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Saint Thomas d'Aquin
Chaîne d'Or sur l'Evangile selon Saint Matthieu

CHAPITRE IX

 

vv. 1-8

S. Chrys. (hom. 30, sur S. Matth.) Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré précédemment sa puissance par sa doctrine, lorsqu’il enseignait comme ayant autorité ; dans la guérison du lépreux qu’il guérit par ces seules paroles : " Je le veux, soyez guéri ; " dans la personne du centurion qui lui dit : " Seigneur, dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri ; " sur la mer, dont il a enchaîné d’un seul mot la fureur, et sur les démons qui ont confessé sa divinité. Ici par une nouvelle et plus grande manifestation de sa puissance, il force ses ennemis de reconnaître qu’il est l’égal de son Père en dignité. C’est ce que nous lisons dans le passage suivant : " Et Jésus, étant monté dans une barque, traversa la mer, et vint en sa ville. " C’est dans une barque qu’il traverse le lac, bien qu’il pût le traverser à pied ; mais il ne voulait pas faire continuellement des miracles pour ne pas détruire la divine économie de son incarnation. — Jean, évêque. Le Créateur de toutes choses, le Maître de l’univers ayant résolu de se resserrer pour nous dans les limites étroites de la chair, voulut avoir une patrie sur la terre, être citoyen d’une ville juive ; lui de qui vient toute paternité, toute parenté, voulut avoir ici-bas des parents, afin d’attirer à lui par l’amour ceux que la crainte en avait éloignés.
 

S. Chrys. (hom. 30.) L’Évangéliste appelle Capharnaüm la ville du Sauveur ; car il y avait la ville où il était né, qui était Bethléem ; celle où s’étaient écoulées ses premières années, Nazareth, et la ville dont il fit ensuite son séjour ordinaire, c’est-à-dire Capharnaüm. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 25.) Il serait plus difficile de concilier saint Matthieu avec saint Marc, si saint Matthieu donnait le nom de Nazareth à la ville que saint Marc appelle Capharnaüm, et que saint Matthieu appelle simplement la cité du Seigneur. On conçoit très bien, au contraire, que de même que l’empire romain, composé de contrées si diverses est quelquefois désigné par le nom de cité romaine ; ainsi la Galilée a pu être appelée la cité du Christ, parce que Nazareth en faisait partie. Par la même raison, Notre-Seigneur Jésus-Christ étant venu dans la Galilée, l’Évangéliste a fort bien pu dire qu’il était venu dans sa ville, quelle que fût la cité de la Galilée où il se trouvât, d’autant plus que Capharnaüm était de beaucoup la ville la plus célèbre de cette région et en était considérée comme la métropole. — S. Jér. Ou bien il ne faut entendre par la ville du Christ que la ville de Nazareth, d’où lui est venu le nom de Nazaréen. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 25.) D’après cette explication, il faut admettre que saint Matthieu a omis tout ce que Jésus a fait lorsqu’il fut venu dans sa ville, jusqu’à son arrivée à Capharnaüm, et qu’il a placé ici la guérison du paralytique. C’est ce que font souvent les Évangélistes : ils omettent les faits intermédiaires et ils donnent comme faisant suite à ce qui précède le fait qu’ils racontent immédiatement, sans marquer la transition. C’est ainsi que l’Évangéliste nous dit ici : " Et on lui présentait un paralytique couché sur un lit. "
 

S. Chrys. (hom. 30.) Ce paralytique n’est pas celui dont parle saint Jean (Jn 5) ; car celui-là était étendu dans la piscine, celui-ci se trouvait à Capharnaüm. Le premier n’avait personne pour le servir ; le second recevait les soins de plusieurs personnes qui l’apportèrent aux pieds de Jésus. — S. Jér. On le lui présenta sur un lit, car il était impossible à cet homme de marcher. — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus n’exige pas toujours la foi des malades qui demandent leur guérison, par exemple, lorsqu’ils ont perdu la raison, ou que leur âme est absorbée par l’excès de la douleur ; c’est pour cela que 1’Évangéliste ajoute : " Or, Jésus voyant leur foi, " etc. — S. Jér. Non pas la foi du paralytique qu’on lui présentait, mais la foi de ceux qui le lui présentaient. — S. Chrys. (hom. 30.) Pour récompenser cette foi si grande, il fait éclater lui-même sa puissance, et par la plénitude de son pouvoir il remet les péchés au paralytique en lui disant : " Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis. " — S. Jean, évêque. Quel prix n’a pas auprès de Dieu la foi personnelle, puisqu’une foi étrangère en a eu un si grand à ses yeux qu’il accorde à cet homme la guérison de son âme et de son corps ? Le paralytique entend le pardon qui lui est accordé, et il se tait, aucune parole de reconnaissance ; la guérison de son corps le préoccupait beaucoup plus que celle de son âme. C’est donc avec raison que Jésus-Christ considéra la foi de ceux qui le portaient plutôt que l’insensibilité du paralytique lui-même. — S. Chrys. (hom. 30.) On peut dire aussi que la foi de cet homme était grande, car s’il n’avait pas eu la foi, il n’aurait jamais permis qu’on le descendit par le toit, comme le rapporte un autre Évangéliste. (Mc 2 ; Lc 5.)
 

S. Jér. Admirable humilité ! Jésus appelle son fils un homme délaissé, infirme, anéanti dans tous ses membres, et que les prêtres dédaignent de toucher. Il peut encore l’appeler justement son fils, parce qu’il lui a remis ses péchés. Nous pouvons apprendre par là que presque toutes les maladies sont la suite des péchés ; et si Jésus commence par remettre les péchés à cet homme, c’est afin que la santé lui soit plus facilement rendue lorsqu’il aura fait disparaître les causes de la maladie.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Les scribes, en cherchant à diffamer le Sauveur, ne firent, contre leur volonté, que mettre dans un plus grand jour le miracle qu’il avait opéré, car Jésus se servit de leur jalousie pour le rendre plus éclatant ; c’est là, en effet, un des traits de cette inépuisable sagesse, de faire servir la malice de ses ennemis à la manifestation de ses prodiges. C’est ce que l’Évangéliste rapporte en ces termes : " Et voilà que quelques scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. " — S. Jér. Nous lisons dans le Prophète (Is 43, 25) : " C’est moi qui efface toutes vos iniquités. " D’après ces paroles, les scribes, qui ne voyaient dans Jésus qu’un homme, et qui ne comprenaient pas la portée des oracles divins, l’accusent de blasphème. Mais le Seigneur, en dévoilant leurs pensées, leur prouve qu’il est le Dieu qui seul peut connaître le secret des cœurs, et son silence semble leur dire : En vertu de la même puissance qui me fait pénétrer vos pensées, je puis remettre aux hommes leurs péchés ; comprenez par vous-mêmes ce que je puis faire pour ce paralytique. C’est ce que signifient ces paroles : " Et Jésus ayant vu leurs pensées, leur dit : Pourquoi pensez-vous du mal dans vos cœurs ? " — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus ne détruisit pas le soupçon qu’ils avaient, que c’était comme Dieu qu’il disait : " Vos péchés vous sont remis. " S’il n’était pas l’égal de Dieu son Père, il devait dire : Je suis loin d’avoir la puissance de remettre les péchés. Loin de là, il établit le contraire et par ses paroles, et par le prodige qu’il opère. Il ajoute donc : " Qu’est-il plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez ? " Plus l’âme est supérieure au corps, plus aussi la guérison de l’âme par la rémission des péchés, l’emporte sur la guérison du corps. Mais ce dernier prodige étant visible, tandis que le premier ne l’est pas, Jésus l’opère quoiqu’il soit moindre, pour rendre certain le premier qui est moins évident.

S. Jér. Celui-là seul qui remettait les péchés savait s’ils étaient remis au paralytique. Mais quant à l’effet de ces paroles : " Levez-vous et marchez, " chacun pouvait en juger, celui qui se levait comme ceux qui le voyaient. Quoiqu’il appartienne à la même puissance de guérir les infirmités du corps et de l’âme ; il y a cependant une grande différence entre dire et faire. Le Sauveur fait donc un miracle extérieur comme preuve de celui qu’il opère à l’intérieur. " Or, ajoute-t-il, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre ce pouvoir de remettre les péchés. " — S. Chrys. (hom. 30.) Il ne dit pas tout d’abord au paralytique : " Je vous remets vos péchés ; " mais " Vos péchés vous sont remis. " Or, comme les scribes se récriaient, il leur révèle qu’il a une puissance plus élevée, et leur déclare " que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés ; " et comme preuve qu’il est égal à son Père, il ne dit pas que le Fils de l’homme a besoin d’un secours étranger pour remettre les péchés, mais qu’il a lui-même ce pouvoir.

La Glose. Ces paroles : " Afin que vous sachiez " peuvent avoir été dites par Jésus-Christ, ou n’être qu’une réflexion de l’Évangéliste, comme s’il disait : " Ils doutaient qu’il pût remettre les péchés ; mais afin que vous sachiez bien que le Fils de l’homme a ce pouvoir, il dit au paralytique, " etc. Si au contraire on suppose ces paroles dans la bouche du Sauveur, voici le sens qu’on peut leur donner : " Vous doutez que je puisse remettre les péchés, mais afin que vous sachiez que le Fils de l’homme, " etc. La construction grammaticale de la phrase n’est point parfaite ; mais l’Évangéliste remplace ce qui devait suivre immédiatement et qu’il sous-entend par l’acte même que Jésus accomplit. Il dit au paralytique : " Levez-vous et emportez votre lit. " — Jean, évêque. Afin que ce qui a été la preuve de sa maladie devienne un témoignage de sa guérison. " Et allez dans votre maison. " Vous, guéri par la foi au Christ, ne restez pas davantage au milieu de la perfidie des Juifs. — S. Chrys. (hom. 30.) Jésus lui donne cet ordre afin que l’on ne prenne pas pour une simple apparence la guérison qu’il vient d’opérer, et c’est pour en démontrer la vérité que l’Évangéliste dit : " Il se leva et il alla dans sa maison. " Et cependant ceux qui en furent témoins se traînent encore dans des idées tout humaines. " Et le peuple voyant cela, " etc. Si leurs pensées avaient été justes et droites, est-ce qu’ils n’auraient pas dû reconnaître que Jésus était le Fils de Dieu ? Toutefois c’était déjà quelque chose que de le regarder comme supérieur à tous les hommes, et comme l’envoyé de Dieu.
 

S. Hil. Il y a une signification mystérieuse dans la conduite de Jésus revenant dans sa ville, après avoir été rejeté par la Judée. La cité de Dieu, c’est le peuple fidèle ; Jésus-Christ y est entré porté par une barque, c’est-à-dire par son Église. — Jean, évêque. Il n’a pas besoin de cette barque, mais la barque a besoin de Jésus-Christ, car jamais, sans la direction qui vient du Ciel, le vaisseau de l’Église ne pourrait traverser la mer du monde et arriver au port de l’éternité. — S. Hil. La personne du paralytique est la figure de l’universalité des nations dont on demande la guérison ; ce paralytique est présenté au médecin par le ministère des anges, parce qu’il est l’oeuvre de Dieu ; il lui remet les péchés dont la loi ne pouvait le délivrer, parce que la foi seule justifie le pécheur. Il est une preuve des merveilleux effets de la résurrection, car en emportant son lit il nous apprend que notre corps sera un jour affranchi de toute infirmité. — S. Jér. Dans le sens tropologique, on peut voir ici l’image d’une âme qui vit sans force au milieu de son corps, après avoir perdu toutes ses vertus, et que l’on présente au Seigneur, le docteur consommé, pour être guérie. Tout homme atteint de cette maladie doit intéresser à son état ceux qui peuvent demander à Dieu sa guérison, et à l’aide de la doctrine céleste rendre la force à ses pas chancelants. Souffrons donc que les conseillers de notre âme l’élèvent vers les choses supérieures, malgré la langueur où la retient la faiblesse de son corps mortel. — Jean, évêque. Le Seigneur sur cette terre ne s’inquiète pas du désir des insensés, mais il a égard à la foi d’autrui ; c’est ainsi que le médecin ne s’arrête point à la volonté des malades, lorsqu’ils demandent des choses qui leur sont contraires.

Rab. Se lever, c’est arracher son âme aux désirs de la chair ; enlever son lit, c’est élever son corps des désirs de la terre jusqu’aux aspirations de l’esprit ; aller dans sa maison, c’est retourner au paradis, ou a la garde intérieure de soi-même, pour ne plus retomber dans le péché. — S. Grég. (Moral. 23, 15.) Ou bien par le lit on peut entendre les voluptés sensuelles ; on ordonne à celui qui a recouvré la santé de porter ce lit où il était couché pendant sa maladie ; car tout homme qui trouve encore son plaisir dans le vice, est comme étendu sans force au milieu des voluptés de la chair. Mais lorsqu’il est guéri, il porte ce lit, parce qu’il supporte les assauts de cette même chair, au lieu de se reposer comme auparavant dans ses désirs coupables. — S. Hil. (can. 8 sur S. Matth.) La foule, à la vue de ce miracle, fut saisie de crainte ; en effet, c’est un grand sujet d’effroi de tomber entre les mains de la mort avant que Jésus-Christ nous ait pardonné nos péchés, car sans ce pardon il n’y a point de retour possible dans notre éternelle demeure. Lorsque cette crainte vient à cesser, on rend gloire à Dieu de ce que par le moyen de son Verbe il a donné aux hommes le pouvoir de remettre les péchés, de ressusciter les corps et de rouvrir les portes du ciel.

 

vv. 9-13

S. Chrys. (hom. 31.) Après avoir opéré ce miracle, Jésus ne crut pas devoir demeurer dans ce même endroit, pour ne pas donner un nouvel aliment à la jalousie des pharisiens. Imitons nous-mêmes cet exemple, et n’opposons pas de résistance obstinée à ceux qui nous dressent des embûches. C’est pour cela que l’écrivain sacré ajoute : " Et Jésus partant de là (du lieu où il avait fait le miracle) vit un homme assis au bureau des impôts et qu’on appelait Matthieu. " — S. Jér. Les autres Évangélistes n’ont pas voulu, par honneur et par respect pour lui, l’appeler du nom connu de Matthieu ; ils l’ont appelé Lévi, car il portait ces deux noms. Mais quant à lui il met en pratique cette maxime de Salomon : " Le juste est son propre accusateur " (Pv 18, 17), et se fait connaître sous le nom de Matthieu comme publicain ; il apprend ainsi à ceux qui liront son Évangile, que nul ne doit désespérer de son salut, s’il veut rentrer dans les sentiers de la vertu, puisque lui-même a été changé en un instant de publicain en apôtre. La Glose. Il était assis au bureau des impôts, c’est-à-dire dans une de ces maisons où l’on percevait les impôts ; car le nom qui lui est donné (teloniarius), receveur des impôts, vient du mot grec ?????, qui signifie impôt.

S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Ce qui fait éclater encore davantage la puissance de celui qui l’appelle, c’est qu’il n’attend pas que Matthieu abandonne cette profession pleine de dangers, il l’arrache aux maux qui l’environnaient, comme Paul encore dans la fougue de ses égarements. (Ac 9.) Et il lui dit " Suivez-moi. " Vous avez vu la puissance de Dieu qui l’appelle, admirez aussi l’obéissance de celui qui est appelé. Il n’oppose aucune résistance ; il ne demande pas d’aller chez lui pour faire part de son dessein à sa famille. Rem?. Il compte même pour rien le danger qu’il courait de la part de ses chefs, en quittant son emploi sans avoir réglé ses comptes. " Et se levant, il le suivit. " Il a sacrifié les gains d’une profession tout humaine ; par une juste compensation, il est devenu le dispensateur des talents du Seigneur.

S. Jér. Porphyre et l’empereur Julien accusent ici, ou l’Évangéliste d’avoir menti avec peu d’habileté, ou les disciples d’avoir suivi tout aussitôt le Sauveur sans aucune réflexion, comme s’ils s’étaient rangés contre toute raison sous la conduite du premier venu qui les appelait à le suivre. Mais au contraire, n’est-il pas certain que les Apôtres avant de croire avaient été les témoins des plus grands miracles et des plus grands prodiges ? Est-ce que d’ailleurs l’éclat et la majesté de la divinité qui, toute cachée qu’elle était, resplendissait sur la figure du Sauveur, ne suffisaient pas pour attirer à lui au premier abord ceux qui le voyaient ? Car si la pierre d’aimant a, dit-on, la force d’attirer à elle le fer, quelle puissance bien plus grande n’avait pas le Seigneur de toutes les créatures pour attirer à lui tous ceux qu’il voulait.
 

S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) Mais pourquoi Jésus-Christ ne l’a-t-il pas appelé en même temps que Pierre, Jean et les autres apôtres ? C’est qu’alors ses dispositions étaient encore imparfaites, et celui qui voit le fond des cœurs voulut attendre que ses nombreux miracles et l’éclat de sa réputation lui eussent rendu l’obéissance plus facile. — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 26.) Ou bien il paraît plus probable que saint Matthieu, on parlant ici de sa vocation, rappelle un fait qu’il avait omis précédemment ; car on doit admettre qu’elle précéda le sermon sur la montagne, puisque saint Luc (Lc 6) y fait mention des douze élus auxquels il donne le nom d’apôtres. La Glose. Saint Matthieu place sa vocation parmi les miracles ; ce fut en effet un grand miracle qu’un publicain devenu apôtre. — S. Chrys. (hom. 31.) Mais pourquoi donc, à l’exception de Pierre, d’André, de Jacques, de Jean et de Matthieu, ne savons-nous pas comment et à quelle époque eut lieu la vocation des autres apôtres ? C’est que ceux que nous venons de nommer appartenaient surtout à des professions basses et obscures ; car il n’y avait rien de moins honorable alors que la profession d’un receveur d’impôts ou le métier de pêcheur.

La Glose. Matthieu voulant témoigner à Jésus-Christ sa digne reconnaissance pour le céleste bienfait de sa vocation, lui prépare un grand repas dans sa maison ; et il offre ainsi les biens de la terre à celui dont il attendait les biens de l’éternité. " Et il arriva, nous dit-il, que comme Jésus était à table dans la maison. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu n’explique pas ici chez qui Jésus était à table ; on pourrait donc supposer que ce fait ne suit pas immédiatement celui qui précède, mais qu’il s’est passé antérieurement, et que saint Matthieu ne le raconte ici que suivant l’ordre de ses souvenirs, si d’ailleurs saint Marc et saint Luc ne nous apprenaient que c’est dans la maison de Lévi ou de Matthieu que Jésus s’est mis à table. — S. Chrys. (hom. 31.) Matthieu, honoré de ce que Jésus-Christ daignait entrer dans sa maison, invita avec lui tous les publicains qui étaient de la même profession. " Et voici, nous dit-il, que beaucoup de publicains, " etc. — La Glose. On appelle publicains ceux dont la vie se passe au milieu des embarras des affaires publiques, que l’on ne peut jamais ou presque jamais manier sans péché. Et ce fut là un magnifique présage, de voir celui qui devait être l’apôtre et le docteur des nations, dès le premier moment de sa conversion, attirer après lui dans les voies du salut la foule des pécheurs et former déjà par son exemple à la perfection ceux qu’il devait y conduire par sa parole. — S. Jér. Tertullien prétend que ces publicains étaient des païens, et il appuie son sentiment sur cette parole de l’Écriture : " Il n’y aura point d’impôt en Israël, " comme si saint Matthieu lui-même n’eût pas été juif. Ajoutons que le Seigneur ne mangeait pas avec les païens ; car il évitait avec le plus grand soin de paraître détruire la loi, lui qui avait dit à ses disciples : " N’allez pas dans la voie des nations. " Or ces publicains, voyant un des leurs se convertir du péché à la justice, et obtenir ainsi la grâce du repentir, ne désespèrent plus eux-mêmes de leur salut. S. Chrys. (hom. 31.) Ils s’approchèrent donc de notre Rédempteur, et ils furent admis non-seulement à lui parler, mais encore à manger avec lui. — Ce n’était pas seulement en discutant avec ses ennemis, en guérissant leurs malades, ou en les reprenant de leur malice, mais en mangeant avec eux qu’il ramenait bien souvent ceux qui étaient mal disposés à son égard. Il nous apprenait ainsi que chacun des instants comme chacune des actions de notre vie peut être pour nous l’occasion d’immenses avantages. Or, les pharisiens à cette vue furent indignés, et c’est d’eux que l’Évangéliste ajoute : " Ce que voyant les pharisiens, ils dirent à ses disciples : Pourquoi votre Maître mange-t-il avec des publicains ? " etc. Il est à remarquer que lorsqu’ils croient surprendre les disciples en faute, ils s’adressent à Jésus-Christ. " Voyez, lui disent-ils, vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. " Ici c’est auprès des disciples qu’ils accusent le Maître. Toute cette conduite témoignait de leur malice et du désir qu’ils avaient de séparer du Maître le cœur de ses disciples. — Rab. Ils étaient sous le coup d’une double erreur : premièrement ils se croyaient justes, eux que leur orgueil plein de faste tenait si loin de la justice ; en second lieu, ils regardaient comme coupables ceux qui renonçaient à leur vie criminelle et se rapprochaient de la vertu.

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc paraît raconter le même fait en termes tant soit peu différents. D’après son récit, les pharisiens disent aux disciples : " Pourquoi mangez-vous avec les publicains et avec les pécheurs ? " faisant ainsi tomber à la fois ce reproche sur Jésus-Christ et sur ses disciples. Mais en adressant ce reproche aux disciples, ne l’adressent-ils pas au Maître lui-même, dont les Apôtres faisaient profession de suivre les exemples ? La pensée est donc la même, et elle est d’autant plus certaine qu’elle est exprimée en termes différents, avec le même fond de vérité. — S. Jér. Ceux qui viennent à Jésus ne persévèrent pas dans leurs habitudes criminelles, comme le disent en murmurant les scribes et les pharisiens ; mais ils sont conduits par le repentir comme le Seigneur le fait connaître par ces paroles : " Mais Jésus les ayant entendus leur dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin, " etc. — Rabanus. Jésus se déclare médecin, lui qui par un traitement vraiment admirable a voulu être blessé pour nos péchés, afin de guérir les blessures de nos iniquités. Il appelle bien portants ceux qui, voulant établir leur propre justice, ne sont pas soumis à la véritable justice de Dieu. (Rm 10.) Il donne le nom de malades à ceux qui, vaincus par le sentiment de leur propre fragilité, et qui persuadés d’ailleurs que la loi est impuissante pour les justifier, se soumettent à la grâce de Dieu par le repentir.
 

S. Chrys. (hom. 31.) Après avoir raisonné avec eux en suivant les principes ordinaires de la raison, il leur cite l’Écriture, et leur dit : " Allez et apprenez ce que veut dire cette parole : Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice (Os 6, 6). " — S. Jér. Il emprunte ce témoignage aux prophètes, pour condamner la sévérité des scribes et des pharisiens qui, se regardant comme justes, évitaient tout contact avec les pécheurs et les publicains. — S. Chrys. (hom. 31.) C’est comme s’il leur disait : Pourquoi me faites-vous un crime de convertir les pécheurs ? Mais alors accusez Dieu le Père lui-même. Car je désire la conversion des pécheurs comme il la désire. C’est ainsi qu’il leur démontre que non-seulement la loi ne défend pas ce qu’ils lui reprochaient, mais qu’elle place même sa manière d’agir au-dessus du sacrifice. Car il ne dit pas : Je veux la miséricorde et le sacrifice ; mais il fait un précepte de la miséricorde, en excluant le sacrifice.

La Glose. Ce n’est pas cependant que Dieu rejette le sacrifice séparé de la miséricorde ; mais il condamne ici la conduite des pharisiens qui offraient de fréquents sacrifices dans le temple pour paraître justes aux yeux du peuple, sans pratiquer les oeuvres de miséricorde, qui sont la preuve de la véritable justice. — Rab. Il leur enseigne donc à mériter par des oeuvres de miséricorde les récompenses de la miséricorde divine, et à ne pas se flatter que leurs sacrifices seront agréables à Dieu, s’ils y joignent le mépris des besoins du pauvre. C’est pourquoi il ajoute : " Allez, " c’est-à-dire quittez ces sentiments de blâme aussi téméraire qu’insensé, et qui font ressortir davantage la miséricorde. Il termine en se proposant lui-même comme exemple de la miséricorde qu’ils doivent pratiquer. " Car je ne suis pas venu, dit-il, pour appeler les justes, mais les pêcheurs. " — S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Luc ajoute : " A la pénitence, " ce qui explique clairement la pensée du Sauveur, afin que personne ne croie qu’il aime les pécheurs en tant que pécheurs. D’ailleurs cette comparaison avec les malades nous fait bien connaître les desseins de Dieu ; il recherche les pécheurs comme un médecin recherche les malades, pour les délivrer de leurs iniquités, qui sont une véritable maladie, ce qui ne peut se faire que par la pénitence.

S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Est-ce que le Christ n’était pas venu pour tous les hommes ? Comment donc peut-il dire qu’il n’est pas venu pour les justes ? Il était donc des hommes pour qui sa venue n’était pas nécessaire ? Non, mais c’est que personne n’est juste par la loi ; Jésus montre donc le néant de cette prétention à la justice, car les sacrifices de l’ancienne loi étant impuissants pour la justification, tous ceux qui vivaient sous la loi avaient besoin de la miséricorde. — S. Chrys. (hom. 31 sur S. Matth.) C’est ce qui nous ferait croire à une ironie de la part de Jésus-Christ comme dans ces autres paroles de Dieu : " Voici qu’Adam est devenu comme un de nous, " car S. Paul nous déclare positivement que personne n’est juste sur la terre : " Tous ont péché, dit-il, et ont besoin de la gloire de Dieu. " (Rm 3) Par là même aussi, il calme les inquiétudes de ceux qui étaient appelés, en leur disant : " Je suis si loin d’avoir en horreur les pécheurs, que ce n’est que pour eux que je suis venu. " — Rab. Ou bien c’est parce que ceux qui étaient justes (comme Nathanaël et Jean-Baptiste) n’avaient pas besoin qu’on les appelât à la pénitence. Ou bien encore, je ne suis pas venu appeler les faux justes qui, comme les pharisiens, se glorifient de leur justice, mais ceux qui se reconnaissent pécheurs. La vocation de saint Matthieu et celle des publicains représente la vocation des Gentils qui soupiraient avec ardeur après les richesses de la terre, et qui maintenant réparent leurs forces dans la compagnie du Seigneur. L’orgueil des pharisiens est la figure de la jalousie des Juifs à la vue de la conversion des Gentils. Ou bien Matthieu signifie l’homme qui poursuit avidement les biens de la terre, et que Jésus regarde, lorsqu’il jette sur lui les yeux de la miséricorde. Le nom de Matthieu signifie donné ; celui de Lévi, choisi, car le pénitent est choisi du milieu de la masse de ceux qui se perdent et il est donné à l’Église par la grâce de Dieu. Et Jésus lui dit : " Suivez-moi. " Jésus donne cet ordre au pêcheur, ou par la prédication, ou par la voix des Écritures, ou par une inspiration intérieure.

 

vv. 14-17

La Glose. A peine Notre-Seigneur s’est justifié de fréquenter les pécheurs et de participer à leurs repas qu’on l’attaque sur l’action de manger elle-même. " Alors, dit l’Évangéliste, les disciples de Jean vinrent le trouver, et lui dirent : Pourquoi les Pharisiens et nous, jeûnons-nous ? " etc. S. Jér. Question pleine d’orgueil, et coupable vanité du jeûne ! Les disciples de Jean étaient inexcusables de s’être joints aux pharisiens que leur Maître avait si hautement condamnés, ils le savaient bien, et qui calomniaient celui qu’il avait annoncé. — S. Chrys. (hom. 31.) Cette question revient à dire : " Soit, vous agissez de la sorte comme médecin ; mais pourquoi vos disciples, laissant là le jeûne, vont-ils s’asseoir à de pareilles tables ? " Pour rendre l’accusation plus forte par la comparaison, ils se mettent en regard, eux d’abord, et puis les pharisiens. Car ces derniers jeûnaient pour obéir à la loi, comme ce pharisien qui disait : " Je jeûne deux fois dans la semaine, " et les disciples de Jean, d’après la recommandation de leur Maître. — Rab. Car Jean ne but ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et le mérite de son abstinence est d’autant plus grand, qu’il n’avait aucune puissance sur la nature. Mais quant au Seigneur qui peut remettre les péchés, pourquoi s’abstiendrait-il de manger avec les pécheurs, puisqu’il peut les rendre plus justes que ceux qui font profession d’abstinence. Jésus-Christ jeûne pour vous apprendre à ne pas éluder le précepte du jeûne, et il mange avec les pécheurs, pour vous faire comprendre sa puissance et l’efficacité de sa grâce.

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 27.) Saint Matthieu attribue cette question aux disciples de Jean ; le récit de saint Marc, au contraire (Mc 2), semblerait indiquer qu’elle fut faite par d’autres, c’est-à-dire par les convives, objectant l’exemple des disciples de Jean et des pharisiens ; ce que saint Luc (Lc 5) raconte en termes plus exprès. Si donc saint Matthieu s’exprime ainsi : " Alors les disciples de Jean s’approchèrent, " etc., c’est que ces disciples étaient présents, et que tous à l’envi faisaient autant qu’ils le pouvaient, cette objection. — S. Chrys. (hom. 31.) Ou bien, si saint Luc place cette question dans la bouche des pharisiens, tandis que saint Matthieu l’attribue aux disciples de Jean-Baptiste, c’est que les pharisiens les avaient poussés à faire cette question, comme ils firent encore plus tard à l’égard des hérodiens. Il est à remarquer que lorsqu’il s’agit de prendre la défense des étrangers, des publicains par exemple, Notre-Seigneur, pour consoler leur âme ulcérée par le chagrin, repousse avec force les accusations dont ils sont l’objet, tandis qu’il répond avec une extrême douceur lorsque le blâme tombe sur ses disciples. Et Jésus leur dit : " Les amis de l’Époux peuvent-ils être dans le deuil pendant que l’Époux est avec eux ? " Il vient de se présenter comme médecin, ici il se donne le nom d’époux, rappelant ainsi ces paroles de Jean-Baptiste (Jn 3) : " L’époux est celui qui a l’épouse. " — S. Jér. L’époux, c’est Jésus-Christ ; l’épouse, c’est l’Église. De cette union spirituelle sont nés les Apôtres, qui ne peuvent pas être dans le deuil tant qu’ils voient l’Époux dans la chambre nuptiale, et qu’ils savent qu’il est avec l’Épouse. Mais lorsque les jours des noces seront passés pour faire place au temps de la passion et de la résurrection, alors les fils de l’Époux jeûneront, comme il est dit : " Viendront des jours, " etc.

S. Chrys. (hom. 31.) Voici le sens des paroles du Sauveur : " Le temps présent est le temps de la joie et de l’allégresse ; il ne faut pas y mêler de cause de tristesse. Car le jeûne est une chose triste, non pas précisément en elle-même, mais pour ceux dont les dispositions sont imparfaites, c’est-à-dire pour ceux qui n’ont pas encore atteint la force de la perfection spirituelle ; car il est plein de douceur pour ceux qui veulent se livrer à la contemplation de la sagesse et travailler à leur perfection. Notre-Seigneur se conforme donc à leurs idées, et il montre par là que la conduite de ses disciples était l’effet non point de la sensualité, mais d’une économie pleine de sagesse.

S. Jér. Quelques-uns se fondent sur ces paroles pour conclure que l’on doit consacrer au jeûne les quarante jours qui suivent la passion, quoique les jours de la Pentecôte et la descente de l’Esprit saint qui suivent immédiatement, nous apportent de nouveaux sujets de joie. Montan, Prisca et Maximilla prennent occasion des mêmes paroles pour faire le carême après la Pentecôte, en alléguant que les fils de l’Époux doivent jeûner lorsque l’Époux a disparu. Mais la coutume de l’Église est de se disposer à la passion et à la résurrection du Seigneur par l’humiliation de la chair, et de nous préparer par le jeûne du corps à l’abondance spirituelle que les mystères tiennent pour nous en réserve.

S. Chrys. (hom. 31). Le Sauveur appuie de nouveau sa doctrine sur des exemples empruntés à la vie ordinaire : " Personne, dit-il, ne met une pièce de drap neuf à un vieux vêtement, " etc., paroles dont voici le sens : Mes disciples ne sont pas encore assez forts, ils ont encore besoin de condescendance, l’Esprit saint ne les a pas encore renouvelés ; dans cette disposition, il ne faut point leur imposer le lourd fardeau des préceptes. En parlant de la sorte, il trace à ses apôtres la règle qu’ils devront suivre, de traiter avec douceur les disciples qui leur viendront de toutes les parties de la terre. — Remi. Par ce vieux vêtement il veut désigner ses disciples, car ils n’étaient pas encore entièrement renouvelés ; ce morceau d’étoffe forte, c’est-à-dire neuve, signifie la grâce de la nouvelle loi, c’est-à-dire la doctrine de l’Évangile, dont le jeûne est une petite partie. Il ne convenait donc pas qu’il leur imposât la loi dure et pénible du jeûne, qui aurait pu les briser par sa rigueur et leur faire perdre la foi. C’est pour cela qu’il ajoute : " Car le neuf emporte une partie du vieux. "
 

La Glose. C’est comme s’il disait : Une pièce d’étoffe, c’est-à-dire neuve, ne doit pas être cousue à un vieil habit, car souvent elle emporte tout ce qu’elle recouvre, c’est-à-dire le vêtement presque tout entier, et la déchirure est plus grande. C’est ainsi qu’en imposant un lourd fardeau à un homme encore novice, on détruit souvent le bien qui existait auparavant dans son âme.
 

Remi. A ces deux comparaisons, celle des noces et celle d’une pièce d’étoffe neuve et d’un vêtement usé, il en ajoute une troisième, celle des outres et du vin : " Et l’on ne met point, dit-il, du vin nouveau dans de vieilles outres, " etc. Ces vieilles outres ce sont ses disciples, qui n’étaient pas encore parfaitement renouvelés ; et le vin nouveau signifie la plénitude de l’Esprit saint et les mystères du ciel, dont les disciples n’étaient pas encore capables de pénétrer la profondeur. Mais après la résurrection, ils devinrent des outres neuves ; ils reçurent le vin nouveau lorsque l’Esprit saint vint remplir leur cœur ; ce qui fait dire à quelques-uns : " Ils sont tous pleins de vin nouveau. " — S. Chrys. (hom. 31.) Le Sauveur nous donne ainsi la raison de tant de paroles simples et familières qu’il disait à ses apôtres, pour s’accommoder à leur faiblesse.

S. Jér. Nous pouvons encore entendre par ce vêtement usé et par ces vieilles outres, les scribes et les pharisiens. Ce morceau de drap neuf et le vin nouveau sont les préceptes de l’Évangile qu’on ne peut imposer aux Juifs, dans la crainte d’une déchirure plus grande. Les Galates voulaient faire quelque chose de semblable, en mêlant les prescriptions de la loi avec celles de l’Évangile, et en mettant du vin nouveau dans de vieilles outres ; mais l’Apôtre les en reprit en ces termes : " O Galates insensés, qui vous, a fasciné l’esprit pour vous rendre ainsi rebelles à la vérité ? " Il fallait donc verser d’abord la doctrine de l’Évangile dans le cœur des Apôtres, avant d’en faire part aux scribes et aux pharisiens qui, étant corrompus par les traditions de leurs ancêtres, ne pouvaient conserver la pureté sans mélange des préceptes du Christ. Il y a, en effet, une grande différence entre la pureté d’une âme virginale qu’aucune faute antérieure n’a soufflée, et celle d’une âme qui a traîné dans la fange de toutes les passions. — La Glose. Par là le Sauveur nous apprend que les Apôtres ne devaient pas être retenus captifs des anciennes observances, eux qui devaient être comme inondés des flots d’une grâce toute nouvelle.
 

S. Aug. (serm. du Carême). Ou bien encore, tout chrétien qui jeûne convenablement humilie son âme dans les gémissements de la prière et la mortification du corps, ou la détache des séductions de la chair sous le charme d’une sagesse toute spirituelle. Or, le Seigneur embrasse dans sa réponse ces deux espèces de jeûne. Il dit du premier qui tend à humilier notre âme : " Les fils de l’Époux ne peuvent pas être dans le deuil ; " et de celui qui offre à l’âme un aliment tout spirituel : " Personne ne met un morceau de drap neuf, " etc. Mais lorsque l’Époux nous est enlevé, c’est alors qu’il faut pleurer, et notre douleur sera véritable si nous brûlons du désir de le voir. Heureux ceux qui ont pu jouir de sa présence avant sa passion, l’interroger suivant leurs désirs, et l’écouter avec le respect qu’ils devaient à ses divines paroles. Nos pères ont désiré le voir avant sa venue, et ils ne l’ont point vu. Dieu leur avait donné une autre mission : ils devaient annoncer son avènement, mais ils ne devaient pas entendre sa parole, lorsqu’il serait descendu sur la terre. C’est en nous que se sont accomplies ces paroles du Sauveur : " Il viendra un temps où vous désirerez voir un de ces jours, et vous ne le pourrez pas. " Qui donc ne consentira à être dans le deuil ici-bas ? Qui ne dira : " Mes larmes sont devenues mon pain le jour et la nuit, pendant qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? " C’est donc avec raison que l’Apôtre désirait d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ.
 

S. Aug. (de l’accord des Evan g., liv. 2, chap. 12.) Saint Matthieu emploie le mot tristesse là où saint Marc et saint Luc se sont servis de l’expression jeûner, parce que le jeûne dont parle ici le Seigneur renferme l’humiliation d’une âme affligée, tandis que les dernières comparaisons ont pour objet l’autre espèce de jeûne qui consiste dans la joie de l’âme que les douceurs spirituelles tiennent comme suspendue et détachée des aliments terrestres. Notre-Seigneur nous apprend ainsi que ceux qui sont trop occupés de leur corps et qui n’ont point dépouillé le vieil homme et ses inclinations, ne sont pas capables de cette espèce de jeûne.

S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, la réponse que Notre-Seigneur fait ici, en déclarant que ses disciples ne doivent point jeûner tant qu’ils jouissent de la présence de l’Époux, nous apprend la joie dont sa présence est pour nous le principe, et nous rappelle le sacrement où il nous donne une nourriture sainte, nourriture qui ne fera défaut à personne pourvu que Jésus-Christ soit présent, c’est-à-dire qu’on le possède au dedans de soi-même. Mais lorsque l’Époux leur sera enlevé, alors ils jeûneront, car aucun de ceux qui ne croiront pas à la résurrection du Christ, ne mangera le pain de vie, puisque le sacrement où nous recevons le pain du ciel nous est donné comme gage de notre foi en la résurrection. — S. Jér. Ou bien encore, c’est lorsque nos péchés ont forcé l’Époux de s’éloigner, qu’il faut recourir au jeûne et nous abandonner à la tristesse. — S. Hil. (Can. 9 sur S. Matth.) Ces exemples nous sont aussi proposés pour nous apprendre que les âmes, aussi bien que les corps affaiblis par d’anciens péchés, sont incapables de recevoir les sacrements de la grâce nouvelle.
 

Rab. Quoique ces diverses comparaisons n’aient qu’un même objet, elles diffèrent cependant l’une de l’autre. Le vêtement qui couvre notre corps représente les bonnes oeuvres que nous faisons extérieurement ; et le vin qui nous fortifie intérieurement signifie la ferveur de la foi et de la charité qui renouvelle l’intérieur de notre âme.

 

vv. 18-22

S. Chrys. (hom. 32.) Aux enseignements Jésus-Christ fait succéder les oeuvres, ce qui devait surtout fermer la bouche aux pharisiens ; car celui qui venait demander un miracle était un chef de la synagogue, et sa douleur était grande ; cette jeune personne était sa fille unique, et dans la première fleur de l’âge, puisqu’elle n’avait que douze ans. " Comme il leur parlait de la sorte, un chef s’approcha. " S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 28.) Saint Marc et saint Luc racontent le même fait, mais en suivant un ordre différent, et ils le placent après que Jésus eut traversé le lac, en quittant le pays des Gérazéniens, où il avait chassé les démons dans un troupeau de pourceaux. Selon le récit de saint Marc, ce fait ce serait passé après que Jésus eut de nouveau traversé le lac ; mais combien de temps après ? c’est ce qu’on ne peut savoir. Cependant s’il n’y avait eu aucun intervalle, il n’y aurait pas moyen de placer ce que raconte saint Matthieu du repas qui eut lieu dans sa maison, et c’est immédiatement après que le chef de la synagogue est venu trouver Jésus. Car si ce prince s’est présenté lorsque Jésus proposait la comparaison du drap neuf et du vin nouveau, on ne doit pouvoir placer aucune action, aucune parole intermédiaire. Or, dans la narration de saint Marc, on voit où l’on pourrait intercaler d’autres faits. Saint Luc lui-même n’est pas contraire à saint Matthieu, car la manière dont il commence son récit : " Et voici qu’un homme qui s’appelait Jaïre, " n’indique pas que ce soit immédiatement après ce qui précède, mais après ce que saint Matthieu raconte en ces termes du repas qu’il prenait avec les publicains : " Pendant qu’il parlait de la sorte, un prince (c’est-à-dire Jaïre, chef de la synagogue) s’approcha, et il l’adorait en lui disant : Seigneur, ma fille vient de mourir. " Pour faire disparaître toute contradiction, il faut remarquer que les deux autres Évangélistes ne disent pas qu’elle est morte, mais sur le point de mourir, tellement qu’ils ajoutent que des envoyés vinrent apprendre au père que sa fille était morte, et qu’il n’eût point à tourmenter davantage le Seigneur. Il faut donc admettre que pour abréger, saint Matthieu s’est attaché surtout à rapporter la prière qui fut adressée au Sauveur de faire ce qu’il fit en effet, c’est-à-dire de ressusciter celle qui venait de mourir. Il ne s’est donc pas arrêté à de que le père dit à Jésus de sa fille, mais, ce qui est bien plus important, aux sentiments et aux désirs qui l’agitaient. En effet, cet homme avait tellement désespéré de l’état de sa fille, que ce qu’il désirait, c’est qu’elle fût rendue à la vie, tant il croyait peu qu’il dût retrouver vivante celle qu’il avait laissée si près de la mort. Les deux autres évangélistes ont donc rapporté les paroles de Jaïre ; saint Matthieu nous fait connaître surtout ses désirs, ses pensées. Évidemment si l’un de ces deux Évangélistes avait prêté au père ces paroles, que Jésus n’eût pas à se mettre en peine, parce que sa fille était morte, le langage que lui fait tenir saint Matthieu serait contradictoire. Mais rien ne dit que cet homme ait partagé les sentiments de ses serviteurs. Nous trouvons ici un des principes d’explication les plus importants : c’est que dans les paroles d’un homme nous ne devons chercher que ce qu’il a l’intention de dire, que la volonté dont ses paroles sont l’expression, et que ce n’est point mentir que de raconter en d’autres termes ce qu’il a voulu dire sans rapporter les expressions dont il s’est servi. — S. Chrys. (hom. 32.) Ou bien encore, ce que ce chef de la synagogue dit de la mort de sa fille n’est qu’une manière d’exagérer son malheur. C’est l’ordinaire de tous ceux qui demandent une grâce d’amplifier les maux qu’ils souffrent, et d’ajouter à la vérité pour fléchir plus efficacement ceux dont ils implorent le secours. C’est pourquoi il dit à Jésus : " Mais venez lui imposer les mains, et elle vivra. " Voyez quelles idées grossières il avait encore sur le Sauveur. Il lui demande deux choses : et de venir en personne, et d’imposer les mains ; c’est ce que demandait ainsi Naaman au prophète Elisée. C’est qu’en effet ceux qui se trouvent dans ces dispositions imparfaites ont besoin de signes sensibles et frappants.
 

Remi. Admirons ici tout à la fois l’humilité et la douceur du Seigneur. A peine le centurion l’en a-t-il prié, qu’il consent à le suivre : " Alors Jésus, se levant, le suivit. " Le Sauveur instruit tout à la fois les supérieurs et ceux qui sont placés sous leur direction ; à ceux-ci il donne un exemple d’obéissance ; à ceux-là, il fait voir quelle doit être leur assiduité, leur sollicitude dans l’enseignement, et le zèle avec lequel ils doivent se transporter là où ils apprennent qu’un homme a perdu la vie de l’âme.
 

Suite. " Et ses disciples marchèrent avec lui. " S. Chrys. (hom. 32.) Suivant saint Marc et saint Luc, Jésus prit avec lui trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean ; il ne choisit point Matthieu afin d’exciter en lui un désir plus vif, et aussi parce que ses dispositions étaient encore imparfaites. Il honore les premiers pour engager les autres à se rendre semblables à eux. C’était assez pour Matthieu d’être témoin de la guérison de cette femme qui souffrait d’une perte de sang : " Et voici, nous dit-il, qu’une femme qui souffrait d’une perte de sang depuis douze ans, s’approcha par derrière, et toucha la frange de son vêtement. "
 

S. Jér. Ce n’est ni dans la maison où était le Sauveur ni dans la ville que cette femme vient le trouver (car la loi lui défendait d’habiter dans les villes) (Lv 19, 25), mais elle se présente à Jésus au milieu du chemin, et c’est ainsi qu’en allant pour guérir une femme il rend la santé à une autre. — S. Chrys. (hom. 32,) Cette femme ne vient pas faire à Jésus-Christ un aveu public de son infirmité, elle en avait honte dans la persuasion qu’elle était impure ; car la loi considérait cette maladie comme une très-grande impureté ; c’est pourquoi elle se cache et veut se dérober à tous les regards. — Remi. Cette humilité est digne de tout éloge ; elle ne se présente pas devant le Sauveur, elle s’approche par derrière, et se juge indigne de toucher ses pieds. Ce n’est pas même son vêtement qu’elle touche, mais la frange seulement ; car le Seigneur portait une frange à son vêtement pour obéir à une prescription de la loi. (Nb 15, 38) Les pharisiens aussi portaient des franges qu’ils étalaient avec orgueil, et auxquelles ils ajoutaient des espèces d’épines. Mais les franges des vêtements du Sauveur n’avaient rien qui pût blesser, et ne pouvaient que guérir. Aussi cette femme disait en elle-même : " Si je touche seulement la frange de sa robe, je serai guérie. " Sa foi est vraiment admirable : elle a perdu tout espoir de la part des médecins qui lui ont dévoré tout son avoir, mais elle comprend qu’elle a trouvé un médecin descendu du ciel, c’est en lui qu’elle place toute son espérance, et c’est pour cela qu’elle mérita sa guérison. " Et Jésus se retournant alors, et la voyant, lui dit : Ma fille, ayez confiance : votre foi vous a guérie. " — Rab. Pourquoi donc lui recommander la confiance ? Si elle n’avait pas eu la foi, elle ne lui aurait pas demandé sa guérison. Ce qu’il exige d’elle, c’est la force et la persévérance de la foi, afin qu’elle parvienne à une guérison certaine et véritable. — S. Chrys. (hom. 32.) Ou bien, il veut rassurer cette femme trop craintive, en lui disant : " Ayez confiance. " Il l’appelle sa fille, car la foi l’avait rendue véritablement sa fille. — S. Jér. Il ne lui dit pas : Votre foi vous guérira, mais " votre foi vous a guérie ; " car vous êtes déjà guérie par cela seul que vous avez cru. — S. Chrys. (hom. 32.) Cependant cette femme n’avait pas encore une connaissance parfaite du Sauveur, puisqu’elle croyait pouvoir se dérober à ses regards. Mais il ne permit pas qu’elle demeurât cachée, non point pour la gloire qui pourrait lui en revenir, mais dans l’intérêt de tous ceux qui étaient présents. Premièrement, il bannit la crainte du cœur de cette femme qui aurait pu se reprocher d’avoir dérobé la grâce de sa guérison ; secondement, il rectifie la pensée qu’elle avait eue de pouvoir se cacher ; troisièmement, il révèle à tous sa foi pour les porter à l’imiter. Enfin, en montrant qu’il savait tout, il nous donne une preuve non moins grande de sa divinité qu’en arrêtant cette perte de sang. " Et cette femme, continue l’Évangéliste, fut guérie à l’heure même. " — La Glose. Ce fut au moment même où elle toucha le bord de sa robe, et non pas au moment qu’il se retourna vers elle, car alors elle était déjà guérie, comme les autres Évangélistes le remarquent expressément, et comme on peut le conclure des paroles mêmes du Seigneur. — S. Hil. Combien la puissance du Seigneur se montra ici admirable ! Cette puissance qui résidait dans son corps communiquait à des choses périssables la vertu de guérir, et l’opération divine s’étendait jusqu’aux franges de ses vêtements. C’est qu’en effet Dieu ne pouvait être ni circonscrit ni renfermé dans les limites étroites d’un corps, car en s’unissant à un corps mortel il n’y a point renfermé la nature de sa puissance, mais cette même puissance a élevé la fragilité de notre chair pour accomplir l’oeuvre de notre rédemption.

Dans le sens mystique, ce chef représente la loi qui vient demander à Jésus-Christ de rendre la vie au cadavre de ce peuple qu’elle lui avait préparé, et qu’elle avait nourri elle-même de l’espérance de son avènement. — Rab. Ou bien, ce prince de la synagogue représente Moïse, et il s’appelle Jaïre, c’est-à-dire qui illumine ou qui est illuminé ; car il a reçu les paroles de vie pour nous les transmettre, et éclairer ainsi les autres comme il est éclairé lui-même par l’Esprit saint. La fille du chef de la synagogue (c’est-à-dire la fille de la synagogue elle-même, âgée de douze ans, âge de la puberté) est abattue sous le poids des erreurs qui la minent, alors qu’elle devait enfanter à Dieu une famille toute spirituelle. Pendant que le Verbe de Dieu s’empresse d’aller trouver cette fille du chef de la synagogue pour sauver les enfants d’Israël, la sainte Église composée des Gentils, et dont les forces se perdaient au milieu des crimes qui se commettaient dans son sein, s’empare par sa foi de la guérison qui était destinée à d’autres. — Rab. Remarquez encore que la fille du chef de la synagogue est âgée de douze ans, et que cette femme souffre depuis douze ans de cette perte de sang, en sorte que l’une avait commencé à souffrir au moment où l’autre venait de naître : or, ce fut à peu près à la même époque que les patriarches donnèrent le jour à la synagogue, et que la multitude des nations étrangères se plongea dans les souillures de l’idolâtrie. Car la perte de sang dont il est ici question peut s’entendre de deux manières ou de la fange de l’idolâtrie, ou des plaisirs de la chair et du sang. Ainsi pendant que la synagogue avait encore toute sa force, l’Église était languissante ; mais le péché de la synagogue est devenu le salut des Gentils. Or, l’Église s’approche du Seigneur, et le touche, lorsqu’elle vient à lui par la foi.
 

La Glose. Elle crut, elle dit, elle toucha ; car c’est par ces trois choses la foi, la parole et les oeuvres, que l’on obtient le salut. — Rab. Elle s’approcha par derrière, obéissant par avance à cette parole : " Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il me suive. " Ou bien c’est parce que n’ayant point vu le Seigneur revêtu d’une chair mortelle, elle est parvenue à le connaître après l’accomplissement des mystères de son incarnation : c’est pour cela qu’elle touche la frange de son vêtement ; figure en cela du peuple des Gentils qui, sans avoir vu le Fils de Dieu incarné, a reçu la parole qui lui annonçait son incarnation. En effet, on peut dire que le mystère de l’incarnation de Jésus-Christ est comme le vêtement dont la divinité était enveloppée, et la doctrine de l’incarnation comme la frange de ce vêtement. Les Gentils ne touchent pas le vêtement, mais seulement la frange, car ils n’ont point vu le Seigneur incarné, mais ils ont reçu par les Apôtres la doctrine de l’incarnation. Heureux celui qui touche par la foi, ne fût-ce même que les extrémités du Verbe ! Ce n’est pas au milieu de la ville que cette femme est guérie, mais dans le chemin où marche le Sauveur ; c’est pour cela que les Apôtres ont dit plus tard : " Parce que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voilà que nous allons vers les Gentils. " Or, ce fut dès l’avènement du Sauveur que la Gentilité reçut les prémices du salut.

 

vv. 23-26

La Glose. Après la guérison de l’hémorroïsse, vient la résurrection de la jeune fille que l’écrivain sacré raconte en ces termes : " Et lorsque Jésus fut arrivé dans la maison du chef de la synagogue. " — S. Chrys. (hom. 32.) Il est à remarquer que Notre-Seigneur semble user ici de lenteur, et qu’il s’entretient avec la femme qu’il vient de guérir pour laisser à la jeune fille le temps de mourir, et rendre ainsi plus éclatant le fait de sa résurrection. Il suivit la même conduite à l’égard de Lazare, qui demeura dans le tombeau jusqu’au troisième jour. " Et lorsqu’il eut vu les joueurs de flûte et une foule qui faisait grand bruit. " Nous avons là une preuve évidente que la jeune fille était morte. — S. Amb. (sur S. Luc, 6.) En effet, c’était un usage chez les anciens de faire venir des joueurs de flûte pour exciter la douleur et faire couler les larmes aux funérailles des morts. — S. Chrys. (hom. 32.) Mais Jésus-Christ chassa tous ces joueurs de flûte, et fit entrer les parents de la jeune fille afin que l’on ne pût attribuer à un autre sa résurrection. Avant même de la ressusciter, il relève leur courage par ces paroles : " Retirez-vous, car la jeune fille n’est pas morte, mais elle dort. " — Rab. C’est-à-dire elle est morte à vos yeux, mais pour Dieu qui peut la ressusciter, elle n’est qu’endormie dans son corps comme dans son âme. — S. Chrys. Par ces paroles, le Sauveur apaise l’agitation intérieure de ceux qui étaient présents, et il leur montre avec quelle facilité il peut ressusciter les morts. Il tint le même langage à Lazare (Jn 11) : " Notre ami Lazare dort, " et il nous apprend ainsi à ne pas redouter la mort. Comme il devait mourir lui-même, il voulut, en rendant la vie à quelques morts, ranimer la confiance de ses disciples, et leur apprendre à supporter la mort avec courage. Car dès qu’il s’approche, la mort n’est plus qu’un sommeil. Or, en entendant ces paroles, ils se moquaient de lui, mais il ne leur en fait aucun reproche : car il voulait que cette dérision, les flûtes et toutes les autres circonstances fussent autant de preuves de la mort de cette jeune fille. Comme il arrive bien souvent que les hommes refusent de croire aux miracles lorsqu’ils sont opérés, il veut les convaincre auparavant par leurs propres aveux ; c’est ce qu’il fit encore à la mort de Lazare, lorsqu’il demanda : " Où l’avez-vous mis ? " Afin que ceux qui lui répondirent : " Venez et voyez " fussent forcés de croire que Lazare était véritablement mort, et qu’il l’a ressuscité.

S. Jér. Mais ceux qui couvraient ainsi d’indignes outrages le Sauveur qui allait ressusciter cette jeune fille, n’étaient pas dignes d’assister au fait mystérieux de sa résurrection ; c’est pourquoi l’Évangéliste ajoute : " Et après qu’on eut fait sortir tout le monde, il entra, lui prit la main, et la jeune fille se leva. " — S. Chrys. (hom. 32.) Il n’introduit pas dans son corps une âme nouvelle, mais il y fait rentrer celle qui en était sortie, et rappelle la jeune fille comme d’un sommeil, pour préparer ainsi les esprits à croire en la résurrection. Non-seulement il ressuscite cette jeune fille, mais il lui fait encore donner à manger, pour que tous soient bien convaincus que cette résurrection n’est pas une chose imaginaire, mais bien une réalité. — " Et le bruit s’en répandit dans tout le pays. — La Glose. Cette circonstance fait ressortir la grandeur et la nouveauté de ce miracle, en même temps qu’elle devient une preuve évidente et irréfragable de sa vérité.

S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, Notre-Seigneur entre dans la maison du chef de la synagogue, c’est-à-dire dans la synagogue elle-même, au moment ou les cantiques de la loi font entendre en son honneur des chants funèbres. — S. Jér. Jusqu’à ce jour la jeune fille repose morte dans la maison de son père, et ceux qui paraissent être les maîtres sont les joueurs de flûte qui font entendre des airs lugubres. La foule des Juifs n’est pas le peuple des croyants, c’est une foule tumultueuse. Mais lorsque la plénitude des nations sera entrée, alors tout Israël sera sauvé. (Rm 11.) — S. Hil. Afin qu’il fût bien démontré que le nombre des croyants était limité, la foule tout entière fut mise dehors. Le Sauveur aurait bien désiré qu’elle fût sauvée, mais en se moquant de ses paroles et de ses actions, elle se rendit indigne d’être témoin de la résurrection de cette jeune fille. — S. Jér. " Jésus lui prit la main, et la jeune fille se leva, " car la synagogue ne peut avoir part à la résurrection avant que les mains des Juifs n’aient été purifiées du sang dont elles sont souillées. — S. Hil. Le bruit de cette résurrection se répand dans toute cette contrée ; en effet, après que Jésus a sauvé ceux qu’il avait élus, ils vont publier les bienfaits du Christ et ses oeuvres.
 

Rab. Dans le sens moral, la jeune fille morte dans la maison, c’est l’âme qui est morte dans ses pensées. Le Sauveur dit qu’elle n’est qu’endormie, parce que ceux qui pèchent dans la vie présente peuvent encore ressusciter par la pénitence. Les joueurs de flûte, ce sont les flatteurs qui applaudissent à celle qui est morte. — S. Grég. (Moral. 17, 25.) La foule est mise dehors avant que la jeune fille soit ressuscitée, car tant que la multitude des intérêts temporels n’est pas chassée des plus secrètes parties du cœur, l’âme qui est morte au dedans ne peut ressusciter. — Rab. Notre-Seigneur ressuscite cette jeune fille dans la maison en présence d’un petit nombre de témoins, le jeune homme en dehors de la porte de la ville, et Lazare devant un grand nombre de spectateurs, parce qu’une faute publique exige un remède public ; tandis qu’une faute légère peut être effacée par une pénitence secrète et plus douce.

 

vv. 27-31

S. Jér. Ces premiers miracles qui ont pour objet la fille du prince de la synagogue et la femme malade sont suivis, par une admirable conséquence, de la guérison de deux aveugles. Il fallait, en effet, que la privation de la vue démontrât ce que la mort et la maladie venaient elles-mêmes de proclamer ; c’est pour cela qu’il est dit : " Comme Jésus sortait de ce lieu (c’est-à-dire s’éloignait de la maison de Jaïre), deux aveugles le suivirent en criant et en disant : Fils de David, ayez pitié de nous. " — S. Chrys. (hom. 33.) C’est là un grand sujet d’accusation contre les Juifs : des hommes privés de la vue reçoivent la foi par l’ouïe seule, tandis que les Juifs, dont les yeux constataient la vérité de ces miracles, refusent d’y croire. Voyez encore le désir de ces aveugles ; ils ne se contentent pas d’approcher de Jésus, mais ils le font avec de grands cris, et en ne lui demandant qu’une seule chose, c’est qu’il ait pitié d’eux. Ils l’appellent Fils de David, parce que ce nom leur paraissait un titre d’honneur. — Remi. C’est avec raison d’ailleurs qu’ils lui donnent ce nom, car la Vierge Marie descendait de la race de David. — S. Jér. Que Marcion, que les Manichéens et les autres hérétiques se rendent attentifs à ces paroles, eux qui déchirent l’Ancien Testament, et qu’ils apprennent que le Sauveur est proclamé Fils de David. Or, s’il n’est pas né dans une chair mortelle, comment peut-il être appelé Fils de David ?
 

S. Chrys. (hom. 33.) Il est à remarquer que dans une foule de circonstances ce n’est qu’après qu’on l’en a prié que le Seigneur guérit les malades, car il ne veut pas laisser croire qu’il a couru après les miracles pour s’attirer de l’honneur et de la gloire. — S. Jér. Et cependant, ce n’est pas dans le chemin et en passant, comme ils le pensaient, qu’il guérit ces aveugles qui le prient, mais lorsqu’il est arrivé dans la maison ; ils s’avancent pour entrer, et tout d’abord il examine leur foi, afin de les préparer à recevoir la lumière de la vraie foi. " Lorsqu’il fut entré dans la maison, ces aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : " Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? " — S. Chrys. Il nous apprend une fois de plus à fuir la gloire que donne la multitude, car comme la maison n’était pas éloignée, il y conduit les aveugles pour les y guérir en secret. — Remi. Lui qui pouvait rendre la vue aux aveugles, ne pouvait ignorer s’ils avaient la foi ; il les interroge toutefois, afin qu’en confessant de bouche la foi qu’ils portaient dans leur cœur, ils pussent obtenir une récompense plus grande, selon ces paroles de l’Apôtre : " Il faut confesser de bouche pour obtenir le salut. " — S. Chrys. (hom. 33.) Et ce n’est pas la seule raison ; Jésus voulait encore montrer qu’ils étaient dignes d’être guéris, et prévenir cette difficulté : que si le salut était l’oeuvre exclusive de la miséricorde, tous devaient y avoir part. Il exige encore d’eux la foi, afin de les élever plus haut ; ils l’ont appelé Fils de David, il leur apprend qu’ils doivent avoir de lui de plus hautes idées. Aussi ne leur dit-il pas : " Croyez-vous que je puisse prier mon Père ? " mais : " Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez ? " Ils lui répondent : " Oui, Seigneur. " Ils ne l’appellent plus Fils de David, ils s’élèvent plus haut et confessent sa souveraineté. Il leur imposa alors les mains, comme dit le texte sacré, et il toucha leurs yeux en leur disant : " Qu’il vous soit fait selon votre foi. " Il leur parle de la sorte pour affermir leur foi et constater en même temps que ce qu’ils venaient de dire ne leur avait pas été dicté par la flatterie. L’Évangéliste rapporte ensuite leur guérison : " Et aussitôt leurs yeux furent ouverts. " Jésus leur défend d’en parler à qui que ce soit ; et ce n’est pas une simple défense, c’est un ordre exprès accompagné de menaces sévères. " Et Jésus leur défendit fortement d’en parler, en leur disant : " Prenez bien garde que qui que ce soit ne le sache ! " Mais eux, s’en étant allés, répandirent sa réputation dans tout le pays. " — S. Jér. C’est par amour pour l’humilité et pour fuir l’éclat de la vaine gloire que Jésus leur fait cette défense ; mais la reconnaissance qu’ils éprouvent d’un si grand bienfait, ne leur permet pas de garder le silence. — S. Chrys. Ce que Notre-Seigneur dit à un autre dans une circonstance différente : " Va et annonce la gloire de Dieu " (Lc 8), n’est pas contraire à ce qui est ici raconté. Jésus veut nous apprendre à fermer la bouche à ceux qui cherchent à nous louer, en rapportant à nous seuls les louanges qu’ils nous donnent. Mais si ces louanges doivent se rapporter à Dieu, bien loin de les défendre, nous devons les exciter et les prescrire. — S. Hil. Ou bien encore le Sauveur commande à ces aveugles de se taire, parce que c’était aux Apôtres qu’était réservé l’office de la prédication.
 

S. Grég. (Moral., 19, 14.) Examinons ici pourquoi le Tout-Puissant, pour qui vouloir et pouvoir sont une même chose a voulu que ses miracles demeurassent cachés, et que cependant ils fussent dévoilés comme malgré lui par ceux qui venaient de recouvrer l’usage de la vue. Il veut apprendre à ses disciples qui devaient marcher à sa suite, qu’ils devaient désirer que leurs vertus demeurassent cachées aussi aux yeux des hommes, et cependant les laisser publier malgré eux dans l’intérêt de ceux qui pourraient en profiter. Ils doivent donc rechercher le secret par inclination, et laisser dévoiler leurs oeuvres par nécessité. Qu’ils aiment à se cacher pour garder plus sûrement leur âme de tout danger, et qu’ils consentent à se voir divulgués dans l’intérêt des autres.
 

Remi. Dans le sens allégorique, ces deux aveugles sont la figure des deux peuples, du peuple juif, et des Gentils, ou bien des deux fractions du peuple juif qui se séparèrent sous Roboam (cf. 3 R 12). Notre-Seigneur Jésus-Christ choisit dans l’un et l’autre peuple qui croyait en lui, ceux qu’il devait éclairer dans la maison, qui est son Église, car en dehors de l’unité de l’Église, personne ne peut être sauvé. Or, ceux d’entre les Juifs qui crurent en Jésus publièrent son avènement dans tout l’univers. Rab. La maison du chef de la synagogue, c’est la synagogue elle-même qui est soumise à Moïse ; la maison de Jésus, c’est la céleste Jérusalem. Pendant que le Seigneur traverse ce monde pour retourner dans sa maison, les deux aveugles se mettent à le suivre ; en effet, après la prédication de l’Évangile par les Apôtres, un grand nombre d’entre les Juifs et d’entre les Gentils se sont rangés sous sa conduite. Mais après son ascension dans les cieux, il est entré dans sa maison (c’est-à-dire dans son Église), et là, il leur a rendu l’usage de la lumière.

 

vv. 32-34

Remi. Par un enchaînement admirable, le Sauveur, après avoir rendu la vue aux aveugles, délie la langue d’un muet, et guérit un homme possédé du démon, et il se déclare ainsi le Dieu de toute puissance, et l’auteur des guérisons divines, selon cet oracle d’Isaïe (Is 35) : " Alors les yeux des aveugles et les oreilles des sourds seront ouverte, et la langue des muets sera déliée. " Après leur départ, dit l’Évangéliste, " on lui présenta un homme muet. " — S. Jér. Le mot grec ????? (cophos), dans le langage ordinaire, signifie plutôt sourd que muet, mais c’est l’usage des écrivains sacrés de le prendre indifféremment dans les deux sens. — S. Chrys. (hom. 33.) Cette infirmité n’était pas naturelle, elle venait de la malignité du démon. C’est pourquoi cet homme eut besoin d’un secours étranger pour arriver jusqu’à Jésus-Christ, et il ne put ni le prier par lui-même, n’ayant pas l’usage de la parole, ni le faire prier par d’autres, le démon tenant liée son âme aussi bien que sa langue. Aussi le Sauveur n’exige pas de lui la foi, mais il le guérit aussitôt, comme le rapporte l’écrivain sacré : " Et le démon ayant été chassé, le muet parla. " — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) L’ordre naturel des choses est parfaitement observé, le démon est d’abord chassé, et le corps reprend immédiatement toutes ses fonctions.
 

" Et la multitude en fut dans l’admiration, et ils disaient : On n’a jamais rien vu de semblable en Israel ". — S. Chrys. (hom. 33.) Ce n’est pas seulement parce qu’ils admiraient en lui le pouvoir de guérir qu’ils le plaçaient au-dessus de tous les autres, mais parce qu’il guérissait avec une facilité et une promptitude merveilleuse une infinité de maladies la plupart incurables. Ce qui contristait surtout les pharisiens, c’est que la multitude le proclamait supérieur non-seulement à ceux qui existaient alors, mais encore à tous ceux qui avaient jamais paru en Israel. C’est ce qui les excite en sens contraire à calomnier Jésus-Christ, comme le dit l’Évangéliste : " Les pharisiens, au contraire, disaient : C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. " — Remi. Les scribes et les pharisiens niaient les miracles du Sauveur autant qu’il leur était possible de le faire, et ils interprétaient en mauvaise part ceux qu’ils étaient obligés d’admettre. Ils accomplissaient ainsi cette parole du Roi-Prophète : " La multitude de vos prodiges convaincra vos ennemis de mensonge. " — S. Chrys. (hom. 33.) Quoi de plus insensé que cette explication ? Peut-on imaginer qu’un démon chasse un autre démon ? Le démon applaudit à ses succès, mais il ne détruit pas ses oeuvres. Jésus-Christ, au contraire, ne chassait pas seulement les démons, mais il guérissait les lépreux, il ressuscitait les morts, il remettait les péchés, il prêchait le royaume de Dieu, et il amenait les hommes à son Père, ce que ne pouvait ni ne voulait faire le démon.
 

Rab. De même que dans le sens mystique les deux aveugles figuraient les deux peuples juif et gentil, ainsi cet homme muet et possédé est la figure du genre humain tout entier. — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) Ou bien cet homme à la fois muet, sourd et possédé du démon représente le peuple des Gentils, indigne d’obtenir le salut, plongé qu’il est dans un abîme de maux, et comme enlacé dans tous les vices de la chair. — Remi. Le peuple des Gentils était muet, parce qu’il ne pouvait ouvrir la bouche pour confesser la vraie foi et publier les louanges de son Créateur, ou bien parce que, livré au culte des idoles muettes, il leur était devenu semblable. Il était possédé, parce que la mort de l’infidélité l’avait soumis à l’empire du démon. S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) La connaissance de Dieu ayant dissipé toutes les folles superstitions, l’homme recouvre tout à la fois l’usage de la vue, de l’ouïe, et de la parole du salut. — S. Jér. De même que les aveugles reçoivent la lumière, ainsi la langue des muets se délie pour confesser celui qu’ils avaient auparavant nié. Cette foule qui est dans l’admiration, c’est la multitude des nations qui confessent la divinité du Seigneur. Les pharisiens qui le calomnient sont une figure de l’infidélité des Juifs qui persévère jusqu’à ce jour. — S. Hil. (can. 9 sur S. Matth.) L’admiration de la foule est accompagnée de cet aveu : " Jamais on n’a rien vu de semblable en Israël, " parce qu’en effet la puissance divine du Verbe sauve aujourd’hui tous ceux qui n’avaient pu recevoir aucun secours de la loi. — Remi. Dans ceux qui présentent le muet au Seigneur pour être guéri, on peut voir la figure des Apôtres et des prédicateurs qui ont offert aux yeux de la divine miséricorde le peuple des Gentils pour qu’elle lui accordât le salut. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 29.) Saint Matthieu est le seul qui raconte ce double miracle des deux aveugles et du muet. Les deux aveugles dont parlent les autres Évangélistes (Mc 10, 46 ; Lc 18, 35) ne sont pas les mêmes ; cependant le fait est semblable, et si saint Matthieu ne racontait pas ce miracle avec toutes ses circonstances, on pourrait croire que son récit est le même que celui de saint Marc et de saint Luc. Nous ne devons jamais perdre de vue qu’il se rencontre dans les Évangiles des faits qui présentent les mêmes caractères. On a une preuve certaine que ces faits sont différents lorsqu’ils sont rapportés par le même Évangéliste. Lorsque donc nous rencontrons des faits de même nature dans chacun des Évangélistes, et qu’il s’y trouve des particularités impossibles à concilier, nous devons en conclure que ce n’est pas le même fait, mais un fait semblable dans sa nature ou dans ses circonstances.

 

vv. 35-38

S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur voulut répondre par ses oeuvres à cette accusation des pharisiens : " C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. " Car lorsque le démon reçoit un outrage, il se venge non pas en faisant du bien, mais en cherchant à nuire à celui qui le déshonore. Le Seigneur tient une conduite contraire : après les injures et les outrages non-seulement il ne punit pas, il ne fait même pas de reproches ; bien plus il répand des bienfaits. C’est ce que l’Évangéliste ajoute : " Et Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades. " C’est ainsi qu’il nous apprend à répondre à ceux qui nous accusent non par des accusations semblables, mais par des bienfaits. Celui qui, victime d’une accusation, cesse de faire le bien, montre qu’il n’agissait que pour s’attirer les louanges des hommes. Si au contraire Dieu est le principe du bien que vous faites à vos frères, quoiqu’ils entreprennent contre vous, leur conduite n’interrompra pas le cours de vos bienfaits, et votre récompense n’en sera que plus grande.

S. Jér. Vous voyez qu’il prêche également l’Évangile dans les villages comme dans les villes et dans les bourgs, c’est-à-dire aux petits comme aux grands ; il ne considère pas la puissance qui vient de la noblesse, il ne voit que le salut de ceux qui croient en lui. L’Évangéliste ajoute : " Il enseignait dans leurs synagogues, accomplissant ainsi l’oeuvre que son Père lui avait confiée et satisfaisant la faim qu’il éprouvait de sauver les infidèles par sa parole. " Il enseignait dans les synagogues l’Évangile du royaume, comme le dit expressément le texte sacré : " Et il prêchait l’Évangile du royaume. " — Remi. Par cet évangile du royaume, il faut entendre l’Évangile de Dieu, car si on n’annonce que des biens temporels, ce n’est point là l’Évangile ; c’est pour cela que ce nom n’est pas donné à la loi, parce qu’elle ne promettait à ceux qui l’observaient que des biens temporels, et non ceux de l’éternité.

S. Jér. Après avoir prêché l’Évangile et enseigné sa doctrine, il guérissait toutes les langueurs et toutes les infirmités, persuadant ainsi par ses oeuvres ceux que ses discours n’avaient pu persuader ; c’est ce qu’ajoute l’écrivain sacré : " Guérissant toute langueur et toute infirmité. " Ces paroles lui sont appliquées littéralement, car rien ne lui est impossible. — La Glose. La langueur, ce sont les longues souffrances ; l’infirmité, les maladies les plus légères. — Remi. Remarquez qu’il guérissait intérieurement l’âme de ceux dont il guérissait extérieurement le corps, ce que les autres hommes ne peuvent faire par eux-mêmes, mais seulement par la grâce de Dieu.

S. Chrys. (hom. 33.) La bonté de Jésus-Christ ne s’arrête pas là, il fait preuve à leur égard d’une autre sollicitude, et il ouvre sur eux les entrailles de sa miséricorde. " Et, voyant ces troupes, dit l’Évangéliste, il en eut compassion. " — Remi. Notre-Seigneur nous révèle ici les sentiments d’un bon pasteur si éloignés de ceux du mercenaire. Mais pourquoi cette compassion ? La suite nous l’apprend. — Rab. Ou bien ils étaient tourmentés par diverses erreurs ; ils étaient couchés, c’est-à-dire comme engourdis sans pouvoir se lever, et tout en ayant des pasteurs, ils étaient comme n’en ayant pas. — S. Chrys. (hom. 33.) Le crime des princes des Juifs, c’est qu’étant les pasteurs du troupeau, ils se conduisaient à son égard comme des loups ; car non-seulement ils ne travaillaient pas à la réforme du peuple, mais encore ils nuisaient à son avancement. Le peuple dans l’admiration s’écriait : " Jamais on n’a rien vu de semblable dans Israël, " et à ce témoignage ils opposaient cette calomnie : " C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons. "
 

Remi. Mais du moment que le Fils de Dieu eut regardé du ciel sur la terre pour entendre les gémissements de ceux qui étaient enchaînés (Ps 101), la moisson déjà grande devint plus considérable encore ; car jamais la multitude du genre humain ne fût parvenue à la foi, si l’auteur du salut des hommes n’eût jeté du ciel un regard de miséricorde sur la terre, et c’est pour cela que l’Évangéliste ajoute : " Alors il dit à ses disciples : " La moisson est grande, il est vrai, mais les moissonneurs sont peu nombreux. — La Glose. La moisson, ce sont les hommes qui peuvent être moissonnés par les prédicateurs, séparés de la masse de perdition et conservés dans les greniers comme les grains détachés de la paille. — S. Jér. La grande moisson signifie la multitude des peuples, et le petit nombre d’ouvriers, la rareté de ceux qui doivent enseigner. — Remi. Le nombre des Apôtres était bien petit en effet, en comparaison de ces vastes moissons. Or, le Sauveur exhorte ses prédicateurs, c’est-à-dire les Apôtres et leurs successeurs, à demander tous les jours que leur nombre s’augmente. " Priez donc le Maître de la moisson, qu’il envoie des ouvriers dans sa maison. — S. Chrys. (hom. 33.) Il déclare ainsi indirectement qu’il est ce Maître dont il parle, car c’est lui-même qui est le Maître de la moisson. En effet, s’il a envoyé les Apôtres moissonner ce qu’ils n’avaient pas semé, il est évident qu’il n’a pu les envoyer recueillir la moisson d’autrui, mais ce que lui-même avait semé par les prophètes (Jn 4, 38). Mais comme ce sont les Apôtres qui sont les moissonneurs, il leur dit : " Priez donc le Maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers en sa moisson. " Cependant il ne leur adjoignit personne. Ils restèrent douze, et il ne les multiplia qu’en ajoutant non pas à leur nombre, mais à leur puissance. Remi. Ou bien leur nombre a augmenté quand il en a désigné soixante-douze autres, et quand les prédicateurs sont devenus nombreux, l’Esprit Saint descendant sur les croyants. S. Chrys. (hom. 33.) Le Sauveur nous apprend quel don précieux c’est que de pouvoir annoncer convenablement la parole de Dieu, en nous recommandant de prier à cet effet. Ces paroles nous rappellent les comparaisons du précurseur, l’aire, le van, la paille et le blé (Mt 3). — S. Hil. Dans le sens mystique, au moment où le salut est donné aux nations, toutes les villes, toutes les bourgades sont éclairées par l’avènement et la vertu du Christ. Le Seigneur a pitié de son peuple tourmenté par la violence tyrannique de l’esprit impur, et fatigué du lourd fardeau de la loi, car il n’avait pas encore de pasteur qui pût lui assurer la garde de l’Esprit saint. Or, le fruit de ce don céleste était on ne peut plus abondant, et sa source féconde ne pouvait être épuisée par la multitude de ceux qui venaient y participer ; car quel que soit leur nombre, sa plénitude se répand toujours de la même manière. Et comme il faut un grand nombre de ministres pour distribuer cette grâce, Notre-Seigneur ordonne de prier le Maître de la moisson d’envoyer un grand nombre de moissonneurs pour recevoir ce don de l’Esprit saint. En effet, c’est par le moyen de la prière que Dieu répand sur nous cette grâce.
 

 

 

CHAPITRE X

 

vv. 1-4

La Glose. Depuis la guérison de la belle-mère de Pierre jusqu’à cet endroit, les miracles opérés par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu’à l’évidence la vocation de saint Matthieu qui s’y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des douze que Jésus a élus sur la montagne pour l’apostolat. Ici l’Évangéliste reprend son récit en suivant l’ordre dans lequel les faits se sont passés, après la guérison du serviteur du centurion. " Et Jésus ayant appelé les douze disciples. " — Remi. L’Évangéliste venait de raconter que Notre-Seigneur avait engagé ses disciples à prier le Maître de la moisson d’envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu’il les a engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait ; puisqu’il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu’il se compose de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme le nombre douze. La Glose. Cette multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou les deux Testaments. — Raban. Le nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l’Ancien Testament ; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35) ; dans les douze chefs des enfants d’Israël (Nb 1) ; dans les douze sources d’eau vive d’Hélim (Ex 15) ; dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational d’Aaron (Ex 39) ; dans les douze pains de proposition (Lv 24) ; dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13) ; dans les douze pierres qui servirent à élever un autel (3 R 18) ; dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4) ; dans les douze boeufs qui supportaient la mer d’airain (3 R 7) ; et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de l’épouse (Ap 12) ; dans les douze pierres fondamentales ; dans les douze portes de la Jérusalem céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap 21).

S. Chrys. (hom. 33.) Ce n’est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais encore en leur donnant d’exercer ce ministère avec puissance. " Et il leur donna puissance sur les esprits impurs, pour les chasser et pour guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. " — Remi. Nous avons ici une preuve évidente que l’accablement de cette multitude ne venait pas d’une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et variées, et c’est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de les guérir que Jésus prend pitié d’elles. — S. Jér. Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence ; c’est un Maître qui n’est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de ses disciples ; aussi leur donne-t-il libéralement le même pouvoir qu’il avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu’on possède soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c’est avec un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont forcés de confesser leur propre faiblesse et la puissance du Seigneur, comme lorsqu’ils disent : " Au nom de Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3, 6 ; 20, 34.) L’Évangéliste nous donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n’y sont pas compris ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Or, voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon qui s’appelle Pierre, et André son frère. " Il n’appartenait qu’à celui qui pénètre le secret des cœurs d’assigner à chacun des Apôtres la place qu’il méritait. Le premier nommé, c’est Simon, et Jésus lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d’un autre Simon, le Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l’eau en vin. — Rab. Le nom grec ??????, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot pierre. Or, il est hors de doute que cette pierre est celle dont saint Paul a dit : " La pierre était le Christ. "

Remi. — Quelques-uns ont voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d’un mot hébreu qui selon eux signifie dissolvant, ou déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons, qui la rendent impossible, la première, c’est que dans la langue hébraïque la lettre P n’existe pas, et qu’elle est remplacée par la lettre F : ainsi on dit Philate ou Filate pour Pilate ; la seconde, c’est l’interprétation de l’Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre : Tu t’appelleras Cephas, et ajoute de lui-même : " c’est-à-dire Pierre. " (Jn 1) Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix d’André, et vint avec lui trouver le Christ. (Jn 1) Peut-être aussi est-ce parce qu’il se montra plein d’obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il se mit à sa suite. (Mt 4) Ce nom, selon quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec tristesse le Sauveur lui dire : " Un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas. "

" Et André son frère. " C’est un grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa vertu, et André par la noblesse qui lui vient d’être le frère de Pierre. Saint Marc, au contraire, ne nomme André qu’après Pierre et Jean, les deux sommités du collège des Apôtres ; et en cela différant de saint Matthieu, il les classe suivant leur dignité. — Remi. André signifie viril, car de même que le mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d’André vient d’????. C’est à juste titre qu’on lui donne le nom de viril, parce qu’il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu’il a persévéré avec courage dans la voie de ses commandements.

S. Jér. L’Évangéliste nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de l’esprit ; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. " Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère. " Jacques est ainsi désigné à cause d’un autre Jacques qui est fils d’Alphée. — S. Chrys. (homél. 33.) Vous voyez que ce n’est point par rang de dignité qu’il les place, car Jean ne l’emporte pas seulement sur les autres, mais sur son frère. — Remi. Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui supplante ; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair, mais encore il méprisa cette même chair jusqu’à la livrer au glaive d’Hérode (Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu’il mérita d’être aimé de Dieu plus que tous les autres, et c’est ce privilège d’amour particulier qui lui valut de reposer pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Barthélemy : Philippe signifie l’ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu’il s’empressa de répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le Sauveur l’avait éclairé lui-même. Barthélemi est un nom plutôt syriaque qu’hébreu ; il veut dire le fils de celui qui suspend le cours des eaux, c’est-à-dire le fils de Jésus-Christ, qui élève le cœur de ses prédicateurs au-dessus des choses de la terre et les suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer et pénétrer les cœurs de ceux qui les entendent.
 

" Thomas et Matthieu le publicain. " — S. Jér. Les autres Évangélistes en réunissant les deux noms mettent d’abord celui de Matthieu, ensuite celui de Thomas, et ils suppriment cette épithète de publicain pour éviter l’apparence même de l’outrage à l’égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hautement publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé. (Rm 5). Remi. Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau ; en grec il revient à celui de Didyme. Thomas mérite à la fois le nom d’abîme et de Didyme, car plus ses doutes se prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la passion du Seigneur et la connaissance qu’il eut de sa divinité, ce qu’il prouva en s’écriant : " Mon Seigneur et mon Dieu ! " Matthieu signifie donné, car c’est par la grâce de Dieu que de publicain il devint évangéliste. " Et Jacques fils d’Alphée, et Thadée. " — Raban. Jacques, fils d’Alphée, est celui qui dans l’Évangile et dans l’Épître aux Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55 ; Mc 5, 3 ; Gal 1, 19), parce que Marie épouse d’Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l’appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu’Alphée portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu’après la naissance de Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces. — Remi. Ce n’est pas sans raison qu’il est appelé fils d’Alphée, c’est-à-dire de celui qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la chair, mais encore il méprisa tous les soins qu’elle réclame ; et il eut pour témoins de sa vertu les apôtres qui l’ordonnèrent évêque de l’Église de Jérusalem. L’histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que jamais il ne mangea de viande, et qu’il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne faisait point usage de bains, ne portait pas d’habits de lin ; nuit et jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous unanimement l’appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle Judas de Jacques, c’est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l’Église reçoit comme canonique, il s’appelle lui-même frère de Jacques. — S. Aug. (de l’acc. des Evang., 1. 2, ch. 30.) Quelques manuscrits lui donnent le mon de Lebbée ; mais qui empêche que le même homme porte simultanément deux ou trois noms différents ? — Remi. Judas signifie celui qui a confessé, parce qu’il a confessé la divinité du Fils de Dieu. — Rab. Thaddée ou Lebbée signifie sensé, ou celui qui s’applique à la culture du cœur.
 

" Simon le Chananéen et Judas Iscariote, qui le trahit. " — S. Jér. Simon le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Iscariote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris naissance, ou de la tribu d’Issachar, et il semble que ce soit par une espèce de prophétie qu’il soit né pour sa condamnation ; car Issachar signifie récompense, et ce nom semble indiquer le prix de sa trahison. — Remi. Le nom d’Iscariote signifie souvenir du Seigneur, parce qu’il se mit à la suite du Sauveur ; ou bien mémorial de la mort, signification qui se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur ; ou bien suffocation, parce qu’il s’étrangla de ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens : Judas frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi ; Judas Iscariote, ceux qui abandonnent la foi pour retourner en arrière.

La Glose. Les Apôtres sont nommés deux par deux, comme témoignage d’approbation de la société conjugale prise dans le sens figuré. — S. Aug. (Cité de Dieu, 18.) Jésus les choisit donc pour disciples et donna le nom d’apôtres à ces hommes de naissance obscure, sans distinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour l’unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s’en trouva un mauvais ; mais Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les méchants dans son sein. — Rab. Le choix de Judas pour apôtre n’est point le résultat d’une imprudence ; le Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être affaiblie par la trahison même d’un de ses ministres. Il a voulu encore être trahi par un de ses disciples, pour vous apprendre lorsque vous serez trahi vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre erreur et la perte de vos bienfaits.

 

vv. 5-8

La Glose. Comme toute manifestation de l’Esprit, d’après l’Apôtre, est donnée pour l’utilité de l’Église, après avoir donné ce pouvoir aux Apôtres, le Sauveur les envoie pour qu’ils puissent l’exercer dans l’intérêt des hommes ; c’est ce que nous indique l’Évangéliste par ces mots : " Jésus envoya ces douze. " — S. Chrys. (hom. 33.) Voyez comme Jésus choisit bien le moment pour leur donner cette mission, il les envoie après qu’ils l’ont vu ressusciter un mort, commander à la mer et faire d’autres prodiges semblables, et après qu’il leur a donné par ses paroles et par ses oeuvres des preuves suffisantes de sa divinité.
 

La Glose. En les envoyant, il leur enseigne où ils devaient aller, ce qu’ils doivent dire, et ce qu’ils doivent faire. Et d’abord où doivent-ils aller ? Il leur donne les instructions suivantes : " Vous n’irez point vers les Gentils, et vous n’entrerez pas dans les villes des Samaritains ; mais allez plutôt aux brebis perdues de la maison d’Israël. " — S. Jér. Ce commandement n’est pas contraire à celui qu’il leur donna plus tard : " Allez, enseignez toutes les nations, " car le premier a été donné avant, et le second après la résurrection du Sauveur. Il fallait en effet que l’Évangile fût d’abord annoncé aux Juifs, pour leur ôter cette excuse qu’ils avaient rejeté le Seigneur, parce qu’il avait envoyé ses Apôtres aux Samaritains et aux Gentils. — S. Chrys. (hom. 33.) Une autre raison pour laquelle il les envoie d’abord vers les Juifs, c’est pour les préparer dans la Judée comme dans une arène aux combats qu’ils devaient livrer à l’univers entier, et il les excite à prendre leur vol (cf Dt 32) comme de petits oiseaux encore faibles. — S. Grég. (hom. 4 sur les Evang.) Ou bien il voulut d’abord être annoncé aux Juifs seuls, et puis ensuite aux Gentils, de manière que la prédication du Rédempteur repoussée par les siens, s’adressât ensuite aux Gentils comme à des étrangers. Il y en avait cependant parmi les Juifs qui devaient être appelés, comme il y en avait parmi les Gentils qui ne devaient avoir part ni à cette vocation, ni au bienfait de la régénération, sans toutefois mériter un jugement sévère pour le mépris qu’ils avaient fait de la prédication évangélique. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) La loi devait avoir le privilège des prémices de l’Évangile, et l’incrédulité d’Israël devait être d’autant moins excusable, que les avertissements lui avaient été prodigués avec un plus grand zèle. — S. Chrys. (hom. 33.) Le Sauveur ne veut pas leur donner à penser qu’il nourrissait contre eux de la haine, parce qu’ils l’accablaient d’outrages et l’appelaient possédé du démon ; il s’applique donc à les rendre meilleurs, et il détourne ses disciples de toute autre occupation pour les leur envoyer comme des médecins et comme des docteurs. Il ne se contente pas de leur défendre de prêcher à d’autres qu’aux Juifs, il ne leur accorde même pas de prendre la route qui les aurait conduits chez les Gentils : " N’allez pas dans la voie qui mène aux nations. " Et parce que les Samaritains étaient les ennemis des Juifs, bien qu’ils fussent plus faciles à convertir à la foi, il ne permet pas à ses disciples de leur annoncer l’Évangile avant de l’avoir prêché aux Juifs. " Vous n’entrerez pas dans les villes des Samaritains. " — La Glose. Les Samaritains étaient des Gentils que le roi d’Assyrie laissa dans la terre d’Israël après en avoir emmené les habitants en captivité. Sous la pression des dangers auxquels ils furent exposés, ils se convertirent au judaïsme (4 R 13), se soumirent à la circoncision, admirent les cinq livres de Moïse, mais rejetèrent tout le reste avec horreur, ce qui empêcha les Juifs de se mêler jamais aux Samaritains. — S. Chrys. (hom. 33.) Jésus détourne donc ses disciples d’aller vers les Samaritains, et il les envoie aux enfants d’Israël, qu’il appelle des brebis qui périssent, et non pas des brebis qui s’éloignent d’elles-mêmes ; cherchant ainsi par tous les moyens à leur ménager le pardon et à gagner leur cœur. — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) Le Sauveur les appelle des brebis ; mais ils ne s’en déchaînèrent pas moins contre lui avec la méchanceté des vipères et la férocité des loups. — S. Jér. Dans le sens tropologique il nous est ordonné à nous qui portons le nom du Christ, de ne pas suivre la voie des Gentils et des hérétiques, et de ne point imiter la vie de ceux dont la religion nous sépare.
 

La Glose. Après leur avoir appris où ils doivent aller, il leur enseigne quel doit être le sujet de leurs prédications. " Allez et prêchez, en disant que le royaume des cieux approche. " — Rab. Notre-Seigneur dit que le royaume des cieux approche, non pas sans doute par aucun mouvement extérieur des éléments, mais par la foi qui nous est donnée au Créateur invisible. C’est à juste titre que les saints sont appelés les cieux parce qu’ils possèdent Dieu par la foi et qu’ils l’aiment par la charité. — S. Chrys. (homél. 33.) Vous voyez la sublimité de ce mystère et la dignité des Apôtres ; ce ne sont pas des choses extérieures et sensibles qu’ils doivent annoncer comme Moïse et les prophètes, mais des vérités nouvelles et tout à fait inattendues. Moïse et les prophètes avaient annoncé des biens terrestres ; les Apôtres annoncent le royaume des cieux, et tous les biens qu’ils renferment.

S. Grég. (hom. 4 sur les Evang.) Au ministère sacré de la prédication, le Sauveur ajoute le pouvoir de faire des miracles, afin que la manifestation de cette puissance ouvrît les cœurs à la foi, et qu’une prédication toute nouvelle fût accompagnée d’oeuvres d’un ordre tout nouveau. C’est pour cela qu’il leur dit : " Rendez la santé aux malades, ressuscitez les morts, guérissez les lépreux, chassez les démons. " — S. Jér. Dans la crainte que personne ne voulût croire à ces hommes simples et grossiers, sans science, sans lettres, sans éloquence, qui venaient promettre le royaume des cieux, il leur donne le pouvoir d’opérer ces miracles, pour que la grandeur des prodiges fût une preuve de la grandeur des promesses. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Le Seigneur communique toute sa puissance, toute sa vertu aux Apôtres, afin que ceux qui avaient été crées à l’image d’Adam et à la ressemblance de Dieu, reçoivent maintenant une ressemblance parfaite avec le Christ, et qu’ils puissent guérir par cette participation à la puissance divine tous les maux dont l’instinct infernal du démon avait frappé le corps d’Adam. — S. Grég. (hom. 29 sur l’Evang.) Ces miracles étaient nécessaires alors que l’Église était à son berceau, car pour que la foi pût s’accroître, il fallait la nourrir avec des prodiges. — S. Chrys. Plus tard, ces miracles cessèrent lorsque la foi fut répandue en tous lieux, ou s’il y en eut encore, ce fut en très petit nombre. Car Dieu opère ordinairement ces prodiges lorsque le mal est arrivé à son comble, et c’est alors qu’il fait éclater sa puissance. — S. Grég. (hom. 29 sur l’Evang.) Cependant la sainte Église renouvelle tous les jours pour les âmes ces miracles extérieurs et sensibles des Apôtres, miracles d’autant plus grands qu’ils ont pour objet de rendre la vie non pas au corps, mais à l’âme. — Remi. Ces infirmes sont les âmes sans énergie, qui n’ont pas la force de mener une vie chrétienne ; les lépreux ceux qui sont couverts des souillures des oeuvres et des plaisirs de la chair ; les morts, ceux qui font des oeuvres de mort, les possédés, ceux que le démon a soumis à son empire. — S. Jér. Et parce que les dons spirituels s’avilissent toujours lorsqu’ils deviennent le prix d’une récompense temporelle, Notre-Seigneur condamne cette avarice en ces termes : " Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ; moi qui suis votre maître et votre Seigneur, je vous ai donné cette grâce sans vous la faire payer ; vous devez la donner de même. — La Glose. Son but ici est de détourner Judas qui portait la bourse de se servir de cette puissance pour amasser de l’argent, et de condamner en même temps la pernicieuse hérésie des Simoniaques. — S. Grég. (homél. 29.) Car il prévoyait qu’il y en aurait pour qui les dons de l’Esprit saint seraient un objet de trafic, et qui mettraient le don des miracles au service de leur avarice. — S. Chrys. (hom. 33). Voyez comme le Seigneur, en même temps qu’il sauvegarde la dignité des miracles, prend soin de régler la conduite de la vie en faisant voir que sans une vie réglée les miracles ne sont rien. En effet, il étouffe dans leur cœur tout sentiment d’orgueil par ces paroles : " Vous avez reçu gratuitement ; " et par ces autres : " Donnez gratuitement, " il leur commande de se garder purs de toute affection aux richesses. Ou bien en leur disant : " Vous avez reçu gratuitement, " il veut leur apprendre qu’ils ne sont pas les auteurs des bienfaits qu’ils répandent ; comme s’il leur disait : " Vous ne donnez rien de ce qui vous appartient, " vous ne l’avez reçu ni comme récompense, ni comme prix de votre travail, c’est une grâce que je vous ai accordée, donnez-la donc comme vous l’avez reçue, car jamais vous ne pourrez en trouver un prix qui réponde à sa valeur.

 

vv. 9-10

S. Chrys. (hom. 33.) Après avoir défendu à ses Apôtres le trafic des choses spirituelles, le Seigneur veut arracher de leur cœur la racine de tous les maux. " Ne possédez, dit-il, ni or, ni argent. " — S. Jér. Si la fin qu’ils se proposent, en prêchant l’Évangile, n’est point de recevoir une récompense pécuniaire, pourquoi auraient-ils d’ailleurs de l’or, de l’argent ou d’autre monnaie, puisque alors ce n’est plus le salut des hommes, mais l’amour de l’argent qui semblerait être le mobile de leurs prédications ? — S. Chrys. (hom. 33.) En leur donnant ce précepte, il élève d’abord ses disciples au-dessus de tout soupçon ; en second lieu, il les affranchit de toute sollicitude pour qu’ils puissent se donner tout entiers à la parole de Dieu, et il leur enseigne enfin jusqu’où va sa puissance, car il leur dira plus tard : " Lorsque je vous ai envoyés sans sac et sans bourse, vous a-t-il manqué quelque chose ? " (Lc 22.) — S. Jér. Ce n’est pas assez d’avoir coupé jusque dans sa racine l’amour des richesses représentées par l’or, l’argent et la monnaie courante, il semble vouloir retrancher jusqu’au soin des choses nécessaires à la vie. C’est qu’il veut que les Apôtres, prédicateurs de la vraie religion, qui devaient enseigner que le gouvernement de la providence divine s’étend à tout, se montrent eux-mêmes sans préoccupation pour le lendemain : et c’est pour cela qu’il ajoute : " Ni monnaie dans vos bourses. " — La Glose. Il y a deux sortes de choses nécessaires : l’une qui sert à acheter le nécessaire, c’est l’argent dans la bourse ; l’autre le nécessaire lui-même, qui est ici représenté par le sac. — S. Jér. Par ces paroles : " Ni sac dans la route, " le Sauveur condamne certains philosophes qu’on appelait Bactropérates, qui méprisant le monde, et comptant tout pour rien, portaient avec eux toutes leurs provisions. " Ni deux tuniques. " Ces deux tuniques dont parle le Seigneur signifient, à mon avis, deux vêtements différents. Il ne défend donc pas à ceux qui sont exposés au froid glacial de la Scythie où qui vivent sous d’autres climats rigoureux, de porter deux tuniques ; mais par la tunique il entend le vêtement, et dès lors que nous en avons un, il nous défend d’en avoir un autre en réserve, par un sentiment de crainte pour l’avenir. " Ni chaussures. " Platon lui-même a défendu de couvrir les deux extrémités du corps pour ne pas rendre trop délicats la tête et les pieds, car lorsque ces deux parties ont de la vigueur et de la fermeté, les autres parties du corps en deviennent elles-mêmes plus robustes. " Ni bâton. " Pourquoi chercher l’appui d’un bâton, nous qui avons pour soutien le Seigneur lui-même ? — Remi. Le Seigneur nous montre encore par ces paroles, qu’il rappelle les saints prédicateurs de la loi nouvelle à la dignité du premier homme, car tant qu’il posséda les trésors du ciel il ne désira point les trésors de la terre, et il n’y pensa que lorsqu’il eut perdu les richesses du ciel par son péché.

S. Chrys. (hom. 33.) Heureux échange ! au lieu de l’or, de l’argent et d’autres choses de même nature, ils ont reçu le pouvoir de guérir les malades, de ressusciter les morts, et de faire d’autres semblables miracles. Aussi le Sauveur ne leur a pas tout d’abord fait cette défense : " Ne possédez ni or ni argent, " mais il a commencé par leur dire : " Guérissez les lépreux, chassez les démons. " On voit ici que d’hommes qu’ils étaient, le Sauveur en fait pour ainsi dire des anges, qu’il affranchit de tout soin de la vie présente pour ne leur laisser qu’une seule préoccupation, celle de la doctrine. Et encore veut-il les délivrer de cette sollicitude, lors qu’il leur dit : " Ne vous mettez pas en peine de ce que vous direz " (Lc 12, 11). C’est ainsi qu’il leur rend léger et facile ce que l’on regarde comme une tâche lourde et pénible. Car quoi de plus doux que d’être affranchi de tout soin, de toute inquiétude, surtout lorsque avec cela on n’éprouve aucun dommage, parce que Dieu est présent et que son action remplace la nôtre ? — S. Jér. Comme il venait d’envoyer prêcher ses Apôtres dépouillés de tout, et sans leur rien laisser, et que la condition de ces maîtres de l’univers paraissait bien dure, il adoucit la sévérité de ces commandements en ajoutant : " Car l’ouvrier est digne de son salaire, " ce qui revient à dire : " Recevez tout ce qui vous est nécessaire pour le vêtement et pour la nourriture. " C’est ce que recommande aussi l’apôtre S. Paul : " Dès lors que nous avons la nourriture et le vêtement, soyons-en contents (1 Tm 6) ; et ailleurs : " Que celui que l’on instruit des choses de la foi fasse part de tous ses biens à celui qui l’instruit " (Ga 6) ; c’est-à-dire que les disciples qui moissonnent les biens spirituels de ceux qui les enseignent, les fassent participer à leurs biens temporels, non pour satisfaire à leur avarice, mais pour subvenir à leurs besoins.

S. Chrys. (hom. 33.) Il était nécessaire que les Apôtres fussent nourris par leurs disciples, car ils auraient pu s’élever au-dessus de ceux qu’ils enseignaient, parce qu’ils leur donnaient tout sans en rien recevoir ; et les disciples, à leur tour, auraient pu se croire méprisés, et s’éloigner de leurs maîtres. Il ne veut pas non plus que les Apôtres rougissent de leur mission et viennent dire : " Il veut donc que nous vivions comme des mendiants ? " Il leur montre que cette nourriture leur est due, en leur donnant le nom d’ouvriers, et en appelant salaire ce qu’ils reçoivent. Les Apôtres ne devaient pas regarder comme un léger bienfait l’Évangile qu’ils annonçaient, parce que ce ministère est tout entier dans la parole ; et c’est pour cela qu’il ajoute : " L’ouvrier mérite de recevoir sa nourriture. " Ce n’est pas qu’il veuille cependant leur donner une idée exagérée de leurs travaux et de la récompense qu’ils méritent ; mais son dessein est de tracer aux Apôtres une règle de conduite, et d’apprendre à ceux qui fournissent à leurs besoins qu’ils ne font en cela que s’acquitter de ce qu’ils doivent. — S. Aug. L’Évangile n’est pas une chose vénale et on ne doit point l’annoncer pour obtenir des biens temporels. Ceux qui trafiquent ainsi de l’Évangile vendent à vil prix une chose bien précieuse. Les prédicateurs peuvent donc recevoir des peuples qu’ils évangélisent la nourriture nécessaire à leur vie, et attendre de Dieu seul la récompense de leur ministère. Ce n’est pas un salaire que les fidèles donnent à ceux que la charité porte à leur annoncer l’Évangile, c’est un subside qui leur permet de continuer leurs travaux. S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 30.) Après avoir dit à ses Apôtres : " Ne possédez point d’or, " le Sauveur ajoute immédiatement : " L’ouvrier mérite qu’on le nourrisse ; " paroles qui font connaître la raison pour laquelle il ne veut pas qu’ils aient ou qu’ils portent avec eux de l’or ou de l’argent. Ce n’est pas que l’un et l’autre ne soient nécessaires à l’entretien de la vie ; mais il veut, en les envoyant prêcher l’Évangile, que l’on comprenne bien que ce salaire leur est dû par les fidèles qu’ils allaient évangéliser, comme la solde est due à ceux qui combattent. Nous voyons encore ici que l’intention du Seigneur n’est pas de défendre à celui qui annonce l’Évangile d’avoir d’autres moyens de subsistance que les offrandes des fidèles, car alors saint Paul aurait été contre cette défense, lui qui vivait du travail de ses mains (Ac 20, 34 ; 1 Th 2, 9). Mais il leur donne simplement le pouvoir de recevoir ces offrandes comme une chose qui leur est due. Ne pas faire ce que le Seigneur commande, c’est une désobéissance formelle ; mais il est permis de ne pas user d’un pouvoir qu’il donne, et d’y renoncer comme à un droit qui nous est acquis. Le Sauveur veut donc établir que ceux qui annoncent l’Évangile ont le droit de vivre de l’Évangile, et il recommande à ses Apôtres d’être sans inquiétude lorsqu’ils ne posséderont ni ne porteront aucune des choses nécessaires à la vie, quelle que soit leur importance ; c’est pourquoi il ajoute : " ni bâton, " pour apprendre aux fidèles qu’ils doivent tout aux ministres de l’Évangile, pourvu qu’ils ne demandent rien de superflu. D’après l’évangéliste saint Marc, Notre-Seigneur leur défend de rien emporter avec eux pour le chemin, si ce n’est un bâton, et le bâton est l’emblème de ce pouvoir qu’il leur donne. Lorsque d’après saint Matthieu il défend de porter même des chaussures, il veut qu’ils soient libres de toute inquiétude, car on ne songe à s’en pourvoir que dans la crainte qu’on vienne à en manquer. Il faut entendre dans le même sens ce qu’il dit des deux tuniques ; il leur défend d’en porter d’autre que celle dont ils sont revêtus, pour se prémunir contre les nécessités du voyage, puisqu’ils ont le droit d’en recevoir au besoin. Dans saint Marc, Notre-Seigneur leur permet d’avoir pour chaussures des sandales, et cette chaussure a nécessairement une signification mystique ; comme elle laisse le pied découvert par dessus, tandis qu’elle le garantit par dessous, elle signifie que l’Évangile ne doit pas être tenu dans le secret, et qu’il ne doit pas s’appuyer sur des intérêts temporels. Il leur défend expressément dans le même endroit non-seulement de porter deux tuniques, mais même de s’en revêtir ; c’est pour les avertir de fuir toute duplicité, et d’être toujours simples dans leur conduite. Il est donc incontestable que le Seigneur a dit tout ce que les Évangélistes ont rapporté, tant au sens littéral, qu’au sens figuré ; mais qu’ils ont rapporté les uns une partie de son discours, les autres une autre. Maintenant que celui qui prétendrait que le Sauveur n’a pu, dans le même passage, parler tantôt au sens figuré, tantôt au sens propre, jette les yeux sur d’autres parties de l’Évangile, et il se convaincra que cette opinion est aussi téméraire qu’elle est peu éclairée. Car lorsque le Seigneur recommande de laisser ignorer à la main gauche ce que fait la main droite, il sera forcé de prendre dans un sens figuré les aumônes et tout ce qui fait la matière de ce commandement.
 

S. Jér. Nous avons donné le sens historique, voyons maintenant le sens anagogique. Il est défendu aux docteurs de l’Évangile d’avoir ni or, ni argent, ni monnaie dans leur bourse. Nous voyons que l’or est souvent pris pour l’intelligence, l’argent pour la parole, la monnaie pour la voix. Or, nous ne pouvons recevoir ces trois choses de personne, si ce n’est de Dieu qui nous les donne, ni emprunter rien aux enseignements des hérétiques, des philosophes ou d’autres doctrines également perverses. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) La ceinture est une des choses nécessaires à celui qui remplit quelque office, et elle rend son action plus libre ; nous défendre d’avoir de l’argent dans nos ceintures, c’est nous défendre toute vénalité dans l’exercice de notre ministère. Nous ne devons point porter de sac pour le chemin, c’est-à-dire qu’il nous faut laisser toute préoccupation des soins matériels ; car tout trésor sur la terre ne peut que nous être funeste, parce que notre cœur sera nécessairement là où notre trésor est enfoui. Il ajoute : " Ni deux tuniques. " Il nous suffit, en effet, de nous être revêtus une fois de Jésus-Christ, et après avoir reçu l’intelligence de la vérité, nous devons rejeter les vêtements que nous présentent l’hérésie ou la loi ancienne. " Ni chaussures, " c’est-à-dire que, marchant sur une terre sainte et débarrassée d’épines et de ronces, ainsi qu’il fut dit à Moïse (Ex 3), nous ne devons couvrir nos pieds d’autre chaussure que de celle que nous avons reçue de Jésus-Christ. — S. Jér. Ou bien le Seigneur nous enseigne à ne pas enchaîner nos pieds dans les liens de la mort, mais à les dépouiller de tout pour entrer dans la terre sainte, à laisser même ce bâton qui pourrait se changer en serpent ; à ne nous appuyer sur aucun secours humain, car un bâton ou une baguette ne sont jamais que des roseaux qui, pour peu qu’on les presse, se brisent et déchirent la main de ceux qui s’y appuient. — S. Hil. (can. 10.) Nous n’avons besoin, du reste, d’aucun secours étranger, nous qui avons en main le rejeton qui est sorti de la tige de Jessé (Is 11, 1).

 

vv. 11-15.

S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur venait de dire : " L’ouvrier est digne de son salaire ; mais son intention n’est point d’ouvrir indifféremment par ces paroles toutes les portes à ses disciples : aussi leur recommande-t-il d’user de la plus grande prudence dans le choix de ceux dont ils recevront l’hospitalité : " Dans quelque ville, leur dit-il, ou dans quelque bourg que vous entriez, demandez qui est digne de vous recevoir. " — S. Jér. Les Apôtres, en entrant dans une ville nouvelle pour eux, ne pouvaient connaître celui qui se trouvait dans ces conditions. Leur choix devait donc se guider sur l’opinion générale et sur le jugement des voisins, afin que la dignité de l’Apôtre ne fût pas compromise par la mauvaise réputation de celui qui le recevrait. — S. Chrys. (hom. 33.) Pourquoi donc alors le Sauveur s’est-il assis lui-même à la table d’un publicain (Lc 1, 27.28.29) ? C’est que ce publicain s’en était rendu digne par sa conversion. Or, cette manière d’agir ne devait pas seulement tourner à la gloire des Apôtres, mais encore leur procurer les choses nécessaires à la vie ; car si leur hôte était vraiment digne de leur choix, il devait fournir amplement à tous leurs besoins, alors surtout qu’on ne lui demanderait que le nécessaire. Remarquez comment en même temps qu’il les dépouille de tout, il leur donne tout en abondance, en leur permettant de demeurer dans la maison de ceux qu’ils évangélisaient. Car ils étaient ainsi délivrés de toute sollicitude ; et comme ils ne portaient rien avec eux, qu’ils ne demandaient que le nécessaire, et n’entraient pas indistinctement chez tout le monde, ils persuadaient plus facilement aux autres qu’ils n’étaient venus que pour les sauver. Le Seigneur voulait que ses Apôtres brillassent plus encore par leur vertu que par leurs miracles, et une marque des moins équivoques de la vertu, c’est de renoncer aux choses superflues. — S. Jér. Celui que les Apôtres choisissent pour lui demander l’hospitalité ne fait pas une grâce à celui qui demeure chez lui, mais au contraire il en reçoit une faveur ; et Jésus exige qu’il soit digne, pour lui faire comprendre qu’il reçoit plutôt qu’il ne donne. — S. Chrys. (hom. 33.) Remarquez que Notre-Seigneur ne leur accorde pas encore toute faveur, ainsi il ne leur donne pas de savoir qui est digne, et il leur commande de s’en informer. A cet ordre, il ajoute celui de ne pas aller de maison en maison : " Demeurez-y, dit-il, jusqu’à ce que vous vous en alliez ; " et cela pour ne pas contrister celui qui les a reçus, et ne pas encourir le reproche de légèreté ou de sensualité. — S. Amb. Ce n’est donc pas sans motif qu’il ordonne aux Apôtres de choisir la maison où ils devront demeurer, c’est afin de ne pas avoir ensuite de raison d’en changer ; mais les mêmes précautions ne sont pas recommandées à celui qui les reçoit, car en voulant y mettre trop de discernement, son hospitalité pourrait perdre de son prix.

" En entrant dans la maison, saluez-la en disant : Que la paix soit dans cette maison. " — La Glose. C’est-à-dire, demandez la paix pour celui qui vous reçoit, afin d’assoupir en lui toute résistance contre la vérité. — S. Jér. Ces paroles renferment implicitement le salut ordinaire des langues hébraïque et syriaque, car le mot à la fois hébraïque et syriaque salemalach ou salamalach répond au ????? des Grecs et à l’ave des Latins, et veut dire : " La paix soit avec vous. " Or voici le sens de cette recommandation : en entrant dans une maison, demandez la paix pour celui qui l’habite, et autant que vous le pourrez, apaisez les discordes qui la troublent. Si on s’obstine à vouloir la dissension, vous recevrez votre récompense pour la paix que vous aurez offerte, et ceux qui l’ont rejetée auront la guerre en partage, comme l’indique le texte sacré : " Si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle ; si elle n’en est pas digne, votre paix reviendra sur vous. " — Remi. Ou bien il y aura dans cette maison un prédestiné à la vie, et il mettra en pratique la parole divine qu’il a entendue, ou s’il n’y a personne qui veuille l’entendre, le prédicateur ne demeurera pas sans fruit pour cela, car la paix lui revient, lorsqu’il reçoit du Seigneur la récompense de son travail et de son zèle. — S. Chrys. (hom. 33.) Le Seigneur recommande aux Apôtres de ne pas attendre que les autres les saluent, parce qu’ils sont eux-mêmes leurs docteurs, mais de les saluer les premiers et de les prévenir par ce témoignage d’honneur. En ajoutant : " Mais si cette maison n’est pas digne, " il leur fait voir qu’il s’agit non pas d’une simple salutation, mais d’une véritable bénédiction. — Remi. Le Seigneur veut donc que ses disciples offrent la paix en entrant dans une maison, afin que ce salut de paix les aide à reconnaître la maison ou l’hôte qui sont dignes de les recevoir. Il semble leur dire ouvertement : Offrez la paix à tous ; s’ils la reçoivent, ils prouveront qu’ils en sont dignes, s’ils la rejettent, ils s’en déclareront indignes. Quoique l’opinion générale ait dû les guider dans le choix de celui qui était digne de les recevoir, ils doivent cependant lui adresser ce salut, car il faut bien plutôt qu’on appelle les prédicateurs à cause de leur dignité, que de les voir s’introduire d’eux-mêmes sans être appelés. Or ce salut de paix renfermé dans ce peu de mots peut servir à reconnaître parfaitement si une maison ou celui qui l’habite sont dignes de leur donner l’hospitalité.

S. Hil. Les Apôtres saluent donc la maison avec un vif désir de paix, mais leurs paroles expriment plutôt la paix qu’ils ne la donnent. Quant à la paix proprement dite, qui sort des entrailles de la miséricorde, elle ne peut descendre sur cette maison qu’autant qu’elle la mérite ; si elle n’en est pas trouvée digne, le mystère de cette paix toute divine doit rester renfermé dans la conscience des Apôtres. Et ceux qui ont rejeté les préceptes du royaume des cieux n’ont plus à attendre que la malédiction éternelle que leur prédisent les apôtres en les quittant, et en secouant la poussière de leurs pieds. " Lorsque quelqu’un ne voudra point vous recevoir, ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville secouez la poussière de vos pieds. " Car lorsqu’on habite un endroit, il semble qu’on est en rapport, en communion avec lui. Mais en secouant la terre de ses pieds, on se sépare complètement du péché de cette maison, qui ne retire aucun avantage pour sa guérison des traces qu’y ont imprimées les pieds des Apôtres. — S. Jér. Ils secouent la poussière de leurs pieds, en témoignage de leurs travaux, et pour attester qu’ils sont entrés dans cette ville, et que la prédication évangélique est parvenue jusqu’à ses habitants. Ou bien cette poussière secouée, signifie qu’ils ne doivent rien recevoir, pas même le nécessaire, de ceux qui rejettent l’Évangile. — Rab. Ou bien les pieds des Apôtres figurent l’oeuvre même, la marche et le progrès de la prédication apostolique. Cette poussière dont ils sont couverts est la figure de la légèreté des pensées de la terre. Les docteurs les plus éminents ne peuvent entièrement s’en garantir, lorsqu’ils se livrent avec sollicitude aux oeuvres de zèle que réclame l’utilité de ceux qu’ils enseignent ; et en traversant les routes du monde, la poussière de la terre s’attache nécessairement à leurs pieds. Pour ceux donc qui méprisent leur doctrine, les travaux, les dangers, les ennuis, les inquiétudes des docteurs de l’Évangile deviennent un sujet de condamnation. Ceux au contraire qui reçoivent leur parole savent trouver une leçon d’humilité dans les soucis et les peines que supportent pour eux ceux qui les évangélisent. Et pour faire voir que ce n’est pas une faute légère de ne pas recevoir les Apôtres, le Sauveur ajoute : " Je vous le dis en vérité, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville. " — S. Jér. Car la prédication ne s’est pas fait entendre à Sodome et à Gomorrhe, tandis que cette ville l’a entendue et n’a pas voulu la recevoir. — Remi. Ou bien c’est parce que les habitants de Sodome et de Gomorrhe, au milieu des désordres où ils vivaient, exerçaient volontiers l’hospitalité, bien que ceux qu’ils ont reçus ne fussent pas des apôtres. — S. Jér. Si la ville de Sodome est traitée moins rigoureusement que cette cité qui n’a pas reçu l’Évangile, il y a donc divers degrés dans les supplices des pécheurs. — Remi. Notre-Seigneur choisit ici pour exemple les villes de Sodome et de Gomorrhe, pour montrer que Dieu a surtout en horreur les péchés contre nature, péchés qui ont attiré sur le monde les eaux dans lesquelles il a été enseveli, qui ont amené la destruction de quatre villes entières, et qui tous les jours sont cause des maux incalculables qui viennent frapper les hommes.

S. Hil. Dans le sens mystique, le Seigneur nous enseigne à ne pas fréquenter les maisons, et à ne pas cultiver l’amitié des personnes qui se déclarent ennemis de Jésus-Christ ou qui ne le connaissent pas. Dans chaque ville, il nous faut donc demander qui est digne de nous recevoir, c’est-à-dire demander si l’Église est quelque part, et si Jésus-Christ a lui-même une habitation ; et une fois entrés, n’allons pas ailleurs, car cette maison et celui qui l’habite sont dignes que nous nous y arrêtions. Il devait s’en rencontrer beaucoup parmi les Juifs, dont l’attachement pour la loi serait si grand que tout en croyant en Jésus-Christ dont ils avaient vu et admiré les prodiges, ils ne pourraient cependant sortir des oeuvres de la loi. D’autres, curieux d’examiner la liberté dont Jésus-Christ est l’auteur, devaient user de feinte, en quittant la loi pour l’Évangile. Plusieurs autres enfin devaient être entraînés dans l’hérésie par la dépravation de leur intelligence, et comme tous prétendent, mais bien à tort, qu’ils sont en possession de la vérité catholique, il ne faut entrer qu’avec précaution dans cette maison qui se dit l’Église catholique.

 

vv. 16-18.

S. Chrys. (hom. 34.) Après avoir banni toute sollicitude du cœur de ses disciples et les avoir armés de la puissance de faire des miracles éclatants, il leur prédit les dangers qu’ils devaient courir. Il le fait, premièrement pour les convaincre de sa divine prescience ; secondement, pour éloigner de leur esprit le soupçon que ces épreuves leur arrivent à cause de la faiblesse de leur Maître ; troisièmement, pour prévenir l’étonnement mêlé de frayeur que ces maux leur causeraient, s’ils venaient fondre sur eux à l’improviste et contre toute espérance ; quatrièmement, afin qu’étant ainsi prévenus, le spectacle de la croix ne les jetât pas dans le trouble. Comme il veut ensuite leur apprendre les lois nouvelles de ce combat, il les envoie dépouillés de tout et il veut qu’ils soient nourris par ceux qui les recevront. Il ne s’arrête pas là, mais il leur donne une nouvelle idée de sa puissance, en ajoutant : " Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. " Remarquez que ce n’est pas seulement vers les loups qu’il les envoie, mais au milieu des loups, afin que sa puissance se manifeste avec plus d’éclat, lorsqu’on verra les brebis triompher des loups, tout en vivant au milieu d’eux, et qu’au lieu de périr sous leurs morsures répétées, elles parviendront à les changer et à les convertir. Or c’est une oeuvre bien plus grande et plus admirable de changer leurs âmes que de les mettre à mort. En s’exprimant de la sorte, il leur apprend à montrer la douceur des brebis au milieu des loups. — S. Grég. (homél. 17 sur l’Evang.) Celui qui se charge du ministère de la prédication, ne doit causer aucun mal, mais supporter celui qu’on veut lui faire. C’est par cette douceur qu’il adoucira la fureur de ceux qui se déchaînent contre lui, et que ressentant lui-même le contrecoup des afflictions des autres, il pourra guérir les blessures des pécheurs. Si quelquefois le zèle de la justice lui commande de sévir contre ceux qui lui sont soumis, il faut que l’amour et non pas la dureté soit le principe de sa colère, et que tout en maintenant au dehors les droits de la discipline outragée, il aime d’un amour paternel ceux qu’il est obligé de châtier extérieurement. Il en est beaucoup, au contraire, qui à peine revêtus de l’autorité du commandement, se montrent ardents à tourmenter leurs inférieurs, veulent imprimer la terreur du pouvoir, et paraître dominateurs ; ils oublient tout à fait qu’ils sont pères, et cette place qui leur fait un devoir de l’humilité, devient pour eux un sujet d’orgueil et de domination. Parfois peut-être ils vous flattent au dehors, mais ils exercent intérieurement leur fureur contre vous, et c’est d’eux qu’il a été dit : " Ils viennent à vous avec des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravissants. " Remarquons ici que nous sommes envoyés comme des brebis au milieu des loups, parce que Dieu veut que nous conservions la pureté de l’innocence, sans jamais nous rendre coupables des morsures de la méchanceté. — S. Jér. Il donne le nom de loups aux Scribes et aux Pharisiens qui étaient comme les clercs de la religion juive. — S. Hil. Ces loups figurent aussi ceux qui dans leur fureur insensée devaient se déchaîner contre les Apôtres.
 

S. Chrys. (hom. 34.) Ils avaient une consolation dans leurs maux, c’était la puissance de Celui qui les envoyait : aussi le Sauveur cherche-t-il à les bien convaincre avant tout de cette puissance, lorsqu’il leur dit : " Voici que je vous envoie, " c’est-à-dire : Ne soyez pas effrayés d’être envoyés au milieu des loups, car j’ai assez de puissance pour vous préserver entièrement du mal qu’ils pourraient vous faire, non-seulement en vous arrachant à leur dent meurtrière, mais en vous rendant terribles aux lions eux-mêmes. Cependant il faut que vous passiez par ces épreuves, pour faire briller dans tout son éclat votre gloire et ma puissance. Toutefois, pour que les Apôtres puissent contribuer eux-mêmes à cette gloire et qu’on ne croie pas qu’ils ont été couronnés sans mérite, il ajoute : Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes. " — S. Hil. La prudence leur fera éviter les embûches, la simplicité les garantira du mal. Notre-Seigneur leur donne pour exemple la finesse du serpent, parce qu’il cache sa tête dans les replis de son corps afin de mettre à couvert le siége de sa vie. Ainsi devons-nous sauver au péril de tout notre corps notre tête, qui est Jésus-Christ, c’est-à-dire nous appliquer à conserver notre foi dans toute sa pureté (Ep 3, 17 ; 4, 15), dans toute son intégrité. — Rab. Le serpent a coutume aussi de se frayer un passage dans des ouvertures étroites, pour y laisser en passant son ancienne peau. C’est ainsi que le prédicateur, en traversant la voie étroite, doit se dépouiller entièrement du vieil homme. — Remi. Le Sauveur donne ici une belle leçon aux prédicateurs, en leur recommandant d’avoir la prudence du serpent ; car c’est par le serpent que le premier homme fut trompé, et il semble leur dire : Le serpent a été prudent et rusé pour tromper ; soyez prudents vous mêmes pour sauver ; il a fait l’éloge de l’arbre de la science ; exaltez vous-mêmes la puissance de la croix. — S. Hil. Le démon s’est d’abord attaqué à l’âme du sexe le plus faible, et l’a séduite par l’espérance, en lui promettant la participation à l’immortalité ; ainsi devons-nous choisir nous-mêmes l’occasion favorable (eu égard à la nature et aux dispositions d’un chacun) pour parler avec prudence, révéler l’espérance des biens éternels et prédire en toute vérité, en nous fondant sur la promesse de Dieu lui-même, ce que le démon n’a promis que par un mensonge, c’est-à-dire que ceux qui croient deviendront semblables aux anges. (Mt 22.)
 

S. Chrys. (hom. 24.) De même que nous devons avoir la prudence du serpent pour éviter d’être blessés dans ce que nous avons de plus cher, ainsi devons-nous avoir la simplicité de la colombe pour ne pas opposer la vengeance à l’injustice qui nous est faite, et ne pas dresser aux autres de pernicieuses embûches. — Remi. Le Sauveur réunit ces deux vertus, car la simplicité sans la prudence peut être facilement trompée, et la prudence a ses dangers lorsqu’elle n’est pas tempérée par la simplicité.
 

S. Jér. La simplicité des colombes nous est révélée dans la forme sous laquelle l’Esprit saint a voulu paraître, et c’est en faisant allusion à cette vertu que l’Apôtre a dit : " Soyez petits en malice. " — S. Chrys. (hom. 34.) Quoi de plus dur en apparence que de semblables commandements ? Non-seulement il faut souffrir le mal, il n’est pas même permis de s’en troubler, ce qui est le propre de la colombe ; car la colère n’apaise pas la colère, mais la douceur seule peut l’éteindre.

Rab. Ces loups dont il vient de parler, ce sont les hommes, comme le prouvent les paroles suivantes : " Gardez-vous des hommes. " La Glose. Il est donc nécessaire que vous soyez comme des serpents, c’est-à-dire pleins de finesse, car tout d’abord, suivant leur coutume, ils vous traduiront devant leurs tribunaux, et vous défendront de prêcher en mon nom ; et si vous n’obéissez, ils vous feront fouetter de verges et vous conduiront enfin devant les gouverneurs et devant les rois. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ce sont eux qui s’efforcent d’arracher un aveu à votre silence ou votre consentement à leurs projets.
 

S. Chrys. (hom. 34.) Il est vraiment surprenant qu’en parlant de la sorte le Sauveur n’ait pas vu s’éloigner aussitôt de lui ces hommes qui n’avaient jamais quitté les bords du lac dans lequel ils jetaient leurs filets. C’est là une preuve non-seulement de leur vertu, mais de la sagesse du docteur qui les enseignait ; car à chacun des maux qu’il leur prédisait il prenait soin de joindre un adoucissement. C’est pour cela qu’il ajoute : " A cause de moi. " C’est en effet une bien grande consolation de souffrir pour Jésus-Christ. Les Apôtres n’étaient pas persécutés comme des méchants et des scélérats ; Notre-Seigneur en donne la raison : " Pour leur servir de témoignage. " — S. Grég. (hom. 31.) C’est-à-dire à ceux qui leur ont donné la mort en les persécutant ou qui n’ont pas changé eux-mêmes de vie ; car la mort des saints est un puissant secours pour les bons comme elle est un témoignage contre les méchants qui périssent sans excuse là où les élus trouvent de salutaires exemples qui les conduisent à la vie.
 

S. Chrys. (hom. 34.) Ce qui les consolait dans ces paroles, ce n’est pas le désir de voir la ruine de leurs ennemis, mais la vive confiance qu’ils avaient que le Sauveur était toujours avec eux et prévoyait tout ce qui devait leur arriver. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ce témoignage non-seulement enlève aux persécuteurs toute excuse, mais encore ouvre aux nations le chemin de la foi en Jésus-Christ, qui leur fut prêchée jusqu’au milieu des tourments par la voix ferme et constante des confesseurs ; et c’est pour cela qu’il ajoute : " Et aux nations. "

 

vv. 19-20.

S. Chrys. (hom. 34.) Aux consolations qui précèdent, le Sauveur en ajoute une non moins grande. Les Apôtres auraient pu lui dire : Comment pourrons-nous persuader les esprits au milieu de tant de persécutions ? Jésus leur commande de ne point se préoccuper de ce qu’ils auront à répondre. " Lorsqu’on vous livrera, leur dit-il, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez ; ni de ce que vous leur direz. " Il distingue ici deux choses : la réponse et la forme qu’on peut lui donner ; l’une qui a pour principe la sagesse, et l’autre qui est du ressort de la parole. Or, comme c’était de lui que venaient et les paroles qu’ils devaient dire, et la sagesse qui les inspirait, les prédicateurs de l’Évangile n’avaient nullement à se préoccuper soit du fond soit de la forme de leur discours. — S. Jér. Lorsque nous sommes traduits devant les juges de la terre pour la cause de Jésus-Christ, nous n’avons qu’une chose à faire : offrir pour lui notre volonté. Pour le reste, Jésus-Christ, qui lui-même habite en nous, parlera pour lui-même, et le Saint-Esprit nous prêtera son secours divin pour répondre. — S. Hil. Car si notre foi se donne tout entière à l’accomplissement des divins préceptes, Dieu de son côté lui donnera la science nécessaire pour répondre ; elle en a pour garant l’exemple d’Abraham à qui Dieu, après lui avoir demandé le sacrifice de son fils Isaac, fit trouver le bélier nécessaire au sacrifice. (Gn 22.) Aussi prend-il soin d’ajouter : " Car ce n’est pas vous qui parlez. " — Remi. Voici le sens de ces paroles : C’est vous qui marchez au combat, mais c’est moi qui en soutiens tout l’effort ; c’est vous qui prononcez les paroles, mais c’est moi-même qui parle par votre bouche. C’est ce qui faisait dire à saint Paul : " Est-ce que vous voulez faire l’expérience de Jésus-Christ qui parle par ma bouche ? " — S. Chrys. (hom. 34.) C’est ainsi qu’il revêt les Apôtres de la dignité des prophètes qui ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit saint. Or, ce qu’il leur dit ici : " Ne soyez pas en peine de ce que vous direz, " n’est pas contraire à ce qui est dit ailleurs : " Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous demanderont raison de l’espérance qui est en vous. " Lorsque la discussion s’engage entre nous et nos amis, nous devons nous préoccuper de ce que nous répondrons ; mais devant le tribunal effrayant des persécuteurs, au milieu d’un peuple en furie, alors que nous ne voyons de tous côtés que des sujets d’effroi, Jésus-Christ vient à notre secours et nous donne la force de parler avec une sainte hardiesse et d’être inaccessible à la crainte.

 

vv. 21-22.

La Glose. Notre-Seigneur a fait précéder la consolation, il prédit maintenant de plus grands dangers : " Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, et les fils s’élèveront contre leurs parents. " — S. Grég. (hom. 35 sur les Evang.) Les peines que nous causent ceux dont l’affection et la fidélité nous paraissaient acquises, nous sont beaucoup plus sensibles que les épreuves qui nous viennent de personnes qui nous sont étrangères ; car alors, outre la douleur du corps, nous sommes déchirés par le regret de l’affection que nous avons perdue. — S. Jér. C’est ce qui arrive souvent dans les persécutions, et il n’y a point à compter sur l’affection de ceux qui n’ont point la même foi.
 

S. Chrys. (hom. 34.) Voici une épreuve plus terrible encore : " Et vous serez haïs de tous les hommes. " Et en effet on les poursuivait, et on voulait les chasser comme les ennemis communs du genre humain. Aussi leur présente-t-il de nouveau cette double consolation : " A cause de mon nom, " et cette autre : " Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. " Il en est beaucoup, en effet, qui, pleins d’ardeur dans les commencements, perdent insensiblement toute leur force ; c’est pourquoi le Sauveur demande la persévérance jusqu’à la fin. Car de quelle utilité peuvent être les semences qui donnent d’abord des fleurs, et qu’on voit ensuite se dessécher sur leur tige ? Aussi exige-t-il de ses disciples une persévérance constante. — S. Jér. Le caractère propre de la vertu, ce n’est pas de commencer, c’est d’achever. — Remi. Et ce n’est pas à ceux qui commencent, mais à ceux qui persévèrent, que la récompense est donnée.
 

S. Chrys. (hom. 34.) Notre-Seigneur prévient ici cette difficulté : Le Christ est l’auteur de tout ce que nous admirons dans les Apôtres ; il n’est donc pas surprenant qu’ils soient devenus ce qu’on les a vus, puisqu’ils n’avaient rien à supporter de pénible ; c’est pourquoi il ajoute que la persévérance leur est nécessaire. Car lors même qu’il les aurait arrachés aux premiers dangers, ils étaient réservés à d’autres plus grands encore, auxquels de nouveaux devaient succéder, puisqu’ils ne devaient pas vivre un instant sans avoir à redouter les piéges qu’on leur dressait, vérité qu’il leur révèle d’une manière indirecte, en leur disant : " Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. " — Remi. C’est-à-dire celui qui n’abandonnera pas les préceptes de la foi, qui ne faiblira pas dans les persécutions, celui-là sera sauvé, et les persécutions de la terre lui mériteront les récompenses du royaume des cieux. Remarquez que le mot fin ne signifie pas toujours la destruction d’une chose, mais quelquefois sa perfection, comme dans ce passage : " Le Christ est la fin. " (Rm 10.) On peut donc adopter ce sens : " Celui qui persévérera jusqu’à la fin, " c’est-à-dire dans le Christ. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 21, chap. 25.) En effet, persévérer dans le Christ, c’est persévérer dans la foi que nous avons en lui et qui agit par la charité.

 

v. 23.

S. Chrys. (hom. 35.) Après avoir prédit à ses Apôtres les épreuves terribles qui devaient leur arriver après son crucifiement, sa résurrection et son ascension, il ramène leur pensée sur des considérations moins sévères ; il ne leur fait pas un devoir d’affronter audacieusement la persécution, mais leur ordonne même de la fuir. " Lorsqu’ils vous persécuteront, fuyez. " Le Sauveur use à leur égard de cette condescendance, parce qu’ils étaient nouvellement convertis. — S. Jér. Il faut rapporter ces paroles au temps où il envoyait les Apôtres prêcher l’Évangile en leur disant : " N’allez pas dans la voie des Gentils ; " c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas craindre la persécution, mais l’éviter, c’est ce que nous voyons faire aux fidèles de la primitive Église ; la persécution s’étant élevée à Jérusalem, ils se dispersèrent dans toute la Judée (Ac 8), et c’est ainsi que la persécution devint elle-même le principe de la propagation de l’Évangile.
 

S. Aug (contre Faust, liv. 22, chap. 39.) Si le Sauveur leur ordonne de fuir, et si lui-même le premier leur en a donné l’exemple, ce n’est point par impuissance de défendre ses disciples, mais c’est pour enseigner à la faiblesse de l’homme à ne pas tenter Dieu, quand il est en son pouvoir de fuir le danger qu’il doit éviter. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. 1, chap. 23.) Il aurait pu leur conseiller de mettre fin à leurs jours pour ne pas tomber entre les mains des persécuteurs. Or, puisqu’il n’a donné ni l’ordre ni le conseil de sortir ainsi de cette vie à ceux qu’il a promis de recevoir dans les demeures éternelles qu’il est allé leur préparer ; quels que soient les exemples que puissent nous opposer les nations qui ne connaissent pas Dieu, il est évident que se donner la mort est un crime pour ceux qui croient en un seul et vrai Dieu.
 

S. Chrys. (hom. 35.) Les Apôtres pouvaient lui objecter : Mais que ferons-nous si après avoir fui la persécution qui nous menace, on nous chasse encore de la contrée que nous aurons choisie ? Le Seigneur bannit cette crainte de leur cœur en ajoutant : " Je vous dis en vérité, vous n’aurez pas achevé toutes les demeures d’Israël jusqu’à ce que vienne le Fils de l’homme, " c’est-à-dire en parcourant la Palestine, vous ne devancerez pas le temps où je dois venir vous chercher et vous prendre avec moi. — Rab. Ou bien il leur prédit qu’ils ne convertiront pas à la foi par leurs prédications toutes les villes d’Israël avant la résurrection du Sauveur, et aussi avant qu’ils aient reçu le pouvoir de prêcher l’Évangile par toute la terre. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore il leur conseille de fuir d’une ville dans une autre, parce que la prédication de l’Évangile, repoussée par la Judée, s’est fait entendre dans la Grèce. Elle s’est ensuite répandue dans toutes les villes de cette contrée par les persécutions multipliées des Apôtres, et de là elle s’est fixée, pour y demeurer, dans l’universalité des nations. Mais le Seigneur, voulant montrer que si les nations seraient amenées à la foi par la prédication des Apôtres, les restes d’Israël ne devraient leur conversion qu’à son avènement, il ajoute : " Vous n’achèverez pas toutes les villes, " c’est-à-dire qu’après la plénitude des nations, ce qui restera d’Israël pour consommer le nombre des saints sera réuni à l’Église par l’éclat du dernier avènement de Jésus-Christ.
 

S. Aug. (Lettre 180 à Honorat.) Que les serviteurs de Jésus-Christ ne craignent donc pas de faire ce qu’il a commandé ou permis, et ce qu’il a fait lui-même en fuyant en Egypte ; ils doivent donc fuir aussi de ville en ville lorsqu’ils seront l’objet particulier d’une persécution ; ceux au contraire qui ne sont pas personnellement recherchés, ne doivent pas abandonner leur Église, mais rester pour soutenir ceux de leurs frères qui n’attendent que d’eux leur subsistance. Mais lorsque le danger devient général et qu’il menace également les évêques, les clercs et les fidèles, que ceux qui doivent aux autres le secours de leur ministère n’abandonnent pas les fidèles qui ont droit de le réclamer, ou qu’ils fuient tous ensemble dans des lieux sûrs. Que ceux qui sont obligés de rester ne soient point abandonnés par ceux qui doivent subvenir à leurs besoins spirituels, mais qu’ils vivent ensemble, ou qu’ensemble ils partagent les épreuves auxquelles le père de famille veut les soumettre. — Remi. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que si le précepte de la persévérance dans les persécutions regarde spécialement les Apôtres et les hommes courageux qui leur ont succédé, la permission de fuir est donnée à ceux qui sont faibles dans la foi. Le bon Maître a voulu ainsi condescendre à leur faiblesse, dans la crainte qu’en se présentant d’eux-mêmes au martyre, ils ne fussent exposés à renoncer à la foi au milieu des tourments ; car il vaut mieux fuir qu’apostasier. Et bien qu’en fuyant ils ne fissent pas preuve d’une foi constante et parfaite ; cependant ils avaient un grand mérite, car ils étaient prêts, en prenant la fuite, à tout quitter pour Jésus-Christ. Or, si le Sauveur ne leur avait pas accordé la permission de fuir la persécution, il y aurait eu des hommes qui les auraient déclarés indignes de la gloire du royaume des cieux.

S. Jér. En prenant ces paroles dans le sens spirituel, nous pouvons dire : Lorsqu’ils nous persécuteront dans une ville, c’est-à-dire dans un livre, ou dans un texte de la sainte Écriture, fuyons vers d’autres villes, c’est-à-dire vers d’autres livres ; et quelque ami de la dispute que soit notre persécuteur, le secours du Seigneur nous arrivera avant qu’il ait remporté la victoire.

 

vv. 24-25.

S. Chrys. (hom. 35.) Aux persécutions dont il vient de parler devait se joindre la diffamation et la calomnie, qui seraient pour les Apôtres le supplice le plus pénible en les atteignant jusque dans leur réputation ; il leur apporte donc pour consolation son propre exemple, et leur rappelle tout ce qu’on a osé dire de lui, consolation qui, pour eux, était sans égale. — S. Hil. En effet, le Seigneur, la lumière éternelle, le chef des croyants, le père de l’immortalité, révèle par avance à ses disciples les consolations qui adouciront un jour leurs épreuves, afin de nous faire embrasser avec ardeur comme un titre de gloire cette carrière qui nous rend les égaux du Seigneur par les souffrances. C’est pour cela qu’il ajoute : " Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur, " etc. — S. Chrys. (hom. 35.) Il faut entendre ces paroles dans ce sens : tant qu’il reste disciple et serviteur. Alors, dis-je, il n’est pas au-dessus de son maître et de son seigneur, quant à l’honneur auquel il peut aspirer. Et ne m’objectez pas ici de rares exceptions, ces paroles doivent s’entendre de ce qui arrive le plus ordinairement. — Remi. Le maître et le seigneur c’est lui-même ; par le serviteur et le disciple, il veut désigner ses Apôtres. — La Glose. Telle est la leçon qu’il veut faire à ses disciples : " Ne vous irritez pas de souffrir ce que je souffre, car je suis votre Maître, et je vous enseigne ce qui doit vous être utile.
 

Remi. Comme cette maxime ne paraissait pas se rapporter parfaitement à ce qui précède, il leur fait connaître le but qu’il s’y est proposé en ajoutant : " S’ils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison traiteront-ils ses domestiques de la même manière. "
 

S. Chrys. (hom. 35.) Il ne dit pas ses serviteurs, mais ses domestiques, les gens de sa maison, pour exprimer dans quelle intimité il est avec eux, comme il le dit ailleurs : " Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis. " — Remi. Il semble leur dire par ces paroles : " Ne cherchez donc ni les honneurs de la terre, ni la gloire qui vient des hommes, vous qui me voyez racheter le monde en supportant tous les outrages et tous les opprobres. — S. Chrys. (hom. 35.) Il ne se contente pas de dire : S’ils ont outragé le Maître, mais il spécifie l’outrage : " s’ils l’ont appelé Béelzébub. " — S. Jér. Béelzébub était l’idole d’Accaron, qui est appelée dans le livre des Rois l’idole de la mouche. Béel est la même chose que Bel ou Baal, et Zébub signifie mouche. Les Juifs donnaient au prince des démons le nom de l’idole la plus impure, qu’on appelait mouche, à cause de ce qu’elle a d’immonde, car la mouche en tombant dans un parfum en détruit la bonne odeur.

 

vv. 26-28.

Remi. A cette première consolation, le Sauveur en ajoute une autre qui n’est pas moins grande : " Ne les craignez donc pas, " c’est-à-dire les persécuteurs. Et pourquoi ne doivent-ils pas les craindre ? " Parce qu’il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert. " — S. Jér. Comment donc alors les vices d’un si grand nombre demeurent-ils cachés pendant cette vie ? Notre-Seigneur veut parler ici du temps à venir. Lorsque le Seigneur jugera ce qui est caché dans le cœur des hommes (1 Co 4, 5), il portera la lumière dans les retraites les plus ténébreuses, et découvrira les plus secrètes pensées des cœurs. Tel est donc le sens de ces paroles : " Ne craignez ni la cruauté des persécuteurs, ni la rage des blasphémateurs, car viendra le jour du jugement qui mettra en évidence votre vertu et leur malice. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Il leur recommande donc de ne craindre ni les menaces, ni les outrages, ni la puissance des persécuteurs, parce que le jour du jugement dévoilera le néant et la faiblesse de leurs entreprises. — S. Chrys. (hom. 35.) Ou bien encore, au premier abord, les paroles du Sauveur présentent un sens général ; toutefois, on ne doit les entendre que de ce qui précède, dans ce sens : " S’il vous est pénible d’être en butte aux outrages, pensez que vous ne tarderez pas à être délivrés de cette épreuve. Ils vous prodigueront les noms injurieux de devins, de magiciens et de séducteurs ; mais attendez un peu, et tous vous proclameront à l’envi les sauveurs de l’univers, alors que par vos oeuvres vous en paraîtrez les bienfaiteurs, et les hommes cesseront de s’arrêter à leurs discours pour ne plus s’occuper que de la vérité des faits.
 

Remi. Il en est qui prétendent que Notre-Seigneur promet ici à ses disciples de révéler par eux tous les mystères cachés qui demeuraient voilés sous la lettre de la loi ; ce qui faisait dire à l’Apôtre : " Lorsqu’ils seront convertis à Jésus-Christ, le voile sera levé. " Tel serait donc le sens de ces paroles : " Pourquoi craindriez-vous vos persécuteurs, vous dont la dignité est si grande, puisque Dieu vous a choisis pour dévoiler les mystères de la loi et des prophètes. S. Chrys. (hom. 35.) Après les avoir délivrés de toute crainte, et les avoir rendus supérieurs aux opprobres, le moment est venu de leur parler de la liberté de la prédication ; c’est ce qu’il fait, en leur disant " Ce que je vous dis dans les ténèbres, " etc. S. Hil. Nous ne lisons nulle part que le Seigneur eût pour habitude de discourir pendant la nuit, et d’enseigner sa doctrine dans les ténèbres ; si donc il s’exprime ainsi, c’est que tous ses discours sont ténèbres pour les hommes charnels, et que sa parole est comme la nuit pour les infidèles. Il faut donc prêcher ses divins enseignements avec toute la liberté de la foi et de la prédication. — Remi. Voici donc le sens de ces paroles : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, " c’est-à-dire au milieu des Juifs incrédules, " dites-le à la lumière, " c’est-à-dire devant les fidèles ; et " ce que vous entendez à l’oreille, " c’est-à-dire ce que je vous dis en secret, " prêchez-le sur les toits, " c’est-à-dire en public et devant tout le monde. L’expression parler à l’oreille, dans le langage ordinaire, veut dire parler en secret.
 

Rab. Ces paroles : " Prêchez sur les toits, " sont une allusion à ce qui se fait dans la Palestine, où les toits servent d’habitation, parce qu’ils ne sont point terminés en pointe comme les nôtres, mais présentent une surface plane. Prêcher sur les toits, c’est donc prêcher publiquement, devant un grand nombre d’auditeurs. — La Glose. Ou bien encore : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, " c’est-à-dire pendant que vous êtes encore sujets à une crainte toute humaine ; " dites-le en plein jour, " c’est-à-dire avec la confiance que donne la vérité lorsque l’Esprit vous aura inondé de sa lumière ; " et ce que l’on vous dit à l’oreille, " c’est-à-dire ce que vous percevez par l’ouïe seule, " prêchez-le par les oeuvres, tandis que vous habitez sur les toits, " c’est-à-dire dans vos corps qui sont la demeure de vos âmes. — S. Jér. Ou bien encore : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, prêchez-le en plein jour, " c’est-à-dire, ce que je vous dis dans le mystère, prêchez-le à découvert ; " et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits, " c’est-à-dire ce que je vous ai enseigné dans un endroit resserré de la Judée, annoncez-le sans crainte à toutes les villes du monde entier.
 

S. Chrys. (hom. 35.) Le Sauveur nous montre ici que c’est lui qui opère toutes ces oeuvres par ses Apôtres, et de beaucoup plus grandes qu’il n’en a faites lui-même, comme il le dit ailleurs : " Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes, " ce qui revient à dire : J’ai commencé par agir moi-même, mais c’est par vous que je veux accomplir ce qu’il y a de plus grand, paroles qui ne renferment pas seulement un commandement, mais une prédiction de l’avenir, et apprennent aux Apôtres qu’ils triompheront de tous les obstacles.
 

S. Hil. Il faut donc répandre continuellement la connaissance de Dieu, et révéler par la lumière de la prédication le profond secret de la doctrine évangélique, sans craindre nullement ceux qui n’ont de puissance que sur nos corps, et n’en ont aucune sur nos âmes ; c’est pour cela que le Sauveur ajoute : " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme. — S. Chrys. (hom. 35.) Voyez comme il les rend supérieurs à tout, en leur persuadant de mépriser non-seulement toute sollicitude, les calomnies, les périls, mais encore ce qu’il y a de plus terrible, la mort elle-même, et de tout sacrifier à la crainte de Dieu. " Craignez plutôt, ajoute-t-il, celui qui peut envoyer votre corps et votre âme dans l’enfer. "
 

S. Jér. Le nom de géhenne ne se trouve pas dans les livres de l’ancienne loi, et c’est le Sauveur qui l’a employé le premier ; examinons à quelle occasion. Nous lisons en plusieurs endroits de l’Écriture (2 Par 24 ; 3 R 16) qu’il y avait une idole de Baal près de Jérusalem, au pied du mont Moria, là où coule la fontaine de Siloë. Cette vallée, qui forme une petite plaine, était arrosée de plusieurs ruisseaux, ombragée et pleine de charmes ; elle renfermait un bois consacré à cette idole. Le peuple d’Israël en était venu à cet excès de folie d’abandonner les parvis du temple pour venir immoler des victimes dans cette vallée, oublier au milieu de ses délices la sévérité de la vraie religion, et brûler ses enfants offerts comme victimes au démon. Ce lieu s’appelait Géhennon ou la vallée des fils d’Ennon (4 R 23, 10 ; 2 Par 16, 3 ; Jos 15, 8 ; Jr 7, 31 ; 19, 2.6). Ce nom se trouve souvent répété dans les livres des Rois, dans les Paralipomènes et dans Jérémie. Dieu y menace son peuple de remplir de cadavres ce lieu, qu’on n’appellera plus Tophet et Baal, mais Polyandrium, c’est-à-dire le tombeau des morts. Notre-Seigneur se sert donc de ce nom pour exprimer les supplices et les châtiments éternels qui attendent les pécheurs. — S. Aug. (Cité de Dieu, 13, 2.) Ces supplices ne commenceront pour le corps et pour l’âme à la fois, que lorsque l’âme sera réunie au corps d’une union qui ne pourra plus être brisée. Et cependant cet état est justement appelé la mort de l’âme, parce qu’alors elle ne vivra plus de la vie de Dieu, et la mort du corps, parce que sous le coup de cette éternelle damnation, bien que l’homme conserve le sentiment, ce sentiment n’étant plus pour son cœur la source d’aucune douceur, d’aucun repos, mais un principe de douleur et de peine, cet état mérite d’être appelé bien plutôt un état de mort qu’un état de vie. — S. Chrys. (hom. 35.) Remarquez encore qu’il ne leur promet pas de les affranchir de la mort, mais qu’il leur conseille de la mépriser, ce qui est bien plus grand que d’en être délivré, et que dans ce même discours il imprime dans leur âme la croyance de l’immortalité.

 

vv. 29-31.

S. Chrys. (hom. 35.) Après avoir banni de leur âme la crainte de la mort, le Sauveur ne veut pas que ses Apôtres pussent se croire abandonnés s’ils venaient à succomber ; il ramène de nouveau son discours sur la providence de Dieu, et leur dit : " Est-ce que deux passereaux ne se vendent pas une obole ? Et cependant pas un ne tombe à terre sans la permission de votre Père. "
 

S. Jér. Voici le sens de ces paroles : " Si de petits animaux ne périssent pas sans la permission de Dieu, si sa providence s’étend à toutes les créatures, et si celles d’entre elles qui sont sujettes à la mort ne peuvent périr sans la volonté de Dieu, vous dont la destinée est éternelle, devriez-vous craindre que la providence vous abandonne dans le cours de cette vie ?
 

S. Hil. Dans le sens mystique, ce qui est vendu, c’est le corps et l’âme, et celui auquel on le vend, c’est le péché. Ceux qui vendent deux passereaux pour une obole sont ceux qui étaient nés pour prendre leur essor et s’élever jusqu’au ciel sur les ailes de la grâce, et qui se vendent pour un misérable péché. Séduits par les voluptés de cette vie, et acquis par avance aux vanités du siècle, ils se prostituent tout entiers et se vendent à ce vil prix. Or, la volonté de Dieu c’est que l’une de ces deux substances s’élève par son essor au-dessus de l’autre ; mais une loi qui a également Dieu pour auteur veut que l’autre soit plus portée à tomber qu’à s’élever. De même que s’ils avaient pris leur vol ensemble, ils n’auraient fait qu’un, et que le corps serait ainsi devenu spirituel ; de même lorsqu’ils sont tous deux vendus au péché, l’âme devient terrestre et matérielle au milieu des souillures du vice, et les deux substances n’en font plus qu’une seule que les inclinations de la chair font tomber violemment à terre.
 

S. Jér. Ces paroles : " Tous les cheveux de votre tête sont comptés, " montrent l’immense providence de Dieu à l’égard des hommes, et sont une preuve de cet amour ineffable de notre Dieu pour lequel il n’y a rien de caché. — S. Hil. L’action de compter indique le soin que l’on prend d’une chose. — S. Chrys. (hom. 35.) Si Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, ce n’est pas que Dieu compte littéralement nos cheveux, mais il veut nous apprendre la connaissance parfaite que Dieu a de nos besoins, et l’étendue de sa providence pour y subvenir.
 

S. Hil. Ceux qui nient la résurrection de la chair se moquent de l’interprétation de l’Église, comme si nous disions que les cheveux qui ont été comptés, et qui sont tombés sous les ciseaux, doivent ressusciter. Mais le Sauveur ne dit pas : " Tous vos cheveux seront conservés, mais " seront comptés. " Cette manière de parier prouve que Dieu connaît le nombre de nos cheveux, mais non pas qu’il les conservera tous. — S. Aug. (Cité de Dieu, liv. dern. chap. 19.) On pourrait aussi faire cette question : Tous les cheveux qui ont été coupés, reviendront-ils, et s’ils doivent repousser, qui n’aurait horreur de cette difformité ? Mais dès lors que l’on comprend et que l’on admet en principe que le corps ne perdra rien de ce qui peut lui donner de la grâce et de la beauté, on doit comprendre également que ce qui serait de nature à produire une hideuse difformité viendra se joindre à la masse du corps et non pas aux membres dont la forme en serait défigurée. Ainsi, qu’un vase de terre soit réduit en poussière et qu’il soit ensuite rendu à sa première forme avec la même matière, il ne serait pas nécessaire que la partie d’argile qui formait l’anse fût rendue à l’anse elle-même, ou que ce qui en formait le fond revînt au même endroit, il faudrait seulement que le tout revînt dans le tout, c’est-à-dire la totalité de la matière dans la totalité du vase, et qu’ainsi aucune partie ne fût perdue. Si donc les cheveux coupés tant de fois devaient rendre la tête difforme, ils ne lui seront pas rendus ; car grâce à la mutabilité naturelle de la matière, ils prendront la forme de la chair pour occuper n’importe quel endroit du corps, suivant que l’exigera l’harmonie des parties qui le composent. On pourrait d’ailleurs entendre cette parole : " Pas un cheveu de votre tête ne périra, " non de la longueur, mais du nombre des cheveux ; comme paraissent l’indiquer ces paroles : " Les cheveux de votre tête sont comptés. " — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) En effet, il ne serait pas digne de Dieu de compter ce qui doit périr. Aussi, afin que nous sachions bien que rien de ce qui compose notre être ne doit périr, il nous assure que nos cheveux eux-mêmes ont été comptés. Nous n’avons donc à craindre aucun danger pour nos corps, et Notre Sauveur nous confirme dans cette assurance par les paroles qui suivent : " Ne craignez pas, vous valez plus que beaucoup de passereaux. " — S. Jér. Ces paroles rendent plus clair le sens de ce qui précède, c’est-à-dire qu’ils ne doivent pas craindre ceux qui ne peuvent que tuer le corps ; car si les plus petits animaux ne peuvent périr sans que Dieu le sache, combien moins l’homme que Dieu a revêtu de la sublime dignité d’apôtre ? — S. Hil. Ou bien, en leur disant qu’ils valent mieux qu’un grand nombre de passereaux, Notre-Seigneur montre qu’il préfère les fidèles qu’il a élus à la multitude des infidèles, parce que ceux-ci tombent sur la terre, tandis que ceux-là prennent leur vol vers les cieux.
 

Remi. Dans le sens mystique, Jésus-Christ est la tête, les Apôtres sont les cheveux ; et c’est avec raison qu’il assure que ces cheveux ont été comptés, parce que les noms des saints sont écrits dans le ciel (Jr 17, 13).

 

vv. 32-33.

S. Chrys. (hom. 35.) Notre-Seigneur, en bannissant la crainte qui troublait l’âme de ses disciples, leur donne une nouvelle force par les paroles qui suivent. Non-seulement il les délivre de toute crainte. mais il leur propose de plus grandes récompenses, et leur inspire ainsi le courage de prêcher hautement et librement la vérité : " Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux. " — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) C’est la conclusion de ce qui précède, car une fois qu’on a puisé la force dans d’aussi sublimes enseignements, on doit confesser librement et avec constance le vrai Dieu. — Remi. C’est cette confession dont l’Apôtre a dit (Rm 10) : " Il faut croire de cœur pour obtenir la justice, et confesser de bouche pour obtenir le salut. " Ainsi, ne pensez pas pouvoir être sauvé sans la confession des lèvres, car Notre-Seigneur ne dit pas seulement : " Celui qui m’aura confessé, " mais il ajoute : " Devant les hommes, " et encore : " Celui qui m’aura renoncé devant les hommes, je le renoncerai moi-même devant mon Père qui est dans les cieux. " — S. Hil. Il nous apprend par là qu’il nous rendra devant son Père le même témoignage que nous lui aurons rendu devant les hommes. — S. Chrys. (hom. 35.) Remarquons ici que le châtiment comme la récompense sont supérieurs, l’un au mal, l’autre au bien. En effet, le Sauveur semble dire : Vous n’avez rien épargné les premiers, soit pour me confesser, soit pour me renoncer. Je n’épargnerai rien moi-même, et je serai magnifique dans la peine comme dans la récompense ; car c’est moi-même qui vous reconnaîtrai ou qui vous renoncerai. Si donc vous avez fait quelque bien sans en recevoir la récompense, ne vous en troublez pas, une récompense surabondante vous attend dans l’avenir. Si, au contraire, vous vous êtes rendu coupable sans en avoir été puni, ne vous laissez pas aller à un mépris insolent, car le châtiment vous est également réservé, à moins que vous ne changiez et que vous ne deveniez meilleurs.
 

Rab. Nous ferons observer que les païens eux-mêmes ne peuvent nier l’existence d’un Dieu, mais qu’ils peuvent fort bien ne pas reconnaître l’existence d’un Dieu Père et Fils. Or, le Fils reconnaîtra quelqu’un devant son Père, soit en lui donnant accès auprès de lui, et en lui disant : " Venez, les bénis de mon Père. " — Remi. Et il renoncera celui qui l’aura renoncé, en lui refusant tout accès auprès de Dieu le Père, et en le rejetant de la présence de sa divinité et de celle de son Père. — S. Chrys. (hom. 35.) Il exige non-seulement la foi intérieure de l’âme, mais encore la confession extérieure des lèvres, afin de nous inspirer une liberté plus grande pour la prédication et un amour plus fort pour lui, en nous rendant supérieurs à tout. Or, ce n’est pas seulement à ses Apôtres, mais à tous qu’il adresse cette recommandation, car il veut inspirer ce courage non-seulement à ses Apôtres, mais encore à leurs disciples. Celui qui sera fidèle à ce commandement non-seulement enseignera publiquement avec une sainte hardiesse, mais il portera facilement la persuasion dans les cœurs, car l’observation de ce précepte en a converti un grand nombre à la doctrine des Apôtres. — Rab. Ou bien on confesse Jésus par la foi, qui opère par l’amour, en accomplissant fidèlement ses commandements ; et on le renonce lorsqu’on ne craint pas de transgresser ses préceptes.

 

vv. 34-36.

S. Jér. Notre-Seigneur avait dit plus haut : " Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en plein jour ; " il apprend ici à ses Apôtres quels seront les effets de leur prédication : " Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix. — La Glose. Ou bien ces paroles sont la suite de ce qui précède, c’est-à-dire qu’ils doivent être inaccessibles aux affections charnelles comme à la crainte de la mort. — S. Chrys. (hom. 36.) Comment donc leur a-t-il ordonné de souhaiter la paix dans chaque maison où ils entreraient ? Comment les anges eux-mêmes ont-ils pu chanter cet hymne : " Gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux, et paix aux hommes sur là terre ? " C’est que la paix consiste surtout à retrancher ce qui est malade, à séparer ce qui est une source de division ; c’est alors seulement qu’il sera possible d’unir le ciel avec la terre. Le médecin ne coupe-t-il pas ainsi le membre qui est incurable pour sauver le reste du corps ? C’est ce qui est arrivé à la tour de Babel, où une heureuse division vint mettre fin à une paix qui était mauvaise. (Gn 11.) C’est ainsi que saint Paul divisa ceux qui s’étaient déclarés contre lui. (Ac 23.) L’accord et la paix ne sont pas toujours une bonne chose, car on les voit régner même parmi les voleurs. Or cette guerre, ce n’est pas Jésus-Christ qui la rend nécessaire, mais bien la volonté de ses ennemis. — S. Jér. En effet, à peine la foi en Jésus-Christ fut-elle annoncée, que tout l’univers s’est trouvé divisé. Dans chaque maison on trouva des croyants et des infidèles, et cette division fut la cause d’une guerre heureuse qui fit cesser une paix pernicieuse dans ses résultats.

S. Chrys. (hom. 35.) En parlant de la sorte il veut consoler ses disciples, et il semble leur dire : " Ne vous troublez pas comme si ces événements devaient vous surprendre et tromper votre attente, car je suis venu pour apporter la guerre. " Et ce n’est pas seulement " la guerre, " mais ce qui est plus effrayant, " le glaive. " Il a voulu par la dureté même de son langage exciter leur attention, les empêcher de faiblir au milieu du danger, et prévenir ce qu’on aurait pu croire et dire que sous des expressions pleines de douceur, il avait caché les plus grandes difficultés ; car il vaut mieux éprouver la douceur dans les choses que dans les paroles. Il ne s’arrête pas à cette déclaration, il explique la nature de cette guerre et fait voir qu’elle est plus terrible même que la guerre civile : " Je suis venu séparer l’homme d’avec son père, la fille d’avec sa mère, et la belle-fille d’avec sa belle-mère. " Ainsi ce n’est pas seulement entre les amis que cet état de guerre existera, c’est entre ceux qui sont unis par les affections les plus vives et par les liens les plus étroits. Une des preuves les plus évidentes de la puissance du Christ, c’est que les Apôtres écoutèrent ces dures leçons et qu’ils les firent à leur tour recevoir et mettre en pratique.
 

S. Chrys. (hom. 35.) Ce n’est pas Jésus-Christ lui-même qui opérait cette séparation, mais la malice des hommes. Cependant il s’en déclare l’auteur, d’après la manière de s’exprimer de l’Écriture, par exemple dans ce passage : " Dieu leur a donné des yeux pour ne point voir. " (Is 6 ; Rm 11.) Nous avons ici une preuve du rapport intime qui existe entre l’Ancien et le Nouveau-Testament. C’est ainsi que nous voyons les Juifs se déclarer contre leurs frères et les mettre à mort lorsqu’ils eurent fabriqué le veau d’or (Ex 32,) et lorsqu’ils eurent immolé des victimes à Beelphegor. (Nb 25.) Or pour montrer que c’est toujours le même Dieu qui sous la loi nouvelle comme sous la loi ancienne a pour agréables ces mêmes sentiments, Notre-Seigneur cite un passage de la prophétie de Michée : " L’homme aura pour ennemis ceux de sa propre maison. (Mi 7.) La société juive présentait un spectacle semblable, il y avait de vrais et de faux prophètes, et le peuple était divisé, et les familles étaient partagées ; les uns croyaient aux premiers, les autres suivaient les seconds. — S. Jér. Ce passage se trouve presque mot pour mot dans le prophète Michée. Il faut observer du reste que toutes les fois que le Sauveur emprunte un témoignage à l’Ancien Testament, il importe peu s’il donne seulement le sens de ce passage, ou s’il rapporte textuellement les paroles.
 

S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le glaive, qui est l’arme la plus aiguisée, est l’emblème de la souveraineté et du pouvoir judiciaire, de la sévérité et du droit de punir les coupables. Rappelons-nous donc que ce glaive figure la parole de Dieu ; il a été apporté sur la terre, c’est-à-dire que la prédication l’a fait pénétrer dans le cœur des hommes. Ce glaive a donc divisé entre eux les cinq habitants d’une même maison, trois contre deux et deux contre trois. Ces trois habitants nous les trouvons dans l’homme : c’est son corps, son âme et sa volonté. Car de même que l’âme a été unie et donnée au corps, ainsi le pouvoir d’user de l’un et de l’autre à son gré à été donné à l’homme, et c’est pour cela que Dieu a imposé des lois à la volonté, comme nous le voyons dans ceux qui sont sortis les premiers de sa main. Mais par suite du péché et de la désobéissance de notre premier père, le péché devint pour les générations suivantes le père de notre corps, l’infidélité la mère de notre âme, et la volonté adhère à l’un et à l’autre ; c’est ainsi que l’on trouve cinq habitants dans la même maison. Mais lorsque nous sommes renouvelés dans les eaux du baptême, la puissance de la parole nous sépare des péchés de notre origine, et ces retranchements qu’opère le glaive de Dieu rompent tous les liens d’affection qui nous attachaient à notre père et à notre mère. C’est ainsi qu’on voit éclater dans une même maison de sérieuses divisions ; l’homme régénéré trouve des ennemis dans ce qu’il y a de plus intime en lui, car il met toute sa joie dans la sainte nouveauté de son esprit, tandis que les restes de son ancienne origine veulent conserver ce qui faisait l’objet de leur bonheur. — S. Aug. (Quest. évang. sur S. Matth., quest. 3.) Ou bien dans un autre sens : " Je suis venu séparer l’homme d’avec son père parce qu’il renonce au démon dont il était le fils, et " la fille d’avec sa mère, " c’est-à-dire le peuple de Dieu d’avec la cité du monde, qui n’est autre que la société corrompue du genre humain, représentée dans l’Écriture tantôt par Babylone, tantôt par Sodome, tantôt par l’Égypte et sous plusieurs autres dénominations. (Ap 11, 8 ; 14, 8) " La belle-fille d’avec sa belle-mère, " c’est l’Église opposée à la synagogue qui a enfanté selon la chair le Christ, époux de l’Église. Tous sont divisés par le glaive de l’Esprit, qui est le Verbe de Dieu, " et les ennemis de l’homme sont ceux de sa maison avec lesquels il était lié par une intimité des plus étroites. — Rab. On est incapable de respecter aucun droit lorsqu’on est divisé sur le point de la foi. — La Glose. On peut encore interpréter ces paroles dans ce sens : Je ne suis pas venu parmi les hommes pour donner une nouvelle force aux affections de la chair, mais pour séparer par un glaive tout spirituel ceux qu’elles retiennent étroitement unis ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Et l’homme aura pour ennemi ceux de sa propre maison. " — S. Grég. (Moral. 3, 5.) Lorsque l’ennemi du salut, plein de ruse et de finesse, se voit chassé des cœurs vertueux, il s’adresse à ceux pour lesquels ils ont une vive affection, et leur met sur les lèvres un langage d’autant plus insinuant qu’ils sont aimés plus tendrement, et c’est ainsi qu’en même temps que la force de l’amitié pénètre au plus intime du cœur, le glaive de la persuasion franchit les retranchements de la droiture intérieure.

 

vv. 37-39.

S. Jér. Après avoir dit : " Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive, et séparer l’homme d’avec son père, d’avec sa mère, d’avec sa belle-mère, " Notre-Seigneur, ne voulant pas que les sentiments naturels l’emportent jamais sur la religion, ajoute : " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. " Nous lisons dans le Cantique des Cantiques : " Il a réglé en moi la charité. " (Ct 2.) Dans toute affection nous devons conserver cet ordre. Aimez après Dieu votre père et votre mère, aimez après lui vos enfants. Mais si la nécessité vous force de mettre en présence l’amour de vos parents et de vos enfants, et que vous ne puissiez satisfaire en même temps à l’un et à l’autre, rappelez-vous qu’alors la haine pour les siens devient un véritable amour de Dieu. Il ne défend donc pas d’aimer son père ou sa mère, mais il ajoute d’une manière expressive : " plus que moi. " — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ceux en effet qui donneront la préférence à ces affections sur l’amour de Dieu se rendront indignes de l’héritage des biens futurs.

S. Chrys. (hom. 36.) Ne soyez pas étonné si d’ailleurs, saint Paul fait un commandement exprès d’obéir en tout à ses parents : il ne veut parler que de l’obéissance dans les choses qui ne sont pas contraires à la religion ; et c’est en effet un devoir sacré que de rendre alors à nos parents toute sorte d’honneur ; mais s’ils exigent au delà de ce qui leur est dû, il faut s’y refuser. Cette doctrine est conforme à l’Ancien Testament, où Dieu ordonne non-seulement de haïr, mais même de lapider ceux qui adoraient les idoles. (Lv 20.) Nous lisons encore dans le Deutéronome : " Celui qui dira à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas, et à ses frères : Je vous ignore, ceux-là auront gardé votre parole. " — La Glose. On voit souvent les parents aimer leurs enfants plus qu’ils n’en sont aimés ; aussi Notre-Seigneur va-t-il par degrés, et après avoir enseigné que son amour doit passer avant l’amour des parents, il enseigne naturellement qu’il doit aussi l’emporter sur l’amour des enfants, en ajoutant : " Et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. " — Rab. Ce qui signifie qu’on est indigne de toute union avec Dieu quand on préfère les affections de la chair et du sang à l’amour spirituel qu’on doit avoir pour Dieu.
 

S. Chrys. (hom. 36.) Ces paroles pouvaient blesser ceux dont l’amour se trouve ainsi sacrifié à l’amour de Dieu ; Notre-Seigneur, pour leur faire supporter patiemment ce sacrifice, tient un langage plus élevé. En effet, rien n’est plus intime à l’homme que son âme, et cependant si vous ne haïssez votre âme, les plus grands maux vous attendent. Et il ne vous ordonne pas seulement de haïr votre âme, mais encore de la livrer à la mort et aux supplices les plus sanglants. Ainsi nous enseigne-t-il qu’il ne suffit pas d’être prêt à subir une mort quelconque, mais qu’il faut être disposé à souffrir la mort la plus violente, la plus ignominieuse, c’est-à-dire la mort de la croix, et c’est pour cela qu’il ajoute : " Et celui qui ne prend pas sa croix. " Il ne leur a pas encore parlé de sa passion, mais de temps en temps il les prépare à recevoir ce qu’il doit plus tard leur en dire. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ou bien encore, ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur corps avec ses vices et ses convoitises (Ga 5), et on est indigne de Jésus-Christ quand on ne marche pas à sa suite en prenant sa croix (par laquelle nous souffrons avec lui, nous mourons avec lui, nous sommes ensevelis avec lui, nous ressuscitons avec lui), pour vivre par ce mystère de la foi dans une sainte nouveauté d’esprit. — S. Grég. (hom. 35.) Le mot croix vient d’un mot latin (cruciatus) qui signifie tourment ; or nous portons la croix du Seigneur de deux manières, ou bien en mortifiant notre corps par la privation, ou par un sentiment de compassion qui nous fait regarder comme nôtres les misères du prochain. Mais il en est quelques-uns qui font profession de mortifier leur chair, non pour plaire à Dieu, mais par un sentiment de vaine gloire ; et d’autres qui témoignent à leur prochain une compassion qui n’a rien de spirituel, mais qui est toute charnelle, et qui, loin de les porter à la vertu, favorise par ce sentiment de fausse pitié leur penchant au vice. Ils semblent porter leurs croix, mais ils ne suivent pas le Seigneur, et c’est pour cela qu’il ajoute : " Et qui me suit. "

S. Chrys. (hom. 36.) Les commandements qu’il fait ici pouvaient paraître accablants ; il en fait donc ressortir les avantages immenses : " Celui qui conserve sa vie le perdra ; et celui qui aura perdu sa vie pour l’amour de moi, la retrouvera. " Comme s’il disait : " Non-seulement ces sacrifices que je vous impose ne vous causeront aucun tort, mais vous en recueillerez les fruits les plus précieux, tandis qu’une conduite opposée vous serait infiniment nuisible. Ici comme partout, le Sauveur prend ses inductions dans ce que les hommes désirent le plus. Pourquoi refusez-vous de faire peu de cas de votre vie ? semble-t-il leur dire. Parce que vous l’aimez. Mais c’est justement pour cela que vous devez la sacrifier, si vous voulez lui procurer les plus grands avantages. — S. Remi. L’âme ne signifie pas ici la substance même de l’âme, mais la vie présente, et tel est le sens de ces paroles : " Celui qui cherche son âme en cette vie, c’est-à-dire celui qui désire cette vie avec ses attachements et ses plaisirs, et qui cherche à la trouver toujours, parce qu’il veut la conserver toujours, la perdra, c’est-à-dire qu’il prépare son âme à la damnation éternelle. — Rab. Ou bien encore, celui qui cherche à sauver son âme pour l’éternité, n’hésitera pas à la perdre, c’est-à-dire à s’exposer à la mort. Ce qui suit est également favorable à l’un et à l’autre sens. " Et celui qui aura perdu sa vie pour moi la trouvera. " — Remi. C’est-à-dire, celui qui au temps de la persécution s’exposera, pour confesser mon nom, à perdre cette vie mortelle, ses affections et ses plaisirs, trouvera le salut éternel de son âme.

S. Hil. C’est ainsi qu’on perd sa vie en voulant la sauver, et qu’on la sauve en consentant à la perdre, car le sacrifice d’une vie qui passe si rapidement nous met en possession d’une vie qui ne finira jamais.

 

vv. 40-42.

S. Jér. Notre-Seigneur, en envoyant ses disciples prêcher 1’Évangile, leur apprend à ne craindre aucun danger, et à sacrifier toutes leurs affections aux devoirs de sa religion. Déjà, il s’en est déclaré, il ne veut pas d’or, il ne veut pas d’argent dans leurs bourses : c’est une condition bien dure que celle des Évangélistes. Mais comment pourvoir aux dépenses nécessaires, à la nourriture, aux choses nécessaires à la vie ? Notre-Seigneur adoucit donc la sévérité de ses préceptes par l’espérance des promesses. " Celui qui vous reçoit, leur dit-il, me reçoit. " Ainsi chaque fidèle doit être persuadé qu’il a reçu Jésus-Christ en recevant ses Apôtres. — S. Chrys. (hom. 36.) Ce qui précède suffisait pour produire cette persuasion dans ceux qui devaient recevoir les Apôtres. Car en voyant ces hommes héroïques qui méprisaient tout ce qui les concernait pour sauver leurs frères, qui ne les aurait accueillis avec le plus vif empressement ? Plus haut, Notre-Seigneur a menacé de punir ceux qui ne les recevraient point ; ici il promet de récompenser ceux qui les recevront. Et d’abord il leur promet cet honneur insigne de recevoir dans la personne des Apôtres Jésus-Christ et même son Père. " Et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. " Que peut-on comparer à cet honneur de recevoir Dieu le Père et le Fils ? — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) Ces paroles nous apprennent en même temps son office de médiateur, car après que nous l’avons reçu, lui qui est sorti de Dieu, il nous fait entrer en communication avec Dieu lui-même, et d’après cet ordre que suit la grâce, recevoir les Apôtres, c’est recevoir Dieu, parce que le Christ est en eux, et que Dieu est dans le Christ.
 

S. Chrys. (hom. 36.) A cette récompense qu’il promet il en ajoute une autre : " Celui qui reçoit un prophète au nom du prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit le juste, " etc. Il ne dit pas simplement : Celui qui reçoit un prophète, ou celui qui reçoit un juste, mais : Celui qui reçoit un prophète, un juste, au nom du prophète, au nom du juste, c’est-à-dire parce qu’il est prophète, parce qu’il est juste, et non pas à cause de la dignité dont il peut-être revêtu en ce monde, ou en vue de quelque autre avantage temporel. Ou bien dans un autre sens, comme il avait recommandé aux disciples de recevoir les maîtres qui les enseignent, les fidèles pouvaient lui faire secrètement cette réponse : Nous devons donc recevoir tes faux prophètes et Judas le traître ? Le Seigneur prend donc soin de leur rappeler qu’ils ne doivent pas considérer les personnes, mais les noms qu’elles portent, et qu’on ne perdra pas sa récompense parce que celui qu’on aurait reçu en serait indigne. — S. Chrys. (hom. 30.) Notre-Seigneur dit : " Il recevra la récompense du prophète et la récompense du juste, " c’est-à-dire la récompense qui convient à celui qui reçoit le prophète ou le juste, ou celle que le prophète et le juste devront recevoir eux-mêmes. — S. Grég. (homél. 20 sur les Evang.) Il ne dit pas : C’est des mains du juste ou du prophète qu’ils recevront la récompense, mais : " la récompense du prophète et du juste ; " peut-être celui qu’ils reçoivent est-il juste, et plus il est dépouillé de tout en ce monde, plus grande aussi sera sa fermeté à défendre les intérêts de la justice. Or celui qui possède les biens de la terre et qui pourvoit aux besoins du prophète et du juste, participera au mérite de son indépendance, et partagera la récompense de justice de celui qu’il a secouru et nourri sur la terre. Cet apôtre est plein de l’esprit de prophétie, mais son corps a besoin d’aliments, et si ses forces ne sont pas réparées, il est certain que la voix lui fera défaut. Or celui qui pourvoit à la nourriture du prophète, lui donne la force de parler : il recevra donc avec le prophète la récompense du prophète, parce qu’il a subvenu à ses besoins dans l’intention de plaire à Dieu.

S. Jér. Dans le sens mystique, celui qui reçoit le prophète comme prophète, et qui comprend ce qu’il lui enseigne des choses futures, partagera sa récompense. Les Juifs donc, qui ne comprenaient les prophètes que dans un sens charnel, ne recevront pas la récompense des prophètes. — Remi. Dans ce prophète et dans ce juste, quelques-uns veulent voir Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui Moïse a dit : " Dieu vous suscitera un prophète, " etc. (Dt 18), et qui est juste aussi d’une manière incomparable. Celui donc qui recevra le prophète et le juste au nom du prophète et du juste, recevra la récompense des mains de celui pour l’amour duquel il a fait cette action.
 

S. Jér. Mais on pouvait lui alléguer cette excuse : Ma pauvreté me défend de donner l’hospitalité ; il la détruit en nous proposant la chose la moins coûteuse qui soit au monde, c’est-à-dire de donner de tout cœur un verre d’eau froide. " Et celui qui donnera à l’un de ces plus petits, un verre d’eau froide, etc. " Il dit un verre d’eau froide, et non d’eau chaude, de peur que s’il s’agissait d’eau chaude, on ne prétextât encore sa pauvreté et l’impossibilité de se procurer du bois pour la faire chauffer. Remi. Il ajoute : " Au plus petit, " c’est-à-dire non pas seulement aux justes ou aux prophètes, mais à l’un des plus petits et des plus misérables. — La Glose. Remarquez ici comme Dieu regarde beaucoup plus à la disposition du cœur qu’à la valeur de la chose que l’on donne. Ou bien les plus petits sont ceux qui ne possèdent rien absolument en cette vie, et qui jugeront un jour le monde avec Jésus-Christ. — S. Hil. (can. 40 sur S. Matth.) Ou bien il prévoyait qu’il y en aurait plusieurs dont toute la gloire consisterait dans le nom d’apôtre qu’ils déshonoreraient par tout le reste de leur vie ; il ne veut donc pas priver de récompense l’honneur qui leur est rendu au nom de la religion, car bien qu’ils soient les plus petits de tous, c’est-à-dire les derniers des pécheurs, les services qu’on leur rend, même les plus légers, et qui sont exprimés par ce verre d’eau froide, ne seront pas perdus, car ce n’est pas aux péchés de l’homme, mais à son titre d’apôtre qu’est rendu cet honneur.

 

CHAPITRE XI.

 

v. 1.

Rab. Le Sauveur avait donné à ses disciples qu’il envoyait prêcher l’Évangile les instructions nécessaires ; il accomplit maintenant lui-même ce qu’il leur avait enseigné en allant porter aux Juifs les prémices de sa prédication. " Après que Jésus eut achevé de donner ces instructions à ses douze disciples, il partit de là, " etc.

S. Chrys. (hom. 37.) L’Évangéliste dit qu’il partit de là, c’est-à-dire qu’ayant donné à ses Apôtres leur mission, il s’éloigna afin de leur laisser toute latitude pour le lieu et pour le temps où ils accompliraient ce qu’il venait de leur recommander. Car s’il avait continué à être présent au milieu d’eux et à guérir les malades, personne n’aurait eu recours à ses disciples. — Remi. C’est par suite d’un dessein plein de sagesse que le Sauveur passe de ces enseignements particuliers qui concernaient les apôtres, à des instructions qui s’adressent à tous et qu’il fait au milieu des cités, car il était descendu des cieux sur la terre pour éclairer tous les hommes, et il donne en cela aux prédicateurs remplis de l’esprit de Dieu l’exemple de s’appliquer à être utile à tous sans distinction.

 

vv. 2-6.

La Glose. L’Évangéliste vient d’exposer comment Notre-Seigneur, par ses miracles et par sa doctrine, avait instruit ses disciples aussi bien que le peuple ; il nous apprend maintenant comment ces enseignements parvinrent jusqu’aux disciples de Jean, qui paraissaient avoir quelque jalousie contre le Christ. " Or Jean ayant appris dans la prison, " etc.
 

S. Grég. (homél. 6 sur les Evang.) Il nous faut rechercher pourquoi Jean-Baptiste, prophète et plus que prophète, qui avait fait connaître le Sauveur, lorsqu’il vint se faire baptiser, en lui rendant ce témoignage : " Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde, " envoie de la prison où il est enfermé ses disciples pour demander : " Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? " Il semble ignorer celui qu’il a lui-même manifesté au peuple, et ne pas connaître le Sauveur qu’il a proclamé si hautement dans ses prédictions, lors de son baptême, et quand il le voyait venir à lui.
 

S. Ambr. (liv. 5, sur S. Luc.) Il en est qui expliquent cette difficulté en disant que Jean était un grand prophète qui connut le Christ, et annonça la rémission future des péchés ; mais qu’en prédisant sa venue comme un saint prophète, il n’avait pas cru qu’il devait être soumis à la mort. Ce n’est donc pas sa foi qui doute, mais sa piété ; et saint Pierre lui-même partagea ce doute lorsqu’il dit au Sauveur : " Épargnez-vous, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. " (Mt 16, 11) — S. Chrys. (hom. 37.) Mais cette explication n’est pas fondée, car Jean ne pouvait pas ignorer même cette circonstance, puisque c’est la première chose à laquelle il a rendu témoignage par ces paroles : " Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde. " En lui donnant le nom d’Agneau, il dévoile le mystère de la croix, puisque ce n’est que par la croix qu’il a effacé les péchés du monde. Comment d’ailleurs serait-il plus qu’un prophète s’il ignorait ce que les prophètes eux-mêmes ont connu et annoncé ? En effet Isaïe n’a-t-il pas dit (Is 53) : " Il a été conduit à la mort comme une brebis ? "

S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) On peut donner à cette question une solution différente en réfléchissant sur le temps où ce fait s’est passé. Sur les bords du Jourdain, Jean-Baptiste a déclaré que Jésus était le rédempteur du monde ; mais dans sa prison il envoie demander s’il doit venir. Ce n’est pas qu’il doute que Jésus soit le Rédempteur promis, mais il demande si celui qui est venu sur la terre en se faisant annoncer par lui, suivra le même ordre pour descendre dans les enfers. — S. Jér. C’est pour cela qu’il ne dit pas : " Est-ce vous qui êtes venu ? " mais : " Est-ce vous qui viendrez ? " Et tel est le sens de ces paroles : Faites-moi savoir, à moi qui dois descendre aux enfers, si je dois aussi vous y annoncer, ou si vous devez confier ce ministère à un autre. — S. Chrys. (hom. 37.) Mais comment cette opinion même peut-elle être soutenue ? Car pourquoi Jean n’a-t-il pas dit : " Est-ce vous qui devez venir dans les enfers ? " mais dit-il simplement : " Qui devez venir ? " D’ailleurs n’est-il pas ridicule qu’il ait demandé s’il devait en allant dans les enfers l’annoncer dans ce lieu ? La vie présente seule est le temps de la grâce, et après la mort il ne reste que le jugement et la peine ; quel besoin donc d’envoyer un précurseur en ce lieu ? Mais encore, si les infidèles pouvaient être sauvés par la foi après leur mort, aucun d’eux ne périrait ; car tous alors se repentiront et adoreront le Fils de Dieu, puisqu’alors tout genou fléchira devant lui, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers.
 

La Glose. Remarquons que saint Jérôme et saint Grégoire n’ont pas dit que Jean-Baptiste devait annoncer la venue du Christ dans les enfers pour convertir à la foi un certain nombre de ceux qui ne croient pas en lui, mais pour consoler par l’espérance de son avènement prochain les justes qui s’y trouvaient en attendant la venue du Christ.
 

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Il est cependant certain que l’erreur ne s’est point mêlée à cette connaissance parfaite qu’avait saint Jean, lui qui avait annoncé comme précurseur la venue du Messie, qui comme prophète le reconnut au milieu de la foule, et comme confesseur, rendit hommage au Sauveur qui venait à lui. On ne peut admettre que la grâce de l’Esprit saint lui ait fait défaut dans la prison, alors que plus tard l’apôtre devait répandre la lumière de sa puissance sur ceux qui partageaient ses fers.
 

S. Jér. Ce n’est point par ignorance qu’il interroge, mais de la même manière que le Sauveur demandait en quel endroit le corps de Lazare avait été déposé, afin de préparer ainsi à la foi ceux qui lui indiquaient le lieu de sa sépulture, et de les rendre témoins de la résurrection d’un mort. C’est ainsi que Jean-Baptiste, sur le point d’être mis à mort par Hérode, envoie ses disciples à Jésus-Christ, pour qu’ils aient occasion de voir ses miracles et ses prodiges, et qu’ils puissent croire en lui, et s’instruire eux-mêmes en l’interrogeant au nom de leur maître. Que les disciples de Jean aient nourri quelque sentiment d’envie contre le Christ, la question qu’ils lui ont faite précédemment le démontre suffisamment. " Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous souvent, tandis que vos disciples ne jeûnent pas ? " (Mt 9.) — S. Chrys. (hom. 37.) Tant que Jean-Baptiste était avec eux, il leur parlait sans cesse du Christ, c’est-à-dire qu’il leur recommandait de croire en lui ; mais sentant sa mort prochaine, il redouble de zèle, car il craint de laisser dans ses disciples un levain de dangereuse erreur, et il redoute qu’ils ne demeurent éloignés de Jésus-Christ, à l’école duquel il a voulu les renvoyer tous dès le commencement. S’il leur avait dit : Allez à lui, parce qu’il est bien au-dessus de moi, il ne les aurait pas persuadés ; ils auraient cru qu’il parlait ainsi par un profond sentiment d’humilité, et ils lui seraient restés plus attachés qu’auparavant. Que fait-il donc ? Il attend que ses disciples viennent lui rapporter eux-mêmes que le Christ fait des miracles ; et parmi eux tous il n’en envoie que deux qu’il regardait peut-être comme plus faciles à être convaincus. Il les envoie afin que sa demande ne prête à aucun soupçon et qu’ils apprennent par les faits eux-mêmes la distance qui les sépare de Jésus-Christ.
 

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Jean-Baptiste n’agit donc pas ici pour éclairer son ignorance, mais pour dissiper celle de ses disciples ; il les envoie considérer les oeuvres de Jésus afin de leur apprendre qu’il n’en a point annoncé un autre que lui, que ses prodiges donnent une nouvelle autorité à ses paroles, et qu’ils n’attendent pas un autre Christ que celui qui avait pour lui le témoignage des oeuvres. — S. Chrys. (hom. 37.) Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui connaissait la pensée de Jean, ne dit pas " C’est moi ; " car cette réponse aurait indisposé ceux qui l’entendaient ; ils auraient pu penser, quand ils ne l’auraient pas dit, ce que les Juifs lui objectèrent plus tard : " Vous vous rendez donc témoignage à vous-même ? " Il veut donc les instruire à l’école de ses miracles, pour donner ainsi à sa doctrine une autorité plus éclatante et plus irrécusable ; car le témoignage des oeuvres est plus digne de foi que le témoignage des paroles. Il guérit donc sous leurs yeux des aveugles, des boiteux, et beaucoup d’autres malades, non pour l’enseignement de Jean-Baptiste, qui n’en avait pas besoin, mais pour l’instruction de ses disciples qui étaient dans le doute. " Et Jésus leur répondit : Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu, et ce que vous avez vu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. " — S. Jér. Ce dernier trait n’est pas inférieur à ceux qui précèdent ; les pauvres évangélisés sont ou les pauvres d’esprit, ou ceux qui sont pauvres des biens de la terre ; ainsi la prédication ne met aucune différence entre la noblesse et l’obscurité de la condition, entre les riches et les pauvres ; et c’est là une preuve de la rigoureuse justice du maître, et de la vérité de ce divin précepteur : tous ceux qui peuvent être sauvés sont égaux à ses yeux.
 

S. Chrys. (hom. 37.) Ce qu’il ajoute : " Et heureux est celui qui ne prendra pas de moi un sujet de scandale, " tombe sur les envoyés qui étaient scandalisés à son sujet ; Notre-Seigneur ne dévoile pas leurs doutes intérieurs, il les abandonne au jugement de leur conscience, et leur adresse ce reproche indirect. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) En disant : Bienheureux celui qui ne prendra point de lui un sujet de scandale, il montre l’écueil contre lequel Jean a voulu les prémunir, car il n’a envoyé ses disciples vers le Christ que dans la crainte qu’ils ne fussent scandalisés à son sujet. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Jésus-Christ a été pour les infidèles un grand sujet de scandale lorsqu’après tant de miracles, ils le virent expirer sur la croix ; c’est ce que saint Paul exprime lorsqu’il dit : " Nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs. " (1 Co 1) Que signifient donc ces paroles : Heureux est celui qui n’aura pas été scandalisé à mon sujet, si elles ne sont une déclaration manifeste de l’ignominie et des humiliations de sa mort ? N’est-ce pas comme s’il disait clairement à Jean-Baptiste : Je fais des choses admirables, mais je ne rougis pas d’en souffrir d’ignominieuses, et puisque ma mort doit suivre la vôtre, il faut que les hommes se gardent de la mépriser, après avoir admiré les prodiges que j’ai opérés ?
 

S. Hil. Le sens mystique nous offre encore une intelligence plus large de ce fait de la vie de Jean-Baptiste. C’est que comme prophète, et par la nature même de sa mission prophétique, il annonce que la loi est pour ainsi dire ensevelie dans sa personne. La loi, en effet, avait annoncé Jésus-Christ, prêché la rémission des péchés, promis le royaume des cieux, et Jean avait accompli toute cette oeuvre de la loi. Au moment donc où cesse la loi qui, retenue captive par les péchés du peuple, était comme chargée de chaînes, renfermée dans un cachot, et ne pouvait par conséquent reconnaître le Christ, elle envoie considérer le spectacle que présente l’Évangile, afin que l’incrédulité soit forcée de reconnaître la vérité de la doctrine dans la vérité des faits. — S. Amb. On peut voir aussi dans ces deux disciples les cieux peuples, les Juifs fidèles et les Gentils.

 

vv. 7-10.

S. Chrys. (hom. 37.) C’en était assez pour les disciples de Jean, et ils se retirèrent convaincus par les miracles opérés sous leurs yeux que Jésus était le Christ ; mais il fallait guérir les esprits de la multitude qui ne connaissait pas l’intention de Jean-Baptiste, et pour qui la question de ses disciples avait soulevé plus d’une difficulté. Car elle pouvait dire : Celui qui a rendu un si glorieux témoignage au Christ a-t-il donc changé de sentiment et doute-t-il aujourd’hui qu’il soit le Messie ? Est-ce par un esprit d’opposition à Jésus qu’il lui fait adresser cette question ? La prison aurait-elle affaibli sa grande âme ? Est-ce que les premiers témoignages n’étaient que de vaines paroles ? — S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Afin donc qu’on ne pût appliquer à Jean-Baptiste ce qu’il venait de dire, comme si le saint précurseur eût été scandalisé au sujet de Jésus-Christ, l’Évangéliste ajoute : " Lorsqu’ils s’en furent allés, Jésus commença à parler de Jean aux peuples. " — S. Chrys. (hom. 37.) Il attend que les disciples de Jean soient partis, pour qu’on ne l’accuse pas de flatterie à son égard ; il redresse les idées de la multitude sans dévoiler leurs soupçons, et en leur donnant simplement la solution de leurs difficultés, et il fait naître des doutes dans leur âme en leur montrant qu’il connaît les secrets de leur cœur. Cependant il ne leur dit pas comme aux Juifs : " Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs ? " Car s’ils pensaient le mal, c’était par ignorance, et non par méchanceté. Aussi ne les reprend-il pas avec sévérité, il se contente de justifier Jean, en leur montrant qu’il n’a point perdu ses droits à la haute opinion qu’ils avaient de lui. C’est ce qu’il fait, et par le témoignage qu’il lui rend et par celui de la multitude elle-même, dont il invoque non-seulement le témoignage verbal, mais le témoignage de la conduite ; c’est pour cela qu’il leur dit : " Qu’avez-vous été voir dans le désert ? " c’est-à-dire : " Pourquoi avez vous abandonné vos cités et vous êtes-vous réunis dans le désert ? " Car une multitude si nombreuse ne se serait pas rendue dans le désert avec un si grand empressement, si elle n’avait cru y rencontrer un personnage important, extraordinaire et plus ferme qu’un rocher. — La Glose. Ce n’est pas qu’ils fussent venus alors dans le désert pour y voir Jean-Baptiste, puisqu’il était en prison ; mais le Sauveur leur rappelle ce qu’ils avaient fait autrefois, lorsqu’ils allaient fréquemment dans le désert pour y voir Jean-Baptiste qui s’y trouvait encore.

S. Chrys. (hom. 38.) Et voyez comment, sans s’arrêter à justifier Jean-Baptiste de tout autre défaut, il éloigne de lui le reproche de légèreté que le peuple pouvait lui faire intérieurement en leur disant : " Est-ce un roseau agité par le vent ? " — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Ce n’est point ici une affirmation, mais une interrogation ; le roseau, aussitôt qu’il est effleuré par le moindre vent, plie de l’autre côté, image de l’âme charnelle qui plie tour à tour sous le vent de la faveur ou de la contradiction des langues. Jean n’était donc pas un roseau agité par le vent, car aucune vicissitude des choses humaines ne pouvait faire fléchir la droiture de sa conduite. Voici donc le sens de ces paroles du Seigneur : — S. Jér. Avez-vous été dans le désert pour voir un homme semblable à un roseau tour à tour agité par tous les vents, et dont l’esprit léger douterait maintenant de celui auquel il a rendu un éclatant témoignage ? Est-ce que peut-être l’aiguillon de l’envie l’exciterait contre moi, est-ce qu’il poursuivrait la vaine gloire dans ses prédications ? Chercherait-il à en tirer profit ? Pourquoi désirerait-il les richesses ? pour s’asseoir à des tables splendidement servies ? Mais il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage ; Est-ce pour se vêtir avec mollesse ? son vêtement est fait avec des poils de chameau ; et c’est pour cela que le Sauveur ajoute : " Mais qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu mollement ? " — S. Chrys. Ou bien dans un autre sens, en allant dans le désert, vous avez prouvé par votre empressement que Jean n’était pas semblable à un roseau mobile. Et on ne peut dire que Jean, ferme et inébranlable de sa nature, est devenu inconstant en s’abandonnant à une vie de plaisirs ; car de même qu’un homme est naturellement colère, et qu’un autre le devient par suite de longues souffrances, ainsi il en est qui sont inconstants par nature, et d’autres qui le deviennent en se livrant à leurs passions. Or, Jean-Baptiste n’était pas inconstant par nature, et c’est pour cela que le Sauveur leur fait cette question : " Êtes-vous allés voir un roseau agité par le vent ? Ce n’est pas non plus en devenant l’esclave de la volupté qu’il a perdu cette élévation de caractère : le désert qu’il habitait, la prison où il est renfermé prouvent le contraire. S’il avait voulu se vêtir avec mollesse, il n’eût pas choisi pour habitation le désert, mais les palais des rois, car : " Ceux qui sont vêtus mollement, sont dans la maison des rois. " — S. Jér. Apprenons ici que la vie austère et la sévérité de la prédication doivent fuir les cours des rois et éviter les palais des hommes livrés à la mollesse.

S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Que personne ne s’imagine que la recherche des vêtements riches et précieux puisse être exempte de pêché ; car s’il en était ainsi, Notre-Seigneur n’aurait point loué Jean-Baptiste de porter un vêtement grossier, et saint Pierre n’aurait pas combattu dans les femmes l’amour des vêtements somptueux par ces paroles : " Ne recherchez pas les habits précieux. " — S. Aug. (Doct. chrét., liv. 3, chap. 12.) Cependant, ce n’est pas dans l’usage qu’on fait de toutes ces choses, mais dans l’excès et l’attachement immodéré de celui qui en use que se trouve le péché. Par conséquent, si l’on se conduit à cet égard avec plus de parcimonie que ne le comportent les usages des personnes au milieu desquelles on vit, c’est retenue excessive ou crainte superstitieuse ; mais si l’on dépasse en cela les limites posées par la coutume des personnes vertueuses, c’est mauvais signe, c’est dérèglement.
 

S. Chrys. (hom. 38.) Après avoir donné comme preuve de la vertu du saint précurseur, le lieu qu’il habitait, ses vêtements, et le concours du peuple, il le leur présente comme un prophète : " Qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) Le ministère du prophète c’est de prédire les choses à venir, et non de les montrer ; donc Jean-Baptiste est plus qu’un prophète, car il annonçait comme présent, celui qu’il avait prédit en sa qualité de précurseur. — S. Jér. C’est par là qu’il était plus grand que les autres prophètes, et aussi parce qu’aux privilèges de la dignité de prophète il joignit la gloire de baptiser son Seigneur. — S. Chrys. (hom. 38.) Jésus fait voir ensuite en quoi il est supérieur aux autres, en ajoutant : " C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon ange devant votre face. " — S. Jér. Pour relever le mérite de Jean-Baptiste, il emprunte le témoignage de Malachie qui l’avait annoncé comme un ange. Or, le nom d’ange est donné ici à Jean-Baptiste, non pas qu’il ait eu avec eux une même nature, mais parce qu’il a rempli le même ministère, c’est-à-dire celui de messager, en annonçant le Sauveur qui devait venir. — S. Grég. En grec, le mot ange correspond au mot latin messager : c’est donc avec raison que celui qui venait apporter à la terre un message des cieux reçoit le nom d’ange et qu’il porte ce titre glorieux que justifient ses oeuvres. — S. Chrys. (hom. 38.) Il montre donc en quoi Jean-Baptiste est plus grand que les prophètes, c’est parce qu’il a eu l’honneur d’être près du Christ. Ces paroles : " Devant votre face, " signifient auprès de vous. Car de même que ceux qui marchent auprès du char du roi sont les seigneurs les plus distingués de sa cour, ainsi Jean reçut un nouvel éclat de la présence du Christ. — La Glose. Ajoutons enfin que les autres prophètes ont eu pour mission d’annoncer l’avènement du Christ, et Jean-Baptiste de lui préparer les voies, et c’est pour cela qu’il est écrit : " Il vous préparera la voie où vous devez marcher, " c’est-à-dire qu’il vous rendra les cœurs accessibles en leur prêchant la pénitence et en leur donnant le baptême.
 

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, le désert est le lieu qui est privé de la présence de l’Esprit saint, et que Dieu n’habite en aucune façon. Le roseau c’est l’homme tout resplendissant de la gloire du monde, c’est-à-dire par la futilité de sa vie, mais qui ne porte en lui-même aucun fruit de vérité ; ses dehors sont agréables, mais il est nul à l’intérieur ; le moindre vent, c’est-à-dire le moindre souffle des esprits immondes l’agite, il n’a aucune consistance, aucune fermeté, aucune force intérieure. Le vêtement représente le corps dont l’âme est revêtue, que le luxe et la volupté amollissent ; les rois sont l’image des anges prévaricateurs, car ils sont les puissants du Siècle et les maîtres du monde. Ceux donc qui sont vêtus avec mollesse habitent dans la maison des rois, c’est-à-dire que ceux dont le corps est amolli et a perdu sa force au sein des voluptés deviennent l’habitation des démons. — S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) On peut dire encore que Jean ne fut pas vêtu avec mollesse, parce qu’il n’a point encouragé par un langage flatteur les vices des pécheurs, mais qu’il les a pressés de ses réprimandes énergiques et de ses reproches les plus sévères, jusqu’à les appeler : " Race de vipères. " (Mt 3)

 

v. 11.

S. Chrys. (hom. 38.) Notre-Seigneur ne se contente pas de faire l’éloge de Jean-Baptiste, en rappelant le témoignage que lui rend le prophète, il fait connaître la haute opinion qu’il a personnellement de lui en disant : " Je vous le dis en vérité, il n’y en a point eu de plus grand, " etc. — Rab. Pourquoi semble-t-il dire, faire un éloge détaillé de Jean-Baptiste : " Je vous le dis en vérité, entre ceux qui sont nés des femmes, " etc. Il dit : Entre les enfants des femmes, et non des vierges. Le mot femmes exprime dans le sens propre celles qui n’ont plus leur virginité. Si Marie est quelquefois appelée femme dans l’Évangile, il faut se rappeler que cette expression n’est employée que pour désigner son sexe, comme dans ce passage : " Femme, voici votre fils. " — S. Jér. Notre-Seigneur élève donc Jean-Baptiste au-dessus des hommes qui sont nés des femmes et de leur union avec l’homme ; mais non pas au-dessus de celui qui est né de la Vierge et de l’Esprit saint. D’ailleurs, en disant : " Nul d’entre les enfants des femmes n’a été plus grand que Jean-Baptiste, " il ne le place pas précisément au-dessus des patriarches, des prophètes, et des autres hommes, mais il les met simplement sur le même rang ; car de ce que les autres ne sont pas plus grands que lui, il ne s’ensuit pas qu’il soit plus grand qu’eux. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Mais comme la justice est si élevée, qu’il n’y a que Dieu seul qui puisse en atteindre la perfection, je pense que les saints, aux yeux si pénétrants du souverain juge, sont dans un degré plus ou moins élevé les uns que les autres, et nous devons en conclure que celui au-dessus duquel il n’y en a point de plus grand est lui-même plus grand que tous les autres.
 

S. Chrys. (hom. 38.) Mais de peur que cette surabondance de louanges n’entraînât quelque inconvénient pour les Juifs, qui avaient de Jean-Baptiste une plus haute estime que de Jésus-Christ, le Sauveur prévient toute impression fâcheuse en ajoutant : " Mais celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. " — S. Aug. (cont. l’advers. de la loi et des prophètes, liv. 4, chap. 5.) Les hérétiques, en raisonnant sur ce texte, veulent en conclure que Jean-Baptiste n’appartient pas au royaume des cieux, et encore moins les prophètes de ce peuple, auxquels Jean-Baptiste est supérieur. Or, ces paroles de Notre-Seigneur peuvent s’entendre de deux manières : ou bien ce royaume des cieux, c’est celui dont nous ne sommes pas encore en possession, et dont Notre-Seigneur doit dire à la fin du monde : " Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume, " etc., et comme les anges sont les habitants de ce royaume, le moindre d’entre eux est plus grand que le juste, qui, sur cette terre, porte un corps sujet à la corruption. Ou bien, si par le royaume des cieux il a voulu signifier 1’Église, dont tous les justes qui ont existé depuis la naissance du genre humain sont les enfants, c’est de lui-même qu’il a voulu parler, car il était au-dessous de Jean par son âge, et il lui était supérieur par son éternité divine et par sa puissance souveraine. Dans le premier sens, il faut donc diviser ainsi la phrase : " Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux, " et ensuite : " Est plus grand que lui ; " et dans le second sens : " Celui qui est le plus petit, " et puis : " Est plus grand que lui dans le royaume des cieux. " — S. Chrys. (hom. 38.) " Dans le royaume des cieux, " c’est-à-dire dans toutes les choses spirituelles et célestes. Il en est qui pensent que Jésus-Christ a voulu parler ici de ses Apôtres. — S. Jér. Pour nous, nous entendons tout simplement ces paroles, en ce sens, que tout homme juste qui est déjà réuni au Seigneur, est plus grand que celui qui se trouve encore au milieu des combats ; car il y a une grande différence entre celui qui a déjà reçu la couronne de la victoire, et celui qui soutient encore sur le champ de bataille tous les efforts de ses ennemis.

 

vv. 12-15.

La Glose. Les paroles qui précèdent : " Celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste, " pouvaient faire penser que Jean-Baptiste était étranger au royaume des cieux. Notre-Seigneur éloigne donc cette idée en ajoutant : " Depuis les jours, " etc. — S. Grég. (hom. 20 sur S. Matth.) Le royaume des cieux signifie le trône qui nous est préparé dans le ciel, et lorsque des pécheurs souillés de quelques crimes reviennent à Dieu par la pénitence et réforment leur conduite, ils entrent comme pécheurs dans un lieu qui leur est étranger, et ils ravissent avec violence le royaume des cieux.

S. Jér. Si Jean-Baptiste a le premier prêché la pénitence au peuple en ces termes : " Faites pénitence, car le royaume des cieux approche, " il est juste que depuis ce temps le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls le ravissent. Il faut en effet que nous nous fassions une grande violence, nous dont la naissance est toute terrestre, pour chercher à mériter la gloire des cieux et conquérir par notre vertu ce que nous ne pouvons tenir de notre nature. — S. Hil. (can. 11.) Ou bien dans un autre sens, Notre-Seigneur avait ordonné à ses Apôtres d’aller vers les brebis perdues d’Israël (Mt 11), mais leur prédication tournait au profit des publicains et des pécheurs. C’est ainsi que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents le ravissent, parce que la gloire qui était due aux patriarches d’Israël, que les prophètes avaient annoncée, et que Jésus-Christ est venu offrir, a été enlevée et ravie par la foi des nations. — S. Chrys. (hom. 38.) Ou bien encore, ceux qui s’empressent de se convertir sont ceux qui ravissent le royaume de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; voilà pourquoi il dit : " Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à présent. " C’est ainsi qu’il les excite et les presse de croire en lui ; en même temps il confirme lui-même tout ce que Jean-Baptiste avait dit précédemment. Car si toutes choses ont été accomplies jusqu’à Jean-Baptiste, il est donc celui qui doit venir, et c’est pour cela qu’il ajoute : " Tous les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean. " — S. Jér. Ce n’est pas qu’il veuille dire qu’après Jean il n’y a plus eu de prophète, car nous lisons dans les Actes des Apôtres (Ac 11 ; Ac 21), qu’Agabus et les quatre vierges, filles de Philippe, prophétisèrent ; mais ces paroles signifient que toutes les prophéties de la loi et des prophètes ont eu Jésus-Christ pour objet. Ces paroles donc : " Ils ont prophétisé jusqu’à Jean, " indiquent le temps où devait venir le Christ, et où Jean-Baptiste a signalé la présence de Celui dont ils avaient prédit la venue.
 

S. Chrys. (hom. 38.) Il donne ensuite une autre explication de son avènement : " Et si vous voulez le comprendre, lui-même est cet Élie qui doit venir. " Dieu dit en effet par la bouche du prophète Malachie (Ml 4) : Je vous enverrai Élie de Thesba, et il dit de Jean-Baptiste : " J’enverrai mon ange devant vous. " — S. Jér. Jean est donc appelé Élie, non pas dans le sens de quelques philosophes insensés, et de certains hérétiques qui enseignent le retour des âmes dans de nouveaux corps, mais parce qu’au témoignage de l’Évangile lui-même, il est venu dans la vertu et dans l’esprit d’Élie, et qu’il a reçu la même grâce ou la même mesure de l’Esprit saint. Ajoutez que l’austérité de la vie et la sévérité des principes sont les mêmes dans Élie et dans Jean-Baptiste : ils habitaient tous les deux le désert, tous les deux ils portaient une ceinture de poils de chameau ; le premier fut obligé de fuir, parce qu’il avait reproché à Achab et à Jésabel leur impiété, le second eut la tête tranchée parce qu’il avait condamné l’union criminelle d’Hérode et d’Hérodiade. — S. Chrys. (hom. 38.) Le Sauveur dit avec raison : " Et si vous voulez le comprendre, " leur montrant ainsi qu’ils sont libres et qu’il exige une adhésion volontaire : or Jean est Élie, et à son tour Élie est Jean, parce que tous deux sont précurseurs. — S. Jér. Ces paroles : " Lui-même est Élie, " sont mystérieuses et ont besoin d’une intelligence particulière, comme le prouve ce qu’il ajoute : " Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. " — Remi. C’est-à-dire : Que celui qui a les oreilles du cœur pour entendre ou pour comprendre, qu’il entende, qu’il comprenne, parce qu’en effet il a dit non pas que Jean-Baptiste ait été Élie en personne, mais seulement par l’esprit.

 

vv. 16-19.

S. Hil. (can. 11.) Tout ce discours est à la honte de l’incrédulité ; c’est l’expression d’un profond sentiment de mécontentement de ce que ce peuple arrogant avait résisté aux divers genres d’instructions qui lui avaient été faites. — S. Chrys. (hom. 38.) Le Sauveur procède avec raison par interrogation, pour montrer que rien n’a été oublié de ce qui devait contribuer à leur salut : " A qui comparerai-je cette génération ? " — La Glose. Comme s’il disait : Jean était un grand prophète, mais vous n’avez voulu croire ni à sa parole ni à la mienne ; à qui donc vous comparerai-je ? Dans ce mot de génération il comprend les Juifs, Jean-Baptiste lui-même.

Remi. Il se fait aussitôt cette réponse : " Elle est semblable à des enfants assis sur la place publique qui crient à leurs compagnons : Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez pas dansé ; nous avons chanté des airs lugubres, et vous n’avez point témoigné de tristesse. — S. Hil. (Can. 11.) Par ces enfants, Notre-Seigneur entend les prophètes qui ont prêché comme des enfants dans la simplicité de leur âme, et qui, au milieu des synagogues comme au milieu d’une place publique, ont reproché aux Juifs de n’avoir pas conformé leurs oeuvres extérieures aux chants qu’ils leur adressaient, et de n’avoir pas obéi à leurs paroles ; car le mouvement de la danse doit se conformer à la mesure du chant. Or, les prophètes ont appelé le peuple à louer Dieu dans leurs chants, comme nous le voyons dans les cantiques de Moïse, d’Isaïe et de David (Ex 15 ; Dt 32 ; Is 12 ; 26 ; 2 R 26 ; Ps 17, etc.), etc. — S. Jér. Voici donc ce qu’ils reprochent aux Juifs : " Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez pas dansé, " c’est-à-dire nous vous avons excités par nos chants à la pratique des bonnes oeuvres, et vous n’en avez rien fait ; nous avons pleuré pour vous appeler à la pénitence, et vous n’avez pas été plus dociles, vous avez méprisé toute espèce de prédication, et celle qui vous exhortait à la vertu, et celle qui vous appelait à faire pénitence de vos péchés. — Remi. Comment peut-il dire : " A leurs compagnons ? " Est-ce que les Juifs infidèles étaient les égaux et les compagnons des saints prophètes ? Non, mais il parle ainsi parce qu’ils étaient tous sortis d’une souche commune. — S. Jér. Les enfants sont encore ceux dont Isaïe a dit : " Me voici, moi et mes enfants, ceux que le Seigneur m’a donnés ; " ces enfants s’arrêtent sur la place publique où l’on fait trafic de tout, et ils disent : " Nous avons chanté pour vous, et vous n’avez pas dansé. " — S. Chrys. (hom. 38.) Je vous ai donné l’exemple d’une vie plus douce que sévère, et vous n’avez pas été persuadés ; Jean s’est soumis à une vie austère, et vous n’y avez pas fait plus d’attention ; il ne dit pas : Jean a suivi cette ligne de conduite, et moi cette autre ; mais il ne sépare pas leur cause, parce que leur intention était la même, et il ajoute : " Jean est venu, ne mangeant, ni ne buvant, et vous avez dit : Il est possédé. Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, " etc. — S. Aug. (cont. Faust. liv. 16, chap. 31.) Je voudrais bien que les Manichéens me disent ce que mangeait et ce que buvait Jésus-Christ, lui qui se disait mangeant et buvant, en comparaison de Jean-Baptiste qui ne mangeait ni ne buvait. Car il n’est pas dit que Jean ne buvait pas du tout, mais qu’il ne buvait ni vin ni rien de ce qui pouvait enivrer, il ne buvait donc que de l’eau ; on ne peut pas dire non plus qu’il ne mangeait rien absolument, mais il ne mangeait que du miel sauvage et des sauterelles. Pourquoi donc Notre-Seigneur dit-il qu’il ne mangeait ni ne buvait, si ce n’est parce qu’il n’usait pas des aliments ordinaires des Juifs ? Et si le Seigneur n’en avait pas lui-même fait usage, il n’aurait pu dire par comparaison avec Jean-Baptiste qu’il mangeait et buvait. Or, n’est-il pas étonnant qu’on dise de celui qui mangeait des sauterelles et du miel, qu’il ne mangeait pas, et qu’on présente comme mangeant celui qui se contentait de pain et de légumes ?
 

S. Chrys. (hom. 38.) " Le Fils de l’homme est venu, " etc., c’est-à-dire nous avons suivi, Jean et moi, des routes différentes, mais qui aboutissaient au même but, comme deux chasseurs qui poursuivent un animal par deux chemins différents pour le faire arriver sur l’un des deux. Les hommes sont généralement portés à admirer le jeûne et l’austérité de la vie ; c’est pour cela que Dieu voulut que dès son enfance Jean pratiquât ce genre de vie, pour donner ainsi par la suite plus d’autorité à ses paroles. Notre-Seigneur marcha lui-même dans cette voie lorsqu’il jeûna pendant quarante jours ; mais cependant il prit d’autres moyens pour persuader aux Juifs de croire en lui ; car il était bien-plus important que Jean-Baptiste lui rendît témoignage en marchant dans cette voie, qu’il ne l’était pour lui-même de suivre ce genre de vie. En effet, Jean ne fit éclater en lui que l’austérité de sa vie et l’amour de la justice, tandis que Jésus-Christ avait encore le témoignage des miracles. Il laissa donc Jean-Baptiste briller par le jeûne, et il suivit une voie différente en ne refusant pas de s’asseoir à la table des publicains pour manger et boire avec eux. — S. Jér. Si le jeûne vous est agréable, pourquoi Jean-Baptiste ne vous plaît-il pas ? Si la vie ordinaire a pour vous plus d’attrait, pourquoi le Fils de l’homme ne peut-il vous plaire ? Pourquoi avez-vous traité l’un de possédé, et l’autre d’ivrogne et d’intempérant ?
 

S. Chrys. Quelle sera donc désormais leur excuse ? c’est pour cela qu’il ajoute : " La sagesse a été justifiée par ses enfants, " c’est-à-dire : si vous n’êtes pas persuadés, vous n’avez pas, du moins, de raison de m’accuser. C’est ce que le Prophète-Roi dit de Dieu le Père : " Afin que vous soyez justifié dans vos paroles. " (Ps 50.) Quoique vous n’ayez tiré aucun profit de l’économie de la divine providence à votre égard, de son côté elle a fait tout ce qu’elle devait, de manière à ne laisser pas même l’ombre d’un doute à l’impudence et à l’ingratitude. — S. Jér. La sagesse a été justifiée par ses enfants, c’est-à-dire la doctrine et la conduite de Dieu. Ou bien la conduite du Christ qui est la vertu et la sagesse de Dieu a été justifiée par les Apôtres qui sont ses enfants. — S. Hil. Or, il est lui-même la sagesse, non par les effets merveilleux qu’elle a produits en lui, mais par nature. Il en est plusieurs qui cherchent à éluder la force de ces paroles de l’Apôtre qui proclament le Christ la puissance et la sagesse de Dieu (1 Co 1), en disant que la vertu de cette sagesse et de cette puissance divine s’est montrée dans l’oeuvre de son incarnation et de sa naissance d’une Vierge ; mais pour détruire par avance cette interprétation, il a déclaré qu’il était lui-même la sagesse, montrant ainsi que ce n’étaient pas seulement les oeuvres de la sagesse, mais la sagesse elle-même qui résidait en lui ; car l’oeuvre de la vertu n’est pas la vertu elle-même, et l’effet demeure distinct de celui qui le produit. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 2, chap. 11.) " La sagesse a été justifiée par ses enfants, " en ce sens que les saints Apôtres comprirent que le royaume des cieux n’était point dans le boire et dans le manger, mais dans la patience à supporter les épreuves ; aussi l’abondance ne leur inspirait aucun orgueil, et la pauvreté ne pouvait les abattre. C’est ce qui faisait dire à saint Paul : " Je sais être dans l’abondance, et je sais supporter la pauvreté. " — S. Hil. On lit dans quelques exemplaires : " La sagesse a été justifiée par ses oeuvres. " La sagesse, en effet, ne cherche pas le témoignage des paroles, mais celui des oeuvres. S. Chrys. (hom. 38.) Si cette comparaison empruntée aux enfants vous paraît vulgaire, n’en soyez pas surpris, car Jésus s’adressait à des auditeurs grossiers ; c’est ainsi qu’Ézéchiel se sert de plusieurs comparaisons en rapport avec l’intelligence des Juifs, mais qui ne convenaient nullement à la grandeur de Dieu, si toutefois l’on peut dire qu’une chose qui est utile aux hommes n’est pas digne de Dieu.
 

S. Hil. (can. 11.) Dans le sens mystique, la prédication elle-même de Jean-Baptiste fut impuissante pour convertir les Juifs, parce que la loi leur avait paru pénible, difficile et gênante à cause de ses prescriptions sur les aliments et sur les boissons. Elle renfermait pour ainsi dire en elle-même le péché auquel il donne le nom de démon, parce que la difficulté que présentait son observation en rendait presque inévitable la transgression. A son tour, la prédication de l’Évangile de Jésus-Christ ne leur fut pas agréable, malgré la liberté qu’elle leur rendait, en allégeant tout ce que la loi avait de difficile et d’accablant. Les publicains et les pécheurs embrassèrent la foi, mais pour les Juifs, après tant et de si grands avertissements, ils ne furent pas justifiés par la grâce, et ils furent abandonnés par la loi. C’est alors que la sagesse fut justifiée par ses enfants, c’est-à-dire par ceux qui ravissent le royaume des cieux par la justification qui vient de la foi, et en proclamant la justice des opérations de la sagesse de Dieu qui prive de ses grâces les esprits rebelles pour en faire part aux cœurs fidèles.

 

vv. 20-24.

La Glose. Jusqu’ici les reproches du Sauveur s’étaient adressés indistinctement à tous les Juifs, maintenant il les fait tomber en particulier sur quelques villes qu’il avait évangélisées d’une manière plus spéciale, et qui, cependant, n’avaient pas voulu se convertir. " Alors, dit l’Évangéliste, il commença à faire des reproches aux villes, " etc. — S. Jér. Ce chapitre s’ouvre par les reproches qu’il fait aux villes de Bethsaïde et de Capharnaüm, de ce qu’après tant de prodiges et de miracles opérés au milieu d’elles, elles n’ont pas fait pénitence. " Malheur à vous, Corozaïm ! malheur à vous, Bethsaïde ! " — S. Chrys. (hom. 38.) C’est pour vous apprendre que les habitants de ces villes n’étaient pas mauvais par leur nature qu’il nomme la ville de Bethsaïde, qui avait donné le jour à plusieurs d’entre les Apôtres. En effet, Philippe, et les deux principaux couples du collège apostolique, Pierre et André, Jacques et Jean, étaient de Bethsaïde. — S. Jér. Cette expression, " malheur, " nous montre que le Sauveur déplore le triste sort de ces villes, de ce qu’après tant de miracles et de prodiges opérés sous leurs yeux, elles n’ont pas fait pénitence. — Rab. Corozaïm qui veut dire mon mystère, et Bethsaïde, la maison des fruits ou la maison des chasseurs, sont des villes de Galilée assises sur les bords de la mer de Galilée. Le Seigneur déplore le triste sort de ces villes, à qui le mystère de Dieu a été révélé, qui auraient dû produire des fruits de vertu, et dans lesquelles il avait envoyé des chasseurs spirituels. — S. Jér. Le Sauveur leur préfère Tyr et Sidon, villes adonnées à l’idolâtrie et à tous les vices. " Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu de vous avaient été faites au milieu de Tyr et de Sidon, il y a longtemps qu’eues auraient fait pénitence dans la cendre et le cilice. " — S. Grég. (Moral., 35, 2.) Le cilice signifie la componction et l’austérité de la pénitence ; la cendre, la poussière des morts. Tous deux sont mis en usage dans la pénitence, afin que les pointes du cilice nous rappellent ce que nous avons fait en péchant, et que la cendre nous fasse réfléchir sur ce que nous sommes devenus par le jugement de Dieu. — Rab. Tyr et Sidon sont des villes de Phénicie. Tyr veut dire angoisse, et Sidon, chasse ; elles représentent les nations que le démon a prises comme un chasseur dans les détroits resserrés du péché, mais que le Sauveur Jésus a délivrées par son Évangile.
 

S. Jér. Où donc voyons-nous que le Sauveur ait fait des miracles dans Corozaïm et dans Bethsaïde ? Nous lisons dans un des chapitres précédents : " Il parcourait toutes les villes et les villages, guérissant toutes les maladies, " etc. Il est donc à croire que Corozaïm et Bethsaïde étaient du nombre de ces villes et bourgades dans lesquelles le Sauveur avait opéré des miracles. — S. Aug. (de la persév., chap. 9.) Il n’est donc pas vrai de dire que l’Évangile n’ait pas été prêché dans les temps et dans les lieux où le Seigneur prévoyait l’inutilité de ses prédications pour tous ceux qui l’entendraient, aussi bien que pour un grand nombre de ceux qui n’ont pas voulu croire en lui, même après qu’ils l’eurent vu ressusciter des morts ; car voici le Seigneur qui nous assure que les habitants de Tyr et de Sidon eussent fait une pénitence pleine d’humilité, s’ils avaient été témoins des miracles de la puissance divine. Or, si les morts sont jugés sur ce qu’ils auraient fait s’ils avaient vécu, comme les habitants de ces villes se seraient convertis à la foi si l’Évangile leur eût été annoncé et confirmé par tant de miracles éclatants, il faudrait en conclure qu’ils seront exempts de tout châtiment ; et cependant ils seront punis au jour du jugement, d’après les paroles qui suivent : " Néanmoins je vous le dis, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. " La peine des derniers sera donc plus légère, et le châtiment des autres plus rigoureux. — S. Jér. Et la raison, c’est que Tyr et Sidon ont foulé aux pieds la loi naturelle seule, tandis que ces villes, à la transgression de la loi écrite, ont joint le mépris des miracles qui ont été faits au milieu d’elles. — Rab. Nous sommes aujourd’hui témoins de l’accomplissement des paroles du Sauveur : Corozaïm et Bethsaïde ne voulurent pas croire en lui lorsqu’il les honorait de sa présence, tandis que Tyr et Sidon crurent plus tard à la prédication des Apôtres. — Remi. Capharnaüm était la métropole de la Galilée, et la ville la plus célèbre de cette province ; c’est pour cela que le Seigneur en fait une mention spéciale : " Et toi Capharnaüm, t’élèveras-tu jusqu’au ciel ? tu seras abaissée jusqu’aux enfers. " — S. Jér. On peut entendre ces paroles de deux manières : ou bien tu descendras jusqu’aux enfers, parce que tu as résisté avec orgueil à mes prédications ; ou bien, parce que élevée jusqu’au ciel par le séjour que j’ai daigné faire au milieu de toi, aussi bien que par les prodiges et par les merveilles que j’ai opérés dans ton sein, tu seras condamnée à de plus grands supplices pour avoir abusé de grâces si privilégiées, en refusant de croire en moi. — Remi. Ce ne sont pas seulement les péchés de Tyr et de Sidon, mais les crimes de Sodome et de Gomorrhe qui sont légers en comparaison. Car, ajoute-t-il, si les merveilles qui ont été opérées au milieu de toi eussent été faites dans Sodome, peut-être cette ville existerait encore. — S. Chrys. (hom. 39.) C’est ce qui rend leur accusation plus rigoureuse, car la plus forte preuve de méchanceté, c’est d’être plus mauvais non-seulement que les méchants qui existent, mais que ceux qui ont jamais existé.
 

S. Jér. Dans la ville de Capharnaüm, qui veut dire très belle maison de plaisance, se trouve condamnée Jérusalem, à qui Ézéchiel a dit : Sodome a été trouvée juste auprès de toi. — Remi. Le Seigneur qui connaît toutes choses, s’est servi ici du mot dubitatif peut-être, pour montrer que les hommes ont reçu de lui le don du libre arbitre. Il ajoute : " C’est pourquoi je vous déclare qu’au jour du jugement le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que vous. " Il faut se rappeler que sous le nom d’une ville ou d’une contrée, les reproches du Seigneur s’adressent non pas aux édifices ou aux murailles des maisons, mais aux hommes qui les habitent, d’après la figure appelée métonymie, qui exprime le contenu pour le contenant. Les paroles suivantes : " La peine sera plus légère au jour du jugement, " démontrent jusqu’à l’évidence qu’il y a dans l’enfer divers degrés de peines, de même qu’il y a divers degrés de gloire dans le royaume des cieux. — S. Jér. Un lecteur attentif me dira peut-être : Si les villes de Tyr, de Sidon et de Sodome auraient pu faire pénitence en entendant les prédications du Seigneur et devant l’éclat de ses miracles, elles ne sont pas coupables de n’avoir pas cru, mais la faute doit être imputée au silence de celui qui n’a pas voulu leur prêcher dans le temps où elles étaient disposées à faire pénitence. La réponse à cette difficulté est facile et claire : c’est que nous ignorons les jugements de Dieu, et les mystérieuses dispositions de sa providence. Notre-Seigneur s’était proposé de ne point sortir des frontières de la Judée, ne voulant pas fournir aux pharisiens et aux prêtres un motif ou un prétexte pour le persécuter. C’est pour cela qu’il fait cette recommandation aux Apôtres : " Vous n’irez pas dans le chemin des nations. " Or, Corozaïm et Bethsaïde sont condamnées, parce qu’elles ont refusé de croire à la parole du Seigneur lui-même présent au milieu d’elles ; Tyr et Sidon sont justifiées pour avoir cru à la parole de ses Apôtres. Pourquoi faire ici une question de temps alors que vous voyez que ceux qui croient sont sauvés ? — Remi. Voici une autre solution de cette difficulté : dans Corozaïm, il y en avait probablement plusieurs qui devaient croire, de même que dans Tyr et dans Sidon il en était plusieurs qui devaient rester dans l’incrédulité, et qui, par conséquent, n’étaient pas dignes de 1’Évangile. Notre-Seigneur a donc évangélisé les habitants de Corozaïm et de Bethsaïde, afin que ceux qui devaient croire pussent embrasser la foi ; et il ne voulut point porter la prédication de l’Évangile aux habitants de Tyr et de Sidon, dans la crainte que ceux qui refuseraient de croire, devenus plus coupables par le mépris de l’Évangile, ne fussent aussi plus rigoureusement punis.
 

S. Aug. (de la persévér., chap. 10.) Un controversiste catholique qui n’est pas à dédaigner explique ce passage de l’Évangile en disant que le Seigneur avait prévu que les Tyriens et les Sidoniens devaient plus tard abandonner la foi qu’ils auraient embrassée sur l’autorité des miracles opérés sous leurs yeux ; et c’est par miséricorde qu’il n’a point voulu faire de miracles au milieu d’eux, parce que en abandonnant la foi qu’ils avaient professée, ils se seraient rendus dignes de châtiments plus rigoureux que s’ils ne l’avaient jamais reçue. (Evang., chap. 12.) On peut dire encore que le Seigneur prévoit avec certitude les grâces auxquelles il a daigné attacher notre délivrance : c’est la prédestination des saints, c’est-à-dire la prescience et la préparation des grâces qui doivent infailliblement sauver ceux qui doivent l’être ; les autres, par un juste jugement de Dieu, sont laissés dans la masse de perdition, comme les habitants de Tyr et de Sidon qui auraient pu croire également s’ils avaient été témoins des nombreux miracles de Jésus-Christ ; mais comme le don de la foi ne leur a pas été accordé, les moyens de croire leur ont été refusés. On peut conclure de là qu’il y a des hommes qui ont naturellement dans leur esprit un don particulier d’intelligence qui les porterait vers la foi, s’ils voyaient des miracles ou s’ils entendaient des paroles conformes aux dispositions de leur âme ; et cependant si, par un profond jugement de Dieu, ils ne sont pas séparés de la masse de perdition par la grâce de la prédestination, ils n’entendront jamais ces paroles divines, ils ne verront jamais ces faits miraculeux qui deviendraient pour eux, s’ils en étaient témoins, des moyens assurés de parvenir à la foi. C’est dans cette masse de perdition que furent laissés les Juifs eux-mêmes qui ne purent croire aux miracles si éclatants qui furent opérés sous leurs yeux, et l’Évangile ne nous a pas caché la raison pour laquelle ils n’ont pu croire : " Bien que le Sauveur eût opéré sous leurs yeux d’aussi grands miracles, ils ne pouvaient pas croire, selon ce qu’Isaïe a dit : " Il a aveuglé leurs yeux (Is 6, 9 ; Ac 28, 18), et il a endurci leurs cœurs. " (Jn 12.) Les yeux des Tyriens et des Sidoniens n’étaient donc pas aveuglés de manière à ne pouvoir croire, s’ils avaient vu de semblables miracles ; mais comme ils n’étaient pas prédestinés, il ne leur servit de rien d’avoir pu croire, de même que ce n’eût pas été pour eux un obstacle de ne pouvoir croire si Dieu les eût prédestinés à recevoir la lumière de la loi malgré leur aveuglement, et s’il avait voulu leur ôter leur cœur le pierre, cause de leur endurcissement.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 32.) Saint Luc rapporte ces mêmes paroles, en les donnant comme la suite d’un discours du Seigneur. Cet Évangéliste paraît avoir suivi dans sa narration l’ordre dans lequel ces paroles ont été dites, tandis que saint Matthieu ne suit d’autre ordre que celui de ses souvenirs. Ou bien, la manière dont saint Matthieu s’exprime : " Alors il commença à faire des reproches, " etc., devrait être entendue en ce sens que le mot " alors " indiquerait le moment précis du temps où ces paroles ont été prononcées, et non l’espace de temps plus long dans lequel on pourrait placer un grand nombre d’autres actions, ou d’autres discours du Sauveur. En admettant cette opinion, il faut admettre que ces paroles ont été dites deux fois ; car, puisque dans un seul et même Évangile on trouve répétées comme dites dans deux circonstances différentes les mêmes paroles du Seigneur, par exemple, la recommandation qu’il fait de ne pas porter de sac en voyage (Lc 9 et 10), qu’y a-t-il d’étonnant que des paroles dites deux fois par le Sauveur soient rapportées par deux Évangélistes dans l’ordre où elles ont été prononcées ? Et la raison pour laquelle cet ordre est différent, c’est justement parce que chacun d’eux rattache ces paroles au temps où elles ont été dites.

 

vv. 25-26.

La Glose. Le Seigneur savait qu’un grand nombre douteraient de la vérité qu’il venait de leur révéler, c’est-à-dire que les Juifs ont rejeté le Christ, tandis que les Gentils l’ont retenu avec empressement ; il répond donc à ces doutes intérieurs : " Et Jésus, répondant, dit ces paroles : Je vous rends gloire, mon Père, " etc. C’est-à-dire vous qui faites les cieux, et qui laissez dans l’attachement aux choses de la terre ceux que vous voulez. Ou bien dans le sens littéral : — S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Puisque Jésus-Christ dit : " Je vous confesse, " lui si éloigné de tout péché, la confession n’est donc pas toujours l’aveu des péchés, mais quelquefois aussi l’expression de la louange. Nous confessons donc soit en louant Dieu, soit en nous accusant nous-mêmes ; et ces mots : Je vous confesse, signifient non pas : je m’accuse, mais : je vous loue, je vous rends gloire.
 

S. Jér. Que ceux qui osent calomnier le Sauveur en niant sa naissance éternelle et en soutenant qu’il a été créé dans le temps, entendent et méditent ces paroles. Ils appuient leur opinion sur ce qu’il appelle ici son Père le Seigneur du ciel et de la terre. Mais s’il n’est qu’une simple créature, et qu’une créature puisse donner le nom de Père à son Créateur, il a fait une chose déraisonnable en ne l’appelant pas son Maître ou son Père comme il l’appelle le Maître et le Père du ciel et de la terre. Or il rend grâces à Dieu de ce qu’il révèle le mystère de son avènement aux Apôtres, mystère qu’il a laissé ignorer aux scribes et aux pharisiens qui étaient sages et prudents à leurs propres yeux. C’est le sens de ces paroles : " De ce que vous avez caché aux sages, " etc. — S. Aug. (serm. 9 sur les paroles du Seig.) Sous le nom de ces sages et de ces prudents on peut entendre les orgueilleux, comme Notre-Seigneur l’explique lui-même, en ajoutant : " Et que vous les avez révélés aux petits. " En effet, que veut dire " aux petits, " si ce n’est aux humbles ? — S. Grég. (Moral. 27, 7.) Il n’ajoute pas : vous les avez révélés aux insensés, mais aux petits, pour nous montrer qu’il ne condamne pas la pénétration, mais seulement l’enflure de l’esprit. S. Chrys. (hom. 39.) Ou bien encore, en nommant ici des sages, il n’a point voulu parler de la véritable sagesse, mais de celle que les scribes et les pharisiens ne tenaient que de leur éloquence ; c’est pour cela qu’il ne dit pas : " Vous les avez révélés aux insensés, " mais : " aux petits, " c’est-à-dire aux gens sans instruction et sans éducation. C’est ainsi qu’il nous apprend à fuir en tout l’orgueil, et à rechercher la pratique de l’humilité. — S. Hil. (can. 11.) Les secrets et la vertu des paroles célestes demeurent cachés pour les sages, c’est-à-dire pour ceux qui sont pleins d’une folle présomption, et dont la sagesse n’est pas le fruit de la prudence ; et ces mêmes secrets sont révélés aux petits, c’est-à-dire à ceux qui sont petits en malice, et non en intelligence. — S. Chrys. (hom. 39.) Que ces mystères aient été révélés aux uns, c’est un légitime sujet de joie, mais qu’ils restent cachés pour les autres, c’est un trop juste sujet de larmes. Aussi la joie du Sauveur vient-elle exclusivement de ce que les petits ont connu ce que les sages ont ignoré.

S. Hil. (can. 11.) Il confirme l’équité de cette conduite par le jugement de la volonté de son Père ; suivant ce jugement, ceux qui refusent d’être petits devant Dieu deviennent insensés dans leur propre sagesse ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Oui, je vous bénis, ô mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. " — S. Grég. (Moral., liv. 25, chap. 13.) Ces paroles renferment pour nous une leçon d’humilité, et nous apprennent à ne pas discuter témérairement les jugements de Dieu sur la vocation des uns, et sur la réprobation des autres, en nous montrant qu’il ne peut y avoir d’injustice dans ce qui a plu à celui qui est souverainement juste. — S. Jér. Notre-Seigneur tient encore ce langage affectueux à son Père, pour l’engager à consommer l’oeuvre qu’il a commencée dans ses Apôtres. — S. Chrys. (hom. 39.) Ces paroles de Jésus-Christ à ses Apôtres leur inspirèrent une plus grande vigilance ; le pouvoir qu’ils avaient reçu de chasser les démons était de nature à leur donner une haute idée d’eux-mêmes, il réprime donc cette idée en leur apprenant que les faveurs qui leur ont été accordées ne sont pas le fruit de leurs efforts, mais l’effet d’une révélation divine. Aussi les scribes et les pharisiens, infatués de leur sagesse et de leur prudence, sont-ils tombés victimes de leur orgueil. Si donc ils ont mérité pour cela que les mystères de Dieu demeurent cachés pour eux, craignez vous aussi, et appliquez-vous à rester petits, car c’est ce qui vous a donné droit à la révélation de ces mystères. Ces paroles : " Vous avez caché ces choses aux sages, " doivent être entendues dans le sens de ces autres de saint Paul : " Dieu les a livrés au sens réprouvé. " L’intention de l’Apôtre n’est pas d’attribuer à Dieu immédiatement cet effet, mais à ceux qui en ont posé la cause. C’est dans le même sens qu’il faut entendre ces paroles du Sauveur " Vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents. " Et pourquoi ces vérités sont-elles demeurées cachées pour eux ? Écoutez saint Paul qui vous répond : " Parce que, s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. "

 

v. 27.

S. Chrys. (hom. 39.) Ce que le Sauveur vient de dire : " Je vous rends gloire, mon Père, de ce que vous avez caché ces choses aux sages, " pouvait laisser penser qu’il rendait grâces à son Père, comme s’il était lui-même privé de cette puissance ; il ajoute donc pour prévenir cette idée : " Mon Père m’a mis toutes choses entre les mains. " Que ces paroles : " Toutes choses m’ont été données par mon Père, " ne vous fassent soupçonner rien de naturel et d’humain ; Notre-Seigneur ne s’en est servi que pour détruire la pensée qu’il existe deux dieux non engendrés ; car c’est en même temps qu’il a été engendré qu’il est devenu le Maître de toutes choses. — S. Jér. Si nous entendions ces paroles d’après nos faibles idées, il faudrait admettre que celui qui donne cesse d’avoir au moment où celui qui reçoit commence à posséder. Ou bien par les choses qui lui sont remises entre les mains, il faut entendre non pas le ciel, la terre, les éléments, et toutes les autres choses qu’il a faites et créées, mais ceux qui, par le Fils ont accès auprès du Père. — S. Hil. (can. 11.) Ou bien encore, il s’exprime de la sorte, pour prévenir toute pensée qu’il soit en rien inférieur à son Père. — S. Aug. (cont. Maximin.) S’il était en quelque chose moins puissant que son Père, il n’aurait pas à lui tout ce qu’à son Père ; mais le Père, en engendrant son Fils, lui a donné la puissance, comme aussi par le même acte il a donné tout ce qui fait partie de sa substance à celui qu’il a engendré de sa propre substance.

S. Hil. (can. 11.) Ensuite, dans cette mutuelle connaissance du Père et du Fils, il nous donne à comprendre qu’il n’y a pas autre chose dans le Fils que dans le Père qui soit resté inconnu. " Et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils. " — S. Chrys. (hom. 39.) En disant que seul il connaît le Père, il nous démontre indirectement qu’il lui est consubstantiel, comme s’il disait : " Qu’y a-t-il d’étonnant que je sois le Maître de toutes choses, alors que j’ai en moi quelque chose de plus grand encore, c’est-à-dire que je connais mon Père, et que j’ai avec lui une seule et même substance ? — S. Hil. Il nous enseigne que l’identité de nature, dans l’un et dans l’autre, est renfermée dans cette mutuelle connaissance de l’un et de l’autre, de manière que celui qui connaît le Fils connaîtra le Père dans le Fils ; car toutes choses lui ont été données par le Père. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ces paroles : " Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, " signifient non pas que tous ignorent le Père absolument, mais que personne ne le connaît de la même manière qu’il le connaît lui-même, ce que l’on doit dire du Fils également ; car il n’est pas question ici d’un Dieu inconnu, comme le prétend Marcion.

S. Aug. (de la Trinité, liv. 1, chap. 8.) Enfin, comme la nature divine est inséparable, il suffit quelquefois de nommer le Père seul, ou le Fils seul, sans qu’on sépare pour cela l’Esprit de l’un et de l’autre, Esprit qu’on appelle proprement Esprit de vérité (Jn 14, 17 ; 15, 26 ; 16, 13). — S. Jér. Que l’hérétique Eunomius rougisse donc de son orgueilleuse prétention, qu’il a lui-même du Père et du Fils une connaissance aussi étendue que le Père et le Fils l’ont eux-mêmes l’un de l’autre ; qu’il cherche à soutenir et à consoler sa folle prétention, en s’appuyant sur les paroles suivantes : " Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, " toujours est-il vrai qu’autre chose est de connaître par égalité de nature, autre chose de ne connaître que par la grâce d’une révélation. — S. Aug. (de la Trinité, liv. 7, chap. 3.) Or, le Père se révèle par son Fils, c’est-à-dire par son Verbe ; car si ce verbe que nous proférons, tout passager et transitoire qu’il est, se révèle lui-même et révèle notre propre pensée, à combien plus forte raison le Verbe de Dieu par qui toutes choses ont été faites ! Il fait donc connaître le Père tel qu’il est, parce qu’il est lui-même ce qu’est le Père. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 2, chap. 1) En prononçant ces paroles : " Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, " il n’a pas dit : Et celui à qui le Père aura voulu le révéler ; mais après avoir dit : " Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, " il ajoute : " Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler ; " paroles qu’il ne faut pas entendre dans le sens que le Fils ne puisse être connu autrement que par le Père. Quant au Père, il peut être connu non-seulement par le Fils, mais encore par ceux à qui le Fils l’aura révélé. S’il a choisi de préférence cette manière de s’exprimer, c’est pour nous faire comprendre que le Père et le Fils nous sont connus par la révélation du Fils, parce qu’il est lui-même la lumière de notre intelligence. Les paroles suivantes : Et celui à qui le Fils aura voulu le révéler, doivent s’entendre non-seulement du Père, mais encore du Fils ; car elles se rapportent à tout ce qui précède. C’est par son Verbe, en effet, que le Père se fait connaître ; mais le Verbe ne révèle pas seulement ce qu’il est chargé de faire connaître, il se révèle encore lui-même. — S. Chrys. (hom. 39.) Si donc il fait connaître le Père, il se fait connaître en même temps lui-même, mais il passe sous silence comme assez claire cette dernière vérité, et il s’attache à la première sur laquelle il pouvait y avoir des doutes. Il nous enseigne en même temps qu’il est tellement d’accord avec son Père, qu’il n’est pas possible d’arriver au Père si ce n’est par le Fils ; car ce qui scandalisait surtout les Juifs, c’est qu’il leur paraissait en opposition avec Dieu, et il s’applique de toute manière à détruire cette erreur.

 

vv. 28-30.

S. Chrys. (hom. 39.) Le discours qui précède, et qui est plein de l’ineffable puissance du Sauveur, avait excité dans le cœur de ses disciples un vif désir de s’unir à lui ; il les appelle maintenant lui-même en leur disant : " Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés. " — S. Aug. (serm. 10 sur les paroles du Seig.) Pourquoi tous, tant que nous sommes, nous fatiguons-nous ? C’est parce que nous sommes des hommes mortels, portant des vases de boue (2 Co 4, 7), cause pour nous de mille anxiétés. Mais si ces vases de chair nous tiennent à l’étroit, dilatons du moins en nous les espaces de la charité. Car pourquoi vous dit-il : " Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués, " si ce n’est pour que vous cessiez de l’être. — S. Hil. (can. 11.) Il appelle aussi à lui ceux qui souffraient des difficultés de la loi, et qui étaient accablés sous les lourds fardeaux du péché. — S. Jér. Que le péché soit un fardeau accablant, le prophète Zacharie l’atteste lorsqu’il nous représente l’iniquité assise sur une masse de plomb (Za 5) ; et le Psalmiste le confirme par son exemple (Ps 27), quand il dit : " Mes iniquités se sont appesanties sur moi. "
 

S. Grég. (Moral. 30, 12.) C’est un joug bien rude, c’est un bien dur esclavage que de se soumettre volontairement aux choses du temps, de rechercher avec empressement les biens de la terre, de s’efforcer de retenir ce qui nous échappe, de vouloir se fixer sur un terrain sans consistance, de désirer les choses passagères, et de ne pas vouloir passer avec elles. Car, tandis qu’elles fuient toutes contre notre volonté, nous sommes profondément affectés et accablés de leur perte, après avoir été tourmentés du désir de les posséder.

S. Chrys. (hom. 39.) Il ne dit pas : Que celui-ci ou celui-là vienne à moi, mais : Venez, vous tous qui vivez dans l’anxiété, dans la tristesse, dans le péché ; venez, non pour recevoir le châtiment de vos péchés, mais pour en être délivrés ; venez, non pas que j’ai besoin de la gloire que vous pouvez me procurer, mais parce que je veux votre salut ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Et je vous rétablirai. " Il ne dit pas simplement : Je vous sauverai, mais ce qui est beaucoup plus je vous rétablirai, c’est-à-dire je vous ferai jouir d’un repos complet. — Rab. Non-seulement je vous déchargerai, mais je vous rassasierai de mes consolations intérieures. — Remi. " Venez, " nous dit-il, non en dirigeant vos pas vers moi, mais toute votre vie, par le mouvement de la foi et non par celui du corps ; car l’accès que Dieu nous donne près de lui est tout spirituel. Il ajoute : " Prenez mon joug sur vous. " — Rab. Le joug du Christ, c’est son Évangile qui unit et associe les Juifs et les Gentils. Il nous ordonne de prendre ce joug sur nous, c’est-à-dire de le traiter avec honneur, de peur qu’en le mettant au-dessous de nous, c’est-à-dire en n’ayant que du mépris pour lui, nous ne venions à le fouler sous les pieds fangeux des vices ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Apprenez de moi. " S. Aug. (serm. 10 sur les paroles da Seig.) Apprenez de moi, non pas à créer l’univers, à faire des miracles dans ce monde, mais apprenez que je suis doux et humble de cœur. Voulez-vous devenir grand ? commencez par les plus petites choses. Vous proposez-vous de construire un édifice d’une hauteur prodigieuse ? occupez-vous tout d’abord d’asseoir les fondements à une grande profondeur ; plus l’édifice doit être élevé, plus les fondements que l’on creuse doivent être profonds. Or, jusqu’où doit s’élever le sommet de l’édifice que nous voulons construire ? Jusque sous les regards de Dieu.
 

Rab. Il nous faut donc apprendre de notre Sauveur à avoir des moeurs douces et des sentiments humbles, à ne blesser personne, à ne mépriser personne et à posséder dans le fond de notre cœur les vertus dont nous pratiquons les oeuvres au dehors. — S. Chrys. (hom. 39.) C’est pour cela que Notre-Seigneur a commencé l’exposition de ses lois divines par l’humilité, et qu’il lui promet une magnifique récompense en ajoutant : " Et vous trouverez le repos de vos âmes. " C’est là, en effet, la plus grande récompense ; car c’est ainsi que non-seulement vous deviendrez utiles aux autres, mais que vous vous procurerez à vous-mêmes le repos intérieur. Il vous donne dès maintenant cette récompense, en attendant le repos éternel qu’il vous réserve dans l’avenir. — S. Chrys. (hom. 39.) Pour bannir tout sentiment de crainte que pourrait inspirer l’idée seule de joug et de fardeau, il s’empresse d’ajouter : " Mon joug est doux, et mon fardeau léger. " — S. Hil. (can. 11.) Il nous propose l’image souriante d’un joug suave et d’un fardeau léger, pour donner à ceux qui croiront en lui comme un pressentiment du bonheur que lui seul a vu dans le sein de son Père. — S. Grég. (Moral. 4.) Quel fardeau si lourd impose-t-il donc à nos âmes en nous commandant de fuir tout désir qui porte le trouble dans notre cœur, et en nous avertissant d’éviter les sentiers si difficiles de ce monde ? — S. Hil. Qu’y a-t-il, au contraire, de plus doux que ce joug, de plus léger que ce fardeau : s’abstenir de tout crime, vouloir le bien, repousser le mal, aimer tous les hommes, n’avoir de haine pour personne, chercher à mériter les biens éternels, ne pas se laisser séduire par les choses présentes, et ne jamais faire à un autre ce qu’on ne voudrait pas souffrir soi-même ?
 

Rab. Mais comment le joug du Christ peut-il être plein de douceur, alors que lui-même nous dit plus haut (Mt 7) : " La voie qui conduit à la vie est étroite ? " C’est que ce sentier étroit dans le commencement, s’élargit avec le temps par les ineffables délices de la charité. — S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig.) Disons encore que ceux qui ont pris sur eux avec courage le joug du Seigneur, ont à courir des dangers si considérables, qu’on peut dire avec vérité qu’ils ne passent jamais du travail au repos, mais toujours du repos au travail, ainsi que l’Apôtre le dit de lui-même. (2 Co 6.) Cependant l’Esprit saint était avec lui pour renouveler de jour en jour l’homme intérieur, au milieu des ruines toujours croissantes de l’homme extérieur, et grâce au repos spirituel qu’il fait goûter à l’âme, à l’abondance des délices toutes divines qu’il répand dans les cœurs, à l’espérance du bonheur éternel qu’il nous donne, il adoucissait pour lui toutes les rigueurs, et allégeait tous les fardeaux accablants de la vie présente. Les hommes consentent à être déchirés ou brûlés pour racheter, au prix de douleurs aiguës, non-seulement les douleurs éternelles, mais les souffrances prolongées de cette vie. Quelles tempêtes, quelles tourmentes n’ont pas affrontées les marchands pour acquérir des richesses grosses elles-mêmes d’orages ? D’ailleurs ceux qui ne les aiment pas ont à supporter les mêmes peines, et ceux qui les aiment, tout en les supportant, ne s’en trouvent pas accablés. Il en est ainsi de toutes les autres épreuves ; car l’amour rend facile et réduit presque à rien ce qu’il y a de plus terrible et de plus affreux. Combien plus sera-t-il donc vrai de dire que la charité rend facile le chemin qui conduit au vrai bonheur, lorsque la cupidité rend facile autant qu’elle le peut celui qui n’aboutit qu’à la misère ? — S. Jér. Comment peut-on dire que l’Évangile est un joug plus léger que la loi, alors qu’il punit la colère et la simple convoitise, tandis que la loi n’atteint que l’homicide et l’adultère ? C’est que la loi renferme un grand nombre de préceptes dont l’Apôtre déclare ouvertement l’accomplissement impossible. La loi exige les oeuvres ; l’Evangile demande surtout la volonté, et, n’eût-elle pas son effet, elle ne perd pas sa récompense. L’Evangile nous commande ce qui nous est possible, c’est-à-dire de ne pas nourrir de mauvais désirs, ce qui dépend de notre volonté ; la loi, qui n’atteint pas la volonté, punit seulement le fait pour vous détourner de l’adultère. Supposez qu’une vierge soit outragée dans une persécution, l’Évangile la recevra comme vierge, parce que sa volonté n’a pas consenti au péché, tandis que la loi la rejettera comme ayant perdu son honneur.
 

 

 

CHAPITRE XII.

vv. 1-8.

La Glose. Après avoir raconté les prédications et les miracles qui eurent lieu l’année qui précéda le supplice de Jean-Baptiste, 1’Évangéliste passe aux événements de l’année qui suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ commence à être en butte à toutes sortes de contradictions, et il ouvre son récit par ces paroles : " Dans ce temps-là, " etc.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang., liv. 2, chap. 34.) Ce qui suit est raconté par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6) sans l’ombre même de contradiction ; mais ils ne disent pas : " En ce temps là ; " d’où l’on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa narration l’ordre des faits, et les autres l’ordre de leurs souvenirs, à moins qu’on ne donne un sens plus large à ces paroles : " En ce temps là, " c’est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule d’autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après la mort de Jean ; car on croit qu’il fut décapité peu de temps après qu’il eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution : " Dans ce temps-là, " exprimerait alors un temps indéterminé.
 

S. Chrys. (hom. 40.) Mais pourquoi le Sauveur, dont la prescience s’étendait à tout, conduisait-il ses Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n’était pas que le sabbat fût violé ? Il le voulait en effet, mais non pas absolument, c’est-à-dire sans raison, et il choisissait une occasion légitime de mettre fin à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs prévenus contre lui, il met en avant la nécessité : " Ses disciples ayant faim. " Ce n’est pas, sans doute, qu’il puisse y avoir jamais d’excuse, pour ce qui est évidemment péché ; ainsi ni l’homicide ne peut s’excuser par l’excès de la colère, ni l’adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause ; ici néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de toute culpabilité.
 

S. Jér. Nous lisons dans un autre Évangéliste, que les disciples, importunés par la foule, n’avaient même pas le temps de manger : ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l’austérité de leur vie ; ils n’ont pas besoin d’aliments recherchés, la plus simple nourriture leur suffit. — S. Chrys. (Hom. 40.) Admirez ces disciples, qui dans une aussi dure nécessité, n’ont aucun souci de leur corps, oublient la nourriture qu’il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent pas de Jésus-Christ ; car ils n’auraient pas eu recours à ce moyen s’ils n’y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre les pharisiens dans cette action ? L’Évangéliste nous l’apprend : " Ce que les pharisiens voyant, ils lui dirent Voilà que vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. " — S. Aug. (du trav. des moines, chap. 23.) L’accusation des Juifs contre les disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sabbat que sur le vol qu’ils auraient commis ; car la loi défendait aux enfants d’Israël, de ne saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger aucune peine, celui qui n’y avait pris que ce qu’il voulait manger (cf. Dt 23).
 

S. Jér. Remarquez que les premiers Apôtres du Sauveur, en détruisant l’observation littérale du sabbat, condamnent les Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l’exception de saint Paul, qu’ils rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur donne-t-il de leur conduite : " N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il avait faim ? " Pour détruire l’accusation calomnieuse des pharisiens, il leur rappelle ce fait de l’histoire ancienne, alors que David, fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger. (1 R 21.) Achimélech, n’ayant pas de pain ordinaire, lui donna les pains sanctifiés, qu’il n’était permis de manger qu’aux prêtres seuls et aux lévites (Lv 24) ; il jugea qu’il valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d’offrir un sacrifice à Dieu, car sauver les hommes, c’est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable. C’est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement : si vous regardez David comme un saint, si vous n’osez incriminer la conduite du grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une raison plausible, tirée de la faim qu’il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en faveur de mes disciples le motif d’excuse que vous approuvez dans les autres ? Il y avait d’ailleurs une grande différence entre ces deux faits : les uns ne faisaient que broyer quelques épis entre leurs mains le jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nomb., 28, 11.15 ; 10, 10) venaient s’ajouter à la solennité du sabbat. C’était, en effet, à l’occasion de ces fêtes que David, qui devait s’asseoir à la table du roi, s’était enfui de la cour.
 

S. Chrys. (hom. 40.) Notre-Seigneur cite l’exemple de David pour excuser ses disciples, car l’autorité du Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que David était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l’exemple qu’il choisit est grand, plus le motif d’excuse qu’il invoque en faveur de ses disciples est péremptoire. D’ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne l’étaient pas. — S. Jér. Remarquez cependant que ni David ni les gens de sa suite ne mangèrent des pains de proposition qu’après avoir affirmé qu’ils étaient purs de tout contact avec les femmes. — S. Chrys. (hom. 41.) Mais on me dira : Que fait cet exemple à la question qui nous occupe ? car David n’a pas transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en choisissant l’exemple d’une transgression plus grande que la violation du sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n’était permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en ajoutant : " Est-ce que vous n’avez pas lu dans la loi que les prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ? " — S. Jér. Comme s’il disait : Vous accusez mes disciples de ce qu’étant pressés par la faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bûchers enflammés ; et d’après le texte d’un autre Évangéliste (Jn 7), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se détruisent pas réciproquement, et c’est avec une sagesse vraiment admirable que pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu’ils n’ont fait que suivre les exemples d’Achimélech et de David. Il fait voir en même temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d’une transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l’excuse de la nécessité.
 

S. Chrys. (hom. 40.) Et ne me dites pas que ce n’est pas se justifier que de s’appuyer sur l’exemple d’un autre qui est également coupable ; car lorsque l’auteur d’un fait n’est pas accusé, ce fait peut être invoqué comme moyen de justification. Mais Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison, et il en apporte une bien plus forte en ajoutant que ceux qu’il a choisis pour exemples ne sont point coupables. Et voyez que de circonstances réunies : le lieu, c’est dans le temple ; le temps, c’est le jour du sabbat ; le fait lui-même, ce n’est pas une simple infraction, c’est une violation de la loi, et cependant non-seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais ils sont exempts de toute faute ; ce qu’il exprime en ces termes : " Et ils ne sont pas coupables. " Or, ce second exemple n’est cependant point semblable au premier. Le premier n’a eu lieu qu’une fois, il a été donné par David qui n’était pas prêtre, et qui avait pour lui l’excuse de la nécessité ; le second, au contraire, se reproduit tous les jours du sabbat dans la personne des prêtres, et il est selon la loi, et ainsi ce n’est plus seulement par indulgence, mais en suivant la rigueur de la loi, que la conduite de ses disciples est justifiée. Mais est-ce que les disciples sont prêtres ? Ils sont plus que prêtres, car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui n’est plus une figure, mais bien la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Je vous dis qu’il y a ici quelqu’un plus grand que le temple. " — S. Jér. Le mot hic doit être pris ici non pas comme pronom, mais comme adverbe de lieu, c’est-à-dire que le lieu où se trouvait le maître du temple était plus grand que le temple lui-même.

S. Aug. (Quesi. évang., liv. 2, chap. 40.) Il faut remarquer que Notre-Seigneur emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la personne de David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des prêtres qui violent le sabbat pour le service du temple. L’accusation tirée des épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière peser sur lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable. — S. Chrys. (hom. 40.) Ce qu’il venait de dire pouvait paraître dur à ceux qui l’entendaient ; il les ramène de nouveau à la pensée de la miséricorde, et en parle avec une certaine force de langage en leur disant : " Si vous saviez bien ce que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n’auriez jamais condamné des innocents. " — S. Jér. Nous avons déjà expliqué plus haut (Mt 9, 13) ce que signifient ces paroles : " J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. " Quant à celles qui suivent : " Jamais vous n’auriez condamné des innocents, " elles doivent s’entendre des Apôtres dans ce sens : " si vous approuvez la commisération d’Achimélech qui donne du pain à David pressé par la faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ? " — S. Chrys. (hom. 40.) Voyez comment il revient de nouveau sur la nécessité de la miséricorde, et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du pardon, en déclarant qu’ils sont innocents, comme il l’avait dit plus haut des prêtres. Il donne ensuite une nouvelle raison de leur innocence, en ajoutant : " Le Fils de l’homme est maître même du sabbat. " — Remi. Or, le Fils de l’homme, c’est lui-même, et voici le sens de ces paroles : Celui que vous regardez comme un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les créatures, et le maître du sabbat ; il peut donc changer la loi à son gré, puisque c’est lui qui l’a faite. — S. Aug. (cont. Faust, 16, 28.) Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis le jour du sabbat, pour condamner les Juifs d’alors et les Manichéens qui devaient venir plus tard, et qui n’osent arracher l’herbe, de peur de commettre un homicide.
 

S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, remarquons tout d’abord que ce discours commence par ces paroles : " Dans ce temps-là, " c’est-à-dire dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les disciples, c’est le monde ; le sabbat, c’est le repos ; la moisson, le progrès de ceux qui doivent embrasser la foi et s’avancer vers la maturité. Donc cette entrée dans le champ le jour du sabbat, c’est l’avènement du Seigneur dans le monde, lorsque la loi était comme frappée d’inactivité ; cette faim, c’est le désir qu’il avait du salut des hommes. — Rab. Ils cueillent des épis, lorsqu’ils attachent les hommes aux désirs de la terre ; ils broient ces épis lorsqu’ils dépouillent les âmes de la concupiscence de la chair ; ils mangent les grains, lorsqu’ils incorporent à l’Église les âmes qu’ils viennent de purifier. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 2.) Personne ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, s’il ne s’est dépouillé de ses vêtements charnels, selon cette recommandation de l’Apôtre : " Dépouillez-vous du vieil homme. " (Col 3.) — La Glose. Les Apôtres font cette action le jour du sabbat, c’est-à-dire dans l’espérance du repos éternel auquel ils invitent tous les hommes. — Rab. On peut dire aussi que ceux qui trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures, marchent le long des blés avec le Seigneur ; ils ont faim, parce qu’ils ont le désir d’y trouver le pain de vie, c’est-à-dire l’amour de Dieu ; ils arrachent les épis et ils les broient lorsqu’ils discutent les témoignages de l’Écriture pour y trouver ce qui est caché sous la lettre, et ils font cela le jour du sabbat, alors qu’ils sont plus libres des pensées tumultueuses du monde.

S. Hil. Les pharisiens, qui croyaient avoir entre leurs mains la clef des cieux, reprochent aux disciples d’avoir fait ce que la loi leur défendait. Le Seigneur leur répond en leur donnant un avertissement qui contient une espèce de prophétie ; et pour montrer que ce genre d’actions renfermait une souveraine efficacité, il ajoute : " Si vous saviez ce que signifient ces paroles : Je préfère la miséricorde au sacrifice. " En effet, l’oeuvre de notre salut ne dépend pas du sacrifice, mais de la miséricorde ; et, la loi cessant d’exister, nous sommes sauvés par la bonté de Dieu. Or, s’ils avaient compris la grandeur de ce don, jamais ils n’auraient condamné des innocents, c’est-à-dire les Apôtres, qu’ils accusaient par jalousie d’avoir transgressé la loi. Car les anciens sacrifices étant abrogés, la loi nouvelle, loi de miséricorde, venait au secours de tous les hommes par le moyen des Apôtres.

 

vv. 9-13.

S. Jér. Comme Notre-Seigneur avait victorieusement justifié ses disciples du reproche qu’on leur faisait d’avoir violé le jour du sabbat, les pharisiens s’attachent à le calomnier lui-même. " Étant parti de là, dit l’écrivain sacré, il vint dans leur synagogue. " — S. Hil. (can. 12.) Ce qui précède s’était passé au milieu des champs, et ce n’est qu’après qu’il entre dans la synagogue. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On pourrait croire que le fait des épis et la guérison que saint Matthieu raconte à la suite ont eu lieu le même jour, puisque dans ce dernier cas il fait encore mention du jour du sabbat, si d’ailleurs saint Luc ne nous apprenait qu’il opéra cette guérison un autre jour de sabbat. Cette manière de s’exprimer de saint Matthieu : " Et partant de là, il vint dans leur synagogue, " signifie donc seulement qu’il ne vint dans la synagogue qu’après avoir quitté le champ, sans indiquer si c’est immédiatement ou plusieurs jours après ; et cela suffit pour donner raison au récit de saint Luc, qui rattache cette guérison à un autre jour de sabbat.
 

S. Hil. (can. 12.) A peine est-il entré dans la synagogue, qu’ils lui présentent un homme dont la main est desséchée, et lui demandent s’il est permis de guérir le jour du sabbat, pour trouver dans sa réponse une occasion de le condamner. " Et il se trouva là un homme qui avait une main desséchée, et ils l’interrogeaient, " etc.
 

S. Chrys. (hom. 41.) Ils interrogent non pour s’instruire, mais pour trouver occasion de l’accuser, comme l’Évangéliste le dit clairement : " Afin de pouvoir l’accuser. " Le fait seul suffisait à leurs mauvais desseins, mais ils veulent le prendre dans ses paroles pour se ménager contre lui un plus grand nombre de sujets d’accusation. — S. Jér. Ils lui demandent s’il est permis de guérir le jour du sabbat, afin de l’accuser de cruauté, d’impuissance s’il s’en abstient, et de transgression de la loi s’il guérit cet homme.
 

S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) On peut être surpris de ce que saint Matthieu dit que ce sont les pharisiens eux-mêmes qui demandent au Seigneur s’il est permis de guérir le jour du sabbat, tandis que saint Marc et saint Luc racontent que c’est le Seigneur lui-même qui leur fait cette question : " Est-il permis de faire du bien le jour du sabbat ou de faire du mal ? " Il faut donc comprendre qu’ils l’interrogèrent les premiers, en lui demandant : " Est-il permis de guérir le jour du sabbat ? " Le Seigneur, voyant dans leur pensée qu’ils cherchaient une occasion de l’accuser, place au milieu d’eux celui qu’il devait guérir, et leur adresse la question rapportée par saint Marc et saint Luc (Mc 3, 4 ; Lc 6, 9) ; et comme ils gardent le silence, il leur propose la comparaison de la brebis, et il conclut en leur disant : " Il est donc permis de faire du bien les jours du sabbat. " Il leur répond donc en ces termes : " Quel est celui qui, parmi vous, ayant une brebis, " etc. — S. Jér. La réponse qu’il fait à cette question est une condamnation de leur avarice. Comment, leur dit-il, vous vous hâtez, le jour du sabbat, de retirer une brebis ou un autre animal de la fosse où ils sont tombés, et cela non point par compassion pour cet animal, mais par un sentiment de vil intérêt, et moi je ne devrais pas délivrer un homme qui vaut mille fois plus qu’une brebis ! — Rab. Cet exemple est parfaitement choisi pour répondre à leur question et pour leur prouver qu’ils violent continuellement le sabbat par esprit de cupidité, eux qui lui reprochent de le violer pour une oeuvre de charité, et qui, par une fausse interprétation de la loi, prétendent que les bonnes oeuvres sont interdites le jour du sabbat, tandis qu’on ne doit s’abstenir que des mauvaises ; c’est pour cela qu’il est dit : " Vous ne ferez pas ces jours-là d’oeuvres serviles, " c’est-à-dire de péchés. C’est ainsi que dans le repos éternel il y aura cessation du mal et non pas du bien. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 35.) La conclusion de cette comparaison, c’est qu’il est permis de faire de bonnes oeuvres le jour du sabbat. " Donc, leur dit-il, il est permis de faire du bien les jours du sabbat. "
 

S. Chrys. (hom. 41.) Remarquez que d’excuses différentes il apporte pour justifier la violation du sabbat ; mais comme la maladie de cet homme était incurable, il en vient à sa guérison. Alors il dit à cet homme : " Étendez votre main. " — S. Jér. Dans l’Évangile dont se servent les Nazaréens et les Ébionites, et que plusieurs regardent comme l’Évangile authentique de saint Matthieu, il est dit que cet homme, dont la main était desséchée, était maçon, et qu’il pria Jésus en ces termes : " J’étais maçon, demandant ma nourriture au travail de mes mains ; je vous en prie, ô Jésus, rendez-moi la santé, afin que je ne sois pas réduit à mendier honteusement mon pain. " — Rab. Jésus choisit le jour du sabbat de préférence pour enseigner et pour guérir, non-seulement en vue du sabbat spirituel, mais aussi à cause du grand concours de peuple qui était plus favorable au salut de tous, unique objet de ses désirs.
 

S. Hil. Dans le sens mystique, après le retour des champs où les Apôtres avaient cueilli les fruits de la moisson, Jésus vient dans la synagogue pour y préparer l’oeuvre d’une nouvelle moisson ; car plusieurs de ceux qui furent guéris se joignirent plus tard aux Apôtres. — S. Jér. Jusqu’à l’avènement du Dieu Sauveur, la main dans la synagogue des Juifs demeura desséchée et incapable des oeuvres de Dieu ; mais lorsqu’il fut venu sur la terre, les Apôtres rendirent l’usage de cette main droite à ceux qui embrassèrent la foi, et elle recouvra la même force d’action qu’auparavant. — S. Hil. Toute guérison se fait par la parole, et la main redevient semblable à l’autre, c’est-à-dire qu’elle devient propre au ministère du salut comme celle des Apôtres. Aussi le Sauveur apprend-il aux pharisiens à ne pas voir avec peine l’oeuvre du salut des hommes confiée aux Apôtres, puisqu’eux-mêmes, s’ils veulent croire, deviendront dignes du même ministère. — Rab. Ou bien cet homme, dont la main est desséchée, c’est le genre humain qui est devenu complètement stérile en bonnes oeuvres pour avoir étendu vers le fruit défendu cette main qu’a guérie une autre main innocente étendue sur la croix. C’est dans la synagogue que se trouve cette main desséchée, parce que la science, lorsqu’elle est départie avec abondance, expose à des fautes plus graves et sans excuse. Jésus commande d’étendre cette main desséchée qu’il veut guérir ; car l’infirmité d’une âme ne peut être guérie par un remède plus efficace que par d’abondantes aumônes. Cet homme avait la main droite desséchée, parce qu’elle était comme engourdie pour les oeuvres de charité ; sa main gauche était saine, parce qu’elle servait ses intérêts. A l’arrivée du Seigneur, la main droite devient saine comme la gauche, parce qu’elle distribue par un sentiment de charité ce qu’elle avait amassé par esprit d’avarice.

 

vv. 14-21.

S. Hil. (can. 12.) L’envie soulève contre Jésus l’esprit des pharisiens, parce qu’ils ne voyaient en lui que l’homme, et qu’ils ne voulaient pas y découvrir Dieu dans les oeuvres qu’il opérait. L’Évangéliste ajoute donc : " Mais les pharisiens, étant sortis, " etc. — Rab. Ils sortent, parce que leur âme s’est détournée de Dieu ; ils tinrent conseil pour prendre les moyens de perdre la vie et non de la trouver pour eux-mêmes. — S. Hil. (can. 42.) Jésus, connaissant leurs desseins, se retire pour s’éloigner de ce conseil d’iniquité. " Or, Jésus, le sachant, " etc. — S. Jér. Il se retire, parce qu’il connaît les piéges qu’ils veulent lui tendre, et qu’il veut leur ôter l’occasion d’exercer contre lui leurs projets impies. — Remi. Ou bien il se retire comme homme pour se dérober à leurs embûches, ou bien encore parce que ce n’était ni le temps ni le lieu où il devait souffrir ; car il ne convenait pas qu’un prophète fût mis à mort hors de Jérusalem, comme il le dit lui-même. (Lc 13.) Il s’éloigne encore de ceux qui le haïssent et le persécutent, pour aller où il trouvera un grand nombre de cœurs qui l’aiment et qui lui sont dévoués. C’est ce que l’Évangéliste nous indique en disant : " Et beaucoup de personnes le suivirent. " Ainsi, tandis que les pharisiens réunissent tous leurs efforts pour le perdre, une multitude sans instruction le suit, en professant pour lui un attachement unanime. Aussi ne tarde-t-il pas à récompenser leurs désirs ; il est dit, en effet : " Et il les guérit tous. " — S. Hil. Il commande à ceux qu’il guérit de garder le silence sur leur guérison. " Et il leur commanda de ne point le faire connaître. " La santé qu’il avait rendue à chacun d’eux était un témoignage en sa faveur ; mais en commandant le silence, ou en faisant une obligation du secret, il évite toute occasion de vaine gloire ; et cependant il se fait connaître par cela seul qu’il commande le secret, puisqu’on ne garde le silence qu’à l’égard d’une chose dont on ne doit point parler. — Hil. Il nous apprend aussi, lorsque nous avons fait quelque action importante, à ne point rechercher les louanges des hommes.

Remi. Un autre motif pour lequel il leur commande de ne point le découvrir, c’est afin de ne point rendre ses persécuteurs plus coupables. — S. Chrys. (hom. 41.) De peur que ces actes de folie, incroyables dans les pharisiens, ne vous jettent dans le trouble, Jésus apporte le témoignage du Prophète. Car l’exactitude des prophètes est si grande en ce qui concerne le Christ, qu’ils ont rapporté les moindres détails de sa vie, ses voyages, ses marches, et jusqu’aux intentions qui le faisaient agir, pour vous montrer que toutes ces choses leur étaient dictées par l’Esprit saint. Il est impossible, en effet, de connaître les pensées d’un homme, à plus forte raison les intentions du Christ, à moins que l’Esprit saint ne les révèle. L’Évangéliste ajoute donc : " Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : " Voici mon serviteur, " etc. — Remi. Notre-Seigneur est appelé le serviteur du Dieu tout-puissant, non pas comme Dieu, mais suivant l’économie de son incarnation ; car par la coopération du Saint-Esprit il a pris dans le sein de la Vierge une chair exempte de la tache du péché. Quelques exemplaires portent : " L’élu que j’ai choisi ; " car il a été choisi, c’est-à-dire prédestiné par Dieu le Père, pour être non pas son fils adoptif, mais son propre fils. — Rab. Il dit : " Je l’ai choisi " pour une oeuvre que nul autre n’a faite, pour racheter le genre humain, et rétablir la paix entre le monde et Dieu.
 

Suite. " Mon bien-aimé, en qui j’ai mis mon affection, " car lui seul est cet Agneau sans tache dont le Père a dit : " Voici mon Fils bien-aimé en qui mon âme a mis ses complaisances. " — Remi. Ces paroles : " Mon âme, " ne doivent pas être entendues en ce sens que Dieu le Père ait une âme comme la nôtre ; c’est par métaphore que le prophète lui attribue une âme pour exprimer son affection. Et en cela rien d’étonnant, puisque nous lui attribuons de la même manière les différents membres de notre corps. — S. Chrys. (hom. 41.) Le Prophète a commencé par l’énumération de ces deux caractères, pour vous indiquer que tout ce qui suit s’est fait selon le bon plaisir du Père ; car celui qui est aimé agit conformément à la volonté de celui qui l’aime. De même celui qui est élu ne détruit pas la loi par opposition à celui qui l’a choisi, il ne se présente pas comme l’ennemi du législateur, mais comme en parfaite harmonie avec lui. Or, c’est parce qu’il est mon bien-aimé que " je ferai reposer mon esprit sur lui. " — Remi. Dieu le Père fit reposer son esprit sur lui, lorsque par l’opération du Saint-Esprit il prit un corps dans le sein de la Vierge Marie, et lorsqu’étant fait homme, il fut inondé de la plénitude de l’Esprit saint.
 

S. Jér. L’Esprit saint repose non pas sur le Verbe de Dieu, sur ce Fils unique qui sort du sein du Père (Jn 1, 18 ; 8, 4), mais sur celui dont il a été dit : " Voici mon serviteur. " Que doit-il opérer par son ministère ? Écoutez la suite : " Il annoncera la justice aux nations. " — S. Aug. (Cité de Dieu, 21, 30.) C’est qu’en effet, il est venu annoncer le jugement à venir à ceux qui l’ignoraient. — S. Chrys. (hom. 41.) Il fait ensuite connaître son humilité, en ajoutant : " Il ne disputera point, " car il s’est offert selon le bon plaisir de son Père, et il s’est livré de lui-même entre les mains de ses persécuteurs. " Il ne criera point, " car il s’est tu comme un agneau devant celui qui le tond. " Personne n’entendra sa voix sur les places publiques. " — S. Jér. La voie qui conduit à la perdition est large et spacieuse, et il en est beaucoup qui la prennent ; or il en est beaucoup qui n’entendent pas la voix du Sauveur, parce qu’ils sont non dans la voie étroite, mais dans la voie large (Mt 7, 13). — Remi. Le mot grec ???????, correspondant au mot latin platea, place publique, veut dire étendue ; personne donc n’a entendu sa voix dans les lieux spacieux, parce qu’il a promis à ceux qui l’aiment, non pas les jouissances de la vie, mais de rigoureuses privations.

S. Chrys. (hom. 41.) Le Sauveur voulait, par cette douceur, guérir l’esprit des Juifs ; mais bien qu’ils aient rejeté les avances de sa bonté, il ne voulut pas leur résister en les détruisant. Aussi le Prophète nous fait-il connaître à la fois sa puissance et leur faiblesse dans les paroles suivantes : " Il ne brisera pas le roseau cassé, et il n’éteindra pas la mèche qui fume encore. " — S. Hil. Celui qui ne tend pas la main au pécheur, et qui ne porte point le fardeau dont son frère est chargé, achève de briser le roseau cassé ; et celui qui méprise la plus petite étincelle de foi dans le dernier des croyants, éteint la mèche qui fume encore. S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30.) Il ne voulut donc ni briser ni éteindre les Juifs ses persécuteurs, comparés ici au roseau brisé, parce qu’ils n’avaient plus leur intégrité, et à la mèche qui fume, parce qu’ils avaient perdu la lumière ; cependant il leur pardonne, car il n’était pas encore venu pour les juger, mais pour être jugé par eux. — S. Aug. (Quest. évang., 2, 3.) A l’occasion de cette mèche qui fume, remarquez qu’en perdant sa lumière, elle exhale une mauvaise odeur.

S. Chrys. (hom. 41.) Ou bien par ces paroles : " Il n’achèvera pas de briser le roseau cassé ", il leur fait voir qu’il lui était facile de les briser tous, comme on brise un roseau, et non pas un roseau quelconque, mais un roseau déjà cassé. Ce qui suit : " Il n’éteindra pas la mèche qui fume encore, " nous montre leur fureur allumée contre lui, et la toute-puissance de Jésus-Christ pour éteindre cette fureur avec la plus grande facilité, et c’est en cela qu’il fait paraître l’excès de sa douceur. — S. Hil. (can. 12.) Ou bien par ce roseau qu’il n’achève pas de briser, il nous apprend que les nations fragiles et déjà brisées, n’ont pas été broyées entièrement, mais qu’elles ont été réservées pour le salut ; et en ajoutant : " Il n’éteindra pas la mèche qui fume encore, " il nous montre que la dernière étincelle de feu n’est pas éteinte dans cette mèche qui fume encore, c’est-à-dire que l’esprit de la grâce ancienne n’a pas entièrement disparu du milieu des restes d’Israël, parce qu’elles ont conservé, avec la faculté de faire pénitence, le pouvoir de recouvrer la lumière dans tout son éclat. — Rab. Ou bien, au contraire, ce roseau brisé, ce sont les Juifs agités par le vent, et dispersés bien loin les uns des autres. Cependant le Seigneur ne les condamne pas immédiatement, mais il les supporte avec patience. Cette mèche qui fume encore serait alors le peuple, formé des nations, qui, après avoir éteint dans son cœur la chaleur de la loi naturelle, était enveloppé de toutes parts d’erreurs. ténébreuses, semblables à une épaisse fumée qui blesse les yeux. Or, non seulement le Seigneur n’éteignit pas cette mèche fumante, et ne la réduisit pas en cendres, mais au contraire il fit jaillir de cette étincelle la flamme la plus vive et le feu le plus ardent.

S. Chrys. (hom. 41.) On pourra peut-être objecter : Quoi donc, en sera-t-il toujours ainsi ? supportera-t-il jusqu’à la fin ceux qui se laissent emporter à cet excès de malignité et de folie ? Non ; mais lorsque sa mission sera terminée, il passera à un autre ordre de choses, et c’est ce qu’il nous déclare par ces mots : " Jusqu’à ce qu’il fasse triompher la justice de sa cause. " Comme s’il disait : Lorsqu’il aura accompli l’objet de sa mission, ce sera le tour de la vengeance absolue ; car alors ses ennemis seront sévèrement châtiés, lorsqu’il aura rendu son triomphe si éclatant qu’il n’y aura plus de place pour leurs insolentes contradictions. — S. Hil. (can. 12.) Ou bien jusqu’à ce qu’il fasse triompher le jugement en dépouillant la mort de toute sa puissance et en faisant revenir avec lui la justice dans son retour triomphant. — Rab. Ou bien encore jusqu’à ce que le jugement dont il était l’objet aboutisse à une victoire éclatante, car après avoir triomphé de la mort par sa résurrection, après avoir chassé le prince de ce monde, il est rentré triomphant dans le royaume des cieux et s’est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il ait réduit tous ses ennemis sous ses pieds (1 Co 1, 15.) — S. Chrys. (hom. 41.) Mais sa puissance ne se bornera pas à punir ceux qui auront refusé de croire en lui, il entraînera encore après lui tout l’univers : " Et les nations espéreront en son nom. " — S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 30.) Nous voyons déjà l’accomplissement de cette dernière partie de la prophétie, et cet accomplissement qui est incontestable nous garantit l’accomplissement du jugement dernier, que quelques-uns ont la témérité de nier, jugement qui aura lieu sur la terre parce que le Christ descendra lui-même du haut des cieux. En effet, qui aurait jamais cru que les nations espéreraient dans le nom du Christ, alors qu’il était au pouvoir de ses ennemis, chargé de chaînes, frappé de verges, bafoué et attaché sur une croix, et quand ses disciples eux-mêmes avaient perdu le peu d’espérance qu’ils avaient placée en lui. Ce qu’alors un voleur seul avait à peine espéré sur la croix, est devenu l’objet de l’espérance de toutes les nations répandues sur la face de la terre, et tous les hommes recourent au signe de cette croix sur laquelle il est mort pour se garantir eux-même de la mort éternelle. Que personne donc ne doute que Jésus-Christ n’accomplisse un jour ce dernier jugement tel qu’il a été prédit.

Remi. Remarquons que ce témoignage du prophète ne vient pas confirmer seulement la vérité de ce passage, mais la vérité d’une multitude d’autres. Ainsi ces paroles : " Voici mon serviteur, " se rapportent à cet endroit où le Père dit : " Celui-ci est mon Fils, " (Mt 3) ; et ces autres : " Je placerai mon esprit en lui, " au miracle de l’Esprit saint descendant sur le Seigneur au moment de son baptême. (Lc 3.) Ce qu’il ajoute : " Il annoncera la justice aux nations, " se rapporte à ce que saint Matthieu dit ailleurs : " Lorsque le Fils de l’homme s’assiéra sur le trône de sa gloire. " (Mt 25) Ces autres paroles : " Il ne disputera ni ne criera " se sont vérifiées lorsque le Seigneur ne répondit presque rien au prince des prêtres et à Pilate (Mt 26, 27), et qu’il garda un silence absolu devant Hérode (Lc 23). Ce qui suit : " Il n’achèvera pas de briser le roseau cassé " se rapporte à ce trait de la vie du Sauveur où il se dérobe à la fureur de ses ennemis pour leur éviter un plus grand crime (Jn 7 et 8) ; enfin ces paroles : " Les nations espéreront en son nom " peuvent se rapporter à ce passage de saint Matthieu : " Allez, enseignez toutes les nations. " (Mt 28.)

 

vv. 23-24.

La Glose. — Le Seigneur venait de réfuter les calomnies des pharisiens qui lui reprochaient de faire des miracles le jour du sabbat ; mais comme, par une méchanceté plus noire encore, ils dénaturaient les miracles eux-mêmes qu’il opérait par une vertu toute divine en les attribuant à l’esprit impur, 1’Évangéliste raconte le prodige qui fut pour eux l’occasion de ce blasphème : " Alors on lui présenta un possédé. "
 

Remi. Ce mot alors se rapporte au moment où il sortait de la synagogue après avoir guéri cet homme dont la main était desséchée. Ou bien cette expression alors signifie un espace de temps plus étendu et voudrait dire alors qu’il prononçait tous les discours, ou qu’il faisait les oeuvres qui sont ici racontés. — S. Chrys. (hom. 41.) Quelle malice surprenante dans le démon ! il avait fermé les deux passages par lesquels la foi aurait pu entrer dans cet homme, c’est-à-dire la vue et l’ouïe ; mais le Seigneur va ouvrir l’un et l’autre : " Et il le guérit, " ajoute l'Evangéliste. — S. Jér. Nous voyons ici trois prodiges opérés dans un seul homme : l’aveugle voit, le muet parle, le possédé est délivré du démon, et ce miracle extérieur et sensible se renouvelle tous les jours dans la conversion de ceux qui embrassent la foi ; après que le démon est chassé de leur âme ils voient la lumière de la foi, et leur bouche, jusqu'alors muette, s’ouvre pour proclamer les louanges de Dieu. — S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Ce n'est pas sans un dessein particulier de Dieu qu’après avoir parlé d'une multitude de personnes guéries en commun, l’Évangéliste nous raconte la guérison particulière d'un homme qui était tout à la fois possédé, aveugle et muet. Il convenait en effet qu'après la guérison dans la synagogue de l’homme dont la main était desséchée, celui dont il est ici question devînt la figure de la guérison spirituelle des nations, et qu'après avoir été possédé du démon, aveugle et muet, il devint l'habitation de Dieu, vît et reconnut le vrai Dieu dans la personne du Christ et rendît gloire à Dieu pour les œuvres qu’il opérait. — S. Aug. (Quest. Evang., 2, 4.) Celui qui ne croit point et qui est l’esclave du démon est tout à la fois possédé, aveugle et muet; il ne comprend pas, il ne confesse pas la foi ou il ne rend pas gloire à Dieu. — S. Aug. (De l’accord des Evang., 2, 37.) Ce n’est pas dans le même ordre que saint Luc raconte ce fait (Lc 11) ; il parle d’un muet seulement, sans ajouter qu'il fût aveugle; mais de ce qu'il omet une circonstance de ce genre, on ne peut conclure qu’il veut raconter une guérison différente, car la suite de son récit revient à celui de saint Matthieu.

S. Hil. (can. 12.) A la vue de ce miracle, la foule est dans l'étonnement, mais l’envie des pharisiens ne fait que s’accroître : " Et tout le peuple étonné disait : N’est-ce point là le fils de David ? " — La Glose. Ils l'appellent le Fils de David à cause de sa bonté et de ses bienfaits. — Rab. Tandis que le peuple moins instruit ne cessait d'admirer les prodiges du Sauveur, ceux-ci s’appliquaient toujours à les nier, ou, lorsqu'ils ne le pouvaient, à les révoquer du moins en doute, à les dénaturer par des interprétations malveillantes, comme s'ils étaient l'œuvre non pas de la divinité, mais de l’esprit immonde, de Beelzébub qui passait pour le dieu d’Accaron. C’est ce qu’ils firent dans cette circonstance. " Les pharisiens entendant cela dirent : Cet homme ne chasse les démons que par Beelzébub, prince des démons. "

Remi. Beelzébub n’est autre chose que Beel ou Baal, ou Beelphégor. Beel fut le père de Ninus, roi des Assyriens; il fut appelé Baal parce qu’on l’adorait sur les hauteurs, et Beelphégor à cause de la montagne de Phéga, où son idole était placée. Zébul fut un serviteur d’Abimélech, fils de Gédéon. C’est cet Abimélech qui, après le meurtre de ses soixante-dix frères, éleva un temple à Baal et y établit prêtre Zébub pour chasser les mouches qui s’y rassemblaient en grand nombre à cause de la grande quantité de sang des victimes immolées (cf. Jg 9, 28); car Zébub signifie mouche et Beelzébub veut dire l’homme des mouches. Ils l’appelaient prince des démons à cause des impuretés qui déshonoraient son culte. Ne trouvant donc rien de plus infâme à objecter contre le Sauveur, ils disaient que c’était par Beelzébub qu’il chassait les démons. Il faut remarquer que ce nom doit être écrit avec un b à la fin et non avec un t ou avec un d, comme on le voit dans quelques exemplaires fautifs.

 

vv. 25-26.

S. Jér. Les pharisiens attribuaient au prince des démons les oeuvres de Dieu ; Notre-Seigneur répond non à ce qu’ils disaient mais à ce qu’ils pensaient au-dedans d’eux-mêmes (cf. Ps 7, 9 ; Jr 17, 10), pour les forcer de croire à la puissance de Celui qui voyait le fond des cœurs. " Or Jésus connaissant leurs pensées, " etc. — S. Chrys. (hom. 42 sur S. Matth.) Ils avaient déjà accusé plus haut le Seigneur de chasser les démons par Beelzébub, sans qu’il les en eût repris ; il voulait laisser à la multitude de ses miracles de leur faire connaître sa puissance, et à sa doctrine de révéler sa grandeur ; mais comme ils persévéraient dans cette interprétation calomnieuse, il leur en fait des reproches sévères, bien que cette accusation n’eût pas le moindre fondement, car l’envie n’examine pas la nature de ses accusations, pourvu qu’elle accuse. Cependant Jésus ne leur répond point avec mépris, mais ses paroles sont pleines de douceur et de dignité pour nous apprendre à être doux envers nos ennemis, à ne point nous troubler alors même qu’ils nous accuseraient de choses que nous ne reconnaissons pas en nous et qui n’ont aucun fondement. Cette conduite fait même ressortir l’odieux de leurs calomnies, car un possédé du démon n’aurait pu faire ni paraître une aussi grande douceur, ni connaître les pensées des cœurs. C’est du reste parce que leurs accusations étaient dépourvues de toute raison, qu’ils redoutaient la multitude, et qu’ils n’osaient rendre publique cette accusation contre le Christ ; ils se contentaient de l’agiter au fond de leur cœur. C’est pour cela que l’Évangéliste dit : " Or, Jésus connaissant leurs pensées. " Le Sauveur, dans sa réponse, ne relève point cette volonté qu’ils avaient de l’accuser ; il ne divulgue pas leur méchanceté, il se contente de leur répondre, car son désir était d’être utile aux pécheurs et non pas de dévoiler leurs crimes. Il ne se justifie point non plus à l’aide de témoignages de 1’Écriture, car ils n’y auraient fait aucune attention et les auraient expliqués dans un autre sens, mais il tire sa réponse des choses qui arrivent ordinairement. Les guerres qui viennent de l’extérieur sont bien moins funestes que les guerres civiles : c’est ce qui se vérifie également pour tous les corps comme pour tous les êtres. Mais le Seigneur emprunte ses exemples aux choses qui sont plus connues : " Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné, " etc. Rien n’est plus puissant sur la terre qu’un royaume, cependant la division est pour lui un principe certain de ruine ; que dire après cela d’une ville, d’une maison, divisées contré elles-mêmes. Grand ou petit, tout ce qui combat contre soi-même se détruit nécessairement. — S. Hil. (can. 12.) Le sort d’une maison ou d’une cité est ici le même que celui d’un royaume ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Toute ville ou toute maison divisée contre elle-même ne pourra subsister. " — S. Jér. De même que la concorde fait croître les plus petites choses, ainsi la division fait tomber les plus grandes.
 

S. Hil. (can. 12) La parole de Dieu est riche et féconde, et soit qu’on l’entende dans le sens le plus simple, soit qu’on pénètre dans ses profondeurs, elle est indispensable à tout progrès de l’âme. Laissons donc de côté l’interprétation commune assez claire d’elle-même, et arrêtons-nous au sens intime de ces paroles. Le Seigneur, ayant à repousser l’accusation de faire des miracles par Béelzébub, fait retomber cette accusation sur ses auteurs. En effet, la loi vient de Dieu et la promesse du royaume d’Israël découle de la loi : si le royaume de la loi est divisé contre lui-même, il faut nécessairement qu’il se détruise, et c’est ainsi que le royaume d’Israël a perdu la loi, alors que le peuple de la loi attaquait dans le Christ l’accomplissement de la loi. C’est la ville de Jérusalem qui est ici désignée, elle qui, après avoir dirigé contre le Christ tous les flots de la fureur populaire et mis en fuite les Apôtres avec la multitude des croyants, ne tiendra pas contre cette division, et le Sauveur prédit ici la ruine de cette ville, qui suivit de près cette division. Il ajoute ensuite : Et si Satan chasse Satan, comment son royaume subsistera-t-il ? — S. Jér. C’est-à-dire : Si Satan combat contre lui-même et si le démon se déclare l’ennemi du démon, la fin du monde devrait être proche, car il n’y aurait plus de place pour ces puissances ennemies dont les divisions assurent la paix aux hommes. — La Glose. Le Seigneur les renferme donc dans un dilemme dont ils ne peuvent sortir : ou bien le Christ chasse le démon par la puissance de Dieu, ou bien par la vertu du prince des démons. Si c’est par la puissance de Dieu, vos calomnies tombent à faux ; si c’est par le prince des démons, le royaume des démons est donc divisé contre lui-même, et il ne peut subsister. C’est pour cela que les pharisiens se retirent de son royaume, et le Sauveur insinue que c’est de leur propre choix, parce qu’ils ont refusé de croire en lui. — S. Chrys. (hom. 42.) Ou bien si ce royaume est divisé, il s’est affaibli par cette division et il est perdu ; et, s’il est perdu, comment peut-il en renverser un autre ? — S. Hil. (can. 12.) Ou bien encore si le démon est forcément l’auteur de cette division intestine, et qu’il porte le trouble parmi les démons eux-mêmes, il faut en conclure que celui qui est parvenu à les diviser a plus de puissance que ceux qu’il a divisés ; donc le royaume du démon, devenu le théâtre d’une telle division, est détruit. — S. Jér. Si vous pensez, scribes et pharisiens, que les démons se retirent pour obéir à leurs chefs, pour tromper par cette démarche simulée les hommes ignorants, que pouvez-vous dire de ces guérisons miraculeuses dont le Sauveur est l’auteur ? A moins que vous ne reconnaissiez aussi dans le démon la puissance de guérir les infirmités du corps et le pouvoir d’opérer des prodiges spirituels.

 

vv. 27-28.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette première réponse, Notre-Seigneur en ajoute une seconde beaucoup plus évidente encore : " Et si c’est par Béelzébub que je chasse les démons, par qui vos enfants les chasseront-ils ? " Par les enfants des Juifs, il entend les exorcistes établis par la loi ou les Apôtres sortis de la nation juive. S’il veut parler des exorcistes qui chassaient les démons en invoquant le nom de Dieu, il force les pharisiens par cette question adroite de reconnaître en eux l’oeuvre de l’Esprit saint ? Si le pouvoir de chasser les démons, leur dit-il, est dans vos enfants l’oeuvre de Dieu, et non pas des démons, pourquoi cette puissance aurait-elle en moi un autre principe ? Ils seront donc eux-mêmes vos juges, non par la puissance qu’ils exerceront sur vous, mais par l’opposition de leur conduite avec la vôtre, puisque c’est à Dieu qu’ils font remonter le pouvoir de chasser les dénions, tandis que vous l’attribuez au prince des démons. Si au contraire ces paroles doivent s’entendre des Apôtres, ce qui est plus probable, ils seront leurs juges, parce qu’ils siégeront sur douze siéges pour juger les douze tribus d’israël. (Mt 19.) — S. Hil. (can. 12.) Or, c’est à juste titre que les Apôtres seront établis leurs juges, eux qui ont été revêtus du pouvoir de chasser les démons, pouvoir que les pharisiens ont refusé de reconnaître dans le Christ lui-même. — Rab. Ou bien encore, c’est parce que les Apôtres avaient la conscience que le Christ ne les avait initiés à aucune science funeste.

S. Chrys. (hom. 42.) Le Sauveur ne dit pas ici : Mes disciples, ni mes Apôtres, mais " vos enfants, " afin de leur donner toute facilité de reprendre leur dignité, ou, s’ils persévéraient dans leur ingratitude, d’ôter toute excuse à leur impudence. Or, les Apôtres chassaient les démons en vertu du pouvoir que le Sauveur lui-même leur avait donné ; cependant les pharisiens ne songeaient pas à les accuser, car ce n’était pas le fait lui-même qu’ils attaquaient, mais la personne du Christ. Il prend les Apôtres pour exemple, afin de leur prouver que c’était sous l’inspiration de l’envie qu’ils parlaient ainsi de lui. Il les conduit ensuite de nouveau à la connaissance de lui-même, en leur démontrant qu’ils sont les ennemis déclarés de leur propre bonheur, et qu’ils s’opposent à leur salut, tandis qu’ils devraient se réjouir de ce qu’il était venu pour leur communiquer des biens ineffables. Or, poursuit-il, si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à vous. " Il leur montre par là que chasser les démons n’est pas l’effet d’une grâce ordinaire ; mais un acte de puissance extraordinaire, et c’est pour établir cette vérité qu’il tire cette conclusion : " Donc le royaume de Dieu est parvenu jusqu’à vous. " Comme s’il disait : S’il en est ainsi, vous ne pouvez douter de la venue du Fils de Dieu sur la terre. Mais il laisse cette conséquence dans l’obscurité, pour ne pas leur être insupportable. Au contraire, comme il veut les attirer à lui, il ne se contente pas de dire : Le royaume de Dieu est arrivé, mais " il est arrivé jusqu’à vous. " Il semble leur dire : Les biens vous arrivent et se répandent sur vous ; pourquoi donc vous déclarer contre ce qui doit être votre salut ? Ces oeuvres si grandes de la puissance divine ont été prédites par tous les prophètes comme le signe de la présence du Fils de Dieu sur la terre. — S. Jér. Il se désigne lui-même comme ce royaume de Dieu, dont il est dit ailleurs : " Le royaume de Dieu est au milieu de vous. " (Lc 17 ;) Et encore : " Il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. " (Jn 1.) Ou bien encore, c’est ce royaume que Jean-Baptiste et le Seigneur lui-même ont annoncé en ces termes : " Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche. " (Mt 3.) Il est un troisième royaume de la sainte Écriture qui est enlevé aux Juifs pour être donné à une nation qui lui fera porter des fruits. (Mt 21.) — S. Hil. (can. 12.) Si donc les disciples agissent par la vertu du Christ, et que le Christ agisse lui-même par la vertu de l’Esprit saint, le royaume de Dieu arrive, puisqu’il a été communiqué aux Apôtres par le ministère du médiateur lui-même. — La Glose. On peut dire aussi que l’affaiblissement du pouvoir du démon est une augmentation du royaume de Dieu. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 5.) On peut donc donner aussi cette explication : Si je chasse les démons par Béelzébub, même dans votre pensée, le royaume de Dieu est parvenu jusqu’à vous ; car ce royaume du démon qui, de votre aveu, est divisé contre lui-même, ne peut subsister. Ce royaume de Dieu dont il parle, c’est celui où les impies subissent leur condamnation, et où ils sont séparés des fidèles qui font maintenant pénitence de leurs péchés.
 

 

v. 29.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette seconde réponse, Notre-Seigneur en ajoute encore une troisième : " Comment quelqu’un peut-il entrer dans la maison du fort ? " etc. Que Satan ne puisse chasser Satan, c’est chose évidente d’après ce qui précède, et il est également hors de doute que personne ne peut le chasser sans l’avoir tout d’abord vaincu. Notre-Seigneur reproduit donc, mais avec une nouvelle force, la raison qu’il a donnée précédemment : Je suis si loin de demander au démon son appui, que je suis en guerre avec lui et que je le tiens captif, et la preuve, c’est que j’enlève tout ce qu’il possède. C’est ainsi qu’il établit le contraire de ce que ses ennemis cherchaient à lui reprocher. Que voulaient-ils en effet ? Persuader que ce n’était point par sa propre puissance qu’il chassait les démons. Or, il leur démontre qu’il a fait captifs, non-seulement les démons, mais leur chef lui-même. Ce qu’il a fait le prouve suffisamment. Car comment, sans l’avoir réduit le premier, aurait-il pu se rendre maître des démons qui sont sous ses ordres ? Ces paroles contiennent, à mon avis, une prophétie ; car non-seulement il chasse actuellement les démons, mais il fera disparaître l’erreur de toute la face de la terre, et détruira tous les artifices du démon. Il ne dit pas : Il enlèvera, mais : " Il arrachera, " pour montrer la puissance avec laquelle il agit. — S. Jér. La maison du démon, c’est le monde qui est soumis à l’empire du malin esprit, non par la volonté de son Créateur, mais par la grandeur de sa faute. Le fort a été chargé de chaînes, relégué dans l’enfer et brisé sous les pieds du Seigneur. Toutefois nous ne devons pas être sans crainte ; car notre adversaire est proclamé " le fort " par la bouche même de son vainqueur. — S. Chrys. (hom. 42.) Il l’appelle le fort, pour exprimer son antique tyrannie, due tout entière à notre lâcheté. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 5.) Satan tenait les hommes captifs, et ils ne pouvaient s’arracher de ses mains par leurs propres forces, si la grâce de Dieu n’était venu les délivrer. Ce qu’il appelle ses armes, ce sont les infidèles. Il a lié le fort en lui enlevant le pouvoir qu’il avait de s’opposer à la volonté des fidèles qui veulent suivre le Christ, et conquérir le royaume de Dieu. — Rab. Il a pillé sa maison, parce qu’il a délivré des pièges du démon, pour les réunir à son Église, ceux qu’il avait prévus devoir être à lui, ou bien lorsqu’il a donné le monde entier à convertir à ses Apôtres et à leurs successeurs. Par cette comparaison si claire, il leur montre donc qu’il n’est point associé aux opérations mensongères du démon, comme ils l’en accusaient faussement, mais que c’est par la puissance divine qu’il a délivré les hommes de la tyrannie des démons.

 

v. 30.

S. Chrys. (hom. 42.) A cette troisième raison en succède une quatrième : " Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. " — S. Hil. (can. 12.) Jésus fait connaître combien il s’en faut qu’il ait emprunté la moindre puissance au démon, et il nous laisse entrevoir combien il est dangereux de se faire une mauvaise idée de lui, puisque ne pas être avec lui c’est être contre lui. — S. Jér. Il ne faut pas croire cependant que ces paroles se rapportent aux hérétiques et aux schismatiques, quoiqu’on puisse les leur appliquer par extension ; car le contexte et la suite du récit nous forcent de les entendre du démon, en ce sens qu’on ne peut comparer les oeuvres du Seigneur aux oeuvres de Béelzébub. Le désir du démon, c’est de tenir les âmes captives ; le désir du Seigneur, c’est de les délivrer ; l’un prêche le culte des idoles, l’autre la connaissance du vrai Dieu ; le démon entraîne au mal, le Sauveur rappelle à la pratique des vertus. Or, quel accord est possible entre ceux dont les oeuvres sont si contraires ?

S. Chrys. (hom. 42.) Comment donc celui qui n’amasse pas avec moi et qui n’est pas avec moi, peut-il être d’accord avec moi pour chasser les démons ? il désire bien plutôt disperser et détruire ce qui m’appartient. Mais dites moi, si vous aviez un combat à livrer, celui qui ne voudrait pas venir à votre secours ne serait point par là même contre vous. Car le Seigneur lui-même a dit dans un autre endroit : " Celui qui n’est pas contre vous est pour vous. " Il n’y a point ici de contradiction entre ces deux passages : d’un côté le Seigneur veut parler du démon qui est en guerre ouverte avec lui ; de l’autre, d’un homme qui était en partie avec les disciples, et dont ils disaient : " Nous avons vu un homme chasser les démons en votre nom. " Ce sont les Juifs qu’il paraît surtout avoir ici en vue, et qu’il range dans le parti du démon ; ils étaient en effet contre lui, et ils dispersaient ce qu’il cherchait à réunir. On peut admettre aussi qu’il veut parler de lui-même, car il était l’ennemi déclaré du démon, et s’efforçait de détruire ses oeuvres.

 

vv. 31-32.

S. Chrys. (hom. 42.) Le Seigneur a répondu aux pharisiens en justifiant sa conduite ; il leur inspire maintenant une salutaire frayeur. Car une partie importante de la correction, c’est non-seulement de justifier sa manière d’agir, mais aussi d’y ajouter les menaces. — S. Hil. (can. 12.) Il prononce un jugement sévère contre l’opinion injuste des pharisiens et contre la perversité de ceux qui la partagent, en promettant le pardon de tous les péchés, mais en le refusant au blasphème contre l’Esprit. " C’est pourquoi je vous déclare que tout péché et tout blasphème sera remis. " — Remi. Remarquons, toutefois, que le pardon n’est pas accordé indistinctement à tout le monde, mais à ceux qui auront fait une pénitence proportionnée à leurs péchés. Ces paroles sont la condamnation de l’erreur de Novatien, qui prétendait que les fidèles ne pouvaient se relever de leurs chutes par la pénitence, ni mériter le pardon de leurs péchés, surtout ceux qui avaient renoncé la foi dans les persécutions.

" Mais le blasphème contre le Saint-Esprit ne leur sera point remis. " — S. Aug. (serm. sur les paroles du Seig.) Quelle différence entre cette locution : " Le blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné, " et cette autre que nous lisons dans saint Luc : " Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit saint, il ne lui sera pas remis " (Lc 11), si ce n’est que la pensée est rendue plus clairement d’une façon que de l’autre, et que le second Évangéliste explique le premier sans le contredire ? En effet, cette expression : le blasphème de l’Esprit, a quelque obscurité, parce qu’on ne dit pas de quel esprit il s’agit, et c’est pour la faire disparaître que Notre-Seigneur ajoute : " Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l’homme. " Après avoir parlé en général de toute espèce de blasphème, il veut spécifier en particulier le blasphème contre le Fils de l’homme, blasphème qui nous est représenté comme un péché très grave dans l’Évangile de saint Jean, où nous lisons : " Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement ; de péché, parce qu’ils n’ont pas cru en moi. " (Jn 16.) — Le Sauveur ajoute : " Mais celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point pardonné. " Ces paroles ne signifient donc pas que dans la Trinité l’Esprit saint est supérieur au Fils, erreur que n’a jamais soutenue personne, pas même les hérétiques.

S. Hil. (can. 12.) Qu’y a-t-il de plus impardonnable que de nier la nature divine dans le Christ, que de le dépouiller de la substance de l’Esprit du Père qui demeure en lui, alors qu’il opère toutes ses oeuvres par l’Esprit de Dieu, et que Dieu est en lui pour se réconcilier le monde ? — S. Jér. Ou bien ce passage doit être entendu ainsi : Si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, scandalisé qu’il est par la chair dont je suis revêtu, et ne voyant en moi qu’un homme, cette opinion, bien qu’elle soit un blasphème et une erreur coupable, sera cependant digne de pardon, à cause de la faiblesse de la nature humaine qui paraît en moi ; mais celui qui, en présence d’oeuvres incontestablement divines dont il ne peut nier la puissance, osera cependant me calomnier sous l’inspiration de l’envie, et dire que le Christ, le Verbe de Dieu, et les oeuvres de l’Esprit saint doivent être attribuées à Béelzébub, ne peut espérer de pardon ni dans ce monde ni dans l’autre. — S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig.) Si tel était le sens de ces paroles, il ne serait question d’aucun autre blasphème, et le seul qui serait irrémissible serait le blasphème contre le Fils de l’homme, c’est-à-dire celui qui ne veut voir en lui qu’un homme. Mais comme il a commencé par dire : " Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, " il est hors de doute que le blasphème contre le Père lui-même est compris dans cette proposition générale ; et le seul blasphème qu’il déclare irrémissible est celui qui attaque l’Esprit saint. Est-ce que le Père lui-même a pris la forme d’un esclave, de manière que sous ce rapport l’Esprit saint lui soit supérieur ? Et quel est celui qu’on ne pourrait convaincre d’avoir parlé contre l’Esprit saint avant qu’il devint chrétien et catholique ? Est-ce que d’abord les païens, lorsqu’ils osent attribuer les miracles de Jésus-Christ à des opérations magiques, ne sont pas semblables à ceux qui lui reprochaient de chasser les démons au nom du prince des démons ? Et les Juifs eux-mêmes, et tous les hérétiques qui confessent l’Esprit saint, mais qui nient sa présence perpétuelle dans le corps du Christ, qui est l’Église catholique, ressemblent aux pharisiens qui niaient que l’Esprit saint fût en Jésus-Christ. D’ailleurs, il y a eu des hérétiques, comme les Ariens, les Eunomiens et les Macédoniens, qui ont osé soutenir que l’Esprit saint n’était qu’une créature, ou qui ont nié son existence, jusqu’à prétendre que le Père seul était Dieu, et qu’on lui donnait tantôt le nom de Fils, tantôt le nom de l’Esprit saint ; ce sont les Sabelliens. Les Photiniens soutiennent aussi que le Père seul est Dieu, que le Fils n’est qu’un homme, et ils nient complètement l’existence de la troisième personne, de l’Esprit saint. Il est donc évident que les païens, les hérétiques et les Juifs blasphèment contre l’Esprit saint. Faut-il donc les abandonner ou les considérer comme n’ayant plus d’espérance ? Si le blasphème qu’ils ont proféré contre l’Esprit saint, ne doit pas leur être remis, c’est donc inutilement qu’on leur promet qu’ils recevront la rémission de leurs péchés dans le baptême, ou par leur entrée dans l’Église ? Car Notre-Seigneur ne dit pas : Ce péché ne lui sera remis que dans le baptême, mais : " Il ne lui sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre, " et ainsi il n’y aurait pour être exempts de ce crime énorme que ceux qui sont catholiques dès leur enfance. — Et au chap. 15 : Il en est quelques-uns qui prétendent que le blasphème contre l’Esprit saint est le péché exclusif de ceux qui, après avoir été purifiés dans l’Église par l’eau régénératrice, et après avoir reçu l’Esprit saint, répondent par l’ingratitude, à ce bienfait inestimable du Sauveur, et se plongent de nouveau dans l’abîme du péché mortel, tels que les adultères, les homicides, ou les apostats du nom chrétien ou de l’Église catholique. Mais je ne sais quelle preuve on peut apporter à l’appui d’un pareil sentiment, alors que l’Église ne ferme à aucun crime les portes de la pénitence, et que l’Apôtre nous avertit de reprendre les hérétiques eux-mêmes (2 Tm 2), dans l’espérance que Dieu les amènera par la pénitence à la connaissance de la vérité. Enfin le Seigneur n’a pas dit : " Le fidèle catholique qui aura proféré une parole contre l’Esprit saint, mais : " Celui qui aura dit, " c’est-à-dire : Quiconque aura dit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans l’autre.

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 43.) Nous lisons dans l’apôtre saint Jean (1 Jn 5) : " Il est un péché qui conduit à la mort ; je ne dis pas que quelqu’un doive prier pour ce péché. " Or, je dis que ce péché du frère qui engendre la mort, est le péché de celui qui, après avoir connu Dieu par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, attaque la sainte fraternité, ou qui, poussé par une ardente jalousie, se déclare contre la grâce elle-même à laquelle il doit sa réconciliation avec Dieu. L’énormité de ce crime est telle, qu’elle ne laisse plus de place à l’humilité de la prière, alors même que les remords de la conscience forcent le pécheur de reconnaître et d’avouer son crime. Il faut croire que cette disposition de l’âme, à cause de la grandeur du péché, produit déjà quelque chose de l’impénitence finale et de la damnation, et c’est peut-être là ce qu’on peut appeler pécher contre l’Esprit saint, c’est-à-dire par malice et par envie, attaquer la charité fraternelle après avoir reçu la grâce de l’Esprit saint. C’est ce péché qui, selon la déclaration du Seigneur, ne sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre. Cette explication nous amène à examiner si les Juifs commirent ce péché contre l’Esprit saint lorsqu’ils accusèrent Notre-Seigneur de chasser les démons au nom de Béelzébub, prince des démons, c’est-à-dire si nous devons regarder cette accusation comme dirigée personnellement contre le Seigneur, parce qu’il dit de lui-même dans un autre endroit : " S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, à combien plus forte raison ses serviteurs. " Ou bien, comme ils ne parlaient de la sorte que par un excès de jalousie, et qu’ils n’avaient que de l’ingratitude pour de si grands bienfaits, ne peut-on pas croire que par l’excès même de leur jalousie ils ont péché contre l’Esprit saint, quoiqu’ils ne fussent pas encore chrétiens ? Cette explication ne ressort pas des paroles du Seigneur, mais on peut dire cependant qu’il les avertit de recevoir la grâce qui leur est offerte, et après l’avoir reçue, de ne plus retomber dans le péché qu’ils avaient déjà commis. Ils avaient proféré contre le Fils de l’homme une parole pleine de méchanceté ; elle aurait pu leur être pardonnée s’ils avaient voulu se convertir et croire en lui ; mais si après avoir reçu l’Esprit saint ils avaient continué à porter envie à leurs frères, et à se déclarer contre la grâce qu’ils avaient reçue, ce péché ne leur sera pardonné ni dans ce monde ni dans l’autre. Et en effet, si le Sauveur les avait considérés comme déjà condamnés, sans nulle espérance de retour, il n’aurait pas continué de leur donner des conseils en ajoutant immédiatement : " Ou faites un arbre bon, " etc. — S. Aug. (Rétract., 1, 19.) Je n’ai pas appuyé cette interprétation, parce que j’ai dit que tel était mon sentiment, en ajoutant, toutefois, pourvu que l’on arrive à la fin de cette vie dans cette disposition d’esprit si criminelle. Il ne faut, en effet, désespérer pendant cette vie d’aucun pécheur, quelque dépravé qu’il soit, et ce ne sera jamais témérité de prier pour celui dont il est permis encore d’espérer le salut.

S. Aug. (serm. 2 sur les paroles du Seig., chap. 1 et 5.) Ce passage renferme un grand mystère, et il faut demander à Dieu la lumière nécessaire pour bien l’exposer. Je vous le déclare, mes très chers frères, peut-être dans toutes les saintes Écritures ne trouve-t-on pas une question plus importante et plus difficile. Remarquez d’abord que Notre-Seigneur n’a pas dit : Aucun blasphème contre l’Esprit saint ne sera remis, ni : Celui qui aura dit une parole quelconque contre l’Esprit saint, mais : " Celui qui aura dit la parole. " — Et au chap. 6 : Il n’est donc point nécessaire de regarder comme irrémissible tout blasphème, toute parole contre l’Esprit saint, il faut seulement reconnaître qu’il y a une parole qui dite contre l’Esprit saint, ne peut obtenir de pardon. Les saintes Écritures ont, en effet, l’habitude de s’exprimer de manière que lorsqu’une chose n’a été dite ni du tout ni de la partie, il n’est pas nécessaire qu’elle puisse s’appliquer à la totalité pour nous défendre de l’entendre de la partie. Ainsi le Seigneur dit aux Juifs (Jn 15) : " Si je n’étais pas venu, et si je ne leur avais point parlé, ils ne seraient pas coupables ; " Notre-Seigneur n’a pas voulu nous dire que les Juifs eussent été absolument sans péché, mais qu’il y avait un péché que les Juifs n’auraient pas eu si le Christ n’était pas venu. — Et au chap. 18 : L’ordre que nous nous sommes prescrit nous fait un devoir d’expliquer quelle est donc cette espèce de blasphème contre l’Esprit saint. Le caractère particulier sous lequel nous est représenté le Père, c’est l’autorité ; pour le Fils, c’est la naissance ; pour le Saint-Esprit, c’est l’union du Père et du Fils. Or le lien qui unit le Père et le Fils est aussi dans leurs desseins, celui qui doit nous unir tous ensemble entre nous et avec eux : " Car sa charité a été répandue en nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné. " Nos péchés nous ayant privés de la possession des biens véritables, la charité couvre la multitude des péchés. (1 P 1.) Que ce soit, en effet, dans l’Esprit saint que Jésus-Christ nous remette les péchés, nous pouvons le conclure de ce qu’après avoir dit à ses Apôtres : " Recevez l’Esprit saint, " il ajoute aussitôt : " Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez. " La première grâce que reçoivent ceux qui croient, c’est donc la rémission des péchés dans l’Esprit saint ; c’est contre ce don gratuit que s’élève le cœur impénitent. Donc l’impénitence est ce blasphème contre l’Esprit saint qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans l’autre. Car celui qui, " par sa dureté et par l’impénitence de son cœur, amasse un trésor de colère pour le jour de la colère, " (Rm 2,) celui-là, soit dans sa pensée, soit verbalement, prononce une parole criminelle contre l’Esprit saint par lequel les péchés sont remis. Or, cette impénitence ne peut espérer aucun pardon, ni dans ce monde ni dans l’autre, parce que la pénitence obtient dans ce monde le pardon qui nous ouvre les portes de l’autre vie. — Et au chap. 13 : Or, cette impénitence ne peut être définitivement jugée pendant cette vie, car on ne doit désespérer de personne tant que la patience de Dieu peut l’amener à se repentir. (Rm 2.) Car enfin qu’arrivera-t-il si ceux que vous voyez livrés à toute sorte d’erreurs, et que vous condamnez comme ayant perdu tout espoir, font pénitence avant le moment de leur mort ? Quoique ce blasphème se compose de plusieurs paroles et qu’il puisse être très étendu, l’Écriture, suivant sa coutume, en parle comme si ce n’était qu’une seule parole. Ainsi, bien que Dieu ait adressé plusieurs paroles aux prophètes, on lit cependant : " Parole qui fut adressée à tel ou à tel prophète. " — Et au chap. 15 : Si l’on nous fait ici cette question : Est-ce l’Esprit saint qui seul remet les péchés, ou est-ce le Père et le Fils ? nous répondrons que c’est également le Père et le Fils, car le Fils dit du Père : " Votre Père vous remettra vos péchés " (Mt 6,) et il dit de lui-même : " Le Fils a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés. " Pourquoi donc cette impénitence qui demeure sans pardon n’a-t-elle pour cause que le blasphème contre l’Esprit saint, comme si celui qui se trouve lié par ce péché d’impénitence résistait au don de l’Esprit saint, don qui nous confère la rémission des péchés ? — Et au chap. 17 : C’est que les péchés qui ne peuvent être remis en dehors de l’Église ne doivent être remis que par la vertu de cet Esprit qui est le principe de l’unité de l’Église, etc. Donc la rémission des péchés, qui est l’oeuvre de la Trinité tout entière, est attribuée spécialement à l’Esprit saint ; car il est cet Esprit d’adoption des enfants dans lequel nous crions : Mon Père, mon Père (Rm 8), afin que nous puissions lui dire : " Pardonnez-nous nos offenses. " Et comme le dit saint Jean, c’est en cela que nous connaissons que le Christ demeure en nous, parce qu’il nous a rendus participants de son Esprit (1 Jn 4, 13.) C’est ce même Esprit qui est l’auteur de cette société qui ne fait de nous qu’un seul corps, le corps du Fils unique de Dieu. — Et au chap. 20. : Car l’Esprit saint est lui-même en quelque sorte la société du Père et du Fils, etc. Et au chap. 22 : Celui donc qui se rendra coupable d’impénitence contre l’Esprit saint, qui réunit toute l’Église dans les liens d’une même communion et d’une seule unité, il ne lui sera jamais pardonné.

S. Chrys. (hom. 43.) On peut encore dire, suivant la première interprétation, que les Juifs ne connaissaient pas la personne du Christ, mais ils avaient de l’Esprit saint une connaissance suffisante, car c’est lui qui avait inspiré les prophètes. Voici donc le sens des paroles du Sauveur : J’admets que la chair dont je suis revêtu soit pour vous une cause de scandale ; mais quant à l’Esprit saint, pouvez-vous dire : Nous ne le connaissons pas ? Et vous en subirez le châtiment dans cette vie et dans l’autre ; car chasser les démons et guérir les maladies est une oeuvre de l’Esprit saint ; ce n’est donc pas à moi seul que vous faites outrage, mais à l’Esprit saint : c’est pourquoi votre condamnation est inévitable dans ce monde et dans l’autre. Il en est qui ne sont punis que dans cette vie, comme ceux qui ont participé indignement aux saints mystères chez les Corinthiens (1 Co 11, 29.30) ; il en est qui ne reçoivent leur châtiment que dans l’autre monde, comme le mauvais riche dans l’enfer. Il en est enfin qui sont punis dans ce monde et dans l’autre, comme les Juifs qui furent cruellement châtiés lors de la prise de Jérusalem, et qui auront encore à endurer d’affreux supplices dans l’enfer.

Rab. L’autorité divine de ces paroles condamne l’erreur d’Origène, qui assure qu’après bien des siècles, tous les pécheurs obtiendront leur pardon ; et Notre-Seigneur l’a détruite par ces seuls mots : " Il ne lui sera pardonné ni dans cette vie ni dans l’autre. " — S. Grég. (Dialog. 4, 34.) Ce passage nous donne à entendre que certaines fautes sont pardonnées en ce monde, tandis que d’autres ne sont remises que dans l’autre ; car ce qui n’est nié que pour une seule chose est affirmé pour quelques autres. Et cependant on ne peut espérer ce pardon que pour les fautes les plus légères, comme des paroles oiseuses, des rires immodérés, ou les fautes que l’on commet dans la gestion de ses affaires, fautes que peuvent à peine éviter, ceux même qui savent comment on doit se garder de tout péché ; ou bien enfin l’ignorance en matière légère. Il est encore d’autres fautes dont nous demeurons chargés après la mort, si elles ne nous ont pas été remises pendant cette vie, etc. Mais il ne faut pas oublier que personne n’obtiendra le pardon de ses fautes légères après la mort, à moins d’avoir mérité dans cette vie par ses bonnes oeuvres que ce pardon lui soit accordé.

 

vv. 33-35.

S. Chrys. (hom. 43.) Notre-Seigneur ne se contente pas de cette première réfutation, il veut les confondre par de nouvelles raisons. Ce n’est pas sans doute pour se justifier à leurs yeux, il l’avait fait suffisamment, mais pour changer les dispositions de leur cœur. Il leur dit donc : " Ou dites qu’un arbre est bon, " etc., paroles qui veulent dire : Personne d’entre vous n’a osé dire qu’il était mal de délivrer les hommes du démon. Toutefois, comme ils n’attaquaient pas les oeuvres elles-mêmes, mais qu’ils prétendaient que le démon en était l’auteur, il leur démontre que cette accusation est contraire à toutes les règles du raisonnement ainsi qu’à toutes les idées reçues, et que de pareilles inventions sont le comble de l’impudence. — S. Jér. Il les tient resserrés dans un raisonnement que les Grecs appellent ??????? et que nous pouvons appeler raisonnement qu’on ne peut éluder. Il les renferme comme dans un cercle d’où ils ne peuvent sortir et les presse par les deux faces de cet argument : Si le démon est mauvais, leur dit-il, il ne peut faire des actions qui soient bonnes ; et si les actions dont vous avez été témoins sont bonnes, le démon ne peut en être l’auteur, car il n’est pas possible que le bien puisse naître du mal ou le mal venir du bien. — S. Chrys. (hom. 43.) En effet, on juge l’arbre à son fruit, et non pas le fruit par l’arbre, comme le dit Notre-Seigneur lui-même : " Car c’est par le fruit que l’on connaît l’arbre. " — Bien que ce soit l’arbre qui produise le fruit, c’est cependant le fruit qui détermine l’espèce de l’arbre. Mais pour vous, vous faites le contraire. Vous ne trouvez rien à reprendre dans les oeuvres, et vous condamnez l’arbre en m’appelant possédé du démon.
 

S. Hil. (can. 12.) Il réfute donc les calomnies des Juifs qui, tout en comprenant que les oeuvres du Christ exigeaient une puissance divine, ne voulurent pas cependant reconnaître sa divinité ; mais en même temps il condamne tous ceux dont la foi pervertie devait dans la suite embrasser avec ardeur les différentes hérésies qui ont nié sa divinité et son unité de nature avec le Père, malheureux qui ne pouvaient, comme les Gentils, s’excuser sur leur ignorance, et qui cependant n’avaient pas la connaissance de la vérité. Cet arbre, c’est le Sauveur lui-même revêtu de la nature humaine, parce qu’en effet la fécondité intérieure de sa puissance se répand au dehors en fruits abondants et variés. Il faut donc faire un bon arbre avec de bons fruits, ou un arbre mauvais avec de mauvais fruits, non pas qu’un bon arbre puisse être mauvais ou qu’un mauvais arbre puisse être bon, mais par cette comparaison le Sauveur veut nous faire comprendre qu’il faut abandonner le Christ comme étant inutile, ou s’attacher à lui comme étant la source féconde de tout bon fruit. Vouloir prendre un moyen terme, attribuer quelques privilèges au Christ et nier ses qualités essentielles, le vénérer comme Dieu, et le dépouiller de son union substantielle avec Dieu, c’est un blasphème contre l’Esprit saint. Saisi d’admiration à la vue de la grandeur de ses oeuvres, vous n’osez pas lui refuser le nom de Dieu, et par je ne sais quelle mauvaise disposition de votre esprit vous lui contestez la noblesse de son origine en niant son unité de nature avec le Père. — S. Aug. (serm. 12 sur les paroles du Seigneur.) Ou bien encore le Seigneur nous rappelle ici l’obligation d’être de bons arbres si nous voulons produire de bons fruits, car ces paroles : " Faites un bon arbre et que ses fruits soient bons " renferment un précepte salutaire auquel nous devons obéir, tandis que les paroles suivantes : " Faites un arbre mauvais et que ses fruits soient mauvais " ne nous imposent pas l’obligation d’agir de la sorte, mais nous avertissent d’éviter une pareille conduite. Notre-Seigneur avait ici en vue des hommes qui, tout mauvais qu’ils étaient, prétendaient pouvoir dire de bonnes choses ou faire de bonnes actions ; il leur déclare que cela est impossible, car il faut changer l’homme si l’on veut changer ses oeuvres ; si l’homme persiste dans ce qui le rend mauvais, il ne peut faire de bonnes oeuvres ; s’il persévère dans ce qui le rend bon, il ne peut en faire de mauvaises. Or, le Christ a trouvé tous les arbres mauvais, mais il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croyaient en lui.
 

S. Chrys. (hom. 43.) Comme il défendait ici non pas ses intérêts, mais les oeuvres de l’Esprit saint, il leur adresse ces reproches justement mérités : " Race de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses, vous qui êtes mauvais ? " En leur parlant de la sorte, il accuse leur conduite et tout à la fois il la fait servir de preuve de ce qu’il vient de dire. Vous qui êtes de mauvais arbres, semble-t-il leur dire, vous ne pouvez pas porter de bons fruits : je ne suis donc pas étonné que vous parliez de la sorte, car vos pères étaient vicieux, votre éducation a été mauvaise, et vous avez une âme portée au mal. Remarquez qu’il ne dit pas : " Comment pouvez-vous dire de bonnes choses alors que vous êtes une race de vipères ? " car voici la construction naturelle de la phrase : " Comment pouvez-vous dire de bonnes choses, étant mauvais comme vous l’êtes ? " Il les appelle race de vipères parce qu’ils se glorifiaient de leurs ancêtres et, pour anéantir leur orgueil, il les sépare de la race d’Abraham et leur déclare que leurs aïeux leur ressemblaient. — Rab. Ou bien en les appelant race de vipères il veut dire qu’ils sont les enfants et les imitateurs du démon, eux qui interprètent ses actions en mauvaise part, ce qui est le propre du démon.
 

" La bouche parle de l’abondance du cœur. " Un homme parle de l’abondance du cœur quand il connaît l’intention qui le fait parler, vérité que le Sauveur développe plus clairement en ajoutant : " L’homme qui est bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et celui qui est mauvais tire de mauvaises choses d’un trésor mauvais. " Le trésor du cœur c’est l’intention que l’âme se propose et d’après laquelle le juge intérieur détermine le mérite de l’action ; c’est elle qui fait que des actions éclatantes ne reçoivent quelquefois qu’une légère récompense, et que, par suite de la négligence d’un cœur que la tiédeur domine, des actes de vertus héroïques sont faiblement récompensés par le Seigneur. — S. Chrys. (hom. 43.) Il donne encore ici une preuve de sa divinité qui pénètre le fond des cœurs, et il nous apprend que non-seulement les paroles coupables, mais les mauvaise pensées, recevront leur châtiment. Du reste, c’est une conséquence naturelle que l’excès de la malice du cœur se répande au dehors par les paroles qui sortent de la bouche. Aussi, lorsque vous entendez un homme proférer de mauvais discours, tenez pour certain que la malice de son âme est bien plus grande que ne l’indiquent ses paroles, car elles ne sont que l’exubérance de la corruption de son cœur ; c’est en cela que ce reproche est plus sévère et plus sensible pour les Juifs, car si leurs paroles sont si mauvaises, jugez combien la source d’où elles découlent doit être corrompue. Voici en effet ce qui arrive ordinairement : c’est que la langue, retenue par la honte, ne répand pas immédiatement tout son venin, tandis que le cœur, qui n’a aucun homme pour témoin de ses actes, se livre sans crainte à tout le mal qui se présente à la volonté, car Dieu est son moindre souci, et lorsque le mal déborde à l’intérieur, il se répand à l’extérieur par les paroles, ce qui fait dire au Seigneur : " C’est de l’abondance du cœur que la bouche parle ; " et encore : " L’homme tire ses paroles du trésor de son cœur. "
 

S. Jér. En disant : " L’homme qui est bon tire de bonnes choses d’un bon trésor, " le Sauveur fait voir aux Juifs coupables de blasphème à l’égard de Dieu dans quel trésor ils ont puisé ces blasphèmes ; ou bien cette pensée se rapporte à ce qui précède et leur montre que de même qu’un homme qui est bon ne peut dire de mauvaises choses, de même celui qui est mauvais ne peut en dire de bonnes ; ainsi le Christ ne peut faire de mauvaises oeuvres et le démon ne peut en faire de bonnes.
 

 

vv. 36-37.

S. Chrys. (hom. 43.) A la suite de ces reproches, le Seigneur cherche à inspirer aux Juifs une grande crainte en leur apprenant que ceux qui se seront rendus coupables de crimes semblables seront punis du dernier supplice : " Or, je vous déclare que les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole inutile qu’ils auront dite. " — S. Jér. Voici le sens de ces paroles : Si une parole oiseuse qui n’édifie en rien ceux qui l’entendent n’est point sans danger pour celui qui la dit, et si au jour du jugement chacun doit rendre compte de ses discours, à combien plus forte raison vous qui calomniez les oeuvres de l’Esprit saint, et qui dites que je chasse les démons par Beelzéhub, rendrez-vous compte de semblables calomnies. — S. Chrys. (hom. 43.) Il ne dit pas : " La parole inutile que vous aurez dite ", car son dessein est d’enseigner tout le genre humain et de rendre son discours moins dur pour les Juifs. Or, la parole oiseuse est celle qui contient un mensonge ou une calomnie ; quelques-uns l’étendent à la parole vaine, à celle par exemple qui excite un rire immodéré ou qui est contraire à la décence et à la pudeur. — S. Grég. (hom. 9, sur les Evang.) Ou bien la parole oiseuse est celle qui n’est motivée ni par une véritable utilité, ni par une juste nécessité.

S. Jér. C’est une parole qui est sans utilité pour celui qui parle comme pour celui qui écoute ; par exemple, lorsqu’au lieu d’entretiens sérieux nous nous entretenons de choses frivoles ou que nous racontons les récits fabuleux de l’antiquité. Quant à celui qui se livre aux bouffonneries, rit à gorge déployée et blesse la pudeur dans ses discours, il n’est pas seulement coupable d’une parole oiseuse, mais de discours criminels. — Remi. A cette vérité se rattache la maxime suivante : " C’est d’après vos paroles que vous serez condamnés ; c’est d’après vos paroles que vous serez justifiés. " Nul doute qu’on ne soit condamné pour les mauvaises paroles qu’on aura dites ; mais quant aux bonnes paroles, elles ne pourront justifier que celui qui les aura dites avec une conviction intime et une intention vertueuse. — S. Chrys. (hom. 43.) Remarquez que ce jugement n’a rien de trop sévère : vous serez jugés non point sur ce qu’on aura dit de vous, mais sur ce que vous aurez dit vous-même ; ce ne sont donc pas ceux qui sont accusés qui doivent craindre, mais ceux qui accusent les autres, car personne ne sera forcé de s’accuser du mal qu’il aura entendu et dont il aura été l’objet, il ne sera responsable que du mal qu’il aura dit lui-même.

 

vv. 38-40.

S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur avait bien des fois réduit les pharisiens au silence et mis un frein à leur impudence ; ils se rejettent donc de nouveau sur ses oeuvres, ce que l’Évangéliste étonné nous raconte en ces termes : " Alors quelques-uns des scribes lui dirent, " etc. Alors, c’est-à-dire quand ils auraient dû se rendre, pleins d’admiration et d’étonnement ; mais ils persévèrent dans leur malice et ils lui disent pour le surprendre : " Nous voudrions que vous nous fassiez voir un prodige. "

S. Jér. Ils demandent des prodiges, comme si les faits qu’ils ont vus jusqu’ici n’étaient pas des prodiges. Saint Luc explique plus clairement quelle espèce de miracle ils lui demandent : Nous voudrions que vous nous fassiez voir un prodige dans le ciel (Lc 11). Peut-être voulaient-ils que comme Elie il fît descendre le feu du ciel, ou qu’à l’exemple de Samuel (4 R 1), il fît en plein été et contrairement à ce qui arrive dans ces contrées, il fit gronder le tonnerre, briller les éclairs et tomber la pluie (1 R 7 et 12). Mais n’auraient-ils pas trouvé le moyen de calomnier ces prodiges en disant qu’ils étaient le résultat de causes secrètes et variées qui agissent sur l’atmosphère ? Car, puisque vous calomniez ce que vous voyez de vos yeux, ce que vous touchez de la main, ce dont vous ressentez l’utilité, que ne diriez-vous pas d’un miracle qui viendrait du ciel ? Vous répondriez sans doute que les magiciens en Egypte ont fait eux-mêmes beaucoup de prodiges dans les airs.

S. Chrys. (hom. 43.) Leurs paroles sont pleines à la fois d’adulation et d’ironie. Ils avaient commencé par outrager le Sauveur en le traitant de possédé du démon ; ils cherchent à le flatter maintenant en l’appelant Maître. Aussi leur répond-il avec sévérité : " Cette génération méchante, " etc. Lorsqu’ils le chargeaient d’injures, il leur répondait avec douceur ; mais lorsqu’ils veulent le prendre par la flatterie il leur fait les plus vifs reproches ; il prouve ainsi qu’il était supérieur à toute faiblesse, incapable de s’irriter des outrages ou de faiblir devant la flatterie. Or, voici le sens de ces paroles : " Qu’y a-t-il d’étonnant que vous agissiez ainsi contre moi qui suis pour vous un inconnu, quand vous vous êtes conduit de la même manière à l’égard de mon Père dont vous aviez éprouvé tant de fois la puissance et que vous avez abandonné pour courir aux autels du démon ? " Il les appelle " génération méchante " parce qu’ils n’ont jamais eu que de l’ingratitude pour leurs bienfaiteurs. Les bienfaits ne font que les rendre plus mauvais, ce qui est le comble de la perversité. — S. Jér. Le mot " adultère " qu’il ajoute est parfaitement choisi, parce que cette génération avait abandonné son mari et que, suivant Ezéchiel, elle s’était livrée à plusieurs amants (Ez 16, 15.24.25.33). — S. Chrys. (hom. 43.) Il se déclame ainsi l’égal de Dieu son Père, puisque c’est pour n’avoir pas voulu croire en lui que cette génération est devenue adultère.

Rab. Il va maintenant leur répondre non pas en leur faisant voir un prodige dans le ciel, mais en le tirant des profondeurs de la terre. Il a donné ce signe dans le ciel, mais à ses disciples, en leur dévoilant la gloire de l’éternelle félicité, d’abord en figure sur la montagne (Mt 18), et puis en réalité lorsqu’il s’éleva dans les cieux. (Mc 16.) Il ajoute : " On ne lui donnera pas d’autre signe. " — S. Chrys. (hom. 43.) Il parle ainsi, parce que ce n’était pas pour les amener à lui qu’il faisait des miracles, car il savait qu’ils étaient plus durs que la pierre, mais c’était pour en convertir d’autres. Ou bien c’est parce qu’ils ne devaient pas être témoins d’un signe tel qu’ils le demandaient. En effet, il leur donna plus tard un signe, alors qu’ils apprirent à connaître sa puissance par leur propre châtiment, et c’est ce qu’il leur fait entendre à mots couverts en leur disant : " On ne lui donnera pas de signe, " paroles dont voici le sens : J’ai répandu sur vous mes bienfaits à profusion, aucun d’eux ne vous a portés à rendre hommage à ma puissance ; vous la connaîtrez donc par le châtiment qui vous attend, lorsque vous verrez la destruction de votre cité. Il entremêle ici une prédiction de sa résurrection, qu’ils devaient aussi connaître un jour par leur supplice, " si ce n’est le signe du prophète Jonas. " La croix n’aurait jamais été l’objet de la foi si elle n’avait eu pour elle le témoignage des miracles, et si elle n’avait pas été crue, la résurrection ne l’aurait pas été davantage ; c’est pour cela qu’il l’appelle un signe, et que pour en faire reconnaître la vérité il en rappelle une figure prophétique : " Car, de même que Jonas fut dans le ventre de la baleine, " etc. — Rab. Il fait voir aux Juifs qu’ils sont aussi coupables que les Ninivites, et que leur ruine est imminente s’ils ne font pénitence ; mais de même que Jonas, en annonçant le châtiment, indique les moyens de l’éviter, ainsi les Juifs ne doivent pas désespérer de leur pardon, si du moins, après la résurrection de Jésus-Christ, ils font pénitence. Jonas, dont le nom signifie colombe et celui qui gémit, figure celui sur lequel l’Esprit saint descendit en forme de colombe (Lc 3), et qui s’est chargé de nos souffrances. (Is 53.) La baleine qui engloutit Jonas au milieu de la mer (Jon 2) signifie la mort que Notre-Seigneur Jésus-Christ a endurée sur la croix. Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, le Christ demeura le même temps dans le tombeau. Jonas fut jeté sur le rivage, le Christ a ressuscité dans sa gloire.
 

S. Aug. (De l’acc. des Evang., 3, 24.) Quelques auteurs qui paraissent ignorer la manière de s’exprimer de l’Écriture, ont voulu compter pour une nuit les trois heures qui s’écoulèrent de la sixième à la neuvième et pendant lesquelles le soleil fut obscurci, et pour un jour les trois autres heures, depuis la neuvième jusqu’au coucher du soleil, pendant lesquelles il éclaira de nouveau la terre. Vint ensuite la nuit du sabbat, et en la comptant avec le jour qui suivit on a deux nuits et deux jours. Après le jour du sabbat vient la nuit du premier jour de la semaine (c’est-à-dire la nuit qui précède le dimanche) dans laquelle le Seigneur est ressuscité. Nous avons donc deux nuits et deux jours et de plus une nuit, alors même qu’on devrait la comprendre tout entière, et que nous ne prouverions pas que le point du jour était la partie extrême de cette nuit. C’est ainsi que sans compter ces six heures (dont trois heures de nuit et trois heures de jour), nous avons réellement trois jours et trois nuits, et il ne nous reste plus qu’à démontrer que cette explication est conforme à l’usage de l’Écriture, qui prend souvent la partie pour le tout. — S. Jér. Ce n’est pas que Jésus-Christ ait été les trois jours entiers et les trois nuits dans les enfers, mais on entend que ces trois jours et ces trois nuits sont formés d’une partie du jour de la Pâque, d’une partie du dimanche et du jour du sabbat tout entier. — S. Aug. (De la Trinité, 4, 9.) L’Écriture elle-même nous témoigne que ces trois jours ne furent pas complets ; mais la seconde partie du premier jour et la première partie du troisième jour sont comptées pour des jours entiers ; quant au jour intermédiaire, c’est-à-dire le deuxième jour, il est complet et a ses vingt-quatre heures, douze de nuit et douze de jour. La nuit qui précéda la première aurore où la résurrection du Seigneur eût lieu appartient au troisième jour. Car de même que les premiers jours de l’homme sur la terre se comptent du jour à la nuit comme symbole de sa chute future, de même les jours se comptent ici de la nuit au jour comme figure de la réparation de l’homme. — S. Chrys. (hom. 44.) Il ne leur dit pas clairement qu’il ressusciterait, car ils se seraient moqués de lui ; mais il le leur donne à entendre pour qu’ils pussent croire par la suite ce qu’il avait prédit par avance. Il ne dit pas simplement : " Dans la terre, " mais " dans les entrailles de la terre " pour exprimer une véritable sépulture, et afin que personne ne pût soupçonner que sa mort n’était qu’apparente. Il dit clairement qu’il y restera trois jours, afin que l’on ne pût douter de la réalité de sa mort. D’ailleurs la figure de la résurrection est une preuve de sa réalité, car Jonas ne fut pas seulement en apparence, mais bien réellement dans le ventre de la baleine. Or la vérité n’aurait-elle existé qu’en apparence, tandis que la figure a existé en réalité ? Les disciples de Marcion sont donc de véritables enfants du démon, en affirmant avec leur maître que la passion du Christ n’a été qu’imaginaire ; ajoutons que le signe du prophète Jonas, qui devait être donné à cette génération est une preuve que le Sauveur devait souffrir la mort pour les Juifs, quoiqu’ils n’en dussent tirer aucun profit (cf. Jon 1, 5).

 

vv. 41-42.

S. Chrys. (hom. 44.) On aurait pu croire que les Juifs auraient un jour le même sort que les Ninivites, et qu’ils se convertiraient après la résurrection du Sauveur, comme les Ninivites s’étaient convertis à la voix de Jonas et avaient ainsi sauvé leur ville de la destruction qui la menaçait. Notre-Seigneur déclare ici qu’un sort tout différent leur est réservé ; et loin que le bienfait de sa mort leur soit utile, elle ne fera qu’aggraver leur supplice, comme il le prouvera plus bas par l’exemple du démon. Il montre d’abord ici l’équité de leur condamnation : " Les habitants de Ninive se lèveront, dit-il, au jour du jugement contre cette génération. " — Remi. Le Seigneur, en s’exprimant de la sorte, établit clairement qu’il n’y aura qu’une seule résurrection pour les bons et pour les méchants, contre quelques hérétiques qui ont prétendu qu’il y aurait une résurrection pour les bons et une pour les méchants. Il détruit en même temps cette opinion fabuleuse des Juifs qui disent que la résurrection aura lieu mille ans avant le jugement, et il déclare ouvertement, au contraire, que le jugement suivra immédiatement la résurrection : " Et ils condamneront cette génération. " — S. Jér. Ce ne sera pas en prononçant contre elle le jugement souverain, mais par la simple opposition de leur conduite ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Parce qu’ils ont fait pénitence à la voix de Jonas, et voilà plus que Jonas ici. " Le mot hic doit être pris comme adverbe de lieu, et non pas comme pronom. Jonas (selon la version des Septante) ne prêcha que pendant trois jours ; j’ai prêché pendant un temps beaucoup plus long ; il s’adressait aux Assyriens, nation infidèle ; je m’adresse aux Juifs, peuple de Dieu ; il ne fit que prêcher sans opérer de miracles, et moi, après tant et de si grands prodiges, je suis accusé calomnieusement de connivence avec Béelzébub.

S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur, non content de cet exemple, en ajoute un autre : " La reine du Midi, " etc. Cet exemple est plus frappant encore que le premier. Jonas alla trouver les Ninivites ; la reine du Midi n’attendit pas que Salomon se rendit près d’elle, mais elle alla le trouver elle-même, et c’était une femme, une barbare, habitant des contrées éloignées ; elle n’était pas dominée par la crainte de la mort, mais par le seul désir d’entendre les paroles de la sagesse. Cette femme s’est donc rendue ici, moi j’y suis venu ; elle est arrivée des extrémités de la terre, et moi je parcours les villes et les campagnes ; elle discuta sur les arbres et sur les plantes, et moi j’enseigne d’ineffables mystères. — S. Jér. Cette reine du Midi condamnera le peuple juif, de la même manière que les Ninivites condamneront les Israélites incrédules. Cette reine est la reine de Saba dont il est question au livre 3 des Rois et au 2 des Paralipomènes. Elle abandonna son peuple et son royaume et à travers mille difficultés elle vint dans la Judée pour entendre la sagesse de Salomon, et lui offrit une multitude de présents (3 R 10 et 11 ; Paralip., 9). Les Ninivites et la reine de Saba sont la figure des nations qui ont embrassé la foi et qui ont été préférées au peuple d’Israël. — Rab. Les Ninivites représentent ceux qui renoncent au péché ; la reine de Saba, ceux qui ne connaissent pas le péché ; car la pénitence efface le péché, mais la sagesse apprend à l’éviter.

Remi. Le nom de reine convient admirablement à l’Église, parce qu’elle sait diriger sa conduite ; c’est d’elle que le Psalmiste a dit : " La reine s’est tenue debout à votre droite. " (Ps 44.) C’est la reine du Midi, parce qu’elle est pleine du feu de l’Esprit saint. Le vent brûlant du Midi est une figure de l’Esprit saint. Salomon, dont le nom signifie le pacifique, représente celui dont il est dit " C’est lui qui est notre paix. " (Ep 2.)

 

vv. 43-45

S. Chrys. (hom. 44.) Le Seigneur avait dit aux Juifs : " Les habitants de Ninive s’élèveront au jour du jugement et condamneront cette génération. " Mais dans la crainte que le temps si éloigné de cette condamnation ne la leur fit mépriser et n’encourageât leur négligence, il leur apprend qu’ils auront à souffrir des châtiments très sévères non-seulement dans l’autre vie, mais dans celle-ci, et il leur fait connaître sous le voile d’une parabole le supplice qui leur est réservé : " Lorsque l’esprit impur, " etc. — S. Jér. Il en est quelques-uns qui prétendent que ce passage s’applique aux hérétiques. L’esprit immonde qui habitait d’abord en eux, lorsqu’ils étaient encore infidèles, disent-ils, a été chassé par la confession de la vraie foi ; mais lorsqu’ils ont embrassé le parti de l’hérésie, et qu’ils ont orné de fausses vertus la maison intérieure de leur âme, le diable revient les trouver après avoir pris avec lui sept autres esprits, il fixe en eux son séjour, et rend leur dernier état pire que le premier. Le sort des hérétiques est, en effet, plus déplorable que celui des infidèles ; car dans les infidèles vous pouvez rencontrer l’espérance de la vraie foi, mais dans les hérétiques vous ne trouverez que les luttes et les déchirements de la discorde. Cette explication a pour elle quelque probabilité et quelque apparence de science, cependant je ne sais si elle est fondée sur la vérité. En effet, la conclusion de cette parabole : " C’est ce qui arrivera à cette génération criminelle, " nous force de l’appliquer, non aux hérétiques, ou à n’importe quels autres hommes, mais au peuple juif, si nous voulons que l’ensemble de ce passage ne reste pas vague, indéterminé, susceptible de sens divers, et ne perde de sa clarté par des interprétations sans fondement, mais qu’il forme un tout parfaitement en rapport avec les antécédents et les conséquences. L’esprit impur est donc sorti des Juifs lorsque la loi leur fût donnée et lorsqu’ils l’eurent chassé, il a erré dans les solitudes des nations, comme l’indiquent les paroles suivantes : " Il va par des lieux arides. " — Remi. Les lieux arides, ce sont les cœurs des Gentils que n’ont jamais arrosés les eaux salutaires, c’est-à-dire les saintes Écritures. — Rab. Ou bien, ces lieux arides, ce sont les cœurs des fidèles qui, après avoir été purifiés de la mollesse des pensées dissolues, sont explorés par l’ennemi perfide de notre salut qui cherche à y fixer son séjour ; mais il s’éloigne des âmes chastes, et ne peut trouver que dans le cœur des méchants un repos qui lui soit agréable. C’est pour cela que le Seigneur ajoute : " Et il ne le trouve pas. "
 

Remi. Le démon pensait avoir trouvé dans le cœur des Gentils un repos éternel, mais Notre-Seigneur ajoute : " Et il ne le trouve pas, " parce que les Gentils ont embrassé la foi, lorsque le Fils de Dieu se fut rendu visible par le mystère de l’incarnation. — S. Jér. Après la conversion des Gentils, le démon, ne trouvant plus en eux de repos, dit : " Je reviendrai dans la maison d’où j’étais sorti, chez les Juifs que j’avais quittés en premier lieu, et, en y revenant, il trouve cette maison vide, nettoyée et parée. " En effet, ce temple des Juifs était vide, et le Christ n’y demeurait plus, lui qui avait dit : " Levez-vous, sortons d’ici. " (Jn 14.) Les Juifs n’étant plus sous la garde de Dieu et de ses anges, et n’ayant pour ornement que les observances superflues de la loi, et les traditions des pharisiens, le démon revient dans sa première demeure, il en prend possession avec sept autres esprits, et le dernier état de ce peuple devient pire que le premier. En effet, les Juifs qui blasphèment contre Jésus-Christ dans les synagogues sont les esclaves d’un bien plus grand nombre de démons que ne l’étaient leurs ancêtres dans l’Egypte avant d’avoir reçu la loi ; car on n’était pas aussi coupable de ne pas croire en celui qui devait venir, que de ne pas le recevoir lorsqu’il était venu. Ce nombre de sept autres esprits que le démon prend avec lui est mis ici ou à cause des jours de la semaine, ou à cause du nombre des dons de l’Esprit saint. Ainsi de même que dans Isaïe sept esprits de vertus différentes viennent se reposer sur la fleur de la tige de Jessé, de même, à l’opposé, nous voyons un nombre égal de vices consacré dans la personne du démon. C’est donc avec dessein que Jésus dit du démon qu’il prend sept esprits avec lui, ou à cause de la violation du sabbat, ou à cause des péchés mortels qui sont contraires aux sept dons du Saint-Esprit.

S. Chrys. (hom. 44.) Ou bien le Sauveur veut faire comprendre aux Juifs la grandeur du châtiment qui les attend. Voyez, leur dit-il, ceux qui, étant possédés du démon, sont délivrés de cette tyrannie ; s’ils tombent ensuite dans le relâchement, ils s’attirent de plus terribles épreuves ; ainsi en sera-t-il de vous-mêmes. Vous étiez autrefois les esclaves du démon, lorsque vous adoriez les idoles, et que vous immoliez vos enfants aux démons ; cependant je ne vous ai pas abandonnés, j’ai chassé le démon par les prophètes, et je suis venu moi-même en personne pour vous délivrer d’une manière plus complète. Mais loin de répondre à de si grands bienfaits, vous n’en êtes devenus que plus mauvais (car c’est un plus grand crime de mettre à mort le Christ qu’un prophète), c’est pourquoi de plus terribles châtiments vous sont réservés. Et en effet, ce qu’ils eurent à souffrir sous Vespasien et Titus fut mille fois plus affreux que ce qu’ils avaient enduré en Égypte, à Babylone, et sous Antiochus (1 M 1, et 2 M 5, 6, 7). Il va plus loin encore, et leur fait voir le triste état de leur âme dépouillée de toutes vertus, et devenue pour le démon une proie bien plus facile qu’auparavant. Or, ce n’est pas seulement dans les Juifs, mais dans nous-mêmes que cette parabole trouve son application. Si après avoir reçu la lumière de la foi et la rémission de nos premières fautes, nous y retombons de nouveau, la peine des fautes suivantes sera beaucoup plus sévère ; c’est pour cela que Notre-Seigneur dit au paralytique : " Vous voilà guéri, ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis. " — Rab. Lorsqu’un homme se convertit à la foi, le démon, chassé de son âme par le baptême, parcourt les lieux arides, c’est-à-dire les cœurs des fidèles. — S. Grég. (Moral. 33, 3.) Les lieux arides et sans eau sont les cœurs des justes ; la règle forte et sévère qu’ils s’imposent dessèche dans leur âme les eaux des concupiscences charnelles. Les lieux humides, au contraire, sont les âmes des hommes attachés à la terre ; la concupiscence de la chair, en les pénétrant de ses eaux corrompues, les rend molles et sans cohésion, et le démon y imprime d’autant plus profondément les traces de son iniquité, qu’il marche dans ces âmes comme sur une terre détrempée et sans consistance.

Rab. Or, en rentrant dans sa maison d’où il était sorti, il la trouve vide de bonnes actions par suite de sa négligence, purifiée de toutes souillures, c’est-à-dire de ses anciens vices, par le baptême ; ornée de fausses vertus par l’hypocrisie. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 8.) Le Seigneur nous apprend encore par ces paroles qu’il en est dont la foi sera si faible, qu’ils retourneront au monde, incapables qu’ils seront des travaux de la mortification. En nous faisant remarquer que le démon prend avec lui sept autres esprits, il veut nous faire comprendre que celui qui tombe des hauteurs de la justice devient en même temps hypocrite. En effet, lorsque la concupiscence de la chair, chassée par les oeuvres ordinaires de la pénitence, ne trouve pas un lieu d’agréable repos, elle revient avec plus d’empressement, et s’empare de nouveau du cœur de l’homme, pour peu qu’il se soit laissé aller à la négligence. Alors la parole de Dieu ne peut plus avoir d’accès par la saine doctrine pour habiter cette maison une fois nettoyée de ses souillures ; et comme cette concupiscence de la chair ne prend pas seulement avec elle les sept vices qui sont opposés aux sept dons de l’Esprit saint, mais qu’elle affectera par hypocrisie d’avoir ces mêmes vertus, on peut dire qu’elle revient avec sept démons plus méchants, c’est-à-dire avec les sept démons de l’hypocrisie, de manière que l’état de cet homme devienne pire que le premier. — S. Grég. (Moral. 7, 7.) Il arrive souvent aussi que, lorsque l’âme vient à s’enorgueillir de ses premiers pas dans la perfection, et veut en être louée comme de véritables vertus, elle donne entrée à son ennemi furieux contre elle, et qui s’acharne avec d’autant plus de violence à sa ruine, qu’il a éprouvé de douleur d’en avoir été chassé, ne fût-ce que pour quelque temps.

 

vv. 46-50.

S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Comme il avait dit tout ce qui précède au nom de la puissance et de la majesté de son Père, 1’Évangéliste nous apprend ce qu’il répondit lorsqu’on vint lui annoncer que ses frères et sa mère l’attendaient au dehors. " Pendant qu’il parlait encore au peuple, " etc. — S. Aug. (de l’accord des évang., 2, 40.) Nous devons penser que Notre-Seigneur fit cette réponse dans des circonstances qui la motivaient ; car avant de la rapporter l’Evangéliste fait cette remarque " : Lorsqu’il parlait encore au peuple. " Que veut dire ce mot " encore " si ce n’est au moment même où il tenait ce discours ? Saint Marc (Mc 3) place également ce fait après avoir rapporté ce qui concerne le blasphème sur le Saint-Esprit, et il ajoute : " Et ses frères et sa mère étant venus. " Saint Luc n’a pas gardé ici l’ordre historique ; mais il a raconté ce fait par anticipation, d’après l’ordre de ses souvenirs. — S. Jér. (contre Helvid.) Helvidius veut appuyer une de ses erreurs sur ce que nous voyons dans l’Évangile des frères de Notre-Seigneur. Pourquoi, demande-t-il, les aurait-on appelés les frères du Seigneur s’ils n’avaient pas été réellement ses frères ? Or, il faut savoir que dans l’Écriture le nom de frères est entendu de quatre manières différentes. Il y a les frères de nature, les frères de nation, les frères de parenté, et les frères d’affection : les frères de nature, comme Esaü et Jacob, les frères de nation, tous les Juifs, par exemple, qui se donnent entre eux le nom de frères, comme nous le voyons dans le Deutéronome : " Vous ne pourrez placer à votre tête un étranger qui ne soit point votre frère (Dt 17) ; les frères de parenté, c’est-à-dire ceux qui sont d’une même famille ; c’est dans ce sens qu’Abraham dit à Loth dans la Genèse (Gn 13) : " Qu’il n’y ait point de débat entre vous et moi, car nous sommes frères. " Enfin il y a les frères d’affection, qui le sont d’une manière ou particulière, ou générale : particulière, comme le sont tous les chrétiens d’après ces paroles du Sauveur : " Allez, dites à mes frères " (Jn 20) ; générale, comme tous les hommes nés d’un même père sont unis entre eux par les liens d’une même fraternité, et c’est dans ce sens qu’il est dit dans Isaïe : " Dites à ceux qui vous haïssent : Vous êtes nos frères (Is 66, 5). " Or, je vous le demande, dans quel sens l’Évangile prend-il les frères du Seigneur ? Est-ce selon la nature ? Mais l’Écriture ne les appelle ni les enfants de Marie ni ceux de Joseph. Est-ce comme ayant une même nationalité ? Mais il serait absurde de donner ce nom à un petit nombre de Juifs, alors que tous les Juifs qui étaient présents y avaient droit. Est-ce d’après l’affection qu’inspire la nature ou la grâce ? Mais à ce titre, qui méritait mieux ce nom de frères que les Apôtres, qui recevaient les instructions les plus secrètes du Seigneur ? Ou bien si tous les hommes sont ses frères par cela qu’ils sont hommes, c’était une absurdité de donner ici ce nom comme propre et personnel en disant : " Voici que vos frères vous cherchent. " Il ne reste donc plus de possible que la dernière interprétation, qui explique ce nom de frères dans le sens de la parenté et non point dans le sens de l’affection, de la nationalité ou de la nature. — S. Jér. (sur S. Matth.) Il en est qui ont supposé que ces frères du Seigneur étaient des enfants que Joseph avait eus d’une première épouse ; ils suivent en cela les extravagances des Évangiles apocryphes et imaginent l’existence de je ne sais quelle femme qu’ils appellent Escha. Pour nous, nous voyons dans ces frères du Seigneur, non pas les enfants de Joseph, mais les cousins du Seigneur, enfants de la soeur de Marie, tante du Seigneur, qui est appelée mère de Jacques le Mineur, de Joseph et de Jude, auxquels l’Évangile, dans un autre endroit, donne le nom de frères du Seigneur. Or, toute l’Écriture atteste qu’on étend ce nom de frères jusqu’aux cousins.

S. Chrys. (homélie 45.) Or, voyez quel est l’orgueil des frères du Seigneur ! Leur devoir était d’entrer et de se mêler à la foule pour écouter ses enseignements, ou, si telle n’était pas leur intention, d’attendre qu’il eût terminé son instruction pour venir le trouver. Mais non, ils l’appellent au dehors, et ils l’appellent en présence de tous, faisant ainsi preuve d’une excessive vanité, et voulant montrer qu’ils commandaient au Christ avec autorité. C’est ce que l’Évangéliste semble vouloir nous indiquer indirectement par ces mots : " Lorsqu’il parlait encore, " comme s’il voulait dire : Est-ce qu’ils n’auraient pu choisir un autre moment ? Mais que voulaient-ils lui dire ? Si c’était une question de doctrine qu’ils voulaient lui proposer, ils devaient le faire devant le peuple pour que tous pussent en profiter ; et s’ils n’avaient à l’entretenir que de leurs affaires particulières, ils devaient attendre : il est donc évident qu’ils agissaient ainsi par un motif de vaine gloire.
 

S. Aug. (De la nat. et de la grâce, 36.) Mais quoi que l’on puisse dire des frères du Seigneur, lorsqu’on parle de péché, pour l’honneur du Christ, je ne veux pas qu’il soit question en aucune manière de la Vierge Marie, car nous savons qu’elle a reçu une grâce plus abondante pour triompher en tout du péché, parce qu’elle devait concevoir et enfanter celui qui, bien certainement, ne fut jamais souillé d’aucun péché.

" Et quelqu’un lui dit : Voici que votre mère et vos frères sont dehors et veulent vous parler. " — S. Jér. Celui qui vient lui annoncer cette nouvelle ne me paraît pas l’avoir fait avec simplicité et naturellement, mais pour lui tendre un piége et voir s’il sacrifierait aux affections de la nature une oeuvre toute spirituelle. Le Sauveur refuse donc de sortir, non qu’il méconnaisse sa mère et ses frères, mais parce qu’il veut répondre à ceux qui cherchent à le prendre en défaut. — S. Chrys. (hom. 45.) Il ne dit pas : Allez, et dites-lui qu’elle n’est pas ma mère, il adresse la parole à celui qui vient de lui porter cette nouvelle : " Mais s’adressant à celui qui lui parlait, il lui dit : Quelle est ma mère, quels sont mes frères ? " — S. Hil. (can. 12.) N’allons pas croire qu’il ait éprouvé un sentiment de dédain pour sa mère, lui qui du haut de la croix lui témoigna tant d’affection et une si tendre sollicitude. (Jn 19.) — S. Chrys. (hom. 45.) S’il avait voulu renier sa mère, il l’aurait fait lorsque les Juifs lui faisaient un reproche de la condition de sa mère. — S. Jér. Il n’a donc pas renié sa mère, comme le prétendent Marcion et les Manichéens, pour nous faire croire que sa naissance n’était qu’imaginaire, mais il a voulu montrer qu’il préférait les Apôtres à ses parents, pour nous apprendre à préférer nous-mêmes les affections de l’esprit aux affections de la chair. — S. Amb. (sur S. Luc., liv. 6.) Il ne condamne pas les devoirs de piété filiale qu’un fils doit à sa mère, mais il veut nous apprendre qu’il se doit bien plus aux devoirs mystérieux qui l’attachent à son père, et à l’amour qu’il a pour lui, qu’à son affection pour sa mère ; aussi l’Évangéliste ajoute : " Et, étendant la main vers ses disciples, il dit : Voici ma mère, et voici mes frères. " — S. Grég. (homélie 31 sur les Evang.) Notre-Seigneur a daigné appeler les fidèles ses frères lorsqu’il a dit : " Allez, annoncez à mes frères. " (Mt 28.) On peut donc se demander comment celui qui est devenu le frère du Seigneur en embrassant la foi, peut devenir aussi sa mère. C’est que celui qui est devenu le frère et la soeur de Jésus-Christ par la foi, mérite de devenir sa mère par la prédication, car il enfante le Seigneur en le produisant dans le cœur de ses auditeurs, et il devient sa mère s’il fait naître par ses paroles l’amour du Sauveur dans l’âme du prochain.

S. Chrys. (hom. 45.) Aux leçons qui précèdent, il en ajoute encore une autre, c’est que la confiance que peut nous inspirer notre parenté ne doit pas nous faire négliger la pratique de la vertu, car s’il ne servait de rien à la mère de Jésus d’être sa mère, sans l’éminente vertu qui la distinguait, qui peut se flatter d’être sauvé grâce à sa parenté ? Il n’y a qu’une seule noblesse, c’est de faire la volonté de Dieu, comme il nous l’apprend dans les paroles suivantes : " Quiconque fera la volonté de mon Père qui est au ciel, celui-là est mon frère, ma mère et ma soeur. " Bien des mères ont proclamé le bonheur de la sainte Vierge et de son chaste sein ; elles ont désiré pour elles une maternité semblable. Qui les empêche d’obtenir ce bonheur ? Le Sauveur vous a ouvert une large voie, et il est permis non-seulement aux femmes, mais encore aux hommes de devenir mère de Dieu (cf. Ga 4, 19).

S. Jér. Nous pouvons encore donner une autre explication. Le seigneur parle à la foule et enseigne les nations dans l’intérieur de la maison ; sa mère et ses frères, c’est-à-dire la synagogue et le peuple juif, se tiennent dehors. — S. Hil. (can. 12.) Ils avaient cependant comme les autres la faculté d’arriver jusqu’à lui ; mais comme il est venu parmi les siens, et que les siens ne l’ont pas reçu (Jn 12), ils refusent d’entrer et d’approcher de lui.

S. Grég. (hom. 31.) Pourquoi la mère du Sauveur reste-t-elle dehors, comme s’il ne la connaissait pas ? Parce que la synagogue n’est plus reconnue par celui qui l’a établie, car en s’attachant exclusivement à l’observation de la loi, elle a perdu l’intelligence spirituelle et s’est condamnée elle-même à être au dehors la gardienne de la lettre. — S. Jér. Après qu’ils auront demandé, prié et envoyé un messager, il leur sera répondu qu’ils sont libres d’entrer et de croire eux-mêmes, s’ils le veulent.
 

 

CHAPITRE XIII.

vv. 1-9.

S. Chrys. (hom. 45.) Après avoir donné cette leçon à celui qui lui avait annoncé la présence de sa mère et de ses frères, Jésus se rend cependant à leurs désirs et il sort de la maison. C’est ainsi qu’après avoir guéri d’abord dans ses frères le mal de la vaine gloire, il rend ensuite à sa mère l’honneur qui lui était dû. " Ce jour-là même, Jésus étant sorti, " etc. — S. Aug. (De l’acc. des Evang., 11, 41.) Cette expression : " Ce jour-là " indique suffisamment que ce fait eut lieu immédiatement après ce qui précède ou peu de temps après, à moins que l’on ne donne ici au mot jour le sens qu’il a quelquefois dans l’Écriture, c’est-à-dire qu’on le prenne pour un temps indéfini (Jn 14 ; 16, 23.25).

Rab. Non-seulement les paroles et les actions du Seigneur, mais encore ses courses et les lieux témoins de ses prédications et de ses miracles sont pleins d’enseignements mystérieux. Après le discours qu’il avait prononcé dans cette maison où d’horribles blasphémateurs l’avaient appelé possédé du démon, il sort pour enseigner sur le bord de la mer ; il montre ainsi qu’il abandonne la Judée pour la punir de sa perfidie et qu’il va porter le salut aux nations. En effet, les cœurs des infidèles, longtemps dominés par l’orgueil et l’incrédulité, sont comparés aux flots amers et soulevés de l’Océan. Quant à la maison du Seigneur, qui ne sait que c’était la Judée qui l’était devenue pour la foi ?

S. Jér. Remarquons encore que le peuple ne pouvait entrer dans la maison de Jésus, ni s’y joindre aux Apôtres pour y entendre ses mystérieuses leçons. C’est pour cela que le Seigneur, plein de miséricorde, sort de la maison et s’assied sur le rivage de la mer de ce siècle pour réunir autour de lui la foule, pour lui adresser sur le rivage les enseignements qu’elle n’était pas digne d’entendre dans l’intérieur de la maison. " Et il s’assembla autour de lui une grande foule de peuple. " — S. Chrys. (hom. 45.) Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste rapporte cette circonstance ; il veut nous faire remarquer l’intention expresse du Sauveur, qui voulait réunir une grande multitude et l’avoir tout entière devant les yeux, sans laisser une seule personne derrière lui. — S. Hil. (can. 13.) La suite du récit nous explique pourquoi Notre-Seigneur s’assied dans la barque, tandis que le peuple reste sur le rivage. Il allait parler en paraboles, et, en agissant de la sorte, il nous apprend d’une manière figurée que ceux qui sont hors de l’Église ne peuvent avoir aucune intelligence de la parole divine. Cette barque représente l’Église, la parole de la vie qu’elle renferme dans son sein est prêchée à ceux qui sont au dehors ; mais, semblables au sable stérile, ils ne peuvent la comprendre. — S. Jér. Jésus est au milieu des flots, la mer vient battre tout autour de lui ; tranquille dans sa majesté, il fait approcher la barque du rivage, afin que le peuple, libre de toute crainte et affranchi des épreuves qui eussent été au-dessus de ses forces, se tienne ferme sur le rivage pour entendre de là ses paroles. — Rab. Ou bien il monte dans cette barque et s’y assied au milieu de la mer pour figurer que le Christ devait monter par la foi dans les âmes des Gentils et rassembler son Église au milieu de la mer, c’est-à-dire au milieu des peuples qui devaient le contredire. Cette foule qui se tient sur le rivage et qui n’est ni sur la mer ni dans la barque, nous représente ceux qui reçoivent la parole de Dieu et qui sont séparés par la foi des flots de la mer, c’est-à-dire des réprouvés, sans être encore pénétrés des mystères du royaume des cieux.

" Et il leur dit beaucoup de choses en paraboles. " — S. Chrys. (hom. 45.) Il n’avait pas suivi cette méthode dans son discours sur la montagne, qui n’était point ainsi composé de paraboles, car il ne s’adressait alors qu’à la multitude seule et à des esprits simples et sans déguisement, tandis qu’il comptait ici parmi ses auditeurs des scribes et des pharisiens. Mais ce n’est pas le seul motif pour lequel il parle en paraboles, il veut encore donner plus de clarté à ses enseignements, les graver plus profondément dans la mémoire en les plaçant pour ainsi dire sous les regards. — S. Jér. Remarquez que tous ses enseignements ne sont pas en paraboles, mais une grande partie seulement, car s’il n’avait parlé qu’en paraboles, le peuple n’en eût retiré aucun fruit ; mais en mêlant des choses claires à des choses moins évidentes, l’intelligence des unes excite à pénétrer l’obscurité des autres. La foule, d’ailleurs, n’est pas animée des mêmes sentiments, mais elle est composée de volonté diverses : il lui adresse donc un grand nombre de paraboles pour satisfaire par la diversité de l’enseignement à la diversité des désirs et des besoins.

S. Chrys. (hom. 45.) Il commence par la parabole qui devait rendre ses auditeurs plus attentifs ; car, comme il devait leur parler en figures, il éveille tout d’abord leur attention par ces paroles : " Celui qui sème sortit pour semer. " — S. Jér. Or, ce semeur qui répand sa semence, c’est le Fils de Dieu qui est venu semer parmi les peuples la parole de son Père. — S. Chrys. (hom. 45.) Mais d’où a pu sortir celui qui est présent en tous lieux, et comment est-il sorti ? Il n’est pas sorti comme on sort d’un endroit que l’on quitte, mais il s’est rapproché de nous par son incarnation et par la nature humaine dont il s’était revêtu. Nous ne pouvions arriver jusqu’à lui, nos péchés étaient pour nous un obstacle insurmontable ; il est venu jusqu’à nous. — Rab. Ou bien il est sorti lorsque dans la personne de ses Apôtres, il a abandonné la Judée pour aller évangéliser les Gentils. — S. Jér. Ou bien encore il était au dedans, lorsque, dans l’intérieur de la maison il dévoilait à ses disciples les mystères du royaume des cieux. Il sort donc de cette maison pour répandre la semence au milieu de la foule. — S. Chrys. (hom. 45.) Lorsque vous entendez Notre-Seigneur vous dire : " Celui qui sème sortit pour semer, " ne regardez pas ces deux expressions comme identiques. Le semeur sort bien souvent, et pour d’autres motifs ; par exemple, pour labourer la terre, pour couper les mauvaises herbes, pour arracher les épines ou pour d’autres travaux semblables. Mais ici il sort pour semer. Et que deviendra cette semence ? Trois parties sont perdues, une seule est conservée, non pas d’une manière égale, mais avec quelque différence : " Et pendant qu’il sème, une partie de la semence tomba sur le chemin. " — S. Jér. Valentin se sert de cette parabole pour établir son hérésie et appuyer son système des trois natures : la nature spirituelle, la nature naturelle ou animale, et la nature terrestre. Or nous voyons ici quatre espèces différentes de terre : l’une qui est le long du chemin, l’autre qui est un terrain pierreux, la troisième couverte d’épines, et la quatrième qui est une bonne terre. — S. Chrys. (hom. 45.) Mais quelle apparence de raison dans la conduite de celui qui sèmerait au milieu des épines, sur les pierres ou le long du chemin ? Si l’on prend la semence et la terre dans leur sens matériel et ordinaire, ce serait folie d’agir de la sorte, car il n’est au pouvoir ni de la pierre de devenir terre, ni du chemin de ne pas être un chemin, ni des épines de ne pas être des épines. Mais lorsqu’on entend la terre et la semence de la terre des âmes et de la semence de la parole de Dieu, cette conduite est on ne peut plus louable, car dans ce sens il est possible à la pierre de devenir une terre fertile, au chemin de ne plus être foulé aux pieds, et aux épines d’être arrachées. Quant au surplus de la semence qui est perdu, la faute n’en est pas à celui qui sème, mais à la terre qui reçoit la semence, c’est-à-dire à l’âme, car le semeur ne fait aucune distinction entre le pauvre et le riche, entre le sage et l’ignorant ; il s’adresse à tous, faisant de son côté tout ce qui dépend de lui, tout en prévoyant ce qui doit arriver et motiver ce reproche : " Qu’ai-je dû faire que je n’aie pas fait ? " Or, s’il ne dit pas clairement qu’une partie de la semence est tombée sur les âmes négligentes qui l’ont laissé enlever, une autre sur les riches qui l’ont étouffée, une autre sur les âmes molles qui l’ont perdue, c’est qu’il ne veut pas blesser trop vivement les Juifs et les jeter dans le découragement. Cette parabole apprend encore à ses disciples à ne point négliger le ministère de la prédication, bien qu’un grand nombre de leurs auditeurs ne laissent pas de se perdre, puisque ce triste résultat n’a pas empêché le Seigneur qui prévoyait toutes choses, de répandre la semence de sa parole dans les cœurs.

S. Jér. Remarquez encore que c’est ici la première parabole que Notre-Seigneur fait suivre de son explication, et toutes les fois qu’il explique lui-même ses paroles, gardez-vous de les entendre autrement ou de leur donner un sens plus ou moins étendu que l’explication donnée par le Seigneur lui-même. — Rab. Disons quelques mots de ce que le Sauveur nous laisse libres d’interpréter. Le chemin c’est l’âme pleine de zèle foulée et desséchée sous les pas des mauvaises pensées ; la pierre, c’est la dureté d’une âme audacieuse ; la terre, c’est la douceur d’une âme obéissante ; le soleil, c’est l’ardeur de la persécution qui sévit. La profondeur de la terre, c’est la droiture de l’âme formée par les célestes enseignements. Nous avons déjà fait observer que les choses n’ont pas toujours un seul et même sens dans l’interprétation allégorique. — S. Jér. Toutes les fois que Notre-Seigneur nous donne cet avertissement : " Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende, " nous sommes prévenus de donner toute notre attention pour comprendre ses divines paroles. — Remi. Les oreilles pour entendre, ce sont les oreilles de l’âme qui doivent servir à l’intelligence et à l’accomplissement des commandements de Dieu.
 

 

vv. 10-17.

La Glose. Les disciples, remarquant qu’il y avait de l’obscurité dans le discours que le Seigneur adressait au peuple, voulurent lui conseiller de ne plus parler en paraboles : " Et ses disciples, s’approchant de lui, lui dirent, " etc. — S. Chrys. (hom. 46.) La conduite des Apôtres est vraiment digne d’admiration ; malgré le désir qu’ils ont de s’instruire, ils choisissent le moment pour interroger, et ils ne le font pas publiquement, ce que saint Matthieu nous indique par ces paroles : " Alors ses disciples s’approchant, " etc. Saint Marc est encore plus explicite, et dit clairement qu’ils vinrent le trouver en particulier. — S. Jér. On peut se demander comment ils purent s’approcher du Seigneur, puisqu’il se trouvait alors dans la barque. Il faut l’entendre dans ce sens qu’ils étaient montés avec lui dans cette barque, et que c’est là qu’ils lui demandèrent l’explication de la parabole. — Remi. L’Évangéliste dit qu’ils s’approchèrent pour marquer qu’ils l’interrogèrent ; ou bien ils ont pu s’approcher réellement de lui, bien qu’il n’y eût qu’une légère distance qui les en séparât.

S. Chrys. (hom. 46.) Remarquez aussi avec quelle vive affection ils se préoccupent du soin et des intérêts du prochain, avant de penser à ce qui les concerne, car ils ne lui disent pas : " Pourquoi nous parlez-vous en paraboles, " mais : " Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? " " C’est, leur répond-il, que pour vous autres, il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux. " — Remi. Pour vous, dis-je, qui me suivez, et qui croyez en moi. Les mystères du royaume des cieux, c’est la doctrine évangélique ; mais pour eux, c’est-à-dire pour ceux qui sont au dehors et ne veulent pas croire en lui (les scribes, les pharisiens et tous les autres qui persévèrent dans leur infidélité), il ne leur a pas été donné de les comprendre. Joignons-nous donc aux disciples pour approcher du Seigneur avec un cœur pur, afin qu’il daigne nous expliquer la doctrine de I’Évangile, selon cette parole du Deutéronome (Dt 33) : " Ceux qui se tiennent à ses pieds recevront sa doctrine. " — S. Chrys. (hom. 46.) En parlant de la sorte, Notre-Seigneur n’établit pas le système de la nécessité ou de la fatalité ; il veut simplement montrer que ceux qui n’ont pas reçu cette faveur sont eux-mêmes la cause de tous leurs maux, et que la connaissance des mystères divins est un don de Dieu et une grâce qui descend du ciel. Cependant le libre arbitre n’est pas pour cela détruit, ces paroles et celles qui suivent le prouvent évidemment. En effet, pour ne pas jeter dans le désespoir ceux qui n’ont pas reçu cette grâce, ou dans la négligence ceux à qui elle a été donnée, il nous dit clairement que la raison première de ces dons vient de nous : " Celui qui a déjà, on lui donnera encore, " etc., paroles dont voici le sens : Celui qui est plein d’ardeur et de zèle recevra en abondance tous les dons de Dieu, mais s’il en est dépourvu et qu’il ne prête en aucune manière son concours, il ne recevra pas les dons de Dieu, et il perdra même ce qu’il a ; non pas que Dieu le lui enlève, mais parce qu’il se rend indigne de conserver ce qu’il possède. Si donc nous voyons un de nos frères entendre la parole de Dieu avec négligence, et que nos efforts soient impuissants pour réveiller son attention, gardons le silence ; car en insistant davantage, nous ne ferions qu’accroître sa négligence. Mais pour celui qui a le désir de s’instruire, nous l’attirons facilement, et nous ne craignons pas de prolonger nos discours. Notre-Seigneur a bien raison de dire : " Ce qu’il paraît avoir ; " car il ne possède pas même ce qu’il a.
 

Remi. Celui qui a le désir de la lecture recevra le don de l’intelligence, et celui qui n’a pas ce désir, se verra enlever jusqu’aux dons qu’il tenait de la nature. Ou bien, celui qui a la charité recevra toutes les autres vertus ; mais celui qui n’a pas la charité en sera dépouillé, parce qu’il n’y a pas de bien possible sans la charité. — S. Jér. Ou bien encore, les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, n’eussent-ils qu’une vertu médiocre, en recevront l’accroissement ; mais les Juifs, qui n’ont pas voulu croire en lui, bien qu’il fût le Fils de Dieu, se verront enlever même les biens naturels qu’ils paraissent avoir ; car ils ne peuvent rien comprendre avec sagesse, parce qu’ils n’ont pas en eux le principe de la sagesse. — S. Hil. (can. 13.) Ajoutons que les Juifs, n’ayant pas la foi, ont perdu la loi qu’ils avaient reçue ; car la foi chrétienne renferme tout don parfait ; dès qu’on l’a reçue, elle s’enrichit de nouveaux fruits ; mais si on la rejette, elle enlève jusqu’aux dons qu’on avait reçus précédemment.
 

S. Chrys. (hom. 46.) Notre-Seigneur veut rendre encore plus claire cette vérité, et il ajoute : " Je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient point. " Si cet aveuglement venait de la nature, le Sauveur aurait dû leur ouvrir les yeux ; mais comme il était volontaire, il ne dit pas simplement : Ils ne voient pas, mais " en voyant, ils ne voient pas. " Ils l’ont vu, en effet, chasser les démons, et ils ont dit : " C’est par Béelzébub qu’il chasse les démons. " (Mt 12.) Ils entendaient dire qu’il attirait tout le monde à Dieu, et ils disaient : " Cet homme ne vient pas de Dieu. " (Jn 9.) Mais comme ils affirmaient le contraire de ce qu’ils voyaient et de ce qu’ils entendaient, ils perdent la faculté de voir et d’entendre. En effet, cette faculté, ne leur a servi de rien qu’à rendre leur condamnation plus terrible. Aussi dans le commencement il ne leur parlait pas en paraboles, mais en termes clairs et sans énigme, et il ne se sert de paraboles que parce qu’ils dénaturent tout ce qu’ils voient et tout ce qu’ils entendent. — Remi. Et remarquez que non-seulement ses paroles, mais encore ses actions elles-mêmes, étaient autant de paraboles, c’est-à-dire des symboles des choses spirituelles, ce que prouvent évidemment les paroles suivantes : " Parce qu’en voyant ils ne voient point ; " car on ne peut voir les paroles, mais seulement les entendre. — S. Jér. Notre-Seigneur parle ainsi de ceux qui sont sur le rivage, et qui, autant par suite de la distance qui les sépare de Jésus, que du bruit des flots, n’entendaient pas clairement ce qu’il disait.
 

S. Chrys. (hom. 46.) Afin qu’ils ne pussent dire : C’est notre ennemi qui nous accuse, il leur cite le Prophète qui rend pleinement témoignage à ce qu’il vient de dire : " Et la prophétie d’Isaïe s’accomplit en eux : vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez pas, et en voyant, vous ne verrez pas ", c’est-à-dire vous entendrez de vos oreilles des paroles, mais vous n’en comprendrez pas le sens ; vous verrez de vos yeux mon humanité, et vous ne verrez pas, c’est-à-dire vous ne comprendrez pas ma divinité. — S. Chrys. (hom. 46.) Il leur parle de la sorte, parce qu’ils se sont privés eux-mêmes de la faculté de voir et d’entendre en fermant leurs oreilles et leurs yeux, et en laissant leur cœur s’appesantir ; car leur crime n’était pas seulement de ne pas entendre, mais d’être contrariés d’entendre ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Leur cœur s’est appesanti. " — Rab. Le cœur des Juifs s’est appesanti sous le poids de leur malice, et c’est la multitude de leurs péchés qui leur a fait entendre avec peine les paroles du Seigneur qu’ils recevaient avec une superbe ingratitude. — S. Jér. De peur que nous ne pensions que cet appesantissement du cœur et cette surdité de l’ouïe étaient un vice de la nature et non de la volonté, il prouve que c’était la suite du mauvais usage de leur liberté en ajoutant : " Et ils ont fermé les yeux. "
 

S. Chrys. (hom. 46.) Jusqu’ici il a fait voir l’étendue de leur malice et leur éloignement affecté à l’égard de Dieu ; mais comme son désir est de les attirer à lui, il ajoute : " Et que s’étant convertis, je ne les guérisse, " paroles qui prouvent que s’ils voulaient se convertir, il les guérirait. Ainsi lorsqu’on dit d’une personne quelconque : S’il m’en avait prié, je lui aurais immédiatement pardonné, on déclare à quelles conditions le pardon est offert ; de même en disant : " De peur que s’étant convertis je ne les guérisse, " Notre-Seigneur montre et qu’il leur est possible de se convertir, et qu’en faisant pénitence ils seront sauvés.

S. Aug. (Quest. évang.). Ou bien encore, ils ont fermé les yeux afin de ne pas voir de leurs yeux, c’est-à-dire qu’eux-mêmes ont été cause que Dieu leur a fermé les yeux, comme le dit un autre Évangéliste (Jn 12) : " Il a aveuglé leurs yeux. " Est-ce de telle sorte qu’ils ne voient jamais, ou bien est-ce afin qu’ils ne voient point en regrettant et en déplorant leur aveuglement, de manière qu’étant profondément humiliés de cet état, ils soient amenés à confesser leurs péchés et à chercher Dieu avec amour ? C’est ainsi que saint Marc l’entend : " De peur qu’ils ne viennent à se convertir, et que leurs péchés ne leur soient pardonnés. " (Mc. 4.) Nous voyons donc clairement que par leurs péchés ils se sont rendus indignes de comprendre, et que cependant, par un effet de la miséricorde de Dieu, ils ont pu connaître leurs péchés, et en obtenir le pardon par leur conversion. Mais la manière dont saint Jean rapporte ce passage : " Ils ne pouvaient croire, parce que, Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cœur, de peur qu’ils ne voient de leurs yeux, et ne comprennent du cœur, et qu’ils se convertissent, et que je les guérisse, " paraît contredire cette explication, et nous force d’entendre ces paroles : " De peur qu’ils ne voient de leurs yeux, " non pas d’un aveuglement qui leur permettra de voir un jour, mais dans ce sens que cet aveuglement sera perpétuel. En effet, saint Jean dit clairement : " Afin qu’ils ne voient pas de leurs yeux, " et en ajoutant : " C’est pour cela qu’ils ne pouvaient pas croire, " il montre assez que cet aveuglement n’a pas eu lieu, afin que, vivement touchés de cet état et regrettant de ne pas comprendre, ils se convertissent en faisant pénitence (car c’est ce qu’ils ne pourraient faire sans croire tout d’abord, puisque la foi est ce principe de leur conversion, comme la conversion est le principe de leur guérison, et leur guérison la condition nécessaire pour comprendre) ; mais cet Évangéliste nous déclare, au contraire, qu’ils ont été aveuglés, de manière que la foi leur fût impossible, puisqu’il dit ouvertement : " C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire. " Or, s’il en est ainsi, qui ne prendrait la défense des Juifs et ne proclamerait qu’ils ne sont nullement coupables de n’avoir pas cru ? Car s’ils n’ont pas cru, c’est que Dieu a aveuglé leurs yeux. Mais comme nous ne devons point supposer l’ombre de faute en Dieu, il nous faut reconnaître que certains autres péchés ont été causes de cet aveuglement qui leur a rendu la foi impossible. Car voici comme s’exprime saint Jean : " Ils ne pouvaient croire, parce qu’Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux. " C’est donc en vain que nous nous efforçons de comprendre qu’ils ont été aveuglés à cette fin qu’ils pussent se convertir, puisqu’au contraire ils ne pouvaient pas se convertir parce qu’ils ne croyaient pas, et qu’ils ne pouvaient croire parce qu’ils étaient aveugles. Toutefois on peut dire, avec quelque apparence de raison, qu’un certain nombre de Juifs auraient pu être guéris, mais que cependant l’excès de leur orgueil était monté à un tel point, qu’il leur était avantageux de ne pas croire tout d’abord. Ils ont donc été aveuglés pour ne pas comprendre les paraboles du Seigneur ; ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent avec les autres Juifs qui étaient perdus sans espoir. Mais après la résurrection ils se convertirent, alors que profondément humiliés du crime du déicide qu’ils avaient commis, ils aimèrent avec plus d’ardeur celui qu’ils reconnaissaient avec joie leur avoir pardonné un si grand crime ; car il fallait que la grandeur de leur orgueil fût abattue par cet excès d’humiliation. Cette explication pourrait paraître singulière si les faits ne lui donnaient raison, comme nous le lisons expressément au livre des Actes (2, 37). La manière dont saint Jean s’exprime : " C’est pour cela qu’ils ne pouvaient croire, parce qu’il a aveuglé leurs yeux, afin qu’ils ne voient point, " ne lui est pas contraire ; nous disons, en effet, qu’ils ont été aveuglés, afin qu’ils pussent se convertir, c’est-à-dire que les paroles du Seigneur leur furent d’abord cachées sous le voile des paraboles, afin qu’après sa résurrection, ils fussent ramenés à lui par une pénitence salutaire. Aveuglés d’abord par l’obscurité de ce langage, ils ne comprirent pas les paroles du Seigneur ; ne les comprenant pas, ils ne crurent pas en lui, et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent. Mais après sa résurrection, saisis d’épouvante à la vue des miracles qui se faisaient en son nom, ils furent touchés jusqu’au fond du cœur de l’énormité d’un si grand crime, et donnèrent les preuves du plus humble repentir, et lorsqu’ils eurent reçu le pardon de leurs péchés, leur obéissance fut d’autant plus grande que leur amour était plus ardent ; mais cet aveuglement ne fût pas ainsi pour tous le principe de leur conversion. — Remi. Cette phrase peut être entendue en ce sens qu’à chaque membre on sous-entende la particule négative ; afin qu’ils ne voient pas de leurs yeux, qu’ils n’entendent pas de leurs oreilles, qu’ils ne comprennent pas de leur cœur, et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.

La Glose. Les yeux de ceux qui voient et ne veulent pas croire sont donc bien malheureux. Mais pour vous, vos yeux sont heureux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. " — S. Jér. Si nous n’avions pas lu plus haut que, pour exciter l’attention de ceux qui l’écoutaient, le Sauveur avait dit : " Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre, " nous aurions pu croire que ce sont les yeux et les oreilles du corps qu’il proclame bienheureux. Mais pour moi, ces yeux sont heureux qui peuvent connaître les mystères de Jésus-Christ, et heureuses ces oreilles dont Isaïe a dit : " Le Seigneur m’a donné une oreille pour l’écouter. " La Glose. En effet, l’âme est véritablement un oeil, parce qu’elle s’applique par son énergie naturelle à l’intelligence des choses ; l’âme est aussi l’oreille parce qu’elle peut recevoir les enseignements des autres. — S. Hil. (can. 43.) Ou bien il veut parler ici du bonheur des Apôtres, à qui il fut donné de voir de leurs yeux et d’entendre de leurs oreilles le salut de Dieu, que les prophètes et les justes avaient désiré voir et entendre, et qui ne devait être révélé que dans la plénitude des temps, comme Notre-Seigneur le dit en termes exprès : " Car je vous dis en vérité, que beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu.

S. Jér. Ce que le Sauveur dit ici paraît contraire à ce qu’il dit ailleurs : " Abraham a désiré voir mon jour, et il l’a vu, et il en a été réjoui. " — Rab. Isaïe lui-même, Michée et d’autres prophètes ont vu la gloire du Seigneur, et c’est pour cela qu’ils ont été appelés voyants. — S. Jér. Aussi ne dit-il pas : Tous les prophètes et tous les justes, mais plusieurs, car dans ce nombre, les uns ont pu voir, et les autres être privés de cette faveur. Toutefois cette interprétation n’est pas sans danger, car elle paraît établir entre les saints différents degrés de mérite (quant à la foi qu’ils avaient en Jésus-Christ). Abraham vit sous des emblèmes, sous des nuages obscurs ; mais vous avez sous vos yeux et vous possédez votre Seigneur, vous l’interrogez comme vous voulez, et vous vivez avec lui. — S. Chrys. (hom. 46.) Ce que les Apôtres voient et entendent, c’est sa présence, ses miracles, sa voix, sa doctrine, et en cela il proclame leur sort préférable non-seulement à celui des méchants, mais encore à celui des bons qui les ont précédés, et il les déclare plus heureux que les anciens justes, parce qu’ils voient non-seulement ce que les Juifs ne voient point, mais encore ce que les prophètes et les justes ont désiré voir et n’ont pas vu. En effet, les anciens justes n’ont vu le Christ que par la foi, tandis que les Apôtres le voient de leurs yeux et sans obscurité. Admirez le parfait accord de l’Ancien Testament avec le Nouveau. Si les prophètes avaient été les serviteurs d’un dieu étranger ou opposé au vrai Dieu, jamais ils n’auraient désiré voir le Christ.

 

vv. 18-23.

La Glose. Notre-Seigneur avait déclaré plus haut qu’il n’a pas été donné aux Juifs, mais seulement aux Apôtres, de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles, il leur dit : " Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui sème, " vous à qui sont communiqués les mystères du ciel.

S. Aug. (sur la Genèse, 8, 4.) Ce que l’Évangéliste raconte, c’est-à-dire que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement eu lieu ; mais le récit du Seigneur n’a été qu’une parabole, et dans ce genre de récit on n’exige pas que toutes les circonstances qui le composent aient leur application littérale. — La Glose. Notre-Seigneur explique ensuite cette parabole : " Celui qui écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, " phrase qu’il faut entendre ainsi : " Tout homme qui entend la parole, " c’est-à-dire ma prédication, laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne comprend pas. Or, d’où vient ce défaut d’intelligence ? Le voici : " L’esprit malin, c’est-à-dire le démon, vient, et il enlève ce qui avait été semé dans son cœur. Or, tout homme à qui ce malheur arrive, c’est celui qui a été semé le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s’entend de différentes manières : on dit d’une semence qu’elle a été semée, et aussi d’un champ qu’il a été semé, et nous voyons ici cette double signification. Dans cette phrase : " Il enlève ce qui a été semé, " c’est de la semence qu’il est question ; dans cette autre : " Celui qui a été semé le long du chemin, " ce n’est pas de la semence, mais du lieu où elle été répandue, c’est-à-dire de l’homme, qui est le champ ensemencé par la parole de Dieu.

Remi. Dans ces paroles, Notre-Seigneur nous explique ce que c’est que la semence, c’est-à-dire la parole du royaume ou de la doctrine évangélique. Il en est qui reçoivent la parole de Dieu sans aucune affection ; aussi les démons enlèvent aussitôt la semence de la parole divine répandue dans leur cœur, comme une semence tombée sur un chemin battu. " Celui qui est semé sur la pierre écoute la parole, mais il n’a pas de racines. " En effet, la semence ou la parole de Dieu qui tombe sur la pierre, c’est-à-dire sur un cœur dur et indompté, ne peut fructifier ; sa dureté est trop grande, son désir du ciel trop faible, et cette excessive dureté ne lui permet pas d’avoir de racines. — S. Jér. Faites attention à cette parole : " Il est aussitôt scandalisé. " Il y a donc une différence entre celui que l’excès des tribulations et de la douleur force pour ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la persécution scandalise et fait tomber. — " Celui qui est semé au milieu des épines, " etc. Ce qui a été dit autrefois à Adam dans un sens littéral : " Tu mangeras ton pain au milieu des ronces et des épines (Gn 2) " s’entend ici dans le sens allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle et aux soins de ce monde et qui par là mange le pain céleste et l’aliment de la vérité au milieu des épines. — Rab. C’est avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce qu’ils déchirent l’âme avec les pointes aiguës de leurs pensées, étouffent dans leur germe les fruits spirituels des vertus et ne leur permettent pas de se développer. — S. Jér. Cette expression : " La séduction des richesses étouffe la parole " est aussi élégante que vraie, car les richesses sont séduisantes, et elles ne tiennent pas ce qu’elles ont promis. Rien de plus fragile que leur possession ; elles portent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui les possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient dépourvus : aussi le Seigneur affirme-t-il qu’il est difficile aux riches d’entrer dans le royaume des cieux (Mc 10, 23 ; Lc 15, 34), parce que les richesses étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. — Remi. Ces trois natures de terre différentes représentent tous ceux qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais qui ne peuvent lui faire produire des fruits de salut, à l’exception des Gentils, qui n’ont pas même mérité de l’entendre. " Enfin celui qui reçoit la semence dans la bonne terre. " La bonne terre, c’est la conscience pure des élus, l’âme des saints qui reçoit la parole de Dieu avec joie, avec désir, avec amour, qui la conserve courageusement dans la prospérité comme dans l’adversité, et lui fait produire des fruits. " Et il porte du fruit, et rend cent, ou soixante, ou trente pour un. "

S. Jér. Remarquez que comme il y a trois sortes de mauvaises terres, le chemin, la pierre et le champ couvert d’épines, il y a de même trois espèces différentes de bonnes terres : celle qui rend cent pour un, celle qui rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait cette différence, ce n’est pas la nature de la terre, qui est la même d’un côté comme de l’autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme dans ceux qui croient, c’est le cœur qui reçoit la semence ; c’est pour cela que Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre : " L’esprit malin vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur, " et des deux autres : " C’est celui qui reçoit la parole. " Lorsqu’il en vient à la bonne terre, il dit également : " C’est celui qui reçoit la parole. " Nous devons donc d’abord entendre, puis comprendre, et, après avoir compris, produire les fruits des enseignements que nous avons reçus, et rendre ou cent, ou soixante, on trente pour un. — S. Aug. (Cité de Dieu, 2, chap. dern.) Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que les saints, suivant la diversité de leurs mérites, pourront délivrer, les uns trente âmes, les autres soixante, d’autres enfin cent, au jour du jugement, et non dans les temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les hommes abusaient pour faire le mal de cette opinion et se promettaient l’impunité au jour du jugement, parce que tous pourraient être sauvés par cette voie, leur répondit qu’il était bien plus prudent de vivre de manière à se trouver parmi ceux dont l’intercession devait délivrer les autres. En effet, ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d’eux aurait délivré le nombre qui lui est assigné, il en restât un plus grand nombre qui ne pourraient être sauvés par leur intercession, et parmi ces derniers se trouveraient tous ceux qui, par une témérité sans fondement, avaient mis toute leur confiance dans les mérites des autres.

Remi. Celui qui prêche la foi en la sainte Trinité rend trente pour un ; soixante pour un, celui qui recommande la perfection dans les bonnes oeuvres, car c’est en six jours que l’oeuvre de la création fut achevée (Gn 2) ; et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nombre cent passe de la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre la vie présente, et par la droite la vie future. Dans un autre sens, la parole de Dieu rend trente pour un lorsqu’elle fait germer les bonnes pensées ; soixante, lorsqu’elle produit les bonnes paroles ; cent, lorsqu’elle fait arriver jusqu’aux fruits des bonnes oeuvres.
 

S. Aug. (Quest. évang., 1, 10.) Ou bien le nombre cent, c’est le fruit que produisent les martyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu’ils font de la mort ; le nombre soixante, c’est le fruit que rendent les vierges qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n’ont plus à soutenir les combats de la chair ; en effet, on donne la retraite après l’âge de soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics ; le nombre trente est celui des époux, car c’est l’âge de ceux qui sont appelés à combattre, et ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir pour ne pas être vaincus par leurs passions. Ou bien il faut lutter contre l’amour des biens temporels pour lui disputer la victoire ; ou bien il faut le tenir dompté et soumis pour réprimer avec facilité ses moindres mouvements, lorsqu’il veut se soulever ; ou enfin, il faut l’éteindre entièrement de manière à ce qu’il ne puisse plus exciter la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous voyons les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité, les autres sans s’émouvoir, d’autres enfin avec joie. Ces trois degrés de vertu correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces de terre : l’une trente, l’autre soixante, l’autre cent pour un, et il faut au moment de la mort faire partie d’une de ces trois espèces de terre si l’on veut sortir de cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.

S. Jér. — Ou bien encore la terre qui rend cent pour un, signifie les vierges ; celle qui rend soixante, les veuves ; celle qui rend trente ceux qui mènent une vie chaste dans l’état du mariage. Ou bien enfin le nombre trente est une figure du mariage, parce que ce nombre, qui s’exprime par le rapprochement des doigts qui s’unissent par un doux embrassement, représente l’union de l’homme et de la femme. Le nombre soixante représente les veuves qui vivent dans les larmes et dans la tribulation (aussi le nombre soixante s’exprime en abaissant le doigt inférieur), car leur récompense est d’autant plus grande qu’il leur est plus difficile de résister aux séductions de la volupté dont elles ont déjà fait l’épreuve. Enfin, le nombre cent, pour lequel la main droite remplace la main gauche et qui s’exprime par le cercle que forment les mêmes doigts de cette main, représente la couronne de la virginité.

 

vv. 24-30.

S. Chrys. (hom. 47 sur S. Matth.) Dans la parabole précédente, le Seigneur s’est proposé ceux qui ne reçoivent pas la parole de Dieu ; ici il veut parler de ceux qui reçoivent une parole de corruption, car c’est un des artifices du démon de mêler toujours l’erreur à la vérité : " Il leur proposa une autre parabole, " etc. — S. Jér. Notre-Seigneur agit comme un homme riche qui sert à ses convives une table couverte de mets variés, où chacun peut choisir dans cette variété ce qui convient à son estomac. L’Évangéliste ne dit pas " l’autre parabole, " mais " une autre parabole, " car s’il avait dit " l’autre, " nous n’aurions pu en espérer une troisième, tandis qu’en disant " une autre, " il nous fait entendre que d’autres paraboles doivent la suivre. Il nous explique ensuite le sujet de cette parabole en disant : " Le royaume des cieux est semblable à un homme qui sème de bon grain, " etc. — Remi. Le royaume des cieux, c’est le Fils même de Dieu, et le royaume est semblable à un homme qui a semé de bon grain dans son champ. — S. Chrys. (hom. 47.) Il nous apprend ensuite de quelle manière le démon tend ses embûches : " Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du blé, et il s’en alla. " Notre-Seigneur nous enseigne par là que l’erreur ne vient qu’après la vérité, ce que l’expérience ne prouve que trop. En effet, ce n’est qu’après les prophètes que sont venus les faux prophètes ; après les Apôtres, les faux apôtres ; après le Christ, l’Antéchrist. Si le démon ne voit rien qu’il puisse imiter, s’il ne voit personne qu’il puisse faire tomber dans le piége, il s’abstient de tenter ; mais comme il voit ici que l’un rend cent pour un, l’autre soixante, l’autre trente, et qu’il n’a pu enlever ou étouffer ce qui a pris racine, il a recours à d’autres artifices, il mêle les erreurs à la vérité ; il leur en donne autant qu’il peut la couleur et la ressemblance pour tromper plus facilement ceux sur qui la séduction exerce depuis longtemps son empire. C’est pour cela que Notre-Seigneur ne dit pas qu’il y sème une autre semence, mais de l’ivraie, parce qu’elle a quelque ressemblance pour la forme avec le grain de froment. Le démon fait éclater encore sa malignité en ne répandant l’ivraie que lorsque les semailles étaient terminées, afin de nuire davantage aux travaux du laboureur.
 

S. Aug. (Quest. évang.) Il ajoute : " Lorsque les hommes dormaient. " C’est en effet lorsque les premiers pasteurs de l’Église se laissèrent aller à la négligence, ou bien lorsque les Apôtres se sont endormis du sommeil de la mort, que le démon est venu et qu’il a semé par-dessus la bonne semence ceux que le Seigneur appelle les mauvais enfants. On peut demander avec raison s’il a voulu désigner par là les hérétiques, ou bien les catholiques dont la vie n’est pas conforme à leur foi. Il nous dit qu’ils ont été semés au milieu du froment, il semble donc qu’il a voulu désigner ceux qui appartiennent à une même communion. Cependant, comme lui-même nous déclare que ce champ est non-seulement l’Église, mais le monde entier, on peut très-bien voir dans cette ivraie les hérétiques qui dans ce monde se trouvent mêlés aux justes. Ceux qui conservent la vraie foi tout en la déshonorant par leur vie sont plutôt semblables à la paille qu’à l’ivraie, parce que la paille a la même origine et la même racine que le froment. Quant aux schismatiques, ils ressemblent bien plus aux pailles brisées ou coupées que l’on sépare de la moisson. Il ne faut pas en conclure cependant que tout hérétique et tout schismatique soient extérieurement séparés de l’Église ; l’Église en renferme un grand nombre dans son sein qui n’attirent pas l’attention de la multitude en défendant leurs erreurs d’une manière éclatante. S’ils le faisaient, l’Église les retrancherait de la communion. — Et plus bas : Lors donc que le démon en répandant ses détestables erreurs et ses fausses doctrines eut semé de l’ivraie au milieu du blé, c’est-à-dire eut jeté les hérésies sur la vérité en se couvrant du nom du Christ, il se cacha avec plus de soin et se rendit invisible ; c’est ce que Notre-Seigneur veut exprimer par ce mot : " Et il s’en alla. " Il faut cependant admettre, comme il l’explique lui-même, que sous le nom d’ivraie il a voulu comprendre non pas seulement quelques scandales, mais tous les scandales et tous ceux qui opèrent l’iniquité.

S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur, dans ce qui suit, nous trace avec soin le portrait des hérétiques : " Lorsque l’herbe eut poussé et qu’elle fut montée en épis, alors l’ivraie parut elle-même. " Les hérétiques dissimulent d’abord leur présence, mais lorsque leur confiance s’est accrue, qu’ils sont parvenus à se faire écouter, et qu’ils ont fait quelques prosélytes, ils répandent leur venin. — S. Aug. (Quest. évang.) (cf. 1 Co 2, 15). Ou bien dans un autre sens, lorsque l’homme spirituel commence à juger toutes choses, alors les erreurs se dessinent à ses yeux, il voit clairement que ce qu’il a entendu, ce qui a fait l’objet de ses lectures s’éloignait de la règle de la vérité ; mais tant qu’il n’a pas atteint la perfection spirituelle, la vue de tant d’erreurs, de tant d’hérétiques qui se sont couverts du nom du Christ, peut faire impression sur lui, comme nous le voyons dans la suite de la parabole : " Alors les serviteurs du père de famille vinrent le trouver, et lui dirent : Seigneur, n’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? " Ces serviteurs sont-ils les moissonneurs dont il sera bientôt question ? Notre-Seigneur lui-même, dans l’explication de la parabole, nous dit que les moissonneurs sont les anges, et comme on ne peut dire que les anges ignoraient quel était celui qui avait semé l’ivraie au milieu du blé, il faut entendre par ces serviteurs les fidèles eux-mêmes ; et il n’y a rien d’étonnant s’il les désigne en même temps comme étant la bonne semence, car une même chose peut être représentée sous différentes figures, suivant le rapport sous lequel on la considère ; c’est ainsi que le Sauveur a dit de lui-même qu’il était la porte, et aussi qu’il était le pasteur.

Remi. Ils s’approchent de Dieu, non par le mouvement du corps, mais par le cœur et par le désir de l’âme, et Notre-Seigneur leur apprend que cela est arrivé par la malice du démon : " C’est l’homme ennemi qui a fait cela. " — S. Jér. Le démon est appelé l’homme ennemi, parce qu’il a cessé d’être Dieu ; et c’est de lui qu’il est écrit au psaume neuvième : " Levez-vous, Seigneur, que l’homme ne s’affermisse pas dans sa puissance. " Aussi celui qui est placé à la tête de l’Église ne doit pas se laisser aller au sommeil, de peur que l’homme ennemi ne profite de sa négligence pour semer par dessus le bon grain l’ivraie, c’est-à-dire les erreurs des hérétiques. — S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur l’appelle l’homme ennemi, à cause du mal qu’il fait aux hommes. C’est sur nous que tombent les effets de sa haine, quoique la cause du mal qu’il nous fait soit non pas son inimitié contre nous, mais son opposition contre Dieu. — S. Aug. (Quest. évang.) Lorsque le serviteur de Dieu aura compris que le démon n’avait recours à cette manoeuvre frauduleuse que parce qu’il sentait qu’il ne pouvait rien contre la puissance d’un nom si grand, et qu’il était obligé de couvrir ses fourberies du prestige de ce nom, il peut sentir en lui le désir de faire disparaître de tels hommes du commerce des choses humaines, s’il en avait le temps ; mais il consulte la justice de Dieu, pour savoir s’il doit le faire. " Les serviteurs lui dirent Voulez-vous que nous allions l’arracher ? " — S. Chrys. (hom. 47.) Nous pouvons admirer ici le zèle et la charité de ces serviteurs : ils ont hâte d’aller arracher l’ivraie, preuve de leur sollicitude pour la semence ; ils n’ont en vue qu’une chose, ce n’est pas de faire punir qui que ce soit, mais que les semences ne soient pas perdues. Quelle fut la réponse du Seigneur ? " Et il leur répondit : Non. " — S. Jér. Dieu veut laisser le temps au repentir, et il nous enseigne à ne pas nous hâter de retrancher un de nos frères de la communion des fidèles, car il peut arriver que celui-là même, dont l’esprit est perverti par une erreur dangereuse, se convertisse et devienne un zèle défenseur de la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : " De crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment. " S. Aug. (Quest. évang.) Cette réponse est des plus propres à les calmer et à leur inspirer une grande patience. Le père de famille répond de la sorte, parce que les bons qui sont encore faibles ont besoin dans certaines circonstances d’être mêlés aux méchants, soit afin que ce mélange serve d’épreuve à leur vertu, ou afin que ce rapprochement soit pour les méchants une exhortation puissante à devenir meilleurs. Ou bien peut-être le blé est déraciné lorsqu’on arrache l’ivraie, parce qu’il en est beaucoup qui ne sont d’abord que de l’ivraie et qui deviennent ensuite froment. Or, si on ne les supportait avec patience lorsqu’ils sont mauvais, on ne verrait jamais en eux ce changement admirable ; si donc on les arrache, on déracine en même temps le froment, puisqu’ils devaient devenir froment si on les eût épargnés. Dieu veut donc qu’on ne les arrache pas de cette vie, car en s’efforçant de faire périr les méchants on s’exposerait à faire périr les bons, puisqu’ils deviendront peut-être bons ; ou à nuire aux bons eux-mêmes puisque les méchants sont pour eux une occasion involontaire de vertu. Ce retranchement se fera donc bien plus à propos lorsqu’à la fin ils n’auront plus le temps de changer de vie, et que le spectacle de leurs erreurs ne pourra plus être pour les bons une occasion de progrès dans la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : " Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, " c’est-à-dire jusqu’au jugement.

S. Jér. Cette recommandation paraît en opposition avec ce précepte : " Faites disparaître le mal du milieu de vous. " (1 Co 5.) Car s’il nous est défendu d’arracher, et si nous devons attendre avec patience la moisson, comment pouvons-nous en retrancher quelques-uns du milieu de nous ? Le froment et l’ivraie (en latin lolium) se ressemblent beaucoup tant qu’ils sont en herbe et que leur tige n’est pas encore couronnée d’épis, et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de les distinguer. Le Seigneur nous recommande donc de ne pas nous hâter de prononcer la sentence sur ce qui est douteux, et de laisser le jugement à Dieu, qui, au jour du jugement, rejettera de l’assemblée des saints, non pas sur de simples conjectures, mais pour des crimes évidents. — S. Aug. (contre la lettre de Parmen., 3, 2.) Lorsqu’un chrétien, dans le sein de l’Église, est reconnu coupable d’un crime qui mérite anathème, et qu’on n’a pas à craindre le schisme, qu’il soit soumis à l’anathème, avec un sentiment de charité qui se propose, non pas de le déraciner, mais de le corriger. S’il ne reconnaît pas sa faute, s’il n’en fait pas pénitence, il sera mis hors de l’Église, et séparé par sa propre volonté de la communion des fidèles. C’est pour cela que le Seigneur, après avoir dit : " Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, " en donne cette raison : " De crainte qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le froment. " Il est donc évident que, lorsqu’on n’a pas à craindre cet inconvénient, et qu’on est tout à fait certain que le bon grain ne court aucun danger, c’est-à-dire lorsque le crime est connu de tous, et qu’il inspire une telle horreur qu’il ne trouve point de défenseur, ou au moins de défenseur qui puisse devenir l’auteur d’un schisme, on ne doit pas laisser dormir la sévérité de la discipline. La répression du crime sera d’autant plus efficace, que les lois de la charité auront été plus respectées ; mais si le mal a gagné la multitude, la seule chose utile à faire, c’est de s’affliger et de gémir. Il faut donc reprendre avec miséricorde ce qu’on peut corriger ; et ce qui est incorrigible, il faut le supporter avec patience, pleurer et gémir par un sentiment de charité jusqu’à ce que Dieu lui-même se charge de reprendre et de corriger, et attendre jusqu’à la moisson pour arracher l’ivraie et pour jeter la paille au vent. Mais lorsqu’on peut élever la voix au milieu du peuple, il faut atteindre la multitude des coupables par des reproches généraux, surtout si un fléau envoyé du Ciel nous offre l’occasion favorable de leur rappeler qu’ils ont reçu le châtiment qu’ils méritaient. Alors le malheur qui les frappe leur fait écouter avec humilité la parole qui leur démontre la nécessité de changer de vie, et cette parole inspire à leurs cœurs affligés les gémissements d’une confession pleine de repentir plutôt que les murmures de la résistance. Mais alors même qu’aucune calamité ne serait venu frapper les coupables, on peut, toutes les fois que l’occasion s’en présente, reprendre les vices de la multitude en s’adressant à elle directement ; car de même que les hommes s’irritent de ce qui leur est reproché en particulier, les reproches qui sont adressés à la multitude dont ils font partie excitent en eux des gémissements salutaires.
 

S. Chrys. (hom. 47.) Le Seigneur fait cette recommandation pour défendre les meurtres ; car mettre à mort les hérétiques, ce serait donner naissance à une guerre implacable dans l’univers. Et c’est pour cela qu’il a dit : " De peur que vous n’arrachiez le blé, " c’est-à-dire si vous recourez aux armes, si vous mettez à mort les hérétiques, vos coups atteindront nécessairement un grand nombre de saints. Ce qu’il défend, ce n’est donc point de jeter en prison les hérétiques, et de s’opposer à la licence de leurs prédications, à la réunion de leurs synodes, et de rendre inutiles leurs efforts, mais de les mettre à mort. — S. Aug. (Lettre 18 à Vinc.) C’était d’abord mon sentiment qu’il ne fallait forcer personne d’embrasser l’unité du Christ, mais agir simplement par la parole, combattre par la discussion, vaincre par la raison, afin d’éviter d’avoir pour catholiques hypocrites ceux que nous avions pour hérétiques déterminés. Cependant mon opinion était combattue, si non par des raisons, du moins par des exemples contraires. En effet, la frayeur qu’inspirent ces lois promulguées par des rois qui servent le Seigneur avec crainte, produit les plus heureux effets (cf. Ps 2, 10.11). Ainsi les uns disent : C’était depuis longtemps notre volonté, mais grâces soient rendues à Dieu qui nous a fourni l’occasion favorable, et ôté tout prétexte de différer ; d’autres : Nous savions que c’était la vérité, mais nous étions retenus par je ne sais quelles habitudes ; grâces à Dieu qui a brisé nos liens ; d’autres : Nous ne savions pas que telle était la vérité et nous n’avions aucun désir de l’apprendre, mais la crainte nous a forcés d’y être attentifs et de prendre les moyens de la connaître ; grâces au Seigneur qui a secoué notre négligence avec l’aiguillon de la terreur ; d’autres encore : Nous craignions d’entrer dans l’Église, retenus par de faux bruits dont nous n’aurions pas reconnu la fausseté si nous n’y étions pas entrés, et nous n’y serions pas entrés si une contrainte salutaire ne nous eût forcés ; grâces à Dieu qui par cette sévérité a fait cesser nos hésitations et nous a fait connaître par expérience la futilité et la fausseté des bruits que des voix trompeuses répandaient sur son Église ; d’autres enfin : Nous pensions qu’il importait peu de croire en Jésus-Christ dans une religion ou dans une autre ; mais grâces au Seigneur qui a mis un terme à notre séparation et nous a enseigné que le seul culte agréable à Dieu est celui qui lui est rendu dans l’unité. Que les rois de la terre se montrent donc les serviteurs du Christ en publiant des lois en faveur de la religion du Christ. — S. Aug. (Lettre 50 au comte Bonif.) Quel est celui d’entre vous qui voudrait, je ne dis pas qu’un hérétique périsse, mais qu’il éprouvât même la moindre perte ? Cependant la maison de David ne put recouvrer la paix qu’après que son fils Absalon eut été enseveli dans la guerre impie qu’il faisait contre son père (2 R 18) ; quoique David eût recommandé avec le plus grand soin aux chefs de son armée de prendre tous les moyens pour conserver la vie à son fils et que son cœur de père n’attendît que son repentir pour lui pardonner. Mais lorsqu’il fut tombé victime de sa rébellion, que resta-t-il à son père que de pleurer sa mort et de se consoler par la pensée que son royaume avait recouvré la paix ? C’est ainsi que notre mère, la sainte Église catholique, lorsqu’elle rassemble dans son sein un grand nombre de ses enfants au prix de la perte de quelques-uns, adoucit et calme la douleur de son cœur maternel par le spectacle de tant de peuples affranchis et délivrés de l’erreur. Que veut donc dire ce qu’ils ne cessent de crier : N’est-on pas libre de croire ou de ne pas croire ? A qui donc le Christ a-t-il fait violence ? Quel est celui qu’il a contraint d’embrasser la vérité ? Nous leur répondons par l’exemple de l’apôtre saint Paul, qui les force de reconnaître que Jésus-Christ a usé de violence à son égard avant de l’enseigner, qu’il l’a frappé avant de le consoler. Et il est remarquable que celui que Dieu a forcé par un châtiment extérieur de se soumettre à l’Évangile a travaillé à la propagation de l’Évangile plus que ceux dont la vocation n’avait été déterminée que par une seule parole. Pourquoi donc l’Église ne forcerait-elle pas ses enfants égarés de revenir dans son sein, alors que ces mêmes enfants en ont forcé tant d’autres à périr ?
 

" Et au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes pour la brûler. " — Remi. La moisson c’est le temps où l’on recueille, c’est-à-dire le jour du jugement où les bons seront séparés d’avec les mauvais. — S. Chrys. (hom. 47.) Mais pourquoi dit-il : " Arrachez d’abord l’ivraie ? " C’est pour ôter aux bons toute crainte que le blé ne partage le sort de l’ivraie. — S. Jér. Or, en commandant d’arracher l’ivraie pour la jeter au feu, et d’amasser le blé dans les greniers, il déclare ouvertement que les hérétiques et les hypocrites sont destinés à brûler dans les feux de l’enfer, et que les saints qu’il appelle le blé ou le bon grain seront recueillis dans les greniers, c’est-à-dire dans les demeures éternelles. — S. Aug. (Quest. évang.) On peut demander pourquoi il ne commande pas de faire une seule botte ou un seul tas de toute l’ivraie ; c’est peut-être à cause des différentes sortes d’hérétiques qui non-seulement sont séparés du bon grain, mais qui sont encore séparés entre eux. Il a donc voulu exprimer par ces bottes d’ivraie les conventicules de chaque hérésie, dont tous les membres sont unis entre eux par des liens communs. Or, ils sont liés ensemble et destinés au feu du moment qu’ils se séparent de la communion catholique et qu’ils commencent à former des Églises particulières. Mais ils ne seront jetés au feu qu’à la fin des temps, bien que depuis, longtemps ils soient réunis en bottes. Cependant s’il en était ainsi, il n’y en aurait pas un si grand nombre qui regretteraient leurs erreurs et les abjureraient pour rentrer dans l’Église catholique. Ce n’est donc qu’à la fin que les bottes seront liées, afin que leur opiniâtreté ne soit point punie sans discernement, mais que chacun d’eux soit puni d’une manière proportionnée à sa perversité.
 

Rab. Remarquez qu’en disant : " Il a semé du bon grain, " il nous fait connaître la bonne volonté dont les élus sont l’objet et qui est en eux ; en ajoutant : " L’ennemi vient, " etc., il nous avertit d’avoir à nous tenir sur nos gardes ; lorsque l’ivraie ayant crû, il dit : " C’est l’homme ennemi qui a fait cela, " il nous recommande la patience ; et en ajoutant plus bas : " De peur qu’en arrachant l’ivraie, " il nous donne l’exemple du discernement dont nous devons faire usage. Les paroles suivantes : " Laissez-les croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, " nous font un devoir de la longanimité, et il nous recommande la justice par celles qui terminent : " Liez-la en bottes pour la brûler. "
 

 

vv. 31-32.

S. Chrys. (hom. 47.) Notre-Seigneur venait de dire que trois parties de la semence étaient perdues et qu’une seule produisait du fruit et que dans cette dernière la perte est encore considérable à cause de l’ivraie qu’on a semée par dessus. Ses disciples pouvaient lui dire : Mais quels seront donc les fidèles, et quel sera leur nombre ? Il va au-devant de cette crainte en leur proposant la parabole du grain de sénevé : " Il leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé, " etc. — S. Jér. Le royaume des cieux, c’est la prédication de 1’Évangile et la connaissance des Écritures, qui conduisent à la vie et dont Notre-Seigneur dit aux Juifs : " Le royaume de Dieu vous sera enlevé. " Or, ce royaume du ciel est semblable à un grain de sénevé. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, quest. 2.) Le grain de sénevé figure la ferveur de la foi, à cause de la vertu qu’on lui attribue d’expulser le poison, c’est-à-dire tous les dogmes pervers des hérétiques.
 

" Qu’un homme prend et sème dans son champ. " — S. Jér. Cet homme qui sème dans son champ, c’est, d’après le sentiment le plus commun, le Sauveur qui sème la vérité dans l’âme des fidèles. Selon quelques autres, c’est l’homme lui-même qui sème dans son champ, c’est-à-dire dans son cœur. Or, quel est celui qui sème en nous si ce n’est notre intelligence et notre sentiment ? Ils reçoivent le grain de la prédication, et le nourrissant avec le suc de la foi, ils lui donnent la force de se développer dans le champ de notre cœur.

" Ce grain est la plus petite de toutes les semences. " La prédication de l’Évangile est la plus humble de toutes les doctrines, car au premier coup d’oeil elle n’obtient pas la croyance due à la vérité, en prêchant un homme-Dieu, un Dieu mort, et le scandale de la croix. Rapprochez-la des doctrines et des écrits des philosophes, de l’éclat de leur éloquence, de leurs discours étudiés, et vous reconnaîtrez combien la semence de 1’Évangile est inférieure aux autres semences.

S. Chrys. (hom. 47.) Ou bien la semence de l’Évangile est la plus petite, parce que les disciples étaient les plus faibles des hommes ; mais comme ils avaient en eux une grande vertu, leur prédication s’est répandue par toute la terre, comme l’indique la suite de la parabole : " Mais lorsqu’il a crû, il est le plus grand de tous les légumes, " c’est-à-dire de tous les dogmes. — S. Aug. (Quest. évang.) Les dogmes des sectes sont leurs propres sentiments, c’est-à-dire les opinions dont elles sont convenues. — S. Jér. La doctrine des philosophes, lorsqu’elle se développe, ne présente rien de piquant et n’a aucune apparence de vie, et sa nature molle et languissante ne produit que des plantes et des herbes que l’on voit bientôt se dessécher et périr. Au contraire, la prédication évangélique, qui paraissait peu de chose dans ses commencements lorsqu’elle fut semée, soit dans l’âme des fidèles, soit dans tout l’univers, n’a point produit de simples plantes, mais s’est élevée jusqu’à la hauteur d’un arbre, et sur les branches sont venus habiter les oiseaux du ciel, c’est-à-dire les âmes des fidèles ou les vertus qui sont consacrées au service de Dieu. " Et il devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches. " Je suis porté à croire que ces branches de l’arbre évangélique, qui sont sorties du grain de sénevé, figurent la variété des dogmes, sur lesquels chacun des oiseaux dont nous avons parlé vient se reposer. Prenons donc aussi nous-mêmes les ailes de la colombe (cf. Ps 54, 7) et élevons-nous bien haut, afin de pouvoir habiter sur les branches de cet arbre, nous construire un nid au milieu des vérités divines, et nous hâter de fuir la terre et de gagner le ciel.
 

S. Hil. (can. 43.) Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même à ce grain de sénevé qui est d’un goût très piquant, la plus petite de toutes les semences, et dont la force augmente lorsqu’il est broyé.
 

S. Grég. (Moral., 19, 1.) Il est en effet ce grain de sénevé qui, après avoir été semé dans le jardin de sa sépulture, s’est élevé comme un grand arbre ; c’était un grain lorsqu’il mourut, ce fut un arbre lorsqu’il ressuscita ; c’était un grain par l’humilité de la chair, il devint un arbre par la puissance de sa majesté. — S. Hil. (can. 43.) Lorsque ce grain eut été semé dans la terre, c’est-à-dire lorsque le Sauveur fut tombé au pouvoir de la multitude, qu’il eut été livré par elle à la mort et que son corps eut été enseveli dans le tombeau comme un grain qu’on sème dans un champ, il devint plus grand que tous les légumes et surpassa de beaucoup la gloire des prophètes. La prédication des prophètes fut donnée comme une herbe salutaire au peuple d’Israël encore faible et infirme, mais aujourd’hui les oiseaux du ciel se reposent sur les branches de l’arbre. Ces branches de l’arbre, ce sont les Apôtres qui par la puissance du Christ se sont étendus sur toute la surface du monde pour lui donner un doux ombrage. C’est sur ces branches que toutes les nations de la terre viendront dans l’espérance d’y trouver la vie et un lieu de repos comme sur les branches d’un arbre, contre la violence des vents, c’est-à-dire contre les orages que soulève le souffle du démon. — S. Grég. (Moral., 19, 1.) Sur ces branches se reposent les oiseaux du ciel ; en effet, les saintes âmes qui s’élèvent au-dessus des pensées de la terre sur les ailes des vertus, se reposent des fatigues de la vie dans leurs saintes conversations et dans les consolations dont elles sont la source.
 

 

v. 33.

S. Chrys. (hom. 47.) C’est pour établir la même vérité que Notre-Seigneur propose la parabole du levain : " Il leur dit encore cette autre parabole : Le royaume des cieux est semblable au levain, " etc., c’est-à-dire : de même que le levain change et modifie une grande quantité de farine, en lui communiquant sa saveur ; ainsi vous changerez le monde entier. Et remarquez ici la sagesse du Sauveur ; il emprunte ses comparaisons à des faits naturels et il montre ainsi que de même qu’il est impossible que ces faits ne se produisent pas suivant leur nature, ainsi en est-il du royaume des cieux. Or, il ne dit pas simplement : Le levain qu’elle place, mais " qu’elle cache, qu’elle mêle, " paroles dont voici le sens : C’est ainsi que vous-mêmes vous triompherez de vos persécuteurs après vous être mêlés et confondus avec eux. Car de même que le levain, bien qu’il soit comme perdu dans la masse, n’est point détruit, mais communique insensiblement sa force à toute la pâte, ainsi en sera-t-il de votre prédication. Ne craignez donc pas les persécutions que je vous ai prédites, car elles ne serviront qu’à vous rendre plus éclatants et à vous faire triompher de tous vos ennemis. Notre-Seigneur prend ici les trois mesures de farine pour une grande quantité, et il donne au nombre trois la signification d’un nombre considérable et indéterminé. — S. Jér. La mesure dont il est ici question est une mesure en usage dans la Palestine et qui représente un boisseau et demi. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 12.) Ou bien le levain c’est la charité, parce qu’elle excite et qu’elle échauffe : la femme représente la sagesse. Ces trois mesures de farine sont ces trois choses qui se trouvent dans l’homme et qui sont exprimées par ces paroles : " De tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit. " (Mt 22.) Ou bien elles représentent les trois récoltes qui donnent : l’une cent, l’autre soixante et l’autre trente ; ou bien les trois espèces d’hommes dont il est parlé dans Ezéchiel : Noé, Daniel et Job (Ez 14, 14.16).
 

Rab. Il dit : " Jusqu’à ce que toute la pâte soit levée, " parce que la charité cachée dans notre âme doit s’y développer jusqu’à ce qu’elle ait communiqué sa perfection à l’âme tout entière, ce qui se commence dans cette vie et s’achève dans l’autre. — S. Jér. Ou bien encore cette femme qui prend du levain et le met dans trois mesures de farine, c’est la prédication des Apôtres, ou l’Église formée de différentes nations. Elle prend le levain, c’est-à-dire l’intelligence des Écritures, et elle le cache dans trois mesures de farine : l’esprit, l’âme et le corps, afin de les ramener à l’unité, et qu’il n’y ait entre eux aucun désaccord. Ou bien encore, nous lisons dans Platon qu’il y a trois parties dans l’âme : la partie raisonnable, la partie irascible et la partie concupiscible ; si donc nous avons reçu le levain évangélique des saintes Écritures, nous devons posséder la prudence dans la partie raisonnable, la haine contre le mal dans la partie irascible, le désir des vertus dans la partie concupiscible, et tout cela doit être le fruit de la doctrine évangélique que notre mère la sainte Église nous a communiquée. Je crois devoir rapporter également l’interprétation de quelques auteurs, d’après laquelle cette femme est aussi l’Église, qui a mêlé la foi à trois mesures de farine, c’est-à-dire à la croyance dans le Père, dans le Fils et dans le Saint-Esprit, et lorsque ce précieux levain de la foi a fait fermenter toute la masse, elle nous conduit à la connaissance non pas de trois Dieux, mais d’un seul et même Dieu. C’est une pieuse interprétation ; mais ni les paraboles, ni l’explication douteuse d’un discours énigmatique ne peuvent servir d’appui et de preuve aux dogmes de la foi.

S. Hil. (can. 13.) Ou bien encore le Seigneur se compare lui-même au levain ; le levain est fait avec de la farine et il rend à la masse d’où il est sorti la vertu qu’il en a reçue. Or, c’est ce levain qu’une femme, la synagogue, a pris et a caché par la condamnation à mort qu’elle a prononcée contre le Seigneur. Ce levain, mélangé avec trois mesures de farine, c’est-à-dire mêlé dans des proportions égales à la loi, aux prophètes, à l’Évangile, ne fait qu’une seule chose de ces trois éléments, parce que la propagation de l’Évangile vient accomplir les prescriptions de la loi et les prédictions des prophètes. Je me rappelle cependant en avoir entendu plusieurs qui interprétaient ces trois mesures de farine de la vocation des nations sorties de Sem, de Cham et de Japhet. Mais je ne sais si cette interprétation est fondée en raison, car quoique toutes les nations aient été appelées à l’Évangile, on ne peut dire que Jésus-Christ y ait été caché ; puisqu’au contraire il s’y est manifesté avec éclat ; et d’ailleurs ce céleste levain n’a point communiqué sa vertu à toute la masse des infidèles.

 

vv. 34-35.

S. Chrys. (hom. 48.) Après avoir rapporté ces paraboles, l’Évangéliste, voulant prouver que Notre-Seigneur n’introduisait pas en cela de nouveautés, cite le prophète qui avait prédit ce mode d’enseignement. " Or Jésus dit toutes ces choses, " etc. Saint Marc dit qu’il parlait en paraboles pour se mettre à la portée de leur intelligence (Mc 4). Ne soyez donc pas surpris si, en parlant du royaume des cieux, il emprunte les comparaisons de la semence et du levain ; il s’adressait à des hommes ignorants et qui avaient besoin de cette méthode simple pour être amenés à la vérité. — Remi. Le mot parabole, en grec comme en latin, signifie comparaison qui sert à démontrer la vérité, car elle nous découvre dans les différentes parties de la comparaison des expressions figurées et des images de la vérité.
 

S. Jér. Ce n’est pas aux disciples, mais au peuple qu’il parlait en paraboles, et encore aujourd’hui c’est le langage que le peuple entend volontiers ; aussi l’Évangéliste ajoute-t-il : " Et il ne leur parlait point sans paraboles. " — S. Chrys. (hom. 48.) Cependant il a parlé souvent au peuple sans paraboles, mais dans cette circonstance il ne leur parla qu’en paraboles. — S. Aug. (Quest. év.) Ou bien l’Évangéliste s’exprime ainsi, non que le Seigneur n’ait jamais parlé dans le sens littéral, mais parce qu’il n’a presque jamais fait de discours où il n’ait enseigné quelque vérité sous le voile de la parabole, bien qu’il y ait parlé en même temps dans le sens littéral ; c’est-à-dire que souvent son discours est tout entier composé de paraboles, tandis qu’on n’en trouve aucun qui soit tout entier dans le sens littéral. Par discours entiers et complets, j’entends ceux que le Seigneur faisait suivant que l’occasion se présentait, jusqu’à ce que la matière qu’il traitait, étant terminée, il passait à un autre sujet. On ne peut nier du reste que souvent un évangéliste présente en un seul discours ce qu’un autre évangéliste rapporte comme ayant été dit en plusieurs circonstances différentes, parce qu’il s’attache dans sa narration, non pas à l’ordre historique des faits, mais à l’ordre dans lequel ils se présentent à son souvenir.

Or, l’auteur sacré nous apprend pourquoi il parlait en paraboles : " C’est afin que cette parole du Prophète fût accomplie. " — S. Jér. Ce témoignage est emprunté au Ps 77. Dans quelques manuscrits, au lieu de la traduction de la Vulgate que nous avons rapportée : " Afin que cette parole du prophète fut accomplie, " on lit : " Cette parole du prophète Isaïe. " — Remi. Porphyre prend occasion de là pour faire cette objection aux chrétiens : Votre Évangéliste a poussé la sottise jusqu’à attribuer à Isaïe ce qui se trouve dans les psaumes et à citer ce témoignage comme venant du prophète Isaïe. — S. Jér. Comme cette citation ne se trouvait nullement dans Isaïe, j’avais d’abord pensé que des hommes instruits avaient fait disparaître le nom du prophète. Mais je crois maintenant que le texte portait primitivement : " Ce qui a été écrit par le prophète Asaph. " En effet, le Ps 72, auquel est emprunté ce témoignage, a pour titre : " Au prophète Asaph. " Les premiers copistes n’auront pas compris ce nom d’Asaph et, croyant que c’était une faute d’écriture, ils auront remplacé ce nom par le nom plus connu d’Isaïe ; car il faut se rappeler que non-seulement David, mais tous les autres dont les noms se trouvent en tête des psaumes, des hymnes et des divins cantiques, tels qu’Asaph, Idithun, Eman, Ezarite et d’autres dont l’Écriture fait mention, méritent le nom de prophète. Quant à ce qui est dit de la personne du Christ : " J’ouvrirai ma bouche en paraboles, " etc., si nous considérons attentivement ces paroles, nous y verrons la description de la sortie d’Israël de la terre d’Égypte, et le récit de tous les miracles qui sont contenus dans l’Exode ; d’où nous devons conclure que tout ce qui se trouve écrit dans ce livre doit être pris dans un sens allégorique et nous révèle des mystères cachés. Ce sont ces vérités mystérieuses que le Seigneur promet de dévoiler, lorsqu’il dit : " J’ouvrirai ma bouche en paraboles. " — La Glose. Ces paroles veulent dire : J’ai parlé autrefois par les prophètes ; je parlerai maintenant moi-même en paraboles, et je ferai sortir du trésor de mes secrets des mystères qui s’y trouvaient cachés depuis la création du monde.

 

vv. 36-43.

S. Chrys. (hom. 48.) Le Seigneur avait parlé au peuple en paraboles pour lui donner l’occasion de l’interroger ; mais quoiqu’il leur eût dit beaucoup de choses en paraboles, personne cependant ne lui adressait la parole. Il renvoya donc la multitude, comme le remarque l’Évangéliste : " Alors, ayant renvoyé le peuple, il revint dans la maison. " Aucun des scribes ne l’y suit, ce qui prouve clairement qu’ils ne le suivaient auparavant que pour le surprendre dans ses discours. — S. Jér. Or, Jésus renvoie le peuple et rentre dans la maison pour donner à ses disciples la facilité de s’approcher de lui, et de lui faire en secret des questions sur ce que le peuple ne méritait ni n’était capable d’entendre.
 

Rab. Dans le sens mystique, c’est après avoir congédié la foule tumultueuse des Juifs qu’il entre dans l’Église formée des nations, et c’est là qu’il expose aux fidèles les mystères du royaume des cieux : " Et alors ses disciples s’approchèrent, " etc. — S. Chrys. (hom. 48.) Autrefois, pleins du désir d’apprendre, ils craignaient de l’interroger ; maintenant, ils le font librement et avec confiance, parce qu’il leur a dit : " Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux. " C’est pour cela qu’ils l’interrogent en particulier, c’est-à-dire en secret et non point par un sentiment de jalousie contre la multitude qui n’avait pas reçu la même faveur. Ils laissent de côté la parabole du levain et celle du sénevé comme plus claire, et ils l’interrogent sur la parabole de l’ivraie, parce qu’elle a de l’analogie avec la parabole de la semence et qu’elle contient quelques particularités de plus. Le Seigneur leur explique donc cette parabole : " Et leur répondant, il leur dit : Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme. " — Remi. Notre-Seigneur s’est appelé le Fils de l’homme pour nous laisser un exemple d’humilité, ou bien parce qu’il devait se rencontrer des hérétiques qui nieraient son humanité. Ou bien encore, c’est afin que par la foi à son humanité, nous puissions nous élever jusqu’à la connaissance de sa divinité.
 

" Le champ, c’est le monde, " etc. — S. Chrys. (hom. 48.) Comme c’est lui-même qui sème son champ, il faut en conclure que le monde actuel lui appartient. " La bonne semence, ce sont les enfants du royaume. " — Remi. C’est-à-dire les saints et les élus qui sont mis au nombre des enfants de Dieu. — S. Aug. (Contre Fauste, 18, 7.) L’ivraie, d’après l’explication du Sauveur, ce ne sont pas quelques erreurs mêlées à la vérité des saintes Écritures (suivant l’interprétation des Manichéens), mais ce sont tous les enfants de l’esprit mauvais, c’est-à-dire les imitateurs des mensonges du démon. " L’ivraie, dit Notre-Seigneur, ce sont les enfants d’iniquité, " dénomination qui comprend tous les impies et tous les méchants. — S. Aug. (Quest. évang., liv. 6, quest. 2.) Toutes les mauvaises herbes qui se trouvent dans les moissons reçoivent le nom d’ivraie. L’ennemi qui la sème, c’est le démon. — S. Chrys. (hom. 48.) C’est en effet une des ruses du démon de mêler toujours l’erreur à la vérité. " La moisson, c’est la fin du monde. " Notre-Seigneur dit dans un autre endroit, mais en parlant des Samaritains : " Levez vos yeux et regardez les campagnes comme elles blanchissent déjà pour la moisson. " (Jn 4.) Et ailleurs : " La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers, " paroles qui signifient que le temps de la moisson est arrivé. Pourquoi donc déclare-t-il qu’elle n’aura lieu que plus tard ? C’est qu’il l’entend ici dans un autre sens. Aussi, tandis que dans les paroles qui précèdent il dit que l’un sème et que l’autre moissonne, il déclare ici que c’est le même qui sème et qui moissonne ; car lorsqu’il dit que celui qui sème n’est pas celui qui moissonne, ce n’est pas entre lui et les prophètes, mais entre les prophètes et les Apôtres qu’il veut établir une distinction, puisque c’est le Christ qui a semé lui-même par les prophètes dans la Judée et dans la Samarie. C’est donc sous deux sens différents qu’il prend dans ces deux circonstances les mots de semence et de moisson. Lorsqu’il parle d’obéissance et de soumission à la foi, il se sert du nom de moisson, parce qu’elle est le principe et la cause de toute perfection ; mais lorsqu’il est question du fruit qu’on doit retirer de la parole de Dieu, comme dans cet endroit, il appelle la moisson la consommation de toutes choses. — Remi. La moisson désigne le jour du jugement où les bons seront séparés des méchants par le ministère des Anges, ainsi qu’il le dira plus bas : " Le Fils de l’homme viendra juger le monde avec ses anges ; " et c’est pour cela qu’il dit : " Les moissonneurs sont les anges. "
 

" De même que les moissonneurs ramassent l’ivraie, ainsi les anges feront disparaître de son royaume tous les scandales. " — S. Aug. (Cité de Dieu, 9.) Est-ce donc de ce royaume où il n’y a plus de scandales ? Non, c’est de ce royaume qui est sur la terre, c’est-à-dire de l’Église, qu’ils les feront disparaître. — S. Aug. (Quest. évang., 1, 10.) L’ivraie qu’on met d’abord de côté signifie que c’est après que les persécutions auront exercé leur empire que les bons seront séparés des méchants ; ce sont les bons anges qui feront cette séparation, car ils peuvent s’acquitter de cette oeuvre de justice avec une intention droite et pure, tandis que les méchants sont incapables d’accomplir le ministère de la miséricorde. — S. Chrys. (hom. 48.) Ou bien on peut entendre par ce royaume l’Église du ciel, et Notre-Seigneur nous révèle ici la double peine des réprouvés, la privation de la gloire, par ces paroles : " Et ils enlèveront tous les scandales de son royaume, " pour les en bannir à tout jamais, et le supplice du feu par ces autres : " Et ils les précipiteront dans la fournaise du feu. " — S. Jér. Tous les scandales sont figurés ici par l’ivraie ; mais en disant : " Ils enlèveront de son royaume tous les scandales, et tous ceux qui font l’iniquité, " Notre-Seigneur veut distinguer entre les hérétiques et les schismatiques. Ceux qui sont une cause de scandale sont les hérétiques, ceux qui commettent l’iniquité représentent les schismatiques. — La Glose. Ou bien dans un autre sens, il faut entendre par les scandales tous ceux qui sont pour le prochain une occasion de chute ou de ruine, et par ceux qui commettent l’iniquité, les pécheurs quels qu’ils soient. — Rab. Remarquez que Notre-Seigneur dit : " Ceux qui font, " et non pas ceux qui ont fait l’iniquité ; car ce ne sont pas ceux qui font pénitence, mais ceux qui persévèrent dans leurs péchés qui seront livrés aux supplices éternels.

S. Chrys. (hom. 48.) Considérez ici l’amour ineffable de Dieu pour les hommes, il est toujours prêt à répandre sur nous ses bienfaits et il ne punit qu’à la dernière extrémité. Lorsqu’il s’agit de semer, c’est lui-même qui sème, et lorsqu’il faut qu’il punisse, il se décharge de ce soin sur les anges.

" C’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. " — Remi. Ces paroles sont une preuve de la résurrection véritable des corps et nous y voyons annoncés la double peine de l’enfer, une excessive chaleur et un froid des plus rigoureux. Or, de même que l’ivraie représente tous les scandales, ainsi tous ceux dont Notre-Seigneur dit ici : " Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père, " seront mis au nombre des enfants du royaume. Dans ce monde, la lumière que répandent les saints brille aux yeux des hommes ; après la consommation des siècles, les justes brilleront eux-mêmes comme le soleil dans le royaume de leur Père. — S. Chrys. (hom. 48.) Notre-Seigneur ne veut pas dire que leur éclat sera tout juste égal à l’éclat du soleil, mais il se sert de cette comparaison parce que parmi les astres qui nous éclairent, il n’en est point qui brille d’un plus vif éclat que le soleil. — Remi. Ces paroles : " Alors ils brilleront, " signifient que les saints brillent sur cette terre par leurs exemples, mais qu’ils brilleront alors comme le soleil pour la plus grande gloire de Dieu.
 

" Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre. " — Raban. C’est-à-dire que celui qui a de l’intelligence comprenne, parce que toutes ces paroles doivent être entendues dans un sens mystérieux.
 

 

v. 44.

S. Chrys. (hom. 48.) Les paraboles précédentes du levain et du grain de sénevé avaient pour objet de faire ressortir la puissance de la prédication évangélique qui a triomphé du monde entier ; Notre-Seigneur veut faire connaître maintenant tout le prix et la magnificence de cette sublime doctrine, et il se sert pour cela de la parabole du trésor et de la pierre précieuse : " Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. " La prédication de l’Évangile est cachée dans le monde, et si vous ne vendez pas tout ce que vous possédez, vous ne pourrez l’acheter. Il faut de plus faire ce sacrifice avec joie. " Lorsqu’un homme le trouve, il le cache. " — S. Hil. Ce trésor se trouve sans qu’il en coûte rien, car la prédication de l’Évangile est sans condition ; mais il faut nécessairement acheter le droit d’user de ce trésor et d’en devenir le possesseur ainsi que du champ qui le renferme, car on ne peut posséder les richesses du ciel sans être disposé à leur sacrifier les biens de la terre. — S. Jér. Il cache ce trésor, ce n’est point par un sentiment d’envie, mais il le cache dans son cœur par le désir de conserver et par la crainte de perdre ce trésor qu’il a su préférer aux richesses qu’il possédait.

S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien ce trésor caché dans un champ, c’est le désir du ciel : le champ dans lequel il est caché, c’est la perfection et la sainteté de la vie qui conduit au ciel. Lorsqu’un homme a trouvé ce trésor, il le cache pour le conserver, car le goût et le désir ardent des biens célestes ne suffisent pas pour défendre ce trésor contre les esprits mauvais, si celui qui le possède ne s’efforce pas de le dérober aux attaques des louanges des hommes. En effet, la vie présente est semblable à une route que nous parcourons pour arriver à la patrie ; mais cette route se trouve assiégée par les esprits mauvais comme par autant de voleurs de grand chemin. Ceux donc qui portent ce trésor à découvert semblent vouloir devenir la proie des voleurs. Je ne veux pas dire que notre prochain ne doive pas être témoin de nos bonnes oeuvres, mais simplement qu’il ne faut pas dans nos actions nous proposer les louanges des hommes. Or, le royaume des cieux est comparé aux choses de la terre, pour que notre esprit puisse s’élever de ce qu’il connaît à ce qu’il ne connaît pas encore, et que de l’amour qu’il donne aux choses dont il a la connaissance, il apprenne à aimer ce qu’il ne connaît pas. " Et dans la joie qu’il en ressent, " etc. On achète le champ avec le prix de tous les biens qu’on a vendus, lorsqu’on renonce aux voluptés charnelles et qu’on foule aux pieds tous les désirs terrestres par une obéissance entière aux lois qui conduisent au ciel.

S. Jér. Ou bien encore ce trésor dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (cf. Col 2, 3), c’est ou le Verbe Dieu qui est comme caché dans la nature humaine de Jésus-Christ, ou bien les saintes Écritures dans lesquelles est renfermée la connaissance du Sauveur. — S. Aug. (Quest. Evang., liv. 1, chap. 13.) Ce trésor caché dans le champ, ce sont les deux Testaments qui se trouvent dans l’Église ; lorsqu’un homme parvient à les atteindre par une partie seulement de son intelligence, il comprend que ce champ renferme de grandes richesses, il s’en va, il vend tout ce qu’il possède et il l’achète, c’est-à-dire que par le mépris des choses temporelles il achète le repos, afin de s’enrichir ainsi du trésor de la connaissance de Dieu.
 

 

vv. 45-46.

S. Chrys. (hom. 48.) La prédication de l’Évangile n’est pas seulement une source de richesses multipliées, comme l’est un trésor, mais elle est précieuse encore comme une perle, et c’est pour cela qu’après la parabole du trésor, Notre-Seigneur propose la parabole de la pierre précieuse. " Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de bonnes perles. " Pour la prédication de l’Évangile, deux choses sont nécessaires : la séparation des affaires de la terre, et la vigilance, deux conditions qui se trouvent exprimées dans cette comparaison du commerce. Or, la vérité est une et ne peut être divisée en plusieurs parties ; c’est pour cela qu’il n’est question que d’une seule pierre précieuse, et de même que celui possède une perle d’un grand prix connaît bien sa richesse, tandis que tous les autres l’ignorent, car cette perle est si petite qu’elle tient tout entière dans sa main ; de même dans la prédication de l’Évangile, ceux qui ont le bonheur de la recevoir savent quelles richesses spirituelles ils ont acquises, richesses complètement ignorées de ceux qui ne connaissent pas la valeur de ce trésor.

S. Jér. Dans les bonnes perles, on peut voir figurés la loi et les prophètes. Comprenez donc, Marcion, et vous autres Manichéens que la loi et ces prophètes sont de bonnes perles. La perle qui est d’un très grand prix, c’est la science du Sauveur, le mystère de sa passion et de sa résurrection. Lorsque l’homme qui est dans le commerce a trouvé cette perle, à l’exemple de l’Apôtre saint Paul il méprise comme de la boue, pour gagner Jésus-Christ (Ph 3), tous les mystères de la loi et des prophètes, et ces observances anciennes au milieu desquelles il avait vécu d’une manière irréprochable. Ce n’est pas que la découverte de cette perle précieuse détruise le prix et la valeur de celles qu’il possédait auparavant ; mais auprès d’elles toutes les autres sont d’un prix inférieur.

S. Grég. (hom. 12 sur les Evang.) Ou bien encore cette pierre précieuse c’est la douceur de la vie céleste, celui qui l’a trouvée vend pour l’acheter tout ce qu’il possède. Celui qui a pu goûter parfaitement, autant qu’on le peut, la suavité de cette vie céleste abandonne bien volontiers pour elle tout ce qu’il avait aimé sur la terre. Il trouve désormais sans beauté tous les objets créés qui l’avaient séduit par leur apparence, parce que l’éclat seul de cette perle précieuse brille maintenant aux yeux de son âme.

S. Aug. (Quest. évang. sur S. Matth., chap. 13.) Ou bien enfin cet homme qui cherche de belles perles et qui en trouve une de grand prix, est celui qui recherche la compagnie des hommes vertueux pour mener avec eux une vie sainte, et trouve le seul homme qui soit sans péché, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ou bien celui qui, cherchant à connaître les préceptes dont l’observation le fera vivre saintement au milieu des hommes, trouve le précepte de la charité fraternelle qui renferme tous les autres au témoignage de l’Apôtre. Ou bien celui qui cherche de bonnes pensées et trouve cette parole qui renferme toutes choses. " Au commencement était le Verbe, " (Jn 1), Verbe qui brille de tout l’éclat de la vérité, qui est ferme de toute la force de l’éternité, et qui, semblable de toutes parts à lui-même, resplendit de la beauté même de la divinité ; Verbe dans lequel il faut reconnaître un Dieu sous l’enveloppe de chair dont il est revêtu. Quelle que soit parmi ces trois choses ou parmi d’autres celle qui est signifiée par cette perle précieuse, c’est nous qui en sommes le prix, et nous ne sommes libres de l’acquérir qu’en méprisant pour obtenir cette heureuse délivrance tout ce que nous possédons sur la terre. Car, après avoir tout vendu, nous n’avons pas de biens d’un plus grand prix que nous-mêmes (puisque nous n’étions pas à nous lorsque ces biens nous enlaçaient comme autant de chaînes), et c’est nous-mêmes qu’il faut donner pour acquérir cette perle précieuse, non pas que nous soyons d’une valeur égale, mais parce que nous ne pouvons donner davantage.
 

 

vv. 47-50.

S. Chrys. (hom. 48.) Notre-Seigneur, craignant que nous ne mettions toute notre confiance dans la prédication seule, et que nous ne croyions que la foi seule suffit pour le salut, après avoir relevé le prix de la prédication évangélique dans les paraboles qui précèdent, en ajoute une autre qui est effrayante : " Le royaume des cieux est encore semblable à un filet. " — S. Jér. Après que cette prophétie de Jérémie fut accomplie : " Je vous enverrai un grand nombre de pécheurs " (Jr 16) ; après que Pierre, André, Jacques et Jean eurent entendu ces paroles : " Suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes, " (Mt 4) ils se firent à l’aide de l’Ancien et du Nouveau Testament un filet entrelacé des vérités de l’Évangile ; ils le jetèrent dans la mer de ce monde, et il est resté tendu jusqu’à présent au milieu des flots pour prendre dans ces gouffres amers et trompeurs tout ce qui se présente, c’est-à-dire les hommes bons et mauvais : " Et qui prend toute sorte de poissons. "

S. Grég. (hom. 10 sur les Evang.) Ou bien la sainte Église est comparée à un filet parce qu’elle est confiée à des pêcheurs, et c’est par elle que chacun de nous est tiré des flots de ce monde sur le rivage du royaume des cieux et arraché aux abîmes de la mort éternelle. Ce filet recueille des poissons de toute espèce, car l’Église appelle à la rémission des péchés les sages et les ignorants, les hommes libres et les esclaves, les riches et les pauvres, les forts et les faibles. Ce filet, c’est-à-dire la sainte Église, sera tout à fait rempli lorsqu’à la fin des temps la destinée du genre humain sera consommée. C’est pour cela qu’il est dit : " Lorsqu’il fut plein, " etc. — De même que la mer figure le monde, ainsi le rivage de la mer représente la fin du monde. C’est alors que les bons poissons seront recueillis dans des vaisseaux et les mauvais jetés au loin, c’est-à-dire que les élus seront reçus dans les tabernacles éternels, tandis que les méchants, privés de la lumière qui éclaire le royaume intérieur, seront traînés dans les ténèbres extérieures. Pendant cette vie, les filets de la foi contiennent indifféremment les bons et les mauvais, comme des poissons mêlés ensemble ; mais le rivage fera reconnaître ceux que contenait le filet de l’Église. — S. Jér. En effet, lorsque ce filet sera tiré sur le rivage, alors on verra comment doit s’opérer la séparation des bons avec les mauvais.

S. Chrys. (hom. 48.) Quelle différence y a-t-il entre cette parabole et celle de l’ivraie ? De part et d’autre, les uns sont sauvés et les autres périssent ; mais dans la parabole de l’ivraie, c’est la perversité des dogmes hérétiques qui est la cause de leur perte ; dans la parabole de la semence, c’est le défaut d’attention à la parole de Dieu, et dans celle-ci c’est la vie criminelle des hommes qui sera pour eux un obstacle à leur salut, bien qu’ils aient été pris dans le filet, c’est-à-dire bien qu’ils aient reçu la connaissance de Dieu. Et ne soyez pas tenté de regarder comme un supplice peu rigoureux pour les mauvais d’être jetés dehors, car écoutez Notre-Seigneur qui vous fait connaître dans l’explication de cette parabole combien ce supplice sera terrible : " Il en sera de même à la fin des temps. Les Anges viendront et sépareront les mauvais, " etc. Il dit ailleurs que c’est lui-même qui les séparera comme un pasteur sépare les brebis d’avec les boucs. Ici ce sont les Anges qui font cette séparation, comme dans la parabole de l’ivraie.

S. Grég. (hom. 10.) Il faut bien plutôt trembler en entendant ces paroles, que chercher à les expliquer, car les tourments des pécheurs y sont prédits ouvertement et personne ne peut s’excuser ici sur son ignorance en prétextant l’obscurité du dogme des supplices éternels. — Rab. Lorsque la fin du monde sera venue, on connaîtra les véritables signes qui doivent servir à séparer les poissons entre eux, et là comme dans un port, à 1’abri de toute agitation, les bons seront placés dans les vaisseaux des célestes demeures, et les mauvais jetés dans les flammes de l’enfer qui doivent les brûler et les tourmenter pendant l’éternité.
 

 

vv. 51-52.

S. Chrys. (Hom. 48.) Après que le peuple s’est retiré, le Seigneur continue de parler à ses disciples en paraboles, parce que cette méthode d’enseignement a ouvert leur intelligence et leur a fait comprendre les paroles du Sauveur. Il leur demande donc : " Avez-vous compris toutes ces choses ? Ils lui répondent : Oui. " — S. Jér. Il s’adresse particulièrement aux Apôtres, car il ne veut pas seulement qu’ils entendent comme le peuple, mais comme des hommes qui doivent un jour enseigner les autres.

S. Chrys. Il les félicite de nouveau de ce qu’ils ont compris par les paroles suivantes : " C’est pourquoi tout docteur tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. "

S. Aug. (Cité de Dieu, 20, 4.) Il ne dit pas des choses anciennes et des choses nouvelles, ce qu’il n’eût pas manqué de faire, s’il n’avait préféré suivre l’ordre que prescrivait le mérite de ces choses plutôt que l’ordre des temps. Les Manichéens qui prétendent n’être en possession que des promesses nouvelles de Dieu, restent ensevelis dans la vétusté de la chair et introduisent en même temps la nouveauté de l’erreur. — S. Aug. (Quest. évang.) Notre-Seigneur a-t-il voulu expliquer ici quel est ce trésor caché dans le champ et que l’on peut entendre des saintes Écritures composées de l’Ancien et du Nouveau Testament ; ou bien son dessein est-il de nous apprendre qu’on doit regarder comme un homme docte dans l’Église celui qui comprend les anciennes Écritures, même sous la forme de paraboles, en puisant dans les nouvelles les principes d’une bonne interprétation (puisque le Sauveur lui-même a parlé en paraboles dans le Nouveau Testament) ? Car s’il est celui en qui toutes les Écritures reçoivent leur accomplissement et leur manifestation, et que cependant il parle encore en paraboles jusqu’à ce que sa passion ait déchiré le voile et qu’il n’y ait rien de caché qui ne soit révélé, nous devons en conclure que ce qui avait été prédit de lui si longtemps avant sa venue sur la terre était plus que tout le reste caché sous le voile des paraboles. Et en voulant entendre ces prédictions à la lettre, les juifs ont refusé de devenir instruits de ce qui concerne le royaume des cieux.

S. Grég. (hom. 13.) Si par ces choses nouvelles et anciennes nous entendons les deux Testaments, nous serons forcés de ne point regarder Abraham comme docte et instruit, lui qui connaissait sans doute les faits de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais qui n’en a point parlé. Nous ne pourrons pas non plus comparer Moïse à ce docte père de famille, car s’il a enseigné les préceptes de l’Ancien Testament, il n’a point promulgué les vérités de la loi nouvelle. Nous devons donc entendre que Notre-Seigneur ne parlait que de ceux qui existaient autrefois, mais de ceux qui pouvaient faire partie de l’Église. Ce sont ces derniers qui tirent de leur trésor des choses nouvelles et des choses anciennes lorsque par leur vie comme par leurs paroles, ils annoncent les vérités renfermées dans les deux Testaments. — S. Hil. (can. 14.) Jésus parle ici à ses disciples et il les appelle scribes ou docteurs à cause de leur science, parce qu’ils ont compris ce qu’il leur a enseigné de nouveau et d’ancien, c’est-à-dire son Évangile, et ce qu’il leur a expliqué de la loi. La loi et l’Évangile ont tous les deux pour auteur le même père de famille et sortent tous les deux du même trésor. Sous ce nom de père de famille, il établit aussi une comparaison entre ses disciples et lui-même, parce qu’ils ont puisé la doctrine des vérités anciennes et des vérités nouvelles dans le trésor de l’Esprit saint.

S. Jér. Ou bien il donne aux Apôtres le nom de scribes doctes et instruits, parce qu’ils étaient comme les secrétaires du Sauveur, et qu’ils écrivaient ses paroles et ses préceptes sur les tables de chair du cœur humain. (2 Co 3.) Riches des mystères du royaume des cieux et des richesses du père de famille, ils tiraient du trésor de leur doctrine des choses nouvelles et des choses anciennes, c’est-à-dire qu’ils appuyaient toutes les vérités de l’Évangile sur des témoignages de la loi et des prophètes. C’est pour cela que l’épouse dit dans le Cantique des cantiques (Ct 7) : " Mon bien-aimé, je vous ai réservé les choses nouvelles avec les choses anciennes. " — S. Grég. (hom. 12.) Ou bien encore, la chose ancienne, c’est que le genre humain, par suite de ses crimes, devait périr victime d’un supplice éternel, et la chose nouvelle, c’est qu’il se convertisse et qu’il vive d’une vie immortelle dans le royaume des cieux. Il nous a donné d’abord comme figure du royaume le trésor trouvé et la pierre précieuse ; il nous a fait connaître ensuite les peines de l’enfer où les méchants brûleront éternellement, et il conclut par ces paroles : " C’est pourquoi tout scribe instruit tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes, paroles dont voici le sens : Celui-là doit être regardé dans l’Église comme un prédicateur instruit qui sait dire des choses nouvelles sur les douceurs ineffables du royaume des cieux, et des choses anciennes sur la rigueur effrayante des supplices éternels, afin que les châtiments épouvantent ceux qui demeurent insensibles à l’attrait des récompenses.
 

 

vv. 53-58.

S. Jér. Après ces paraboles que Notre-Seigneur avait proposées au peuple et que les apôtres seuls avaient comprises, il vint dans sa patrie pour y enseigner plus ouvertement. C’est ce que l’Évangéliste rapporte en ces termes : " Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles, " etc. — S. Aug. (de l’accord des Evang., 2, 45.) Saint Matthieu passe de ces discours en paraboles à un autre sujet sans indiquer qu’il suit un ordre rigoureux d’autant plus que saint Marc (Mc 4) et saint Luc (Lc 8), en cela différents de saint Matthieu, paraissent avoir disposé leur narration d’une manière plus conforme à l’ordre chronologique des faits, en plaçant après ces paraboles les deux miracles du sommeil de Jésus dans la barque pendant la tempête et des démons chassés, miracles que saint Matthieu a entremêlés précédemment dans son récit.

S. Chrys. (hom. 49.) L’Évangéliste appelle ici Nazareth sa patrie ; il n’y fit pas beaucoup de miracles, ainsi qu’il le dit plus bas, mais il les multiplia dans Capharnaüm, où il développa en même temps sa doctrine qui ne devait pas moins les frapper d’admiration que ses miracles. — Remi. Il enseignait dans les synagogues où les Juifs se rassemblaient en foule, parce qu’il était descendu du ciel sur la terre pour le salut d’un grand nombre. — " De sorte qu’étant saisis d’étonnement, ils disaient : D’où lui est venue cette sagesse et cette puissance ? " La sagesse se rapporte à sa doctrine, la puissance aux miracles qu’il opérait.

S. Jér. Aveuglement inconcevable des Nazaréens, ils s’étonnent que la sagesse possède la sagesse, et que la puissance fasse éclater la puissance (cf. 1 Co 1, 24). La cause de leur erreur est évidente ; ils ne voient dans Jésus que le fils d’un charpentier. — S. Chrys. (hom. 49.) Leur aveuglement et leur folie s’étendent à tout, ils cherchent à le rabaisser par celui qu’ils regardent comme son père ; cependant l’histoire des temps anciens leur offrait un grand nombre d’exemples d’enfants illustres nés de parents sans distinction : David était fils de Jessé, simple laboureur ; Amos était fils de bergers et berger lui-même. C’était au contraire une raison de lui témoigner plus d’honneur, puisque, malgré sa naissance si humble, il prêchait une doctrine si relevée, car il était évident quelle n’était pas le résultat d’une éducation tout humaine, mais un effet de la grâce divine. — S. Aug. (Serm. pour la Nativ. de Notre-Seign.). Le Père du Christ est en effet ce divin charpentier qui a fait l’univers avec tout ce qu’il renferme, qui a donné le plan de l’arche de Noé et fait connaître à Moïse l’ordonnance du tabernacle, établi l’arche d’alliance ; divin charpentier, dis-je qui aplanit les intelligences raboteuses et retranche toutes les pensées orgueilleuses. — S. Hil. (can. 14.) Il était aussi le Fils de cet ouvrier qui dompte le fer par le feu, qui dissout toute la puissance du monde dans les ardeurs de son jugement, qui plie la matière aux usages de l’homme et qui donne à nos corps leur forme pour que les membres puissent remplir leurs divers offices et concourir aux oeuvres de la vie éternelle.

S. Jér. Après s’être trompés sur le père de Jésus, il n’est point surprenant qu’ils se trompent également sur ses frères : " Est-ce que sa mère ne s’appelle pas Marie et ses frères Jacques et Joseph ? " — S. Jér. (contre Helvid.) Ceux qu’ils appellent les frères du Seigneur sont les enfants de sa tante, Marie de Cléophas, femme d’Alphée et mère de Jacques et de Joseph : Cette Marie était aussi la mère de Jacques le Mineur. — S. Aug. (Quest. évang., quest. 17 sur S. Matth.) Il n’est pas étonnant qu’on ait appelé frères du Seigneur tous ses parents du côté maternel, puisque les Juifs, qui pensaient que Joseph était son père, appellent également ses frères tous ceux qui étaient parents de Joseph. — S. Hil. Le Seigneur se voit donc méprisé à cause de ses parents, et quoique la sagesse de son enseignement et l’éclat de ses miracles dussent exciter leur admiration, ils ne peuvent croire que c’est Dieu qui agit ici dans l’homme, parce qu’ils cherchent à l’outrager en lui rappelant le métier de son père. Au milieu donc de tant de merveilles qu’il opérait sous leurs yeux, son humanité seule fait impression sur eux, et ils disent : " D’où lui viennent toutes ces choses ? "

" Et il leur était un sujet de scandale. " — S. Jér. Cette erreur des Juifs est la cause de notre salut et en même temps la condamnation des hérétiques ; ils s’obstinaient tellement à ne voir qu’un homme en Jésus-Christ, qu’ils le regardaient comme le fils d’un charpentier. — S. Chrys. (hom. 49.) Mais admirez ici la douceur de Jésus-Christ : il ne leur dit aucune injure, mais leur répond avec la plus grande modération : " Et Jésus leur dit : Un prophète n’est sans honneur que dans son pays et dans sa maison. " — Remi. Il se donne le nom de prophète et c’est le nom que Moïse lui avait donné, lorsqu’il disait : " Dieu vous suscitera un prophète du milieu de vos frères. " (Dt 18) Remarquons ici que ce n’est pas seulement Jésus-Christ, le chef de tous les prophètes, mais encore Jérémie et Daniel, et les autres prophètes qui ont reçu plus d’honneur et de gloire parmi les étrangers qu’au milieu de leurs concitoyens. — S. Jér. En effet, il est presque dans la nature que les habitants d’un même pays se jalousent mutuellement ; ils ne considèrent pas les oeuvres actuelles de l’homme fait, ils ne se rappellent que les faiblesses de son enfance, comme s’ils n’avaient point eux-mêmes passé par les mêmes degrés pour arriver à la maturité de l’âge.

S. Hil. (can. 14.) Il déclare qu’un prophète est sans honneur dans sa patrie, parce qu’il ne devait recevoir que des mépris dans la Judée jusqu’au jour où il devait être condamné à la mort de la croix, et que ce n’est qu’au milieu des fidèles qu’il a été reconnu comme la vertu de Dieu. Il ne voulut point faire de miracles par suite de leur incrédulité, comme le remarque l’Évangéliste : " Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité. " — S. Jér. Ce n’est pas que leur incrédulité rendît ces miracles impossibles, mais il ne voulait pas que ces nombreux miracles fussent une cause de condamnation pour ses concitoyens. — S. Chrys. (hom. 49.) Mais puisqu’ils ne pouvaient s’empêcher d’admirer les prodiges qu’il opérait, pourquoi ne pas les multiplier parmi eux ? C’est que le Sauveur n’agissait point par ostentation et ne recherchait que l’utilité des autres ; or, il ne voyait pas ici cette utilité, il néglige donc ce qui lui est personnel pour ne pas augmenter leur culpabilité et leur châtiment. Mais pourquoi donc en fit-il quelques-uns ? Afin de leur ôter tout prétexte de dire : " Si vous aviez fait des miracles, nous aurions cru. " — S. Jér. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens, c’est-à-dire que Jésus a été méprisé dans sa maison et dans sa patrie (par le peuple juif), et qu’il n’y a fait que peu de miracles, afin qu’ils ne fussent pas entièrement inexcusables. Tous les jours, au contraire, il opère par ses Apôtres de plus grands prodiges au milieu des nations, moins pour la guérison des corps que pour le salut des âmes.
 
 

source: clerus.org
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