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Saint Thomas d'Aquin
Chaîne d'Or sur l'Evangile selon Saint Luc - Catenae Aurea


CHAPITRE VI
 

vv. 1-5.

S. Ambr. Ce n’est pas seulement par ses enseignements, mais par sa conduite et par ses actes, que Notre-Seigneur commence à dépouiller l’homme des observances de l’ancienne loi. " Or, un jour de sabbat, appelé le second-premier, comme Jésus passait le long des blés, ses disciples cueillaient des épis, " etc. — Bède. L’importunité de la foule ne laissait pas aux disciples le temps de manger, et comme ils éprouvaient le besoin de la faim, ils l’apaisent en mangeant les épis qu’ils froissent entre leurs mains, preuve d’une vie simple et austère, qui, loin de chercher des mets apprêtés, se contente des aliments les plus simples. — Théophyl. C’était, dit l’Évangéliste, le sabbat second-premier, parce que les Juifs donnaient le nom de sabbat à toutes les fêtes. En effet, le mot sabbat signifie repos. Or, il arrivait souvent qu’une fête tombait la veille du sabbat, et on appelait ce jour sabbat à cause de la fête ; puis alors le véritable jour du sabbat était appelé second-premier, comme étant le second après la fête qui avait précédé. — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Il y avait alors une double fête, celle du jour même du sabbat et celle de la solennité qui lui succédait, et à laquelle on donnait aussi le nom de sabbat. — S. Isid. Il appelle ce sabbat second-premier, parce que c’était le second jour de Pâque, et le premier des Azymes. En effet, on immolait la pâque le soir, et le jour suivant on célébrait la fête des Azymes. Ce qui rend cette explication plus vraisemblable, c’est que nous voyons les Apôtres arracher des épis et les manger ; car dans cette époque de l’année, les épis s’inclinent sous le poids des grains qu’ils contiennent. — S. Epiph. (contre les hérés., liv. I, ch. xxx.) Ils passaient donc le long des champs de blé un jour de sabbat, et ils mangeaient des épis pour montrer que la loi du sabbat a cessé d’exister depuis la venue du grand sabbat, c’est-à-dire de Jésus-Christ, qui nous a donné le repos après les fatigues que nos crimes nous avaient causées.
 

S. Cyr. Les pharisiens et les scribes, dans leur ignorance des saintes Écritures, conspiraient entre eux pour accuser les disciples de Jésus-Christ : " Alors quelques-uns des pharisiens leur dirent : Pourquoi faites-vous ce qu’il n’est pas permis de faire ? " etc. Mais dites-moi vous-mêmes, lorsque la table est servie devant vous le jour du sabbat, hésitez-vous à rompre le pain ? Pourquoi donc reprenez-vous les autres ? — Bède. Il en est qui prétendent que ce reproche fut fait à Notre-Seigneur en personne, mais il a pu très-bien être fait par différentes personnes et au Sauveur lui-même, et à ses disciples ; et quoiqu’il en soit, c’était surtout à lui que le reproche s’adressait.
 

S. Ambr. Or, le Seigneur accuse à son tour les défenseurs de la loi, de ne pas connaître ce que la loi renferme, et il leur cite à l’appui l’exemple de David : " Jésus leur répondit : N’avez-vous pas lu, " etc. — S. Cyr. Comme s’il disait : La loi de Moïse fait cette recommandation expressément : " Jugez selon la justice, ne faites point acception de personnes dans vos jugements ; " pourquoi donc accusez-vous mes disciples, vous qui ne cessez d’exalter David comme un saint et comme un prophète, bien qu’il n’ait pas observé le commandement de Moïse ? — S. Chrys. (hom. 40 sur S. Matth.) Remarquez que, lorsque Notre-Seigneur prend la défense de ses serviteurs (c’est-à-dire de ses disciples), il cite à l’appui l’exemple de simples serviteurs, celui de David et des prêtres, mais quand il répond à ses propres accusateurs, il en appelle à l’exemple de son Père, comme lorsqu’il dit : " Mon Père agit sans cesse, et moi j’agis aussi (Jn 5, 17). "
 

Théophyl. Il leur répond encore d’une autre manière : " Et il ajouta : Le Fils de l’homme est maître même du sabbat ; " comme s’il disait : Je suis maître du sabbat, et j’en dispose à mon gré, et comme législateur, j’ai le pouvoir de supprimer le sabbat. Jésus-Christ était appelé Fils de l’homme, parce que tout Fils de Dieu qu’il était, il a daigné devenir miraculeusement Fils de l’homme et en porter le nom par amour pour les hommes. — S. Chrys. D’après saint Marc, Notre-Seigneur justifie ses disciples par une considération propre à tous les hommes : " Le sabbat, leur dit-il, a été fait pour les hommes, et non l’homme pour le sabbat. " Donc il faut mettre le sabbat au-dessous de l’homme, plutôt que de placer l’homme sous le joug du sabbat,
 

S. Ambr. Cette action des disciples renferme un grand mystère. Le champ de blé, c’est le monde entier ; la moisson, dont ce champ est couvert, c’est la prodigieuse fécondité des saints répandus dans le champ du genre humain ; les épis sont les fruits de l’Église ; les Apôtres en font tomber les grains et les mangent, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent de nos progrès dans la vertu, en séparant de leur enveloppe extérieure les oeuvres et les fruits de l’âme pour les faire paraître à la lumière de la foi par les miracles éclatants de leurs oeuvres. — Bède. Ils broient les épis dans leurs mains, c’est-à-dire qu’ils font mourir le vieil homme dans ceux qu’ils veulent unir au corps de Jésus-Christ, en les séparant de toute intention terrestre. — S. Ambr. Les Juifs croyaient que c’était là une action défendue le jour du sabbat ; mais Jésus-Christ, en venant apporter le bienfait inestimable de la grâce nouvelle, voulait désigner à la fois le repos de la loi et le travail de la grâce. C’est dans un dessein tout particulier que saint Luc appelle ce jour le sabbat second-premier, et non premier-second, parce qu’en effet, le sabbat établi par la loi, qui était le premier, est supprimé, et celui qui était le second par ordre de temps est devenu le premier. Il est donc appelé second par ordre de temps, et premier, à cause de l’excellence de l’opération de la grâce ; car le sabbat qui délivre du châtiment est supérieur à celui qui prescrit la punition. Ou encore, ce sabbat est le premier dans les desseins éternels de Dieu, et le second par ordre d’institution. David, qui fuit avec ses compagnons, est dans la loi la figure de Jésus-Christ qui se dérobe avec ses disciples à la connaissance et aux poursuites du prince du monde. Mais pourquoi ce fidèle observateur et ce zélé défenseur de la loi mange-t-il lui-même de ces pains, et en donne-t-il à ceux qui étaient avec lui (alors que les prêtres seuls pouvaient en manger) ? C’était pour nous montrer par cette action, que la nourriture réservée jusqu’alors aux prêtres, deviendrait la nourriture des peuples, ou bien que tous nous devions imiter les vertus de la vie sacerdotale, ou enfin que tous les enfants de l’Église sont de véritables prêtres. En effet, nous recevons l’onction sainte qui nous consacre prêtres pour nous offrir nous-mêmes à Dieu comme des hosties spirituelles. (1 P 2)

Mais puisque le sabbat a été fait pour les hommes, et que leur utilité demandait que l’homme ne fût plus soumis au jeûne prolongé d’une faim mortelle (lui qui avait été si longtemps privé des fruits de la terre), la loi, loin d’être détruite, reçoit ici son accomplissement.
 

vv. 6-11.

S. Ambr. Notre-Seigneur passe à des oeuvres différentes ; il venait pour sauver l’homme tout entier, il commence par le guérir partiellement, un membre après l’autre : " Un autre jour de sabbat, Jésus entra dans la synagogue pour y enseigner. " — Bède. Il choisit de préférence le jour du sabbat, pour enseigner et pour guérir, non seulement afin d’annoncer ainsi le sabbat spirituel, mais aussi parce que le peuple se trouvait réuni en plus grand nombre. — S. Cyr. Il enseignait des vérités qui surpassaient l’intelligence, et il ouvrait à ceux qui l’entendaient la voix du salut, qu’il venait apporter au monde ; et ensuite il donnait pour appui à sa doctrine les oeuvres de sa toute-puissance : " Et il y avait là un homme dont la main droite était desséchée. "

Bède. Le Maître vient de justifier par un exemple des plus louables la conduite de ses disciples, accusés de violer le jour du sabbat ; ses ennemis l’observent maintenant lui-même pour le calomnier : " Or, les scribes et les pharisiens l’observaient pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat, " tout disposés à l’accuser de cruauté et d’impuissance, s’il ne le guérissait point, ou de violer le sabbat s’il le guérissait : " Afin dit l’Évangéliste, d’avoir sujet de l’accuser. " — S. Cyr. Tel est bien le caractère de l’homme envieux, il nourrit en lui-même sa douleur avec les louanges qu’il entend donner aux autres ; mais le Seigneur connaît toutes choses et pénètre le secret des coeurs : " Or comme il connaissait leurs pensées, il dit à l’homme qui avait la main desséchée : Levez-vous, et tenez-vous là debout au milieu, et se levant, il se tint debout. " Peut-être le Sauveur voulait-il exciter la commisération de ces pharisiens cruels, et amortir le feu de la passion qui les dévorait.
 

Bède. Cependant Notre-Seigneur, voulant prévenir l’accusation qu’ils préparaient contre lui, leur reproche de mal interpréter les prescriptions de la loi, eux qui croyaient qu’on devait s’interdire même les bonnes oeuvres le jour du sabbat, tandis que la loi ne défend que les oeuvres serviles, c’est-à-dire les oeuvres mauvaises : " Alors Jésus leur dit : Je vous le demande, est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ? " — S. Cyr. Cette question était pleine d’opportunité. En effet, s’il est permis de faire le bien le jour du sabbat, et que rien ne s’oppose à ce que la miséricorde de Dieu vienne au secours de ceux qui souffrent, cessez donc de réunir vos accusations calomnieuses contre Jésus-Christ. Si au contraire, il n’est pas permis de faire du bien le jour du sabbat, et si la loi défend de sauver les âmes, vous devenez l’accusateur de la loi. De plus, si nous voulons examiner les motifs de l’institution du sabbat, nous trouverons qu’il a été établi dans un but de miséricorde. En effet, Dieu commande le repos le jour du sabbat, " afin, dit-il, que votre serviteur, votre servante et vos animaux puissent se reposer. " (Ex 20, 22.) Or, celui qui a compassion du boeuf et des autres animaux, pourrait-il être sans pitié pour un homme qui souffre d’une maladie cruelle ? — S. Ambr. La loi était dans le temps présent la figure de la vie future, où nous nous reposerons en nous abstenant de toute oeuvre corporelle, mais non des bonnes oeuvres, telle que la louange de Dieu. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 7.) Lorsque Notre-Seigneur eut guéri cet homme, il fait cette question aux pharisiens : " Est-il permis de sauver l’âme ou de la laisser périr ? " Il parle de la sorte, parce qu’il opérait ses miracles pour établir la foi qui est le salut de l’âme ; ou encore, parce que la guérison de la main droite était le symbole du salut de l’âme qui, en cessant de faire des bonnes oeuvres, avait pour ainsi dire la main droite desséchée ; ou bien enfin, l’âme ici est prise pour l’homme tout entier, comme lorsqu’on dit : " Il y avait là tant d’âmes (Gn 46, 27). "
 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On peut se demander comment, d’après saint Matthieu, ce sont les pharisiens qui demandent à Notre-Seigneur s’il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que, d’après saint Luc, c’est le Sauveur lui-même qui leur fit cette question. Nous répondons que les pharisiens ont pu très-bien demander les premiers à Notre-Seigneur, s’il était permis de guérir le jour du sabbat ; et que lui-même ensuite connaissant leurs pensées, et sachant qu’ils cherchaient une occasion de l’accuser, plaça au milieu d’eux cet homme qu’il voulait guérir, et leur adressa la question que saint Marc et saint Luc mettent dans sa bouche.
 

" Et les ayant tous regardés, " etc. — Tite de Bost. Il attire par là les regards de tous ceux qui sont présents, il concentre en même temps toute leur attention sur l’oeuvre qu’il va faire, et il dit à cet homme : " Étendez votre main, " je vous le commande, moi qui ai créé l’homme, cet homme qui avait la main paralysée, obéit, et il est guéri sur le champ : " Il l’étendit, et elle fut guérie, " etc. Ce miracle qui aurait dû les remplir d’admiration, ne fait qu’augmenter leurs mauvaises dispositions : " Mais eux, remplis de fureur, se consultaient sur ce qu’ils feraient de Jésus. " — S. Chrys. (hom. 41.) Et comme le rapporte saint Matthieu, ils s’en vont et tiennent conseil pour le faire mourir. — S. Cyr. Vous êtes témoin, pharisien, des oeuvres divines de sa toute-puissance, vous le voyez guérir les malades par une vertu toute céleste, et, par un noir sentiment d’envie, vous conspirez pour le faire mourir.
 

Bède. Cet homme représente le genre humain frappé de stérilité pour le bien, et dont la main a été comme desséchée pour s’être étendue vers le fruit que mangea notre premier père. Nous voyons cette main paralysée jusqu’au milieu de la synagogue ; car plus le don de la science est grand, plus aussi la transgression de la loi est coupable. — S. Ambr. Vous avez entendu les paroles du Sauveur : " Étendez votre main. " C’est le remède général qu’il propose à tous les hommes. Vous donc qui croyez avoir la main saine, craignez que l’avarice ou le sacrilège ne vienne à la fermer ; étendez-la continuellement pour secourir le prochain, pour protéger la veuve, pour délivrer de l’injustice celui que vous voyez sous le poids d’une accusation inique ; étendez-la vers le pauvre qui vous supplie, étendez-la vers Dieu pour vos péchés : c’est ainsi qu’il faut étendre la main, et c’est ainsi qu’elle est guérie.
 

 

v. 12—16.

La Glose. Pendant que les ennemis de Jésus-Christ se déclarent contre ses miracles et sa doctrine, il choisit ses Apôtres pour être les défenseurs et les témoins de la vérité, et avant de les choisir il se livre à la prière : " En ces jours là, il se retira sur la montagne pour prier. " — S. Ambr. Prenez garde d’entendre ces paroles avec un esprit prévenu, et de penser que si le Fils de Dieu prie, c’est dans le sentiment de sa faiblesse et pour obtenir ce qu’il ne peut faire de lui-même, car l’auteur de toute-puissance a voulu se rendre maître de l’obéissance, et nous enseigner par son exemple les préceptes de la vertu.
 

S. Cyr. Méditons attentivement dans la conduite de Jésus-Christ, l’exemple qu’il nous donne de persévérer dans la prière, en nous tenant à l’écart, dans le secret, loin des regards des hommes, séparé de toutes les préoccupations du monde, afin que notre esprit puisse s’élever librement sur les sommets de la contemplation divine ; c’est ce que nous apprend Notre-Seigneur en se retirant sur la montagne pour prier. — S. Ambr. En toute circonstance, Jésus prie seul et sans témoins ; en effet, les voeux des hommes ne peuvent s’élever jusqu’aux conseils de Dieu, et personne ne peut entrer en participation des pensées intimes du Christ. Tous ceux qui prient ne montent point sur la montagne, mais celui-là seul qui, dans sa prière, s’élève des préoccupations de la terre aux pensées du ciel, et jamais celui qui poursuit avec sollicitude les richesses et les honneurs du siècle. Les âmes détachées de la terre montent sur la montagne ; aussi dans l’Évangile, vous voyez les disciples seuls monter sur la montagne avec leur divin Maître. L’Évangéliste vous donne, chrétiens, la règle et l’exemple que vous devez imiter dans les paroles suivantes : " Et il passait la nuit à prier. " Que ne devez-vous pas faire pour votre salut, quand vous voyez Jésus-Christ passer pour vous toute la nuit en prières. — S. Chrys. Levez-vous donc aussi vous-même pendant la nuit, car alors l’âme est plus pure, et le silence et l’obscurité de la nuit sont on ne peut plus favorable à la componction du coeur. D’ailleurs, si vous considérez le ciel parsemé d’étoiles, et cette multitude innombrables d’astres lumineux ; si d’un autre côté vous réfléchissez que tous ceux qui, pendant le jour, se livrent aux plaisirs et aux oeuvres d’iniquité, sont alors absolument semblables à des morts, comment pourrez-vous ne pas détester tous les crimes des hommes. Que ces pensées sont puissantes pour élever l’âme, elle n’est alors ni tourmentée par la vaine gloire, ni dominée par la mollesse ou par une passion violente ; non, l’action du feu n’est pas si puissante pour faire disparaître la rouille du fer, que la prière pendant la nuit pour effacer la rouille des péchés. Elle rafraîchit pendant la nuit celui que l’ardeur du soleil a brûlé durant le jour, il n’est point de rosée comparable aux larmes versées pendant la nuit, elles triomphent de la concupiscence et de tout sentiment de crainte ; mais si l’homme n’est point humecté de cette rosée féconde, il a tout à craindre des feux du jour. Si donc vous ne pouvez prier beaucoup pendant la nuit, priez au moins une fois lorsque vous vous éveillez, cela suffit, et montrez ainsi que le repos de la nuit n’est pas seulement utile au corps mais à l’âme.

S. Ambr. Vous voyez encore ce que vous devez faire avant d’entreprendre quelque oeuvre de piété, puisque Jésus-Christ a prié avant de choisir ses Apôtres : " Et dès l’aurore, il appela près de lui ses disciples, " etc., c’est-à-dire, ceux qu’il destinait à propager parmi les hommes tous les moyens de salut, et à répandre par toute la terre la semence de la foi. Et remarquez ici l’ordre des conseils de Dieu ; ce ne sont point des sages, des riches, des nobles, mais des pêcheurs et des publicains qu’il choisit pour cette mission ; il ne veut point qu’on puisse attribuer à l’influence puissante des richesses, de l’autorité, de la noblesse, la conversion des hommes à la grâce de l’Évangile, il veut triompher par la puissance naturelle de la vérité, et non par la supériorité du raisonnement et de l’éloquence.

S. Cyr. Remarquez encore avec quel soin l’Évangéliste, non seulement raconte l’élection des saints Apôtres, mais en fait une énumération exacte pour que personne n’osât en inscrire d’autres que ceux qu’il énumère. " Simon, auquel il donna le nom de Pierre, et André son frère. " — Bède. Ce ne fut point alors que Pierre reçut pour la première fois ce surnom, mais longtemps auparavant, lorsqu’ayant été amené à Jésus par André, Jésus lui dit : " Tu t’appelleras Céphas, qui veut dire Pierre. " (Jn 1, 42,) Saint Luc avait l’intention de donner l’énumération des noms des Apôtres, il devait nécessairement y faire entrer le nom de Pierre, il indique donc brièvement que ce nom n’était pas primitivement le sien, mais qu’il lui a été donné par le Sauveur. — Eusèbe. (Ch. des Pèr. gr.) Le second couple est composé de Jacques et de Jean ; ils étaient tous deux fils de Zébédée et pécheurs de profession. Viennent ensuite Philippe et Barthélemi ; Philippe, d’après saint Jean, était de Bethsaïde, concitoyen d’André et de Pierre, ainsi que Barthélemi, homme simple, étranger à la science du monde, sans fiel et sans aigreur. Matthieu fut appelé alors qu’il était receveur des impôts : " Matthieu et Thomas. " — Bède. Matthieu, par humilité, met son nom après celui de Thomas, son collègue, tandis que les autres Évangélistes le mettent avant. — Suite. " Jacques, fils d’Alphée, et Simon, qui est appelé le zélé. " — La Glose. Il est ainsi appelé, parce qu’il était de Cana, en Galilée ; or, Cana vent dire zèle, et on l’appelle ainsi pour le distinguer de Simon Pierre : " Judas, fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui le trahit. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 30.) Saint Luc paraît différer ici de saint Matthieu, qui donne à Judas le nom de Thaddée ; mais qui empêche qu’un même homme ait porté deux ou trois noms ? Le Sauveur choisit pour Apôtre Judas le traître, non par imprévoyance de l’avenir, mais par un dessein providentiel, il avait pris volontairement la fragilité de la nature humaine, il ne refuse pas même cette triste et douloureuse épreuve ; il a voulu être trahi par un de ses Apôtres, afin que si vous êtes vous-même victime de la trahison d’un ami, vous supportiez patiemment les suites de l’opinion erronée que vous aviez de lui, et l’inutilité de vos bienfaits.

Bède. Dans le sens mystique, la montagne sur laquelle Jésus-Christ choisit les Apôtres, représente la hauteur de la justice, à laquelle ils devaient parvenir et qu’ils devaient prêcher, et c’est pour ce motif que la loi fut donnée sur une montagne. — S. Cyr. Si vous êtes désireux de connaître la signification des noms des Apôtres, Pierre veut dire qui délie, ou qui reconnaît, André, puissance brillante, ou qui répond ; Jacques, qui supplante la douleur ; Jean, la grâce du Seigneur ; Matthieu, qui est donné ; Philippe, bouche grande ou orifice de la lampe ; Barthélemi, fils de celui qui suspend les eaux ; Thomas, abîme ou jumeau ; Jacques, fils d’Alphée, qui supplante les pas de la vie ; Jude, confession, Simon, obéissance.
 

vv. 17—1 9.

S. Cyr. Après avoir choisi ses Apôtres, alors qu’il voyait rassemblée autour de lui une grande multitude de peuples de la Judée et aussi de la région maritime de Tyr et de Sidon (contrées dont les habitants étaient idolâtres), il les établit docteurs de tout l’univers ; pour affranchir les Juifs de la servitude de la loi, et rappeler des erreurs des Gentils à la connaissance de la vérité, ceux qui rendaient au démon un culte idolâtre : " Il descendit ensuite avec eux, et s’arrêta avec la troupe de ses disciples, et une grande multitude de peuple de toute la Judée, de Jérusalem et de la contrée maritime de Tyr et de Sidon. " — Bède. Cette région maritime, d’où venait cette multitude qui suivait le Sauveur, n’est point celle qui avoisinait la mer de Galilée, il n’y aurait eu en cela rien d’extraordinaire, mais c’était la région qui touche à la grande mer (et où pouvaient se trouver Tyr et Sidon), comme l’indique l’Évangéliste : " Et de Tyr et de Sidon. " Ces deux villes qui étaient habitées par des Gentils, sont expressément désignées pour faire ressortir la grandeur de la renommée et de la puissance du Sauveur, qui presse des villes idolâtres de venir lui demander la guérison de leurs maux et les enseignements de la vérité : " Qui étaient venus pour l’entendre. " — Théophyl. C’est-à-dire, pour la guérison de leurs âmes, et pour être délivrés de leurs infirmités, c’est-à-dire, pour la guérison de leurs corps. — S. Cyr. Après avoir choisi et désigné les saints Apôtres, Jésus voulant convaincre les Juifs et les Gentils rassemblés en grand nombre, que par ce choix il les avait élevés à la dignité de l’apostolat, et que lui-même était plus qu’un homme, qu’il était Dieu et le Verbe incarné, opéra devant eux plusieurs miracles éclatants : " Et tout le peuple cherchait à le toucher, parce qu’une vertu sortait de lui, " etc. En effet, Jésus-Christ n’avait pas recours à une puissance étrangère, mais comme il était Dieu par nature, il guérissait tous les malades en répandant sur eux sa propre puissance.
 

S. Ambr. Considérez attentivement toutes ces circonstances, comment Jésus monte avec les Apôtres et descend ensuite vers la foule, car la foule ne pouvait voir le Christ que dans un lieu peu élevé, elle ne peut le suivre sur les hauteurs, sur le sommet des montagnes, mais dès qu’il descend, il trouve des infirmes, car les infirmes ne peuvent se trouver sur les hauteurs. — Bède. Rarement vous verrez la foule suivre le Seigneur sur les hauteurs, ou un malade guéri sur une montagne ; mais quand la fièvre des plaisirs sensuels est éteinte, et le flambeau de la science divine allumé, chacun tend à s’élever successivement jusqu’au sommet élevé des vertus. La foule qui a eu le bonheur de toucher le Seigneur, est guérie par la vertu de cet attouchement, comme nous avons vu plus haut le lépreux guéri par l’attouchement du Seigneur. L’attouchement du Sauveur est donc un moyen certain de salut, le toucher, c’est croire fermement en lui, être touché par lui, c’est être guéri par sa grâce.
 

 

vv. 20—23.

S. Cyr. Après avoir choisi ses Apôtres, le Sauveur forme ses disciples à la nouveauté de la vie évangélique. — S. Ambr. Sur le point d’annoncer les divers oracles, il prend une attitude sublime. Le lieu où il se trouve est peu élevé, mais il lève bien haut les yeux  : " Alors levant les yeux vers ses disciples. " Qu’est-ce que lever les yeux, si ce n’est découvrir la lumière dont son âme était pleine ? — Bède. Il s’adressait à tous en général, cependant il lève plus particulièrement les yeux sur ses disciples, c’est-à-dire, qu’il verse en plus grande abondance la lumière de sa grâce intérieure sur ceux qui écoutent sa parole avec un coeur attentif et docile. — S. Ambr. Saint Luc ne rapporte que quatre béatitudes, tandis que saint Matthieu en compte huit, mais on peut dire que les huit renferment les quatre, comme aussi les quatre comprennent les huit. Saint Luc a voulu tout ramener aux quatre vertus cardinales, saint Matthieu, dans les huit béatitudes, nous donne la signification mystérieuse du nombre huit, car ce nombre huit est la perfection de notre espérance, et comprend aussi toutes les vertus. Les deux Évangélistes mettent la pauvreté en tête des autres béatitudes ; en effet, elle est la première et comme la mère des vertus, parce que celui qui méprisera les choses du temps, méritera celles de l’éternité, et s’il veut obtenir la gloire du royaume des cieux, il faut nécessairement qu’il se dégage de l’amour du inonde qui le presse de toutes parts : " Et il dit : Bienheureux les pauvres. " — S. Cyr. Dans l’Évangile selon saint Matthieu, nous lisons : " Bienheureux les pauvres d’esprit, " pour nous faire comprendre qu’il y a des pauvres d’esprit qui ont la modestie et l’humilité de l’intelligence, c’est dans ce sens que le Sauveur dit : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. " Ici, Notre-Seigneur dit simplement : " Bienheureux les pauvres, " sans ajouter " d’esprit, " c’est-à-dire, bienheureux les pauvres qui méprisent les richesses. Il convenait, en effet, que ceux qui devaient annoncer les vérités de l’Évangile du salut, n’eussent point un esprit cupide, et que leurs affections fussent placées en lieu plus élevé.

S. Bas. (Ps 33.) Cependant gardons-nous de croire que tous ceux que la pauvreté accable, aient part à cette béatitude, elle est réservée à ceux-là seuls qui sacrifient les richesses de la terre aux préceptes de Jésus-Christ. Combien, en effet, sont pauvres des biens de la terre, mais on ne peut plus cupides par leurs désirs ; la pauvreté ne les sauve point, mais leurs désirs sont la cause de leur damnation, car rien de ce qui est involontaire ne peut mériter le bonheur éternel, parce qu’on ne peut comprendre la vertu sans le libre arbitre. Bienheureux donc celui qui est pauvre, comme l’est un disciple de Jésus-Christ, qui a souffert pour nous la pauvreté, car le Seigneur a voulu accomplir le premier toutes les oeuvres qui conduisent à la béatitude, en se rendant le modèle de ses disciples. — Eusèbe. On parvient au royaume des cieux par plusieurs degrés de vertus ; or, le premier degré est franchi par ceux qui pratiquent la pauvreté pour plaire à Dieu, et Jésus fit cette grâce à ceux qui, les premiers, devinrent ses disciples. Aussi est-ce en s’adressant personnellement à ceux qui étaient devant lui et vers lesquels il avait levé les yeux, qu’il dit : " Parce que le royaume des cieux est à vous. "

S. Cyr. Après avoir recommandé la pratique de la pauvreté, il promet l’honneur et la gloire aux privations qu’elle impose. Or, comme ceux qui ont en partage la pauvreté manquent souvent des choses nécessaires, et peuvent à peine se procurer de quoi vivre, il affermit ses disciples contre la perspective d’une condition aussi pénible en leur disant : " Bienheureux vous qui maintenant avez faim. " — Bède. C’est-à-dire, bienheureux vous qui châtiez votre corps et le réduisez en servitude, qui vous livrez au ministère de la prédication en souffrant la faim et la soif, parce que vous jouirez un jour de l’abondance des joies célestes. — S. Grég. de Nysse. (Des béatit., disc. 4.) Dans un sens plus élevé, de même que, pour la nourriture matérielle, les goûts divers des hommes leur font préférer diverses espèces d’aliments ; de même pour ce qui est de la nourriture de l’âme, les uns recherchent un bien purement imaginaire, et les autres ce qui est naturellement bon. Aussi saint Matthieu proclame-t-il bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice comme d’une nourriture et comme d’un breuvage, justice qui n’est point la justice considérée comme vertu particulière, mais la justice universelle, et il proclame bienheureux celui qui a faim de cette justice. — Bède. Notre-Seigneur nous enseigne on ne peut plus clairement que nous ne devons jamais nous estimer assez justes, mais chercher à nous avancer de jour en jour dans la justice ; et ce n’est pas dans ce monde, mais dans la vie future que nous en serons pleinement rassasiés, suivant cette parole du Psalmiste : " Je serai rassasié lorsqu’apparaîtra votre gloire (Ps 16). " Aussi le Sauveur ajoute : " Parce que vous serez rassasiés. " — S. Grég. de Nysse. Il promet à ceux qui sont avides de la justice, l’abondance de tous les biens désirables, car aucune des voluptés qu’on recherche dans la vie ne peut rassasier ceux qui les poursuivent ; seul, le désir de la vertu est suivi d’une récompense qui répand dans l’âme une gloire sans limite comme sans durée.

S. Cyr. Une des suites de la pauvreté, c’est non seulement la privation de toutes les choses qui procurent quelque plaisir, mais encore la tristesse qu’elle répand sur le visage, c’est pourquoi il ajoute : " Bienheureux vous qui pleurez. " Il appelle bienheureux ceux qui pleurent, non pas ceux dont les yeux versent extérieurement des larmes (ce qui est commun aux fidèles et aux infidèles, quand le malheur les atteint), mais il proclame surtout bienheureux ceux qui fuient une vie légère toute plongée dans les vices et dans les voluptés de la chair, ceux qui ont horreur de ce qui fait les délices des hommes, et qui sont comme dans les pleurs par le dégoût et l’ennui que leur causent les vanités du monde. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La tristesse qui est selon Dieu, est d’un grand prix à ses yeux, et elle obtient la pénitence qui conduit au salut. Aussi saint Paul, qui n’avait point de fautes personnelles à pleurer, versait des larmes pour les péchés d’autrui ; heureuses larmes qui deviennent une source de joie : " Parce que vous rirez. " Si, en effet, nos larmes sont inutiles à ceux pour qui nous les répandons, elles sont loin d’être perdues pour nous, car celui qui pleure ainsi les péchés des autres, à plus forte raison pleurera ses propres fautes, et se garantira plus facilement contre de nouvelles chutes. Gardons-nous donc de la dissolution pendant cette vie si courte, pour ne point nous exposer à des gémissements sans fin ; ne recherchons pas les plaisirs qui sont une source de larmes amères et de douleur profonde, mais affligeons-nous de cette tristesse qui engendre le pardon. Souvenons-nous, d’ailleurs, qu’on vit bien souvent le Seigneur pleurer, mais qu’on ne le vit point rire une seule fois. — S. Bas. (hom. sur l’act. de grâces.) Il promet la joie, le rire à ceux qui pleurent, non point sans doute ce rire extérieur qui sort des lèvres, mais une joie pure et sans mélange d’aucune tristesse.
 

Bède. Heureux donc celui qui, en vue du riche héritage de Jésus-Christ, du pain de la vie éternelle, de l’espérance, des joies célestes, désire les larmes, la faim, la pauvreté ; mais plus heureux celui qui pratique courageusement ces vertus au milieu de l’adversité : " Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. " Les hommes peuvent vous haïr, mais la méchanceté de leur coeur ne peut atteindre un coeur aimé de Jésus-Christ. — Suite " Lorsqu’ils vous sépareront. " Qu’ils vous séparent, qu’ils vous chassent de la synagogue, Jésus-Christ saura bien vous trouver et vous fortifier : " Ils vous traiteront injurieusement. " Ils vous feront un outrage du nom du crucifié, mais lui-même ressuscite ceux qui meurent avec lui, et il les fait asseoir avec lui dans les cieux (Ep 2, 6 ;2 Tm 2, 2). — Suite. " Et ils rejetteront votre nom comme mauvais. " Il veut parler du nom des chrétiens que les Gentils et les Juifs se sont efforcés de détruire complètement, et que les hommes ont rejeté, sans aucun autre motif de haine que le Fils de l’homme, et parce que les fidèles ont choisi pour leur nom le nom même du Christ (Ac 11, 26). Il leur prédit donc qu’ils seront persécutés par les hommes, mais que le bonheur qui les attend est au-dessus de toute pensée humaine : " Réjouissez-vous en ce jour-là, et soyez transportés de joie, car voici que votre récompense est grande dans les cieux, " etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) La signification de ces mots beaucoup et peu, doit se mesurer par la grandeur et la dignité de celui qui les emploie. Or, quel est celui qui promet une grande récompense ? Un prophète ou un Apôtre, qui ne sont que des hommes, eussent estimé peut-être comme considérable ce qui ne l’était pas, mais ici celui qui promet cette grande récompense, c’est le Seigneur qui possède des trésors éternels et des richesses au-dessus de toute conception humaine. — S. Bas. Quelquefois encore le mot grand a une signification absolue comme dans ces propositions : Le ciel est grand, la terre est grande ; quelquefois une signification purement relative, comme lorsque nous disons qu’un cheval est grand, qu’un boeuf est grand, par comparaison avec d’autres animaux. Or, la récompense réservée à ceux qui sont en butte aux outrages pour Jésus-Christ sera grande, non par comparaison avec les choses de la terre, mais grande en elle-même et digne de la magnificence du Dieu qui la donne. — S. Jean Damasc. (De la log., chap. 40.) Tout ce qui peut être mesuré ou compté s’exprime d’une manière déterminée, mais on appelle grandes, considérables en général, les choses qui, par leur excellence, sont au-dessus de tout nombre et de toute mesure, et c’est ainsi que nous disons que la miséricorde de Dieu est grande.

Eusèbe. Notre-Seigneur arme ensuite les Apôtres pour le combat qu’ils devaient soutenir en prêchant l’Évangile par tout l’univers, et il ajoute : " C’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes. " — S. Ambr. En effet, les Juifs persécutèrent les prophètes, jusqu’à leur ôter la vie. — Bède. Ceux qui disent la vérité sont ordinairement persécutés, mais jamais les anciens prophètes ne cessèrent d’annoncer la vérité par crainte de la persécution.

S. Ambr. " Bienheureux les pauvres. " Voilà la tempérance qui s’abstient du mal, foule aux pieds les choses du monde et ne recherche point les plaisirs séducteurs : " Bienheureux vous qui avez faim. " Voilà la justice, car celui qui a faim, a compassion de celui qui éprouve le même besoin, la compassion le rend charitable, la charité le rend juste, et sa justice demeure éternellement (Ps 111, 8). " Bienheureux vous qui pleurez. " Voilà la prudence qui pleure sur les choses périssables et mortelles, et s’attache aux biens de l’éternité. " Vous serez bienheureux quand les hommes vous haïront. " Voilà la force, non celle qui s’attire la haine par ses violences criminelles, mais celle qui souffre la persécution pour la foi. C’est ainsi que vous mériterez la couronne réservée à la souffrance, si vous méprisez la faveur des hommes pour ne rechercher que celle de Dieu. La tempérance produit donc la pureté du coeur, la justice produit la miséricorde, la prudence produit la paix, la force produit la douceur. Ces vertus sont unies et étroitement liées entre elles, de sorte que celui qui en possède une, paraît avoir toutes les autres. Les saints ont tous une vertu qui leur est propre, mais celle qui est plus féconde en fruits de salut, est aussi celle qui obtient la plus grande récompense. Quel amour de l’hospitalité, quelle humilité profonde dans Abraham ! mais comme il a brillé surtout par sa foi ! c’est à cette vertu qu’il doit son plus beau titre de gloire. Chacun donc peut obtenir plusieurs récompenses, parce qu’il a un grand nombre d’occasions de pratiquer les vertus ; mais la vertu dont la fécondité aura été plus grande, recevra aussi la récompense la plus magnifique.
 

vv. 24—26.

S. Cyr. Notre-Seigneur vient d’enseigner que la pauvreté supportée en vue de Dieu, est la cause de tout bien, et que la faim et les larmes auront droit à la récompense des saints ; il passe maintenant aux vices opposés à ces vertus, et les présente comme une cause de damnation et de supplice : " Malheur à vous, riches, qui avez votre consolation. " — S. Chrys. (hom. 17 sur la Gen.) Cette locution malheur s’adresse toujours dans l’Écriture à ceux qui ne peuvent échapper au supplice de la vie future. — S. Ambr. L’abondance des richesses est la source de bien des séductions coupables, mais aussi de bien des inspirations vertueuses. Quoique la vertu ne recherche pas l’opulence, et que l’aumône du pauvre soit plus agréable à Dieu que la libéralité du riche ; cependant ce ne sont point ceux qui ont des richesses, mais ceux qui ne savent point en faire usage qui sont atteints par la sentence divine. En effet, le pauvre a d’autant plus de mérite, qu’il donne par un mouvement spontané du coeur ; et le riche est d’autant plus coupable, qu’il devait rendre grâce à Dieu de ce qu’il a reçu, et ne point réserver inutilement une fortune qui ne lui a été donnée que pour l’utilité commune. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, c’est l’attachement aux richesses qui est coupable. Et quoiqu’il n’y ait pas de plus grand tourment pour l’avare que d’entasser avec crainte et inquiétude des trésors dans l’intérêt de ses héritiers, cependant, parce que ses désirs d’amasser ont pour lui quelque attrait, il est juste que ceux qui ont la consolation de la vie présente, perdent les joies de la vie éternelle. Ces riches peuvent être aussi la figure du peuple juif ou des hérétiques, ou plutôt des pharisiens qui, se complaisant dans l’abondance des paroles et dans l’éloquence prétentieuse de leurs discours, ont dépassé la simplicité de la vraie foi et amassé des trésors inutiles.
 

" Malheur à vous qui êtes rassasiés, parce que vous aurez faim. " — Bède. Ce riche, vêtu de pourpre, se rassasiait en s’asseyant tous les jours à des tables splendidement servies, mais il souffrit ensuite ce cruel malheur, lorsque dévoré par la soif, il demandait que Lazare trempât le bout de son doigt dans l’eau pour rafraîchir sa langue. — S. Bas. L’Apôtre prouve la nécessité de la tempérance, en la plaçant parmi les fruits de l’Esprit (Ga 5). En effet, voulez-vous dompter votre corps ? point de moyen plus puissant que la tempérance, elle est comme un frein à l’aide duquel nous devons modérer l’ardeur de la jeunesse. La tempérance est donc la mort des crimes, l’apaisement des passions, le principe de la vie spirituelle, elle émousse l’aiguillon des plaisirs séducteurs. Néanmoins, pour éviter d’être confondus avec les ennemis de Dieu, nous devons, lorsque les circonstances l’exigent, accepter ce qui nous est présenté, pour montrer que tout est pur pour ceux qui sont purs, et user des choses nécessaires à la vie, en nous interdisant tout ce qui peut favoriser la volupté. D’ailleurs, tous ne peuvent pas s’imposer la même heure, ni la même manière, ni la même mesure dans la pratique de la tempérance, mais tous doivent avoir la même intention, de ne point aller jusqu’à la satiété, car la réplétion de l’estomac rend le corps lui-même impuissant à remplir ses fonctions, l’appesantit et le dispose au mal. — Bède. Ou encore, si ceux qui ont faim des oeuvres de justice, sont heureux, combien sont malheureux, au contraire, ceux qui cherchent à satisfaire tous leurs désirs, et n’éprouvent aucune faim du bien véritable.

" Malheur à vous qui riez, " etc. — S. Bas. Puisque le Seigneur menace ici ceux qui rient, il est donc évident que dans aucun temps, le vrai fidèle ne doit s’abandonner au rire, à la vue surtout de la multitude si grande de ceux qui meurent dans le péché et sur lesquels il faut bien plutôt verser des larmes. D’ailleurs, le rire immodéré est le signe d’un esprit déréglé et d’une âme désordonnée ; toutefois il n’est pas défendu de manifester la joie intérieure, en donnant au visage une certaine expression de gaieté. — S. Chrys. Mais dites-moi pourquoi cette dissipation, ces rires immodérés dans un chrétien qui doit paraître au terrible jugement de Dieu, et rendre compte de tout ce qu’il a fait ici-bas ?

Bède. La flatterie nourrit le péché, et, semblable à l’huile qui excite le feu, elle fournit un aliment à l’ardeur du mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Malheur à vous, quand les hommes vous loueront, " etc. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Cette recommandation n’est point opposée à ces autres paroles du Sauveur : " Que votre lumière luise devant les hommes (Mt 5). " En effet, nous devons avoir un saint empressement à faire le bien pour la gloire de Dieu, et non pour notre propre gloire, car rien de plus funeste que la vaine gloire, elle engendre l’injustice, le désespoir et l’avarice, mère de tous les maux. Si donc vous voulez éviter ces funestes effets, tenez vos regards constamment tournés vers Dieu, et contentez-vous de la gloire qui vient de lui. Car, si, en toute espèce de chose, on doit choisir les plus savants pour experts et pour arbitres, comment pourriez-vous confier l’appréciation de votre vertu aux hommes plutôt qu’à Dieu, qui la connaît mieux qu’eux tous, qui en est à la fois l’auteur et la récompense ? Si vous désirez la gloire qui vient de Dieu, fuyez donc les louanges des hommes, car nul n’a plus de droit à notre admiration que celui qui dédaigne la gloire, et si tels sont nos sentiments, à plus forte raison, ceux du souverain Maître de toutes choses. Considérez, d’ailleurs, que la gloire des hommes passe bien vite, parce que le cours rapide du temps la fait tomber dans l’oubli.
 

" Car c’est ainsi que leurs pères faisaient aux faux prophètes. " — Bède. Les faux prophètes sont ainsi appelés, parce qu’ils s’efforçaient de prédire l’avenir pour gagner la faveur du peuple. Or, Notre-Seigneur n’a proclamé sur la montagne que les béatitudes des bons, tandis que, descendu dans la plaine, il prédit aussi les supplices des réprouvés, parce que les auditeurs encore ignorants et grossiers, ont besoin d’être poussés dans la voie du bien par la crainte des châtiments, tandis qu’il suffit pour les parfaits, de les inviter par l’attrait des récompenses. — S. Ambr. Remarquez encore que saint Matthieu attire les peuples à la foi et à la vertu par la perspective des récompenses, tandis que saint Luc cherche à les éloigner des crimes par la menace des châtiments.
 

vv. 21—31.

Bède. Après avoir prédit à ses disciples ce qu’ils pourraient avoir à souffrir de la part de leurs ennemis, il leur apprend maintenant la conduite qu’ils devront tenir à l’égard de ces mêmes ennemis : " Mais je vous dis, à vous qui m’écoutez. " — S. Ambr. Ce n’est point sans raison qu’il a fait précéder d’actions toute célestes d’aussi sublimes enseignements. Il voulait enseigner aux peuples, fortifiés par ces miracles de la puissance divine, à s’avancer comme sur les pas de ces prodiges, au delà des limites étroites de la loi. D’ailleurs, de ces trois grandes vertus, la foi, l’espérance et la charité, c’est la charité qui est la première (1 Co 13, 13 ; Ct 1, 4), et c’est elle que le Sauveur nous recommande, lorsqu’il dit : " Aimez vos ennemis. " — S. Bas. (règles abrég., rép. à la quest., 176.) C’est le propre des ennemis de nuire et de tendre des embûches ; tous ceux donc qui, de quelque manière que ce soit, cherchent à nuire quelqu’un, sont ses ennemis. — S. Cyr. Il fallait pénétrer de ces divins enseignements les saints docteurs qui devaient prêcher la parole du salut par tout l’univers ; car s’ils s’étaient laissé aller à tirer vengeance de leurs persécuteurs, jamais ils ne les auraient appelés à la connaissance de la vérité. — S. Chrys. (hom. 48 sur S. Matth.) Il ne dit pas : Ne haïssez point, mais : " Aimez, " et non seulement : " Aimez, " mais : " Faites du bien à ceux qui vous haïssent. " — S. Bas. Or, l’homme étant composé d’une âme et d’un corps, nous faisons du bien à l’âme de nos ennemis en les reprenant, en les avertissant, en les amenant, comme par la main, à se convertir à une vie meilleure, et nous faisons du bien à leur corps, en leur procurant les choses nécessaires à la vie.

" Faites du bien à ceux qui vous maudissent. " — S. Chrys. Ceux qui blessent ainsi leur âme sont bien plus dignes de larmes amères que de malédictions ; quoi de plus détestable, en effet, qu’une âme d’où sortent les malédictions, quoi de plus immonde que la langue qui les profère ? O homme, ne distillez pas ainsi le venin de l’aspic, ne vous changez pas en bête féroce ; Dieu vous a donné la bouche, non pour déchirer, mais pour guérir les plaies de vos frères ; et quant à vos ennemis, il vous ordonne de les mettre au rang de vos amis, et de vos amis les plus chers, de ceux pour lesquels vous avez coutume de prier : " Priez pour ceux qui vous persécutent, " etc. Mais, au contraire, la plupart de ceux qui se prosternent la face contre terre, les mains étendues, au lieu de supplier Dieu de leur pardonner leurs crimes, l’implorent contre leurs ennemis, c’est-à-dire qu’ils se percent de leurs propres mains. Quoi, vous priez celui qui a défendu les imprécations contre les ennemis, d’écouter les malédictions que vous proférez contre eux, et vous espérez d’être exaucés, vous qui provoquez sa juste colère, en frappant votre ennemi devant son roi ? car vous le frappez réellement, sinon avec la main, au moins par vos paroles. Que faites-vous donc, ô homme ? Vous venez implorer le pardon de vos péchés, et votre bouche est remplie d’amertume, ah ! croyez-moi, c’est le temps de la pacification, de la prière, des gémissements, et non celui de la fureur. — Bède. Mais on se demande alors, pourquoi nous trouvons dans les prophètes tant d’imprécations contre les ennemis ? Nous répondons que, par ces imprécations, les prophètes ont simplement prédit ce qui devait arriver ; ainsi ce n’étaient point des voeux qui exprimaient leurs désirs, mais des prédictions qui leur étaient révélées par l’Esprit saint.
 

S. Cyr. L’ancienne loi défendait toute offense envers le prochain, ou si on en avait été offensé le premier, elle défendait de dépasser dans la vengeance la mesure de l’offense qu’on avait reçue ; mais la perfection ne se trouve ici que dans Jésus-Christ et dans ses commandements : " A celui qui vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre. " En effet, lorsque les médecins reçoivent des coups de pieds des furieux qu’ils cherchent à guérir, leur compassion pour ces malheureux redouble, et ils s’appliquent avec plus de zèle à leur guérison ; telle est la conduite que vous devez tenir à l’égard de ceux qui vous persécutent ; car ce sont eux surtout qui sont malades, ne cessez donc point de leur prodiguer des soins, jusqu’à ce qu’ils aient vomi toute l’amertume de leur âme ; alors ils vous rendront grâces, et Dieu lui-même vous couronnera, pour avoir délivré votre frère d’une maladie des plus funestes. — S. Bas. (sur Is 1, 23.) Presque tous les hommes transgressent ce commandement, surtout les puissants et les princes, non seulement quand on les outrage, mais encore quand on leur manque de respect ; ils regardent comme des ennemis tous ceux qui ne leur rendent pas les honneurs dont ils se croient dignes. Or, c’est une grande honte pour un prince que de céder si facilement à la vengeance ; comment, en effet, pourra-t-il enseigner aux autres à ne point rendre le mal pour le mal (Rm 12), lui qui est si prompt à se venger de ceux qui l’offensent ?

S. Cyr. Le Seigneur veut encore que nous professions un grand mépris pour les biens que nous possédons : " Celui qui vous prend votre manteau, laissez-le prendre aussi votre tunique. " Voilà la vertu d’une âme entièrement exempte de la passion et du désir des richesses ; en effet, celui qui est miséricordieux, doit oublier le mal qu’on lui fait, et abandonner à ses ennemis ce qu’il donnerait à ses meilleurs amis. — S. Chrys. (hom. 18 sur S. Matth.) Le Sauveur ne dit pas : Supportez humblement la violence de celui qui vous outrage ; mais procédez avec sagesse, et préparez-vous à souffrir tout le mal qu’il veut vous faire ; dominez son insolence par une prudence à toute épreuve, et faites qu’il se retire couvert de honte à la vue de votre patience inaltérable. Vous me direz, comment pouvoir mettre en pratique ce précepte ? Quoi ! en voyant celui qui s’est fait homme et qui a tant souffert pour vous, vous hésitez encore, et vous demandez comment on peut pardonner à ses frères les outrages dont ils se sont rendus coupables ? Mais qui donc d’entre vous a jamais souffert d’aussi grands outrages que votre Seigneur, chargé de chaînes, flagellé de coups, couvert de crachats, et enfin mis à mort ? Il ajoute : " Donnez à quiconque vous demande. " — S. Aug. (serm. du Seig., 1, 40.) Il ne dit pas : Donnez-leur tout ce qu’ils demandent, mais : " Tout ce que vous pouvez leur donner d’après les règles de la justice et de la bienséance, " c’est-à-dire ce qui n’est nuisible ni pour lui ni pour vous, autant qu’il est possible à l’homme de le prévoir ; et lorsque vous lui refusez justement ce qu’il demande, il faut lui faire apprécier la justice de ce refus, et souvent vous lui ferez un présent bien supérieur à ce qu’il désire, en lui faisant comprendre l’injustice de sa demande. — S. Chrys. Nous nous rendons souvent grandement coupables, non seulement en ne donnant pas à ceux qui nous demandent, mais en les accablant de reproches. Pourquoi, dites-vous, ne travaille-t-il point ? pourquoi vit-il dans l’oisiveté ? Dites-moi, et vous-même, est-ce par votre travail que vous avez acquis les biens que vous possédez ? et si vous travaillez, est-ce pour acquérir le droit de blâmer les autres ? Quoi ! parce qu’un homme vous demande du pain et de quoi se vêtir, vous l’accusez de cupidité ? Ne lui donnez rien, soit, mais au moins ne l’outragez pas ; vous êtes sans pitié pour lui, pourquoi vouloir éteindre la compassion dans le coeur de ceux qui voudraient le secourir. Si nous donnons à tous indifféremment, nous pratiquons toujours la miséricorde. C’est parce qu’Abraham exerçait l’hospitalité à l’égard de tous, qu’il mérita de recevoir des anges. Celui qui vous demande est un homicide, un brigand, n’est-il pas au moins digne que vous lui donniez du pain ? Ne nous érigeons donc jamais en censeurs sévères des autres, si nous ne voulons être jugés aussi avec la même sévérité.
 

" Si l’on vous ravit votre bien, ne le réclamez pas. " — S. Chrys. (Hom. 10 sur la 1re Épître aux Corinth.) C’est de Dieu que nous recevons tout ce que nous avons ; nous disons le mien, le tien, mais ce sont de vains mots. Vous dites que votre maison vous appartient, c’est une parole dépourvue de sens ; car l’air, la terre, les pierres appartiennent au Créateur, aussi bien que vous qui avez construit la maison. J’admets que vous en ayez la jouissance, avec quelle incertitude, tant à cause de la mort, que par suite de la vicissitude des choses humaines ? Votre vie même ne vous appartient pas, à quel titre vos biens seraient-ils à vous ? Cependant Dieu veut que les biens qu’il vous a confiés, deviennent votre propriété, mais à la condition que vous les partagerez avec vos frères ; si au contraire, vous ne les prodiguez que pour votre utilité personnelle, ils cessent d’être à vous. Or, comme le désir déréglé des richesses est une source de discussions et de procès, Notre-Seigneur fait cette recommandation : " Ne redemandez pas votre bien à celui qui vous le ravit. " — S. Aug. (disc. du Seig., 1, 26.) Il veut parler ici des vêtements, des habitations, des terres, des animaux, et en général de tous les biens. Un chrétien qui possède un esclave, ne doit pas l’assimiler à la possession d’un cheval ou de l’argent ; cependant si vous traitez votre esclave avec plus d’égards que celui qui veut vous l’enlever, je ne sais si quelqu’un oserait dire qu’il ne vous est point permis de le revendiquer.

S. Chrys. Nous avons tous en nous une loi naturelle qui nous fait discerner le vice et la vertu, le bien d’avec le mal ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pareillement pour eux. " Il ne dit pas : Ne faites point vous-mêmes ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse. Il y a bien, en effet, deux voies qui conduisent à la vertu, s’abstenir du mal et faire le bien ; le Sauveur se contente de parler de la seconde voie qui, dans son esprit, renferme la première. Or, s’il s’était exprimé de la sorte : Voulez-vous être des hommes ? aimez les animaux, ce commandement serait assez difficile, mais il nous commande d’aimer nos semblables, pour lesquels il nous a donné une inclination naturelle, où est donc la difficulté de cette loi que nous voyons observée par les lions et les loups eux-mêmes, qu’un instinct naturel porte à s’aimer entre eux. Notre-Seigneur Jésus-Christ ne nous commande donc rien qui soit au-dessus de notre nature, il ne fait que renouveler ce qu’il a gravé lui-même dans notre conscience, et il veut que votre propre volonté devienne votre loi ; vous voulez qu’on vous fasse du bien, faites-en aux autres ; vous voulez qu’on ait compassion de vous, commencez par avoir compassion du prochain.
 

vv. 32-37.

S. Chrys. Le Seigneur venait de commander l’amour des ennemis, mais n’allez pas croire qu’il parle ici hyperboliquement et pour inspirer un sentiment de crainte ; car écoutez la raison de ce commandement : " Et si vous aimez ceux qui vous aiment, quel est votre mérite ? " Plusieurs causes concourent à former les affections, mais l’affection spirituelle est supérieure à toutes les autres, elle ne reconnaît pour principe et pour cause, rien de terrestre, ni les bienfaits, ni la nature, ni le temps, mais elle descend directement du ciel. Quoi d’étonnant qu’elle se forme indépendamment de tout bienfait, puisqu’elle ne peut être ébranlée par les mauvais traitements ? Un père outragé, rompt les liens d’amour qui l’attachaient à son épouse ; une femme se sépare de son mari à la suite de querelles domestiques ; un enfant regarde comme un fardeau un père dont les jours se prolongent dans un âge avancé ; mais, au contraire, saint Paul allait vers ceux qui voulaient le lapider pour leur faire du bien (Ac 14) ; Moïse tourmenté, et comme lapidé par les Juifs, se venge en priant pour eux. (Ex 17.) Ayons donc une profonde vénération pour les amitiés spirituelles, parce qu’elles sont indissolubles. Notre-Seigneur ajoute, pour stimuler les indifférents : " Les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment, " comme s’il disait : Je veux que vous vous éleviez à une vertu plus éminente, voilà pourquoi je vous commande d’aimer non seulement vos amis ; mais même vos ennemis ; car il est naturel à tous les hommes de faire du bien à ceux qui leur en font. Il leur apprend donc qu’il exige d’eux plus qu’il n’est ordinaire aux pécheurs de faire, quand ils se montrent bienfaisants pour leurs amis : " Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ?
 

Bède. Ce n’est pas seulement l’affection et les bienfaits des pécheurs qu’il déclare sans mérite et sans fruit, mais aussi le prêt fait dans les mêmes conditions. " Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel est votre mérite ? Car les pécheurs eux-mêmes prêtent à leurs semblables, pour en recevoir l’équivalent. "
 

S. Ambr. La philosophie divise la justice en trois parties, l’une qui a Dieu pour objet et qu’on appelle religion ; la seconde, qui comprend les devoirs envers les parents et le reste du genre humain ; la troisième, qui s’étend aux morts, et nous oblige de leur rendre convenablement les derniers devoirs. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, s’élevant au-dessus des prescriptions de la loi et des oracles des prophètes, étend l’obligation de faire du bien jusqu’à ceux qui nous ont fait tort : " Pour vous, aimez vos ennemis, " etc. — S. Chrys. En agissant ainsi, vous ferez beaucoup plus pour vous que pour eux-mêmes ; quant à eux, ils ont l’affection de leur semblable, mais pour vous, vous devenez semblable à Dieu. Or, c’est un acte de grande puissance, que de combler de nos bienfaits ceux qui cherchent à nous faire du mal, comme Notre-Seigneur nous le recommande ; car, comme l’eau jetée sur une fournaise ardente, suffit pour l’éteindre, tel est l’effet de la raison jointe à la douceur ; en effet l’humilité et la douceur sont à la colère, ce que l’eau est au feu, et de même que le feu ne peut éteindre le feu, ainsi la colère ne peut apaiser la colère.
 

S. Grég. de Nysse. (disc. contre les usur.) L’homme doit éviter cette damnable cupidité qui lui fait demander à l’indigent un produit de l’or ou de l’argent qu’il lui prête, et exiger les fruits d’un métal stérile, c’est le sens de cette recommandation : " Prêtez sans en espérer rien, " etc. Celui qui traitera de vol et d’homicide la funeste invention de l’usure, ne se trompera pas ; car quelle différence entre celui qui perce les murs pour s’emparer du bien qui ne lui appartient pas, et celui qui s’approprie le gain illicite, produit par l’argent qu’il a prêté ? — S. Bas. Dans la langue grecque, ce genre d’avarice est justement appelé ?????, enfantement, à cause de sa malheureuse et coupable fécondité. En effet, ce n’est qu’avec le temps que les animaux grandissent et se reproduisent, mais à peine l’usure a pris naissance, qu’elle devient féconde. Les animaux les plus précoces à se reproduire, cessent aussi plutôt d’engendrer ; mais l’argent des avares ne fait que se multiplier d’années en années. Les animaux, en transmettant à leurs petits la faculté d’engendrer, cessent eux-mêmes d’engendrer, mais l’argent des avares produit continuellement de nouveaux fruits, et renouvelle les premiers. Ne vous exposez donc point aux mortelles atteintes de ce monstre cruel. Que vous servirait-il, en effet, d’éviter l’indigence actuelle, si elle doit revenir bientôt fondre sur vous, plus grande et plus écrasante ? Demandez-vous comment vous pourrez rendre ce que vous empruntez ; comment l’argent pourra se multiplier assez dans vos mains, pour qu’une partie vous soulage de votre indigence, qu’une autre représente et conserve le capital, et qu’une troisième produise l’intérêt. Mais me direz-vous, comment faire pour vivre ? Travaillez, mettez-vous en service, mendiez enfin s’il le faut, tout est préférable à un emprunt usuraire. Vous me direz encore : Qu’est-ce que le prêt sans espérance d’intérêt ? Méditez la vertu de la parole divine, et vous admirerez la miséricorde de son auteur. Lorsque vous donnez au pauvre pour l’amour de Dieu, vous faites à la fois un prêt et un don ; un don, car vous n’espérez point d’intérêt ; un prêt, parce que la bonté de Dieu se charge de vous rendre ce que vous donnez au pauvre, comme le Sauveur vous en assure : " Car votre récompense sera grande. " Est-ce que vous refuseriez d’avoir le Tout-Puissant pour caution et pour débiteur ? Quoi ! vous acceptez la caution d’un homme riche, et vous refuseriez la caution que Dieu vous donne pour le pauvre ? — S. Chrys. (hom. 3 sur la Genèse.) Considérez l’admirable nature du prêt : L’un reçoit, et c’est un autre qui s’oblige à payer ce qu’il doit, c’est-à-dire le centuple dans le temps présent, et après cette vie, la vie éternelle.
 

S. Ambr. Quelle est grande la récompense de la miséricorde, puisqu’elle nous donne droit à l’adoption divine : " Et vous serez les enfants du Très-Haut. " Pratiquez donc la miséricorde, pour mériter la grâce qui lui est promise. La bonté de Dieu s’étend sur tous les hommes, il fait tomber la pluie sur les ingrats, la terre féconde ne refuse pas ses fruits aux méchants : " Car il est bon aux ingrats et aux méchants. " — Bède. Soit qu’il leur donne les biens temporels, soit qu’il inspire, par sa grâce, le goût des biens célestes.
 

S. Cyr. Quelles sont donc grandes les prérogatives de la miséricorde ! elle nous rend semblables à Dieu, elle imprime dans notre âme comme le sceau de la nature divine : " Soyez donc miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux, " etc. — S. Athan. (disc. 4 contre les Ariens.) C’est-à-dire que la considération des bienfaits qu’il répand sur les hommes, doit nous porter à leur faire du bien, non point en vue des hommes, mais en vue de Dieu, afin d’obtenir de lui seul, et non pas des hommes, la récompense de nos oeuvres de charité.
 

vv. 37-38.

S. Ambr. Notre-Seigneur condamne ensuite le jugement téméraire, et vous défend de vous rendre les juges des autres, alors que votre conscience vous accuse vous-même : " Ne jugez point. " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Ne jugez pas ceux qui sont placés au-dessus de vous ; disciples, ne jugez pas vos maîtres ; pécheurs, ne jugez pas ceux qui sont innocents ; contentez-vous, sans leur faire de reproches, de les avertir et de les corriger avec charité. Gardez-vous aussi de juger dans les choses incertaines et douteuses qui n’ont pas le caractère du mal, où qui ne sont ni graves ni défendues. — S. Cyr. Notre-Seigneur veut réprimer ici cette détestable passion qui domine nos âmes, et qui est le principe et l’origine de nos superbes mépris. On en voit, en effet, un grand nombre qui, au lieu de s’observer eux-mêmes, et de vivre selon les prescriptions de la loi de Dieu, ne s’occupent qu’à examiner la conduite des autres ; et dès qu’ils y surprennent quelques faiblesses, oubliant leurs propres passions, ils en font le sujet de leurs conversations malignes. — S. Chrys. (lettre à Démét.) A peine trouverez-vous un seul homme (père de famille ou vivant dans le cloître), qui soit exempt de ce défaut ; cependant, ce sont là autant de tentations dangereuses du démon ; car celui qui juge sévèrement les fautes d’autrui, n’obtiendra jamais le pardon de ses propres fautes : " Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés. " En effet, celui qui est doux et miséricordieux pour les autres, a beaucoup moins à craindre pour ses péchés ; mais celui qui est dur et sévère pour ses frères, ajoute à ses propres crimes. — S. Grég. de Nysse. Ne vous hâtez donc pas de juger rigoureusement vos serviteurs, si vous ne voulez être traités de même ; car par ce jugement sévère vous vous attirez une condamnation plus rigoureuse : " Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. " Notre-Seigneur ne défend donc pas le jugement accompagné de clémence et suivi du pardon. — Bède. Le Sauveur résume ensuite, dans une courte sentence, tous les commandements qu’il avait faits sur les rapports que nous devons avoir avec nos ennemis : " Pardonnez, et il vous sera pardonné, " etc. C’est-à-dire qu’il nous ordonne de pardonner les injures, et de répandre des bienfaits sur nos ennemis, si nous voulons obtenir le pardon de nos péchés, et la vie éternelle pour récompense.
 

S. Cyr. Il nous montre ensuite avec quelle munificence, avec quelle libéralité nous serons récompensés par le Dieu qui donne avec largesse à ceux qui l’aiment : " Ils verseront dans votre sein une bonne mesure, pressée et remuée, et se répandant par dessus les bords. " — Théophyl. C’est-à-dire : De même que pour mesurer largement une mesure de farine, vous la pressez, vous l’agitez, et vous en versez jusqu’à la faire déborder ; de même le Seigneur versera dans votre sein une mesure abondante, et qui, pour ainsi dire, se répandra par dessus les bords. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 8.) Il dit : " Ils verseront, " car ils recevront la récompense céleste par les mérites de ceux auxquels ils auront donné, ne fût-ce qu’un verre d’eau froide, parce qu’ils étaient disciples de Jésus-Christ. (Mt 10, 42.)

" On usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres, " etc. — S. Bas. La mesure dont chacun de vous se sert dans le bien qu’il opère, comme dans le mal qu’il commet, sera aussi la mesure des récompenses ou des châtiments qu’il recevra. — Théophyl. Mais peut-être nous fera-t-on cette question tant soit peu subtile : Si la récompense est si abondante, comment peut-on dire qu’elle est égale à la mesure dont nous nous sommes servi ? Nous répondons que Notre-Seigneur ne dit point : Il vous sera donné dans une mesure égale en quantité, mais : " Dans la même mesure. " Vous avez bien agi, on agira bien à votre égard, ce qui est rendre la même mesure ; mais Notre-Seigneur dit que cette mesure sera surabondante, parce qu’il rendra mille fois plus de bien qu’on en a fait. Il en est de même pour le jugement ; celui qui juge, et qui est ensuite jugé, reçoit dans la même mesure, mais il sera jugé plus sévèrement qu’il n’a jugé lui-même son semblable ; en cela la mesure est surabondante. — S. Cyr. L’Apôtre résoud cette difficulté, lorsqu’il dit : " Celui qui sème peu (c’est-à-dire en petite quantité et d’une main avare), moissonnera peu (c’est-à-dire une moisson peu abondante) ; et celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions (c’est-à-dire avec abondance.) " (2 Co 9, 6.) Si on ne possède rien, on n’est pas coupable en ne donnant point ; car Dieu nous tient compte des biens que nous avons, et non de ceux qui ne sont pas en notre possession.
 

vv. 39—42.

S. Cyr. Notre-Seigneur ajoute aux enseignements qui précèdent une parabole bien nécessaire : " Il leur faisait aussi cette comparaison. " En effet, ses disciples étaient appelés à devenir les docteurs du monde ; ils devaient donc connaître toutes les règles d’une vie sainte, et répandre les clartés d’une lumière toute divine, pour éviter d’être des aveugles servant de guide à d’autres aveugles. Il leur dit donc : " Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? " S’il arrive à quelques-uns d’atteindre au même degré de vertu que ceux qui les enseignent, qu’ils se contentent de cette mesure, et marchent toujours sur les traces de leurs maîtres ; car, dit Notre-Seigneur : " Le disciple n’est pas au-dessus du maître. " Aussi saint Paul dit aux Philippiens : " Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. " (Ph 3.) Pourquoi donc voulez-vous juger les autres, alors que Jésus-Christ ne juge pas ? Car il n’est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. (Jn 3.) — Théophyl. Ou encore, si vous jugez les autres, et que vous soyez coupable des mêmes fautes, ne ressemblez-vous pas à l’aveugle qui conduit un autre aveugle ? Comment le conduirez-vous au bien, alors que vous suivez la voie du mal ? Le disciple n’est point au-dessus du. maître. Si donc vous ne savez éviter le péché, vous qui vous décernez le titre de maître et de conducteur, que deviendra celui qui devient votre disciple et se place sous votre conduite ? Car tout disciple sera parfait, s’il est comme son maître. — Bède. Ou bien le sens de ces paroles dépend des enseignements qui précèdent, où Notre-Seigneur recommande de donner l’aumône et de pardonner les injures. Si vous vous laissez aveugler par la colère contre celui qui vous fait violence, et par l’avarice à l’égard de celui qui vous demande du secours, comment, dans cette disposition coupable de votre âme, pourrez-vous les guérir de leurs propres vices ? Voyez Jésus-Christ, notre Maître ; il était Dieu, il pouvait venger les injures qui lui étaient faites, et cependant il a préféré adoucir la fureur de ses ennemis en les supportant avec patience ; n’est-il donc pas nécessaire que ses disciples, qui ne sont que des hommes, suivent la même règle de perfection. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 9.) Ou bien encore, Notre-Seigneur, par ces paroles : " Est-ce qu’un aveugle peut conduire un autre aveugle ? " veut leur ôter l’espoir de recevoir des lévites cette mesure dont il a dit : " Ils verseront dans votre sein, " etc. En effet, ils payaient les décimes à ceux que le Sauveur appelle des aveugles, parce qu’ils ne recevaient pas l’Évangile. Il veut donc que le peuple commence à attendre cette récompense des disciples du Seigneur, qu’il déclare être ses imitateurs en disant : " Le disciple n’est point au-dessus du maître. "
 

Théophyl. Le Seigneur ajoute une autre parabole qui a le même objet : " Pourquoi voyez-vous une paille (c’est-à-dire une faute légère dans l’oeil de votre frère), tandis que vous n’apercevez pas la poutre, (c’est-à-dire les fautes énormes) qui sont dans votre oeil ? " — Bède. Cette comparaison fait suite à la précédente, où le Sauveur nous déclare qu’un aveugle ne peut servir de guide à un autre aveugle, (c’est-à-dire qu’un pécheur ne peut être repris par un autre pécheur) ; Notre-Seigneur ajoute donc : " Comment pouvez-vous dire à votre frère : Mon frère, laissez-moi ôter la paille de votre oeil, vous qui ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre ? " — S. Cyr. C’est-à-dire : Comment celui dont la conscience est chargée de crimes énormes (figurés par la poutre) peut-il condamner celui qui n’en a que de légers, ou même qui n’en a aucun à se reprocher ? car c’est ce que la paille signifie. — Théophyl. Cette leçon s’adresse à tous, mais surtout aux docteurs qui punissent sévèrement, dans leurs disciples, les moindres fautes, tout en s’accordant le bénéfice de l’impunité pour les plus grandes ; c’est ce qui leur attire de la part du Seigneur le reproche d’hypocrisie, parce qu’ils jugent sévèrement les péchés d’autrui pour faire ressortir leur propre justice : " Hypocrites, ôtez d’abord la poutre de votre oeil, " etc. — S. Cyr. C’est-à-dire purifiez-vous d’abord de ces crimes énormes qui souillent votre conscience, et alors vous pourrez vous montrer zélé pour corriger votre frère de ses fautes légères. — S. Bas. (hom. 9 sur l’Hexam.) La connaissance de soi-même est en effet de la dernière importance ; l’oeil qui considère les choses extérieures, ne peut voir ce qui se passe en lui-même ; ainsi en est-il de notre esprit, lorsqu’il est prompt à juger les péchés d’autrui, il devient lent à découvrir ses propres défauts.
 

vv. 43-45.

Bède. Notre-Seigneur continue à parler ici contre les hypocrites : " L’arbre qui produit de mauvais fruits, n’est pas bon, " etc. ; paroles dont voici le sens : Si vous voulez avoir une vertu véritable et sincère, montrez-vous dans les oeuvres ce que vous êtes en paroles ; car l’hypocrite qui se couvre du masque de la vertu, n’est cependant pas vertueux, s’il fait le mal ; et s’il ose reprendre un innocent, ses reproches ne le rendent pas pour cela mauvais, puisqu’il fait le bien. — Tite de Bost. Que ces paroles ne favorisent point votre négligence, un arbre est soumis aux lois qui régissent la nature végétale ; pour vous, au contraire, vous avez l’usage de votre libre arbitre ; tout arbre stérile a été créé pour une fin particulière ; pour vous, vous avez été créé pour pratiquer la vertu. — S. Isid. (Liv. 4, lettre 81.) Ce n’est point le repentir, mais la persévérance dans le mal, que le Sauveur condamne par ces paroles ; tant que la disposition de l’âme reste mauvaise, elle ne peut produire de bons fruits ; mais si elle se tourne du côté du bien, alors elle produit des fruits de vertu. La nature de l’arbre s’appelle en nous l’affection, aussi elle peut ce qui est impossible à un arbre mauvais, c’est-à-dire produire de bons fruits.
 

S. Chrys. (Hom. 43 sur S. Matth.) Quoique le fruit naisse de l’arbre, il le fait néanmoins connaître, en ce sens, que la nature, l’espèce d’un arbre se distinguent par ses fruits. — S. Cyr. Ainsi la vie de tout homme est l’expression véritable de ses moeurs, car ce n’est point aux ornements extérieurs, aux dehors d’une feinte humilité qu’on reconnaît l’éclat du vrai bonheur, mais par les oeuvres que chacun opère ; vérité que le Sauveur confirme par ces paroles : " On ne cueille point de figues sur des épines. " — S. Ambr. Ce n’est point parmi les épines de ce monde qu’on peut trouver ce figuier qui est l’image de la résurrection, parce que les seconds fruits en sont meilleurs que les premiers, ou encore, parce que, selon ces paroles du livre des Cantiques (Ct 2) : " Les figuiers ont donné leurs premières figues, " les fruits qu’ils ont donnés au temps de la synagogue, n’étaient ni mûrs, ni durables, ni utiles ; ou bien encore, parce que notre vie ne parvient pas à sa maturité dans ce corps mortel, mais seulement dans sa résurrection. Nous devons donc rejeter loin de nous les sollicitudes de la terre qui déchirent l’âme et consument l’esprit, afin d’obtenir par nos soins assidus des fruits d’une maturité parfaite. Ainsi ces paroles se rapportent à la vie présente et à la résurrection, et les suivantes à l’âme et au corps. " On ne vendange point de raisin sur des ronces, " c’est-à-dire, que le péché ne peut faire produire aucun fruit à l’âme qui, semblable au raisin, se corrompt si elle est trop près de la terre, et ne peut mûrir que dans les hauteurs ; ou bien que personne ne peut échapper à la damnation de la chair, s’il n’est racheté par Jésus-Christ, qui, comme le raisin, a été suspendu sur le bois. — Bède. Ou bien encore, les épines et les ronces signifient les soucis du siècle et les atteintes perçantes des vices, tandis que les figues et le raisin représentent les douceurs de la vie nouvelle et l’ardeur de la charité. Or, on ne cueille point de figues sur les épines, ni de raisin sur les ronces, parce que l’âme qui est encore courbée sous le poids des habitudes du vieil homme, peut bien avoir l’apparence trompeuse de la fécondité, mais ne peut produire les fruits de l’homme nouveau. Remarquons encore que, de même que la branche féconde de la vigne, s’appuie et s’enlace aux buissons, de sorte que les épines supportent et conservent pour l’usage de l’homme, un fruit qui n’est pas le leur ; ainsi les paroles ou les actions des méchants peuvent quelquefois être utiles aux bons, ce qui doit être attribué, non à la volonté des méchants, mais aux desseins providentiels de Dieu qui sait tirer le bien du mal.
 

S. Cyr. Après avoir montré que le bon et le méchant peuvent se reconnaître à leurs oeuvres, comme on reconnaît un arbre à ses fruits, Notre-Seigneur enseigne la même vérité sous une autre figure : " L’homme bon tire le bien du bon trésor de son coeur, et l’homme mauvais tire le mal du mauvais trésor de son coeur. " — Bède. Le trésor du coeur est comme la racine de l’arbre ; celui donc qui possède dans son coeur un trésor de patience et d’amour parfait, produit des fruits excellents en aimant ses ennemis et en pratiquant tous les divins enseignements qui précèdent ; mais celui qui n’a dans son coeur qu’un trésor de méchanceté, agit d’une manière tout opposée. — S. Bas. De plus, la nature des paroles est un indice certain de l’état du coeur d’où elles sortent, et en révèle clairement les dispositions les plus intimes : " Car la bouche parle de l’abondance du coeur. " — S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth.) Lorsque la source intérieure du mal est abondante, par une conséquence naturelle, les paroles mauvaises s’exhalent des lèvres ; aussi quand vous entendez un homme proférer des paroles coupables, ne croyez pas que la méchanceté de son coeur est simplement égale à la malignité de ses discours, mais concluez sans crainte de vous tromper, que la source est beaucoup plus abondante que le ruisseau. — Bède. Par les paroles qui sortent de la bouche, Notre-Seigneur a voulu désigner tout ce qui prend sa source dans notre coeur, c’est-à-dire, les paroles, les actions ou les pensées, car c’est la coutume des Écritures, d’employer les paroles pour les actes.
 

vv. 46-49.

Bède. Notre-Seigneur ne veut pas qu’on se fasse illusion sur le sens de ces paroles : " La bouche parle de l’abondance du coeur, " comme s’il n’exigeait des vrais chrétiens que les paroles et non pas les oeuvres ; il ajoute donc : " Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je dis, " c’est-à-dire : Pourquoi vous glorifiez-vous de produire les feuilles des louanges de Dieu, vous qui ne produisez aucun fruit de bonnes oeuvres. — S. Cyr. Celui qui a le souverain domaine sur toute la nature, a droit au nom et à la chose exprimée par le nom. — S. Athan. (Disc. cont. les sectat. de Sabell.) Ce langage n’est pas celui d’un homme, mais celui d’un Dieu qui fait voir qu’il est engendré par le Père, car celui-là seul est Seigneur, qui tire son origine de l’unique et seul Seigneur ; cependant ne craignez pas de dualité, car tous deux ont une seule et même nature.

S. Cyr. Le Sauveur nous fait ensuite connaître quels sont les avantages attachés à l’observation des commandements, et quel malheur menace ceux qui les transgressent : " Celui qui vient à moi et qui écoute mes paroles, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la pierre. " — Bède. Cette pierre, c’est Jésus-Christ ; creuser bien avant, c’est à l’aide des préceptes de l’humilité, enlever du coeur des fidèles tout ce qui est terrestre, afin qu’ils servent Dieu pour des motifs tout spirituels. — S. Bas. (commenc. des Prov.) Poser le fondement sur la pierre, c’est s’appuyer sur la foi de Jésus-Christ, pour demeurer ferme dans l’adversité, soit qu’elle vienne des hommes, soit qu’elle vienne de Dieu. — Bède. Ou bien encore, le fondement de la maison, c’est l’intention de mener une vie vertueuse, que le parfait disciple conçoit et place dans son âme pour accomplir fidèlement les préceptes de Jésus-Christ. — S. Ambr. Ou enfin, il veut nous enseigner que le fondement de toutes les vertus est l’obéissance aux commandements de Dieu, obéissance qui fait que la maison que nous bâtissons, ne peut être ébranlée ni par le torrent impétueux des passions, ni par la violence des esprits de malice, ni par les eaux entraînantes du monde, ni par les disputes ténébreuses des hérétiques, c’est pourquoi il ajoute : " Les eaux s’étant débordées, " etc. — Bède. Ce débordement arrive de trois manières : sous l’influence des esprits immondes, par l’agitation des méchants, par le trouble de l’âme ou de la chair ; plus les hommes mettent leur confiance dans leurs propres forces, plus aussi leur chute est grande, et plus ils s’appuient sur la pierre invincible, plus ils sont inébranlables.
 

S. Chrys. (Hom. 25 sur S. Matth.) Notre-Seigneur nous enseigne encore que la foi ne sert de rien si la vie est souillée par des vices qui la déshonorent : " Celui qui écoute mes paroles sans les pratiquer, est semblable à un homme qui bâtit sa maison sur la terre sans fondement, " etc. — Bède. Le monde qui est tout entier fondé sur le malin esprit (1 Jn 5), est la maison du démon ; il la bâtit sur la terre, parce qu’il détourne du ciel pour les ramener vers la terre ceux qui se rendent ses esclaves. Il bâtit sans fondement, parce que le péché n’a pas de fondement, il ne subsiste pas en lui-même et par sa propre nature ; le mal, en effet, n’a point d’existence propre, c’est une négation, et de quelque manière qu’il arrive, il s’unit à la nature du bien ; comme le mot fondement a pour étymologie le mot fond, on peut lui donner cette dernière signification ; ainsi, de même que celui qui tombe dans un puits s’arrête nécessairement au fond, de même l’âme qui tombe dans le mal, s’arrête comme dans un espèce de fond, si elle ne dépasse pas une certaine mesure dans le mal qu’elle commet, mais lorsque, non contente du péché où elle est tombée, elle fait tous les jours de nouvelles et plus lourdes des chutes, elle ne trouve plus, pour ainsi dire, de fond qui l’arrête dans le puits où elle est tombée. Ainsi les méchants et ceux qui n’ont que l’apparence du bien, deviennent plus mauvais à chaque tentation qui vient fondre sur eux, jusqu’à ce qu’enfin ils tombent dans les châtiments éternels : " Le torrent est venu fondre sur cette maison et elle est tombée aussitôt, " etc. Par ce fleuve qui se précipite avec violence, on peut entendre les suites du jugement dernier, alors que l’une et l’autre de ces deux maisons étant détruites, les impies iront à l’éternel supplice, et les justes dans la vie éternelle. — S. Cyr. Ou bien encore, ceux-là bâtissent sur la terre sans aucun fondement, qui posent sur le sable mouvant du doute et des opinions humaines, le fondement de l’édifice spirituel que quelques gouttes de tentations suffisent pour renverser.

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 14.) L’exorde de ce long discours du Sauveur est le même dans saint Matthieu et dans saint Luc : " Bienheureux les pauvres. " La plupart des enseignements qui suivent, sont également les mêmes dans les deux Évangélistes, et le discours se termine absolument de la même manière, par la comparaison de l’homme qui bâtit sur la pierre on sur le sable. On serait donc autorisé à croire que saint Luc a rapporté ici le même discours que saint Matthieu, en omettant certaines maximes que saint Matthieu avait développées, pour en rapporter lui-même d’autres que saint Matthieu avait omises ; mais on est arrêté par cette difficulté que, suivant saint Matthieu, lorsque le Seigneur fit ce discours, il était assis sur une montagne, tandis que d’après saint Luc, le Sauveur était alors debout dans la plaine. Cependant il est probable que ces deux discours eurent lieu à des époques peu éloignées, par la raison que les deux Évangélistes placent immédiatement avant et après ce discours des faits semblables ou même identiques. On peut aussi supposer que Notre-Seigneur s’est tenu d’abord seul avec ses disciples sur la partie la plus élevée de la montagne, lorsqu’il fit choix parmi eux des douze Apôtres, et qu’il est ensuite descendu du sommet de la montagne dans la plaine, c’est-à-dire, sur un plateau qui se trouvait à mi-côte et qui pouvait contenir une grande multitude. C’est là qu’il s’est tenu debout jusqu’à ce que la foule fût assemblée autour de lui, puis lorsqu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui, et c’est devant eux et en présence de tout le peuple réuni, qu’il fit ce seul et même discours qui est rapporté par les deux Évangélistes.
 

 

CHAPITRE VII

vv. 1—10.

Tite de Bostr. Après avoir nourri ses disciples des leçons de la perfection chrétienne, Notre-Seigneur vient à Capharnaüm pour y opérer des prodiges : " Après qu’il eut achevé tout ce discours, il vint à Capharnaüm. " — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 20.) Nous voyons ici que le Sauveur n’entra dans Capharnaüm qu’après avoir terminé son discours, mais l’Évangéliste ne dit pas quel temps s’est écoulé entre la fin du discours et l’entrée de Jésus dans la ville, car c’est dans cet intervalle que fut guéri le lépreux, dont saint Matthieu place ici la guérison. — S. Ambr. Par un admirable rapprochement, Notre-Seigneur, après avoir fait connaître les obligations de la vie chrétienne, enseigne la manière de les accomplir ; en effet, on vient aussitôt lui demander la guérison du serviteur d’un centurion : " Or, un centurion avait un serviteur malade, " etc. L’Évangéliste ne s’est pas trompé, en disant qu’il allait mourir ; il serait mort en effet, si Jésus ne l’avait guéri. — Eusèbe. Le Centurion était renommé par sa bravoure dans les combats, et commandait une compagnie de soldats romains. Un de ses serviteurs, attaché spécialement à sa personne, était tombé malade ; ce centurion, considérant la puissance que Jésus déployait pour guérir d’autres maladies, et jugeant bien que ces miracles étaient supérieurs aux forces de la nature humaine, envoie vers lui quelques-uns des anciens des Juifs comme à un Dieu, sans être arrêté par les dehors de l’humanité dont le Sauveur s’était revêtu pour entrer en communication avec les hommes : " Ayant entendu parler de Jésus, il envoya vers lui quelques-uns des anciens, " etc. — S. Aug. (de l’acc. des Ev., 2, 20.) Mais comment concilier ces paroles avec le récit de saint Matthieu, où nous lisons " Un centurion s’approcha de lui, " puisqu’en réalité il ne vint point le trouver ? En examinant sérieusement cette difficulté, nous sommes amenés à conclure que saint Matthieu s’est conformé ici au langage ordinaire ; si, en effet, on peut dire qu’on parvient jusqu’à quelqu’un par le moyen d’autres personnes, à plus forte raison, on peut dire qu’on s’en approche par l’intermédiaire de ces mêmes personnes. Ainsi, quoique le centurion ait député vers Jésus quelques-uns des anciens des Juifs, saint Matthieu a pu dire, pour abréger, que le centurion s’était plus approché lui-même de Jésus-Christ, que ceux qu’il avait chargés de sa requête, car plus sa foi fut vive, plus aussi il s’approcha de Jésus. — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Comment concilier encore le récit de saint Matthieu, où le centurion dit lui-même à Jésus : " Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, " avec le récit de saint Luc, où il prie Jésus de venir chez lui ? Je réponds que saint Luc, à mon avis, a voulu nous représenter les flatteries des Juifs. Il est probable, en effet, que le centurion voulait aller lui-même trouver Jésus, et qu’il en fut détourné par le langage flatteur des Juifs qui lui dirent : " Nous irons et nous vous l’amènerons chez vous. " Voyez, en effet, comme ils mêlent à la prière qu’ils font à Jésus, l’éloge du centurion : " Et étant venus trouver Jésus, ils le prièrent avec grande instance en disant : il mérite que vous lui fassiez cette grâce. " Ils auraient dû bien plutôt dire : Il voulait venir vous trouver et vous prier lui-même, mais nous l’en avons détourné en voyant son affliction et ce pauvre malade étendu chez lui sur son lit de douleur ; ils auraient ainsi fait ressortir la grandeur de sa foi. Mais ils se gardent bien de tenir un pareil langage, ils ne voulaient pas faire connaître la foi de cet homme, retenus par l’envie qui les dévorait, dans la crainte de faire éclater la grandeur de celui à qui une semblable prière était adressée. Il n’y a du reste aucune contradiction entre ce que rapporte saint Matthieu, que ce Centurion n’était point Israélite, et ce que disent ici les anciens des Juifs d’après saint Luc : " Il nous a bâti une synagogue, " car il pouvait bâtir une synagogue sans être du peuple juif. — Bède. Nous voyons ici que les Juifs appelaient synagogue, comme nous appelons Église, non seulement l’assemblée des fidèles, mais encore le lieu où ils se réunissaient.
 

Eusèbe. Les anciens des Juifs demandent cette grâce pour le centurion, en reconnaissance des sommes modiques qu’il avait pu donner pour la construction de la synagogue ; mais le Seigneur se rend à des motifs d’un ordre plus élevé, il veut engendrer la foi dans le coeur des hommes par la manifestation de sa puissance : " Jésus s’en alla donc avec eux. " — S. Ambr. S’il agit de la sorte, ce n’est point qu’il ne pût guérir cet homme sans aller le trouver, mais parce qu’il voulait nous donner un exemple d’humilité. Il ne voulut point aller dans la maison de l’officier du roi qui l’en priait pour son fils, afin de ne point paraître céder à l’influence de sa position et de ses richesses ; il consent ici à se rendre dans la maison du centurion, pour qu’on ne prit supposer qu’il méprisait l’humble condition de son serviteur. Le centurion, de son côté, dépose toute fierté militaire, plein de respect et de foi, il s’empresse de rendre au Sauveur l’honneur qui lui est dû : " Il n’était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya lui dire : Ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne, " etc. Il savait, en effet, que ce n’était point par une puissance naturelle, mais par la toute-puissance de Dieu que Jésus-Christ guérissait les hommes. Les Juifs, en pressant Jésus de venir, avaient donné pour motif qu’il était digne de cette grâce ; le centurion se reconnaît indigne, non-seulement du bienfait qu’il sollicite, mais encore de recevoir le Seigneur : " Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. " — S. Chrys. (hom. 27.) Aussitôt qu’il fut délivré de l’ennuyeuse importunité des Juifs, il envoie dire à Jésus : Ce n’est point par négligence que je ne suis pas venu vous trouver moi-même, mais parce que je me suis cru indigne de vous recevoir dans ma maison.

S. Ambr. Saint Luc rapporte que le centurion envoya ses amis à la rencontre de Jésus, pour ne point paraître blesser par sa présence la modestie du Sauveur, et provoquer sa bonté par cette démarche : " C’est pourquoi, dit-il, je ne me suis pas cru digne d’aller moi-même vous trouver, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. " — S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Considérez quelle idée juste et convenable le Centurion a du Seigneur, il ne lui dit pas : Priez, mais : " Ordonnez, " et dans la crainte qu’il ne refusât par un sentiment d’humilité, il ajoute : " Car moi qui suis soumis à la puissance d’un autre, " etc. — Bède. Il déclare qu’il n’est qu’un homme soumis à l’autorité du tribun ou du gouverneur, et que cependant il commande à d’autres qui sont au-dessous de lui ; donc, à plus forte raison, celui qui est Dieu, peut faire ce qu’il veut, non seulement par sa présence corporelle, mais encore par le ministère des anges ; car c’est par la parole du Seigneur et par le ministère des anges, que les maladies du corps devaient être guéries, et les puissances ennemies mises en fuite.

S. Chrys. (de la nat. incompréhens. de Dieu, disc. 6.) Remarquons encore que cette parole " Faites, " exprime un ordre donné à un serviteur ; aussi, lorsque Dieu voulut créer l’homme, il ne dit point à son Fils unique : Faites l’homme, mais : " Faisons l’homme, " indiquant ainsi l’égalité de rang et d’honneur par cette parole de conseil et d’accord mutuel. C’est donc parce qu’il reconnaissait dans Jésus-Christ la souveraine puissance, qu’il s’exprime de la sorte : " Dites seulement une parole, car moi, je dis à mon serviteur, " etc. Aussi Jésus, loin de le reprendre, le confirme dans cette pensée : " Ce qu’ayant entendu, Jésus fut dans l’admiration. " — Bède. Qui donc avait produit dans le centurion cette foi vive, si ce n’est celui-là même qui l’admirait ; et quand un autre en eût été l’auteur, pourquoi cette admiration dans celui qui connaissait par avance la foi de cet homme ? Si donc le Seigneur se laisse aller à l’admiration, c’est pour nous faire partager le même sentiment, car toutes ces émotions de l’âme, lorsqu’on les attribue à Dieu, ne sont point un signe de trouble intérieur, mais une leçon salutaire qu’il nous donne.
 

S. Chrys. (hom. 27 sur S. Matth.) Pour vous rendre plus certain que Notre-Seigneur, en parlant de la sorte, voulait instruire ceux qui étaient présents, l’Évangéliste exprime clairement ce but en ajoutant ; " Je vous le dis en vérité, je n’ai pas trouvé une si grande foi, même en Israël. " — S. Ambr. Si vous lisez : " Je n’ai trouvé chez personne autant de foi dans Israël, " le sens est simple et facile, mais si vous lisez selon le texte grec : " Je n’ai pas trouvé une si grande foi, même dans Israël, " la foi de cet homme est mise au-dessus même des élus et de ceux qui voient Dieu. — Bède. Notre-Seigneur ne veut point parler ici de tous les patriarches et des prophètes des siècles passés, mais des hommes du temps présent, dont la foi est mise bien au-dessous de celle du centurion, parce qu’ils avaient reçu les enseignements de la loi et des prophètes, tandis que cet homme avait cru spontanément, et sans avoir aucun maître. — S. Amb. En même temps que le Sauveur donne des éloges à la foi du maître, il rend la santé au serviteur : " De retour à la maison, ceux que le centurion avait envoyés, trouvèrent le serviteur qui avait été malade, guéri. " Le mérite du maître peut donc profiter aux serviteurs, non seulement le mérite de la foi, mais encore le zèle pour la vertu. — Bède. Saint Matthieu s’étend davantage sur les circonstances de la guérison de ce serviteur, au moment même où Jésus dit à son maître : " Allez, qu’il vous soit fait selon ce que vous avez cru ; " mais saint Luc a pour habitude d’abréger ou même d’omettre entièrement ce qu’il trouve suffisamment exposé par les autres Évangélistes, et de développer lui-même avec plus de soin ce qu’ils ont omis ou ce qu’ils n’ont fait qu’indiquer.
 

S. Ambr. Dans le sens mystique, le serviteur du centurion représente le peuple des nations qui, enchaîné dans les liens de la servitude du monde, en proie à la maladie mortelle de ses passions, attend sa guérison de la miséricorde du Seigneur. — Bède. Le centurion, dont la foi est mise au-dessus de la foi d’Israël, représente les élus d’entre les Gentils, qui, entourés des vertus spirituelles comme d’une cohorte de cent soldats, s’élèvent à une perfection sublime, car le nombre cent, qui s’écrit de gauche à droite, figure ordinairement la vie céleste. Il faut de semblables intercesseurs à ceux que l’esprit de servitude tient courbés sous le joug de la crainte (Rm 8) ; pour nous qui avons embrassé la foi parmi les Gentils, nous ne pouvons aller nous-mêmes au Seigneur, que nous ne pouvons voir dans sa chair, mais nous devons nous approcher de lui par la foi. Députer vers Jésus les anciens des Juifs, c’est conjurer les saints personnages de l’Église qui nous ont précédés de vouloir bien être nos patrons, et d’intercéder pour nos péchés, en nous rendant le témoignage que nous prenons soin d’édifier l’Église. L’Évangéliste fait remarquer que Jésus n’était pas loin de la maison, parce que son salut est près de ceux qui le craignent, et le fidèle observateur de la loi naturelle s’approche d’autant plus de celui qui est bon par essence, qu’il pratique plus exactement le bien qu’il connaît. — S. Ambr. Le centurion ne veut pas qu’on tourmente Jésus par des instances, parce que le peuple des nations désire préserver de tout mal celui que le peuple juif a crucifié. Enfin (dans un sens mystérieux), il vit que le Christ ne pouvait encore pénétrer dans le coeur des Gentils. — Bède. Les soldats et les serviteurs qui obéissent au centurion, sont les vertus naturelles dont un grand nombre de ceux qui viennent trouver le Seigneur, portent avec eux la riche abondance.

Théophyl. Ou bien encore, ce centurion représente l’intelligence, qui est comme le chef d’une foule d’actions mauvaises, chargée qu’elle est en cette vie d’une multitude de choses et d’affaires qui l’absorbent tout entier. Elle a pour serviteur la partie de l’âme qui est dépourvue de raison (c’est-à-dire, la partie irascible et concupiscible). Elle envoie vers Jésus des Juifs comme médiateur, c’est-à-dire, des pensées et des paroles de confession et de louange, et elle obtient aussitôt la guérison de son serviteur.
 

vv. 11—17.

S. Cyr. Notre-Seigneur opère prodiges sur prodiges ; dans le miracle précédent, il avait attendu qu’on vînt le prier, ici il vient sans être appelé : " Il s’en alla ensuite dans une ville appelée Naïm. " — Bède. Naïm est une ville de Galilée, située à deux milles du mont Thabor ; or, c’est par une permission divine que le Sauveur est suivi de cette grande multitude, Dieu veut ainsi multiplier les témoins d’un si grand miracle : " Et ses disciples l’accompagnaient avec une grande foule de peuple. " — S. Grég. de Nysse. (Traité de l’âme et de la résurrection.) Le Sauveur prouve la vérité de la résurrection moins par ses paroles que par ses oeuvres. Il commence par des miracles moins importants pour préparer notre foi à des prodiges plus éclatants, il essaie pour ainsi dire le pouvoir qu’il a de ressusciter sur la maladie désespérée du serviteur du centurion ; puis, par un acte d’une plus grande puissance, il conduit les hommes à la foi de la résurrection, en rendant à la vie le fils d’une veuve qu’on portait au tombeau : " Comme il approchait de la porte de la ville, il se trouva qu’on portait en terre un mort, fils unique de sa mère. " — Tite de Bostr. On avait pu dire du serviteur du centurion, que sa maladie n’était pas mortelle ; aussi, pour réprimer ce langage téméraire, Jésus marche à la rencontre d’un jeune homme qui était mort, fils unique d’une veuve : " Et celle-ci était veuve, et beaucoup de gens de la ville l’accompagnaient. " — S. Grég. de Nysse. (de la créat. de l’homme.) Par ce peu de mots, l’Évangéliste nous fait connaître le poids de la douleur qui accablait cette pauvre mère. Elle était veuve, et ne pouvait plus espérer d’autres enfants, elle n’en avait aucun sur lequel elle pût reporter les regards de sa tendresse, à la place de celui qu’elle venait de perdre ; il était le seul qu’elle eût nourri de son lait, lui seul était la joie de sa maison, lui seul était toute sa douceur, tout son trésor. — S. Cyr. Une si juste douleur était bien digne de compassion et bien capable d’attrister et de faire couler les larmes : " Le Seigneur l’ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez point. " — Bède. C’est-à-dire, cessez de pleurer comme mort celui que vous allez voir ressusciter plein de vie. — S. Chrys. (ou Tite dans la Ch. des Pèr. gr.) En disant à cette femme : " Ne pleurez pas, " celui qui console les affligés nous apprend à nous consoler de la perte de ceux qui nous sont chers, par l’espérance de la résurrection ; cependant il touche le cercueil comme la vie qui va à la rencontre de la mort : " Et il s’approcha et toucha le cercueil, " etc. — S. Cyr. Il n’opère point ce miracle par sa seule parole, mais il touche le cercueil et vous fait ainsi comprendre l’efficacité toute-puissante du corps sacré de Jésus-Christ pour le salut des hommes ; c’est en effet un corps plein de vie et la chair du Verbe tout-puissant dont il a toute la vertu. De même, en effet, que le fer pénétré par le feu, produit les effets du feu ; ainsi la chair étant unie au Verbe qui vivifie toutes choses, se pénètre elle-même d’une puissance vivifiante qui chasse la mort. — Tite de Bostr. Le Sauveur ne ressemble point ici au prophète Élie, qui pleure le fils de la femme de Sarepta (3 R 17), ni au prophète Élisée, qui étendit son corps sur le cadavre du fils de la Sunamite (4 R 4), ni à l’apôtre saint Pierre, qui prie Dieu de rendre la vie à la pieuse Thabitha (Ac 9) ; mais il est celui qui appelle ce qui n’est pas comme ce qui est (Rm 4), et qui peut faire entendre sa parole aux morts aussi bien qu’aux vivants : " Et il dit : Jeune homme, je te le commande, lève-toi. " — S. Grég. de Nysse. En l’appelant " jeune homme, " Notre-Seigneur nous apprend qu’il était à la fleur de l’âge, dans la première jeunesse. Il y a quelques heures encore, il était la joie et le bonheur des regards de sa mère, peut-être déjà il soupirait après le temps, où uni à une tendre épouse, il deviendrait le chef de sa famille, la souche de sa postérité, et le bâton de vieillesse de sa mère.

Tite de Bostr. Ce jeune homme obéit aussitôt à l’ordre qui lui est donné, et se lève sur son séant, car rien ne peut résister à la puissance divine, elle ne souffre aucun retard, elle n’a besoin d’aucune instance : " Aussitôt le mort se leva sur son séant et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère. " Ce sont là les signes d’une véritable résurrection, car un corps privé de la vie n’a point l’usage de la parole, et d’ailleurs cette femme n’eût point ramené dans sa maison le corps de son fils mort et inanimé. — Bède. L’Évangéliste suit un ordre admirable en nous représentant d’abord le Sauveur, touché de compassion pour cette pauvre mère, et puis rendant son fils à la vie ; il nous donne ainsi d’un côté l’exemple de la compassion que nous devons imiter, et de l’autre, un motif de croire à sa puissance toute divine ; aussi ajoute-t-il : " Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu, " etc. ; — S. Cyr. Ce prodige surprenant se fit au milieu d’un peuple insensible et ingrat, quelques jours à peine s’étaient passés, et ils ne croyaient plus que Jésus fût un prophète, ni qu’il eût été envoyé pour le salut du peuple juif. Cependant ce miracle fut connu de tous les habitants de la Judée : " Et le bruit de ce prodige se répandit dans toute la Judée, et dans tout le pays d’alentour. "

S. Max. Il est bon de remarquer que la sainte Écriture rapporte sept résurrections avant celle du Seigneur. La première est celle du fils de la veuve de Sarepta (III R 17) ; la seconde, celle du fils de la Sumanite (4 R 4) ; la troisième, celle qu’opéra le corps d’Elisée (4 R 3) ; la quatrième, celle du fils de la veuve de Naïm (Lc 7) ; la cinquième, celle de la fille du chef de la synagogue (Mc 5) ; la sixième, celle de Lazare (Jn 11) ; la septième, celle qui eut lieu au temps de la passion du Sauveur, alors que les corps d’un grand nombre de saints ressuscitèrent. La huitième est celle de Jésus-Christ, qui, vainqueur à jamais de la mort, vit pour ne plus mourir, et pour signifier que la résurrection générale qui aura lieu au huitième âge du monde, ne sera plus sujette à la mort, mais sera suivie d’une vie éternelle.
 

Bède. Ce mort qui ressuscite, hors des portes de la ville, sous les yeux d’une grande multitude, représente l’homme plongé dans le sommeil de ses fautes mortelles, et la mort de l’âme, qui ne reste plus cachée dans l’intérieur du coeur, mais qui se produit au dehors, et qui, par ses paroles et par ses oeuvres, s’expose aux regards de tous, comme aux portes d’une ville, car chacun des sens de notre corps peut être considéré comme la porte d’une ville. C’est avec raison que l’Évangéliste fait remarquer que ce jeune homme était fils unique, parce que l’Église, bien que composée d’un grand nombre de personnes, ne fait cependant qu’une seule mère ; et toute âme qui se souvient d’avoir été rachetée par la mort du Seigneur, sait que l’Église est veuve. — S. Ambr. Cette veuve qui est entourée d’une multitude de peuple, est à mes yeux plus qu’une femme, elle qui a mérité d’obtenir par ses larmes la résurrection de son fils unique. Ainsi l’Église rappelle à la vie le peuple le plus jeune du milieu des tristes solennités de la mort, et on lui défend de pleurer celui qui doit bientôt ressusciter. — Bède. Ainsi se trouve confondue l’erreur des novatiens, qui, en voulant détruire la purification des pécheurs repentants, nient par la même que l’Église, notre mère, qui pleure la mort spirituelle de ses enfants, doive être consolée par l’espérance de leur rendre la vie.

S. Ambr. Ce mort était porté dans son cercueil par les quatre éléments terrestres ; mais il avait l’espérance de ressusciter parce qu’il était porté dans le bois. Ce bois jusque-là ne nous était d’aucune utilité, mais dès que Jésus-Christ l’eut touché, il devint un instrument de vie, et le signe du salut que le bois de la croix devait apporter à tous les peuples. Nous sommes étendus sans mouvement et sans vie dans le cercueil, lorsque le feu d’une passion violente nous consume, ou lorsque les eaux de l’indifférence nous submergent, et que la vigueur de notre âme se trouve comme émoussée et appesantie par le poids de ce corps terrestre. — Bède. Ou bien encore, le cercueil dans lequel ce jeune homme est porté, c’est la conscience toujours alarmée du pécheur désespéré ; ceux qui le portent au tombeau sont les désirs impurs ou les flatteries des amis qui s’arrêtent aussitôt que le Seigneur touche le cercueil ; souvent, en effet, la conscience que touche la crainte des jugements de Dieu, rejette les voluptés charnelles et les louanges injustes, rentre en elle-même, et répond au Sauveur qui la rappelle à la vie. — S. Ambr. Si donc vous êtes coupable d’une grande faute que vous ne puissiez laver dans les larmes de la pénitence, recourez aux larmes de l’Église votre mère, que l’assemblée des fidèles vous aide aussi dans ce pieux travail, et vous sortirez du tombeau, et votre bouche s’ouvrira de nouveau à des paroles de vie, et tous seront saisis de crainte (car l’exemple d’un seul est profitable à tous ceux qui en sont témoins), et ils loueront Dieu qui nous a donné de si grands moyens d’éviter la mort. — Bède. ainsi Dieu a visité son peuple, non seulement lorsqu’il l’a incarné une fois dans un corps mortel, mais lorsqu’il ne cesse de l’envoyer dans les coeurs.

Théophyl. Par cette veuve, vous pouvez aussi entendre l’âme qui a perdu son époux, c’est-à-dire la parole divine ; son fils qui est emporté hors de la ville des vivants, c’est l’intelligence ; le cercueil, c’est son corps que plusieurs ont appelé un sépulcre. Or, aussitôt que le Seigneur le touche, il le relève, il rend la vie et la jeunesse à celui qui sort du péché et commence à parler et à instruire les autres ; car avant sa résurrection on n’eût point ajouté foi à ses paroles.
 

vv. 18—23.

S. Cyr. (Ch. des Pèr. gr.) Quelques-uns des disciples de Jean rapportèrent au saint Précurseur le miracle qu’avaient appris tous les habitants de la Judée et de la Galilée : " Cependant les disciples de Jean lui ayant annoncé, " etc. — Bède. Ce ne fut pas, je pense, dans une intention bien droite, mais par un sentiment de jalousie ; car nous les voyons ailleurs se plaindre de Jésus en ces termes : " Maître, celui qui était avec vous au delà du Jourdain, et auquel vous avez rendu témoignage, voilà qu’il baptise, et que tous vont à lui. " (Jn 3.) — S. Chrys. C’est surtout lorsque la nécessité nous presse, que nous devons nous élever jusqu’à Jésus, c’est pour cette raison que Jean, retenu dans les fers, envoie ses disciples à Jésus, alors qu’ils en avaient un plus grand besoin : " Jean-Baptiste appela deux de ses disciples, et les envoya vers Jésus pour lui dire : " Êtes-vous celui qui doit venir, " etc. — Bède. Il ne dit pas : Êtes-vous celui qui êtes venu ? mais : " Êtes-vous celui qui doit venir ? " c’est-à-dire : Je suis sur le point d’être mis à mort par Hérode, et de descendre aux enfers, faites-moi donc savoir si je dois annoncer votre arrivée dans les enfers, comme je l’ai annoncée sur la terre, ou bien si cette mission ne convenant pas au Fils de Dieu, vous devez en envoyer un autre pour l’accomplissement de ce mystère. — S. Cyr. Mais cette explication doit être entièrement rejetée ; nulle part, en effet, nous ne lisons dans les saintes Écritures que Jean-Baptiste ait annoncé la venue du Sauveur aux habitants des limbes. Il est vrai aussi de dire que le saint Précurseur connaissait toute l’étendue du mystère de l’incarnation du Fils de Dieu ; il savait donc, entre autres choses, qu’il devait porter la lumière à ceux qui habitaient les enfers, puisqu’il est mort pour tous les hommes, aussi bien pour les morts que pour les vivants. Mais comme les oracles de la sainte Écriture avaient prédit qu’il viendrait comme chef et comme Seigneur, et que les autres avaient été envoyés comme de simples serviteurs avant la venue du Christ, le Sauveur et le Seigneur de tous les hommes est appelé par les prophètes : " Celui qui vient, " ou " celui qui doit venir, " comme dans ce passage des Psaumes : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. " (Ps 117), et dans cet autre du prophète Habacuc : " Encore un peu de temps, et celui qui doit venir, viendra sans tarder. " (Ha 2.) Jean-Baptiste emprunte donc cette manière de parler à la sainte Écriture, et envoie quelques-uns de ses disciples pour demander à Jésus s’il est celui qui vient, ou qui doit venir.
 

S. Ambr. Mais comment peut-il se faire qu’après avoir proclamé Jésus celui qui efface les péchés du monde, Jean-Baptiste ne reconnut pas encore en lui le Fils de Dieu ? car, ou c’est une témérité impardonnable que d’attribuer sans raison les attributs de la divinité à celui qu’il ne connaît pas, ou c’est une coupable infidélité que de douter qu’il soit le Fils de Dieu. Quelques-uns ont vu dans Jean-Baptiste un grand prophète éclairé d’en haut, pour reconnaître le Christ ; mais sans admettre que le doute soit entré dans son esprit, ils ont supposé que par un sentiment de pieuse affection, il avait cru que celui qu’il avait annoncé, ne serait pas sujet à la mort. Ce n’est donc point l’incrédulité, mais son amour pour le Sauveur qui est la cause de ce doute ; c’est ainsi que nous voyons saint Pierre dire à Jésus-Christ " A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera point. " (Mt 16.) — S. Cyr. (Trés., liv. 2, chap. 4.) Ou bien, c’est avec un dessein particulier que Jean-Baptiste fait cette question. Il connaissait, en effet, comme précurseur, le mystère de la passion du Christ ; mais il voulait que ses disciples apprissent par eux-mêmes l’excellence du Sauveur ; il envoie donc vers lui les plus sages d’entre eux, en leur recommandant de s’informer et d’apprendre de la bouche même du Sauveur, s’il était celui qu’on attendait : " Ces hommes étant donc venus, lui dirent : Jean-Baptiste nous a envoyés vous demander : Êtes-vous celui qui doit venir, " etc. Or, Jésus, sachant comme Dieu dans quelle intention Jean les avait envoyés et le motif de leur venue, opéra sous leurs yeux un grand nombre de miracles éclatants : " A cette heure même, Jésus guérit un grand nombre de personnes affligées, " etc. Il ne leur dit pas en termes exprès : " Je suis celui qui doit venir, " mais il leur en donne une plus grande certitude, et veut qu’ils puisent la foi en sa divinité dans des preuves sans réplique, avant de retourner vers celui qui les a envoyés. Il ne répond donc pas à la question, mais à l’intention de celui qui les a envoyés : " Alors il répondit aux envoyés : Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu, " c’est-à-dire : Racontez à Jean-Baptiste ce que vous avez entendu des prophètes, et ce que vous avez vu s’accomplir en moi-même. Il accomplissait, en effet, les merveilles que les prophètes avaient prédit de lui, et qu’il rappelle en leur disant : " Les aveugles voient, les boiteux marchent, " etc.
 

S. Ambr. Ce témoignage était sans doute plus que suffisant pour que le saint Précurseur fût convaincu que Jésus était son Seigneur ; car c’est de lui que les prophètes avaient prédit : " Le Seigneur donne la nourriture à ceux qui ont faim, le Seigneur délie les captifs, il éclaire les aveugles, il redresse ceux qui sont courbés, et celui qui opère ces prodiges, règnera dans l’éternité. " (Ps 145.) Ce ne sont point les oeuvres de l’homme, mais les actes d’une puissance toute divine. De tels prodiges étaient rares, ou presque nuls avant l’Évangile ; Tobie est le seul que nous voyons recouvrer la vue, et ce fut un ange et non pas un homme qui le guérit. (Tb 11.) Élie a ressuscité des morts, mais à force de prières et de larmes (3 R 17), ici Jésus n’a besoin que de commander ; Élisée a guéri un lépreux, néanmoins ce ne fut point par l’autorité de son commandement, mais en figure d’un grand mystère. — Théophyl. C’était à la vue de ces prodiges, qu’Isaïe disait : " Dieu viendra lui-même et vous sauvera. Alors les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes ; alors le boiteux bondira comme le cerf. " — Bède. Et ce qui n’est pas un miracle moins éclatant : " Les pauvres sont évangélisés, " c’est-à-dire que les pauvres d’esprit ou des biens de la terre sont éclairés intérieurement, de sorte que les pauvres et les riches ont également part à la grâce de la prédication. C’est là une preuve de la vérité du Maître, que tous ceux qu’il peut sauver soient égaux devant lui. — S. Ambr. Et cependant ce sont là encore de faibles témoignages de la divinité du Sauveur ; ce qui donne à la foi toute sa plénitude, c’est la croix du Seigneur, sa mort, sa sépulture. Voilà pourquoi il ajoute : " Et bienheureux celui qui ne se sera pas scandalisé de moi. " La croix, en effet, pourrait être un sujet de scandale, même pour les élus, et cependant c’est la plus grande preuve de la divinité du Christ ; car il n’y a rien qui soit plus au-dessus de l’humanité que de s’être offert seul pour le salut du monde entier. — S. Cyr. Peut-être aussi voulait-il les convaincre par là, qu’aucune des pensées de leur coeur ne pouvait échapper à ses regards ; car c’étaient eux-mêmes qui se scandalisaient de sa personne divine.

S. Ambr. Nous avons dit plus haut que Jean était la figure de la loi qui a été comme le précurseur du Christ. Jean-Baptiste envoie donc ses disciples vers Jésus-Christ pour donner à leur science toute sa perfection ; car le Christ est la plénitude de la loi. Ces deux disciples peuvent aussi figurer les deux peuples, les Juifs qui embrassèrent la foi, et les Gentils qui crurent après avoir entendu. Ils voulaient voir de leurs yeux, parce que bienheureux sont les yeux qui voient. Mais lorsqu’ils sont parvenus jusqu’à l’Évangile, et qu’ils ont reconnu que les aveugles ont recouvré la vue, que les boiteux marchent, etc. ; alors ils diront : " Nous avons vu de nos yeux. " (1 Jn 1.) Car nous nous figurons que nous voyons ce que nous lisons ; ou bien encore, il nous semble que nous avons parcouru toute la suite de la passion du Sauveur dans quelque partie de notre corps ; car c’est par quelques-uns seulement que la foi s’est étendue à la multitude des fidèles. Ainsi la loi annonçait le Christ qui devait venir, et l’Évangile confirme sa venue.
 

vv. 24—28.

S. Cyr. (Tres., 2, 24.) Le Seigneur qui pénétrait le secret des coeurs, comprit qu’il s’en trouverait pour dire : Si Jean-Baptiste a été jusqu’à ce jour sans connaître Jésus, comment a-t-il pu le montrer au peuple en disant : " Voici l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde ? " C’est donc pour guérir cette impression défavorable, qu’il éloigne de leur esprit ce qui pouvait être pour eux un sujet de scandale : " Lorsque les envoyés de Jean furent partis, il commença à dire au peuple, en parlant de Jean : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? un roseau agité par le vent ? " comme s’il disait : Vous avez été pleins d’admiration pour Jean-Baptiste, bien des fois vous avez été le trouver malgré les difficultés d’un voyage long et pénible dans le désert. Or, pourquoi cette admiration, cet empressement, si vous le croyez léger comme le roseau qui plie à tous les vents ? car voilà ce qu’il serait, si par légèreté d’esprit, il déclarait ignorer ce qu’il a connu. — Tite. Mais vous n’auriez point quitté les villes pour vous enfoncer dans le désert qui ne peut vous offrir aucun agrément, si vous n’aviez de cet homme une plus haute idée. — Siméon. (Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur attendit le départ des disciples pour parler ainsi de Jean-Baptiste, il n’avait pas voulu faire en leur présence l’éloge du saint Précurseur, voulant éviter tout ce qui aurait l’apparence de la flatterie. — S. Ambr. Ce n’est point sans raison que le Sauveur fait ici l’éloge de Jean-Baptiste qui, sacrifiant généreusement l’amour de la vie aux intérêts de la vérité et de la justice, demeura inébranlable en face même de la mort. Ce monde, en effet, peut être comparé à un désert stérile et inculte, où le Seigneur nous défend de marcher sur les traces, et en suivant les exemples de ces hommes remplis des pensées de la chair, vides de toute vertu intérieure, et qui s’enorgueillissent de l’éclat fragile de la gloire mondaine. Constamment agités par les tempêtes de ce monde, ils sont toujours en proie à la mobilité de leurs désirs, et méritent par là d’être comparés à des roseaux. — Siméon. Le vêtement de Jean-Baptiste est un témoignage de la sainteté de sa vie, aussi bien que la prison, où il est détenu ; car jamais il n’aurait été jeté dans les fers, s’il eût flatté les passions des princes : " Qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu avec mollesse ? Mais ceux qui portent des vêtements précieux et vivent dans les délices, habitent les maisons des rois. " Ces hommes vêtus mollement, représentent ceux qui passent leur vie dans les délices. — S. Chrys. (hom. 29 sur l’Ep. aux Héb.) La mollesse des vêtements affaiblit la vigueur de l’âme, et le corps fût-il ami de l’austérité et de la mortification, est bientôt énervé par cette molle délicatesse. Or, quand le corps est amolli, l’âme ne tarde pas à l’être ; car les inclinations de l’âme sont presque toujours conformes aux dispositions du corps. — S. Cyr. (Très., 2, 4.) Comment donc Jean-Baptiste, avec ce soin religieux de soumettre les passions de la chair, aurait-il pu tomber dans une si grande ignorance, sinon par la légèreté d’un esprit qui a horreur des austérités, et se laisse séduire par les délices du monde ? Si donc Jean vous paraît digne d’imitation, parce qu’il fuit cette vie délicate et mondaine, accordez-lui la fermeté qui convient à cette vie mortifiée ; si au contraire, vous ne devez rien à cette vie pénitente et austère, pourquoi donc refuser votre admiration aux délices du monde, pour l’accorder à cet habitant du désert, à l’antre misérable qui lui sert de demeure, et à la peau de chameau dont il est couvert.

S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Par ces deux comparaisons, le Sauveur veut faire comprendre que Jean-Baptiste n’était point d’un caractère mobile et inconstant, et qu’aucune volonté n’était capable de le faire fléchir. — S. Ambr. Bien qu’il soit vrai de dire que la recherche de la mollesse dans les vêtements, énerve la vigueur de l’âme dans le plus grand nombre ; Notre-Seigneur paraît vouloir indiquer ici un autre genre de vêtement, c’est-à-dire le corps dont notre âme est comme revêtue. Ces vêtements délicats sont les oeuvres de la volupté et du plaisir. Or, ceux qui laissent énerver leurs membres au contact de ces fausses délices sont bannis du royaume des cieux ; les princes de ce monde et les puissances des ténèbres s’en emparent ; car ils sont les rois qui exercent leur empire absolu sur les imitateurs de leurs oeuvres.

S. Cyr. (Trés., 2, 4.) Mais vous jugez sans doute qu’il est superflu d’excuser Jean-Baptiste de légèreté et de mollesse, puisque vous avouez qu’il est digne d’imitation ; alors : " Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un prophète. Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète, car les prophètes prédisaient seulement qu’il allait venir ; mais pour Jean-Baptiste, non seulement il a prédit sa venue, mais il a démontré sa présence au milieu des hommes, lorsqu’il a dit : Voici l’agneau de Dieu. " — S. Ambr. Oui certes, il est plus grand ou plus qu’un prophète, lui qui atteint la fin que se proposaient les prophètes, car beaucoup ont désiré contempler celui qu’il a mérité de voir et de baptiser (Mt 13 ; Lc 10). — S. Cyr. (Trés., 2, 4.) Après avoir fait l’éloge de la vie de Jean-Baptiste et par le lieu qu’il habitait, et par ses vêtements, et par le concours qui se faisait autour de lui, Notre-Seigneur cite en sa faveur le témoignage du prophète Malachie : " C’est de lui qu’il est écrit : Voilà que j’envoie mon ange. " — Tite de Bostr. Il lui donne le nom d’ange, non pas qu’il le fût en réalité, puisqu’il était homme par nature, mais parce qu’il remplissait les fonctions d’un ange en annonçant la venue du Christ. — Siméon. Ces paroles : " Devant votre face, " nous montrent les rapports étroits de Jean-Baptiste avec Jésus-Christ ; il parut, en effet, au moment de la venue de Jésus-Christ, et c’est pour cela que nous devons l’estimer plus qu’un prophète, car ceux qui, dans les armées, se tiennent aux côtés du roi, sont les premiers dignitaires du royaume et ses familiers les plus intimes.
 

S. Ambr. Jean-Baptiste a préparé la voie au Seigneur, non seulement par le caractère miraculeux de sa naissance, et par la prédication de la foi, mais en précédant Jésus dans sa glorieuse passion : " Qui préparera la voie devant vous. " — S. Ambr. Mais si Jésus-Christ est prophète, comment Jean-Baptiste est-il plus grand que tous les prophètes ? Il est le plus grand de ceux qui sont nés de la femme et non d’une vierge, c’est-à-dire, qu’il a été le plus grand de tous ceux qui lui étaient semblables par leur naissance : " Je vous le dis, parmi ceux qui sont nés des femmes, il n’est point de prophète plus grand que Jean-Baptiste. " — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Il suffisait sans doute de ce témoignage rendu par le Sauveur, que Jean était le plus grand des enfants des hommes ; cependant, si vous voulez voir cette vérité confirmée par les faits, considérez quelle était la nourriture du saint Précurseur, sa vie, sa grandeur d’âme ; en effet, il vivait sur la terre comme un homme descendu du ciel, ne prenant aucun soin de son corps, l’esprit toujours occupé des pensées du ciel, uni à Dieu seul, n’ayant aucun souci des choses de la terre ; sa Parole était à la fois pleine de sévérité et de douceur ; il parlait au peuple juif avec vigueur et fermeté, au roi Hérode avec courage, et il instruisait ses disciples avec douceur ; rien de vain et de léger dans sa conduite toujours pleine de dignité. — S. Isid. Jean est encore le plus grand de ceux qui sont nés de la femme, parce qu’il prophétisa dans le sein même de sa mère, et qu’au milieu des ténèbres qui l’environnaient, il reconnut la lumière qui allait éclairer l’univers.
 

S. Ambr. Il est si vrai qu’il ne pouvait exister aucune comparaison entre Jean-Baptiste et le Fils de Dieu, que le Sauveur le place même au-dessous des anges : " Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. " — Bède. Ce passage peut être interprété de deux manières, ou bien par ce royaume de Dieu, le Sauveur veut entendre ce royaume dont nous ne sommes pas encore en possession et qu’habitent les anges ; or, le plus petit dans ce royaume est plus grand que tout juste revêtu de ce corps qui appesantit l’âme. (Sg 9, 15.) Ou bien, le royaume de Dieu, dans l’intention du Sauveur, c’est l’Église du temps présent, et alors c’est de lui-même que Notre-Seigneur veut parler, lui qui est inférieur à Jean par la date de sa naissance, mais qui est plus grand par son autorité divine et par sa souveraine puissance. Dans le premier sens, il faut donc ainsi séparer les membres de cette proposition : " Celui qui est le plus petit dans le royaume de Dieu, " ajoutez : " Est plus grand que lui ; " dans le second sens : " Celui qui est plus petit que lui, " ajoutez : " Dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. " — S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Notre-Seigneur fait cette réserve, de peur que la grandeur des louanges qu’il vient de donner à Jean-Baptiste, ne fût pour les Juifs une occasion de le mettre au-dessus du Christ. Ne croyez pas cependant qu’il ait voulu établir une comparaison en déclarant que Jean est plus grand que lui. — S. Ambr. En effet, sa nature est toute différente et ne peut être comparée en aucune façon à la nature humaine, car nulle comparaison n’est possible entre Dieu et l’homme.

S. Cyr. Dans le sens mystique, en même temps que le Sauveur proclame la supériorité de Jean-Baptiste sur tous les enfants des femmes, il lui oppose quelque chose de plus grand, celui qui devient Fils de Dieu par la naissance qu’il reçoit de l’Esprit saint, car le royaume du Seigneur, c’est l’Esprit de Dieu. Aussi, bien que sous le rapport des oeuvres et de la sainteté de la vie, nous soyons inférieurs à ceux qui ont pénétré le mystère de la loi, et dont Jean-Baptiste est la figure ; cependant nous nous élevons plus haut par Jésus-Christ qui nous rend participants de la nature divine (2 P 1, 4).
 

vv. 29—35.

S. Chrys. (hom. 38 sur S. Matth.) Après avoir fait l’éloge de Jean-Baptiste, le Sauveur fait ressortir le crime énorme des pharisiens et des docteurs de la loi qui, même après l’exemple donné par les publicains, n’ont pas voulu recevoir le baptême de Jean. — S. Ambr. Dieu est justifié dans le baptême, lorsque les hommes se justifient eux-mêmes en confessant leurs péchés. En effet, celui qui, après avoir péché, confesse à Dieu ses fautes, justifie Dieu, en se soumettant au pouvoir de ce vainqueur, et en espérant de lui la grâce du salut. — Eusèbe. Ceux qui ont cru ont aussi justifié Dieu, car ils l’ont trouvé juste dans toutes ses œuvres. Les pharisiens, au contraire, qui refusaient d’écouter Jean-Baptiste, par un sentiment de désobéissance, se mettaient en opposition avec ces paroles du prophète : " Afin que vous soyez reconnu juste dans vos paroles. " (Ps 50.) " Or, les pharisiens et les docteurs de la loi ont méprisé le conseil de Dieu, " etc. — Bède. Cette réflexion est de l’Évangéliste, ou de Notre-Seigneur lui-même (comme plusieurs le pensent) ; cette expression : " Sur eux, " ou : " Contre eux, " signifie que celui qui méprise la grâce de Dieu, agit contre ses intérêts, ou bien encore, le Sauveur condamne ici la conduite de ces insensés et de ces ingrats, qui n’ont pas voulu recevoir le conseil que Dieu leur manifestait. Or, le conseil de Dieu, c’est le décret de sauver le monde par la passion et la mort de Jésus-Christ, conseil que les pharisiens et les docteurs de la loi ont méprisé. — S. Ambr. Gardons-nous de mépriser, à l’exemple des pharisiens, le conseil de Dieu. Ce conseil de Dieu s’est manifesté dans le baptême de Jean-Baptiste, qui donc peut douter qu’il se manifeste également dans le baptême de Jésus-Christ ? C’est le conseil dont l’ange du grand conseil est l’auteur, et que personne ne connaît : " Car qui connaît les desseins de Dieu (Rm 11) ? " Personne ne méprise le conseil d’un homme, qui oserait rejeter le conseil de Dieu.
 

S. Cyr. Voici l’espèce de jeu auquel se livraient les enfants des Juifs : une troupe d’enfants se partageaient en deux pour se jouer des vicissitudes si rapides de la vie présente ; les uns chantaient, et les autres se lamentaient ; mais ni ceux qui pleuraient ne participaient à la joie de ceux qui chantaient, ni ceux qui se réjouissaient ne prenaient part à la tristesse de ceux qui pleuraient, et alors ils se reprochaient mutuellement leur absence de sympathie. C’est l’image de la conduite du peuple juif et des princes des prêtres, au témoignage de Jésus-Christ : " A qui donc comparerai-je les hommes de cette génération et à qui sont-ils semblables ? Ils sont semblables à des enfants, " etc. — Bède. La génération présente des Juifs est comparée à des enfants, parce qu’ils avaient autrefois pour docteurs les prophètes dont il est écrit : " Vous avez tiré la louange la plus parfaite de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle (Ps 8). " — S. Ambr. Or, les prophètes ont chanté, proclamant dans leurs mélodies spirituelles les oracles du salut du monde ; ils ont pleuré pour attendrir par leurs plaintives lamentations les coeurs endurcis des Juifs. Ce n’était ni dans le Forum, ni sur les places publiques que ces chants se faisaient entendre, mais dans la ville de Jérusalem, car cette ville est comme le Forum du Seigneur, où se publient les droits immuables des commandements célestes. Les chants et les lamentations ne sont que l’effet d’une émotion vive de joie et de tristesse. Les instruments de musique laissent échapper une mélodie sympathique qui porte l’homme à manifester les sentiments intérieurs qu’elle fait naître par le mouvement cadencé de son pied ou de tout son corps ; voilà pourquoi ces enfants disent : " Nous avons chanté et vous n’avez pas dansé ; " " nous nous sommes lamentés et vous n’avez point pleuré. " — S. Aug. (Quest. évang., 2, 11.) Notre-Seigneur fait ici allusion à la conduite dès Juifs à l’égard de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ : " Ces paroles : Nous nous sommes lamentés et vous n’avez point pleuré, " se rapportent à la prédication de Jean-Baptiste, qui, par l’austérité de sa manière de vivre, figurait la tristesse de la pénitence ; aussi Notre-Seigneur ajoute : " Car Jean-Baptiste est venu ne mangeant point de pain et ne buvant point de vin, " et vous dites : " Il est possédé du démon. " — S. Cyr. Ils osent incriminer un homme digne de toute leur admiration, et ils traitent de possédé celui qui mortifiait la loi du péché cachée dans nos membres. — S. Aug. (Quest. év., 2, 11.) Les paroles qui précèdent : " Nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé, " sont une allusion à Notre-Seigneur lui-même, qui, en adoptant la manière de vivre ordinaire des hommes avec lesquels il mangeait et buvait, était la figure de la joie du royaume : " Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, " etc. — Tite de Bostr. Jésus-Christ, en effet, n’a point voulu s’interdire l’usage de ces aliments pour ôter tout prétexte aux hérétiques (cf. 1 Tm 4), qui disent que les créatures sont mauvaises et qui condamnent l’usage des viandes et du vin. — S. Cyr. Mais où ont-ils donc trouvé que le Seigneur était un homme de bonne chère ? Ne voyons-nous pas au contraire qu’en toute circonstance il se garde de tout excès et conseille la tempérance et la modération ? Il ne dédaignait pas, il est vrai, d’entrer en relations avec les publicains et les pécheurs, aussi l’accusaient-ils d’être " l’ami des publicains et des pécheurs, " bien que cette fréquentation ne pût lui être aucunement nuisible, mais qu’elle devint, au contraire, pour les pécheurs la cause de leur conversion et de leur salut. En effet, est-ce que le soleil qui inonde toute la terre de ses rayons, contracte la moindre souillure, parce que sa lumière pénètre les corps immondes ? Comment donc le soleil de justice pourrait-il éprouver la moindre altération dans ses rapports avec les méchants. Cependant gardons-nous tous, qui que nous soyons, de prétendre aux mêmes privilèges que Jésus-Christ, mais à la vue de notre propre fragilité, évitons le commerce des méchants, car les mauvaises conversations corrompent les bonnes moeurs (1 Co 15).

" Et la sagesse a été justifiée par tous ses enfants. " — S. Ambr. Le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu par nature et non par le progrès de l’âge ou de l’étude ; cette sagesse est justifiée dans le baptême, lorsqu’elle n’est pas rejetée par opiniâtreté, mais qu’elle est reçue par la justice comme une grâce de Dieu. La justification de Dieu consiste donc à ce que ses dons soient communiqués, non à ceux qui s’en rendent indignes par leurs crimes, mais à ceux qui sont devenus justes et saints par le baptême. — S. Chrys. (hom. sur les Psaumes.) Il appelle les sages les fils de la sagesse, car c’est la coutume de l’Écriture, de désigner les méchants par le mal qu’ils commettent, et d’appeler les bons, fils de la vertu qui les caractérise. — S. Ambr. Il dit avec raison : " Par tous ses enfants, " car la justice doit s’exercer sur tous les hommes, sur les justes, pour leur salut, sur les infidèles pour leur condamnation. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien encore, ces paroles : " La sagesse a été justifiée par tous ses enfants, " nous font entendre que les fils de la sagesse comprennent que la justice ne consiste ni à se permettre, ni à s’interdire la nourriture, mais à supporter la pauvreté avec patience, car ce n’est point l’usage modéré, mais la sensualité qui est ici coupable, et rien de plus légitime que de se conformer pour le choix des aliments aux habitudes de ceux avec lesquels vous êtes appelé à vivre.
 

vv. 36-50.

Bède. L’Évangéliste venait de dire : " Et tout le peuple qui l’écoutait, reconnut la justice de Dieu, s’étant fait baptiser du baptême de Jean ; " il établit maintenant par des faits la même vérité, c’est-à-dire que la sagesse a été justifiée par les justes et par les pêcheurs repentants. " Or, un des pharisiens le pria de manger avec lui, " etc. — S. Grég. de Nysse. (sur la femme pécher.) Ce récit renferme une leçon des plus utiles. En effet, la plupart de ceux qui se croient justes, enflés par la présomption et la vanité de leurs pensées, se séparent eux-mêmes comme des agneaux qui se séparent des boucs, avant que le jugement véritable vienne faire ce discernement ; ils refusent de manger avec la foule, et ils ont en abomination tous ceux qui fuient les extrêmes, et gardent le juste milieu dans la conduite de la vie. Or, saint Luc, médecin des âmes bien plus que des corps, nous montre Dieu lui-même et notre Sauveur visitant avec bonté tous les hommes : " Il entra dans la maison du pharisien et se mit à table, " non pour prendre quelque chose de sa vie coupable, mais pour le rendre participant de sa propre justice.

S. Cyr. Cependant une femme de mauvaise vie, mais conduite par un sentiment d’amour divin, vient trouver Jésus-Christ, comme celui qui peut la délivrer de toutes ses fautes, et lui accorder le pardon de ses crimes : " Et voilà qu’une femme, connue dans la ville pour pécheresse, apporta un vase de parfums, " etc. — Bède. L’albâtre est une espèce de marbre nuancé de diverses couleurs, on en fait des vases destinés à contenir des parfums, qu’ils conservent, dit-on, sans altération. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Cette femme a considéré les souillures dont l’a couverte sa vie infâme, elle accourt donc pour se purifier à la source même de la miséricorde, elle ne rougit point de paraître au milieu des convives ; car elle éprouve intérieurement une si grande honte d’elle-même, qu’elle compte pour rien celle qui lui vient du dehors. Voyez quelle douleur consume cette femme qui ne rougit point de verser des larmes au milieu des joies d’un festin. — S. Grég. de Nysse. Profondément convaincue de son indignité, elle se tient derrière Jésus, les yeux baissés et les cheveux épars, elle embrasse ses pieds et les inonde de larmes, elle manifeste ainsi par ses actes la tristesse de son âme, et implore son pardon : " Et se tenant derrière lui, elle commença à arroser ses pieds de ses larmes, " etc. — S. Grég. Ses yeux avaient convoité toutes les jouissances de la terre, mais maintenant par la pénitence, elle en éteint le feu dans un déluge de larmes ; elle avait fait servir ses cheveux à rehausser la beauté de son visage, elle s’en sert pour essuyer ses larmes : " Et elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux. " Sa bouche s’était ouverte à des paroles inspirées par l’orgueil ; elle baise les pieds du Sauveur, et imprime ses lèvres sur les pieds du Rédempteur : " Et elle baisait ses pieds. " Elle avait employé les parfums pour donner à son corps une agréable odeur, et ce qu’elle avait honteusement prodigué pour elle-même, elle en fait à Dieu un admirable sacrifice : " Et elle les oignait de parfum. " Ainsi, autant elle a trouvé de jouissances en elle-même, autant elle offre maintenant d’holocaustes ; elle égale le nombre de ses vertus au nombre même de ses crimes ; elle veut que tout ce qui en elle a été un instrument pour outrager Dieu, devienne un instrument de pénitence pour lui plaire. — S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Ainsi cette femme de mauvaise vie devient plus vertueuse que les vierges ; car à cette pénitence si pleine de ferveur, succède un amour plus ardent pour Jésus-Christ. Et nous ne parlons ici que de ce qui se passait à l’extérieur ; car quelle ferveur bien plus grande dans les sentiments qui agitaient son âme, et dont Dieu seul était témoin !
 

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) En voyant ce spectacle, le pharisien n’a que du mépris pour cette femme, et il fait tomber ses reproches non seulement sur elle, qui ose venir trouver Jésus, mais sur le Seigneur qui l’accueille avec bonté : " Ce que voyant le pharisien qui l’avait invité, il dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c’est une pécheresse. " Voilà ce pharisien avec son orgueil trop véritable et sa fausse justice, qui fait un crime au malade de son infirmité, et au médecin des soins qu’il lui prodigue. Sans doute, si cette femme se fût jetée à ses pieds, il l’aurait repoussée violemment avec dédain ; il se fût imaginé que ce contact allait souiller son âme, parce qu’il n’était pas rempli de la véritable justice. C’est ainsi que quelques-uns de ceux qui exercent le ministère pastoral, dès qu’ils pratiquent quelques oeuvres médiocres de justice, regardent avec mépris ceux qui leur sont soumis, et affectent du dédain pour tous les pécheurs qu’ils rencontrent. Nous devons, au contraire, lorsque nous considérons l’état malheureux des pécheurs, déplorer dans leur calamité notre propre malheur, à la pensée que nous sommes déjà tombés, ou que nous pouvons tomber dans les mêmes fautes. Il faut d’ailleurs faire usage d’un grand discernement, nous devons être sévères pour les vices, pleins de compassion pour les personnes ; si le pécheur doit être puni, le prochain a droit à notre charité. Je vais plus loin, et je dis que dès que le pécheur châtie lui-même par la pénitence le mal qu’il a fait, il cesse d’être pécheur, puisqu’il punit en lui-même ce que la justice divine condamne. Notre-Seigneur se trouvait donc entre deux malades, mais l’un, jusque dans sa fièvre, conservait l’usage de la raison, tandis que l’autre avait perdu l’esprit ; la femme pécheresse pleurait les fautes qu’elle avait commises ; le pharisien, au contraire, fier de sa fausse justice, exagérait la force de sa santé.

Tite de Bost. Cependant Notre-Seigneur qui, sans entendre les paroles du pharisien, voyait les pensées de son âme, lui prouve qu’il est le Seigneur des prophètes : " Et Jésus lui répondant, lui dit : Simon, j’ai quelque chose à vous dire. " — La Glose. Il répond ici à la pensée du pharisien, que cette parole rend plus attentif : " Il répondit Maître, dites. " — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Le Sauveur établit une comparaison entre deux débiteurs, dont l’un doit plus, et l’autre moins : " Un créancier avait deux débiteurs, " etc. — Tite. Comme s’il disait : Vous-même vous n’êtes pas sans quelque dette. Or, si vous êtes tenu par une dette quelconque, pourquoi vous enorgueillir, puisque vous avez vous-même besoin de pardon ? C’est à ce pardon que Jésus fait allusion en ajoutant : " Comme ils n’avaient pas de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous deux. " La Glose. Car nul ne peut par lui-même être délivré de la dette du péché, si la grâce de Dieu ne lui octroie son pardon. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Chacun des deux débiteurs ayant obtenu la remise de sa dette, Notre-Seigneur demande au pharisien lequel des deux devra plus aimer son bienfaiteur : " Lequel l’aimera davantage ? Le pharisien répond aussitôt : Celui, je pense, auquel il a le plus remis. "

Remarquez que le pharisien est ici condamné par son propre aveu, et que, comme un insensé atteint de frénésie, il porte la corde qui doit servir à l’enchaîner : " Jésus lui dit : Vous avez bien jugé. " Il énumère alors tous les actes de vertu de cette pécheresse, et toutes les actions répréhensibles de ce faux juste : " Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : Voyez-vous cette femme ? Je suis entré dans votre maison, vous ne m’avez point donné d’eau pour me laver les pieds ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de ses larmes. " — Tite de Bost. C’est-à-dire : Rien de plus facile que de présenter de l’eau, mais il n’est pas aussi facile de verser des larmes ; vous ne m’avez pas donné ce qui vous était si facile, elle, au contraire, a versé sur mes pieds des larmes plus difficiles à répandre. Or, en lavant mes pieds avec ses larmes, elle a lavé ses propres souillures ; elle les a essuyés avec ses cheveux, pour s’appliquer mes divines sueurs, et tout ce qui lui a servi à séduire, à entraîner la jeunesse dans le péché, elle l’a employé à poursuivre et à rechercher la sainteté.
 

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Lorsque la pluie est tombée avec abondance, le ciel reprend sa sérénité ; ainsi après une abondante effusion de larmes, le calme renaît, le nuage de nos crimes se dissipe, et nous sommes purifiés de nouveau par les larmes et la confession, comme nous avons été autrefois régénérés par l’eau et par l’esprit : " C’est pourquoi, je vous le dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. " En effet, ceux qui se sont jetés à corps perdu dans le mal, se livrent avec autant d’énergie à la pratique du bien, au souvenir des dettes qu’ils ont contractées. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Plus donc le coeur du pécheur brûle du feu de la charité, plus aussi ce feu consume la rouille et les souillures du péché. — Tite de Bost. Il arrive souvent, en effet, qu’un grand pécheur obtient par la confession le pardon de ses fautes, tandis que celui qui n’est coupable que de fautes légères, refuse, par orgueil, de recourir au remède de la confession, comme l’indiquent les paroles suivantes : " Celui à qui on remet moins, aime moins. " — S. Chrys. (hom. 68 sur S. Matth.) Ayons donc une âme pleine de ferveur ; car rien ne s’oppose à ce que nous parvenions à la perfection la plus éminente ; que personne parmi les pécheurs ne désespère de son salut ; que personne parmi les justes ne se laisse aller au relâchement ; que le juste se garde d’une confiance présomptueuse (car souvent une femme de mauvaise vie le précédera dans le royaume des cieux) ; que le pécheur ne se décourage point ; car il peut s’élever au-dessus même des plus parfaits : " Puis il dit à cette femme : Vos péchés vous sont remis. "
 

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Cette femme donc qui était venue malade trouver le médecin, obtient sa guérison, mais cette guérison même devient pour ceux qui en sont témoins une cause de maladie : " Et ceux qui étaient à table avec lui, dirent en eux-mêmes : Qui est celui-ci qui remet même les péchés ? " Mais le céleste médecin n’a point d’égard pour ces malades dont l’état ne fait qu’empirer par l’effet même des remèdes qui devaient les sauver, tandis qu’il fortifie par une parole de miséricorde celle qu’il venait de guérir : Mais Jésus dit encore à cette femme : Votre foi vous a sauvée, " parce qu’en effet, elle n’a point hésité de croire qu’elle obtiendrait ce qu’elle demandait. — Théophyl. Notre-Seigneur ne se contente pas de lui accorder la rémission de ses péchés, il ajoute la grâce de faire le bien : " Allez en paix " (c’est-à-dire dans la justice) ; car la justice est la paix de l’homme avec Dieu, comme le péché est la guerre entre Dieu et l’homme ; ce qui revient à dire : Faites tout ce qui peut vous conduire à la paix de Dieu,

S. Ambr. Il en est beaucoup pour qui ce fait évangélique est une source d’embarras, et qui se demandent si les Évangélistes ne sont point ici en contradiction. — Sévère. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les quatre Évangélistes racontent qu’une femme a répandu des parfums sur Jésus-Christ, je crois, eu égard à la condition des personnes, à leur manière d’agir, à la différence des temps, que ce sont trois personnes différentes. Ainsi saint Jean raconte de Marie, soeur de Lazare, que six jours avant la fête de Pâques, elle oignit les pieds de Jésus dans sa propre maison. Saint Matthieu, après ces paroles du Seigneur : " Vous savez que la pâque se fera dans deux jours, " ajoute, qu’à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme répandit des parfums sur la tête du Seigneur, et non sur ses pieds, comme Marie. Le récit de saint Marc est conforme à celui de saint Matthieu. Saint Luc enfin place ce fait, non aux approches de la fête de Pâques, mais au milieu de son Évangile. Saint Chrysostome prétend qu’il y a ici deux femmes différentes : l’une dont parle saint Jean, la seconde dont il est question dans les trois autres Évangélistes. — S. Ambr. Saint Matthieu nous rapporte que cette femme répandait ses parfums sur la tête de Jésus-Christ, aussi ne lui donne-t-il pas le nom de pécheresse ; car d’après saint Luc, cette femme pécheresse répandit ces parfums sur les pieds de Jésus-Christ. On peut donc admettre que ce sont deux personnes différentes, pour justifier les Évangélistes du reproche de contradiction. On peut aussi résoudre différemment cette question, en tenant compte de la différence de mérite et de temps, c’est-à-dire que la même personne, d’abord pécheresse, était depuis entrée dans les voies de la perfection. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 39.) On peut aussi admettre que la même personne, appelée Marie, a répété la même action, une première fois, lorsque, comme le raconte saint Luc, elle s’approcha dans l’humiliation et dans les larmes, et obtint la rémission de ses péchés. Voilà pourquoi saint Jean avant de raconter la résurrection de Lazare, et lorsque Jésus n’était pas encore venu en Béthanie, s’exprime de la sorte : " Or, Marie était celle qui avait répandu des parfums sur le Seigneur, et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était malade, était son frère : " donc Marie avait déjà fait cette même action ; elle la répète à Béthanie, sans que saint Luc en parle, parce qu’elle n’entrait point dans l’ordre de son récit, mais elle est racontée par les trois autres Évangélistes.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Dans le sens mystique, le pharisien qui présume de sa fausse justice, c’est le peuple juif ; cette femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur, et les arrose de ses larmes, c’est la Gentilité convertie au vrai Dieu. — S. Ambr. Ou bien encore, le lépreux, c’est le prince du monde, et la maison de Simon le lépreux, c’est toute la terre. Or, le Seigneur est descendu des hauteurs des cieux sur la terre, parce que cette femme qui est la figure de l’âme et de l’Église, ne pouvait obtenir sa guérison, si le Christ n’était venu sur la terre. Elle nous apparaît sous la forme d’une pécheresse, parce que Jésus-Christ lui-même a pris la forme d’un pécheur. Supposez donc une âme qui s’approche sincèrement de Dieu, qui loin d’être esclave de ces crimes honteux, et qui blessent ouvertement la pudeur, obéit à la parole de Dieu avec amour et dans la confiance d’une chasteté inviolable ; elle s’élève jusqu’à la tête de Jésus-Christ, et la tête de Jésus-Christ, c’est Dieu. (1 Co 11.) Mais que celui qui ne peut arriver jusqu’à la tête de Jésus-Christ, se tienne humblement à ses pieds, le pécheur à ses pieds, le juste près de sa tête ; mais cependant l’âme qui a péché, a aussi son parfum.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Que figure ce parfum, si ce n’est l’odeur d’une bonne renommée ? Si donc nous faisons des bonnes oeuvres, dont la réputation se répande comme un parfum par toute l’Église, nous répandons dans un sens véritable des parfums sur le corps du Seigneur. Cette femme se tenait à côté des pieds du Seigneur ; car nous nous tenions directement contre ses pieds, lorsque vivant au milieu de nos péchés, nous résistions en quelque sorte à ses voies ; mais lorsqu’après nos péchés, nous revenons à lui dans les sentiments d’une véritable pénitence, alors nous nous tenons derrière lui, à ses pieds ; parce que nous suivons alors ses traces auxquelles nous faisions alors profession de résister. — S. Ambr. Vous donc aussi qui avez péché, rentrez dans les voies de la pénitence, accourez partout où vous entendrez le nom de Jésus-Christ, hâtez-vous de vous rendre dans toute maison où vous apprenez que Jésus est entré ; lorsque vous aurez trouvé la sagesse assise dans quelque demeure secrète, accourez vous jeter à ses pieds, c’est-à-dire cherchez d’abord le dernier degré de la sagesse, et confessez vos péchés dans les larmes. Peut-être Jésus-Christ ne lava point ses pieds dans cette circonstance, afin que nous les lavions nous-mêmes dans les larmes ; heureuses larmes qui peuvent non seulement laver nos fautes, mais arroser les pieds du Verbe divin, pour que ses pas deviennent pour nous une source abondante de grâces ! Larmes précieuses qui sont non seulement la rédemption des pécheurs, mais la nourriture des justes ; car c’est la voix d’un juste qui fait entendre ces paroles : " Mes larmes m’ont servi de pain le jour et la nuit ". — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Nous lavons les pieds du Seigneur de nos larmes, lorsque par un sentiment d’affectueuse compassion, nous nous abaissons jusqu’aux membres les plus humbles du Seigneur ; nous essuyons ses pieds avec nos cheveux, lorsque la charité nous porte à secourir de notre superflu les saints serviteurs de Dieu. — S. Ambr. Déroulez aussi vos cheveux, jetez à ses pieds tout ce qui sert d’ornement à votre corps ; les cheveux ne sont vraiment point méprisables, puisqu’ils sont jugés dignes d’essuyer les pieds de Jésus-Christ. — S. Grég. Cette femme baise les pieds du Sauveur après les avoir essuyés, c’est ce que nous faisons nous-même, lorsque nous aimons tendrement ceux dont nous avons secouru la pauvreté par nos largesses. Par les pieds du Seigneur, on peut encore entendre le mystère de l’incarnation ; nous baisons donc les pieds du Rédempteur, lorsque nous nous attachons de tout notre coeur au mystère de son incarnation, nous répandons des parfums sur ses pieds, lorsque nous annonçons la puissance de son humanité par la bonne renommée de la parole sainte. Ce spectacle remplit le pharisien de jalousie ; en effet, lorsque le peuple juif voit les Gentils devenir les prédicateurs du vrai Dieu, il sèche d’envie dans sa noire méchanceté. Les reproches qui lui sont faits, retombent sur ce peuple perfide et infidèle, qui ne consentit jamais à sacrifier pour le Seigneur, même ses biens extérieurs, tandis que les Gentils, après leur conversion, non seulement sacrifièrent leurs biens, mais répandirent leur sang. Voilà pourquoi Jésus dit au pharisien " Vous ne m’avez pas donné d’eau pour me laver les pieds, cette femme, au contraire, m’a arrosé les pieds de ses larmes ; " l’eau, en effet, se trouve hors de nous, tandis que la source des larmes est en nous-même. Ce peuple infidèle ne donna pas non plus le baiser à Dieu, parce qu’au lieu de l’aimer par un sentiment de charité, il aima mieux le servir sous l’impression de la crainte (car le baiser est le signe de l’amour.) Au contraire, à peine la gentilité fut-elle appelée, qu’elle ne cessa de baiser les pieds du Rédempteur en soupirant continuellement après lui par un sentiment d’amour. — S. Ambr. Le Sauveur fait ressortir la vertu héroïque de cette femme, lorsqu’il dit : " Depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé de couvrir mes pieds de baisers, " c’est-à-dire qu’elle ne veut plus savoir que le langage de la sagesse, que l’amour de la justice, que les embrassements de la chasteté, que les baisers de la pudeur. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang) Jésus reproche au pharisien de n’avoir pas répandu de parfum sur sa tête, c’est-à-dire que le peuple juif a refusé à la puissance divine à laquelle il se vantait de croire, le juste tribut de louanges qui lui était dû ; cette femme, au contraire, a répandu des parfums sur les pieds du Sauveur, figure en cela de la gentilité qui, non contente de croire au mystère de l’incarnation, a relevé par les plus grands éloges les profondes humiliations de ce mystère.

S. Ambr. Heureux celui qui peut verser de l’huile sur les pieds de Jésus-Christ, mais plus heureux celui qui peut y répandre des parfums ; car la réunion d’un grand nombre de fleurs forme un composé d’odeurs les plus suaves et les plus variées. Or, l’Église seule a le privilège de la composition de ce parfum, elle qui possède d’innombrables fleurs exhalant des odeurs si variées ; aussi personne ne peut prétendre à un si grand amour que l’Église, qui aime par le coeur de tous ses enfants. Dans la maison du pharisien, c’est-à-dire dans la maison de la loi et des prophètes, ce n’est pas le pharisien, mais l’Église qui est justifiée ; car le pharisien refuse de croire, tandis que l’Eglise embrassait la foi ; la loi, d’ailleurs, n’a point ce mystère divin qui purifie les secrètes profondeurs de l’âme ; mais ce que la loi ne peut donner, se trouve abondamment dans l’Évangile. Les deux débiteurs sont les deux peuples, tous deux obligés à l’égard du créancier du trésor céleste ; ce n’est point une somme d’argent matériel que nous devons à ce divin créancier, mais l’or pur de nos mérites, l’argent de nos vertus, dont la valeur consiste dans le poids du caractère et la gravité des moeurs, dans l’empreinte de la justice, dans le son que fait entendre la confession. De quel prix est cette pièce de monnaie, où se trouve empreinte l’image de notre roi ! Malheur à moi, si je ne l’ai pas conservée telle que je l’ai reçue ! Ou bien, puisqu’il n’est personne qui puisse payer toute sa dette à ce céleste créancier, malheur à moi, si je ne le supplie de me remettre toute ma dette ! Mais quel est ce peuple qui doit plus ? c’est nous-mêmes à qui Dieu a donné davantage. Aux Juifs, Dieu a confié ses oracles, à nous, il a donné le fruit de l’enfantement virginal, l’Emmanuel (c’est-à-dire Dieu avec nous), la croix du Sauveur, sa mort, sa résurrection. Il est donc hors de doute que celui qui a reçu davantage, doit aussi davantage. Selon notre manière d’agir, c’est quelquefois celui qui doit davantage, qui manque le plus d’égards. Mais la miséricorde de Dieu a changé cet ordre, c’est celui qui doit plus, qui aime aussi davantage, s’il est assez heureux pour obtenir la grâce. Puisque donc nous n’avons rien qui soit digne d’être offert à Dieu, malheur à moi, si je ne lui donne tout mon amour ! Payons donc nos dettes, en aimant Dieu de tout notre coeur ; car celui qui a reçu plus de grâces, doit aussi donner plus d’amour.
 

 

CHAPITRE VIII
 

vv. 1-3.

Théophyl. Celui qui est descendu des cieux pour nous tracer la voie et nous donner l’exemple, nous enseigne à ne jamais négliger le devoir de l’instruction : " Et il arriva ensuite que Jésus parcourait les villes, " etc. — S. Grég. de Naz. Il va de pays en pays, non seulement pour gagner à Dieu un plus grand nombre d’âmes, mais encore pour consacrer par sa présence un plus grand nombre d’endroits. Il dort et se fatigue pour sanctifier notre sommeil et nos travaux ; il pleure pour donner du prix à nos larmes, il annonce les mystères du ciel pour élever et agrandir l’esprit de ceux qui l’écoutent. — Tite de Bostr. Celui qui est descendu du ciel sur la terre, annonce le royaume des cieux aux habitants de la terre, pour changer la terre et en faire un ciel anticipé. Mais qui peut annoncer dignement ce royaume, que le Fils de Dieu qui en est le souverain Maître ? Bien des prophètes ont paru sur la terre, mais sans annoncer le royaume des cieux, car comment auraient-ils pu parler des choses qu’ils n’avaient pas vues ? — S. Isid. (Liv. XXIII, lettre 206.) Il en est qui pensent que ce royaume de Dieu est plus élevé et plus parfait que le royaume céleste ; d’autres prétendent au contraire que c’est le même dans sa nature, mais auquel on donne des noms différents. On l’appelle royaume de Dieu, parce qu’il a Dieu pour souverain ; et quelquefois le royaume des cieux, quand on considère ce royaume dans ses sujets, c’est-à-dire, dans les anges et les saints auxquels la sainte Écriture donne le nom de cieux.
 

Bède. Comme l’aigle qui excite ses petits à voler (Dt 32), le Seigneur élève successivement ses disciples vers les choses sublimes. Ainsi, il commence par enseigner dans les synagogues, et par faire des miracles, puis il choisit les douze auxquels il donne le nom d’Apôtres ; ensuite il les prend seuls avec lui, lorsqu’il va prêcher dans les villes et dans les bourgades, comme le rapporte l’Évangéliste : " Et les douze étaient avec lui. " — Théophyl. Ce n’est ni pour enseigner ni pour prêcher qu’il les prend avec lui, mais pour continuer de les instruire. Afin de montrer que les femmes n’étaient point exclues de la suite de Jésus-Christ, l’Évangéliste ajoute : " Il y avait aussi quelques femmes qu’il avait délivrées des esprits malins, et guéries de leurs infirmités : Marie-Magdeleine, de laquelle étaient sortis sept démons. " — Bède. Marie-Magdeleine est celle dont saint Luc a raconté la pénitence dans le chapitre précédent. Admirons comment l’Évangéliste désigne cette femme sous son nom propre, lorsqu’il nous la montre à la suite du Sauveur, tandis qu’en racontant ses désordres et sa pénitence, il lui donne simplement le nom de femme, de peur que le scandale de ses premiers égarements ne flétrit un nom aussi connu que le sien. Sept démons étaient sortis d’elle, c’est-à-dire qu’elle avait été remplie de tous les vices. — S. Grég. Que signifient, en effet, ces sept démons, sinon tous les vices réunis. Comme la division des sept jours comprend l’universalité du temps, le nombre sept est le symbole de l’universalité, Marie-Magdeleine était donc possédée de sept démons, parce qu’elle avait en elle tous les vices.

" Et Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d’Hérode, Suzanne, et plusieurs autres qui l’assistaient de leurs biens. " — S. Jér. (sur S. Mt 27.) Suivant une coutume des Juifs, et qui n’avait rien de répréhensible dans les moeurs anciennes de cette nation, les femmes se chargeaient de fournir à ceux qui les enseignaient la nourriture et le vêtement. Saint Paul nous apprend qu’il ne voulut point user de ce droit, pour ne pas scandaliser les Gentils (1 Co 9.) Ces femmes assistaient le Seigneur de leurs biens ; il était juste, en effet, qu’il moissonnât leurs biens temporels, alors qu’elles recueillaient de lui les richesses spirituelles. Ce n’est pas sans doute que le souverain Maître des créatures eût besoin d’être nourri par elles, mais il voulait être le modèle de tous ceux qui enseignent, et leur apprendre à se contenter de la nourriture et du vêtement que leur donneraient leurs disciples. — Bède. Marie veut dire mère pleine d’amertumes, à cause des gémissements de sa pénitence ; Magdeleine signifie tour, ou qui a la forme d’une tour, par allusion à cette tour dont parle le Roi-prophète : " Vous êtes devenu mon espérance, une forte tour contre l’ennemi (Ps 60). " Jeanne signifie grâce du Seigneur, ou le Seigneur miséricordieux, c’est-à-dire, que tout ce qui soutient notre vie, lui appartient. Or, si Marie purifiée de la souillure de ses vices, représente l’Église des nations, pourquoi Jeanne ne serait-elle pas aussi la figure de cette même Église, autrefois livrée au culte des idoles ? Ajoutons que tout malin esprit qui travaille à l’extension du royaume du démon, est comme l’intendant de la maison d’Hérode. Suzanne signifie loi ou grâce, à cause de la blancheur odoriférante d’une vie céleste, et de la flamme d’or de la charité intérieure.
 

vv. 4-15.

Théophyl. Notre-Seigneur accomplit ici ce qu’avait prédit David, qui était la figure du Christ (cf. Mt 13, 35) : " J’ouvrirai ma bouche pour parler en paraboles : " (Ps 77.) " Or, comme le peuple s’assemblait en foule et se pressait de sortir des villes pour venir à lui, il leur dit en paraboles. " Le Sauveur parle en paraboles, pour rendre ceux qui l’écoutent plus attentifs, car les hommes aiment à exercer leur intelligence sur les choses obscures, et dédaignent au contraire celles qui sont trop claires et trop faciles ; secondement, afin que son langage demeurât inintelligible pour ceux qui étaient indignes de le comprendre. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Aussi est-ce avec une intention marquée que l’Évangéliste dit : " Comme le peuple s’assemblait en foule et se pressait de sortir des villes, " etc. Car ce n’est point la multitude, mais le petit nombre qui marchent dans la voie étroite, et qui trouvent le chemin qui conduit à la vie, c’est pour cette raison que saint Matthieu fait remarquer qu’il enseignait au dehors en paraboles, et que, rentré dans la maison, il expliquait la parabole à ses disciples.

Eusèbe. Remarquez la convenance de cette première parabole que Jésus propose à la multitude, non seulement de ceux qui étaient présents, mais encore de tous ceux qui devaient venir après eux, et comme il excite vivement leur attention par ces premières paroles : " Celui qui sème sortit pour semer. "
 

Bède. À nul autre ne convient mieux cette qualité de semeur qu’au Fils de Dieu, qui est sorti du sein de son Père (inaccessible à toute créature), pour venir en ce monde rendre témoignage à la vérité (Jn 19). — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Celui qui remplit tout de son immensité est sorti, non point en allant d’un lieu dans un autre, mais en se revêtant de notre chair pour s’approcher de nous. Jésus-Christ donne avec raison à son avènement le nom de sortie, car nous étions exclus de la présence de Dieu ; or lorsque des rebelles condamnés par leur roi sont bannis, celui qui veut les réconcilier sort pour venir les trouver, et converse en dehors avec eux jusqu’à ce qu’il les ait rendus dignes de paraître devant le roi, et qu’il les introduise en sa présence, c’est ce qu’a fait Jésus-Christ. — Théophyl. Il sort maintenant, non pour perdre les laboureurs ou pour réduire la terre en cendres, mais il sort pour semer, car souvent le laboureur qui sème, sort pour autre chose que pour semer. — Eusèbe. Un grand nombre de fidèles serviteurs de Dieu sont sortis de la céleste patrie et sont descendus au milieu des hommes ; mais ce n’était point pour semer, car ils n’étaient point semeurs, mais des esprits que Dieu envoyait pour remplir un ministère. (He 1, 14.) Moïse lui-même et les prophètes après lui n’ont point semé dans le coeur des hommes les mystères du royaume des cieux, mais en les arrachant à de coupables erreurs et au culte des idoles, ils cultivaient les âmes des hommes, et les défrichaient pour eu faire une terre bien préparée. Seul le Verbe de Dieu, créateur et auteur de toutes les semences, est sorti pour répandre par la prédication de nouvelles semences, c’est-à-dire, les mystères du royaume des cieux. — Théophyl. Or, le Fils de Dieu ne cesse pas de semer dans nos âmes, car ce n’est pas seulement comme maître et docteur, mais comme créateur qu’il répand dans nos âmes la bonne semence. — Tite de Bostr. " Il sortit pour semer sa semence, " sa parole n’est point une parole d’emprunt, puisqu’il est par nature le Verbe du Dieu vivant. Ce n’était point leur propre semence que répandaient Paul ou Jean, mais celle qu’ils avaient reçue ; Jésus-Christ, au contraire, sème sa propre semence, parce qu’il tire ses divins enseignements de sa propre nature ; aussi les Juifs étonnés disaient-ils : " Comment connaît-il les Écritures, puisqu’il ne les a point apprises ? " (Jn 7.)
 

Eusèbe. Ceux qui reçoivent la divine semence se partagent donc en deux classes, la première se compose de ceux qui sont jugés dignes de la vocation céleste, mais qui perdent cette grâce par suite de leur négligence et de leur tiédeur ; la seconde comprend ceux qui multiplient la semence en produisant de bons fruits. D’après saint Matthieu, le Sauveur établit trois degrés différents dans chaque classe ; ceux ; en effet, qui reçoivent inutilement la semence, ne la perdent pas de la même manière, et ceux qui la rendent féconde, ne produisent pas du fruit au même degré. Le Sauveur expose donc les différentes circonstances où on laisse perdre la semence. Les uns, sans même qu’ils aient péché, ont perdu la semence salutaire qui avait été jetée dans leurs âmes ; les esprits mauvais, les démons qui volent dans l’air, ou les hommes fourbes et astucieux qu’il désigne sous le nom d’oiseaux, viennent enlever la semence de leur esprit et leur en font perdre le souvenir : " Et pendant qu’il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin. " — Théophyl. Il ne dit pas que celui qui sème a jeté sa semence le long du chemin, mais que la semence y est tombée, car celui qui sème enseigne une doctrine pure et irréprochable, mais cette doctrine tombe diversement dans l’esprit de ceux qui l’entendent, et quelques-uns d’entre eux sont représentés par ce chemin où elle fut foulée aux pieds et mangée par les oiseaux du ciel. — S. Cyr. Tout chemin est inculte et stérile, parce qu’il est sans cesse foulé aux pieds, et aucune semence ne peut y être enfouie. Ainsi les coeurs indociles sont impénétrables aux divins enseignements, et aucune vertu ne peut y germer, c’est un chemin qui n’est fréquenté que par les esprits impurs. D’autres portent légèrement la foi en eux-mêmes, en ne s’attachant qu’aux simples paroles ; leur foi manque de racines, et c’est d’eux que le Sauveur ajoute : " Une autre partie tomba sur la pierre, et ayant levée elle sécha, parce qu’elle n’avait pas d’humidité. — Bède. La pierre est la figure des coeurs durs et indomptables, l’humidité est à la semence ce qu’est dans une autre parabole l’huile qui doit alimenter les lampes des vierges (Mt 25), et représente l’amour de la vertu et la persévérance dans le bien. — Eusèbe. Il en est d’autres qui laissent étouffer la semence qu’ils reçoivent par l’avarice, par le désir des voluptés, par les sollicitudes du monde, que Notre-Seigneur compare à des épines : " Et une autre partie tomba parmi les épines, " etc. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Semblables, en effet, aux épines qui ne permettent pas à la semence de lever et de croître, mais l’étouffent par leur épaisseur, les sollicitudes de la vie présente ne permettent pas à la semence spirituelle de croître et de fructifier. Le laboureur qui sèmerait sur les épines matérielles, sur la pierre, sur le chemin, serait digne de blâme, car il est impossible que la pierre se change jamais en terre, que le chemin cesse d’être un chemin, que les épines ne soient plus des épines. Mais il n’en est pas de même dans les choses spirituelles, car la pierre peut devenir une terre fertile, le chemin peut n’être plus foulé aux pieds, et il est possible d’arracher les épines.
 

S. Cyr. La terre riche et fertile, ce sont les âmes bonnes et vertueuses qui reçoivent dans leur profondeur la semence de la parole, qui ha retiennent et la fécondent, et c’est d’elles qu’il est dit : " Une autre partie tomba dans une bonne terre, et ayant levé, elle produisit du fruit au centuple. " En effet, lorsque la parole divine tombe dans une âme libre de toute agitation, elle pousse de profondes racines, elle produit des épis et les fait arriver à une maturité parfaite. — Bède. Le fruit au centuple, c’est le fruit dans sa perfection, car le nombre dix exprime toujours la perfection, parce que l’accomplissement de la loi consiste dans l’observation des dix commandements ; mais le nombre dix multiplié par lui-même, produit le nombre cent, qui est ainsi le symbole de la plus grande perfection possible.
 

S. Cyr. Écoutons l’explication de cette parabole de la bouche même de celui qui en est l’auteur : " En disant cela, il criait : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. " — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Entendre, est un acte de l’intelligence, et par ces paroles, Notre-Seigneur invite ceux qui l’écoutent à prêter une grande attention à l’explication qu’il va donner. — Bède. Toutes les fois, en effet, que nous rencontrons cet avertissement, soit dans l’Évangile, soit dans l’Apocalypse de saint Jean, il s’agit d’une vérité mystérieuse dont on nous engage à pénétrer le sens avec une attention plus scrupuleuse. Aussi les disciples reconnaissant leur ignorance, interrogent le Sauveur : " Or, ses disciples lui demandaient quel était le sens de cette parabole. " Cependant ce ne fut pas immédiatement après que Jésus eut achevé d’exposer cette parabole, que les disciples lui adressèrent cette question, mais comme le dit saint Marc : " Ils l’interrogèrent lorsqu’il se trouva seul (Mc 4). " — Orig. La parabole est comme le récit d’un fait imaginaire mais possible et vraisemblable, c’est un récit symbolique et figuré de quelque vérité dont on obtient le sens par l’application de toutes les circonstances de la parabole. L’énigme est le récit d’un événement qui n’est ni réel ni possible, elle est l’enveloppe d’une vérité cachée, comme dans ce trait du livre des Juges (Jg 9), où nous lisons que les arbres s’assemblèrent pour se choisir un roi. Ce récit que l’Évangéliste raconte comme un fait historique : " Celui qui sème sortit pour semer, " n’est point arrivé à la lettre, quoiqu’il soit dans les choses possibles.
 

Eusèbe. Or, le Seigneur fait connaître à ses disciples la raison pour laquelle il parlait au peuple en paraboles : " Il leur dit : A vous il a été donné de connaître le royaume de Dieu. " — S. Grég. de Naz. En entendant ces paroles, n’allez pas croire qu’il existe des natures différentes, avec certains hérétiques, qui prétendent qu’il est des hommes dont la nature est de se perdre, d’autres dont la nature est de se sauver, d’autres, au contraire, qui doivent à leur propre volonté de devenir bons ou mauvais ; mais à ces paroles du Sauveur : " Il vous a été donné, " ajoutez : A vous qui le voulez, à vous qui en êtes dignes. — Théophyl. Mais pour ceux qui sont indignes de si grands mystères, un voile recouvre ces vérités : " Tandis qu’aux autres il est annoncé en paraboles, en sorte que voyant ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent pas. " ils croient voir, mais ils ne voient point, ils entendent, mais ils ne comprennent pas. Or, Jésus-Christ leur cache ces vérités, pour leur faire éviter un plus grand crime, celui de mépriser les mystères du Christ, après les avoir connus, car celui qui n’a que du mépris pour les vérités dont l’intelligence lui a été révélée, sera puni plus sévèrement. — Bède. Ceux-là donc entendent en paraboles, qui ferment les sens et leur coeur pour ne point connaître la vérité et qui oublient cette recommandation du Seigneur : " Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre. "

S. Greg. (Hom. 45 sur les Evang.) Cependant le Seigneur consent à expliquer à ses disciples cette parabole, pour nous apprendre à chercher le sens caché des choses qu’il n’a point voulu nous expliquer : " Voici donc le sens de cette parabole, la semence c’est la parole de Dieu. " — Eusèbe. Or, il y a pour la semence qui est jetée dans nos âmes, trois causes de destruction, Les uns détruisent cette semence en prêtant une oreille trop légère aux discours des hommes qui ne veulent que les tromper : " Ce qui tombe le long du chemin, ce sont ceux qui écoutent, le diable vient ensuite, et enlève la parole de leur coeur. " — Bède. Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu sans aucune foi, sans aucune intelligence, sans aucun désir de la mettre en pratique. — Eusèbe. D’autres ne reçoivent cette parole qu’à la surface de leur âme, et la laissent se dessécher et périr aux premières atteintes de l’adversité. C’est d’eux que Notre-Seigneur ajoute : " Ce qui tombe sur la pierre, ce sont ceux qui, ayant écouté la parole, la reçoivent avec joie, mais ceux-ci n’ont pas de racine, ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent. " — S. Cyr. Lorsqu’ils entrent dans l’Église, ils écoutent avec joie la prédication des divins mystères, mais avec une volonté bien faible ; et à peine sortis de l’Église, ils oublient les enseignements sacrés. Si la foi chrétienne n’est l’objet d’aucune attaque, ils demeurent fidèles, mais si la persécution vient à se déclarer, ils se dérobent par la fuite au danger, parce que leur foi n’a point de racine. — S. Grég. (hom. 15 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui se proposent de commencer à faire le bien, mais bientôt fatigués par l’adversité ou par les tentations, ils abandonnent leur entreprise. Cette terre pierreuse n’avait donc point l’humidité nécessaire, puisqu’elle n’a pu conduire à la maturité parfaite la semence qu’elle avait fait germer. — Eusèbe. D’autres enfin étouffent la semence qu’ils ont reçue dans les préoccupations des richesses et des plaisirs, qui sont comme autant d’épines qui étouffent la semence : " Ce qui tombe parmi les épines, ce sont ceux qui écoutent la parole, mais les sollicitudes des richesses et des plaisirs l’étouffent peu à peu, et ils ne portent point de fruit. — S. Grég. (hom. 15 sur les Evang.) Comment donc Notre-Seigneur a-t-il pu comparer les richesses aux épines, alors que les épines piquent et déchirent, tandis que les richesses sont pleines de charmes. Et cependant ce sont des épines, parce qu’elles déchirent l’âme par les pointes acérées de leurs préoccupations, et lorsqu’elles entraînent jusqu’au péché, elles font des blessures sanglantes. Le Sauveur joint deux choses aux richesses : les sollicitudes et les plaisirs parce qu’elles accablent de soucis et énervent l’âme par leur abondance même. Toutes ces choses étouffent la semence, parce qu’elles étranglent pour ainsi dire l’âme par leurs pensées importunes, et en fermant ainsi l’accès du coeur à tout bon désir, elles étouffent la respiration et tuent la vie.
 

Eusèbe. C’est en vertu de sa prescience divine que Notre-Seigneur prédit ces choses, et les faits se chargent de vérifier ces prédictions, car on ne s’éloigne ries prescriptions de la divine parole que d’une de ces trois manières. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Pour résumer en peu de mots cette doctrine, on quitte la voie du bien, les uns par leur négligence à écouter la parole de Dieu, les autres par immortification ou par faiblesse, d’autres enfin, parce qu’ils se rendent esclaves de la volupté et des biens de ce monde. Remarquez encore dans quel ordre naturel se présentent d’abord le chemin, puis le terrain pierreux et les épines ; il faut donc d’abord de la mémoire et de la vigilance, puis du courage, et enfin le mépris pour les choses présentes. Notre-Seigneur oppose ensuite les qualités de la bonne terre aux qualités défectueuses du chemin, du terrain pierreux et des épines : " Mais ce qui tombe dans la bonne terre, ce sont ceux qui, écoutant la parole, la conservent dans un coeur bon et excellent, et portent du fruit par la patience. " Ceux qui sont représentés par le chemin, ne retiennent point la parole et laissent enlever la semence par le démon ; ceux qui ressemblent au terrain pierreux ne soutiennent pas les assauts de la tentation trop forte pour leur faiblesse ; enfin, ceux qui sont figurés par les épines ne portent aucun fruit, mais étouffent la parole dans son germe. — S. Grég. (hom. 45 sur les Ev.) Or, la bonne terre produit du fruit par la patience, parce que le bien que nous faisons est nul, si nous ne supportons en même temps avec patience le mal qui nous est fait. Ainsi ceux qui sont représentés par cette bonne terre, produisent du fruit par la patience, car après avoir supporté en toute humilité et en toute patience les épreuves qui leur sont envoyées, ils entrent dans le repos et dans la joie de l’éternité.
 

vv. 16-18.

Bède. Notre-Seigneur venait de dire aux Apôtres : " Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu ; mais pour les autres, il leur est proposé en paraboles, " il leur apprend maintenant qu’ils doivent un jour révéler ce même mystère aux autres : " Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase ou ne la met sous un lit, " etc.
 

Eusèbe. C’est-à-dire, de même qu’on n’allume une lampe que pour éclairer, et non pour la mettre sous un boisseau ou sous un lit, ainsi les secrets du royaume des cieux proposés en paraboles, restent cachés pour ceux qui n’ont pas la foi, mais cependant ils ne seront pas toujours incompréhensibles pour tous. Car il n’y a rien de caché qui ne soit découvert, rien de secret qui ne soit connu et ne vienne au grand jour. Comme s’il disait : Bien qu’un grand nombre de vérités leur aient été proposées sous forme de paraboles, de sorte qu’en voyant, ils ne voient point, et qu’en entendant ils ne comprennent point, par suite de leur incrédulité, cependant. toute vérité sera un jour éclaircie. — S. Aug. (Quest. évang.) Ou bien autrement, Notre-Seigneur enseigne ici dans un sens figuré, avec quelle sainte confiance on doit prêcher la parole de Dieu, sans que jamais la crainte d’un préjudice ou d’un dommage temporel porte à cacher la lumière de la science. En effet, le vase et le lit signifient la chair, de même que la lampe est le symbole de la parole. Celui qui cache la parole par crainte de quelque dommage temporel, préfère la chair à la manifestation de la vérité, et celui qui tremble d’annoncer cette parole la couvre pour ainsi dire avec la chair, Au contraire, celui qui consacre son corps au ministère de cette divine parole, place la lumière sur le chandelier, de manière que la prédication de la vérité domine toutes les exigences de la servitude du corps.

Orig. Ceux qui, dans cette lampe veulent voir la figure des disciples plus parfaits de Jésus-Christ, rendent leur interprétation plausible, parce que l’Évangile dit de Jean-Baptiste, qu’il était une lumière ardente et luisante (Jn 5). Que celui donc qui allume dans son âme cette lampe spirituelle, ne la cache ni sous un lit destiné au repos, ni sous un vase quelconque ; agir de la sorte, c’est ne prendre aucun soin de ceux qui entrent dans la maison, et pour lesquels cette lampe est préparée ; il faut donc placer cette lumière surie chandelier, c’est-à-dire, sur toute l’Église.
 

S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) En leur parlant de la sorte, le Sauveur exhorte ses disciples à une sainte exactitude pour tous les devoirs de la vie, il veut qu’ils soient pleins de courage comme des hommes exposés aux regards de tous, et qui combattent au milieu du monde comme sur un théâtre ; ne considérez pas, semble-t-il leur dire, que nous n’habitons qu’une faible partie de l’espace, vous serez connus de tous les hommes, parce qu’il est impossible qu’une si grande vertu demeure cachée. — S. Max. Ou bien encore, c’est lui-même que le Seigneur veut désigner par cette lampe qui brille aux yeux des habitants de la maison, c’est-à-dire, du monde, puisqu’il est Dieu par nature, et qu’il s’est fait chair par une économie toute divine, et c’est ainsi que, semblable à la lumière d’une lampe, il est retenu par l’intermédiaire de son âme dans la terre de sa chair, comme la lumière est retenue par la mèche dans le vase de terre d’une lampe. Le chandelier, c’est l’Église, sur laquelle la parole divine brille de tout son éclat, et la remplit comme une maison des rayons de la vérité. Or il compare le culte matériel de la loi à un vase ou à un lit sous lequel il ne veut point rester caché.
 

Bède. Le Seigneur nous presse avec instance d’écouter la divine parole, afin que nous puissions la ruminer continuellement dans notre coeur, et la donner en nourriture aux autres : " Prenez donc garde comme vous écoutez, car on donnera à celui qui a, " etc. Comme s’il disait : Appliquez-vous à écouter cette divine parole avec toute l’attention possible, car celui qui aime cette parole, recevra l’intelligence pour comprendre ce qu’il aime, mais pour celui qui n’a point l’amour de cette divine parole, eût-il d’ailleurs du génie, et fût-il versé dans la connaissance des lettres, jamais il ne goûtera la douceur et la joie de la sagesse. Souvent, en effet, celui qui est atteint de paresse spirituelle, reçoit le don de l’Esprit, pour rendre ainsi sa négligence plus coupable, parce qu’il dédaigne de savoir ce qu’il aurait pu apprendre sans aucun travail. Quelquefois au contraire, celui qui est zélé pour s’instruire, souffre de la lenteur de son intelligence, afin de recevoir une récompense d’autant plus grande, qu’il a travaillé avec plus d’efforts pour apprendre.
 

vv. 19-21.

Tite de Bostr. Notre-Seigneur avait quitté ses parents selon la chair pour se livrer à la prédication de la doctrine de son père ; et comme ils désiraient le voir, ils vinrent le trouver : " Cependant, sa mère et ses frères vinrent vers lui, " etc. Lorsque vous entendez parler des frères du Seigneur, que ce nom vous rappelle sa miséricorde et vous fasse comprendre l’étendue de sa grâce. En effet, personne ne peut être frère du Sauveur en tant qu’il est Dieu, puisqu’il est le Fils unique du Père, mais par un effet de son amour, il a daigné s’unir notre chair, notre sang, et il est devenu notre frère, lui qui était Dieu par nature (cf. He 2, 11. 13). — Bède. Ces frères du Seigneur, selon la chair, ne sont ni les fils de la bienheureuse Marie, mère de Dieu, comme le veut Helvidius, ni les fils de Joseph et d’une autre épouse, comme d’autres le prétendent, mais tout simplement ses cousins.
 

Tite de Bostr. Les frères de Jésus espéraient qu’en apprenant leur arrivée, par respect pour le nom de sa mère et pour l’amour qu’elle lui témoignait, il s’empresserait de laisser la multitude qui l’écoutait : " On vint donc lui dire : Votre mère et vos frères sont là dehors, " etc. — S. Chrys. (hom. 45 sur S. Matth.) Considérez quelle indiscrétion c’était que d’enlever le Sauveur à tout ce peuple qui l’entourait et qui, suspendu à ses lèvres, écoutait ses divins enseignements. Aussi, Notre-Seigneur leur en fait-il un reproche : " Il leur répondit : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, " etc. — S. Ambr. Comme un sage maître, Jésus commence par donner l’exemple à ses disciples avant de leur enseigner, que celui qui ne quitte point son père où sa mère n’est pas digne du Fils de Dieu. Il veut donc pratiquer le premier ce commandement, non qu’il refuse d’accomplir à l’égard de sa mère les devoirs de la piété filiale (puisqu’il est l’auteur de ce commandement : " Quiconque n’honorera point son père ou sa mère sera puni de mort "), mais parce qu’il sait qu’il doit plus à la mission divine qu’il a reçue de son Père, qu’à l’affection filiale qu’il a pour sa mère (cf. Ga 4, 19). Toutefois, sa réponse ne contient rien de blessant pour ses parents, mais elle nous apprend que l’union des âmes est plus auguste que les liens de la chair et du sang. Le Sauveur ne renie donc point sa mère (comme l’affirment certains hérétiques qui tendent des pièges à la simplicité), puisqu’il l’a reconnue du haut même de la croix, mais il nous enseigne à sacrifier les exigences du sang à l’accomplissement des devoirs célestes. — Bède. Ceux donc qui écoutent et qui pratiquent la parole de Dieu, méritent le nom glorieux de mère de Dieu, parce que chaque jour, par leurs exemples ou par leurs paroles, ils l’engendrent dans le coeur du prochain, et ils méritent également d’être appelés ses frères, puisqu’ils font aussi la volonté de son Père qui est dans les cieux.
 

S. Chrys. (hom. 43 sur S. Matth.) Notre-Seigneur ne veut pas non plus faire ici un reproche à sa mère, mais lui accorder une grâce signalée. En effet, s’il avait tant à coeur de donner une juste idée de sa personne au reste des hommes, combien plus devait-il le désirer pour sa mère, car jamais il ne l’eût élevé à un si haut degré de grandeur, si elle eût pu croire qu’il lui obéirait toujours comme un fils, et si au contraire elle ne l’eût reconnu comme son Dieu. — Théophyl. Quelques-uns entendent ce passage dans un autre sens : Pendant que Jésus enseignait, disent-ils, des envieux qui voulaient jeter du discrédit sur sa doctrine, vinrent lui dire : " Votre mère et vos frères veulent vous voir, " comme pour rappeler l’obscurité de sa naissance. Or Jésus, qui connaît leurs pensées, leur déclare qu’on n’est nullement rabaissé par une humble et pauvre famille, mais que si un homme d’une constitution obscure, écoute la parole de Dieu, il le regarde comme son frère. Cependant, comme il ne suffit pas d’écouter pour être sauvé, et que la parole de Dieu serait plutôt alors une cause de condamnation, il ajoute : " Et qui la pratiquent, " car il faut tout à la fois écouter et mettre en pratique. La parole de Dieu, c’est sa doctrine, puisque tout ce qu’il enseignait venait de son Père.
 

S. Ambr. Dans le sens mystique, celui qui cherche Jésus-Christ, ne doit pas se tenir dehors, c’est pour cela que le Roi-prophète a dit : " Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés. " (Ps 33.) Ceux qui restent dehors, ne sont pas reconnus de Jésus, fussent-ils ses parents ; peut-être est-ce pour notre instruction qu’il ne veut pas les reconnaître, or comment espérer qu’il nous reconnaîtra, si nous persistons à rester dehors ? On peut encore dire que les parents de Jésus sont la figure des Juifs, dont le Sauveur était issu par sa naissance temporelle, et qu’il veut nous apprendre ici la préférence donnée à l’Église sur la synagogue. — Bède. Tandis que Jésus enseigne dans l’intérieur de la maison, ceux qui négligent de s’appliquer au sens spirituel de ses paroles, ne peuvent entrer. Cependant la foule se presse pour entrer dans la maison, parce qu’en effet, tandis que les Juifs usaient de lenteurs et de retards, les Gentils accoururent en foule à Jésus-Christ, Ceux qui se tiennent au dehors, veulent voir Jésus-Christ, parce que sans s’occuper du sens spirituel de la loi, ils s’attachent au dehors à l’observation de la lettre, et ils veulent pour ainsi dire contraindre Jésus-Christ à sortir pour leur enseigner une doctrine tout humaine, plutôt que de consentir à entrer eux-mêmes pour recevoir des enseignements tout spirituels.
 

 

vv. 22-25.

S. Cyit. Les disciples étaient tous les jours témoins des bienfaits que Jésus-Christ répandait à profusion, il était juste qu’il en fît découler sur eux une partie ; nous ne voyons pas en effet du même oeil le bien que l’on fait aux autres, et celui qui nous est fait à nous-mêmes ; le Sauveur permet donc qu’ils soient exposés à une tempête sur la mer : " Un jour, étant monté sur une barque avec ses disciples, il leur dit : Passons à l’autre bord du lac, et ils partirent. " — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Saint Luc évite la question que pourrait soulever le temps précis où eut lieu ce miracle, en disant simplement que Jésus monta un jour sur une barque. Si cette tempête fût arrivée pendant que le Sauveur veillait, les disciples n’auraient eu aucune crainte, ou bien ils n’auraient pas cru que leur divin Maître pût opérer un si grand prodige ; il se laisse donc aller au sommeil pour donner à la crainte tout le temps de se développer : " Comme ils naviguaient, il s’endormit, et un vent impétueux s’éleva sur le lac. " — S. Ambr. L’Évangéliste nous a rapporté plus haut, qu’il passait les nuits en prière ; pourquoi donc le voyons-nous dormir ici pendant la tempête ? C’est pour exprimer la sécurité de la toute-puissance, qu’il repose seul sans crainte, alors que tous sont saisis d’effroi, mais ce sommeil n’atteignait que le corps ; et, comme Dieu, il avait l’oeil ouvert sur ses disciples pour les protéger ; car rien absolument ne se fait sans le Verbe. (Jn 1.)
 

S. Cyr. C’est par un dessein particulier de la providence divine que les disciples ne crièrent pas au secours au premier moment que la barque fut assaillie par la tempête, mais lorsque le danger devint imminent, pour faire éclater davantage la toute-puissance du Sauveur : " Et ils étaient en péril, " dit l’Évangéliste. Le Sauveur le permit pour exercer leur vertu ; car en confessant la grandeur du danger, ils étaient forcés de reconnaître la grandeur du miracle qui les en délivrait. Lors donc que l’imminence du péril les eut jetés dans une crainte inexprimable, ils reconnaissent qu’ils n’ont plus d’autre espoir de salut que dans le Seigneur des vertus, et ils se déterminent à l’éveiller.
 

" S’approchant donc, ils le réveillèrent en disant : Maître, nous périssons. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 24.) D’après saint Matthieu, ils lui auraient dit : " Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ; " d’après saint Marc : " Maître, n’avez-vous pas de souci que nous périssions ? " De part et d’autre, ils expriment le même désir, de réveiller le Sauveur et d’être sauvés du danger. Il est tout à fait inutile de chercher quelle formule précise de prière les Apôtres ont employée ? Se sont-ils servi d’une de celles qui sont rapportées par ces trois Évangélistes, ou d’une autre dont aucun n’aurait parlé, mais dont les termes seraient équivalents ? peu importe. D’ailleurs, on peut fort bien admettre que tous les disciples s’empressèrent d’éveiller leur divin Maître, mais que chacun lui parla d’une de ces trois différentes manières.
 

S. Cyr. Il était du reste impossible que les Apôtres, ayant avec eux le Tout-Puissant, pussent jamais périr. Aussi Jésus-Christ, qui exerce une puissance souveraine sur tout ce qui existe, apaise subitement la tempête et la fureur des vents : " Et la tempête cessa, et il se fit un grand calme. " Il prouve ainsi qu’il est le Dieu dont le Psalmiste a chanté : " Vous dominez la puissance de la mer, vous apaisez ses flots soulevés. " (Ps 88.) — Bède. Dans cet événement de sa vie, le Seigneur fait voir clairement en lui deux natures dans une seule et même personne, puisque nous le voyons livré au sommeil, comme homme, et apaisant d’un seul mot, comme Dieu, la fureur de la mer.
 

S. Cyr. Or, Jésus apaise eu même temps la tempête extérieure de la mer, et la tempête intérieure des âmes : " Alors il leur dit : Où est donc votre foi ? " En leur parlant de la sorte, il nous apprend que ce n’est point la tentation, mais la faiblesse de l’âme qui produit la crainte ; car les tentations éprouvent la foi, comme le feu éprouve l’or. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Les autres Évangélistes rapportent diversement les paroles du Sauveur. D’après saint Matthieu, il aurait dit à ses disciples : " Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? " suivant le récit de saint Marc : " Pourquoi craignez-vous ? est-ce que vous n’avez pas encore la foi ? c’est-à-dire la foi parfaite, comme le grain de sénevé. " D’après saint Marc, il leur reproche donc aussi leur peu de foi, tandis que d’après saint Luc, il leur demande : " Ou est votre foi ? " Or, Notre-Seigneur a pu fort bien employer toutes ces locutions diverses : " Pourquoi craignez-vous ? où est votre foi ? hommes de peu de foi, " et les Évangélistes nous rapportent chacun une d’entre elles.
 

S. Cyr. A la vue de la tempête subitement apaisée à la parole de Jésus-Christ, les disciples, comme stupéfaits d’un tel miracle, s’interrogeaient les uns les autres : " Remplis de crainte et d’admiration, ils se disaient les uns aux autres, " etc. Ce n’est point par ignorance de ce qu’était Jésus, que les disciples parlent ainsi entre eux, car ils savaient très-bien qu’il était Dieu et Fils de Dieu ; mais ils sont remplis d’admiration à la vue de l’étendue de cette puissance qu’il possède de toute éternité, et de la gloire de sa divinité qu’il fait éclater dans ce corps visible et semblable au nôtre dont il s’est revêtu. " Et ils s’écrient : Quel est celui-ci ? " c’est-à-dire quelle grandeur, quelle puissance, quelle majesté ! car c’est une action faite avec empire, c’est le commandement d’un maître, ce n’est point l’humble demande d’un serviteur. — Bède. On peut dire aussi que ce ne sont pas les disciples, mais les matelots et ceux qui étaient avec eux dans la barque, qui sont remplis de crainte et d’admiration.

Dans le sens allégorique, cette mer, ce lac agités représentent l’agitation de la mer ténébreuse du monde. La barque est le symbole de l’arbre de la croix, à l’aide duquel les fidèles traversent les flots de cette mer du monde, et parviennent an rivage de la céleste patrie. — S. Ambr. Notre-Seigneur quitte ses parents pour monter dans cette barque, parce qu’il sait qu’il est venu dans le monde pour l’accomplissement de mystères tout divins. — Bède. Les disciples, sur l’invitation du Sauveur, montent avec lui dans la barque. Il leur dit en effet : " Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix et qu’il me suive. " Pendant que les disciples font cette traversée, c’est-à-dire pendant que les fidèles foulent aux pieds le monde et méditent dans leur coeur les douceurs du repos éternel ; pendant que, poussés par le souffle de l’Esprit saint, et aussi parleurs propres efforts, ils rejettent à l’envi derrière eux les vanités inconstantes et perfides du monde, le Seigneur s’endort tout à coup, c’est-à-dire que le temps de la passion du Seigneur est arrivé, et que la tempête vient fondre sur la terre, parce que pendant le sommeil de la mort, qu’il consent à subir sur la croix, les flots de la persécution se soulèvent sous l’impulsion du souffle des démons (cf. Ps 3, 5). La patience du Seigneur n’en est point troublée, mais la faiblesse des disciples en est ébranlée et saisie d’effroi. Ils s’empressent donc de réveiller le Seigneur dans la crainte de périr pendant son sommeil, parce qu’en effet, après avoir été témoins de sa mort, ils désirent vivement sa résurrection, dont le retard prolongé les exposerait à une perte certaine. Le Sauveur se lève et commande avec menace à la tempête, c’est-à-dire, que par sa prompte résurrection d’entre les morts, il a détruit l’orgueil du démon qui avait l’empire de la mort. (He 2.) Il calme l’agitation des flots, c’est-à-dire qu’en ressuscitant, il fait tomber la rage des Juifs qui insultaient à sa mort. — S. Ambr. Il veut nous apprendre qu’il est impossible de traverser sans tentations le cours de cette vie, parce que la tentation est l’épreuve naturelle de la foi. Nous sommes donc exposés aux tempêtes soulevées par les esprits mauvais ; mais ayons soin, comme de vigilants matelots, d’éveiller le pilote de la barque qui ne cède pas aux vents, mais qui leur commande ; et lors même qu’il est éveillé, prenons garde qu’il ne dorme encore pour nous, en punition du sommeil de notre corps. Ceux qui se laissent aller à la crainte dans la compagnie de Jésus-Christ, méritent le juste reproche qu’il leur fait, car celui qui s’attache à lui ne peut périr. — Bède. Nous voyons quelque chose de semblable à ce qui se passe ici, lorsque Jésus apparut après sa mort à ses disciples, et leur reprocha leur incrédulité (Mc 16), et qu’ayant apaisé la mer agitée jusque dans ses profondeurs, il fit éclater aux yeux de tous la puissance de sa divinité.
 

vv. 26-39.

S. Cyr. Le Sauveur ayant traversé le lac, parvint au rivage opposé : " Ils abordèrent ensuite au pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de la Galilée. " — Tite de Bost. Les manuscrits les plus authentiques ne portent ni Géraséniens, ni Gadariens, mais Gergéséniens. En effet, Gadara est une ville de Judée, près de laquelle on ne trouve ni lac, ni mer ; Gérasa est une ville d’Arabie, qui n’est elle-même voisine d’aucun lac, ni d’aucune mer. Mais Gergésa, d’où vient le nom de Gergéséniens, est une ville fort ancienne, située sur les bords du lac de Tibériade, dans les environs de laquelle se trouve un rocher qui domine le lac dans lequel les démons précipitèrent les pourceaux. Cependant comme les villes de Gérasa et de Gadara touchent aux confins du pays des Gergéséniens, il est vraisemblable que c’est de ces deux villes, que les pourceaux avaient été amenés dans le pays des Gergéséniens. — Bède. Gérasa est une ville célèbre d’Arabie, qui échut autrefois à la tribu de Manassé (cf. Nb 34, 14 ; Dt 3, 13 ; 19, 8 ; Jos 12, 6 ; 13, 29 ; 17, 6.8.11 ; 22, 9), située au delà du Jourdain, près de la montagne de Galaad, non loin du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux se précipitèrent.
 

S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Lorsque le Sauveur fut descendu à terre, il fut témoin d’un phénomène bien plus surprenant que la tempête ; un possédé du démon, comme un esclave en présence de son maître, vient confesser sa dépendance et sa servitude : " Lorsqu’il fut descendu à terre, il vint au devant de lui un homme, " etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Saint Matthieu rapporte qu’ils étaient deux possédés ; saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul, il faut donc entendre que l’un d’eux était un homme plus considérable et plus connu, dont tout le pays plaignait le triste sort, et désirait vivement la guérison. C’est ce que veulent faire entendre saint Marc et saint Luc en ne parlant que de celui des deux, dont l’état et la guérison avait eu une immense notoriété dans toute la contrée. — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Ou bien, peut-être saint Luc s’est-il attaché à celui des deux qui était le plus furieux, et dont il fait un si triste tableau : " Il ne portait aucun vêtement, et n’avait d’autre habitation que les sépulcres, " etc. Or, les démons fréquentent les tombeaux des morts pour insinuer plus facilement aux hommes cette pernicieuse doctrine, que les âmes des morts deviennent des démons. — S. Cyr. Il errait sans vêtements dans les sépulcres des morts, preuve de la fureur des démons qui le possédaient. Or, la providence de Dieu permet que quelques-uns soient ainsi soumis au pouvoir des démons, pour nous faire considérer ce qu’ils sont à notre égard, nous faire renoncer à leur empire tyrannique, et par le triste spectacle d’un seul homme, victime de leur méchanceté, donner à tous une leçon salutaire.

S. Chrys. (Hom. 29.) Comme la multitude ne voyait dans Jésus qu’un homme, les démons viennent publier hautement sa divinité que la mer elle-même avait proclamée en calmant la fureur de ses flots soulevés : " Aussitôt qu’il vit Jésus, il se prosterna devant lui et il s’écria, " etc. — S. Cyr. Considérez quel mélange à la fois de crainte, d’audace et de désespoir extrêmes ; c’est le désespoir, en effet, qui lui dicte ces paroles pleines d’audace : " Qu’y a-t-il entre vous et moi, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? et c’est sous l’impression de la crainte qu’il lui fait cette prière : " Je vous en conjure, ne me tourmentez pas. " Mais situ reconnais qu’il est le Fils du Dieu très-haut ! tu avoues donc qu’il est le Dieu du ciel et de la terre, et de tout ce qu’ils renferment. Pourquoi donc oses-tu usurper ce qui n’est pas à toi, mais n’appartient qu’à Dieu seul, en lui tenant ce langage : " Qu’y a-t-il entre vous et moi ? " Quel est le prince de la terre qui laisserait impunément les barbares attaquer les sujets de son empire : " Car Jésus commandait à l’esprit impur de sortir de cet homme, " et l’Évangéliste justifie l’urgence de ce commandement, en ajoutant : " Depuis longtemps, en effet, il était sous sa puissance, " etc. — S. Chrys. (hom. 99.) Personne n’osait ni s’approcher de ce possédé, ni s’en rendre maître, tandis que Jésus vient lui-même le trouver et lui adresse la parole.
 

" Jésus lui demanda : Quel est ton nom ? " — Bède. Si Jésus lui demande son nom, ce n’est pas qu’il l’ignore, mais pour que l’aveu public du mal terrible auquel il est en proie, fasse ressortir avec plus d’éclat la toute-puissance qui doit le guérir. C’est ainsi que les prêtres de notre temps qui chassent les démons par la grâce des exorcismes, nous disent qu’il n’y a pour les possédés d’autre moyen de guérison que l’aveu sincère et public de tout ce que les esprits immondes leur font souffrir durant le jour ou pendant leur sommeil, surtout lorsqu’ils paraissent désirer ou qu’ils semblent accomplir avec eux l’oeuvre de la chair, c’est pour cela que Jésus exige ici une espèce de confession : " Le démon lui répondit : Je m’appelle Légion, " parce qu’en effet, plusieurs démons étaient entrés dans cet homme.

S. Grég. de Nysse. (hom. sur les Cant.) C’est à l’exemple des milices célestes et des légions des anges, que les démons s’appellent légion, de même que le premier d’entre eux se vantait d’établir son trône au-dessus des astres, pour devenir semblable au Très-Haut (Is 25).
 

S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Le Seigneur était descendu sur la terre pour détruire l’empire du démon, qui jetait le trouble et le désordre parmi les créatures de Dieu ; les démons craignaient donc que le Sauveur n’attendît pas le temps marqué pour punir l’excès de leur malice, et comme ils ne pouvaient dissimuler leurs crimes, ils le supplient de retarder au moins leur châtiment : " Et ils le priaient de ne pas leur commander d’aller dans l’abîme. " — Theophyl. Les démons font cette demande, parce qu’ils veulent encore rester parmi les hommes. — S. Cyr. Nous avons ici une preuve évidente, que les phalanges ennemies de la majesté divine étaient précipitées dans les enfers par la puissance ineffable du Sauveur. — S. Max. Or, le Seigneur a établi pour chaque espèce de péché un châtiment correspondant : le feu de l’enfer pour punir les ardeurs coupables de la chair, le grincement de dents pour les rires lascifs, une soif intolérable pour la volupté et l’intempérance, le ver qui ne meurt pas pour le coeur dissimulé et méchant, les ténèbres éternelles pour l’ignorance et la fourberie, les profondeurs de l’abîme pour l’orgueil, et c’est pour cela que l’abîme est destiné aux démons qui sont des esprits d’orgueil.
 

" Or, il y avait là un nombreux troupeau de porcs, " etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 24.) Saint Marc dit que ce troupeau était autour de la montagne, et saint Luc, qu’il paissait sur la montagne ; il n’y a ici aucune contradiction. Ce troupeau était si nombreux, qu’une partie pouvait être autour de la montagne, et l’autre partie se trouver sur la montagne, puisqu’il y avait jusqu’à deux mille pourceaux, comme saint Marc le raconte (Mc 5). — S. Ambr. Les démons ne peuvent supporter l’éclat de la lumière céleste, de même que ceux qui ont les yeux malades ne peuvent supporter les rayons du soleil. — S. Cyr. C’est pour ce motif que cette légion d’esprits immondes demande à être envoyée dans un troupeau de pourceaux immondes, à cause de la conformité de leurs instincts : " Et ils le prièrent de leur permettre d’y entrer, et il le leur permit. " — S. Athan. (Vie de saint Ant.) Si les démons n’ont point de pouvoir sur les pourceaux, à plus forte raison n’en ont-ils aucun sur les hommes qui sont faits à l’image de Dieu ; c’est donc Dieu seul qu’il faut craindre et n’avoir que du mépris pour eux. — S. Cyr. Notre-Seigneur leur accorda cette permission, afin que cet événement devînt pour nous une cause de salut et un motif d’espérance ou de confiance. — Suite. " Et il le leur permit. " Considérez combien la méchanceté des démons est grande, et le mal qu’ils font à ceux qui sont soumis à leur empire en les voyant précipiter et noyer dans la mer ce troupeau de pourceaux : " Sortant donc de cet homme, les démons entrèrent dans les pourceaux ; et le troupeau prenant sa course, se précipita dans le lac par un endroit escarpé et s’y noya. " Jésus-Christ accéda à leur demande, pour faire ressortir toute leur cruauté. Il fallut aussi montrer que le Fils de Dieu avait le gouvernement de toutes choses, aussi bien que le Père, et qu’il possédait une même gloire et une puissance égale.

Tite de Bostr. Cependant les gardiens prennent la fuite dans la crainte de périr avec leurs pourceaux : " Ce qu’ayant vu, les gardiens s’enfuirent, et en portèrent la nouvelle dans la ville et dans les villages, " semant dans l’âme de leurs habitants la crainte et l’effroi, par le récit de cet événement. La perte qu’ils viennent d’essuyer les fait venir trouver le Sauveur : " Plusieurs sortirent pour voir ce qui était arrivé, et ils vinrent à Jésus. " Voyez comme en châtiant les hommes dans leurs biens temporels, Dieu se rend le bienfaiteur de leurs âmes. Lorsqu’ils furent arrivés, ils trouvèrent parfaitement guéri celui que le démon ne laissait pas un seul moment en repos : " Et ils trouvèrent assis à ses pieds l’homme de qui les démons étaient sortis, vêtu et sain d’esprit, lui qui, jusque-là, était toujours sans vêtement, car cet homme ne quittait pas les pieds de celui à qui il devait sa guérison. A la vue de cette guérison miraculeuse, ils furent saisis d’admiration et d’étonnement : " Et ils furent remplis de crainte, " ajoute l’Évangéliste, tant parce qu’ils virent de leurs yeux que parce qui leur était raconté : " Et ceux qui avaient vu, leur racontèrent comment il avait été délivré de la légion. " Leur premier sentiment devait être de supplier le Seigneur de ne point s’éloigner, mais de garder leur pays contre les nouvelles attaques du démon, mais non, la crainte leur fait sacrifier leur propre salut, et ils prient le Sauveur de s’éloigner d’eux.

" Alors tous les habitants du pays de Gérasa le prièrent de s’éloigner d’eux, parce qu’ils étaient saisis d’une grande frayeur. " — Théophyl. Ils craignaient d’être encore exposés à de nouveaux dommages, comme celui qu’ils venaient de souffrir par la perte des pourceaux. — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) Admirez la mansuétude de Jésus-Christ, après de si grands bienfaits, on le renvoie, il ne résiste point, il se retire et abandonne ceux qui se déclarent ainsi indignes de recevoir sa doctrine.

" Il monta donc dans la barque pour s’en retourner. " — Tite de Bostr. (sur S. Matth) Le Sauveur s’éloigne, mais celui qu’il venait de délivrer ne veut pas le quitter : " Et l’homme de qui les démons étaient sortis, le priait de l’admettre à sa suite. " — Théophyl. Une triste expérience lui faisait craindre de retomber au pouvoir des démons, s’il s’éloignait de Jésus. Mais Notre-Seigneur lui fait comprendre que, sans demeurer avec lui, il pouvait le protéger par sa puissance : " Jésus le renvoya, en disant : Retournez en votre maison, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. " Il ne dit point : Que j’ai faites pour vous, et il nous donne en cela cet exemple d’humilité, de rapporter à Dieu tout le mérite de nos bonnes actions. — Tite de Bostr, (sur S. Matth.) Il ne se met pas toutefois en contradiction avec la vérité en parlant de la sorte, car tout ce que fait le Fils, le Père le fait avec lui. Mais pourquoi Jésus qui, toujours défendait à ceux qu’il guérissait de leurs infirmités, d’en parler à personne, dit à cet homme qu’il venait de délivrer d’une légion de démons : " Racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous ? " Parce que ce peuple était plongé dans l’ignorance de Dieu et livré tout entier au culte des démons ; ou bien, si l’on veut une explication plus vraie, lorsqu’il rapporte un miracle à son Père, il commande de le publier ; lorsqu’il s’agit personnellement de lui-même, il défend d’en parler à qui que ce soit. Mais cet homme qu’il venait d’arracher à la tyrannie des démons, savait que Jésus était Dieu, c’est pourquoi il s’empresse de publier la grâce extraordinaire qui venait de lui être faite : " Et il s’en alla, publiant par toute la ville les grandes choses que Jésus lui avait faites. " — S. Chrys. (hom. 29 sur S. Matth.) C’est ainsi que Notre-Seigneur abandonne ceux qui se sont déclarés indignes de ses divins enseignements, en leur laissant pour maître celui qu’il venait de délivrer de la servitude des démons.
 

Bède. Dans le sens mystique, Gérasa représente les Gentils, que le Seigneur a visités par ses prédicateurs, après sa mort et sa résurrection. En effet, Gérasa, ou Gergésa (comme lisent plusieurs), signifie, qui chasse l’habitant, c’est-à-dire, le démon qui l’habitait auparavant, ou encore, arrivée de l’étranger, qui s’en trouvait éloigné.
 

S. Ambr. Le nombre de ceux qui furent guéris dans cette circonstance par Jésus-Christ, est différent dans saint Luc et dans saint Matthieu, mais le sens mystérieux de ce miracle est le même, car cet homme qui était possédé est, dans saint Luc, la figure du peuple des Gentils, comme les deux possédés dont parle saint Matthieu, le sont également. En effet, Noé ayant eu trois fils, Sem, Cham et Japhet, la postérité de Sem eut seul le privilège d’être le peuple de Dieu, et les deux autres furent la. souche de tous les autres peuples. Cet homme était depuis longtemps, possédé du démon, parce que depuis le déluge, ces peuples étaient sous la domination de l’esprit mauvais. Il était, nu, c’est-à-dire, qu’il avait perdu les vertus qui servaient de vêtement et à la fois d’ornement à sa nature. — S Aug. (Quest. évang., 1, 14.) Il n’habitait point de maison, c’est-à-dire, qu’il ne se reposait pas dans sa conscience ; il demeurait dans les tombeaux, parce qu’il se plaisait dans les oeuvres mortes, c’est-à-dire, dans les péchés. — S. Ambr. Ou bien encore, que sont les corps des infidèles, sinon des espèces de tombeaux dans lesquels la parole de Dieu ne peut habiter ?
 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 13.) Les entraves et les chaînes de fer qui liaient ses membres, représentent les lois sévères et accablantes qui réprimaient les crimes dans les gouvernements des infidèles. Cet homme ayant brisé ses chaînes, était entraîné par le démon dans le désert, c’est-à-dire que, lorsqu’on a transgressé ces lois, la passion conduit à des forfaits qui dépassent la mesure des crimes ordinaires. Il était possédé d’une légion de démons, et figurait les nations esclaves elles-mêmes d’une multitude de démons. Le Sauveur permet à ces esprits mauvais d’entrer dans des pourceaux qui paissaient sur les montagnes, et qui sont la figure de ces hommes à la fois immondes et superbes que le culte impur des idoles place sous la tyrannie des démons. — S. Ambr. Les pourceaux sont ces hommes qui, semblables à ces animaux immondes, et privés de la parole et de la raison, souillent l’éclat et la beauté des vertus naturelles par l’infamie de leurs moeurs. — S. Aug. (Quest. évang.) Ils sont précipités dans la mer, c’est-à-dire, que lorsque l’Église est enfin glorifiée et le peuple des Gentils délivré de la domination des démons, ceux qui n’ont pas voulu croire à Jésus-Christ, précipités dans les abîmes par leur curiosité aveugle et démesurée, sont condamnés à célébrer dans des retraites cachées leurs rites sacrilèges.
 

S. Ambr. Les pourceaux sont précipités avec impétuosité dans la mer, parce que ces hommes ne sont retenus par la considération d’aucune vertu, mais sont entraînés dans la profondeur des abîmes sur le penchant rapide de la corruption, et vont perdre la respiration et la vie au milieu des flots de ce monde. Il est impossible, en effet, à ceux qui sont le jouet des flots agités de la volupté, de pouvoir conserver la respiration et la vie de l’âme. Nous voyons par là que l’homme est lui-même l’auteur de son malheur, car s’il ne vivait pas de la vie des animaux immondes, jamais le démon n’eût reçu de pouvoir sur lui, ou bien ce n’eût été que pour l’éprouver et non pour le perdre. On peut dire aussi que le démon, dans l’impuissance où il est de s’attaquer aux bons depuis la venue du Sauveur, ne cherche plus à perdre tous les hommes, mais seulement les âmes légères et inconstantes, de même qu’un voleur n’attaque pas ceux qui sont armés, mais ceux qu’il voit sans défense. Les gardiens des troupeaux, témoins de cet événement, s’enfuirent. En effet, ce ne sont ni les maîtres de la philosophie, ni les chefs de la synagogue, qui peuvent donner des remèdes efficaces aux peuples atteints de maladies mortelles, Jésus-Christ est le seul qui peut les délivrer de leurs péchés. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 14.) Ou bien encore, ces gardiens de pourceaux qui s’enfuirent, représentent les chefs des impies qui ne veulent point observer la loi chrétienne, mais qui, néanmoins, sont remplis d’admiration pour elle, et ne peuvent s’empêcher de publier parmi les infidèles son étonnante puissance. Les Géraséniens qui, en apprenant ce qui s’est passé, prient Jésus de s’éloigner, figurent cette multitude d’hommes qui, séduits et retenus par les plaisirs dans lesquels s’est écoulée toute leur vie, honorent la religion chrétienne, mais ne veulent point embrasser ses prescriptions, sous le prétexte qu’ils ne pourraient les accomplir ; ils ne laissent pas toutefois d’admirer le peuple fidèle qu’ils voient guéri de l’état désespéré où ses crimes l’avaient réduit. — S. Ambr. Ou bien encore, la ville des Géraséniens est la figure de la synagogue, ses habitants supplient le Seigneur de s’éloigner, parce qu’ils sont saisis d’épouvante, car l’âme qui est encore faible n’est point capable d’entendre la parole de Dieu, et ne peut supporter le poids de la sagesse. Aussi le Sauveur ne vent point leur être plus longtemps importun, il quitte ces lieux peu élevés pour gagner les hauteurs, c’est-à-dire, qu’il se rend de la synagogue à l’Église. Il traverse de nouveau le lac, car personne ne peut passer de l’Église à la synagogue, sans danger pour son salut. Pour celui qui veut accomplir ce passage, qu’il porte sa croix s’il veut éviter tout danger. — S. Aug. (Quest. évang.) Cet homme que Jésus vient de guérir, veut rester avec lui, et le Sauveur s’y oppose " Retournez en votre maison, lui dit-il, et racontez les grandes choses que Dieu a faites pour vous. Apprenons de là, qu’après avoir obtenu la rémission de nos péchés, nous devons rentrer dans notre bonne conscience comme dans une demeure assurée, et chercher à étendre l’Évangile pour le salut des autres, si nous voulons un jour nous reposer avec Jésus-Christ ; car en désirant être réuni à Jésus-Christ avant le temps marqué, on s’expose à négliger le ministère de la prédication, qui a pour objet le salut de nos frères.
 

vv. 43-48.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 28.) Après avoir raconté le miracle opéré chez les Géraséniens, l’Évangéliste passe à la résurrection de la fille du chef de la synagogue : " Jésus étant revenu, le peuple le reçut avec joie, parce qu’il était attendu de tous. " — Théophyl. Ils l’attendaient pour entendre sa doctrine et pour être témoins de ses miracles. — S. Aug. (de l’acc. des Evang.) Le fait que salut Luc rapporte en cet endroit : " Un homme, appelé Jaïre, " etc., n’arriva point aussitôt après celui qu’il vient de raconter. Il faut placer auparavant le repas des publicains dont parle saint Matthieu, et auquel il fait succéder si étroitement (Mt 9, 18) ce miracle de la résurrection de la fille de Jaïre, qu’aucun autre ne peut être placé entre les deux. — Tite de Bost. L’Évangéliste donne le nom de ce chef de la synagogue, à cause des Juifs qui connurent alors cet événement, et pour rendre plus évidente la preuve du miracle. Ce n’est point un des derniers du peuple, mais un chef de synagogue qui vient trouver Jésus pour mieux confondre les Juifs et leur ôter toute excuse : " Il était chef de la synagogue. " Il vint trouver Jésus, parce qu’il y était comme forcé par la nécessité ; car quelquefois c’est la douleur qui nous porte au bien, selon cette parole du Psalmiste : " Resserrez avec le mors et le frein la bouche de ceux qui ne veulent point s’approcher de vous. " — Théophyl. Il vient donc, sous l’impulsion de la douleur qu’il éprouve, se jeter aux pieds de Jésus. Il aurait dû, sans y être contraint par la nécessité, se prosterner à ses pieds, et reconnaître sa divinité. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth., et Tite de Bost.) Voyez quelle est encore son ignorance, il demande à Jésus-Christ de venir chez lui : " Il le suppliait de venir dans sa maison, " c’est-à-dire qu’il ignorait que Jésus pût guérir sa fille sans être extérieurement présent ; car s’il l’avait su, il eût dit à Jésus comme le centurion : " Dites seulement une parole, et ma fille sera guérie. " (Mt 8.) — Asterius. (Ch. des Pèr. gr.) L’Évangéliste nous fait connaître la cause de sa démarche : " Il avait une fille unique, l’espérance de sa maison et de la perpétuité de sa race ; elle avait environ douze ans, c’est-à-dire à la fleur de l’âge ; elle se mourait, et au lieu du lit nuptial, elle allait être portée au tombeau. " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Or, le Seigneur n’était pas venu sur la terre pour juger le monde, mais pour le sauver, il n’a donc point égard à la dignité de celui qui l’implore, mais il poursuit tranquillement son oeuvre, sachant bien qu’il allait opérer un miracle plus grand que celui qu’on lui demandait. En effet, on l’appelait pour guérir une jeune fille malade, mais il savait qu’il allait la ressusciter après sa mort, et inspirer ainsi aux hommes l’espérance certaine de la résurrection.

S. Ambr. Avant de ressusciter cette jeune fille, il guérit l’hémorroïsse pour exciter la foi du chef de la synagogue ; c’est ainsi que nous célébrons la résurrection temporelle dans la passion du Sauveur, pour affermir notre foi à la résurrection éternelle : " Comme Jésus s’en allait aveu lui, et qu’il était pressé par la foule. " — S. Cyr. Preuve évidente qu’il avait pris une chair véritable, et qu’il foulait aux pieds tout sentiment d’orgueil ; car la foule ne le suivait pas à distance, mais l’entourait et le pressait.

Astérius. Or, une femme atteinte d’une grave maladie, dont l’infirmité avait épuisé les forces corporelles, et les médecins la fortune, n’a plus d’autre espérance dans une si grande extrémité, que devenir se jeter aux pieds du Seigneur : " Et une femme malade d’une perte de sang depuis douze ans, " etc. — Tite de Bost. (sur S. Matth.) Quels éloges ne méritent pas, cette femme qui, dans l’épuisement de ses forces, causé par cette perte continuelle de sang, au milieu de tout ce peuple qui s’empresse autour du Seigneur, soutenue par sa foi et par le désir d’être guérie, traverse la foule, et, se dérobant aux regards du Sauveur, se tient derrière lui, et touche la frange de son vêtement (cf. Nb 15, 38)

" Et elle toucha la frange de son vêtement. " — S. Cyr. Car il était défendu à ceux qui étaient souillés de quelque impureté, de toucher ceux qui étaient purs, ou de s’approcher de ceux que la loi réputait pour saints. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) D’après la loi, cette maladie était regardée comme une des plus grandes souillures. (Lv 15.) D’ailleurs cette femme n’avait pas encore une bien juste idée du Sauveur, puisqu’elle espérait pouvoir lui cacher cette démarche ; cependant elle s’approche de lui dans la ferme espérance d’être guérie.
 

Théophyl. Celui qui approche l’oeil d’une vive lumière, en ressent aussitôt les effets ; les épines s’embrasent au premier contact du feu ; ainsi, quiconque s’approche avec foi de celui qui peut le guérir, obtient aussitôt sa guérison : " Et aussitôt sa perte de sang s’arrêta. " Ce ne furent pas les seuls vêtements du Sauveur qui produisirent ce merveilleux effet (car les soldats les tirèrent au sort entre eux, sans éprouver rien de semblable) (cf. Mt 27, 35 ; Mc 15, 34 ; Jn 19, 23 et 24), mais elle fut guérie par la vivacité de sa foi. — Théophyl. Elle crut, et aussitôt elle fut guérie, et elle suivit ici un ordre vraiment admirable en ne touchant extérieurement le Sauveur qu’après l’avoir touché spirituellement par la foi.

Astérius. Or, Notre-Seigneur entendit les pensées de cette femme, toute muettes qu’elles étaient, et il guérit sans proférer une seule parole celle qui le priait en silence, en lui laissant pour ainsi dire dérober sa guérison, mais il publie ensuite ce miracle : " Et Jésus dit : Qui m’a touché ? " — S. Cyr. Le Seigneur ne pouvait ignorer le miracle qu’il venait d’opérer, mais bien qu’il connaisse toutes choses, il interroge comme s’il ne savait rien. — S. Grég. (ou Victor d’Antioche.) Or, les disciples ne comprenant pas la vraie signification de cette question, et pensant que Jésus voulait parler d’un simple attouchement ordinaire, lui répondent dans ce dernier sens : " Tous s’en défendant, Pierre dit : La foule vous presse de toutes parts, et vous dites : Qui m’a touché ? " etc. Aussi Notre-Seigneur, dans sa réponse, précise la nature de cet attouchement : " Jésus dit : Quelqu’un m’a touché. " C’est dans ce même sens qu’il disait : " Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende, " quoique tous aient les oreilles du corps, parce que ce n’est pas entendre véritablement, que d’entendre sans attention ; de même qu’on ne touche véritablement, que lorsqu’on est inspiré par la foi. — S. Cyr. Le Sauveur fait connaître ce qui vient d’arriver : " Car j’ai senti qu’une vertu était sortie de moi. " En parlant de la sorte, il se conforme aux idées de ceux qui l’écoutent, mais il leur découvre en même temps sa divinité, tant par le miracle qu’il vient d’opérer, que par ses paroles ; car ni la nature humaine, ni peut-être la nature angélique ne peuvent produire d’elles-mêmes une vertu, une puissance semblable, c’est un privilège qui n’appartient qu’à la nature divine ; nulle créature, en effet, ne possède en propre la puissance de guérir les maladies ou d’opérer tout autre miracle de ce genre, elle ne peut la recevoir que de Dieu. Or, ce n’est point par un vain désir de gloire qu’il voulut que cet acte de la puissance divine fût connu de tous, lui qui si souvent avait défendu de publier ses miracles, mais dans l’intérêt de ceux qui sont appelés à la grâce de la justification par la foi. — S. Chrys. (hom. 36 sur S. Matth.) Il commence par calmer la crainte de cette femme, dont la conscience alarmée aurait pu lui reprocher d’avoir comme dérobé la grâce de sa guérison ; troisièmement, il fait l’éloge de sa foi devant tous ceux qui sont présents, et la propose à leur imitation ; et en faisant voir que toutes choses lui sont connues, il ne fait pas un moindre miracle que celui de la guérison de cette femme. — S. Cyr. Par là enfin, il amenait le chef de la synagogue à croire, sans hésiter, qu’il délivrerait sa fille des liens de la mort.

S. Chrys. Notre-Seigneur ne fit pas connaître immédiatement cette femme, il voulait, en montrant que rien ne lui est caché, la déterminer à publier ce qui venait d’arriver et qu’il ne pût exister aucun doute sur la vérité du miracle : " Cette femme, se voyant découverte, vint toute tremblante, " etc. — Orig. Le Sauveur confirme alors, par ses paroles, la guérison qu’elle a obtenue en touchant ses vêtements : " Et Jésus lui dit : Ma fille, votre foi vous a guérie, allez en paix, " c’est-à-dire soyez délivrée de l’épreuve qui vous affligeait. Il ne guérit donc le corps qu’après avoir guéri l’âme par la foi. — Tite de Bost. Il l’appelle sa fille, parce que sa foi a été la cause de sa guérison, et que la foi nous obtient aussi la grâce de l’adoption.

Eusèbe. (hist. ecclés., 7, 14.) On rapporte que cette femme fit ériger dans la ville de Panéade (Césarée de Philippe), d’où elle était originaire, un monument remarquable, en souvenir du bienfait qu’elle avait reçu du Sauveur. On voyait à l’entrée de la porte de sa demeure, sur un piédestal élevé, une statue d’airain, représentant une femme à genoux, les mains jointes, dans l’attitude de la prière ; de l’autre côté se dressait une autre statue de même matière, représentant un homme vêtu d’un manteau, la main étendue vers cette femme ; à ses pieds, sur la base, on voyait une plante exotique, qui montais jusqu’au bord du manteau d’airain, et à laquelle on attribuait la propriété de guérir toutes les douleurs. Cette statue, disait-on, représentait Jésus-Christ, et l’empereur Maximin la fit détruire.
 

S. Ambr. Dans un sens mystique, Jésus-Christ avait quitté la synagogue en s’éloignant des Géraséniens, et nous qui sommes étrangers, nous recevons celui que les siens n’ont pas voulu recevoir. — Bède. Ou encore, le Seigneur reviendra trouver les Juifs à la fin des temps, et ils le recevront en s’empressant d’embrasser la foi. — S. Ambr. Mais que représente ce chef de la synagogue, sinon la loi, en considération de laquelle le Seigneur n’a pas entièrement abandonné la synagogue ? — Bède. Ou bien ce prince de la synagogue, c’est Moïse. Il porte avec raison le nom de Jaïre (c’est-à-dire qui éclaire ou qui est éclairé), parce que celui qui reçoit les paroles de vie pour nous les communiquer, éclaire les autres, et est éclairé lui-même par l’Esprit-Saint. Le chef de la synagogue se prosterne aux pieds de Jésus, parce que le législateur des Juifs, et toute la succession des patriarches reconnurent que le Christ fait homme leur était de beaucoup supérieur. Car si Dieu est la tête du Christ (1 Co 11), il est juste de voir dans ses pieds son incarnation par laquelle il a touché la terre de notre mortalité. Il prie Jésus d’entrer dans sa maison, parce qu’il désirait voir son avènement. Sa fille unique, c’est la synagogue, qui seule est établie en vertu d’une institution légale ; elle allait mourir, âgée seulement de douze ans (c’est-à-dire aux approches de sa puberté), parce qu’en effet, après avoir reçu des prophètes une éducation distinguée, elle devait, une fois parvenue à l’âge du discernement, produire pour Dieu des fruits spirituels ; mais la multiplicité de ses erreurs l’ayant fait tomber en langueur, elle ne put entrer dans les voies de la vie spirituelle, et si Jésus-Christ ne fût venu à son secours, elle eût succombé à une mort certaine. Tandis que le Seigneur se dirige vers la maison de la jeune fille qu’il va guérir, il est pressé par la foule, parce qu’en effet, il est comme accablé par les moeurs de ceux qui mènent une vie charnelle, alors qu’il annonce aux Juifs les enseignements du salut. — S. Ambr. Mais tandis que le Verbe de Dieu se rend chez cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d’Israël, la sainte Église, composée des Gentils, et qui allait périr victime de ses désordres et de ses crimes, dérobe par la foi la grâce de la guérison qui était réservée à d’autres. — Bède. Cette perte de sang peut s’entendre de deux manières, et de la prostitution de l’idolâtrie, et des honteuses jouissances de la chair et du sang. — S. Ambr. Mais que signifient cette fille du chef de la synagogue, qui meurt à l’âge de douze ans, et cette femme qui souffrait depuis douze ans d’une perte de sang, sinon que l’Église a été dans le travail et la souffrance, tant que la synagogue a existé ? — Bède. Car ce fut presque dans le même siècle que la synagogue prit naissance dans la personne des patriarches, et que les Gentils se souillèrent par les pratiques d’un culte idolâtrique.

S. Ambr. Cette femme avait épuisé toute sa fortune pour se faire traiter par les médecins ; ainsi le peuple des Gentils avait perdu tous les dons de la nature. — Bède. Ces médecins représentent ou les faux théologiens, ou les philosophes, et les docteurs des lois humaines, qui font de longues dissertations sur les vertus et sur les vices, et promettent aux hommes de leur donner des règles utiles pour les diriger dans la conduite de la vie. Ou bien encore, ces médecins sont les esprits immondes qui, sous le voile d’un intérêt hypocrite, se faisaient adorer par les hommes à la place de Dieu. Or, plus la gentilité avait dépensé de facultés naturelles pour écouter tous ces docteurs, et plus il était difficile de la purifier des souillures de ses crimes. — S. Ambr. Mais dès que la gentilité apprit que le peuple juif était lui-même malade, elle conçut l’espoir de sa guérison, elle reconnut que le temps était arrivé où un divin médecin devait descendre du ciel, elle se leva pour aller à sa rencontre, puisant un saint empressement dans sa foi, mais retenue par sa timidité naturelle ; car c’est le propre de la pudeur et de la foi de reconnaître son infirmité, sans désespérer du pardon. Elle touche le bord du vêtement du Sauveur honteuse et craintive, elle s’approche avec confiance, elle croit d’une foi religieuse et sincère, et reconnaît sagement qu’elle a obtenu sa guérison. Ainsi le peuple des Gentils qui a cru au vrai Dieu, a rougi des crimes auxquels il voulait renoncer, a embrassé la foi qu’il devait professer, fait preuve de piété dans ses prières, de sagesse, en reconnaissant sa guérison, de confiance, en avouant qu’il avait comme soustrait la grâce qui était destinée à d’autres. Cette femme s’approche de Jésus par derrière, pour toucher son vêtement, parce qu’il est écrit : " Vous marcherez après le Seigneur votre Dieu. " (Dt 13.) — Bède. Et Jésus-Christ lui-même a dit : " Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive. " (Jn 13.) Ou bien encore, parce que celui qui ne voit point le Seigneur dans sa chair mortelle, après l’accomplissement et la consommation des mystères de sa vie temporelle, marche cependant sur ses traces par la foi.

S. Grég. (Mor., 3, 11.) Tandis que la foule presse de tous côtés le Rédempteur, une seule femme le touche véritablement, parce que dans l’Église, tous ceux qui suivent les penchants de la chair pressent le Sauveur, dont ils sont cependant bien éloignés, et ceux-là seuls le touchent, qui lui sont véritablement unis par l’humilité. Ainsi la foule le presse sans le toucher, parce qu’elle est importune par sa présence, et absente par sa vie. — Bède. Ou bien encore, il n’y a qu’une seule femme pour toucher le Seigneur avec foi, parce qu’on ne peut chercher avec foi que par le coeur de l’Église catholique celui qui est affligé par le désordre des diverses hérésies. — S. Ambr. Ceux qui le pressent, ne croient point en lui, ceux-là seuls ont la foi, qui le touchent ; c’est par la foi que l’on touche Jésus-Christ, c’est par la foi qu’on le voit. Enfin, pour manifester la foi de cette femme qui le touche, il dit : " J’ai senti qu’une vertu était sortie de moi, " preuve évidente que la divinité n’est pas renfermée dans les bornes étroites de la nature humaine, et dans la prison du corps, mais que sa puissance éternelle déborde au delà des limites de notre faible nature. Ce n’est pas, en effet, par un acte de la puissance humaine, que le peuple des Gentils est délivré, c’est la grâce de Dieu qui réunit toutes les nations qui, par une foi encore imparfaite, inclinent vers elle la miséricorde éternelle. En effet, si nous considérons d’un côté l’étendue de notre foi ; de l’autre la grandeur du Fils de Dieu, nous verrons qu’en comparaison de cette grandeur divine, nous touchons seulement le bord de son vêtement, sans que nous puissions en atteindre le haut. Si donc nous voulons obtenir notre guérison, touchons par la foi le bord du vêtement de Jésus-Christ, personne ne peut le toucher sans qu’il le sache. Heureux celui qui touchera la moindre partie du Verbe, car qui peut le comprendre tout entier ?
 

vv. 49-56.

S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) C’est par un dessein providentiel que Notre-Seigneur attendait que cette jeune fille fût morte, afin de rendre plus éclatant le miracle de sa résurrection ; c’est dans cette intention qu’il marche lentement, qu’il prolonge son entretien avec cette femme, jusqu’à ce que la fille du chef de la synagogue expirât, et que la nouvelle lui en fût apportée : " Comme il parlait encore, quelqu’un vint dire au chef de la synagogue : Votre fille est morte, " etc. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 28.) Que saint Matthieu raconte que le chef de la synagogue annonce au Seigneur, non que sa fille allait mourir, mais qu’elle était morte, tandis que saint Luc et saint Marc rapportent qu’elle n’était pas encore morte, tellement qu’ils ajoutent qu’on vint ensuite annoncer sa mort, il n’y a ici aucune contradiction. Saint Matthieu, pour abréger, a voulu dire tout d’abord, que le Seigneur fut prié de faire ce qu’il fit en réalité, c’est-à-dire, de ressusciter cette jeune fille qui était morte ; il a donc moins égard aux paroles du père, qu’à son désir et à sa volonté, ce qui est beaucoup plus important, sans doute. Si les deux autres Évangélistes, ou l’un d’eux seulement avait mis dans la bouche du père le langage de ceux qui vinrent de chez lui, c’est-à-dire, qu’il ne fallait pas davantage tourmenter Jésus, parce que la jeune fille était morte ; les paroles que lui prête saint Matthieu, seraient en opposition avec sa pensée, mais on ne lit nullement que le père se soit joint aux envoyés pour empêcher le divin Maître de venir. Aussi Notre-Seigneur, sans lui reprocher son manque de confiance, affermit au contraire sa foi et la rend inébranlable : " Jésus, ayant entendu cette parole, dit au père de la jeune fille : Croyez seulement et elle sera sauvée. " — S. Athan. (disc. sur la pass. et la croix du Seigneur.) Le Seigneur exige la foi de ceux qui l’invoquent, non qu’il ait besoin du secours d’autrui (puisqu’il est le maître et le distributeur de la foi), mais pour ne point paraître faire acception de personne dans la distribution de ses dons. Il montre ainsi qu’il n’accorde ses grâces qu’à ceux qui croient, parce qu’il ne veut pas que ses bienfaits tombent dans une âme dépourvue de foi, qui les laissera bientôt perdre par son infidélité, Il veut au contraire que la grâce de ses bienfaits persévère, et que la guérison qu’il accorde soit constante et durable.

Théophyl. Avant de ressusciter cette jeune fille qui était morte, il fit sortir tout le monde, pour nous apprendre à fuir toute vaine gloire et à ne rien faire par ostentation Ainsi, lorsque Dieu donne à quelqu’un la grâce de faire des miracles, il ne doit point rester dans la foule, mais rechercher la solitude et se séparer du monde : " Etant arrivé à la maison, il ne permit à personne d’entrer avec lui, si ce n’est à Pierre, à Jacques et à Jean. " Il ne laisse entrer que les premiers de ses disciples, comme plus capables de tenir secret ce miracle, car il ne voulait pas qu’il fût divulgué avant les temps marqué, peut-être à cause de l’envie que lui portaient les Juifs. Ainsi, lorsque nous sommes pour un de nos frères un objet d’envie, gardons-nous de lui faire connaître nos bonnes oeuvres, pour ne pas donner à sa jalousie une nouvelle pâture. — S. Chrys. (hom. 32 sur S. Matth.) Il ne prit point avec lui les autres disciples, pour stimuler leurs désirs, et aussi parce que leurs dispositions n’étaient pas assez parfaites. Il choisit Pierre et les fils de Zébédée, pour exciter les autres à les imiter. Il prend aussi comme témoins les parents de la jeune fille, afin que personne ne pût s’inscrire en faux contre les preuves de cette résurrection. Remarquez encore qu’il fit retirer tous ceux qui pleuraient, et qu’il juge indignes de voir ce miracle : " Or, tous pleuraient et se lamentaient sur elle. " Si le Sauveur bannit alors les pleurs et les larmes, à plus forte raison, devons-nous maintenant imiter cet exemple ? Car on ne comprenait pas aussi clairement alors que la mort ne fût qu’un sommeil pour le chrétien. Que personne donc ne s’abandonne à une douleur exagérée, et ne fasse ainsi injure à la victoire que Jésus-Christ a remportée sur la mort, qui n’est plus maintenant qu’un simple sommeil, comme Notre-Seigneur l’établit, en ajoutant : " Ne pleurez pas, elle n’est, pas morte, mais elle dort. " Il montre ainsi que toutes choses lui sont faciles, et qu’il peut aussi facilement la rappeler à la vie que la réveiller de son sommeil : " Et ils se moquaient de lui, sachant bien qu’elle était morte. " Le Sauveur ne leur fait aucun reproche, il n’arrête pas leurs dérisions qui seront une preuve évidente de la mort de cette jeune fille. Comme la plupart du temps, les hommes, malgré les miracles dont ils sont témoins, persévèrent dans leur incrédulité, il veut les convaincre d’avance par leurs propres paroles, et pour les disposer à croire à la résurrection par le spectacle qu’ils avaient sous les yeux, il prend la main de la jeune fille : " Alors prenant sa main, il dit à haute voix : Jeune fille, levez-vous. " Et dès qu’il eut pris sa main, elle fut ressuscitée : " Et son âme revint dans son corps, et elle se leva à l’instant. " En effet, le Sauveur ne lui donne pas une âme différente de la sienne, mais il lui rend la même qu’elle avait perdue avec le dernier soupir. Non seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il veut qu’on lui donne à manger : " Et Jésus commanda de lui donner à manger, " preuve évidente que cette résurrection n’était pas imaginaire. Et il ne veut pas lui donner à manger lui-même, il la fait servir par d’autres ; il agit de même dans la résurrection de Lazare, il dit à ses disciples : " Déliez-le, " et l’admet ensuite à sa table.
 

Sévère d’Antioche. Les parents de cette jeune fille sont plongés dans la stupeur et prêts à pousser des exclamations d’étonnement et de joie ; Jésus les contient : " Son père et sa mère étaient hors d’eux-mêmes d’étonnement, et il leur commanda de ne dire à personne ce qui était arrivé. " Il montre ainsi qu’il est l’auteur et la source de tous les biens, qu’il les répand sans aucune recherche personnelle, et qu’il donne tout sans rien recevoir. Celui, au contraire, qui poursuit avec empressement la vaine gloire dans ses bonnes oeuvres, donne, il est vrai d’un côté, mais pour recevoir de l’autre.
 

Bède. Dans le sens mystique, à peine cette femme malade d’une perte de sang, est-elle guérie, qu’on vient annoncer à Jésus la mort de la fille du chef de la synagogue. C’est qu’en effet, lorsque l’Église fut purifiée des souillures de ses vices, la synagogue expira aussitôt victime de son infidélité et de sa noire envie ; de son infidélité parce qu’elle refuse de croire en Jésus-Christ, de jalousie, parce qu’elle s’attrista de voir l’Église embrasser la foi.

S. Ambr. Les serviteurs du prince de la synagogue eux-mêmes ne pouvaient croire encore à la résurrection que Jésus-Christ avait prédite dans la loi (Ps 15), et qu’il accomplit plus tard sous le règne de l’Évangile, et ils disent au père de la jeune fille : " Ne le tourmentez pas davantage, " comme s’il lui était impossible de rappeler cette jeune fille à la vie. — Bède. C’est le même langage que tiennent encore aujourd’hui ceux qui regardent l’état de la synagogue comme tellement désespéré, qu’ils ne croient pas qu’elle puisse être jamais rétablie, mais ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Lc 18). Aussi le Sauveur dit au chef de la synagogue : " Ne craignez pas, croyez seulement, et elle sera sauvée. " Le père de la jeune fille représente la réunion des docteurs de la loi, s’ils consentent à embrasser la foi, la synagogue qui leur est soumise sera également sauvée. — S. Ambr. Lorsque Jésus fut venu dans la maison, il ne prit avec lui que quelques témoins de la résurrection qu’il allait opérer ; c’est qu’en effet, la résurrection n’a été crue d’abord que par un petit nombre. Mais pourquoi cette manière d’agir si différente ? Précédemment, il a ressuscité publiquement le fils d’une veuve ; ici il éloigne la foule des témoins ; dans cette première circonstance, Notre-Seigneur voulait manifester sa bonté, parce que la douleur de cette veuve qui pleurait son fils unique, ne souffrait aucun retard. Il voulait aussi dans sa sagesse, nous donner une figure, dans le fils de la veuve de Naïm, de l’Église, qui devait embrasser promptement la foi, et dans la fille du chef de la synagogue, les Juifs qui devaient croire, mais en très-petit nombre. Enfin, lorsque Notre-Seigneur leur dit : " Cette jeune fille n’est pas morte, mais elle dort. " Ils se riaient de lui, car quand on ne croit pas, on devient nécessairement moqueur. Laissons donc pleurer leurs morts à ceux qui les regardent comme morts sans retour ; avec la foi en la résurrection, il n’y a plus de mort, il n’y a plus qu’un sommeil passager. Quant à la synagogue qui a perdu la joie de l’époux qui faisait sa vie, elle reste étendue comme morte au milieu de ceux qui la pleurent, sans même comprendre le sujet de leurs larmes. — S. Ambr. Le Seigneur prend la main de la jeune fille pour la rappeler à la vie ; heureux celui que la sagesse prend ainsi par la main pour l’introduire dans sa maison, et commander qu’on lui donne à manger ! Car le Verbe de Dieu est vraiment le pain descendu du ciel, aussi entendez la Sagesse qui a multiplié sur les autels le corps et le sang d’un Dieu pour être notre nourriture, vous dire : " Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé. " (Pv 9.) — Bède. La jeune fille se leva à l’instant, car dès que Jésus-Christ prend et soutient la main de l’homme, son âme revient aussitôt à la vie. Or, il en est quelques-uns qui trouvent la mort de l’âme dans une simple pensée coupable qui ne se manifeste par aucun acte ; le Seigneur leur rend la vie dans la fille du chef de la synagogue. D’autres en viennent aux actes extérieurs du mal dans lequel ils se complaisent, et portent pour ainsi dire leur mort publiquement hors des portes, ils sont figurés par le fils de la veuve, que Jésus ressuscita hors des portes de la ville, et il montre ainsi qu’il peut les ressusciter. D’autres enfin sont ensevelis dans les habitudes du péché comme dans la corruption du tombeau, et la grâce du Sauveur est également puissante pour leur rendre la vie, c’est pour le prouver qu’il ressuscite Lazare, qui était déjà depuis quatre jours dans le tombeau. Or, plus les crimes qui ont donné la mort à l’âme sont graves, plus doit être vive la ferveur de la pénitence. Aussi, Notre-Seigneur parle à voix modérée pour ressusciter la jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents ; il prend un ton plus élevé, et en dit davantage pour rappeler à la vie le jeune homme qu’on portait au tombeau ; mais pour ressusciter Lazare mort depuis quatre jours, il frémit en son esprit, il verse : des larmes, et jette un grand cri. Remarquons encore que les fautes publiques exigent un remède public, tandis que les péchés moins graves peuvent être effacés par les oeuvres secrètes de la pénitence. Cette jeune fille étendue morte dans la maison de ses parents, revient à la vie devant un petit nombre de témoins ; le fils de la veuve de Naïm est ressuscité hors de la maison et devant tout le peuple, et Lazare, rappelé du tombeau, eut pour témoins de sa résurrection un nombre considérable de Juifs.
 

CHAPITRE IX

vv. 1-6.

S. Cyr. Il convenait que les ministres établis de Dieu pour enseigner la sainte doctrine, eussent le pouvoir de faire des miracles et de faire reconnaître par leurs oeuvres, qu’ils étaient les envoyés de Dieu : " Jésus ayant assemblé les douze Apôtres, leur donna puissance et autorité sur tous les démons, " etc. Il abaisse ainsi la fierté superbe du démon, qui avait osé dire autrefois : Nul ne peut me contredire. (Is 10, 14.) — Eusébe. Comme il veut conquérir par eux tout le genre humain, il leur donne non seulement le pouvoir de chasser les esprits mauvais, mais encore de guérir en son nom toute espèce d’infirmité : " Et pour guérir les maladies. " — S. Cyr. (Très., 14, 14.) Considérez ici la divine puissance du Fils de Dieu, qui ne peut convenir à aucune nature créée, car si les saints faisaient des miracles, ce n’était point en vertu d’un pouvoir naturel, mais par la participation de l’Esprit saint. Ils ne pouvaient d’ailleurs en aucune façon communiquer cette puissance aux autres, car comment une nature créée pourrait-elle disposer en maître des dons de l’Esprit saint ? Au contraire, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant Dieu par nature, distribue cette grâce à qui il veut, il n’appelle pas sur ceux qui la reçoivent une vertu étrangère, il la leur communique de ses propres trésors. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Mais ce n’est qu’après qu’il les a fortifiés par un long commerce avec lui, et qu’ils ont acquis une conviction raisonnée de sa puissance qu’il leur donne cette mission : " Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu. " Remarquez l’objet précis de leur mission, ce n’est point d’annoncer des choses temporelles, comme Moïse et les prophètes, qui promettaient la terre et les biens de la terre, les Apôtres annoncent et promettent le royaume de Dieu et tout ce qu’il renferme.
 

S. Grég. de Nazianze. En envoyant ses disciples prêcher l’Évangile, Notre-Seigneur leur fait un grand nombre de recommandations qui peuvent se résumer dans cette maxime générale, c’est que leur vertu, leur courage, leur humilité, leur vie toute céleste, doivent briller d’un si vif éclat, qu’ils servent à la propagation de l’Évangile, non moins puissamment que leurs prédications ; c’est pour cela qu’il les envoie sans argent, sans bâton, et avec un seul vêtement : " Ne portez rien en route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, " etc. — S. Chrys. Ce précepte renfermait pour les disciples de nombreux avantages ; premièrement, il les mettait à l’abri de tout soupçon ; secondement, il les affranchissait de toute sollicitude, et leur laissait toute liberté pour la prédication ; troisièmement, il les convainquait de sa propre puissance. On objectera, peut-être, que tous les autres commandements ont leur raison d’être, mais pourquoi leur commander de n’avoir en chemin ni sac, ni deux tuniques, ni bâton ? C’est qu’il veut les former à la plus haute perfection, et faire pour ainsi dire de ses disciples, des anges, en les affranchissant de tous les soucis de la vie, pour ne leur laisser d’autre sollicitude que la prédication de sa doctrine. — Eusèbe. Cette recommandation a donc pour objet de les éloigner de tout attachement aux biens de la terre, et de toutes les préoccupations de la vie. Il mettait ainsi à l’épreuve leur foi et leur courage en leur faisant un devoir devant lequel ils ne reculeraient pas, de vivre au milieu des privations de la vie la plus pauvre. Il était juste qu’il y eût entre eux et leur divin Maître une espèce d’échange, et qu’ils reconnussent le pouvoir qu’il leur avait donné de guérir les malades par une obéissance parfaite à ses commandements. Il veut en faire les soldats du royaume de Dieu, il les prépare donc au combat contre les ennemis, en leur recommandant la pratique de la pauvreté : " Car celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne doit pas s’embarrasser dans les affaires du siècle. "
 

S. Ambr. Ces préceptes divins nous apprennent donc quelle doit être la vie de celui qui annonce le royaume de Dieu, il doit ne point se préoccuper des moyens de pourvoir à l’entretien de la vie présente, et puiser dans une foi vive la confiance que les choses nécessaires lui seront données avec abondance, en raison directe de son peu d’empressement à les rechercher. —Théophyl. Il les envoie donc comme des mendiants, avec défense de porter avec eux ni pain, ni aucune de ces choses dont tant d’autres ne peuvent se passer. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 30.) Ou bien encore, si le Sauveur défend à ses disciples de posséder et de porter avec eux aucune de ces choses, ce n’est pas qu’il ne les juge nécessaires au soutien de cette vie, mais il veut leur apprendre, en leur donnant leur mission, qu’ils ont droit à recevoir le nécessaire de ceux à qui ils prêcheraient l’Évangile ; ils doivent donc être parfaitement tranquilles à cet égard, et ne se préoccuper en aucune façon, de mettre en réserve et de porter avec eux les choses nécessaires à la vie. Aussi, d’après saint Marc, il leur commande de ne rien porter avec eux, si ce n’est un bâton, pour montrer que les fidèles doivent tout aux ministres de la parole qui, de leur côté, ne demanderont rien de superflu. Le bâton est donc l’emblème de ce droit et de cette puissance dans ces paroles : " Il leur commanda de ne rien prendre avec eux, si ce n’est un bâton. "
 

S. Ambr. On peut encore entendre, si l’on veut, et avec plusieurs interprètes, ces paroles dans ce sens, que le Sauveur ne se propose ici que de diriger leurs affections intérieures, qui doivent les porter è se dépouiller du corps comme d’un vêtement, non seulement en méprisant les honneurs et les richesses, mais en renonçant à toutes les séductions de la chair. — Théophyl. D’autres encore, croient que par cette recommandation faite aux Apôtres, de ne porter ni sac, ni bâton, ni deux tuniques, Notre-Seigneur veut leur faire entendre qu’ils ne doivent point thésauriser (ce que signifie le sac où l’on peut entasser des sommes considérables), qu’ils doivent maîtriser la colère et la violence (ce qui est figuré par le bâton), et fuir la dissimulation et la duplicité (que représentent les deux tuniques). — S. Cyr. Mais, dira-t-on, où trouveront-ils les choses nécessaires ? Écoutez la suite : " En quelque maison que vous entriez, n’en sortez point, " ce qui veut dire : Contentez-vous des choses que vos disciples vous donneront pour votre entretien en échange des biens spirituels qu’ils recevront de vous. Il leur commande de rester dans la même maison pour ne point contrister, en changeant de demeure, celui qui les a reçus chez lui, et ne point s’exposer au soupçon de légèreté d’esprit ou de sensualité. — S. Ambr. Au jugement du Sauveur, il est donc indigne d’un prédicateur du royaume des cieux, de courir de maison en maison, et de violer ainsi les droits sacrés de l’hospitalité. Mais de même qu’il sauvegarde les droits de l’hospitalité, de même aussi il ordonne à ses disciples, quand on refusera de les recevoir, de secouer la poussière de leurs pieds, en sortant de cette ville : " Lorsqu’on refusera de vous recevoir, en sortant de cette ville, secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. " — Bède. Les Apôtres secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux apostoliques, et comme preuve qu’ils sont entrés dans cette ville pour y faire entendre la prédication de l’Évangile ; ou bien encore, ils secouent la poussière de leurs pieds, comme un signe qu’ils n’ont rien reçu, pas même le nécessaire, de ceux qui méprisent l’Évangile. — S. Cyr. Il est très-peu probable que ceux qui méprisent la parole du salut et le père de famille se montrent bienveillants pour ses serviteurs, ou réclament leurs bénédictions. — S. Ambr. On bien encore, dans un autre sens, le Sauveur nous enseigne à reconnaître grandement le bienfait de l’hospitalité, non seulement en donnant la paix à ceux qui nous reçoivent, mais en les délivrant de ces fautes de légèreté qui tiennent à notre nature terrestre et qui sont effacées par les pas des prédicateurs apostoliques auxquels on accorde l’hospitalité. — Bède. Mais quant à ceux qui, par une négligence coupable ou de dessein prémédité, font mépris de la parole de Dieu, il faut éviter leur société, et en les quittant, secouer la poussière de ses pieds, dans la crainte que les pas de l’âme chaste ne viennent à être souillés par leurs actions pleines de vanité figurées par la poussière.
 

vv. 7-10.

Eusèbe. Après avoir ceint et revêtu ses disciples, comme les soldats de Dieu, d’une puissance divine et des enseignements de la sagesse le Sauveur les envoie vers les Juifs, comme des docteurs et des médecins, et ils partent pour accomplir cette double mission : " Étant donc partis, ils parcouraient les villages, prêchant l’Évangile et guérissant partout ; " ils annoncent l’Évangile en qualité de docteurs, et comme médecins, ils guérissent les malades, et prouvent par leurs miracles la vérité de leurs paroles.
 

S. Chrys. (hom. 49 sur S. Matth.) Hérode n’apprit les miracles de Jésus que longtemps après que la renommée s’en était répandue, preuve de l’orgueil de ce tyran, qui s’était peu soucié de les connaître dès l’origine : " Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus. " — Théophyl. Cet Hérode était fils d’Hérode le Grand, qui fit périr les enfants de Bethléem, le premier était roi, le second était simplement tétrarque. Or, il voulait savoir ce qu’était le Christ : " Et il ne savait que penser. " — S. Chrys. Les pécheurs, en effet, redoutent ce qu’ils connaissent comme ce qu’ils ignorent, ils ont peur de leur ombre. ils soupçonnent partout des embûches, et tremblent au moindre bruit. Telles sont les tristes suites du péché, il dévoile le coupable sans que personne le blâme ou le reprenne, il le condamne sans que personne l’accuse, et il le livre en proie à la crainte et à l’hésitation. L’Évangéliste nous indique les causes de cette crainte : " Et il ne savait que penser, parce que quelques-uns disaient, " etc. — Théophyl. Les Juifs espéraient une résurrection des morts, qui leur rendrait une vie toute charnelle de repas et de festins, tandis qu’après la résurrection, les hommes seront affranchis de toutes les actions propres à la chair. — S. Chrys. Hérode ayant donc appris les prodiges que Jésus opérait, dit : " J’ai fait couper la tête à Jean. " Ce n’était point par ostentation qu’il évoquait ce souvenir, mais pour calmer ses alarmes, et rassurer son esprit troublé en se rappelant qu’il était l’auteur de la mort de Jean-Baptiste. Et comme il lui avait fait couper la tête, il ajoute : " Qui est donc celui-ci, " etc. — Théophyl. Si c’est Jean-Baptiste qui est ressuscité des morts, en le voyant, il me sera facile de le reconnaître : " Et il cherchait à le voir. "
 

S. Aug (de l’acc. des Evang., 2, 43.) Saint Luc, en suivant ici dans son récit le même ordre que saint Marc, ne nous oblige pas de croire que tel fut l’ordre rigoureux des faits. De même que saint Marc, il attribue aussi à d’autres, et non pas à Hérode lui-même, ces paroles : " Jean est ressuscité d’entre les morts ; " mais comme il rapporte qu’Hérode ne savait que penser, on peut admettre, ou bien qu’après ces incertitudes, il finit par ajouter foi au bruit qui se répandait, lorsqu’il dit lui-même à ses serviteurs, selon le récit de saint Matthieu : " C’est Jean-Baptiste, qui est ressuscité des morts, " ou bien, il faut entendre ces paroles de saint Matthieu dans un sens dubitatif.
 

vv. 10-17

S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu et saint Marc, à l’occasion de ce qui précède, rapportent comment Jean-Baptiste fut mis à mort par Hérode. Saint Luc, au contraire, qui avait déjà raconté la mort du saint Précurseur, après avoir parlé des incertitudes d’Hérode au sujet de la personne du Sauveur, ajoute aussitôt : " Et les Apôtres étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait. " — Bède. Ils lui rapportent non seulement les miracles qu’ils ont faits, et quel a été le sujet de leurs enseignements, mais ils lui apprennent aussi tout ce que Jean-Baptiste a eu à souffrir pendant qu’ils prêchaient l’Évangile, et ce sont ses propres disciples, ou ceux de Jean-Baptiste, qui lui apprennent cette nouvelle, comme semble l’indiquer saint Matthieu.
 

S. Isid. (livre 1, lettre 133.) Le Seigneur a en abomination les hommes de sang, et ceux qui entretiennent des relations avec eux, quand ils persévèrent dans leurs crimes ; aussi dès qu’il eut appris la mort de Jean-Baptiste, il s’éloigne des meurtriers, et se retire dans un lieu désert : " Et les prenant avec lui, il se retira à l’écart dans un lieu désert, non loin de la ville de Bethsaïde. " — Bède. Bethsaïde est une ville de Galilée, située sur les bords du lac de Génésareth, et d’où les apôtres André, Pierre et Philippe étaient originaires. Si le Sauveur s’éloigne ainsi, ce n’est point par crainte de la mort, comme le pensent quelques-uns, mais pour épargner à ses ennemis, dans un sentiment de miséricorde, un nouvel homicide, et aussi pour attendre le temps marqué pour sa passion. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Jésus ne s’éloigne que lorsqu’il eut appris ce qui venait d’arriver, profitant ainsi de toutes les circonstances pour manifester la vérité de sa chair. — Théophyl. Notre-Seigneur se retire dans un lieu désert pour y opérer le miracle de la multiplication des pains, afin que personne ne pût dire que ces pains avaient été apportés d’une ville voisine. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Ou bien, il se retire dans un lieu désert, pour que personne ne pût le suivre ; mais le peuple ne consent point pour cela à se séparer de lui, et s’attache à ses pas : " Le peuple l’ayant appris, il le suivit, " etc. — S. Cyr. Ils le suivaient, pour lui demander les uns d’être délivrés des démons qui les possédaient, les autres d’être guéris de leurs maladies, d’autres enfin ne se lassaient point de rester avec lui, retenus par le charme de sa doctrine.
 

Bède. De son côté Jésus, Sauveur aussi puissant que bon, accueille ceux qui sont fatigués, instruit les ignorants, guérit les malades, nourrit ceux qui ont faim, et montre ainsi combien ce pieux empressement des fidèles lui est agréable : " Et il les accueillit avec bonté, et il leur parlait du royaume de Dieu, " etc. — Théophyl. Il veut nous apprendre que la sagesse dont nous devons faire profession, consiste dans les paroles et dans les oeuvres, et nous fait un devoir d’enseigner le bien que nous faisons, et de mettre en pratique ce que nous enseignons. Comme le jour était sur son déclin, les disciples commencent à s’inquiéter pour cette nombreuse multitude, dont ils ont compassion. " Or, le jour commençant à baisser, les douze vinrent lui dire, " etc. — S. Cyr. Cette multitude, comme nous l’avons dit, venait implorer la guérison de ses diverses souffrances, et les disciples qui savaient qu’il suffisait au Sauveur de le vouloir, pour que tous ces malades fussent guéris, lui disent : " Renvoyez-les, et qu’ils soient délivrés de leurs souffrances. " Considérez ici l’immense bonté de celui à qui s’adresse cette prière ; non seulement il accorde ce que lui demandent ses disciples, mais il répand avec profusion, sur ce peuple qui le suit, les dons de sa main libérale, en leur commandant de lui donner à manger : " Et il leur répondit : Donnez-leur vous mêmes à manger. " — Théophyl. En parlant de la sorte, il n’ignorait pas ce qu’ils allaient lui répondre, mais il voulait les amener à dire combien ils avaient de pains, pour faire ressortir par cette déclaration la grandeur du miracle qu’il allait opérer.

S. Cyr. Mais il était impossible aux disciples d’exécuter cet ordre, puisqu’ils n’avaient avec eux que cinq pains et deux poissons : " Ils lui répartirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, à moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. " — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 46.) Saint Luc réunit ici, sous une même phrase, la réponse de Philippe : " Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau, " et celle d’André : " Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons, " comme le rapporte saint Jean (Jn 6). En effet, ce que dit saint Luc : " Nous n’avons que cinq pains et deux poissons, " se rapporte à la réponse d’André, et ce qu’il ajoute : " A moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple, " renferme la réponse de Philippe, si ce n’est qu’il ne parle pas des deux cents derniers, quoiqu’on puisse dire qu’il y est fait allusion dans la réponse d’André ; car, après avoir dit : " Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains et deux poissons, " il ajoute " Mais qu’est-ce que cela, pour tant de monde ? " ce qui revient à dire : " A moins que nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple. " De cette diversité dans le récit, et de cette concordance dans les faits comme dans les maximes, ressort pour nous cette importante leçon, que nous ne devons chercher dans les paroles, que la volonté de ceux qui parlent, et que les narrateurs, amis de la vérité, doivent s’attacher surtout à la mettre en évidence dans leurs récits, qu’il y soit question de l’homme, des anges ou de Dieu. — S. Cyr. La grande multitude de peuple, dont l’Évangéliste fait connaître le nombre, ajoute encore aux difficultés du miracle : " Or, ils étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants, comme le remarque un autre Évangéliste. (Mt 14.)

Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne ici, lorsque nous donnons à quelqu’un l’hospitalité, à le faire asseoir, et à lui prodiguer tous les soins qui dépendent de nous : " Jésus dit à ses disciples : Faites les asseoir par groupes de cinquante. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 46.) Saint Luc dit qu’on les fit asseoir par troupes de cinquante ; saint Marc par groupes de cinquante et de cent, mais cette différence ne peut faire difficulté ; car l’un des Évangélistes n’exprime qu’une des parties dont les groupes étaient composés, et l’autre la totalité. Si l’un des deux Évangélistes ne parlait que de groupes de cinquante, et l’autre de groupes de cent personnes, la contradiction paraîtrait évidente, et il serait difficile d’admettre que les deux choses soient vraies, mais racontées chacune par un seul des deux Évangélistes ; et cependant en y réfléchissant plus attentivement, qui ne reconnaîtra la vraisemblance de cette explication ? J’ai fait cette observation, parce qu’il se présente souvent des faits de ce genre qui, pour les esprits superficiels ou. prévenus, paraissent contradictoires et ne le sont point. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Ce devait être un article de la foi chrétienne, que Jésus-Christ était sorti du Père, il lève donc les yeux vers le ciel avant de faire ce miracle : " Alors Jésus, prenant les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux vers le ciel, " etc. — S. Cyr. Il le fait encore pour noire instruction, et pour nous apprendre qu’en commençant le repas, et avant de rompre le pain, nous devons l’offrir à Dieu, et attirer sur lui la bénédiction céleste : " Et levant les yeux au ciel, il les bénit et les rompit. " — S. Chrys. (hom. 50.) Il distribue ce pain au peuple par les mains de ses disciples, par honneur pour eux, et pour qu’ils n’oublient point le souvenir de ce miracle. Or, ce n’est point du néant qu’il tire les pains et les poissons dont il nourrit ce peuple, afin de fermer la bouche aux manichéens, qui affirment que tout ce qui est créé lui est étranger, et de montrer que c’est lui qui donne la nourriture à tous les êtres créés, et qui a dit : " Que la terre produise les plantes " etc. (Gn 1.) Il multiplie aussi les poissons, pour signifier qu’il est le Seigneur de la mer, comme de la terre. Il a opéré, en faveur des malades qu’il a guéris, un miracle particulier, il étend maintenant les effets de sa bonté à toute la multitude, en nourrissant ceux mêmes qui n’ont aucune infirmité : " Tous mangèrent et furent rassasiés. " — S. Grég. de Nysse. (grand disc. catéch., chap. 23.) Ce n’était point le ciel qui distillait la manne, ni la terre qui produisait le blé selon sa nature, pour subvenir aux besoins de ce peuple ; cette abondante largesse sortait des trésors ineffables de la puissance divine. Le pain se multiplie dans les mains de ceux qui le distribuent et il augmente en proportion de la faim de ceux qui mangent. Ce n’est pas non plus de la mer que sortent les poissons dont ils se nourrissent, mais de la main de celui qui, en créant les diverses espèces de poissons, leur a donné la mer pour séjour.

S. Ambr. Ce fut donc grâce à une abondante multiplication des pains que ce peuple fut rassasié. On eût pu voir les morceaux sortir comme d’une source mystérieuse, et se multiplier, sans être divisés entre les mains de ceux qui les distribuaient, et les fragments intacts venir se glisser d’eux-mêmes sous les doigts de ceux qui les rompaient.

S. Cyr. Là ne s’arrête point le miracle, l’Évangéliste ajoute : " Et des morceaux qui restèrent, on emporta douze corbeilles pleines. " C’était une preuve manifeste que les oeuvres de charité envers le prochain obtiennent de Dieu une récompense surabondante. — Théophyl. C’était encore pour nous apprendre la merveilleuse puissance de l’hospitalité, et combien nous augmentons nos propres richesses, en les distribuant largement aux indigents. — S. Chrys. Ce ne sont pas des pains entiers qui restent, mais des morceaux, pour prouver que c’étaient bien les restes des pains qui avaient été distribués, et il en reste douze corbeilles, c’est-à-dire, autant qu’il y avait de disciples.
 

S. Ambr. Dans le sens mystique, c’est après que cette femme, qui était la figure de l’Église, a été guérie d’une perte de sang ; après que les Apôtres ont reçu la mission d’annoncer le royaume de Dieu, que le Sauveur distribue l’aliment de la grâce céleste. Mais remarquez ceux qui sont jugés dignes de le recevoir, ce ne sont point des gens oisifs, ni ceux qui restent dans les villes, qui siégent dans la synagogue, ou se reposent avec complaisance dans les dignités séculières, mais ceux qui cherchent Jésus-Christ dans le désert. — Bède. Le Sauveur quitte la Judée, qui, en refusant de croire en lui, s’était ôté l’honneur d’être le siége des prophéties, et il distribue dans le désert l’aliment de la parole divine à l’Église qui n’avait point d’époux. Et lorsqu’il se retire dans le désert des nations, une multitude innombrable de fidèles sortent des murs de leur vie ancienne et de leurs diverses croyances pour s’attacher à ses pas.
 

S. Ambr. Or, Jésus-Christ accueille avec bonté ceux qui ne se lassent point de le suivre, le Verbe de Dieu s’entretient avec eux, non des choses du temps, mais du royaume de Dieu, et si quelques-uns souffrent quelque douleur corporelle, il applique sur leurs blessures un remède salutaire. En toute circonstance d’ailleurs, il garde un ordre mystérieux, c’est-à-dire, qu’il guérit d’abord les blessures intérieures par la rémission des péchés, et prodigue ensuite avec abondance la nourriture de la table céleste. — Bède. C’est au déclin du jour qu’il nourrit la multitude, c’est-à-dire, lorsque la fin des temps approche, ou bien, lorsque le soleil de justice s’est incliné et a disparu pour nous (Ml 4, 2). — S. Ambr. Cependant le Sauveur ne donne pas immédiatement à cette multitude les aliments les plus nourrissants. Les cinq pains sont le premier aliment qu’il leur donne comme le lait aux enfants ; le second, les sept pains, et le troisième, le corps de Jésus-Christ, qui est la nourriture la plus substantielle. Or, s’il en est qui appréhendent de demander leur nourriture, qu’ils abandonnent toutes choses et se hâtent de venir entendre la parole de Dieu. Celui qui commence à entendre cette divine parole, éprouve bientôt le sentiment de la faim ; les Apôtres s’en aperçoivent, et si ceux qui ressentent ce besoin, ne comprennent pas encore ce qu’ils désirent, Jésus-Christ le comprend, il sait qu’ils ne soupirent point après les aliments grossiers, mais après la nourriture céleste qui est Jésus-Christ. Les Apôtres n’avaient pas encore compris que la nourriture du peuple fidèle ne s’achète pas comme un aliment ordinaire, mais Jésus-Christ savait que c’est nous-mêmes qui avions besoin d’être rachetés, tandis que la nourriture qu’il nous destinait devait nous être donnée gratuitement.
 

Bède. Les Apôtres n’avaient encore que les cinq pains de la loi mosaïque, et les deux poissons des deux Testaments, qui étaient cachés dans les profondeurs obscures des mystères comme dans les eaux de l’abîme. L’homme a reçu cinq sens extérieurs ; les cinq mille hommes qui marchent à la suite du Seigneur, figurent donc ceux qui, vivant au milieu du monde, font un bon usage des biens extérieurs qu’ils possèdent. Ils se nourrissent des cinq pains, parce qu’ils ont encore besoin d’être dirigés par les préceptes de la loi. Car pour ceux qui renoncent pleinement au monde, la nourriture de l’Évangile les fait parvenir à une perfection sublime. Les divers groupes qui se nourrissent de ces pains, figurent les assemblées particulières de l’Eglise par toute la terre, et qui toutes ne font qu’une Église catholique.

S. Ambr. Dans le sens spirituel, ce pain qui est rompu par Jésus, est la parole de Dieu, et tout discours qui a Jésus-Christ pour objet, et ils se multiplient quand on les distribue, car c’est au moyen d’un petit nombre de discours qu’il a donné à tous les peuples une abondante nourriture il nous a donné ses divins enseignements, comme autant de pains qui se multiplient en devenant notre nourriture. — Bède. Or, le Sauveur ne crée pas de nouveaux aliments pour rassasier la faim de cette multitude, mais il prend ceux qu’avaient les Apôtres, et il les bénit, parce qu’en effet, dans le cours de sa vie mortelle, il n’annonce point d’autres vérités que celles qui ont été prédites par les prophètes, et il nous fait voir les oracles prophétiques pleins des mystères de la grâce. Il lève les yeux au ciel, pour nous apprendre à diriger vers le ciel toute la force de notre esprit, et à y chercher la lumière de la science. Il rompt les pains et les donne à ses disciples pour les distribuer au peuple, parce que c’est aux Apôtres qu’il a dévoilé les mystères de la loi et des prophètes, en les chargeant de les annoncer par toute la terre.
 

S. Ambr. Ce n’est pas sans dessein que les restes de ces pains sont recueillis par les disciples, parce que les choses divines se trouvent plus facilement auprès des élus que parmi le peuple. Heureux celui qui peut recueillir le superflu des âmes versées dans la science divine. Mais pourquoi Jésus-Christ a-t-il voulu qu’on remplît douze corbeilles des morceaux qui restèrent, si ce n’est pour délivrer le peuple juif de cette servitude que le Roi-prophète rappelait en ces termes : " Leurs mains servaient à porter sans cesse des corbeilles ? " (Ps 80.) C’est-à-dire que ce peuple qui était condamné à porter de la terre dans des corbeilles (Ex 1 et 6), travaille maintenant par les mérites de la croix de Jésus-Christ, à gagner le pain de la vie céleste. Et cette grâce n’est pas le privilège d’un petit nombre, elle est accordée à tous les hommes ; ces douze corbeilles, en effet, figurent la multiplication et l’affermissement de la foi dans chaque tribu. — Bède. Ou bien encore, les douze paniers figurent les douze Apôtres et tous les docteurs qui sont venus à leur suite ; au dehors, les hommes n’avaient pour eux que du mépris, mais au dedans, ils étaient remplis des précieux restes de la nourriture du salut.
 

vv. 18-22.

S. Cyr. Le Seigneur se sépare de la foule, et cherche la solitude pour se livrer à la prière : " Un jour qu’il priait seul dans un lieu solitaire, " etc. Il se donnait ainsi comme exemple à ses disciples, et leur apprenait à se rendre facile la pratique de sa doctrine. C’est ainsi que les pasteurs des peuples doivent leur être supérieurs par l’éminence de leurs vertus, et leur donner l’exemple d’une application constante aux devoirs de leur ministère et aux oeuvres qui sont agréables à Dieu. — Bède. Les disciples se trouvaient avec le Sauveur, mais nous le voyons seul prier son Père, parce que les saints peuvent bien être unis au Seigneur par les liens de la foi et de la charité, mais le Fils seul peut pénétrer les incompréhensibles secrets des conseils de Dieu. Il prie donc seul en toutes circonstances, parce que les prières de l’homme ne peuvent comprendre les desseins de Dieu, et que nul ne peut entrer en participation des sentiments les plus intimes de Jésus-Christ.

S. Cyr. Cependant cette application à la prière pouvait étonner les disciples, qui voyaient prier, comme un faible mortel, celui qu’ils avaient vu faire des miracles avec une autorité toute divine. C’est donc pour dissiper leurs incertitudes qu’il les interroge, il n’ignorait pas sans doute les témoignages éclatants que le peuple lui rendait, mais il voulait dégager ses disciples des fausses idées qu’un grand nombre s’était faites à son sujet, et leur inspirer les sentiments d’une foi éclairée et véritable : " Il les interrogea, disant : Qui dit-on que je suis ? " etc. — Bède. C’est dans un dessein plein de sagesse que le Sauveur avant d’éprouver la foi de ses disciples, leur demande ce que la foule pense de lui, car il veut que leur profession de foi ait pour fondement, non l’opinion de la multitude, mais la connaissance de la vérité, et qu’ils croient après avoir examiné, au lieu d’être comme Hérode, dans l’incertitude sur ce qu’ils auraient entendu dire. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 2, 53.) On peut se demander comment saint Luc a pu dire que le Seigneur interrogea ses disciples sur ce que les hommes pensaient de lui, lorsqu’il était seul à prier, et qu’ils le suivaient, tandis que, d’après saint Marc, il les interrogea en chemin ; mais cela ne peut faire difficulté que pour celui qui pense que le Sauveur n’a jamais prié chemin faisant.
 

S. Ambr. L’opinion de la foule que les disciples rapportent n’est pas indifférente " Ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste (qu’ils savaient avoir été décapité), les autres Élie (qu’ils croyaient devoir venir), d’autres, un des anciens prophètes qui serait ressuscité. " Mais je laisse à de plus habiles d’approfondir ces paroles, car si l’apôtre saint Paul se glorifiait de ne savoir que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2), que puis-je moi-même désirer que cette divine science de Jésus ? — S. Cyr. Mais voyez quelle sagesse dans cette question ; le Sauveur reporta d’abord leurs pensées sur les témoignages extérieurs que le peuple lui rendait, pour en détruire l’impression dans leur esprit, et leur donner une juste idée de sa personne divine. Voilà pourquoi il demande à ses disciples qui lui rapportent l’opinion du peuple, quel est leur propre sentiment : " Et vous, leur demanda-t-il, que dites-vous que je suis ? " Quelle glorieuse distinction dans ce mot : " Et vous ! " Il les sépare de la foule pour leur en faire éviter les préjugés, comme s’il leur disait : Vous, que j’ai appelés à l’apostolat par un choix tout particulier, vous, les témoins de mes miracles, que dites-vous que je suis ? Pierre prévient tous les autres, il devient l’organe de tout le collège apostolique, il révèle les sentiments d’amour dont son coeur déborde, et proclame sa confession de foi : " Simon Pierre répondit Le Christ de Dieu. " Il ne dit pas simplement : " Christ de Dieu, " mais avec l’article, " le Christ de Dieu, " par excellence, c’est pourquoi nous lisons dans le grec, ??? X?????? ; il en est un grand nombre, en effet, qui, ayant reçu l’onction de Dieu, ont été appelés Christs sous divers rapports, les uns ayant reçu l’onction royale, les autres l’onction prophétique (cf. 2 M 1, 10 ; 1 Paralip., 16, 2, etc.). Nous-mêmes, en vertu de l’onction du Saint-Esprit qui nous a été donnée par Jésus-Christ, nous avons reçu le nom de Christs, mais il n’y en a vraiment qu’un seul qui soit le Christ de Dieu et du Père, parce qu’il est le seul qui, dans un sens véritable ait pour Père celui qui est dans les cieux. Ainsi expliquées, les paroles que saint Luc met dans la bouche du prince des Apôtres, s’accordent avec celles que lui prêle saint Matthieu : " Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. " Saint Luc n’a fait qu’abréger ces paroles, en lui faisant dire : " Le Christ de Dieu. " — S. Ambr. Dans ce seul nom, en effet, se trouvent exprimées la divinité du Sauveur, son humanité et la foi en sa passion. Pierre a donc tout embrassé dans cette seule expression, la nature aussi bien que le nom qui est comme l’abrégé de ses perfections.
 

S. Cyr. Remarquez l’extrême prudence de Pierre, qui confesse un seul Christ, condamnant ainsi ceux qui ont la témérité de diviser l’Emmanuel en deux Christs différents ; car il ne leur demande pas : Qu’est le Verbe divin au jugement des hommes, mais : " Qui dit-on qui est le Fils de l’homme ? " Et c’est lui que Pierre confesse être le Fils de Dieu. C’est en cela qu’il est vraiment admirable, et qu’il a été jugé digne des plus grands honneurs, que d’avoir cru et proclamé le Christ du Père, celui qu’il contemplait dans une forme humaine, c’est-à-dire que le Verbe, engendré de la substance du Père, avait daigné se faire homme.

S. Ambr. Cependant Notre-Seigneur ne veut pas encore que sa divinité soit proclamée parmi le peuple, pour éviter toute agitation : " Mais leur parlant avec empire, il leur enjoignit de ne le dire à personne. " Il commande le silence à ses disciples pour plusieurs raisons, pour tromper le prince du monde, pour fuir toute vanité, pour nous enseigner l’humilité. Jésus-Christ n’a donc point voulu de la gloire humaine, et vous qui êtes né dans l’obscurité, vous la recherchez avec empressement ? Il voulait aussi que ses disciples, encore grossiers et imparfaits, ne fussent point opprimés sous le poids d’une prédication trop relevée. Il leur défend donc d’annoncer qu’il est le Fils de Dieu, afin que plus tard ils puissent prêcher publiquement ses souffrances. — S. Chrys. (hom. 55 in Matth.) Le Sauveur a défendu à ses disciples de dire à personne qu’il était le Christ, pour une autre raison non moins pleine de sagesse. Il voulait qu’après avoir fait disparaître tout sujet de scandale et consommé le supplice de la croix, tous ceux qui entendraient la prédication évangélique, eussent de lui une idée juste, car les préjugés qu’on déracine et qu’on arrache tout d’abord, peuvent difficilement rentrer et obtenir créance dans le même esprit ; mais ceux qu’on laisse se développer en toute liberté sans les arracher, croissent et s’enracinent avec une merveilleuse facilité ; car si une simple allusion aux souffrances de Jésus-Christ suffit pour scandaliser Pierre, que serait-il arrivé au plus grand nombre, lorsque ayant appris qu’il était le Fils de Dieu, il l’aurait vu crucifié et couvert d’opprobres ? — S. Cyr. Il fallait donc que les disciples portassent son nom jusqu’aux extrémités de la terre, et cette oeuvre était réservée à ceux qu’il avait appelés à l’apostolat ; mais, comme l’atteste l’Esprit saint, " il y a temps pour toute chose " (Qo 3), et il fallait que la passion et la résurrection fussent accomplies, avant que les Apôtres prêchassent l’Évangile : " Il faut, disait-il, que le Fils de l’homme souffre beaucoup, " etc. — S. Ambr. Peut-être aussi, Notre-Seigneur, qui savait toute la peine que ses disciples auraient à croire le mystère de sa passion et sa résurrection, voulut en être le premier prédicateur.
 

vv. 23-28.

S. Cyr. Les valeureux capitaines, qui veulent inspirer plus de courage et de hardiesse à ceux qui parcourent avec eux la carrière des armes, ne se contentent pas de leur promettre les honneurs de la victoire, mais cherchent à leur persuader qu’il y a de la gloire même à supporter les souffrances. Notre-Seigneur Jésus-Christ agit de même à l’égard de ses Apôtres. Il leur avait prédit qu’il aurait à souffrir les accusations calomnieuses des Juifs, qu’il serait mis à mort, et qu’il ressusciterait le troisième jour. Mais ils pouvaient croire que ces souffrances devaient être le partage exclusif de Jésus-Christ, sauveur du monde, tandis qu’il leur serait permis de mener une vie molle et sensuelle ; il leur apprend donc qu’ils ont à livrer les mêmes combats, s’ils désirent partager sa gloire : " Il disait donc à tout le monde. " — Bède. Remarquez ces paroles : " Il disait à tous, " parce qu’en effet c’était avec les disciples seuls qu’il avait traité de tout ce qui concernait la foi à sa naissance ou à sa passion.
 

S. Chrys. (hom. 56 sur S. Matth.) Notre-Seigneur, plein de douceur et de bonté, ne veut point qu’on le serve forcément et à regret, mais volontairement, et en lui rendant grâces d’être à son service ; aussi il ne force, il ne violente personne, mais c’est par la persuasion et par les bienfaits, qu’il attire à lui tous ceux qui désirent le suivre : " Si quelqu’un veut. " — S. Bas. (Const. mon., 4.) En disant : " Si quelqu’un veut venir après moi (cf. Jn 12, 21), " il se propose lui-même comme modèle de la vie parfaite à ceux qui veulent suivre ses divins enseignements, et il les invite, non pas à le suivre corporellement (ce qui serait impossible, puisque Notre-Seigneur est maintenant dans les cieux), mais à suivre fidèlement les exemples de sa vie, selon la mesure de leurs forces. — Bède. Il faut nécessairement se détacher de soi-même, si l’on veut s’approcher de celui qui est au-dessus de nous, suivant ces paroles du Sauveur : " Qu’il se renonce lui-même. " — S. Bas. (règle expliq., quest. 6.) L’abnégation de soi-même, c’est l’oubli de toutes les choses de notre vie passée, et l’abandon de nos propres volontés. — Orig. (traité 2 sur S. Matth.) On se renonce encore soi-même quand on change les habitudes vicieuses d’une vie mauvaise par la réforme entière de ses moeurs, et par une conversion sincère et véritable ; par exemple, celui qui a longtemps vécu dans les plaisirs, se renonce soi-même, quand il devient chaste, et ainsi toutes les fois qu’on s’abstient d’un vice quelconque, on se renonce soi-même. — S. Bas. (règle.) Or, désirer mourir pour Jésus-Christ, mortifier les membres de l’homme terrestre (Col 3), être disposé à supporter courageusement toutes les épreuves pour Jésus-Christ, n’avoir aucune affection pour la vie présente, c’est véritablement porter sa croix : " Et qu’il porte sa croix tous les jours de sa vie. " — Théophyl. La croix, dans la pensée du Sauveur, c’est une mort ignominieuse, et il nous fait entendre ici que celui qui veut suivre le Christ, ne doit point reculer devant la perspective d’une mort semblable. — S. Grég. (hom. 32 sur l’Evang.) On peut encore porter sa croix de deux manières, ou lorsqu’on mortifie son corps par la pénitence, ou lorsque l’âme s’attriste et s’afflige en compatissant aux souffrances des autres.

S. Grég. (ou le moine Isaac, Ch. des Pèr. gr.) Notre-Seigneur réunit à dessein ces deux choses : " Qu’il se renonce lui-même, et qu’il porte sa croix ; " car de même que celui qui est prêt à monter sur la croix, est tout disposé intérieurement à souffrir ce genre de mort, et n’a plus que de l’indifférence pour la vie présente ; ainsi celui qui veut suivre le Seigneur, doit d’abord se renoncer lui-même, et ensuite porter sa croix, de sorte que dans son âme, il soit prêt à supporter toute espèce de souffrance. — S. Bas. (explic. des règles, quest. 8.) La perfection consiste donc à tenir son âme dans une complète indifférence pour la vie présente et à être toujours prêt à mourir, en évitant toutefois la confiance en soi-même. Or, cette perfection doit commencer par le renoncement aux choses extérieures, par exemple, aux richesses, à la vaine gloire, et par le détachement intérieur de toutes les choses inutiles.
 

Bède. C’est donc pour nous une obligation de porter chaque jour cette croix, et de marcher à la suite du Seigneur, qui a voulu porter lui-même sa croix : " Et qu’il me suive. " — Orig. Il donne la raison de ce commandement, en ajoutant : " Car celui qui voudra sauver son âme, la perdra, " c’est-à-dire celui qui veut jouir de la vie présente et de toutes les satisfactions qu’offrent à son âme les choses sensibles, perdra son âme qu’il néglige de conduire au terme de la béatitude véritable. Il ajoute, au contraire : " Et celui qui perdra son âme à cause de moi, la sauvera, " c’est-à-dire, celui qui méprise les biens sensibles, et ne craint point par amour pour la vérité de s’exposer à la mort, sauvera bien plutôt son âme et sa vie, dont il semble faire le sacrifice à Jésus-Christ. Si donc c’est un véritable bonheur de procurer à son âme le salut qui vient de Dieu, on peut dire que c’est une perte heureuse, que de perdre son âme pour l’amour de Jésus-Christ. On peut encore dire, par analogie avec ce renoncement tel que nous venons de l’expliquer, que chacun doit perdre son âme livrée au péché, pour prendre celle qui doit son salut à la pratique de la vertu.
 

S. Cyr. Le Sauveur veut faire comprendre combien cette participation aux souffrances du Christ surpasse de beaucoup les jouissances que donnent les plaisirs et les biens de ce monde, et il ajoute : " Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à se perdre lui-même à son détriment ? " comme s’il disait : Qu’un homme, par attachement aux douceurs et aux avantages de la vie présente, refuse de souffrir, et aime mieux vivre, s’il est riche, au milieu du luxe et de l’opulence, que lui en reviendra-t-il, lorsqu’il aura perdu son âme ? En effet, " la figure du monde passe (1 Co 7) ; les plaisirs disparaissent comme l’ombre (Sg 5) ; les trésors de l’iniquité ne serviront de rien, mais la justice délivrera de la mort. " (Pv 10.)

S. Grég. (hom. 32.) La sainte Église traverse deux sortes de temps dans la vie présente, les temps de persécution et les temps de paix, et Notre-Seigneur donne ici des préceptes pour ces deux circonstances si différentes. Dans les temps de persécution, il faut être prêt à sacrifier son âme, c’est-à-dire sa vie, selon ces paroles : " Celui qui perdra sa vie ; " dans les temps de paix, au contraire, il faut s’appliquer à réprimer les désirs terrestres, qui exercent sur nous une influence tyrannique, et c’est à quoi Notre-Seigneur nous engage par ces paroles : " Que sert à l’homme de gagner tout l’univers, s’il vient à perdre son âme ? " Souvent nous méprisons les choses fragiles et passagères, mais nous sommes encore retenus par l’habitude du respect humain, qui nous empêche de professer publiquement les sentiments de droiture et de justice, que nous conservons au dedans de nous-mêmes. Notre-Seigneur nous donne un remède convenable pour cette blessure : " Car si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui. " — Théophyl. On rougit de Jésus-Christ, quand on dit : Est-ce que je croirai à un crucifié ? On rougit de ses discours, en méprisant la simplicité de l’Évangile. Or, le Seigneur rougira de celui qui rougit de lui, comme un père de famille rougirait de nommer un de ses mauvais serviteurs.

S. Cyr. Il pénètre ses disciples d’une crainte salutaire en leur annonçant qu’il descendra des cieux, non plus dans son premier état d’humiliation, et sous une forme semblable à la nôtre, mais dans la gloire du Père et au milieu des anges : " Lorsqu’il viendra dans sa majesté et dans celle du Père ; et des saints-anges ; ". Ce sera donc un malheur affreux de paraître avec le signe de l’inimitié, et les mains vides de bonnes oeuvres, lorsque ce grand juge descendra au milieu des célestes cohortes des anges. Apprenez encore de là que pour avoir pris une chair semblable à la nôtre, le Fils n’en est pas moins Dieu, puisqu’il annonce qu’il viendra dans la majesté de Dieu son Père, environné des anges qui exécuteront les ordres qu’il leur donnera comme juge de tous les hommes, lui qui s’est fait homme-semblable à nous.

S. Ambr. Toutes les fois que Notre-Seigneur excite ses disciples, à la pratique de la vertu par la perspective des récompenses éternelles, et qu’il leur enseigne combien il est utile de mépriser les choses de la terre, il soutient en même temps la faiblesse de l’esprit humain par l’attrait d’une récompense présente. Il est dur et pénible, en effet, de porter sa croix, d’exposer son âme aux dangers, et son corps à la mort, de renoncer à ce que vous êtes, lorsque vous voulez être ce que vous n’êtes pas ; et il est rare que la vertu la plus éminente consente à sacrifier les choses présentes à l’espérance des biens futurs. Aussi, notre bon Maître, pour prévenir toute tentation de découragement ou de désespoir, promet qu’il se révélera immédiatement à ses fidèles serviteurs : " Je vous le dis, en vérité, quelques-uns, de ceux qui sont ici présents, ne goûteront point la mort, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu. "

Théophyl. C’est-à-dire la gloire dont jouissaient les justes ; le Sauveur veut parler de la transfiguration qui était 1e symbole de la gloire future, comme s’il disait : Quelques-uns de ceux qui sont ici (c’est-à-dire Pierre, Jacques et Jean) ne mourront point avant d’avoir vu dans ma transfiguration la gloire réservée à ceux qui auront confessé mon nom. — S. Grég. (hom. 32.) Ou bien, ce royaume de Dieu ; c’est l’Église actuelle, et quelques-uns des disciples devaient vivre assez longtemps sur la terre pour voir l’Église de Dieu établie, et dominant la gloire du monde. — S. Ambr. Si donc nous voulons n’avoir pas à craindre la mort, tenons-nous toujours auprès de Jésus-Christ ; car ceux-là seuls ne goûteront point la mort, qui peuvent se tenir étroitement unis à Jésus-Christ. Or, on peut conclure du sens propre de ces paroles, que ceux qui ont mérité d’être admis dans la société de Jésus-Christ, ne ressentiront pas les atteintes mêmes les plus légères de la mort. Sans doute, ils goûteront, comme en passant, la mort du corps, mais ils posséderont pour toujours la vie de l’âme ; car ce n’est point au corps, mais à l’âme, qu’est accordé le privilège de l’immortalité.
 

vv. 29—31.

Eusèbe. Notre-Seigneur ne se contente pas de prédire le grand mystère de sa seconde apparition, il ne veut pas que la foi de ses disciples repose uniquement sur des paroles, et il lui donne encore pour fondement le témoignage des faits, en découvrant aux yeux de leur foi une image de son royaume : " Environ huit jours après qu’il leur eut dit ces paroles, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et s’en alla sur une montagne pour prier. " — S. Jean Damasc. (disc. sur la transf.) Saint Matthieu et saint Marc placent la transfiguration six jours après la promesse faite aux disciples, tandis que saint Luc rapporte que ce fut huit jours après. Il n’y a toutefois aucune contradiction dans leur récit ; les deux Évangélistes qui ne parlent que de six jours, n’ont pris que les jours intermédiaires, sans compter les extrêmes, le premier et le dernier ; c’est-à-dire celui où la promesse fut faite, et celui de son accomplissement, tandis que saint Luc, qui compte huit jours, comprend les deux dont nous venons de parler. Or, pourquoi le Sauveur n’admet-il pas tous ses disciples, mais quelques-uns seulement à jouir de cette vision ? Il n’y en avait qu’un parmi eux (c’était Judas), qui fût indigne de voir cette révélation de la divinité, selon ces paroles : " Faites disparaître l’impie, pour qu’il ne voie point la gloire de Dieu (Is 26). " Or, si Notre-Seigneur l’avait seul excepté, sa jalousie eût donné un nouvel aliment à sa méchanceté ; le Sauveur enlève donc à ce traître un prétexte à sa trahison, en laissant avec lui tous les autres disciples au bas de la montagne. il en prend trois avec lui, pour que toute parole soit confirmée par deux ou trois témoins. Il choisit Pierre, pour qu’il entendît le Père confirmer par son témoignage celui qu’il avait "rendu lui-même à la divinité du Christ, et aussi parce qu’il. devait être le chef de toute l’Église. Il prend Jacques, parce que le premier de tous les Apôtres, il devait donner sa vie pour Jésus-Christ ; enfin il choisit Jean comme l’interprète le plus pur des secrets divins qui, après avoir été témoin de la gloire éternelle du Fils, devait faire entendre ces paroles sublimes : " Au commencement était le Verbe. " — S. Ambr. Ou bien encore, Pierre monte avec Jésus sur la montagne, parce qu’il devait recevoir les clefs du royaume des cieux ; Jean, parce que le Sauveur devait lui confier sa mère ; Jacques, parce qu’il devait souffrir le martyre le premier. (Ac 12.) — Théophyl. Ou bien encore, il choisit ces trois disciples, comme plus capables de tenir caché ce miracle et de ne le révéler à personne. Or, il monta sur une montagne pour prier ; il nous enseigne ainsi à chercher la solitude et à nous élever au-dessus des choses terrestres pour assurer le succès de nos prières.
 

S. Jean Damasc. Toutefois, la prière du Seigneur est différente de la prière des serviteurs ; la prière du serviteur est une élévation de l’esprit vers Dieu, mais la sainte intelligence du Christ (unie hypostatiquement à Dieu), qui nous conduit comme par la main et par degrés, au moyen de la prière, jusqu’à Dieu, nous enseigne par là, que loin d’être l’adversaire de Dieu, il honore son Père comme le principe de toutes choses. Par cette conduite, il tend aussi un piège au démon qui cherchait à savoir s’il était Dieu, ce que l’éclat de ses miracles attestait suffisamment. Il cachait ainsi le hameçon sous l’appât de la nourriture, pour prendre, comme avec un hameçon, par l’humanité dont il était revêtu, celui qui avait séduit le premier homme par l’appât trompeur de la divinité. La prière est une révélation de la gloire divine ; aussi l’Évangéliste ajoute " Et pendant qu’il priait, l’aspect de sa face devint tout autre. " — S. Cyr. Ce n’est pas que son corps ait changé de forme, mais il fut environné d’une gloire éclatante. — S. Jean Damasc. A la vue de cet éclat qui environnait le Sauveur au milieu de sa prière, le démon se ressouvint de Moïse, dont le visage fut aussi rayonnant de gloire ; mais cette gloire venait à Moïse d’un principe extérieur, tandis que pour le Seigneur, c’était la splendeur innée de la gloire divine. En effet, comme en vertu de l’union hypostatique, le Verbe et la nature humaine ont une seule et même gloire, la transfiguration du Sauveur n’est point l’usurpation de ce qu’il n’était pas, mais la manifestation, aux yeux de ses disciples, de ce qu’il était véritablement. C’est pour cela que saint Matthieu rapporte qu’il fut transfiguré devant eux, et que sa face resplendit comme le soleil ; car Dieu est dans l’ordre des choses spirituelles, ce que le soleil est dans l’ordre des choses sensibles. Or de même que le soleil, qui est la source de la lumière, ne peut être regardé facilement, tandis que nous pouvons contempler sa lumière, parce qu’elle se répand sur la terre ; ainsi le visage de Jésus-Christ resplendit du plus vif éclat, comme le soleil ; et ses vêtements deviennent blancs comme la neige : " Et ses vêtements devinrent d’une éclatante blancheur, " éclairés comme par un reflet de la gloire divine.
 

En même temps, Moïse et Élie se tiennent comme des serviteurs près du Seigneur dans sa gloire, afin de montrer que le Seigneur du Nouveau Testament est le même que celui de l’Ancien, pour fermer la bouche aux hérétiques, établir la foi à la résurrection, et prouver que celui qui était transfiguré, devait être regardé comme le Seigneur des vivants et des morts : " Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui, " etc. Le Sauveur voulait que le spectacle de la gloire et du bonheur de ces pieux serviteurs, fît admirer à ses disciples sa miséricordieuse bonté, et qu’étant témoins de la douceur des biens à venir, ils fussent excités à marcher sur les traces de ceux qui les avaient précédés, et à soutenir avec plus de force les combats de la foi, car celui qui connaît la récompense promise à ses travaux, les supporte bien plus facilement. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Un autre motif de cette apparition, c’est que le peuple affirmait du Sauveur, qu’il était Elle ou Jérémie, il fallait donc distinguer le Maître du serviteur, faire voir d’ailleurs que le Sauveur n’était ni l’ennemi de Dieu, ni violateur de la loi, car autrement, ni Moïse, qui avait donné la loi, ni Elle, qui avait soutenu avec tant de zèle les intérêts de la gloire de Dieu, n’eussent paru à ses côtés. C’était encore pour manifester les vertus de ces deux grands hommes, car tous deux s’étaient plusieurs fois exposés à la mort pour la défense des commandements de Dieu. Le Sauveur voulait aussi les proposer comme modèles à ses disciples dans le gouvernement du peuple, en leur inspirant la douceur de Moïse et le zèle d’Élie. Enfin il les fait paraître pour montrer la gloire de la croix, et consoler ainsi Pierre, et tous ceux qui craignaient les souffrances : " Ils s’entretenaient de sa fin qu’il devait accomplir en Jérusalem. — S. Cyr. C’est-à-dire, du mystère de son incarnation et aussi de sa passion qui devait être le salut du monde et qu’il devait accomplir sur sa croix adorable.
 

S. Ambr. Dans un sens mystique, c’est après avoir enseigné à ses disciples la doctrine du renoncement et de la croix, que le Sauveur les rend témoins de sa transfiguration, parce que celui qui entend et croit les paroles du Christ, verra la gloire de la résurrection, car c’est le huitième jour qu’eut lieu la résurrection, et la plupart des psaumes sont intitulés, pour le huitième jour. Peut-être aussi, comme Notre-Seigneur avait dit précédemment, que celui qui perdra sa vie pour le Verbe de Dieu, veut-il nous montrer qu’il accomplira ses promesses au temps de la résurrection. — Bède. Il est ressuscité des morts après le septième jour de la semaine où il avait été mis dans le sépulcre ; et nous aussi, après les six âges du monde écoulés, et le septième, qui est celui du repos des âmes dans l’autre vie, nous ressusciterons pour ainsi dire au huitième âge du monde. — S. Ambr. Saint Matthieu et saint Marc rapportent que le Sauveur prit avec lui ses disciples six jours après, ce qui nous autoriserait à dire que nous ressusciterons après six mille ans, car mille ans sont comme un jour devant Dieu (Ps 89) ; mais on compte plus de six mille ans jusqu’à la résurrection, et nous préférons voir dans ces six jours la figure des six jours de la création du monde, en ce sens que par le temps, il faut entendre les oeuvres, et par les oeuvres, le monde. Aussi la résurrection ne doit s’accomplir qu’après que les temps marqués pour l’existence du monde seront écoulés. Peut-être encore, est-ce pour figurer que celui qui se sera élevé au-dessus du monde, et aura traversé la courte durée de la vie de ce siècle, sera placé comme en un lieu sublime pour attendre le fruit de la résurrection qui dure éternellement. — Bède. Aussi, voyez le Sauveur monter sur une montagne pour y prier et y être transfiguré, et en même temps nous apprendre que ceux qui attendent le fruit de la résurrection et désirent voir le roi dans sa gloire (Is 13, 17), doivent habiter les cieux en esprit, et faire de leur vie une prière continuelle.

S. Ambr. Dans ces trois disciples que le Sauveur conduit sur la montagne, je serais porté à voir la figure du genre humain tout entier, qui est descendu des trois enfants de Noé, si ces disciples n’avaient été expressément choisis. Ceux qui sont jugés dignes de monter sur la montagne, sont au nombre de trois, parce que personne ne peut voir la gloire de la résurrection, s’il n’a conservé dans toute son intégrité, la foi au mystère de la Trinité.

Bède. Dans sa transfiguration, le Sauveur nous donne une idée de sa gloire, ou de sa résurrection future, ou de la notre, car après le jugement, il apparaîtra à tous les élus tel qu’il est apparu aux Apôtres. Le vêtement du Seigneur, c’est le choeur des saints qui l’environnent ; tandis qu’il était sur la terre, ce vêtement paraissait méprisable, mais aussitôt qu’il monte sur la montagne, il brille d’un éclat nouveau ; c’est ainsi que, " bien que nous soyons les enfants de Dieu, ce que nous serons un jour ne paraît pas encore, mais nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui. " (1 Jn 3.)
 

S. Ambr. Ou bien dans un autre sens : Le Verbe de Dieu se rapetisse ou s’agrandit selon la mesure de vos dispositions, et si vous ne montez au sommet le plus élevé de la sagesse, vous ne pouvez voir toute la grandeur de Dieu qui est dans le Verbe. Les vêtements du Verbe sont les paroles de l’Écriture et comme l’enveloppe de l’intelligence divine, et le sens des divins enseignements se dévoile aux yeux de votre âme dans toute sa clarté, de même que les vêtements du Sauveur devinrent d’une blancheur éclatante.
 

vv. 32—36.

Théophyl. Pendant que Jésus priait, Pierre se laisse gagner par le sommeil, car il était faible, et il cède ici à la faiblesse propre à la nature humaine : " Cependant Pierre, et ceux qui étaient avec lui, étaient appesantis par le sommeil, " mais aussitôt qu’ils sont réveillés, ils voient la gloire qui l’environne, et les deux hommes qui étaient avec lui : " Et se réveillant, ils le virent dans sa gloire, et les deux hommes qui étaient avec lui. " — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) On peut encore entendre par ce sommeil, la grande stupeur dont cette vision frappa les Apôtres, car il n’était pas nuit, mais l’éclat de la lumière blessait la faiblesse de leurs yeux. — S. Ambr. En effet, la splendeur ineffable de la divinité est un poids accablant pour la faiblesse de nos sens, car si les yeux qui nous servent à voir les corps ne peuvent regarder en face l’éclat des rayons du soleil, comment les sens corruptibles de l’homme pourraient-ils contempler la gloire de Dieu ? Peut-être aussi, Jésus permit qu’ils fussent appesantis par le sommeil, afin de voir l’image de la résurrection qui suivit le sommeil. ils virent donc le Seigneur dans sa gloire, lorsqu’ils se furent réveillés, car ce n’est qu’à cette condition qu’on peut voir la gloire du Christ. Pierre en fut ravi de joie, et la gloire de la résurrection captiva celui que les délices du siècle ne devaient pas séduire : " Et comme ils le quittaient, " etc. — S. Cyr. Peut-être Pierre pensait-il que le temps du royaume de Dieu approchait, et c’est pourquoi il demande à rester sur la montagne. — S. Jean Damasc. (Disc. sur la transfig.) Il ne vous est pas avantageux, ô Pierre, que Jésus reste sur la montagne, car s’il y fut resté, la promesse qu’il vous a faite n’aurait pas eu son accomplissement, vous n’auriez pas reçu les clefs du royaume, et l’empire de la mort n’eût pas été détruit. Ne cherchez pas le bonheur avant le temps marqué, comme Adam, qui cherchait à devenir semblable à Dieu. Viendra un jour où vous contemplerez éternellement cette sublime vision, et où vous habiterez avec celui qui est la lumière et la vie.
 

S. Ambr. Cependant Pierre, toujours prompt, non seulement à manifester son amour, mais à donner des preuves de son dévouement, offre dans sa pieuse activité, au nom de ses compagnons, de construire trois tentes : " Faisons trois tentes, une pour vous, " etc. — S. Jean Dam. Le Seigneur vous a donné la mission de construire, non point des tentes, mais l’Église universelle ; vos disciples, vos brebis ont accompli votre désir en construisant une tente pour le Christ et aussi pour ses serviteurs. Du reste, saint Pierre ne parlait pas ainsi de lui-même, mais par une inspiration de l’Esprit saint, qui lui révélait les choses futures, c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : " Ne sachant ce qu’il disait. " — S. Cyr. Il ne savait ce qu’il disait, car on n’était pas encore à la fin des siècles, et le temps n’était pas encore venu pour les saints, de participer au bonheur qui leur était promis. Et alors que l’oeuvre de la rédemption ne faisait que commencer, comment Jésus-Christ aurait-il cessé d’aimer le monde et de vouloir mourir pour lui ? — S. Jean Damasc. Il était d’ailleurs de la bonté comme de la justice de Dieu, de ne point restreindre le fruit de l’incarnation à ceux qui étaient sur la montagne avec Jésus, mais de L’étendre à tous ceux qui embrasseraient la foi, ce qui ne devait s’accomplir que par les souffrances de sa passion et par sa croix. — Tite de Bostr. Pierre ne savait pas ce qu’il disait, pour une autre raison, c’est qu’il n’était pas besoin de trois tentes pour les trois dont il parle, car on ne peut mettre les serviteurs sur le même rang que leur maître, ni comparer la créature au Créateur. — S. Ambr. D’ailleurs la condition naturelle à l’homme dans ce corps corruptible, ne lui permet d’élever un tabernacle à Dieu, ni dans son âme, ni dans son corps, ni dans tout autre lieu. Cependant, quoiqu’il ne sût pas ce qu’il disait, Pierre offre ses services au Sauveur, et son zèle ne vient pas ici d’une vivacité irréfléchie, mais d’un dévouement prématuré qui était comme le fruit de son amour pour Jésus ; son ignorance venait de sa condition, sa proposition de son dévouement. — S. Chrys. (hom. 57 sur S. Matth.) Ou bien encore, il entendait le Sauveur déclarer qu’il lui fallait mourir, et ressusciter le troisième jour, et comme il contemplait l’étendue de l’espace et de la solitude où il se trouvait, il jugea que ce lieu offrait plus de sûreté, ce qui lui fait dire : " Il est bon pour nous d’être ici. " Ajoutez qu’il voyait Moïse, qui entra autrefois dans la nuée (Ex 24), et Élie, qui fit descendre le feu du ciel (4 R 1), et vous comprendrez le trouble de son esprit, que l’Évangéliste veut exprimer par ces paroles : " Il ne savait ce qu’il disait. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 56.) Saint Luc, dit de Moïse et d’Élie : " Comme ils se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il nous est bon d’être ici, " ce qui n’est nullement en contradiction avec le récit de saint Matthieu et de saint Marc, d’après lequel Pierre tint ce langage, alors que Moïse et Élie s’entretenaient encore avec le Seigneur, car ces deux Évangélistes ne se sont pas expliqués, mais ont gardé le silence sur ce que dit saint Luc, que Pierre parla ainsi, alors que Moïse et Élie se retiraient.

Théophyl. Pendant que Pierre disait : " Faisons trois tentes, " le Seigneur se construit une tente qui n’est pas faite de main d’homme, et il y entre avec les prophètes : " Il parlait encore, lorsqu’une nuée se forma et les enveloppa de son ombre, " Le Sauveur montre ainsi qu’il n’est pas inférieur à son Père, car de même que dans l’Ancien Testament, nous lisons que Dieu habitait dans une nuée, ainsi le Seigneur est enveloppé d’une nuée non plus ténébreuse mais éclatante. — S. Bas. C’est, qu’en effet, les obscurités de la loi étaient dissipées, car de même que la fumée est produite par le feu, la nuée est produite par la lumière ; et comme la nuée est un symbole de tranquillité, cette nuée qui enveloppe Jésus et les prophètes, figure le repos de la demeure éternelle. — S. Ambr. Cette nuée qui voile le Sauveur, a pour auteur l’Esprit saint, et loin de répandre les ténèbres sur les affections du coeur de l’homme, elle lui révèle les choses cachées. — Orig. (Trait. 3 sur S. Matth.) Les disciples, ne pouvant supporter l’éclat de cette gloire, sont saisis de crainte, et se prosternent en s’humiliant sous la main puissante de Dieu, car ils se rappelaient ces paroles dites à Moïse : " L’homme qui verra ma face, ne vivra point. " Et ils furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée.

S. Ambr. Remarquez que cette nuée n’est point formée par les noires vapeurs d’un air condensé, et ne couvre point le ciel d’épaisses ténèbres, c’est une nuée lumineuse qui, au lieu de nous inonder de torrents de pluie, répand la rosée de la foi et arrose les âmes des hommes à la voix du Dieu tout-puissant : " Et une voix sortit de la nuée, qui disait : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, " ce n’est point Moïse, qui est ce fils, ce n’est point Élie, mais celui-là seul est mon Fils, que vous voyez seul sur la montagne. — S. Cyr. Comment donc pourrait-on croire que celui qui est le vrai Fils de Dieu, ait été fait ou créé, alors que Dieu le Père fait retentir cette voix du haut des cieux : " Celui-ci est mon Fils, " c’est-à-dire, ce n’est pas un de mes fils, mais celui qui est mon Fils en vérité et par nature, et c’est par ressemblance avec lui que les autres sont nies fils adoptifs. Or, Dieu le Père nous commande d’obéir à ce Fils par ces paroles : " Écoutez-le, " et écoutez-le plus que Moïse et Élie, car le Christ est la fin de la loi et des prophètes (Rm 10, 4 ; Mt 11, 13), aussi est-ce avec un dessein marqué, que l’Évangéliste ajoute : " Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul. " Théophyl. C’était afin que personne ne pût penser que ces paroles : " Celui-ci est mon Fils bien-aimé, " s’appliquaient à Moïse ou à Élie. Ces deux personnages disparaissent aussitôt que Dieu le Père proclame la divinité du Sauveur, ils étaient trois au commencement de la transfiguration, il n’en reste plus qu’un seul à la fin ; la perfection de la foi produit cette unité. Ils sont donc comme reçus dans le corps de Jésus-Christ, pour nous apprendre que nous aussi nous ne ferons qu’un avec Jésus, ou peut-être encore, parce que la loi et les prophètes ont le Verbe pour auteur. — Théophyl. Ce qui doit son existence au Verbe prend également fin dans le Verbe, et Dieu nous apprend pat cette conduite que la loi et les prophètes ne devaient apparaître que, pour un temps, comme Moïse et Élie, dans la transfiguration, et qu’ils devaient ensuite disparaître pour laisser la place à Jésus seul ; en effet, la loi a cessé d’exister pour faire place à l’Évangile, qui demeure éternellement. — Bède. Remarquez que le mystère de la Trinité tout entière est révélé dans la transfiguration de Jésus sur la montagne, comme il l’avait été lors de son baptême dans le Jourdain, et parée qu’en effet, nous verrons dans la résurrection la gloire de celui que nous avons confessé dans le baptême. Et ce n’est pas sans raison que l’Esprit saint apparaît ici sous la forme d’une nuée lumineuse, tandis qu’au baptême du Sauveur, il apparaît sous la forme d’une colombe, pour nous apprendre que celui qui conserve dans la simplicité de son coeur la foi qu’il a reçue, contemplera un jour dans la lumière d’une vision manifeste les vérités qui ont été l’objet de sa foi.

Orig. (Traité 3 sur S. Matth.) Jésus ne veut point qu’on fasse connaître avant sa passion ces glorieuses manifestations : " Et ils se turent, et en ces jours-là ils ne dirent rien à personne de ce qu’ils avaient vu, " car on eût été scandalisé (le peuple surtout), de voir crucifié celui que Dieu avait ainsi glorifié. — S. Jean Damas. (disc. sur la Transfig.) Le Sauveur leur fit aussi cette recommandation, parce qu’il connaissait l’imperfection de ses disciples, qui n’avaient pas encore reçu la plénitude de l’Esprit saint, il ne voulait ni exposer aux sentiments d’une profonde tristesse ceux qui n’avaient pas été témoins de sa gloire, ni exciter contre lui la jalouse fureur de son traître disciple.
 

vv. 37—44.

Bède. Nous voyons ici un parfait rapport entre les lieux et les choses ; sur la montagne, Notre-Seigneur prie, se transfigure, et dévoile à ses disciples les secrets de sa Majesté. Lorsqu’il descend dans la plaine, la foule s’empresse autour de lui : " Le jour suivant, comme ils descendaient de là montagne, une foule nombreuse vint au-devant d’eux. " Sur la montagne, il fait entendre la voix du Père, dans la plaine, il chasse les mauvais esprits : " Et voilà que de la foule, un homme s’écria : Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils. " — Tite de Bostr. J’admire la sagesse de cet homme, il ne dit pas au Sauveur : Faites ceci ou cela, mais : " Jetez un regard, " car cela suffit pour sa guérison ; c’est dans le même sens que le Roi-prophète disait : " Jetez les yeux sur moi, et ayez pitié de moi. " (Ps 24, 16 ; Ps 85, 15 ; Ps 118, 132). Cet homme dit à Jésus : " Jetez un regard sur mon fils, " pour motiver la hardiesse qui le portait à crier seul au milieu de cette multitude. Il ajoute : " Car c’est le seul que j’aie, " c’est-à-dire, je ne puis espérer d’autre consolation de ma vieillesse. Il expose ensuite la nature de sa maladie, pour émouvoir la compassion du Sauveur : " Un esprit se saisit de lui, " etc. Enfin, il semble accuser les disciples, mais il paraît bien plus vouloir excuser sa hardiesse. Ne pensez pas, semble-t-il dire au Sauveur, que je viens à vous avec légèreté, votre dignité impose, et je me suis bien gardé de vous importuner tout d’abord ; j’ai commencé par m’adresser à vos disciples, mais comme ils n’ont pu guérir mon fils, je suis forcé de recourir à vous. Aussi les reproches du Seigneur ne s’adressent pas à cet homme, mais à cette génération incrédule : " Et Jésus prenant la parole, leur dit : O race infidèle, " etc.
 

S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Cependant nous voyons par plusieurs expressions rapportées dans le saint Évangile, que cet homme était encore bien faible dans la foi ; ainsi il dit au Sauveur : " Aidez mon incrédulité. " (Mc 9, 23.) Et encore : " Si vous pouvez. " (Mc 9, 21.) Et Notre-Seigneur même lui dit : " Tout est possible à celui qui croit. " (vers. 22.) — S. Cyr. Le motif le plus probable du reproche d’incrédulité que le Sauveur fait à cet homme, est donc l’accusation portée contre les saints Apôtres, qu’ils ne pouvaient commander aux démons ; il aurait dû bien plutôt honorer Dieu en implorant son secours, car Dieu exauce ceux qui lui rendent l’honneur qui lui est dû. Mais accuser ceux qui ont reçu de Jésus-Christ le pouvoir de chasser les démons d’impuissance sur ces esprits mauvais, c’est attaquer la grâce de Dieu elle-même, plutôt encore que ceux qui l’ont reçue et par lesquels Jésus-Christ manifeste ses divines opérations. C’est donc offenser Jésus-Christ que d’accuser les saints auxquels il a confié la prédication de la parole sainte, aussi voyez comment le Seigneur réprimande cet homme et tous ceux qui partagent ses sentiments : " O génération infidèle et perverse, " comme s’il lui disait : C’est à cause de votre infidélité que la grâce n’a pas produit son effet.

S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Jésus ne s’adresse pas seulement à cet homme, pour ne point le jeter dans le trouble, mais à tous les Juifs, car il est vraisemblable qu’un grand nombre d’entre eux s’étaient scandalisés, et avaient conçu des soupçons injustes contre les disciples. — Théophyl. Le Sauveur, en les appelant génération perverse, démontre qu’ils n’étaient pas mauvais par principe et par nature, car en qualité de fils d’Abraham, ils étaient droits par nature, et c’est par leur malice qu’ils s’étaient volontairement pervertis. — S. Cyr. Ils étaient comme des hommes qui né savent point suivre la voie droite. Or, Jésus-Christ dédaigne de demeurer avec ceux qui sont ainsi disposés : " Jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? " Leur commerce lui devient comme insupportable, à cause de la dépravation de leur coeur. — S. Chrys. Il nous fait voir en même temps combien il désirait la mort, et qu’il redoutait moins le supplice de la croix que de rester plus longtemps avec eux. — Bède. Ce n’est point que le Sauveur, si plein de mansuétude et de douceur, se soit laissé dominer par un sentiment d’aigreur et d’ennui, mais il parle ici comme un médecin qui, voyant un malade agir contre ses prescriptions, lui dirait : " A quoi bon venir plus longtemps vous visiter, puisque vous faites tout le contraire de ce que j’ordonne. " Il est si vrai que ce n’est pas contre cet homme, mais contre la mauvaise disposition de son âme qu’il est irrité, qu’il ajoute aussitôt : " Amenez ici votre fils. " — Tit. de Bostr. Le Sauveur pouvait le délivrer d’un seul mot, mais il veut faire constater sa maladie, en l’exposant aux regards de tous ceux qui l’entouraient. Aussitôt que le démon sentit la présence du Seigneur, il agita convulsivement l’enfant : " Et comme l’enfant s’approchait, le démon le jeta contre terre et l’agita violemment. " Le Sauveur voulait que sa maladie fût bien établie avant d’y apporter remède. — S. Chrys. Gardons-nous de croire cependant que Je Seigneur obéisse ici à un motif d’ostentation, il agit ainsi dans l’intérêt du père, qu’il veut amener à croire le miracle qu’il va opérer, en lui faisant voir le démon rempli de trouble à sa seule parole : " Et Jésus commanda avec menace à l’esprit impur, et il guérit l’enfant, et il le rendit à son père. " — S. Cyr. Jusque-là, en effet, il n’appartenait pas à son père, mais au démon qui le possédait. L’Evangéliste ajoute, que tous étaient stupéfaits à la vue de ces grandes choses que Dieu opérait : " Et tous étaient stupéfaits de la puissance de Dieu. " L’auteur sacré veut ici relever l’excellence du don que Jésus-Christ avait fait aux saints Apôtres, en leur accordant le pouvoir divin de faire des miracles et de commander aux démons.

Bède. Dans le sens mystique, nous voyons ici que le Seigneur agit tous les jours avec les hommes, selon le degré de leurs mérites, il monte avec les uns, en élevant sur les hauteurs les plus sublimes les âmes parfaites, dont la vie est tout entière dans le ciel (Ph 3, 20), les instruisant des secrets de l’éternité, et en leur enseignant des vérités qui ne peuvent être entendues de la foule ; il descend avec les autres, c’est-à-dire, avec les âmes qui ont encore les goûts de la terre et sont privés de la véritable sagesse, en les fortifiant, en les enseignant et en les châtiant. Saint Matthieu fait remarquer que ce possédé était lunatique (Mt 18) ; saint Marc, qu’il était sourd et muet (Mc 9). Il est ainsi la figure de ceux qui sont inconstants comme la lune (Qo 27, 12), et que l’on voit successivement croître et décroître dans les vices auxquels ils sont livrés ; de ceux encore qui sont muets, parce qu’ils ne confessent pas la foi, et de ceux qui sont sourds, parce qu’ils n’entendent pas la parole de la foi. A peine l’enfant s’est-il approché du Seigneur, qu’il est violemment agité ; c’est qu’en effet, le démon soumet à de plus rudes tentations ceux qui se convertissent à Dieu, pour leur inspirer l’éloignement de la vertu, ou pour venger l’affront qu’on lui fait en le chassant. C’est ainsi que dans les commencements de l’Église, il lui livra autant de combats acharnés qu’il eut à souffrir de coups portés à son empire. Ce n’est point l’enfant qui souffrait cette violence que le Sauveur reprend avec menace, mais le démon qui en était l’auteur, parce qu’en effet, celui qui désire ramener au bien un pécheur doit poursuivre le vice de ses reproches et de sa haine, mais donner à l’homme pécheur les témoignages d’un amour sincère, jusqu’à ce qu’il l’ait remis guéri de ses infirmités entre les mains des pères spirituels de l’Église.
 

vv. 44-48.

S. Cyr. Tout ce que faisait Jésus excitait l’admiration générale, car chacune de ses oeuvres brillait d’un éclat surnaturel et divin, selon cette parole du Roi-prophète : " Vous l’avez environné de gloire et de beauté. " (Ps 20.) Cependant, quoique cette admiration fût commune à tous ceux qui étaient témoins de ses oeuvres, ce n’est qu’à ses disciples qu’il adresse les enseignements qui suivent : " Et comme ils admiraient tout ce que faisait Jésus, il dit à ses disciples, " etc. Il avait découvert à ses disciples sur la montagne une partie de sa gloire, puis il avait délivré un possédé du malin esprit, mais il fallait qu’il se dévouât pour notre salut aux souffrances de sa passion. Or, les disciples pouvaient lui dire dans le trouble où les jetait cette triste prédiction : Est-ce que nous avons été trompés en croyant que vous étiez Dieu ? C’est donc afin de leur faire connaître ce qui devait lui arriver, qu’il leur commande de garder comme un dépôt dans leur âme le mystère de sa passion : " Pour vous, mettez bien ceci dans votre coeur. " Il dit : " Pour vous, " afin de les distinguer des autres, car pour le peuple il ne devait pas encore connaître qu’il devait souffrir, mais pour éviter tout scandale, il devait plutôt recevoir l’assurance que le Sauveur ressusciterait vainqueur de la mort. — Tite de Bostr. C’est lorsque tous sont dans l’admiration à la vue des prodiges qu’il opère, qu’il leur prédit lui-même sa passion, car ce ne sont point les miracles qui sauvent les hommes, c’est la croix qui est pour eux la source de toutes les grâces : " Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes. " — Orig. (traité 4 sur S. Matth.) Il n’exprime pas ouvertement quel est celui qui le livrera, les uns disent que ce doit être Judas, les autres, le démon ; saint Paul affirme au contraire, que c’est Dieu le Père qui l’a livré à la mort pour nous tous. (Rm 8) ; c’est-à-dire que Judas l’a livré pour une somme d’argent dans un dessein perfide, tandis que Dieu le Père l’a livré pour la rédemption des hommes.
 

Théophyl. Cependant le Sauveur ne permit point que ses disciples comprissent cette prédiction de sa croix, par condescendance pour leur faiblesse, et parce qu’il les conduisait d’après un plan arrêté et en suivant une marche progressive : Aussi l’Évangéliste ajoute : " Mais ils n’entendaient pas cette parole, " etc. — Bède. Cette ignorance des disciples avait moins pour cause la pesanteur de leur esprit, que leur amour pour Jésus-Christ. Ils étaient encore charnels, ils ne connaissaient pas encore le mystère de la croix, et ils ne pouvaient s’imaginer que celui qu’ils regardaient comme vrai Dieu, devait être soumis à la mort. Et comme le Sauveur leur parlait souvent par figures, ils pensaient qu’en annonçant qu’il serait livré, il voulait exprimer figurativement quelqu’autre vérité. — S. Cyr. On demandera peut-être comment les disciples de Jésus-Christ pouvaient ignorer le mystère de la crois, puisque la loi, qui était pleine de figures, y faisait allusion en plusieurs endroits. Nous répondons avec saint Paul, que jusqu’à ce jour, lorsque les Juifs lisent Moïse, ils ont un voile sur le coeur. Ceux qui veulent s’approcher de Jésus-Christ, doivent donc lui dire : " Ôtez le voile qui est sur mes yeux, et je contemplerai les merveilles de votre loi. " — Théophyl. Remarquez encore la réserve respectueuse des disciples : " Et ils craignaient même de l’interroger sur ce sujet, " car la crainte est un degré du respect.
 

vv. 46—48.

S. Cyr. Le démon tend des piéges de toute sorte à ceux qui s’attachent à vivre saintement ; lorsqu’il peut séduire une âme par l’attrait des plaisirs charnels, il excite en elle l’amour des voluptés ; si elle échappe à cette tentation, il cherche à la rendre esclave d’une autre passion, de l’amour de la gloire, et c’est ce désir de la vaine gloire qui s’empare de quelques-uns des Apôtres : " Il leur vint en pensée lequel d’entre eux était le plus grand. " Or, avoir cette pensée, c’est désirer être plus grand que les autres. Il n’est pas vraisemblable que tous les disciples aient succombé à ce sentiment de vaine gloire, et c’est pour ne point faire tomber sur quelqu’un d’entre eux cette accusation, que l’Évangéliste s’exprime d’une manière générale : " Il leur vint en pensée. " — Théophyl. Il paraît que cette pensée leur vint de ce qu’ils n’avaient pu guérir cet homme qui était possédé ; dans la discussion qu’ils eurent à ce sujet, l’un disait Ce n’est point par suite de mon impuissance que je n’ai pu le guérir, c’est le fait d’un autre, et telle fut la cause de cette dispute sur celui d’entre eux qui étaient le plus grand. — Bède. On peut dire encore que les Apôtres ayant va le Sauveur faire choix de Pierre, Jacques et Jean, pour les conduire séparément sur la montagne, et promettre à Pierre les clefs du royaume des cieux, se persuadèrent que ces trois disciples avaient le pas sur eux, ou que Pierre était mis à la tête de tous les Apôtres. Ou bien enfin, ils crurent que Pierre était placé au-dessus d’eux, parce que le Sauveur l’avait comme égalé à lui-même dans le paiement du tribut. Cependant le lecteur attentif trouvera qu’ils avaient agité entre eux cette question avant qu’il fût question de ce tribut. D’ailleurs saint Matthieu rapporte cette discussion comme ayant eu lieu à Capharnaüm (Mt 18) ; saint Marc fait de même : " Et ils vinrent à Capharnaüm, et lorsqu’ils furent dans la maison, il leur demanda : Que discutiez-vous en chemin ? Et ils se taisaient, parce que dans le chemin, ils avaient disputé ensemble qui d’entre eux était le plus grand. " — S. Cyr. Le Seigneur, qui sait prendre les moyens les plus convenables pour nous sauver, voit naître dans l’esprit des disciples cette pensée d’orgueil comme une racine d’amertume (cf. He 12, 5), il l’extirpe donc entièrement avant qu’elle se soit développée ; car rien de plus facile que de triompher de nos passions lorsqu’elles ne font que de naître, mais lorsqu’elles ont pris de l’accroissement, il est on ne peut plus difficile de les détruire : " Mais Jésus, voyant les pensées de leur coeur, " etc. — Que celui qui ne veut voir en Jésus-Christ qu’un homme, reconnaisse ici son erreur : le Verbe s’est fait chair, il est vrai, mais il n’a pas cessé d’être Dieu ; car à Dieu seul, il appartient de sonder les coeurs et les reins. Il prend un enfant et le place près de lui, pour l’instruction des Apôtres et pour la nôtre ; car la maladie de la vaine gloire s’attaque principalement à ceux qui ont quelque supériorité sur les autres hommes. Un enfant, au contraire, a l’âme candide, le coeur pur, une grande simplicité dans ses pensées ; il n’ambitionne pas les honneurs, il ne recherche aucune distinction, il ne craint point de paraître inférieur aux autres, son esprit, comme son coeur sont exempts de toute rigoureuse exigence. Tels sont ceux que le Seigneur affectionne et chérit tendrement, qu’il daigne placer près de lui, parce qu’ils ont les inclinations et les goûts de son propre coeur. C’est lui qui nous dit en effet : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. " Et ici : " Quiconque recevra cet enfant en mon nom, me reçoit, " Voici le sens de ces paroles : Puisqu’il n’y a qu’une seule et même récompense pour ceux qui honorent les saints, qu’ils soient petits aux yeux des hommes, ou qu’ils soient environnés d’honneur et de gloire, parce que c’est Jésus-Christ qu’on reçoit dans leur personne, quelle vanité de se disputer la prééminence ! — Bède. Le Sauveur veut ici apprendre à ceux qui veulent être les premiers à recevoir en son nom et par honneur pour lui les pauvres de Jésus-Christ, ou à imiter l’innocence des petits enfants (cf. 1 Co 14, 20). Aussi, après avoir dit : " Quiconque recevra cet enfant, " il ajoute : " En mon nom, " pour engager ses disciples à suivre, par raison et au nom de Jésus-Christ, ces exemples de vertu qu’un enfant pratique et donne naturellement. Mais comme c’est lui qu’on doit recevoir en recevant un enfant, et que lui-même a daigné se faire enfant pour nous, on aurait pu croire qu’il n’était que ce qu’il paraissait extérieurement, aussi ajoute-t-il : " Et quiconque me recevra, reçoit celui qui m’a envoyé. " Ainsi il veut qu’on le croie tout à fait semblable et aussi grand qu’est son Père. — S. Ambr. En effet, celui qui reçoit un imitateur du Christ, reçoit le Christ lui-même ; et celui qui reçoit l’image de la substance de Dieu, reçoit aussi Dieu lui-même. Mais comme nous ne pouvions voir l’image de Dieu, Dieu nous l’a rendue sensible et présente par l’incarnation du Verbe, pour nous réconcilier avec la divinité qui est au-dessus de nous,

S. Cyr. Le Sauveur explique encore plus à fond le sens des paroles qui précèdent : " Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, est le plus grand, " paroles qui conviennent à l’âme qui est humble, qui, par un profond sentiment de modestie, n’ose avoir aucune grande pensée d’elle-même. — Théophil. Notre-Seigneur venait de dire : " Celui qui est le plus petit parmi vous, est le plus grand, " Jean craignit donc qu’ils ne se fussent rendus coupables en faisant en leur nom une défense formelle à un homme qui chassait les démons ; car faire défense n’est pas un acte d’infériorité, mais le signe d’une autorité supérieure : " Jean, prenant la parole, lui dit : Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en notre nom, et nous l’en avons empêché. " Ce n’était point par un sentiment d’envie, mais parce qu’ils voulaient s’assurer de la nature et de l’authenticité de ces miracles. En effet, cet homme n’avait pas été revêtu, comme eux, du pouvoir d’opérer des prodiges ; il n’avait pas reçu, comme eux, la mission divine, il ne marchait pas continuellement à la suite de Jésus-Christ, comme Jean l’affirme : " Il ne vous suit pas avec nous. " — S. Ambr. Jean, le plus aimant des disciples, et pour cela le plus aimé, croit qu’on doit refuser ce pouvoir tout divin à celui qui n’est point le disciple fidèle de Jésus. — S. Cyr. Il eût été plus raisonnable de penser que cet homme n’était pas l’auteur des miracles qu’on lui voyait opérer, mais la grâce divine qui agit dans celui qui fait des miracles au nom et par la puissance du Christ. Qu’importe que ceux qui ont reçu cette grâce de Jésus-Christ, ne sont point comptés parmi les Apôtres ? Les dons du Christ sont très-différents, mais comme le Sauveur avait spécialement donné aux Apôtres le pouvoir de chasser les esprits immondes (Mt 10), ils s’imaginèrent que c’était un privilège qui leur était exclusivement personnel, et c’est pour cela qu’ils s’approchent de Notre-Seigneur pour lui demander si d’autres partageaient ce pouvoir avec eux.
 

S. Ambr. Le Sauveur ne fait aucun reproche à Jean, parce qu’il agissait sous l’inspiration de son amour, mais il lui apprend à connaître la différence qui sépare les chrétiens faibles de ceux qui sont morts. Le Seigneur récompense ceux qui sont forts, mais il n’exclut pas pour cela ceux qui sont plus faibles : " Et Jésus lui dit : Ne l’en empêchez point, car celui qui n’est point contre vous, est pour vous, " Oui, Seigneur, vous dites vrai, car Joseph et Nicodème étaient vos disciples cachés par crainte, et cependant ils ne vous refusèrent pas en son temps le témoignage de leur fidélité et de leur amour. Et toutefois, comme vous avez dit vous-même ailleurs : " Celui qui n’est pas avec moi, est contre moi ; et celui qui ne recueille pas avec moi, dissipe " (Lc 11, 23) ; daignez faire disparaître cette apparente contradiction. Quant à moi, je pense que celui qui considérera attentivement le divin scrutateur des coeurs, sera convaincu qu’il discerne les actions des hommes par l’intention qui les produit. — S. Chrys. (hom. 42 sur S. Matth.) En effet, lorsqu’il dit : " Celui qui n’est pas avec moi est contre moi, " il veut faire connaître à ses disciples que le démon et les Juifs sont contre lui ; mais ici, il veut leur apprendre que cet homme, qui chassait les démons au nom de Jésus-Christ, était en partie de leur côté. — S. Cyr. Comme s’il disait : A cause de vous qui aimez le Christ, il en est qui cherchent tout ce qui a rapport à sa gloire, et qui ont reçu le même grâce.

Théophyl. Qu’elle est admirable la puissance de Jésus-Christ, et comme sa grâce opère par des hommes indignes qui ne sont pas ses disciples ! C’est ainsi que les prêtres produisent la sanctification dans les âmes, bien qu’ils n’aient pas eux-mêmes la grâce de la sainteté.

S. Ambr. Mais pourquoi ne veut-il pas qu’on empêche ceux qui, par l’imposition des mains, ont le pouvoir de commander aux esprits immondes au nom de Jésus, tandis que dans l’Évangile de saint Matthieu, il leur dit : " Je ne vous connais point ? " Il n’y a ici aucune contradiction, nous devons seulement conclure de ces dernières paroles, que le Sauveur ne demande pas seulement aux clercs les oeuvres de leur ministère, mais des oeuvres de vertu ; et que le nom de Jésus-Christ renferme une si grande puissance, qu’il la communique à ceux mêmes qui sont loin d’être saints, pour le bien de leurs frères, mais non pour leur propre sanctification. Que personne donc ne s’attribue le mérite de la guérison spirituelle d’un homme, que la puissance du nom éternel de Dieu a délivré de ses crimes ; ce n’est point votre mérite, mais la haine que Dieu porte au démon, qui est la cause de sa défaite. — Bède. Lorsque donc nous rencontrons des hérétiques et des mauvais catholiques, ce que nous devons détester et combattre en eux, ce ne sont pas les pratiques qui nous sont communes avec eux, et qui sont comme un lien d’unité qui les rattache encore à nous, mais la division contraire à la paix et à la vérité, qui les rend nos ennemis.
 

vv. 51-56.

S. Cyr. Comme le temps approchait où le Seigneur devait, après les souffrances de sa passion, remonter au ciel, il résolut de se rendre à Jérusalem : " Les jours où il devait être enlevé de ce monde étant près de s’accomplir, " etc. — Tite de Bostr. Il fallait, en effet, que le véritable agneau fût offert là où l’agneau figuratif était immolé. L’Évangéliste dit qu’il " affermit son visage, " c’est-à-dire qu’il n’allait point de côté et d’autre, qu’il ne parcourait point les bourgs et les villages, mais qu’il se rendait directement à Jérusalem. — Bède. Que les païens cessent donc d’insulter, comme un homme, ce crucifié qui a prévu, certainement comme Dieu, le temps de son crucifiement, et qui, consentant à cette mort ignominieuse, a marché avec une contenance ferme, c’est-à-dire avec une âme résolue et intrépide.

S. Cyr. Il envoie devant lui des messagers, pour lui préparer un logement et à ceux de sa suite, mais, lorsqu’ils arrivèrent dans le pays de Samarie, ils ne furent point reçus : " Et il envoya devant lui quelques-uns de ses disciples, et ils partirent et entrèrent dans un bourg de Samarie pour lui préparer un logement ; mais les habitants refusèrent de le recevoir. " — S. Ambr. Remarquez que le Sauveur ne voulut point être reçu par ceux qu’il savait n’être point sincèrement convertis ; s’il l’eût voulu, il eût changé leurs mauvaises dispositions, et leur eût inspiré un véritable dévouement pour sa personne ; mais Dieu appelle qui il veut, et donne aussi suivant sa volonté la grâce de la foi et de la piété. Or, l’Évangéliste nous fait connaître la raison pour laquelle ils refusèrent de le recevoir : " Parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. " — Théophyl. Mais s’ils refusèrent de le recevoir, parce que son intention était de se rendre à Jérusalem, ne sont-ils pas excusables ? Nous répondons qu’il faut entendre ces paroles de l’Evangéliste : " Et ils ne le reçurent pas, " dans ce sens qu’il ne vint même pas dans le pays de Samarie, " et qu’à cette question : Pourquoi ne l’ont-ils pas reçu ? l’auteur sacré répond, que ce n’est point par impuissance de sa part, mais parce qu’au lieu de se rendre dans le pays de Samarie, il aima mieux aller à Jérusalem. — Bède. On peut dire aussi que les Samaritains ne voulurent point le recevoir, par ce qu’ils le voyaient se diriger vers Jérusalem, car selon la remarque de saint Jean, les Juifs ne communiquent pas avec les Samaritains. (Jn 4.)

S. Cyr. Le Sauveur, qui connaissait toutes choses avant leur accomplissement, savait bien que ceux qu’il envoyait, ne seraient pas reçus par les Samaritains ; il leur commande cependant d’aller annoncer sa venue, parce qu’il agissait toujours dans l’intérêt de ses disciples. Il se rendait à Jérusalem aux approches de sa passion, c’est donc pour leur épargner le scandale de ses souffrances, et leur apprendre à supporter patiemment les outrages, qu’il permit ce refus des Samaritains, comme une espèce de prélude de ce qu’il devait souffrir. Il leur donnait encore une autre leçon, ils étaient destinés à être un jour les docteurs de tout l’univers, et devaient parcourir les villes et les bourgades pour y prêcher l’Évangile, et ils devaient nécessairement rencontrer des hommes qui refuseraient de recevoir cette sainte doctrine, et ne permettraient pas à Jésus de demeurer au milieu d’eux. Il leur apprend donc, qu’eu annonçant cette divine doctrine, ils doivent se montrer pleins de patience et de douceur, fuir tout sentiment de haine et de colère, et ne jamais chercher à sévir contre ceux qui les outrageraient. Mais telles n’étaient point leurs dispositions ; cédant aux mouvements d’un zèle trop ardent, ils voulaient faire tomber sur les Samaritains le feu du ciel : " Ce qu’ayant vu ses disciples, ils lui dirent : Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel descende, " etc. — S. Ambr. Ils se rappelaient que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort des sacrilèges (Nb 25), lui avait été imputé à justice ; et encore, qu’à la prière d’Elie, le feu était descendu du ciel pour venger les outrages faits à ce prophète (4 R 1.) — Bède. Ces saints personnages, en sachant parfaitement que la mort qui sépare l’âme du corps, n’est pas à redouter, ont semblé partager les idées de ceux qui la craignaient, et ont puni quelquefois de mort certains crimes. Ils inspiraient ainsi à ceux qui en étaient témoins une salutaire frayeur, et pour ceux qui étaient punis de mort, ce n’est pas la mort qui leur était funeste, c’eût été bien plutôt le péché qui n’aurait fait que s’accroître, s’ils eussent vécu plus longtemps.

S. Ambr. Laissons la vengeance à celui qui est dominé par la crainte ; celui qui est sans crainte, ne cherche pas à se venger. Nous voyons encore ici que les Apôtres étaient égaux en mérites aux prophètes, puisqu’ils espèrent obtenir le même pouvoir que le prophète ; et l’espérance qu’ils ont de faire descendre le feu du ciel est fondée, puisqu’ils sont les fils du tonnerre. (Mc 3, 17.)

Tite de Bostr. Les disciples estiment que la punition des Samaritains, frappés de mort pour avoir refusé de recevoir le Sauveur, serait beaucoup plus juste que celle des cinquante soldats envoyés pour se saisir d’Élie, son serviteur. — S. Ambr. Le Sauveur, au contraire, ne s’irrite point contre eux, il veut nous apprendre que le désir de la vengeance est incompatible avec la perfection de la vertu, que la plénitude de la charité exclut toute colère, qu’il ne faut point repousser la faiblesse, mais bien plutôt l’aider, et que les âmes vraiment pieuses doivent rejeter bien loin tout mouvement d’indignation, et les âmes magnanimes tout désir de vengeance : " Jésus, se tournant vers eux, les reprit, en disant : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. " — Bède. Le Seigneur ne leur reproche point de vouloir suivre l’exemple du saint prophète, mais l’erreur grossière où ils étaient par rapport à la vengeance, et il les reprend de ce qu’ils désiraient se venger de leurs ennemis, par sentiment de haine plutôt que de les ramener au bien par un sentiment d’affection. Aussi, après qu’il leur eut enseigné comment ils devaient aimer leur prochain comme eux-mêmes, et lors même qu’ils eurent reçu le Saint-Esprit, on vit encore de ces vengeances, quoique plus rarement que dans l’Ancien Testament ; car comme Notre-Seigneur ajoute : " Le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes, mais pour les sauver. " Vous donc qui êtes marqués de son esprit, soyez les imitateurs de ses oeuvres, exercez ici bas la miséricorde, vous jugerez avec justice dans le siècle futur. — S. Ambr. En effet, il ne faut pas toujours punir ceux qui sont coupables ; souvent la clémence est bien plus utile ; elle vous fait pratiquer la patience, et elle inspire au pécheur le désir de devenir meilleur. C’est ainsi que les Samaritains, sur lesquels le Sauveur refusa de faire tomber le feu du ciel, embrassèrent la foi avec plus d’empressement.
 

vv. 57—62.

S. Cyr. Le Seigneur est plein de libéralité pour tous les hommes, cependant il ne donne point indistinctement, et au hasard, les choses célestes et divines ; il les réserve pour ceux qui en sont dignes, c’est-à-dire pour ceux qui savent préserver leur âme des souillures du péché, c’est ce que nous enseigne la parole puissante du saint Évangile : " Pendant qu’ils étaient en chemin, un homme lui dit : Je vous suivrai partout où vous irez. " — Remarquons d’abord que cet homme s’approche de Jésus avec beaucoup de tiédeur, et que, par conséquent, ses prétentions sont excessives ; en effet, il ne demande pas à marcher simplement à la suite de Jésus-Christ, à l’exemple d’un grand nombre, mais il aspire ouvertement à la dignité d’apôtre, contrairement à cette parole de saint Paul : " Personne ne peut s’attribuer cet honneur, mais il faut y être appelé de Dieu. " (He 5.) — S. Athan. Il ose encore s’égaler à la puissance incompréhensible du Sauveur en lui disant : " Je vous suivrai, partout où vous irez. " Car si la nature humaine, dans la condition que Dieu lui a faite, peut suivre le Sauveur pour entendre sa doctrine, il lui est impossible de le suivre partout où il est ; car il est incompréhensible, et n’est circonscrit par aucun lieu. — S. Cyr. Le Sauveur avait encore un autre motif légitime pour ne point accepter l’offre que lui faisait cet homme ; il enseignait qu’il devait auparavant porter sa croix et renoncer aux affections de la vie présente ; et son intention, en lui donnant cette leçon, n’était pas de lui faire un reproche, mais de lui inspirer des dispositions plus parfaites.

" Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, " etc. — Théophyl. Cet homme avait vu le Sauveur entraîner une grande multitude à sa suite ; il s’imagina qu’elle lui payait un tribut, et qu’en s’attachant lui-même au Seigneur, il trouverait le moyen de s’enrichir. — Bède. Aussi Jésus lui répond : " Pourquoi n’avez-vous d’autre motif, en désirant me suivre, que d’obtenir les richesses et les avantages de ce monde, lorsque je suis si pauvre, que je ne possède pas même la plus petite demeure, et que le toit qui m’abrite, ne m’appartient pas ? " — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Voyez avec quelle sévérité le Sauveur pratique la pauvreté qu’il avait enseignée ; il n’avait à lui ni table, ni chandelier, ni maison, ni aucune des choses nécessaires à la vie.

S. Cyr. Dans le sens figuré, les renards et les oiseaux du ciel sont le symbole des puissances malignes et astucieuses des démons, et Jésus semble dire à cet homme : Les renards et les oiseaux du ciel trouvent en vous leur demeure, comment le Christ pourrait-il s’y reposer ? Qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? (2 Co 6, 14.)
 

S. Athan. Ou bien encore, le Seigneur veut montrer ici la grandeur de sa nature, comme s’il disait : Toutes les créatures peuvent être circonscrites par un espace, mais la puissance du Verbe de Dieu ne peut être ni comprise ni limitée par un lieu quelconque. Ne dites donc point : " Je vous suivrai partout où vous irez. " Si cependant vous désirez devenir son disciple, renoncez à tout ce qui est contraire à la raison ; car il est impossible que celui qui se plaît au milieu des choses déraisonnables, devienne le disciple du Verbe. — S. Ambr. Ou bien encore, dans la pensée du Sauveur, les renards sont la figure des hérétiques ; le renard, en effet, est un animal trompeur, toujours occupé à tendre des piéges, et qui ne vit que de fraudes et de rapines, il ne laisse rien en repos, rien en paix, rien en sûreté, et cherche sa proie jusque dans la demeure des hommes. De plus, le renard, animal astucieux, se creuse une tanière, et aime à s’y tenir caché ; tels sont aussi les hérétiques qui ne savent se construire une demeure, mais qui s’efforcent d’enlacer et de resserrer les âmes dans leurs sophismes trompeurs. Enfin, cet animal ni ne s’apprivoise, ni ne peut servir aux usages domestiques. Aussi l’Apôtre fait-il cette recommandation : " Fuyez celui qui est hérétique, après le premier ou le second avertissements " (Tt 3.) Les oiseaux du ciel, qui sont souvent dans les Écritures la figure de la malice spirituelle, construisent leurs nids dans le coeur des méchants ; et tant que la malice et la perfidie dominent leurs affections, Dieu ne peut prendre possession de leur âme ; mais dès qu’il rencontre une âme innocente, il abaisse sur elle, pour ainsi dire, la plénitude de sa majesté, car il entre dans le coeur des bons, en y versant sa grâce avec profusion. Nous ne pouvons donc raisonnablement regarder comme simple et fidèle cet homme que le Sauveur ne juge pas digne de marcher à sa suite, bien qu’il promît de le servir avec un dévouement que rien ne pourrait affaiblir. C’est que le Seigneur ne se contente pas de l’apparence du dévouement, il exige la pureté d’intention, et il ne peut agréer l’obéissance de celui dont il n’approuve point les services. Nous ne devons exercer qu’avec réserve et prudence les devoirs de l’hospitalité spirituelle ; car en ouvrant sans précaution, aux infidèles, la demeure intérieure de notre âme, nous nous exposons à tomber dans leur infidélité par une confiance imprévoyante, Cependant, Dieu, après avoir éloigné cet hypocrite, admet à sa suite un homme sincère, pour nous apprendre qu’il ne rejette point la piété véritable, mais la fidélité mensongère.

" Il dit à un autre : Suivez-moi. " Il savait que cet homme, auquel il s’adressait, avait perdu son père : " Celui-ci lui répondit : Maître, permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. " — Bède. Il ne refuse point de devenir le disciple de Jésus-Christ, mais il veut remplir auparavant les devoirs de la piété filiale, pour le suivre ensuite plus librement.

S. Ambr. Mais le Seigneur appelle sans délai ceux que sa miséricorde a choisis : " Et Jésus lui dit : Laissez les morts ensevelir leurs morts. " Puisque la religion elle-même nous commande de rendre à nos semblables les devoirs de la sépulture, pourquoi le Sauveur défend-il à cet homme d’ensevelir son père, si ce n’est pour nous faire comprendre que ce devoir purement humain, doit le céder aux obligations qui ont Dieu pour objet ? Le désir de cet homme était bon, mais les difficultés que l’accomplissement de ce désir lui créait, étaient plus à craindre ; celui dont le zèle est partagé, partage aussi son amour, et en appliquant ses soins à deux objets différents, il retarde nécessairement les progrès de son âme. Il faut donc remplir d’abord les devoirs les plus importants, à l’exemple des Apôtres qui, pour n’être point absorbés par le soin des pauvres, établirent des ministres pour distribuer les aumônes. — S. Chrys. (hom. 28 sur S. Matth.) Quelle obligation plus pressante que de rendre à un père les derniers devoirs ? Mais encore, quelle obligation plus facile, puisqu’il suffit de quelques instants pour l’accomplir. Le Sauveur veut donc nous apprendre ici à ne point employer inutilement la plus légère partie du temps, lors même que mille circonstances sembleraient nous forcer, et à toujours placer les intérêts spirituels au-dessus des choses les plus nécessaires ; car le démon est sans cesse aux aguets, pour trouver quelque entrée dans notre âme, et s’il surprend la moindre négligence, il nous jette dans un relâchement extrême. — S. Ambr. Le Sauveur ne défend donc pas de rendre à un père les derniers devoirs, mais il place les devoirs de religion au-dessus des devoirs de la piété filiale. Il veut qu’on laisse à ses parents l’accomplissement des uns, mais il fait à ses élus une obligation d’accomplir les autres. Or comment les morts peuvent-ils ensevelir les morts, à moins que vous ne compreniez qu’il y a deux morts différentes, la mort naturelle, et la mort du péché ? Il y a encore une troisième mort, c’est celle qui nous fait mourir au péché, et vivre pour Dieu. (Rm 9.)

S. Chrys. (hom. 28, sur S. Matth.) Cette expression du Sauveur : " Leurs morts ", montrent que ce mort ne lui appartenait pas, sans doute parce qu’il était mort dans l’infidélité. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la bouche des impies est un sépulcre ouvert (Ps 5), le Seigneur commande de détruire la mémoire de ceux dont tout le mérite meurt avec le corps ; il ne détourne donc pas ce fils des devoirs que lui impose la piété filiale, mais il le sépare de tout commerce avec les infidèles. Ce n’est pas l’accomplissement d’un devoir qu’il interdit, c’est un acte de religion qu’il commande, c’est-à-dire qu’il ne faut avoir aucun rapport avec les nations qui sont dans la mort. — S. Cyr. On peut encore dire que le père de ce jeune homme était accablé de vieillesse, et il croyait faire un acte louable en se proposant de pratiquer à son égard les devoirs de la piété filiale, comme Dieu lui-même le commande : " Honorez votre père et votre mère. " (Ex 20.) Aussi Notre-Seigneur l’ayant appelé au ministère évangélique en lui disant : " Suivez-moi, " il demandait un délai pour subvenir aux besoins de son vieux père : " Permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. " Il ne demandait pas d’aller rendre à son père les devoirs de la sépulture, car Jésus-Christ ne l’en eût pas empêché, mais cette expression ensevelir signifiait qu’il désirait soutenir sa vieillesse jusqu’à sa mort. Mais le Seigneur lui répondit : " Laissez les morts ensevelir leurs morts ; " car son père avait d’autres parents aussi proches qui pouvaient prendre soin de lui, mais qui étaient morts, en ce Sens qu’ils n’avaient pas encore embrassé la foi. Apprenez de là que la piété, que nous devons à Dieu, doit l’emporter sur l’amour et le respect que nous devons à nos parents, parce qu’ils nous ont engendrés. En effet, le Dieu de toutes les créatures nous a donné l’être, lorsque nous étions dans le néant, tandis que nos parents n’ont été que les instruments dont il s’est servi pour notre entrée dans la vie.

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 23.) Telle est la réponse que Jésus fit à celui qu’il avait appelé lui-même à sa suite. Un autre disciple s’approcha encore de lui sans avoir été appelé, et lui dit : " Seigneur, je vous suivrai, mais permettez-moi de disposer auparavant de ce que j’ai dans ma maison, " — S. Cyr. La résolution de cet homme est admirable et digne d’éloges ; mais en demandant à renoncer aux biens qu’il possède, pour s’affranchir des soins qu’ils réclament, il montre que son coeur est encore partagé, puisque sa résolution n’est pas encore parfaitement arrêtée. Car vouloir consulter des proches, qui ne consentiront point à ce dessein, c’est montrer une résolution tant soit peu chancelante. Aussi Notre-Seigneur n’approuve pas ce dessein ; " Jésus lui répondit : Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu, " etc. — Mettre la main à la charrue, c’est être disposé à suivre Jésus-Christ par amour ; mais c’est regarder en arrière, que de demander un délai pour avoir occasion de revenir dans sa maison, et de s’entendre avec ses proches. — S. Aug. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Jésus semble lui dire : L’Orient vous appelle, et vous regardez au couchant. — Bède. Mettre la main à la charrue, c’est aussi briser la dureté de son coeur avec le bois et le fer de la passion du Seigneur, comme avec un instrument de pénitence, et ouvrir son âme pour lui faire produire les fruits des bonnes oeuvres. Celui qui se livre à cette culture, et qui, semblable à la femme de Loth (Gn 19, 20), jette un regard de regret et d’affection sur les choses qu’il a laissées, demeure privé de la récompense du royaume éternel. — Chaîne des Pèr. gr. En jetant de fréquents regards sur les choses auxquelles nous avons renoncé, nous sommes entraînés par la force de l’habitude vers les actes de notre vie ancienne. L’usage, en effet, a une force véritable pour nous enchaîner. Est-ce que l’habitude ne naît pas de l’usage ? est-ce que l’habitude, à son tour, ne devient pas une seconde nature ? Or, il est bien difficile de vaincre ou de changer la nature, et si elle cède tant soit peu quand elle y est forcée, elle reprend bien vite son premier empire. — Bède. Si Notre-Seigneur blâme sévèrement ce disciple qui désirait le suivre, parce qu’il voulait d’abord disposer de ce qu’il avait dans sa maison ; que dira-t-il à ceux qui, sans aucun motif d’utilité, visitent fréquemment les maisons de ceux qu’ils ont laissés dans le monde ?
 

 

CHAPITRE X
 

vv. 1-2.

S. Cyr. Dieu avait annoncé clairement par les prophètes, que la prédication de l’Évangile s’étendrait non seulement au peuple d’Israël, mais à toutes les autres nations ; et c’est pourquoi Jésus-Christ, après avoir choisi les douze apôtres, institua soixante-douze disciples : " Après cela, le Seigneur choisit encore soixante-douze autres disciples, " etc. — Bède. Ce choix des soixante-douze disciples est providentiel, parce que l’Évangile devait être prêché dans le monde à autant de nations ; les douze apôtres avaient été choisis pour les douze tribus d’Israël, et ceux-ci sont destinés à enseigner les nations étrangères. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 44.) De même que la lumière parcourt et éclaire tout l’univers dans l’espace de vingt-quatre heures, ainsi la fonction mystérieuse d’éclairer tous les hommes par la prédication du mystère de la Trinité, est confiée à soixante-douze disciples ; car trois fois vingt-quatre font soixante-douze. — Bède. C’est un fait hors de doute que les douze apôtres représentent l’ordre des évêques, de même que les soixante-douze disciples représentent ceux à qui l’Écriture donne le nom d’anciens (c’est-à-dire les prêtres du second ordre.) Cependant, dans les premiers temps de l’Église, on donnait indifféremment aux uns comme aux autres, le nom d’anciens et d’évêques, dont l’un signifie la maturité de la sagesse, et l’autre la sollicitude de la charge pastorale. — S. Cyr. L’élection des soixante-douze disciples avait été figurée par Moïse, qui, par l’ordre de Dieu, avait choisi soixante-dix hommes d’entre le peuple, sur lesquels Dieu répandait son esprit. (Nb 11.) Nous lisons dans le même livre des Nombres (Nb 33), que les enfants d’Israël vinrent à Elim (qui signifie action de monter), où ils trouvèrent douze sources d’eau vive, et soixante-dix palmiers. Or, si nous nous élevons jusqu’à l’interprétation spirituelle, nous trouverons aussi les douze fontaines, c’est-à-dire les saints Apôtres, où nous puisons la science du salut comme aux sources du Sauveur (Is 12, 5), et les soixante-dix palmiers, c’est-à-dire ceux qui sont ici choisis par Jésus-Christ. En effet, le palmier est un arbre qui a une sève abondante, de profondes racines, une fécondité merveilleuse, qui naît au milieu des eaux, et dont le tronc et le feuillage s’élèvent à une très-grande hauteur.

" Et il les envoya deux à deux devant lui. " — S. Grég. (hom. 17 sur les Evang.) Le Sauveur envoie ses disciples prêcher deux à deux, parce qu’il y a deux préceptes de charité, le précepte de l’amour de Dieu, et le précepte de l’amour du prochain, et que d’ailleurs il faut être au moins deux pour exercer la charité. Notre-Seigneur nous fait entendre implicitement par là, que celui qui n’a pas de charité pour son prochain, ne doit nullement se charger du ministère de la prédication. — Orig. Saint Matthieu, dans l’énumération qu’il nous fait des Apôtres, les compte deux par deux, et l’Écriture nous représente comme un usage très ancien cette association de deux personnes pour l’exécution des oeuvres de Dieu. C’est ainsi que Dieu délivra Israël de l’Egypte par les mains de Moïse et d’Aaron (Ex 12) ; et que Josué et Caleb se réunirent pour apaiser le peuple soulevé par les douze hommes envoyés pour explorer la terre de Chanaan (Nb 13 et 25). Aussi lisons-nous dans le livre des Proverbes (Pv 18, 49) : " Le frère qui est aidé par son frère, est comme une ville fortifiée. " — S. Bas. Notre-Seigneur nous enseigne encore par là, que ceux qui ont reçu les mêmes dons spirituels, ne peuvent point faire prévaloir opiniâtrement leur sentiment personnel. — S. Grég. (hom. 17.) Remarquez la mystérieuse signification des paroles qui suivent : " Dans toutes les villes et dans tous les lieux où il devait lui-même arriver. " En effet, le Seigneur vient à la suite de ses prédicateurs ; la prédication lui ouvre les voies, et c’est alors qu’il fait son entrée dans notre âme ; la parole marche devant lui, et introduit ainsi la vérité dans notre coeur, voilà pourquoi le prophète Isaïe dit (Is 40) : " Préparez les voies du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu (cf. Mt 3, 3 ; Mc 1, 5 ; Jn 1, 23). "

Théophyl. Le Seigneur avait choisi les soixante-douze disciples pour répondre aux besoins de la multitude qui manquait de prédicateurs ; car de même que nos champs, couverts de nombreux épis, semblent appeler la faux des moissonneurs ; ainsi la multitude innombrable de ceux qui devaient embrasser la foi, avait besoin de docteurs et de maîtres : " La moisson est grande, " disait Jésus à ses disciples. — S. Chrys. Mais comment peut-il appeler moisson, ce qui ne fait encore que commencer ? Il n’a pas encore mis la charrue dans les champs, ni tracé de sillons, et il parle de moissons. Cette parole pouvait jeter ses disciples dans l’incertitude, et les porter à se dire : Comment, si peu nombreux que nous sommes, pourrons-nous convertir tout l’univers ? comment, nous, ignorants, nous présenter devant des savants, pauvres devant des riches, sujets devant les puissants du siècle. C’est donc pour leur épargner ce trouble intérieur, que le Sauveur appelle l’Évangile une moisson ; comme s’il disait : Tout est prêt, je vous envoie recueillir des fruits parvenus à leur maturité ; car le même jour, vous pourrez semer et moissonner. Voyez le laboureur entrer plein de joie dans les champs, couverts d’une abondante moisson. Or, votre joie doit être beaucoup plus grande en entrant dans le monde, car l’oeuvre à laquelle Dieu vous appelle, est une moisson abondante qui vous présente ses champs, n’attendant que la faux du moissonneur.

S. Grég. (hom. 17.) Mais nous ne pouvons répéter les paroles qui suivent, sans un profond sentiment de douleur : " Les ouvriers sont en petit nombre. " Il en est beaucoup, sans doute, pour écouter les paroles de vie, mais très-peu pour les leur adresser. Voici que le monde est rempli de prêtres, mais qu’il est rare de rencontrer dans la moisson du Seigneur un seul véritable ouvrier. Et la raison, c’est que nous recevons le caractère et la charge du sacerdoce, mais que nous nous mettions peu en peine d’en remplir les devoirs. — Bède. De même que cette moisson abondante représente le grand nombre de ceux qui embrassent la foi, ainsi les ouvriers peu nombreux sont les Apôtres, et ceux qui, à leur exemple, sont envoyés pour recueillir la moisson.
 

S. Cyr. De vastes champs exigent un grand nombre de moissonneurs, ainsi en est-il de la multitude de ceux qui doivent croire en Jésus-Christ. Le Sauveur ajoute : " Priez donc le maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers dans sa moisson. " Remarquez qu’après avoir dit ces paroles : " Priez le maître de la moisson, " il envoie lui-même les ouvriers dans la moisson. Il est donc le maître de la moisson, et c’est par lui et avec lui que le Père exerce son empire sur tous les hommes. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Il a multiplié dans la suite les ouvriers, non pas en augmentant leur nombre, mais en leur communiquant une vertu toute céleste. Il nous fait entendre encore l’excellence de la grâce qui appelle les ouvriers à recueillir cette mission divine, en les exhortant à demander cette grâce au maître de la moisson. — S. Grég. (hom. 17.) Il faut aussi profiter de ces paroles pour exhorter les fidèles à prier pour leurs pasteurs, à demander à Dieu qu’ils travaillent dignement au salut de leurs âmes, et que leur langue ne cesse jamais de les instruire. Car souvent, ce sont les iniquités des prédicateurs qui retiennent leur langue ; mais souvent aussi il arrive que c’est en punition des fautes des simples fidèles, que Dieu retire à ceux qui les dirigent la parole de la prédication.
 

vv. 3-4.

S. Cyr. Saint Luc rapporte ensuite comment Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne aux soixante-douze disciples la science apostolique, la modestie, la sainteté, la justice, comme aussi à ne jamais sacrifier aux intérêts du siècle la prédication de l’Évangile, mais à pousser la force et le courage de l’âme jusqu’à braver toutes les terreurs du monde, même celle de la mort. Il leur dit donc : " Allez. " — S. Chrys. (Hom. 34 sur S. Matth.) Leur grande consolation, au milieu de tous les dangers, c’était la puissance de celui qui les envoyait ; c’est pourquoi il leur dit : " Voilà que je vous envoie, " c’est-à-dire : Cela doit suffire pour votre consolation, pour vous donner toute espérance, et vous affranchir de la crainte des maux qui vous attendent. Il ajoute " Comme des agneaux, au milieu des loups. " — S. Isid. de Séville. (liv. 5, lettre 438 à Timoth.) Comparaison qui exprime la simplicité et l’innocence des disciples ; car ceux qui s’emportent et outragent la nature par leurs excès, il les appelle non point des agneaux, mais des boucs.
 

S. Ambr. Ces animaux sont de moeurs tout opposées, puisque les uns sont dévorés par les autres, c’est-à-dire les agneaux par les loups, mais le bon pasteur ne craint pas pour son troupeau les approches des loups. Aussi envoie-t-il ses disciples, non pour ravager, mais pour répandre la grâce, et la sollicitude du bon pasteur fait que les loups n’osent rien entreprendre contre les agneaux. Il envoie donc les agneaux au milieu des loups, pour accomplir cette prophétie d’Isaïe : " On verra paître ensemble le loup et l’agneau. " (Is 45.) — S. Chrys. (Hom. 14.) Un des signes éclatants du plus glorieux triomphe, ce fut de voir les disciples environnés de tant d’ennemis, comme des agneaux au milieu des loups, les convertir à la foi. — Bède. Ou bien ces loups, ce sont plus particulièrement les scribes et les pharisiens qui sont les ministres des Juifs. — S. Ambr. Ou bien encore, ces loups sont la figure des hérétiques. Les loups, en effet, sont des animaux féroces qui guettent les bergeries, et rôdent autour des cabanes des pasteurs. Ils n’osent entrer dans l’intérieur des demeures, ils épient le sommeil des chiens, l’absence ou la négligence des bergers ; ils se jettent à la gorge des brebis pour les étrangler plus vite ; ils sont féroces, ravisseurs, leur corps est naturellement raide et peu flexible, et ne leur permet pas de se plier facilement, aussi ils sont comme emportés par leur impétuosité, et manquent souvent leur coup. S’ils aperçoivent les premiers un homme, ils étouffent sa voix, dit-on, par une certaine force naturelle ; si, au contraire, l’homme les prévient le premier, ils sont comme surpris et déconcertés. Tels sont les hérétiques ; ils tendent des piéges autour des bergeries du Christ, on les entend hurler pendant la nuit autour des cabanes des bergers ; car il est toujours nuit pour ces ennemis perfides qui répandent sur la lumière de Jésus-Christ les nuages de leurs fausses interprétations. Cependant ils n’osent entrer dans ses bergeries, aussi n’obtiennent-ils jamais leur guérison, comme cet homme qui, après être tombé entre les mains des voleurs, fut guéri dans une étable. Ils épient l’absence des pasteurs, parce qu’ils n’oseraient, en leur présence se jeter sur les brebis du Christ. Ils ont aussi dans l’esprit une certaine raideur, et une dureté qui ne leur permettent pas de revenir de leurs erreurs. Mais Jésus-Christ, le véritable interprète de la sainte Écriture, déjoue leurs efforts, rend nulles toutes leurs attaques, et leur ôte toute puissance de nuire. Cependant s’ils trouvent le moyen d’enlacer quelqu’un les premiers dans les filets de leurs interprétations fallacieuses, ils le réduisent au silence ; car on est muet quand on ne confesse pas Dieu, en proclamant la gloire qui lui appartient par essence. Prenez donc garde que quelque hérétique ne vous ravisse la voix avant que vous ne l’ayez surpris le premier ; car l’oeuvre de sa perfidie avance toujours, tant qu’elle reste cachée ; mais si vous mettez à découvert ses projets impies, vous n’aurez plus à craindre la perte d’une voix consacrée à Dieu. Ils prennent à la gorge, ils font des blessures mortelles aux organes essentiels de la vie, pour atteindre l’âme elle-même. Si donc vous entendez parler d’un prêtre même, et que vous appreniez ses vols et ses rapines, c’est une brebis dehors, mais au dedans, c’est un loup qui, par un instinct de cruauté insatiable, veut assouvir sa rage dans le sang des hommes qu’il égorge. — S. Grég. (hom. 17 sur les Evang.) Il en est beaucoup qui, en prenant la charge pastorale, semblent n’avoir de zèle que pour dépouiller ceux qui leur sont soumis, et cherchent à inspirer la crainte de leur autorité. Comme ils n’ont pas les entrailles de la charité, ils veulent qu’on les regarde comme des maîtres, ils ignorent tout à fait qu’ils sont pères, et ils font d’une place toute d’humilité, un instrument d’orgueil et de domination. Afin de nous préserver de ces excès, rappelons-nous que nous sommes envoyés comme des agneaux au milieu des loups, pour nous apprendre à conserver la douceur de l’innocence, et à ne point déchirer nos frères par méchanceté ; car celui qui exerce le ministère de la prédication, loin de faire du mal aux autres, doit supporter celui qu’on veut lui faire ; et si le zèle de la justice exige qu’il déploie quelquefois de la sévérité, il faut qu’il ressente dans son coeur un amour tout paternel pour ceux qu’il est obligé de poursuivre et de châtier extérieurement. Or, l’accomplissement de ce devoir sera facile au pasteur qui ne place pas son âme sous le joug écrasant des convoitises de la terre ; voilà pourquoi Notre-Seigneur ajoute : " Ne portez ni bourse, ni sac. " — S. Grég. de Nazianze. (disc., 1.) Le résumé de ces divines instructions, c’est que leur vertu doit être tellement éminente, que les exemples de leur vie servent aussi puissamment au progrès de l’Évangile, que leurs prédications. — S. Grég. (hom. 17.) Le prédicateur doit avoir en Dieu une telle confiance, que tout en ne se préoccupant aucunement des choses nécessaires à la vie, il soit cependant assuré qu’elles ne lui manqueront jamais ; autrement une trop grande sollicitude pour les choses de la terre, le détournerait de procurer aux autres les biens de l’éternité.

S. Cyr. Le Sauveur avait défendu à ses disciples toute sollicitude à l’égard de leur corps, en leur disant : " Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. " Il ne veut pas qu’ils se préoccupent davantage des choses qui sont en dehors du corps : " Ne portez ni bourse, ni sac. " Il ne leur permet pas même de porter les vêtements qui ne sont pas encore à l’usage du corps : " Ni chaussures. " Non seulement, il leur défend de porter un sac ou une bourse, mais il ne veut pas qu’ils se laissent distraire du ministère qui leur est confié, même pour saluer ceux qu’ils rencontrent : " Et ne saluez personne dans le chemin. " Élie avait déjà fait la même recommandation à son serviteur (4 R 4, 29), et Notre-Seigneur semble leur dire : Marchez droit à votre oeuvre sans échanger de salutations. Car le temps destiné à la prédication ne doit pas être employé inutilement, et on ne peut en distraire que ce que réclame la nécessité. — S. Ambr. Si donc le Sauveur fait cette défense, ce n’est pas qu’il désapprouve les témoignages de bienveillance mutuelle, mais parce qu’il met au-dessus le désir que nous devons avoir d’accomplir les devoirs de religion. — S. Grég. de Nazianze. Il fait encore ce commandement pour l’honneur de sa parole, pour soustraire ses disciples à la funeste influence de la flatterie, et les rendre indifférents aux paroles d’autrui.
 

S. Grég. (homél. 17 sur les Evang.) Si l’on veut entendre ces paroles dans un sens allégorique, l’argent renfermé dans la bourse est la sagesse qui demeure cachée. Celui donc qui possède en lui-même la parole de la sagesse, et qui néglige de la communiquer au prochain, tient son argent comme lié dans sa bourse. Le sac représente le fardeau des affaires du siècle, et les chaussures, les oeuvres mortes. Celui donc qui prend la charge du ministère de la prédication, doit regarder comme indigne de lui de porter le poids des sollicitudes de la terre, qui courbe sa tête sous un joug honteux et ne lui permet pas de se relever pour prêcher les choses du ciel. Il ne doit pas non plus arrêter ses regards sur les oeuvres des insensés, dans l’espérance de défendre et de protéger ses oeuvres comme avec des peaux mortes, et de pouvoir faire impunément ce qu’il voit faire aux autres. — S. Amb. Le Seigneur ne veut rien voir en nous de mortel, voilà pourquoi il ordonne à Moïse de délier sa chaussure terrestre et mortelle, lorsqu’il l’envoie pour délivrer son peuple. (Ex 3.) Êtes-vous surpris de ce que Dieu commande aux Israélites, en Égypte, d’avoir leurs chaussures pour manger l’agneau (Ex 12), tandis que les Apôtres doivent les quitter pour prêcher l’Évangile ? considérez que tant qu’on est dans l’Égypte, on doit craindre les morsures du serpent ; car l’Egypte est fertile en poisons de tout genre, et celui qui célèbre la pâque figurative est encore exposé aux blessures, tandis que le ministre de la vérité ne craint aucunement les poisons.
 

S. Grég. (hom. 17.) Tout homme qui en salue un autre en chemin, le salue plutôt, parce qu’il le rencontre, que pour lui souhaiter toutes sortes de biens. Celui donc qui prêche la parole du salut, moins par l’amour de la vie éternelle, que par désir de la récompense, salue aussi pour ainsi dire en chemin, parce qu’il souhaite le salut à ceux qui l’écoutent par occasion, plutôt que dans l’intention directe de leur être utile.
 

vv. 5-12.

S. Chrys. (sur l’Ep. aux Coloss., 3.) La paix est la mère de tous les biens, et sans elle, toutes les autres jouissances ne sont rien ; aussi le Sauveur commande à ses disciples, lorsqu’ils entrent dans une maison, de souhaiter aussitôt la paix, comme le gage de tous les biens : " En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison. " — S. Ambr. Il veut que nous soyons les messagers de la paix, et que notre première entrée dans une maison soit consacrée par les bénédictions de la paix. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr., et sur le Ps 124.) Voilà pourquoi le pontife la donne à toute l’Église par ces paroles : " La paix soit avec vous ! " Or, cette paix, que les saints demandent pour nous, n’est pas seulement la paix des hommes entre eux, mais la paix avec nous-mêmes. Car bien souvent, nous portons la guerre au dedans de nous-mêmes, nous sommes en proie à une agitation qui ne vient point des autres hommes, et nous sentons les mauvais désirs s’insurger contre nous. — Tite de Bost. " Paix à cette maison ! " c’est-à-dire à ceux qui habitent cette maison. Comme s’il leur disait : Adressez-vous à tous, aux grands comme aux petits, et cependant votre bénédiction ne tombera pas sur ceux qui en sont indignes. Il ajoute : " Et s’il s’y trouve un fils de la paix, votre paix reposera sur lui, " c’est-à-dire : Vous prononcerez les paroles de paix, mais pour la paix elle-même, c’est moi qui la donnerai à celui que j’en jugerai digne. Et si personne ne s’en trouve digne, vous ne serez pas trompés, et la grâce attachée à vos paroles ne sera point sans effet, au contraire, elle retournera sur vous, c’est ce qu’il ajoute : " Sinon, elle retournera sur vous. " — S. Grég. En effet, la paix, que souhaite la bouche du prédicateur, se repose sur la maison, s’il s’y trouve quelque personne prédestinée à la vie, et qui suive avec docilité les célestes enseignements qui lui sont donnés. Mais si personne ne veut les entendre, le prédicateur ne restera pas sans fruit, et la paix qu’il a souhaitée, lui reviendra avec la récompense que le Seigneur lui donnera pour son travail. Or, lorsque la paix que nous souhaitons est reçue, il est de toute justice que ceux à qui nous apportons les récompenses de la patrie céleste, nous donnent en échange ce qui est nécessaire à notre subsistance : " Demeurez dans la même maison, mangeant et buvant de ce qui sera chez eux. " Ainsi celui qui défend à ses disciples de porter ni bourse, ni sac, leur permet de tirer de la prédication elle-même, tout ce qui est nécessaire à leur nourriture et à leur entretien. — S. Chrys. Le Sauveur prévient cette objection : Mais je dépense tout ce que je possède, pour nourrir ces étrangers, et il veut que celui qu’il vous envoie, vous offre en entrant le don incomparable de la paix, pour vous faire comprendre que vous recevez beaucoup plus que vous ne donnez. — Tite. Ou bien, on peut encore regarder ces paroles comme la suite de ce qui précède, c’est-à-dire Vous n’êtes pas établis pour juger ceux qui sont dignes ou indignes, mangez et buvez ce qu’on vous présente ; mais laissez-moi le discernement de ceux qui vous reçoivent, à moins, cependant, que vous ne sachiez parfaitement vous-mêmes qu’il ne se trouve dans cette maison aucun enfant de la paix ; car vous devriez alors la quitter.

Théophyl. Vous voyez comment il a voulu que ses Apôtres mendient leur pain, et reçoivent la nourriture pour salaire, car il ajoute : " L’ouvrier mérite son salaire. " — S. Grég. (hom. 17.) En effet, les aliments qui soutiennent l’existence de l’ouvrier, sont une partie de son salaire, elle est pour le travail de la prédication un commencement de la récompense qui recevra toute sa perfection dans les cieux de la contemplation de la vérité. Remarquons que pour une seule et même oeuvre, nous recevons deux récompenses, l’une dans cette vie, qui est la voie ; et l’autre dans la patrie, après la résurrection. Or, l’effet de la récompense que nous recevons ici-bas, doit être de nous faire tendre avec plus de force et de courage vers la récompense éternelle. Le vrai prédicateur ne doit donc pas prêcher dans l’intention d’obtenir ici-bas sa récompense, mais recevoir cette récompense comme soutien de sa prédication. Car celui qui annonce la parole sainte pour obtenir des louanges ou quelque avantage temporel, se prive par là même de la récompense éternelle.
 

S. Ambr. Le Sauveur recommande encore à ses disciples une autre vertu, c’est de ne point aller de maison en maison avec une inconstante facilité : " Ne passez point de maison en maison, " c’est-à-dire que par affection pour ceux qui nous reçoivent, nous devons rester chez eux, et ne pas rompre trop facilement les liens d’amitié qui nous unissent à eux.
 

Bède. Après les avoir prévenus des différentes manières dont l’hospitalité leur serait offerte, il leur trace la ligne de conduite qu’ils devront tenir dans les villes où ils entreront, c’est-à-dire partager en tout la manière de vivre des âmes vraiment religieuses, et fuir tout rapport avec les impies : " En quelque ville que vous entriez, et où vous serez reçus, mangez ce qu’on vous présentera. " — Théophyl. Quelque modeste et commune que soit la table qui vous est offerte, n’en demandez pas davantage ; et il les avertit en même temps d’opérer des miracles pour attirer les hommes à leurs prédications : " Et guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : Le royaume de Dieu est proche de vous. " Si, en effet, vous commencez par les guérir avant de les enseigner, vos discours en recevront plus d’efficacité, et les hommes croiront que le royaume de Dieu approche en vérité, puisque ces guérisons ne peuvent être que l’effet d’une vertu divine. Mais lors même que leur guérison est toute spirituelle, il est vrai de dire que le royaume de Dieu s’approche d’eux ; car ce royaume est loin de ceux en qui domine le péché. — S. Chrys. (hom. 33 sur S. Matth.) Voyez quelle est la dignité des Apôtres, ce ne sont point des grâces sensibles (c’est-à-dire des biens terrestres) qu’ils doivent répandre, comme Moïse et les prophètes, mais des grâces toute nouvelles et vraiment admirables, c’est-à-dire le royaume de Dieu. — S. Max. Le Sauveur dit : " Le royaume de Dieu approche, " non pour signifier qu’il s’écoulera peu de temps jusqu’à ce qu’il arrive ; car le royaume de Dieu ne vient pas de manière à être remarqué (Lc 17, 20), mais pour nous faire connaître la disposition des hommes au royaume de Dieu qui est en puissance dans ceux qui ont embrassé la foi, et en réalité dans ceux qui méprisent la vie du corps pour ne vivre que de la vie de l’âme, et qui peuvent dire : " Je vis, ce n’est pas moi, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi. " (Ga 2, 20.)

S. Ambr. Il leur commande ensuite de secouer la poussière de leurs pieds contre les villes qui n’auront pas cru devoir leur accorder l’hospitalité : " En quelque ville que vous entriez, et où l’on ne vous recevra point, secouez la poussière, " etc. — Bède. Cette action, de la part des Apôtres, est une attestation solennelle des travaux et des fatigues qu’ils ont supportés inutilement pour les habitants de ces villes ; ou bien, un signe qu’ils désirent si peu leurs biens temporels, qu’ils ne veulent même pas que la poussière de leur terre s’attache à leurs pieds. Ou bien encore, les pieds signifient les travaux et les progrès de la prédication, et la poussière dont ils sont couverts, la légèreté des pensées de la terre, dont les plus grands docteurs ne peuvent entièrement se garantir. Ceux donc qui méprisent la doctrine, les travaux et les périls de ceux qui leur annoncent l’Évangile, se préparent un témoignage sévère de condamnation. — Orig. (Ch. des Pèr. gr.) En secouant la poussière de leurs pieds, ils semblent leur dire : La poussière de vos péchés retombera justement sur vous. Remarquez encore que les villes qui refusent de recevoir les Apôtres, ont de larges places, selon ces paroles du Sauveur : " La voie qui mène à la perdition est large. "

Théophyl. Le royaume de Dieu approche pour le bonheur de ceux qui reçoivent les Apôtres, mais il approche aussi pour la perte de ceux qui les repoussent : " Sachez cependant que le royaume de Dieu est proche ; " c’est comme l’avènement d’un roi qui vient pour punir les uns et récompenser les autres, c’est pourquoi il ajoute : " Je vous le dis, il y aura en ce jour moins de rigueur pour Sodome que pour cette ville. " — Eusèbe. En effet, même dans la ville de Sodome, les anges trouvèrent l’hospitalité, et Loth fut jugé digne de les recevoir, (Gn 19.) Si donc en entrant dans une ville, les Apôtres ne trouvent pas un seul habitant qui veuille les recevoir, comment le sort de cette ville ne serait-il pas plus triste que celui de Sodome ? Le Sauveur leur enseignait encore par ces paroles à embrasser avec courage la vie de pauvreté ; car une ville, une maison, un bourg ne peuvent exister, qu’à la condition de renfermer quelque serviteur fidèle connu de Dieu. La ville de Sodome elle-même n’eût pu exister, si Loth ne l’eût habitée, et à peine en fut-il sorti, qu’elle fut soudainement réduite en cendres. — Bède. Et cependant les habitants de Sodome, bien qu’hospitaliers au milieu des désordres de la chair et de l’esprit, n’ont jamais reçu des hôtes comme étaient les Apôtres ; car si Loth a conservé ses yeux et ses oreilles pures (2 P 2, 7), nous ne voyons pas cependant qu’il ait rien enseigné, ou qu’il ait fait quelque prodige.
 

vv. 13—16.

S. Ambr. D’après ces paroles du Seigneur, ceux qui ont refusé de suivre les préceptes de l’Évangile seront punis bien plus sévèrement que ceux qui ont violé la loi naturelle : " Malheur à toi, Corozaïn, malheur à toi Bethsaïde ! " — Bède. Corozaïn, Bethsaïde et Capharnaüm, et Tibériade, dont parle saint Jean, sont des villes de Galilée, situées sur les bords du lac de Génésareth, que les Évangélistes appellent aussi la mer de Galilée ou de Tibériade. Le Sauveur déplore donc le sort de ces villes, que tant de prodiges et de miracles opérés sous leurs yeux n’ont pu amener à faire pénitence, et qui sont plus coupables que les nations qui transgressent seulement la loi naturelle, puisqu’au mépris de la loi écrite, ils joignent encore le mépris du Fils de Dieu et de sa gloire : " Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l’avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles eussent depuis longtemps fait pénitence dans le cilice et dans la cendre. " Le cilice qui est tissé de poils de chèvre, figure le souvenir déchirant du péché, qui perce l’âme comme d’une pointe aiguë ; la cendre représente la pensée de la mort, qui nous réduit en cendres ; l’action d’être assis signifie l’humilité de la conscience. Or, nous voyons aujourd’hui l’accomplissement de cette prédiction du Sauveur, parce que Corozaïn et Bethsaïde ont refusé de croire au Seigneur qui les enseignait en personne, tandis que Tyr et Sidon ont été autrefois en relations d’amitié avec David et Salomon, et ont ensuite embrassé la foi qui leur était annoncée par les disciples de Jésus-Christ.
 

S. Chrys. (de l’hom. intitul., que les femmes consacrées à Dieu ne doivent point habiter avec les hommes.) Le Seigneur déplore le sort de ces villes, pour nous apprendre que les gémissements et les larmes répandues sur ceux qui sont insensibles à leur malheur, sont un des moyens les plus efficaces pour les tirer de leur insensibilité, comme aussi un remède souverain, et une consolation puissante pour ceux qui s’attristent de leur indifférence. (Et hom. 38 sur S. Matth.) Ce n’est pas seulement en déplorant leur sort, qu’il les amène à faire le bien, mais en leur inspirant une crainte salutaire : " C’est pourquoi il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Tyr et Sidon, que pour vous. " Soyons nous-mêmes attentifs à cette menace ; car ce n’est pas seulement à ces villes, mais à nous-mêmes, qu’un jugement sévère est réservé, si nous refusons de recevoir ceux qui nous demandent l’hospitalité ; puisqu’il commande à ses disciples de secouer la poussière de leurs pieds contre ceux qui refuseront de les recevoir. (D’un autre endroit.) Les miracles nombreux que le Seigneur avait opérés dans Capharnaüm, le séjour qu’il avait fait, lui avait donné une certaine prééminence sur les autres villes, mais son incrédulité fut cause de sa ruine, comme le Sauveur le lui prédit : " Et toi, Capharnaüm, élevée jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers, " c’est-à-dire que le châtiment sera proportionné à l’honneur que tu as reçu. — Bède. Ces paroles peuvent recevoir deux significations différentes. Ou bien, tu seras plongée jusqu’au fond de l’enfer, parce que tu as résisté avec un orgueil indicible à mes prédications, et dans ce sens, c’est par orgueil qu’elle s’est élevée jusqu’au ciel ; ou bien, tu as été élevée jusqu’au ciel, par le séjour que j’ai fait dans tes murs, par les miracles que j’y ai multipliés sous tes yeux, et tu seras puni d’autant plus sévèrement, que tant de grâces n’ont pu vaincre ton incrédulité. Et que personne ne pense que ces menaces ne sont faites qu’aux villes ou aux personnes qui ont méprisé le Seigneur dans sa chair visible ; elles s’adressent à tous ceux qui, aujourd’hui encore, méprisent les enseignements de l’Évangile ; aussi ajoute-t-il : " Celui qui vous écoute, m’écoute. " — S. Cyr. Il faut recevoir avec respect les enseignements des saints Apôtres ; car celui qui les écoute, écoute Jésus-Christ lui-même. Un châtiment inévitable attend donc les hérétiques qui rejettent les paroles des Apôtres, car il ajoute : " Et celui qui vous méprise, me méprise. " — Bède. Il établit clairement cette vérité, qu’en écoutant ou en méprisant la prédication évangélique, ce ne sont pas des hommes de peu d’importance qu’on écoute ou qu’on méprise, mais le Sauveur, et son Père lui-même : " Celui qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé ; " parce qu’en effet, dans le disciple, c’est le maître qu’on écoute, et dans le Fils, c’est le Père qu’on honore.

S. Aug. (des par. du Seig., serm. 24.) Si donc la parole de Dieu est parvenue jusqu’à vous, et vous a placé dans le lieu élevé que vous occupez, gardez-vous de nous mépriser ; car ce mépris que vous nous témoigneriez, remonterait jusqu’à lui. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens : " Celui qui vous méprise, me méprise, " c’est-à-dire celui qui refuse de faire miséricorde à l’un des plus petits d’entre mes frères, c’est à moi qu’il le refuse (Mt 25) ; et celui qui me méprise, en refusant de croire que je suis le Fils de Dieu, méprise celui qui m’a envoyé, parce que mon Père et moi nous sommes un. (Jn 10.) — Tite de Bost. Il console en même temps ses disciples, car tel est le sens de ces paroles : " Ne dites point : Pourquoi aller nous exposer aux outrages ? " Prêtez-moi le concours de vos paroles, moi, je vous donnerai celui de ma grâce, et les outrages qu’on vous fera, retomberont sur moi.
 

vv. 17-20.

S. Cyr. Nous avons vu plus haut que le Seigneur envoya ses disciples revêtus de la grâce du Saint-Esprit, et que, devenus ministres de la prédication, ils reçurent en même temps tout pouvoir sur les esprits immondes ; nous les voyons revenir maintenant en proclamant la puissance de celui qui les a ainsi honorés : " Or, les soixante-douze disciples revinrent avec joie, en disant : Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis, " etc. Ils semblent se réjouir bien plus de ce qu’ils ont opéré des miracles, que d’avoir été les ministres de la prédication. Et cependant ils devaient bien plutôt mettre leur joie dans ceux qu’ils avaient gagnés à l’Évangile, à l’exemple de saint Paul, qui disait à ceux qui avaient été appelés à la foi par ses prédications : " Vous êtes ma joie et ma couronne. " (Ph 4.)
 

S. Grég. (Moral., 23, 4.) Le Sauveur se hâte de réprimer ce mouvement d’orgueil dans le coeur de ses disciples, et il leur rappelle la chute trop justement méritée du maître de l’orgueil, pour leur apprendre, par le prince de l’orgueil, combien ce vice était redoutable : " Je voyais Satan tomber du ciel comme un éclair, " etc. — S. Bas. (hom., Dieu n’est pas l’auteur du mal.) Le démon est appelé Satan, parce qu’il est opposé au bien (c’est le sens du mot hébreu) ; il est aussi appelé diable, parce qu’il nous aide à commettre le mal, et qu’il devient notre accusateur. Sa nature est immatérielle, et il fait son séjour dans les airs.
 

Bède. Il ne dit pas : Je le vois maintenant ; mais : " Je le voyais précédemment, " au moment même de sa chute. Il le compare à l’éclair, pour signifier la rapidité avec laquelle il a été précipité du haut du ciel au fond des abîmes, ou pour exprimer que depuis sa chute, il se transforme encore en ange de lumière (2 Co 11, 4.) — Tite de Bostr. C’est comme juge qu’il a vu la chute de Satan, lui qui connaît les passions des êtres immatériels. Il le compare dans sa chute à un éclair, parce que Satan, de brillant qu’il était par nature, est devenu ténébreux par ses inclinations vicieuses ; et qu’il a corrompu en lui la bonté que Dieu lui avait communiquée en le créant. — S. Bas. (contre Eunom., 3.) Car les esprits célestes ne sont pas saints par nature, mais la mesure de leur sainteté est proportionnée à la mesure de leur amour pour Dieu. De même que le fer qu’on met dans le feu, ne perd pas sa nature, et cependant, par son étroite union avec la flamme ardente, prend l’aspect et la vertu du feu ; ainsi les esprits des cieux, par leur union avec celui qui est saint par nature, entrent en communication de sa sainteté ; car en effet, Satan ne fût jamais tombé, s’il avait été impeccable par nature. — S. Cyr. Ou bien encore, dans un autre sens : " Je voyais Satan tomber comme l’éclair, " c’est-à-dire de la plus haute puissance à la plus extrême faiblesse. En effet, avant la venue du Sauveur, le démon régnait sur tout l’univers, et recevait les adorations de tous les hommes ; mais lorsque le Fils unique de Dieu fut descendu du ciel, il tomba avec la rapidité de l’éclair, parce qu’il est foulé aux pieds par tous ceux qui adorent Jésus-Christ, c’est ce qu’indiquent les paroles suivantes : " Voici que je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents, " etc.

Tite de Bost. Autrefois les serpents, dans le désert, firent des blessures mortelles aux Israélites à cause de leur infidélité. (Nb 21.) Mais le serpent d’airain est venu sur la terre, il a été attaché à la croix, et il a détruit ainsi la vertu de ces serpents, de manière que tous ceux. qui le regardent avec foi sont guéris de leurs blessures, et obtiennent le salut. — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Et dans la crainte qu’on entendit ces paroles de véritables serpents, le Sauveur ajoute : " Et sur toute la puissance de l’ennemi. " — Bède. C’est-à-dire qu’il leur donne le pouvoir de chasser toute espèce d’esprits impurs des corps des possédés. Et pour ce qui les concerne, il ajoute : " Et rien ne pourra vous nuire. " On peut cependant entendre aussi ces paroles dans le sens littéral, car une vipère s’étant élancée sur la main de saint Paul, il n’en souffrit aucun mal (Ac 28), et saint Jean prit du poison, sans en ressentir aucune atteinte. Or, il y a cette différence entre les serpents qui blessent avec leurs dents, et les scorpions dont le venin est dans la queue, que les serpents représentent ceux qui exercent ouvertement leur fureur ; et les scorpions, ceux qui dressent en secret leurs embûches, que ce soient des hommes ou des démons. Ou bien, les serpents sont ceux qui attaquent extérieurement, comme le démon de la fornication et de l’homicide, mais ceux dont le pouvoir de nuire s’exerce intérieurement, sont comme des scorpions, telles sont les passions intérieures de l’âme. — S. Grég. de Nysse. (hom. sur les Cant.) La volupté est comparée au serpent, dans la sainte Écriture. Or, telle est la nature du serpent, que si sa tête atteint une fente dans un mur, elle attire tout son corps à sa suite ; ainsi la nature accorde à l’homme de se construire une habitation comme chose nécessaire, mais à l’aide de cette nécessité, la volupté dresse ses attaques, elle porte l’homme à un luxe exagéré ; puis comme conséquence, elle fait entrer dans l’âme la passion de l’avarice, que suit immédiatement le vice de l’impureté, c’est-à-dire le dernier membre et comme la queue de la bestialité. Or, de même que pour faire lâcher prise à un serpent, on ne le saisit point par la queue ; ainsi, c’est, inutilement qu’on voudrait déraciner la volupté en commençant par les dernières ramifications, si on ne ferme tout d’abord l’entrée par où le mal a pénétré dans l’âme. — S. Athan. (disc. sur la passion et la croix du Seig.) Nous voyons aujourd’hui des enfants triompher, par la vertu du Christ, de la volupté qui, autrefois, séduisait les vieillards ; et des vierges persévérer dans l’innocence, en foulant aux pieds les artifices du serpent de la volupté. Quelques-uns mêmes ont écrasé l’aiguillon du scorpion, c’est-à-dire du démon, en affrontant la mort, et en devenant les martyrs de Jésus-Christ ; et la plupart ont sacrifié les jouissances de la terre pour marcher plus librement vers les biens du ciel, sans crainte, aucune, des puissances de l’air.
 

Tite de Bostr. Notre-Seigneur vit bien que la joie de ses disciples était mélangée de vaine gloire ; car ils se réjouissaient surtout d’avoir reçu une puissance qui 1es élevait au-dessus des autres hommes, et les rendait terribles aux hommes et aux démons. Aussi ajoute-t-il : " Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis, " etc. — Bède. Il leur défend, simples mortels qu’ils sont, de se réjouir de ce que les esprits leur sont soumis ; car le pouvoir de chasser les esprits ou de faire d’autres miracles, ne vient pas du mérite de celui qui les opère mais de l’invocation du nom de Jésus-Christ, qui produit ces effets miraculeux pour la condamnation de ceux qui l’invoquent, ou pour l’utilité de ceux qui sont témoins de ces prodiges. — S. Cyr. Mais pourquoi, Seigneur, ne permettez-vous pas à vos disciples de se réjouir de la puissance que vous-même leur avez donnée, alors qu’il est écrit : " Ils se réjouiront dans votre nom durant tout le jour ? " C’est que le Sauveur les invite à une joie beaucoup plus grande et plus pure " Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux " — Bède. Comme s’il leur disait : Ce n’est pas de l’humiliation des démons, mais de votre élévation, qu’il faut vous réjouir. Et nous pouvons entendre ces paroles, dans ce sens plein d’édification, que les œuvres de l’homme, qu’elles aient le ciel ou la terre pour objet, sont écrites pour ainsi dire, et éternellement gravées dans le souvenir de Dieu. — Théophyl. Les noms des saints sont écrits dans le livre de vie, non pas avec de l’encre, mais par la grâce et le souvenir de Dieu, et tandis que le démon tombe des hauteurs où Dieu l’avait élevé, les hommes placés au-dessus de lui, sont inscrits dans le livre des cieux. — S. Bas. (sur le chap. 4 d’Isaïe). Il en est dont les noms sont écrits, non sur le livre de vie, mais sur la terre, comme le dit Jérémie (Jr 17, 13), d’où nous devons entendre qu’il y a deux inscriptions, les uns sont écrits pour la vie ; et les autres pour leur perte. Quant à ces paroles du Roi-prophète : " Qu’ils soient effacés du livre des vivants, " elles doivent s’entendre de ceux qu’on avait cru dignes d’être inscrits sur le livre de Dieu ; et dans le style de l’Écriture, nos noms sont effacés ou inscrits lorsque nous tombons de la vertu dans le péché, ou lorsque nous sortons du péché pour revenir à la vertu.
 

vv. 21-23.

Théophyl. Comme un bon père qui se réjouit de voir ses enfants dans la voie du bien, Jésus tressaille de joie de ce que les Apôtres ont été jugés dignes de si hautes faveurs : " En cette heure même, Jésus tressaillit de joie, " etc. — S. Cyr. Il vit que les Apôtres, par la vertu de l’Esprit saint qu’il leur avait donnée, en gagneraient un grand nombre (c’est-à-dire les amèneraient à la foi), c’est pour cela que l’Évangéliste dit qu’il se réjouit dans l’Esprit saint, c’est-à-dire dans les effets produits par l’Esprit saint. En effet, le Sauveur aime tant les hommes, qu’il regarde comme un sujet de joie la conversion de ceux qui se sont égarés, et il rend grâces à Dieu : " Je vous rends gloire, ô Père, " etc. — Bède. Le mot confession ne signifie pas toujours pénitence, mais, actions de grâces, comme nous le voyons fréquemment dans les Psaumes (Ps 9, 2 ; 17, 50 ; 29, 13 ; 48, 19 ; 51, 11 ; 117, 21.28).
 

S. Cyr. Des hommes à l’esprit ou au coeur perverti nous objectent que le Fils rend ici grâce au Père, comme lui étant inférieur. Mais qui donc empêche le Fils, tout en étant consubstantiel à son Père, de rendre gloire à celui qui l’a engendré, et qui s’est servi de lui pour sauver le monde ? Si vous pensez que par-là même qu’il rend gloire à son Père, il lui est inférieur, veuillez remarquer qu’il l’appelle son Père et le Seigneur du ciel et de la terre. — Tite de Bost. Toutes les autres créatures ont été tirées du néant par le Christ, mais lui seul a été engendré par le Père d’une manière incompréhensible, car Dieu n’est Père dans un sens véritable que de son Fils unique ; aussi le Fils est-il le seul pour dire à son Père : " Je vous rends grâces, Seigneur Père, " c’est-à-dire, je vous glorifie. Ne soyez pas surpris si le Fils glorifie le Père, car toute la gloire du Père est dans la personne de son Fils unique. Toutes les créatures, les anges eux-mêmes sont la gloire du Créateur, mais comme ces créatures sont placées beaucoup trop au-dessous de sa Majesté, le Fils seul peut dignement glorifier le Père, parce qu’il a une même substance, une même divinité avec Dieu son Père. — S. Athan. Nous savons que souvent le Sauveur s’exprime d’une manière toute humaine, car sa divinité est intimement unie à son humanité ; gardez-vous cependant de méconnaître la divinité à cause du voile du corps qui la recouvre. Mais que répondront à cela ceux qui veulent que le mal ait une existence distincte, et qui se forment un Dieu différent du vrai Père du Christ. Ils disent que ce Dieu n’a pas été engendré, qu’il est l’auteur du mal, le prince de l’iniquité, et la créature de ce monde matériel. Mais le Sauveur, confirmant les paroles de Moïse, dit hautement : " Je vous rends gloire, Père, Dieu du ciel et de la terre. " — S. Epiph. L’Évangile de Marcion porte : " Je vous rends grâces, Dieu du ciel, " et supprime ces paroles : " Et de la terre, " et ces autres : " Mon Père, " pour ne point donner à entendre que Jésus-Christ appelle son Père le Créateur du ciel et de la terre.
 

S. Ambr. Le Sauveur découvre ensuite à ses disciples le dessein mystérieux, en vertu duquel il a plu à Dieu de révéler les trésors de la grâce aux petits, plutôt qu’aux sages et aux prudents de ce monde : " Je vous rends grâces de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, " etc. — Théophyl. On peut voir ici deux sortes de personnes ; les sages sont les pharisiens et les scribes interprètes de la loi ; et les prudents, ceux qui étaient enseignés par les scribes. Les petits, au contraire, dont parle le Seigneur, sont ses disciples qu’il a choisis, non parmi les docteurs de la loi, mais parmi le peuple et les pêcheurs des bords de la mer ; et il les appelle petits, parce que leur volonté est sans malice. — S. Ambr. Ou bien, ces petits sont ceux qui ne cherchent point à s’élever, et à faire ressortir leur prudence dans des discours étudiés, ce que font la plupart des pharisiens. — Bède. Il rend donc grâces à Dieu de ce qu’il a révélé aux Apôtres, qui sont petits à leurs yeux, les mystères de son avènement qu’ont ignorés les scribes et les pharisiens qui se croient les seuls sages, et se complaisent dans leur prudence.
 

Théophyl. Ces mystères restent donc cachés pour ceux qui prétendent être sages, et ne le sont pas ; car s’ils l’étaient réellement, ces mystères leur auraient été révélés. — Bède. Remarquez qu’il oppose aux sages et aux prudents, non pas les insensés et les esprits stupides, mais les petits, c’est-à-dire les humbles, pour faire comprendre que ce qu’il condamne, ce n’est point la pénétration, mais l’orgueil de l’esprit. — Orig. En effet, le sentiment de ce qui nous manque est une disposition pour arriver à la perfection. Celui qui, séduit par l’apparence du bien qu’il croit avoir, ne sent point qu’il ne possède pas le. bien véritable, en demeure privé pour toujours.
 

S. Chrys. (hom. 39 sur S. Matth.) Si le Sauveur tressaille de joie et rend grâces à son Père, ce n’est point de ce que les mystères de Dieu restent cachés aux scribes et aux pharisiens, car c’était un sujet de gémissement et de larmes, plutôt que de joie, mais il rend grâces de ce que ses disciples ont connu ce que ces prétendus sages ont ignoré. Il rend grâces à Dieu de cette révélation dont il est aussi l’auteur conjointement avec son Père, et nous fait ainsi connaître la grandeur de son amour pour nous. Il nous apprend encore que la cause première de cette révélation, c’est sa volonté et celle de son Père, qui agissait en cela par un dessein formel de sa volonté divine. — S. Grég. (Moral., 25, 43.) Notre-Seigneur nous donne ici une leçon d’humilité, en nous enseignant à ne pas discuter témérairement les conseils de Dieu dans la vocation des uns, et la réprobation des autres ; car ce que la souveraine justice juge à propos de faire, ne peut jamais être injuste. Ainsi donc dans tous les événements qui arrivent, la cause évidente de la conduite de Dieu, c’est la justice secrète de sa volonté mystérieuse.
 

S. Chrys. (hom. 39 sur S. Matth.) Ces paroles : " Je vous rends grâces, ô mon Père, de ce que vous avez révélé ces choses aux petits, " pouvaient donner à penser que le Christ n’avait pas le pouvoir de faire la même révélation, il ajoute donc : " Toutes, choses m’ont été données par mon Père. " — S. Athan. Les partisans d’Arius ne comprennent pas le véritable sens de ces paroles, et en donnent cette interprétation absurde et injurieuse au Seigneur : Si toutes choses, disent-ils (c’est-à-dire le domaine sur toute créature), lui ont été données, il fut un temps où il ne les avait pas, il n’est donc pas consubstantiel au Père ; car s’il l’était, il n’aurait pas eu besoin de recevoir le domaine sur toutes choses. Mais cette explication fait ressortir davantage leur folie ; car si avant de recevoir le domaine sur toute créature, le Verbe était étranger aux créatures, comment admettre ces paroles de l’Apôtre : " Toutes choses subsistent en lui ? " (Col 1, 47.) D’ailleurs, si toutes les créatures lui ont été données, aussitôt qu’elles furent créées, il n’était pas besoin de les lui donner de nouveau ; car c’est par lui que toutes choses ont été faites. " (Jn 1.) Il n’est donc pas question ici, comme le prétendent les ariens, du domaine sur les créatures, mais ces paroles ont un rapport évident aux suites de l’incarnation du Verbe. En effet, le péché de l’homme fut cause d’un bouleversement général, et le Verbe s’est fait chair pour rétablir tout dans le premier état. Si donc toutes choses lui ont été données, ce n’est pas chez lui défaut de puissance, mais elles lui ont été données pour qu’il les réformât en qualité de Sauveur. Ainsi de même qu’au commencement toutes les créatures ont été tirées du néant par le Verbe, de même, c’est le Verbe fait chair qui les a rétablies et renouvelées. — Bède. Ou bien, en disant que toutes choses lui ont été données, le Sauveur veut parler, non des éléments de ce monde, mais de ces petits auxquels le Père a révélé les mystères du Fils, et dont le salut éternel lui cause ici un véritable tressaillement de joie. — S. Ambr. Ou bien encore, dans ces paroles : " Toutes choses, " vous reconnaissez dans le Fils le Tout-Puissant égal en tout à son Père ; dans ces autres : " M’ont été données, " vous confessez qu’il est véritablement le Fils, à qui toutes choses appartiennent essentiellement en vertu de sa consubstantialité, et sans qu’elles lui aient été données par grâce. — S. Cyr. (Tres., liv. 4.) Après avoir déclaré que toutes choses lui ont été données par son Père, il élève les esprits jusqu’à la gloire et la grandeur qui lui sont propres, en montrant qu’il ne le cède en rien à son Père : " Personne ne sait qui est le Fils, si ce n’est le Père, et qui est le Père, que le Fils, " etc. En effet, la pensée de la créature ne peut atteindre la profondeur de la substance divine qui surpasse toute intelligence, et dont la beauté est au-dessus de toute conception. Le Père connaît donc le Fils en vertu de sa nature divine, et le Fils connaît le Père de la même manière, sans qu’il y ait la moindre différence de nature. Quant à nous, nous croyons que Dieu existe, mais nous ne pouvons comprendre quelle est sa nature. Mais si le Fils avait été créé, comment serait-il le seul pour connaître le Père, ou comment le Père seul pourrait-il le connaître ? Car aucune créature ne peut connaître la nature divine, tandis que la connaissance des choses créées ne surpasse pas toute intelligence, bien qu’elle puisse surpasser la portée de notre esprit.
 

S. Athan. Il est évident que les ariens se mettent en contradiction avec ces paroles du Sauveur, quand ils osent avancer que le Père ne peut être vu par le Fils. Mais n’est-ce pas une absurdité manifeste, que le Verbe ne se connaisse pas lui-même, alors qu’il donne à tous la connaissance de lui-même et de son Père : " Et celui à qui le Fils voudra le révéler ? " — Tite de Bostr. La révélation, c’est la transmission d’une connaissance faite d’une manière proportionnée à la nature et aux facultés de chacun ; là où la nature est consubstantielle, la connaissance existe sans enseignement ; pour nous, au contraire, la connaissance ne peut exister sans révélation. — Orig. Le Fils de Dieu veut faire cette révélation, comme Verbe, d’une manière conforme à la raison, et comme la souveraine justice qui sait choisir les temps les plus opportuns, et la mesure la plus convenable. Or, il révèle en écartant le voile qui est placé sur le coeur (2 Co 3), et les ténèbres où lui-même habite comme dans une retraite. (Ps 17.) Mais puisque ceux qui sont d’une opinion contraire s’efforcent d’appuyer sur ces paroles leur dogme impie, que le Père de Jésus n’a pas été connu des saints des temps anciens, nous leur répondrons que ces paroles : " Et celui à qui le Fils voudra le révéler, " se rapportent non seulement aux temps qui ont suivi celui où le Sauveur les a dites, mais encore au temps qui ont précédé. Et s’il leur répugne d’étendre le mot révéler aux temps passés, nous leur dirons que connaître et croire sont deux choses différentes : " L’un reçoit de l’Esprit saint le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit. (1 Co 12.) Ainsi les hommes eurent d’abord la foi, mais sans avoir la connaissance. — S. Ambr. De plus, afin que vous sachiez, que de même que le Fils révèle le Père à qui il veut, le Père révèle aussi le Fils à qui il veut, écoutez ces paroles du Seigneur : " Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que ce n’est ni la chair ni le sang qui vous sont révélés, mais mon Père qui est dans les cieux. "
 

vv. 23-24.

Théophyl. Le Sauveur venait de dire : " Nul ne sait quel est le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, " il proclame maintenant bienheureux ses disciples auxquels il a lui-même révélé quel est le Père : " Et se tournant vers ses disciples, il leur dit : Bienheureux les yeux, " etc. — S. Cyr. Il se retourne vers ses disciples, parce qu’il repousse les Juifs aveugles et sourds d’esprit, pour se donner tout entier à ceux qui l’aiment, et il déclare bienheureux les yeux qui voient ce qu’ils voyaient eux-mêmes de préférence aux autres. Il faut cependant remarquer, que voir ne signifie pas ici une action et un mouvement des yeux, mais une jouissance de l’âme dans la possession des bienfaits dont elle est l’objet ; comme quand on dit : " Il a vu des jours heureux, " c’est-à-dire il s’est réjoui des jours heureux ; c’est dans ce sens que le Roi-prophète dit : " Vous verrez les biens de Jérusalem. " (Ps 127.) Combien de Juifs, en effet, qui ont vu des yeux du corps Jésus-Christ opérant des miracles divins, et à qui ne peuvent convenir ces paroles du Sauveur ; car ils n’ont pas cru, et ils n’ont point vu sa gloire des yeux de l’esprit. Si donc nos yeux sont heureux, c’est que nous voyons par la foi le Verbe fait homme pour nous, et gravant dans notre âme l’impression de sa divinité pour nous rendre semblables à lui par la sainteté et la justice.
 

Théophyl ; Il proclame bienheureux ses disciples et tous ceux qui voient des yeux de la foi, en comparaison des anciens prophètes et des rois qui ont désiré voir et entendre le Dieu incarné : " Car, je vous le déclare, beaucoup de prophètes et de rois, " etc. — Bède. Saint Matthieu appelle plus clairement les prophètes des rois et des justes (Mt 13) ; ils sont en effet de grands rois, parce que loin de consentir et de succomber aux mouvements des tentations, ils ont su toujours les gouverner et les réprimer. — S. Chrys. (tiré des hom. sur S. Jean.) Il en est plusieurs qui concluent de ces paroles, que les prophètes n’ont eu aucune connaissance du Christ ; mais s’ils ont désiré voir ce que les Apôtres ont vu, ils ont donc su qu’il devait descendre parmi les hommes, et accomplir les mystères qui étaient la suite de son incarnation ; car personne ne peut avoir le désir de ce qu’il ne connaît pas ; ils ont donc connu le Fils de Dieu. Aussi le Sauveur ne dit pas simplement : Ils ont voulu me voir et m’entendre, mais : " Ils ont voulu voir ce que vous voyez, et entendre ce que vous entendez. " Ils l’avaient vu, en effet, mais avant qu’il fût incarné, qu’il conversât avec les hommes, et qu’il leur parlât un langage si plein de majesté. — Bède. Les prophètes qui ne l’apercevaient que dans le lointain des temps, l’ont vu comme dans un miroir et sous des images obscures (cf. He 11, 13 ; 1 Co 13, 2) ; les Apôtres, au contraire, qui jouissaient de la présence visible du Sauveur, et apprenaient de lui tout ce qu’ils voulaient connaître, n’avaient nul besoin d’être enseignés par les anges ou par d’autres visions semblables.

Orig. (Ch. des Pèr. gr.) Mais pourquoi le Sauveur dit-il que beaucoup de prophètes ont désiré, et non pas tous ? Parce qu’il est dit d’Abraham qu’il a vu le jour du Christ et qu’il s’en est réjoui. Or, cette vision fut le partage d’un très-petit nombre ; les autres prophètes comme les autres justes ne furent pas assez grands en mérite pour obtenir de voir ce qu’a vu Abraham, et de connaître ce qu’ont connu les Apôtres ; et c’est d’eux que Jésus dit : " Ils ont désiré voir et ils n’ont pas vu. "
 

vv. 25-28.

Bède. Notre-Seigneur avait dit précédemment à ses disciples que leurs noms étaient écrits dans les cieux, et c’est de là, je pense, qu’un docteur de la loi prit occasion pour le tenter : " Alors un docteur de la loi se leva pour le tenter, " etc. — S. Cyr. Il y avait parmi les Juifs de ces grands parleurs, qui parcouraient toute la Judée, accusant Jésus-Christ, et lui reprochant d’enseigner que la loi de Moïse était inutile, et de répandre lui-même de nouvelles doctrines. Ce docteur de la loi, voulant surprendre le Sauveur, et l’amener à parler contre Moïse, vient pour le tenter, et il l’appelle " Maître, " lui qui repoussait tout enseignement. Et comme le Seigneur avait coutume de parler de la vie éternelle à ceux qui venaient le trouver, ce docteur de la loi tient le même langage. Mais comme il le tentait dans un dessein perfide, le Sauveur ne lui répond que ce qui est écrit dans la loi de Moïse : " Jésus lui dit : Qu’y a-t-il d’écrit dans la loi ? Qu’y lisez-vous ? (cf. Dt 6, 5 ; Lv 19, 18) " — S. Ambr. Cet homme était un de ceux qui s’imaginent être docteurs de la loi, parce qu’ils possèdent les paroles de la loi, mais qui n’en connaissent ni la force ni le sens, et Jésus leur apprend par ce texte même de la loi qu’ils sont dans une complète ignorance de la loi, en leur prouvant que dès le commencement, la loi enseignait l’existence du Père et du Fils, et annonçait le mystère de l’incarnation du Seigneur : " Il répondit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et de tout ton esprit. " — S. Bas. (Ch. des Pèr. gr.) Ces paroles : " De tout ton esprit, " ne souffrent aucun partage ; car quelle que soit la partie de notre amour que vous détachiez pour la répandre sur les choses de la terre, elle l’empêche nécessairement d’être entier. De même que ce qui s’écoule d’un vase plein de liqueur en diminue nécessairement la quantité, de même tout ce qui se détache de votre amour, pour se répandre sur les choses défendues, diminue d’autant l’amour que vous devez avoir pour Dieu.

S. Grég. de Nyss. (De la créat. de l’homme, chap. 8.) On distingue dans l’âme trois degrés ou trois parties différentes, l’une est simplement végétative, comme dans les plantes, l’autre est sujette aux sensations, comme dans les animaux dépourvus de raison ; la troisième enfin qui est la plus parfaite est l’âme raisonnable qui fait le caractère propre de la nature humaine. Ces paroles : " De tout votre coeur, " font allusion à la substance corporelle ou végétative ; ces autres : " De toute votre âme, " à celle qui tient le milieu et qui est purement sensible ; ces autres enfin : " De tout votre esprit, " expriment la nature la plus élevée, c’est-à-dire la partie intellectuelle qui pense et réfléchit. — Théophyl. Notre-Seigneur nous enseigne donc par ces paroles qu’il faut appliquer toutes les forces de notre esprit à l’amour de Dieu, et le faire avec ardeur et empressement ; et c’est pour cela qu’il ajoute " Et de toutes vos forces. " — S. Max. (Chaîne des Pèr. gr.) La loi, en insistant sur cette triples direction de tout notre être vers Dieu, veut nous détacher de la triple inclination du monde vers la cupidité, vers la gloire et la volupté, trois tentations auxquelles Jésus-Christ a été lui-même soumis.

S. Basil. Si on nous demande comment on peut obtenir l’amour de Dieu, nous répondrons que l’amour de Dieu ne peut s’apprendre. Nous n’avons appris ni à nous réjouir de la présence de la lumière, ni à aimer la vie, nos parents, ou ceux qui nous ont nourris ; à plus forte raison l’amour de Dieu ne peut être l’objet d’un enseignement extérieur. Mais il y a en nous un sentiment intime déposé comme une semence au dedans de nous, et qui, par des motifs qui lui sont propres, nous porte à nous attacher à Dieu. Les enseignements des divins préceptes s’emparaient ensuite de ce sentiment, pour le cultiver, le développer et le conduire à la perfection. En effet, nous aimons naturellement tout ce qui est bon ; nous aimons aussi nos parents, nos proches, et nous accordons spontanément toute notre affection à ceux qui nous font du bien. Si donc Dieu est bon, et si tous aiment naturellement ce qui est bon, nous pouvons donc dire que tous aiment Dieu. Le bien que nous faisons volontairement se trouve naturellement en nous, à moins que nos pensées n’aient été corrompues par le vice. Quand même nous ne connaîtrions pas Dieu par les effets de sa bonté, nous devrions l’aimer sans mesure par le sentiment qu’il nous a tirés du néant et qu’il est notre Créateur. D’ailleurs, qui nous a comblés de plus de bienfaits, parmi ceux qui ont un droit naturel à notre amour ? Le premier et le plus grand commandement, c’est celui de l’amour de Dieu. Le second, qui complète le premier, lequel est aussi son complément, c’est le commandement de l’amour du prochain : " Et votre prochain comme vous-mêmes. " C’est Dieu qui nous rend facile l’accomplissement de ce précepte. Qui ne sait que l’homme est un être doux et sociable, et qui n’est point né pour vivre dans la solitude au milieu des bois ? En effet, la première inclination de notre nature, c’est d’entrer en relations avec nos semblables, d’avoir recours les uns aux autres, et d’aimer ceux qui ont avec nous une même nature. Le Seigneur ne fait donc ici que nous demander les fruits des semences qu’il a déposées lui-même au dedans de nous.
 

S. Chrys. (hom. 32, sur l’Epître 1re aux Cor.) Remarquez cependant que Dieu veut que ces deux préceptes soient accomplis dans la même étendue : " Vous aimerez Dieu de tout votre coeur,… et votre prochain comme vous-mêmes. " Si ce commandement était fidèlement observé, il n’y aurait plus ni esclave, ni homme libre, ni vainqueur ni vaincu, ni prince ni sujet, ni riche, ni pauvre, et le démon resterait à jamais inconnu ; car la paille résisterait plus facilement à la violence du feu, que le démon aux saintes ardeurs de la charité, tant la force de l’amour est supérieure à toutes choses. — S. Grég. (Moral., 19, 14). Dieu nous dit : " Vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes, " mais comment celui qui est dur pour lui-même en persévérant dans l’injustice pourra-t-il être tendre et compatissant pour les autres ?

S. Cyr. Le docteur de la loi ayant répondu ce qui était contenu dans la loi, Jésus-Christ, pour qui rien n’est caché, déchire les filets artificieux dans lesquels il voulait l’envelopper : " Jésus lui dit : Vous avez bien répondu, faites cela et vous vivrez. " — Orig. Une conclusion rigoureuse à tirer de ces paroles, c’est que la vie qui nous est annoncée et promise par Dieu, le Créateur du monde, et par les anciennes Écritures dont il est l’auteur, est la vie éternelle. Notre-Seigneur lui-même l’atteste, en citant ce texte du Deutéronome : " Vous aimerez le Seigneur votre Dieu " (Dt 6), et cet autre du Lévitique : " Vous aimerez votre prochain comme vous-mêmes. " (Lv 19.) Or, par ces paroles, le Sauveur réfute l’hérésie des partisans de Valentin, de Basilide, de Marcion. En effet, que veut-il que nous fassions pour obtenir la vie éternelle, sinon ce que contiennent la loi et les prophètes ?
 

 

vv. 29—37.

S. Cyr. L’éloge que le Sauveur vient de faire de la réponse du docteur de la loi lui inspire de l’orgueil, il ne croit point qu’il y ait pour lui de prochain, c’est-à-dire qu’il s’imagine que personne ne peut lui être comparé sous le rapport de la justice : " Mais cet homme, voulant faire paraître qu’il était juste, dit à Jésus : Et qui est mon prochain ? Il devient tour à tour la proie, pour ainsi dire, de tous les vices qui le font tomber de la ruse artificieuse avec laquelle il cherchait à tenter Jésus, dans une orgueilleuse arrogance. Cette question qu’il adresse à Jésus : " Et qui est mon prochain ? " prouve qu’il n’avait aucun amour pour le prochain, puisqu’il ne croyait pas qu’il pût avoir un prochain. Il n’avait par conséquent aucun amour pour Dieu, car puisqu’il n’aimait pas son frère qu’il voyait, comment pouvait-il aimer Dieu qu’il ne voyait pas ? (1 Jn 4, 20.)— S. Ambr. Il répond encore qu’il ne sait, qui est son prochain, parce qu’il ne croyait pas en Jésus-Christ, et que celui qui ne connaît pas Jésus-Christ, ne peut connaître la loi, car si vous n’avez aucune connaissance de la vérité, comment pouvez-vous connaître la loi qui annonce et enseigne la vérité ?

Théophyl. Ce n’est ni par les actions, ni par les dignités que le Sauveur détermine l’idée juste qu’on doit se faire du prochain. Ne croyez pas, semble-t-il dire, que personne ne soit votre prochain, parce que vous êtes juste, car tous ceux qui ont avec vous une même nature sont votre prochain ; devenez donc aussi leur prochain, non en habitant le même pays, mais en leur témoignant de l’affection et en leur donnant les soins que leur état réclame. C’est pour confirmer cette vérité qu’il cite l’exemple du Samaritain : " Jésus reprit : Un homme descendait, " etc. — Chaîne des Pèr. gr. (ou Sévère d’Antioche.) Le Sauveur se sert avec dessein du terme générique, il ne dit pas : Quelqu’un descendait, mais ; " Un homme descendait, " car soit discours embrasse l’humanité toute entière. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Cet homme représente Adam et tout le genre humain ; Jérusalem, la cité de paix, représente la Jérusalem céleste, dont l’homme a perdu la félicité par son péché ; Jéricho qui signifie lune est la figure de notre mortalité, qu’on voit successivement naître, croître, vieillir et disparaître.
 

S. Aug. (Cont. les Pélag.) Ou bien encore, Jérusalem, qui veut dire vision de la paix, représente le paradis, car avant son péché, l’homme jouissait de la vision de la paix, c’est-à-dire des délices du paradis, où tout ce qu’il voyait était pour lui une source de paix et de joie. Lorsque le péché l’eut plongé dans l’humiliation et la misère, il descendit de Jérusalem à Jéricho, c’est-à-dire, dans le monde, où tout ce qui naît disparaît bientôt comme la lune. — Théophyl. Le Sauveur ne dit pas : Il descendit, mais : " Il descendait, " car la nature humaine tend toujours à descendre, non seulement par une partie d’elle même, mais par toutes ses facultés sensibles. — S. Bas. (Chaîne des Pèr. gr.) On comprendra parfaitement cette expression du Sauveur, si l’on veut faire attention à la situation des lieux dont il parle ; Jéricho en effet est située dans les vallées de la Palestine ; Jérusalem au contraire est située sur une hauteur, au sommet d’une montagne. Cet homme descendit donc des hauteurs dans les vallées, où il fut saisi par les voleurs qui habitaient le désert : " Et il tomba entre les mains des voleurs. "
 

S. Chrys. Déplorons d’abord le malheur de cet homme qui tombe entre les mains des voleurs, sans armes et sans défense, et qui, dans son imprévoyante témérité, choisit ce chemin où il ne pouvait échapper aux brigands qui l’infestaient ; car comment, sans armes, sans prévoyance, sans précaution, aurait-il pu se défendre contre ces voleurs qui fondent sur lui à main armée, et avec les intentions les plus meurtrières ? En effet, la méchanceté marche toujours, ayant pour armes les ruses, pour remparts la cruauté et les artifices, et prête à se livrer aux plus violents excès. — S. Ambr. Or, quels sont ces voleurs, si ce n’est les anges de la nuit et des ténèbres ? Il ne serait certainement pas tombé entre leurs mains, s’il ne se fût exposé à les rencontrer, en quittant la voie des commandements de Dieu. — S. Chrys. (hom. précéd. cit.) C’est donc à l’origine du monde, que le démon a déployé toute son artificieuse méchanceté contre l’homme, en versant sur lui son venin mortel, et en inaugurant dans sa personne sa malice meurtrière. — S. Aug. (contre les Pélag.) Cet homme est donc tombé entre les mains des voleurs, c’est-à-dire au pouvoir du démon et de ses anges qui, par la désobéissance du premier homme, l’ont dépouillé des vêtements de l’innocence, et l’ont couvert de blessures, en affaiblissant en lui la force du libre arbitre : " Ils le dépouillèrent, et le laissèrent couvert de blessures. " Le démon a fait une blessure au premier homme lors de son péché, mais il nous couvre de blessures, lorsqu’à ce premier péché, dont nous avons contracté la souillure, nous en ajoutons volontairement un grand nombre d’autres. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Ou bien encore, ils ont dépouillé l’homme de l’immortalité, et l’ayant couvert de plaies (en le portant au mal), ils le laissèrent à demi-mort. En effet, l’homme est vivant en tant qu’il peut concevoir et connaître Dieu, mais il est mort dans la partie de lui-même qui succombe aux atteintes mortelles du péché, c’est ce que le Sauveur indique par ces paroles : " Et ils le laissèrent à demi-mort " — S. Aug. (contre Pélage) Dans cet homme demi-mort, l’action vitale (c’est a-dire le libre arbitre) est blessé, et n’est plus capable de le conduire à la vie éternelle qu’il avait perdue : il est donc là étendu, incapable de se relever par ses propres forces, aussi appelait-il le médecin, c’est-à-dire Dieu, pour le guérir. — Théophyl. Ou bien encore, l’homme est à demi-mort après son péché, parce que son âme est immortelle, et son corps mortel, de manière que la moitié de lui-même est assujettie à la mort. Ou bien encore, l’homme est à demi-mort, parce que la nature humaine espérait arriver au salut par Jésus-Christ, et ne pas devenir entièrement la proie de la mort ; mais par suite du péché d’Adam, la mort est entrée dans le monde, et elle ne pouvait être détruite que par la rédemption de Jésus-Christ. (Rm 5, 12.) — S. Ambr. Ou bien encore, les démons commencent par nous dépouiller des vêtements de la grâce spirituelle, avant de nous couvrir de blessures ; car si nous savions conserver ces vêtements dans toute leur beauté, nous serions inaccessibles aux coups des voleurs. — S. Bas. On peut encore entendre qu’ils ne le dépouillèrent qu’après l’avoir couvert de blessures, pour nous faire comprendre que c’est après le péché commis, que la grâce nous est enlevée. — Bède. Les péchés sont appelés des blessures, parce qu’ils détruisent l’état d’intégrité de la nature humaine. Il est dit qu’ils s’en allèrent, non pour cesser leurs embûches criminelles, mais pour dissimuler leurs ruses artificieuses,

S. Chrys. (comme précéd.) Cet homme, c’est-à-dire Adam, était donc là étendu, privé de tout secours, profondément atteint par les blessures que ses péchés lui avaient faites, et le prêtre Aaron passe sans pouvoir le secourir par ses sacrifices : " Or, il arriva qu’un prêtre descendait par le même chemin, il vit cet homme, et passa outre, " etc. Son frère Moïse, de la tribu de Lévi, voit la loi qu’il a donnée, frappée de la même impuissance : " De même, un lévite, se trouvant près de là, le vit et passa outre. " — S. Aug. (contre Pélage.) On peut aussi considérer ce prêtre et ce lévite comme représentant les deux temps de ha loi et des prophètes : le prêtre est la figure de la loi qui a institué le sacerdoce et les sacrifices ; le lévite représente les oracles des prophètes. Or, le genre humain ne put être guéri à aucune de ces deux époques, parce que la loi donne bien la connaissance du péché, mais ne le détruit pas. (Rm 3, 20 ; 8, 3.) — Théophyl. Remarquez ces paroles : " Il passa, " parce qu’en effet, la loi vint et dura jusqu’au temps que Dieu avait marqué ; et comme elle ne pouvait guérir, elle passa. Remarquez encore que la loi n’a pas été donnée dans ce dessein, que l’homme y trouvât sa guérison ; car il ne pouvait alors recevoir le mystère de Jésus-Christ. Aussi voyez comme l’Évangéliste s’exprime : " Or, il arriva qu’un prêtre descendait par le même chemin, " ce que nous disons généralement des choses qui arrivent sans avoir été prévues. — S. Aug. (serm. 37 sur les par. du Seig.) Le Sauveur donne à entendre que cet homme, qui descendait de Jérusalem à Jéricho, était israélite, par là même que le prêtre qui passa, n’en eut aucune compassion, bien qu’il fût du même peuple, et que le lévite qui était aussi de la même race, passât également sans daigner le secourir. — Théophyl. Peut-être leur première pensée fut— elle une pensée de compassion, mais la dureté naturelle reprit bientôt le dessus, ce qui nous est exprimé par cette parole : " Il passa. "

S. Aug. (comme précéd.) Le samaritain vint aussi à passer, il était étranger pour cet homme par sa race, mais il était son prochain par la compassion, et il fit ce qui suit " Mais un samaritain, qui était en voyage, vint près de lui " etc. Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu être représenté dans ce samaritain. En effet, le mot Samaritain signifie gardien. Or, c’est de lui qu’il est dit : " Celui qui garde Israël, ne sommeillera ni ne dormira point " (Ps 120), parce qu’une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus. (Rm 6.) D’ailleurs, lorsque les Juifs lui dirent : " Vous êtes un samaritain, et vous êtes possédé du démon, " il nia qu’il fût possédé du démon, lui qui savait qu’il était venu pour chasser le démon, mais il ne nia point qu’il fût le gardien des infirmes. — Sévère d’Antioche. Notre-Seigneur s’appelle ici samaritain on ne peut plus à propos, en répondant à ce docteur, fier de la connaissance de la loi ; il veut lui faire comprendre que ni le prêtre, ni le lévite, ni ceux qui vivaient sous la loi, ne pratiquaient les commandements de la loi, mais qu’il était venu lui-même pour en accomplir les prescriptions. — S. Ambr. Ce samaritain descendait ; car quel est celui qui est descendu du ciel, si ce n’est celui qui est monté au ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel ? (Jn 3.) — Théophyl. Il était en voyage, ajoute le Sauveur, c’est-à-dire qu’il venait avec le dessein formel de nous guérir. — S. Aug. (contre Pélage.) Il est venu revêtu de la ressemblance de la chair de péché (Rm 8), et c’est pour cela qu’il est dit " qu’il vint près de lui, " en se rendant comme semblable à lui. — Sévère d’Antioche. Ou bien encore, il vint près du même chemin, car il a véritablement suivi la voie droite, sans s’en écarter jamais en descendant sur la terre. pour notre salut.

S. Ambr. Or, en venant sur la terre, il s’est fait notre prochain par la sincère compassion qu’il nous porte, et notre voisin par la miséricorde dont il nous comble : " Et le voyant, il fut touché de compassion, " etc. — S. Aug. (comme précéd.) Il le voit étendu sans force, sans mouvement, et il est touché de compassion, parce qu’il ne trouve en lui aucun mérite qui le rende digne de guérison ; mais " à cause du péché, il a condamné le péché dans la chair (Rm 8) : " Et s’approchant, il banda ses plaies, y versant de l’huile et du vin, " etc. — S. Aug. (serm. 37 sur les par. du Seig.) Quelle distance plus grande peut-on imaginer, que celle qui sépare Dieu de l’homme, l’immortel de ceux qui sont soumis à la mort, le juste des pécheurs ? distance produite non par l’éloignement extérieur, mais par la différence de nature. Il possédait deux biens, la justice et l’immortalité, et nous avions, au contraire, deux maux, l’injustice et la mortalité. Or, s’il eût pris les deux maux qui étaient notre partage, il fût devenu semblable à nous, et il aurait eu besoin comme nous d’un libérateur. Et comme il ne voulait pas se rendre entièrement notre égal, mais s’approcher seulement de nous, il ne s’est point fait pécheur à votre exemple, mais il s’est fait mortel comme vous ; il a pris sur lui le châtiment sans prendre la faute, et il a ainsi détruit la faute et le châtiment.
 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Le samaritain, en bandant les plaies de cet homme, figure la répression des péchés ; l’huile représente la douce consolation de l’espérance donnée par la miséricorde divine, qui nous obtient le bienfait de ha réconciliation ; le vin, l’exhortation à une vie fervente dans l’Esprit saint. — S. Ambr. Ou bien encore, il bande nos plaies, en nous imposant une loi plus sévère ; par l’huile, il fomente nos plaies, en nous remettant nos péchés ; et par le vin, il nous pénètre de la crainte de ses jugements. — S. Grég. (Moral., 20, 8.) Ou encore, le vin figure les atteintes secrètes de la justice, et l’huile, la douceur de la miséricorde ; le vin baigne les plaies corrompues, et l’huile adoucit celles qui peuvent être guéries. Il faut donc faire un mélange de la douceur avec la sévérité, et tempérer l’une par l’autre, pour ne pas donner lieu à l’irritation par une trop grande dureté, ou au relâchement par une trop grande condescendance. — Théophyl. Ou bien dans un autre sens, l’huile figure la vie humaine du Sauveur, et le vin, qui est l’emblème de la divinité, figure sa vie-divine, dont personne ne pourrait soutenir l’éclat, si elle n’était unie à l’huile, c’est-à-dire à la vie humaine ; aussi le voyons-nous agir tantôt d’une manière humaine, tantôt d’une manière toute divine. Il verse donc de l’huile et du vin, parce que c’est tout à la fois par son humanité et par sa divinité qu’il nous a sauvés. — S. Chrys. (comme précéd.) Ou bien encore, il a versé le vin, c’est-à-dire le sang de sa passion, et l’huile, c’est-à-dire l’onction sainte, dans le dessein que le pardon de nos fautes nous fut donné par son sang, et la sanctification de notre âme par l’onction de l’huile sainte. Ce céleste médecin bande nos plaies ouvertes, afin qu’elles puissent retenir le remède qu’il leur applique, et dont l’heureuse efficacité doit les guérir entièrement. Après avoir versé sur ses plaies de l’huile et du vin, il mit cet homme sur son cheval : " Et le mettant sur sa monture, " etc.
 

S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Cette monture représente la chair dont le Fils de Dieu s’est revêtu pour venir jusqu’à nous. On est placé sur cette monture quand on croit en son incarnation. — S. Ambr. Ou bien, il nous place sur sa monture, en portant lui-même nos péchés et en souffrant pour nous (Is 53). L’homme, en effet, est devenu semblable aux animaux (Ps 48), il nous a donc placés sur sa monture, afin que nous ne soyons pas semblables au cheval et au mulet (Ps 31), et pour détruire l’infirmité de notre chair en se revêtant lui-même de notre corps. — Théophyl. Ou bien encore, il nous a placés sur sa monture, c’est-à-dire sur son propre corps ; car son incarnation nous a rendus ses membres, et nous fait entrer en participation de son corps. La loi n’admettait pas tous les hommes à faire partie du peuple de Dieu : " Les Moabites et les Ammonites, est-il écrit, n’entreront point dans l’Église de Dieu " (Dt 23) ; mais maintenant, dans toute nation, tout homme qui craint Dieu, qui veut embrasser la foi et faire partie de l’Église, est admis dans son sein. C’est pourquoi le Sauveur ajoute que le samaritain conduisit cet homme dans une hôtellerie. — S. Chrys. (comme précéd.) Cette hôtellerie, c’est l’Église qui reçoit tous ceux qui viennent fatigués des voies du monde, et accablés sous le poids de leurs péchés ; c’est là qu’après avoir déposé ce fardeau, le voyageur harassé se repose et reprend de nouvelles forces au festin salutaire qui lui est préparé. C’est ce qu’expriment ces paroles : " Et il prit soin de lui ; " car tout ce qui pouvait lui être contraire, nuisible ou mauvais, se trouve en dehors, tandis que cette hôtellerie offre un repos assuré et une sécurité complète. — Bède. Remarquez que le Samaritain met cet homme sur sa monture avant de le conduire à l’hôtellerie, parce que personne ne peut entrer dans l’Église, s’il n’est uni tout d’abord au corps de Jésus-Christ par le baptême (1 Co 12, 12.13).

S. Ambr. Mais le bon Samaritain ne pouvait rester longtemps sur la terre, et il lui fallait retourner au ciel d’où il était descendu : " Le jour suivant, il tira deux deniers, et les donna à l’hôte, " etc. Quel est cet autre jour, si ce n’est le jour de la résurrection du Seigneur, dont il est dit : " Voici le jour que le Seigneur a fait ? " (Ps 117.) Les deux derniers sont les deux Testaments qui portent tous deux gravée l’image du roi éternel, et par le mérite desquels nos blessures sont guéries. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Ou bien, ces deux deniers sont les deux préceptes tic la charité que les Apôtres ont reçus de l’Esprit saint pour annoncer l’Evangile ; ou encore, la promesse de la vie présente et celle de la vie future. — Orig. (hom. 34 sur S. Luc.) Ou bien encore, ces deux deniers représentent la connaissance de ce mystère par lequel le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, connaissance qui est donnée comme récompense à l’ange de l’Église, pour qu’il prodigue tous ses soins à l’homme qui lui est confié, et dont le Sauveur s pris soin lui-même pendant la courte durée de sa vie mortelle. Il promet à l’hôtelier de lui rendre aussitôt tout ce qu’il aurait dépensé de plus pour la guérison de ce pauvre blessé : " Et tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour. "

S. Aug. (Quest. évang., 2, 19.) Cet hôtelier représente l’Apôtre qui a donné en plus en ajoutant ce conseil : " Quant aux vierges, je n’ai pas reçu de commandement du Seigneur, mais voici le conseil que je donne " (1 Co 7, 25) ; ou bien encore en travaillant de ses mains, pour n’être à charge à personne, au commencement de la prédication de l’Évangile (1 Th 2, 9), quoique cependant il lui fût permis de vivre de l’Évangile (1 Co 20.) Les Apôtres eux-mêmes ont aussi donné en plus, ainsi que les docteurs venus dans la suite des temps, et qui recevront la récompense qui leur est due pour avoir expliqué l’Ancien et le Nouveau Testament. — S. Ambr. Heureux donc cet hôtelier qui peut panser et guérir les blessures de son frère ; heureux celui qui entend ces paroles sortir de la bouche de Jésus : " Et tout ce que vous dépenserez en plus, je vous le rendrai à mon retour. " Mais quand reviendrez-vous, Seigneur, si ce n’est au jour du jugement ? Car, bien que vous soyez partout et que vous habitiez au milieu de nous, sans que nos yeux puissent vous apercevoir, il viendra cependant un temps où toute chair vous verra revenir sur la terre. Vous rendrez alors ce que vous devez aux bienheureux, puisque vous avez voulu être leur débiteur. Puissions-nous être nous-mêmes de bons débiteurs, et rendre fidèlement ce que nous avons reçu.

S. Cyr. Après ce récit, Notre-Seigneur peut maintenant faire au docteur de la loi cette question " Lequel de ces trois vous semble avoir été le prochain de l’homme qui tomba entre les mains des voleurs ? " Le docteur répondit : " Celui qui a pratiqué la miséricorde envers lui. " Ce n’est, en effet, ni le prêtre ni le lévite qui sont le prochain de ce pauvre blessé, mais celui qui a eu compassion de lui. Ainsi la dignité sacerdotale, la science de la loi sont complètement inutiles, si elles ne sont comme relevées et consacrées par la pratique des bonnes oeuvres. Aussi le Sauveur ajoute-t-il : " Allez et faites de même. " — S. Chrys. (hom. 10 sur l’Ep. aux Hébr.) C’est-à-dire : Si vous voyez quelqu’un dans le malheur, ne dites pas c’est un scélérat, mais qu’il soit gentil ou juif, dès lors qu’il a besoin de secours, n’en faites pas un objet de railleries ; quel que soit son malheur, il a droit à être secouru. — S. Aug. (de la doct. chrét.) Nous devons apprendre de là que notre prochain est celui envers lequel nous devons exercer la miséricorde, si son état la réclame ; ou celui à l’égard duquel nous en serions redevable, s’il en avait besoin. Il suit de là, que celui qui doit à son tour nous prêter assistance au besoin, est aussi notre prochain ; car le nom de prochain suppose une relation, et nous ne pouvons être le prochain d’un homme, sans que lui-même ne devienne notre prochain. Or, nul n’est excepté de ce grand devoir de la miséricorde ; au témoignage de Notre-Seigneur, qui nous recommande de faire du bien à ceux-là mêmes qui nous haïssent (Mt 5) : " Faites du bien à ceux qui vous haïssent. " Il est donc évident que ce commandement qui nous est fait d’aimer le prochain, embrasse les saints anges eux-mêmes, qui exercent à notre égard tant d’oeuvres de miséricorde. Que dis-je ? Notre-Seigneur a voulu lui-même être appelé notre prochain, en nous faisant entendre que c’est lui-même qui est venu au secours de cet homme, laissé à demi-mort dans le chemin. — S. Ambr. Ce ne sont donc point les liens du sang, mais la miséricorde qui rend un homme notre prochain, parce que la miséricorde est un sentiment que la nature inspire ; en effet, quoi de plus conforme à la nature, que de secourir ceux qui ont avec nous une même nature ?
 

vv, 38-42.

Bède. Le Sauveur nous a enseigné précédemment l’amour de Dieu et du prochain en discours et en paraboles, il nous l’enseigne maintenant par des actions et en vérité : " Or, il arriva que pendant qu’ils étaient en chemin, Jésus entra dans un village. " — Orig. Saint Luc ne dit point le nom de ce village, mais saint Jean nous le fait connaître en l’appelant Béthanie. (Jn 11.) — S. Aug. (Serm. 20, sur les paroi. du Seig,) Or, le Seigneur qui est venu chez lui, sans que les siens aient voulu le recevoir (Jn 1), a été reçu ici comme étranger : " Et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison. " Elle le reçut comme on reçoit les voyageurs, et cependant la servante reçut son Seigneur, celle qui était malade reçut son Sauveur, la créature reçut son Créateur. Ne dites pas : Heureux ceux qui ont mérité de recevoir Jésus-Christ dans leur maison, n’enviez pas leur bonheur, car Notre-Seigneur à dit : " Tout ce que vous faites pour l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites, " (Mt 25.) En prenant la forme de serviteur, il a voulu être nourri par des serviteurs par condescendance et non par une nécessité de sa condition. Il était revêtu d’une chair soumise à la faim et à la soif, mais lorsqu’il eut faim dans le désert, les anges vinrent le servir. (Mt 4.) Si donc il consent à être nourri, c’est une grâce qu’il accorde à la personne qui le reçoit. Marthe faisait donc toute sorte de préparatifs pour recevoir dignement Notre-Seigneur, et s’occupait activement du service au contraire Marie, sa soeur, préférait être nourrie intérieurement par le Sauveur : " Elle avait une soeur, nominée Marie, laquelle, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. "

S. Chrys. L’Évangéliste ne dit pas seulement de Marie qu’elle était assise près de Jésus, mais " qu’elle était assise à ses pieds, " afin de mieux exprimer son zèle, son empressement, son attention, pour recueillir les paroles de Jésus, et le profond respect qu’elle avait pour le Seigneur. — S. Aug. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Mais plus elle s’humiliait aux pieds du Sauveur, plus elle recueillait abondamment ses divines paroles, car l’eau descend en abondance dans les profondeurs des vallées, tandis qu’elle découle du sommet des collines qui ne peuvent la retenir.

S. Bas. (Const. monast., chap. 1.) Toutes les actions, toutes les paroles du Sauveur sont pour nous autant de règles de piété et de vertu, car il s’est revêtu de notre corps pour que nous puissions imiter les exemples de sa vie selon la mesure de nos forces. — S. Cyr. Il apprend donc à ses disciples par son exemple la conduite qu’ils doivent tenir lorsqu’ils sont reçus dans quelque maison ; ils doivent en y entrant, ne pas goûter exclusivement les douceurs du repos, mais remplir de la sainte et divine doctrine l’âme de ceux qui les reçoivent. Quant à ceux qui leur donnent l’hospitalité, ils doivent l’exercer avec joie et empressement pour deux motifs, ils trouveront d’abord un sujet d’édification dans la doctrine de ceux qu’ils reçoivent, et recevront à leur tour la récompense de leur charité : " Or, Marthe s’occupait avec empressement, " etc. — S. Aug. (serm. 27, sur les parol. du Seig.) Marthe s’occupait avec raison de pourvoir aux nécessités corporelles, et aux désirs de la nature humaine du Seigneur ; mais celui qu’elle voyait revêtu d’une chair mortelle, " dès le commencement était le Verbe. " C’est ce Verbe que Marie écoutait. Ce Verbe s’est fait chair, c’est celui que Marthe servait. L’une travaillait, l’autre contemplait. Cependant Marthe, accablée de ce travail et de tout le soin du service, s’adresse au Seigneur, et se plaint de sa soeur : " Seigneur, souffrirez-vous que ma soeur me laisse servir seule ? " etc. Marie, en effet, était tout absorbée de la douceur de la parole du Seigneur, Marthe préparait un festin au Sauveur, qui lui-même servait alors à Marie un festin bien plus délicieux. Or, comment n’aurait-elle pas craint que le Seigneur pressé par sa soeur, vint à lui dire : " Levez-vous, et venez en aide à votre soeur, " alors qu’elle goûtait avec suavité les douces paroles du Sauveur, et que son coeur était plongé tout entier dans cette divine nourriture ? Elle était absorbée dans d’ineffables délices, bien supérieures à toutes les délices corporelles. Elle accepte donc ce reproche d’oisiveté, et confie sa cause à son juge, sans se mettre en peine de répondre, dans la crainte que le soin même de répondre ne vint à la distraire de l’attention qu’elle donne aux paroles du Seigneur. Le Seigneur répondit donc pour elle, lui pour qui la parole n’est pas un travail, parce qu’il est le Verbe : " Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, " etc. Cette répétition du nom de Marthe, est un signe de l’affection du Sauveur pour elle, ou un moyen de la rendre plus attentive à la leçon qu’il va lui donner. Après l’avoir ainsi appelée deux fois, il lui dit : " Vous vous inquiétez de beaucoup de choses, " c’est-à-dire vous êtes occupée de beaucoup de choses. En effet, quand l’homme se charge de servir, il veut suffire à tout, et il ne peut y réussir ; il cherche ce qui lui manque, il prépare ce qu’il a sous la main, et son esprit est dans le trouble et l’agitation. Ainsi Marthe n’eût point demandé que sa soeur vînt l’aider, si elle avait pu seule suffire au travail. Elle s’inquiète de beaucoup de choses, ses inquiétudes, ses préoccupations sont nombreuses, elles sont de diverses sortes, parce qu’elles ont pour objet les choses de la terre et du temps. Or, à toutes ces choses, Notre-Seigneur en préfère une seule ; car ce ne sont pas toutes ces choses qui en ont produit une seule, mais elles sont elles-mêmes sorties d’un seul principe. Aussi écoutez la parole du Sauveur : " Or, une seule chose est nécessaire. " Marie a voulu n’être occupée que d’une seule chose, selon cette parole du Psalmiste : " Il est bon pour moi de m’attacher à Dieu. " (Ps 72.) Le Père, le Fils, le Saint-Esprit, ne font qu’une seule et même chose ; et nous ne pouvons parvenir à cette seule chose, qu’autant que nous avons tous un même coeur. (Ac 4.) — S. Cyr. On peut encore donner cette explication : Lorsque quelques-uns de nos frères reçoivent Dieu dans leur demeure, qu’ils ne poussent pas la préoccupation à l’excès, qu’ils n’exigent pas tout ce qui est à leur disposition, mais n’est pas nécessaire ; car en toutes choses, la trop grande abondance est un embarras, c’est une cause d’ennui pour ceux qui la recherchent, et elle donne à penser aux convives qu’ils sont pour les autres une occasion de préoccupation et de fatigue.

S. Bas. (Régl. développ., quest. 19.) N’est-il pas absurde de prendre des aliments pour soutenir notre corps, et de faire de ces aliments une cause d’appesantissement pour le corps, et un obstacle à l’accomplissement des commandements de Dieu ? ( Quest. 20.) Si donc il survient un pauvre, donnons-lui la règle et l’exemple de la modération dans l’usage des aliments ; ne donnons jamais de festin pour flatter le goût de ceux qui aiment le luxe, et les désirs de la table. La vie d’un chrétien doit être uniforme, puisqu’elle tend à un même but, la gloire de Dieu. Au contraire la vie des mondains prend mille formes diverses, et ils la varient sans cesse au gré de leurs caprices. Mais pourquoi donc vous, qui chargez votre table de mets abondants et recherchés pour le plaisir de votre frère, l’accusez-vous de sensualité, et lui faites-vous le reproche honteux de gourmandise, en le condamnant de savourer avec délices les mets que vous lui préparez ? Nous ne voyons pas que le Seigneur ait loué Marthe de s’être livrée tout entière aux soins multipliés du service.

S. Aug. (Serm. 27, sur les parol. du Seig.) Quoi donc, devrons-nous penser que Notre-Seigneur blâme ici l’empressement de Marthe, tout occupée des devoirs de l’hospitalité, et heureuse de recevoir un hôte comme le Sauveur ? S’il en est ainsi, cessons de servir les pauvres, livrons-nous au ministère de la parole, que la science du salut soit notre unique objet, ne nous inquiétons nullement s’il y a quelqu’étranger parmi nous, si quelqu’un manque de pain ; laissons toutes les oeuvres de miséricorde, pour ne nous occuper que de la science. — Théophyl. Notre-Seigneur ne nous défend donc point de remplir les devoirs de l’hospitalité, mais la préoccupation excessive, la dissipation et le trouble. Remarquez d’ailleurs la prudence du Sauveur, il n’avait d’abord rien dit à Marthe, ce n’est que lorsqu’elle veut détourner sa soeur d’écouter la parole du divin Maître, qu’il prend occasion de là, pour lui faire un reproche. L’hospitalité est donc honorable, tant qu’elle ne nous entraîne qu’aux choses nécessaires, mais dès lors qu’elle nous détourne de devoirs plus importants, il est évident que l’attention aux enseignements divins est bien préférable.

S. Aug. (Serm., 26 et 27.) Notre-Seigneur ne blâme donc pas ici la pratique de l’hospitalité, mais il établit une distinction entre les oeuvres : " Marie a choisi la meilleure part, " etc. Votre part n’est pas mauvaise, mais celle que Marie a choisie est meilleure. Pourquoi est-elle meilleure ? parce qu’elle ne lui sera point ôtée. Un jour viendra où vous serez déchargée des soins nécessaires de cette vie, (car une fois entrée dans la patrie, vous n’aurez plus à exercer l’hospitalité envers les étrangers), mais cette part vous sera ôtée dans votre intérêt, et afin que vous en receviez une meilleure. On vous déchargera du travail pour vous donner le repos : Vous naviguez encore, et Marie est déjà arrivée au port, car la douceur de la vérité est éternelle ; elle s’accroît successivement dans cette vie, mais elle reçoit sa consommation dans l’autre vie, où on la possède sans crainte de la perdre.

S. Ambr. Laissez-vous donc conduire comme Marie, par l’amour de la sagesse, car c’est l’oeuvre la plus parfaite, l’oeuvre par excellence. Que les soins extérieurs ne vous détournent jamais de la connaissance de la parole céleste, et gardez-vous de condamner et d’accuser d’oisiveté ceux qui s’appliquent à l’étude de cette divine sagesse.

S. Aug. (Quest. Evang., 2, 30.) Dans le sens allégorique, Marthe recevant Jésus dans sa maison est la figure de l’Église, recevant le Seigneur dans son coeur ; Marie, sa soeur, assise aux pieds du Sauveur, et écoutant sa parole, représente aussi l’Église, mais dans le siècle à venir, où affranchie du soin et du service des pauvres, elle n’aura plus qu’à jouir de la sagesse. Elle se plaint que sa soeur ne vient pas l’aider, et elle donne occasion à Notre-Seigneur de nous montrer l’Église de la terre, inquiète et troublée de beaucoup de choses, tandis qu’il n’y a de nécessaire qu’une seule chose, à laquelle on arrive par les mérites de cette vie d’action. Il déclare que Marie a choisi la meilleure part, parce que c’est par la première qu’on parvient à la seconde qui ne sera jamais ôtée. — S. Grég. (Moral., 6, 18.) Ou bien encore Marie, qui écoute assise les paroles du Seigneur, est la figure de la vie contemplative. Marthe au contraire occupée des oeuvres extérieures représente la vie active. Notre-Seigneur ne blâme pas le genre de vie de Marthe, mais il donne des éloges à celui de Marie, parce que si les mérites de la vie active ont du prix, les mérites de la vie contemplative en ont beaucoup plus. Aussi le Sauveur déclare-t-il que la part de Marie ne lui sera jamais ôtée ; en effet, les oeuvres de la vie active n’ont d’autre durée que celle du corps, tandis que les joies de la vie contemplative ne font que se multiplier à la mort,
 
 

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