacré nous ouvre les yeux, pour que nous puissions le reconnaître, tant est grande et ineffable la vertu de la chair de Jésus-Christ.

S. Aug. (Quest. évang.) Lorsque le Seigneur, marchant avec ses disciples qui ne le reconnaissent pas, et leur expliquant les Écritures, feint ensuite d’aller plus loin, il veut nous enseigner. encore qu’en pratiquant les devoirs de l’hospitalité, les hommes peuvent arriver à le connaître, et qu’il sera toujours avec ceux qui exerceront l’hospitalité à l’égard de ses serviteurs, lors même qu’il se sera plus éloigné des hommes en remontant dans les cieux. Celui donc qui, après avoir été instruit des choses de la foi, communique tous ses biens à celui qui l’a instruit (Ga 6), est sûr de retenir Jésus-Christ et de l’empêcher de s’éloigner de lui. En effet, les disciples d’Emmaüs avaient reçu l’enseignement de la parole, lorsque le Sauveur leur expliquait les Écritures. Et c’est parce qu’ils ont pratiqué à son égard l’hospitalité, qu’ils ont mérité de connaître lors de la fraction du pain celui qu’ils n’avaient pas reconnu lorsqu’il leur expliquait les Écritures, " car ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi, qui sont justes aux yeux de Dieu, mais ce sont ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. (Rm 2.)

S. Grég. (hom. 22.) Que celui donc qui veut comprendre les enseignements qu’il a reçus, se hâte de mettre en pratique ce qu’il a déjà pu comprendre. Voyez, le Seigneur n’a pas été connu pendant qu’il parlait, et il daigne se faire connaître lorsqu’il se donne en nourriture. L’Évangéliste ajoute : " Et il disparut de devant leurs yeux. " — Théophyl. La nature de son corps ressuscité ne lui permettait pas de demeurer plus longtemps avec eux, et il voulait aussi par là augmenter leur amour : " Aussi ils se dirent alors l’un à l’autre : N’est-il pas vrai que notre coeur était tout brûlant au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, et qu’il nous expliquait les Écritures ? " — Orig. Nous voyons ici que les paroles du Sauveur embrasaient du feu de l’amour divin ceux qui les écoutaient. — S. Grég. (hom. pour la Pentec.) Lorsque la parole divine se fait entendre, le coeur s’enflamme, la froide langueur disparaît, et l’âme est comme agitée par les saintes inquiétudes du désir des cieux. Elle se plaît à entendre les divins préceptes, et les enseignements qu’elle reçoit sont comme autant de feux qui l’embrasent.

Théophyl. Leur coeur était donc brûlant, soit du feu des paroles du Sauveur qu’ils recevaient comme la vérité, soit parce qu’en l’écoutant expliquer les Écritures, ils comprenaient à la vive émotion de leurs cœur qu’il était le Seigneur. Aussi leur joie était si grande que, sans tarder, ils retournèrent aussitôt à Jérusalem : " Et se levant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem. " Ils partirent à l’heure même, mais ils n’arrivèrent que quelques heures après, car ils avaient à parcourir une distance de soixante stades.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Déjà le bruit que Jésus. était ressuscité avait été répandu et par les saintes femmes, et par Simon Pierre, à qui il était apparu, et les deux disciples, étant arrivés à Jérusalem, trouvèrent les Apôtres qui s’entretenaient de ce grand événement : " Et ils trouvèrent assemblés les onze, et ceux qui étaient avec eux, disant : Le Seigneur est vraiment ressuscité, et il est apparu à Simon. " — Bède. C’est donc à saint Pierre, le premier de tous, que Notre-Seigneur est apparu d’après le témoignage des quatre Évangélistes et de l’Apôtre saint Paul. Il ne se manifestait, pas à tous, parce qu’il voulait jeter les semences de la foi ; en effet, celui à qui le Seigneur apparaissait le premier, et qu’il rendait ainsi certain de sa résurrection, racontait cette apparition aux autres ; et ce récit, se propageant, préparait ceux qui l’entendaient à voir le Sauveur lui-même. C’est donc pour cette raison qu’il apparut d’abord au plus digne et au plus fidèle de tous ses Apôtres. Il fallait, en effet, une âme dont la fidélité fût à toute épreuve pour recevoir cette apparition sans être troublé d’une vision aussi inattendue. Il apparaît donc à Pierre qui méritait d’être le premier témoin de la résurrection, parce qu’il avait confessé le premier qu’il était le Christ. Il lui apparaît encore le premier, parce que Pierre l’avait renié, et qu’il voulait ainsi le consoler et le préserver du désespoir. Il apparût ensuite à d’autres, tantôt plus, tantôt moins nombreux, au rapport des deux disciples : " Eux-mêmes, à leur tour, racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu dans la fraction du pain. "

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Saint Marc dit, il est vrai, que les Apôtres ne crurent pas au rapport des deux disciples, tandis que d’après saint Luc, ils déclarent eux-mêmes que le Seigneur est vraiment ressuscité ; mais cette contradiction apparente s’explique en disant que quelques-uns seulement de ceux. qui étaient présents refusèrent de croire au récit des deux disciples.

 

vv. 36-40.

S. Cyr. Les Apôtres ayant répandu partout la nouvelle de la résurrection, et les disciples étant pleins d’une sainte impatience de voir leur divin Maître, il se rend à leurs désirs, il se révèle à eux pendant qu’ils le cherchent et qu’ils l’attendent, et leur apparaît clairement et sans qu’il y ait lieu à contestation : " Pendant qu’ils s’entretenaient ainsi, Jésus parut au milieu d’eux, " etc.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Saint Jean rapporte aussi cette apparition du Seigneur après sa résurrection, mais en faisant remarquer que Thomas n’était pas alors avec les autres Apôtres ; tandis que d’après saint Luc, les deux disciples d’Emmaüs étant rentrés dans Jérusalem, trouvèrent les onze assemblés : il faut donc admettre que Thomas sortit avant que le Seigneur parut aux Apôtres qui s’entretenaient de sa résurrections En effet, le récit de saint Luc autorise cette supposition, que Thomas sortit pendant l’entretien des autres Apôtres, et que ce ne fut qu’après son départ que le Seigneur entra dans le cénacle. On pourrait peut-être dire encore que ces onze n’étaient pas ceux qui dès-lors portaient le nom d’Apôtres, mais qu’ils faisaient partie du grand nombre des disciples de Jésus. Cependant comme saint Luc ajoute : " Et ceux qui étaient avec eux, " il indique assez clairement que les onze avec lesquels les autres se trouvaient réunis, devaient être les onze Apôtres.

Mais examinons la signification mystérieuse de ces paroles que Jésus, d’après saint Matthieu et saint Marc, adresse à ses disciples après sa résurrection : " Je vous précéderai en Galilée. " Si ces paroles se sont accomplies, ce n’est qu’après beaucoup d’autres faits racontés dans l’Évangile, et cependant Notre-Seigneur semble dire que c’est la seule chose ou au moins la première que les disciples devaient attendre. — S. Ambr. L’opinion qui me paraît la plus probable est que Notre-Seigneur avait annoncé en effet à ses disciples qu’ils le verraient en Galilée, mais qu’il crut ensuite devoir leur apparaîtra dans le cénacle, où la crainte les tenait renfermés. — Chaîne des Pères grecs. Le Sauveur ne manque pas ici à sa promesse, mais au contraire, il se hâte de l’accomplir par un sentiment de bonté pour ses disciples encore faibles et pusillanimes. — S. Ambr. Lorsqu’il eut ainsi ranimé leur courage, les onze Apôtres se rendirent en Galilée. Rien n’empêche encore de dire qu’ils étaient peu nombreux dans le cénacle, tandis qu’ils furent en très-grand nombre sur la montagne de Galilée. — Eusèbe. En effet, si deux évangélistes, saint Luc et saint Jean, ont écrit que Notre-Seigneur est apparu aux onze dans la ville de Jérusalem, les deux autres rapportent que l’ange aussi bien que le Sauveur commandèrent de se rendre en Galilée, non seulement aux onze, mais à tous les disciples et aux frères dont parle saint Paul, quand il dit : " Ensuite il apparut à plus de cinq cents frères réunis. " (1 Co 15.) Mais la solution la plus vraisemblable de cette difficulté, est que Jésus apparut d’abord une ou deux fois pour la consolation des Apôtres qui se tenaient cachés dans Jérusalem, et qu’il se manifesta ensuite dans la Galilée, non plus une fois ou deux, comme dans le cénacle, mais dans tout l’éclat de sa puissance, et en faisant voir à ses Apôtres par beaucoup de preuves qu’il était vivant, comme l’atteste saint Luc dans le livre des Actes (Ac 1, 3.) — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Ou bien encore : les paroles que l’ange adresse aux disciples au nom du Seigneur, doivent s’entendre dans un sens prophétique. En effet, Jésus les précède en Galilée, qui veut dire transmigration, parce que les Apôtres devaient quitter le peuple d’Israël pour aller prêcher l’Évangile aux Gentils, mais les Gentils n’auraient pas cru à leurs prédications, si le Seigneur lui-même ne leur eût préparé la voie dans les coeurs des hommes. Tel est donc le sens de ces paroles : " Il vous précédera en Galilée. " Si au contraire, on prend la Galilée dans le sens de révélation, nous devons entendre que le Sauveur ne se révélera plus sous la forme d’esclave, mais dans l’éclat qui convient au Fils de Dieu égal à son Père, comme il l’a promis à ses élus. Cette révélation sera pour nous comme une véritable Galilée, alors que nous le verrons tel qu’il est. Ce sera aussi notre, bienheureuse transmigration de ce monde dans cette vie éternelle, qu’il n’a point quittée en venant parmi nous, et où il nous précède sans nous abandonner.

Théophyl. Notre-Seigneur, apparaissant pour la première fois au milieu de ses disciples, calme l’agitation de leur âme par. le salut de paix accoutumé, il leur. montre ainsi qu’il est ce même Maître qui aimait à leur répéter cette parole de paix, qu’il leur a tant recommandée lorsqu’il les envoya prêcher l’Évangile : " Et il leur dit : La paix soit avec vous ; c’est moi, ne craignez point. " — S. Grég. de Nazianze. (disc. 14 sur la paix.) Rougissons de renoncer si facilement à ce don de la paix, que Jésus-Christ nous a laissé en quittant la terre. La paix, cette chose et ce nom si doux, a Dieu pour auteur, selon ces paroles : " La paix de Dieu, " (Ph 4) et elle est aussi le principal attribut de Dieu, selon ces autres paroles de saint Paul : " Il est lui-même notre paix. " La paix est un bien dont tout le monde fait l’éloge, mais que très-peu de personnes savent conserver. Quelle en est la cause ? Peut-être l’ambition du pouvoir et des richesses, l’envie, la haine ou le mépris du prochain, ou quelqu’autre vice de ce genre où fait tomber l’ignorance de Dieu. En effet, le principe est la source de la paix, c’est Dieu qui établit l’union en toutes choses, et dont l’attribut principal est l’unité de nature et une pacifique immutabilité. Cette paix se communique aux anges et aux puissances célestes qui sont en paix avec Dieu et entre elles ; elle se répand sur toutes les créatures, dont la beauté consiste dans la tranquillité ; enfin elle demeure dans notre âme par l’amour et la pratique des vertus, et dans notre corps, par la juste proportion qui règne dans nos membres, et l’équilibre des éléments dont il est composé ; la première de ces choses constitue la beauté de nos corps, et l’autre la santé.

Bède. Les disciples qui avaient vécu si longtemps avec Jésus-Christ, ne doutaient point qu’il fût véritablement homme ; mais lorsqu’il fut mort, ils ne croyaient pas qu’il pût ressusciter avec un corps véritable. Aussi croient-ils voir l’esprit qu’il avait rendu au moment de sa mort Sur la croix : " Dans leur trouble et leur saisissement, ils croyaient voir un esprit. " Cette erreur des Apôtres est devenue celle des Manichéens. — S. Ambr. Nous ne pouvons concevoir que saint Pierre et saint Jean aient pu douter de la résurrection après les faits prodigieux dont ils avaient été les témoins. Pourquoi donc saint Luc nous dit-il qu’ils furent troublés ? premièrement, parce qu’il confond leurs sentiments particuliers avec ceux du plus grand nombre ; secondement, parce que Pierre, tout certain qu’il était de la résurrection du Sauveur, a pu néanmoins être troublé, en le voyant tout à coup traverser avec son corps les portes qui étaient fermées. — Théophyl. Le salut de paix que Jésus adresse à ses disciples, n’ayant pu calmer l’agitation de leur âme, il leur prouve d’une autre manière qu’il est le Fils de Dieu qui pénètre le secret des coeurs : " Et il leur dit : Pourquoi vous troublez-vous, et pourquoi ces pensées s’élèvent-elles dans vos coeurs ? " — Bède. Quelles pouvaient être ces pensées ? des pensées fausses et dangereuses ; car Jésus-Christ eût perdu tout le fruit de sa passion, s’il n’était vraiment ressuscité. Il est semblable ici à un laboureur habile qui dirait : Je dois trouver ce que j’ai planté (c’est-à-dire la foi qui. descend dans le coeur, parce qu’elle vient du ciel) ; or, ces pensées ne sont point descendues du ciel, mais elles sont montées de la terre dans le coeur, comme de mauvaises herbes. — S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) La preuve la plus évidente qu’il était vraiment celui qu’ils avaient vu mort sur la croix et déposé dans le sépulcre, c’est qu’aucune des pensées du coeur de l’homme ne lui était cachée.

S. Ambr. Examinons maintenant comment d’après saint Jean, les Apôtres crurent et furent dans la joie, tandis que d’après saint Luc, le Sauveur leur reproche leur incrédulité. Saint Jean, en sa qualité d’apôtre, me parait n’avoir voulu traiter que les vérités les plus importantes et les plus élevées, tandis que saint Luc suit les évènements en se maintenant dans une sphère plus rapprochée de nous ; l’un s’est attaché à l’ordre historique, l’autre a voulu abréger. On ne peut douter de la véracité du témoignage de celui qui raconte ce qu’il a vu de ses yeux. La conclusion est donc que le récit des deux Évangélistes est vrai, car bien que saint Luc fasse observer qu’ils ne crurent point tout d’abord, il déclare positivement qu’ils finirent par croire.

S. Cyr. Notre-Seigneur, voulant démontrer à ses Apôtres qu’il a triomphé de la mort, et que la nature humaine du Christ est désormais affranchie de la corruption, leur montre ses mains, ses pieds et les trous des clous : " Voyez mes mains et mes pieds, et reconnaissez que c’est bien moi. " — Théophyl. Il fait plus encore, il leur donne à toucher ses pieds et ses mains en leur disant : " Touchez et voyez, un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai, " c’est-à-dire : Vous me prenez pour un esprit, ou un de ces fantômes qu’on voit souvent errer autour des tombeaux, mais sachez qu’un esprit n’a ni chair ni os, tandis que j’ai une chair et des os. — S. Ambr. Notre-Seigneur s’exprime de la sorte pour nous donner une image de la résurrection ; en effet, ce qui peut se toucher, est nécessairement un corps, nous ressusciterons donc dans notre corps, la seule différence est qu’il sera subtil, tandis qu’il est maintenant épais et grossier, parce qu’il est composé d’éléments infirmes et terrestres. Ce n’est donc point en vertu de sa nature incorporelle et divine, mais par suite des propriétés de son corps ressuscité, que Jésus-Christ a pénétré dans le cénacle, les portes demeurant fermées. — S. Grég. (Moral., 14, 29.) Lorsque notre corps aura part à la gloire de la résurrection, il ne sera pas impalpable, ni plus subtil et plus délié que le vent ou l’air (comme le prétend Eutychius) ; mais il sera tout à la fois subtil en vertu de sa nouvelle puissance spirituelle, et palpable par une conséquence de la nature corporelle.

" Ayant ainsi parlé, il leur montra ses mains et ses pieds. " — Bède. Ses mains et ses pieds qui avaient conservé la trace des clous qui les avaient transpercés. D’après saint Jean, il leur montra aussi son côté que le fer de la lance avait ouvert, afin que la vue des cicatrices de ses plaies guérît la blessure de leurs doutes. Les infidèles soulèvent ici une difficulté, et accusent le Seigneur de n’avoir pu guérir les blessures qui lui ont été faites. Nous leur répondons qu’il n’est pas logique d’admettre que celui qui a fait évidemment des miracles beaucoup plus grands n’ait pu en faire de moindres. C’est donc par un dessein plein de miséricorde, que celui qui a triomphé de la mort n’a point voulu détruire les signes que la mort avait imprimés sur son corps : premièrement pour rendre plus ferme dans ses disciples la foi à sa résurrection ; secondement, afin qu’en intercédant pour nous près de son Père, il pût lui montrer toujours le genre de mort qu’il avait souffert pour le salut des hommes ; troisièmement, pour rappeler à ceux qu’il a rachetés par sa mort, quels secours miséricordieux il leur aménagés en leur mettant sous les yeux les signes visibles de sa mort ; quatrièmement enfin, pour faire comprendre aux impies, au jour du jugement, la justice de leur condamnation.

 

vv. 41-44.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur avait montré à ses disciples ses mains et ses pieds pour leur certifier que le corps qui avait souffert était le même qui était ressuscité. Pour leur rendre cette vérité plus certaine encore, il demande quelque chose à manger : " Mais comme ils hésitaient encore à croire, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? " — S. Grég. de Nysse. (disc. 1 sur la résurr.) La loi prescrivait qu’on mangeât la pâque avec des laitues amères, parce que c’était encore le temps de l’amertume, mais après la résurrection, cette amertume est adoucie par un rayon de miel : " Et ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti, et un rayon de miel. "

Bède. C’est donc pour démontrer la vérité de sa résurrection, qu’il daigne non seulement se laisser toucher par ses disciples, mais manger avec eux, il détruit ainsi dans leur esprit la pensée que le corps qui leur apparaissait n’était pas réel, mais imaginaire : " Lorsqu’il eut mangé devant eux, prenant ce qui restait, il le leur donnai " Manger pour lui est un acte de puissance et non une nécessité ; en effet, la terre altérée et le soleil brûlant n’absorbent point l’eau de la même manière, la terre le fait par indigence, le soleil par puissance. — Ch. des Pèr. gr.) Mais, dira-t-on, si nous accordons que le Seigneur ait véritablement mangé, il faut admettre aussi qu’après la résurrection les hommes auront également besoin des aliments comme soutien de leur existence. Nous répondons que les actions que le Sauveur a faites dans une pensée de miséricorde ne sont ni une règle générale ni une loi établies par la nature, en vertu de sa conduite particulière dans certains cas. Ainsi il ressuscitera nos corps sans aucun défaut, et dans un état de perfection et d’incorruptibilité entières, bien qu’il ait voulu conserver dans son corps ressuscité les trous dont les clous ont percé ses pieds et ses mains, et la cicatrice de son côté, pour montrer qu’après sa résurrection il a conservé à son corps la même nature et ne l’a point changé en une autre substance. — Bède. Si donc il a mangé après sa résurrection, ce n’est ni qu’il eût besoin de nourriture, ni pour figurer qu’après la résurrection qui fait l’objet de notre espérance, nous aurons encore besoin d’aliments, mais pour établir ainsi la vérité de sa résurrection.

Dans le sens figuré, ce poisson grillé représente Jésus-Christ dans sa passion, il a daigné, en effet, vivre caché dans lés, eaux du genre humain, il s’est laissé prendre dans les filets de notre mort, il a été comme brûlé par la tribulation au temps de sa passion, mais il est devenu pour nous un rayon de miel après sa résurrection. Ce rayon de miel représente la double nature de sa personne, car le rayon de miel repose dans la cire, et ce miel dans la cire, c’est la divinité dans l’humanité.

Théophyl. Ces aliments ont encore une autre signification mystérieuse. En mangeant un morceau de ce poisson grillé, il veut nous représenter qu’il a purifié par le feu de sa divinité notre nature qui nageait dans la mer de cette vie ; qu’il a desséché l’humidité qu’elle avait contractée au milieu de ces eaux profondes et qu’il en a fait ainsi une nourriture divine, et que d’un aliment abominable, elle est devenue une nourriture des plus agréables à Dieu, ce que figure le rayon de miel. Ou encore, le poisson grillé est la figure de la vie active qui consume notre humidité par le feu du travail, tandis que la contemplation se trouve représentée par le rayon de miel à cause de la douceur ineffable de la parole de Dieu.

Bède. Après qu’il s’est laissé voir et toucher et qu’il a mangé avec ses disciples ; pour achever de montrer qu’il ne veut faire illusion à aucun de nos sens, Notre-Seigneur apporte en preuve les Écritures : " Puis il leur dit : C’est là ce que je vous ai dit, étant encore avec vous, " c’est-à-dire, lorsque j’étais revêtu de la chair mortelle dont vous êtes revêtu vous-même. C’était encore la même chair qui était ressuscitée, mais elle n’était plus comme celle des Apôtres, soumise à la mortalité. Le Sauveur ajoute : " Il fallait que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les Psaumes s’accomplit. " — S. Aug. (De l’accord des Evang., 1, 11.) Qu’ils méditent ces paroles ceux qui poussent la folie jusqu’à oser dire que c’est par là magie qu’il a opéré tant de merveilles, et par son habileté qu’il a divinisé son nom aux yeux des peuples pour les convertir à Son culte. Est-ce grâce à la magie qu’il a pu accomplir les prophéties que l’Esprit saint avait inspirées bien avant sa naissance ? Car si c’est par des opérations magiques qu’il s’est fait adorer après sa mort, il était donc magicien avant sa naissance, puisqu’un peuple tout entier a été suscité de Dieu pour prophétiser sa venue.

 

vv. 45-49.

Bède. Notre-Seigneur s’est fait voir aux yeux et toucher par les mains de ses disciples, il vient de leur rappeler les témoignages des saintes Écritures, il ne lui restait plus que de leur en découvrir le véritable sens : " Alors il leur ouvrit l’esprit pour leur faire comprendre les Écritures. " — Théophyl. Autrement, comment leur âme troublée et chancelante aurait-elle pu s’appliquer à l’étude des mystères de Jésus-Christ ? il y ajoute encore l’enseignement de sa divine parole : " Il leur dit : Il est ainsi écrit, et c’est ainsi qu’il fallait que le Christ souffrît, " c’est-à-dire, le supplice de la croix.

Bède. Jésus-Christ aurait perdu tout le fruit de sa résurrection, s’il ne fût véritablement ressuscité. Aussi ajoute-t-il : " Et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour. " Après avoir établi la vérité de son corps, il veut aussi établir l’unité de son Église : " Et qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations. " — Eusèbe. Dieu lui avait en effet : " Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. " (Ps 2.) Il était nécessaire, en effet, que ceux des Gentils qui se convertiraient à lui, fussent purifiés par sa vertu de toutes les taches et de toutes les souillures contractées au milieu des erreurs diaboliques de l’idolâtrie et des abominations d’une vie d’impudicité. Voilà pourquoi il ajoute : " Il fallait qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations ; " car tous ceux qui témoignent un véritable repentir, reçoivent de sa grâce et de sa miséricorde le pardon des iniquités pour l’expiation desquelles il a voulu souffrir la mort.

Théophyl. L’idée du baptême dans lequel on obtient le pardon de ses péchés en renonçant aux crimes de la vie passée se trouve renfermée dans ces paroles : " Qu’on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés. " Mais comment entendre que le baptême doit être donné au seul nom de Jésus-Christ, lorsque lui-même commande ailleurs de baptiser au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ? Nous répondons premièrement que ces paroles ne veulent point dire que le baptême ne doive être donné qu’au nom de Jésus-Christ, mais qu’il faut recevoir le baptême de Jésus-Christ, c’est-à-dire un baptême spirituel tout différent du baptême des Juifs, un baptême qui ne soit plus comme celui de Jean, un baptême de simple pénitence, mais une véritable participation de l’Esprit saint, comme il arriva au baptême de Jésus-Christ dans le Jourdain, alors qu’on vit l’Esprit saint descendre sur sa tête sous la forme d’une colombe. Etre baptisé au nom de Jésus-Christ, c’est donc être baptisé en la mort de Jésus-Christ. En effet, de même qu’il est ressuscité trois jours après sa mort, de même nous sommes plongés trois fois dans l’eau, et nous en sortons en recevant les arrhes de l’esprit d’incorruptibilité. Ajoutons que le nom de Jésus-Christ comprend en lui-même, et le Père qui donne l’onction, et le Saint-Esprit qui est l’onction même, et le Fils qui a reçu cette onction dans sa nature humaine). Le genre humain ne devait plus être divisé en deux peuples, les Juifs et les Gentils, et c’est pour réunir tous les hommes en un seul peuple, qu’il ordonne à ses Apôtres de commencer la prédication par Jérusalem, et de la terminer par les nations : " Dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem. " — Bède. La raison de ce précepte n’est pas seulement parce que c’est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés (Rm 3, 2) ; et qu’à eux appartient l’adoption des enfants, et la gloire et l’alliance (Rm 9, 4) ; mais parce que Dieu veut que les Gentils, plongés dans tant d’erreurs différentes, conçoivent une vive espérance d’obtenir leur pardon, en voyant la divine miséricorde l’accorder à ceux mêmes qui ont crucifié le Fils de Dieu. — S. Chrys. Il voulait aussi prévenir le reproche que l’on pourrait faire aux Apôtres, d’avoir négligé leurs concitoyens pour aller se produire avec ostentation chez les étrangers ; c’est donc devant les bourreaux eux-mêmes du Sauveur, qu’ils exposent les preuves de la résurrection, et dans cette même ville où s’est accompli cet audacieux forfait ; or quelle preuve plus éclatante de la résurrection de Jésus-Christ, que la conversion et la foi de ceux mêmes qui l’ont crucifié ?
 

Eusèbe. Or, si les prédictions que Jésus-Christ a faites, ont déjà leur accomplissement, et si la foi du monde entier reconnaît la puissance et l’efficacité de sa parole, il est temps désormais de croire à l’auteur de cette parole, et de reconnaître aussi qu’il doit nécessairement être Dieu, puisque les oeuvres divines qu’il opère sont conformes à ses divins enseignements. C’est ce qui s’est accompli par le ministère des Apôtres : " Pour vous, vous êtes témoins de ces choses " etc., c’est-à-dire, de ma mort et de ma résurrection. — Théophyl. Mais comment, pouvaient se demander les Apôtres, dans le trouble de leur âme, comment, nous qui sommes des hommes ignorants, pourrons-nous rendre ce témoignage devant les Gentils et devant les Juifs qui vous ont mis à mort. Notre-Seigneur prévient cette difficulté : " Je vous enverrai, leur dit-il, le don promis par mon Père, " etc., celui que Dieu avait promis en ces termes par le prophète Joël : " Je répandrai mon esprit sur toute chair, " etc. (Jl 2, 18.)

S. Chrys. (hom. 4 sur les Actes.) De même qu’un général ne laisse point ses soldats marcher contre de nombreux ennemis, qu’ils ne soient parfaitement armés ; ainsi le Sauveur ne permet pas à ses disciples d’affronter les combats avant la descente de l’Esprit saint : " Vous, tenez-vous eu repos dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut. " — Théophyl. C’est-à-dire, d’une force qui n’a rien d’humain et qui est toute céleste. Et il ne dit pas : Jusqu’à ce que vous receviez, mais : " Jusqu’à ce que vous soyez revêtus, " pour signifier la protection toute-puissante dont les couvrira l’Esprit saint. — Bède. C’est de cette vertu céleste, c’est-à-dire, de l’Esprit saint, que l’ange dit à Marie : " La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; " (Lc 1) et que le Seigneur lui-même dit ailleurs : " J’ai senti qu’une vertu était sortie de moi. " (Lc 8.)

S. Chrys. Mais pourquoi l’Esprit saint ne descendit-il pas sur les Apôtres pendant que le Sauveur était encore sur la terre ou aussitôt qu’il l’eût quittée ? Il voulait leur faire désirer ardemment cette grâce, avant de la leur accorder, car c’est lorsque la nécessité nous presse que nous nous empressons de recourir à Dieu. Il fallait auparavant que notre nature fit son entrée dans le ciel, et que notre alliance avec Dieu fût consommée. C’est alors que l’Esprit saint devait descendre et répandre dans notre âme une joie pure et sans mélange. Remarquez aussi l’obligation expresse qu’il leur impose de demeurer à Jérusalem, parce que c’est là qu’ils recevront l’Esprit saint qu’il leur a promis, et comment il les enchaîne par cette bienheureuse attente, qui les empêche de prendre de nouveau la fuite après sa résurrection. Il leur dit : " Jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut. " Il ne précise pas le moment pour les tenir dans une constante vigilance. Qu’y a-t-il donc d’étonnant qu’il ne nous ait pas fait connaître le dernier jour, puisqu’il n’a pas voulu indiquer à ses Apôtres le jour qui était si proche ?

S. Grég. (Past., part. 3, chap. 26.) Il faut donner de sévères avertissements à ceux que leur âge ou leurs imperfections devraient éloigner du ministère de la prédication, et qui s’y jettent cependant avec présomption ; car en usurpant avec autant de témérité un ministère aussi sublime et aussi redoutable, ils se ferment la voie à tout progrès dans la vertu. Voyez la Vérité elle-même qui pouvait en un instant donner à ses Apôtres la force qui leur manquait, qui leur avait donné les instructions les plus complètes sur l’objet de leurs prédications, leur commande cependant de se tenir en repos dans la ville, jusqu’à ce qu’ils soient revêtus de la force d’en haut, exemple qu’elle voulait donner à tous les siècles suivants, et qui devait détourner les âmes imparfaites de se charger témérairement du ministère de la prédication. Or, nous nous tenons en repos dans la ville, lorsque nous nous renfermons dans l’intérieur de notre âme, évitant de nous répandre dans les conversations extérieures, et attendant que nous soyons pleinement revêtus de la force divine, avant de sortir de nous-mêmes pour instruire les autres.

S. Ambr. Mais comment se fait-il que d’après saint Jean (Jn 20, 23), les Apôtres avaient déjà reçu alors l’Esprit saint, tandis qu’ici nous voyons le Sauveur leur commander de demeurer dans la ville, jusqu’à ce qu’ils soient revêtus de la force d’en haut ? Peut-être soufflait-il d’abord sur les onze Apôtres pour leur donner l’Esprit Saint, comme étant plus parfaits, et promet-il ici de le donner ensuite aux autres. Ou bien, c’est aux mêmes qu’il le donne d’un côté et qu’il le promet de l’autre. Et il n’y a en cela aucune contradiction, puisque les grâces sont différentes ; ainsi le Sauveur donne, d’après saint Jean, la grâce d’une opération divine, et en promet une autre d’après saint Luc. En effet, la première fois il donne à ses Apôtres le pouvoir de remettre les. péchés (pouvoir qui est moins étendu), et Jésus-Christ le leur donne en soufflant sur eux, afin que vous croyiez que l’Esprit saint est l’esprit de Jésus-Christ, et que c’est le même que l’esprit de Dieu, car Dieu seul peut remettre les péchés. Saint Luc, au contraire, veut parler du don des langues que l’Esprit saint communiqua aux Apôtres. — S. Cyr. Ou encore, il leur dit d’abord : " Recevez l’Esprit saint, afin de les préparer à le recevoir ; ou il parle au présent de ce qui ne devait arriver que plus tard. — S. Aug. (de la Trin., 15, 26.) Ou encore, le Seigneur adonné deux fois l’Esprit saint à ses Apôtres après sa résurrection, la première fois sur la terre pour leur inspirer l’amour du prochain, et la seconde du haut du ciel pour allumer dans leurs coeurs l’amour de Dieu.

 

vv. 50-53.

Bède. Saint Luc ne dit rien absolument de tout ce qui se passa entre le Seigneur et les Apôtres pendant quarante-trois jours, et il joint sans intermédiaire au premier jour de la résurrection le dernier où Jésus quitta la terre pour remonter au ciel : " Ensuite il les emmena hors de la ville jusqu’à Béthanie. " Ce fut d’abord à cause du nom de ce village qui signifie maison d’obéissance, car celui qui est descendu sur la terre pour expier la désobéissance des méchants, est remonté aux cieux pour récompenser l’obéissance des bons. Ce fut encore à cause de la position de ce village, situé sur le versant de la montagne des Oliviers, parce qu’en effet., la maison, de l’Église, modèle d’obéissance, a placé sur le versant de la montagne céleste, c’est-à-dire de Jésus-Christ, les fondements de sa foi, de son espérance et de sa charité. Le Sauveur bénit ensuite ceux à qui il venait de confier la mission d’instruire : " Et ayant élevé les mains, il les bénit. " — Théophyl. Peut-être, répandit-il en ce moment sur eux une vertu protectrice qui les conservât jusqu’à la venue de l’Esprit saint. Peut-être aussi a-t-il voulu nous enseigner à bénir ceux qui nous sont soumis et à les recommander à Dieu par nos bénédictions, toutes les fois que nous nous séparons d’eux.
 

Orig. Il les bénit en levant les mains, pour apprendre à celui qui est appelé à bénir les autres, qu’il doit être orné de toutes les vertus les plus éminentes et de la pratique des oeuvres les plus parfaites, c’est ainsi que nous élevons nos mains en haut.

S. Chrys. Remarquez encore comment Jésus-Christ place sous nos yeux les récompenses qu’il nous a promises. Il nous a promis la résurrection des corps, il ressuscite le premier d’entre les morts, et donne des preuves certaines de sa résurrection en demeurant quarante jours avec ses disciples. Il nous a promis que nous serions emportés dans les airs sur les nuées, et il confirme cette promesse par ses actes : " Et en les bénissant, il se sépara d’eux, et il s’éleva vers le ciel. " — Théophyl. Elle avait paru être transporté dans le ciel, " mais le Sauveur est le premier qui entre véritablement dans le ciel comme le précurseur de tous les hommes pour se présenter devant Dieu avec son corps sacré ; et dès lors, notre nature dans la personne de Jésus-Christ, reçut les hommages de toutes les vertus angéliques.

S. Chrys. Mais, direz-vous, que m’importe à moi l’ascension du Sauveur ? Vous ne savez donc pas que vous serez un jour pareillement enlevé dans les nues, car votre corps est de la même nature-que le corps de Jésus-Christ ? Il sera donc doué de la même agilité pour traverser les airs, car le corps aura le même sort que la tête, et tel principe telle fin. Or, voyez quels honneurs vous avez reçu dans ce principe. L’homme était la dernière des créatures raisonnables, mais. voici que les pieds sont devenus comme la tête, et ils sont élevés dans leur chef sur un trône d’une magnificence royale.

Bède. Pendant que le Seigneur s’élevait vers le ciel, les disciples adorèrent la dernière trace de ses pas, puis retournèrent immédiatement à Jérusalem, où Jésus leur avait commandé d’attendre la promesse du Père : " Et eux, l’ayant adoré, retournèrent à Jérusalem avec une grande joie, " etc. Ils sont remplis d’une grande joie, parce qu’ils ont eu le bonheur de voir le Seigneur et leur Dieu remonter dans les cieux après le triomphe de sa résurrection. — Ch. des Pèr. grecs. Or, ils passaient leurs journées dans les veilles, dans les prières, dans les jeûnes ; ils ne restent point chacun dans leurs maisons particulières, mais ils demeurent dans le temple, attendant la grâce qui doit descendre des cieux, et s’exerçant à la piété et à la vertu dans ce lieu si propre à inspirer l’une et l’autre : " Et ils étaient toujours dans le temple. " — Théophyl. Ils n’avaient pas encore reçu l’Esprit saint, et déjà leur vie était toute spirituelle. Auparavant ils n’osaient sortir de leur retraite ; maintenant ils sont dans le temple, au milieu des princes des prêtres ; ils ne sont distraits par aucune des pensées de ce monde, et dans un saint mépris de toutes les choses de la terre, ils ne cessent de louer Dieu : " Ils étaient toujours dans le temple louant et bénissant Dieu. " — Bède. Remarquez enfin que parmi les quatre animaux symboliques (Ez 1 ; Ap 4), saint Luc est désigné sous l’emblème du taureau, qui était la victime prescrite pour la consécration des prêtres (Ex 29), parce qu’il a eu pour but d’exposer plus au long que les autres le sacerdoce de Jésus-Christ, et qu’après avoir commencé son Évangile par le récit des fonctions sacerdotales que Zacharie exerçait dans le temple, il le termine en rapportant les pratiques de religion auxquelles les Apôtres se livraient aussi dans le temple. Il nous montre ces futurs ministres du sacerdoce nouveau qui ne verse plus le sang des victimes, mais ne cesse de louer et de bénir Dieu, et c’est dans le lieu même de la prière et au milieu des pieux exercices de la religion, qu’ils préparent leurs coeurs à recevoir l’Esprit saint qui leur a été promis. — Théophyl. Imitons-les nous-mêmes par une vie toujours sainte, consacrée aussi à bénir et à louer Dieu, à qui appartient la gloire, la bénédiction et la puissance dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
 
 
 

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