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Sainte Véronique Giuliani, abbesse des capucines

27 décembre 1660 - 9 juillet 1727

Auteur du texte : Comtesse Marie de Villermont (1848-1925).

Librairie générale catholique (Paris) 1910

Biographie Véronique Giuliani (sainte ; 1660-1727)

Collection : Nouvelle bibliothèque franciscaine ; XXI



Abbesse des Capucines (1660-1727)

La vie de sainte Véronique Giuliani n'a pas encore traduit en français. Elle le fut en en italien dans un ouvrage très imparfait de Savatori, imprimé en 1839 et personne ne parle plus d’une des saintes les plus extraordinaires de l’Église jusqu’au jour où le R. P. Pissicaria entreprit la tâche de publier le journal de la sainte qui forme douze volumes été huit à neuf cents pages. Les dimensions de cette publication ne permettaient pas au public de l’apprécier, quoique intéressante qu’elle soit, et nous avons voulu lui faciliter de faire la connaissance de l’une des âmes les plus merveilleuses que Dieu ait placées sur la terre. Les documents sont à la fois très riches et peu nombreux. L'historien de sainte Véronique n’en a que deux à sa disposition :

Le journal et le procès de canonisation. Ce sont donc là les deux seules sources ou nous avons puisé, mais nous avons pu faire ample moisson, si ample que la difficulté de résumer de tant de merveilles fut la plus grande de l’œuvre. Nulle autre sainte, ni aucun saint non plus n’a écrit – que nous sachions - un journal de sa vie aussi détaillé, aussi minutieux, mais ce journal est plein de miracles que le lecteur pourrait douter de sa véracité. elleureusement, les témoignages recueillis pour la béatification et la canonisation confirment cette vérité et la cour de Rome l’a si bien admis que ce journal a été la matière des principales études pour la cause. Dès lors nous avons pu suivre sans hésiter la vie merveilleuse de Véronique dans ses propres révélations et nous espérons qu’elle sera reçue du public croyant avec sentiment qui a inspiré notre œuvre :

La joie de proclamer une fois de plus la puissance de Dieu dans une de ses plus admirables créations.
 
 

ÉVÉNEMENTS REMARQUABLES


 
 

CHAPITRE PREMIER

MERCATELLO – LA FAMILLE GIULIANI - NAISSANCE DE VÉRONIQUE - SA PREMIÈRE ENFANCE - SA PIÉTÉ EXTRAORDINAIRE - MERVEILLES ET FAVEURS CÉLESTES - MORT DE SA MÈRE.

Dans une vallée profonde, aux pieds des Apennins, baignés par le cours rapide de l’antique Métaure, se cache la petite ville de Mercatello. Dieu se réservait d'y choisir une créature d'élite, afin d'en faire une des plus grandes saintes de l’Église (1). Nous nommons ici Véronique Giuliani.

Parmi les grandes mystiques qui ont à ta fois édifiée et étonnée le monde chrétien, Véronique eut une place à part. Peu de saints ont reçu comme elle la mission de souffrir. Et même on peut le dire, nul ne semble l'avoir dépassée par la violence de ses tortures et l'intensité de sa compassion aux souffrances du Rédempteur.

  1. Pie IX lisant pour la première fois le journal de sainte Véronique s'écrit " Ce n'est pas sainte ordinaire, c'est une très grande sainte. "
C'est par là qu’elle est montée à un degré vraiment vertigineux de sainteté et de sacrifice. Mais toujours Dieu prévient ses créatures, et quand il se choisit des saints, c'est lui le premier qui appelle l'âme élue. Il en fut ainsi pour Véronique. Dès avant sa naissance, elle était désignée pour prendre place dans la phalange ravissante des vierges qui suivent l’Agneau.

Dans une rue étroite, comme toutes celles des petites villes d'Italie, s'élève une maison à la façade percée de rares fenêtres grillées. L'aspect extérieur est sans grâce, austère et triste, comme ces maisons de pays chauds, où l'on ne cherche qu'à se préserver du soleil. C'est là que vivaient Francesco Giuliani et sa femme Benedetta Mancini, riches bourgeois de la cité, parents de notre sainte.

Francesco Giuliani menait à Mercatello la vie tranquille d'un propriétaire aisé, et remplissait l'office de porte-étendard de la garnison. Benedetta Mancini appartenait à une famille de bonne bourgeoisie, sinon de petite noblesse; elle était femme de haute vertu et de grande piété.

En rassemblant les traits épars qu'on peut trouver d'elle dans le journal de Véronique, on se la figure active, vigilante, dirigeant sa maison en femme forte de l'Écriture, d'allure et de conversation un peu austère; appartenant à la race de ces grandes chrétiennes, comme on en rencontrait jadis dans les familles de province. Les époux Giuliani eurent sept filles, dont Véronique fut la plus jeune.

Comme pour beaucoup d'autres saints, Dieu voulut bénir la mère par l'enfant et indiquer le choix qu'il en faisait. Benedetta, toujours souffrante et malade dans l'attente de la maternité et se trouva au contraire forte et courageuse en cette circonstance. Son coeur débordant de paix, de sérénité, d'onction; jamais elle n'avait éprouvé des sentiments de piété si fervente, une confiance plus ferme en Dieu.

Le 27 décembre 1660 naquit la petite fille dans la grande chambre aux poutres brunies, à la vaste cheminée, au sol carrelé, qu'égayait seulement un autel fleuri et orné (1).

On remarqua cette date heureuse qui mettait l'enfant sous le patronage du disciple vierge et lui donnait les saints Innocents comme témoins de son baptême. Elle fut en effet baptisée au jour de leur fête par Don Giovanni Antonio Borghèse, curé de Mercatello, et elle reçut le nom d'Orsola, Ursule. Peut-être plaignait-on les époux Giuliani de l'arrivée d'une septième fille. Benedetta, au contraire, s'en réjouissait. Elle pressentait les destinées de son enfant dont la grâce et la gentillesse se développèrent avec une rapidité prodigieuse.

(1) On voit encore à Mercatello la maison des Giuliani et la chambre où naquit Véronique, maintenant transformée en oratoire. 4
 
 
Tout le monde admirait le joli poupon d'une vivacité toute italienne; sa famille la chérissait, la gâtait, en avait fait sa petite idole. Sa mère, plus calme, observait en son coeur ce qu'elle voyait de mystérieux dans cette enfant bénie, et sa grande foi lui montrait en elle une oeuvre mystérieuse de Dieu. Le Miracle commença, dès les premiers jours, à s’attacher à sa vie et a indiqué quel en serait le but la pénitence. Tous les jours de jeune, ce petit être se refusait avec énergie à prendre le sein maternel. À peine pouvait-on te soir, lui faire avaler quelques gouttes de lait et cette abstinence qui eût été si préjudiciable à tout autre ne lui faisait aucun mal. L'humeur de cette privilégiée d'en haut était toujours égale. Jamais on ne l'entendit pleurer; elle se laissait emmailloter et coucher sans se débattre ni faire de résistance, mais, toujours contente à quelque place qu'on la portât, elle souriait à tout le monde. Elle faisait l'impression de posséder un usage de la raison de beaucoup supérieur à celui des enfants de son âge. Elle avait comme un instinct de discernement, surtout dans les choses de piété. Ses sœurs, dans les enquêtes poursuivies après la mort de la sainte, assurèrent qu'elle parlait à cinq mois. Le jour de la sainte Trinité de l'an 1661 (Orsola était née le 27 décembre 1660), l'enfant s'échappa des bras de sa mère et se mit à courir vers une image de la sainte Trinité à la grande stupéfaction de tous. Jamais on n'avait essayé de la faire marcher. On la vit s'incliner, s'agenouiller devant l'image suspendue au mur et rester comme ravie dans une contemplation surnaturelle.

Benedetta ne voulut pas qu’on allât relever l’enfant et attendit qu'elle sortît d'elle-même de son extase. Depuis, ses petits pas se dirigèrent vers les images pieuses et elle demandait qu'on l’élevât jusqu'à elles afin de les baiser avec ardeur. Un jour, la petite fille vit l'enfant Jésus lui sourire de son cadre et lui tendre la main. Dès lors on ne pouvait plus l'arracher de la chambre où était le tableau.

Un autre fait frappa vivement la famille Giuliani. Orsola n'avait que six ou sept mois quand, un matin, une servante allant acheter de l'huile la prit dans ses bras. Arrivée chez le marchand, la domestique lui tendit un vase pour qu'il le remplît, mais, profitant de la distraction de sa cliente, il ne donna pas la mesure pleine. Tout à coup, la petite Orsola élève la voix et dit gravement :

" Faites justice, Dieu vous voit ". Le marchand épouvanté se hâta de réparer sa tromperie et la servante revint tremblante d'émotion.

Pour Orsolina commençaient les rapports continuels avec Jésus et Marie. Préludes naïfs et charmants de cette union mystique à laquelle le Seigneur l’appelait.

Une antique peinture, roide, sans proportions, à la manière byzantine, ornait une des salles de la maison (1) au-dessus d'un petit autel.

(1) Ce tableau est peint sur un panneau de 24 centimètres de long sur 20 de large. La Madone et le Bambino ont le type grec, Joseph dut être peint beaucoup plus, tard. On croit que cette peinture est du XIIIe siècle ou du commencement du siècle suivant. L'original a été perdu à Rome où on l'avait envoyé à la Congrégation des Rites, avec les pièces du procès. elleureusement l’évêque de Citta di Castello, Mgr Gasparini, en avait fait faire une copie exacte attestée par acte signé de lui et du notaire Giovanni Fabbri le 18 juin 1739. Cette copie se conserve au monastère des capucines de Citta di Castello dans la cellule de la sainte. Elle représentait la Vierge allaitant l'enfant Jésus. Orsolina passait de longues heures devant elle et parlait à la Vierge avec la naïve assurance des petites enfants " Donnez-moi votre enfant a, disait-elle à Marie en 1ui tendant tes bras. Elle répétait sa prière instante sans se lasser. Parfois il lui semblait que la divine mère et son Fils lui souriaient; alors c'était un redoublement de cris et de supplications.

Véronique, rappelant ce fait dans son journal, dira qu'en ces moments bénis, elle était comme brûlée d'un feu dévorant.

Lorsqu'on ne voyait plus Orsolina, on était sûr de la retrouver devant son tableau, criant et s'impatientant même de ce que l'enfant Jésus ne lui répondait pas. Elle apportait son goûter au divin Bambino et le déposait sur le petit autel, puis se mettait à pleurer en voyant qu'il ne venait pas le manger.

Te souviens-tu? dit un jour la sainte Vierge à Véronique dans une vision, te souviens-tu comme tu apportais ton goûter devant mon image. Je tenais mon mis étroitement serré dans mes bras et tu te plaignais de ce que j’étais si cruelle pour toi. Tu disais : "Très sainte Vierge, donnez-le-moi, après il retournera près de vous."

"Moi j'allumais un désir grandissait dans ton cœur, tu brûlais d'amour. Tu ne voulais pas manger si Jésus ne venait manger avec toi, tu essayais de, m'attendrir en simulant que tu avais mal ou bien tu te mettais a pleuré. Tu voyais alors atteindre le tableau. Un jour, tu es une espèce d'escalier, entassant table, siège, tabouret, puis tout s'écroula quand tu voulus y grimper et tu te fendis la tête en tombant. Si je ne t'avais pas soutenue, tu serais morte. Tu guéris (1) et tu revins près de moi, me boudant de ce que je ne t'avais pas donné mon nom. Tu t'assis par terre, tu ôtas les rubans de tes cheveux et tout ce que tu portais de parure et tu les déposas devant moi en disant : " Donnez-moi Jésus, car je lui donne tout ce que je possède". Alors il vint près de toi, non pour te prendre ces frivolités, mais pour ravir ton cœur dans lequel il faisait ses délices, il laissa en toi un ardent désir d'être à lui seul et tu le quittas dans la joie. Tu courais dans la maison comme une folle. "

  1. Orsolina fut guérie miraculeusement de cette blessure.
Depuis ce jour, on ne pouvait mettre à la petite fille la moindre parure qu'elle n'allât aussitôt la déposer sur l'autel. Colliers de corail, tabliers brodés, rubans s'amoncelaient aux pieds de Jésus.

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Quel bonheur lorsque le divin Enfant se penchait, prenait la petite main qui se tendait vers lui quel délire le jour où il accepte de manger un morceau du gâteau qu'Orselina lui présentait. Quelquefois, c'est au jardin qu'avaient lieu les célestes rencontres.

" Te souviens-tu, dit encore la sainte Vierge à Véronique, du jour où tu étais allée cueillir des fleurs au jardin (1), Jésus t'apparut et te dit : " Je suis la vraie fleur " puis il disparut. Tu te figuras qu'il était rentré à la maison et, jetant tes fleurs, tu courus après lui partout. Comme tu ne le retrouvas point, tu te désespérais et quand tu fus arrivée devant mon image, tu t'écrias: " Ah! Jésus! Vous êtes déjà retourné dans les bras de votre mère. Vous m'avez fait tant courir et je ne puis vous rattraper!" Tu te mis à pleurer. " Je ne partirai pas d'ici, disais-tu que vous ne soyez venu à moi. J’ai laissé là toutes mes fleurs, je cesserai tous mes jeux pour pouvoir vous tenir dans mes bras. " Alors Jésus vint à toi. Il te fit une grande grâce, que tu n'étais pas capable d'apprécier, mais inspirée par lui, tu dis : " Je vous aimerai éternellement. " Il te donna un tendre baiser.

(1) Sur la fin de sa vie, Mgr Codebo, évêque de Citta di Castello, ordonna à Véronique d'écrire une nouvelle relation de son enfance. La sainte, craignant de ne pas se souvenir, pria la sainte Vierge de lui venir en aide et traça ces pages sous son inspiration. " Tu restais pressée contre son coeur et c'est en ce moment que tu commences à être toute à Dieu et en Dieu."

Véronique, dans les diverses relations de sa vie, raconte plusieurs faits du même genre, faits contrôler par les dires de ses contemporains qui la voyaient tout coup comme hors d’elle-même. Elle courait alors dans la maison en proie à une agitation violente. Sa mère et ses sœurs cherchaient en vain à la retenir, elles lui demandaient : " Qu'as-tu? Es-tu folle? " Mais Orsolina se sauvait et ne voulait rien dire. Elle croyait, dans sa simplicité enfantine, qu'il arrivait la même chose aux autres, néanmoins, elle gardait un silence étonnant pour une enfant si petite, d'un caractère si franc et ouvert. Elle pensait, dit-elle, que puisqu'on ne lui faisait pas de confidences, elle n'en devait pas faire non plus.

Des colloques ardents et naïfs s'établissaient entre Jésus et la petite privilégiée. " Je me mettais à discourir avec l'enfant Dieu comme je l'aurais fait avec tout autre enfant, écrit la sainte. Je me souviens qu'il me répondait et raisonnait avec moi. D'autres fois je le voyais rire. Avant de le quitter je lui disais: " Je suis à vous et vous êtes tout à moi ", et il me répondait: je suis tout pour toi, et toi, tu es tout pour moi. "

Oh quelle joie me transportait ! Je ne sais plus ce que je faisais. Je me souviens seulement que je courais dans toute la maison et personne ne pouvait me faire tenir en place. " 9

Avec cet amour profond pour l’enfant Dieu, on conçoit que la fête de Noel devint sa fête préférée. Elle avait 3 ans lorsque sa mère et ses soeurs la menèrent pour la première fois devant une crèche. C’était un autel à l'enfant Jésus, dressé par sa mère et ses soeurs dans une salle de la maison. Il était orné de fleurs et de lumières autour d’une statue de cire reposant sur de la paille. En entrant dans la salle, Orselina poussa un cri de joie. Elle voyait dans la crèche un enfant d'une beauté ravissante qui lui souriait.

" Je vous en prie, suppliait-elle, donnez-moi ce bel enfant. "

Ses soeurs, craignant pour la statue de cire, et connaissant les tendresses trop vives de la petite, refusèrent de se prêter à son caprice. Orsolina tomba dans un profond désespoir et se mit à pleurer amèrement. Touchée de ce chagrin, la mère dit à ses filles ainées de lui donné à baiser l'enfant Jésus. Mais Orsolina repoussait l'image de cire en criant: " Je ne veux pas celui-là, il est laid, je veux l'autre. "

Personne ne comprenait ce qu'elle voulait dire et on sortit de la chambre en fermant la porte à clef. Orsolina ne rêva plus qu'à revoir le bel enfant. Elle parvint un jour à se faufiler dans la salle dont on avait oublié de fermer la porte. Le bel enfant était là, qui lui souriait, mais il disparut aussitôt. La petite fille se figura qu'il était allé se cacher sous la crèche et la voilà bousculant fleurs et chandeliers, détruisant toute l’ordonnance de l’autel. 11

Une de ses sœurs arrivait au bruit, gronda fort Orselina. " Je cherche l’enfant, répondit-elle. Mais le voilà dit sa sœur en montrant l'image de cire. Non, je ne veux pas de celui-là, il est trop laid, je veux l'autre ", répondait-elle!

On croyait à un caprice, on la laissait. Mais Orsolina revenait sans cesse à la crèche et les mains jointes, extasiées, elle redisait : " Beau Jésus! Beau Jésus! " Un jour qu'elle priait ardemment le divin Bambino d’accepter son coeur, il lui répondait " Oui, je le prendrai et je serai ton coeur. " Orsolina crut naïvement que Jésus allait venir auprès d'elle pour vivre désormais à ses côtés et tendit les mains pour le saisir, mais la vision disparue et, avec elle tout le bonheur de la petite fille.

Ces apparitions de l'enfant Dieu se renouvelaient souvent, mais elles étaient rapides et, quand elles disparaissaient, la petite Orsolina se mettait à la recherche de Jésus. Elle criait de toutes ses forces : " Mon beau Jésus, mon cher Jésus! " parce qu'il lui semblait que plus elle criait, plus Jésus reviendrait vite. Les gens de la maison la faisaient taire en lui disant qu'elle les assourdissait elle se taisait alors quelques instants, puis, incapable de se contenir davantage, elle se glissait dans quelque coin plus isolé crier pour pouvoir crier à son aise.

" En criant ainsi j’étais transportée d'une jubilation si intense que je devais la laisser s'exhaler

par mes cris " dit-elle dans son journal (1)

(1) Revenons encore sur la véracité des récits de Véronique. Tous ses confesseurs ont déposé unanimement que sa manière d'écrire prouvait son absolue sincérité. Au moment où elle prenait la plume, elle ne se souvenait de rien. Au fur et à mesure qu'elle écrivait; elle revivait littéralement les scènes de sa vie passée. Aussitôt la plume déposée, elle avait de nouveau tout oublié. Quand au milieu de sa narration la mémoire lui manquait, elle s’arrêtait sans se préoccuper autrement du manque de suite de son récit. Benedetta Giuliani était digne d’une sainte. Sous sa direction, ses filles se formaient au travail, à la piété et à la vertu. Elles les surveillaient attentivement, leur apprenaient à prier, à méditer, à se mortifier. Toutes petites, elles les menaient à l’église, leur donnaient l'amour de la Parole de Dieu et récitaient l’office avec elles. On voit même qu’à son exemple, les sœurs d’Orsolina se donnaient la discipline. Au logis, Benedetta aimait à voir près d’elle toute sa famille. On brodait, on faisait de la dentelle, on travaillait pour les pauvres, pendant que l'une ou l’autre lisait quelque livre de piété. Les jeunes filles s'occupaient aussi du ménage, et cette vie ne paraissait austère à personne, sinon au chef de la famille. La gaieté de la jeunesse s'épanouissait sans entrave dans la casa Giulani et Orsolina était le plus souvent l'objet premier des rires et des cris joyeux. À mesure qu'elle grandissait, Orsolina devenait plus belle, plus séduisante par sa vivacité originale. Rien de méchant dans l'état pur de ses grands yeux noirs; la perpétuelle sérénité de son humeur formait le contraste le plus piquant avec une impétuosité primesautière. 13
 
 

On ne pouvait la voir sans l’aimer. Toute autre que cette étrange petite fille se fut gâtée par tant de caresses, mais elle ne se laissait influencer par rien de ce qui l’entourait. Elle était déjà à trois ans, ce qu’elle serait toute sa vie: un caractère d'une énergie indomptable et une âme ardente, toute à Jésus.

Les lectures à haute voix ne comportaient guère que des vies de saints. Pendant qu'on lisait, on se préoccupait peu de la bambine qui jouait dans un coin. L'enfant écoutait cependant avec une extraordinaire attention et les actes héroïques des saints se gravaient profondément dans sa jeune imagination. Ce qui effrayait les autres, la charmait. Avec une incroyable pénétration, elle comprit de suite le mérite de la souffrance et le rôle important qu'elle joue dans l'expiation du péché. Un jour qu'on lisait la vie de sainte Rose de Lima, elle se proposa, à son exemple, de souffrir pour mériter. Quelques jours après, elle était seule près d'une porte, s'amusant à mettre ses petits doigts dans la rainure, elle pensa à sainte Rose s'écrasant volontairement les doigts sous le couvercle d'un coffre et un immense désir lui vint de l'imiter. En ce moment un grand chien passa; la sœur ainée, sans voir l’enfant, se précipita pour fermer la porte, afin qu'il ne put entrer. La pauvre petite main d’Orsolina, pris dans les gonds, presque écrasée. L'enfant ne poussa pas un cri, tandis que sa sœur appelait toute la famille au secours, s'accusant d'avoir tué Orsolina.

Plus la petite lui disait de se taire, plus elle criait. Son doigt, tout à fait écrasé, saignait beaucoup, le nerf était a nu. 0n fit venir le chirurgien qui mis le doigt dans un appareil fait avec des petits morceaux de bois et banda la main. Tout le monde pleurait, seule Orsola riait et disait qu'elle eût préféré qu'on ne la soigne pas pour souffrir davantage.

Ce premier supplice la mit en gout. Elle voulut tourmenter son autre main et, dans un moment où on ne la surveillait pas, reniant se glissa dans la salle de la crèche dans laquelle on avait préparé un brasier pour y brûler de l'encens. Il parut à Orsolina que le supplice du feu était un martyre souhaitable, et elle mit sa main sur les charbons, espérant, dit-elle naïvement, brûler tout entière. Heureusement qu’une sœur arriva à temps. Déjà la chair crépitait tes doigts se recroquevillaient, les nerfs se retiraient. Orsola ne disait rien, supportant ce supplice avec un stoïcisme incroyable. De nouveau ce furent des cris de la famille accourue. Encore une fois le chirurgien fut mandé et comme, après avoir pansé la main brûlée, il demandait des nouvelles du doigt écrasé, la petite enleva prestement l'appareil, le doigt recommença à saigner et la douleur fut très vive. Orsolina ne poussa pas un cri et malgré ses deux mains qui la faisait souffrir, elle resta toujours gaie elle se consolait appelant que sainte Rose de Lima, touchée de son affection pour elle, allait venir à tenir de la compagnie.

Cette idée de la souffrance va s’incruster désormais en elle. Ce sera l'idée dominante de sa vie, le moteur de ses actions, le seul moyen pour elle de calmer l’ardeur de son amour pour Jésus. Un jour, se rappelant ces chaînes dont se ceignait sainte Rose, elle s’imagina dentourer ses bras et ses jambes de cordes, mais elleserra si fort que sa tendre chair se coupe et qu'on a grand‘peine à les enlever. Une autre fois, elle amoncèle des pierres au jardin et en forme une sorte de petite tourelle auprès de laquelle elle se couche en la frappant de la tête afin que les pierres tombent sur elle et s’écrasent.

Elle voudrait bien avoir une discipline; faute de mieux, elle s'en fait une en formant des noeuds aux cordons de son tablier, ou bien en ramassant quelques cordes dont elle fait un fouet, puis elle se cache pour se frapper de toutes ses forces. Déjà la croix l'attire, elle désire, comme Jésus, la porter sur ses épaules. Au prix de peines infinies, elle ajuste deux morceaux de bois, mais voilà! Dès qu'elle voulait mettre la croix sur son dos, elle tombait.

Les traits charmants de cette naïve soif de sacrifice sont nombreux. Orsolina est vraiment prédestinée pour l'expiation. Dieu veut, dès ses premières années, indiquer nettement le rôle sublime qu’on lui assigne.

Le démon dut le pressentir, et la guerre qu'il fit à la sainte commença dès quel reconnut l’enfant privilégiée du ciel dans la petite fille des Giulani. Elle avait à peine marché quelque jour elle vit venir à elle un crapaud monstrueux. Dans l’innocence, Orsolina se mit à le caresser tout en criant à sa mère de venir voir te bel oiseau qu’elle avait. Benedetta arriva, mais quand elle vit la petite, la main sur le hideux animal dont la gueule large ouverte avait mordu l’imprudente, elle devint prie de peur et enleva reniant dans ses bras. On accourut à ses appels, on tua l'affreux crapaud et on assura n'en avoir jamais vu d'aussi grand.

La première fois qu'elle voulut se servir de sa discipline, Orsolina s'était cachée dans une chambre inoccupée. Aussitôt un tapage anreux se fit entendre. " J'eus grande peur, écrit-elle, et j'allais me sauver lorsque je vis un très bel enfant qui me dit de me donner la discipline pour lui. Il disparut et je fis ma pénitence. Cette nuit (1) le Seigneur m'a révélé que le tapage qui m'avait alors effrayée était causé par le démon, qui ne voulait pas que je fasse cet acte méritoire. Le bel enfant était Jésus, qui avait pour très agréable cette pénitence d'un enfant si jeune. Ces choses disposaient mon âme à ce qu'il avait résolu de faire de moi.

(1) La sainte raconte ce fait dans son journal en 1697. L'amour de Dieu ne se sépare pas de celui du prochain. Tout naturellement Orsola aimait les pauvres. Ses petits actes de charité sont ravissants de naiveté et graces. Un jour on lui a apporté une paire de souliers les, lui passe aux pieds, et voilà la petite toute fière comme sont les enfants quand ils ont de bel chaussures. Elle ne veut pas qu’on y touche, elle est ravie. Mais étant grimpée sur la. fend elle voit un pauvre prierijn atrhref dans la rue. Il regarde Orsola et lui demande la charité. Que faire ? La petite n’a rien à donner. Si elle a ses souliers neufs, ses beaux souliers. Elle en prend un et le jette au mendiant. Celui-ci remercie, s'éloigne de quelques pas, puis se retourne et crie " Donnez-moi l’autre soulier, que puis-je faire d'un seul ? "

Sans hésiter, Orsola lance le second, mais il tombe sur la volute de pierre qui orne le dessus de porte de la maison. Ô merveille! voila le pauvre qui s'élève en l'air, prend le soulier, puis disparaît, et l'enfant ne peut détacher les yeux du beau visage qu'elle vient d'apercevoir. Plus tard, lorsqu'elle sera au couvent, le Seigneur lui apparaîtra et lui montrant une paire de petits souliers d'or, il lui dira que ce sont ses souliers, et que le pauvre, c'était lui.

D'autres fois, le morceau de pain noir que donne l'enfant se change en pain blanc.

Il arrive cependant que la nature égoïste essaie de reprendre le dessus, tel ce jour où on lui donne un grand sac plein d'excellentes friandises. Il s'assied sur une marche pour chercher le moyen de cacher ce qu'elle ne mangera pas.

Voilà que l’enfant Jésus lui apparait et lui dit : " Donne toutes cec choses, pour l’amour de moi, au premier pauvre que tu verras. " Il disparait et bientôt un pauvre arrive en demandant: une petite aumône pour l’amour du bon Dieu. Orsolina, non sans regret, lui donne donne la moitié de son

sac. Elle veut rentrer dans la maison, mais voici un second pauvre qui demande aussi pour l'amour de Dieu, et Orsolina ne peut se résoudre à ne rien garder pour elle. Elle rentre, et le peu qui lui reste lui semble encore trop, car elle a un gros remords, elle va, elle vient, elle ne peut tenir en place qu'elle n'ait fait le sacrifice de ses bonbons. A la fin, elle jette tout ce qui lui reste par la fenêtre, ne gardant pour elle qu'un biscuit. " Je ne croyais pas être en faute, écrit et plus tard, en gardant ce biscuit, mais quand le Seigneur me fit des reproches, oh! combien grand me parut mon péché "

Mais ils furent bien rares, ces petits manquements à la parfaite charité. Il fallait plutôt surveiller Orsolina pour l'empêcher de se dépouiller de tout en faveur des pauvres. Tabliers, bijoux, rubans, même sa robe, elle donnait tout allant piller le garde-manger pour ses chers mendiants. Un jour, son père, attendant des amis, avait fait faire deux beaux gâteaux, il parut à la petite fille que c'était une superfluité coupable de se régaler ainsi quand une foule de pauvres mouraient de faim. y " te, elle coupe les gâteaux et va les distribuer aux pauvres de la rue.

Francesco Giulani dut gronder Orsolina malgré la tendresse qu’il avait pour elle.

Benedetta, si charitable elle-meme, voyait avec joie les dispositions généreuses de sa fille, elle la chargait ordinairement de la distribution de ses aumones. Elle lui permettait souvent de servir quelque bonne portion de nourriture aux petits pauvres du voisinage. Alors, avec son impétuosité ordinaire, l'enfant sort de la maison pour rassembler tous les petits enfants qu'elle peut trouver.

Mais il faut d'abord que chacun aille faire sa revérence à la Madome et récite un Ave Maria ; ceux qui prient bien sont comblés de caresses, mais si quelque petit enteté se rebiffe, Orsolina tina le frappe de toute la force de ses petits poings, et finalement le pousse dehors en lui criant qu'elle ne veut pas de celui qui refuse de saluer la sainte Vierge. Rien de joli comme cette impétuosité primesautière vers le bien, le beau, vers tout ce qui vient de Dieu. On était alarmé quand on trouvait Orsolina grimpée sur un lit sur lequel on avait couché la belle statue de l’enfant Jésus de l’église qu'il fallait rhabiller, embrassant l’image sainte, sans souci d'abîmer ses beaux vêtements, ou encore lorsqu'elle dévastait les parterres du jardin, arrachant les plus belles fleurs pour les donner à Jésus.

On ne comprenait toutes ces actions, ces cris, ces courses folles, ces pleurs. On mettait cette agitation sur le compte de la vivacité extreme de l’enfance. On ne savait pas que Jésus lui souriait, qu'on s'est penché hors de son cadre pour prendre un bouquet de roses, qu'il avait mis à son collier de corail de sa petite amie et que ces visions d'un Dieu enfant dans tout le charme de sa royale beauté, mettaient Orsolina la hors d'elle. Notre-Dame aussi souriait à cette enfant dont elle voulait être plus tard la maitresse et la mère d'une façon si sublime.

Un jour, elle avait cinq ans, Orsolina, devant son image favorite, disait dévotement " Mon Jésus, je vous promets d'être toujours à vous. Vous êtes tout pour moi. Je prends votre sainte mère comme témoin de ma promesse. Et vous, très sainte Vierge, je vous répète ma promesse.

Si vraiment, mon cher Jésus vous voûtez accepter ce pacte, donnez-moi un signe. "

Aussitôt l’image de l'enfant Jésus se meut et parle. Et Orsolina en reste transportée de joie pendant plusieurs jours.

Une autre fois la Mère de Dieu lui dit " Ma fille, vois mon fils qui t'aime tant. Prépares-toi, car il sera ton époux. " A ces mots, l'enfant est envahie d'une ardeur brûlante et ne sachant comment exprimer son amour, elle va chercher tout ce qu'elle possède et le dépose sur le petit autel. Jésus, touché de cette innocente reconnaissance, sourit. " Je t'aime beaucoup, dit-il. Tu ne dois mettre ton amour en personne autre que moi, et le garder jalousement pour moi. Cher Jésus, s'écrie Orsolina, je veux a t'obéir de tout coeur. Mais enseigne-moi comment je dois faire. "

Le divin enfant se tourna vers sa Mère et lui dit " Notre petite veut etre gardée par vous. " Il y a mille traits semblables que nous voudrions consigner ici, mais entre lesquels il faut choisir. Ceux que nous donnons montrent assez la piété vive de cette petite enfant, et combien extraordinaires les prémices d’une vie que Dieu allait tisser de merveilles. Mais si une statue ou un tableau était capable d’enflammer ainsi Orsolina, que fera le Saint Sacrement lui-même.?

La première fois que sa mère la mena à la messe, tout à coup, à la consécration, elle s'écrie " Oh que c'est beau! Que c'est beau " Et avant qu'on ait le temps de la retenir, elle s'échappait du banc pour courir vers l'autel. C'est que, ainsi qu'elle l'avoua plus tard, elle voyait, presque chaque fois, à la consécration de la messe, l'enfant Jésus dans l'hostie, et elle n'eût pu s'empêcher de s'élancer vers lui. D'autres fois c'est l’Autel qui lui paraissait tout illuminé par le rayonnement de l'hostie.

Aux jours de communion de sa mère et de ses sœurs, Orsolina attendait avec impatience qu'elles revinssent de l'église pour courir à leur rencontre.

Elle sautait à leurs cous, les embrassait en s’écrian! " Oh la bonne odeur puis ne les quittai plus, se pressant contre elles, s'asseyant coté d'elles, si sage, si immobile, que les autres s'étonnaient et se demandait;

" Qu'as donc notre Orsolina aujourd'hui? " Mais le pur bonheur de cette famille chrétienne ne devait pas durer. Il ne serait pas donné à Benedetta de recueillir ici-bas les fruits de son œuvre maternelle. Elle perdit, coup sur coup, deux de ses filles, et ce fut pour elle un brisement de coeur profond ; peu après elle s'alitait et ne devait plus se relever. Le jour terrible arriva où toute illusion disparut, oû, près de l’agonisante, les jeunes filles en larmes préparèrent l'autel douloureuses du viatique. Orsolina regardait tout ses préparatifs et voyait couler les larmes de ses soeurs sans bien se rendre compte de ce qu'était la mort, et la mort d'une telle mère. Elle n'avait que six ans. Toute la maison, à genoux, attendait la visite du Dieu qui fortifie les âmes. Le prêtre entra, portant dans ses mains la custode. Orsolina ne vit plus que ce soleil radieux de l'hostie qui, tout à coup, venait illuminer la chambre funèbre. Elle se leva, sans souci de rompre et grand silence respectueux qui se faisait, et demanda au prêtre de la communier aussi. On veut la faire taire, elle résiste. Le prêtre lui répond à mi-voix qu'elle n'a qu'une hostie, espérant la calmer par cette réponse, mais l'enfant est hors d’elle, à se trouver si près du Bien-Aimé. " Donnez-moi en une parcelle, reprend-elle. Je dois la donner tout entière à la malade " réplique encore l'ecclésiastique.

Tout le monde attend, anxieux, qu'Orsolina se calme, et dans le silence la voix claire de l’enfant s'éleve et: " On peut très bien détacher une parcelle, dit-elle et me la donner, car ainsi que miroir cassé en morceaux ne laisse pas que de représenter chaque objet entier, de même chaque fragment d’hostie contient Jésus dans son être complet. "

Tout le monde se regarda avec une stupéfaction émue. Une telle réponse la faite par une enfant de six ans était au-dessus de la nature.

Orsola ne dit plus rien. Elle regarda sa mère communier, mais à peine la sainte hostie fut-elle déposer sur la langue de la mourante que l'impétueuse petite fille, se détachant des bras qui l'enserraient, grimpa sur le lit de sa mère en s'écriant " Oh la belle chose que vous avez reçue" et elle s'approchait de sa bouche en répétant " Oh! quel parfum! "

Benedetta pleurait et disait " Ma petite, remercie Dieu pour moi ". Et l'enfant, obéissant, adressait au ciel une de ces prières ardentes et naïves qui vont au coeur de Dieu (1).

  1. La sainte Vierge, un jour dans une vision, dit à Véronique que cette prière avait été agréable à Dieu.
La mort, cependant, arrivait rapidement. Une dernière fois la pieuse mère rassembla ses cinq filles auprès d'elle. Toutes pleuraient en écoutant sa voix mourante. Benedetta leur dit qu'elle voulait leur laisser un dernier testament comme preuve de son affection, et, leur montrant le crucifix qu'elle le tenait en main, elle légua à chacune une plaie du divin Crucifié. Orsolina eut la plaie du cœur. C'était comme une prophétie et, à coup sûr, une dernière marque de prédilection. On emmena l'enfant pour la coucher et peu après, doucement la vaillante mère rendait à Dieu sa belle ame résignée.
 
 

Lorsqu’on vint, au matin, pour lever l'enfant, on n'eut pas besoin de lui dire que sa mère était morte. Elle le savait. On eut grand‘peine à l'habiller tant elle pleurait, et son désespoir redoublait celui de ses sœurs. C'est que la petite n'avait jamais quitté sa mère; sans cesse elle revenant se jeter dans ses bras. Elle était objet de sa plus tendre sollicitude, aussi combien elle se sentait maintenant seule et abandonnée, mâture l'affection que son père et ses sœurs lui portaient. Le soir ce fut une grande anisare de la mettre au lit. Orsolina résistait. C’était sa mère qui la couchait ordinairement, elle ne voulait pas que d'autres s'en mêlent. Enfin on eut l'idée de lui apporter une statue de la sainte Vierge que l'enfant Jésus entourait de ses bras. Orsolina lui sécha ses pleurs. Elle s'endormit en tenant la statue contre son cœur. Elle ne voulait plus la quitter, le lendemain ni les jours suivants.

Il arriva qu'on la lui reprit, pour une raison quelconque, et l'enfant fut ressaisie du même désespoir. On lui donna un joli Bambino de cire couchée dans une boîte. Le désespoir s'apaisa. Mais l'enfant ne quitta plus sa boîte et la portait partout avec elle.
 
 

Chapitre II

LES ORPHELINS. DÉPART POUR PLAISANCE. PREMIERS ESSAIS DE PÉNITENCES. PREMIÈRE COMMUNION.

25

Benedetta en mourant, emportait le bonheur du foyer. Son départ dispersait la paisible famille et les orphelines comprirent alors ce qu'était la perte d'une telle mère. Francesco Giulani, privé de celle qui était son bon ange, redevenait l’homme mondain, avide de distractions. Plus il avait été enchaîné par un devoir si austère, plus une réaction des vieux instincts mal domptés se montrait, impérieuse, le poussant à quitter la morne petite ville de Mercatello pour des horizons plus riants.

Il confia donc ses filles à un oncle et partit pour Plaisance à la recherche d'un emploi comme brme à ses gouts.

Les jeunes filles reprirent leur vie de travail et de piété, dépouillée de tout le charme de la vie familiale en orphelines. Les deux aînées s'affermissaient dans leur projet d'entrer bientôt au couvent. Les deux autres commençaient aussi à comprendre la beauté de la vie religieuse. Toutes les quatre s'efforçaient de faire oublier à leur petite sœur qu'en avait plus demie, et chérissaient d'autant plus Orsolina. La petite avait repris sa vivacité et sa turbulence tout en restant la bien-aimée du ciel.

Elle avait inventé une nouvelle occupation elle dressait des petits autels, en mettait partout. Elle voulut que chacune de ses soeurs eût le sien. Celles-ci s'empressèrent de condescende à cette pieuse fantaisie. Mais l’enfant trouvait qu'on n'y mettait pas assez de zèle. Véronique, toujours prête à grossir ses moindres peccadilles, écrira plus tard: " J'eus aussi des moments de colere ; comme je voyais que mes sœurs lisaient ou récitaient leur office, cela m'ennuyait et je leur faisais toutes sortes de méchancetés. Je voulais qu'elles cessassent leur travail pour venir faire les autels. J'étais méchante, tantôt envers l’une, tantôt envers l'autre. Je crois que cela venait de la trop grande bonté de mes soeurs qui m’aimaient d'autant plus que je les maltraitais davantage, et non seulement elles étaient ainsi, mais toute la maison les imitait. J'avais une mauvaise tête et quand je voûtais une chose, je ne me calmais qu'après ravoir obtenue. J'étais ta plus petite, mais je voulais être la première et que tous fissent ma volonté. Et on ne cherchait qu'à me faire plaisir " (1).

(1). La sainte se charge à plaisir. Les dépositions que firent après sa mort celle de ses sœurs qui lui survécut et quelques autres personnes qui l’avait connue enfant sont unanimes à louer son caractère. Elle était très vive et très turbulente, mais aussi très bonne et sans aucune méchanceté. Au bout de quelques mois Francesco Giulani fit une apparition à Mercatello. Il voulait prendre auprès de lui Orsolina. L'enfant fit une résistance tellement désespéree à l’idée de se séparer de ses sœurs, que son pere, pour ne pas la contrarier trop, retourne seul à Plaisance.

Véronique dit qu’elle se remit avec plus d'ardeur encore, après le départ de son père, à dresser ses petits autels et prétend qu'elle se mettait en colère quand ses soeurs ne venaient pas l’aider et cela jusqu'à prendre un baton et frapper de toutes ses forces sur la table ou un coffre, afin que, lassées de son tapage, elles se lèvent enfin. Ou bien encore le leur arrachait leurs broderies ou embrouillait les fuseaux de leurs dentelles, pour les forcer à faire ce qu'elle voulait.

Ces colères-là ne devaient pas être si graves, puisque, à défaut de ses sœurs, c'est du ciel qu'on descendait pour l'aider. Quand Orsolina voyait qu’elle me ne pouvait obtenir qu'on vint lui prêter main-forte dans l'exécution de ses inventions, parfois compliquées, elle se mettait à pleurer et disait " Vous voyez, Seigneur, que personne ne veut m'aider. Au moins, venez vous-même, car toute seule, je n'y parviens pas. "

Après ces prières, il arriva plus d'une fois qu'un meuble très lourd obéissait à sa petite main si faible, comme si, dit-elle, une force mystérieuse fut venue à mon secours et tout à coup le petit autel se trouvait terminé. " Quelquefois, dit-elle encore, je voyais près de moi une lumière, mais je ne comprenais pas rien. Le Seigneur me dit plus tard que cette lumière venait de mon ange gardien. "

Je ne comprenais rien, dit-elle toujours préoccupée de se dépeindre en mal, je ne recueillais aucun fruit de tout cela. Je m’en allais me dissiper dans quelque jeu et à peine avais- je commencé qu'il me dégoûtait jusqu'à la nausée,

Il fallait beaucoup d'huile et de chandelle pour éclairer tous ces petits autels. Il vint à Orsolina des scrupules de touteramsi ratgeni. " Malgré cela, avoue-t-elle, je ne m'arrêtais pas et je multipliais mes autels. Pour les dresser je commis de gros pèches, car deux ou trois fois je dérobai certaines pièces de bois et je ne m'en confessai pas, je croyais que ce n'était rien. " Véronique prétend qu'elle passait sa vie dans la fainéantise. Il est plus juste de dire que personne ne la faisait travailler. Francesco Giuliani paraît s'être fort peu préoccupé de l'éducation de ses filles. Orsolina n'apprit que plus tard à lire et à écrire, et rien de plus. À vrai dire, cette enfant était trop vive pour aimer une occupation tranquille, et jamais n'eut un goût prononcé pour les travaux féminins, ce qui ne l'empêcha pas de s'y livrer comme la plus habile des ouvrières.

D'ailleurs, un cœur d'une piété si ardente trouvait à s'occuper autrement que ne le font les enfants ordinaires. La souffrance l'attirait toujours. Elle avait découvert que ses soeurs portaient un cilice à certains jours et qu'elles prenaient la discipline. Elle demanda qu'on lui donnât aussi des outils de pénitence.

On les lui refusa, alors elle imagina de se traîner sur les genoux en priant, de tracer des signes de croix par terre avec sa langue, de rester le plus longtemps possible les bras en croix, de se piquer avec des épines, de se battre avec des orties.

Elle n'avait que sept ans lorsque le Seigneur la jugea digne d'approfondir le grand mystère de ta Passion. Il lui apparut couvert de plaies et Il recommenda la dévotion ses débiteurs. C’était pendant la Semaine sainte L'enfant en resta vivement impressionnée. Dès lors la lecture de la Passion, les écrits traitant des douleurs de Jésus, devinrent ses plus chères délices. Une seconde vision de Jésus ensanglanté vint encore renforcer la première impression faite en son âme. Elle ne pouvait plus penser à autre chose. Elle allait se cacher dans les coins isolés pour pleurer à son aise et recommencer ses pénitences. Une soif de souffrance s'emparait d'elle. " Elle s'augmentait, écrit-elle plus tard, de la lecture de la vie des saints j'aurais tant souhaité faire tout ce qu'ils faisaient, et je me disais en moi-même Seigneur, je veux être sainte pour vous aimer et être toute à vous. Je vous le déclare, ô mon Jésus, je ne veux pas d'autre époux que vous sur cette terre. " Et le Seigneur répondait: Sois sans crainte, tu seras à moi.

Mais tout cela était encore sans cohésion, ni esprit de conduite. Orsolina la suivait simplement ses impulsions, et quoiqu'elle eût commencé d'aller à confesse, ne disait rien à son confesseur des choses extraordinaires que lui arrivaient. Elle passait d’un colloque entre elle et Jésus, à un jeu puéril, avec le même accomplissement, mais aussi il arrivait que le jeu, subitement, lui devenait odieux. Alors elle s’agenouillait, recommencant à promettre à Jésus d’etre toute à lui.

" Je m'en allais toute troblée, dit-elle, ne sachant ce qu’était cette inspiration. Il me semblait que j’étais trop petite pour entrer au couvent et partant je croyais que Dieu me le demandait. Plus j'y pensais, plus je m'affermissais dans la volonté de me faire religieuse, puis songeant que c'était impossible, je me tenais et je disais " Ne voyez-vous pas, Seigneur, une je ne puis pas encore me faire religieuse? Je suis trop petite. Soyez assuré que je le veux absolument et que je vous le promets. Et comme souvent ces appels secrets se renouvelaient, Orsolina, tout inquiète, disait naïvement : " Mon Dieu, il faut que vous preniez patience, vous aurez tout en son temps. " Vous verrez alors que je dis vrai.

Jésus lui-même faisait la garde autour de cette petite âme qu'on ne gardait pas assez. Plusieurs fois, il intervint directement. Un jour qu’une mascarade devait passer devant la maison, Orsolina la courut pour la voir de la fenetre. " Plaise à Dieu, s'écrie Véronique, dans son journal, que je n'aie pas commis de péché car d'un crucifix qui se trouvait dans la chambre, une voix m'appela en me disant " Laisse ces curiosités coupables et viens a moi. " Sans hésiter, Orsola quitta la fenetre et se dirigea vers le crucifix. Un des bras de la sainte image se détacha de la croix pour se tendre vers l’enfant qui grimpa sur une table pour pouvoir baiser le Coeur divin transpercé.

Le bras de Jésus prit l'enfant et le pressa contre Lui. " Je resté comme hors de moi ", déclare Véronique, et je n’osais plus m'approcher de la fenêtre. Il me parut, en ce moment, que j'étais détachée de toutes les choses de ce monde (1).

  1. Un témoin a dit au procès qu’Orsolina entendit plusieurs fois ces appels destinés a l'arrêter au moment d'une dissipation. Elle crut même un jour qu'une de ses sœurs l’appelait et allait se rendre près d’elle, lorsque le Seigneur lui dit : " Regarde-moi, pense a moi, renonce à toutes les choses et tiens-toi toujours dans la mortification. "
Ainsi le Seigneur travaillait peu à peu l'enfant prédestiné pour la préparer aux grandes choses qu'il voulait opérer en elle.

Mais il avait encore se vaincre. Jésus lui inspira d'apprendre à méditer. Ceci lui parut très difficile et tres ennuyeux. Se tenir tranquille longtemps n'était pas de son gout. Elle aimait mieux faire ses petits autels. " Seigneur ", disait-elle quand elle recevait ainsi un appela la méditation, Seigneur, laissez-moi d'abord arranger mes autels et puis je ferai l'oraison. Une voix intime, mais forte, répondait " Tu auras toujours le temps de disposer tes ornements, mais si tu ne m'écoutes pas maintenant, tu perdras un grand bien. "

Et moi, écrit Véronique, je croyais, dans ma simplicité, que le Seigneur voulait me donner un moyen de rendre mes autels plus beaux. Alors je me prosternais à terre et je disais: " Seigneur, me voici enseignez-moi! Il me semblait que, tout à coup, il y avait quelqu'un à côté de moi qui me disait " Ce n'est pas mal de faire des petits autels, mais c'est mal de ne pas les faire pour la gloire de Dieu. Depouilles-toi de tout ce qui est ton propre gout et tâches de faire la seule volonté de Dieu. "

Il arrivait que, sans guide, sans conseils, gardant soigneusement pour elle seule toutes ces choses surnaturelles, l’enfant tiraillée entre ses penchants et les inspirations divines, tombait dans un grand découragement. Tout lui était dégoût et ennui. Elle se surmontait cependant et comprenait qu'elle devait surtout travailler à se vaincre et à obéir.

Orsolina avait sept ans lorsqu'elle reçut le sacrement de confirmation des mains de l’évêque du diocèse, Mgr Onorati. La cérémonie eut lieu dans l'église où elle avait été baptisée. Elle n'en dit rien dans son journal, mais une des religieuses capucines de son couvent de Citta de Castello déposa au procès, ainsi que ses soeurs et son confesseur, que sa marraine vit l'ange gardien d'Orsola l'assister pendant la cérémonie. Apres la reception de ce sacrement, son désir d'être admise à la sainte table grandit chaque jour.

La sainte dit qu'elle avait peine ne pas slancer vers Stable de communion, quand elle voyait les autres s’agenouiller. Elle ouvrait la bouche en disant " Seigneur, venez, venez! " Et sans doute Jésus, touché de cette ardeur, consolait sa petite fiancée par une union spirituelle, car, dit-elle, "en ces instants, j’étais emportée par une telle joie que je ne pouvais rester tranquille. Dès que j'étais rentrée à la maison, je courais dans un endroit solitaire pour ne pas être vue et je faisais quelque pénitence. Orsolina eut deux confesseurs pendant qu'elle était à Mercatello, les chanoines Ambroni et Mancini. Peut-être ce dernier était-il parent de sa mère. Ni l'un ni l'autre ne se doutaient encore du véritable état d'âme de leur petite pénitente, car elle avait une grande répugnance à leur conàer le surnaturel de sa vie. Cette répugnance dura toujours et ce lui fut un véritable supplice chaque fois qu'elle était obligée de découvrir les merveilles que Dieu faisait en elle.

Si on avait connu la véritable spiritualité de l'enfant, on lui eut fait faire plutôt sa première communion, car il n'y avait pas alors de rêgle axée pour l'admission a la table sainte étonne faisait aucune cérémonie à la première communion.

Comme Orsolina la ne se laissait pas connaître qui il était, on lui répondait qu'elle était trop petite quand elle suppliait qu'on lui permit de communier et l'enfant, désolée, se rongeait de désir. Dans son ardeur à plaire à Dieu, elle prenait le pèche en horreur.

Une offense contre un Dieu très bon lui paraissait chose si épouvantable, qu'elle croyait du devoir de tout vrai chrétien d'empêcher ce ma" par tous les moyens possibles.

Dans sa maison, cette horreur du péché lui faisait une terrible justidère qui ne se rendait pas un compte bien exact de la manière de venger Dieu. Si elle appelait qu'une des servantes eut commis une faute, elle se jetait sur elle, il battait, la grinait et voulait quel tout prix on chassa la coupable.

Un jour, on dit imprudemment devant elle qu'un potier, voisin des Giuliani, menait une mauvaise vie. Orsolina en fut très tourmentée et cherchait par quel moyen elle pourrait le faire rentrer dans la bonne voie. Elle savait que Dieu envoie souvent des épreuves aux pécheurs pour les convertir, donc, conclut-elle, Il faut imposer une épreuve au potier. Non loin de la maison, le potier faisait sécher ses pots dans un espace de terrain au soleil. Orsola s'y glisse et là, barbouillant la peinture fraiche des uns, renversant et mettant en poussière les autres, elle fait un massacre complet des malheureux pots. On arriva trop tard pour l'arrêter, on la gronde, on l'interroge quand le potier entendit pour quel raison l'enfant avait commis ces déprédations, il, rentra chez Imites ému et, réfléchissant à son inconduite, il se convertit peu après. Telle était l’enfant assez indiscipliné, mais ayant toutes les séductions de la beauté physique et morale que Francesco Giulani vint revoir un beau jour.

Il avait en obtenu une place en vue, ainsi qu'il le désirait. Le duc de Parme venait de le nommer superintendant de ses finances à Plaisance. Ce poste lui créait une haute estimation et sa fortunes s’augmentait de gros traitement, la charge étant lucrative. Il s’installe dans un palazzo digne de lui, montait grandement sa maison et crut ne pouvoir mieux la peupler qu'en appelant ses filles auprès de lui.

La maison, écrit Véronique, était pleine de serviteurs et de servantes et notre père exigea que nous soyons vêtues d'une manière plus riche et plus élégante. Voyez donc, je m'émervervais de cette opulence parce que nous n'y énons pas habituées et que, à Mercatello, nous ne faisions pas figure de seigneurs. Je fis ce qu'on me disait et je m’y plaisais..

35

A sept ou huit ans on est excusable de se laisser charmer par les objets extérieurs, et de goûter le plaisir d'être choyée et admirées Francesco Giuliani se prit d'une vraie passion pour sa fille cadette. Ses autres filles, déjà décidées à la vie religieuse, avaient, sans doute, une gravité et une absence de coquetterie qui devaient n'être pas trop agréables au père mondain, mais cette jolie et vive petite fille l’amusait et le flattait, Il voulus qu’elle fut la mieux vetue qu’il ne lui fut rien refusé.

" Souvent il m'apportait une vanité ou l'autre, écrit Véronique, il me voulait tant de bien! Quand il était à la maison, il m'appelait toujours près de lui. "

Orsolina, dès son arrivée a Plaisance, trouva avec joie de beaucoup plus belles places pour dresser ses petits autels. J'avais beaucoup plus de facilité de les faire, écrit-elle dans son journal car il ne me manquait ni elle aux, ni ornement.

Mon père me contentait en tout ce que je voulais. Si j'en avais eu le désir, j'aurais eu tout le plaisir possible. Je continuais mes petits autels et mon père me donnait tout ce dont j'avais besoin. Il mettait sa joie à me contenter.

Mais l’âme d'Orsolina était déjà trop en Dieu pour être satisfaite par des joies terrestres. Une inquiétude inexpliquée la saisissait parfois. Un grand désir d'être davantage au service de Dieu l'empoignait. Elle se réfugiait alors dans une certaine pièce de la maison qu'elle dit " pleine de beaux tableaux parmi lesquels elle aimait surtout un Sauveur qui la touchait singulièrement. Quand elle le regardait, elle croyait qu'il allait lui parler. Elle lui disait " Seigneur, faites que je n'aie pas d'autres pensées en dehors de vous (1).

Lorsqu'elle se sentait triste, mécontente, inquiète, lorsqu'elle pensait aux difficultés qu'elle aurait à surmonter pour entrer au couvent, elle Mau se réfugier auprès de son Sauveur et lui parlait comme a un père et un ami. Elle soudait de plus en plus de ne pas avoir la permission de communier, mais le confesseur de Plaisance était aussi sévère que ceux de Mercatello. Orsola avait neuf ans seulement, et ce pretre ne la connaissait pas.

L'enfant tombait dans de profondes tristesses. Comme l’épouse des Cantiques elle languissait d'amour. Les reins qu'on lui opposait ne faisaient qu'augmenter ses désirs. Elle aimait se jeter aux pieds de la sainte Vierge et lui contait ses peines. Donnez-moi votre de, mettez-le dans mon cœur, supplait-elle. Je sens que je ne puis vivre sans Lui. Et une partie de son temps se passait dans ces plaintes et ces supplications.

1. Cette image du Sauveur, peinte sur un panneau de 23 cm sur 18, est conservée dans la cellule de Véronique du couvent de Citta di Castello. On lit en dessous cette inscription, composée par une des abbesses, soeur Maria Francesca : " Cette image du Sauveur qui parla sensiblement è sainte Véronique Giulani, capucine de Citta della Castello, alors Ursule, à l’age de dix ans, laquelle entendit distinctement s'appeler deux fois par son nom pendant qu'elle voulait regarder a une fentre de la maison paternelle de Mercatello, et comme elle voulait poursuivre son projet sans faire attention aux deux premiers appels, entendit ces mots : " Regarde-moi, pense à moi,renonce à toutes les vanités du monde et tiens tous tes sens mortifiée " Ce qu’ayant entendit elle se prosterna a terre et demanda humblement pardon à son Dieu. Ce tableau fut renvoyé plus tard à sainte Véronique qui aurait bien voulu le garder dans sa cellule, mais comme la règle ne permettait de garder dans les cellules que des images de papier, on lui refusa cette permission et on plaça le tableau au pied d'un escalier du couvent. Un jour qu'elle répetait pour la centieme fois: sa demande au confesseur celui-ci répondit: " Pour communier, vous etes trop petite, cependant préparez-vous! " Orsolina ne fais pas attention à la fin de la phrase, elle n’entend que ces mots : vous etes trop petite. Elle rentre la maison dans un désespoir immense et va se coucher dans la salle aux tableaux, près de son cher Sauveur. Pendant qu'elle se plaint, prie et pleure devant une image qui s’illumione, se vivifie et deviens d’une merveilleuse beauté et une voix divine lui dit interieurement : " Sois assurée que tu n’auras pas d'autre époux que moi. "

Certes, Seigneur, je n'en veux pas d'autre que vous réplique vivement l'heureuse Orsola.

Souvent aussi Jésus inspirait à l'enfant des pensées de perfectionnement et de détachement; elle comprenait, à la lumière de ces grâces, que Dieu exigeait d'elle de grands sacrifices et la nature s'en effrayait.

Je ne savais pas, dit-elle, combien l'esprit et la chair se combattent!. Entrainée par son père, Orsola se laissait aller aux distractions de son âge, mais si elle passait alors par la salle bénie, une voix lui disait " Ou vas-tu? Quel plaisir vas-est chercher? Viens à moi, et il lui semblait qu’une force mystérieuse la retenait. Elle s'y arrachait et courait où on l'attendait " Mais voyez,écrit-elle, à peine étais-je partie que le remords me tourmentait. Je retournais sur mes pas et je disais: Seigneur, pour votre amour, je laisserai tout. Je ne veux que vous, je suis toute à vous. Et la grâce d'une joie céleste récompensait le sacrifice accompagné.

Dans ces instants de grâce, l'agitation mystérieuse la reprenait. Dans l'exaltation de ce bonheur céleste elle courait, elle chantait, répétait: mon Jésus venez à moi. J'avais l’air d’une folle, écrit-elle. Je courais autour de la chambre. Je disais : " Mon Seigneur, vous me rendez folle. Je n’aime que vous. " Puis je courais à mes images, à mes autels. Il y avait dans une chambre un crucifix d'aspect très pieux. Je me tenais devant lui les bras en croix. " Seigneur, Mais-le, je ne veux pas sortir d'ici que vous ne me fassiez la grâce de me crucifié avec vous. Donnez-moi ces clous, ces épines, cette croix, donnez vous, vous-même." Et souvent, en priant ainsi, je me mettais à pleurer et à soupirer " Mon Seigneur, je ne puis vous voir ainsi percé de dous, étendu sur ce dur bois. "

Quantité de scènes semblables se retrouvent dans les récits de Véronique sur son enfance et sa jeunesse. Ils prouvent à quel degré élevé de spiritualité était déjà parvenue cette enfant de neuf à dix ans.

Elle s'était enfin résignée, sinon à ouvrir tout son cœur à son conàsseur, du moins à lui conner ses désirs de mortification et à lui demander la permission de faire quelques pénitences.

" Il me donna celles que je demandais, dit la sainte. Je fis ces pénitencea, mais il me semble (1) que j’eus, en les faisant, quelque luttes. Partout ou j'allais, la nuit comme le jour, le tentateur disait grand tapage et voûlait mettre tout sens dessus dessous, Je n'y comprenais rien, mais je sentais une plus grande ferveur à souffrir. "

Ces pénitences étaient un office et une discipline dont elle ne pouvait se servir qu’avec la permission du directeur. La première fois que je mis ce cilice, dit-elle, il m'entra dans la chair si fort que je pensai mourir de tout le sang que je perdis. Je cachai tout cela de mon mieux, mais je me demandais si je devais le dire au confesseur, car il m'aurait défendu de le remettre. Je le remis encore cependant avec la pointe sur le buste, afin de n'avoir pas un mensonge à dire au confesseur s'il venait à me demanderai je l'avais. Cela arriva. Je le portai plusieurs fois ainsi. Puis, me reprochant de faire tant de cas de moi-même, je le'remis tout entier. n m'entrait dans la chair, mais cela me paraissait peu de chose. Je me donnai aussi la discipline et comme les cordes en étaient neuves et dures, je me blessais très fort. Chaque discipline faisait couler mon sang, mais je n'en disais rien au confesseur. "

(1) Il me semble, je crois que, je me figure, sont des expressions qui accompagnent chaque narration d'un fait surnaturel dans les écrits de Véronique. Sa profonde humilité espérait par là diminuer la gloire qu’elle aurait pu y recueillir en la réduisant à ce qui pouvait être une simple imagination de sa part. Cependant le confesseur s’adoucissait, il consentit a examiner la jeune pénitente et à l'interroger en vue de la première communion. L’instruction d’Orsola avait été bien négligée, elle ne savait même pas parfaitement son catéchisme, mais elle avait un tel désir de communier bien vite qu’elle retenait chaque mot, chaque explication de son examinateur. Revenue chez elle, avec une rare intelligence, et approfondissait ce quelle venait d'entendre et en tirait des déductions si justes qu’elle devint bien vite plus instruite en religion qu'aucun enfant de son âge.

Enfin, de concert avec la famille, on fixa la première commumon au 2 février suivant (1670).

" Je me souviens, écrit Véronique, que je ne pouvais dormir la nuit qui précéda ce beau jour. Je me levai en pensant que le Seigneur allait venir en moi. Cette idée me tenait éveillée, je projetai tout ce que je pourrais lui demander, tout ce que je devrais lui offrir. Je me proposai de lui faire le don de tout moi-même, de lui demander. son saint amour pour faire sa divine volonté. "

Orsola s'était préparée à ce grand acte par la pénitence et par un sévère examen de conscience qui dura deux jours.

Écoutons-la nous dire ce que fut cette première communion. " En communiant pour la première fois, écrit-elle, je me sentais comme hors d'elle. Je crois me souvenir qu'en recevant la sainte hostie, j'eus la sensation d'une grande chaleur qui me brulait. " 40

On eut dit que mon cœur flambait et je ne savais ce que c'était. Je voulais dire quelques paroles de prieres mais je ne le pouvais pas. Je sentais vraiment que le Seigneur était venues moi et je lui disais de tout cœur " Mon Dieu, maintenant voici l'heure ou vous prenez possession de moi. Je me donne tout à vous, je ne veux que vous. " Et je crois me souvenir qu’il m’a répondu: " Sois à moi et je serai tout à toi. " A cette réponse, je me sentis comme toute consumée sans comprendre comment cela de faisait. Je me voyais comme détachée et arrachée aux choses terrestres, je ne tenais plus à rien d'ici-bas. "

Orsola voulut ensuite promettre solennellement à Jésus d'être toute à lui et se regarda dès lors comme engagée irrévocablement. En revenant à la maison avec ses soeurs. elle sentait en elle la même chaleur mystérieuse ressentie à la communion et elle croyait naïvement que tout le monde éprouvait la même chose. Elle demanda à ses sœurs, dans son innocence, combien durait cette ardente sensation qu'elle ressentait dans sa poitrine. A l'étonnement des jeunes filles, Orsola comprit qu'elle recevait une faveur spéciale et se tut. Aussitôt rentrée elle courut à sa chère image du Rédempteur pour renouveler le don complet d'elle-même. Le miracle se renouvela. Jésus lui-même parut à la place de la peinture. " Ô Dieu, que je fus heureuse, s'écrie t-elle, Non, je ne pourrais exprimer ce que je ressentis. "

Cette première communion bénie devait être suivie de beaucoup d'autres nonmoms dévotes.

" Je ne pourrais décrire l’allégresse que réprouvais aux jours de communion, ecrit-elle, et la joie que me causait le divin sacrement. Je ne puis que me taire devant l'impossibilité d'exprimer de telles choses. "

Elle pleura, elle dit encore: Dès que j'avais communié il me semble que le Seigneur me disait maintenant, c'est le moment de te lancer à moi et cette seule parole me faisait bondir de joie.

Elle avait alors de tels élans d'amour qu'elle devait courir et crier. Elle avait dans les parties les plus désertes de la maison et criait a s'enrouer " Prenez mon coeur Ô mon Jésus! " Elle répétait des appels de ce genre mille fois sans se lasser.

Pour se calmer, elle prenait alors son cilice ou sa discipline. Le cilice surtout la faisait cruellement souffrir. Une charme qu'elle obtint encore du confesseur, la Messe était également très fort. Mais elle ne voulait pas l'avouer à son directeur de peur qu'on ne lui défendît ces mortifications. Quelquefois elle hésitait à s'imposer de tels supplices, puis se grondant elle-même, elle se disait Comment tu veux être martyre et tu as peur parce que tu vois un peu de sang ? Attends, je vais te rendre courageuse ? Et disant cela, la jeune fille reprenait sa chaîne ou son cilice avec une énergie sublime.

Elle commença à désirer faire l’oraison mentale mais la première fois qu'elle en parla au confesseur, il en rit. La vivacité et le jeune age d'Orsolina n’aimait guère avec la gravité de ta méditation. Le prêtre, néanmoins, pour faire plaisir à sa pénitente, indiqua quelques points spéciaux à méditer, sachant que cela lui suffisait pour lui faire surmonter toutes les difficultés qu'elle pourrait avoir. Orsola, toute heureuse, essaya dans la méditation. Pour s'instruire dans cette oeuvre de haute piété, elle écoutait humblement ses sœurs qui s'entretenaient de leurs oraisons. " Je ne fis d'abord qu'un petit quart d'heure, dit-elle, puis une demi-heure, finalement je demeurai en oraison le plus que je pouvais, sans être vue.

Le Seigneur, par ces grâces, fortifiait Orsola pour les luttes prochaines. Il fallait qu'elle fut bien armée, car les ennemis qui se préparaient à l'attaquer étaient aussi perfides que tenaces.
 
 

CHAPITRE III - 45

PREMIERS COMBATS POUR LE CLOITRE. CALCULS MONDAINS DE LA PART DE SON PÈRE. DANGERS COURUS DANS LE MONDE. RETOUR À MERCANTELLO. ESSAIS DE PERFECTIONNEMENT. NOUVELLE POURSUITE DU MONDE.

La petite Orsola grandissait en grâce,en beauté et en vertus. Sa première communion fut vraiment pour elle le commencement d'une vie nouvelle: Sans doute la nature, plus d'une fois, reparattrait agressive, mais elle serait si vite refrénée qu'elle ne servirait qu'à procurer une nouvelle victoire. La piété de la jeune fiile, ravivée par la communion lui nt désirer le cloître avec encore plus d'ardeur. Ses deux sœurs aînées allaient bientôt partir pour entrer aux Clarisses de Mercatello. Elles se préparaient à cette grave démarche en redoublant leurs oraisons et leurs pénitences. Sous leurs beaux habits, elles cachaient un cilice.

Lorsqu'elles partirent, Orsola les envia, d'autant plus que leur père ne fit rien pour les retenir près de lui. Véronique ne dit pas pourquoi son père se sépara si facilement de ses quatre filles aînées, alors qu'il eut tant de peine de permettre de le quitter. Peut-etre étaient-elles moins jolies, trop graves peut-être aussi, dans son affection pour la cadette, voyait-il avec plaisir que toutes ces vocations religieuses tasseraient un héritage datant; plus considérable à Orsola?

On ne sait mais Francesco, pour empêcher sa benjamine d'adopter les idées de ses sœurs, commença, malgré son jeune âge, à lui parler de l'avenir et de son mariage. Il voyait Orsola si pieuse et parfois même si exaltée dans sa piété, qu'il s'effrayait, redoutant l'exemple de ses sœurs; aussi revenait-il sans cesse, en causant avec son enfant, sur l’avenir brillant qu’il lui préparait. Il faisait toutes sortes de projets dans lesquels il lui démontrait qu'elle resterait toujours auprès de lui. Orsola combattait alors les projets de son père et disait qu'elle aussi voulait se faire religieuse. De là, des discussions fréquentes, mais encore sur le ton amical de gens qui croient avoir le temps devant eux. Si par hasard, Franceseo se fâchait et déclarait nettement qu'il ne consentirait jamais au départ d'Orsola, celle-et se taisait et s'en allait, le cœur bien gros conter son chagrin à l'image du Sauveur. Elle croyait alors entendre des paroles de consolation et d'espérance qui la rassérénaient.

La jeune fille voyait de plus en plus clairement se dessiner sa vocation, mais elle avait bien a combattre, tant au dehors qu'au dedans. Elle avoue qu'elle s'effrayait à l'idée du sacrifice à faire et de quitter ce père qui la chérissait et qu’elle aimait aussi tendrement.

Francesco résolut, pour détourner sa fille de ses idées religieuses, de lancer tout à hate dans te monde. Il savait qu’elle aurait grand succès, malgré son jeune age parce qu'elle était jolie, vive, piquante, spirituelle, et qu'elle avait tout ce qu’il faut pour plaire. Il ne chercha plus que développer ce quel y avait en de penchant au plaisir. Il avait des relations dans la plus haute société de Plaisance, et comme on le savait riche et bien en corps, il pensait qu’on trouverait facilement un très beau parti pour Orsola.

Il commença à attirer chez lui quantité de jeunes gens aimables et elégants, il organisait des réunions amusantes et souvent, entoure de ces jeunes fous, faisant miroiter aux yeux de sa fille tous les plaisirs et toutes les splendeurs qu'il s'approchait à lui obéir. Les jeunes gens, entrant dans ses vues, ne demandaient qu’à l’étourdir Orsola de leurs flatteries et de leurs plans de fêtes. On parlait de toutes sortes de frivolités mondaines, tâchant d'y emmener la jeune fille. Chose étrange ces efforts ne parvenaient qu'à ramener davantage Orsola à la maison. Plus la conversation devenait légère, plus la jeune fille se revoltait. De véritables nausées de dégoût lui montaient; elle ne pouvait plus continuer d’écouter ces bavardages et avec sa vive franchise déclarait que tout ce que disaient ces jeunes gens, feignait daux de plus en plus.

Une fois mêmes, agacée d'entendre un feu roulant de plaisanteries, de fadaises, de sottises, Orsola se facha tout de bon et leur dit que cette conversation la dégoûtait, qu'elle ne pouvait, plus en entendre davantage et que leur misère morale lui causait une grande compassion. Elle dit qu'elle ne voulait plus les voir et sémite pleurer.

On l'entourât on lui demanda pardon, on lui promit de s'observer davantage à l’avenir, mais la jeune fille maintint qu'elle ne voulait plus voir tes amis de son père.

Malheureusement, Francesco ne lui permit pas de garder cette retraite qu'elle souhaitait. Orsola dut consentir à assister aux réunions, mais en exigeant toutefois qu'il ne fut plus jamais rien dit devant elle qui pût la froisser.

Toute sa vie, Véronique se reprocha d'avoir pris plaisir, malgré tout, à ces fêtes, ou elle était choyée et admirée. Elle se croyait inexcusable d'une chose trop naturelle à une nature vive, gaie, aimable comme la sienne, nature qui l'emportait à mettre une ardeur excessive en tout ce qu'elle faisait. Aussi son père, la voyant prendre une part si vive aux plaisirs qu'il lui préparait, regardait comme des boutades d'enfant ou des caprices de jeunesse, ces sorties subites de colère ou d'ennui, ces protestations véhémentes contre le monde, contre le plaisir, ces appels subits à la vie religieuse. Il ne prenait pas les projets de sa mie au sérieux.

Parmi les habitués du palais Giuliani se trouvait un jeune homme, parent de la famille, qui venaittrès fréquemment et aimait beaucoup causer avec sa belle cousine. Il la taquinait sur sa vocation et cherchait de son mieux à l'en détourner.

" Mon humanité prenait plaisir à ces discours, écrit Véronique, mais la partie supérieure de mon âme les abhorrait. " " taisez-vous ou allez-vous-en " disait Orsola.

Le jeune homme se taisait alors, mais pour recommencer peu après. S'il se permettait de devenir trop familier, une parole sévère le clouait à sa place.

Le surintendant des Finances avait pris ce jeune homme en affection, parce qu'il le voyait disposé à seconder ses vues et qu'Il était, en cela, très adroit et très souple.

Dans ses conversations avec Orsola, il s'efforçait de la détacher de la vie religieuse. Faites-vous donc religieux, répliquait la jeune fille, vous verrez quel grand plaisir vous éprouverez.

Lui, éclatait de rire.

Qu'en savez-vous? demandait-il.

Je ne me trompe pas, répondait gravement Orsola, parce que la seule pensée d'être religieuse me transporte de joie. Jugez alors ce que ce sera quand j'entrerai au couvent. Vous ne pouvez dire cela, reprenait le perfide, parce que vous n'êtes pas sûre d'être nonne.

" Ces paroles, dit Véronique, me faisaient bondir de colère. Je lui tournais le dos, furieuse, et j'allais raconter tout à mon Sauveur, qui me disait sois tranquille, je suis avec tôt. A ces mots me rendaient la paix. Un jour qu'elle contemplait encore sa sainte et chère image, elle entendit distinctement ces mots: " A la guerre! A la guerre! "

L'Italie, à cette époque, vivait dans la terreur des Turcs. Ils venaient, après un siège aussi long que désastreux, d'enlever l'Île de Candie à Venise et les progrès du Croissant remplissaient la Péninsule de terreur. (1669-1670) Orsola nous, sommes retournés un peu en arrière était encore très naïve.

Elle s'imagina que c'était une prédiction venue du ciel et qu'elle allait avoir à combattre des ennemis en chair et en os. Il fallait donc qu'elle sut manier les armes.

Elle demanda à son cousin de lui apprendre rescrime et ceci lui plut beaucoup. Elle aimait tout ce qui était mouvement et force. Peu après, un jour qu'elle priait, l’amant Jésus lui apparut et la gronda sévèrement d'avoir ainsi interprété sa parole. C'est à la chair et au monde qu'elle devait faire la guerre et non aux Turcs.

Véronique ne dit pas si elle renonça à ferrailler. Il est probable qu'elle continua à jouer de l'épée, car un an ou deux après, alors quelle était tancée dans les mondanités où l'entraînait son père, elle entendit raconter que ce cousin, en allant dans une certaine maison, courait de grands dangers. La justicière reparut aussitôt. Orsola se dit qu’Il fallait à tout prix qu'elle empechat le jeune homme de retourner au lieu de perdition, et, toujours simple dans ses conceptions, elle eut vite arreté son plan. Elle engagea son cousin à venir faire quelques passes à l’épée avec elle et, profitant d'une faute de son adversaire, elle lui élança la pointe de son arme dans la cuisse. Ainsi blessé, pensait-elle naïvement, il serait forcé de rester chez lui et serait préservé des dangers qu'on craignait.

Ce moyen un peu radical ne paraît pas avoir brouillé le cousin avec la cousine, car, aussitôt guéri, il revint plus vivement à la charge contre la vie religieuse. On employait encore des ruses plus dangereuses. On se chargeait volontiers de transmettre à Orsola des billets doux que lui donnaient les admirateurs de sa beauté. Grande colère de la jeune fille, qui lui jetait les billets à la tête, en lui reprochant de se faire porteur de tels messages, et finissait par déclarer " Mon époux est Jésus-Christ; je n'en veux pas d'autre. "

Il fallait avoir l'esprit léger et mondain à un point vraiment coupable pour laisser une jeune fille, belle et vive comme Orsola, sans surveillance ni bon conseil, au milieu de tant de dangers. Francesco Giuliani était un pitoyable père. Il était ravi de voir sa fille demeurer seule avec un jeune homme pendant de longues heures, espérant ainsi l'éloigner d'autant mieux du couvent. Orsola et son cousin se promenaient dans le jardin, jouaient aux dés, aux cartes, à toutes sortes de jeux, et même, entraînée par son caractère gai, la jeune fille trichait tant qu'elle pouvait, vétille qu'elle se reprochera cruellement plus tard quelquefois le cousin apportait un bouquet de quelque cavalier épris. Mais ces dons amenaient infailliblement une querelle et le bouquet était jeté par la fenetre. Alors Orsola avait des retours douloureux sur elle-meme. Elle pleurait, elle se reprochait sa dissipation et aimait trouver son père pour le supplier de la laisser entrer au couvent. Francesco se fachait, mais parfois aussi il pleurait. Je ne croyais pas que tu me donnerais ce chagrin, lui disait-il, je croyais que tu resterais toujours près de moi.

" Ô Dieu! s'écrie Véronique dans son journal, quelle peine me faisaient ces reproches car je me sentais combattue de tous côtés, d'abord par les tentations du démon et ensuite par ma tendresse pour mon père.

Voyant que les jeunes gens n'obtenaient rien, Giuliani faisait venir le bon chanoine Ambroni, le confesseur de Mercatello, et lui persuadait qu'il devait empêcher Orsola de le quitter. Le chanoine reconnaissait la justice de cette prétention et se mettait, lui aussi, à combattre de toute son autorité, la vocation de la jeune fille.

Mais Dieu était avec elle, rien ne l'ébranlait. Notre père me dit un jour, écrit-elle:

Tu y resteras avec moi et te ferai la maitresse de tout. Je contenterai tous tes désirs et tes goûts.

Je répondis:

" Je n'ai d'autres gouts est d'autres désir que celui de me faire religieuse. Je ne vois pas rester dans le monde. Soyez certain que je ne changerai jamais sur ce point. Vous dites que vous venez me faire plaisir. En voici l’occasion. Mettez-moi, bien vite au couvent. Alors vous me donnerez la plénitude du bonheur. Je n'ai cure de vos beaux ajustements, de rien du monde. Ne faites pas attention à mes légeretés d'enfant. Ce que je vous dis ici vient du fond de mon Âme. "

A ce discours, Francesco Giuliani pleurait, reprochait à sa fille son manque de cœur, lui montrait sa désolation si elle abandonnait, et finissait toujours par dire

" D'ailleurs, tu es trop petite nous avons le temps d'en parler. "

Il comptait sur le monde pour changer le cœur de sa fille et il pouvait respérer jusqu'à un certain point, car Orsola, au milieu des fêtes, était d'une gaieté exubérante et n'avait rien d'une future capucine.

Parmi les familiers de la maison on comptait un certain comte Fabbri de Sant'Angelo in Vado (1)

  1. Peut-etre un parent de sa mère était une Mancini de San Angelo in Vado. Ce jeune homme joussait d'une prébende de chanoine.
D'après le Père Romano, auteur d'une vie de sainte Véronique, ce personnage était le mari que Giuliani destinait à sa fille. Il venait familièrement chez le surintendant et causait souvent avec Orsola de sa vocation, cherchant à l’en détourner par tous moyens possibles. Souvent, le père d'un coté, le comte Fabbri de l’autre, tenant chacun une main de la jeune fille pour l'empêcher de fuir, lui faisaient les plus vives représentations sur son obstination. Cela finissait toujours par des pleurs.

" Vous me voyez aujourd’hui pour la derniere fois ", dit-elle un jour au comte Fabbri après un des ces péniblers colloques. Et, de fait, elle ne voulait plus jamais se montrer quand il venait chez son père.

Cette lutte courageuse pour sa voeatiàn était l’œuvre du ciel. Sans un secours tout particulier d'en haut, Orsola eût succombé. Elle n'avait aucun soutien du côté de ses sceaux. Les deux aînées étaient entrées au couvent; les deux autres vivaient sans doute dans la retraite, car on ne les voit jamais aux côtés de leur jeune sœur dans les réunions mondaines. Il est probable que, peu après la première communion d'Orsola, elles retournèrent à Mercatello. Elles ne devaient pas être à Plaisance lorsque Francesco Giuliani se mit à donner des fêtes et a recevoir beaucoup de jeunes gens chez lui. Elles n'auraient certainement pas laissé Orsola toujours seule au milieu d'eux. Par ailleurs, Véronique qui en parle beaucoup depuis son arrivée a Plaisance jusqu’à sa première communion, ne les mentionne plus jamais ensuite.

Elle dit, dans la recit de sa vie, que ses soeurs étaient très bonnes pour elle. J'aurais bien voulut, comme elles, faire l’aumone sans que personne le sut. Quand j'y parvenu, je donnais dans la rue, de mon mieux.

C’est ainsi qu'il m’arriva de donner des provisions à l'insu de tous. Une fois, entre autres, je donnai plusieurs boisseaux de grains et encore des plats et des chandeliers de cuivre.

J’en eus des scrupules, car on s’apercut de la disparition de ces objets, et on accusa la servante. Moi, je ne voulais pas dire que je les avais donner. Je fis en sorte que la servante ne fut pas victime de mon audace, et je n’opposait à ce qu’on la renvoyat comme on voulait le faire..

Lorsqu'il venait des soeurs quêteuses, je recommandais aux servantes de me les amener, car je voulais leur baiser la main et leur faire une charité personnelle. Cela me donnait un bonheur extrême. Je croyais, en les voyant, être devant Notre-Seigneur.

La sainte cherche ensuite a se dépeindre comme une personne pleine de méchanceté, sans cependant convaincre ses lecteurs. Elle dit ; J'avais une telle audace que personne ne pouvait lutter contre mot. Mes sœurs aînées m'obéissaient comme si j'eusse été la maitresse de la maison. C'était à qui rivalisent d'empressement à satisfaire mes fantaisies. Je prenais grand plaisir à cette domination et je m'y complaisais. Ainsi en fut-il jusqu'à l’âge de treize ans et plus. Je tombai en beaucoup de fautes à cet âge.

" Sachant que mon père ferait tous mes caprices, j’approchai pour lui demander toutes sentes de distractions et de frivolités. Jamais il ne me refusa. Un jour de carnaval, je lui demandai de me masquer avec lui et d'aller ensemble au Lotto (1) qui se donnait en ville. Il s’empressa de m'exaucer. Un jour aussi, je m'habillai en homme et je voulais que mes soeurs fissent de même. Je m'amusai beaucoup de ce travestissement et je me montrai à plusieurs personnes. Je faisais toutes ces choses sans réflexion. Mais depuis, en y pensant, j'ai vu que c'était vraiment une offense faite à Dieu. Quelque chose me disait bien de m'arrêter et, pourtant, je recommençais avec la même ardeur.

Orsola traversait, comme sainte Thérèse, une crise de dissipation que leur nature exubérante et leur jeunesse expliquent, et que Dieu voulut imposer à l'une et a l'autre à la fois pour les éprouver et pour leur faire comprendre la faiblesse de la nature laissée à elle seule. Mais comme sainte Thérèse aussi, Orsola ne fit qu'effleurer la fange et n'y contracta aucune souillure. Lorsqu'elle s'accuse avec véhémence de ses fautes, c'est son humilité seule qui les accuse. Les dépositions de ses soeurs et des autres témoins de sa vie s'accordent à dire.

  1. Le P. Pizzicaria a vainement cherché ce que signifiait ce mot. Il est peu probable qu’Orsola eût demandée à aller à un bal masqué, il s’agissait sans doute d'une sorte de corso.
56 Que sa conduite fut toujours exempte du moindre reproche, et pour résumer les avis de tous ces témoins, citons ce que dit la Mère Marie Giovanni Maggi, capucine de Citta di Castello, qui avait connu beaucoup de défaits sur la jeunesse de Véronique. Elle dit que tes soeurs, les domestiques de la maison, les amis de la famille et le chanoine Ambroni, lui ont tous affirmé que toujours, Orsola, audt mont~ une vertu au-dessus de son age, présage d'une sainteté extraordinaire.

Orsola avait d'ailleurs en elle-même un scrutateur inexorable et un juge sévère c'était sa conscience. Rien n'égalait sa délicatesse. Cette délicatesse se doublait d'une grande humilité, aussi n'essayait-elle jamais de s'excuser vis-à-vis d'elle-même, et elle jugeait ses actes avec la sévérité plutôt d'un ennemi que d'un juge. Ce qu'elle dit de ses confessions, au moment même où elle était le plus dissipée, prouve la belle pureté de son âme. Tout d'abord, elle avait un si grand respect pour la parole du confesseur, qu'elle craignait de pécher en ne faisant pas assez bien ce qu'il lui ordonnait. Aussi, en allant à confesse, elle tremblait d'émotion en se disant qu'elle allait parler au représentant de Dieu.

Il me semblait aller parler à Dieu lui-même, dit-elle, mais je chassais ce sentiment comme une tentation, pensant que le démon me l’inspirait pour m'éloigner de la confession. Après la confession, j'emportais un grand désir de communier, Mais on ne me le permettait pas. Oh! comme je me suis plainte à Dieu souvent, alors!

Lorsque, ensuite, Dieu me demandait de vivre d'une vie plus rétirée, en me privant de tous ces plaisirs, je lui disais " Seigneur, " faites-moi la grâce de pouvoir communier et je ferai tout ce que vous voudrez. "

Le Seigneur avait permis qu'Orsola connut la vanité du monde et ses dangers, mais il ne voulait pas que cette enfant, tant favorisée, fut tentée au delà de ses forces. On lui envoya d'abord des secours surnaturels extraordinaires. Trois fois la sainte Vierge lui apparut, dit-elle dans son journal.

La première fois, elle lui reprocha son inconstance et son ingratitude.

La seconde fois, elle lui promit une grâce si elle se donnait de tout coeur à Dieu enfin,

La troisième fois, elle apparut avec Jésus dans ses bras et lui dit que son Fils aurait soin d'elle si elle mettait toutes ses affections en lui.

En même temps une douceur céleste inondait Orsola, lui donnait une horreur profonde des créatures et un désir ardent d'être à Dieu. " Aussi, dit-elle, Dieu changea ce cœur de fer glacé en une fournaise de divin amour."

Ces faveurs célestes étaient cultivées par Orsola qui, de son côté, ne négligeait rien pour les faire fructifier. Elle pratiquait plus soigneusement l’oraison et redoublait de supplications dans ses prières, pour obtenir enfin la permission de son père, d'entrer au couvent, car, il faut ici le remarquer, dans ses plus grandes dissipations, jamais Orsola ne cesse de désirer la vie religieuse.

Le moyen que Dieu empieya pour enlever La jeune fille à cette vie mondaine fut de la ramener à Mercatello. Pourquoi les filles de Francesco Guiliani furent-elles renvoyer au lieu de leur naissance? c'est ce que Véronique ne dit pas. Mais on peut deviner ce que son respect filiail lui interdit de découvirir; le malheureux Francesco était tombé dans de tristes liens, et ses filles devaient, dans ces circonstances de lui être à charge. Peut-être aussi a se trouver toutes en si grande opposition de goûts avec leur père demandaient-elles à rentrer dans la vie calme de la petite ville natale.

Quoi qu'il en soit, les jeunes Filles rentrèrent avec joie à Mercatello, malgré l’ennui d'être désormais sous la tutelle d'un oncle bizarre et fantasque, chez qui elles prirent leur logement. Ce personnage, appelé Rasi, et médecin de profession, que Véronique appelle oncle (Zio) à la mode italienne, n'était qu'un cousin de sa mère (1). Il vivait avec deux sœurs et une nièce.

  1. Dans son journal, Véronique raconte qu’en retournant à Mercantello , elle et ses sœurs s’arreterent en route chez le comte Fabbri à San Angelo. Son frère, celui qu'Orsola ne voudrait plus revoir à Plaisance, s’y trouvait. Il lui demanda en riant si elle était toujours dans les memes dispositions pour son avenir. " Toujours! " répondit Orsola. Vous changerez, j’en suis certain, reprit Fabbri. Dites ce que vous voulez, répliqua Orsola, pour moi je veux entrer au couvent.
Tout ce petit monde s'entendait fort bien. Nous nous aimions comme mères et sœurs, dit Véronique. Malheureusement Francesco Giuliani, en se séparant de sa fille préférée, n'avait pas changé de volonté par rapport a son avenir, et il avait prié l’oncle et sa famille, comme aussi tous ses amis de Mercatello, de détourner Orsola de ses idées monastiques. La pauvre enfant ne fut donc guère plus tranquille à Mercatello qu’à Plaisance; elle le fut moins peut-être, car le terrible Rasi, avec ses brusqueries et Ses boutades, n'était pas tendre quand on le contredisait.

Pour se distraire, Orsola se remit à dresser des petits autels. Ses deux sœurs aînées, Marie Rose et Anna Gertrude, étaient entrées aux Clarisses de Mercatello, et la troisième, Ludovica, commençait à préparer aussi son départ pour le cloître. La mélancolie d'Orsola s'augmentait de toutes ces séparations. Elle se sentait isolée. Ses soeurs même, loin de l'encourager à se faire religieuse, la dissuadaient comme les autres.

Toute découragée et angoissée, ne trouvant d'aide nulle part, Orsola en vint à tomber malade de chagrin. C'était un mal étrange que les médecins ne purent reconnaître la pauvre enfant se consumait comme un tison qui brûle et aucune médication n'arrêtait cette consomption. On avait pris pour mot d'ordre, autour d'elle, de ne jamais même prononcer le mot de couvent.

Chose curieuse, C‘est ce silence qui la rend malade. Un jour, ayant entendu deux domestiques qui parlaient de couvent, elle se sentit mieux. Une seconde fois, une autre conversation surprise sur le meme sujet, la ranima davantage. Elle réfléchit fortifier par ce retour vers la santé, et se dit qu'elle ne devait pas se désespérer, mais renouveler ses instances auprès de son père. Elle eut envie de lui écrire. Mais la pauvre Orsola avait si peu l’usage de la plume que cette lettre lui parut d'abord une oeuvre impossible. Elle s'y mit cependant avec courage, et après beaucoup d'efforts composa la lettre dont elle donne le texte dans son journal, et que nous reproduisons ici, dans sa touchante naiveté :

Très cher et bien aimé Père,

" Il me semble que votre Seigneurie a demandé au seigneur oncle de faire en sorte avec les autres de me chasser de la tête l'idée d'entrer au couvent. Aujourd'hui, je viens vous dire en toute sincérité de cœur, que je suis décidée à me faire religieuse, et le plus tôt possible. Si vous voulez vous remarier, vous pouvez le faire, car vous ne devez pas attendre, dans l'espoir que je changerai d'idées. Que soit bénie l’attention que vous portez à mes chères sœurs et à moi. J'ai dit adieu a la maison et aux miens, sœurs dans un monastère, et il me semble que je les aime toujours autant. Je me console en pensant que je veux aussi entrer au couvent et, pour l'amour de Dieu qui me veut comme épouse, je quitterai volontiers maison, parures, père, soeurs et tout.

Que votre Seigneurie donne la permission à celui qui le remplace pour nos biens (1), afin qu'il me procure ce qui est nécessaire pour entrer au couvent. Je n'en dirai pas plus. Cette lettre est la première et la deuxième que je vous écrirai. Je m'y confirme en tout jusqu'à ce que vienne l'heure tant desirée par moi. Prosternée aux pieds du crucifix, je le prie de bénir votre Seigneurie et moi-meme, et je la salue de tout cœur.

Votre fille obéissante et affectionnée, Orsolina Giulani.

  1. Ce tuteur était le chanoine Lorenzo Rossi qui prit de ces pupilles avec soin extrême et beaucoup plus grand que leur propre père. Il mourut à Mercatello le 6 janvier 1700.
La difficulté était de trouver un messager, car le terrible oncle eût intercepté la lettre. Orsola en trouva un qui remit la lettre à Francesco, et cet appel confiant émut enfin le cœur du superintendant.

Il envoya une permission lointaine et vague sans doute, mais c'était cependant une permission. Les tuteurs et oncles d'Orsola étaient autorisés à chercher dans les couvents des licences, c’est-à-dire des acceptations éventuelles de recevoir une religieuse. Deux couvents étaient désignés par le père, comme les seuls.

Cette première joie fut de courte durée. Orsolina vit bientôt qu’on n'avait voulu, par cette permission vague, que gagner du temps. Personne ne se mettait en peine de chercher des licences, et l’oncle ne répondait que par le silence aux supplications de sa nièce.

L'épreuve était dure pour une nature aussi vive. Orsola se résigna et comprit que Dieu exigeait d'elle une préparation plus parfaite à l'etat auquel il l'appelait. Elle s'appliqua davantage à dominer son impétuosité naturelle, elle chercha les sacrinces à faire.

Les deux sœurs de l'oncle Rasi, personnes pieuses et zélées, réunissaient chez elles des jeunes filles dans un but d'édification et, entre autres exercices, leur apprirent à méditer. Orsola se résolut à commencer tout de bon à pratiquer l'oraison. Elle en parla à son confesseur, qui lui traça une méthode de méditation qu'elle accepta avec enthousiasme. Il faisait, chaque jour de la semaine, méditer une des souffrances du Sauveur.

Pleine d'ardeur, Orsola se mit à l'œuvre. " Pour faire cette méditation, écrit-elle, je demandai à la servante de m'éveiller de grand matin, et elle le fit, que j'eus beaucoup de peine à quitter mon lit, mais je craignais, si je restais que la servante ne se donnât plus la peine de m'éveiller une autre fois. Dès qu'elle criait " Orsola! il est l’heure. " Je me levais aussitôt. Elle me prenait en pitié et me disait "Demain, je ne vous éveillerai plus aussi tôt", mais je lui répondais " Oh pour l'amour de Dieu, appelez a moi, je vous ferai un cadeau, je vous raccommoderai vos bas, vos jupons, je ferai tout ce que vous voudrez". Aussitôt habillée, Orsolina disait une heure d’oraison.

Je ne saurais dire ce que j'y faisais, écrit-elle. Je sais bien que je m'élevais au-dessus de moi-même et que je ressentais une certaine ferveur. Il n'y avait guère d'oraison où le Seigneur ne me dit qu'il me voulait pour épouse. Je n'en devenais que plus ferme dans mes projets de religion. "

Outre cette oraison, elle se levait souvent la nuit pour prier, surtout les jours de communion et toujours, s'enforçait de se perfectionner en tout.

Elle y avait du mérite, n'étant secondée de personne. Les tantes s'occupaient de leurs bonnes œuvres et Orsola passait de longues journées sans avoir aucune occupation utile. Elle tâchait de s'en créer, d'ailleurs la prière finissait toujours par l'attirer. Il y avait dans la chambre de son oncle un grand crucifix pendu au-dessus du lit. Ce crucifix remplaça pour elle le tableau de Plaisance. Dès que l'oncle sortait, Orsola se précipitait dans sa chambre, elle s'agenouillait devant le crucifix et priait.

Elle décrit: Jésus, Mon Dieu, disais-je, je ne puis vous voir ainsi sur cette croix, donnez-moi ces clous. En disant ces mots, je montais sur le lit pour voir si je pouvais arracher les clous, mais je ressayai plusieurs fois sans y parvenir. Un jour je parvins à faire tomber la couronne d'épines. Je voulus la mettre sur ma tête, mais elle était trop petite.

Il me semble que j'ai pu remettre la couronne à sa place, ainsi que le clou qui soutenait le crucifix et qui était tombé. Le démon pressentait, en voyant le courage d'Orsola à surmonter les épreuves, qu'il allait avoir en elle une redoutable adversaire. Il n'avait pas réussi, à Plaisance, à l'éloigner de la piété, il ne réussit pas davantage en essayant de troubler intérieurement son âme. Il essaya de la tenter en lui représentant l'effrayante austérité de la vie du cloître, et parfois il arrivait à la faire trembler, mais Orsola n'en devenait que plus affermie dans son dessein.

Il inventa alors des ruses grossières. Un jour, une servante pria Orsola d'aller chercher quelques herbes pour la cuisine dans le jardin. Ce jardin était séparé de la maison par une ruelle, on pouvait, par les fenêtres, apercevoir la porte de ce clos. Orsola ne voulait jamais aller seule dans la rue, même pour ce petit trajet. Elle lui fit constater qu’elle n'aurait jamais pu, de ses propres forces, remettre le grand et lourd crucifix et replacer le clou avec la main.

Remua d'abord d’aller au jardin, puis, sur les instances de la servante, elle y consentit, à condition que cette derniere que regardât par la fenêtre jusqu'a ce qu'elle fut arrivée. Elle lui fit le signe de la croix, invoqua son ange gardien selon sa coutume et sortit. Mais, près de la porte du jardin, elle aperçoit un jeune homme et une jeune femme qui se livraient à des familiarités inconvenantes. Elle devait passer près d'eux, indignée, elle les apostropha sévèrement, mais eux se moquèrent d’elle et la macèrent d'un bâton. Orsola entra dans le jardin, cueillit rapidement les herbes et retrouva, en sortant, les mêmes personnes a la même place. Elle passa très vite sans regarder, mais au moment de rentrer à la maison, l'idée lui vint que ce pouvait être le diable. Elle se retourna vivement, il n'y avait plus personne. La servante lui assura que la ruelle était absolument déserte et que, cependant, elle n'avait pas quitté la fenêtre. Plusieurs années après, le Seigneur, dans une vision, loi assura que ces deux misérables étaient des démons qui voulaient l'incitera la tentation et que, si elle n'avait eu le coeur solidement armé par l'usage de la prière et la force de la foi, elle serait tombée.

Le démon avait des aides sur la terre. La beauté, la grâce, l'esprit de la fille du superintendant avaient excité de véritables passions (1). Son départ de Plaisance ne la délivra pas, Orsola était d'une beauté remarquable de l'avis de tous ses contemporains, pas des soupirants. Ils vinrent relancer jusqu'à lui ~reatelle. Des jeunes gens du pays essayèrent leur essai d'émouvoir Orsola et la famille les encourageait, espérant toujours un revirement de la jeune fille. Ses parents étaient assiégés de demandes en mariage. On essayait de lui faire parvenir des lettres, on lui envoyait des messagers, on lui faisait parler par des amis. Orsola ne recevait pas les lettres et les messagers et si un de ses parents lui transmettait une de ces demandes, elle se cachait et leur reprochait de se faire les intermédiaires de pareils solliciteurs. A tous elle répondait qu'elle ne voulait d'autre époux que Jésus.

Malgré ces réponses décourageantes, on la guettait quand elle sortait et on essayait de venir lui parler, mais, dès qu’elle apercevait ces indiscrets, elle ouvrait son livre d'office et s'en allait, récitant les psaumes, sans lever les yeux jusqu'à ce que, de guerre lasse, on se fût éloigne.

Un jour cependant, un de ces hardis ambassadeurs réussit à lui parler. Il lui dit que certain jeune homme la suppliait de ne pas entrer au couvent, car il pensait à elle jour et nuit. Orsola se fâcha très fort. Au lieu de tant penser à moi, répondit-elle, qu'il pense à Dieu car il doit être assuré qu'il n'obtiendra rien de moi. Je n'ai plus une seule peMsee du monde, j'ai choisi ma voie, je la suivrai.

Un autre jour, un enfant vint lui apporté un beau bouquet. Orsola, soupçonnant a qui la lui envoyait, le jeta par la fenêtre.

Ce même enfant revint une autrefois avec beaucoup de belles figures de saints. Orsola se dit qu'ils orneraient bien ses petits autels et eut la tentation de les accepter, mais la réunion vint qu'elle ne pouvait pas plus les prendre qu'autre chose, sans donner un encouragement à l'envoyeur. Elle les refusa. Plusieurs fois le meme enfant revint à la charge avec toutes sortes d'offrandes. Il fallut qu'Orsolina se fachat tout de bon pour en être débarrassée. Cette poursuite effrénée dura deux ans pendant lesquels la pauvre Orsola ne connut pas de repos. Ce qui la tourmentait, c'est que, involontairement, elle se surprenait pensant à certains jeunes gens qui lui avaient paru plus agréables que d'autres. Elle en concevait de grands scrupules, s'imaginant qu'elle prenait plaisir à être courtisée et admirée. Mais elle ne pouvait se résoudre à confier tout cela à son confesseur. Celui-ci la voyant triste, l'engageait à communier, mais elle n'osait pas, se croyant la tête trop pleine de frivolités.

Orsola ne comprenait pas le tort que lui faisait ce manque de confiance elle lui fut la cause de bien des soucis qu'elle eût facilement évités autrement.

Le fait suivant en est une preuve : " J'avais, écrit-elle, une grande douleur des péchés que j'avais commis avec cette fillette (Zittelle) et je ne savais comment faire pour m'en confesser. Je pratiquais toutes sortes de pénitences pour cette faute. " Cela me donnait d'autant plus de tourments que je ne voyais aucun moyen d'en sortir. Je me disais en moi-meme : " Comment me serait-il possible de faire oraison avec toutes ces angoisses? " Je me retrouvais engagée dans un grand combat intérieur. J'étais ballottée par toutes sortes de sentiments tumultueux et variables qui venaient certainement du démon. J'en pleurais jour et nuit. Je me recommandais au Seigneur pour qu'il me donne la force de me confesser et quand j'arrivais au confessionnal, j'étais muette. Tout ce que je faisais augmentait mon tourment, surtout dans la confession et la communion. Je ne pouvais m'appliquer à l'oraison. Toutes mes pensées revenaient sans cesse à l'objet de mes inquiétudes. C'était une agonie mortelle et, malgré cela, je ne pouvais me résoudre à parler. (1)

(1) Il doit certainement y avoir ici un scrupule excessif de la part d'Orsola, car, si elle eût été persuadée d'avoir commis un péché mortel, elle avait la conscience trop délicate pour hésiter un instant à s'en accuser. Ce n'était pas l'orgueil qui la poussait à se taire, mais plutôt une exagération de pudeur qui l'empêchait d'expliquer une légèreté commise ou dite. Il est impossible d'admettre que Véronique eut pendant plusieurs années, commis des sacrilèges, alors qu'elle recevait du ciel des faveurs journalières, qu'elle entrait au couvent avec une ferveur séraphique. Vous croyez peut-être qu'étant en religion, je le confessai tout de suite? Ce fut le contraire. Il se passa cinq ans avant que j'aie le courage de le faire avant de faire cet aveu, ce que j’en ai souffert, Dieu le sait!. Je ne pouvait me voir revetue de ce saint habit sans me représenter la disgrace de Dieu. Je pleurai continuellement, mais je n’en disais rien a personne (1).
  1. Le P. Pizzicaria estime aussi que toute présomption de faute mort se doit d’etre écartée ici parce qu'il y a trop de preuves de communications célestes avec Véronique pendant cet espace de temps, pour supposer un instant qu'elle n'est pas la conscience très pure.
La pauvre Orsola passait par une crise de scrupules que le démon activait. Sa grande humilité qui la portait à exagérer tous ses défauts, devenait ici une pierre d'achoppement contre laquelle elle se fut buttée dans le secours de Dieu. Elle avoue dans d'autres passages qu'en ce moment-là et Jésus lui assura qu'il était auprès d’elle et ne la quittait pas.

C'était, du reste, le dernier jour d'épreuve, la Providence allait enfin aplanir les voies qui devaient la conduire la vierge au couvent.

CHAPITRE IV 70

LES DERNIÈRES ÉPREUVES. VISITE À L’ÉVÊQUE DE CITTA DI CASTELLO. ORSOLA REÇUE AUX CAPUCINES. DÉPART DE MERCATELLO. L'ENTRÉE AU COUVENT.

Un jour enfin, le tuteur d'Orsola, le chanoine Rosi, arriva chez l'oncle et montrant deux écrits à sa pupille étonnée. Voici deux licences, lui dit-il. l'une pour entrer au monastère où sont vos trois sœur et l’autre pour sainte-Claire de San Angelo in Vado où est votre tante. (1) A vous de choisir.

(1) Une des soeurs de l'oncle Rasi qui venait aassi d'entrer au couvent.

Peu m'importe, répondit l'heureuse jeune fille, pourvu que je sois au couvent. J'irai ou on voudra. Mais ne me leurrez pas, je vous en prie, et que ce soit chose faite tout de suite, tout de suite Ivre de joie, elle courut conter la bonne Nouvelle à son confesseur. " Je suis bien heureuse, dit-elle, mais j'aurais voulu entrer dans un couvent de règle plus étroite. "

Le confesseur l’engagea à se contenter de ce qu'on lui donnait. " Une règle plus austère ne vous convient pas. " dit-il. Orsola accepta le conseil sans observation. La Providence vint à son secours pour arranger toutes choses selon sa volonté sainte en dépit de celle des hommes.

Comme elle sortait du confessionnal, elle aperçut l'archipretre de Mercatello. Elle alla lui annoncer le grand événement. Lui, de son côté, lui conta que les capucines de Citta di Castello venaient de lui écrire pour le prier de leur trouver une jeune allé ayant la vocation religieuse puisqu'elles avaient une place libre.

J'avais pensé à Orsola, dit-il en s'adressant au confesseur, mais elle ne résisterait pas à une vie aussi rigoureuse.

Cependant les deux prêtres se mirent à l'interroger, voulant s'assurer que vraiment, comme elle l'amrmait, Dieu l'appelait à une vie plus rigoureuse. Malheureusement l'oncle Rasi n'avait pas l'humeur facile quand on heurtait ses idées et Orsola, malgré tout son courage, essuya d'abord une terrible tempête. En sa qualité de médecin, il lui déclara qu'elle n'était pas assez forte pour entrer aux capucines et toutes les supplications furent inutiles.

Tout était à recommencer, mais Orsola se voyait soutenue par son confesseur, par l'archiprêtre et par plusieurs autres personnes qui, touchées de sa persévérance, s'entremirent auprès de l'oncle. Francesco Giuliani, soit qu'il fût mécontent de sa fille; soit que son malheureux esclavage l'absorbât trop, devait avoir laissé tout pouvoir à son cousin pour décider du sort de sa fille.

Enfin on obtint une première concession. Orsola parvint à décider son oncle à la mener au pèlerinage de sainte-Marie du Belvédère (1) et de repasser ensuite par Citta di Castello pour visiter le couvent des capucines.

C'était un grand pas de fait. Orsola dès lors, vécut dans la plus joyeuse espérance. Elle la goûta plus encore en entrant dans le monastère (2). Après avoir exprimé son désir d'être acceptée parla communauté, Orsola fut conduite au milieu des soeurs qui lui firent l'accueil le plus engageant, par charité dit modestement Véronique. Elle se croyait en famille, elle était folle de joie. Les sœurs lui expliquèrent toutes les austérités de la règle sans rien lui cacher mais elles n'effrayaient pas Orsola au contraire.

  1. Sanctuaire très fréquenté à 3 kilomètres de Citta di Castello. En 1702, la statue miraculeuse de la sainte Vierge fut couronnée solennellement.
  2. Le couvent des capucines de Citta di Castello avait été fondé en 1638 par Mgr Fucciali qui, en mourant, avait laissé une part assez considérable de sa fortune, en vue de bâtir un monastère. Ce couvent ne fut termine qu'en 1643 et les exécuteurs testamentaires de Mgr Fucciali y appelèrent deux capucines de Pérouse, les soeurs Costenza Danzetti et Cristina Anzidèi, pour y établir la règle de sainte Claire avec seize jeunes filles des plus nobles familles de la ville. La profession se fit solennellement à la cathédrale. Véronique trouva encore, en entrant au couvent, six des fondatrices. Aux premiers fonds donnés par Mgr Fucoati vinrent s'ajouter quelques dons qui permirent d'augmenter le nombre des sœurs. Mais ce fut surtout le travail de leurs mains qui procurait aux religieuses le vivre. Elles gardaient la plus stricte observance et avaient une grande réputation. C'est chez elles qu'on vint chercher des fondatrices pour le couvent de MetoutElle et de Citta delle Pieve. On  les vénérait beaucoup dans cette ville et on venait souvent se recommander à leurs prières.
Plus la peinture se faisait sombre, plus son désir d'entrer devenait grand. " Je ce sais ce que c'est, leur disait-elle, mais tout ce qu'on me dit augmente mon désir. Ce que vous me racontez, au lieu de me désespérer, me donne plus de courage. Avec la grâce de Dieu, je pourrai résister à tout. "

La Mère Marie-Gertrude Albizzini, alors abbesse et toutes les sœurs qui étaient la eurent la certitude qu'elles avaient devant elles une sainte et désirèrent toutes la posséder chez elles (1)

  1. Déposition de Sœur Maria-Giovannina Maggi

  2. Une grave difficulté existait cependant. Les capucines ne pouvaient dépasser chiffre fixé par la règle et l’évéque de Citta di Castello, Mgr Sebastiani, ne voulait à aucun prix permettre qu'on augmentât le nombre des sœurs. Or, plusieurs jeunes filles de la ville avaient vainement sollicité leur admission. Comment l’evêque pourrait-il donner la préférence à une étrangère?

    Si je pouvais voir l’évêque, disait Orsola, redevenue toute triste, je suis sûre que j'obtiendrais la permission!

    Vous ne pourrez pas le voir, disaient les sœurs, il est malade et ne sort pas de sa chambre (2).

  3. Mgr Sebastiani apparte l’ordre des Carmes. Il était un prélat de mœurs très sévêres et de grandes réputations.
Comme on discutait Foncte arriva accompagné 74

De l’oncle et la nièce avaient loger chez les Brozzi pendant qu'Orsola était au couvent, cette famille instrument de la providence avait entrainée le docteur Rasi chez l’évêque; Chose merveilleuse le prélat se prit d’interet subit pour cette jeune fille inconnue et diaposa si bien le terrible oncle qu'il arrivait avec les meilleures attentions pour prendre sa niece pour l’amener à l’évêque.

Grande fut la joie d’Orsola, combattue cependant par une terreur inexplicable à l'idée d'être interrogée par le prélat.

A la vue de ses angoisses l’abbesse l’a prenant par la main, lui dit de se jeter aux pieds de l’évêque en lui déclarant qu'elle à ne partir pas sans avoir la permission d'entrer au couvent.

Orsola promit de faire ainsi, mais elle tremblait bien fort en se rendant au palais épiscopal. Le premier accueil ne fut pas encouragent. L'évêque, en voyant Orsola declarer de faite qu’elle était tres jeune. A la mine désolée de la pauvre enfant, il consentit à l'examiner et malgré ses réponses modestes et franches, il déclara qu’il ne serait pas possible de lui permettre parce qu'il venait de donner la place vacante à une à jeune fille de Città di Castello. Il fallut quitter l’audience sur ces mots. Orsola fut triste et peut-etre aussi vexée, car elle ne pu, dit-elle, s'empêcher de hausser les épaules en sortant.

Comme l'oncle et la nièce descendaient les escaliers en silence. celle-ci, poussée par une inspiration subite, demanda a retourner près de l'évêque. L'oncle y consentit encore, et les voilà tous deux admis en présence du prélat. Alors la postulante, suivant le conseil de la Supérieure, se jeta aux pieds de Mgr Sébastiani et le supplia avec ardeur de l'examiner encore. L’évêque se laissa toucher, il se sentait gagner par un intérêt mystérieux pour cette petite étrangère, si intrépide et persévérante. Il lui demanda si elle savait lire le latin à quoi le docteur Rasi répondit par un éclat de rire. Hélas à peine Orsola savait-elle lire couramment sa langue maternelle, mais Orsola, sans hésiter, se saisit du bréviaire que le prélat tenait en main, et se mit à le lire avec autant de facilité que si elle eût compris parfaitement ce qu'elle lisait. L'oncle resta stupéfait. C'est un miracle, s'écria t-il, elle savait à peine lire jusqu'ici, Mgr Sebastiani paraissait ému.

Sans rien lui promettre, il congédia Orsola en lui disant d'avoir confiance, parce qu'il ne l'oublierait pas, il se leva et accompagna ses visiteurs en traversant plusieurs salles. Orsola tenait l'évêque par son scapulaire et au moment de prendre congé, elle s'agenouilla devant lui.

" Monseigneur, une dernière grâce", supplia-t-elle, pour l'amour de Dieu, je vous conjure de me faire accepter par les religieuses. Après, j'attendrai tant que vous voudrez. Orsola avait vaincu.

L’évêque a presser immédiatement l'acte d'acceptation et l’envoya au couvent pour qu'on convoquât le même jour le chapitre et que l’on décide l'admission.

La courageuse aspirante se rendit à l’église des capucines pour y attendre le résumé du vote. Partagée entre la celaoce et l'angoisse, elle priait avec ardeur. L'autre jeune fille désigne précédemment par l’évêque s'y trouvait aussi. Voici ce qu'elle déposa au procès de béatification:

" Je sais qu'elle (Véronique) avait seize ou dix-sept ans quand elle vint se faire religieuse en cette ville. C'était une jeune fille très bien étevée et qui, déjà, donnait des signes de sainteté. Le jour ou nous fûmes acceptées par tes religieuses, je la vis élevée en extase pendant que nous étions à prier devant le Saint Sacrement, au grand autel de l'église. C'était après notre acceptation, et le Père confesseur nous avait donné le cordon (1). Nous étions restées seules toutes deux dans le sanctuaire pour remercier Dieu de la grâce qu'il venait de nous faire. Comme je savais que la Mère Abbesse et les religieuses nous attendaient à la grille de la communion, je voulus appeler Orsola et je m'aperçus qu'elle était élevée en extase et hors de ses sens. Elle ne m'entendait pas quoique je dise, revinsse à la charge plusieurs fois. Une des sœurs vint alors nous appeler de la part de la Mère Abbesse,et Orsola sortit de son extase. Nous allâmes toutes deux parler, à la grille, a la Supérieure. Orsola montrait une allégresse débordante, son coeur jubilait.

(1)L'usage était qu'aussitôt l'acceptation, le Père confesseur donnât le cordon de Saint-François à l’aspirante. La soeur qui fut admise avec Orsola s'appelait Claire Félice Véronique, de son coté, dit dans ses relations qu'au moment de recevoir le saint cordon, elle vit que c'était Jésus lui-même qui le lui remettait. Pendant toute la route de notre retour a Mercatello, dit-elle encore, je ne voyais pas où nous passions. J'étais hors de moi. Lorsqu'on vit Orsola rentrer à Mercatello avec le cordon de Saint-François, ce fut une révolution dans le petit monde de la ville. Les uns s'étonnaient d'un succès si prompt, d'autres se réjouissaient, partageant la joie de leur amie, d'autres encore pleuraient à l'idée de s'en séparer, car tous aimaient la fille de Francesco Giuliani.

Orsola devait attendre trois mois avant de prendre l'habit. Ce furent encore trois mois d'épreuves. Les soupirants éconduits tentèrent un dernier effort, les tentations revinrent plus violentes, et les sœurs même de la jeune fille, désolées de la voir s'éloigner, essayèrent aussi de la dissuader.

" Tout l'enfer était déchaîné contre moi, écrit-elle, mais je n'y faisais pas attention, enfin, l'heureux jour se leva. " Véronique nous décrit son pittoresque départ de Mercatello, quittant la petite ville dès l'aube, à cheval, ayant à ses eûtes les bons charmes Rossi et Ambrai, à cheval aussi.

Elle était si joyeuse, qu'elle eût voulu mettre son cheval au galop, mais, par attention pour ses respectables ça saliera, elle se résignait à chevaucher doucement, heureuse d'ailleurs de converser avec lui. Voyons, est-elle bien atocère cette vocation disait le chanoine Ambron pour taquiner une dernière fois l'impétueuse novice. Et cite répondait, exultante de joie; Vous verrez si elle est vraie. Je sens en moi des choses que je ne comprends pas.

Les bons chanoines quittèrent enfin Orsola pour retourner à Mercantello, pendant qu'elle continuait son chemin sous la conduite d'autres personnes de confiance. Elle arriva chez le chevalier Brozzi, qui lui avait offert l'hospitalité avant son entrée au couvent. C'était un des grands bienfaiteurs des capucines de Citta di Castello. Lui et les siens aimaient beaucoup Orsola. La fille ainée du chevalier, la marquise Coscina del Monte d'Ancône (1) avait pour elle une profonde affection. Tous recurent avec empressement la jeune fille, et voulurent remplacer pour elle la famille absente, car, hélas François Giulani ne vint pas embrasser une derniere fois son enfant.

  1. Une des filles du chevalier Brozzi entra chez les capucines cinq ou six ans après Véronique et mourut deux ou trois mois avant la sainte.
La coutume, alors, était que les jeunes filles, avant de quitter le monde, puissent visiter tous les couvents et toutes les églises de la ville, ainsi que les principales familles du pays. On appelait cela la " spose monache " .

Pour Orsola ce fut une coryza pénible; son désir ardent d'être enfin dans le cloitre, enfiévré par sa vivacité naturelle, la mettait hors d'elle pendant ces trois jours d'agitation mondaine, elle ne pouvait pas se recuillir, à peine prier. Elle croyait que le jour tant désiré n'arriverait jamais.

Dans la nuit qui précéda ce jour, Orsola eut une vision. Jésus vint lui-même l'instruire de tout ce qu'elle devait savoir dans son nouvel état, et son coeur s'enflammait à ces paroles. Elle ne pouvait rester au lit, elle se leva et se mit à prier. Tout à coup, elle vit devant elle Jésus entrant, en vision réelle écrit-elle. Je sortis de mon oraison pour chasser avec mépris cette vision, croyant que c'était le démon, et je lis le signe de la croix. Il me dit " Ne crains rien, je suis Jésus, je viens pour t'apprendre ce que " tu devras faire aujourd'hui ". A ces paroles, je me sentis enlevée hors de moi, et je reçus après cette vision, par voie de communication, un ferme propos de ne plus souffrir en moi rien qui fût du monde, ni de me laisser dominer en la moindre chose par ma propre chair.

Le reste de la nuit se passa en une oraison fervente que le démon essaya de troubler par toutes sortes d'imaginations, suscitant en elle un effroi indicible pour la vie qu'elle allait commencer. Mais Jésus était avec elle, rien ne pouvait ebranler.

La prise de voile en ce temps-là, se faisaient toujours avec un grand éclat et un concours nombreux de personnages importants. L’entrée au couvent de la fille du superintendant du duc de Plaisance ne pouvait manquer d'attirer un monde énorme. On connaissait la lutte que la jeune fille avait du subir pour arriver à obtenir la permission de se consacrer à Dieu, et sa réputation de beauté, d'esprit, ses grands succès mondains, achevaient d'exciter les curiosités ou hs sympathies. Plusieurs des soupirants d'Orsola étaient même venus avec le prétentieux espoir de l'arrêter au seuil du couvent par une dernière supplication.

La marquise Coscina del Monte, fille du cavaliere Brozzi, avait voulu elle-même habiller Orsola avec ses habits les plus somptueux et la parer de tous ses bijoux. Ce fut elle aussi qui réclama l'honneur de la conduire jusqu'à la porte du cloître.

Sur le passage de la fiancée du Christ, une foule brillante se pressait, s'extasiant sur la beauté vraiment séraphique d'Orsola, dont le visage radieux était comme illuminé du ciel. Les soupirants, d'autant plus désolés qu'ils la voyaient plus belle, se frayaient un chemin jusqu'à elle.

" Signora Sposa ", disaient-ils, vous avez encore le temps, si vous voulez dire non, vous le pouvez. " Ce fut une grande tentation, écrit ingénument Véronique, mais raffermissant mon courage, je leur dit: J'y ai mûrement réfléchie. Je ne suis triste que d'une chose, c’est de n'être pas entrée au couvent plus tot. Mgr Sebastiani amenait la postulante dans l’église, et on remarqua son émotion lorsque, dans son discours, il parut pressentir que celle qui se donnait à Dieu serait un vase de bénédiction et de grâce. Comme inspiré du ciel, il dit à l’Abbesse en lui remettant Orsola soignez votre nouvelle soeur comme un précieux trésor, car elle sera une grande sainte.

Orsola, pendant toute la cérémonie, ne voyait m n'entendait rien. Elle avoua plus tard n'avoir aucun souvenir de ce qui s'était passé. Sa noble amie dit qu'au moment où elle reçue le crucifix et la couronne d'épines des mains de l’évèque, elle se mit si vivement à arracher ses bijoux et ses autres ornements qu'il fallut l’empécher d'arracher aussi sa robe. " Elle ne voulait pas, disait-elle, recevoir la croix revêtue des parures du monde. Au moment de franchir la clôture, elle se retourna vers la foule, le visage resplendissant, et, avec un geste d'adieu, elle dit à haute voix Adieu, monde! Je t'abandonne à Jamais.

" Il me semble, dit-elle dans son journal, qu'au moment de ma consécration, j'étais comme hors de moi. Je crois que j'éprouvais une certitude intrinsèque de m'être exaucée à Jésus. Je me sentais enflammée et transformée. Il me semblait que toutes les pensées du monde s'enfuyaie au loin de moi. Ô quelle joie me transportait "

Dans une autre relation, elle dit que tout le temps de la cérémonie, le Seigneur se tint à côté d'elle, et qu'elle le voyait visiblement. " La nuit suivante, écrit-elle, j'eus une vision, mais je ne connaissais rien, je ne savais rien. Je ne me te rappelle pas très bien. Je sais seulement que le Seigneur me confirma pour son épouse, et je crois que je vis cette vision de mes yeux corporels. Il y avait là une multitude d'anges, de sainte et de saintes, La Vierge Marie était entourée de toute la cour céleste. Au sortir de cette vision, j'étais embrassée du désir d'aimer et de rechercher la souffrance, d'embrasser avec joie tout ce qui me déplairait, de me plaire à tout ce que me répugnait. Dans la nourriture, le vêtement, le travail, je devais aller à l'encontre de mes goûts. Je me mis en oraison. Je sentais s'anemier en mot ces résolutions. C’était l'élaboration du programme de vie de la nouvelle Capucine. Programme sublime qu'elle devait remplir jusqu'au bout. Désormais Orsola; a disparu pour faire place à Véronique.

" Vera ed unica " avait dit l’évéque en lui imposant son nouveau nom. Nom doublement prophétique, car la fille de Francesco Giuliani devenait vraiment, comme la première Véronique, aider Notre-Seigneur et le servir dans sa Passion!
 
 

CHAPITRE V 83

LE NOVICIAT. PEINES ET TENTATIONS. PREMIÈRES RUSES DIABOLIQUES. CONSOLATIONS DIVINES.

Véronique entra au couvent des capucines de Citta di Castello le 18 octobre 1677. L'abbesse était la Mère Marie-Gertrude Albizzini, la mairesse des novices s'appelait Térésa Ristori, d'une noble famille de Florence, et le noviciat possédait, avec notre sainte, quatre novices. J'étais toute perdue, écrit Véronique, quand je fus entrée au couvent. Le changement de vie me troublait. A me voir enfermée pour la vie entre ces hautes murailles, je m'enrayais, et cependant mon Âme nageait dans la joie et tout me paraissait facile pour l'amour de Dieu. " Après un long combat entre la chair et l'esprit, j'éprouvais une béatitude était-ce extase ou recueillement? qui m'enleva hors de moi-même.

" Devant moi, se trouvait une multitude de saints et d'anges; je crois avoir vu aussi la sainte Vierge.

" Je me souviens que le Seigneur me faisait grande fête. Voici notre enfant disait-il; puis Il me demandait " Que veux-tu? " Je le suppliai de me donner la grâce de l'aimer, et je le crois qu'aussitôt il me communiqua son amour. Il répéta plusieurs fois son interrogation. Je lui demandai trois grâces :

De pouvoir vivre dans l'état que je venais d'embrasser,

de ne faire autre chose que sa divine volonté; enfin

de me tenir crucifiée avec lui.

Jésus répondit " Je t’ai élue pour de grandes œuvres, mais tu " devras beaucoup souffrir pour mon amour. " Cette parole est restée tellement gravée dans ma mémoire qu'elle n'a cessé de régir toutes les afins de ma vie. Et quand il m’arrive quelque souffrances, je me dis ; Pour qui dois-je souffir ? Et je surmonte aussitôt toutes mes craintes et répugnances.

En revenant à elle, Véronique vit sa cellule illuminée et se retrouva à genoux, alors qu’elle s’était couchée avant sa vision. La lumière disparut et Véronique essaya de se rendormir, mais elle était si transportée d’une joie surnaturelle qu’elle ne pouvait rester tranquille. " Ô mon Dieu ! " s’écriait-elle, quelle grâce vous m’avez faite en me donnant cet habit, dans son bonheur, elle baisait l’habit, elle baisait les murs de sa cellule, elle ne savait comment exhaler son allégresse.

A matines, la joie de son cœur l’empêchait de. psalmodier avec les autres. Elle avait l’impression que le Seigneur se tenait à côté d’elle et lui disait c’est moi, ne crains rient. Ces seules paroles la faisaient frissonner de contentement.

Dans son humilité, la nouvelle novice se ngurait que les autres novices ressentaient meme en elle cette joie est ces extases par prudence, cependant elle ne leur en parla point.

C’était d’ailleurs un de ces moments rapides de sainte ivresse qui devait préparer Véronique à l’austère voie de douleurs ou Dieu l’appelait. Dès le premier jour, la contradiction commença, ce fut le confesseur qui lui déplut. Elle se dit que jamais elle ne pourrait lui donner sa confiance ; puis une répulsion ne lui vint pour tout ce monde du couvent. Elle trouvait la Mère Abbesse indiscrète, la Mère Maîtresse incapable, ses compagnes ennuyeuses. Aucune ne lui inspirait de sympathie. Une grande tentation de découragement remplaça la joie première. Elle était pleine d’appréhensions, de craintes, d’ennuis. Mais ces ennuis et ces craintes, mentionnées presque comme des fautes dans son journal, nul ne s’en aperçut. Les dépositions des soeurs à son procès sont unanimes toutes déclarent que, dès le premier jour, Véronique conquit l’affection de la communauté. On l’appelait

" la bambina " , disent-elles, à cause de sa jeunesse, et tout le monde la traitait en enfant gâtée.

Tout le monde ? non, cependant, Dieu permit que, dès son entrée aux capucines, Véronique déplût à une des sœurs, et naturellement pas à la meilleure. Épine perpétuelle pour la jeune novice, mais aussi instrument d’épreuve qui affirmerait sa vertu jusqu’à l'héroelle.

Les heures passées à l’église et aux offices coassèrent Véronique, et rien ne lui était plus pénible que d’être privée des matines. L'Abbesse, au commencement, craignant qu’elle ne se fatiguât trop en se levant la nuit, lui déàndait de venir aux matines. Mais elle ne pouvait rester au lit et allait se cacher derrière la porte du choeur jusqu’à la fin de l’office.

L’ardeur qu’elle mettait dans le monde à tout et qu’elle faisait, se doublait maintenant du désir de se sacrifier, du zele à accomplir toutes les obligations de sa règle. Mais la vie lache menée dans la famille ne l’avait pas disposée aux travaux fatigants. Elle en souffrit beaucoup au commencement. Elle fut chargée plusieurs fois de monter de l’eau à l’infirmerie. D’autres fois, elle voulut aider ses compagnes dans ce pénible travait, elle aidait surtout la novice qui ne l’aimait pas. Un jour, elle dut tirer du puits et monter à l’infirmerie trente-trois brocs d’eau. A la fin, ses pieds qui n’étaient pas encore endurcis, se blessèrent, la peau fut mise à vif et elle saignait. Elle continua cependant ses voyages douloureux sans dire un mot. Jésus, pour la récompenser, lui apparut tout à coup, portant sa croix. " Regarde, lui dit-il, la croix que je porte, elle est plus pesante que la tienne. "

Ces paroles la ranimaient et lui rendaient tout son courage. Elle ne se contentait pas alors des souffrances occasionnées par les circonstances extremes, elle voulait aussi s’imposer des peines. Elle se fabriqua une grosse corde pleine de nœuds et une chaîne de fer avec lesquelles elles echappait jusqu'au sang.

Il arrivait souvent que les tentations de découragement revenaient la nuit, elle pleurait alors, elle pleurait aussi sur les péchés du monde, et, si elle s’endormait, Jésus venait la réveiller. " Il n' est pas temps de se reposer, mais de peiner " disait-il. Aussitôt Véronique se levait et se mettait en oraison.

La première fête de Noel passée au couvent fut l’occasion, pour Jésus, de témoigner toute sa tendresse à la courageuse novice qui se donnait si généreusement à lui. L’Enfant Dieu lui apparut deux fois le jour de Noel et le jour de l’an. Le cœur de Véronique nageait dans l’allégresse et l’amour.

" Je crois me souvenir, écrit-elle, que pendant ce noviciat, je recevais des grâces spéciales aux fêtes solennelles.

" Parfois, en accomplissant les travaux de l’ordre, comme de porter du bois, de l’eau, de balayer et autres travaux pénibles, je sentais que les forces me manquaîent ; cependant, puisque c’étaient les exercices du noviciat, je les exécutais malgré tout et je me disais ; Mon Jésus, venez en moi, car sans vous, je ne pourrais rien faire. Je disais cela presque machinalement, et tout à coup je voyais Jésus près de moi. C’était comme un éclair, mais en même temps je recevais la force nécessaire pour accomplir non seulement mon travail, mais bien d’autres encore.

Chaque fois que je communiais, j’éprouvais une grande joie. Je crois bien que j’avais souvent des recueillements et même des extases (1).

  1. Il est impossible de faire un classement exact et de donner une véritable définition des termes employés par Véronique recueillement, extase, ravisement. Tout d’abord, par humilité, elle donne le nom de recueillement à un état vraiment extatique et appelle souvent extase, une véritable vision. Nous croyons que l’état qu’elle désigne sons te nom de recueillement est l’extase sans vision corporelle mèm csaas Tis ! o ! tinte !! € ct’ teMé, c mais cependant un état spécial d’union surnaturelle qui lui ôte l’usage de ses sens
Le Seigneur m’enflammait de plus en plus du désir véhément de m’unir toujours plus étroitement à lui. Bien souvent il me donnait certains coups au cœur, qui me détachaient toujours plus des choses de la terre et me montraient leur peu de valeur.

J’avais un ardent désir de voir toutes tes créatures aimer le Souverain Bien et je pleurais en pensant combien peu l’aimaient. Si la Mère Maîtresse arrivait et me demandait " Qu’avez-vous ? ".

Je répondais ; " J’ai peur que les autres novices n’aiment Dieu plus que moi. Je voudrais qu’elles l’aiment beaucoup, mais je voudrais l’aimer comme elles ". Elle répondait ; " Faites-le donc simplement. Je désire que toutes l’aiment également. " 89

J’allais parfois chez la Mère Maitresse et je lui demandais a " Enseignez-moi ce que je dois faire pour aimer Dieu. " Elle m’en disait quelque chose, me recommandait de renoncer a moi. même, d’être obéissante, de correspondre à la grâce. Et je comprenais de mieux en mieux ce qui m’étais dis.

Peut-être Véronique ne recourait-elle pas souvent aux avis de la Mère Maitresse que parce qu’elle se sentait toujours en défiance vis-à vis d’elle. Elle écrit dans ses relations que l'antipathie qu'elle éprouvait pour cette Mère, comme la répulsion pour la novice qui ne l’aimait pas, étaient pour elles de véritables tentations. Elle éprouvait aussi du dégoût pour parler aux autres soeurs.

Je reconnaissais que c’étaient des tentations, dit-elle, et je cherchais à les vaincre. Je parlais aux sœurs malgré mon ennui. Un jour cependant, ayant confié une de mes tentations à la Supérieure, je vis qu’elle la racontait à une soeur alors je résolus de ne plus rien lui confier et ce fut ainsi.

J’eus beaucoup de tentations, mais celle du silence me tourmentait plus que toute autre non seulement je ne dis plus rien à la Supérieure et à la Maitresse, mais je ne disais plus rien au confesseur. Je restai trois mois sans me confesser. Je disais bien quelque chose de mes défauts et manquements, mais je ne disais rien de mes dégoûts et tentations et je subissais ainsi jour et nuit de violents combats (1).

  1. Il faut entendre ici que Véronique se bornait à la confession stricte de ses actes, sans s'ouvrir en rien au prêtre de son état spirituel.
Je cherchais à ne pas commettre de fautes pour ne pas devoir me confesser. Le confesseur me disait quelquefois : " Mais vous ne commettez pas de péchés. A quoi je répondais : Mais, mon père, que voulez vous que nous fassions, nous sommes toujours dans le silence et retraite, ou, pour mieux dire, la prison. Il me donna alors la bénédiction et je m’en allais. Mais comment! Dieu le sait! Oh! quelles souffrances m’accablèrent en ce temps. Le tentateur m’engageait de plus en plus au silence. Le confesseur, par bonté, m’interrogeait mais je n’en éprouvais que plus de répulsion à me confier à lui.

Un jour, après la communion, le Seigneur me fit de sévères reproches sur ce point. Je pris la ferme résolution de dire tout au confesseur et je le fis. Le Père usa d’une grande charité envers moi. J’éprouvai tout de même cette répulsion un certain temps, mais je savais ce que c’était, je la surmontais et cela me faisait du bien (1).

Ce n’était pas encore, cependant, la franchise complète, puisque Véronique garda encore quatre ans le silence sur le cas de conscience qui la tourmentait depuis un an. La venue d’un confesseur extraordinaire auquel Véronique s’ouvrit davantage arrive heureusement pour l'encourager, car tout lui était pénible dans cette vie nouvelle qu’elle embrassait. Ce confesseur était Don Francesco Ripa. En cinquante ans de vie religieuse, Véronique eut trente-neuf confesseurs ordinaires et extraordinaires, tant du clergé seculiers que religieux, Servites, Dominicains, etc.

Elle avait vécu jusque-là si libre, si indépendante, si en dehors de tout joug sévère, que la claustration, lassujetissement à la règle, lui paraissaient impossible à accepter. Sa nature vive et turbulente la révoltait. Sans cesse elle se trouvait balancée entre son ardent amour pour Dieu et les révoltes de cette nature.

Au noviciat, elle avait une tendre amie en la sœur Claire Félice, entrée avec elle au couvent, mais elle avait aussi près d’elle ; cette novice méchante qui lui causait bien des souffrances. Par je ne sais quelle aberration de jugement, l’abbesse, la Mère Albizzini, s’était si bien laissée circonvenir par cette pauvre créature, qu’elle avait fini par accepter toutes ses insinuations et tous ses mauvais propos sur Véronique. Nous verrons cette Abbesse, malgré le spectacle des vertus de la sainte, pendant de longues années, garder cette mauvaise impression que les propos de la perfide novice lui avaient donné sur la soeur Giuliani.

On dit que cette novice n’était pas entrée de bon cœur aux capucines. Comme cela n’arrivait que trop souvent alors, peut-être sa famille l’avait-elle forcée à se faire religieuse. Le Père Vincent Segapeli, un des confesseurs de la sainte, dit au procès que plusieurs tenaient cette méchante novice comme possédée, ou du moins influencée par le démon et qu’elle avait l’esprit léger qui lui arrivait de se jeter sur Véronique et de la battre de toutes ses forces, ou bien elle l’injuriait grossièrement. 92

Au temps de son noviciat, dit une soeur, elle avait une compagne qu’il lui faisait toute le mal possible ; l’Abbesse d’alors soutenait cette personne, pour contrarier sœur Véronique. Cependant, cette dernière s’humuliait devant la dite compagne et lui baisait les pieds, la priant seulement de ne pas donner en public le mauvais exemple en la frappant et l’injuriant. Et lui disait doucement de se donner tout son plaisir sur elle en particulier, car elle souffrait volontiers. Ainsi, cette créature qui l'avait battue et maltraitée et est pour elle l’occasion d’actes de charité et d'humilité. Autant qu’elle le pouvait, elle avait pour elle des petits soins, elle lui aurait donné son propre sang. Elle priait le Seigneur continuellement pour son ennemie, et tâchait de l’avoir pour compagne dans ses offices (travaux), tant était grand son désir d’être méprisée et tenue en peu d’estime par les autres.

Véronique, cependant, sentait parfaitement l’amertume de l’injustice et des mauvais traitements.

Mon cœur bondissait, écrit-elle, par la violence que je me faisais lorsque nous revenions au noviciat après le diner (1).

Les autres sœurs de la communauté ne furent pas sans remarquer ces injustices de la Supérieure et la méchanceté de la novice.

(1) Les pénitences étaient données au réfectoire, au chapitre des coulpes qui procède le diner.

Soit prudence, soit pour tout autre motif, personne ne disait rien, mais l’admiration pour la jeune soeur, si douce et si patiente, grandissait chaque jour. Dieu voulut que pendant toute sa vie religieuse, Véronique rancontrat ainsi l’hostilité et parfois meme la haine. Dans les meilleures troupeaux se trouvent des brebis galeuses. Dieu permit qu’il y en eut chez les capucines de Citta di Castello, malgré l’excellence de la communauté. Une nonvelle ennemie surgit donc encore, dont l’antipathie devait poursuive longtemps la pauvre soeur. D’après la P. Segapeli, un des confesseurs du couvent, cette soeur malveillante était une femme pleine d'amour-propre, ayant d’elle la meilleure opinion et, sans doute jalouse de la grande vertu de Véronique, toujours prévenante et affecteuse pour elle.

Durant les premiers mois, la pauvre Véronique passa donc par les plus cruelles souffrances morales, voyant la Supérieure toujours contre elle, ne trouvant d’appui en personne et obligée de lutter contre les bouillonnements de son caractère. Cependant, jamais rien ne vint trahir extérieurement les agitations de son ame. Elle arriva à supporter tout sans la plus petite impatience, même intérieure.

Ce n’était pas la seule cause de tristesse et de tentation pour Véronique. Elle dut les subir toutes. Maintenant qu'elle est enfermée au couvent. L’affection pour les siens se réveille violemment. Elle se désole d’en être séparée. Le démon lui représente vivement les souvenirs de la maison paternelle, elle se voit pour toutes sa vie éloignée des siens. Elle se figure qu’elle a manqué à son devoir en laissant isolée la seule de ses sœurs qui n’est pas encore au couvent.

Je voulus combattre ce sentiment, écrit-elle, mais je ne savais comment faire. J’aimais tant mes sœurs et elles me le rendaient si bien? Je voulus alors essayer de ne plus me compliare en aucune pensée se rapportant à elles. Je le fis, mais à quel prix? Je voulais ainsi accomplir le bon plaisir de Dieu et n’etre qu’à lui seul. Je m’apaisais doucement sans que personne en sût rien.

Dès la naissance de Véronique, le démon avait pressenti en elle une formidable ennemie, une de ses tours imprenables garnie de boudiers d’airain qui défient l’armée infernale. Aussi ne cessa-t-il de lui faire une guerre acharnée, et l’un des cotés les plus extraordinaires de la vie de notre sainte, c’est cette lutte perpétuelle contre l’esprit du mal.

Le démon est cependant toujours vaincu, mais il ne se lasse jamais ; la belle et séduisante Orsola l’avait terrassé dans le monde, il n’en est que plus furieux quand elle devient la soeur Véronique et qu’elle méprise cette beauté dangereuse par laquelle il espérait sa perte. Il vient donc tout de suite recommencer la lutte, et comme les tentations intérieures échouent, il entre à visage découvert en lice. 95

Une nuit, Véronique, après avoir beaucoup prié, avait vécu, dans une extase, l’assurance que deux pécheurs étaient sauvés. Comme elle prenait une dure discipline, elle entendit tout à coup une rumeur effrayante, puis des cris, des grincements, des hurlements horribles, une confusion de voix furieuses et menacante qui l'assourdissaient. Elle comprit seulement ces mots : " Sois maudite, nous réglerons notre compte ". Et la cellule, soudain flamboyante, lui parut pleine d’affreux serpent. Tout disparut en une seconde, et Véronique, très calme, pensa que le diable avait voulu l’effrayer pour l’empêcher de prier pour les pécheurs. Jésus, d’ailleurs, lui apparut ou aussitot, la consolant et la rassurant : " Mon épouse ", lui dit-il, je te remercie de ta charité pour ces âmes.

Cette première escarmouche n’avait pas même ému la novice. Le démon essaya d’un autre moyen plus subtil. Un jour qu’elle était seule dans sa cellule, elle entendit frapper à la porte et reconnut la manière de frapper de la maitresse des novices. C’était elle en effet qui entra et se mit à parler avec Véronique.Celle-ci, à la vue de la Mère, sentit un malaise étrange et inexplicable ; ce malaise augmentait au fur et à mesure que la Mère lui parlait ; d’ailleurs elle lui disait des choses surprenantes.

Je voudrais, disait-elle, vous parler sur un sujet sérieux, mais à la condition que vous vous corrigiez réellement et que vous ne vous contentiez pas de vaines promesses. Promettez-moi d’abord un silence absolu sur ce que je vais vous confier, surtout vous n’en devez rien dire au confesseur ordinaire, ni au confesseur extra ordinaire, à personne enfin. Je veux vous parler en toute liberté et sincérité, parce qu’Il s’agit du Salut de votre âme et de vottre bien que jai à cœur. Il s’agit aussi du monde votre confesseur qui peut-être serait oblige de partir à cause de vous. Il m’est revenu certaines choses qui me donnent beaucoup à penser. J’y ai bien réfléchi, cherchait ce qu’il fallait faire, car j’ai essayé de vous disculper jusqu’à dire qu’il n’y a rien de vrai. Mais hélas, les choses en sont arrivées point que demain le confesseur va recevoir la défense de revenir dans ce couvent. Et ce sera de votre faute.

Ce langage énigmatique, plein d’allusions perfides, tomba sur l’âme de Véronique comme une vague d’amertume et de tristesse, mais elle répondit vivement ; Ma Mère, dites-moi donc ce qui se chuchote ainsi du confesseur et de moi ? Je ne m’en troublerai pas, car, si les choses sont vraies, je chercherai à me corriger ; si elles sont fausses, la vérité éclatera à son heure. Pour moi, quoi qu’on dise, je ne retirerai jamais ma confiance au Seigneur. C’est lui qui m’a donné la force d’être toujours sincère au confessionnal, je le serai encore à l’avenir.

La Mère Maîtresse fâchée, reprit avec colère : " Vous ne lui direz plus rien, et si vous voulez encore mes conseils, vous ne vous confesserez plus. N’allez au confessionnal que si vous avez sur le coeur une faute vous empêchant de communier. Jusqu’ici vous n’avez rien de grave jà vous reprocher et vous pouvez donc communier avec ma permission. " 98

Véronique ne savait trop ou la Mère voulait en venir, mais une inquiétude sombre lui peignait le cœur. Pourtant, inspirée par un secours d’en haut, elle se taisait prudemment, ne voulant pas montrer son agitation. Ne savez-vous donc pas, reprit avec irritation l’étrange Mère, qu'hier soir, à l’infirmerie ou n'a parler que de cela et que toutes les soeurs en sont scandalisées ? Jamais on n’aurait pensé rien de semblable, moi-même j’ai honte de vous le répéter. Eh bien, sachez qu'on assure qu'entre vous et le confesseur, il y a une affection telle que vos discours spirituels se sont changes en mauvais désirs. Que puis-je vous dire de plus ? Osez-vous encore nier ? Plaise à Dieu que vous soyez tous deux sévèrement punis, car c’est un grand déshonneur pour notre Ordre. J’ai essayé de rassurer les gens en leur promettant de porter remède à la chose. Je n’en trouve pas d’autres que de vous défendre de jamais plus conférer avec ce prêtre. Quant à vos affaires intérieures, tâchez de les tenir pour vous et vivez comme tout le monde. Maintenant je vous défends de parler à l’ordinaire et à l’extraordinaire. An nom de l’obéissance, je vous ordonne le secret le plus absolu envers tout le monde, ce sont des choses qui me donnent tant de dégoût et d’ennuis que je ne veux pas les remuer de nouveau. Et je verrai si vous m’obéissez.

Avec une judicieuse présence d’esprit, la novice répendit : Je n’en parlerai à personne sinon à Mgr l’évêque. Je veux lui dire tout ce que j’ai confié au confesseur. Je veux le faire juge de ma conduite. Je suis très scandalisée des racontars des sœurs contre un prêtre honorable. Quand à moi, qu’elles disent ce quelles veulent, je ne mérite aucune considération.

Cette réponse dérouta la Mère. Elle dit, en colère: Je vous défends encore d’en parler à personne. Et pour l’évêque, Dieu vous garde qu’il ait vent de ceci. Obéissez-nous et plus de colloques au confessional, cela apaisera tout. En disant ce mots, la Mère partît.

Véronique courut à complies, car on venait de sonner l’office et aperçut avec stupéfaction la Maitresse installée au chœur, mais n’osa rien lui dire. Elle fut tourmentée toute la soirée, ne sachant quel parti prendre, car elle ne comprenait pas d’où pouvaient venir de si méprisables et injustes accusations. 99

Trop énergique pour rester longtemps dans le doute, elle prit rapidement son parti, alla au confessionnat et raconta au Père tout ce qui c'était passé, il fut facile de dévoiler la ruse infernale. La Mère Maitresse n’était pas allée trouver Véronique et n’avait jamais entendu dire un mot sur elle et le confesseur. Ce religieux devait être rappellé par ses supérieurs pour des motifs étrange au couvent les capucines, et Véronique comprit que le diable avait essayé de profiter de la circonstance pour ébranler sa confiance dans le sacrement de la confession.

Sans se lasser, la démon essaya autre chose. Il fallait perdre Véronique dans l’esprit de ses compagnes, il prit son apparence et se rendit dans la cellule d'une sœur pour lui débiter toutes sortes de méchancetés contre la Mère Maîtresse. Cette sœur, pleine de compassion pour le triste état d’âme de la novice, alla confier sa visite à la Mêre Maîtresse afin qu’elle veillât sur cette jeune sœur qui se perdait. La Mère Maîtresse fut très froissée de la conduite de Véronique et ne lui parla plus pendant quelques jours.

Véronique, attristée de cette froideur, vint trouver la Mère pour la supplier de lui dire en quoi elle lui avait manqué. L’explication éclaircit tout. On constata qu’à l’heure même ou le fantôme diabolique conversait avec la sœur, Véronique était dans la cellule de la Mère Maîtresse elle-même.

Furieux de ces déconvenues, le démon alla se jeter sur Véronique qui priait pour les pécheurs devant l’autel, et la renversa rudement par terre. Elle se releva, heureuse de souffrir, et malgré le tapage de la meute infernale, redoubla ses prières. Le coup resta visible sur le visage de la sœur pendant plusieurs jours.

Peu après, l’ennemi revient l’attaquer dans sa cellule, il lui assène un coup formidable à l’épaule et fait un bruit tel que toutes les soeurs accourent effrayées.

Ainsi, tentée en-dedans, maltraitée au dehors, la pauvre novice subit un martyre continuel. Mais elle a une trempe de caractère peu commune. Elle ne se laisse ni effrayer, ni intimider, elle a le secours direct du ciel et une foi dont il est dit qu’elle transporte des montagnes.

La présence de Dieu, écrit-elle, s’imprimait si vivement en moi que je pouvais me livrer à toutes les occupations possibles sans la voir s’effacer. Au milieu des travaux, elle est souvent enlevée hors d’elle. D’autres fois elle a le sentiment de la présence de Jésus " comme une créature humaine ou encore elle est plongée dans l’océan de la divinité comme le poisson dans l’eau ".

De son côté, Véronique redouble de zele pour se perfectionner, pour se dépouiller d’elle-même, pour entrer davantage dans la voie tracée par Dieu.

" En ces trois ans de noviciat, écrit-elle, le désir de souffrir se ranimait en moi à chaque fête religieuse, ainsi que la volonté d’aimer le Seigneur de plus en plus. Quand ces sentiments pénétraient dans mon cœur, j’étais comme enivrée, je ne m’expliquais pas ces effets subits, je reconnaissait moi une disposition nouvelle, mais je ne comprenais pas, "

Les communications surnaturelles devenaient plus fréquentes dans l’oraison. La nuit, réveillée par des appels mystérieux, elle recevait des lumières, des inspirations, des visions intellectuelles. Elle dit ceci :

Il me semblait dans les visions, que le Seigneur me montrait à moi visiblement comme un maitre qui m'enseignerait et après qu'il avait disparu, je gardais nettement la science acquise.

" Deux fois, pendant que je travaillais, j’entendis une voix sensible qui me disait : " Viens à moi. " Je laissai là mon ouvrage pour courir à l'église et aussitôt en prières, j’étais ravie. Je voyais le Seigneur sous diverses figures, enfant, dans sa Passion, puis ressuscité, il me disait que je devais prier pour beaucoup d’hommes qui vivaient dans sa disgrâce et qui l’offensaient, j’aurais tout donné pour le salut de ces malheureux. ·

Il m'arriva que j’eus connaissance, après, de la conversion de ces pécheurs. Plusieurs fois le Seigneur me les désigna, afin que je les lui recommande avec plus d’ardeur.

La conversion des âmes, n’est-ce pas la vocation de Véronique ? N’est-elle pas créée pour la conversion des pécheurs et la délivrance des âmes du purgatoire ? Aussi, rien ne l’enflamme comme leur souvenir. A peine entrée au couvent, elle s’offre à Dieu comme médiatrice et sa haine du péché n’est égalée que par son amour pour les pécheurs.

L’amour des pécheurs, c'est l'amour de Jésus, car il est mort pour les pécheurs, et la pensée de Jésus fait bondir son coeur dans sa poitrine, il frappe de grands coups. Il devient brûlant. J’étais comme folle, dit-elle, je ne pouvais m’appliquer à rien. Je courais à droite et à gauche en criant : Mon Dieu brulez-moi, consumez-moi! Venaient les brusques retour à la tristesse, l’horreur de la compassion. Elle aurait voulu, en entrant au couvent, faire une confession générale et elle ne pouvait pas s’y résoudre, Les cruautés qui la tourmentait depuis si longtemps empêchait tout le bien qu’elle eût pu retirer d’une bonne diretion. Elle pleurait quelquefois des heures durant dans cette angoisse ; ce ne fut qu’à la fin de son noviciat qu’elle vainquit cette tentation dangereuse. Véronique en une confession complète, et, du coup, avait à jamais reconquis la paix.

Il me semblait, écrit-elle, que je ressuscitais (1). Le noviciat de notre sainte fut prolongé au delà du temps ordinaire parce que l’habitude, dans le couvent, était de n’admettre aucune novice comme professe, sans qu’elle fut remplacée au noviciat. Il arriva qu’aucune nouvelle recrue ne vint frapper à la porte des capucines pendant quelques mois. Nous n’avons d’auteurs aucun détail sur cet acte solennel de la vie de Véronique. Elle n’en dit rien dans ses relations, mais on peut juger, par la ferveur de la novice, de l’excellence des sentiments qu’elle ressentit en formulant ces vœux irrévocables, qui la liaient pour toujours à Dieu. 103

  1. Ses confesseurs ont déposé qu'ils étaient convaincu que Véronique avait conservé l’innocence baptismale. Ses confessions particulières ou générales étaient dépourvues même de matière à absolution, et souvent ils étaient embarassés de trouver en elle des sujets de réprimandes.
CHAPITRE VI

LES EMPLOIS DU COUVENT. VICTOIRES HÉROÏQUES. MIRACLES. COMMENCEMENT DU JOURNAL. HORREUR DU PÉCHÉ. MEDITATION DIFFICILE. AMOUR DE JÉSUS. PÉNITENCES.

Aussitôt après sa procession, Véronique commença la vie régulière. On lui confia des emplois. Elle fut tour à tour cuisiniere, dispensaire, lingère, infirmière, panetière, sacristine, jusqu’au jour ou elle fut élue maitresse des novices, puis abbesse.

Le jeune lion en cage était maté ; il ne restait plus qu’une religieuse ardente et courageuse, brûlant du désir de la perfection en tout. Les témoignages de ses contemporaines nous la dépeignent comme uniquement soucieuse de s’acquitter de son devoir, toute dévouée a ses sœurs, mettant une activité et une attention scrupuleuses pour bien remplir son emploi. On lui en coûtait pourtant. D’abord parce que la douceur de l’oraison et de la contemplation lui faisait désirer d’y pouvoir rester toujours, puis elle avait beaucoup à se surmonter pour exécuter sa tâche.

On a vu que, dans sa famille, elle détestait rester tranquille, n’aimait ni la couture ni aucun ouvrage manuel, enfin était d’une délicatesse excessive pour tout ce qui touchait la propreté à la nourriture , à elle-même. Son estomac se soulevait pour un rien, une chose malpropre lui donnât des nausées. Elle devait donc lutter avec elle-meme pour ainsi dire, à chaque instant de journée. Elle n'hésitait pas à entreprendre la lutte contre cette chair trop affinée et sensible. Ce fut avec cette intrépidité qu’elle mettait en tout. Elle voulait vaincre la chair complètement, elle la vainquit. La cuisine fut le champ clos de ses plus beaux faits d’armes tout d’abord, elle avait horreur de toucher le poisson, encore plus de le nettoyer. Pour vaincre ce dégoût, elle prit un poisson dans sa chambre et le laissa jusqu’à complète putréfaction. Lorsqu’il fut plein de vers, elle se força de le humer longtemps et même à en goûter. Depuis, assure-t-elle, elle n’eut plus jamais de dégout pour le poisson frais.

L’existence matérielle des capucines était plus que frugale. C’était une austère et perpétuelle abstinence, exigeant une perpétuelle mortification. Jamais les sœurs ne mangeaient de viande. Elles jeunaient tous les jours de l’année, excepté le dimanche. Leur premier repas consistait en une soupe aux légumes ou à quelque farine et un œuf. Quelquefois, à la belle saison, un fruit. Aux jours ou l’on ne mangeait pas d’œufs, c’est-à-dire aux carêmes de l’Avent, de l’Église, du Saint Esprit, aux mercredis, vendredis et samedis de chaque semaine, outre la soupe de légumes, on avait une portion de poisson frais ou salé. Encore n’en pouvait-on la déployer que cinq livres pour toute la communauté qui comptait trente-trois religieuses et une servante. Le soir, pour la collation, on cuisait une panade avec une poignée de pain pour celles qui en avaient besoin à cause de leur estomac. Les autres avaient de la salade avec un petit morceau de pain ou un fruit, comme un peu de raisin, deux chataignes, deux noix, une pomme, un radis.

Ce menu ne donnait pas grand' peine à la cuisinière; Véronique y trouvait l’occasion cependant d’y exercer plusieurs vertus.

La soeur converse qui l’aidait, la Sœur Francesca, était une femme grossière et sans éducation. Véronique l’impatientait et elle ne se gênait pas pour le lui faire sentir. Elle obligeait la sainte à travailler sous ses yeux, comme si elle eût été une enfant indocile et maladroite qu’il devait surveiller, puis elle l’envoyait dans les endroits malpropres du couvent pour en oter les ordures. La sœur Francesca, dans ses moments d’humeur, grondait Véronique de ce qu’elle ne travaillait pas assez et comme pénitence, lui enlevait son voile noir pour lui remettre le voile blanc des novices.

Véronique acceptait tout avec bonne grâce et en silence ; bien plus, elle avait réussi à trouver des moyens de se mortifier dans son emploi de cuisiniere. Elle ramassait les restes de la soupe des religieuses, surtout des plus vieilles et des moins ragoûtantes, et s’en nourrissait. 106

Mais que de luttes avec son estomac révolté! Le démon, connaissant sa délicatesse naturelle, espérait la mettre hors d’elle à force de la dégouter. Tantôt elle trouvait dans son écuelle des poignées de cheveux, des souris mortes, des punaises ou encore des sangsues, des araignées, les bêtes les plus immondes. Véronique s'efforcait d’avaler ces horreurs, mais la violence qu'elle s'imposait était telle que plus d’une fois, la mère Vicaire, Florida Ceoli la voyant près de se pamer, faisiat enlever son écuelle.

Vaincu de ce coté, le démon s’en vengeait à la cuisine. Plusieurs fois il renversa Véronique sur le feu et l’y maintenait. C’était miracle qu’elle ne fut pas brûlée; ou bien il la rouait de coups, arrachait la marmite de la cremaillère et répandait la soupe sur le sol (1). Véronique riait, recommençait la soupe et se moquait du démon.

Après ces attaques, Jésus venait aider sa fille bien-aimée. Il se plaisait à répandre le miracle par ses mains. Un jour, elle avait du laver un pot encore à demi rempli de fromage. Elle avait jété le fromage et, quand le pot fut propre, elle dit à la soeur qui l’aidait ; Remettez ce fromage dans ce pot et arrangez-le bien. La soeur obéit, et non seulement elle remplie le pot jusqu’au bord, mais elle en eut pour remplir encore douze formes. En allant chercher le fromage au fur et a mesure des besoins, la soeur vit ce nombre de douze augmenter jusque dix-huit.

(1). La soeur Francesca fut témoin plusieurs fois de ces faits effrayants. Elle voyait la marmite enlevée tout à coup de la crémaillère et lancée au loin, ou encore Véronique jetée par terre comme par une force invincible. Plusieurs fois Véronique multiplia ainsi d’une manière merveilleuse la provision d’oeufs du couvent. On avait envoyé au couvent deux petits poissons, si petits qu’ils eussent à point suffi pour une personne. La Sainte les accommodat et les servît au repas de la communauté. Tout le monde en eut et ce qui en resta put encore nourrir les soeurs pendant deux jours.

Comment faites-vous donc ? demandait la soeur convers, tout émerveillée, pour faire ainsi durer ces poissons ? – Mangez, mangez, réponda vivement Véronique, et ne vous creusez pas la cervelle inutilement.

On prit l’habitude, dans les moments de grande détresse, quand le garde-manger était vide, d’appeler la sœur Véronique. Ayez donc confiance en Dieu! disait-elle doucement. Et tout à coup on sonnait à la porte du couvent pour apporter quelques vivres, ou bien, sous sa main bénie, le reste des provisions se multipliait. Il y avait au couvent un autre emploi qui plus encore que la cuisine, exigeait un grand empire sur la nature trop delicate : c’était l’infirmiere. Véronique dut combattre son dégout avec plus de violence encore qu’à la cuisine.

Mais personne s’en apercut. Elle était une infirmière modèle par son dévouement, son zèle, sa patience. Il est vrai, que , dès l’abord, elle avait voulu anéantir toute répugnance sensible par un de ces actes héroïques qui révoltent notre délicatesse, mais que peuvent accomplir seuls les saints. La maitresse des novices ayant un ulcère à la bouche, Véronique devait y mettre une emplatre de certaines herbes. Quand elle renouvellait le pansement, elle allait manger en cachette l’emplâtre souillée pour se punir de ses dégouts.

Le ciel récompensait de tels actes par d’éclatants témoignages de sa protection speciale. Vertu ! que cherchait à cacher soigneusement toutes les graces extraordinaires qu’elle recevait et elle y réussissait si bien, que plusieurs de ses compagnes ignoraient la perfection de sa vie et sa haute spiritualité. Mais il arrivait subitement, à la grande confusion de la Sœur, quelque prodige impossible à dissimuler qui ouvrait les yeux des plus distraites. Telles furent les extases nombreuses qui enlevaient subitement la sainte au milieu de ses occupations, comme ce jour ou, travaillant à la cuisine avec deux sœurs, toutes les trois chantaient un cantique. Tout au coup Véronique s’affaisse sur l’épaule de soeur Claire Felice, sa voisine. Son visage s’illumine et devient d’une beauté merveilleuse. Les soeurs effrayées n’osaient bouger, lorsque enfin Véronique revint à elle, elle voulut s’excuser par une plaisanterie : J’ai fait un sonnet qui m’a été au cœur, dit-elle (1). Plusieurs fois ces extases se renouvellent, mais quelques sœurs et la mère Abbesse disaient que c’était de l’épilepsie. Un jour qu’elle était ainsi tombée au réfectoire, on la porta dans la sa cellule et on fit venir le confesseur, qui était alors le Père Cavanozza, dominicain. Le religieux examina Véronique, puis à son réveil, l’interrogea minutieusement. Il dit à l’Abbesse de ne pas s’inquiéter, mais à dater de ce jour, il ne douta plus de la sainteté de Véronique.

Ce fut l’an 1693 que notre sainte commenca son journal sur l’ordre de son confesseur le P. Girolamo Bastiannelli. Dès son entrée au couvent, les soeurs de Véronique, l’évêque et les confesseurs avaient reconnu les états d’Âme extraordinaires de la jeune soeur, Ils connaissaient ses extases, ses visions, les attaques diaboliques et reconnaissaient en même temps en elle une perfection déjà très élevé, une humilité, un amour de Dieu et de la souffrance en dehors des vertus ordinaires pratiquées au couvent. On constata avec une grande prudence que la jeune sœur n’était ni épileptique, ni hystérique rien d’anormal en elle. Sa santé était parfaite, quoique de complexion délicate, et sa vivacité, l’ardeur de son tempérament n’avaient rien de malsain, de nerveux ; elle était pondérée entout, très raisonnable, sensée et intelligente.

(1) On sait que, Véronique s'adonnait à la poésie. On conserve quelques pièces de sa composition au couvent de Citta di Castello. 110 Il fallait donc chercher ailleurs la cause des faits anormaux de son existence. C’est alors que le P. Bastianelli lui ordonna d’écrire jour par jour, dans le plus grand détail, tout ce qui lui arrivait dans la journée. Il voulait pouvoir étudier attentivement le mysticisme de Véronique, et suivre au jour le jour le travail surnaturel opéré en son ame. Déjà le prédecesseur du P. Bastianelli, le P. Cappelleti (1), avait commandé à sa pénitante d’écrire une relation de sa vie jusqu’à son entrée au couvent. L’évêque lui en fit faire une autre et Véronique dut, à plusieurs reprise, en écrire de nouvelles. Il nous en reste cinq. Ces relations lui coûtaient beaucoup, d’abord parce que son humilité s’enrayait d’être obligée de partir d’elle-même avec cette franchise, et aussi parce qu’elle craignait d'oublier quelque chose, ou de ne pas dire assez bien la vérité. Combien elle fut atterrée lorsqu’elle reçut l’ordre d’écrire un journal.

(1) Le P. Ubaldo Cappelletti, de l’Oratoire, d’une grande réputation de sagesse et de sainteté.

Jamais le Seigneur ne lui imposa croix plus lourde et plus pénible. Cette horreur pour son journal, elle la garda toute sa vie ; l’heure on elle l’écrivait lui semblait plus pénible que les plus cruelles disciplines, et il faut insister une fois pour toutes sur cette répugnance douloureuse, parce que, à la lecture de ces pages, écrites avec tant de facilité et de verve, on croirait volontiers qu’elles étaient écrites avec plaisir. D’aucuns même se sont étonnés que l’humilité de la sainte ait pu se plier à raconter tant de choses glorieuses pour elle. Il est notoire, de l’avis de tous les confesseurs, des supérieures et des compagnes que toujours Véronique a souffert en écrivant. Souvent elle pleurait amèrement, mais elle se soumettait à ce qu’on lui commandait. L’obéissance fut une des plus grandes vertus de la sainte. En écrivant son journal, elle la pratiqua héroiquement et, si elle raconte des choses flatteuses à son égard, c’est quelle n’aurait voulu à aucun prix manquer à la sincérité. Sous ce rapport, elle était surveillée de très près et très sévèrement par ses confesseurs qui, à chaque instant, lui défendaient très durement de rien omettre dans ses récits (1).

J’ai écrit par ordre de mon confesseur, et avec grande répugnance, tout ce qui se passa en moi en 1693.

(1) Voici ce que l’archiprêtre de l’église Saint-Eustache à Rome, Don Romero Maria Guelfi, déposa au procès (il avait été confesseur de la sainte) : Autant la soeur Véronique avouait facilement ses défauts, autant elle répugnait à faire connaître les dons surnaturels, grâces et faveurs singulières qu’elle recevait avec des signes apparents de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge. Il fallait obliger, en vertu de l’obéissance, pour obtenir d’elle des details et des renseignements. Elle avouait alors, mais avec des paroles de doute : Il me semble avoir compris, c’était peut-elle ainsi. Si bien que je la grondais de ses réticences et je devais l’obliger à déclarer les faits plus largement, à découvrir davantages son âme et les miséricordes divines. Le même prêtre dit encore qu’il dut lui défendre de parler de ses péchés. 112 Telles sont les lignes de début du journal. Dieu voulait que ce début coincidât avec le commencement des merveilles qu'il allait opérer en Véronique, et vraiment cette année fut pour la sainte une année de préparation pleine de mystères.

A la Fête-Dieu, une vision lui montre le Seigneur resplendissant de tout l’éclat de ses saintes plaies. Il lui présentait un livre composé de trente-trois feuilles. Chacune de ces feuilles était marquée d’une croix. Elle signifiaient à la fois les trente-trois années de la vie du Sauveur et les trente-trois ans que la sainte avait encore à vivre ici-bas, années de grâces, mais aussi années d’amères souffrances.

Véronique, aussitôt, se remit tout entière à la volonté divine, brulant de commencer bien vite sa vie expiatrice.

A cette vision céleste succéda une vision d’horreur. Le Seigneur montra à la sœur un abime immense d’aspect épouvantable, plein d’épines, de tortures, de monstres. Elle se croyait seule au milieu des démons ; elle sentait son Âme livrée à la tentation, accablée de tristesse, prête au découragement. Le Seigneur vint la fortifier, mais elle resta plusieurs jours sous l’impression de cette terrible scène et comprit que Dieu voulait qu’elle en gardât le souvenir pour entretenir en elle un ardent désir de faire pénitence.

" Ce serait toutes mes délices de faire pénitence, s’écrie t-elle, si on me le permettait!

Le Seigneur lui commanda de dire à son confesseur qu'elle voulait et que sa vie fut une continuelle souffrance. Pour signe de cette volonté divine. Véronique allait être affligée d’un mal de tête, mais son cœur était plein de joie.

Ce fut ensuite une longue alternative de tentations, de craintes, d’ennuis, entremelées de visions, d’extases, qui l’a ballotaient continuellement entre la tristesse et la joie. Pour la première fois, alors, lui apparut cette grande croix prophétique qui, désormais, lui appparaitrait avant chaque épreuve à subir. Croix malsaine, sombre et nue, dont la vue lui faisait éprouver une véritable angoisse. Quelquefois elle était entourée de croix plus petite qui se multipliaient à l’infini. Toujours ses visions augmentaient en elle le désir de la souffrance, cette "ansia di patire", intraduisible en notre langue, qui marque si bien la soif de souffrances de cette âme surhumaine.

Il me semble que je ne pourrais rester un instant sans ces joyaux de douleurs, s’écrie-t’elle.

En offrant ainsi à Dieu comme une victime d’expiation, Véronique entrait en lutte ouverte avec le démon, à qui elle allait enlever des milliers d’âmes ; il fallait arrêter cette ennemie dès ses début et se servir de ce cœur brûlant peut l’entraîner dans une chute irrémediable.

Tout d’abord, Véronique fut assaillie de tentations de désespoir. Le démon lui grossissait ses péchés pour l’envoyer et la décourager ; puis il lui montrait tous ces jeunes gens du monde qu’elle avait connue, qui avaient tant essayé d‘éveiller son amour. Elle les voyait dans toute leur élégance, leur grâce, leur séduction. Ces fantomes se livraient alors devant elle à toutes sortes d’actes abominables, et même le démon, plus d’une fois, prenant l’apparence même de la sainte, se mêlait à ces orgies. Véronique souffrait horriblement, mais se raidissait d'autant plus contre la tentation. Le hideux spectacle terminé, le démon essayait de persuader à Véronique qu’elle avait péché par la vue et que, par conséquent, elle n’avait plus besoin de se fatiguer à faire pénitence puisqu'il n’y avait plus de remède à sa chute. Ces tentations jetaient la pauvre sœur dans d’horribles angoisses. Elle n’en sortait qu’en faisant un violent effort sur elle-même et en protestant devant Dieu qu’elle aimerait mieux mourir mille fois que de commettre un péché mortel.

Pour un coeur pur comme celui deVéronique, ces attaques diaboliques étaient un supplique affreux. Si le Seigneur voulut qu'elle les subit pendant de longues années, jamais il ne permit qu’elle en ressentit la moindre impression malsaine. Au contraire, elle paraissait sortir de ces heures affreuses, plus pure, plus ardente de charité, surtout plus ennemie du péché. Il fallait qu'elle sut ce qu’était ce mal hideux, puisqu’elle avait pour mission de l’expier, et les tentattons fortifiaient son horreur du mal. Elle comprenaient mieux la grandeur de l’injure à Dieu. 115

Pour expliquer l’horreur intense que la vénérable soeur Véronique portait à toutes sortes de péchés, déclare un confesseur, voire même a la plus minime imperfection volontaire, je devrais avoir son propre esprit, car il me serait impossible d’exprimer l’abomination et la répulsion qu’elle éprouvait contre tout ce qui offensait Dieu ou lui déplaisait. Dans ses confessions, la douleur qu’elle concevait pour quelques fautes légères de son launce, la faisait quelquefois tomber à demi-morte à mes pieds. Quand elle disait : " J’ai offensé Dieu ", on eut dit que son cœur allait éclater dans sa poitrine, par la violence de sa contrition. Elle en perdit la respiration jusqu’à étouffer ! Ses accusations montraient une connaissance éclairée des moindres replis de son âme ; elle savait les plus petits effets de sa volonté, et son humilité grossissait si bien ses moindres faiblesses qu’on n’aurait pu confesser avec plus d’énergie d’énormes crimes. Lorsqu’elle commençait a parler de ses ingratitudes envers Dieu, elle s’accusait avec de tels sentiments de douleur et de repentir, qu’elle tremblait de tous ses membres par l’horreur de sa témérité. Elle s'efforçait de me prouver qu’elle était la créature la plus, perverse, la plus inique, la plus exécrable du monde, et s’émerveillait que je puisse la souffrir et que les religieuses puissent tolérer sa présence parmi elles.

On croirait avec peine qu’une âme aussi imprégnée d’amour de Dieu eût tant de difficultés à soumettre son esprit à la méditation. Il faut entendre ici les exercices spirituels que lui imposait la règle et qu’elle s’efforcait en vain de suivre, car elle connut, bien avant d'entrer au couvent, la sublime douceur de l’UNION affective avec Dieu et les longues heures passées dans une élévation de l’âme en Dieu qui la détachaient de tous ses entours. Mais devoir approfondir un sujet donné, le méditer selon certaines règles pendant le temps prescrit, cela lui était impossible. Elle voulut cependant s’y astreindre. Elle dit qu’elle prenait un livre pour se fixer un sujet ; mais, à peine le livre fermé, le sujet est oublié. Elle ne peut arriver à diviser ce sujet en deux ou trois points, à les parcourir successivement. Tous lui semblent fastidieux, sans charmes, sauf un seul : la Passion du Sauveur. Oh! pour celui-là, elle n’a pas besoin de livres ; tout de suite son âme et son cœur sont absorbés, elle ne médite plus, elle contemple ; d’un bond, elle est ravie jusqu’à son Bien-Aimé. C’est dans la Passion de Jésus qu’elle trouvera sa nourriture spirituelle. En dehors d’elle, Véronique ignore tout.. 117

Je ne me suis jamais servie de mon imagination, dit-elle. Mais je prenais ces trois points : Qui est celui qui souffre ? Avec quel amour souffre-t-il? Pour qui souffre-t-il ? Parfois un de ces points suffisait pour remplir mon cœur du désir de la souffrance étants je ressentais des coups au cœur qui me stimulaient pour me mettre en la présence de Dieu. Je lui savais plus ce que je lisais, car j’était a toute saisie par cette présence de Dieu.

Sa contemplation intérieure durait ainsi, non seulement pendant les heures d’oraison, mais au milieu de toutes ses occupations. Elle exécutait toutes sortes de travaux, toujours parfaitement bien, sans savoir, pour ainsi dire, ce qu’elle faisait, et elle travaillait avec une rapidité qui stupéfiait ses compagnes. 118

Elle l’avoue elle-même : Mon travail était si rapide, ecrit-elle, qu’il m’arrivait d’exécuter en une heure ee qu’autrement j’eusse mis’ une journée à faire.

Dès le commencement de sa vie religieuse, l'amour de Jésus prit possession de son cœur et en fit un foyer toujours plus ardent. Cette ardeur se manifestait même au dehors. Elle brûlait parfois si violemment qu’elle devait rafraichir sa poitrine avec de l’eau froide. Encore, à peine les compresses fraiches étaient-elles appliquées sur la peau, qu’elles se séchaient comme auprès d’un grand feu. Un de ses confesseurs, le P. Ubaldo Cappelletti, voulant s’assurer de ce fait, pria deux religieuses de commander à Véronique, en son nom, de plonger ses mains et ses pieds dans l’eau froide en leur présence. Elle obéit et l’eau se mit à bouillir au contact de ses membres, comme sur un feu ardent.

Cet amour ardent pour Jésus se manifestait surtout en la présence du Saint Sacrement. Les

soeurs voyaient son visage s’irradier devant la divine présence ; elle étais hors d’elle-même à la vue de l’hostie. Aussi malgré sa prudence à cacher les élans extraordinaires de son âme, ne savait-elle pas toujours se contenir et trahissait involontairement la violence de ses sentiments. Une des occasions ou elle se decouvrait ainsi, c’était à l’infirmerie, lorsqu'elle portai la communion aux malades. Pendant qu'elle remplissait les fonctions d’infirmière, elle les remplit à plusieurs reprises, elle ne pouvait, dès la veille, se contenir de la joie à l’idée de la visite divine du lendemain. Elle va à la rencontre de l’Hote divin et bouscule presque les soeurs pour être plus près du prêtre. A la vue de l’hostie qu’on élève avant de communier l’infirme, la sainte " doit se tenir à quatre pour s’empêcher d’aller baiser son Jésus. Après la communion, elle demande la pixide à baiser ; elle voulut la tenir un instant dans ses mains ; elle est hors d’elle, et c’est sans doute pour calmer un peu ce grand naif et ardent amour que nous voyons le pretre, à chaque communion à l’infirmerie presenté la pîxide à baiser à Véronique, faveur extraordinaire et tout à fait en dehors du rituel. Plus d’une fois, ce baiser ravit la sainte en extase. On la voyait suivre le prêtre, comme poussée par un instant invincible, puis arrivée à l’église, y recevoir la sainte communion, sans sortir de cette extase qui se prolongent encore après. 119

Pour apaiser cette flamme dévorante, il fallait à Véronique le martyr, parce que la souffrance seule il paraissait l’hommage nécessaire qu’elle devait à Dieu pour expier le péché et compenser l’injure qu’il en recevait.

Aucune sainte n’a surpassée, croyons-nous, Véronique Giuliani dans la somme de souffrances volontairement déposée ; le Dieu seul en est si effrayant, qu’Il semble presque incroyable. Il faut les attestations répétées des témoins de sa vie, des superieurs, des confesseurs, des autres religieuses, pour accepter un tel mépris de la nature humaine et un courage aussi grand dans la torture.

On peut dire que Véronique a souffert presque journellement la mort dans ce qu’elle a de plus terrible, de plus douloureux ; et sa vie, au point de vue de la souffrance, fut un miracle de tous les instants. Arrêtons-nous un instant à compter ces pénitences.

Voyons, par exemple, celle que notre sainte appelle la procession Elle fait cela avant matines, pendant que les autres sœurs dorment. Souvent elle appelle une compagne pour cet exercice, mais elle le fait aussi seule. Ca consiste à parcourir tous les endroits de dévotion du couvent la chapelle, le jardin, les petits autels, tout en faisant le chemin de la croix et en récitant des prières ; mais ce chemin, elle le suit sur les genoux ou en portant une croix. Le démon, que ces prières mettent en furie fait alors un tapage affreux : cris, hurlements, soufflements on croirait le jardin rempli d’animaux féroces. Les pauvres sœurs (1), épouvantée, s’ecrit-elle! A Véronique qui rit et se moque de son impuissant adversaire.

Mais la procession seule était plus pénible. Notre sainte se chargeait d’un des bancs de ta petite chapelle du jardin, appelée la chapelle Saint'lau, ttubten d'une espèce de cep formé d’une pièce de chene d’un poids énorme (2). Elle avait aussi fait faire une grande croix en bois de chêne qu’elle ne pouvait traîner qu’un instant. Tout en portant sur ces épaules l’un ou l’autre de ces lourds fardeaux. Véronique méditait la Passion du Sauveur et priait pour les âmes. Elle suppliait Dieu de lui donner, à chaque procession, plusieurs conversions de pécheurs et une âme du purgatoire. Souvent, pour cet exercice, elle mettait la terrible, robe brodée qui l’effrayait elle-même. Cette robe était un de ses vieux habits sur lequel elle avait cousu, en dedans, un semis d’épines acérées. Elle la déchirait si fort, que son passage était marqué d’une longue traînée de sang. Il fallut que son confesseur lui défendît de la porter en dehors des instants précis où il le lui permettait. La procession finissait par une flagellation impitoyable jusqu’au sang.

  1. Elena Massoccio de Sienne, en religion Sœur Anna, une des seize fondatrices du monastère de Citta di Castello, était la compagne ordinaire des processions nocturnes.
  2. On conserve encore ce cep au couvent de Citta di Castello. Un homme robuste ne peut le soulever de terre qu’avec peine.
Quelque fois la sainte recois la permission de se livrer à toutes les pénitences qu’elle veut. A la vigile de saint Laurent 1693, entre autres, elle s’était fabriquée une sorte de gril en épines. Elle s’y coucha en récitant trois Miserere, le plus lentement possible.

J’eus de grandes consolations dans ce tourment, écrit-elle. Il me semblait être sur un lit délicieux et tout fleuri.

En se levant de ce lit, Véronique fit l’exercice de la prison. Il constatait à se glisser sous son lit et à y rester tongtemps. Comme le lit des sœurs était très bas, elle ne pouvait remuer et était presque étouffée.

Pendant cet exercice, dit-elle encore, mon désir de souffrir augmentait ; je ressentais un détachement complet des créatures. Mon cœur s’élançait vers Dieu. "

Au grand jour, elle sort de la prison.

Je commençât alors à me parer, poursuit : elle avec une cruelle ironie. Je mis le cilice et la chaine, je me donnai 666 coups avec des épines en mémoire de la Flagellation du Seigneur et pour m’unir aux souffrances de saint Laurent. Elle termine par l’exercice de la prière, c’est à-dire elle tient sa langue écrasée pendant longtemps sous une grosse pierre, pour expier les blasphèmes des impies. 122

Le surlendemain, c’est la vigile de sainte Claire et Véronique a obtenu encore toute liberté de se torturer. Le diable vint la tourmenté toute la nuit, ce qui ne l’empechait pas de se donner la discipline pendant l’espace de cinq Miserere et de ne mettre en sang ; après quoi elle endosse la robe brodée pendant cinq heures et ne l’a change que pour le cilice et la chaine serrée autour du corps, en portant la grande croix.

Enfin, ce fut la vigile de l'Assomption. Pendant la nuit, courbée sous le pesant cep et en compagnie de la soeur Anna, Véronique est deux processions. Tout en parcourant ainsi le couvent, elle priait ardemment pour la conversion des pécheurs et la pensée des âmes pécheresses lui causait tant de chagrin qu’elle à plusieurs fois sur le point de s’évanouir. Ne pouvant plus avancer, tant elle souffrait, elle pria sa compagne d’achever seule la procession. Puis elle voulut vaincre cette faiblesse et s’imposa de refaire tout le parcours des jardins, des galeries, des escaliers, sur ses genoux nus, allant le plus lentement possible, pour souffrir davantage.

Le démon, alors, essayait de la distraire. Véronique l’entendait courir autour d’elle, elle surprenait des bruits étranges. Dans le jardin obscur un grand être en blanc, d’aspect effrayant, arriva à elle. Pour la première fois, elle eut peur ; mais voyant que la sœur, à côté d’elle, ne s’apercevait de rien, elle cacha sa frayeur, et les attaques diaboliques disparurent.

Rentrée dans sa cellule, Véronique commença à se déchirer avec des épines.

Il ne pouvait m’empêcher de les baiser, dit-elle, tant elles me portaient de consolations. Oh comme les flagellations me sont chères!. Comme je suis triste de ne pouvoir m’en donner plus, car, dans ces instants, elles me semblent toujours trop courtes.

A la suite des épines, c’est la chute, discipline à sang et quelques autres pénitences qui durèrent toute la nuit. Après, je ne savais plus que faire, dit-elle naivement. Et elle demande à Dieu, puisqu'elle est a bout d’invention, de la faire souffrir lui même. Elle est exaucée pendant trois heures, ses nerfs sont irrités par un mal aigu et un gonflement de la tete très douloureux. " Tout pour l’amour de Dieu! " conclut-elle.

Mais ce n’est pas encore assez. Véronique a trouvé, dans les objets hors d’usage du couvent, une enveloppe de sablier en cuivre sur Jteque, en relief, est marqué le chiffre de Jésus. Ce nom sacré, elle le fera chauffer à blanc, puis se l’imprimera sur le corps. Elle a aussi une croix de fer longue de 19 centimètres. Cette croix est dentelée et a cinq pointes en forme de clou. À la partie supérieure, il y a un petit cercle en cuivre dentelé, elle la porte sous le cilice, bien serrée, et elle s’imprime en lignes sanglantes sur sa peau. 124

Il y a aussi le bouquet d’épines qu’elle place sous son lit (1).

  1. La soeur Francesca assure qu’un jour, ayant remplacé Véronique à l’infirmerie pendant qu’ elle était infirmière, elle voulut aller se reposer sur son lit et se blessa cruellement avec les épines dont il était parsemé. Elle demanda à Véronique pourquoi elle mettait alau des épines sous sa couche, ce à quoi celle-ci répondit en riant qu'elle avait voulu faire une farce et s’informa avec sollicitude si la soeur ne s’était pas blessée.
Ecoutons ce que dît son confesseur, le P. Tassinari : " Entre les plus dures pénitences de Mère Véronique, l’une d’elle consistait en une grande croix de bois fiché solidement contre la muraille.

A chaque bras de la croix un anneau était ancré dans lequel passait une corde que Véronique pouvait à chacun de ses poignets. Sa confidente, la sœur Giacinta, venait tirer les cordes, et Véronique se trouvait ainsi suspendue en l’air, tout te poids de son corps pesant sur les bras écartés.

Comme elle faisait cette pénitence la nuit et pendant peu de temps, il arriva que soeur Giacinta, une fois, ne se réveilla pas et ne vint pas à l’heure dite détacher la patiente. Lorsqu’elle accourut enfin au matin, Véronique était presque morte, et dès lors on lui interdit ce supplice volontaire.

Quelquefois, la sainte s’accroupissait sous une manne, y faisait poser, sur le fonds renversé, de gros poids par la complaisante soeur Giacinta. Elle restait ainsi dans cette position fatigante plusieurs heures, et fut aussi oubliée quelquefois de la bonne sœur.

C’est encore sœur Giacinta qui plaçait le cep si lourd sur les épaules de Véronique, pour les processions de nuit et qui valait la sainte, ployée sous ce fardeau parcourir à genoux les allées du jardin, la nuit, par le gel. C’est toujours la meme qui décrit les tenailles que Véronique faisait rougir au feu pour se tenailler le corps, qui l’a voyait, sur ses plaies, sur ses déchirerures faire coule la cire brûlante d’un cierge. C'est elle qui suivait discrètement de loin l’insatiable martyre, montant sur ses genoux l’interminable escalier de l’infirmerie , y tracant à chaque marche une croix avec sa langue. Et, aux dernières marches, la croix restait imprimée en rouge de sang.

Giacinta a vu les pois que Véronique mettait sous ses pieds, dans ses sandales elle a vu sa cellule ou, après ses disciplines, le linge dont elle s’était essuyée baignait dans une mare de sang. Je crois, dit la sœur Giacinta, tant elle était ardente à la pénitence et cruelle pour elle-même qui, si elle n’avait pas été retenue par l’obéissance, elle se serait tuée en se coupant en petite morceaux.

Et c’était la lutte journalière entre le confesseur et Veronique : celle ci implorant avec larmes la permission de souffrir, celui-là ayant grand' peine à arrêter cette folie de la croix. On finit même par lui interdire toute pénitence lorsque, ainsi que nous le verrons, le ciel se chargea d’infliger lui-même la souffrance à la sainte. 126

Lorsque je dirigeais la Mère Véronique, dépose Dom Raynario Guelfi, le Seigneur Dieu lui donna tant à souffrir qu’elle pouvait à peine à rester en vie. Aussi, je lui défendis de faire d’elle-même aucune pénitence dure et extraordinaire sauf celle que font les autres religieuses. Elle obéit, mais je sais qu’autrefois, d’après les sœurs, elle avait fait des mortifications terribles.

L’erreur serait grande de croire Véronique au-dessus de toute sensibilité, s’imposant de telles tortures sans frayeur. Elle n’engageait jamais ainsi sans trembler l’heure de la discipline, de la procession, de la croix.

Mon humanité dit-elle, ne peut parler de parler de ces choses. Elle reste toujours la-même, comme le premier jour. C’est la seule excuse de toutes ses grogneries. Mais je n'y fais pas attention. Elle est servante, qu’elle se confine à sa place de servante!.

Pour Véronique, la chair, c’est l’ennemie qu’il faut vaincre, et son journal est plein du récit de cette lutte ; il y a des passages charmants où elle apostrophe cette nature humaine en elle qui se regimbe devant les tenailles ou la robe brodée.

Après une nuit on elle s’est imposé une série de supplices et rêve de se plonger dans de nouvelles tortures, elle écrit : " Je m’ennuyais de trouver ma nature humaine si peu forte, car j’avais une douleur de nerfs qui me dura toute la nuit. L’humanité allant se lamentant toujours. Jamais elle ne s’arretait. Elle gémissait d’être traitée sans discrétion et qu’on n’avait pour elle aucun égard. Elle criait qu’elle n’en pouvait plus et moi je projetais de nouveaux exercice de mortification. Elle gémissait sur le manque de repos et je m’émerveillais de sa poltronnerie. Il lui paraissait impossible, de vivre ainsi et respont cherchait de nouveaux supplices. A la fin, elle se tut et se soumit à tout.

Sans cesse, la sainte revient sur cette lutte de sa sensibilité physique avec dame assoiffée d’expiation et de sacrifice. Cette sensibitité avec un tempérament ardent et nerveux comme le sien, devait être extrême. Néanmoins, jamais elle n’hésita à la dominer pour répondre à rappel d’en haut qui voulait qu’elle fut sur la terre un vase de rédemption (1).

(1). Nous donnons ici une lettre de la sainte à son confesseur, le P. Bastianelli. Elle jettera une nouvelle lumière sur les pénitences de sainte Véronique.

Je vous envoie ceci pour vous demander une permission.

" Si votre Révérence le veut, je voudrais faire quelques pénitences cette semaine. Le dimanche, je ferais la discipline ordinaire, puis six cents coups avec les épines et je porterais le cilice jusqu’à l’heure du diner. Le Lundi, je voudrais faire l’exercice de la pierre et je le ferais de plusieurs façons ; il me sutnt que je sache que vous consentez à ce que je la porte au cou une heure, puis sur la langue l’espace d’un Miserere. Le Mardi, l’exercice de tenailles et le cilice jusqu’au diner. Le Mercredi, porter la couronne d’épines une heure et me mettre en prison. Le jeudi, faire l’exercice du cep sur les épaules pendant une heure en mémoire du portement de la croix de Jésus. Le Vendredi, je resterais une heure en croix et je ferais t’exercice du nom de Jésus (le sablier brulant). Le Samedi, je porterai la robe brodée avec les sandales (pleines d’épines). Qunad au lit, je vous l’ai déjà écrit. C’est une croix de bois que j’ai entouré de petit morceau de fer et pierre et de quelques épînes. Je la ferai un peu plus dure, mais je crains que votre compassion ne veuille ne me le permettre. Je m’en remet en tout à votre obédience.129

CHAPITRE VII

PRÉPARATION AUX NOCES DIVINES. PÉNITENCES. LA SOLENNITÉ DU SPOSALIZIO. L’AMOUR ET LA COURONNE. LA PURE SOUFFRANCE.

Véronique marchait à pas de géamt dans la voie de la perfection. Sous la direction de ses confesseurs sous celle de Dieu lui-meme, dans ses révéiations journalières, elle ne s’arrêtait pas une heure, pour ainsi dire, dans son ascension mystique. Les vertus particulières se rapportant aux trois vœux de religion lui étaient surtout chères. Obéissante jusqu’à l’héroisme, pure comme un ange et voulant encore arriver à la perfection de la pauvreté, elle ne souffrait pas chez elle une image supernue, un morceau d’étoffe inutile. Un jour, vers la fin de l’an 1693, le Seigneur lui apparut assis sur un trône magnifique, tout éclatant de majesté. Il tenait à la main une épée immense, au bout de laquelle surgissait une flamme. " Avec cette épée, dit-il à la sainte je happerai d’un châtiment sévère tous les religieux et religieuses qui ne pratiqueront pas le vœu de pauvreté.

Cette vision remplit Véronique d’une profonde tristesse. Déjà elle se préoccupait de plusieurs petites contraventions de ses compagnes à elle. Les sœurs ne faisaient aucun scrupules à garder des objets superflus, sous le prétexte que, les ayant insignes aux supérieures, elles ne péchaient pas contre la pauvreté en les gardant auprès d’elles. Véronique crut devoir prévenir la Mère Abbesse de ces abus. Cela lui attira un peu plus d’antipathie de la part des sœurs qui ne savait naient pas et qui étaient les premières à oublier le vœu et la règle. Humblement, elle acceptait ces petites avanies, se trouvant toujours indigne de bons traitements. Cette numiti, en face de Dieu, devenait touchante. Plus d’une fois, en avant à la communion de lle s’arrèta tout à coup, pensant à son indignité et n’osant pas aller s’asseoir à la table sainte, à côté des autres. Les soeurs devaient la pousser. Alors en elle résonnait une voix bien connue " Est-ce possible que ce matin tu ne veuilles pas me donner un petit abri dans ton cœur ? " disait-elle.

A cette voix, le cœur de la sainte battait violemment et elle courait à la communion. Déjà commençaient ces coups au cœur qui ouvraient l’ère des miracles les plus extraordinaires dont cet organe allait être le théatre. Cette douleur et ces coups au cœur n’arrivaient jamais sans une parole intérieure ou une lumière qui lui montrait ce qu’elle devait faire et l’enflammait d’Amour pour Jésus et pour la souffrance. 131

Le 10 janvier 1694, devant Jésus lui apparut et lui annonça que le jour de ses noces approchait, mais qu’elle devait s’y préparer par la pénitence.

Ces noces divines, Véronique y aspirai depuis bien longtemps. Combien de fois elle avait demandé à son divin fiancé de hâter le moment de son union complète à lui. Elle accepta avec joie tout ce que Dieu voulut.

Le lendemain l’Enfant Jésus revient encore et montre à la sainte son cœur très saint, comme un brasier ardent qui enflamme les âmes. Cette flamme purificatrice revêt les âmes d’une éclatante blancheur. Ainsi jubilait que Véronique aimât le Seigneur pour revêtir la robe nuptiale. La sainte s’offrit avec joie à subir toutes les purifications les plus crucifiantes afin d’arriver y à l’heure bénie des noces divines, et Jésus, pour marquer sa volonté de demeurer spécialement dans le cœur de son élue, plaça dans ce cœur une croix. Première prise de possession de répoux de son âme. Cette croix lui causa une vive douleur. Lorsque Jésus venait pour renouveler cette impression, le cœur battait des coups violents, puis la sensation d’une croix se faisait sentir, douloureusement, pendant plusieurs heures.

Le 24 janvier suivant, ce n’est plus l’Enfant Dieu qui apparaît à ses yeux, mais le Rédempteur couvert de plaies et de sang. Sur son chef est énoncée la couronne d’épines.

" Vois, dit Jésus, comme les pécheurs m’ont arrangé et Véronique, désolée, a un élan irrésistible d’amour vers cet Homme-Dieu abreuve d’ingratitudes. 132

" Oh mon Dieu s’écrie-t-elle, il est temps de mettre votre couronne sur ma tête. Je vous en supplie! "

A cette demande le Sauveur enlève de son divin front l’affreux diadème et le pose sur la tête de sa fiancée.

La souffrance fut telle qu’elle crut expirer. Dans certaines visions, jusqu’à ce jour, Jésus l’avait quelquefois ceint de son diadème épineux, mais ce n’avait été qu’une douleur passagère et ne laissant aucune trace. Maintenant elle éprouvait toute la rigueur, du supplice. Sa tête était endolorie, surtout aux tempes, audessus des sourcils et dans le cerveau. Cette tête bleuie gonflait, avec la sensation de n’être qu’une plaie. La douleur était aigué, lancinante, insupportable. Il lui semblait que de longues épines traversaient sa tête chaque mouvement avivait la souffrance. Ce supplice dura longtemps, mais la sainte le cacha si bien que personne ne s’en douta, elle continua à remplir son emploi.

Chez Véronique, la souffrance redoublait le désir de souffrir plus encore. Elle priait instamment le Seigneur de la faire passer par les plus horribles tortures, pourvu qu’elle puisse obtenir la faveur suprême des noces divines. Jésus, un jour, répondit a sa supplication en lui disant qu’elle devrait encore subir deux ou trois mois de supplices les plus atroces pour mériter cette grâce. Loin d’être enrayée de cette perspective la sainte est enivrée de joie. Il lui dit que, pendant le carnaval et le carême, elle devrait faire une potence de trentetrois jours pour expier les péchés du monde en ces jours de folie. Ce que fut cette pénitence de trente-trois jours, on le devine aisément. " Croyez-moi, mon Pere, écrit-elle après cette longue série de souffrances, croyez-moi, quand je pense à cette préparation aux noces, je suis hors de moi de bonheur. Je ne sais plus ce que je fais. Il me semble, en ces trente-trois jours, n’avoir peiné que pour rire. "

Aux mortifications de la chair suppliciée venaient s’ajouter les attaques, diaboliques. Elles furent particulièrement violentes pendant ce temps. Souvent Véronique était jetée par terre et rouée de coups. D’autres fois, le démon essayait de lui faire peur par des hurlements, des sifflements, des cris épouvantables. Une nuit qu’elle était à l’infirmerie près d’une malade, elle vit entrer un énorme chien qui alla se tapir sous son propre lit. Elle se coucha sans crainte, mais la malade se mit à l’appeler désespérément en disant qu’elle voyait le diable. C’était, en effet, un horrible démon tout noir, jetant des flammes par la bouche et les yeux. Véronique lui lança de l’eau bénite et en répandit dans toute la salle. Le démon s’enfuit, mais resta à la porte. La sainte devait aller a la cuisine prendre quelque chose pour la malade une grande frayeur la saisit, de franchir la porte.

Pour se donner du courage, elle prit sa discipline à pointe de fer, résolue à fouetter le diable s’il s’approchait d’elle. Pendant qu’elle parcourais les corridors, la silhouette fantôme la suivait. Elle se retourna et lui lanca sa discipline. Aussitot il disparut, mais avec un tel tapage qu’il lui éveilla tout le couvent. 135

Presque toute les nuits, les attaques recommençaient. Souvent la pauvre Véronique était tellement abîmée de coups matin, qu’elle ne pouvait plus marcher, et plusieurs fois elle vomissait du sang.

Mais ce qui lui faisait le plus de peine, c’étaient ces spectacles impurs qu’Il faisait surgir devant elle, et où elle se voyait mêlée sous la forme d’un fantôme qui lui ressemblait.

Jésus n’est pas encore satisfait.

" Je vais te donner un régal ", lui dit-il, le 1er février. Tu auras la fièvre pendant tout le carnaval, mais ne laisse pas, pour cela, tes autres pénitences, car je veux que tu me donnes ta part de souffrances propres. "

La grosse fièvre vint. Véronique dut s’aliter. Tous ses os lui faisaient mal, elle manquait de forces. Elle voulait toujours se lever lorsque son emploi l’obligeait à un travail quelconque. Une voix intérieure la ranimait et parfois aussi Jésus Enfant lui apparaissait, tenant en main et pressant sur son cœur la croix à pointes. Au contact divin, la croix devenait un joyau magnifique dont la vue réjouissait le coeur courageux de la sainte.

Si le corps épuisé se révoltait, Véronique le v punissait avec rigueur. Un jour, la vision de la grande croix lui donna : une véritable agonie de terreur. Indignée contre sa lacheté, Véronique se donna la discipline jusqu’à ses bra lui refusassent de frapper davantage, elle se ceignit de sa chaîne de fer, se frappa avec le sablier de cuivre, puis se traînant sur  les genoux, ne s’arrèta qu’a bout de forces. Mais l’esperance du " Sposalizio " lui rendait toute sa vigueur. Elle était alors inondée d’une joie surnaturelle, enivrante. sainte Catherine de Sienne venait l’encourager et la préparer à cette faveur immense. Un jour, sainte Catherine lui apparut, assise sur un trône magnifique à coté du Seigneur.

" Voici Catherine, mon épouse très chère, lui dit Jésus je te la donne pour compagne, afin qu’elle soit médiatrice entre toi et moi. " En disant ces mots, écrit Véronique, je vis le Seigneur la prendre par la main et me montrer un très bel anneau entourant l’un de ses doigts. A cette vue, il me semblait que mon âme allait s’envoler pour se perdre en Dieu. Je reçus alors une communication que je ne puis exprimer. Je compris que le Seigneur voulait que j’apprenne de cette sainte les vertus les plus héroïques pratiquées par elle en sa vie ici-bas. Combien augmenta mon désir ardent des noces mystiques.

Les visions se succédaient pendant ce temps d’épreuves, pour soutenir et aussi pour la soutenir et aussi pour la prévenir, le Seigneur dit Véronique : Ma tres chère, prends en main le bouclier d’une générosité contagieuse, mais ne crains rien je suis la. Et il lui montra une croix. Un flot de sentiments ardents et enthousiastes souleva son ame. 137

" A la guerre! A la guerre! " répéta Jésus en lui donnant la croix.

Cette guerre, est un assaut de l’enfer que Seigneur lui annoncait.

Véronique se sentit glacée de terreur. Une sueur froide l’inonda. A l’instant elle se vit entourée d’une multitude de gigantesques et hideux démons. Ils avaient des armes pour la frapper. Elle se défendit avec la croix, appelant le Seigneur à son aide. Mais Jésus me paraissait pas et son âme était accablée d’une indicible tristesse. Les coups pleuvaient sur elle. lls eussent du la faire mourir.

" Je ne craignais pas la mort, dit-elle, mais leur vantardise déshônnête me causait un tourment intolérable ."

Enfin la horde infernale s’éloigne, mais Véronique ne se repose pas. Le corps épuisé, courbaturé, demande grâce. C’est une làcheté qu’elle ne permet pas. 137

Je lui dis [à son corps] maintenant si tout cela ne te suffit pas, je te frapperai. Je pris la corde et la chaine et je commençai à le battre, mais il ne voulait plus faire un pas. Ce que je l’ai forcé de faire est incroyable. Il me semble que notre ennemi plus cruel et le plus insatiable, c’est nous-memes. Le corps, au milieu de cette guerre, demanda le repos. Oh! Voyez l’extravagante exigence! Je ne recus en remerciement que de nouvelles lamentations. Mais tant que j’ai pu, je ne lui ai rien accordé. Lui, gémissait de manger trop peu, je lui donnais encore moins. Il faisait des doléances sur sa fatigue, je lui permis moins de repos. S’il exigeait un soulagement dans les peines, je l’en privais complètement. S’il pleurait devant les pénitences, je les lui imposais toutes en un jour. S’il se plaignait du prochain, je l’obligeais à le servir en tout ce qui se présentait. Croyez-moi, j’ai bien ri, car, tout en barbottant, il exécutait ma volonté. "

Le journal est semé de ces jolis passages, ou la sainte, avec une douce malice, raconte spirituellement, et comme pour les cacher sous le ton de plaisanterie, l’héroique lutte qu’elle entreprend contre sa sensibilité, sa délicatesse, contre tout elle-même.

L’heure tant souhaitée allait sonner enfin. Le 4 avril, une nouvelle imposition de la couronne d’épines et la vision de Jésus lui apprennent que le jour des noces approche. Ces épines qui lui transpercent le crâne sont autant de moyens de hâter le moment désiré.

Mais la douleur est telle que Véronique ne peut plus remuer. A chaque mouvement de la tête, elle croit expirer sous la torture. Elle prie alors le Seigneur de lui permettra au moins d’accomplir les travaux qui lui incombent, afin que les sœurs ne s'apercoivent de rien. Elle est exaucée, la force lui revient, elle peut travailler tout en continuant a souffrir. (1)

  1. Les soeurs ses compagnes ont été souvent témoins de ces retours subits à la santé. Alors que Véronique semblait à l’agonie, près d’expirer, elle se levait tout à coup et reprenait ses occupations.
Le lendemain, après la communion, elle entre en extase. Elle voit la place qu’elle occupe dans le coeur de Jesus. Elle reçoit dans le sien une croix qui lui cause une vive douleur.

Ce sont les préparatifs de tes noces, dit le divin fiancé. Puis il l’instruit sur la manière dont elle doit désormais régler sa vie, en se conformant toujours de plus en plus à sa sainte volonté.

Tous les jours, Jésus lui apporte quelque nouveau don. Dons de souffrances, toujours, mais qui forment là-haut mon écrin mystique d’épousée.

Le 6 avril, le Seigneur lui apparut, portant une lourde croix qu’il met sur l’épaule de Véronique. La douleur de ce contact était si aigue qu’elle s’affaisse se demandant si elle pourra y survivre.

Le 9 avril, c’est l’agonie, la flagellation, la Passion de Jésus qu’elle souffre. Mais dans le corps accablé de la martyre, tressaille d’allégresse l’Ame aimante, toujours plus ardente à suivre Jésus.

" Je dois vous dire, écrit-elle à son confesseur, que ces invites a la souffrance donnent une force dévorante à l’esprit. C’est nécessaire pour résister aux désolations et aux aridités qui surviennent ensuite, dont il m’est impossible de vous exprimer l’amertume. Pensez donc que cette Âme, elevée jusqu’à la présence de Dieu, écoutant sa parole délicieuse, se retrouve tout à coup dans les ténèbres, la douleur, les tentations. "

" Alors, je ne vois que des ministres d’enfer. Ils m’environnent pour me faire subir tous tes outrages. Ils ont des aspects de géants, de bêtes immondes, ce sont des serpents ou de beaux jeunes gens, ils se montrent sous mille formes. "

" En ce moment, Il me semble que je n’ai plus que la malédiction divine à attendre, et c’est une peine qui surpasse toutes les autres. "

Véronique, cependant, a avoué à son confesseur que c’est au moment même où le diable lui prédisait insolemment sa malédiction, qu’elle recevait les plus pures lumières sur la connaissance de Dieu et d’elle-même et sur les vérités relatives à sa perfection. C’était là le secret de cette force surnaturelle qui lui permettait de subir des attaques que tout autre mortel ne pourrait supporter.

Les cloches joyeuses de la cité ont sonné l’Alléluia pascal. Les soeurs, après les solennelles matines, reposent paisiblement. Véronique, elle, ne dort pas. A genoux, dans sa pauvre cellule, elle attend l’heure bénie des noces mystiques.

" Je priai la Majesté divine, écrit-elle, de vouloir bien m’inspirer ce qu’il me fallait faire pour me préparer à cette union sublime. De temps en temps, une subite invite d’Amour me mettait hors de moi. Ces invites, c’était la voix irresistible et toute intérieure de mon divin Époux me disait " Viens, ma très chère! " Cette seule parole unissait mon Âme à Dieu si étroitement que je ne sentais plus la matière de mon corps. Ces instants étaient rapides, mais ils enflammaient mon cœur. "

" D’autres fois, c’est Jésus qui venait dans mon cœur et en rejetait au loin tout ce qui lui déplaisait les attaches terrestres, les mouvements d’amour propre, la poussière du respect humain, toutes les imperfections qui peuvent offenser sa sainteté. "

" Regarde, mon épouse, disait le Seigneur, regarde tout ce que je jette hors de ton âme. Fais en sorte que ces choses n' y rentrent plus jamais. Je suis venu moi-même préparer et orner ton cœur. Je veux y habiter seul. Me voici tout à toi. "

" Pendant qu’il me parlait, il me semblait qu’il attirait mon cœur à lui et, en me le rendant, le remplissait d’une joie indicible. "

A ces révélations, succèdent d’autres visions. L’Enfant Jésus vient orner de riches joyaux le cœur de la fiancée et la nuit se passe dans ces sublimes élévations.

L’heure de la communion arriva. Le cœur de la sainte est comme une fournaise d’Amour. A une oreilles ravies retentirons à coup un choeur angélique triomphant.

Veni Sponsa Christi chantent les phalanges du ciel, et la sainte, enlevée en extase, se trouve aux pieds du Seigneur.

Il est assis sur un trone d’or très pur enchâssé de joyaux éblouissants. Son visage et son corps sont resplendissants de l'éclat de ses saintes Plaies. A coté de Jésus est un trone comme de blanc albâtre aussi enchâssé de pierreries. La Vierge Marie vient s’y asseoir. Sa beauté est indicible, elle plane sur des nuées à côté de son fils et lui parle avec une tendresse maternelle des épousailles qu’on apprête. Sa robe blanche est brodée de diamants étincelants, car cette robe signifie la pureté parfaite de la Vierge et les diamants sont ses vertus.

" A l’instant, dit Véronique, apparut sainte Catherine et, je crois aussi, sainte Rose, mais je regardais sainte Catherine avec plus de tendresse. Elle s’approcha de moi pour m’instruire de ce que j’avais à faire. Je ne vis en ce moment aucun autre saint, mais une grande multitude d’anges. Je ne puis expliquer comment je me trouvais en cette céleste compagnie. Je ne voyais que le Seigneur, la bienheureuse Vierge et les deux Saintes. Croyez-moi, je pense que tout le paradis se trouvait là rassemblé. La vue de sainte Catherine me donnait du courage, je crois que, insensiblement elle m’amena, tout auprès des deux trones (1)."

1. Le P. Fizzicatia pense que cette vision, ou plutot cette succession de vision, fut tout a fait réelle et intellectuelle. Cette description du manage mystique est la plus belle et la plus detaillée qu’on connaisse dans l’hagiographie chrétienne. " Je crois que, à plusieurs reprises, je changeai de vêtements, mais je ne sais comment cela se fit. Je sais que je conservais toujours mon habit religieux : sous ces divers parures. J’étais ornée des plus beaux joyaux qui se puissent trouver, bien que je suis incapable de " ié enre.

La derniere robe que je revêtis était blanche et toute brodée ; c’est ainsi que je vins aux pieds du Sauveur.

Le désir de l’union mystique se fit en moi plus impétueux. Je ne voyais rien que le Seigneur, j’étais fixée en lui, en lui je possédais tout. Il était si beau, qu’aucune parole humaine ne peut, même de loin, rendre sa beauté. Je ne sais de quoi il était revêtu ses pieds, ses mains, son côté, toutes ses plaies resplendissaient. En chacune d’elles se trouvait un magnifique joyau. De la plaie ouverte du coté sortaient comme des rayons de soleil, mais chaque plaie donnait à elle seule plus de lumière que notre soleil. Toutes les lumières qui éclairent les hommes ne sont que ténèbres à côté de ces éclats. " Dans la sainte plaie du coté, je vis l’anneau qui m’était destiné. Mon cœur haletait de hate d’aller se réfugier pour jamais en cœur sacré. 143-4

" Le Seigneur leva sa main droite et fit le geste de me bénir. Il entonna : " Veni Sponsa Christi " et la sainte Vierge avec tous les anges reprirent les mots : " Accipe coronam, quam tibi Dominus praeparavit in aeternum ".

" Il me semble qu’alors sainte Catherine enleva tous mes ornements, et je me retrouvai devant mon Époux avec mon simple habit religieux. J’eus en ce moment la révélations de tous les dons que Dieu donnait à ceux qu’Il appelle à la vie religieuse, et j’en ressentis une vive confusion (pour y avoir mal répondu).

" Je gardais de cette lumière une affection et une sollicitude plus grande pour observer ponctuellement les devoirs de notre religion. Ce mot : religieux, est grand. Il contient de sublimes choses. Je n’ai pas le moyen de les redire telles que je les ai apprises. Mais, desormais, ma foi en l’habit religieux est telle que, de le baiser, je reçois le plus suave contentement. Il m’arrive, quand je le baise, de retrouver dans mon esprit tout ce qui me fut révèle en cet instant sur la grâce de la vocation. " Le Seigneur, se tournant ensuite vers la sainte Vierge, lui fit signe de me revêtir de nouveau de mes ornements. Marie donna un manteau à sainte Catherine qui le posa sur mes épaules. Je fus aussitôt enlevée avec sainte Catherine jusqu’entre les deux trônes.

Je vis alors que mon manteau était couvert de pierreries de diverses couleurs, qui variaient et se transformaient. Je compris qu’elles signifiaient les diverses sortes de vertus. Je ne puis expliquer cela. Tout ce que je voyais ressemblait aux cérémonies qu’on fait le jour de notre veture.

" Pendant ce ravissement, mon Âme s’unit à Dieu, Dans cette union, le Seigneur me fit voir dans son sacré coté l’anneau qu’il voulait me donner. Il le prit et le mit dans la main de la sainte Vierge, qui le tint de facon à me le laisser contempler, et cette vue me réjouissait vraiment, me communiquant je ne sais quoi d’amour intime. Cet anneau resplendissait. Il me parut en or, travaillé avec de l’émail, et cet émail dessinait sur le chaton le nom de Jésus. "

" Je sentis croitre encore en moi le désir de m’unir à mon souverain bien, et je jetais des regards d’amour vers le Seigneur. Je crois que je le suppliais de me prendre pour épouse. Le Seigneur et sa sainte Mère étaient pleins d’allégresse. J’étais près d’eux, ni debout, ni à genoux, j'étais comme en l’air avec sainte Catherine. "

" La sainte Vierge me fit signe d’avancer la main droite, le Seigneur me prit cette main, et en ce moment je me sentis plus étroitement unie à Lui. Le Seigneur bénit l’anneau, puis avec sa divine Mère, me le passa au doigt. Aussitôt, un cantique céleste plein d’harmonies ravissantes commença. Je crois que tout le paradis était la mais je ne voyais rien. "

Dès que je fus ainsi épousée, le Seigneur commença à me donner de nouvelles règles de vie je devais désormais être entièrement soumise à sa volonté. Je devais vivre en ce monde comme s’il n’y avait personne autre que lui. Les plus héroïques vertus devaient se voir en moi. Je devais me restreindre encore dans la nourriture, rendre mes pénitences plus rigoureuses, enfin vivre toujours crucinée Alors, si je suivais ses instructions, Il serait tout pour moi. Il voulait être le maître de toutes les opérations de mon âme, car, en s’unissant à moi par ce mariage mystique, il avait pris possession de toute ma personne. Il me semble qu’il renouvela le don de sainte Catherine et de ma chère sainte Rose comme compagnes de mon âme.

L’anneau que j’ai reçu ne grossit pas mon doigt on ne le voit pas, mais je le sens très bien. Parfois, quand j’ai à faire un travail malpropre, je fais un mouvement instinctif pour l’ôter. Mais je ne le puis. Je le vois toujours avec les yeux de l’esprit (1).

(1) D’après les témoins au procès, notamment les F. Segapoli et Tassinari et la soeur Florida Ceoli, la sainte ne reçut pas toujours le même anneau dans les rénovations de son mariage mystique. L’un de ces anneaux était appelé par elle "amoureux et glorieux" et l’autre "précieux". L’anneau amoureux lui paraissait d’or rehaussé d’émail, avec un joyau au chaton sur lequel était gravé le nom de Jésus. L’anneau précieux était orné d’une croix. La sainte parle aussi d’un troisieme anneaux enrichi de trois joyaux ayant, gravés deux cœurs, une croix et les instruments de la Passion. Le Seigneur lui changeait ces anneaux selon qu’elle devait souffrir ou recevoir des consolations. Quelques religieuses virent ces anneaux. La sœur Florida le vit un jour avec un chaton où brillait une gamme de couleur jaune clair de la grosseur d’une feve. Mais plus souvent elle le vit comme une grosse veine rougeatre sous la peau. Trois ans plus tard, a propos d’une rénovation du Sposàlizio, elle dit que Jésus lui posa sur la tete une mystérieuse couronne d’or, elle était formée de trois rangs demeura enlacées de façon à n’en faire qu’un. Les fleurs se groupaient par trois, mais là encore si bien agencées qu’elles avaient l’air d’une seule fleur. Au milieu de ces fleurs, un joyau pareil au diamant resplendissait. Les fleurs dessinaient une croix et la couronne tout entière était superbe. La sainte ne donne pas la signification de ce diademe mysterieux qu'elle reçut de nouveau à la rénovation des noces mystiques de la fete de Pâques 1697. Pendant le cours de sa vie, la sainte reçut souvent cette haute faveur ; ordinairement elle avait lieu aux grandes fetes de l’Église.

Mais lors de cette première et immense faveur, la joie de Véronique fut inexprimable. Pendant deux jours son cœur brillait comme un foyer incandescente il lui sembla que Jésus y est renfermé. Elle est comme folle de bonheur. Elle sent en elle des sentiments nouveaux, des ardeurs plus consumantes.

Elle ne peut rester en place et, dans son exaltation, elle va au jardin et par le couvent, invitant toutes les créatures à aimer davantage le souverain bien.

Le lendemain, elle est ravie encore et se trouve assise à un banquet somptueux ; les mets, ce sont les mérites de Jésus-Christ dans sa sainte Passion. Son allégresse est au comble. Elle appelle toutes les nations à participer aux bienfaits de Dieu et, à son appel, les Ames saintes du ciel descendent vers elle pour lui apporter chacune une part d’amour afin qu’elle aime davantage. Celui qui l’a tant aimée, Jésus, dans la communion, s’unit tendrement à elle.

" En entrant dans mon cœur, dit-elle, le Seigneur entoura mon âme et lui donna un baiser. A l’instant, je fus enlevée hors de mes sens. Dans cette extase, il me semblait être au milieu de trésors infinis. Mais je ne puis les décrire, je sais seulement que c’étaient les mérites de Jésus, ses œuvres et les souffrances de sa Passion. "

Et la sainte fait alors cette belle prière :

" Mon Dieu et mon époux, je laisse ces trésors infinis dans votre main. Distribuez-les, car vous êtes leur seul dispensateur. Je vous prie de les donner à tous. mais en particulier à tous ceux qui vous aiment de cœur. Par vos mérites, faites qu’ils correspondent à votre amour. Je voudrais être la première de ces âmes. Me voici mon Époux. Faites en moi tout ce que vous voulez, faites la même chose au Directeur qui vous remplace auprès de moi. Donnez-lui donc la vraie lumière, a ce que, par vos merites très saints, Il puisse travailler paur votre plus grande gloire et selon votre volonté. Or sus, mon époux, offrez pour moi à votre Père éternel ces trésors immenses, et offrez-les pour tous vos nobles, pour vos prêtres en satisfaction des manquements qu’ils ont commis dans leur vocation de prêtre. Je vous recommande en parculier tous les confesseurs et surtout ceux que vous m’avez donnés dans le passé et le présent. Enflammez-les de votre amour, illuminez-les par la pure foi, toutes les toujours avancer davantage dans le désir d’aider les âmes. Maintenant et pour toujours, je vous offre toutes leurs œuvres avec vos très saints mérites, afin. que tout soit à l’honneur de votre divine Majesté. Mon Époux, voici que j’ai remis ces trésors dans vos mains. Je vous demande une grâce par ces mérites, faites que notre Ordre se renouvelle dans la perfection de l’observance. "

Ce sont des jours de grâces, pleins de visions, d’extases, de révélations. Le démon n’a pas la permission de la tourmenter ; la terrible croix ne se montre plus. C’est un instant de repos dans la pénible montée au calvaire. Car la souffrance va revenir. Véronique sait que l’épouse ne peut pas se bercer dans les délices pendant que l’époux travaille et souffre, et elle s’apprête a souffrir avec un courage nouveau. Son journal reflête la hâte qu’elle a de s’étendre de nouveau sur l’autel de la croix comme victime expiatrice.

Elle s’écrie : " Sitio, sitio! mon époux, soif de souffrances!"

J’ai entendu, écrit-elle, cette réponse " Je vais t’exaucer ". J’ai cru alors, par instants, goûter la pure souffrance. C’est bien vrai que Jésus est un grand séducteur. Il fait éprouver à l’ame, sans la contraindre, tant de choses " ab intra " que sans Lui, elle ne pourrait rien s’y retrouver.

Celui qui a donneé le nom de château intérieur à cette pure souffrance a bien fait, car celle-ci ne souhaite que se cacher. Elle se terre au fond de l’ame. Elle la touche intimement, la prive de la vue, lui ôte le mouvement, la fait demeurer dans une abstinence totale, dans un absolu dépouillement. Elle la revêt alors d’une robe d’épinas, lui donne pour boisson l’amertume, pour recréation la vue de l’enfer, pour repas les blasphèmes des damnés, les cris qui remplissent l’abime infernal.

" Mais quoique cette pure souffrance est la maladresse de l’âme. Elle se flagelle et se guérit en même temps, elle exige la bataille, mais se met en tête des soldats. Ainsi l’ame qui goûte et aspire la délicate suavité de la croix nue et a, pour l’aider, la pure souffrance, cette Ame peut être parfaitement heureuse."

" Mais ce bonheur dont je parle, il est impossible de le comprendre quand on ne l’a pas pratiqué."

" Mon langage est obscur, mais viendra un temps, si Dieu le permet, ou je pourrai l’expliquer. Laus Deo! " C’est ainsi que sainte Véronique se préparait a la mision que lui assigné la faveur surnaturelle d’épouse du Christ, associée désormais avec lui pour sauver les pécheurs et expier le péché.
 
 

CHAPITRE VIII

LA COURONNE D’ÉPINE. TRAITEMENT DES MÉDECINS. LE CALICE D’AMERTUME. LE CŒUR ET L’ÂME.

En la fête de sainte Catherine 1693, Véronique dans une vision du ciel se trouvait avec cette sainte auprès de Jésus. Tout autour, les chœurs célestes formaient la cour. A côté du trône, étaient tes instruments de la Passion. Leur vue enflamma la sainte du désir de souffrir, Jésus mit sur ta tête de Catherine une couronne resplendissante de joyaux et, étant de son cher divin la couronne d’épines, il la posa sur la tête de Véronique. A cette vue, les anges nrent entendre des chants d’allégresse, mais la douleur que ressentit Véronique fut atroce. 152

C’était le commencement des grandes souffrances. Désormais, la douleur des épines ne la quittera plus. Sans doute elle ne sera pas toujours si intense, car Véronique n’eût pu vivre avec de telles douleurs, mais toujours la pointe des épines lui rappellera la couronne du Christ dans sa Passion.

En revenant à elle, la sainte souffrait cruellement. Son cou, tous ses nerfs étaient durs et raides. Elle ne voulut pas, cependant, interrompre ses travaux et n’hésita pas à s’infliger ses pénitences journalières.

" Depuis cette vision, éerit-elle, je ne cessais plus jamais de souffrir de la tête. Chaque vendredi surtout, j’avais plus de douleurs et les pointes s’enfonçaient davantage. Bien des fois, j’allais, me disant à Mon Seignenr, plus de peines, " plus de souffrances " et alors, tout à coup, je sentais ma tête transpercée d’épines j’éprouvais une âpre douleur, mais cette douleur m’apportait une application, un désir plus vif de souffrir! Je souffris beaucoup pendant le Carême et surtout pendant la Semaine sainte.

Lorsque je priais pour un pécheur, je sentais comme une main invisible qui appuyait fortement la couronne sur ma tête. Pendant plusieurs jours je souffris indiciblement, ma tête enfla si fort que les sœurs le remarquèrent. Je pouvais à peine me tenir sur mes pieds, je ne pouvais ouvrir les yeux qu’avec de grands efforts, tant la douleur était excessive.

Malgré cela, je n’étais pas arrêtée dans mes travaux et j’avais une grande joie de pouvoir un peu souffrir.

" Mon Seigneur, disais-je, c’est vous qui me " piquez, sus sus!, donnez-moi encore un coup, afin que je sente davantage ce tourment. " Et souvent, après cette prière, la douleur devenait telle que je ne pouvais plus me soutenir. Cependant, si je travaillais, je crois que je le faisais mieux et je recevais plus de consolations.

" J’avais tant de joie que je désirais toujours plus de souffrances. Il me semble qu’à toutes ces piqûres paient autant de voix et d’invités à rendre gloire Celui qui me les imposait. Quand l’apreté de la souffrance arrivait à son paroxysme, tous les nerfs de mon cou se retiraient. Au commencement de cette infirmité de la tête, je fus plusieurs mois sans pouvoir dormir, ni jour, ni nuit.

Il ne fut pas possible la sainte de cacher son mal surnaturel. La tête demeurait presque toutours gonflée et, malgré le voile et la coiffe qu’elle ramenait de son mieux sur le visage, les marques surnaturelles ne se pouvaient dissimuler.

L’Abbesse et les soeurs s’inquiétèrent, ignorant la mystérieuse origine du mal que Véro. nique n’avoua point. Son confesseur et l’évêque connaissaient les couronnements d’épines extatiques, mais sagement ne voulaient pointprodamer, dès l’abord, un miracle divin. Ds laissèrent donc l’Abbesse se guider selon le cours naturel des choses. Comme ils savaient, pourtant, le peu de sympathie de la Mère Supérieure pour Véronique, ils chargèrent secrètement une sœur d’examiner cette tête souffrante. Voici ce que Sœur Maria Ceoli (1) put témoignera. 154

(1). Il y avait au couvent deux religieuses du nom de Ceoli.

Elle dit : " Je vis qu’elle avait au iront comme un cercle rougeàtre. Je l’ai vu plusieurs fois. D’autres jours, elle avait des boules grosses comme des têtes d’épingles en forme de petits boutons." J’ai vu aussi son front parsemé de marques violettes, ressemblant a des épines qui descendaient vers les yeux. Je remarquais, vers l’œil gauche comme une longue épine qui eût passé sous l’œil même. Cet oeil pleurait. J’ai essayé les larmnes avec un linge où ils y avaient des taches sanguines. (1)

Le médecin du couvent fut appelé. A la vue de ce mal étrange, il réclama un chirurgien. Le chirurgien (2) n’en comprît pas davantage la nature.

    1. D'autres soeurs firent au procès des dépositions identiques. Elles eurent plusieurs fois l’occasion de reconnaitre des marques d’épines sur le front de la sainte.
    2. Il s’appelait Massari et témoigna lui-même au procès.
Selon la médication encore barbare du temps, il ne vit là qu’une inflammation causée par des humeurs et mit sur la tête un " bouton de feu ", cautère douloureux qui augmenta atrocement le supplice de la pauvre Sœur.

Il m’oignit aussi, dit-elle, d’un certain onguent qui mettait toute ma tête en feu, je la croyais brûlée. En même temps, à l'intérieur, j’avais la sensation que ma cervelle était un morceau de glace. J’eus des souffrances indicibles avec ce feu extérieur et ce froid intérieur. Que Jésus soit loué! j’en m’en allais disant : Mon Seigneur, plus de peines, plus de souffrances !

Il y avait de l’héroisme à garder le secret du divin Roi, et à se soumettre en silence à tout ce que la médecine la plus cruelle inventait.

Naturellement, l’onguent et le cautère ne suffirent qu’augmenter le mal.

Lorsque le chirurgien revint dit-elle, et qu’il me trouva la tête toute enflée et enflammée, il fut stupéfait, il me fit encore plusieurs onctions et me dit que c'était un mal très grave. Moi, qui savais ce que c’était, j’en riais en moi-même. En vérité, j’étais bien embarrassée. Le visage enflait de plus en plus à cause de la douleur. Je priais le Seigneur qu’il me fit la grâce de me donner toutes les tortures du monde, pourvu qu’elles fussent invisibles. Le chirurgien me mit encore un bouton de feu. Cela forma une excavation profonde dans la tête avec une douleur telle que je ne croyais pas pouvoir la supporter.

A propos de ce bouton de feu, Véronique écrit, dans une autre relation :

" Le chirurgien et le médecin craignaient que je n’allasse encore plus mal, à cause de ce froid de glace que je ressentais ; ils craignaient une espèce de goutte. Ils me mirent un bouton de feu à la tête. Lorsque le chirurgien vint pour me le placer, je fus très contente d’avoir une occasion nouvelle de souffrir. Il ne voulait pas que je voie l’instrument, afin de ne pas me fairepeur. Mais loin de là, j’étais impatiente de le sentir sur ma tête. Le chirurgien voulait aussi v qu’on me tienne la tête pour que je ne remue pas. Je lui assurai que je resterais tranquille, parce que j’étais décidée à demeurer immobile. Ce fut ainsi. Lorsqu’il me mit le fer rougi, je fus si heureuse que cela ne me parut rien du tout. Le chirurgien en restait stupéfait. Il me demanda si j’étais vivante ou morte parce qu’il aurait jure manier un mort ; mon visage n’avait pas même tressailli.156

Ce même jour, il me fit un bouton de feu à la jambe. il me disait que je devais faire attention à bien me tenir et je restais debout pendant qu’il me mit ce cautère. Tout étonné il s’écria, il me semble que je travaille dans du bois et non dans de la chair.

Au bout de quelques jours, il fallut fermer ce bouton. Ce me fut un tel supplice que je ne pouvais parler. La tête m’enfla, je ne pouvais plus la poser sur l’oreiller, en sorte que je devais rester toujours debout.

Le médecin me fit poser un bouton de feu sur le cou. Je ne pus le garder à cause de la grande douleur des nerfs que j’avais toutes les nuits. Ce que voyant, médecin et chirurgien jugèrent d’un commun accord qu’il fallait me mettre un lacet autour du cou.

Dans la médecine impitoyable d’alors, le lacet était un des plus effrayants supplices qu’elle put imposer. Il consistait à faire d’abord, à l’aide d’une grosse aiguille, des trous dans la peau, qu’on élargissait avec un fer rouge pour y passer un lacet de coton. Le patient restait ainsi plusieurs jours avec ce lacet chargé d’empêcher les plaies de se refermer, pour laisser s’écouler les humeurs.

A l’arrivée du chirurgien, continue Véronique, les sœurs présentes commencèrent à s'apitoyer sur moi, et aucune d’elles n’avait le courage de tenir le fer rouge pour le donner au chirurgien. Je leur dis de rester tranquilles, que je le tiendrais, car je n’avais pas peur. Le chirurgien se mit à rire en me disant que ce serait plus douloureux que les boutons de feu. Il termina enfin l’opération si bien que j’eus la grâce de la sentir à peine.

A la vérité, j’eus encore la joie de sentir un peu moins de froid. Pour la douleur de tête, elle ne diminua jamais. Alors ils m’otèrent le lacet et le froid glacial me revint plus fort qu’avant. Ils me mirent des lacets aux oreilles et les soeurs se refusèrent encore à tenir le fer rouge. Je le tins à ma grande consolation. Je trouvais pourtant avec déplaisir qu’il allait trop vite et ne me donnait pas le temps de souffrir. Il me demanda si j’étais de marbre ou de pierre. Je lui répondis qu’il ne devait pas tant s’émerveiller de mon calme, parce qu’il faisait cela si rapidement qu’à peine avais-je le temps de sentir la douleur.

Ils me mirent un cautère au bras, pensant que cela soulagerait ma tête, mais ce fut tout le contraire, car, au bras, comme à la jambe, me vinrent des douleurs excessives. Mon bras s'enfla horriblement et ils se virent obligés de me laisser des cautères.

Ils me remirent des lacets aux oreilles ce qui, heureusement, me fit encore bien plusieurs que la première fois, parce que les premières plaies n’étaient pas encore guéries. Lorsque le chirurgien me posa le fer rouge sous l'oreille, elle me souilla comme s’il 1’avait plongée dans l’eau froide. Cela me fit rire. Le chirurgien resta tout étonné. Cette fois-ci, cependant, dit-il, j’ai dû vous faire bien plus mal que la première fois puisque les plaies étaient encore vives. Je lui répondis que je l’avis à peine senti (1).

Ce que la sainte ne dit pas, c’est que ce traitement barbare lui causa de telles contractions dans les bras et les jambes, qu’il fallut refermer le cautère.

  1. Cette narration si simple de la sainte est condamnée au procès par plusieurs religieuses qui assistèrent à ces opérations. Elles purent s’assurer que les douleurs excessive de la sainte provenaient de la couronne d’épines et non d’une cause naturelle, mais à cette douleur mystérieuse s’ajoutait celles que la medication lui imposait.
Comme la tête restait dans le même état avec la sensation si douloureuse de la cervelle glacée, l’évêque ordonna qu’oa recommençât deux fois encore la série des divers supplices chirurgicaux que nous venons de décrire. Véronique accepta tout sans murmurer. De guerre lasse, voyant que les traitements ne changeaient rien au mal, les médecins abandonnèrent leur victime.

Pendant plusieurs mois, la douleur de la couronne d’épines resta très vive. Véronique ne pouvait pas poser la tête sur l’oreiller et ne dormait pas, les nerfs du cou se raidissaient. Elle subit de cruelles tortures, puis les vraies douleurs ne se firent sentir que certains jours

comme les mercredis et vendredis, ou encore quand elle priait pour les pécheurs, aux jours de carnaval et de fêtes mondaines, dangereuses aux âmes. Alors, la main invisible enfonçait la couronne de pénitence et la torture reprenait, toujours très cruelle.

La sainte sortait à peine de ces terribles épreuves qu’une autre tombait sur elle, tout aussi pénible et miraculeuse.

Le 3 mai 1608, fete de la sainte Croix, Véronique eut la vision d’un calice porté par une main invisible qui venait à elle. Sa pensée se reporta aussitôt sur le calice qui fut présenté à Jésus au Jardin des Oliviers, et elle comprit que cette vision lui annonçait la souffrance. Dans ce calice, la sainte vit une croix : elle comprit même, à cette vue, la valeur de la souffrance, et tomba dans une pénible obscurité spirituelle. Elle se sentit abandonnée du ciel, et les démons, l’entourant en ricanant, lui disaient " Eh bien! Vois-tu où te mène la souffrance ? "

Véronique communia, et Jésus lui présenta de nouveau le calice, en lui révélant qu’il était le symbole de nouvelles souffrances, et qu’elle dèvait vider ce calice jusqu’à la lie. La sœur fut violemment tiraillée entre l’esprit et la chair. Le calice mystérieux semblait demeurer toujours devant elle et lui causait un indicible effroi, tandis que son âme avait soif de souffrir pour l’amour de Dieu. Ce fut un moment de luttes impétueuses ; l’esprit, fortifié par des visions et des extases multipliées, imposait à la chair anaibile sa volonté de souffrir. Le démon redoubla ses attaques, Pendant le mois de juin, elles furent formidables. Un jour même, la sainte crut avoir des os cassés, tant elle avait été maltraitée. Souvent, ces monstres la frappaient sur la tête endolorie par la couronne d’épines et lut causaient des souffrances intolérables. A ces traitements cruels, la sainte répondait courageusement " Frappez frappez, plus vous me faites souffrir plus vous me donnez de mérites! "

Tout cela, c'est la liqueur amère du calice écrit-elle tranquillement. Et, en effet, le calice mystérieux demeurait toujours près d’elle. " Pendant plusieurs mois, d’abord, je vis de temps en temps le calice par vue intérieure, puis de mes yeux corporels. Ils disparaissait alors, quand je ne le voyais plus, il restait vivement gravé dans mon imagination, je croyais toujours le voir. La seule pensée de ce calice m’horrifiait. Son amertume m’apparaissait impossible à supporter et à épuiser. Mon humanité se révoltait à le boire, car il m’avait été dit que je devais le boire non seulement spirituellement, mais corporellement.

" L’esprit, lui, aspirait toujours plus ardemment à la souffrance, et son désir était grand de goûter ce breuvage, afin d’accomplir la volonté divine ; Quand donc, me disais-je, arrivera cette heure où vous-même, O mon Dieu, me donnerez votre calice à boire. Je suis prête à faire votre volonté… Sitio! Sitio!, pas de consolations, mais amertume et pénitence!. 161

Un jour le Seigneur, en lui montrant le calice si mystérieux, voulut lui faire connaître ce qu’il contenait.

Intérieurement, elle éprouverait des malait spiritueux, les corps des démons, la perte de Jésus, l’abandon, la sécheresse l’agonie mortelle. A l’extérieur, elle recevrait des reproches, des mépris, toutes sortes de mauvais traitements du prochain et tous les ennuis et angoisses qui en sont la suite, la sainte acceptait tout, en bénissant Dieu.

Le 15 aout suivant, Jésus rélève à la rénovation des noces mystiques, mais soudain elle le voit tenant en main le calice n’est rempli à plein bord d’une liqueur d’un blanc jaunatre, prête à déborder ; elle bout, car, dit Jésus, c’est le signe de son amertume.

Jésus remet ce calice à sa sainte Mère qui, se tournant vers Véronique, lui dit ma fille, je te fais ce don de la part de mon Fils. Véronique accepte et aussi a Jésus, sa Mère, toute la consolante et ravissante cour céleste disparaissent, laissant seul le calice menaçant. Le 20 août, le calice bouillonne, il déborde et en inonde la sœur. Cette fois, elle a pu goûter la liqueur amère. Elle est d’une amertume dont rien ne peut donner une idée. 162

Cette amertume est terrible, elle s’attache à la langue et au palais. Tout ce que je goûtais était plein d’amertume. Non seulement la nourriture avait ce goût, aussi la langue et le palais en étaient saturés.

La nuit, je restais de longues heures à touche ouverte pour exhaler cette grande amertume et elle croissait au point que je tombais sans forces. L’humanité n’en pouvait plus. Et non seulement je goutais cette amertume physique, mais l’amertume spirituelle la dépassait encore de beaucoup.

Chaque fois que je respirais, j’aspirais de l’amer. Rien ne venait à me consoler. Mon pauvre esprit restait collée à ce calice par le désir, et si j’en buvais, je me sentais m’évanouir. Tout était amer, l’esprit abattu était noyé dans une agonie mortelle sans pouvoir se surmonter, abandonner de tout. Partout où j’allais, je voyais le calice bouillonner et déborder de toute part. Mon âme buvait cette liqueur, mais je ne sais comment elle la buvait.

Au bout de cinq jours, la sainte, succombant sous tant de souffrances corporelles et spirituelles, alla se jeter devant le Saint Sacrement. Elle ne voulait cependant pas demander grâce, mais s’offrir de nouveau au bon plaisir de Dieu. Jésus lui apparut, tout couvert de plaies, tenant le calice en main.

" Me voici, ma bien-aimée! ", lui dit-il. Regarde ces plaies, elles sont autant de voix qui t’invitent à boire ce calice amer. Je te le donne et je veux que tu y goutes.

Cette vision rend le courage à Véronique. Elle s’avance pour boire la liqueur amère et entend une voix qui lui dit " Tu ne sais pas ce que c’est que la souffrance. Ce que tu as déja éprouvé n’est rien ! " 163

Pour la consoler, des anges arrivent avec des vases d' or dans lesquels ils recueillent la liqueur débordante du calice, afin de lui montrer la valeur de la souffrance et de l’encourager dans la voie douloureuse.

Le supplice de cette amertume est terrible. Elle ne peut plus manger, car toute sa nourriture prend ce goût insupportable. Pendant huit jours, elle ne but ni ne mangea, et les autres religieuses regardaient son existencecomme miraculeuse. Une fièvre violente vint achever de l’abattre. Elle ne pouvait plus se tenir debout et se traînait péniblement, essayant de son mieux de suivre la règle. Le démon ne cessait ses attaques. Mais la peine la plus aigué, la plus lourde à supporter, c'était la perte de Jésus. " Ô peine intolérable! " s’écrie-t-elle.

Cette fois encore on appela le médecin, et, comme pour la tête blessée, il ne comprit rien à un mal aussi extraordinaire et ordonna les remèdes habituels de l’époque, les purgations. Véronique avala tout ce qu’on lui présenta, se demandant comment elle pouvait même avaler ; elle n’en fut que plus souffrante.

La situation était d’autant plus pénible que, en ce moment, les confesseurs désignés pour la diriger, étaient malades et Mgr Eustachi lui avait défendu de parler de ses états mystiques à personne d’autre. Elle était si faible qu’elle n’avait plus la force d’écrire. Elle restait donc absolument privée de tout appui. Ses doutes et ses inquiétudes revinrent en foule, parce que son journal disait toujours douter que Dieu voulut l’honorer de toutes ces labeurs miraculeuses. Le démon en profita pour l’assaillir davantage. Il lui montra un livre ou tous ses péchés étaient inscrits.

Tu vois bien, lui disait-il, que tu es déjà à nous ; laisse donc toutes tes pénitences. Véronique, tremblante, voyait alors l’enfer s’ouvrir, lui montrant les supplices qui lui étaient destinés.

La seule pensée de ce qui m’était préparé, me faisait mourir, dit-elle. Pensez donc? Je voyais toutes ces tortures, non par imagination, mais comme un spectacle réel étalé devant moi, si atroce, si insupportable, qu’à chaque instant je n’attendais plus que la mort. Je me sentais toujours plus faible, sans que rien ne puisse m’aider, et le calice était devant moi, jour et nuit, distillant son horrible liqueur. Plus il était rempli, plus je souffrais. Les soeurs, pleines de compassion, apportaient à Véronique tout ce qu’elles croyaient capables de la restaurer. Mais dès qu’elle buvait ou mangeait, le calice déversait son contenu sur la nourriture, et l’amertume était si grande que l’état de la malade devenait pis qu’auparavant. On appelait alors le médecin qui ordonnait un nouveau remède pour enlever l’amertume. " Mais moi, dit-elle, et j’en souffrais davantage. Un jour je pris trois médecine, je crus qu’elles me feraient mourir. Dès que je voulais répondre, le calice se vidait dans l’écuelle, puis se remplissait aussitôt, se préparant pour la médecine prochaine. Vous pouvez penser quel cœur il me fallait pour avaler ce breuvage. Il séjournait à peine dans mon estomac. Je devais le rejeter aussitot. Je disais toujours " Sitio, Sitio! " et je me croyais dans une mer d'amertume. Un jour qu’elle avait encore pris et rejeté deux remèdes, le médecin arriva qui en ordonna un troisième. " Mon cœur se crispait, dit-elle de la violence que je me faisais pour l’avaler (1)..

  1. La soeur Giacenta qui soignait Véronique, déposa au procès : Lorsqu’elle fut ainsi malade, le médecin lui fit un jour prendre une cueillère d’eau de fleurs d’oranger. Lorsqu’elle l’eut prise elle en fut à ce point travaillée qu’elle tremblait de la tête aux pieds. Le médecin ayant voulu essayer d’autre chose, la Mère supérieure, soeur Teresa Lazzarrini s’y opposa, jugeant inutile de la faire encore souffrir. Véronique lui reprocha de lui avoir été la consolation de souffrir davantage et la pria de ne plus s’opposer à rien à l’avenir.
La sainte, dans sa détresse, prenait son crucifix en main et lui parlait longuement, mais Jésus ne répondait pas. Elle demanda un confesseur. On lui répondit que c’était impossible. 166

Mon âme priait, écrit-elle, mais Dieu ne voulait pas t’écouter. Je voyais toujours le calice, débordant au-dessus de moi. Mon amertume était intense, je subissais une agonie continuelle. Chaque goutte du calice m’était comme une nouvelle mort. Je me sentais bruler et je ne voyais pas de feu. Je me sentais transpercée, blessée, frappée par des épées, des lances, des flèches aigues, mon cœur semblait traversé de part en part, mais je ne voyais pas d’armes. On eut dit que ce calice, en se déversant sur moi, me jetait avec chaque goutte, un instrument de torture.

Couchée sur son lit, la sainte dit qu’elle se croyait endormie, attachée avec des ceps de fer. C’est qu’alors le démon revenait, ajoutant ses coups et ses tortures aux maux déjà si grands de la victime expiatrice.

Une nuit, ils la saisirent et la mirent dans un bain glacé, où ils la maintinrent pendant deux heures. On vint retrouver ce matin Veronique à demi-morte. On s’empressa pour la réchauffer, mais ni les couvertures brûlantes, ni les cruches remplies d’eau bouillante ne pouvaient lui rendre un peu de chaleur. Il fallut presqu'une journée pour ramener la température normale.

Une autre nuit, la sainte se vit entourée de beaux jeunes gens, et les scènes impures recommencèrent devant elle. " Tu seras à nous " lui criaient-Ils, et ils la tiraient avec des chaines. Pour se défendre Véronique baisait son habit et renouvelait ses vœux de profession. Jamais, dit-elle, elle n’eut agonie plus terrible. Le calice lui-même avait disparu comme pour ratifier la sentence de malédictions. 167

Ce long martyre dura plusieurs mois, augmenté parfois d’un nouveau couronnement d’épines, d’une vision de terreur, sans consolaion.

Le 17 septembre, Jésus lui montre te chemin qu’elle doit parcourir. Il est plein de serpents et d’épines. Épouvante, elle demande au moins que les serpents disparaissent. Le Seigneur les chasse, et elle se trouve si accablée, si faible que, cette fois, les soeurs croient qu’elle va mourir. On continue de lui administrer des remèdes qui augmentent ses souffrances. Le 15, elle se croit à l’agonie et demande un confesseur sans l’obtenir et, comme elle se résigne humblement, une longue extase vient la réconforter. Enfin le 17 le Seigneur lui promet qu’elle pourra se lever et communier le 12 octobre. La prédiction s’accomplit et Jésus, à la communion, promit à Véronique de lui donner assez de forces pour suivre la règle, tout en lui annonçant de nouvelles épreuves. La guérison, cependant, n’était pas complète l’amertume continuait de couper l’appétit et les douleurs de la couronne d’épines empêchaient le sommeil. Enfin les Supérieurs permirent à Véronique de quitter l’infirmerie, après une vision qui lui commandait de reprendre la stricte observance ; mais, dans cette même vision, le Seigneur lui annonça que, désormais, jamais plus elle ne jouirait du sens du goût, toujours l’amertume du calice se ferait sentir plus ou moins. 168

On aura une idée de ce qu’était ce supplice de l’amertume en lisant ce qu’en dit au procès la Sœur Marie Madeleine Boscaini : elle était rôtie comme par un feu ardent, dit-elle. Ses lèvres, sa langue, tout son corps, se couvraient de cloches ou ampoules comme celles des brulures et la sœur en souffrait beaucoup. La même sœur dit qu’un jour Véronique lui fit gouter un morceau de son pain. Elle ne put y avaler, il était comme pétri d’absinthe. Mais les souffrances, l’abandon apparent de Jésus, les attaques du diable elles-mêmes, sont autant de moyens providentiels qui augmentent la sainteté de Véronique. Son intelligence s’ouvre toujours de plus en plus, s’assimile les vérités divines plus intimement et, parfois, elle laisse entrevoir cette science mystique avec une charmante simplicité.

Quelle est la différence entre l’âme et le cœur ? lui demande un jour le P. Bastianelli. (1)

Véronique, modestement, répond ; " Je vous dirai les effets que j’ai éprouvés plusieurs fois. Me trouvant en conversation avec le prochain, j’entendais tout à coup une voix qui m’invitait à la solitude. Cette solitude ne consistait pas à quitter la personne avec laquelle je me trouvais, mais de retirer mon esprit en Dieu. L’invite venait de l’intime du cœur. Le cœur signifiait sa volonté par une certaine commotion. Il me paraissait alors comme l’ambassadeur de l’âme. L’âme l’instruisait mais sans penser. Si le cœur était tout enflammé, l’âme s’y trouvait à la première place et, au milieu de la place, faisait sauter le cœur de joie et d' allégresse.

  1. Il s’agit ici du cœur crucifié comme principe de l’amour. 169
Si  le cœur se consume dans les flammes, l’ame lui donne vie et réconfort ; si le cœur, comme  l’aigle, veut s'élever vers Dieu, l’âme aussitôt, ouvrant ses ailes, le prend dans ses bras pour le porter jusqu’au souverain bien. S’Il se sent invité à souffrir, elle l’abreuve et le nourrit du mystérieux aliment de l’amertume. S’il désire retrouver son suprême amour, l’âme part à sa recherche ; s’il aspire après Dieu seul, elle le possède déjà.

" Bref, entre l’ame et le cœur c’est une union parfaite. Mais il me paraît que c’est l’âme qui domine le cœur ; c’est elle qui le vitamine, le fortifie, l’enflamme, car elle va toujours appelant la grâce divine. Puis, par le cœur, comme par un canal, l’eau de la divine puissance va alimenter l’âme, qui devient une mer de douceur et de délices. "

On ne peut connaître ces choses ni par voie d’entendement, ni d’inspiration, ni par aucune autre. Elles peuvent se révéler par voie de communication, mais cette voie est impossible à définir.

Il me semble qu'entre l’âme et le cœur existe une sainte émulation. Que le cœur se sente un tout petit peu porté à s’unir à Dieu, comme un éclair l’âme est montée jusqu’à Lui pour s’emparer de ses grâces. 170

A cette vue, le cœur entre comme en fureur. Il s’enflamme si bien qu’Il paraît dépasser l’âme. Mais il n’y parlent pas, car l’âme est supérieure et ne veut être dominée que par Dieu seul et c’est en Dieu qu’elle agit. Le coeur est la sentinelle, mais l’ame est toujours eveillée. Le cœur est comme un sonneur de troupe, mais l' âme est en peine qui davantage vers son unique et suprême amour. Parfois le cœur se fond en paroles mais l’ame est sans paroles, muette ; aveugle et sourde pour tout ce qui passe, et c’est par ce mutisme, par sa surdité et son aveuglement qu’elle possède tout, jouit de tout et, avec son tout qui est Dieu, Elle voit en Lui ses trois puissances appliquées au recoin du divin amour. Le cœur veut être la porte, mais l’ame est la portière et reçoit Le cœur est le secrétaire de l’amour, mais l’ame en est la tresorière. Le cœur est agile et voudrait tout enflammer par sa flamme amoureuse, mais l’âme braie par une voie d’amour, de communication et d’intelligence divines qui sont elles-mêmes des flammes.
 
 

CHAPITRE IX

LE DÉMON ET VÉRONIQUE. LE SAUVETAGE D’UNE ENNEMIE. LA CROIX SUR L’ÉPAULE..

Sainte Véronique fut en butte, toute sa vie, aux attaques du démon. Son courage vis-vis des monstres infernaux est vraiment surnaturel. Il est un des plus grandioses actes de foi jaillis du cœur humain. Il fallait une foi inébranlable en Dieu pour affronter, comme elle le fit presque chaque jour, l’enfer déchaîné, sans mourir de frayeur. Sans doute, quelquefois la nature reprenait sa revanche et, à la vue de tel hideux spectacle, elle tremblait, mais le plus souvent la sainte riait et se moquait du démon elle l’invitait à lui faire éprouver toutes les souffrances que Dieu lui permettait ; elle l’excitait, pour ainsi dire, à la tourmenter davantage.

Nous ne pourrions raconter toutes les attaques diaboliques dont Véronique fut l’objet, un volume n’y suffirait pas. Bornons-nous à en décrire quelques-unes. Le démon arrivait ordinairement la nuit, et toujours en nombre. Le 3 juin 1692, elle dit qu’elle reçut un coup si fort à la jambe qu’elle crut avoir l’os brisé. Elle eut un instant de douleur insoutenable. Autour d’elle se mouvaient des êtres hideux et difformes ; avec des têtes d’animaux, des faces immondes, des cordes sur le crâne ; plusieurs de ces monstres avaient, au lieu de mains et de pieds, des sabots de cheval. Aux coups s’ajoutaient les plus hornbles blasphèmes, les paroles les plus capables d’offenser Véronique.

Cette même année, ils vinrent un jour prendre la sainte dans sa cellule et la portèrent dans un endroit sombre et affreux, où elle se trouva environnée de serpents qui voulaient la dévorer.

En même temps, son êmè était accablée de tristesse. Il lui semblait que Dieu l’avait abandonnée, qu’il avait laissé son âme même sous la puissance ennemie la prière seule pouvait ranimer la sainte.

Généralement les meutes infernales arrivaie au milieu des grandes pénitences de Véronique. Les souffrances qu’elle s’imposait avaient le don d’exaspérer l’enfer tout entier. "Maudite, maudite lui criaient-ils, laisse-la tes pénitences, on la frappaient sur la côte, en criant Maudite couronne!"

Lorsque Véronique souhaitait le plus des médications qu’on lui imposait à propos de cette couronne, son confesseur lui ordonna un jour d’écrire ce qui se passait quand le diable venait l’attaquer.

Puisque vous voulez savoir comment les esprits infernaux se montrent à moi, répondit-elle, voici ce que je puis vous dire ils prennent souvent la forme d’horribles serpents qui, tous, arrivent vers moi la gueule ouverte, comme s’ils voulaient me dévorer. D’autres fois, ce sont des êtres d'un aspect épouvantable ; leur vue seule vous atterre. Mais je me ris de tous. Avec le signe de la croix, je les mets en fuite.

Ils reviennent, il est vrai, bien vite sous de nouveaux aspects. Je ne pourrai les décrire il n’y a rien de proportionne en eux ; ce sont hideux et je ne trouve aucun terme de comparaison à donner, sinon qu’ils sont affreux que le péché, ce qui est une abomination.

Plus d’une fois je les ai vus comme des betes moitié bêtes et moitié hommes. A leurs têtes se dressaient de longues griffes, et je vous assure que je sentais rudement leurs caresses. Il me semblait qu’ils m'arrachaient des morceaux de chair et quelquefois, par leurs coups, ils me rompaient les os. Sous ces coups, une douleur aigue me pénétrait, mes nerfs se retiraient, je perdais toutes mes forces.

Ils venaient aussi sous la forme de lions et ils sautaient sur mon lit pour me réveiller. Un soir, entre autres, ils firent tant de tapage, que je crus à un fort tremblement de terre. Les soeurs qui étaient là, croyaient la même chose car tout, autour de nous, tremblait. Mais je riais en les voyant s’impatienter de ce que je n’avais pas peur. Les démons ont pris plusieurs fois mon apparence, comme votre Révérence le sait. Quand je voyais venir ces esprits infames, je les invitais, en disant : Venez, venez ; faites-moi tout ce que vous pouvez taire avec la permission de Dieu. Me voici prête à toutes vos cruautés, car la souffrance m’est éphémère et je chanter pendant que vous me frapper, " Vive la douleur, vive la peine, Tout cela n’est rien pour l'amour de Dieu! " 175

Elle écrivait une autre fois au confesseur, il me vint une assez grande affliction avec beaucoup de tentations, principalement des blasphèmes. Je me vis en ce moment entourés de fantomes et de monstres infernaux qui prenaient mon apparence et disaient des choses abominables, maudissant Dieu et les saints, faisant des actes immodestes et des choses révoltantes, et ils me disaient que c’était bien moi qui étais coupable, puisque mon apparence agissait. Votre Révérence peut penser combien ces choses me donnaient de tristesse. Je ne faisais pas semblant d’avoir peur, mais ranimant tout mon courage, je leur disais que j’étais dans les mains de Dieu, qui méprisait leurs mensonges et leurs simagrées, que je me moquais de leurs sottises et, pour le leur prouver, je leur disais dédaigneusement. Les croix et les souffrances sont des joies et des allégresses. Alors ils s’enfuyaient tous.

Une nuit, le démon vint dans la cellule de Véronique sous la forme d’un cheval indompté. On lui donna un tel coup de pied que la sainte eut la jambe cassée. La Sœur Marie-Madeieme Boscaini qui raconte ce fait dans le procès, dit que cela arriva au temps où le calice d’amertume infligeait tant de souffrances à la courageuse capucine. Les soeurs virent le pied comme écrasé par un sabot de cheval la jambe pendant la nuit sans force et la sainte restait inerte sur son lit. On alla prévenir le confesseur, alors le P. Cappelletti, qui commanda qu’on apportait Véronique sur une chaise jusqu’au confessional. Quand sa pénitente fut près de lui, le Père lui ordonna de prier la sainte Vierge de la guérir. Elle obéit et fut guérie instantanément!. Elle sortit seule du confessional, marchand facilement à la vue de toute la communauté qui avait assisté à son transport sur la chaise jusqu’au confessionnal. Depuis, Véronique appelait en riant sa jambe guérie : la jambe d’obéissance. 176

" La sainte Vierge, écrit Véronique dans son journal, m’a dit que j’éprouverais de grandes souffrances deux jours de cette semaine et qu’elle voulait que j’y consentisse. Je les ai acceptées comme d’ordinaire et, dans cet acte d’acceptation, il m’a été donné de comprendre ce que seraient ces souffrances. La très sainte Vierge m’a fait voir une quantité de démons qui jouaient avec une Âme, se la jetant de rua à l’autre comme une balle, et la faisant telle j’aime souffrir, qu’il est impossible de l’exprimer. " Sais-tu qui est cette Âme? " me dit la Mère de Dieu. Je me taisais. Elle reprit ; C’est la tienne. Ainsi feront-ils de toi quand ils en au ront reçu le pouvoir de mon Fils et de moi, et se ce sera bientôt. Que vas-tu faire ? Je remets-la en tout à ma volonté ? Je le fis et elle m’embrassa tendrement, en me disant de ne rien craindre, parce qu’elle me défendrait elle-même et que tout tournerait à la gloire de Dieu.

L’avantage de mon âme était la honte de l’ennemi. Je ne vis plus les démons. La sainte Vierge me donna sa bénédiction et me commanda de tout dire a mon confesseur.

Effectivement, trois jours après, une multitude, les démons envahient l’humble cellule, il firent un tel tapage qu’on eût cru qu’il allaient renverser les meubles. Puis, deux par deux lui, ils se mirent a frapper la sainte qui croyait avoir les os rompus sous cette avalanche de coups. Dans la journée, Véronique encore des coups comme de sabot de cheval. Un soir, entre autres, écrit encore Véronique, il me semble que mes anges me presentaient à Marie.

Elle me rappela aussitôt la sainte obéissance et me fit renouveler mes voeux. Lorsque j’arrivai à la renonciation des sens qui peuvent faire obstacle à la perfection, je vis au loin une multitude de démons qui parurent se consulter, puis me regardaient pour me menacer, mais sans oser approcher. Moi, tournée vers ma chère maman, je demandai son secours Elle me montra mon confesseur et me donna ordre, par l’intermédiaire de mes anges, d’aller renouveler mes protestations à ses pieds. Je le fis. Elle bénit alors mon confesseur et moi. Les démons hurlaient, rugissaient comme des lions. Elle les appela ; ils arrivèrent pousses par une force invincible. Marie leur défendit alorsde me faire aucun mal. Ils situaient comme des serpents et voulaient fuir la présence de la sainte Vierge, mais elle les forçait à demeurer.

Je me repentit la protection en leur présence, puis chassa cette meute affreuse.

Peu de jours après, la Mère de Dieu montra encore à Véronique une foule de démons se mordant l’un l’autre comme des chiens enragés et voulant s'élancer sur la sainte. Marie dit aux anges de mener sa fille à leur rencontre. Les démons voulurent s'attaquer mais ils ne le purent.

Voici ma fille, dit la Reine du ciel, vous serez toujours vaincus par elle. Vous recevrez pour elle honte et mépris, car elle est mienne, sachez-le. Les démons essayait de se sauver, car ils souffraient beaucoup de la présence de Marie. Ils durent voir Véronique abreuvée du sang précieux du Christ par sa divine Mère, recevoir, comme marque de puissance sur l’enfer, le sceau de Marie elle-même.

Ils disparurent laissant derrière eux une fumée dense et infecte.

Il fallait bien que Véronique recut souvent des preuves consolantes de la protection d’en haut pour résister à la persécution continuelle de l’enfer. 178

Je me souviens, dit encore un témoin au procès, la soeur converse Francesca, je me souviens que, dans les premières années de religion, la cellule de la mère Véronique était voisine de la mienne. J’entendais quelquefois la nuit un terrible fracas, si bien que je n’osais demeurer dans mon lit et j’allais tout doucement voir d’ou provenait ce tapage. Je ne voyais rien d’anormal, mais j’étais persuadée que le démon attaquait ma voisine, une fois, j’étais au chevet avec la sœur Claire.

Nous remplissions toutes deux les fonctions d’infirmières. La mère Marie Tomassini était malade. Nous entendîmes un bruit violent de pierres lancées dans ladite infirmerie. Toutes trois nous nous levâmes fort effrayées, accourant pour voir ce qui arrivait. A la lueur de la veilleuse de la lampe, nous vimes que ces pierres jetées venaient de l’endroit ou était la cellule de la sœur Véronique. Sa porte était ouverte, nous pûmes la regarder et elle dormait paisiblement. Toutes les pierres étaient dirigées vers elle. J’aperçus une figure d’homme qui jetait ces pierres en criant furieusement. Je me suis à invoquer les noms de Jésus et de Marie en faisant le signe de la croix et tout disparut (1).

(1). On conserve encore quelques-unes de ces pierres au couvent de Citta di Castello

Vers la même époque, Véronique se vit un jour accablée de tentations de découragement et de tristesse. Elle rejetait ces pensées et te diable se morfondait. En ce moment on l’appela pour monter de l’eau à l’infirmerie. Elle y alla de bon cœur, tout heureuse de se fatiguer en union avec Jésus dans sa Passion. Au moment ou elle atteignait péniblement la dernière marche en haut de l’escalier, elle reçut un coup si violent qu’elle roula jusqu’en bas, tenant toujours les deux brocs dans les mains. Je crus périr, dit-elle, mais les brocs ne qui furent en causes. 179

Je me moquais du démon qui croyait ainsi m’empêcher de me fatiguer. Il arriva encore, dit la soeur Spanaciari, qu’un jour soeur Véronique étant malade, je lui donnai le bras pour l’aider à descendre les cinq degrés du vieux dortoir. Tout à coup je senti qu’on l’arrachait de mon bras et je la vis précipitée en bas des degrés, si violemment, que son corps alla rouler contre la muraille comme une balle qu’un fort joueur eut lancé. Les autres soeurs accoururent au bruit!. Soeur Véronique leur dit de ne pas s’effrayer, qu’elle n’avait aucun mal. Depuis, elle avoua que le démon avait voulu la tuer et qu’elle avait été préservée par la sainte Vierge.

Pour bien faire comprendre la grande force d’âme avec laquelle la Mère Véronique supportait ces tentations, dépose le P. Jean-Marie Crivelli, un de ses confesseurs, je devrais avoir assez de mémoire pour pouvoir raconter tout ce que j’ai connu sur cette matière. Je puis affirmer que j’en remplirais un volume. Je crois qu’il suffira de dire qu’il n’y avait pas de tortures que le démon n’essayât sur elle. Bien loin de les repousser, la Mère Véronique leur disait de faire tout ce que Dieu leur permettait d’inventer contre elle, car elle ne craignait rien, se confiant entièrement à Dieu, autant qu’elle se dénait d’elle-même. En conférant avec moi, la Mère me racontait que le démon la rouait de coups, la jetait contre le mur, lui faisait toutes sortes de mauvais traitements. D’autres fois, j’essayai d’affreuses tentations, lui apparaissait sous des formes les plus effrayantes avec des troupes d’autres démons qui la souffletaient, la griffaient, lui donnaient des coups de pieds, hurlaient à ses oreilles de façon à la laisser sourde pendant plusieurs heures, et enfin quittaient la cellule en y laissant une odeur infecte que la sainte en suffoquait et tombait évanouie. 181

Les soeurs avaient remarqua que les attaques infernales se produisaient surtout quand Véronique priait pour les pécheurs et qu’elle se devrait à quelque dure pénitence. Véronique voyait dans cette fureur une preuve du bien obtenu et, loin de s’arrêter, redoublait prières et peines en se moquant de son adversaire.

Les prières de la sainte étaient, en effet, extraordinairement puissantes sur le cœur de son divin Époux et le démon voyait en elle une ennemie formidable. Des luttes acharnées se livraient alors entre les deux puissances, autour d’une âme en danger. Le journal de Véronique est plein du récit de ces luttes. En voici une qui donnera une idée des autres.

Peu après les souffrances extraordinaires endurées par le traitement chirurgical de la tête, Véronique avait repris ses fonctions d’infirmière et arriva qu’une des sœurs mal disposée envers la sainte, tomba malade et fut bientôt en danger de mort. Cette pauvre âme avait été particulièrement méchante pour l’infirmière, parce qu’elle ne lui pardonnait pas d’avoir provoqué les réformes au point de vue de la pauvreté. Couchée sur son lit de mort, la malheureuse était assaillie par les démons.

Véronique qui les voyait, priait et souffrait pour elle, s’arrosait d’eau bénite et le les faisait fuir. Mais eux, furieux se tournaient alors vers moi et se jetaient sur moi comme des chiens enragés.

La sainte s’en défendit que plus vaillamment l’âme qu'elle voulait sauver.

Angoisses, désolations, aridité, mélancolie de mort, douleurs aigue de nerfs qui se retiraient, voilà ce qu'offrit l’infirmière pour celle qui lui avait fait tant de mal. Elle ne crut pas ces peines suffisantes.

Je fis, dit-elle, le portement de croix et je dis trois " Miserere " avec discipline.

Deux horribles démons lui apparurent. Si tu touches à cette âme, lui dirent-ils, nous te le ferons expier. Ne t’en occupes pas, elle est à nous.

Véronique demeure épouvantée, car elle craint que les démons n’aient dit vrai. Elle remet sur sa chair flagellée la croix à pointes et se jette à genoux. " Mon Époux, supplie-t-elle, je veux cette grâce de vous, je vous demande cette âme. Ne la damnez pas. Me voici prête à tous les supplices, je m’offre pour intermédiaire entre elle et vous et que toutes les tortures soient ma part, pourvu que cette Âme soit sauvée. Mon Jésus, faites-moi cette Grâce! " Une si touchante prière n’obtint aucune réponse. Sans se décourager, la sainte redouble de ferveur.

A la communion matinal, le Seigneur lui montre les démons entourant la malade, prêts à s’emparer de son âme. Elle voit le triste état de cette âme. La misérable n'a acquis aucune rancon de mérites et personne ne s'interesse à elle. " Oh ! mon Dieu ", s’écrie Véronique desolée, certes vous connaissez notre misère, mais vos très saints mérites peuvent enrichir cette âme. Elle a éte à vous. Je m’offre à toutes les peines pour la sauver. Le geste posé et touchant de Véronique émut le cœur de Jésus, il promet le salut de l’âme.

Tout heureuse, la charitable infirmière revient auprès de la malade. Elle la trouve agitée et effrayée. Ne me quittez pas, aidez-moi, dit-elle, en saisissant les mains de Véronique. Sœur Madeleine, répond doucement la sainte, ayez confiance en Dieu. Ses mérites très saints suppléeront à ce qui vous manque. Faites un acte de foi, reposez-vous en Dieu et ne doutez plus. Ne soyez plus inquiète et restez en paix dans la divine volonté. 183

Mais la malade, encore effrayée, répétait : Aidez-moi. Les démons continuaient à entourer son lit. L’eau bénite jetée par Véronique les faisait fuir un instant, mais ils revenaient aussitôt et la pauvre soeur Madeleine se tordait dans les angoisses. Véronique redoublait ses prières. Elle demanda a Jésus les mérites de la couronne d’épines. Une main invisible la lui enfonça avec force.

Elle crut défaillir de douleur. Mais, poursuivant sa lutte contre les forces infernales, elle remit sa croix à pointes, se flagella au sang, ne voulut rien manger et veilla l’agonisante jusqu’à la fin. La pauvre soeur Madeleine s’endormit avec confiance et repentir dans les bras de sa généreuse compagne qui ne l’abandonna pas, même après sa mort. Car, si elle avait reçu le pardon de ses fautes, elle avait un compte terrible à expier.

La vue de la défunte, dit Véronique, m’apportait une si grande mélancolie que je me sentais faiblir. J’avais cependant l’assurance de son salut. Le journal dira tout ce que fit la sainte pour abréger le purgatoire de sœur Madeleine. Il semble qu’elle mit plus de dévouement à souffrir pour elle que pour ses plus chers amis.

Nous verrons plus tard ce que Véronique souffrit pour les âmes du purgatoire. Elle travailla à leur soulagement toute sa vie, sans doute, mais, dans les premières années de son séjour au couvent, le sort des pécheurs la préoccupait par-dessus tout. Dans ces premières années de vie religieuse, c’est-à-dire jusqu’au moment où les confesseurs lui défendirent toute pénitence extraordinaire, la sainte passait presque toutes les nuits d’hiver au jardin. Là, après les macérations que nous avons vues, elle se jetait à genoux dans la neige en conjurant le Seigneur de pardonner aux malheureux pécheurs. La douleur du péché devenait si intense qu’elle tombait par terre comme morte, puis elle se relevait, folle de tristesse et parcourait le jardin, se happant sans miséricorde et conjurant à haute voix tous tes pêcheurs de la terre de se convertir.

Si la fatigue faisait tomber son corps, elle se redressait, grondant ses membres, redoublant ses tortures, a quelquefois, dit-elle, Je m’attachais à une colonne ou à un arbre du jardin et j’y restais très longtemps. D’autres fois, je montais sur les arbres et je m’y tenais plusieurs heures à genoux, souffrant beaucoup. Il m’arrivait de me retrouver à terre sans m’apercevoir que j’étais tombée.(1)

(1) En cet état demi-extatique, la sainte se transportait a un endroit a l’autre du couvent, appelant les pécheurs au repentir, exhortant les soeurs à prier pour eux. Elle courait autour du jardin si vite que personne ne pouvait la suivre. Elle se retrouvait tout à coup exténuée d’avoir couru, sans voix, à force d’avoir crié, et toute elle fiere de se trouver hors de sa cellule. Les soeurs la virent plusieurs fois en extase sur des arbres. Elle y montait avec une agilité extraordinaire et se tenait sur les branches d’une façon impossible à d’autres personnes qui n’auraient pu y demeurer une minute en équilibre. Les soeurs virent aussi Véronique la nuit, par la neige ou la pluie, se traînant sur les genoux en portant le banc si lourd sur les épaules. Toujours elle appelait les pécheurs à la pénitence pendant ce temps. Bien souvent elle laissait sur elle, des traces sanglantes de son passage, tant elle se flagellait cruellement. 185 Une nuit, Véronique avait appelé la sœur Marianne, sa compagne de dévotion, afin de venir avec elle prier pour les pécheurs. À peine les deux amies étaient-elles réunies que le diable, apparut en les menaçant.

Véronique riait, mais Sœur Marianne avait bien peur. La sainte la rassura et, sans faire attention aux menaces infernales, elle se mit a discourir sur la mortification de la volonté propre, sur la mort à soi-même, sur les combats à mener contre les sens et l’amour propre. Sœur Marianne, attentive, écoutait les paroles de la sainte avec une vive joie. Pleine d’admiration, elle lui demanda comment elle avait fait pour entrer si avant dans la voie de la perfection et comment elle pourrait l’imiter. Véronique repondit qu’elle n’avait qu’à mettre en pratique ce qu’elle venait de lui dire.

En ce moment le démon, interrompant le pieux entretien, défendit à Véronique de continuer à parler et lui ordonna d’envoyer soeur Marianne se coucher, si elle ne voulait pas avoir à s’en repentir. Véronique se mit à rire et sans même daigner répondre au hideux interrupteur. Voulez-vous, dit-elle à sœur Marianne, que nous convenions de faire une excellente chose, avec sincérité et dévotion ? Convenons, si vous voulez, que demain, en communiant, nous ferons acte d’abandon de tout, ne gardant en nous que la divine volonté. En elle nous exécuterons désormais toutes nos œuvres. Quoiqu’il arrive nous nous confierons à cette volonté sainte, en demeurant dans une sainte paix.

Sœur Marianne écoutait, ravie et prête à mettre à exécution la proposition de son amie. Mais le démon avait tout entendu et sa rage ne connaissait plus de bornes, car il comprenait le profit que les soeurs allaient recueillir de leur projet pieux et il voulait l'empêcher.

Véronique le chassa, mais lorsque enfin la Sœur Marianne rentra dans sa cellule, l’ennemi se vengea en rouant la sainte de coups.(1)

  1. La sœur Madelene Boscaini raconte que, faisant une nuit avec Véronique l’exercice de la flagellation du Seigneur, dans un coin obscur du jardin, elles virent s’ouvrir devant elles un souffle de feu, d’ou en sortaient des voix effrayantes lui hurlaient : Maudite, maudite tu es damnées, voici l’enfer ouvert pour toi. 187
Cette nuit, dit Véronique dans une autre partie de son journal, j'ai subi plusieurs sortes de tentations et j’ai vu beaucoup de lanternes ; ils me parurent comme de petits Maures, et tout à coup devinrent des monstres, moitié hommes, moitié bêtes. des battement les uns contre les autres, puis ils menaçaient de me tuer. Je leur dis ; "Venez donc Si mon Seigneur Dieu veut que je subisse vos coups, je suis prête. Je suis toujours prête à souffrir, Vive la croix ".

En entendant ces mots, ils disparurent, mais ils laissèrent dans la cellule une puanteur telle que j’en crus mourir. Elle me prenait à la gorge et je ne pouvais plus respirer. Je m’efforçais cependant de dire " Mon Dieu ! soyez béni. Je suis satisfaite en tout de faire votre sainte volonté".

Mais mon humanité restait tout abattue. Cette odeur insupportable m’avait enflammée la tête., la bouche, la gorge, la langue; je souffrais beaucoup.

Cette odeur se répandait parfois dans tout le couvent, incommodait les soeurs jusque les rendre malades. Parfois Véronique devait fuir au plus vite sa cellule pour ne pas être tout à fait asphyxiée.

Plusieurs fois la sainte eut des membres cas. ses dans ces attaques nocturnes, mais la guérison en était aussi miraculeuse que la blessure. Plusieurs fois elle dut se mettre au lit incapable de faire un pas, tant elle était accablée de coups. Dieu permettait sans doute cette guerre implacable contre sa servante comme preuve d’efficacité des ses œuvres réparatrices. Le nombre des âmes qu’elle arracha aux enfers dut être immense. Le rôle des saints, dans l’histoire de l’Église, ne sera vraiment connu que là-haut; du moins, pouvons-nous le pressentir, en méditant ce que furent ces puissants de l’amour et de la pénitence. Dans son propre couvent, même avant d'être élevée à aucun office dirigeant, Véronique avait sauvé plus d’une âme. La Mère Albizzini, comme nous l’avons déjà dit, laissait se glisser beaucoup d’abus les sœurs ne gardaient plus la stricte pauvreté, elles passaient de longs instants à bavarder avec les sœurs tourières quand celles-ci rentraient de leurs courses, elles s’at tardaient à d'autres bavardages à la grille de la communion. Il s'en fallait de peu le relachement ne s'introduisit tout à fait dans le couvent. 188

Véronique n'hésita pas à signaler tous ses abus au P. Bastianelli, trop bon lui-même peut-être en certaines choses, mais qui stimule par son énergique pénitente, voulut, avec recours de l'autorité épiscopale, réformer tous ces petits abus. Ce fut un moment de grande crise au couvent c'est alors que Véronique souffrit tant de la part des sœurs mécontentes, la sainte recevait de son coté dans des visions, une connaissance détaillée de tous les manquements qui se commettaient. Elle voyait leur gravité aux yeux de Dieu et s'en affligeait beaucoup. Elle vit un jour quantité de religieux et religieuses de l'Ordre franciscain plongés dans la fange. Saint François ne voulait pas les regarder, parce qu'ils péchaient contre la pauvreté. Elle conçut une immense pitié pour ces malheureux et se mit à prier et à se mortifier avec ardeur. (1)

  1. Véronique, entre autres abus, signalements. Les soeurs confectionnaient beaucoup de petits ouvrages bottes, pelotes, coussins, été, qu'on vendait au pauvre du couvent. Pour cela, elles employaient des morceaux de soie, de velours, de fer, de l'argent, et sous le prétexte de travailler en cellule, l'encombraient de ces elégants colifichets. La sainte obtint qu'il fut défendu de travailler à ces choses de luxe autrement qu'en communauté, d'où grande colère de plusieurs.
Le Seigneur lui annonça alors qu'il préparait de lourdes croix, pour elle en premier lieu, mais aussi pour le P. Bastianelli et pour les sœurs. La plus grosse part était réservée à Véronique. En effet, les sœurs atteintes par les réformes en conçurent un violent dépit; Véronique et son confesseur devinrent l'objet d'une véritable conspiration. Le P. Bastianelli était un saint religieux, plein de zèle et de piété et de sagesse, très estimé dans son Ordre. On en vint cependant, à force de racontars, d'insinuations malveillantes et d’intrigues, à rendre la position du Père très difficile. L’évêque se vit obligé de lui oter l'emploi de confesseur du couvent par mesure de prudence et pour calmer les esprits. Ce fait fit grande tristesse pour Véronique. Plus tard, le P. Bastianelli fut réintègré dans ses fonctions.

Nous avons vu la mort de la soeur Madeleine, l'une des principales instigatrices du complot. Cette mort, qui impressionna beaucoup les religieuses, arriva peu après cet incident. La sainte demeurait toujours égale, souriante et paisible, prête à toutes les souffrances et ne reposent guère entre deux martyres. Peu après le départ du P. Bastianelli, Jésus apparut à la sainte, portant sa pesante croix. " Ma bien-aimée ", lui dit-il, je viens renouveler en toi ce mystère. Et portant sa croix de dessus son épaule, il la pose sur celle de Véronique. Le poids est si lourd qu'elle tombe par terre. Le Seigneur lui révèle alors la valeur immense de la souffrance. Il lui montre combien le trésor du rachat des âmes s'enrichit par les mérites de ceux qui acceptent la croix, et, de sa main divine, relève la résignée compatiente. Mais sous le poids de la croix, elle s'affaisse de nouveau, car elle souffre tellement. Jésus la relève encore et, comme la mère qui apprend à marcher à son enfant, le Rédempteur pose sa main puissante sur la croix; tantôt il la soutient tout à fait, tantôt il la laisse peser par sœur. Après une dernière chute, la reprend et déposa sur lui.

C'était un deuxième échelon gravi sur l’échelle des douleurs de la Passion. Cette croix, Véronique l’a sentira souvent; elle la portera si longtemps, qu‘elle en gardera marque sur son épaule. Une plaie se armera même à cette plaie (1), plaie douloureuse au dire de la sainte, parce que la chair en ecrasée jusqu'à l’os : l’os lui-même s'incurvera, forcant l’épaule à se baisser. Le confesseur ordonna un jour à Véronique de montrer cette plaie à une des religieuses. La soeur Giacinta chargée de cet examen, déclara qu'elle vit l’épaule lui blessée, noire comme du charbon, ainsi que le cou et le bras. La peau en était tuméfiée.

(1) Notre-Seigneur a révélé à plusieurs saints qu'il avait une plaie à l’épaule faite par la croix et que cette blessure lui avait causé des douleurs intolérables. 191 Après sa mort, l'autopsie que le Saint-Office ordonna pour la reconnaissance des stigmates, montra que l'os de l’épaule était complètement incurvé et déplacé. De l'avis des médecins, l’épaule était trop fortement abaissée pour que le bras put se mouvoir selon les lois naturelles. Véronique aurait dû être estropiée complètement. Cependant personne ne s'aperçut jamais qu'elle eut quelque difficulté à manier ce bras ; elle se servait de ses deux bras comme tout le monde.

Ce fut vers l’époque ou Jésus lui mit sa croix sur l’épaule pour la première fois, que Véronique commenca à subir ce cruel supplice – également surnaturel- qu'elle appele la " retiration des nerfs " Elle avoue que c’est affreusement douloureux. Tout les nerfs du corps se crispent, se tendent comme tirés par une force intérieure ; et c'est une souffrance dont on ne peut avoir une idée quand on ne l’a pas éprouvée. " Vive la Croix!, Vive la souffrance! " dit alors tout simplement la sœur, toujours heureuse de pouvoir expier pour les pécheurs.
 
 

CHAPITRE X

LE SAINT NOM DE JÉSUS. LES FÊTES DE NOEL. LE BAMBINO. VISIONS ET EXTASES. LA CLOCHE. PERSÉCUTION. LES CONFESSEURS. CONNAISSANCES DES ÂMES. COMMUNIONS.

Après la fête de Noel de 1692 ou 1693, Véronique voyait souvent l’Enfant Jésus tenant en main un joyau étincelant sur lequel était gravé son saint Nom. Cette vue lui inspirait une vive dévotion pour ce Nom sacré. 193

Un jour, lui montrant le joyau, le Seigneur lui dit ; C'est toi qui me l'as donné, ma bien-aimée,

Véronique se demandait ce qu'elle avait pu faire pour donner un tel joyau à Jésus. " C’est lui répondit-Il, le jour où tu as gravé mon Nom sur ton coeur. La sainte, en effet, dans son ardent amour pour son divin Époux, et ne trouvant jamais de moyen assez fort pour le lui exprimer, avait imaginé de graver sur sa chair vive le Nom béni de Jésus. Elle pensa qu'elle le cisèlerait sur sa poitrine au moyen d'un canif, puis avec le sang qui jaillirait, elle se promit d'écrire un pacte d'amour et de fidélité au Seigneur son Époux.

Ce désir augmentait tous les jours, mais me sachant trop comment l'exécuter, elle hésitait, craignant de se blesser au point de ne plus pouvoir cachée son imprudence. Cependant elle sentait en elle-même une impulsion sainte qui l'assurait que Dieu le désirait. Elle demanda la permission à son confesseur, qui en rit comme d'une folie, mais ce refus ne fit qu'exacerber son désir. Plusieurs fois elle saisit le canif, prête à se taillader, puis la pensée de désobéir l'arrêtait. Elle s’agenouillait alors offrant son sacrifice de résignation à la place du sang qu'elle eût voulu verser. Un jour qu'elle faisait cet acte de résignation, elle fut élévée en extase, et Dieu lui montra le mérite de l'obéissance, en lui défendant ensuite de ne jamais rien cacher au confesseur.

" Je revins à moi dans une grande joie ", dit-elle, et avec un désir plus vif d'obéir à l'inspiration divine. J'allais auprès du confesseur et renouvelai ma demande il me refusa encore. J'avais quelques autres choses à lui dire qui me donnaient une grande répugnance je les lui dis et lui demandai plusieurs autres permissions. Je n'obtins pas grand chose car le Père craignait que je ne me lisse mal. Enfin un jour je reçus la permission tant souhaitée. Ô Dieu que j'étais impatiente de voir arriver cette heure! Après la communion du matin, je revins dans ma cellule et je pris mon canif, en ce moment, la frayeur du mal à mefaire m'arrêta. Je tremblais, je n'osais pas commencer. Enfin je priai le Seigneur de m'aider, si ce que j’allais faire était sa volonté. 194

Aussitôt je ravis en extase. Je crois que j'eus en ce moment une vision intellectuelle. (C'est du moins que m’assura mon confesseur, lorsque je lui racontai ce qui s’était passé alors) Je pense bien qu'elle n'était pas imaginaire.

Voici ce que je crus voir : j’étais en présence du Seigneur et de la sainte Vierge et de beaucoup de saints. Mon ange gardien était près de moi.

"Maintenant, dis-je au Seigneur, il est temps d'exécuter ce que je vous ai promis. Je peux avoir alors graver le Nom de Jésus sur mon cœur, avec le canif. Je trempais ma plume dans le sang qui en coulait, j'écrivis sur du papier une brève protestation. Je crois que le Seigneur confirma tout ce que je lui promis, Il me fit comprendre qu'il voulait célébrer une nouvelle alliance avec moi et qu'il me comblerait de grâces.

Lorsque la sainte revint à elle, son habit était plein de sang. Dans sa main, elle tenait la plume humide encore, et la protestation écrite. Ainsi Dieu avait-il voulu enlever à sa bien-aimée l’appréhension de la douleur.

En revanche, la douleur fut très vive pendant quelques jours, mais le saint Nom ne s'effaça plus.

J'ai renouvelé ce nom avec un canif, deux ou trois fois, écrit-elle, à l'occasion de quelques solennités, et j’encourageait plusieurs protestations de mon sang. J'en ai donné une à mon

confesseur, mais j'ai brulé les autres, ainsi que divers papiers. (1)

Les fetes de Noel étaient des jours de véritable ivresse spirituelle pour Véronique. En ces jours bénis, les souffrances sont oubliées et tout est pour faveur. Les communions sont brulantes. Pour apaiser l'exaltation ardente de son cœur, la sainte court à sa cellule, afin de calmer sa joie par ta douleur physique. Jésus Enfant multiplie ses appartions. Une année, elle le voit naître dans son cœur. Je voyais mon coeur s'élargir, écrit-elle, et je voyais à jamais ma petitesse cela grandeur de Dieu, il me semble que dans cette union de Lui et de l’âme, le Seigneur renaît en ceux qu'il aime.

(1) Le R. P. Pizzicaria possède un fascicule de 11 pages imprimé en 1727, année de la mort de la sainte. Il est intitulé : Relations des merveilleuses opérations divines constatées sur le corps et le cœur de Mère Véronique Giuliani, abbesse des capucines de Citta di Castello. On y lit pages 6 et 7 ; après avoir coupé l'habit au-dessus du cœur, et découvert la poitrine on vit distinctement la blessure du coté. Sur le côté droit était gravée une croix, sur le côté gauche le Nom de Jésus, c'est-à dire J. H. J. Et on sut que ces signes et d'autres, en différentes parties de son corps qui ne furent pas visitées, pour ne pas les découvrir, avaient été faits depuis plusieurs années par cette religieuse, qui s’était tenaillé avec des ciseaux, des couteaux et des tenailles, pour se faire souffrir. Ces cicatrices étaient visibles et marquées de chair repoussée. Cette relation fut exprimé à avec la permission des Supérieurs. Il renait dans nos âmes lorsqu'elles sont mortes à elles-mêmes, chaque fois que nous nous élevons à un nouveau degré de perfection. Mais la vraie naissance de Jésus dans une âme, c'est ? lorsque cette âme, axée en lui, ne goûte plus aucune chose terrestre, et morte à tout, vit uniquement en Dieu, pour Dieu et fait tout en Dieu. Alors, c'est une continuelle renaissance de la glorification de cette Âme. C'est ainsi! et C'est ainsi!.

Ordinairement encore, aux fêtes de Noel, Jésus se plait à renouveller le mariage mystique avec une sollennité plus imposante. Si ces instants ou l’âme de la sainte est confirmée épouse de Jésus, elle reçoit une illumination transcendante. Ce sont des lumières nouvelles sur sa bassesse, d'une part ; sur Dieu, sa beauté, sa bonté, ses attributs, sur des vérités mystiques, de l'autre. Mais il ne lui est pas donné de pouvoir reverser cette science sur les autres humains, car elle n'a pas de mots pour exprimer ce qu'elle voit et ce qu'elle entend. Alors elle est transportée de ferveur. Elle le dit elle-même " Elle est comme folle ". Elle parcourt le couvent, incapable de demeurer en place, et elle crie bien fort à ses compagnes ce que lui suggère la surabondance de son cœur. Que celui qui veut l'amour cherche la souffrance. Et dans ces moments-là, il lui faut les tenailles, les épines, le calice amer elle ne peut jamais trop souffrir.

Une autre grande joie accordée par Jésus à sa servante, à la Noel, joie qui se renouvelait tous les ans, et dont elle avait eu un avant-goût dans son enfance, était la substitution miraculeuse, dans ses bras, de la statue du Bambino en Jésus lui-même. Dans la nuit de Noel, les religieuses capucines disaient une procession solennelle par tout le couvent, en portant une statue de l’Enfant Jésus. Cette statue était portée, sans doute, par une religieuse déjà ancienne ou une dignitaire, mais on ne voit pas que Véronique aie fait portée dans les premières années de sa vie religieuse. Après elle la porta tous les ans et on la lui laissa porter probablement toujours, en voyant la joie qu'elle ressentait de pouvoir presser l’Enfant sur son coeur l’image du doux Enfant Dieu. Ses compagnes ont dit qu'elle demeurait en extase pendant toute la procession. On ne s'en étonnera pas dans tes bras de la sainte, la statue de bois s'animait, et Jésus lui-même souriait à Véronique. La sainte dit que tes communications de son cœur avec celui du divin Bambino, en ces instants bénis, sont inénarrables.

La procession visitait successivement toute à les cellules des sœurs. Véronique avait le privilège de connaître le degré de perfection de ses compagnes. Plus la Sœur était avancée en vertu, plus l'Enfant Jésus entrait avec joie chez son habitante. Véronique le voyait s'élancer presque hors de ses bras pour y être plus vite. Chez d'autres sœurs, hélas! la joie se changeait en tristesse, l'Enfant Jésus demeura grave et sévère, parfois même il ne voulait pas entrer dans certaines cellules, il se débattait et se rejetait derrière.

Il faut bien le dire, cette résistance du divin-Enfant se manifestait surtout à la porte des cellules occupées par les soeurs mal disposées pour Véronique, voire même à la cellule de l'abbesse, mère Albizzini.

Certaines religieuses, très siantes, virent elles-mêmes quelquefois l’Enfant Dieu remuer dans les bras de la sainte. Un matin de Noel, la mère Madeleine Boscaini, interrogeant Véronique sur la procession de la nuit, lui demandait si elle avait vu le vrai Enfant Jésus.

Elle me répondit : " Oui " et me dit que le cher Enfançon était là, dans sa crèche, les bras ouverts, attendant que l’une d'entre nous aille le prendre, et lorsqu’elle s'était approchée pour le soulever, il s'était élancé pour s'accrocher à elle puis craignant d'en avoir trop dit à son avantage, elle se tut brusquement.

Un fait du même genre arriva à une fête de la Nativité de Notre-Dame, où les soeurs avaient mis dans un berceau une statuette de la très pure Marie enfant. Toutes les sœurs virent Véronique prendre la statuette dans le berceau, et la faire tenir droite sur les pieds, sans la soutenir. Les soeurs, ses confidentes lui demandèrent comment elle avait fait pour maintenir cette statuette. Elle répondit que l'enfant très saint lui avait dit de la poser droite dans son berceau; Sois tranquille, avait-elle ajouté, je me tiendrai bien moi-même.

L'Enfant Jésus aimait à montrer a tous son affection pour Véronique, et le pouvoir qu'elle avait sur son cœur. La Sœur Maria Coletta Tosi raconte ce fait ; la grande servante de Dieu resplendissait héroiquement dans la vertu d'espérance. Si l'une de nous avait une culte, quelque crainte pour son salut, la sainte l'excitait avec une tendresse vive, a la belle vertu d'espérance. Il arriva à la soeur Florida (plus tard abbesse) de douter un peu du salut de son âme. Elle vint en pleurant auprès de la Mère Véronique lui raconter ses craintes. La servante de Dieu la réconforta et la consola, puis, ramenant devant la crèche, elle dit: Seigneur, si cette fille de votre cœur doit être sauvée, donnez-moi un signe. A ce moment, la petite main de la statue du Bambino saisit un doigt de la Mère et le serra si fort qu'elle ne put le retirer. A cette vue, la Sœur Florida appela ses compagnes qui étaient dans l'infirmerie voisine celles-ci appelèrent les autres sœurs, en sorte que la communauté presque tout entière fut témoin du prodige. Sœur Diomira fut celle qui détacha le doigt de la Mère, et le fit de vive force. En le tirant, elle reçut une chiquenaude sensible, et le doigt de Sœur Véronique resta quelques instants avec la marque visible de la compression qu'elle avait reçue (1). 200

Citons ici un passage charmant du journal, qui raconte une fin de nuit de Noel, et peint mieux que tous les discours, le zèle et la tendresse de Véronique.

Eile avait été en extase pendant toute la messe de minuit, où elle avait contemplé une magnifique vision trop longue, malheureusement, pour la narrer ici.

En revenant à moi, écrit-elle, je vis que la messe était en joie. Je me sentais brûlante comme une fournaise, je ne pouvais me taire. Je récitai tes laudes de l'once divin, avec une voix plus forte que je ne l’ai jamais fait. Aussitôt cet office terminé, j'invitai toutes les sœurs à venir dans le jardin avec moi. Neuf d'entre elles acceptèrent mon invitation, je pris le Bambino Jésus dans mes bras, et je marchais la première. Mais je ne savais ce que je faisais. Je disais aux sœurs " Allons! appelons les pécheurs! " nous dîmes à cette intention les litanies de la sainte Vierge et l’Ave Maria Stella, mais je marchais tellement vite que les sœurs ne pouvaient me suivre. A la fin, l'une d'elles me tint par le bras, mais je ne sais qui c'était, car je lui échappai.

  1. Un miracle de meme genre arriva à l'occasion des scrupules qui tourmentaient la soeur Giacinta pour le salut de son âme. Elle avait été les confier à Véronique, dans sa cellule. Celle-ci, se tournant vers le crucifix qui ornait son mur, le pria de lui donner un signe qui consolat la pauvre soeur affligée. Les deux religieuses virent alors Jésus détacher un bras libre. Aussitôt la sœur Giacintha fut délivrée de sa tentation.

Je ne savais ce que je faisais ni ce que je disais j'étais hors de moi. Arrivées à la chapelle, nous fîmes un Miserere de discipline pour tous les pécheurs, puis nous retournâmes à l'église en récitant le " Te Deum " alors nous fîmes une lit nouvelle discipline, en disant trente-trois fois : " Ave benignissime Jesu, Salvator mundi, miserere nobis ". Nous fimes sept adorations à Jésus Enfant, offrant a chacune d'elles notre volonté propre, et lui donnant notre cœur.

En ce moment, je demandais pardon pour tout les mauvais exemples que j'avais donnés par ma mauvaise vie, mes scandales et mes actions criminels. Je dis encore plusieurs autres choses.

Lorsque j'eus fini, une sœur m'imitais, et moi, me tournant vers toutes, je dis : Allons, faites-le chacune a votre tour. Quelques-unes pleuraient en le faisant. Elles retournèrent alors dans leurs cellules, mais moi je ne pouvais rester tranquille un feu ardent me brûlait. Je revins au jardin, et y restai longtemps. Il y avait beaucoup de neige, mais je ne craignais rien. La voix ne me suffisait pas pour appeler les pécheurs, j'y joignis les larmes, les cordes, les épines, et à chaque coup, j'invitais au repentir les pêcheurs, tous les hérétiques et les Turcs.

Elle priait alors ainsi pour les autres religieuses plus tièdes, pour l'Abbesse, dont elle avait grande compassion

Ces prières, elle les adressait avec un redoublement de ferveur dans ce qu'elle appelle les exercices série de trois, neuf, voire même trente-trois jours, on elle s'adonnait à un plus grand nombre de pratiques religieuses et à des pénitences multipliées. Dans sa grande défiance d'elle-même, et se croyant toujours incapable de bien faire une méditation, Véronique voulait alors avoir recours à un livre pour s'aider. Chaque fois qu'elle le prenait le livre en main une voix interieure lui disait :

" Laisse ce livre, c'est moi qui te servirai de lecteur; c'est moi qui pourvoirai à tous tes besoins.

Je veux t’instruire à ma guise lui dit Jésus une autre fois..

Effectivement, les jours d'execice se passaient avec une surabondance de ce révélations, de lumières, d'extases, de visions. Le Seigneur me contenait dans une ardeur dévorante pour et salut des âmes. Il lui montrait les pecheurs tantôt courbés sous une lourde croix, la tête penchée vers la terre et incapables de regarder le ciel, tantôt plongés dans la vase, souillée de boue, attachés et prisonniers..

" Ô mon Dieu " s'écriait Véronique, comme j'étais affligée de ce qu'ils ne tournaient pas les yeux vers le Créateur! Je voudrais prendre leur place, car ils ne savent pas ce que c'est que la vue de Dieu et ne s'intéressent qu'aux choses d'en bas!

Il me semblait, dit-elle encore que le Seigneur était fatigué. Comme un bon pasteur, il courait après ses brebis. J'avais une grande compassion de lui et j'aurais tant voulu l'aider. Mais voyez! Ils fuyaient, Personne ne venait à son secours. Moi, je lui disais de mon mieux " Mon Dieu je veux vous sauver et toutes les âmes qui vous échappent ". 203

Le Seigneur exauçait aussitôt la sainte en la plongeant dans la désolation et l’aridité.

Cette nuit, écrit-elle un jour d’exercice, je suis restée longtemps à repasser l’esprit et à parcourir toutes tes stations douloureuses et les endroits ou le Seigneur a souffert. Mais je ne l’ai trouvé nulle part. Plus j’allais en avant, plus ma tristesse grandissait ; j'en sentais le poids m'accabler, mais je ne pouvais m'arrêter. Quand je fus au Calvaire, Jésus n'y était pas Mon espérance s’était évanouie; je me trouvais dans un abandon complet. Je n'en pouvais plus. Je me suis mise à pleurer et je criais du fond de mes entrailles : " Mon Dieu, est-ce ainsi que vous habitez volontiers avec ceux qui souffrent pour votre amour? Je croyais impossible de souffrir davantage, et votre absence est un indicible tourment! "

Pendant que je me lamentais ainsi, ma peine augmentait; je me voyais plongée dans la plus profonde obscurité. Je ne pouvais plus chercher Jésus, ni l'appeler. La porte de sa demeure m'était fermée sans pitié.

Alors les ministres d'enfer sont arrivés comme autant de chiens pour me dévorer, pour me lacérer de leurs dents féroces. Ils jetaient des flammes brûlantes; ils ouvraient leurs gueules vers moi. Leur aspect était si terrible que j'en étais anéantie. Ils me menaçaient et me frappaient. Ils voulaient enfin me vaincre et m'emmener avec eux. Je voyais que j'étais impuissante à me défendre, je ne savais que faire. Je priais de toutes mes forces vers la lumière : Mon Jésus, a celui béni. Si c’est votre volonté que souffre, j'en suis heureuse.

A ce mot de souffrance, il m'est revenu un peu de force. Je me suis raffermie et j'ai dit à mes ennemis: " Sus! Sus! Grands lâches, que faites-vous? Faut-il que vous veniez si nombreux contre une seule? Vous avez donc bien peur? Allons! vite, vite, je vous invite au combat. Venez, battez, frappez, faites-moi bien souffrir. Ainsi font ceux qui veulent aimer de Dieu ".

A ces paroles, ils disparurent tous (1). Je suis restée si malade et abattue, que je ne pouvais me tenir sur les pieds.

(1). Deux jours plus tard, toujours pendant un de ces exercices, Véronique raconte que les démons qui revinrent cette nuit-là étaient si épouvantables que leur seul souvenir la terrifie. Quatre d'entre eux, dit-elle, avaient des figures de monstres, moitié hommes, moitié bêtes. Ils avaient des têtes de serpent, des sabots de chevaux en guise de mains et de pieds avec des ongles en crochet et tout leur corps semblait couvert de piquets de hérissons. Leur odeur était si nauséabonde que je me sentais faiblir. Des flammes sortaient de leur gueule et de leur nez. Tout ce qu'on peut rêver d’horrible n'est rien en comparaison de ce que la sainte avait pu voir. Heureusement pour Véronique, les consolations spirituelles venaient ranimer son courage et retremper son Âme. Les communions, surtout, étaient des instants qui fui faisaient oublier toutes les peines passées. La messe était aussi une heure de grandes consolations.

Elle voyait souvent Jésus dans l'hostie et souvent était ravie en extase. Jésus-Enfant venait Lui donner un baiser qui la remplissait de suavité. Souvent, par ce haiser, son âme était irradiée de lumière et elle recevait des révélations sublimes.

Que de fois, après avoir raconté ces merveilles dans son journal, la sainte revient à son expression : " J’étais comme folle ". Et vraiment elle devait paraitre quelquefois étrange à ses compagnes dans ses courses à travers le couvent. Elle donnait prétexte, celles qui ne l’aimaient pas, de la traiter d'extravagante.

Un jour, enteadant sonner l'heure de la communion, elle est prise d'un tel transport de joie, qu'elle se mit à courir de cellule en claquant: " Dépêchez-vous! Dépêchez-vous! " L’abbesse, mécontente, la traita de folle et lui dit sévèrement de se taire et de laisser faire l'appel à celle qui en avait l’emploi. 206

Mais, écrit la sainte, je ne pouvais pas m'en empêcher. J'aurais appelé l'univers entier à ce banquet.

Un autre jour, c'était à la fete de saint Jean-Baptiste, en juin, les sœurs, occupées aux différents travaux de la journée, entendirent tout à coup la cloche de l'église sonner à toute volée. Voilà tout le couvent en révolution et les sœurs, enrayées, qui accourent pour voir ce qui peut provoquer cette sonnerie. On aperçoit alors Véronique, ravie en extase, qui tire la corde de la cloche à tour de bras. Les sœurs, rassemblée autour de l’extatique, purent la contempler un instant sans qu'elle se doutat du spectacle qu’elle dormait. L’Abbesse, la mère Albizzini, lui ordonna de cesser de sonner et aussitôt, lachant la corde, sans sortir de son ravissement, elle allait se mettre à genoux devant le Saint Sacrement, les bras en croix. Les religieuses constatèrent qu'elle tremblait de la tête aux pieds. Tout à coup elle éclata en sanglots, se leva et courut se renfermer dans sa cellule.

Lorsqu'elle sut ce que s'était passé, elle éprouva une si grande confusion. Elle pria plus que jamais le Seigneur de cacher toutes les faveurs extraordinaires qu'il lui faisait, mais sa prière n’était pas toujours exaucée.

Malheureusement pour Véronique des faits comme celui de la cloche donnaient occasion aux sœurs sans bienveillance, de la charger avec une apparence de bon droit. La Mère Albizzini n'était que trop portée à écouter ces mauvaises langues. Cette religieuse parait avoir toujours support avec ennui les étrangetés mystérieuses de la vie de Véronique. Elle semble n'avoir pas voulu y reconnaître une conduite divine sumaturelle, mais plutôt une extravagance, une outrance de sentiments qui méritaient une surveillance, étroite et beaucoup de sévérité. La Mère Albizzini était abbesse lorsque Véronique entra au couvent. Elle fut remplacée, deux ou trois ans après, par la Mère Christine Eléonari, qui tenait notre sainte en grande estime; mais le 4 octobre 1694, une nouvelle election ramena la Mère Albizzini à la tête de la communauté, avec elle, le plein contrat à Véronique reprit son empire. Véronique, pas je ne sais quel scrupule de conscience, avait obtenu la dispense de voter à cette élection. Les révélations qu'elle avait recues lui avaient appris, par avance, quelle serait la future abbesse et combien elle la ferait souffrir (1). Véronique se soumit à tout et elle effectivement la Mère Albizzini montra, dès les premiers actes de gouvernement, qu'elle entendait mettre Véronique a la raison (2). 208

  1. La vision d'une grande croix, qui se divisa en petites croix, annonçait à Véronique qu' elle recevrait à cette élection plusieurs charges qui lui seraient désagréables. Elle fut en effet nommée " rotara et pannara ". La rotara avait la charge de recevoir les gens du monde au parloir, ce qui t'ennuya beaucoup. La pannara avait à surveiller la lessive, la lingerie et le vestiaire: On loi adjoignit justement deux des soeurs qui ne t'aimaient pas.
  2. La Mère Albizzini n'était pas une mauvaise religieuse. Elle passait même pour un sujet distingué dans l'Ordre puisqu'elle fut chargée plus tard de la réforme du couvent de Citta delle Pieve, mais Dieu permit que cette Mère s'entetât dans son premier jugement sur Véronique en se laissant influencer par les religieuses qui n'aimaient pas la sainte. Puis elle aimait le calme, la régularité et Véronique, il faut le reconnaitre, troublait parfois la communauté involontairement.
Dans son journal, la sainte laisse entrevoir quelques-unes des persécutions qu'elle souffrit d’une des plus terribles fut l'interdiction d'écrire à ses confesseurs. Justement à cette époque éclata le petit complot qui obligea l'évêque de retirer au P. Bastianelli l'emploi de confesseur. On le remplaça par Le P. Cappeletti, mais ce dernier était souvent malade. Lorsque le calice d’amertume fit tant souffrir Véronique, au point qu’elle était preswque agonisante, nous avons vu que la supérieure lui refusa un confesseur. Le P. Bastianelli avait été chargé par Mgr Eustachi de continuer à diriger Véronique par correspondance. L’Abbesse défendit à la sœur d’écrire ni à lui, ni au P. Cappelletti, alors malade. Heureusement, l’évêque intervint et Véronique put recommencer à se confesser a ses directeurs. Elle en fut d'autant plus contente, que le confesseur que lui imposait l'Abbesse parait lui avoir grandement decu. " Au serviteur de Dieu que vous savez, derit-elle au P. Bastianelli, je ne lui dis quelque chose qu'autant qu'Il m'interroge. Je cherche à obéir en tout, mais je ne trouve aucun apaisement ".

Elle ajoute: La Supérieure ne me permettra jamais d'écrire davantage et d'un commun accord (avec le confesseur imposé), ils m'oteront ce que vous savez. (1)

(1) Véronique devait envoyer tous les jours directement son journal au P. Bastianelli qui le remettait ensuite à l’évêque. Nous avons dit qu’il était défendu à Véronique de relire ce qu'elle écrivait. Peut-être la Mère Albizzini souffrait-elle avec impatience l'ingérence de l’évèque auprès de l'une de ses amies. Mgr Eustachi paraît avoir eu peu de confiance en cette abbesse; non seulement elle n'avait pas la communication du journal de Véronique, mais beaucoup de faits concernant la sainte ne lui étaient pas confiés.

Le P. Cappelletti revint enfin confesser au couvent. Dieu voulut bien faire un miracle pour donner à Véronique une confiance parfaite dans ce nouveau directeur. Un jour qu'il disait la Messe au couvent, la sainte vit, pendant qu’Il tenait dans ses mains la sainte hostie, transformé lui-même en Jésus-Christ.

" Je te le donne pour directeur, lui dit-il le Seigneur; accepte-le comme occupant ma place auprès de toi ".

C’est que tout changement de confesseur était un cruel supplice pour l'humilité de la sainte. Tous ses confesseurs sont d'accord pour dire qu'ils se fatiguaient à l’interroger, à lui répéter le commandement de ne rien leur cacher. Le P. Tassinari dit que la peine qu’il prenait à la réconforter, à l'assurer qu'elle ne se trompait pas, finissait par lui être fastidieuse.

Les PP. Crivelli et Sebastiani ont dit la même chose au procès. " La servante de Dieu, de ce dernier, était très circonspecte en parlant et en écrivant. Elle se défiait toujours d'elle~même et craignait toujours que les visions, revélations et autres grâces qu'elle recevait du Seigneur ne fussent des illusions du démon ".

" Je devais, dit à son tour le P. Tassinari, je devais la gronder et lui imposer de me parler en toute franchise de tout ce qui lui arrivait " et le P. Sebastiani ajoute: 210

Elle s'exerçait de cacher ses vertus, les grâces qu'elle recevait du Seigneur, les marques des stigmates, et en parlant comme en écrivant, elle choisissait les termes douteux, lui trouvant indigne recevoir réellement des grâces divines.

Ainsi parlent tous les confesseurs. Jamais ils n'ont découvert en elle la moindre complaisance pour sa personne, le plus petit mouvement d’amour-propre, de satisfaction pour les grâces qu’elle revcevait du ciel. Jusqu'à la fin de sa vie, et malgré ce qu’on pourrait appeler une longue habitude de rapports avec habitants du ciel, elle se défiait à chaque vision, craignant une embûche du diable. Les confesseurs devaient la gronder, la menacer, lui ordonner sévèrement de tout leur dire. Elle le faisait alors, mais avec tant de confusion, qu'on eût dit qu'au mieux de raconter des miracles, elle s'accusait des crimes les plus honteux.

Aussi les confesseurs de Véronique lui vouèrent-ils un profond respect et une vive admiration. Alors même qu'ils semblaient impitoyables, presque cruels envers leur pénitente, ils ne pouvaient assez s’émerveiller de ses grandes vertus.

Véronique, de son côté, vénérait ses directeurs spirituels à l'égal de Dieu lui-même, et leur obéissait avec une ponctualité, un scrupule qui l'éloignait de la grande délicatesse de son âme.

Tous ces confesseurs furent de saints prétres, des directeurs éclairés. Ceux d’entre eux qui étaient religieux, laissèrent dans l'Ordre auquel ils appartenaient une grande réputation de ferveur, de prudence et de discernement, il faut insister sur ce point parce que la sainte que Dieu leur a donné a diriger est tellement extraordinaire qu'on pourrait: les accuser de n'être laissé éblouir ou entraîner, s'ils n'avaient une réputation bien établie d'hommes très sages et très prudents. On peut dire la même chose des trois évoques qui occupèrent le siège de Citta di Castello pendant la vie de Véronique. Les seigneurs Sebastiani, Eustachi et Codebo étaient des prélats de haute valeur et de grande vertu.

Tous ces directeurs exigèrent avec la même fanneté la rédaction régulière du " diario " malgré les supplications presque journalières de la sainte pour obtenir qu'on lui permit de ne plus l’écrire. Ils l’a grondèrent souvent très sévèrement de ce qu'elle ne racontait pas avec assez de détails les faits trop flatteurs pour elle. 212

La pauvre Mère se soumettait et pleurait en écrivant. Cette obéissance si méritoire irritait le démon qui comprenait le bien que devaient faire ces écrits. On cherchait à troubler Véronique de toutes façons tantôt il faisait autour d'elle un tapage effroyable, d'autres fois il lui arrachait la plume des mains et la jetait au loin, ou encore il renversait l'encrier sur son cahier, le jetait par terre. Véronique éprouvait un grand dégoût de devoir ramasser la plume touchée par le démon. Un jour que son ennemi avait maculé d'encre tout le travail de plusieurs heures, Véronique pleurait amèrement à la pensée de le recommencer. Son ange gardien prit le cahier et le lui rendit sans aucune tache. Il est vrai qu’un autre jour, ou Véronique, par humilité, n'ayait pas relaté plusieurs choses à sa louange, l’ange gardien, mécontent, effaca tout ce qu'elle avait écrit et, sur le papier, redevenu blanc comme neige, lui ordonna de recommencer sans rien omettre.

Les confesseurs de Véronique furent d'abord les PP.Ubaldo Cappelletti et Antomo Taasiman, le premier Oratorien, et le second Servite. Ils étaient les confesseurs ordinaires du couvent; il nous reviendrons sur le role qu'ils jouèrent dans l'histoire mystique de notre sainte.

Nous avons à mentionné le P. Bastianelli, qui, le premier, imposa à Véronique d'écrire son journal. Les PP. Oratoriens Vincentio Segapori et Raynerio Guelfi furent charges de la direction de Véronique jusqu'à sa mort. Ces deux Jésuites, délégues du Saint-Office, vinrent à leur tour examiner la soeur et les choses extraordinaires qui se passaient en elle.

Un Franciscain, le P. Vitale, eut aussi quelques rapports spirituels avec la sainte. Quelques confesseurs extraordinaires reçurent également ses confidences.

Mais ceux, qui avaient le bonheur de la guider dans sa vie spirituelle, recevaient, en échange de leur dévouement, la reconnaissance la plus éclairée et plus efficace.

Plus d'une fois, à son tour, elle les guida dans des cas diffciles, les aida de ses lumières quand ils tombaient en erreur. Plus d'une fois, aussi, elle fut leur intermédiaire entre eux et Jésus.

Elle voyait d'ailleurs, en leurs âmes. Elle voyait l'état de leur conscience pendant qu’ils célébraient la sainte messe (1). Elles les voyait parfois nimbés de rayons, tenant Jésus-Enfant entre leurs mains.

Veronique pénétrait dans les âmes des autres prêtres qui venaient dire la messe au couvent. Un jour elle vit ainsi l’ame d'un prêtre en état de peché mortel. Cette vue la bouleversa, pour le sacrilège commis que pour l’état misérable du prêtre. Aussitôt la messe finie, elle courut au confessionnal et raconta à son confesseur ce qu'elle venait de voir. Ce confesseur fit une enquête discrète et reconnut que Véronique avait bien vue. Plus tard, plusieurs prières de la sainte, le malheureux se convertit.

On voudrait citer le " diario " en entier, montrer, jour par jour, ce que fut cette vie merveilleuse, et nous ne pouvons que la laisser entrevoir. Il y aurait de longs chapitres à écrire sur les communions de notre sainte. Cest un séraphin qui reçoit Dieu.

  1. Le miracle était d’autant plus grand qu'il était impossible aux soeurs de voir le prêtre à l'autel. Elles n'avaient d'ouverture sur l’église que la grille de la communion.
Quand le Seigneur venait en moi, écrit-elle, je le sentais aussitôt dans mon cœur, il attirait mon âme comme l’aimant attire le fer. J’étais toute unie à lui intimement et intrinsèquement. Je suivais ses opérations en moi, mais j’ignorais comment cela se faisait. Je ne puis en dire que les effets. Aussitôt revenue à moi, je souhaitais vivement de changer de vie et le me depouiller de tout. Je n'avais plus,

Pour ainsi dire, que cette seule pensée : Comment ferai-je pour correspondre à tout ce que le Seigneur a fait dans cette union d’amour avec mon âme? A chaque instant me venait un ravissement. J'entendais le Seigneur me redire : " Tu es mon épouse, c'est pour moi, tu dois exécuter tout ce que veux de toi ".

Aussitot, la sainte s'empressait d'exécuter tout ce qu'elle croyait la volonté de Dieu : aider les sœurs, charité pour le prochain, faire le travail de son emploi, c'est à quoi Véronique s'exercait. Alors, en sortant d'une extase, elle se retrouvait occupée à l'ouvrage qu'elle devait faire ou à aider quelque soeur.

Il me semblait, écrit-elle, que je courais alors vers la charité. Je ne voulais pas attendre, car je croyais avoir enfin trouvé la volonté du Seigneur. 215

Aisi la communion augmentait la charité de Véronique. Elle l’augmentait encore dans son cœur, dont la flamme d'amour devenait si violente qu'elle devait, sortant de l’église, aller se cacher dans quelque coin isolé du couvent pour qu’on ne la voie pas tomber en pamoison, véritable évanouissement pendant lequel son âme s'élevait jusqu'au ciel. Souvent alors Jésus-Enfant arrivait " visiblement". Il la prenait par la main en lui disant : " Tu mihi sponsa mea ", et aussitôt les forces revenaient.

Tout ce que je raconte, dit-elle, se passait le jour de communion. La sainte, en effet, ne communiait pas tous les jours, La communion quotidienne était presque inconnue, même dans les couvents. C’est vrai que Jésus, pour consoler son épouse d'une privation qui la faisait réellement souffrir, la communiait miraculeusement, soit lui-meme, soit par le ministère de la sainte Vierge ou des anges.

Les religieuses et le prêtre officiant furent plusieurs fois témoins de ce miracle qu'ils affirmèrent au procès. Ces témoins virent plusieurs fois une hostie entrer dans la bouche de Véronique. Le P. Cappelletti dit que cette faveur inouie arriva au moins cinq fois, à sa connaissance, de l'an 1702 à l'an 1704.

Le journal de la sainte fait mention de communions miraculeuses plus fréquentes encore. Dans les dernières années de sa vie surtout, la sainte Vierge fortifiait celle qu'elle appelait si tendrement sa fille, en lui donnant souvent le corps sacramentel de son divin Fils. Véronique dit qu'elle recevait réellement une hostie et tous les effets du sacrement, comme si elle eut communié par la main d'un prêtre.

Chaque fois que je communiais, écrit-elle, le désir d'une nouvelle communion surgissait aussitôt dans mon cœur, et je communiais en action de grâces pour la dernière communion et en priant pour la prochaine.

La nuit qui précédait la communion, je ne pouvais dormir. Je la passais tout entière en oraisons et pénitences. Je faisais la communion spirituelle et j'y ressentais les délices d’une communion véritable. A peine avais-je appelé mon Jésus qu’Il se trouvait dans mon cœur. Je ne comprenais pas comment les prêtres, en tenant dans leurs mains le Dieu très saint, ne devenaient pas fous d'amour.

Aussi l’épreuve était-elle bien cruelle pour la sainte, lorsque son confesseur lui refusait la permission de communier en dehors des jours de la communauté. Bien plus, au moment de communier, le confesseur, parfois, la renvoyait de la table sainte comme indigne.

A cette humiliation et à cette privation si sensible à son coeur, la sainte baissait humblement la tête. En effet, écrit-elle, en y réfléchissant, je reconnais que je n'étais pas digne d'une telle grâce. Ô mon Dieu, comme j'étais triste J'étais cependant contente d'obéir, et-il m'arrivait, après avoir été ainsi chassée, de communier spirituellement, carie Seigneur me communiait lui-même comme l'eût pu faire le prêtre.

Les religieuses, ses compagnes affirment que Véronique entrait en extase presque toujours après ses communions. Elle avait alors comme elles le disait " un visage de paradis ". Ces extases, d'abord, effrayaient les soeurs. 217

On appelait les supérieurs et les confesseurs. Puis on s'y habitua. Elles édifiaient la communauté.

Un jour, conte la sœur Florida Ceoli, nous discourions avec elle de choses spirituelles, nous vimes son visage devenir d’une beauté angélique, elle restait environ une heure hors de sens. Une autre fois, allant lui demander la bénédiction dans sa cellule, elle fut ravie soudain, et tenait si fortement serré mon doigt dans sa main, qu’il fallut attendre la fin de l’extase.

Un autre jour, comme on avant à recevoir des religieuses, dans une occasion solennelle, l'Abbesse ordonna à Véronique et a deux autres sœurs de faire des gaufres. En travaillant, les trois compagnes commencèrent à chanter quelques cantiques. Tout à coup Véronique se mit à dire: " Mon Jésus, mon Jésus! " et la voila en extase, appuyée sur une des sœurs. On la, secoua, on l'appela vainement. Elle était devenue, dirent les religieuses, belle comme un soleil. En revenant à elle, elle se mit à rire en s'excusant d'avoir dormi. Une autre fois encore, étant malade à l'infirmerie et couchée sur son lit, elle était assistée du P. Ubaldo Cappelletti. Elle se mit encore à soupirer "Jésus, Jésus" et se trouva subitement ravie en extase. On la vit soulevée au-dessus du lit, garddant la positon couchée, la couverture demeurant sur son corps.

Souvent, au milieu d'une confession la sainte devenait muette, elle était ravie en extase.

On peut dire, assure le promoteur de la cause que la servante de Dieu vivait dans une extase presque continuelle. Au réfectoire comme au chœur, dans sa cellule comme au chapitre, l’extase l’enlevait subitement à l’admiration des soeurs présentes, et toutes celles qui la voyaient restaient elles-mêmes ravies de la beauté sublime de l’extatique. On pouvait alors la secouer, l’appeler, rien ne l’a sortait de son immobilité, sinon le commandement de l’abbesse ou du confesseur.

Mais alors, si elle se voyait entourée de monde, en revenant à elle, elle souffrait d'une confusion aussi vive que si on l'eut surprise dans une mauvaise action. Elle se mettait à pleurer et courait se terrer dans sa cellule ou elle pleurait plus amèrement encore pendant longtemps. Elle reprochait doucement à Jésus de ne vouloir pas cacher les faveurs qu'il lui faisait. 219

CHAPITRE XI

LE GRAND JEÛNE. ABSTINENCE MIRACULEUSE. LES MIRACLES DU COEUR.

Le 20 mars 1695, à la communion, Véronique recut du Seigneur l’ordre de n’avoir plus désormais d’autre nourriture que son très saint corps. Déjà la sainte s'abstenait de toute nourriture pendant un jour entier quand elle en obtenait la permission de son confesseur. Mais cette permission lui était difficilement accordée. On lui ordonnait d'avaler au moins deux ou trois bouchées de pain.

Ce jour-là, le Seigneur lui intima plus impérieusement le commandement de communier tous les jours et de ne plus avoir pour subsistance que du pain et de vin aussi on lui ordonnait de manger.

Depuis bien longtemps Véronique sollicitait de son confesseur la grâce de la communion quotidienne, toujours elle lui était refusée. Le nouvel ordre du ciel ne reçut pas un meilleur accueil du P. Ubaldo Cappelletti, alors ordinaire du couvent. Véronique devait continuer à manger comme les autres.

Lorsque la sainte insistait pour obtenir la permission d'entreprendre ce jeûne effrayant, elle le faisait par obéissance à Dieu. En elle la chair se révoltait à l’idée d'une si terrible privation, de longs combats s’engageaient entre son désir d'offrir et la frayeur de cette pénitence. Comme Jésus insistait, la sœur recommancait ses sollicitations, mais cette privation de toute nourriture paraissait si contre nature au confesseur qu’il ne pouvait l’admettre.

Cependant, comme Véronique ne cessait de l'importuner, le P. Cappeletti en référa à l’évêque et à quelques prêtres et religieux prudents. Tous furent d'accord pour ne pas permettre à Véronique une chose aussi extraordinaire qui devait, nécessairement compromettre sa santé. La sainte se soumit, mais, pour tacher de combiner la volonté divine avec les ordres de ses directeurs, elle commença à diminuer, le plus qu'elle pouvait, la quantité de ses aliments. Les directeurs lui enjoignirent de reprendre la nourriture habituelle. Bien plus, on voulut qu'elle prit des aliments plus soignés que ceux de la communauté. On lui commanda de manger de la viande et de prendre du bouillon (1) . Alors s'ouvrit pour elle une ère de longs et nouveaux supplices. Son estomac toujours résigné jusque-là à tout ce qu'elle lui donnait, devint tout à fait malade. La viande, le bouillon, toute nourriture était rejetée immédiatement avec d'intolérables douleurs. 221

  1. Chez les capucines on ne pouvait jamais manger de viande, sinon comme malade, à l’infirmerie.
Ce fut un temps de lourdes épreuves d’un coté Jésus lui reprochait tous les jours plus sévèrement de ne pas lui obéir; d'autre part, le confesseur se refusait à donner la permission demandée. Véronique ne se consolait pas de ne pouvoir obéir au Seigneur et ne cessait de renouveler ses instances auprès de son directeur. Pour mettre le comble à cet état d'angoisse, son imagination excitait en elle une frayeur physique si grande à l’idée de ce jeune, qu’elle tremblait de tout son corps à cette seule pensée. Voyant l’opposition perssistante des confesseurs, elle se demanda si elle n’était pas le jouet des démons et ce lui fut une nouvelle douleur. Elle continuait donc à manger ce qu'on lui donnait, malgré les souffrances de son estomac. Chose étrange, dès qu'elle mangeait du pain sec, elle le digérait parfaitement.Pour rassurer sa chère servante sur le commandement qu'il lui faisait, le Seigneur lui enleva que ces crampes et ces vomissements devaient être la preuve de sa divine voient qu'elle jeûnai. Après cette révélation, Véronique s'adressa dit-elle, au Supérieur majeur probablement l’évêque mais n'obtint pas davantage la permission. Je suis satisfaite de ce refus, avoue-t-elle, parce qu’il m'inflige à une grande tristesse de ne pouvoir obéir au Seigneur, mais mon humanité était à bout.

En effet, elle s'affaiblissait tous les jours, cette lutte prolongée l’a minait. Au moment de me mettre à table, écrit-elle, l’ame que je voyais m'aiguisaient l’appétit, mais à peine les avais-je goûtés, qu'ils devenaient d'une amertume insupportable et le mal de coeur me prenait. Comme malgré tout, je mourais de faim, j'essayais de distraire en pensant à quelque bon plat, mais cela ne servait à rien.

L’insistance de Véronique à la permission de jeuner amena l’évêque et les confesseurs ordinaires et extraordinaires à l’examiner avec plus de soin. Tous craignaient qu’il n’y eut là une illusion diabolique : un des consultants amené à l’effet d’étudier la sœur, et qui, probablement ne la connaissait pas, se montra très sévère. Il lui dit qu'il ne la croyait pas et lui défendit de faire pénitence.

La sainte accepta cette défense et ce blâme mortifiait avec la plus humble résignation.

Elle se plaignit à Jésus dans son cœur.

" Si vous voulez que jeune ainsi, lui disait de faire que celui qui tient votre place auprès de moi me le permette, puisque vous voulez que je lui obéisse d'abord ".

Le calice d'amertume revenait tous les jours, versant son exécrable liqueur sur la nourriture de la sainte. 223

Une nouvelle apparition prophétique vint ajouter sa terreur toutes les autres souffrances de Véronique. C'était une croix énorme, sombre, dont la vue lui causa une frayeur indicible. Cette croix la suivait partout. Toujours elle passait devant elle et une épouvante répulsive la saisissait en la regardant. Elle voulut se vaincre et faire un acte de soumission à la volonté de Dieu. Alors Jésus, lui apparaissant, Ici dit que cette croix lui était destinée. Elle comprit qu’elle lui prédisait de grandes souffrances. Comme elle ne savait ce qu'elles seraient, elle se mit à trembler, son angoisse demeura avec cette croix. Pendant plusieurs jours, et meme la nuit, la grande croix se tenait près d'elle, son âme s'affolait dans la désolation. Une nuit qu'elle luttait pour se plier à une parfaite résignation, la grande croix approcha d'elle et à mesure qu'elle approchait, le courage lui revenait avec la paix et le calme. Jésus lui redit : lorsque la croix devait être désormais son unique voie, qu'en elle, seulement, elle trouverait le contentement. En ce moment elle se vit entourée d'une quantité de croix lumineuses et leurs rayons, pénétrant l'âme de la sainte, lui rendaient son ardeur à souffrir et à combattre. A partir de ce moment, la vue de la grande croix, bien loin de l'affliger, lui donnait une joie débordante.

Une épreuve toute morale et bien cruelle pour Véronique l'attendait en effet.

Les religieuses n'avaient pu ne pas remarquer la difficulté qu'avait Véronique à avaler la nourriture de la communauté. Bientôt tout le monde sut la prétention de la Sœur à jeûner au pain et à l'eau pendant un espace de temps illimité. Ce fut une occasion pour les malveillantes de montrer leur antipathie. Elles avaient beau jeu à accuser Véronique d'orgueil, à dire qu'elle ne voulait pas marcher humblement à la suite des autres, à montrer son extravagance et sa fureur de se faire remarquer. Les autres soeur écoutaient, ne sachant que répondre, scandalisées, elles aussi, des idées de soeur Véronique. Ses plus grandes amies, attristées, la blamèrent en tel secret.

Ce furent des semaines terribles. Jamais la sainte ne s’était sentie si misérable, si abandonnée. Tout le monde la critiquait et la confusion d'être le point de mire de tout le couvent, elle qu’elle ne pouvait que se cacher, la plongeait dans un vrai désespoir.

Pas un mot de réconfort ne lui venait du côté de la terre: evêque, confesseurs, abbesse, compagnes, tout le monde la critiquait et le ciel n'avait à lui montrer qu'un calice et une croix.

De longs mois se passèrent ainsi. Le matin du 8 septembre, alors qu'elle n'avait plus la force de renouveler sa prière, le confesseur lui dit tout à coup : Aujourd'hui vous pouvez commencer à jeûner au pain et à l'eau, l'évêque le lui permis.

Véronique ressentit tout d'abord une grande joie à l’idée de pouvoir enfin obéir aux ordres du Seigneur, mais la nature humaine se révolta. Elle demeurait terrifiée devant le labeur imposé.

Pendant toute sa jeunesse, Véronique n'avait jamais pu supporter le jeûne au pain et à l'eau. Elle tombait toujours malade ensuite. Maintenant que sonnait l'heure de l'abstinence la plus rude, un tremblement nerveux la saisissait, et s’éclatait en sanglots. 225

Viens le moment du repas, elle pleurait encore.

Elle alla néanmoins se mettre à table et pour manger son pain sans vomir.

Cette permission du jeûne avait été pour elle peu de jours avant la réélection de la Mère Albizzini dont nous avons parlé plus haut, élection qui ramenait au pouvoir une prieure vraiment malveillante à l’égard de Véronique.

La soeur Ludovica, la plus acharnée des ennemis de la sainte, lui fut adjointe pour l'aider à la " pannera " (1).

Le jeûne extraordinaire coincidant avec cette nouvelle direction de la communauté, amena un véritable déchaînement contre Véronique. Ses meilleures amies n'osaient plus la défendre. On en vint jusqu'à aller l'accuser auprès de l'évéque d'extravagance orgueilleuse, on la représenta comme une folle qu'il fallait mettre à la raison une bonne fois.

Lorsque les mauvais traitements devenaient par trop douloureux pour la sainte, celle-ci, loin de s'en facher, s'accusait de manquer de charité.

  1. Cette Ludovica, véritable brebis galeuse du troupeau béni, avait juré une telle haine à Véronique qu'elle déclarait bien haut qu'elle ne voudrait pas près d'elle à la mort. Nous verrons comment la sainte se vengea de ce propos.
Tout cela, dit-elle, m'était un bon exercice. J'avais un motif de plus pour être meilleure envers celles qui m'étaient le plus opposées. Il me sembla que je les aimais mieux, j'étais plus tranquille auprès d'elles. Je crois qu'elles ne parlaient que par un zèle sincère. Cela ne l’empêchait pas de ressentir vivement leurs reproches. Alors je me disais à moi-même :

" Voici un vrai jeûne, sois morte à tout ".

La Sœur Ludovica profitait de ce poste pour accabler Véronique de griefs imaginaires qu'elle accumulait en se voyant écoutée. Elle se montrait véritablement dure pour la douce soeur qui jamais, ne lui démontrait ou moindre impatience, ni la moindre aigreur. Son humilités ne couta ni vil ses reproches intustes de cette créature, eut touché le cœur le plus insensible. Mais celui de soeur Ludovica paraissait possédé du diable en ce moment.

C'était l'enfer qui inspirait cette persécution. Il voulut l'y aider. On vit plusieurs fois Véronique se glissant au réfectoire, à la dépense, à la cuisine, comme en cachette et mangeant. On la vit même manger un jour avant la communion. Ce jour-là, ce fut précisément la soeur Ludovica qui aperçut Véronique, elle appela deux autres sœurs pour leur montrer l’indigne trompeuse et toutes, pleines d'une sainte colère, accoururent au chœur pour prévenir l'Abbesse de la conduite honteuse de leur compagne. Quelle ne fut pas leur stupéfaction, en arrivant au chœur, d'y trouver Véronique plongée dans la prière. Elles demandèrent depuis quand là Sœur était là. Il leur fut répondu qu’elle y était depuis longtemps. Le P. Cappelletti auquel on avait porté les accusations de gourmandise de Véronique, ordonna une enquête minutieuse sur ces prétendues visites à la cuisine et au garde-manger. Il fut démontré en toute évidence que la sainte avait été vue ailleurs lorsque le fantôme qui lui ressemblait volait les provisions pour les dévorer.

Ne réussissait pas à la faire accuser, le démon s’attaqua directement à Véronique. Il mettait dans sa cellule les mets les plus appétissants, alors que la faim tiraillait son estomac, ou bien, la transportant au réfectoire, il l’engageait à manger en cachette. Un signe de croix de la sainte faisait disparaitre les victuailles tentatrices et le tentateur lui-même. Il s'en vengeait en laissant dans la cellule une odeur tellement nauséabonde que Véronique en tombait asphyxiée.

La soeur Ludovica fût très ennuyée de n'avoir pu prouver la tromperie de Véronique et continua sa persécution. Dieu ne tarda pas à la punir. Elle fut brusquement attaquée au sein. Cette horrible maladie était un objet de répugnance pour les autres sœurs qui ne pouvaient la panser sans dégoût. Véronique sollicita comme une grâce de pouvoir la soigner. Elle le fit avec tant de dévouement que la malheureuse ne voulut plus avoir d'autre personne qu'elle à côté de son lit. Ce fut dans les bras de la sainte que mourut la soeur Ludovica, pleine de répentir et de tristesse de sa conduite passée. 228

Pour soutenir Véronique dans rude entreprise, Jésus ne me ménageait pas les consolations spirituelles. Après l’avoir élevée jusqu’au délices du ciel, il lui démontrait l’état des âmes pécheresses. Leur laideur épouvantable bouleversait la sainte et lui donnait une nouvelle ardeur pour expier! Une autre fois, elle voyait le Tout Puissant menacant la terre avec une épée enflammée, ou bien Jésus se montrait couvert de sang et de plaies. A cette vue, elle le repoussait toutes ses pensées de découragement et de lacheté, dans l’ardent désir d’effacer le péchés.

"Que veux-tu donc, disait-elle à son corps exténué. A quoi bon ces lamentations? Tu es la servante de tous et tu dois te vaincre toujours. Mais, reprenait la nature : Comment aurais-je des forces, tu ne me nourris que de pain et d'eau?

" Ah! tu te plains! Tu vas voir ". Et Véronique, saisissant sa discipline ou sa verge d'épines, se frappait jusqu'à ce que le corps, épuisé, se tût.

La puissance divine soutenait miraculeusement Véronique dans une abstinence qui eût dû la faire mourir d'inanition; mais pour lui en laisser tout le mérite, elle éprouvait la faiblesse naturelle à une sustention insuffisante. Au moment de quitter son lit, elle tombait sans forces sur le sol si elle essayait de marcher sans se soutenir, elle tombait encore.

Plusieurs fois la semaine, à cette époque, la couronne d'épines lui était imposée et en même temps elle subissait la souffrance horrible qu'elle appelait la retiration des nerfs.

Malgré tant de maux, jamais elle ne demanda la moindre dispense pour éviter une peine ou un travail fatigant. Si parfois, s'apercevant de sa faiblesse, on l'envoyait à l'infirmerie, si on lui commandait de cesser son travail, Véronique suppliait avec larmes qu'on lui permît de continuer à suivre l'observance.

Et cependant, Il y avait certaines besognes du couvent qui lui coûtaient beaucoup. C'était surtout le travail à la cuisine; chacune des religieuses ayant son tour pour apprêter la nourriture. Son appétit alors se réveillait et l'estomac tiraillé réclamait impérieusement son dû. Elle eût succombé à la tentation sans le secours de Jésus lui-même. Elle le sentait à coté d'elle qui lui disait de temps en temps " N'aie pas peur, je suis près de toi ".

Véronique se résignait donc et continuait sa vie austère. Jésus exigeait davantage. Il lui apparut un jour et lui dit qu'il ne voulait plus qu'elle vive autrement que de la croix pure et nue. La sainte examina sa vie. Elle n'y trouva pas un instant qui ne fût consacré à la souffrance physique ou morale et au renoncement complet à elle-même. Les seuls instants de paix et de consolation qu'elle pût goûter étaient ceux qu'elle passait au confessionnal. Si donc elle y éprouvait le repos des consolations sensibles, c'est qu'elle n'était pas entièrement morte à elle même. 230

Donc elle se recherchait encore, elle n'était pas absolument soumise à la pure souffrance.

Pour l’amour de Dieu, écrit-elle aussitot au P. Cappelletti, n’ayez aucune compassion à moi, père confesseur. Quand vous voyez que je souffre ne me consoler pas, mais dites-moi durement : " Allez-vous en, je ne veux pas vous écouter, vous avez la souffrance, qu'elle vous suffise ". Au jeûne vint ajouter, à la fin de l’an 1695, un surcroit de souffrance physiques. 231

Chaque nuit de cet Avent, écrit-elle, j'avais mal dans toutes les jointures de mes os. Un tremblement général me donnait une forte fièvre. Une inflammation de la gorge me revenait chaque semaine, provoquant un gonflement tel que ma langue même était gonflée, ma bouche se crispait, je n'aurais pu avaler une goutte d'eau. Tous les vendredis j'eus la rénovation de la couronne d'épines.

Les tentations ont été innombrables. Chaque nuit j'étais battue deux fois par d'épouvantables fantômes, la fétide et horrible puanteur diabolique m'infectait au milieu de hurlements de damnés. Plusieurs fois la semaine j'eus la retiration des nerfs. Je fus tout le temps plongée dans l'aridité, la désolation, dans la contrariété en tout. Que Dieu soit béni!.

La vision fréquente de l'état affreux des âmes mortes par le péché, rendait à Véronique ses courage. Elle ne s'habituait pas cependant à ce jeune effrayant. Chaque jour l’estomac etait en lutte avec sa volonté. Au carnaval de 1696 la Mère abbesse, selon l'habitude du couvent, permettait à chaque soeur de d’aller prendre au garde-manger ce qu'elle préférait. La perspective de manger autre chose qui son habituel pain sec réjouit Véronique. Mais ce mouvement instinctif du corps aux abois ne pouvait être toléré. La chair pourtant ne désarmais pas. L'idée de prendre un peu de panade devenait plus impérieuse. Quel regal après tant de mois de privation!. L'attirance de la grenade fut si violente que Véronique entra dans la dépense où elle se trouvait. Mais ce fut pour mieux vaincre l'ennemi.

Ah! tu veux manger quelque chose, dit-elle en se couchant, par terre, eh bien, mange la poussière du sot, régales-toi de cette ordure. Pendant les trois jours du carnaval, Veronique fit la même pénitence. Puis elle alla préparer le macaroni de la communauté. Elle laissait parler la nature qui lui disait qu'en ce jour de grâce, avant les grandes austérités du Carême, les ermites eux-mêmes se donnent un régal, tandis qu'elle seule n'avait que du pain et de l'eau. Ah! tu veux me tourmenter, friponne! se disait-elle, arrêtant brusquement les pensées tentatrices. Si tu étais avec une autre que moi, tu ne voudrais jamais faire pénitence!

Mais elle devait se vaincre parfaitement, ainsi le voulait le Seigneur. On lui retira la place de "rotara" pour la mettre au dispensaire. 232

Elle devait donc toute la journée manipuler les provisions de bouche du couvent. Les commencements furent très pénibles, la vue des aliments réveillait curieusement son appétit, les souffrances de la faim étaient doublement pénibles. Pour vaincre la nature, Véronique se priva d'abord pendant trois jours de toute boisson, puis en sortant le diner au réfectoire elle s'agenouilla devant la communauté en s'accusant d’avoir commis un péché en désirant immodérément de la nourriture.

Elle alla ensuite demander au confesseur de lui indiquer un moyen de mortification pour faire taire à jamais son horreur de l'abstinence. Le prêtre lui conseilla, lorsqu'elle avait une envie trop violente de manger, de prendre un poisson et de le tenir près de la bouche sans y toucher. La sainte le fit, mais au lieu de prendre un poisson frais, elle prit un poisson pourri afin de se punir davantage.

En même temps que se poursuivait la lutte entre l’estomac et l'abstinence, l'être humain de Véronique était l'objet d'autres miracles transcendants dont son coeur était le centre. Dieu s'est plus à manifester souvent sa prédilection pour le cœur des saints, celui de Véronique serait comme un autel où l’encens du miracle devait fumer toujours.

Nous avons vu quel embrasement s'allumait dans ce cœur après la communion, dès les premiers jours de son entrée au couvent Ce premier effet de l’amour divin fut bientôt suivi de coups au coeur. Ces coups se disaient entendre dans les moments de ferveur extraordinaire, Fois annonçaient aussi à la sainte des choses mystérieuses. Les sœurs l’entendaient ces coups pendant les oiaces. Plusieurs fois aussi Véronique entendît dans son coeur des mélodies ravissantes, comme si les anges en peuvent chanter.

Peu après le couronnement d'épines qui fut le commencement de tant de souffrances pour la sainte, Jésus, dans une vision, planta une croix dans son cœur. C'etait un joyau précieux en signe du pacte par lequel Véronique se donnait toute à Jésus.

" En plantant cet arbre dans mon cœur, dit-elle, il voulait montrer sa domination absolue sur ce cœur, et l'élection qu'il en faisait comme habitacle. Pour que je ne l'oublie jamais, une douleur continue me rappellerait celui qui en est le maître ". Dès ce jour le cœur de Véronique ne cessa plus de souffrir. Elle souffrait davantage en priant pour les pécheurs. " Les effets de cette croix, dit-elle sont innombrables ". Quelquefois c'était une flamme brûlante, dont l'ardeur me faisait faiblir; puis me ravissait hors de moi. En ce moment toutes les opérations de l'âme sont arrêtées. Seul règne dans le cœur, l'amour qui détruit tout. Sa flamme, je la voyais sortir comme des racines de l'arbre de la croix. Il me semblait alors que mon cœur se dilatait, aspirant à contenir toujours plus de souffrance.

A la communion je croyais que mon coeur s'ouvrait comme on ouvre une porte pour entrer un ami. La plaie aux mains ensanglanter pour me laisser seule avec Dieu. 235

Je ne puis vous raconter tous ces effets, ces mouvements, bonds et allégresses, tels que je les ressentais.

Si je vous disais que toutes les joies et les douceurs que deux amis de ce monde éprouvent à se voir ne sont rien, si je vous demandais de mettre ensemble toutes les joies de l’univers, je dirais encore que ce n'est rien, car un instant du bonheur que Dieu met dans mon cœur par son union avec le mien, dépasse toute la douceur du bonheur terrestre.

" L'amour le fait sauter et bondir; l’amour Le fait jubiler et festoyer, l'amour le fait chanter ou se taire, l'amour le repose, l'amour le possède et lui tient lieu de tout l’amour le domine et le remplit ". Je ne puis en dire davantage. Quelquefois il semblait à Véronique que son coeur était comme un vaisseau au milieu de la mer, et cette mer était l'immensité de Dieu.

Le pilote qui est l'âme va, contemplant cette mer immense. Il est hors de lui, il ne sait ce qu'il fait.

Parfois il s'arrête, mais il marche sans le savoir, parfois il se jette dans la mer, car il désire vivement sonder la profondeur de l'amour infini. Mais plus il plonge, plus la soif devient profonde. Il comprend alors l'infini d'amour de cet Océan, il retourne, heureux, dans la nacelle de son propre coeur, mais la nacelle tourne sans cesse dans la mer sans jamais voir la cote ni le port, car il lui est impossible de parcourir cet Océan.

Un jour, étant avec la Mère Térèsa Ristori, toutes deux parlaient du martyre. Le cœur de Véronique s’enflammant du désir de cette immolation, il lui vint une palpitation effrayante. " Je n’en puis plus, mon Dieu! " soupira la sainte. Et sa compagne entendit dans sa poitrine trois coups si violents qu'elle crut que le corps allait se briser, et courut faire chercher le médecin.

Souvent aussi l'embrasement de son coeur lui provoquait une douleur si cuisante qu'elle etouffait.

Un jour qu'elle desirait ardemment posséder dans son cœur la Passion de Jésus, Il lui apparut tout couvert de plaies, portant en main les instruments de cette Passion. Je viens, lui dit-il, te montrer ce que ton coeur désire tant, mais à la condition qu'il ne restera en toi que la croix. Par cette possession tu participeras à toutes les souffrances que j'ai subies. Il me semble, dit-elle, qu'en ce moment il plaça, dans mon cœur l'instrument de la flagellation, puis il disparut. Désormais le cœur de Véronique devient comme une harpe très sensible que le moindre choc fait résonner. Un seul regard jeté dans son cœur et elle y trouvera le point de la Passion qu'elle doit méditer. 236

Si elle désire expier pour les péchés, son coeur aussitôt lui semble en forme d'épines, battu, abimé. Qu’elle veuille s’élancer jusqu'au foyer du divin Amour, son cœur projettera sa prière comme un oiseau qui vole vers le ciel. C’est le cœur qui lui montre son néant et la grandeur de Dieu ; c’est le cœur qui brule de souffrir, qui reçoit les enseignements de Jésus, qui est le centre de toute sa vie mystique.

En 1694 Véronique avait reçu la révélation qu’elle commencer trente-trois années, de souffrances, en union et lui la vie de Jésus, au tout desquelles il viendrait la chercher pour la mener au ciel. C'est alors qu’elle se fit une croix sur le cœur avec un canif.

Le 26 mai 1696, comme elle était en oraison (1), elle sentit son coeur s'embraser soudain d'une ardeur extraordinaire et, sous l'impulsion de cette ardeur, se mit à crier très fort: " Vive la souffrance!, Vive 1'amour! ", A l'instant elle reçut au cœur comme un coup de lame acérée qui la fit s'évanouir de douleur. Elle revint à elle pour crier de nouveau " Vive l'amour! "

" La place du coeur, ecrit-elle, était à ce point brûlante qu'en y passant la main au-dessus de l'habit elle se brûlait, et je devais soulever un peu l’habit pour qu'il ne touchât pas cette plaie qui me semblait une plaie excessivement douloureuse " . 237

1. Elle priait saint Philippe de Néri pour lequel elle avait une si tendre dévotion qu’elle l’appelait ordinairement " son oncle ". Cette dévotion toi était inspirée par les nombreux Oratoriens qui furent ses confesseurs. Je fus suis saisie d'une soif de souffrances dit-elle, mais je ne trouvais rien qui put l'apaiser. Si je prenait des épines, je les sentais à peine ; si je flagellait jusqu’au sang, je nageais dans les délices. La douleur du cœur demeura toujours, parfois si aigue que je ne respirais plus.

Par obéissance, Véronique dut humilier cette nouvelle souffrance à son confesseur qui lui ordonna de regarder son coté à la place ou elle sentait cette chaleur. Elle ne vit qu'une petite marque à peine de la largeur d'un cheveu, mais tout autour la chair était enflammée.

Le 17 juillet, Jésus apparaît encore, " Ma Bien-aimée ", dit-il, donne-moi ton cœur.

Je répète cette demande trois fois, et la troisième fois la même sensation d'une lame aigue, traversant le cœur, fait frémir Véronique.

Enfin arriva la Noel de l'an 1696, jour mémorable de la vie mystique de la sainte. La veille, elle avait eu la révélation qu'elle recevrait le lendemain une blessure au coeur et aurait la faveur d'une rénovation du mariage mystique. Elle avait passé la sainte veillée dans les plus âpres pénitences. En entendant la cloche des matines, ne pouvant plus tenir en place la sainte se mit à courir dans le couvent pour réveiller les soeurs. Elle allait les prendre par la main dans leurs cellules, en criant

" Ma Sœur, n'entendez-vous pas qu'on sonne matines? Il n'est plus temps de dormir.

Sus! Sus! Levez-vous! "

A la fin des matines, un premier coup de lance dans le coeur annonça à la sainte que l'heure solennelle approchait.

On commenta la messe de minuit. Tout à coup l’Enfant Jésus apparut aux yeux de sa servante extasiée, il avait ouvert de joyaux magnifiques de la forme de coeurs. Seul, le bijou qui couvrait la place de son cœur divin avait la forme d’une croix. Marie portait son divin Enfant et les saints protecteurs particuliers de Véronique entouraient l’auguste groupe. Jésus alors renouvela ses épousailles et donna à celle qu’Il élevait jusqu’à la joie de voir le pacte qu'elle avait écrit jadis avec le sang de sa blessure, reposant sur le cœur de Jésus. A son retour à elle-même, à la fin de la messe, les mêmes scènes de transports d'allégresse, de courses au jardin, d'appels aux pécheurs occupèrent le restant de la nuit et, à l'heure de prime, elle était déjà dans l’église, pressant dans ses bras la statue du divin Bambino. 239

Une extase la saisit. Elle se vit dans la grotte de la crèche et Jésus lui souriait. Il avait dans la main une baguette d'or au bout de laquelle sortait une flamme. L'autre bout avait la forme d'un fer de lance. Jésus posa le côté de la flamme sur son cœur et le fer de lance sur celui de Véronique. Elle sentit le fer la traverser de part en part. Jésus, en souriant, l'invita à ne plus rechercher que la pure souffrance, L'office de l'aurore commençait, la sainte ravie est elle dans un état inexprimable de joie et d'agitation.

Elle souffrit cruellement, il lui semblait qu’elle saignait. Rentrée dans sa cellule et n'osant regarder la place de la plaie, elle y placa un linge qu’elle en retira plein de sang.

Lorsqu’elle eut rapporté ce fait au confesseur, il lui ordonna d’examiner la plaie. Elle vit une ouverture de centimètres de long sur un de neuf centimètre de large. La plaie était béante mais le sang ne coulait plus. Pendant plusieurs jours elle resta ouverte, occasionnant des souffrances atroces. L’ardeur brûlante de cette blessure l’empechait de reposer la nuit. Elle ne pouvait s’étendre sur son lit parce qu’alors les souffrances devenaient intolérables. Ce supplice ne faisait qu'augmenter pour Véronique sa soif de la douleur.

Elle s'imposa de nouvelles mortifications.. Elle se privait tout un jour de son pain et de son eau ses nuits se passaient au jardin, dans la neige ou la pluie, courbée sous la grande croix, se flagellant ou s'offrant aux coups du démon.

Une nuit, accompagnée de la Sœur Giacinta, après avoir fait de cruelles pénitences, comme elle se sentait abattue, elle voulut punir son humanité de ses barbottages. Elle pria la Sœur de la battre de toutes ses forces, aussi longtemps qu'elle le pourrait, puis de lui donner des coups de pieds, de la souffleter sur la bouche, enfin de lui faire tout le mal possible.

Sœur Giacinta, habituée à de semblables demandes, exécuta avec une docile simplicité tout ce cruel programme à la grande joie de Véronique.

Nous ne pouvons essayer de suivre pas à pas la sainte dans le récit de toutes les peines quelle s’imposa après avoir eu le coeur ouvert. Le récit en est terrifiant. Pendant tout cet hiver, elle dit chaque nuit le chemin de la croix sur ses genoux dans le Jardin, portant le banc de la chapelle Saint-Paul. Elle veut reconnaitre la faveur divine qui lui est faite en redoublant ses prières pour les pécheurs, et les âmes qu’elle sauve ainsi doivent être nombreuses si on en juge par le redoublement de fureur infernale qu'elle a a essuyer dans ces nuits mystérieuses où l'humble jardin des capucines est le théâtre de luttes formidables entre le ciel et l'enfer.

Au milieu de ces pénitences, la sainte sentait tout à coup ce qu'elle appelle un je ne sais quoi au cœur. Il se mettait à battre tumultueusement et la douleur s'avivait. La sensation d'un hôte divin, très doux et très aimable, la transportait. Je sentais les invités de Jésus, dit-elle, elles me faisaient comme voler dans le jardin. Je n'éprouvais plus le froid, j'étai scomme folle. Je disais "Je vous veux. Seigneur, venez, venez je suis dévorée de soif, j'ai besoin de boire, mais je ne veux boire que votre calice, c'est-à-dire les peines et les croix"

Dans ces instants de transports spirituels, si elle rencontrait une religieuse, elle lui disait joyeusement Ma soeur, aidez-moi à aimer Dieu, à tout faire pour son amour. Il est temps, ne tardons plus. 241

Cependant ce phénomène nouveau dans la vie est si extraordinaire de Véronique était l’objet de conférences entre l’évêque et les confesseurs de la sainte.

Cette blessure, qui s'ouvrait à certains jours, saignait et se refermait une occasionant des douleurs très vives, était une chose anormale. Le P. Tassinari et le chanoine Cardoni, tous deux habitant Citta di Castello, avaient été déjà signés par l’évêque depuis quelque temps comme confesseurs extraordinaires de la Sœur, et chargés d'étudier les diverses phases de ses états mystiques avec le P. Cappelletti. On ordonna à Véronique, le 25 janvier 1697, de montrer la blessure du coeur aux sœurs Teresa Lazzari, Marguerite Marconi, et aux converses Claire, Francesca et Giacinta. Il fut donné à ces soeurs le droit d'obliger Véronique à montrer sa plaie autant de fois qu'elles le jugeraient utile. Ce fut une profonde humiliation pour la sainte, et une tristesse excessive. Elle supplia le Seigneur de refermer la plaie afin qu'il n'en restât plus de trace, mais elle ne fut pas exaucée.. Il voulait affirmer, pour les siècles à venir, la véracité des miracles qu'il opérait en Véronique; il fallait donc qu'ils fussent connus de nombreux témoins.

Le 2 février, nouveau phénomène. Véronique sent que le Seigneur a comme arraché son coeur hors de sa poitrine. Elle le voit, serré très fort, dans la divine main. Elle en éprouves une vive douleur, puis un brasier ardent semble occuper la place du cœur. C'est le commencement d'une vision merveilleuse ou se renouvellent encore les épousailles divines, ou il est encore donné choisir entre une couronne d'or et de joyaux et une couronne d'épine c’est qu'elle préfère l'autre. 243

Mais le coeur devient le centre de merveille incroyables. Il ouvre, se referme il est pris et rendu par Jésus. Bien plus, il est changé souvent contre un autre! Il est impossible de suivre le journal de Véronique dans le récit de tant de faits que seraient incroyables s'ils n'étaient pas unanimement assurés par de nombreux témoins. Véronique aura désormais deux coeurs, le coeur souffrant couronné d'épines, courageux pour la douleur et contre les tentations, et le coeur amoureux, tout de flammes, tout d'amour et de zèle, que Jésus changera selon son gré, comme il ouvre et ferme la blessure du coeur d'après sa sagesse infinie.

Le Seigneur annonce ordinairement à Véronique, à l'avance, le jour et l'heure où il ouvrira ou fermera la plaie, elle le dit au confesseur qui peut ainsi suivre les divers actes de ce drame divin.

Lorsque Jésus prend le coeur de Véronique pour le purifier, le mettre dans son cœur, le donnera sa Mère, ainsi qu'elle le voit dans ses extases, la blessure s'ouvre et saigne. Quand il remet le cœur, il referme la plaie en la bénissant. Lorsque Véronique n'a plus de cœur, on n'entend plus le battement artériel. Lorsqu'elle a le coeur amoureux, la chaleur brûlante est assez forte pour empêcher de garder la main a cette place, même au-dessus de l’habit. Ainsi, les signes extérieures les plus probants viennent appuyer les aveux de l’humble Capucine, et font éclater à tous les yeux l’origine divine des phénomènes qu’elle subit. 245

CHAPITRE XII

STIGMATISÉE. PRÉPARATION AUX STIGMATES. L'AGONIE AU JARDIN DES OLIVIERS. LA STIGMATISATION.

Dès les premiers jours de janvier 1697, Jésus avait annoncé à son épouse bien-aimée qu'il allait l’élever à un nouveau degré d'union avec lui. Elle devait se préparer à cette grâce par la souffrance.

"Le Seigneur, ecrit-elle gaîement peu après, m'a revélée qu’il voulait faire carnaval avec moi par toutes sortes de tribulations. Je l'ai commencé hier soir. Depuis l'Ave Maria jusqu’a une heure de la nuit, j'ai eu une sueur glacée. Je crois avoir ensuite éprouvé les peines du purgatoire. Puis ce furent des douleurs aux jointures des os, la retiration des nerfs et une terrible bataille avec le diable.

Les souffrances de ce Carême furent à ce point excessives que, sans les extases moins nombreuses qui devenait pour elle des instants de réconfort. Elle fut mortes mille fois. Une seule de ses souffrances eut suffi pour tuer toute autre créature humaineé L’agonie au Jardin des Oliviers qu'elles subies toutes les nuits est d'une horreur indicible. L'âme commence par y etre par accablée d’une poignante désolation, d’une aridité qui laisse l'esprit comme égaré dans de profondes ténèbres. Le coeur est sans amour et l'âme isolée, se noie dans une mer d'amertume. Pour elle, Dieu et les saints n'existent plus, car son angoisse ne se peut imaginer, c'est le néant, c'est presque le doute dans son indicible désespoir qui vient la saisir, comme pour la noyer dans un sombre abîme. Alors la croix, la terrible, épouvantable croix, se dresse, et la frayeur de Véronique arrive à son paroxysme. La nature humaine, incapable de supporter cette douleur morale intense, entre en agonie. C'est une agonie sans espoir, sans consolation, sans secours. Le poids de l'horreur du péché accablent l’âme, la dette d'expiation l’écrase, la souffrance est telle que le corps perd sa chaleur normale. J'étais comme au milieu de la glace écrit-elle. Une sueur froide inonde ses membres, mouille ses vêtements comme si elle se fut plongée dans l'eau. Des douleurs qu'elle ne peut exprimer la torturent des pieds à la tête.

Les autres religieuses furent témoins plusieurs fois de cette épouvantable agonie. Elles trouvaient la sainte presque morte dans sa cellule, baignée d'une sueur glacée, souvent aussi, sanglante. On ne parvenait à la réchauffer qu'à grand peine en la frottant avec des linges brûlants (1).

1. Le Seigneur, pour attester plus clairement le annuité de ces agonies, permit que tous les tissus ayant servi à essuyer Véronique restassent imprégnés d’un suave un parfum. Ce parfum se communiquait à la lessive et autres objets qu’on lavait en meme temps. Les sœurs reconnaissent toutes les linges qui ont servis a la sainte. Les attaques du démon, l’infection laissée dans la cellule, achevaient le supplice de la pauvre soeur. Elle essayait de plaisanter avec elle-même pour se rendre du courage. Hors, Véronique, se disait-elle, voici le moment de crier " Vive la croix, vive la peine! " Mais, ajoute t-elle, je ne savais que gémir, car je n'en pouvais plus. Je ne recevais aucun secours, je disais: " Que la volonté de Dieu soit faite! Mais je le disais tristement comme par routine."

Tous les vendredis de ce Carême, Jésus, dans une vision, transperce son coeur à nouveau, renouvelant les vives douleurs et répanchement du sang. Le P. Cappelletti avait ordonné à la Sœur d'écrire avec ce sang, chaque vendredi, le récit de ce miracle comme preuve visible. Mais la sainte souffrait beaucoup quand elle mettait sa plume dans la plaie sainte.

Une nuit, le démon, dans sa fureur, vint lui appliquer des fers rouges sur tout le corps. Comme elle ne pouvait presque plus remuer un bras et une jambe, le lendemain matin, elle s'aperçut que ses membres étaient couverts de cicatrices encore fraîches.

Mais une peine plus cuisante lui fut ordonnée Le confesseur iui commanda. lorsqu'elle avait une vision, de chasser avec mépris les apparitions qui se présentaient à elle. L'idée de chasser Jésus, Marie, les saints lui parut au affreusement penible. Elle le fit cependant.

Un jour qu'elle avait ainsi épousé l’Enfant Jésus, en lui disant qu' elle le croyait un démon, le doux Bambino l'embrassa tendrement. " Sois tranquille ", lui dit-il, je ne le suis pas le démon, et j'aime de te voir obéir; raconte tout ceci à ton confesseur, et dis-lui d'être tranquille, car c'est de moi que viennent toutes ces choses incompréhensibles.

Comment ferai-je donc? dit un jour Véronique au Seigneur, qui l'a appellé à de nouvelles communications. Comment ferai-je, je dois préparer le diner?

Va à ta cellule, répond Jésus, et ne t'inquiètes pas du dîner.

Véronique obéit, a peine dans sa cellule, elle est ravie au ciel et reçut de Jésus un baiser de paix.

Revenue à elle, elle voit qu'il est l'heure du dîner. Elle court à la cuisine, effrayée, craignant que les sœurs qui l'aident ordinairement n'arrivent et ne constatent qu'il n'y a rien de fait. Ô miracle, le feu est allumé, le dîner, bien assaisonné, mijote dans l'âtre. Tout est cuit à point. L'extase cependant n'a duré qu'une demi-heure. Les sœurs arrivent et s'étonnent que tout soit déjà prêt. Bien sur que c'est votre ange gardien qui est venu travailler ici, à moins que ce ne soit le bon Dieu lui-Même a, s'écrie une des sœurs.

On lui porte le diner au réfectoire, mais à peine ont-elles goûté des plats, les bonnes sœurs se regardent stupéfaites. Jamais elles n’ont rien mangé de si exquis.

" C’était de la cuisine du paradis " dit une Sœur au procès.

Le 31 mars, Véronique est tout a coup transportée au milieu de la cour céleste (1). Quand elle voulut s'approcher du trône de Jésus, elle le vit se couvrir le visage de Ses mains. Elle se tourna vers la sainte Vierge qui fit la même chose, et elle voulut aller vers les Saints qui se détournèrent. Tremblante et désolée, Véronique restait seule, anéantie de confusion, croyant n'avoir plus qu'à attendre la sentence de sa damnation. Son ange gardien vint lui dire de s'agenouiller et de commencer sa confession générale, mais elle ne pouvait parler. La vue de ses péchés la remplissait de honte. Elle ne savait que répéter : " Mon Souverain Bien, Époux de mon âme, je t'ai offensé, ô Bien infini!. "

  1. Véronique avait reçu le 14 mars, l’ordre du Seigneur de préparer une confession générale. Des grâces multipliées l’avaient aidée dans la prératation.
Jésus, sévèrement, la fit taire et commanda à l'ange gardien de faire l'accusation à sa place. L'ange commença, prenant la vie de Véronique dès l'âge de trois ans.

" Il m'accusa de tout, écrit-elle, et quoique ce fut une accusation générale, je distinguai la moindre petite pensée. Ô quel compte à rendre à Dieu. Quel tourment! Quelle confusion.

Quand mon ange en vint aux fautes à commises envers la sainte Vierge, le Seigneur appela sa Mère, et est elle-meme qui m'accusa. Tout ce que je croyais avoir fait en son honneur n’avait aucune valeur, ne pouvait avoir aucun mérite. Je voyais mes dévotions à la divine Mère comme autant de fleurs fanée et pourries. Dans ma honte, je ne pouvais parler. J'essayai de me recommander à ma bonne protectrice, mais elle se couvrait le visage je lui promettais de mieux faire à l'avenir, je lui demandais pardon, mais elle gardait toujours son visage caché dans ses mains.

A la fin, le Seigneur me dit: "Mes plaies suppléeront à tant de fautes commises et rendront tes actes fructueux et dignes de moi". Alors les fleurs fanées devinrent fraîches, d'une couleur d'or et toutes parfumées, et la sainte Vierge me donna sa bénédiction et se rassit sur son trône.

Mon ange gardien reprit l'accusation. Arrivé aux fautes contre la pureté, je me souviens de l'ordre que m'avait donné mon confesseur, de demander à Dieu si j'avais péché mortellement, et si, tout le temps que j'avais caché ce péché en confession, j'avais commis un sacrilège. Il s'agit du péché que Véronique eut tant de peine à accuser. Comme on le voit, ce n'était pas un péché mortel et Jésus lui-même déclare par ces paroles que ce n'en a jamais commis. Si la sévérité de cette confession était le lecteur qu'Il se souvienne qu'Il s'agit ici d'une âme que Dieu veut élever au plus haut perfection. Remarquons que pour les âmes de bonne volonté.

Le Seigneur répondit " Dis au confesseur que ta faute n'était pas morte, mais ta foi bien près de tomber dans la mort. Si moi Jésus je ne savais pas retirée du danger, tu aurais commis des fautes sans nombre. "

Je recu alors des lumières particulières sur les fautes graves et les causes de péché qui lui plaisent le plus pour commettre un péché mortel, faut en avoir la volonté, et savoir par lui-meme est que l'acte qu'on veut faire est un péché. Si tu avais cru que c'était un péché mortel, ajoute le Seigneur, si tu avais reconnu sa noirceur, tu ne l'aurais pas commis. J'ai voulu le laisser souffrir, pendant plusieurs années, les angoisses et la confusion comme expiation de ta faute.

Mon ange continua la confession et vint aux péchés commis au tribunal de la pénitence. Le Seigneur me reprocha alors de n'avoir pas dit des pensées impures qui m'avaient assiégée parce que j'en étais honteuse et que je ne savais pas me mortifier, car ce sont des choses qu'il faut toujours dire, surtout à cause de la confusion qu'elles vous donnent.

"Lorsque mon accusateur dit combien j'avais toujours fait ma propre volonté, mon divin Juge me reprocha trois choses:

  1. De n'avoir pas déclaré à mon confesseur les grâces et les dons que j'avais récues
  2. De ne l’avoir pas recu davantage après en avoir recu l’ordre de son ministres
  3. d'avoir été inconstante et infidèle dans mes résolutions et bons propos.
Mon ange gardien, poursuivant son réquisitoire, m'accusa de péchés commis contre mon état religieux. Le Seigneur appela alors mon père saint François et ma mère sainte dame afin qu'elle viennent m'accuser à leur tour. Ils vinrent à ma grande confusion. Je reçus alors des lumières qui me montèrent que je n'ayant d'une religieuse que l'habit. Je demandai pardon avec grande douleur à mes saints protecteurs. Ils me désignèrent tes manquements commis contre la pauvreté et l'obéissance, comme les plus grands obstacles à ma perfection.

Ces deux saints, s'agenouillant devant le très juste Juge, lui demandèrent pardon pour moi, par ses mérites divins et les souffrances de sa Passion. En satisfaction de mes fautes, ils offrirent leurs oeuvres, leurs fatigues, leurs souffrances, leur observance ponctuelle de leurs voeux. Puis se tournant vers moi, de nouveau ils se voilèrent la face. Oh Dieu, quelle peine amère! 253

Je m'adressai à la sainte Vierge, je la suppliai de m'obtenir la grâce que ces deux saints demandaient pour moi, et ils me bénirent. " Mon ange gardien continua à m'accuser du moindre défaut, de la plus minime légèreté, et à la mesure que la liste de mes chutes s'allongeait ma tristesse devenait plus écrasante. Je ne songeais qu'a mon ingratitude vis-a-vis de Dieu. En ce moment tous les anges se mirent à chanter " Victoire! Victoire! "

Le Seigneur voulut que tous les saints et saintes vinssent m'accuser, ils le firent (1).

  1. Nous abrégons ici le récit de toutes les fautes minimes reprochées par les saints, pour ne pas fatiguer les lecteurs.
Je restai, conclut Véronique, tremblante et angoissée, succombant à la douleur de vous avoir offensé Dieu, me sentant abominable à sa majesté divine et à toute la cour céleste. Le Seigneur, d'un signe de sa volonté. Si disparaitre toute cette souillure et cette laideur, et je restai devant lui comme un petit enfant. Je désirais ardemment rentrer en sa grâce.

La sainte Vierge alors se prosternant devant son divin Fils, lui offrit son cœur avec le mien, elle lui offrit aussi ses sentiments, les puissances de son âme tout elle-même Le Seigneur accepta mon âme par cette virginale entremise, il se leva et, montrant ses saintes plaies au ciel assemblé, il dit : " Par le mérite de mes plaies et les mérites de tous ceux qui m'en ont prié, je pardonne à cette âme ". Il me donna sa bénédiction en disant: " Vade pace et complius noli pellere ".

La confession générale recommença cinq fois, dans le même appareil de solennité et de sévérité. Chaque mouvement de l'âme, chaque action, chaque pensée, tout était passé au crible. Revenant sur ses péchés contre la pureté, dont elle s’inquiète, la sainte redemande encore si elle n'a pas commis de péché mortel. Ceux qui vous remplacent, Seigneur, dit-elle (les confesseurs), m'ont dit souvent que j'en avais commis beaucoup.

C'est que dans tes confessions, répond Jésus, tu aggravais si bien tes accusations que tu en disais beaucoup plus qu'Il n'y en avait.

Le Vendredi Saint, 5 avril, est le jour de l'absolution l'ange gardien a repris son réquisitoire devant le juste Juge, entouré de toute la cour céleste, et il semble à Véronique qu'elle est entourée de toutes ses fautes comme une sombre nuée d'orage, mais Jésus n'a plus son aspect inflexible. Il montre à la Sœur humiliée ses plaies, son coeur ouvert. Son visage resplendit de beauté "Que mon sang efface tous tes péchés, dit-il, je te pardonne et je t'accepte comme ma bien-aimée ". Et après une dernière bénédiction, l’extase cesse et la sainte revient à elle plongée dans une allégresse indicible.

En même temps que se poursuivait cette mystérieuse confession, Véronique recevait la grâce d'un autre ordre de visions, seconde partie de la préparation qu'elle devait subir pour être digne de la faveur qui lui était destinée.

Jésus lui apparut, le second jour de la confession, sanglant, défiguré, attaché à la colonne de la flagellation, on tourna vers la sainte ses yeux douloureux et lui dit: " Vois ou m'a conduit l'amour, souffre donc le même supplice pour moi ". Jésus disparut, mais l'ange gardien de Véronique se trouva auprès d'elle et la lia à la colonne ensanglantée.

Je restai!, dit-elle, dans une profonde obscurité. Je sentais qu'on me battait à grands coups et la douleur de ces coups me donnait des élancements qui me pénétraient jusqu’aux os, Cette flagellation dura un bon moment pendant lequel j'étais comme hors de moi, mais je ressentais toute la douleur du supplice. Lorsque je revins à moi, j’avais les mains liées derrière le dos. Je ne pouvais plus me mouvoir, je disais seulement " Seigneur, soyez béni! "

En cet instant je fus de nouveau ravie, et je vis Notre-Seigneur tel qu'il était quand il fut flagellé. Il me révéla la grandeur de ses souffrances. Les coups lui enlevaient des morceaux de chair. Toute la peau des bras fut arrachée, on voyait les os. Ce fut une terrible torture. Pendant qu'il me disait cela il me fit sentir cette douleur, il me semblait être toute blessée. Il me demanda ce que je voulais. " Ô Seigneur, lui répondis-je par les mérites de votre Flagellation, donnez-moi une vraie contrition de mes péchés ".

Revenue à elle, Véronique se trouvait, dit-elle, mourante. Elle ressentait des souffrances comme si tout son corps fut couvert de plaies. Elle ne pouvait bouger un membre sans souffrir affreusement. Ses bras étaient noirs de coups, ses jambes gonflées se stigmatisaient.

Le lendemain, c'est la couronne d'épines que Jésus vient poser sur la tête de son épouse. La

douleur est indicible, il y a surtout comme une grosse épine qui traverse, croit-elle, le cerveau et lui cause des spasmes de mal aigu. Jésus lui dit " Tu souffres, et pourtant cette souffrance n'est rien en comparaison de celle que j'ai éprouvée. Ce que tu sens est comme un rayon de la fournaise de mes douleurs ".

Véronique pleurait de souffrir, mais ne cessait de redire sa sublime exclamation " Encore plus de peines, Seigneur! " Le troisième jour, c'est la croix que lui impose Jésus. " Tu la porteras, lui dit-il, car tu dois eprouver tout ce que j'ai ressenti en montant au Calvaire ". Sous ce poids écrasant, Véronique tombe, Jésus la relève puis disparaît. Véronique reste seule. accablée sous le pesant fardeau, elle retombe encore. Alors son ange gardien arrive et l’aide à se mettre en marche.

Hélas, chaque pas est marqué d'une chute, et l'ange, après l'avoir relevée plusieurs fois, disparaît aussi. Maintenant elle est seule, se traînant, haletante et abîmée de souffrances, à demi morte. Notre Seigneur reparaît enfin pour lui rendre ses forces, et daigne l'instruire sur des circonstances ignorées de sa Passion.

Je te découvre ces choses, ajouta le divm Sauveur, afin que tu aies plus découragea souffrir, et je te promets, chaque fois que tu feras quelque pénitence en mémoire de mes souffrances inconnues, de te donner les grâces que tu demanderas.

Véronique en profite pour prier pour ses confesseurs et cinq soeurs qui lui sont plus particulierement chères, et reçoit de consolantes promesses.

Le vendredi saint, après la vision de l'absolution générale que nous avons relatée, Véronique, plongée dans l’oraison, priait pour les pécheurs lorsque Jésus et sa sainte Mère lui apparurent tels qu'ils étaient sur le Calvaire. Jésus annonca à son épouse bien-aimée qu'Il venait pour achever de la transformer en imprimant sur elle le sceau divin de ses plaies.

Veronique s'adressa à la sainte Vierge: " Oh! Très sainte Mère, dit-elle, je suis prête à tout, mais je vous en prie, offrez-moi avec vous au Seigneur, offrez-lui toutes les douleurs et les mérites que vous avez subis et amassés pendant la Passion. Demandez pardon et pitié pour moi à votre Fils. Je ne puis rien, regardez ma misère et mon insuffisance. Disposez-moi à cette grande grâce. "

La prière de Marie obtint à Véronique une claire vue de son néant et de rceuvre de Dieu en elle, oeuvre véritablement divine, qui devait la rassurer désormais sur tout ce que sa vie présentait d'étrange et de surnaturel. Ces lumières la rendirent plus humble, la dépouillèrent plus parfaitement des choses terrestres. Une douceur ineffable emplit son âme, et un désir violent d'être crucinée avec Jésus s'empara d'elle. " Oh! Mère de pitié, s’écria-t'elle, impétrez-moi cette grace d'être crucifiée avec mon époux! "

Vite, crucifiez-La dit la très sainte Vierge à son Fils. Et comme Véronique s’abimait plus avant dans la contrition, dans la supplication, dans le désir, Jésus lui dit: " Je te pardonne, je vais te faire cette Grâce par le moyen de mes cinq plaies. En signe de mon pardon, j'imprime mon sceau sur toi."

En cet instant, dit Véronique, je vis sortir des cinq plaies, cinq rayons resplendissants qui arrivaient a moi. Ces rayons devenaient comme de minces flammes. Dans quatre de ces rayons, je vis des clous et dans le cinquième, une lance d'or tout enflammée. La lance traversa le coeur de part en part, les me percèrent les pieds et les mains. J'éprouvai une douleur indicible, mais cette douleur me transformait en Dieu. Après m’avoir blessée, ces rayons rentrèrent dans les rayons des plaies de Jésus. Il me confirme comme pour son épouse et me donne a sa Mère en me mettant, pour toujours, sous sa protection. Il me confit aussi a mon ange gardien, et me dit:

Je suis désormais tout pour toi. Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai.

" Faites que je ne sois jamais de séparer de vous! " répondit Véronique. 258

Revenue à elle, la sainte se trouva les bras en croix toute raidie éprouvant de vive douleurs aux places des cinq plaies. Le cœur saignait, ecrivait-elle, mais elle ne put s'en assurer tant ses mains qui faisaient mal au moindre médicament qu'elle essayait. Elles parvient elle à après de longs et douloureux efforts, à écrire un mot a son confesseur, puis se remit à prier Jésus crucifié se mola de nouveau à elle; écoutant la prière ardente qu'elle lui faisait pour les pécheurs.

Ah! Si tu savais, lui dit-il, comme ils sont innombrables! Partout je ne vois que pécheurs et pècheresses. Ils commettentde si énormes péchés que tu devrais plutôt demander pour eux des chatiments et non le pardon. Ils ne pensent jamais a moi, ni à leurs âmes, ils sont devenus comme des bêtes!.

De telles paroles augmentaient l’ardeur des prières de la sainte et son courage à souffrir. Elle souffrait beaucoup et s'affligeait en même temps de ne pouvoir cacher les stigmates comme elle l’aurait voulu. D'abord les souffrances de ses pieds et de ses mains la rendirent maladroite à travailler, lente à marcher, on s'en apercut. On avait si bien l'habitude de la voir adroite et active, agile, faisant tout avec autant d'adresse que de rapidité!. Puis les marques saintes s’accentuaient. Ce ne fut d'abord qu'une boule grosse comme un pois, au-dessus et en dessous du membre percé, puis il se forma une petite plaie qui, de temps en temps, rendait si un sang pur et vif. Cela l’obligea à envelopper ses mains et ses pieds de la bandelettes, on ne l’en remarqua que davantage. Bientot, dans tout le couvent, personne ne douta plus que l’humble monastère des capucines de Citta di Castello venait d’être honoré d'une faveur sans prix. 259

Jésus avait si sévèrement commandé à la sainte de ne rien cacher à son confesseur, qu'il fallut bien qu'elle vint avouer la nouvelle grâce au P. Cappeletti. Ce bon Père avait connu de la la blessure du coeur faite le jour de Noel et en avait informé l'évêque. Dès lors, jour par jour, on suivit les opérations merveilleuses de la puissance divine dans la grande mystique.

Depuis la Noel de l'an 1696 jusqu'à la stigmatisation du 5 avril 1697, le cœur de Véronique avait, en effet présenté de curieux phénomènes. Plusieurs fois, Jésus, annonçant qu'il allait ouvrir de nouveau la blessure, désignait le jour où elle se refermerait. La sainte devait prévenir son confesseur de tous ces faits surnaturels. Le confesseur confiait aux sœurs désignées, le soin de constater la véracité des confidences de Véronique.

A la fin de mars, l’évêque et le directeur jugèrent qu'il convenait de s'assurer de visu de l'état de cette plaie. A l'annonce de cette visite, la sainte crut mourir de honte. Elle se plaignit à Jésus, et reçut, en réponse à ses plaintes, de sévères reproches sur son peu de soumission à la volonté divine. Il lui ordonna de se soumettre non seulement à la visite de son confesseur autant de fois qu'il l'exigerait, mais encore à toutes celles qu'il jugerait bon de lui imposer. Elle devait être morte à tout et soumise à tous. En revanche, il lui promit que jamais ses stigmates ne seraient ni pour elle, ni pour les autres, occasion de péché, de vaine gloire ou de pure curiosité. 260

Il semble que, pour le moment, le P. Cappelletti se contenta de la confession de Véronique et de quelques expériences qu'il fit pour s'assurer de l'origine divine des stigmates. Il demanda que le Seigneur voulût bien, aux jours axés par lui, ouvrir et fermer la blessure du cœur. Jésus condescendit à ce désir, et cette expérience fut reprise plusieurs fois (1). A la fin de mars, Jésus était venu renouveler la blessure du coeur de sa fidèle épouse et y déposa un de ses clous sacrés, avec lequel, cette fois, il avait transpercé le cœur. Le confesseur exigea que ce fût saint Philippe de Néri, son patron, qui vient refermer la plaie et oter le clou. La sainte raconta qu'elle eut à ce sujet une très belle vision. La sainte Vierge vint la bénir, saint François lui montra ses stigmates glorieux et mit sa main sur le cœur de Véronique qui éprouva une douleur de mort.

Je voyais, dit-elle, ses plaies resplendir. Il posa sa main droite sur mon coeur, et il me semble que le clou qui s'y trouvait pénétra jusqu'au fond de ma blessure avec une indicible douleur.

(1). Une des fois ou Jésus rouvrit la blessure du coeur il y fit cinq plaies mystiques. Véronique les sentit et Jésus, en lui enfoncant la plaie, lui montra ce coeur percé de cinq trous béants. Pour s'assurer de l’ouverture et de la fermeture de la plaie du coté, le Père confesseur faisait examiner la sainte par les sœurs désignées à cet effet. Enfin saint Philippe de Néri ferma la plaie. Cependant Jésus voulut bien condescendre au voeu de Véronique lui permettre de repondre ses travaux comme si elle n’avait rien aux mains puis aux pieds. La souffrance demeurait, puis l'agilité des membres était revenue. On la vit tirer l’eau du puits, monter du bois, faire la lessive ou la cuisine comme à l’ordinaire. Elle souffrait cependant cruellement, surtout à l’épaule. Un jour même, le confesseur exigea qu’elle montrat son épaule à une sœur. Celle-ci la trouva toute gonflée et noire comme du charbon. 262

Les autres religieuses et moi-même, dit au procès la soeur Florida Ceoli, avons toujours regardé ces blessures comme miraculeuses. Les sœurs qui vécurent avec elle tout le temps qu'elle eut les stigmates la virent toujours agir adroitement et facilement, et même elle faisait plus que tes autres, car elle avait la main à tout.

Ce temps de Pâques, après le don des stigmates, fut plein de grâces extraordinaires, de visions sublimes, d'extases suaves. Le mariage mystique est renouvelé le jour de Pâques (1), puis Jésus donna à son épouse des ràgles de conduite plus sévères, plus strictes, plus minutieuses encore, et enfin il lui ordonna de demander la permission de marcher pieds nus, sans les sandales que portent ordinairement les capucines. 263

(1). Cette vision du renouvellement du mariage mystique est très belle, elle est racontée avec beaucoup de détail par la sainte. Nous y voyons qu’elle a prié pour cinq prêtres chargés spécialement de la dirigér. Ce sont les PP. Cappeletti, Tomassini, Tassinari, les chanoines Carsedoni et Ambroni. Mgr Eustachi, à qui cette demande fut communiquée, refusa la permission, d’accord avec le confesseur.

Le Seigneur réitéra cet ordre, commandant à Véronique de dire au Père que telle était sa volonté. Le confesseur refusa encore. Alors on vit une chose étrange. Les pieds de la sainte gonflèrent et devinrent incroyablement doulourureux , elle ne pouvait supporter ses sandales. Avec sa parfaite obéissance, Véronique gardait ses chaussures et se résignait. Le mal devint si aigu que l’évêque ne pouvant refuser de reconnaitre la conicidence du mal avec l’ordre de Jésus, permit l’abandon des sandales. Aussitôt les pieds dégonflèrent et il n’y resta que la douleur des stigmates. Depuis, chaque fois que Véronique voulut remettre les sandales, les douleurs et le gonflement recommencaient ; aussi, ravie d'avoir trouvé là un nouveau moyen de macération, Véronique les remettiat parfois par pénitence.

Chaque fois que je les remettais ainsi, dit-elle, j'avais la fièvre tant elles me causaient des douleurs aigues aux pieds, les jambes gonflaient, je ne pouvais marcher.

Véronique marcha toujours nu-pied jusqu'à sa mort. Elle obtint pourtant la permission de mettre des bandelettes aux pieds pour cacher ses stigmates, mais on ne lui permit jamais d’en mettre aux mains comme elle le souhaitait.

On voyait ainsi éprouver son obéissance et sa mortincation, car on savait qu'elle était très confuse de laisser voir ces signes de la faveur céleste. Jésus, d'ailleurs, le lui avait ordonné.

Les stigmates et surtout la blessure du coeur ne firent qu’enflammer davantage l'amour de Véronique pour Jésus et sa pitié pour les pêcheurs. Elle était devenue, comme son Père saint François, un séraphin sur terre. On voudrait donner ici les beaux passages de son journal, où cette âme embrasée déverse les trésors de ses ferveurs, nous ne pouvons que les indiquer. Jésus prenait souvent le cœur de son épouse pour le plonger dans le sien et quand il le lui remettait dans la poitrine, elle était véritablement une fournaise ardente. " Elle brûlait ", dit-elle. Les linges mouillés qu'elle plaçait sur sa poitrine pour la rafraîchir, devenaient secs à l'instant. Si elle buvait, l'incendie augmentait. Elle ne pouvait plus s'empêcher de courir dans le couvent et le jardin, en répétant sans cesse " Ô amour Ô amour "

Le cœur avait aussi, dans ces instants, des battements si forts, que tout son corps tremblait. Les autres sœurs entendaient ces battements qui redoublaient souvent pendant la confession ou après la communion.

Elle dit elle-même qu'on entendait quelquefois les coups de son cœur comme si quelqu'un, avec un bâton la frappait des deux mains. "Je me rappelle, dit-elle encore, que le Seigneur, plusieurs fois, me prit le cœur blessé " (1). 265

Il me laissait le cœur amoureux seul. Je n'avais pas mes palpitations ordinaires comme j’ai l'habitude de les sentir. Je sentais je ne sais quoi qui m'empêchait de tenir la main à cette place, car je souffrais horriblement.: Cependant je faisais tout ce qui appartient à mon office. Bien auparavant je perdais la respiration; je me sentais faiblir, puis, subitement, je me trouvais fortifiée et ranimée. Dans ces moments-là, je ne pouvais reposer la nuit. Ordinairement je dormais trois heures la nuit, mais depuis, je commençai à ne plus dormir que deux heures. Maintenant une heure me suffit et parfois même rien. Les autres sœurs étaient stupéfaites du peu de sommeil que Véronique s'accordait. Encore le prenait-elle de la façon la plus incommode possible.

Lorsque la plaie du cœur était ouverte, tout le couvent le savait par l'odeur délicieuse qui s'en exhalait. Partout où passait la sainte, une odeur suave flottait en l'air. " Un parfum de paradis " disaient les bonnes sœurs émerveillées. Ce parfum s'exhalait d'elle encore quand elle venait de recevoir la sainte hostie. Il donnait à Véronique elle-même un goût exquis dans la bouche et ce goût lui demeurait très souvent aussi, en s’approchant de la sainte table, entendait la musique des anges.

(1). On se rappelle que Jésus, après la première blessure au coeur, mit à Véronique un cœur enflammé qu'elle appelle le cœur amoureux. Le cœur blessé et le cœur amoureux était changés ou mis ensemble dans la poitrine de la sainte. Le journal contient de grands et intéressants détails sur ce mystère longtemps. Elle allait communier avec un air de dévotion, d’humilité, de paix, de bonheur qui édifiait ses compagnes, et quand elle retournait à sa palce, portant en elle son divin Époux, son visage devenait d’une beauté incomparable et d’un éclat surnaturel. Elle paraissait entourée de rayons. Les religieuses la contemplaient avec respect, crainte, tendresse et une stupeur émue, comme on en ressent devant le mystère.

Pour terminer le récit des événements mystiques de ce temps pascal privilégié, disons que la sainte eut beaucoup à souffrir, soit par les pénitences qu'elle s'imposait, surtout par les attaques du démon et des visions menacantes.

Dans l'une de ces visions, elle aperçut une foule de religieux et religieuses des prêtres, de prélats, les yeux couverts d’un bandeau. Ce bandeau, c’étaient les transgressions à la règle, au culte, à la vie chrétienne. Véronique reconnut des religieuses de son couvent et parmi elles l'Abbesse; elle en fut très affligée. Elle est aussi les prêtres changés en monstres infernaux en tant que contempteurs du sang du Christ. Comme elle voulait prier pour eux, Jésus lui dit qu’ils étaient condamnés et lui ordonna de raconter cette vision à l'évêque.

Ces visions sur des religieuses et des prêtres coupables, si fréquentes dans le journal de la sainte, marque une fois de plus quel rôle important elle avait à remplir vis-à-vis de Dieu pour apaiser, par ses pénitences, sa juste colère en un temps où l’Église se remplissait trop facilement de pasteurs incapables ou indignes.

Les moeurs d'alors donnaient au favoritisme une place prépondérante dans la distribution des abbayes, des évechés et des prébendes, d'où l’admission dans les couvents de jeunes gens de la noblesse, sans vocation, parfois sans morale.

Enfin le jansénisme avait causé beaucoup de défections dans les rangs ecclésiastiques; des abus, des scandales, des abus, des négligences qui obligeaient le Seigneur, pour contrebalancer tant de crimes, de créer des compatientes comme Véronique, qui arrêtaient la vengeance divine. 267

CHAPITRE XIII

L'HUMILIÉE. L’EXAMEN DES STIGMATES. LE SAINT-OFFICE. LA LIQUEUR MIRACULEUSE.

L'apparition miraculeuse des stigmates de Véronique réclamait cette fois un examen très sérieux de la part de l'autorité ecclésiastique Jesus, d’ailleurs, l'ordonna.

Il chargea la sainte d'avertir son confesseur et l’évêque et de les convier à venir, avec d'autres témoins autorisés, examiner les saintes marques. Afin de donner une preuve de sa divine volonté, il fit prévenir ces mêmes ecclésiastiques que la blessure du cœur s'ouvrirait le vendredi de Pâques et qu'ils ne devaient pas manquer de venir ce jour-là, car la blessure ne serait plus ouverte avant la Pentecôte.

Véronique n'eut pas le courage de transmettre un message si pénible pour elle, et se tut. Mais elle reçut dès le lendemain un ordre plus sévère. 268

Elle ne pouvait, malgré cela, se décider à parler; elle se cherchait des excuses à elle-même, se demandant si ce n'était pas le diable lui-même qui lui donnait cet ordre pour la troubler. Mais enfin, pour ne pas désobéir, Véronique parla au P. Cappelletti. Ni lui, ni Mgr Eustachi, ne doutèrent de l’ordre d'en Haut.

Dieu avait placé alors sur le siège épiscopal de Citta di Castello un prélat d'élite, vraiment choisi par la Providence pour être le témoin, devant l'église, de l'amour de Dieu en Véronique, et capable plus que tout autre, de mener bien la difficile et délicate mission de diriger une telle âme.

C’était un homme de grande foi, de jugement sur et de vertu solide. On l’appelait " le Borromée de Citta di Castello, a cause de sa charité inépuisable et du zèle qu'il montrait à remplir sa charge apostolique.

En sa qualité de directeur immediat du couvent des capucines, il avait pu suivre attentivement les voies extraordinaires de la Sœur Véronique. Il le faisait avec un jugement éclairé et une bienveillance paternelle et ferme. C'est lui qui avait ordonné à la Sœur d'écrire son journal, c'est lui qui conseillait aux confesseurs ce qu'on pouvait accorder à Véronique ou lui refuser. Enfin. il choisissait avec le plus grand soin ceux qu'il appelait à diriger la soeur.

Il résolut donc de venir au jour fixé par Jésus lui-même, pour examiner la stigmatisée et s'adjoignit le confesseur. Le vendredi 12 avril, on appela Véronique à la grille de la communion (1).

(1). On sait que les capucines au parloir ne parlent aux gens du dehors qu’à travers une grille et un rideau. A l’église, elles ne voient le lieu saint que par la petite ouverture grillée d'où elles reçoivent la communion. Lorsqu'on m'appella, dit-elle, j’éprouvais une telle horreur, que je crus expirer (1). 270
  1. Le P. Segapoli lui ayant un jour demander ce qu’elle éprouvait pendant ces visites : " Je pensais, répondit-elle, à la confusion de Jésus quand il fut montré au peuple par Pilate "
Elle obéit cependant et vint à la grille avec une soeur. L’évêque n'avait pas jugé nécessaire de prévénir l’Abbesse et on ignorait cette visite au couvent.

On fit ôter son voile à la sœur afin de constater la marque de la couronne d'épines toujours visible; puis la soeur qui l'accompagnait tailla avec des ciseaux, une ouverture dans la tunique à la place exacte de la plaie, et les deux examinateurs purent constater une blessure longue de quatre à cinq centimètres; à peine large d'un demi-centimètre; d'où sortait un sang très pur. La chair était vive comme celle d'une blessure récente. Le prélat, pour sonder sa profondeur, fit entrer une feuille de laurier. C'était plus qu'il n'en fallait pour le convaincre. Il fit appeler l’Abbesse et lui enjoignir de défendre expressément à Véronique" d’aller à la grille ou au parloir sans la permission épiscopale spéciale. Elle ne pouvait plus écrire à personne, sauf à ses sœurs de Mercatello. Encore ces lettres devaient être remises ouverte au P. Cappelletti, qui était maitre de les envoyer ou de les déchirer.

Mgr Eustachi revint quelques jours après pour faire un second examens. Il était cette fois accompagné de deux professeurs en théologie, le P. Tassirini, Servite, et le P. Vital de Bologne, Franciscain, du P. Gappelletti et d’un Dominicain, confesseur extraordinaire du couvent. Pendant cette séance si pénible pour la sœur, elle fut ravie en extase (1).

Cependant la Mère Albizzini n’était pas contente. Cette nouvelle faveur surnaturelle accordée à Véronique lui étais si désagréable. Elle gênait sa paisible routine. Puis, elle trouvait mauvais que la sœur n'ait pas cru devoir l’avertir la première de ce qu’il lui arrivait. Elle fut vexée de voir l’évêque venir comme en secret examiné la stigmatisée sans la prévenir. 271

Butée comme elle l’était dans son injuste suspicion, elle écoutait plus que jamais les soeurs malveillantes et calomniatrices. Elles en profitèrent pour mener une campagne violente contre Véronique. La plus méchante osa aller jusqu'à dire que cette soeur était possédée du démon.

  1. Le P. Tassinari, dans son témoignage, dit ceci : " Nous pumes observer la plaie des mains qui, au milieu, eu pour mieux dire, au-dessus, c’est-à-dire à la partrie du dos de ladite main, portait une plaie de la grandeur que peut former un clou moyen, et de la largeur que peut donner un petit quattrino florentin ; (monnaie du temps), sur ces plaies étaient une petite croute et au milieu une élévation comme un bouton de chair en forme de tête de clou. (même description pour les pieds). Pour la plaie du coté, par l'ouverture de la tunique , nous vimes une plaie de la longueur du petit doigt de la main d'où sortait comme un souffle. Mgr l’évêque et chacun de nous observèrent très bien et reconnurent attentivement ( la blessure à la lueur du cierge du allumé par ordredudit prélat et sommes restés émerveillés de voir un tel prodige " . Les autres témoins ont déposé la même chose.
  N'était-ce pas sa complicité avec l’enfer qui se traduisait par les troubles que le couvent subissait pluies de pierres, tapages effrayants la nuit, puanteur effroyable, toutes choses qui terrifiaient les religieuses au grand dam de la paix des esprits? D'autres, moins enragées, insinuaient que ces états anormaux de Veronique venaient de son désir de se faire remarquer. Beaucoup se laissèrent un instant entrainées par ces acerbes critiques, oubliant la douceur, l'humilité, la bonté, toutes les vertus de cette pauvre sœur accablée et ne tenant compte que des ennuis attires sur le couvent par son mysticisme.

L’évêque ne voyait pas la vérité, dans son excessive indulgence pour Véronique. Ainsi pensait la Mère Albizzini, qui n'admettait pas qu'il reconnût les origines surnaturelles de ces stigmates. Par un coup d'audace ou de vivacité, l'Abbesse, sans prévenir Mgr Eustachi dénonca Véronique à l'inquisiteur de Pérouse.

L'inquisiteur, sans d'ailleurs venir lui-même à Citta di Castello, prévint le tribunal du Saint-Office, lequel ordonna à l'évêque de lui adresser un rapport sur cette affaire.

L’évêque expliqua au sacré Tribunal comment il avait cru devoir attendre et s'assurer davantage des Mis avant de le prévenir, et exposa tout ce qu'il avait vu et appris sur les stigmates de la Sœur Véronique, dont il louait le? grandes vertus. 272

Le Saint Office prescrivit de nouvelles expériences et ordonna à l’évêque d'user d'une conduite des plus sévères avec la soeur. Il devait la traiter avec dureté et mépris, lui dépendre à nouveau les visites à la grille et envois de lettres, même il fallait lui interdire de parler à aucune autre religieuse.

Véronique accepta tout sans un mot de plainte ou de regret. Plus que jamais elle se soumit à son confesseur. Elle assure que le seul mot : " Je veux " dit par Lui, la remplissait de consolation et de force. Elle prit ces humiliations comme autant de bénédictions du ciel. Elle sentait cependant l'amertume de ces mortifications et n'en avait que plus de mérites. Cette défense de ne plus jamais avoir de rapports avec le monde extérieur ne la laissait pas indifférente. Elle en souffrait et le dit dans son journal vers la fin de sa vie. Mais personne ne s'aperçut de sa peine.

D'ailleurs elle soufrait bien plus en ce moment de la croix qui lui était imposée par les visites, les études, les examens qu'on faisait de ses plaies. Elle avait tant demandé, elle demandait tant à Jésus de ne lui laisser que la douleur, et de faire disparaitre toutes marques extérieures. Mais le Seigneur ne voulait pas l'exaucer. Je te laisse ces signes, lui dit-il, parce que tu dois subir cette épreuve. Lorsque le Saint-Office sera suffisamment instruit et edifié et qu'il aura reconnu l'origine divine de ces choses, alors je t'enlèverai tes stigmates.

L'évèque commença par ordonner que toutes les soeurs allassent, chacune à son tour, reconnaitre la plaie du coeur. Ce fut un jour de vrai supplice. L'une d'elles raconte qu’à son tour étant entrée dans la cellule, elle trouva la sœur Véronique le yeux en larmes. Et voyant l'état de la pauvre créature, elle ne fit que jeter un coup d'oeil rapide sur la plaie et sortit édifiée et émue.

Il y eut ensuite une série d'expériences faites a la grille par des prêtres désignées à cet effet.

Tantôt le Seigneur faisait dire par Véronique qu’il ouvrirait et fermerait la plaie du coté tel jour. Tantôt cette plaie était ouverte ou fermée à la prière des examinateurs qui le demandaient à Dieu par l'intermédiaire de la sainte. C'était chaque fois une souffrance si vive pour Véronique que souvent le Seigneur, par pitié, la ravissait en extase pendant les visites.

Les examinateurs avaient eux-mêmes pitié de la stigmatisée qui devait se dominer pour ne pas montrer sa confusion extrême ils s'étonnaient et admiraient le calme et la sérénité avec laquelle et le venait se soumettre à leurs visites. Elle paraissait voler, dirent-ils, quand nous l'appellions à la grille et qu'elle venait vers nous.

On jugea qu'il fallait soumettre l'examen de ces plaies aux médecins et chirurgiens afin qu'ils pussent les traiter comme des blessures naturelles. 274

On appela deux célébrités du temps: le médecin Bartoni et le chirurgien Massoni pour expérimenter l'application des différents remèdes, dépose un témoin au procès, et les plus efficaces qu'ils croyaient afin de fermer les dites plaies, mais au lieu d'obtenir ce résultat, ils ne firent que les agrandir.

Sur l’ordre de Mgr Eustachi dit une autre soeur, il fut appliqué à ces plaies différents médicaments très efficaces, et même je me rappelle avoir vu la Mère Abbesse, Gertrude Albizzini, qui manipulait des mixtures dans un petit mortier en bronze et disait que c'étaient des remèdes gaillards et violents. Mais quand on les appliqua, ils ne firent aucun effet.

Le bon chirurgien Massoni qui avait déjà fait l’essai de la science humaine sur l'oeuvre divine, disait paisiblement que ces remèdes étaient excellents pour tout le monde, mais non pour la soeur Véronique. Tous ces onguents et emplâtres disaient tant souffrir la sainte que les autres sœurs en avaient pitié. Cela lui donne des " spasmes de mort " disaient-elles. En réalité, on ne fit qu’enflammer les plaies qui, de saines et vives qu’elles étaient, devinrent tuméfiées, s'agrandirent si bien que l’évêque défendit de continuer ces traitements barbares. Ils servirent cependant à certifier deux choses d'abord que la blessure du coté était profonde atteignait le coeur et que, par elle, on pouvait presque le voir battre, ensuite que les mains et tes pieds étaient réellement percés de part en part (1). Deux choses qui faisaient un miracle de l’existence de Véronique lui fallait s'assurer aussi qu'il n’avait aucune supercherie dans ces stigmates. Pour cela on enveloppa les mains et les pieds de gants et de bandelettes qui furent cachetées au sceau de l’Éveque. La sainte dut les garder pendant quarante heures. 276

(1) On lui passa dans les mains et dans les pieds un petit cordon qui les traversait de part en part comme à travers un trou foré par un clou ou une vrille. Quant au cœur, le mouvements des battements produisait un souffle qui faisait vaciller la flamme du cierge qu'on approchait de la plaie. Au grand étonnement de ses compagnes, elle ne cessa pas un instant de remplir ses offices, lavant, cuisinant, travaillant avec la même dextérité, sans rompre la cire, ni endommager les gants. Quand on ota les enveloppes, on put constater que l’état des plaies n'avait pas changé. Ce fut le dernier essai de cette première étude des stigmates et Véronique put reposer un instant dans une paix relative (2). (2). On adjoignit aussi aux médecins, une autre célébrité, le docteur Fabbri, qui declara qu'il regardait les plaies et la soeur comme surnaturelles.

Une soeur déposa aussi ce qui suit au sujet des stigmates : " Je l’ai vue toujours travailler librement avce ses mains stigmatisées, elle les ouvrait, les serrait comme je le ferais moi-meme, sans aucune peine, elle travaillait comme une personne très bien portante et mieux que les autres. Elle marchait aisément sans boiter. Je me rappelle qu'une fois, étant cuisinière avec elle, je laissai, par maladresse, tomber de la soupe bouillante sur son pied et comme elle fut assez fortement brulée, elle boita pendant plusieurs jours parce que cette blessure avait une origine naturelle. De même la plaie du coté ne l'empêchait pas de porter des brasées de bois, des brocs d'eau, de faite la lessive et la cuisine comme si elle n'avait rien eu."

Je sais, dit une autre sœur, que ces stigmates la faisait beaucoup souffrir, mais je ne l'ai jamais entendue se lamenter ou gémir.

Défense sévère était faite par les autorités spirituelles de s'entretenir au couvent de cette affaire, mais les soeurs ne pouvaient pas s'empêcher de jeter des regards curieux et émus sur ces stigmates que Véronique cherchait à cacher avec tant de soin. La sainte pouvait-elle empêcher lorqu’elle priait avec ses compagnes les bras en croix, que celles qui priaient derrière elle ne vissent la piaie rouge qui ornait sa main étendue?

Si soigneuse qu'elle fut en se levant ses bras, en renouvelant les bandelettes de ses pieds, on apercevait tout de même l’eau rougie ou le point rouge du chiffon. Le peu de semaines qui suivirent la première série d'études ne furent pas un temps de repos pour la Sœur que beaucoup de souffrances accablaient. Le calice d'amertume et la grande croix lui predisaient d'ailleurs de nouvelles épreuves et des épreuves humiliantes et mortifiantes.

Le Saint-Office envoya de nouvelles instructions à Mgr Eustachi Véronique devait être retenue prisonnière pendant cinquante jours dans une infirmerie. Il fallait que ta prison fut complète. Véronique ne pouvait etre retenue prisonniere pendant cinquante jours dans une infirmerie.Il fallait la prison la plus complete. Véronique ne pouvait communiquée avec personne, ne parier à aucune Sœur, même aux deux gardiennes qu'on lui imposa et qui ne devaient pas la perdre de vue un seul instant. Pendant cet emprisonnement, elle ne pouvait ni communier, ni aller au chœur. On incarcéra la sainte dans un réduit simplement fermé par une tenture sur le corridor le plus fréquenté du couvent. En sorte que toutes les religieuses pouvaient l'entrevoir en passant et entendre ce qu'on lui disait.

Les jours de fêtes et les dimanches, une soeur venait la chercher pour entendre la messe et la ramenait ensuite en prison. On lui retira même la confession. Nul ne l'obtint que deux fois pendant ces cinquante jours.

On était au chœur, récitant l'office, lorsque la lettre de l'évêque, ordonnant ces choses, fut remisée à l'Abbesse. Celle-ci n'attendit même pas que l’office fut fini et se tournant vers Véronique, elle lui dit tout haut, sévèrement : " Allez à l’infirmerie et n'en sortez plus."

La sainte se leva aussitôt, se prosterna devant la Supérieure et monta docilement dans sa prison.

Quand vint la nouvelle que je ne devais plus sortir de l’infirmerie, écrit-elle, mais que j'y étais confinée comme prisonnière jour et nuit, oh combien je fus froissée et humiliée!.

Véronique commençait une montée au calvaire si douloureuse que le P. Giovanni Maria Crivelli, envoyé par le Saint-Office auprès d'elle, dit que les mortifications qui lui furent alors imposées étaient assez terribles pour la faire mourir de douleur. 279

Le P. Cappeletti toujours si bon, la grondait maintenant brutalement, la traitait de menteuse et de folle. Mgr Eustachi ne l'appelait à la grille que pour la traiter avec mépris et sévérité. Il lui adressait des blames humiliants, parlant à voix si haute et si dure qu'on l'entendait hors de l’église, les portes fermées. Il la menaçait de la traiter plus durement encore et de la chasser comme infâme, indigne du monastère, et l'accablait si violemment que les religieuses qui entendaient ces scènes de loin, pleuraient de eompasston. A ces duretés, Véronique répondait avec une humble soumission qu'Il était le maitre de faire d'elle ce qu'il voulait, mais qu'elle lui demandait de ne pas la chasser et de lui permettre de vivre et de mourir dans quelque coin du couvent.

Intérieurement Véronique était grandement tourmentée d'entendre dire que tout ce qui se passait en elle d'anormal, venait de son imagination et des tromperies du démon. Avec les bas sentiments qu'elle avait d'elle même, elle était tentée de le croire, se jugeant toujours indigne des faveurs du ciel.

"J'ai recouru alors à Jésus crucifié, écrit-elle dans son journal, et de tout coeur je lui ai demandé plus de souffrances en lui disant Mon Seigneur, je vous déclare que je ne veux rien que votre volonté. Si vous voulez que je sois dans cet abandon, dans ces peines et délaissement, puisque cela vous plait, je l'aime. Faites de moi ce que vous voulez. Je ne demande rien autre que de faire votre volonté et de souffir pour vous plaire et pour votre gloire. " Christe confixa sum Cruci ". En vous je me confie. À peine eus-je dit cela que je sentis en moi-meme une grande force, malgré les tentations qui me venaient du démon, de l'humanité et des sens. Je me mis à chanter le cantique " Vive la Croix! " et je demandais plus d'épreuves. Laus Deo!.

Dansle couvent, ordre était donné de la traiter également avec dureté. Cela réjouit quelques-unes qui en profitèrent pour venir accablerla sainte de leurs injustes accusations, mais les autres n'obéissaient qu'à contre-cœur et en pleurant d'admiration devant la patience et la douceur de Véronique. Enfin, on lui ôta le droit de vote et le gouvernement du noviciat dont elle avait la charge depuis 1688.

Ce n'était pas assez. On recommença les examens des plaies, on reprit les soins médicaux, les onguents, les cautérisations, les emplâtres douloureuses. En même temps il lui fut interdit de continuer le jeûne au pain et à l'eau. Elle dut reprendre la nourriture ordinaire, ce qui lui ramena les mêmes révoltes d'estomac avec les douleurs et l'amertume d'alors. 280

Le diable vint ajouter sa terreur à tant de supplices. Il lui apparaissait la nuit sous les aspects les plus enrayants et se moquait d'elle:

" Te voilà bien arrangée, lui disait-il. Vois donc ce que te valent les pénitences. "

Le diacre jetait aussi des pierres dans la prison, au grande effroi des gardiennes.

Véronique écrit un jour, pendant ce temps : " Le diable me faisait rire. Je persévérai dans mon oraison sans faire attention à lui. Tout à coup je vis deux fantômes de grandeur effrayante et tout entourés de feu. Je fis le signe de la croix, mais ils ne partaient pas. Ils voulaient me tuer. Comme je me levai pour aller chercher de l'eau bénite, l'un d'eux armé d’un gros morceau de fer me frappa violemment à la tête, puis tous deux disparurent avec un grand tapage. Je m'évanouis presque. Ma tête était gonflée et contusionnée, ainsi que me dit la Sœur à laquelle Votre Révérence a voulu que je la montre. "

Le prêtre à qui cette relation s'adressait était le P. Cappelletti. Dieu voulut qu'en ce temps-là il fut lui-même assailli de doutes sur l'état de sa pénitente. Il passa par une crise d'obscurité, d'angoisses, de craintes, qui acheva d'aller à Véronique sa dernière consolation. Elle se résignait à cette amertume de voir son directeur douter d'elle, mais elle remit sa grande tristesse entre les mains de Jésus. Elle le priait pour le Père et ses prières finirent par être exaucées. Il recouvra son bon jugement et la lumière.

Pendant ce long emprisonnement les élections triennales avaient eu lieu. La Mère Albizzini vit la crosse abbatiale confiée à la Mère Colette Guerrini, mais si cette dernière n'avait aucune prévention contre Véronique, elle ne trouvait pas en elle beaucoup plus de secours. La Mère Colette estimait Véronique, ne doutait pas de sa vertu, mais de caractère faible, dissimulée, pétrie de respect humait elle n'avait pas le courage de résister aux ennemies intrigantes de la sainte et les laissait agir selon leurs mauvais instincts; plusieurs fois même, entraînée par leurs perfides conseils, elle lui imposa de dures mortifications.

Mais ni ces traitements injustes, ni l'emprisonnement, ni les épreuves de l’évêque et des supérieurs n'eurent raison de l’angélique patience de la sainte. Confesseurs, supérieurs, compagnes, tous et toutes ont assuré que jamais on ne la vit un seul instant troublée ou affligée. Il semblait qu'elle méritait tous les mauvais traitements, tant elle les acceptait comme une chose qui lui était due. Elle faisait l'admiration de tous.

Elle exprimait elle-même à son confesseurs peu après, dans son journal, ses véritables sentiments

" Pendant que je parlais de mon état à mon confesseur, il me vint le désir de le prier d'imposer aux sœurs et aux Novices de veiller toutes sur moi, de me gronder et de ne plus m'appeler Véronique si je ne change de vie. Si le confesseur, la supérieure et toutes les sœurs me grondaient, je crois que je changerais de vie. J'ai besoin de ces humiliations. Je voudrais qu'on me soumît quelque contrainte et qu'on me mit aux dernières places, parmi les converses. J'aurais obtenu ce désir mais maintenant je sens qu’il m’est nécessaire… L'humiliation m'aide. J'ai souvent le désir d'obtenir du Pape de rester en religion sans aucun droit, comme la dernière des converses. J’aurais obtenu cette Grace si l’obéissance ne m’avait arretée. Maintenant je voudrais m’astreindre par vœu et par vœu perpétuel de n'aller plus jamais au parloir, de toute ma vie. Je le ferai si on me le permet.

Enfin, après une longue série d'examens et d'expériences, le Saint-Office reconnut quêtes phénomènes observés chez Véronique n'étaient ni naturels, ni d'origine diabolique. L’Église, dans sa prudence, ne voulait pas aller plus loin. La constatation des stigmates fut officiellement, approuvée et le tribunal romain ordonna qu'on fit un silence profond sur ces choses mystérieuses. Véronique reprit son jeune au pain et à l'eau et continua à cacher de son mieux ses stigmates. Ils ne lui faisaient pas éprouver toujours la douleur si vive du premier jour elle en serait morte, mais cette douleur se renouvelait ordinairement le vendredi. Ses plaies saignaient alors, puis se recouvraient de petites croûtes jusqu'au prochain avivement des douleurs. Ces stigmates ne se fermèrent qu’un peu de temps avant sa mort, ainsi qu'elle l'avait prédit, mais la marque subsista, rouge violacée, et ne s'effaca point après qu'elle eut expiré.

Le cœur, lui aussi, se ferma et s'ouvrit à certains jours. Il sortait de cette blessure une odeur très suave qui demeurait longtemps après aux doigts de la Sœur qui la soignait. Le P. Crivelli ayant un jour donne son mouchoir à cette Sœur pour qu'elle le lui sur la plaie de Véronique, elle le lui remit tout parfumé.

La couronne d'épines continua également à rester marquée sur le front de la sainte. Quand on lui coupait les cheveux, on distinguait autour du crâne une suite de gonflements comme les eût produit une couronne à pointes intérieures. Le docteur Fabbri put le constater un jour qu'elle était malade au lit. Il vit comme la pointe d'une longue épine qui sortait dans un oeil. Cet œil pleurait du sang. Enfin on voyait souvent autour de sa tête le sang se coagulant sur le voile.

Véronique poursuivit toujours son jeûne effrayant malgré tous ses tourments physiques et spirituels elle le diminuait parfois jusqu'à la privation de tout aliment, n'ayant pour se nourrir que la sainte communion. Elle demeurait ainsi sans manger ou bien prenait cinq ou six pépins d'orange ou quelques retailles de pain d'autel. Le Saint-Office voulut, là aussi, porter ses investigations pendant le temps qu'il étudiait les stigmates. Les souffrances et les vomissements de sang reprirent. On constata avec étonnement qu'alors que ce jeûne incroyable ne causait aucun tort à sa santé, les essais malheureux de nourriture la mettaient dans un tel état qu'elle ne pouvait plus quitter son lit.

C'est alors que Jésus, par un miracle inoui, nourrit Véronique d'un liquide céleste. Plusieurs fois lorsqu'elle était sans forces et prête a défaillir, Jésus, dans ses extases, lui faisait appliquer sa bouche à son côté sacré et elle y puisait une vigueur nouvelle, comme rassasiée d'un vin généreux et exquis. Le Seigneur fit plus encore et voici la sainte elle-même qui prend la parole pour nous dire ce nouveau miracle. (Vs 27 Mars 2019 0620 ?? )

" J'ai vu une lance dans la main du Seigneur et, par elle, il a blessé mon cœur. J'en ai senti une telle douleur que je suis tombée par terre. Mon ange gardien m'a soutenue. Alors le Seigneur s'est approché de moi. De son coté jaillissait comme une liqueur, il la versa sur mon cœur blessé et lui rendit de la force. Aussitôt de mon coeur blessé sortit aussi une sorte de liqueur qui se dirigeait vers le côté de Jésus et s'unissait à celle qui en jaillissait. " Je vis alors mon ange gardien et mes trois saints Patrons qui recueillaient cette liqueur. Je revins tout à coup à moi. Je me trouvais à genoux devant mon crucifix, la blessure du cœur était ouverte et il en sortait cette liqueur. " 285

Sur le petit autel, la tasse en était pleine (1) " Je me retrouvais encore en extase avec la même vision et le Seigneur me dit : J'ai voulu que tu t’assures avec les yeuxdu corps, afin que tu soies bien persuadée que tout ceci est mon œuvre et non une de tes imaginations, comme tu pourrais le croire. Maintenant, je ferme la blessure, mais prépare-toi à ce que je l'ouvre de nouveau. Il m'a touché de la main et j'ai senti qu'elle était refermée, mais je souffrais toujours: très fort du coeur. (1) Petite écuelle en bois que les capucines ont dans leur cellule pour boire.

Je ne puis dire tout ce qui me fut communique lorsque les deux liqueurs s'unirent ensemble. Je sais seulement que je fus raffermie dans la souffrance.

De nouveau tout a disparu, je suis revenue à moi plus morte que vive et je souffrais tant que je tombai par terre. Je me suis mise sur mon lit comme j'ai pu. Tous mes nerfs se tiraient, j'étais raidie et souffrais si affreusement que je faiblissais. Je ne pouvais ni respirer ni parler. Je suis restée ainsi jusqu'à cinq heures de la nuit (du matin). A ce moment les soeurs étant venues pour me voir (elles l'avaient entendue tomber) me trouvèrent fort mal. J'étais glacée. Elles ont eu la charité de m'apporter du feu, m'ont mis deux couvertures et des linges brulants. Je me suis réchauffée et suis restée ainsi jusque six ou sept heures. A cette heure la blessure s'est rouverte et la liqueur en est sortie.

Cette vision de l'union des deux liqueurs se renouvela plusieurs fois. Chaque fois la petite écuelle en était remplie comme preuve que cette vision était réelle. C'était un liquide blanchatre comme du lait avec une petite teinte rosée comme si un peu de sang s’y fut melée. Il exhalait une odeur exquise.

Le Seigneur dit à Véronique que désormais cette liqueur sortirait de son propre eàte et qu'elle devait en boire trois gouttes chaque jour pour se soutenir.

Cette liqueur, dit la sainte, avait la douceur du miel. En prenant les trois gouttes, je me sentais réconfortée et il me restait dans la bouche un goût exquis.

Ce fut encore avec grand'peine que Véronique avoua ce nouveau miracle au confesseur. Celui-ci ordonna à sa pénitente de montrer cette liqueur aux sœurs chargées plus spécialement d'elle et de lui en apporter. On remplit trois petites bouteilles avec le contenu de l'écuelle et on l'examina avec soin. Il fut reconnu qu'elle avait l'apparence d'un lait légèrement rosé et un goût d'une douceur et d'un parfum délicieux.

Grâce à ce mystérieux aliment, Véronique put achever son jeûne pénible.

Le P. Tassinari dit dans ses dépositions que ce miracle se renouvela plusieurs fois pendant les cinq années de son jeûne. Véronique n'en parle qu'à la fin, probablement sur l'ordre du confesseur. 287

CHAPITRE XIV

LA MAITRESSE DES NOVICES. SA BONTÉ, SA BIENVEILLANCE, SON ZÈLE. CONDUITE ADMIRABLE ENVERS TOUTES LES SŒURS. EXTRAIT DU JOURNAL

Véronique fut élue maitresse des novices pour la premiere fois en 1688. Trois ans après, elle ne fut pas réélue, mais on la choisit de nouveau en 1694 et les capucines ne voulurent plus qu'elle renoncàt à cette charge. Le saint Office la suspendit de ses fonctions en 1699 et ce ne fut qu'à force d'instances de la communauté qu'il lui permit de les reprendre en 1704. Elle remplit jusqu'à sa mort cette charge. On ne lui permit même pas de se désister de ce magistère quand elle fut élue abbesse, car les sœurs reconnaissaient qu'on ne pouvait trouver parmi elles une meilleure directrice des jeunes âmes à former. Les dépositions des témoins au procès de canonisation ne sont qu'un long hymne de louanges en l'honneur de la sainte.

Elle était très zélée, dit la Sœur Gertrude Brunacchi, et très attentive à nous diriger dans la crainte de Dieu et aux vertus chrétiennes, et elle ajoute que la sainte donnait l'exemple ces vertus. L’explication qu’elle leur en faisait dans ses entretiens excellents servait mieux que tout autre à leur formation.

J'étais non soucieuse, écrit de son coté Véronique, à cause du noviciat. Je ne savais que faire pour me vaincre moi-même. ll me semble que le Seigneur m'inspirait lui-même alors des exhortations aux novices et lorsque je voyais qu’elles commencaient à s'animer de quelque ferveur, je ressentais une douleur que je ne puis decrire. Je pensais que des paroles que je disais sans savoir comment, provoquaient tant de bien dans ces ames, j’étais d'autant moins excusable de n'en avoir pas mieux profité moi-meme.

Une humilité si profonde jointe au sentiment le plus élevé de la grandeur de la vocation religieuse, faisaient de Véronique une maitresse des novices hors ligne. Aussi, sous sa direction, le couvent devint comme une pépinière de plantes de choix, cultivées avec amour, et qui donna une floraison de religieuses d'élite. Bientôt le couvent de Citta di Castello devint l'un des plus fervents de l'Ordre et, longtemps après, garda l'empreinte sanctifiante que lui avait donnée la grande sainte.

Il fallut qu'elle eut la confiance des soeurs pour être chargée à trente-quatre ans d'un magistère délicat et important comme celui de maitresse des novices. On connaissait sa vertu, son zèle, sa haute piété et ses qualités étaient mises plus vigoureusement en lumière, par sa grande et vive intelligence.

Dès qu'elle eut accepta le fardeau qu’on lui offrait, elle y mit tous ses soins et toute son application Elle avait comme principe que l’état religieux est uniquement la conquête de l'Âme sur le corps, afin que le corps, comme serviteur, n'empeche en rien l’ame de se perfectionner et de se dépouiller de toute attache terrestre. Elle appliquait ce principe dans direction des novices avec une fermeté douce, toute maternelle, mais sans faiblesse.

Personne ne sut mieux qu'elle dissimuler l'austérité de la règle sous le charme du sacrifice accepté joyeusement, de la paix, de la sérénité dans le devoir. Elle était d'ailleurs, pour ses filles, un exemple plus efficace que les meilleurs discours. Que sa tête fut gonflée par les épines, que son cœur palpitant sous l'acuité des souffrances lui permit à peine de respirer, que ses membres fussent moulus sous les coups des démons, on la voyait toujours souriante, dévouée, complaisante. Sa cellule était toujours ouverte à celles qui voulaient la consulter et rien ne laissait deviner aux petites novices, qu'elles venaient troubler un colloque enflammé avec Jésus ou une vision de béatitude. Jamais on n'était reçu comme un importun.

La méthode de Véronique était simple et fortes. Avant tout, elte voulait que ses filles soient instruites à fond de la doctrine chrétienne et qu'elles en comprissent la grandeur et la bonté. L'étude de la religion était donc la préparation à celle de la règle. 290

Véronique avait un rare talent pour l'expliquer et la commenter, pour en faire goûter esprit et le charme (1).

(1) Cette science de la religion était d'autant plus admirable que Véronique m'avait jamais fait d'étude sérieuses, pas même en catéchisme, sauf pour sa première communion. Elle commençait en même temps une application pratique des principes expliqués, en pliant les jeunes religieuses a la mortification, aux travaux du couvent, aux fatigues de la communauté. Celui qui veut être en Dieu, leur répétait-elle souvent, doit commencer par se quitter soi-même.

Tout en ce montrant sévère, elle savait adoucir sa sévérité et faire accepter la pénitence sans soulever de murmures.

La jeune novice Orsola Ceoli (2) se plaignait de la chaleur. Elle n'était pas encore habituée à la bure franciscaine, si pénible sous le soleil d'Italie.

" Oubliez-vous que vous aurez encore plus chaud dans le purgatoire? " dit la maitresse, et qu'il est si facile d'y être condamné? (2). Parente de la Mère Horida Ceoli.

Pour expier vos lamentations, allez mettre votre manteau sur vos épaules et deux voiles sur votre tête et descendez au jardin vous placer en plein soleil.

La novice obéit croyant, dit-elle, qu'elle allait à la mort.

Mais Véronique ne voulait qu'éprouver l'obéissance et la soumission de la jeune Sœur.

Elle se mit en prières et voilà qu'un zéphir délicieux souffle autour d'Orsola, relevant au-dessus d'elle un des voiles comme une ombrelle, en sorte qu'elle était plutôt rafraichie comme si ce fut une matinéee de printemps.

La sainte souffrait moins des attaques de patience et de charité. Une novice travaillant avec une vieille sœur un peu radoteuse, apportais mal sa compagnie. Un jour, impatientée, elle l'appela : " felle ". La maitresse gronda très sévérement la coupable et, en punition, l’obligea à faire cinq croix sur le sol avec la langue, à demander pardon à la soeur, à genoux, et enfin à faire une coulpe publique au retectoire.

Les âmes de ses novices lui étaient plus chères, pour ainsi dire, que la sienne propre; aussi faisait-elle tous ses efforts pour en chasser, non seulement les gros défauts, mais les plus petites imperfections et surtout la tiédeur au service de Dieu, qu'elle jugeait avec raison l'un des plus dangereux ennemis de la vie religieuse. Toutes les exhortations qu'elle faisait, finissaient toujours par un appel ardent à l'amour de Dieu. Pour tenir ses novices sans cesse en haleine dans l'exercice de l'union avec Dieu, elle avait établi comme règle entre elles, de ne se rencontrer jamais sans se demander l'une à l'autre " Sœur N. que faites-vous? – J'aime Dieu ", répondait-on.

Rencontrant un jour une novice de nature timorée, la sainte lui demanda "sœur N. que faites-vous?", Mais l'autre n'osa répondre: J'aime Dieu, craignant de ne pas dire la vérité. Véronique devint toute pale comme si elle eut vu quelque horrible chose. Puis, s’adressant sévèrement à la novice, elle lui parla si fortement que celle-ci, éclatant en sanglots, s'éloigna avec impression de componction et de bon propos dont elle garda le souvenir toute sa vie.

L'amour de Dieu, l’horreur du péché, c'est ce qu'elle voulait graver en traits ineffacables dans ces jeunes Ames. Aussi les fautes des novices étaient ressenties par la maitresse plus douloureusement que par elles-mêmes. En sortant de l’office, un jour, une novice étourdie lui dit en riant qu'elle avait été distraite pendant l'office. La sainte, à ces mots, s'arrêta, vraiment suffoquée d'émotion:

"Malheureuse, lui dit-elle, vous osez dire en riant: j'ai péché! "

Elle elle diner avec les autres, mais ne put rien manger tant elle était troublée. La novice le remarqua, et, tout inquiète, vint lui demander si c'était elle qui était cause de sa tristesse.

Comment pouvez-vous vous étonner de mon chagrin, répondit la maitresse, vous qui m'avez dit en riant j'ai péché, et elle lui montra si vivement la noirceur de t’offense faite à Dieu que l'étourdie, sincèrement contrite, n'ouneia jamais cette leçon.

Ces sévérités étaient rares, elle les évitait tant qu'elle le pouvait, préférant entraîner ces âmes juvéniles comme d'elles-memes dans la voie des vertus, et son talent, en ceci, était extraordinaire. Il est vrai que cet art consistait surtout à se faire aimer et à donner le bon exemple. L'amour qu'on éprouvait pour elle portait à Dieu.

Si mortifiée qu'elle fut, si adonnée à la souffrance, elle comprenait très bien que les commencements de la vie de Capucine sont très pénibles pour des jeunes filles délicates, appartenant à des familles riches et aisées (1) et habituées à une vie douce et molle.

  1. Les meilleures familles de Citta di Castello et des environs avaient des filles aux capucines de la ville.
Véronique avait toutes sortes de petites industries pour concilier la règle et le bien-être de ses enfants. Par exempte elle leur donnait en été les couvertures de lit les plus usées et tes plus légères et en hiver les plus épaisses et les plus neuves. 294

Si une novice tombait malade, la sainte la soignait avec un dévouement infatigable. Si elle l'avait pu, elle aurait pris pour elle leurs moindres maux. La sœur Constance Spanari avait un érésypèle à la jambe qui lui donnait une grande fièvre. La Mère Véronique vint la bénir dans son lit avec une relique de la sainte Croix et son mal disparut à l'instant. Mais la sainte avait pris le mal pour elle et l’érésypèle de Sœur Constance vint s'emparer de sa jambe il se trouva qu'un beau matin, le couvent tout entier fut envahi d'une multitude d'insectes dégoûtants et puants qui incommodaient grandement les sœurs. La sainte pria le Seigneur de les envoyer tous dans sa cellule. Elle fut exaucée, sa cellule devint un réceptacle inhabitable, lit, table, murs, tout était noir de ces affreuses bestioles, mais Jésus ne voulut les lui laisser que le temps nécessaire pour qu'on put constater le miracle,

Cette morttification, soeur de l’humilité, elle la prèchait sans cesse, mais avec une defiance d'elle-meme admirable. Un jour de Noel, l’Enfant Jésus vint lui dire qu'elle devait former ses novices à l’humilité.

" Comment le ferai-je, Seigneur, répondit Véronique, puisque je suis moi-même si peu humble? "

" Ne doute donc pas de mes paroles, reprit Jésus, je suis le maître et connais toutes choses "

Cette humilité qu'elle croyait ne pas posséder, elle la pratiqua héroiquement devant ses novices, avec une perfection presque surnaturelle lorsque commencèrent les épreuves ordonnées par l'évêque et par le Saint-Office, et rendues plus amères par la méchanceté des religieuses dévoyées dont Dieu permettait l'erreur pour faire éclater la sainteté de son épouse.

On retira la direction des novices à Véronique, avec la brutalité qu'on eut mise si elle avait commis quelque forfait, on l'accabla de toutes sortes d'avanies, mais rien ne put ébranler sa douce et toute souriante patience. Bien plus, elle voulait s'imposer elle-même des fluctuations. Souvent elle se prosternait a la chapelle devant les novices et leur demandant pardon de sea manquements, ou encore elle leur faisait, à genoux, une espèce de confession générale, exagerant les moindres peccadilles de sa vie depuis sa petite enfance.

" Elle disait à chaque instant, dit la sœur Florida Ceoli, des actes de soumission envers l’une ou l’autre novice. " Plusieurs fois elle se coucha par terre en commandant aux novices de lui mettre un pied sur la bouche. Les pauvres petites, n'osant désobéir exécutaient l'ordre le plus doucement possible. Le diable qui se fachait des mérites gagnés par Véronique dans cet abaissement édifiant voulut se venger un jour. Comme la même Sœur Ceoli s'apprêtait à poser son pied le plus légèrement possible sur la bouche de sa chère Supérieure, elle sentit sa cheville prise comme par une main de fer, et son pied s'abattit avec tant de force que la bouche de la sainte en fut écrasée et resta enflée pendant plusieurs jours.

Aussi les novices avaient-elles une confiance entière envers leur admirable maitresse. Elles la regardaient comme le meilleur des directeurs spirituels et s'abandonnaient totalement à sa direction Souvent même, avant d'aller trouver leurs confesseurs, elles allaient lui exposer l'état de leur Âme et se trouvaient éclairées et fortifiées mieux qu'avec le confesseur.

C'est qu'elle avait vraiment une grâce d'en haut pour diriger les âmes, une grâce de sagesse et de prudence rares. Cette grande mystique défendait toute lecture d’œuvre mystiques a ses novices. Elle ne voulait pas qu’elles suivent les chemins extraordinaires, mais les voies droites, claires et aisées de la dévotion commune. Elle disait que l’appel de Dieu dans les voies surnaturelles, s'il est véritable, est toujours accompagné des grâces nécessaires pour le suivre et qu'Il ne faut donc pas former les âmes en vues d'occasions rares, mais selon la règle connue et expérimentée de la piété ordinaire. Il le donnait comme lectures habituelles l’Évangile, La Vie des Saints et les Exercices de Rodriguez. Aussi ses novices eurent-elles toutes une religion saine et bien équilibrée.

Dieu lui avait donné le don de lire dans les âmes. Lorsque les novices venaient la consulter pour quelque trouble de conscience ou autre, elle leur parlait la première de ce qui les amenait, sans avoir l'air de connaitre leur peine secrète.

La Sœur Marie-Madeleine Boscaini avait eu, étant novice, une grande affliction spirituelle. Elle l'avait confiée au confesseur, sans en parler à la Mère Maîtresse. Chaque fois que celle-ci rencontrait Marie-Madeleine, elle lui demandait si elle n'avait pas un chagrin intime. La novice restant toujours muette, la sainte lui dit un jour " N'avez-vous pas tel trouble qui vous agites? " Et elle lui décrivit minutieusement a cause de son inquiétude en lui donnant les moyens d'y mettre fin. Cette même sœur se sentait de l'aversion pour une compagne, mais au lieu de la combattre, elle la laissait croître tout en la dissimulant. Véronique appela la novice dans sa cellule. " Faites attention à vous, lui dit-elle, car une petite etincelle peut amener un grand feu. "

La novice étonnée ne comprenait pas. Alors Véronique lui montra tout ce qui se passait dans son âme, comme si elle le lisait dans un livre ouvert.

Une telle perfection dans l'office de maltresse des novices aurait dû être, semble-t-il, tout à fait agréable à Dieu, mais le Seigneur voulait trouver dans Véronique une pureté si absolue qu'il ne souffrait pas en elle la moindre poussière et exigeait d'elle un zèle encore plus ardent, un apostolat plus efficace.

Elle était déjà depuis treize ans maitresse des novices, lorsqu'elle tomba malade d'une de ces maladies mystérieuses qui furent si fréquentes dans sa vie. Elle semblait être entrée en agonie lorsqu'elle fut subitement enlevée en extase jusque devant le tribunal de Dieu. Entourée des anges, des patrons de Véronique, ayant à ses côtés sa divine Mère, Jésus regardait sévèrement la tremblante religieuse, il lui fit de si durs reproches, qu'elle s'attendait à être damnée. Ce ne fut qu'aux prières instantes de Marie et de ses patrons que le Juge inexorable redevint l'époux miséricordieux ; mais l'épouvante de la sainte avait été telle qu'on se hâte de l'administrer, la croyant près de mourir.

Elle guérit cependant brusquement, comme elle fit tombée malade. Aussitôt elle alla trouver le P. Cappelletti et lui dit que le Seigneur lui avait révélé des choses qui concernaient ses novices et qu'elle devait les voir chacune à part. Le Père accorda cette permission à ta condition qu'elle les reçût en sa présence. Elle reçut donc chaque novice tour à tour. Le Père qui restait un peu éteigne ne pouvait entendre ce qu'elle disait, mais la voyait parler avec une grande véhémence. A la fin de l'entretien, sa voix s'eîevait etii comprenait la conclusion de son entretien. " Ne prenez pas exemple sur moi, disait-elle, car je suis une pierre de scandale en tout et pour tout, dans l'observance, l'obédience, la charité, l'amour, je suis toujours orgueilleusa et n'ai pas d'humilité." Puis elle priait la novice de demander pour elle à Dieu, miséricorde et pardon. Les novices se mettaient à pleurer et demandaient pardon à leur bonne Maitresse de la peine qu'elles lui avaient faite. Véronique les congédiait en leur disant a Faites attention aux plus petites choses, parce que devant Dieu, elles sont bien autrement gravés que nous ne nous l'imaginons."

Le ciel n'était pas toujours aussi sévère pour la Mère Maîtresse et lui envoyait de temps en temps la douce consolation de voir que ses peines n'avaient pas été inutiles. Un jour à la fête de la Purification, elle vit la sainte Vierge tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, saint Joseph lui donnait une robe magnifique, brodée d'or et couverte de joyaux que le divin Bambino mettait avec joie. La sainte Vierge de Véronique que cette robe était faite de toutes les mortifications, de tous les actes de vertus accomplis par les novices en préparation a la fête. Quant à la sainte Vierge, son manteau richement brodé était le travail des actes héroïques de la communauté.

La sainte savait manier les âmes avec une délicatesse et une sûreté de conduite qui obtenaient les effets les plus merveilleux. On n'est pas parfait en entrant au couvent. 300

Par un privilège miraculeux, Véronique connaissait par avance quelle serait la vocation de celles qui se présentaient. Elle Savait que telle ou telle ne persévéreraient pas et n'en priait pour elles qu'avec plus d'ardeur. Elle pria ainsi pour une jeune novice dont elle savait, par révélation, l'avenir sombre, si quelque âme dévouée ne s'intéressait à son sort. Cette novice avait v un caractère susceptible et ombrageux pétrît d'amour-propre; elle mit la patience de la sainte à une rude épreuve, mais Véronique ne faillit jamais à la douceur, et, compatissant à ses fautes, elle l'encourageait et la soutenait si bien qu'elle quitta le couvent complètement convertie. Une autre, non moins violente, osa, sur une observation de la sainte, la souffleter si fort que sa lèvre en fut fendue. Véronique la reprit immédiatement du scandale qu'elle donnerait puis se prosternant humblement, elle pria avec une telle ferveur pour la coupable qu'elle versait humblement des larmes de sang.

La novice fut très confuse, mais sa conversion ne fut pas complète, encore et souvent elle retombait dans son défaut dominant. Étant devenue sœur, il advint que remplissant l’office de cuisinière, elle ne se pressait pas d'aller donner à un vieux pauvre la pitance qu'il recevait chaque jour au couvent. Voyant qu'on le faisait attendre, Véronique alla à la cuisine pour avertir la Sœur. Elle fut reçue très mal et, pour ne pas la fâcher davantage, elle prit le pain et un couteau pour faire elle-même la part du pauvre. La cuisinière vexée vint arracher le pain à Véronique en lui donnant un coup si furieux qu’elle serait tombée de tout son long si elle ne se fut retenue à la table. Véronique, sans rien dire, s'éloigna. Des sœurs, présentes à cette scène; reprochèrent à Véronique de n'avoir pas obligé immédiatement cette grossière créature à lui faire des excuses.

" Je ne veux pas l'irriter davantage, dit la sainte. Il faut de la patience. Je ne suis triste que de l'offense faite à Dieu. " Ce ne fut qu'au chapitre suivant que la coupable reçut une admonestation. Mais déjà ses propres remords l'avaient fait rentrer en elle-même et les paroles de la sainte, si douces et si pleines de tendresse, achevèrent de lui faire prendre le péché de colère en horreur. Elle fut corrigée pour toujours.

Véronique avait accepté l'humiliante décision du Saint Office qui lui retirait la charge des novices en 1699. Elle vit avec effroi, par les révélations divines, que le Seigneur voulait de nouveau la lui rendre. Elle supplia Dieu de ne pas lui imposer cette croix, mais n'obtint pas ce qu'elle démandait. Depuis longtemps les capucines sollicitaient à Rome la permission de rendre la direction des novices à la Mère Véronique. En 1704 on le leur permit enfin.

Je voyais, dit-elle, dans son journal, une multitude de gens parmi lesquels était le prélat, qui tous étaient contre moi. Pour elle, citait la desservir que de lui donner une charge d’honneur. Dans une même vision, elle voyait Jésus venir à elle avec trois grands clous, qu'il lui enfonçait dans le cœur, ce qui lui causait des douleurs mortelles. Ces clous, c'étaient le noviciat, le Saint-Office et l’évêque, exécuteur des ordres du Saint-Office.

C'étaient des clous cruels que la vaillance d'une Véronique pouvait seule supporter si l'on pense combien elle souffrait de ses stigmates, de son jeûne rigoureux, de toutes ses épreuves auxquelles il fallait ajouter la responsabilité et le labeur d'une direction comme celle d'un noviciat. Dans ce temps-là même, elle était si souffrante par suite de nouvelles épreuves mystiques dont nous parlerons bientôt que, chaque semaine, on la croyait à la mort! Rien de tout cela ne lui fut une cause pour se refuser à la volonté de Dieu et elle reprit son poste auprès des jeunes novices avec le même zèle et la même attention que si elle se fut trouvée dans l’état de santé le plus florissant.

Ce qui était pour les novices, elle l`était aussi pour les soeurs en religion. Elle fut vraiment la soeur de toutes dans la plus belle acception du mot. On a vu combien elle fut parfaite envers l’abbesse Albizzini et les sœurs qui ne l'aimaient pas, surtout pendant le redoublement de mauvais vouloir occasionné par l’ordre du Saint-Office. Les religieuses furent souvent émues aux larmes de la patience de Véronique. Mgr Eustachi lui-même fut touché de cette héroique vertu. La dite sœur Véronique écrivit-il à Rome [dans le temps qu'elle était accablée par toutes les épreuves imposées par le Saint-Office], la dite Sœur Véronique va toujours continuant d'observer la plus exacte obéissance avec une profonde humilité et une particulière abstinence, sans montrer jamais la moindre impatience, mais gardant une paix et une tranquillité indicibles, excitant la plus grande admiration chez toutes les religieuses qui ne peuvent se priver de le conter aux gens du monde, quelques efforts que je fasse pour les en empêcher. Aussi je ne laisse pas d'imposer quelque mortification aux plus loquaces pour ne pas multiplier les racontars parmi le people. Véronique cherchait toujours à aider celles des sœurs qui avaient un travail plus fatigant, qui étaient plus faibles, ou affligées. Un miracle récompensait souvent ces actes de charité. Plusieurs fois, ayant quitté une broderie ou une coutume pour aller aider une sœur, en revenant, elle trouvait sa tache terminée et même il y en avait beaucoup plus d’ouvrage fait, qu’elle n'en eut pu exécuter elle-même.

Lorsqu’elle était bien souffrante, il lui arrivait de sentir de la répugnance pour aller de l’une ou l’autre sœur dont elle se savait moins aimée, mais il suffisait qu’elle se rendit compte de ce mouvement involontaire pour qu’elle partit aussitôt et se montrat plus complaisante et aimable.

Elle avait l’habitude de réunir quelques sœurs pour s’entretenir ensemble d’un sujet pieux, mais au moment d'aller demander à chacune de venir auprès d'elle, un grand ennui la prenait.

" A cause de mes souffrances, écrit-elle un jour, je ne pouvais plus me supporter moi même, et j'avais une grande répugnance de rester près d'une Sœur. Pour me vaincre, j'en appelais plusieurs et, plus je sentais de déplaisir, plus j'en allais chercher. Ma plume ne saurait exprimer ce que cela me coûtait. Mais parce que je sentais mon humanité se révolter et ne pouvoir rien supporter, je lui disais Maintenant c'est l'heure d'exercer ta vertu. Quand j'eus rassemblé huit à neuf sœurs, nous comment àmes à raisonner sur l’abnégation de nous-mêmes. Je disais : " Mes sœurs, si nous voûtons "faire plaisir à Dieu, faisons-nous du déplaisir Puis tous discutions en quoi nous pourrions nous vaincre. Je compris que ces discours me seraient d'une grande lecon pour détourner les erreurs de ma mauvaise nature. Elle ne veut rien de la vertu, mais l’esprit, lui exige la vertu. 305

" Mon humanité aurait voulu s’en aller pendant ces colloques, mais je fis le contraire de ce qu’elle désirait. Je me mis au milieu du cercle et je parlais d’une masse de choses que j’avais lues. Toutes s'enflammaient de zèle, l’une de charité pour le prochain, l’autre de dévotion à la Passion du Sauveur, seule mon humanité ressentait un grand ennui de tout, et plus je voyais de répugnance en moi, plus je montrais de joie. Quelques-unes me disaient : " Etes-vous folle? Qu'avez-vous donc aujourd’hui pour être si contente ? "

Après avoir dit tout ce que nous avions à nous dire, nous sommes allées ensemble devant le Saint Sacrement et j'eus une rapide extase ou je sus que Dieu avait eu mon sacrifice pour agréable et que je devais recommencer souvent cet exercice.

La grande charité envers le prochain, c'est de le secourir dans ses innrmités. Véronique fut une infirmière angélique. Jamais les atroces souffrances qui l'accablèrent ne i' arrêtérent un instant dans le soin des malades. Alors qu'elle pouvait à peine remuer un membre, elle courait à l'infirmerie auprès de ses chères soeurs souffrantes et ne se rebutait de rien quand il fallait soulager leurs maux. Aussi a-t-on gardé, dans le couvent, le souvenir de beaucoup, de guérisons opérées par son seul contact, par sa bénédiction, par un breuvage présentée par elle.

Une nuit qu’elle était très souffrante à cause de sa blessure au cœur, jusqu’à en perdre presque connaissance, elle entendit tout à coup frapper très fort à sa porte, dans une cellule voisine. Une vieille sœur qui y logeait venait de se trouver mal et gisait par terre. Véronique la releva, la mit sur son lit, lui administra des cordiaux et ne la quitta qu’après avoir vu tout danger passé.

La sœur, étonnée, lui demandait comment elle était venue et Véronique se demanda, en revenant chez elle, commet elle avait pu faire tout cela en souffrant autant.

Une autre Sœur, atteinte d'un cancer comme le fut la Sœur Ludovica, s'impatientait toujours contre elle et ne trouvait jamais qu'elle fit rien de bon. Son mal la rendait irritable et toujours mécontente. La sainte ne lui répondit jamais. Jour et nuit elle accourait è son appel, aimable et souriante. Mais à l'heure de la mort, la malade reconnut enfin la charité de son infirmière etne voulut plus qu'elle la quittât jusqu'à son dernier soupir.

C'est qu'elle savait ce que vaut un acte de vertu, et nous ne résistons pas au plaisir de citer ici ce qu'elle en dit dans son journal.

" Je crois savoir que l’âme, en faisant un seul acte de vertu, s'imprègne pour toujours de toutes les vertus. Je ne pourrai arriver a en dire tout ce que je voudrais. Si j’avais cent langues, je ne viendrais pas à bout d'expliquer la valeur et les avantages qu’apporte un acte de vertu. C’est une chose si précieuse qu’une âme qui s'y affectuonnerait serait bientot sainte.

Il me semble que le Seigneur me communique souvent des lumières sur ce sujet et je vois, pensant et méditant, comment je pourrais faire pour pratiquer tout comme je le comprends. Je suis au milieu d’un immense trésor, mais il ne me sert de rien parce que je ne sais pas m’en servir.

Sur l’humilité, elle dit ceci :

" Dieu m’a éclairée pour me montrer ce que je devais faire et cheminer dans la voie de l'humilité. Ces lumières ne sont pas explicables, car celui qui veut agir n'a pas besoin de paroles.

" Ô mon Dieu, je me vois dans une école ou le travail est si délicat que j'en tremble. Partout où je regarde en moi, je trouve des défauts alors que je croyais découvrir une vertu. La voie de l'humilité est toute lumineuse, si bien qu'on y distingue la plus petite tache. Mais qu'on y fasse le moindre faux-pas, elle devient ténébreuse et, alors, le danger est grand de tomber dans un précipice. Ces dangers, ce sont les actes et les mouvements secrets d'orgueil qui se cachent en nous sous le manteau de la vertu. "

Terminons cette citation par ces belles réflexions sur la souffrance : Pour vous obéir, je dirai ce que je pense de la souffrance. Il me parait difficile d'arriver à faire comprendra le profit que la souffrance apporte l'âme. La moindre petite souffrance pour bien se disposer à la recevoir, exigerait des années de préparation.

Voyez les grands personnages, ils ont une trésorerie particuliere pour leur service et aussi pour soutenir leurs vassaux quand ils en ont besoin. Notre âme qui est si noble, qui l’épouse du Roi du ciel, a aussi besoin d’un trésor. Le plus précieux pour elle, c’est le trésor de la souffrance. En lui elle puisera tous les secours dont elle a besoin, elle pourra aussi y trouver de quoi soutenir ses vassaux qui sont l'humanité et tes sens. L'esprit supérieur a ceux-ci leur administrera ce qu'on leur doit selon leur grade et leur office. Mais il arrive que ces malheureux (l’humanité et les sens) incapables d'apprécier des trésors aussi magnifiques, au lieu de les employer à faire quelque conquête, les rejettent avec mépris. Ô Dieu quand j'apprends qu'une âme a pu faire quelques pas dans le chemin de la vertu, je suis sûre qu'elle a eu en main un peu du trésor de la souffrance.

Ce trésor est un secours pour guider nos âmes jusqu'à la possession du trésor céleste, c'est surtout un moyen de nous faire connaitre et apprécier toutes les vertus. En même temps qu'on pratique la vertu, on comprend la valeur de la souffrance. Mais, je ne sais comment, plus on comprend, moins on pâtit. En même temps qu'on sent la soulagée, comprendre n'est rien de plus nécessaire à notre âme.

L'âme je l’apprendrai que plus on souffre, moins en sent la souffrance,parce que la souffrance enseigne le moyen de soutien. Lorsque l’âme commence à cheminer dans cette voie, toutes les autres pensées restent en arrière et l’âme se sent, peu à peu, dépouillée de toutes les affrections terrestres, de tous les tracas de cette vie; elle n’a plus d’autre désir que de servir Dieu avec un pur amour. Cet amour pur et parfait, elle le possédera davantage a mesure qu’elle avancera dans la voie de la vraie souffrance. Je dis vraie parce que, ici aussi, il y a beaucoup de fraudes et de tromperies.

Ô Dieu! (que cette voie est difficile). Je ne n’ai jamais comprise et c'est pour cela que je n'ai jamais souffert. Je ne puis dire que je n'ai jamais pratiqué la vraie souffrance. Je crois que celui qui la pratique acquiert l'amour en peu de temps. Parce que, s'il souille avec amour, chaque souffrance augmentera son amour. Je crois que celui qui agit ainsi atteint la plus haute vertu.

En pratiquant la vertu dans la souffrance, il fait que vertu et souffrance ne soient plus qu'une même chose. Alors il ne connatt plus la souffrance comme souffrance, mais comme vertu. Notre Ame va, cherchant la souffrance, car elle désire toujours de plus en plus plaire à Dieu et sait qu'il aime que nous souffrions avec un pur amour et par amour. Cette âme est au milieu des souffrances et se plaint de n'en avoir las. 309

A ce point, je crois que Dieu ajoute encore des souffrances. Mais ce ne sont point des souffrances, c'est de l’amour. Celui qui patit, souffre secrètement et ne veut pas parler de ses peines. Ces choses, je ne sais comment les exprimer. J'apprends peu à peu que l’Esprit acquiert plus de forces dans celles j’appelle la vraie souffrance . On fait alors ce que faisaient les saint martyrs qui, devant les empereurs et les tyrans, demeuraient fermes dans la confession de leur foi, avec une constance inébranlable. Leur esprit dominant leur humanité et lui disait qu'il ne voulait rien écouter de ce qu'il le lui demandait.

L'humanité, comme une furieuse, se fâchait contre l’esprit et appelait à son aide les autres ennemis, c'est-à-dire les sens, l’amour-propre et tous les vices. Cette tourbe voudrait enchaîner l'esprit. Mais il est fort et courageux. Il veut les souffrances, les atrocités et les mépris, les humiliations, toutes les espèces de douleurs. C'est là qu'il trouve sa force et son pouvoir. Tout à la gloire de Dieu.

Ainsi soit-il. 310
 
 

CHAPITRE XV

L'HEURE D'ÉTERNITÉ. LE JUGEMENT DE L’ÂME. FUREUR DE L’ENFER ET RUSES DU DÉMON. ZÈLE POUR LES ÂMES.

Nous avons dit qu’un nouveau mode de souffrance avait été imposé à Véronique vers l’époque ou elle reçut les stigmates. Son role de compatiente exigeait qu’elle connût tous les mystères de l’expiation, toute horreur du péché, toute la grandeur de l'offense à Dieu, tout le prix du pardon.

Maintenant qu'elle était l'image du Christ sur la terre, elle devait, avec lui, se consacrer tout entière au salut des âmes et au rachat du péché.

Cette mission, elle l’a acceptée avec une genérosité héroique et âme simplicité touchante. Sa resignation à faire la volonté de Dieu, toujours si terrible qu’elle lui paraisse est un des plus beaux cotés de sa vertu. Elle est vraiment unie à Jesus d'une si étroite union qu'elle ne pourrait l'etre davantage ici-bas.

Il faut qu'à la suite de son époux, elle penètre les mystères de l’au-delà, parce que sa mission est toute spirituelle et se répercuta au ciel comme en enfer. Le printemps de l’an 1697 fut marqué par une sécheresse extraordinaire partout les cultures avaient péri, la misère menaçait tes campagnes, Mgr Eustachi voyait cette partie de son diocèse affamée, tandis que ta ville de Citta de Castello était la proie des plus cruelles divisions intestines : la querelle des Montechi et des Cappeletti se reproduisait avec une violence inouie. Le prélat était profondément triste, le trouble des esprits pénétrait jusque dans son clergé dont un des membres les plus éminents avait une conduite coupable.

L’évêque aurait voulu lui enlever le poste qu'il occupait sans faire d'éclat. Enfin plusieurs de ses amis subissaient des épreuves et des tentations très douloureuses, dont il était le confident. Il pensa à la sainte Capucine, sa fille de prédilection et vint la trouver avec une liste formidable de grâces a obtenir.

Véronique se mit aussitôt en prières et soudain se vit entourée d'une multitude de serpents dont la gueule lançait des flammes. Jésus lui dit que ces monstres figuraient les péchés commis dans la ville, péchés qu'il s'apprêtait à punir de sa verge justicière. Le Seigneur, à la supplication de ses serviteurs, épargnerait ce peuple coupable, à condition qu'il se convertit.

Véronique continua ses supplications pendant plusieurs jours et engagea Mgr Eustachi à ordonner une procession de pénitence avec la chasse de saint Florido, protecteur de la ville (1) et d'y joindre des exercices de prédication. (1) Evêque de Citta de Castello au VIe siècle.

Probablement l’évêque suivit le conseil de la sainte, puisqu'elle lui fit savoir, peu de temps après, que le Seigneur exaucerait ses voeux. Une vision qu'elle eut ensuite, lui montra le prélat dans le coeur de Jésus avec ses confesseurs ordinaires et extraordinaires et ses quatre sœurs. "Ceux-ci me sont très chers" dit le céleste Époux. L'évêque à qui Véronique communiqua cette vision fut très étonné de voir le confesseur ordinaire parmi ces privilégiés, car c'était justement ce prêtre qu'il voulait désister de son emploi parce qu'il le croyait coupable d'une faute grave. La sainte lui assura qu'il était innocent et, en effet, son innocence fut reconnue plus tard.

A dater de ces visions, Véronique se préoccupa beaucoup des pécheurs de la ville. Elle offrit ses souffrances.

Aux souffrances des stigmates, du coeur, de la couronne d'épines, vint s'ajouter ce qu'elle appelle "l'heure d'éternité" Dans ces instants, la sainte éprouvait l'épouvantable supplice de l'âme morte à Dieu.

Cette nuit ; dit-elle, le jour ou elle en parle pour la première fois dans son journal, j'ai été tourmentée des tentations ordinaires et j’ai éprouvée, pendant cette heure, peines sur peines. La souffrance fut telle que je ne comprends pas comment je suis encore vivante. Il me semblait être déjà dans l’éternité. Je n'avais pas aucun sentiment de Dieu, sinon que tout ce que je souffrais etait un juste chatiment. On aurait dit que, pour moi, il n’y avait plus de Dieu, ni saints.

Je me sentit tout à coup environnée de feu et cependant j’étais dans les ténèbres et je percevais d'horribles supplices préparés. Je ne pouvais ni voir ni me cacher. Il me semblait qu'on lacérait ma chair. J'entendais des sonnements de serpents, une rumeur grandissante, mon épouvante m'anéantissait. Alors je sentis qu'en me flagellant avec des verges brulantes. Je ne puis en écrire davantage, au seul l’avenir de cette heure, je me sens faiblir.

Pour supporter de pareilles souffrances, la sainte n'avait qu'à se souvenir de ses visions sur l'état des âmes de la ville, voire même sur celui de ses compagnes. Pour l’âme religieuse, Jésus a des exigences spéciales et veut une perfection plus grande. Sa colére eclate contre celles qui ne cherchent pas cette perfection Véronique elle-même est reprise sévêrement pour avoir accepté d'une bienfaitrice des ornements trop riches, lorsqu'elle remplissait l’emploi de sacristine et avoir ainsi péché contre la pauvreté.

Véronique croyait aussi devoir expier pour les dissensions du couvent. Son humilité lui disait qu'elle en avait une grosse part, parce que ses défauts excitaient la colère et l'impatience de ses compagnes (1).

(1) Peu après les expériences du Saint Office, Jésus lui promit que ses épreuves par rapport aux soeurs malveillantes cesseraient bientot. En effet, on envoya la Mère Albizzini à Citta delle Pieve pour y réformer les capucines de cette ville et la mère Colette Guarini la remplaça comme abbesse. Cette dernière haute estime pour Véronique. C'étaient pour elle autant de raisons de se soumettre avec résignation à l’heure terrible dont le souvenir seul la fait trembler. Cette heure commence par une " agonie de mort ", une frayeur intense qui produit une sueur glacée. Tous ses membres se raidissent. Ce froid cruel se change brusquement en un feu dévorant ou plutôt elle est glacée et à la fois. Elle se croit morte, plongée déjà dans le lieu d'éternelle punition et cette pensée est à elle seule la plus atroce des tortures. Elle est tentée de blasphèmes, de maudire Dieu, elle est prête à tomber dans le désespoir. Elle se dit, avec une sombre tristesse, qu'elle s'est trompée, que toutes les faveurs extraordinaires qu'elle à reçues ne sont que des illusions du démon et rien ne la détrompe, personne ne vient ni du ciel, ni de la terre pour la soutenir et l’encourager. 316

Elle est seule au milieu des démons, son âme est aride, le ressort de la foi en est brisé. Et cependant de ses lèvres desséchées, de son coeur meurtri, s'échappe une prière incessante, héroique:

" Que Jésus soit béni! ". Elle ne se plaint même pas. A sa prière des voix effrayantes répondent par des malédictions horrible contre Dieu, et la pauvre Véronique, étouffée comme par une main de fer, ne peut même pas protester par un nouvel hommage au Seigneur.

A ces supplices de l’âme, s'ajoutaient ceux du corps.

Aux verges brulantes succédaient les baillons suffocants, les coups de marteau sur les tempes, les coups de poings sur la bouche, les tenailles triturant la chair et par-dessus tout, ces ténèbres brulantes ou, sans les voir, se pressent les démons.

En sortant de ces heures affreuses, Veronique était mourante. Il fallait pour la ranimer, la vision consolante de Jésus, tes concerts des anges, le sourire de Marie.

Un jour, le Père Cappeletti lui remit un reliquaire et une croix en la priant de les faire bénir par Jésus lui-même.

Dans une vision qu'elle eut après une de ces heures d'éternité, elle présenta le reliquaire et la croix au Seigneur. Jésus les bénit et les donna à sa Mère qui les bénit aussi, ils passèrent ensuite à saint Philippe de Néri, à saint François, à saint Dominique, firent le tour de la cour céleste pour revenir dans les mains divines et enfin dans celles de la soeur, avec ces paroles de bonté: " Dis à ton confesseur que j'ai fait ce qu'il a désiré, et même davantage, car je tiens compte de tous ses actes ".

Quelquefois pour ranimer la sainte ranimer, Jésus lui disait simplement : " Je suis ton époux, ne craint rien ".

La sainte Vierge, elle aussi, voulait consoler Véronique et lui montrer combien ses souffrances lui étaient chères. " Dis-moi, que veux-tu? " lui demanda-t-elle un matin, après une longue nuit de souffrances. La sainte pensa que Mgr Eustachi souffrait alors beaucoup d’un exzéma au visage et à la gorge, au point que les médecins craignaient un mauvais dénouement. Elle demanda la guérison du prélat : " Dis-lui, répondit la Mère de Jésus, qu'il aie la foi et cette grâce lui sera accordée (1) ".

  1. Mgr Eustachi offrit en reconnaissance de cette guérison une étoide d’Or a N.D. della Grazie.
Pour que l’expiation soit plus efficace, il faut à Véronique une pureté parfaite. C'est pourquoi le Seigneur exige d'elle qu'elle se prépare à la pénitence par des confessions générales répétées, solennelles et sevères comme celles qui précédèrent la réception des stigmates.

C’est qu'elle avait un role si élevé à remplir qu'il lui fallait vraiment la pureté du Séraphin.

" Je t’ai vue de toute eternité, lui dit Jesus un jour. Chacun des êtres favorisés comme toi, que Dieu s'est adjoint dans le travail immense de la Rédemption doit apporter sa part prévue par moi, dans l’édification de monument de miséricorde. La place de ce monument a été arrêté dans la pensée infinie de Dieu, avec celui de la création. " Véronique ajoute : " Quelques-uns de ces coopérateurs recoivent un travail facile, d’autres ont a exécuter de plus pénibles taches. Chacune des peines endurées par ces coopérateurs répond a une expiation particulière et plus le péché est énorme, plus il offense Dieu, plus l’expiation doit en etre terrible ".

Véronique parait avoir eu un mission spéciale pour expier les péchés des prêtres et des religieuses, les abus et les désordres provoqués par les ambitions et les cupidités d’une société déjà gangrènée par le souffle de la réforme et de l'hérésie janséniste. La réforme, ainsi que la queue du dragon de l'Apocalypse avait entrainé la troisième partie des étoiles du ciel, et son esprit infectait même les nattons catholiques.

Jésus, dans une vision, montre à la sainte une armée d'aspect épouvantable.

" Ce ne sont pas des hommes que tu vois, lui dit-il, mais des démons. Ils viennent pour t'assiéger, toi et ton couvent. Sois tranquille, je serai avec toi. Non seulement tu combattras, mais ton confesseur doit combattre avec toi. Dis-lui de ma part qu'il ne doit jamais perdre de vue ma gloire, ni le salut des âmes. Qu'il aie confiance et ne s’effraie de rien, qu'il te dise sans hésiter tout ce qu’il à à te dire, je suis avec lui. " 318

Quelques jours plus tard ce sont les prisonniers du démon que la Sœur apercoit. Hélas, ils sont multitude et, parmi eux, que d’âmes marqués du Chrême de l’Église! " Je te les fais voir, dit Jésus, afin que tu aies à coeur de prier pour eux ". Et Il lui ordonna un carême de trente trois jours de souffrance, en expiation pour les péchés, en union de particulière avec les souffrances intérieures de Jésus pendant sa vie.

Véronique se soumet avec cette résignation courageuse, cette vaillance dans le dévouement qui lui sont particulières, mais, au moment de commencer cette passion, à la vue de la croix d'épouvante, elle tremble tellement qu'il lui semble que les murs de sa cellule tremblent aussi.

" Tu auras des peines à l'oraison, à la communion, à la confession, partout, dit le Seigneur, et tu devras être contente dans toutes ces peines, comme si elles t’étaient une école d'amour. "

Jésus montra alors l'abime effroyable ou Véronique devait passer chaque jour de son carême, " l’heure d’éternité ". C'est un précipice d'aspect sinistre et horrible, plein de serpents hideux. " Ces serpents sont les péchés des hommes, dit encore le Seigneur, tu dois être mon intermédiaire entre eux et moi. Tu dois donc les voir avec une grande pitié, mais ta souffrance sera plus grande qu'aucune de celles que tu as jamais éprouvées ".

Pendant trente-trois nuits elle subira une ou deux heures de ce supplice.

"Quand un malheureux, écrit-elle, a reçu un coup d’arquebuse, il sent une souffrance mortelle à la place ou balle s’est logée. Il ne voit pas la balle, mais il la sent, il ne peut l’oter, s'il essaie, sa souffrance augmente. Ainsi en est-il de moi. Mon âme a recu un coup mortel. Elle le sent, et cette peine se meut en elle ; plus elle essaie de la connaitre, plus elle grandît et c'est ainsi qu’elle est précipitée dans le gouffre, car elle n'a personne qui la secours et l'empêche de tomber. "

Quelquefois, ne sachant comment supporter cette douleur indicible, elle sort de sa cellule, elle court dans le jardin, mais l'enfer l'y poursuit. Un jour c'est une tempête qui s'elève, roulant dans ses rafales de monstrueux fantômes, l'entourant de langues de feu qui l’étouffent; d'autres fois ce sont des démons que la frappent, et toujours il lui faut retourner auprès de cet abime où une volonté implacable la retient comme suspendue au-dessus du gouffre, ou elle tremble et pleure.

Les descriptions de cet antre infernal se succèdent dans le journal de Véronique ou le récit de ses journées de pénitence. Ses souffrances, les coups, les brûlures, le froid glacial tout est bien réel, car, en revenant à elle se trouve toujours si raidie qu'elle reste quelques instants sans pouvoir se remuer. Tous ses membres lui font mal, sa chair est si enflammée et si douloureuse qu'elle n'ose pas meme y poser un doigt et que l’habit religieux de capucine lui est un cilice insupportable. On dirait qu'on l'a jetée d’une fournaise dans un bain de glacé. Des ecchimoses, des brulures se voient sur tout son corps, avec comme des piqûres de viperes.

Croirait-on qu'après cela, elle ait encore le courage de faire des macérations voulues?

J'ai fait aujourd’hui l’exercice de la croix et la discipline à sang, écrit-eel tranquillement.

Tant de souffrances ne faisaient qu’Augmenter sa soif et son zèle pour le salut des âmes. Elle eût voulu courir le monde en appelant les pécheurs à la pénitence, en montrant la bonté de Dieu.

" Mon Dieu, répétait-elle, soyez ma voix. Appelez, appelez tout le monde, vite, ne tardez pas. Appelez-les tous, Je le désire, je vous en supplie. Appelez, appelez! "

Cependant, il y avait un certain temps à Véronique pour pouvoir reprendre ses travaux après de si terribles épreuves. Justement, pendant ces trente-trois jours, elle devait faire la cuisine. En revenant à elle, chaque matin, elle souffrait de la retiration des nerfs et ses stigmates étaient trés douloureux.

Jésus, alors, permettait à son ange gardien de l'aider. La sainte ne le voyait pas, mais le sentait à côté d'elle, et cela la soulageait. Elle travaillait avec une rapidité dont elle s'étonnait elle-même. Un jour, ayant a remettre la dépense, elle y arrivait; les mains chargées d'objets, elle vit la porte s’ouvrir au large devan elle et apercu dans la chambre, l’espace d’un éclair, son ange gardien qui l'attendait. Étant retournée à la cuisine pour prendre de nouvelle charge, elle trouva, en revenant, le garde- manger rangé avec le plus grand soin.

Le Seigneur lui-même ne dédaignait pas de venir à son aide après les nuits de martyre.

" J'aime que tu remplisses les emplois du couvent, lui dit-il, je t’aiderai et je te donnerai ton ange gardien pour t’aider. "

L’ange gardien, d’ailleurs, soutenait Véronique dans les heures d’éternité. Elle le vit plusieurs fois l’arretant au moment où elle aillait rouler au fond de l’abîme, sous les coups du démon. Quelquefois, lorsqu'elle était en extase, l'ange venait la chercher.

" Il est l'heure d'aller à la cuisine " lui disait-il. Un jour qu'elle devait aller faire du macaroni, elle était si malade, par suite du supplice de la nuit, qu’elle n’avait pas le courage de préparer la pate. Tout à coup elle fut enlevée dans un ravissement et, revenant à elle, elle vit le plat tout préparé.

L'heure d’éternité fit désormais partie du programme expiatoire de Véronique. Après le carême de trente-trois jours, elle ne lui fut plus imposée quotidiennement, mais revint souvent l'accabler.

En 1700, le Seigneur lui imposa des prières et des expiations " pour, les évêques et les pasteurs qui sont des loups dévorants " Il voulut aussi qu’elle priat pors des élections du nouvel pape.

Pendant cinq jours entiers, écrit-elle, je subis la rénovation des douleurs aux pieds et aux mains et la blessure du cœur fut ouverte. Je dus subir d’autres peines et j’offris tout cela en union à la très sainte Passion de Notre-Seigneur pour les besoin de l’Église et l’élection d’un nouveau pape.

Ce nouveau pape, ce fut Clément XI (Jean-Francois Albini), successeur de d’Innocent XII, élu le 13 octobre 1700. Véronique eut aussi des révélations sur les guerres qui se préparaient ou se poursuivaient. Elle voyait Jésus couronné d’épines, couvert du manteau de pourpre, tel qui fut montré au peuple par Pilate.

Je compris qu’il demandait à chacun de nous de souffrir quelque pénitence pour la sainte Église.

Mais de toute cette foule que je voyais, personne ne vint s’offrir. Je vis le visage de Jésus plein d’indignation, et je compris qu’Il menacait de chatiments. Je compris aussi qu’Il allait y avoir une grande guerre parmi les princes chrétiens, qu’elle fera un grand tord a la sainte Église et aux âmes. (1) Guerre de succession d’Espagne (1713).

Il fallait donc que Véronique redoublat d’ardeur pour souffrir, mais pour que son intercession fut d’autant plus efficace, il fallait que son âme fut parfaitement pure. C’est pourquoi après les révélations que lui fait le Seigneur sur les besoins de la chrétienneté et le devoir qu’elle a de prier pour elle, il faut subir ces jugements qui sont, pour son âme, une purification complète. 324

Nous avons dit quelque choses de ces confessions générales. Le jugement qui les suivait était encore plus terrible, la sœur Marie Boscaini raconte de la sainte que le Seigneur lui ayant à ne faire son examen de conscience, se voyant près d’etre jugée devant toute la cour céleste, elle pria le P. Cappelletti de venir l’aider. Elle était alors très malade et gardait le lit. Le Père lui suggéra d'abord de dévotes prières, car il savait que dans ces confessions mystiques, elle souffrait de grandes désolations Entouré de toutes les religieuses, le confesseur vit la sainte privée de ses sens, les yeux axés sur l'image du crucifix, sans jamais battre la paupière. Pendant une heure que son Âme fut en face du tribunal de Dieu, elle était toute pâle, son corps avait des tremblements de frayeur, une sueur d'angoisse perlait à son front. Les sœurs contemplaient ce spectacle, épouvantées et édifiées. Ainsi qu'elle le dit, après au P. Cappelletti, elle était sous le coup d'une angoisse mortelle, car elle voyait le Seigneur, sa sainte Mère, ses saints patrons la regarder, sévères et menaçants, et bien qu'elle n'eût que de petites fautes à accuser, elle se demandait si elle ne serait pas réprouvée. Elle faisait des actes de la plus sincère et amoureuse contrition. Tout à coup elle devint d'une beauté ravissante, son visage s'irradia de joie. Elle venait de recevoir le pardon de ses péchés.

En revenant à elle, elle se plaignit doucement au Père de ce qu’il ne l'avait pas aidée comme elle le lui avait demandé. Le Père rassura qu'il n'avait cessé de prier pour elle. Elle, cependant, n’avait pas senti ce secours. S’adressant au religieuses, elle les exhorta gravement à purifier leurs ames et au se préparer à la mort pendant qu'elles en avaient le temps, car, au dernier moment, on n'a plus devant soi le Père tendre et misericordieux sur lequel on a toujours compté, mais bien un Dieu juste et sévère, et toute la cour céleste est pour rame une assemblée de juges tout aussi inexorables.

Elle savait ce qu'est le jugement dernier de l'âme et ses confessions étaient faites selon l'expérience acquise. Le P. Tassinari dit que Véronique, en se confessant, accusait ses plus minimes fautes avec une énergie qui semblait peu d'accord avec le poids de ces légers manquements. Ses sentiments de repentir étaient si intenses qu'on eut dit que son cœur allait se briser après chaque confession.

Dans un de ces jugements, elle ne vit pas le divin Juge devant elle, mais un miroir où elle se réflétait avec toutes ses fautes. Elle dit que sans une grâce spéciale, elle serait morte de douleur à ce spectacle.

Une autre fois qu'elle priait pour une religieuse du couvent, morte peu avant, le Seigneur lui dit qu'il délivrait cette ame si elle consentait à subir le jugement que la défunte avait subi : cette sœur, à cause de ses péchés, souffrait beaucoup au purgatoire. Ce fut une séance terrible. Les religieuses qui la gardaient étaient terrifiées, rien qu’en la voyant. Véronique, en extase, tremblait comme une feuille agitée par la tempete, une expression d’indicible frayeur se peignait sur ses traits, on croyait la voir mourir à chaque minute. " Quelles souffrances avez-vous donc ressenties? S’écrièrent les sœurs quand elle revint a elle. Nous croyions vous voir mourir.! Par charité, murmura Véronique épuisée, ne me faites pas parler, je n’en puis plus "

Pour lui rendre des forces et du courage, Jésus lui révèle tout ce qu’il a fait pour lele jusque-là. Il lui a renouvellé la douleur du cœur percé cinq cents fois ; soixante fois il lui a passé au doigt l’anneau des noces mystiques en la confirmant pour son épouse. Elle a souffert la Passion à sa suite trente-fois fois, et d’une facon spéciale, qu’il n’a accordée qu’à très peu d’ames en ce monde. Vingt fois elle a vu réellement le Rédempteur tel qu’il était au moment de mourir pour nous.

Et poursuivant cette liste de bienfait, Jésus lui signale les trois miracles ou, détachant un des bras du crucifix qu’elle vénèrait, il l’a serrée contre son cœur ; Il lui rappelle que, cinq fois, elle a puisée à la blessure de son coté une liqueur merveilleuse ; Il lui dit qu’elle a recu deux cent fois l’embrassement spirituel de son ame; cent fois elle a été blessée d’une blessure invisible d’amour, dans son cœur obéissant.

Véronique est comme terrassée par ce bilan de graces. Jamais elle ne pourra être assez fidèle et reconnaissante. Elle se trouve si indigne, si miserable devant cette montagne de bienfait insignes que, dans un élan presque désespéré d’humlité, elle s’écrie : " Si on me le permettait, je crierais tous mes péchés en public, un à un. Et ceux qui les entendraient me fuirait comme une pestiférée! " 327

Ajoutons que le démon fit souffrir beaucoup la sainte, pour se venger des grâces et des mérites acquis par elle dans ces jugements.

Plus Véronique grandissait en puissance comme médiatrice, plus elle obtenait de conversin, plus elle arrachait d'âmes au péché., plus aussi l'enfer se déchaînait contre elle. Il n'avait pas, dans tout l'univers, d'adversaire aussi invincible que cette humble Capucine. Tour à tour, le diable essayait auprès d'elle la force ou la ruse, mais Il n'arrivait qu'à une honteuse defaite.

Il accabla Véronique de tentations impures, les plus pénibles pour elle, de tentations de blasphêmes, de doutes, de decouragement, il arrivait toujours quand elle était abattue par les souffrances et qu'il la croyait plus facile à décourager.

Un jour il suscita en elle avec une insidieuse adresse, le, désir de sortir du couvent pour precher aux pêcheurs. " Tu ferais tant de bien, lui disait-il, personne ne te connait. Combien d’âmes tu convertirais et tu arracherais au péché? "

La tentation était si bien présentée, que la sainte se demandait si ce n'était pas une inspiration du ciel. Une prière ardente lui montra l'ennemi qui la guettait; elle le chassa et, dans sa fureur, il lui sauta à la gorge pour l’étrangler.

Quelquefois il réussissait par des pensées de tristesse et de découragement, à plonger son âme dans une si sombre désespérance que la tentation du suicide la saisissait.

Lorsqu'elle commença son careme de souffrances de l'an 1700, le démon, prévoyant combien elle allait encore lui enlever d'âmes, lui donna un des assauts les plus terribles qu'elle eût jamais subi. Les sœurs, épouvantées, firent appeler le P. Tassinari, alors confesseur du couvent, il vint et affirma que le spectacle était poignant. La sainte gisait sur son lit, secouée sous les coups, on la voyait rejetée de coté et d'autre, comme une balle lancée entre les joueurs, le lit était remué et poussé avec fracas. On eût dit qu'un gros chariot lourdement chargé passait sur le pavé de la rue, ou bien que c'était le bruit assourdissant d'un tremblement de terre les murailles mêmes semblaient frémir. Cet assaut dura un bon quart d'heure: et fut renouvelé trois fois.

Mais, dans ces attaques, la sainte savait à qui elle avait à faire, il ne lui était pas diffcile de repousser l'ennemi. Il usa alors d'une ruse affligeante pour son cœur si pieux.

Il se présentait à elle sous la figure de Jésus, de la sainte Vierge, de Saints, et il fallait toute la prudence de Véronique pour deviner la tromperie sacrilège.

Un jour c’était Jésus sanglant dans sa Passion, Jésus de l'Ecce Homo ; il lui disait : Ne crains rien, je suis avec toi, je viens pour te donner des forces dans tes épreuves et pour t’apprendre la vertu.

Mais ces apparitions faisaient naître immediatement en elle un malaise, une inquiétude douloureuse, un trouble sombre. Elle faisait un signe de croix et la vision disparaissait. Parfois elle revenait aussitot.

" Sois forte contre les tromperies du démon, osait-il lui dire. Mets toute ton espérance en moi. "

Chose étrange, ces paroles tombaient comme un glas funèbre sur l'ame de la sainte; elles la remplissaient de tentations de désespoir et de tristesse invincible. Véronique chassait le menteur avec de l'eau bénite, mais longtemps encore après, son âme gardait l'empreinte désolée de la tristesse infernale. 329

Ces visions se poursuivirent pendant plusieurs mois. Véronique, par une grâce spéciale, ne s'y laissa jamais tromper. L'inquiétude qui la saisissait dans ces apparitions l'avertissait aussitôt, le récit, entre cent autres, d'une de ces tromperies diaboliques "Cette nuit, écrit-elle, le 7 août 1700, j'ai été bien combattue. Je n'ai eu que des visions fausses. Tout à coup, dans une lumière éblouissante, je voyais le Seigneur resplendissant : Sois forte ma chère fille, me disais t-il. Moi, prenant courage, je répondis: Je ne suis pas la fille du démon, etjamais, jamais je ne voudrais l'être. Je pris de l'eau benite et je la jetai à la vision qui disparut aussitot, me laissant toute troublée, avec mille scrupules de conscience. Je ne m'y arretais pas, mais j'en souffris beaucoup.

" Alors je vis, dans une vision réelle, l’Enfant Jésus. Il me dit: " Sois sans crainte, ne fait pas attention aux pièges du démon, écoute mes paroles ". Moi, je ne voulais rien écouter, je lui criais :

" Va-t’en, bête infernale, je ne veux rien entendre de tes mensonges et de tes faussetés ".

Je ne suis pas un menteur : dit la vision, regarde-moi!. Je pris de l'eau bénite et avec une foi vive je dis ; " Oui, je te vois, et parce que tu es te démon, je t'ordonne, pour la seconde fois, de quitter cette cellule ou tu m'es un objet de mépris! " A peine eus-je jeté l’eau sainte que l'apparition s'enfuit avec de grands cris, laissant une puanteur insupportable. Je fus plus tourmentée que jamais. Jésus en loué! Tout pour son amour!

Un jour, allant à l'église adorer le Saint Sacrement, elle trouva devant la porte un petit Maure qui voulait l'empêcher d'entrer. Elle passa sans y prendre garde, sachant que c'était un démon, et fit ses dévotions. En sortant, elle retrouva l’horrible nain.

Que fais-tu ici? demanda t-elle. Je t’ordonne, au nom de Dieu, de me dire pourquoi tu es là.

Le diable se mit à hurler, mais fut obligé de répondre : J'attends une sœur dont je vais tirer grand profit.

Effectivement une sœur apparut dans le cloitre, toute en colère, s’épandant en plaintes furieuses pour une vétille. Véronique, très doucement, trouva un motif quelconque pour la ramener dans sa cellule, et là se mit à lui parler affectueusement jusqu’à ce qu'elle la vit calmée et à l’abri de la tentation. Véronique rentra chez elle, mais une volée de coups lui prouva que le diable n'était pas content. 331

Tu me prends tous mes profits lui criait-il. Véronique ne s'enorguaillisait pas de ces victoires.

Les sentiments qu'elle a d'elle-même ne me permettraient pas de se croire quoique chose au couvent. Si les soeurs me connaissaient-elle; elles me fuiraient comme le démon et ma mépriseraient autant qu'elles peuvent mépriser. Je me connais si bien que j'ai honte de me comparer aux autres. Je désire et je prie les soeurs dis ne plus venir près de moi. Je lui dirai de ne plus m'approcher, mais de me fuir. Je demande à Dieu qu'il leur fasse pénétrée ma monstruosité. Quand l'une d'elle vient près de moi, je tremble, car je pense qu'elle sont toutes à Dieu, et moi je suis un être abominable. Je frémis de douleur en voyant tes sœurs me connaitre si peu!

Il me reste toujours une horreur de moi-même ; il me semble que mon humanité est abattue et voilée, que je suis presque rentrée en enfance. Tout ce qu‘elle me démande, je le lui refuse. Je lui donne le contraire de ce qu’elle souhaite. Tout ce dont elle a peur, je le lui montre, je la fais rester là ou elle s'ennuie et se fatigue. Je la force à s'exercer a la vertu.

Les soeurs, heureusement, ne pensaient pas ainsi. Elles admiraient toutes Veronique. Celles mêmes qui lui était opposées rendaient hommage à sa vertu. La cabale qui l'avait tant fait souffrir avait disparu avec le départ de la Mère Albizzini et la mort de la sœur Ludovica. Si quelques soeurs encore demeurèrent plutot hostiles, c'était en secret.

Toutes les religieuses qui ont déposé au procès ne tarissent pas sur les qualités éminentes de la sainte, mais surtout sur son humilité. C'est un concert de magnifiques louanges. Elle fut en tout admirable, dit la Mère Ceoli. Son humilité et la pauvre idée qu'elle avait d'elle-même étaient merveilleuses, affirment les soeurs Cappelletti et Brunachini. Son humilité était inexprimable raconte la sœur Orsola Cenati. A chaque instant elle se déclarait la plus misérable des créatures et demandait que l’on prie pour elle, ce elle était imandait qu'on prie pour elle, car elle était ingrate envers Dieu et ne correspondait pas à ses grâces. Toujours elle désirait le mépris et le dédain.

De même en était-il pour la douceur. Ce naturel colère qu’elle se prétend avoir n'a jamais été aperçu au couvent. Elle avait gardé sa vivacidité et sa promptitude d'Italienne, mais sans l’ombre d’impatience ou d’emportement. Elle avait, au contraire, une façon aimable, affectueuse d'attirer à elle, qui la rendait irrésistible.

" La mansuétude de la soeur Véronique, dit le P. Tassinari fut toujours incomparable. On ne pourrait dépeindre le calme, la paix avec lesquels elle acceptait toutes les épreuves, tous les ennuis. Elle usait envers les autres religieuses de politesse, d'une affabilité affectueuse, qui ne faisait aucune différence entre les soeurs et les converses, entre un grand personnage ou un tâcheron. Cette douceur, elle ne la perdit jamais au milieu de toutes les adversités, à l'édification générale, à la confusion même de celles qui éprouvaient pour la sainte de l'aversion et se voyaient traitées avec la même prévenance et la même bonté que les autres. "

La sainte ne manquait pas une occasion de rendre service autour d'elle. Mais surtout elle se préoccupait des âmes de ses compagnes. Quand le Saint-Office lui enleva la direction du noviciat, elle n'en continua pas moins à s'intéresser aux jeunes âmes qu'elle avait dirigées. Elle montrait un zèle ardent pour le perfectionnement de toutes ces âmes qui s'étaient réfugiées avec elle dans le cloitre. Elle pensait qu'un seul et meme but les y avait fait entrer et que, par conséquent, chacune devait, de son mieux, aider les autres a l’atteindre.

" Il me semble, écrit-elle un jour, que la divine bonté me donna l’ordre de trouver une sœur en peine, afin de la consoler et de lui montrer le tord qu’elle se faisait en se laissant aller au trouble. A cet ordre de l’amour , mon esprit s’enflamma, mais la partie inférieure de moi-meme regimbait, et ne voulait pas se déranger. Je n’y fis pas attention; et je j’exécutai l’ordre de Dieu, malgré ma répugnance "

Mais ce zèle ne se confinait pas au seul couvent qu’elle habitait ; nous savons comme elle priait pour les pécheurs. Parfois, comme un feu qui couve, éclate tout à coup en flamme ardentes, il arrivait que la sainte ne pouvait plus contenir son désir de sauver les âmes.

Elle cherchait alors tous les moyens de parvenir à exécuter cet apostolat,

Il lui arrivait, ainsi que le raconte le P. Tassinari, d’inventer alors des choses extraordinaires qu'on ne comprenait pas tout d'abord.

Elle aborda un jour ce Père, comme il entrait pour confesser au couvent (comme confesseur extraordinaire) et, pleine d’une ardeur enthousiaste, le supplia avec les plus vives instances de bien vouloir faire appel pressant aux idolatres, turcs, schismatiques, juifs et autres incrédules, pour les convier à revenir sans délai à l’Église catholique, à la vraie foi, pour adorer Dieu et le glorifier.334

" Cet appel, dit le Père, elle aurait voulu que je la fisse dans un des sermons que je prechais au couvent. Je lui répondis en riant que c'était de faire là une exhortation inutile, car dans mon public, ces gens-là ne se trouveraient pas. Elle me répondis que si je le faisais, elle en recevrait une grande consolation. Je voulus lui faire ce plaisir et elle m’en remercia très affectueusement, m’assurant que je ne m’imaginer le réconfort et le contentement que mes paroles lui avaient procuré.

Après la communion, écrit-elle un jour de Noel, l'Enfant Jésus m’est apparu, il m'a pris mon coeur. Il le tenait en main et disait: " Ce cœur est à moi ". Il me le montrait percé de cinq plaies. Je la voyais, je voyais la grande blessure, qui le traverse de part en part, d'ou s'échappait du sang.

" Dis-moi, que veux-tu? demanda le divin Enfant. Ces blessures vous parlent pour moi, répondit la sainte, elles demandent la conversion des pecheurs. "

Jésus alors, remettant le cœur blessé dans la poitrine de Véronique, la confirma comme médiatrice entre les pécheurs et lui, et ajouta : Je te laisse aussi le cœur amoureux, car il est le soutien de ta vie.
 
 

CHAPITRE XVI

LE PURGATOIRE. VÉRONIQUE EN PURGATOIRE. SES SOUFFRANCES. LES ÂMES DÉLIVRÉES PAR ELLE.

Il faudrait un livre tout entier, et non un simple chapitre pour raconter les relations de Véronique avec le purgatoire. On ne s'étonne pas de la voir prier, souffrir et expier pour les âmes en peine, elle, dont la charité était immense, comme son amour pour Dieu. Les Ames qu'elle a délivrées sont innombrables. Son pouvoir sur le cœur du céleste Époux était si connu que, de tous cotés, on lui demandait des prières pour les défunts. Cette dévotion avait, chez elle, ce caractère mystique et extraordinaire dont tous ses actes étaient empreints. On peut dire que ses prières la transportaient toujours hors de la terre pour lui permettre d'intercéder directement le Tout-Puissant au pied de son trône ou d'expier dans le lieu d'expiation même.

Nous ne pouvons mettre, dans ce chapitre, tous les récits à la fois effrayants et consolant des relations de la sainte avec les âmes, il nous faut prendre quelques faits entre mille, pour montrer le pouvoir de Véronique et son dévouement héroique envers les pauvres âmes souffrantes. Son père fut naturellement l'objet de ses premières préoccupations. Il avait délaissé cette fille que, dans le monde, il chérissait tant et malheureusement une influence féminine bien funeste, avait effacé dans ce coeur frivole et mondain, la bienfaisante affection paternelle. On ne voit pas qu'il ait visité Véronique au couvent plus d’une fois.

Avant de quitter Plaisance, la jeune Orsola, prenant tout son courage, avait dit à son père "Maintenant que vous avez le temps, pensez à ce que doit faire un chrétien, faites une bonne confession. Pendant que je lui disais cela, écrit sainte Véronique, dans une relation de sa vie, il changea de visage, et me demanda ""Pourquoi me "dites-vous cela?""

" Je répondis: Je me sens inspirée de vous le dire. "

Je savais qu'il y avait longtemps qu'il ne s'était confessé. Je sus qu'il se confessa peu après.

Véronique, après avoir quitté Plaisance, se fit de grands reproches d'avoir, par délicatesse de jeune fille très pure, omis de rappeler plus précisément à son père ce qu'il se devait à lui-même et à ses enfants.

Resté seul à Plaisance, le pauvre Francesco Giuliani retomba dans ses faiblesses, mais les prières de sa fille lui obtinrent des grâces de conversion. Il vint alors à Citta di Castello. Ma chère petite fille, me dit mon père ainsi écrit Véronique pendant ma vie, une seule chose m'a fait rentrer en moi-même, ce fut quand vous me dites que je devais penser a mon ame et me confier au temps. Il me dit encore que je lui étais un grand stimulant pour l'aider à vivre chrétiennement et finit par ces paroles : Ma chère enfant, je vous confie mon âme, aider-la dans la vie, et apres ma mort. Je le lui promis, et toujours mon père était présent dans mon cœur.

Quelques années après, je me sentis très triste pendant plusieurs jours. Il me semblait qu'on me disait mystérieusement que mon père était mort. Je cherchais à me distraire de ces pensées et à me résigner à la volonté de Dieu, Peu apres, je vis mon père en songe. Il était très gravement malade et, dans son agonie, se recommandait à mes prières. Je m'éveillai, mais je demeurai sous le coup d'une telle appréhension que j'eus comme la certitude que tout cela n'était pas un songe. La nuit suivante, je revis encore mon père, il était mourant, je le vis expirer. Je m'éveillai sous une poignante impression de douleur et je pleurai beaucoup. Mon coeur était gros de larmes, j'étais persuadée que j'avais assisté à la mort de mon père. J'avais reçu, cependant, quelques jours avant, une lettre où il me disait qu'il se portait bien, mais après cette dernière nuit, je n'écoutais plus celles qui essayaient de me persuader que je me trompais et qu'il ne fallait pas croire aux rêves. Je ne me doutai pas de cette mort. Enfin, la nouvelle arriva. Il était vraiment mort à l’heure ou je l'avais vu expirer. Mon chagrin fut extreme parce que je craignais pour son âme, aussi je priai avec ardeur pour lui. Je vis alors une vision, un endroit horrible et plein d'épouvante, et je compris que l’âme de mon père s'y trouvait. Jamais je ne pourrais exprimer ma douleur. Je craignais que ce ne fut l'enfer.

"Je demeurai longtemps dans cette peine cruelle. Je ne me souviens pas de lui avoir appliqué de suffrages. Je ne pouvais me mettre à rien, je ne voulais pas davantage dire la vision que j'avais eue, craignant que ce ne fut une vision diabolique.

"Mais cette même vision revint et je vis cette âme torturée d'une façon affreuse. Dans sa dé tresse, elle me criait: "C'est à toi à obtenir cette grâce. Je la vis souvent dans cet état et elle me disait qu’elle éprouvait beaucoup de soulagement, mais qu'elle souffrait encore et qu'elle savait bien qu'elle était dans un lieu de salut (1).

  1. Il ne faut pas prendre cette parole a la lettre, mais bien dans un sens large, sans quoi on admettais une erreur condamnée par Léon X. Nous devons entendre ainsi : Le père de notre sainte, au milieu de ses souffrances, avait une certaine connaissance qu’il serait délivré car les ames du purgatoire savent qu’elles sont en grace avec Dieu et comme elle aiment Dieu, elle sont heureuses de souffrir pour se purifier. (Note du P. Pizzicaria)
Je fis beaucoup de pénitences et de prières pour cette âme et je crus un jour entendre le

Seigneur me dire : " Sois tranquille, pour telle fete, je délivrerai l’âme de ton père des tourments ou elle se trouve (1). Si tu veux qu'il en soit ainsi, il faut que tu souffres beaucoup ". J'étais prête à tout souffrir pour obtenir cette grâce.

  1. Cette fête était la Noel. Le récit de la mort de son père fut écrit par Véronique en 1700, on peut donc en conclure que la delivrance de l’âme de Francois Giuliani eut lieu à la fete de Noel de cette année puisque la sainte l'écrit comme si elle parlait d'un événement récent. Si seulement on pouvait connaitre l'année de mort à François Giuliani, on pourtait calculer exactement le temps qu'il passa en purgatoire. Il semble que cette expiation fut assez longue. (Note du P. Pizzicaria)

  2. " Mes souffrances furent très grandes (2) " Après la fête de sainte Claire, je crus voir l’âme de mon père, mais non dans le même lieu d'horreur. C'était encore le purgatoire, cependant. J'ai longtemps supplié le Seigneur de me donner la délivrance de cette âme. Bien des semaines après j’eus cette rêvélation que je devais avoir beaucoup de regrets de n'avoir pas osé parler à mon père avec la liberté qu'il eût fallu. Je connaissais bien le lamentable état de sa conscience, et si je lui en avais dit quelque chose, il se serait amendé.

  3. On sait par les témoins au procès que les peines intérieures souffertes alors par Véronique furent extremes et qu'elle faisait des pénitences très dures et priait continuellement pour l’âme de son père.
" Je fis donc tous les jours mes oraisons pour cette âme, et je la vis beaucoup souffrir. Je suppliai Dieu, de toutes les forces de mon cœur, de vouloir bien la délivrer de ses tourments, et je crus comprendre que cette délivrance aurait lieu le jour de Noel, mais que, de mon coté, je devais faire beaucoup de pénitences. Il me fut ordonné une certaine macération qui devait durer tout le temps des fetes. En la faisant, il me serait accordé un signe manifeste de la délivrance attendue.

Je vis cette âme pendant la nuit de Noel. Un ange vint la prendre par la main et je vis mon père tel qu’il était pendant sa vie, mais revêtu de blanc. Il me salua et me remercia de ma charité. Aussitôt il devint éclatant de lumière; je ne le vis plus sous une forme humaine et il disparut avec l’ange.

Je crûs comprendre que cette grâce m’avait été accordée par la sainte Vierge. J'en eus la confirmation en cette même nuit. Le matin, après la communion, je revis encore cette âme toute belle et resplendissante. Elle me dit qu'elle n'avait pas été la seule délivrée du purgatoire beaucoup d'autres avaient été délivrées aussi. Je les vis toutes en grand nombre (1). Deux ou trois fois encore j'eus l'assurance de la vérité de tout ceci.

1. Véronique, dans sa modestie, ne dit pas que ces âmes délivrées avec celle de son père le furent par son intercession. Il est certain que les pénitences effrayantes qu'elle faisait quand elle voulait délivrer une âme servaient aussi a beaucoup d’autres.
 
 

La plume est incapable de décrire le bonheur que je ressentais. Je pense que Dieu m'a accordé cette grâce, d'abord par les prières de la sainte Vierge, puis pour celles de mes sœurs. Mais pour racheter les âmes, que faisait Véronique? Ordinairement elle souffrait au purgatoire même pour l'âme qu'elle voulait delivrer et si elle souffrait l’heure d'éternité pour les pécheurs, elle patissait aux limbes pour les âmes qui lui étaient recommandées.

Il me semble, dit-elle en décrivant la peine qu'elle avait à souffrir, il me semble que mon âme êtait dans un abandon complet extérieure et intérieure, comme si Dieu m'avait dépouillée de tout et que plus jamais, en cette vie ni dans l'autre, je ne participerais à aucun bien, que plus jamais je ne pourrais me recommander à la sainte Vierge, ni aux Saints. C'est une douleur indescriptible et qui dura tout le temps que j'eus à passer en ce lieu affreux. Il me semblait que ce temps ne finirait jamais, que toujours j’expierais. Nul ne venait à mon aide, j'étais seule et abandonnée. Et cependant cette souffrance me donnait une lumière plus parfaites sur la privation du souverain Bien. Une heure de cette souffrance, c'est une éternité.

J'eus subitement une révélation sur la va leur très précieuse du temps.

La douleur physique s'ajoutait à la douleur morale. Il me semblait qu'on me triturait les os, qu'on me tailladait la chair, qu'on me jetait dans une fournaise, puis dans une glacière. Je tremblais de douleur. En ce temps on me rouait de coups avec toutes sortes d’instruments. Il me semblait n’etre qu'une plaie. Ma nature humaine était comme morte, mais l'esprit désirait encore plus de tourments. " Dans ces tourments, j'eus quelques communications de Dieu; il me fit comprandre que les peines que je subissais étaient celles du purgatoire et qu’il me les faisait éprouver pour liberer les âmes. Je souhaitai alors de souffrir davantage et je disais: Mon Dieu que votre volonté s'accomplisse en moi, je ne veux que cela. Par les mérites de Jésus et de Marie, je vous demande la libération de ces ames et en particulier de N ".

Je répétai plusieurs fois cette prière. A la fin, il me vint un désir si vif de délivrer ces âmes, que j'aurais voulu non seulement qu'elles sortent du purgatoire, mais que le purgatoire tout entier se déversât dans le ciel. Je m'offris à toutes les douleurs et Dieu m'exauça; il me donna à souffrir toute la nuit et aussi tout le jour." 343

Le P. Vital, de Bologne, qui avait été l'un des théologiens admis par l’évêque à la constatation des stigmates de la sainte, avait été vraiment frappé de la haute vertu de Véronique. Avant de retourner à son monastère de l'Alverne, il lui avait demandé de faire un pacte avec lui, se promettant tous deux que celui qui mourrait le premier devait aller prévenir l'autre. C'était un très saint religieux, très estimé dans son Ordre, mais qui n'avait sans doute pas la perfection que bien voulait de lui.

Un matin, après avoir communié, Véronique vit devant elle un bras couvert de la bure franciscaine et entendît en meme temps une voix qui criait " Au secours! Au secours! " elle reconnut la voix du P. Vital; mais selon son habitude, se défiant toujours de ses visions, elle ne voulut pas y donner la moindre attention pendant la pensée du P. Vital, et mon desir de prier pour son ame, demeuraient en son esprit. Peu de temps après, une vision lui informa, deux âmes du purgatoire, dont l’une était soeur de son couvent, pour laquelle elle priait. Elle ne reconnut pas l’autre.

"Me reconnaissez-vous? demanda la dernière âme, en s'approchant de la sainte. Une grande frayeur saisit Véronique; elle se mit à trembler d'une fièvre de peur. Cependant reprenant courage, elle dit

Je ne vous reconnais pas; peut-être êtes vous le P. Vital, mais je ne sais si c'est vrai.

Il me prit un bras, dit Véronique, et j'en ressentis une douleur aigue comme si on me tailladait avec un couteau, et en même temps un froid glacial insoutenable.

" Je suis dans la misère " me dit-il.

Je connus alors que c'était vraiment le P. Vital. Il avait une voix plus claire et plus joyeuse que la première fois. Il me saisit encore le bras, et me dit " J'exécute le pacte maintenant ". Je me réveillai comme d'un songe, et en ouvrant les yeux, je vis comme une ombre qui disparaissait Je me sentis une grande douleur au bras et je ne pus le réchauffer que vers le soir, tant il était glacé. Il resta tout le jour complètement raidi (1).

1. Il ne faut pas conclure de cela que le P. Vital était un grand pécheur. C'était un bon et pieux moine très estimé dans son Ordre. Mais Dieu exige beaucoup de ceux auxquels il a donné. D’ailleurs, ici, il ne semble que le Père ait éprouvé un très dur purgatoire et Véronique ne dit pas qu’elle ait beaucoup peiné pour lui.

Il faut raconter ici l'histoire de la sœur Angelina Berioli, nouvel exemple touchant de la grande charité de la sainte. Cette malheureuse était une des sœurs vraiment ennemies de Veronique et, en tant que religieuse, elle n'avait rien d’édifiant. Elle se laissait aller a toutes ses impulsions, observant de la régle le moins possible et finit par devenir tout à fait folle. Elle tomba mortellement malade et Véronique se montra la plus empressée à la soigner. Un jour que cette pauvre Sœur semblait avoir repris un peu de bon sens, la sainte lui dit : Avant que je ne sorte d'ici, vous allez appeler Jésus et non le démon, comme vous le faites toujours. Dites avec moi: " Jésus, Marie, je vous recommande mon Âme ". La malade obéit et promit de répéter cette petite prière si elle s'en souvenait.

" Je vous en prie, demanda-t-elle, assistez-moi à mon dernier soupir". Véronique le promit et s'engagea, en plus, à prier pour son âme après sa mort.

Mais l'éclair lucide de cette raison vacillante ne revint plus. On ne pouvait ni confesser ni communier cette mourante, dont Véronique comprenait si bien le danger spirituel.

Elle supplia la Supérieure de lui permettre d'assister cette sœur jour et nuit Jusqu’a sa mort. L’agonie dura cinq jours, et pendant tout ce temps la sainte resta en prieres, agenouillée près du lit, ne se relevant que pour donner les soins nécessaires à la moribonde.

Je ne m'asseyais que lorsque mon corps n’en pouvait plus, écrit-elle. Je demandais à Dieu de tout mon coeur le salut de cette âme et m'offrais à lui pour toutes les peines et tourments imaginables, afin de la sauver. Une nuit le démon me battit très fort et me dit que cette Âme était à lui et que je ne l'aurais pas. Mais moi je redoublais de prières. Il me sembla que Dieu me fit comprendre que si je voulais cette âme, je devais accepter de grandes souffrances. Je m'offris, a tout ce que Dieu voulait, cette lutte dura longtemps entre le diable et la sainte; mais gardienne vigilante, elle veillait sur son trésor. Une nuit, sous la forme d'un chat, il voulait grimper sur le lit de la mourante. Il venait aussi sous des formes effrayantes menacer Véronique. Un jour qu'elle avait quitte un instant la malade pour aller prier devante Saint Sacrement, elle retrouva, en revenant l’infirmerie, le chat diabolique qui vous se lancer sur elle et la prendre à la gorge. Elle le chassa avec sa corde bénie.

Enfin tant de devouement eu sa récompense. Dieu dit : Véronique dans une extase, que la soeur se rais sauvée, mais que sa dette d'expiation serait bien lourde.

Apres sa mort, la sainte la vit " dans un lieu épouvantable et plein de ténèbres ". Elle en fut d'abord désolée, car il lui parut si horrible, qu’elle crut que c’était l’enfer. L’âme la rassure, en lui disant qu’elle était dans le purgatoire.

" Si vous connaissiez mes souffrances et vous mourriez " lui dit-elle.

" Je ne puis, écrit Véronique, décrire ce lieu affreux. Il me donnait une épouvante mortelle. Je vis quantité de tourments divers qui, tous en même temps, s'appliquaient à beaucoup d'âmes. J'en vis comme suspendues en l'air, je ne sais comment; parmi elles, j'en vis une qui souffrait plus que les autres et je compris que c'était cette âme (de la sœur morte). Dieu me revéla qu’il voûlait que le sache tout ce qu'il souffrait et pourquoi elle souffrait. Ce serait une grâce pour moi, parce que cela me permettrait de m'amender en beaucoup de choses et ce servirait aussi d'enseignement aux âmes. Le Seigneur m'ordonna de raconter tout ceci à mon confesseur, afin qu'Il en profitât pour lui et pour les âmes qu’il doit diriger. Toutes ces choses me furent montrées encore plusieurs fois. Dans l’oraison, je ne vis cet abime et ces tourments et mon zèle en augmentait; je priais avec plus d'ardeur pour ces âmes. "

Véronique se dévoua à delivrer l'âme de la pauvre sœur. Dieu lui fait voir les causes de ses fautes (1). 348

(1). Véronique cite comme des fautes graves de cette âme de n'avoir pas fait ses dévotions, ses actes de piété et de mortification avec l’assentiment des supérieures, d'avoir désobéi aux supérieurs et confesseurs. Dans la charité, elle ne dit pas les péchés commis contre elle, par jalousie, colère on impatience. Ce matin à la communion, écrit-elle, Dieu m’a fait savoir que dans trois ou quatre jours il me montrera les grandes peines qui accablent cette âme. Elle devait les souffrir ainsi jusqu’au jugement dernier, mais plus je souffrirai pour elle, plus vite elle sera libérée. Ô Dieu! La plume ne peut exprimer la joie que je ressentis.

Pendant de longs jours consacrés à cette expiation, la sainte put suivre pas à pas pour ainsi dire, les souffrances de celle qui l’avait tant tourmentée ici-bas. Un jour, cette âme lui dit :

" Je souffre aujourd'hui une souffrance particulière, perce que la Supérieure m'a laissé agir souvent selon ma volonté et m'a permis de garder des objets superflus. Que les Supérieurs veuillent sur ce point, s'ils ne veulent souffrir comme moi. "

Véronique fut très effrayée. Quand les moindres fautes sont-elles punies à ce point? Elle même n'est-elle pas coupable? Elle s'examine scrupuleusement et ne voit d'abord rien a comprendre en elle au sujet de la pauvreté. Mais non, elle pense tout à coup à ces menus chiffons de soie et d’étoffes diverses qu’elle garde dans sa cellule pour fabriquer des petits reliquaires, des enveloppes de chapelets ou autres fantaisies qui sont la spécialilté du couvent et que les soeurs brodent dans leurs cellules en leur moments perdues. C’est une espèce de possession encore. Souvent les dames, amies des sœurs, envoient aux religieuses de leur connaissance des morceaux de vieilles soies. Véronique va tout reporter à la salle de communauté. Elle aurait bien voulu que les autres soeurs fissent de même, mais elle n'obtint d'elles ce renoncement qu'après plusieurs années, lorsqu'elle fut abbesse (1).

L'année suivante, une autre sœur meurt dans les bras de Véronique, sauvée aussi par ses prières, car; elle aussi, n'a pas été tout à fait bonne religieuse, et Véronique le sait. Elle s'offre à tous les tourments pour délivrer sa compagne. Jésus lui promet cette délivrance, à condition qu’elle reçoive de lui trente-trois blessures au cœur.

(1). Cette soeur avait encore commis d'autres manquements à la pauvreté comme d'avoir aimées les habits fins, de n'avoir pas fait durer ses vetements assez longtemps, d’avoir aimé a manger de bonnes choses, d’avoir pris plaisir l’hiver a s’approcher du feu et d'avoir brulé du bois avec profusion. (Pour ce dernier péché la pauvre âme souffrait d’un grand froid). La nuit après sa mort, cette soeur était apparue à la sainte. " Sens le poids de mes péchés ", lui avait-elle dit en s'appuyant sur Véronique. Celle-ci est écrasée comme par un corps de plomb. " Toutes les peines que j'endure, dit l’âme, viennent de ce que je n'ai pas observé la règle, ni les vœux! Ô Supérieure, traitres envers votre devoir et vos enfants! " 350

Véronique pria son confesseur de lui permettre se souffrir plus qu’à l’ordinaire pour cette âme. Elle subit pendant plusieurs jours deux ou trois de ces heures de purgatoire qu’elle dit si affreuses, qu'elle se refuse à les décrire (1). Non seulement elle délivra la sœur, mais encore une multitude d'autres âmes qu'elle vit s’élever comme autant d'étoiles resplendissantes vers le soleil divin.

(1). Elle fit cependant plus tard quelques descriptions de ce qu’elle eut à souffrir.

Jésus lui promet aussi qu'il lui fera, chaque vendredi, le don d'une âme que le confesseur désignera.

Aussi Véronique a-t-elle beaucoup de clients. Ses confesseurs ont des parents, des amis à recommander; il y a aussi les bienfaiteurs du couvent, les défunts que l'évêque signale. C'est une véritable comptabilité mystique qui s'établit, mais dont la sainte fait tous les frais. Nous ne pouvons, faute de place, décrire les divers modes d'expiation que pratiqua la sainte et qui lui furent imposés par le Seigneur. Nous voyons que pour la Mère Albizzini, qui mourut le 2 septembre 1704, la sainte dut souffrir atrocement. " J’aurais voulu souffrir tout le reste de ma vie pour la soulager ", dit-elle héroiquement.

Jésus mit Véronique un des clous de sa Passion dans la douleur de son cœur. Ce lui fut la blessure affreuse. " L’atrocité des tourments, écrit-elle, fut si grande que je croyais ne plus jamais pouvoir sortir de mon lit. Je sentais comme tous mes os disjoints. Je ne puis exprimer ce supplice. "

" Aucune créature vivante, dit-elle, ne peut parler d’une facon compréhensible de la peine du purgatoire. Elle se comprend par une relation que Dieu fait intérieurement à l’âme, mais qui ne se peut exprimer. Je crois que la créature vivant en ce monde qui pourrait se rendre compte des supplices offerts par une âme du purgatoire, ne laisserait plus passer une minute de sa vie sans la consacrer à la pénitence. Mais au moins elle pourrait mériter et la souffrance sans mérite est bien plus atroce encore.

Les confesseurs recommandaient Mssi souvent des âmes de grands pécheurs pour lesquels ils avaient des craintes, et Véronique voyait ces ames plongées dans un abime affreux, sans savoir si c'était l'enfer ou le purgatoire. Un jour qu'elle voyait ainsi une âme hideuse en proie à d'horribles tourments et même entouréededémons, Véronique se désolait, croyant cette âme damnée.

La sainte Vierge la détrompa. L'âme était en purgatoire et elle pouvait être délivrée si la conscience était a subir vingt un heures d'une épouvantable torture. Elle avait le droit de choisir entre la souffrance, au lit et celle d'étre livrée au démon pendant trois nuits. 351

Le confesseur décida qu’elle subirait vingt quatre heures de purgatoire. Véronique, tout heureuse, s’y prépara aussitôt. Mais l’épreuve devait être affreuse; la vierge Marie, pour fortifier sa fille bien-aimée, vint la bénir et, appelant son ange gardien, la Mère de Dieu lui confia la compatiente si courageuse, en ne disant qu’il repondre d'elle pendant tout le temps du martyre.

Le confesseur avait lui-meme un grand pouvoir sur le ciel. Dieu voûlait montrer a Véronique combien son obéissance lui était agréable. Le journal contient quantité de faits très extraordinaires sous ce rapport en voici un pris au hasard.

La sainte Vierge fit voir un jour a Véronique l'âme d'une religieuse très tourmentée au purgatoire et probablement recommandée par le confesseur. La sainte le dit au Père, qui lui ordonna de s'offrir à une peine quelconque pour cette âme. On était au 2 octobre, la sainte Vierge promit que l’âme serait délivrée à la Toussaint.

Quand je dis cela au Père, écrit Véronique, il me répliqua " Je veux qu'elle soit libérée pour la fête de saint François arrangez vous pour qu'il en soit ainsi, cela vous regarde ".

Je pensais bien que c'était impossible, mais ayant foi dans l’obéissance, j'exécutai le commandement et suppliai la Vierge de me donner cette grâce, puisqu'on m'ordonnait de la demander.

La tres sainte Vierge ne voulait pas délivrer l’âme plus vite; le Père continuait cette heure. A la fin, la Mère de Dieu me dit que, dans l'octave de notre saint Protecteur, elle serait libérée si je voulais rester avec elle dans le purgatoire, c'est-à dire souffrir cette âme. Je le dis au Père. Il insista :

"Je m’en remet a la très sainte Vierge; mais, de nouveau, je vous ordonne de vous offrir à expier et de demander que l'âme soit délivrée à la fête de saint François.

Ici, je crois vraiment à un miracle de la sainte obéissance. Ce matin, à la communion, j'ai vu cette âme. Elle avait sur la poitrine un je ne sais quoi de lumineux qui lui donnait un grand rafraîchissement. Ce matin, je l'ai vue plus lumineuse. Pendant que je priais pour elle, son ange gardien lui a apporté une grâce et la sainte Vierge l'a bénie. Je la vis comme suspendue dans les airs, tenue par l'ange. Ô Dieu, quel grand bonheur j'ai alors éprouvé!

Peu après l’âme montait au ciel.

On comprend que la réputation de Véronique dépassât les bornes de cette terre et qu'au purgatoire elle fut le point de mire des âmes prisonnières, qui attendaient de ses grands mérites le soulagement tant désiré. Aussi recevait-elle souvent des visites de l'autre monde et quand ce n'était pas elle qui pour expier avec ses amies.

Une nuit, écrit-elle, j'entendis frapper à la porte et à la fenêtre de ma cellule. En même temps, elle voix lamentable, sortant de terre criait : " Je suis une âme du purgatoire qui demande prières et aumones. " A l'instant, j'entendis souffler à mort en couvent du Saint Esprit(1). Je dis l’Avé Maria et le De Profundis, et je ne fis plus attention aux coups et à la voix, car je crains toujours d’être victime de mon imagination. Le matin suivant, le Père me demande de prier la très sainte Vierge de me faire connaître le sort de la défunte, si toutefois c'était la volonté de Dieu, et de m’offrir à souffrir pour cette âme.

  1. Le monastère du Saint Esprit, près du couvent des capucines, appartenait aux bénédictines.
A la messe du Père, j'eus un bref ravissement. J'obéis et demandai à souffir pour cette âme. Je priai la sainte Vierge de me la faire voir, si c'était la volonté de Dieu. La Mère de Dieu me repondit: " Ma fille, je t'accorde la souffrance et j'ajoute aux deux heures de purgatoire que tu subis en ce moment et trois autres heures pour cette morte, qui est venue la nuit dernière te demander une aumône. Dis à mon serviteur (le Père) que je ne puis te la montrer, parce qu'elle est trop épouvantable ". Elle me donna sa bénédiction. Le Père me permit ces trois autres heures de purgatoire. Finissons par ces deux derniers faits, également poignants, contés par Véronique dans son journal. 354
  1. Elle subissait alors a deux heures de purgatoire par jour pour un autre défunt.
Le premier concerne une dame de la ville que le confesseur avait recommandée à la sainte. Celle-ci l'avait vue plongée au plus profond du purgatoire. Il lui révélé qu'elle avait tout à expier, parce qu'elle avait été pleine de vanité, colère et égoiste. Véronique pria, souffrit cruellement et travailla de son mieux à la délivrance de la pauvre âme. Elle dut pâtir longuement et aprement. Enfin l’âme fut délivrée. Au moment de monter au ciel, elle vînt trouver Véronique. Elle lui dit:

"Maintenant il m’est permis de vous demander une chose. Dites à votre confesseur d’aller trouver mon mari et de lui dire de ma part que s’il doit mener son négoce avec la plus grande justice et loyauté. Que pense beaucoup à son âme, parce que les trafics mondains occasionnent la perte de l'âme. Recommandez-lui encore de penser à la Madeleine. Qu'il élève mes fils dans la crainte de Dieu. Qu'ils ne soient pas légers et volages. J'ai bien souffert à cause de cela et je suis sauvée par la charité de mon confesseur. Cette nuit (de ma mort), je me sentais désespérée, je ne pensais qu'à l'enfer. Quand je me fus confessée, je fus délivrée de cette crainte. Par ses exhortations il me rassura et je pense avoir eu une certaine contrition. Après, les mêmes craintes revinrent me tourmentér ; j'y résistai. Je fis quelques actes de regret sur mes fautes, comme de tout ce que j'avait dit et fait contre le prochain et contre mon mari. En me confessant, le dit Père eut la bonté de me faire m'accuser de beaucoup de fautes en général et en particulier. Je le fis avec grande douleur; et me fut un grand bien. Je sais que c'est par cette confession que j'ai été sauvée "

Un soir la sainte se confessait. Un glas funèbre se entendre à son oreille.

" Je crois que le médecin Pabbin est mort dit-elle au confesseur.

(1). Elle était sourde momentanément à cause d’un coup du démon.

Toujours répondit la sainte.

Pour moi, je n'entends rien " reprit le Père. Il alla demander aux sœurs tourières si elles savaient que le médecin fut mort. "Il vient de mourir", dirent-elles.

Le Père revint à Véronique.

Je vous ordonne, lui dit-il, d'aller vous jeter aux pieds de la sainte Vierge, et de lui demander ce qui en est de cette âme et, si c'est la volonté de Dieu, vous accepterez le purgatoire afin qu'il aille bien vite en paradis. Allez et obéissez. "

Véronique va se mettre en prière. La sainte Vierge lui apparait.

" Sois obéissante, ma fille " lui dit-elle.

Aussitôt la sainte présente sa requête, et elle voit l’âme du médecin souffrant au purgatoire.

" Va conter cela à mon serviteur " dit la mère de Dieu. Véronique sort de l’extase, le Père est là qui attend la réponse du ciel.

–Vous etes là, mon Père? dit-elle? ;

Je suis là.

Mon Père, la sainte Vierge me dit de vous annoncer que l’âme de Fabbri est en purgatoire. La volonté de Dieu ne me plait pas être quel soit delivré et la sainte Vierge m’envoie pour que vous me donniez une nouvelle obédience.

" Que la volonté de Dieu soit Faite, dit le prêtre. Allez de nouveau aux pieds de Marie, et dites-lui que l'obédience veut que vous souffriez toutes les peines du sens et, si elle y consent, l’âme de Fabbri ne souffrira plus que celle dam "

Véronique retourne aux pieds de Marie. " Je consens à ce que te commande l’obédience, dit la sainte Vierge, toutes les peines du sens que devait souffrir cette âme, tu les subiras, elle n'aura plus que celle du dam. "

" Alors, dit Véronique, cette âme fut délivrée du feu obscur, mais bien brûlant du purgatoire, et n'eut plus à souffrir que la peine du dam qui est bien la plus douloureuse.

"J'étais très heureuse d' accomplir la volonté de Dieu, mais, je ne pouvais prier pour cette âme. La sainte Vierge m'ordonna de retourner près de son serviteur pour qu'il me mette dans la peine du sens. "

La sainte décrit alors les neuf heures de supplices affreux qu'elle eut à subir, puis l'ordre que son confesseur lui donna le lendemain d'aller demander à la Vierge très sainte si l'âme était delivrée.

Marie me dit, écrit Véronique : " Voici l’âme qui est encore dans la peine du dam " Je vis comme un petit nuage épais.

" Je répondis: " Ô ma Mère, donnez-moi à souffrir et délivrez cette âme ainsi que le demande l’obéissance."

La Mère de Dieu appela des anges, elle prit un calice en main (cette vision se passait pendant la messe du confesseur) et le versa sur l’âme. Subitement, elle me parut belle et brillante comme un soleil; elle lui donna sa bénédiction et me dit:

" Ma fille, accepte pour lui de souffrir la peine du dam plusieurs jours ".

" J'acceptai peines et tourments et je dis: la sainte obéissance lèvent ainsi. " La Vierge sainte dit : Que cette grâce te soit faite. L'âme reçut la sentence de grâce du paradis et je fus soumise à la peine du dam jusqu'au 20. (On était au 14 janvier.) 358

Tous les saints vinrent recevoir l’âme, en particulier saint Joseph, saint Philippe de Neri, saint Philippe Benizi, le bienheureux Pellegrino, saint Antoine de Padoue et beaucoup d'autres. Cette âme demanda à la sainte Vierge la permission de me dire quelque chose, ce qui lui accordée. Elle me dit alors qu'elle avait toujours été résignée et aimant la souffrance qu’elle avait toujours prié pour moi et pour le couvent et que je devais dire au Père qu’il prierait aussi pour lui. A l’instant, il fut mené au paradis. Tout à la gloire de Dieu. "
 
 

CHAPITRE XVII

LE P. CAPPELETTI. LE CŒUR DE VÉRONIQUE. LES NOTES DU P. CAPPELLETI. LA SAINTE VIERGE DIRECTRICE DE VÉRONIQUE

Parmi les nombreux confesseurs et directeurs de sainte Véronique, le P. Cappelletti paraît avoir eu la plus grande influence dans la directe charge de conduire cette âme extraordinaire.

Il fut nommé confesseur ordinaire des capucines de Citta di Castello vers 1693. Religieux de l’ordre des Servites, il joignait à une grande prudence, une bonté sans faiblesse et une foi très vive. Aussi était-il réputé comme excellent directeur de conscience et fort aimé dans la vie (1).

Dès qu'il eut pu apprécier la haute vertu de Véronique, il se donna tout entier à l'œuvre de sa direction. Ce fut lui qui vit le Saint-Office commencer ses enquêtes auprès de la sainte.

(1). Le P. Cappelletti était entré à Oratoire en 1677. Il était avant cette date prêtre séculier et longtemps auparavant Véronique lui avait prédit qu'il deviendrait un fils de saint Philippe de Néri, et qu'il serait son confesseur. Cette prédiction, Véronique l'avait faite le jour ou elle était venue avec son oncle au couvent de Citta di Castetto en pèlerinage à Notre-Dame du Belvédère. Ce fut à lui que le sacré tribunal confia ses instructions par rapport à la conduite à tenir avec la soeur stigmatisée. Il avait, pour le soutenir dans son entreprise, Mgr Eustachi, évêque de Citta di Castello, auquel il rendait compte presque journellement des états divers de sa pénitente. Ce fut le P. Cappelletti qui commenca aussi les expériences étranges, mais très judicieuses, en vue de s’assurer de la véracité des stigmates, chose relativement facile, mais surtout des phénomènes du cœur, l'une des merveilles de l’existence de la sainte.

Pour suivre de plus près cette vie mystique extraordinaire, le Père tenait des notes journalières qui complètent admirablement le "diario" de Véronique.

Le rôle du confesseur auprès de la sainte est important. Son action est stupéfiante. Dieu a voulu que par Véronique, éclatât la puissance, la grandeur, l'autorité du sacrement de pénitence et de celui qui l'administre C'est le confesseur, en tant que représentant de Dieu, qui exerce sur les âmes une domination réellement divine. Celui qui dit à un pécheur : Vos péchés vous sont remis, parle en Dieu et Dieu ratifie cette parole. Pour montrer jusqu'où il s'engage à cette ratification, Jésus consent à se soumettre au confesseur, en ce sens qu'il veut que l'autorité du confesseur soit exercée sur lui-même dans la direction de l'âme de Véronique. Le confesseur parle en direction au nom de l'ÉgIise qui a reçu la mission de juger. Jésus, dans ses relations avec Véronique, exige qu'elle obéisse au confesseur, avant de lui obéir, parce que, en tant que fille de l’église, elle doit se soumettre à l'autorité particulière de l'Église, organe de la Vérité divine sur la terre, avant l'autorité particulière d'une vision, si béatifique qu'elle soit. C’est, du reste, un acte de sagesse divine, piusque, par là, on aura la preuve de la réalité des visions. Jusqu'à la réception des stigmates, Veronique avait l'ordre de ne rien cacher au confesseur de ce qui se passait en son âme. Après les stigmates, après le cœur blessé, les ordres du ciel deviennent plus précis, le role du confesseur plus actif. Tout ce que Dieu ordonne dans tes visions doit être consenti d'abord par le confesseur. Celui-ci a le droit, de son côté, de se servir de sa pénitente pour poser, si l'on peut s'exprimer ainsi, des questions directes au Seigneur et exiger de lui jusqu'à des miracles.

Si Jésus désire sauver des âmes, s'il veut que, de la terre, lui arrive une médiation puissante en des circonstances graves, il confie ces missions à Véronique, mais elle doit d'abord en demander la permission au confesseur. C'est lui qui l'autorisera à souffrir tes tourments que Dieu lui impose.

Lors des grands troubles qui agitèrent l'Europe après la mort du roi d'Espagne Charles II, Jésus voulut que Véronique s'entremit pour obtenir du ciel la paix. Il lui ordonna de souffrir pendant de longs jours, mais seulement après que le confesseur y eut consenti.

Entre ces deux grandes âmes qui se comprenaient si bien, s'établit une union toute spirituelle, dont une grande foi était la lumière, dont une très pure charité était le lien. Le P. Cappeletti avait un feu ardent pour la perfection de sa pénitente et ses plus grandes préoccupations étaient pour elle. Il voulait surtout la préserver des erreurs ou tombent si facilement les âmes portées au mysticismes et s'assurer aussi de l’exactitude de tous les phénomènes que sa pénitente lui signalait.

Véronique, en effet, possédait un coeur si extraordinaire qu’il ne semble pas que Dieu ait fait, en d’aures saints, des miracles semblables à ceux qui se succédaient en elle. Tout d'abord, en recevant cette profonde blessure qui perçait son cœur de part en part, qui devait la faire mourir sur-le-champ, Véronique put annoncer au P. Cappeletti qu'elle serait refermée à une date précise. De même, ta Blessure était ouverte à certaines dates toujours annoncées d'avance, et fermée de la même façon.

C'est alors que le P. Cappeletti confia à des religieuses du couvent le soin d'examiner la blessure ouverte et refermée selon tes prédictions de la sainte. Les sœurs purent le constater. A certains jours la plaie était vive, rendait du sang, le tendemain on la retrouvait parfaitement cicatrisée, comme une blessure fermée depuis longtemps: Un second phénomène vint s’ajouter à ce premier miracle, Véronique fut dotée de deux cœurs; le cœur blessé et le cœur amoureux.363

Ces cœurs étaient changés selon les circonstances, en certaines fêtes, par Jésus ou Marie. Véronique sentait très bien ces changements Le cœur amoureux l'embrasait, elle ne souffrait plus de la blessure, mais elle brûlait littéralement et c'est alors qu'elle devait se rafraichir la poitrine avec des linges mouillées, il arriva qu'elle eut les deux cœurs ensemble. Elle entendait un double battement. Mais ce miracle ne durait guère. On put constater cependant que ce brasier intérieur qui brûlait même les sœurs qui posaient la main sur son habit, à la place du cœur, coïncidait très exactement avec les dires de Véronique, assurant qu'elle avait le cœur amoureux. De même, la blessure ne s'ouvrait pas quand elle n'avait pas en elle le cœur blessé

Le P. Cappelletti commanda lui-même à plusieurs reprises à Véronique des changements de cœur, des ouvertures ou cicatrisations de la blessure et fut toujours obéi.

Jésus fit plus encore il voulut que le cœur de Véronique renfermât les signes mystérieux de sa Passion, des initiales de ses vertus préférées, des marques en l'honneur de la sainte Vierge. Elle eut dès lors les instruments de la Passion dans le cœur. Elle les voyait et les sentait s'agiter. Puis ce furent des initiales de vertus, les glaives de douleur de Marie, les flammes, un soleil, un étendard. Ces objets changeaient selon des circonstances mystiques particulières. Nous ne pouvons que les indiquer ici, le journal de la sainte entre sur ce sujet st merveilleux dans les détails les plus intéressants. Ces signes indiquaient surtout l’ardent amour de la sainte pour les douleurs de Jésus et la générosité avec laquelle elle y participait. Afin de prouver la réalité de cet état miraculeux du coeur de Véronique, Dieu permit qu’on y entendit remuer les instruments qui y etaient renfermés, comme on entendrait des objets placés dans une boite qu'on agiterait (1).

(1). Le P. Tassinari dépose ainsi au procès : " Je lui commandai de me faire entendre les susdits instruments, les sept épées, les lettres qu'elle avait renfermées dans son cœur et aussitôt j'entendis parfaitement ce bruit. Comme j'avais soin d'écouter avec la plus grande attention à la grille du confessionnal, je distinguais très bien que ce bruit venait du cœur, et je ne pouvais douter que ce cœur ne contint réellement quelques corps anormaux. Le bruit qu'ils faisaient ressemblait à un sourd roulement de tambour et quand je commandai à ma pénitente de les faire mouvoir tous ensemble, le roulement était plus edifiant et plus fort. " On compte que la forme, la position, le nombre en fut changé cinq fois; en 1715, 1718, 1719, 1720 et 1727, année de sa mort. Les divers confesseurs de la sainte sont obligée de dessiner l'interieur de son cœur, selon que les insignes qui s'y trouvaient étaient changés ou augmentés de nombre et Véronique obéissait humblement à cet ordre (2). (2). Le couvent de Citta di Castello a gardé les différents dessins faits, soit par Véronique, soit devant elle et avec ses indications, par la Sœur Florida Ceoli et une novice qui savaient dessiner. Le dernier de ces dessins correspond exactement à l’intérieur de son cœur, lorsqu'on l'ouvrit a l’autopsie. Le premier de ces dessins, acte par ordre du P. Cappeletti, fut tracé avec le sang du cœur de Véronique par elle-meme.

Pour m'assurer que le Seigneur avait concédé plusieurs grâces à Sœur Véronique, écrit le Père le 22 janvier 1703, et pour savoir vraiment s'il avait placé dans son coeur les instruments de la Passion, je demandai trois grâces spéciales pendant la messe que je disait au monastère. Cette demande fut faite au premier memento. Je priai pour une âme, pour une personne qui se trouvait dans un très grand péril de tomber dans les filets du démon et ennemi, je suppliai Dieu de manifester à la Sœur une prière, comme preuve qu'elle ne me trompait pas. Après la messe, Je m'appela au confessionnal et me dit très exactement tout ce que j’avais demandé. Elle me nomma même la personne pour laquelle j'avais prié.

Le P. Cappelletti rassuré, profita de l'occasion pour recommander cette personne en danger aux prières de sa pénitente. Elle se mit à prier sur l'heure. La nuit suivante, le démon, sous un aspect horrible, vint la menacer de la tuer si elle lui enlevait cette âme après tant d'autres.

Ainsi, entre le confesseur et sa pénitente, régnait une communication d'âmes qui les rendait également chers à Dieu. Véronique en recevait souvent l'assurance du Seigneur ou de sa divine Mère. Plus d'une fois elle eut des visions comme celle-ci où une grande croix lui fut montrée, qui se partagea en deux croix d'inégales grandeurs. Jésus mit la plus petite sur les épaules du confesseur, est la plus grande sur la part de Véronique.

Ainsi comprenait-elle que le ciel, en lui donnant le P. Cappelletti pour directeur, voulant qu’il prit un peu du fardeau de sa pénitente. Elle le dit au Père qui ne refusa pas le présent divin. Son zèle était généreux et, de son coté, il associait Véronique à tous ses soucis de pasteur d'âmes. Ces soucis étaient grands. L’Italie à cette époquen’échappait pas à la dégénérescence des moeurs et la vie de Citta di Castello était particulièrement dépravée. Les scandales qui y éclataient désolèrent le pieux confesseur. Véronique, alors, était chargée par lui de prier pour la ville coupable.

Mon confesseur, écrit-elle en 1703, m'avait commandé de prier spécialement pour notre ville et de demander au Seigneur qu'il me fit connaître ce qui lui déplaisait le plus en elle, et comment on l'y offensait le plus. Pendant que je priais, j'eus un ravissement je vis la ville tout en feu. Au milieu de ce grand feu, je vis beaucoup de personnes dans un endroit clôturé. Une partie de ces personnes se jetaient dans le feu, les autres voulaient d'abord s'y précipiter, puis reculaient. Cette vue me donna une véritable épouvante. J'appris alors que cela signifiait le péché de sensualité charnelle qui est fréquent dans notre peuple et c'est en cela que Dieu est grièvement offensé dans cette ville et dans tout le territoire. 367

Ceux que je voyais dans le feu étaient les pécheurs, ceux qui voulaient se jeter, puis revenaient en arrière, étaient les personnes tentées que la grâce secourait à temps.

Véronique restait plongée dans une vive douleur à cause de l'offense faite a Jésus. Il lui apparut tout couvert de sang et lui dit Ton confesseur t’a imposé de me prier pour connaître à cause ta plus fréquente des péchés. Ce sont les péchés des sens qui m'offensent le plus, comme tu viens de le voir. Les querelles et les iniquités si fréquentes dans cette ville, m'outragent beaucoup et seront cause de la damnation de bien des âmes."

Véronique vit aussi des prêtres célébrant la messe avec une âme souillée des hommes puissants, volant le bien des pauvres des joueurs dépravés, et ces crimes énormes étaient comme une nouvelle trahison envers Jésus. Alors, le Seigneur irrité, parut tenant une lance d’une main, une épée de feu de l'autre, s'apprêtant à punir la ville coupable. Véronique s'offrit comme médiatrice, prêtée tout souffrir et fut acceptée. Aussitôt ses pieds, ses mains, son côté deviennent si douloureux qu'elle se croit près d'expirer, mais son cœur nage dans la joie de se voir écoutée. Le P. Cappelletti ordonna alors à sa pénitente de demander à Dieu ce qu'il fallait faire pour obtenir miséricorde, et l’évêque nt le même commandement à la sainte. Des secousses de tremblement de terre se faisaient sentir depuis quelque temps et le peuple s'effrayait.

Véronique, répondant à cet ordre de ses supérieurs, dit : " Je sus que, pour ma part, je devais beaucoup souffrir et prier et que Dieu mettrait dans le cœur du prélat et du cierge le zèle qu' il désire leur voir, et leur inspirera ce qu'ils doivent faire et non qu'ils ne se complaisent pas dans leur amour-propre ou ne cèdent pas au respect humain. "

Mgr Eustachi ordonna des processions de pénitence dans tout le diocèse en meme temps on organisait partout des missions extraordinaires.

Véronique, de son coté, subissait un redoublement de souffrances qui paraissaient chaque fois devoir la mener au tombeau; puis pour bien montrer l'origine surnaturelle de son mal, Dieu ramenait l'agonisante à la santé.

Au couvent on a aussi des processions de pénitence avec la statue vénérée du saint Bambino. Dans une de ces processions, Jésus, renouvelant le miracle de Noel, aux yeux de toute la communauté, se substitua à la statue. Quand Véronique arriva près de son autel pour le prendre, il s'élança vers elle en souriant, étendant ses petits bras avec la vivacité d'un enfant qui veut aller à sa mère. Le P. Cappeletti recueillit, sur ce fait, le témoignage de toutes les sœurs.

Les soeurs voyaient cette scène avec ravissement, mais ne pouvaient entendre le colloque sublime qui s'échangeait entre Dieu et sa servante. La sainte priait pour le peuple coupable.

Jésus lui répondait que, pour être exaucée, et elle devait souffrir à de nouveaux tourments. A ces paroles, s'écrie la sainte, mon Âme avait une soif de souffrances qui me faisait acquiescer à tous les supplices que la volonté de Dieu m’imposerait ".

Dieu, dit-elle encore, me faisait comprendre comment je devais me comporter dans tes tourments Je le vis donner une grande croix au Souverain Pontife et je sus que je devais aider à La porter. J'eus aussi des inspirations spéciales pour recommander tous les chrétiens, surtout ceux qui sont au milieu des infidèles, afin qu'ils persévèrent dans la sainteté. Je surpris qu'il y avait peu d'hommes qui agissent en vrais catholiques; beaucoup pervertissent les autres (1).

(1). Il s'agit ici probablement des Jansénistes. Le P. Cappelletti voulut aussi s'assurer de la véracité des communions miraculeuses de Véronique. Jésus, comme nous l'avons dit plus haut, annonçait souvent à la sainte qu'elle serait communiée surnaturellement (2) pendant la messe ou un office. Cette communion était dite vraiment sacramentelle? Le Père demanda au Seigneur un signe qui lui confirmat la vérité de ces communions. (2) Ces communautés étaient accordées ordinairement à Véronique dans ses grandes souffrances lorsque les supérieurs la privaient de la communion. Ce matin, écrit Véronique, pendant que mon confesseur disait la messe, je compris par trois fois qu'Il me recommandait à Dieu et m'ordonnait de communier avec lui. Le Seigneur lui inspira de demander à sa divine Majesté le signe que mon confesseur désirait avoir pour être assuré que j’aurais cette grâce. Je ne compris pas ce qu’était ce signe.

J'eus à la communion de la messe un ravissement et je vis le Seigneur Jésus entrer dans la bouche du prêtre, comme un très bel enfant couvert de sang.

Je vis aussi ce divin Enfant venir à mot avec une hostie en main. Il me communia en meme temps que le prêtre et je le vis prendre possession de mon cœur en même temps que de celui de l'officiant.

Peu après, Véronique fut encore communiée par son ange gardien. Le Père, qui avait reçu l’annonce de ce miracle, afin de connaître s'il avait réellement eu lieu, commandé mentalement à la sainte de venir le trouver aussitôt après cette communion. Elle obéit et vint auprès de lui la messe finie, chose qu'elle n'aurait pas dû faire sans cet ordre, puisqu’elle savait qu'il devait retourner chez lui tout de suite après la messe.

Le P. Cappelletti nota toutes ces communions prodigieuses avec grand soin. En août 1704, il dit que Véronique fut communiée deux fois par son ange gardien, pendant une série de cinq jours d'atroces douleurs qui la mettaient en agonie.

Le Père ajoute qu'il alla la confesser alors pendant une nuit. Elle ne parlait qu'avec une grande peine. Ses souffrances étaient indicibles. Elle était couchée sur son petit lit, étendue ou plutôt distendue et raidie, les bras en croix, comme crucifiée. On voyait son corps trembler de douleur, elle haletait, suffoquée, brisée. Les sœurs qui la contemplaient pleuraient.

Ces souffrances extrêmes devait durer jusqu'à l’Assomption! " Le 14, dit le Père, le Seigneur lui ota son cœur, Le lui montra tout flagellé, puis le lui remit en lui annoncant un surcroît de tourments. En ce moment elle fut soulevée au-dessus de son lit et y était étendue en l' air comme si une main invisible l’avait soutenue. "

Le meme Père à consigné aussi dans ses actes la beauté rayonnante qui faisait resplendir le visage de Véronique après l’absolution. Il dit aussi qu'elle subit quelquefois pour certaines expiations, un purgatoire spécial qu'elle appelle le purgatoire d'amour. Alors elle est comme un brasier, le ciel m’apparaît en face, elle se sent consumée jusqu'aux moelles, ses mains sont brûlées, les traces en restent visibles.

Nous avons dit quelle obéissance parfaite, spontanée, sans retard, Véronique montrait a son confesseur, nous en verrons encore des exemples admirables. Le P. Cappelletti en note quelques-uns, il dit que plusieurs fois la sainte était agonisante la nuit et cependant elle assistait le matin à prime parce qu’il lui avait commandé d'y aller, sa foi en la vertu d'obéissance était indéfectible. Il suffisait que le confesseur lui ordonnât de se lever pour qu'elle le fait immédiatement. Presque toujours elle était guérie par cet acte de vertu.

En suivant toujours les notes du P. Cappeletti, nous voyons que la sainte lui annonca, en 1704, qu’elle allait etre prise d'un mal extraordinaire. L'évêque prévenu envoya un médecin célèbre pour visiter la malade.

Ce personnage devient qu’elle avait une atteinte à la vessie, mais le docteur Fabbri, c'était peu de temps avant sa mort assura qu'elle avait un mal surnaturel. Il connaissait maintenant les états morbides de Véronique. On lui donna néanmoins des médecines qui la rendent beaucoup plus malade. Elle guérit encore subitement. Mais pendant qu'elle souffait de cette maladie, Il arriva que le P. Cappettetti, en commençant sa messe le matin, fut pris d’une hémorragie nasale. Il dut quitter l'autel au Credo. Très affligé, il pria mentalement Véronique de lui obtenir de pouvoir continuer sa messe. Le sang s'arrêta à l'instant.

De tous ses confesseurs, le P. Cappelletti fut celui qui eut pour elle le plus de dévouement. Il savait que la confession soulageait beaucoup la sainte dans ses grandes souffrances Aussi, non seulement il la confessait chaque jour, mais encore lorsqu'elle subissait des douleurs plus violentes, lorsqu'elle était dans un état qui la mettait a l'agonie, le bon Père ne l’a quittait pas et l'aidait de tout son pouvoir.

Pour montrer quel était son dévouement et avec quel soin suivait les phénomenes qui se manifestaient dans sa pénitence, citons quelques extraits notes.

" Le vendredi avant la Toussaint, écrit-il en 1707, elle me dit qu'elle allait avoir une maladie. Cette maladie le survint le 28 octobre. Elle souffrit beaucoup des douleurs de la Passion. Après deux heures, redemanda à se confesser, car c'était l’anniversaire de sa vêture et elle m’annonca quel le 30, le Seigneur voulait commencer à faire un habit de croix et de tourments qui durerait trente-trois jours. " Ce qui arriva.

" Le 10 novembre, elle continua à voir les croix comme des invités envoyées de la patrie céleste. Elle devint si malade qu'on lui administra l'extrême-onction. Elle fut un peu soulagée par la réception de ce sacrement. Ce meme jour elle eut la vision de Jésus souffrant, qui l'appelait à lui et de la sainte Vierge qui priait son Fils de la laisser encore dans le monde à cause des prières qu'on faisait sur la tête pour elle. Elle vit la croix s'avancer vers elle, mais la sainte Vierge se plaça devant elle comme pour l’empêcher de la voir. Revenue a elle, elle se confessa et me demanda la permission de mourir. Je lui répondis que je la lui donnerais quand Jésus et Marie seraient d'accord pour la rappeler à eux. " 374

" Le 11 novembre, vers les 8 à 9 heures, elle demanda se confesser et à communier. Elle se confessa péniblement, elle ne pouvait presque pas s'exprimer. Après la communion, elle eut un ravissement, ou le Seigneur lui dit qu'il la rappellerait à vingt-quatre heures (minuit).Mais comme le jour précédent, la sainte Vierge le pria de lui laisse la vie. Jésus lui donna un tendre embrassement et lui demanda ce qu'elle souhaitait. Elle repondit qu'elle ne voulait que la sainte volonté de Dieu. Jésus lui demanda sa bénédiction. Revenue à elle, elle était pénétrée d’une union très intime avec la Passion de Notre-Seigneur, ainsi que de la plus grande connaissance d'elle-même. Elle avait le désir de souffrir qu'elle ne pouvait parler d'autre chose. Elle jubitait à la pensée de la peine.

Puis elle se réconcilia de nouveau dans une douleur si véhémente, une humilité si profonde, que je craignais que son cœur ne s'en brisât. Après l'absolution elle resta plongée en Dieu.

Le 12 novembre. A dix-huit heures. L’état s'aggrava. A vingt-deux heures, elle ne pouvait plus parler, elle fut comme à l'agonie jusqu'à vingt-quatre heures. Puis elle reprit un peu de souffle et me demanda, dela part de Dieu, la permission de mourir. Je lui commandai de vivre. Elle eut alors un bref ravissement apràs lequel elle me dit que la sainte Vierge lui avait obtenu cette grâce. Elle paraissait être rentrée dans la vie terrestre comme dans un monde inconnu, comme une étrangère ne connaissant personne au pays ou elle aborde. elle me dit qu'elle ne pourvait comprendre qu'on put dire une parole oiseuse, ou parler d'autre chose que de Dieu et de la vertu.

" Pendant ces deux heures d’agonie, elle eut toujours les yeux ouverts, quoiqu’il parut qu’elle les fermés et elle me dit que c’était un atroce tourment. Il lui semblait avoir deux personnes à coté d'elle dont l’une tirais la paupière d'en haut et l’autre celle d’en bas. Et ceci fut observé de toutes les religieuses. "

Le 28 novembre. Ses souffrances augmentèrent vers minuit. On voyait la tunique de la soeur se soulever sur sa poitrine tant elle était oppressée et suffoquée par la douleur du cœur. Puis ce fut un tremblement de tout son corps, si violent, qu'il faisait trembler toute la chambre. Il y eut un instant ou elle fut comme lancée hors de son lit. Elle souffrit de ce tremblement environ une heure, à deux reprises, et après eut une extase. Elle me dit en revenant a elle, que pendant qu'elle tremblait, Il lui semblait que deux personnes très fortes lui tiraient les nerfs, la flagellaient et la frappaient avec de gros bâtons, parce que Dieu avait donné la permission au démon de la tourmenter pendant tout ce temps.

Le journal du Père se continue, décrivant minutieusement les souffrances, les extases, les états divers de la sainte. Citons un dernier passage pour ne pas allonger davantage noire récit. 376

Le 12 décembre. Elle me confia que des démons, sous la forme de Maures, la happaient sur tout le corps, dans leur fureur de ce qu’elle avait raconté a son confesseur tout ce qui lui était arrivé le jour de l’Immaculée Conception. Outre les coups, ils la menacèrent encore, si elle continuait à ne cacher au confessional des états extraordinaires de son âmes, parce que cette sincérité lui servirait qu'à la faire souffrir davantage en ce monde et dans l’autre. Au contraire, si elle se taisait, elle serait délivrée de tous ses maux et rendue à la santé. Elle, généreuse et forte, leur répondit qu'elle ne demandait autre chose que la seule volonté de Dieu. Cette courageuse réponse ranima leur rage Ils se remirent à la frapper, puis l'accablèrent de toutes sortes de tentations. Ils firent paraitre devant elle des tableaux impurs, lui donnèrent des pensées de désespoir, d'impatience et enfin réussirent à l’inquieter au sujet de la concession, lui assurant qu'elle avait omis d'accuser des péchés qu'eux seuls connaissaient. Elle ne perdit jamais le calme et la paix au milieu des orages.

Le journal du P. Cappeletti devait rendre un précieux témoignage à la sainteté de sa pénitente lors du procès de canonisation, car le Père n'eut pas la consolation de vivre jusque-là. Il mourut avant Véronique, vers l’an de 1711. Mais alors la sainte put prouver à son dévoué directeur, la reconnaissance qu'elle lui gardait pour le zèle et l'abnégation qu il avait mis à la guider (1).

  1. La mémoire gardée dans son Ordre, du P. Cappeletti, est celle d’un homme plein de charité, mortifié, sévère pour lui-même autant que pour les autres. Il était assidu observateur de sa règle et attentif à tout ce qu'il entreprendrait pour la gloire de Jésus et le salut des âmes.
Tout vertueux qu'il eût été pendant sa vie, Il avait pourtant encore à se purifier de quelques fautes et la justice divine ne souffre pas l'ombre d'une souillure. Véronique vit le pauvre religieux dans un endroit désert, revêtu d’un manteau pesant, couvert de boue. Cette vue l’affligea profondément, elle se mit à prier la sainte Vierge pour lui. Sa chère maman (ainsi aimait-elle à appeler la Mère de Jésus, son époux), sa chère maman lui ordonna de demander à son directeur la permission d'expier pour lui, et, la permission obtenue, commença courageusement un nouveau martyre.

Elle revit le Père plusieurs fois. Il avait un visage très triste, et semblait toujours fléchir sous un grand poids mais l'endroit ou on se trouvait était moins obscur, il paraissait implorer une aumône de Véronique et de sa bouche sortait une fumée comme lorsqu'on éteint une chandelle dont la mèche charbonne encore après. Cette fumée cachait presque son visage.

La sainte, très affligée, pria son ange gardien d'offrir pour lui le saint calice des merites divins et aussitôt la fumée cessait, la clarté grandit. La sainte eut la révélation qu'il serait bientôt délivré.

Elle redoubla prières et ses macérations; chaque jour elle voyait le Père moins triste, plus entoura de clarté. Enfin le Seigneur annonça à Véronique qu'il serait délivré le 2 février, jour de la Purification!

Mais on n’était qu’au 14 janvier. C’était trop tongtemps pour la compassion filiale de la sainte. Elle pria pour qu'il fut délivré le mardi suivant, jour de la fête de saint Philippe de Neri, patron de son Ordre. Pour obtenir cette grâce elle demanda une nouvelle permission de s’offrir à son confesseur et l’obtint.

Dès le lendemain, te P. Cappelletti lui apparut, l'air heureux.

" Continuez, lui dit-il, de solliciter ma grâce, je ne serai pas ingrat. "

Enfin le Seigneur lui promit la délivrance de cette âme pour le vendredi suivant, à condition qu'elle continuât a expier.

Ce fut de longues et terribles heures que la sainte dut passer au purgatoire, des attaques du démon, des tentations.

" Ma chère maman, suppliait la sainte un jour, je ne quitterai pas cette place que vous ne m'ayez accorde cette grâce. Donnez-moi un nouveau purgatoire avec toutes sortes de souffrances, mais je veux que mon Père soit délivre. Ma chère maman, l'obédience le veut, maintenant elle parle pour moi. Que vos douleurs parlent aussi. Que les plaies de Jésus parlent, que toutes les souffrances de sa Passion soient autant de voix suppliantes! " 379

Une vision fut la réponse à cette ardente prière. Véronique vit la sainte Vierge appelant auprès d'elle l'âme du Père qui lui amenée par son ange. Les saints invités par Véronique étaient auprès de Marie, ils priaient avec ardeur. La sainte Vierge offrit a son Fils ses douleurs, Enfin, le Seigneur consentit a délivrer le père à condition que Véronique, jusqu'à la Purification, souffrirait chaque jour trois heures de purgatoire, ce qu'elle accepta avec joie (1).

  1. Le jour de la Purification, il fut revéler que Véronique que le manteau de plomb que accablait le Père marquait les manquements pendant les six années de son apostolat et dans son ministère de confesseur, lorsqu’il avait laissé passer plusieurs petites choses par négligence la faiblesse, il signifiait aussi une trop grande sollicitude pour ses parents. La fumée qui sortait de sa bouche, c'étaient tes manquements commis pendant sa messe. L'endroit solitaire et obscur était la punition d'avoir trop recherché la distraction et trop aimé le soin de sa personne. Enfin les heures subies par Véronique étaient le châtiment de quelques autres fautes.
Personne ne remplaca le P. Cappeletti auprès de Véronique. Aucun de ses directeurs n'eut pour elle-même zèle et le dévouement plein d'abnégation du digne religieux. Le P. Tassinari qui succéda au P. Cappeletti ne suivait pas d'aussi près la vie mystique de la sainte. Il lui permit plusieurs fois d'interrompre son journal et ne conserva pas ces précieuses pages avec le même soin, car à dater de son ministère au couvent des capucines, il y eut beaucoup de cahiers du " diaro " égarés.

Il est vrai que la direction de Véronique était très absorbante; le nombre de ses confessions arrivèrent à trois et quatre par jour et quand ella était dans ses états de souffrances extraordinaires, il n'y avait que la présence du confesseur pour qui pût un peu la soulager.

D'ailleurs le Seigneur, maintenant, ne permettait plus à la sainte le moindre acte que ne fut commandé, approuve ou permis par le confesseur. Jésus, le premier, se soumettait à celui qui le remplacait sur la terre auprès des âmes.

" J'ai tout préparé (pour renouveler les noces mystiques), dit-Il un jour à Véronique, mais auparavant j'exige le consentement de celui qui tient ma place auprès de toi." Ce nouveau mariage mystique doit être un acte d'obéissance. La vie et la mort de Véronique ne sont même plus directement entre les mains de Dieu. Ce sera le confesseur qui défendra à la sainte de mourir, c'est avec sa permission qu'elle expirera.

Vers l'an 1711, la très sainte Vierge, la protectrice si tendre de Véronique, qui, toujours, avait paru activement dans tous les actes de la vie religieuse et mystique de la sainte, la sainte Vierge voulut prendre en mains la direction absolue de sa fille bien-aimée, mais par les mains du confesseur. Le confesseur, dès lors, reçut les communications de la Mère de Dieu par la bouche de Véronique et celle-ci ne pouvait exécuter les ordres de sa Mère du ciel, sans l'approbation du confesseur.

La sainte Vierge était toujours présente aux confessions et aux communions de Véronique. La Mère de Dieu avait montré un clou à la sainte en lui disant que chaque fois que le confesseur le voudrait, elle percerait le cœur de Véronique avec un clou pour lui donner une vraie contrition. En conséquence, avant de commencer la confession, le directeur ordonnait à sa pénitente de demander ce clou à la sainte Vierge. Une extase ravissait aussitôt la sainte jusqu’aux pieds de Marie qui lui mettait le clou dans le coeur et, en revenant à elle, une contrition profonde remplissait son âme.

Plus que jamais Véronique dut pratiquer la vertu d'obéissance. Elle lui devint si naturelle que son corps était aussi soumis que son âme à la volonté du confesseur. Un jour, dit-elle, accablée d'une grosse fièvre, ayant eu neuf vomissements en deux heures, elle restait sur son lit, incapable de bouger, mais ne voulant pas se plaindre pour ne pas troubler les sœurs. Le confesseur ne la voyant pas à la messe, apprenant qu'elle était au lit, lui envoya l'ordre de venir à l'église. 382

" En entendant cet ordre, j'allai à l'église, plus morte que vive. " Assistez à la messe me dit il. Après la messe, il ne me demanda rien, mais me dit de me confesser. J'y allai, mais si abattue que je ne pouvais me soutenir. Je me confessai. La cloche du réfectoire sonna et le père me commanda d'aller au repas et de suivre l'observance absolue. Me confiant dans l’obédience j'y allai et quoique cette grande fièvre me durât encore plusieurs jours, je pus suivre l’observance tout ce temps, sans manquer. Laus Deo.

Plusieurs fois les confesseurs ordonnèrent à Véronique de souffrir telle ou telle partie de la Passion de Jésus dans le confessionnal même. Elle entrait aussitôt en extase et le prêtre pouvait tire sur son visage, dans ses gestes, quelle le suivait réellement le Christ souffrant ainsi qu'on le lui avait ordonné.

La sainte Vierge, dans ses visions, recommandait cette obéissance parfaite à Véronique et l’exigeait d'elle avec séverité.

La sœur Florida Ceoli entrant un matin dans la cellule de la sainte, la trouva en larmes. Elle avait quittée la veille au soir écrivant son journal, elle n'avait plus que quelques mots encore à tracer pour avoir fini.

Véronique lui montra son cahier de la veille. Il était redevenu tout blanc. Pendant la nuit, la sainte Vierge lui était apparue et lui avait reproché sa désobéissance de n'avoir pas écrit certains détails qu'elle aurait dû marquer. Sur l'ordre de la Mère de Dieu, son ange gardien avait effacé toute la rédaction de la veille et, comme un écolier en faute, il allait recommencer le pensum (1).

  1. Ce miracle avait déjà eu lieu une autre fois, lorsque la soeur commencait à écrire son journal, nons l’avons raconté plus haut.
CHAPITRE XVIII

LES SOUFFRANCES DE LA PASSION. LE PÈRE CRIVELLI. VÉRONIQUE FLAGELLÉE ET CRUCIFIÉE.

Toutes les âmes placées en ce monde par Dieu pour parfaire l'oeuvre de ta rédemption, en unissant leurs souffrances à celles du Rédempteur, ont été surtout des dévotes de la Passion. La Passion, c'est leur nourriture, leur soutien, l’objet perpétuel de leurs pensées. Cette vocation sublime d'expiatrice, Véronique l'eut dès les premiers ans et sa vie n'est qu'un long apprentissage de souffrances pour arriver à pouvoir subir cet indicible bouquet de tortures que fut la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Ce fut vers l'an 1700 que notre sainte commença à participer d'une façon suivie aux douleurs de la Passion. Jésus lui annonça que désormais, elle souffrirait tous les vendredis. Le vendredi 5 novembre 1700 fut le premier de ces jours de martyre. Cependant, dès le lendemain, son confesseur lui ordonnait de demander à Dieu la force nécessaire pour suivre l'observance et remplir ses emplois.

Elle n'eut d'autre réponse que la prédiction de nouvelles souffrances. Jésus lui dit qu'il voulait maintenant qu'elle n'ait d'autre règle et d'autre école que sa sainte Passion. Il ajoutait qu’elle devait se résigner à se voir, de nouveau, interrogée, examinée, et qu'elle devait, plus que jamais, ne rien cacher à son confesseur.

Véronique pleure à ces paroles. Mais son courage ne fléchit pas.

" Tout cela me donne occasion de pousser de grands soupirs, écrit-elle, et je la fais encore en ce moment. Ce sont des choses qui me font trembler. Le seul mot de souffrance souleve de grands combats en moi, la nature humaine au succombe d'effroi, mais l’Esprit Saint reste prêt à tout. Je veux faire la volonté de Dieu et souffrir beaucoup. Tout à la gloire de Dieu! "

Ces simples paroles expriment bien l'héroïque amour de la sainte pour les pécheurs qu'elle veut arracher à la mort et pour Dieu que le péché outrage. Elle sait qu'elle vient d'accepter de longues années des plus épouvantables supplices, elle n'a pas un instant d'hésitation.

Nous voudrions pouvoir citer beaucoup de pages du journal ou Véronique raconte son martyre. La voie douloureuse où elle porte sa croix à la suite de Jésus est le plus beau chapitre de sa vie. Nous allons essayer de donner une idée des souffrances qu'elle médite et qu'elle subit (1).

(1). Il faut se souvenir que ces souffrances du vendredi m'empêchèrent pas les autres douleurs, stigmates, couronne d’épines, cœur percé, heures de purgatoire et attaques du démon. Comme Jésus, sortant du cénacle et disant à son Père du ciel et Mon Père, délivrez-moi de cette heure-là, sous l’angoisse qui étreint son cœur, ainsi Véronique, au moment de commencer le chemin de la croix, tremble. Ce tremblement est si violent qu'il secoue le lit, les portes, les meubles; Il lui semble que les murs mêmes frémissent. Ce tremblement est si pénible à voir que les soeurs qui sont près d'elle en pleurent. Mais la sainte est déjà auprès de Jésus agonisant.

" Je me sentais expirante " écrit-elle, par l’angoisse et la tristesse qui me poignaient. Mais c’était avec bonheur que je priai Dieu de me tenir bien à lui, afin de faire de moi tout ce qu’il voûlait.

"Jésus m'apprit que la terrible agonie du jardin des Oliviers, il la subie jusqu'à son dernier soupir sur la croix, mais plus violemment trois fois (1).

(1). La sainte eut, dans ses heures de Passion, des révélations sur des circonstances inconnues du supplice de Notre-Seigneur. Les évangélistes n’en ont retaté que les principales, mais la somme des souffrances supportées par Notre-Seigneur est au-dessus de la comprehension humaine et généralement tous les saints et saintes qui ont eu des visitations ou des révélations sur la Passion assurent que les bourreaux de l'homme de Dieu étaient comme possèdes du démon par la rage qui y mirent a torturer leur victime. On peut donc admette que les détails inédits donnés par Véronique sur la Passion sont vrais. Ils n’ont d'ailleurs rien d'invraisemblable. Tel est aussi l'avis du P. Pizzicaria. La première fois, ce fut lorsque le disciple qui le trahissait vint lui offrir son criminel baiser;

la seconde fois lorsqu'il fut livré à ces infâmes jeunes gens qui, depuis son emprisonnement chez Anne jusque sa comparution à son tribunal, se livrèrent sur lui à toutes les cruautés;

la troisième fois lorsque les souffrances du crucifiement arriverent à un degré violence qu’aucune nature humaine ne supporta jamais. Alors la même sueur de sang vint inonder son corps, ajoutant encore son horreur aux autres tortures. Il me donna un peu à gouter de cette peine, ce me fut une telle angoisse, une telle souffrance que je crus m’écouler tout entière dans une sueur de mort.

En m'unissant à l’agonie de Jésus, je fus plongée aussitôt dans un abandon total, sans secours, dans l’aridité d’esprit la plus pénible. Devant moi, je voyais la masse énorme de mes péchés et de mes ingratitudes. Mon âme succombent à la plus amère contrition. Une sueur froide inondait mon corps qu'agitait un tremblement convulsif. Mes forces s'en allaient, mon esprit s' obscurcissait. Je me mis a supplier Dieu.

Ou êtes-vous, mon Seigneur? Pourquoi me laissez-vous dans un tel abandon? Cependant, que votre volonté soit faite! " Non quod ego volo sed quod tu ", disais-je, et je repétais : " In manus tuas, Domine, commando spiritum meum ". J'étais comme morte sous la violence de tant de maux, mais ma plus grande peine, c'était l’abandon de Dieu. Celle-là ne se peut décrire.

Jésus me dit que je devais rester vingt-quatre heures dans ce tourment de son agonie. J'en serais morte sans l'aide du ciel. Dieu voulait, par là, me faire beaucoup de grâces. 387

L’agonie était si sérieuse qu'ordinairement les religieuses, effrayées, appellaient le confesseur.

Je crus entendre la voix de mon confesseur, dit-elle encore, mais je ne pouvais parler. Il me demanda si je le reconnaissais. Je lui fit signe que oui j'étais bien affligée de ne pouvoir parler. Il me dit : Je veux qui fassiez l’obédience, Répondez-moi. A ce mot d’obédience, j’eus une telle foi en elle que, subitement, je parlais.

La confession l’a soulagea momnetanément. Après, le confesseur voulut partir et je sentis que le Seigneur me désirait encore en agonie. J'aurais souhaité que le Père m'assistat, mais je me résignai à la volonté de Dieu qui voulait que je demeurasse sans aucun secours, et qu'ainsi, je souffris davantage.

Aujourd'hui, écrit-elle ailleurs, le Seigneur m'a annoncé que je souffrirais avec lui lorsqu'il fut lié avec des cordes et des chaines. J'ai éprouvé des douleurs extrêmes dans les bras, les mains et les jambes. On eût dit que mes membres étaient liés avec des cordes qui étaient tellement serrées qu'elles écrasaient ma chair jusqu'à l’os. Par la véhémence de cette torture, je faiblissais, j'étais comme expirante. Ma gorge me faisait cruellement souffrir, je la croyais serrée avec une grosse chaine, et les nerfs, les os, tous les muscles du cou devenaient très douloureux. J'appris du Seigneur que je participais à une parcelle des peines qu'il dut souffrir quand ses ennemis s'emparèrent de lui au jardin des Oliviers qu’ils le poussèrent avec une fureur impie et le lièrent de cordes et de chaines.

Avec Jésus, la sainte est entrainée par la féroce soldatesque dans le chemin pierreux qui descend vers la ville. Elle est jetée dans le torrent du Cédron, comme la tradition le raconte le Seigneur.

Ce tourment fut t-elle que j,en restai glacée plusieurs jours (1). En même temps, on me lia plus étroitement les bras, les jambes, le cou, la ceinture avec des chaines et des cordes. Je recus une pluie de coups.

(1) Les religieuses ont cités aux procès des cas fréquents de refroidissements mystérieux dans lequel on la trouvait après ces extases et que les moyens humains ne pouvaient vaincre. J'eus un bref recueillement pendant lequel je sus que le Seigneur voulait me faire participer aux tortures qu'Il subit pendant la nuit de la Passion, alors que les soldats le laissèrent au pouvoir de cruels jeunes gens qui essayèrent de le faire mourir à forces de tourments ils auraient voulu avoir la gloire de le mettre à mort, car ils savaient qu'ils se rendraient par là agréables aux pontifes. Aussi, inventèrent toutes sortes de supplices (2). 389

La vue seule des raffinements de cruauté dont on accablait le doux Jésus faisait trembler tellement Véronique qu'on eût dit que tous ses os tremblerent ont et allaient se casser.

(2). La soeur Marie Emmerich dit la même chose dans ses révélations et ajoute que Jésus ne leva pas une seul fois les yeux sur les misérables parce qu’ils étaient infâmes. Mais c’était la une frayeur tout humaine. L’âme de la sainte fut bien vite soumise et se redresse, toujours généreuse et vaillante, quand il s'agit de suivre le divin Époux.. Mon esprit s'offrit aussitôt à souffrir ces peines, dit-elle, par amour pour Dieu et je me remis à sa sainte volonté. Je fis des actes de contrition pour tous mes péchés, car ils furent cause de toutes ces souffrances de Jésus dans sa Passion. Pendant que je recevais d'en haut cette contrition, il me semblait qu'on enfoncait dans tout mon corps des pointes et des lances aigues. Je ne pouvais mouvoir un doigt, je ne pouvais parler, car ma langue était enflée. On piquait mes yeux d'épines aigues, mes oreilles étaient déchiquetées, tout mon corps était blessé, mes entrailles abîmées de coups.

J'eus aussi connaissance d'une torture qu'ils lui firent subir cette nuit. Après l'avoir accablé de coups dans le dos, cette tourbe inhumaine le lia, les mains derrière le dos, puis attachant une corde à ses mains. Ils la firent passer en haut dans un anneau mis à une poutre. Ils le tinrent ainsi longtemps suspendu en l'air, ses pieds ne touchaient pas terre, les bras qui soutenaient tout le poids du corps, se déboitèrent et ce fut une souffrance aiguee. Pendant ce temps, plusieurs de ces misérables le harcelèrent de coups et surtout dans les côtes. Je participais à toutes ces douleurs, lorsque j’arrivai à cette torture (de la suspension), les clavicules et les coups aux côtés me firent tant de mal que je crus expirer. Heureusement cette douleur fut brève, car le Seigneur me dit que les forces humaines ne pouvait supporter ce supplice et qu'Il devait le mitiger.

J'eus de grandes douleurs aux jointures des os et surtout dans les mains, je croyais que le sang allait sortir du bout des doigts. J'ai compris que c'était un des tourments soufferts cette nuit-là par Jésus lorsqu’il lui mit des "ciufeli" entre les doigts, si bien que le sang giclait de vive force (1). Cette torture à elle seule m’eut fait mourir sans le secours divin.

Puis, c'est Jésus trainé d'Anne à Caiphe.

(1). Le P. Pizzicaria dit qu'Il m'a pas trouvé la signification de ce mot de "ciufeli". D'après la description qu'en dit Véronique, c'est une torture qui rappelle la question que faisaient subir jadis certains tribunaux aux accusés : on plaçait les doigts de la main ou du pied entre des planchettes très serrées, puis à coups de marteau on enfonçait un coin de bois entre la planchette et le doigt. Parmi les grandes souffrances que je dus éprouver pendant qu'on me trainait d'un tribunal à l'autre, dit le Seigneur à la sainte, il faut compter celle qui me fut infligée à la porte du palais d'Anne. Mes bourreaux me firent tomber plusieurs fois, ils me frappèrent la tête par terre et m'occasionnèrent des hémorragies violentes.

J'étais livide de coups lorsque je comparus devant Caiphe, tant on m'avait frappé, et ces coups m'étaient d'autant plus douloureux que le plus acharné de ces hommes cruels était celui dont j'avais guéri l'oreille au jardin des oliviers.

Pendant que Jésus lui révélait toutes ces circonstances de sa Passion, Véronique les suivait dans une vision mystérieuse ou elle souffrait avec l’Homme-Dieu. Elle voyait ce visage divin meurtri et ensenglanté et la détresse toute intérieure de l’âme du Rédempteur, et ce spectacle augmentait sa propre douleur.

Cependant ce n’est là que la préparation de plus grandes douleurs. Pilate, sans entrailles et sans courage, a condamné le Sauveur à être flagellé.

Ce supplice est si affreux que le Seigneur veut à fortifier sa fidèle coopératrice par une vision encourageante.

Il me fit comprendre, ecrit-elle, autant que je le puis, la grandeur de son amour. C'était comme une petite fenêtre qu'il m'aurait ouverte sur un océan de feu. Mon esprit, aussitôt, s'y jeta dans une invincible attirance et s'enuammait lui-même dans ce feu. Mon corps demeurait sans forces, je tombai à terre, ne pouvant plus bouger. L'amour m'avait abattue. L’esprit, sans doute, ne quittait pas le corps, mais il était tout absorbé dans l'amour.

"J'eus alors la révélation que Dieu me faisait cette grâce parce qu'il voulait aujourd'hui m'imposer un plus grand supplice et que je devais être fortifiée pour être plus apte à profiter de la moindre souffrance. 392

Aussitôt, Véronique est prête. Elle s'identifiat avec son divin Époux attaché à la colonne. Elle subit les coups cruels qui déchirent le saint corps de Jésus. Son sang ne coûle pas comme celui du Rédempteur, mais elle ressent l'âpre morsure des fouets, des balles, des crochets avec lequel les bourreaux s'acharnent à mettre en lambeaux la chair de Dieu.

" Oh! " S’écrie-t-elle, combien je souffrais! Mais quelle joie inondait mon Âme!

" Ô Dieu! continue-t-elle, suivant pas à pas la méditation des grands mystères dans lesquels elle joue son role sublime. Ô Dieu! quel horrible supplice endure ce divin corps! De leurs fouets, les cruels bourreaux frappent son chef adorable. Ils lui lancent un coup furieux sur les paupières et cette douleur est si excessive que la divine victime en est presque pamée.

Jésus me révela dans ce moment qu'il me demandait, par ce coup, une mortification absolue de la vue, afin que désormais je n'ouvre plus les yeux sinon pour son service et pour le regarder (1).

  1. La sainte, en suite de cette révélation, prit la résolution de tenir toujours les yeux baissés. La première nuit après avoir pris cette décision, comme elle venait de s'étendre sur son lit, le diable vint lui crier d'une voix épouvantable à l’oreille : Ouvre ces yeux!. La sainte se leva sans ouvrir les yeux, pris de l’eau bénite et en jeta par toute la cellule. Le démon s’enfuit en criant. Puis il revint en essayant de faire ouvrir les yeux à Véronique en l’entourant de feu et redoublant son tapage. Il dut encore s'enfuir sans avoir réussi à ébranler la sainte dans sa décision.
Les soeurs ont déposé qu’effectivement elle ne regarda plus jamais rien en dehors de ce qu'elle devait voir pour suivre l’observance ou remplir son emploi.

Jésus fit subir un instant seulement cette douleur à Véronique; mais ce ne fut que quelques secondes, elle serait morte si elle eut duré plus longtemps.

La sainte parle aussi de sa langue qui enflait et devenait excessivement douloureuse, comme si une grosse épine l'eut traversée, mais elle ne dit pas que notre Rédempteur eût souffert ce supplice, et ne donne pas de détails sur ce fait. Elle pouvait à peine remuer sa langue, prononcer un mot lui était un supplice (1).

(1) Jésus apprit aussi a Véronique qu'en montant au Calvaire quelques-uns des plus furieux ennemis du doux Agneau divin lancèrent contre lui de méchants chiens qui le mordirent cruellement aux bras et aux genoux, ce qui le fit beaucoup souffrir. Le Psalmiste n'a-t-il pas dit : Circum dederunt me canes multi! (Ps XXI, 17). A la suite de Jésus, la grande compatiente a gravi le Calvaire, elle a senti le poids de la croix sur son épaule blessée, elle a subi la douleur des coups des bourreaux, des cordes et des chaines, liant ses membres tuméfiés. Maintenant, elle est étendue sur la croix. " Dieu, dit-elle, veut aujourd'hui me faire la grâce de me donner les douleurs qu'il éprouva lorsqu'on l’étendit sur la croix. " 394

"J'eus une frayeur et une angoisse telles que toute la chambre tremblait.

Comme les pieds et les mains n'arrivaient pas aux trous préparés dans la croix, on lia les membres divins avec des cordes et on les tira, avec force jusqu’à ce qu’ils eussent atteint les trous. Lorsque les gros clous traversèrent mes mains et mes pieds, tous mes nerfs se tordirent, toutes mes jointures craquèrent. Ce fut une douleur atroce, à mourir.

J'eus part aussi à la torture du très saint corps, dont les os se disjoignaient par la tension violente. Non, je ne pourrai jamais trouver de mots pour depeindre ce supplice. Le Seigneur voulut que je l’offrisse pour mes propres pèchés, les besoins de la sainte Église et la conversion des Ames.

" A vingt-trois heures, je dus souffrir le martyre de Jésus, lorsque les bourreaux retournèrent la croix avec sa sainte victime, pour rabattre les clous des pieds et des mains. Pas un endroit de mon corps, en ce moment, n'était sans douleur. "

Le dernier acte du drame sublime commence. Jésus est élevé en croix, Véronique, à son exemple, commence son atroce agonie.

" Toute chaleur disparut de mon corps qui se glaçait. Je respirais avec peine, j'étouffais. Mon cœur, comprimé par les côtes disjointes, ne battait plus qu'avec peine. "

" J'eus l'amertume du fiel dans toute sa force, ma langue, mes lèvres, mes dents; toute ma bouche suintait du fiel. Ce me fut un tourment si grand que je ne sais pas comment j'ai pu le supporter. "

Voilà la victime élevée en croix. Citons deux passages de cette agonie :

Aux deux heures de la nuit, toutes les douleurs se renouvelèrent. Le Seigneur appesantissait bien fort sur moi le poids de la souffrance, le supplice devenait plus âpre, je perdis la parole, j'étais comme pour expirer.

" J'eus un ravissement subit dans lequel Dieu me demanda quelle grâce je voulais : aucune autres répondis-je, que l’accomplissement de votre volonté. Aussitot, je sentis comme si on m'arrachait le cœur de la poitrine. Je vis, comme en un éclair, l’Enfant Jésus tenant mon coeur; je revins à moi avec un accroissement de souffrance. A la place de mon cœur, je sentais comme un dessèchement. Une grande sueur me vint, une sueur de mort. J'étais raide, endolorie, écrasée de peine. "

"Tous mes nerfs se retirèrent, je crus mourir. Je ne pouvais parler. J'aurais bien voulu revoir mon confesseur, pour qu'il fit la recommandation de l'âme, il m'était impossible de le demander. J'aurais voulu voir la Supérieure pour solliciter la corde et l'habit, mais je ne pouvais articuler une parole (1).

  1. L'usage, dans l’Ordre, voulait que les mourantes demandassent à la Supérieure l'habit de la corde qu’elles portaient, afin de faire acte de pauvreté parfaite, ne possédant même pas le vêtement qui les couvre.
Jésus me disait : " Maintenant c'est l'instant de recommander ton Ordre et tes soeurs et le monde entier, car tu participes à une grande faveur en ressentant les douleurs que mon humanité très sainte souffrit pour le salut de tous, selon la volonté de mon Père Éternel. " 397

Véronique souffre jusque dans la moelle des os; elle souffre une douleur aigue dans la colonne vertébrale, appuyée rudement contre la croix. Elle souffre de la couronne d'épines que le contact de cette croix enfonce plus profondement dans la tête. Les stigmates se rouvrent, saignent. C'est un indicible tourment (1)}.

  1. Le P. Cappelletti vivait encore lors des premières Passions de sainte Véronique. Un religieux dominicain qui assista à l’un de ces Martyres, en rendit compte ainsi au P. Cappeletti alors malade : " Les tourments que la sœur subit étaient plus qu'un martyre. Jamais je ne vis un être humain plus torturé. Les deux nuits où je l'assistai furent effroyables. Ce jour-là le supplice du crucifiement avait duré trois heures après lesquels elle resta comme morte et ne sortit de cet état de faiblesse que pour se confesser.
"Mes peines se sont tant aggravées que je croyais mourir. J'eus toutes sortes de douleurs, mais surtout au coeur. On eût dit qu'on voulait me le couper en deux. Cette souffrance m'unissait à Dieu qui, intérieurement, m'apprenait ce qu'est la vraie vertu. Elle consiste surtout en une résignation parfaite à la sainte volonté et, sans distinguer, prendre tout de sa divine main. Il faut que notre âme ne fasse plus qu'une seule chose avec Dieu, afin qu'il agisse en nous pour sa plus grande gloire, Il faut fuir la plus petite faute, car rien n'est petit devant Dieu.

Vers l'Ave Maria, je me confessai comme si c'eût été une dernière confession... Dieu me donna une douleur de mes péchés et une grande joie. Le sacrement avait raffermi mes forces pour combattre l'enfer. Le démon vint me tenter de toutes façons, mais je demeurai solidement unie à la volonté de Dieu.

Je dis tout cela à mon confesseur. Il voulait partir et moi, qui recevais toute ma consolation de ses secours, je me dis si Dieu veut que j'aie " cette privation ", et je me résignai, me remettant toute à la sainte obéissance.

"Quand mon confesseur se fut éloigné, l'enfer se déchaina contre moi. Je ne m'en troublai pas, je me recommandai à Dieu et à la sainte Vierge, et je demeurai ferme, protestant que j'aimerais mieux mourir que de commettre la moindre faute.

Je désirais toujours souffrir pour plaire au Seigneur et accomplir sa volonté.

Mes souffrances augmentèrent encore. Je tremblais violemment, un ravissement me fit comprendre que je subissais les trois heures d'agonie de Jésus sur la croix. J'étais satisfaite de faire la volonté de Dieu. Je répétais plusieurs fois les paroles de Notre-Seigneur, lorsqu'il priait son père au jardin. Dieu voulait me donner la grâce de me faire goûter peu à peu tous les genres de douleurs qu'il souffrit, et, dans un acte de contrition, les stigmates devinrent beaucoup plus douloureux encore, je restai privée de sentiments.

En ce moment, mon âme fut unie au souverain Bien. Il me donna une lumière pour connaitre la valeur de la souffrance et je compris pourquoi les uns en ont tant d’horreur, et les autres s’y affectionne si fort. Je me mis parmi ceux qui estiment la souffrance. Dieu me plaça alors sur la croix nue. Il me montra combien se font de tort les âmes qui ne veulent pas se résigner à sa volonté!. Mon supplice augmente, je ne pouvais parler, mes douleurs me mettaient à l’agonie, mais je désirais toujours plus les souffrances et les mepris, mes douleurs me paraissaient peu de chose devant l’amour de Dieu.

J'entendis mon confesseur qui me parlait. " Vous disiez que vous partiez, lui dis-je, et vous êtes ici. Oh quelle joie que vous me confessiez! ".

Il me dit qu'il était parti, mais que les religieuses l'avaient rappelé parce que mon état s'était aggravé beaucoup. Il me parla de Dieu et me ranima. Malgré les peines qui m'oppressaient, mon âme s'unissait totalement à Dieu. Dieu lui donnait souvent ses chers embrassements, mon coeur se fondait dans son coeur divin.

Mon Âme s'élevait souvent à Dieu, dans de rapides ravissements, mais mon humanité était accablée de maux. Il m'est impossible de raconter ces maux, non plus que les communications divines.

J'aurais bien voulu faire plaisir au Seigneur et arriver à m'unir à lui d'une facon indissoluble. Je reçus, en réponse, que pour en arriver là, il fallait avoir un ferme propos de faire uniquement la volonté de Dieu, de lui rémettre entièrement en Lui, de le laisser opérer en soi tout ce qu’il lui plait. Tout pour la gloire de Dieu! Laus Deo.

Pendant que ce drame poignant se passait mystérieusement entre Jésus et Véronique, un drame visible assemblait, dans l’humble cellule de la soeur, des témoins émerveillées, stupéfaits et émus.

Le Saint-Office, pour être resté dans le silence plusieurs années après la constatation des stigmates, ne se faisait pas moins renseignée fidèlement par l’évêque sur l’existence de Véronique. Lorsque les souffrances de la Passion commencèrent à se manifester extérieurement chez la sainte, le Saint-Office envoya, pour lui rendre un compte exact des faits, un religieux de la Compagnie de Jésus nommé Giuseppe-Maria Crivelli. C'était un prêtre savant en science mystique, qui, d'abord, avait été missionnaire aux Indes.

Il exigea qu'on recommençât devant lui tous les examens, toutes les expériences précédentes, pour l'étude des stigmates, du cœur blessé, changé, reàrmé, faisant entendre le bruit d'objets miraculeux qu'il contenait, etc.

Lorsque je fus appelée (par l’évêque et le P. Crivelli), je me sentis glacée d'effroi, écrit Véronique. J'eus une frayeur indicible. 400

Jésus en eut pitié, il la vit en extase tout le temps de cette première visite. Il lui avait cependant ordonné très sévèrement de ne rien cacher à cet envoyé de Rome, car il était directement assisté d’en haut pour mener à bien sa mission. En outre, le Seigneur voulut donner un témoignage visible de son amour pour la sainte. Pendant tout le temps que durèrent les études du P. Crivelli, la sainte Vierge communia journellement sa fille bien-aimée. Sans doute, en ne voyait pas la Mère de Dieu, mais les religieuses pouvaient Véronique faisant le geste de recevoir l’hostie sainte, puis le visage illuminé, entrer en action de grâce extatique.

" Je suis sous la roue du moulin, écrit-elle, elle m'a brisée au point que mes membres n'ont plus de vigueur.

Le Jésuite poursuivait son enquête avec une vigueur presque cruelle.

Il m'a ordonné vingt-quatre heures de souffrances, écrit-elle, le vendredi 22 octobre 1714, puis il a voulu que la très sainte Vierge m'ôtat tes instruments du coeur, puis les remit ensuite. Dimanche, le dit serviteur veut que les deux mariages soient renouvelés, celui du coeur et celui de l'anneau, et il veut que la Mère de Dieu me laisse l'anneau toute la matinée.

Si le Seigneur imposait à sa servante ce surcroît de peines, c'est qu'il voulait faire éclater au loin, et pour les générations à venir, les miracles qu'il opérait dans cette créature favorable, en établissant des témoignages indiscutables de leur réalité.

Le P. Crivelli fut nommé confesseur extraordinaire du couvent afin d’avoir tout pouvoir sur Véronique. Il ne douta plus, au bout de quelques essais, de la vérité des phénomènes merveilleux du coeur et des stigmates.

Le Père raconte ainsi, dans ses dépositions, un jour de Passion de Véronique.

La soeur l’avait prévenue que le 29 novembre, fête de Saint André, elle souffrirait les tourments de la Passion, elle la sainte Vierge lui avait ordonner et avertir et qu'il devait y présent.

Le Père eut l’air de ne pas prendre cette confession au sérieux et au retour au collège des Jésuites, après avoir, toutefois, prévenu Mgr Eustachi. Vers onze heures du matin, le 29, un messager du couvent vint rappeller en hâte, lui disant que Véronique se mourait. Il commença par ne prendre aucune attention à cet appel. Un second message le décida à aller chez les capucines accompagné du recteur du collège, le P. Giulio de Vecchj.

La Sœur Véronique, toute pâle, dans sa bure de Capucine, haletante, brisée, était étendue sur son pauvre lit. Les sœurs pour la réchauffer, car elle était glacée, avaient mis sous sa couverture une grosse étoffe de laine, et l’entouraient, touchées de compassion. Le P. Crivelli, en la confessant et en lui faisant répéter les actes des vertus théologales, la réconforta un peu. Elle lui dit que depuis trois heures de nuit jusqu'à l'heure présente, elle avait subi l’agonie du jardin des Oliviers et la capture de Jésus, lorsqu’il fut lié et trainé, conduit aux tribunaux d’Hérode et de Pilate, injurié et abimé de coup. Le Père fit allumer une chandelle dans l’obscure cellule et montra à son compagnon et aux sœurs présentes les traces profondes et bleuies des cordes serrées autour des poignets ; ils furent, avouèrent-ils, saisis à la fois de terreur et de compassion comme on l’est à la vue d'un miracle divin.

La sainte annonca qu’elle allait souffrir la flagellation, et recut avec joie d’exhortation du prêtre accepter par obéissance ce cruel supplice.

Je la vis, dit le P. Crivelli, tellement rouée de coups, flagellée, sur son lit, qu'en vérité c’était à la fois un spectacle effroyable et admirable. Son corps était secoué avec une violence inouie, parfois lancé en l'air, parfois jeté contre le mur où sa tête se heurtait à se casser, si bien que les planches et les tréteaux du lit se soulevaient, et réellement, les murs de l'infirmerie tremblaient comme dans un tremblement de terre. Et même le bruit qui se faisait devint si fort que toutes les soeurs accoururent, craignant que le couvent ne vint à s'effondrer. Je fus obligé de leur dire de se retirer pour que ce spectacle ne redoublât pas leur terreur. Le P. de Vecchj fut tellement troublé et ému par la compassion qu'il ressentait pour les souffrances de la Mère Véronique, qu’il partit épouvanté du terrible mystère qu'il venait d'entrevoir. Il n'avait pas la force de rester plus longtemps et, muet d’émotion, retourna au collège. Après l’avoir laissée environ une heure dans ce tourment, dit le P. Crivelli, je lui commandai de cesser par ces seuls mots : assez, finissez. Et ce fut une chose admirable de voir comment, de la vision divine ou elle contemplait et participait à ce mystère de la Passion, elle revint immédiatement à elle et (prodige d’obéissance) rentra dans la paix et le calme.

Le P. Crivelli voulut alors dire sa messe et, connaissant foi obéissante de Véronique, Il lui commanda de se lever, d'aller au choeur seule et sans aide et d'entendre sa messe à genoux. La sainte obéit avec agilité et empressement. La messe finie, le prêtre lui ordonna de retourner à son lit, et lorsqu'il revint à l'infirmerie avec l'Abbesse Maria Tomassini et d'autres religieuses, il lui ordonna de continuer la suite de la sainte Passion.

On vit alors se renouveler le couronnement d'épines, la tête enfla, devint si brûlante que les sœurs ne pouvaient y garder la main. En examinant cette pauvre tête qui ne pouvait s'appuyer sur aucun soutien sans d'atroces tourments, elles virent qu'une oreille était comme brûlée et l'autre toute gonflée, ainsi qu'il arrive après avoir reçu un violent sountet ou un coup. Ce fut ensuite le portement de la croix la montée au Calvaire, qu'on pouvait suivre des yeux par les diverses douleurs indiquées par ses gestes.

Je vis, continue le P. Crivelli, je vis se succéder les myustères du crucifiement et de l’agonie, et certes, j'aurais assisté en personne au supplice de Jésus que je n’aurai pu kieux le contempler. Dès que je lui eus permis, en vertu de l’obéissance, de souffrir ce martyre, je la vis s’étendre et ouvrir les bras en croix, tellement tirés et distendus qu’on voyait les nerfs des mains gonflés et raidis, et les bras allongés et durs, ainsi qu’il en serait si elle avait été attachée à une croix. Les pieds étaient également, tirés, sa tête se penchait sur poitrine qui haletais péniblement comme un moribond dans une agonie affreuse, son visage se couvrait d'une sueur glacée et tous les signes de l'angoisse mortelles, de spasmes de mort, d'indicibles souffrances, s'offraient à nos yeux apitoyés. Après être restée environ une demi-heure dans cet état, la voyant presqu'au dernier soupir, je mis toute ma confiance dans une vive foi en la sainte obéissance dont j'avais vu les preuves si prodigieuses et lui intimai t’ordre de cesser ces tourments. Elle fut à l'instant délivrée de toute peine, et (preuve nouvelle de l’oeuvre divine) il ne lui resta plus qu'une grande faiblesse. 405

Le P. Crivelli, pour la ranimer, lui mt réciter les actes de loi, d'espérance et de charité avec les exorcismes habituels, puis lui fit réciter l'office du jour en sa présence avec la Mère Ceoli. Comme Véronique avait annoncé encore au prêtre qu'elle devait souffrir aussi ce jour-là, les douleurs de la sainte Vierge, il lui donna l'obédience de les souffrir en lui disant qu'il voulait s'assurer par lui-même des mouvements du cœur (1).

  1. Véronique avait dans la coeur les sept glaives douleurs de Marie.
En effet, continue le P. Crivelli, les douleurs de la sainte Vierge résonnaient dans son cœur si distinctement que j'entendais un à un (les glaives) frappant et s'agitant comme le mouvement d'une pendule et je voyais très bien que ce bruit venait vraiment du cœur de la mère Véronique par l’agitation de la respiration qui soulevait douleureusement sa potrine. Je lui commandai de finir, et cela cessa. Vers minuit, je lui ai apporter un peu de nourriture que je benis et je la vis manger sans les nausées ordinaires qu'elle avait toujours.

On ne sait ce qu'il faut admirer davantage, de la foi, de l’obeissance, de l'amour de Dieu et des âmes, dans Véronique compatiente et co-rédemptrice. L'héroisme ici semble dépasser les limites humaines.

C'est avec joie qu'elle reçoit les ordres du P. Crivelli. Ils sont pourtant capables de faire frémir les plus courageux. Il arrive un jour dans l'église des capucines avec Mgr Eustachi. L'évêque, après avoir écouté son rapport sur la journée de souffrances extraordinaires, avait désiré voir par lui-même la terrible Passion de la sainte.

On appelle Véronique à la grille de la communion; et le P. Crivelli, au nom de la sainte obéissance, lui ordonna de souffrir le crucifiement debout à la vue du prélat. La sainte se met en oraison aussitot.

Tout à coup, dit P. Crivelli, d'un bond elle se dressa sur ses pieds, les bras violemment tirés en croix. Son corps s’allongea avec violence comme si réellement elle avait été écartelée sur une croix. Des soubresauts douloureux agitaient son corps, faisant trembler les bancs du chœur au point que les religieuses, de leurs cellules, percevaient la trépidation. J’entendais craquer les jointures des os, je voyais les mouvements convulsifs des nerfs et des bras.

C'était un spectacle à la fois épouvantable et merveilleux. Je voulais profiter de l’occasion pour faire quelques expériences et voyant que ses soubresauts douloureux la lançaient en l'air, je lui dis :

" Plus haut, plus haut!. " Elle s'éleva alors de façon à ce que ses pieds me touchassent plus la terre, puis elle descendit aussitôt. Elle resta ainsi un certain temps dressée sur ses pieds, puis tomba raide face contre terre sur le pave du choeur oit elle resta dans la même attitude, les bras étendus, le corps allongé et distendu, puisse releva aussitot toujours en croix et tout d'une pièce comme si une autre personne l’eut dressée sur ses pieds. Après une demi-heure de ce supplice, Mgr l’Évêque et moi jugeâmes qu'il serait bon de le faire cesser. Je lui en donnai l'ordre, et nous la vîmes en un instant, humble et soumise, à genoux devant nous, de l’autre coté de la grille. 407

Le Père l’interrogea sur ce qu’elle était tombée tout à coup la face contre terre. Elle répondit: " Ce fut quand on retourna la croix, lorsque les Juifs, après avoir crucifié Jésus, voulurent rabattre les clous des pieds et de mains de l’autre coté de la Croix. "

Véronique ne se plaignait pas, mais après ces instants d’affreux supplices, les soeurs devaient la frictionner pour la réchauffer, l’entourer de couvertures brulantes et la coucher sur son lit. Une etrange sensation à la fois de brulure et de glace lui ote les forces jusqu’au moment ou un ordre du confesseur rappelle au choeur et lui ordonne de reprendre l'observance.

Elle ne demande qu'une chose, c'est que Dieu lui ôte toutes les marques visibles de ses faveurs divines, car elle ne s'habitue pas à être l’objet de l'attention des hommes, c'est un autre genre de supplice tout aussi cruel pour son humilité, et plus difficile à accepter avec résignation.

Dieu, dans une vision toute de gloire et d'amour, l'avait constituée, à la face de toute la cour céleste, la maitresse du trésor de ses grâces, et lui en avait remis la mystérieuse clef dont elle ne garderait la possession qu'autant qu'elle resterait unie de souffrance et de volonté à son Époux Jésus.

Elle était arrivée à cette union complète. Jamais plus elle n'hésitait à accepter un tourment ou une épreuve. Souvent, pour l'éprouver, ses supérieurs lui refusaient l’assistance du confesseur. " Cette privation me brulait, écrit-elle, mais je me remettais à la volonté de Dieu. "

Un jour, un démon, sous la forme d’une soeur, arriva auprès du lit ou la sainte agonisait, et lui annonça que le confesseur et la supérieure ne voulaient plus entrer dans sa cellule. Malgré sa faiblesse extrême, Véronique devina l’ennemi. " Je sais que vous êtes le démon, lui répondit-elle avec peine, car elle n’avait pas la force de parler. Vous croyez que je vais m’impatienter et manquer à l’obéissance. Detrompez-vous. Quand Dieu voudra, il fera venir un confesseur. Pour moi, je ne veux que sa sainte volonté ! "

Cette sérénité et cette patience dans la souffrance ne se démentit jamais.

Lors d'une de ces heures de martyre où la sainte paraissait prête à rendre Mme, son confesseur, appelé pour l'aider, lui demanda " N'est-il pas vrai, soeur Véronique, que la souffrance est un grand bien. Ne voudriez-vous pas avoir en vous aimé même de Notre-Seigneur pour souffrir plus?

Je veux souffrir avec Dieu et pour Dieu, répond la sainte, dans un élan d'ardeur. Mais je ne veux souffrir que pour lui être agréable et accomplir sa volonté.

Ô combien elle est suave, la volonté de Dieu, reprend le prêtre, comme elle est aimable.

Je ne veux que cette volonté réplique avec force la sainte, et i’il le veut, à cette heure, je suis prête à lui demander de redoubler mes souffrances.

Ce mot seul peint sainte Véronique. 410

CHAPITRE XIX

SOUS LA ROUE DU MOULIN. LA CONFESSION. VISIONS PROPHÉTIQUES. LES ANGES GARDIENS.

Véronique dut encore rester longtemps " sous la roue du moulin ", ainsi qu’elle le disait pittoresquement, pour exprimer la mortification profonde que lui imposait le Saint-Office. Les expériences sur son humble personne la supplicaient plus que toutes les torutures corporelle. Le P. Crivelli n’épargnait pas la pauvre sœur. Il était d’une inexorable dureté. Pas une minute il ne lui permettait d’agir librement, selon sa volonté ou se sgouts. Elle ne pouvait rien faire que par ses obéissances et avec quelle sévérité il lui donnait ses ordres! Combien souvent, ils étaient pénible, on pourrait dire " déraisonnables " s’ils n’avaient pas été la conséquence d’un plan sagement concu pour éprouver la sainteté de Véronique. Parfois, lorsque la sœur se préparait à la communion , il la lui refusait ou bien si, après le martyre d’une nuit de purgatoire ou de crucifiement, elle gisait brisée sur son lit, attendant le divin viatique, le Père lui faisait dire de se lever et de venir communier à l’église, ou encore il voulait qu'elle assistat à l'office au choeur, qu'elle reprît l'observance. Toujours la sainte obéissait, joyeuse, sereine, empressée, sans un mot, sans un geste de lassitude, de reproche ou même de fatigue. Son journal nous dit pourtant comme elle souffrait. Le recteur du collège des Jésuites, le P. de Vecchj, le même qui n'avait pu supporter jusqu'au bout la vue du supplice de Véronique, reprocha au P. Crivelli sa dureté pour la pauvre Sœur, se faisant l’echo de la pitié des autres religieuses qui trouvaient aussi que l’envoyé du Saint-Office dépassait les bornes de sa mission. Véronique, apprenant ces choses, s'en montra fort affligée et protesta contre ces reproches. " Jamais, dit-elle, l’Indien, ainsi appelait-elle le P. Crivelli, jamais l’Indien n'avait manqué de bonté envers elle, et d'ailleurs il n'agissait que par ordre de l’évêque.

Il est probable, cependant, que ces reproches avaient quelque raison d'être, car, vers la fin de sa vie, Véronique reçut l'ordre de Dieu de faire une grave réprimande au P. Crivelli et de lui annoncer qu'il devrait subir une sévère punition pour ses fautes.

Ce qui augmentait les tristesses de la sainte, c'était l'absence du bon P. Tassinari, le successeur, auprès d'elle, du P. Cappelletti, et le confesseur ordinaire des sœurs. Il était sujet à des attaques de goutte et souvent retenu dans son couvent. Il ne pouvait donc pas consoler sa pénitente qui restait seule, sans soutien.

Vous pensez, Père, comme je souffre, lui écrivait-elle, pendant les "experiences" du P. Crivelli.

Il arrivait des moments où, seul l'expression populaire, la patience d'un saint eut été à bout. Le P. Crivelli, par exemple, se mettait à gronder durement Véronique pour n'avoir pas mis assez de détails dans son journal et l'obligeait à recommencer. Ce jour-là, elle était cuisinière. Comment obéir au confesseur et suivre l'observance en même temps? Sans le secours d'en haut, souvent miraculeux, la sainte n'aurait pu concilier deux devoirs ainsi opposés. L'évéque lui-même faisait dire à Véronique de recommencer le journal et la pauvre Sœur en était réduite à écrire au P. Tassinari pour lui demander d'intercéder pour elle.

Heureusement pour notre sainte, le P. Crivelli, appelé par le duc de Toscane à une mission importante, quitta Citta di Castello. Ce fut un doux repos.

La vertu d'obéissance fut une des grandes vertus de sainte Véronique et sa piété pour le sacrement de pénitence une des plus belles manifestations de sa foi. Le Seigneur voulait clairement ranimer la foi de ce sacrement, par l'exemple de sainte Véronique.

Quand la Mère Véronique sortait du confessionnal, dit, la, soeur Florida Ceoli, nous la voyions, d'une beauté ravissante, le visage enflammé resplendit comme un être céleste. Elle était vraiment plongée en Dieu.

414

Aussi en profitions-nous pour l’interroger sur les faveurs que Dieu lui concédait. En ces moment-la, elle était encore en une sorte d'extase et nous repondait sans rien cacher. Puis un instant après elle ne se souvenait plus de ce qu’elle nous avait dit.

Un fait absolument inoui qu'on aurait peine à croire s’il n’était affirmé par le P. Crivelli

et d’autres témoins dignes de foi, vient démontrer une fois de plus l’immense pouvoir du confesseur.

En l’absence du P. Crivelli, un autre Jésuite, le P. Cursoni, confessait la sainte.

Un jour, après la confession, le Père lui dit brusquement:

" Après votre communion à la messe, je veux que vous alliez à Lorette visiter la très sainte Vierge, mais, auparavant, vous devez aller demander au P. Crivelli sa bénédiction et la permission de faire ce voyage. Je vous ordonne ensuite d'aller immédiatement à Pérouse et je veux que vous y trouviez l'endroit où repose le corps de la bienheureuse Colombe (1).

Il lui donna encore un ou deux autres sanctuaires à visiter.

Véronique fut atterrée. Comment obéir à un ordre aussi étrange, en opposition directe avec la règle de clôture?

(1) La Bienheureuse Colombe de Rieti, morte en 1501, fonadtrice de l’Ordre des Tertières dominicaines, avait été enterrée dans une église de Pérouse démolie ensuite. On recherchait son tombeau en 1714. Colombe de Rieti (Rieti, 2 février 1467 - Pérouse, 20 mai 1501) est une mystique italienne membre du tiers-ordre dominicain. Elle ne voulait pas discuter, elle était saisie d’une profonde angoisse. 415

Ne vois-tu pas que le confesseur est fou, lui souflait le démon en ricanant. Il est impossible que tu lui obéisses.

Mais la sainte avait la foi qui transporte les montagnes.

Au lieu de discuter l’ordre recu, elle fit un acte de parfaite obéissance, en se remettant entre les mains de la sainte Vierge, modèle de soumission.

"Je ne sais comment cela se fit, écrit-elle, je crois bien que je n'étais plus dans mon propre sens. Ce ne fut cependant pas un ravissement comme les autres. Je vis le Père confesseur et mes anges me mener dans une église où était le P. Crivelli. Je lui demandai bénédiction et obédience, puis, aussitôt que je l'eus reçue, je me trouvai dans l'église de Saint-Dominique à Pérouse. Je n'y appris pas où se trouvait le corps de la bienheureuse Colombe, mais je sus que le P. Crivelli trouverait ce saint corps, quand il viendrait dans cette ville. Je dis tout ceci par obéissance, mais je ne donne aucune importance à ces choses."

Véronique poursuit son voyage. Elle est transportée à Assise dans la grande église, à Tolentino, où elle vénère la châsse de saint Nicolas, et enfin à Lorette où la Mère de Dieu elle-même la reçoit et la comble de toutes sortes de graces. (1).

  1. L'opinion des prêtres qui ont eu à juger ce voyage miraculeux penche pour une vision plutôt que pour un fait de bilocation. Mais cette vision fut réelle, Véronique vit réellement les lieux qu'elle devait visiter. Le P. Carsidoni dit qu'elle décrivait dans leur minutieux détails les églises qu'elle avait visitée par son ordre. Elle n’aurait pu le faire avec tant d'exactitude sur des oui-dire. Elle devait les avoir vues elle-même.
Après le retour du P. Crivelli, se passa un autre fait ou le confesseur joue encore un role miraculeux.

En aidant la soeur Ceoli, Véronique, par distraction, mit la main sur un réchaud allumé. Elle voulut retirer sa main et ne put le faire, une force inconnue maintenait cette main sur le réchaud. Un éclat de rire strident lui apprit qu'elle était encore la victime d'une méchanceté du démon. La sœur Coeli s’étonnait de la voir garder sa main sur le réchaud. Véronique répondit en souriant : Je crois que le démon me joue encore un tour de sa facon.

Il fallut les efforts réitérés des deux soeurs pour dégager la main dont les doigts étaient tellement brulés que les ongles avaient disparu. L'infirmière appelée mit un onguent qui redoubla le mal. En ce moment, le P. Cursoni la fit appeler au confessionnal. Au lieu de s'excuser, elle y courut. Mais la

brulure était si douloureuse, qu'elle ne pouvait rester tranquille. Sur l'interrogation du confesseur, elle avoua ce qui venait de lui arriver.

"Je crains, ajouta-t-elle de ne pouvoir, aujourd'hui remplir mon office.

Soyez fille de l'obéissance, répondit le Père que vous commande, au nom de la sainte Trinité, de laisser guérir votre main.

Je sentais une douleur excessive, écrit-elle, mais à ces paroles un doux rafraîchissement y succéda. O Dieu! qu'est-ce que je sens? m'écriait-je.

Ayez la foi, repartit le confesseur. Je veux que vous guérissiez maintenant. Obéissez, sans quoi vous auriez à répondre de votre désobéissance.

Père dis-je, je cela être vraiment guérie, je ne sens plus aucune douleur, mais ma main reste sans forces.

On interrompit la confession pour appeler Véronique de la part de l’évêque et du P. Crivelli qui demandaient la soeur à la grille. Ils purent constater que la main était saine et sans même une trace de brûlure.

La sœur Ceoli et l’infirmière, appelées, demeurèrent stupéfaite à la vue de ce miracle. Les exemples de cette obéissance parfaite de la sainte à ses confesseurs sont innombrables. Parfois elle semblait même dépasser les bornes de la raison si l'on peut s’exprimer ainsi. Véronique ne discutait jamais un ordre de ses Supérieurs, comme elle le répète souvent dans son journal. Sa foi en la vertu d'obéissance lui faisait accomplir tout commandement parce que ce commandement pour elle c’était la voix de Dieu. C'est ainsi que mourante, elle n'insitait pas à se lever, à au chœur ou à reprendre les plus durs travaux, sur l'ordre de son confesseur. 417

De même, elle acceptait tout ce qu'ils lui disaient comme dit par Dieu même, avec un oubli d’elle-même, une humilité, une douceur merveilleuses. Un jour, le chanoine Carsidoni, la confessant se mit à la gronder très fort, pour l’éprouver, puis finit par lui dire qu’elle était digne d’être brulée. La sainte, persuadée que le confesseur disait vrai, sortit humblement du confessionnal et se dirigea vers la cuisine pour se jeter dans le feu. Elle s'y serait jetée si le chanoine, craignant tout à coup que ses paroles fussent interprétées à la lettre par sa trop obéissante pénitente, n'eût fait courir après elle des soeurs qui l'arrètèrent à temps.

C’est le chanoine Carsidoni lui-même qui a raconté ce fait. " Sa soumission était si parfaite, conclut-il, qu’elle éxécutait tous les ordres de ses supérieurs sans réfléchir s'ils étaient exécutables ou non.

Tous les confesseurs ont apporté à peu près le même témoignage. On ne peut compter les guérisons soudaines obtenues par un simple ordre de leur part. En voici une due à la puissance sacerdotale du P. Crivelli:

Ce Père, écrit encore Véronique, fit un autre miracle sur ma personne lorsqu'une espèce d’hydropisie me survint, m'occasionnant une très douloureuse enflure qui me rendait lourde comme un paquet de plomb. Mes nuits étaient bien pénibles, mes entrailles me paraissaient prêtes à se déchirer, tout mon corps était comprimé dans un cercle de fer. J'étais très faible, je ne pouvais me tenir debout, ni réciter un psaume. 419

Ces gonflements disparaissaient quelques-fois, au commandement de l’obéissance, mais ils revenaient ensuite. Le Père m’ordonna de prier la sainte Vierge de me débarasser de ce mal. Il spécifia que cette grâce devait m’être accordée pendant sa messe. En effet, au moment ou il donnait la bénédiction, toute enflure disparut.

Pour constater surement ce miracle, le Père me fit examiner par cinq sœurs. Elles certifièrent qu’il n’y avait plus de trace de gonflement et le Père commanda à la maladie de ne plus revenir. (1).

(1). Grâce à Véronique, le P. Crivelli put délivrer du purgatoire son père et son oncle morts depuis quelques années, puis sa mère morte en 1716. " Je la recommandai à la mère Véronique, dit-il. Après avoir prié, elle me dit qu’elle était encore dans le purgatoire, mais que la sainte Vierge la délivrerait si elle avait ma permission de souffrir pour sa délivrance. Je le lui permis en limitant ses pénitences à quelques heures par jour. Au bout de quelques jours la mère Véronique me dit l’avoir vu sortir du purgatoire pendant que je disais la messe. Je lui répondais que je ne pouvais me contenter de sonassurance et que je voulais avoir un signe de cette libération. Elle devait prier la sainte Vierge de me le donner, je le lui ordonnai. Nous étions alors dans un confessional. Elle se recueillit aussitôt et se mit à prier. Tout à coup j'entendis sous le pavement, sous mes pieds des coups profonds et forts. Étonné et effrayé à la fois, je dis : Deo Gratias, et j’appelai la mère Véronique plongée en extase. Je lui demandai ce qu’étaient ce coups, et elle me dit n’avoir rien entendu, et ne pouvait me donner aucune explication. Je lui dis de reprendre sal contemplation, alors les coups recommencèrent et continuèrent, j'en étais vraiment épouvanté. Je l’appelai de nouveau et repetai ma question. Elle me répondit que la sainte Vierge lui avait dit que ces coups étaient le signe que j'avais demandé pour être certain de la libération de l’âme de ma mère. Le nombre de coups indiquait les jours que cette âme eût du passer en purgatoire si on n'avait prié pour elle. À mesure que Véronique croissait en perfection et quelle était élevée toujours plus haut dans les sphères les plus sublimes du mysticisme, le Seigneur exigeait d’elle plus de soumission au confesseur, une obéissance plus absolue. Lui-meme, pour l’affermir dans cette obéissance, pour montrer avec plus d'éclat la puissance de ce sacrement, daignait s'astreindre à obéir. Désormais, il ne donnera de faveur à la sainte qu'après avoir obtenu la permission du confesseur. C'est ainsi que la sainte Vierge, quand elle annonce à Véronique qu'elle viendra la communier, lui ordonne d'en demander d'abord la permission. S'il y a un pécheur à sauver, une âme à recommander, le salut et la délivrance ne seront donnés qu'avec l'assentiment du même prêtre.

Rien n'égalait la reconnaissance de Véronique pour ses confesseurs. Elle recevait sur eux beaucoup de révélations, voire même des messages célestes à leur communiquer, des avis à leur donner, des reproches même à leur faire. Elle voit la sainte Vierge bénir ses deux confesseurs les PP Tassinari et Cursoni à cause des grandes peines qu’ils se donnent pour conduire son Ame.

Entre les huit et neuf heures, écrit-elle une autre fois, la sainte Vierge m’a assurée de nouveau que ces deux Pères doivent conduire mon âme. Elle me rappela les commandements que j’avais d’eux, qui sont toujours concordant, comme s'ils les avaient préparés ensemble. Ma chère maman me montrant les deux Pères, me dit : " Tout ce qu’ils te diront, fais-le, car ils sont tes guides, tu dois, ma chère fille leur obéîr en tout. "

Une autre fois encore, elle voit l’Enfant Jésus, tenant par la main saint Francois Xavier, embrasser tendrement son confesseur pendant qu'il célébrait la messe.

Tous les saints, écrit-elle, demeuraient stupéfaits de toutes les grâces que Jésus faisait à mon père.

Elle avait très souvent des revélations sur ses confesseurs pendant qu'ils célébraient le saint sacrifice. Elle voyait l’état de leurs âmes; citons, entre de nombreux exemples de cette pénétration miraculeuse des âmes, ce qu'elle dit du P. Crivelli lorsqu'il revint en 1716 à Citta di Castello pour recommencer ses expériences.

Elle vit, pendant qu'il disait la messe, son âme comme un globe de pur cristal, sur lequel auraient rejailli quelques éclaboussures et sut en même temps que c'étaient les légers imperfections qui maculaient son âme, parce qu'il ne s’était pas confessé ce matin-là. Plusieurs fois ainsi elle vît les grâces que le ciel concédait au même Père comme autant de rayons de lumière qui se dirigeaient le vers son cœur.

Le Seigneur révélait encore bien d'autres choses à la sainte. Aucun des événements du monde ne lui étaient inconnus. Hérésies, guerres, épidémies, querelles entre les peuples, elle voyait tout cela, elle devait prier pour tous. Elle recevait non seulement la connaissance des faits actuels, mais encore souvent des prophéties concernant l'avenir des nations ou des individus.

Mais ce qui lui causait le plus de tristesse, ce qui redoublait son ardeur de médiatrice et lui donnait un fardeau écrasant de souffrances expiatrices à accomplir, c'était le danger que courait la chrétienté menacée par les Turcs.

En 1713, l’éternel ennemi du nom chrétien, le croissant de Mahomet, reprenait toute son audace devant les dissensions des peuples et l’aveugle et coupable politique des rois. Rompant le traité juré à Carlowitz en 1699, le grand Turc rassemblait les masses redoutables de ses soldats et les poussait vers les frontières des pays catholiques. Ils s'emparaient de la Morée, menaçant Venise et l’Italie.

Des visions prophétiques lui montrent le Seigneur irrité, préparant à la terre les plus terribles maux.

Il me semble, écrit-elle, que Dieu tient sa verge de justice en main pour punir les coupables, les chrétiens qui deviennent hérétiques, les inventeurs de mensonges et d’impiété qui pullulent dans la sainte Église.

Ma fille, me dit la sainte Vierge, il n’y a plus de foi, dans les fidèles, ils vivent en incroyants, ils méprisent les sacrements, ils profanent le sang de mon Fils. Tout ce que je te révèle et te fais voir, dis-le à mon serviteur (1). 423

  1. Le serviteur dont il s’agit est le P. Crivelli. Son zèle ardent de missionnaire était connu et le pape Clément XII aimait beaucoup ce religieux. Le ciel l’avait placé auprès de Véronique pour être son porte-voix auprès du Saint Siège et lui communiquer les révélations que le Seigneur faisait à la sainte, concernant l'Église et le monde chrétien.
Si le Saint Père veut obtenir que Rome échappe à ses ennemis (les Turcs), il faut qu’il ordonne des processions de pénitence et que le peuple s'y joigne, il faut qu'ils supplie avec ferveur le ciel irrité. Car les ennemis du Christ sont une masse innombrable. Ils se préparent à envahir la capitale du monde chrétien. Ils on juré de faire leur demeure là où habitait le vicaire du Christ, et dans l’église de Saint-Pierre dévastée, ils mangerons leurs orgies.

Je vis la guerre contre la sainte Église. Je voyais dans les airs trois lances dont les pointes étaient tournées vers la terre. Elles devaient lancer la vengeance contre la chrétienté. Je me prosterné devant la très sainte mère est m'offris à toutes les peines, croix et tourments. Elle me dit : Ma fille, les chrétiens et les religieux offensent Dieu: indignement. Tu vas voir les vengeances divines s’exercer sur " eux ". Et je voyais les trois lances en l'air; se détachant lentement des nuées et tournant, tournant en cercle, me causant un indicible effroi. " Très sainte Vierge, m’écriai-je, faites le signe de croix sur ces trois lances, afin que, par votre puissance, elles retournent en haut. Je les voyais s'approcher toujours de la terre. La sainte Vierge, alors, fit le signe de la croix, elles se sont aussitôt renversées et la pointe en haut et ont disparu. A leur place apparurent trois signes de paix: la croix et deux étendards. Sur l’un de ceux-ci était représenté Jésus crucifié entoure d'un ornement composé du nom de Jésus entrelacé et resplendissant. L'autre montrait la Vierge de douleur levant les yeux vers l'étendard sur lequel on voyait Jésus.

A l'instant, ces deux étendards se réunirent en un seul et je sus que la Mère de Dieu avait obtenu la grâce d'épargner à Rome d'être envahie par ces chiens de Turcs. Mais elle veut qu'ont prie, qu'on ravive sa foi, qu'on s'amende, car les Turcs feront de grands ravages en d'autres villes.

La sainte voyait en effet les contrées danubiennes désolées par l'invasion infidèle, arrêtée ensuite par la célèbre victoire du prince Eugène de Savoie à Péterwardein (Petrovaradin, Serbie), le 5 Aout 1716, victoire qui mettait fin à la puissance musulmane et de l’ère des croisades.

Une autre vision plus épouvantable encore, montrait à Véronique les ravages du péché dans le monde et l’horrible pouvoir de Lucifer sur les âmes. 425

La sainte Vierge obligea la sainte à parcourir les enfers parce qu'elle veut donner encore aux prières et aux pénitences des ame, plus de ferveur et de piété pour les sauver les âmes.

Elle vit le monde comme une immense montagne grouillante de bêtes immondes qui sont les péchés. Parfois la masse hideuse s'entrouvre pour montrer les âmes des pécheurs qui, toutes, sont liées à un démon, et quand la montagne se fend, l’abîme de désolation apparait dans ses profondeurs lugubres et, sur un trône d'épouvante, Lucifer, horrible d'une horreur indescriptible, assis sur Judas le déicide, dirige son empire de haine sur terre et pour l'éternité (1).

" Mes anges m'expliquèrent, dit-elle, que de même qu'au ciel la vue de Dieu fait le bonheur des élus, de même l'abominable face de Lucifer fait le tourment des damnés. "

"Je serais morte d'épouvanté si je n'avais été accompagnée de mes anges et aussi, d'une façon cachée, de ma très chère mamanla Vierge Marie. L'enfer ne peut être compris par les hommes personne ici-bas ne peut se figurer la violence des tourments infernaux.
 
 

  1. Cette vision, la plus effrayante du journal de Véronique, contient une description de l’enfer digne du Dante.
A la fin de l'an 1715, Véronique éprouva une grande douleur. Le saint et pieux prélat qui la dirigeait depuis tant d'années, Mgr Eustachi mourut. C'était une perte immense pour la sainte. Pour l’évêque, ce fut un gain, car en précédant là-haut la pieuse fille, il gardait sur la terre une expiatrice. Malgré sa grande vertu, il avait encore un léger compte à rendre à la justice divine. Mais Véronique se confina au purgatoire et, au bout de trois jours, il montait au ciel (1). Elle apprit également par révélation l’élection du successeur de Mgr Eustachi. Une vision lui montra une mitre dans les nuées sur laquelle se dessinaient d'abord les lettres A et C, initiales de Mgr Alexandre Codebo, puis les lettres M. V. D. P. D. O. que l'on interpréta à cause des éminentes qualités du prélat par cette légende : Mariae Virginis. Devotus, Pasto, Ecclesiae Optimus. Ce fut en effet un digne successeur du Borromée de Citta di Castello. Plus heureux que lui, il put assister aux premières enquêtes ordonnées par Rome pour la béatification de Véronique, à laquelle il prodigua son dévouement avec autant de zèle et de prudence que Mgr Eustachi.

Mais aussi, le nouvel évêque recevait de grandes grâces par l'intermédiaire de Véronique.

  1. La sœur Marie Tommasini dit ceci au procès : " La nuit où mourut Mgr Eustachi, la servante de Dieu allait tout le temps au chœur prier Dieu pour lui. Quelques jours après sa mort, le P. de Vecchi, alors confesseur extraordinaire, me dit que le prélat avait été délivré du purgatoire au bout de trois jour par les prières et les souffrances de la dite servante de Dieu, laquelle pâtissait encore pour lui."
Il était venu célébrer la fête de sainte Claire chez les capucines et y disait la messe.

Quand le prélat commenca le Confiteor, écrie la sainte, j’ai fait mentalement ma confession aux pieds de la très sainte Vierge, j'ai été ravie en extase comme ordinairement.

" La sainte Vierge a ordonnée aux saints qui l’entouraient de faire une couronne au prélat et de l’assister pendant sa messe ; elle a donnée ce même ordre à mes deux anges gardiens et lorsqu'il a consacré les saintes espèces, tous ont prié pour lui. La très sainte Vierge lui a donne sa bénédiction et s'est tournée vers moi en me disant: " Ma fille, recommande toutes les intentions de mon dévot serviteur ". Puis m'appelant près d'elle, elle a posé ma tête sur sa poitrine et mon âme vecut alors des communications que je ne puis redire.

" Mon cœur s'est uni à celui de Marie. Elle m'a fait voir ma mère sainte Claire à côté d'elle. Quand le prélat a mis un morceau de la sainte hostie dans le calice, la Mère de Dieu l'a encore béni ainsi que toute la communauté et quand le prélat a communié, j'ai fait la communion spirituelle en préparation à la communion sacramentelle. "

" Quand le prélat bénit le peuple, à l’Ite missa est, Marie l’a encore béanie largement."

Nous avons vu Véronique parler à plusieurs reprises de ses anges. C'est qu'en effet la sainte vit s'augmenter le nombre de ses protecteurs jusqu'à en compter quatre. Elle avait toujours eu, dès son enfance, une grande dévotion à son ange gardien et a plusieurs fois, éprouva des effets visibles de sa protection. Depuis qu'elle était entrée au couvent, le fidèle gardien de la soeur avait fort à faire pour la défendre contre les attaques diaboliques.

A mesure qu'elle s’élève en sainteté, Véronique doit pénétrer de plus grands mystères.

Sa mission expiatrice et médiatrice la mène du ciel au purgatoire et jusqu'au fond des enfers. A la suite de Jésus et de Marie, elle convertira les pécheurs; par la puissance de sa prière, elle détournera des peuples révoltés le bras vengeur du Tout-Puissant; ainsi ce n'est plus seulement le tentateur qui viendra pour essayer de la troubler ou de l'effrayer, c'est, comme elle le dit elle-même, " tout l'enfer qui se déchaine contre elle ". Qui donc va la défendre contre la fureur diabolique? À mesure que son œuvre d'expiatrice devient plus importante, le Seigneur augmente le nombre de ses anges gardiens, elle en reçoit deux, trois, même quatre. Le P. Tassinari a dit au procès : " Elle était très dévote à son ange gardien et aussi aux trois autres anges que la sainte Vierge lui avait donnés pour l'assister! "

La sainte voyait souvent ses anges dans ses visions, soit qu'ils la maintinssent sur le bord des abîmes infernaux, soit qu'ils la transportassent jusqu'au trône de Dieu. Mais plus souvent encore, ils l'aidaient dans les travaux de ses nombreux emplois, si fatigants pour ses nombreux emplois, si fatigant pour ses mains stigmatisées, ils l’a soutenaient quand elle se levait, agonisante, pour répondre aux ordres de son confesseur. Ils étaient ses messagers fidèles, les paranymphes de l'épouse qui leur avait été confiée par l'époux lui-même pour la garder jusqu'au jour des noces éternelles (1). 429

  1. D’après l’école angélique, aux âmes destinées à une plus haute protection, ou appellées à une charge importante pour l’Église, Dieu donne des anges gardien plus élevés en dignité, sans que l’Ange gardien donné en recevant la vie, soit enlevé à sa mission.

 
 

CHAPITRE XX

LA NOVICE DE MARIE. L'ABBESSE. LE TABLEAU MIRACULEUX. LE P. TASSINARI. VÉRONIQUE ABBESSE.

Véronique était remise en possession de la charge de maîtresse des novices qu’elle remplit avec un zèle et un dévouement continus, malgré ses multiples souffrances. Jamais aucune de ses maladies, jamais les terribles heures de la Passion ou du purgatoire ne l'empêchèrent d'être exacte, ne lui firent abandonner la surveillance et la formation des jeunes âmes à elle confiées.

Le Seigneur, d'ailleurs, lui donnait généreusement les grâces nécessaires pour bien remplir cette oeuvre si imposante de la préparation à l'état religieux. A sa brillante intelligence naturelle, il ajoutait renvoi de son Esprit-Saint qui lui donnait des lumières extraordinaires dans la direction des âmes. Souvent même pour l'acceptation des novices, Jésus lui désignait celles qu'il désirait voir entrer au couvent, ou lui faisait connaître les novices plus chères à son cœur.

Mais la sainte, dans sa profonde humalité et défiait toujours d'elle-même. Elle craignait tellement de n'être pas à la hauteur de sa tâche quelle vivait dans une crainte perpétuelle.

Afin de s’assurer un guide sûr et une conseillère infaillible, Véronique eut l’idée de se mettre tout particulièrement sous la direction de la Mère de Dieu. De même qu'elle était maitresse des novices de même elle voulut être la novice de Marie. 431

La sainte Vierge, de plus en plus, dévoilait son affection à celle qui aimait tant son fils. Sans doute, la Mère de Dieu avait toujours montré pour Véronique une tendresse toute maternelle, mais à mesure que l’humble soeur devenait plus parfaite, la Reine du ciel prenait une part plus active à tout ce qui la concernait. Elle finira par être, pour ainsi dire, inséparable de celle qu'elle appelle si tendrement " ma fille " et Véronique, tout naivement, la nomme " sa chère maman ".

Marie accepta donc la proposition de Véronique, elle consentit à l’aider dans sa tache de maitresse des novices et le jour de la Presentation de l’an 1708, la sainte, dans une protestation solonnelle, se consacrait comme novice de la Reine du ciel et promettait de faire désormais de sa vie une étude constante des vertus de sa divine Maitresse.

Jésus eut cette offrande pour si agreable, qu’il lui imposa des règles pour commencer ce noviciat mystique. Les plus importantes se rapportaient surtout la confession, à la soumission absolue au confesseur et au parfait dépouillement de soi même.

Le jour de Noel, Véronique recut dans une vision le voile blanc des novices (1), signe de la pureté, qui doit être la sienne, et après lui avoir promis d’être vraiment sa Maitresse ; la Mère de Dieu lui donne un tendre baiser : " Va, lui dit-elle, et sois fidèle à moi comme à mon Fils, ton époux.

Et réellement, la mère de Dieu semble n’avoir plus d'autre préoccupation que le soin de Véronique. Elle est en tiers toujours entre le confesseur et la sainte. Le confesseur ne veut absoudre Véronique qu'avec la permission de la sainte Vierge. Il oblige la penitente à faire, pour ainsi dire, ses commissions au ciel. Grâces de conversion, de lumière, de conseils, délivrances d'âmes, Véronique, sur l’ordre du prêtre par en extase avec sa liste de placets et revient rendre compte de son voyage là-haut, souvent renvoyée immédiatement, parce que les réponses données ne sont pas celles qu'on désire.

(1) On conserve encore ce voile miraculeux au couvent de Citta di Castello. C'est toujours la Vierge Marie que la sainte va trouver tout d'abord, c'est d'elle qu'elle reçoit les réponses, c'est la Mère de Dieu encore qui se charge de plaider auprès de son Fils toutes les causes que sa Mère novice lui conne.

Le 28 octobre 1711, anniversaire de la trente-quatrième année de religion de Véronique, elle est admise comme professe de la Mère de douleurs, dans une vision toute pleine de consolation et de grandeur. Chose merveilleuse, la sainte fait la rénovation de ses vœux de vêture au confessional et au ciel en même temps. Nous pouvons citer tout ce passage si admirable du journal, nous devons omettre tant de belles pages! Donnons-en au moins quelques lignes. 433

Après la veture (mystique), le Père confesseur ordonna à mon ange de me mener aux pieds de la très sainte Vierge. A l’instant j’entrai en extase et me trouvai devant Marie et Jésus, mon époux. Dans la main de Marie je vis une petite croix et un anneau. La Vierge me dit :

" Tout ceci a été préparé pour toi, mais je veux d'abord avoir le consentement de celui qui tient la place de Dieu auprès de toi : Tu dois venir à ces nouvelles noces avec un acte d'obédience. "

" Revenue à moi je le dis à mon confesseur et lui demandai Mcence. Le confesseur, par un ordre tout spécial d'obéissance, m'ordonna de me conformer à la volonté de Dieu. Je fus aussitôt ravie et je revis Jésus ayant sa Mère auprès de lui, entouré de toute la cour céleste. Mon Père saint François et ma Mère sainte Claire me menèrent devant la sainte Vierge, et elle, me prenant par la main, me pré- senta à son Fils. Il me parut que Jésus faisait entrer la petite croix dans mon cœur et tous les insignes qui s'y trouvaient s'agitèrent d'un mouvement spécial, Jésus et Marie me mirent l’anneau au doigt et renouvelèrent les épousailles de mon âme avec le Seigneur. La sainte Vierge me déclara l’épouse de son Fils et Jésus me confia à sa mère très aimée ".

" En même temps je vis que mon confesseur m‘offrait à Jésus et à Marie, et ma Mère me dit que tous les trésors qui sont dans mon cœur doivent être gardés avec la croix et l’anneau sous la clef de l’obéissance, par mon confesseur. "

Après cette faveur, Véronique institua, parmi les novices l’ordre des professes de la Mère des douleurs et une profession solennelle de toutes ces jeunes filles fut écrite et offerté à la messe par la main du confesseur offerte à la messe, par la main du confesseur.

La sainte Vierge récompensa cette dévotion en répandant tant de grâces sur ces pieuses enfants que le noviciat de Véronique devint une pépinière de saintes. Plusieurs d'entre elles moururent en odeur de sainteté.

La Mère de Jésus veille sur Véronique professe comme sur Véronique notice. Une nuit, et démon furieux de son obéissanee l’avait rouée de coups en la menaçant de la tuer si elle continuait d'obéir. Comme elle riait de ses menaces, il lui écrasa l’orteil avec le sabot de cheval qui forcait son pied. Le lendemain matin la sainte souffrait beaucoup et pouvait à peine marcher pour se rendre au confessional. Le confesseur lui ordonna de prier immédiaument Marie de la guérir. J'obéis avec grande foi, écrit-elle, et pendant que je priais, je sentais la force revenir dans mon pied et la douleur disparaître.

Ces guérisons commandées en quelque sorte par le confesseur à la sainte Vierge, sont nombreuses. C’est une suite de miracles d’obéissance, et la sainte peut, en toute vérité, signée son journal, ainsi qu'elle le dit : pour faire enrager l’ennemi : Fille d’obéissance, dans la souffrance, avec la souffrance. 435

Elle en arrivait à deviner ce que le confesseur allait lui dire et plus d'une fois, à sa grande stupéfaction, entendit le confesseur lui répéter exactement ce qui lui avait été révélé dans ses ravissements. La sainte Vierge présidait à ses confessions comme à tous les autres actes de sa vie.

Maintenant aussi, elle n'était plus seule pour combattre l'enfer. En août 1712, après avoir combattu trois jours entiers, presque sans repos contre les puissances infernales, elle voit arriver la Mère de Dieu à son secours. Tous les monstres infernaux accoururent avec un redoublement de rage pour se saisir de leur victime. " Mais, dit Véronique, ma chère Maman rabattit joliment leur orgueil et leur vantardise. "

Elle les appela tous, puis leur commanda impérieusement de retourner au plus profond des enfers, parce que c'était elle qui les avait vaincus et que Véronique était sa fille.

" Elle avait combattu pour moi, dit la sainte, et elle m’embrassa tendrement. Tout les démons, se mordant l'un l'autre comme des chiens enragés, s’enfoncèrent en hurlant dans l’abime. Le choeur céleste entonna le Te Deum, remerciant ainsi la sainte Vierge pour moi. "

Si détachée qu'elle est de toutes les choses terrestres, Véronique gardait en son cœur un désir. Elle aurait voulu posséder ce petit tableau en pâte de carton représentant la sainte Famille, objet de l'amour naif de la petite Orsola et instrument des parades charmants que Jésus opérait pour sa petite fille. Elle y pensait souvent et ne pouvait s'empêcher de souhaiter le revoir. Parfois elle en parlait aux religieuses, " Demandez qu'on vous l'apporte " lui disaient-elles. " Hélas à qui le demanderai-je? soupirait la sainte. Je n'ai plus personne a qui m'adresser! "

Et elle offrait ce sacrifice à Dieu.

Un jour, écrit-elle, je me récommandai à la sainte Vierge et lui demandai la grâce de revoir le petit tableau. Je crus entendre, dans l'intime de mon cœur, une voix qui me disait : " Sois tranquille, tu le verras. "

Je ne sais comment cela se fit. Un jour il vint une certaine charité au couvent (1). Entre autres choses, il y avait un cadre, mais je ne voyais pas bien ce que c'était, car il était bien emballé. J'entendis en moi la sainte Vierge me dire: " Je suis venue ". Je pris le paquet en disant joyeusement et comme involonlairement: C'est le tableau que j'ai tant désiré!. Les soeurs se mirent à rire de ma naiveté. On ouvrit le paquet, c'était vraiment lui. Je crus de devenir folle de joie. J'aurais voulu l'avoir dans ma cellule, mais on ne me le permit pas.

(1). Les capucines appelaient ainsi les aumones qu’on leur envoyait. Je pus seulement le garder le premier soir. Pendant la nuit, Marie me renouvela toutes les grâces qu’elle m'avait faites quand j'étais petite. J’ai visité souvent le tableau depuis, au noviciat ou on l’avait placé, mais pour ne pas faire parler de moi, j'y allais la nuit. Un jour la vierge me dit : " Ma fille, procure-moi quelques ornements de vertus ". Je le répétai le matin suivant à mon confesseur. Il me répondit: " Donnez-le moi, je le ferai arranger pendant ce temps vous confectionnerez les ornements de vertus ". Il le prit, mais oubliait toujours, de le faire arranger quoiqu'il le vénérait beaucoup. Après sa mort (c'était le P. Cappelletti, il fut remis au seigneur chanoine Carsidoni (1).
  1. Le chanoine Carsidoni finit par faire arranger ce tableau. Plus tard il fut envoyé à Rome au Saint-Office. On en fit faire une copie exacte qui est maintenant honorée dans la cellule de la sainte à Citta di Castello. L’original, renvoyé, dit-on, aux capucines fut égarée.

  2. Le P. Tassinari doit par le rapporter à la sainte qui " pensa mourir de joie. "

    Le bon P. Tassinari était digne de diriger une atne comme celle deTeronique. IHuil' undes plus illustres religieux de l'Ordre des Servites (2).

  3. Le P. Tassinari fut plusieurs prieur du couvent de sainte-Marie delle Grazie de Citta di Castello et provincila de la province de Rome, puis définiteur perpétuel, examinateur de la de la province et Lecteur. On voulut même l’élire général et procureur général. 437
Il avait autant de respect que d'affection et d'admiration pour sa pénitente et, comme le P. Crivelli, reconnaissait sa haute sainteté, mais il la traitait toujours plutot durement et sévèrement; jamais, dans ses plus grandes souffrances. Il ne lui témoigna la moindre compassion naturelle. Au contraire il lui imposait les pénitences incroyables des heures du purgatoire, ou les douleurs aigués de la blessure du cœur, de la Passion, des stigmates et autres. Il lui ordonna de tout faire délivrer d'entrer du purgatoire certaines âmes qu'il lui désignait, ou certains pécheurs qu’il voulait convertir. Aussi les dernières années de la vie deVéronique se passent presque toutes en purgatoire, au milieu de tortures inouies. Le P.Tassinari assure que le nombre d'âmes qu'elle délivra ainsi est incalculable. Cette souffrance continue, jointe à l'absence de toute consolation sensible, semble dépasser les bornes des forces humaines. Plus jamais elle ne put avoir le moindre rapport avec le monde extérieur revoir un parent ou un ami. Les défenses du Saint-Office ne furent jamais levées, et malgré les instances qu'on lui nt de la part de personnages illustres, de prêtres du de religieux qui auraient voulu converser un instant avec la sainte, il ne se départit pas de sa rigueur (1). Véronique devait être vraiment morte au monde et poursuivre son œuvre d'expiation dans la profonde séparation d'avec les hommes. Elle n’en ressentait pas moins la tristesse toute naturelle d’une prisonnière à perpétuité.
  1. Cette sévérité excessive du sainte-Office était acte de haute prudence résultant du danger de mettre en évidence une religieuse si extraordinaire. Ceci est à noter pour répondre aux sceptiques qui accusent l'Eglise de croire trop facilement aux stigmaus et aux visions et de voir l’œuvre divine là ou ne sévit que l’hystérie, Véronique n’avait rien d’une hystérique. Sa santé était très bonne, son esprit judicieux, son intelligence vive et bien équilibrée.

  2.  

     
     

    " Hélas! Écrit-elle mélancoliquement, en octobre 1713, hélas! À quoi me servent toutes ces pénitences puisque je ne me corrige pas! Quand je vois les autres appellées à la grille (au parloir), je me sens tentés du désir d'y aller aussi et je me dis: Ah! si je pouvais au moins causer, échanger quelques mots avec un être du dehors! " Puis se reprenant aussitot de cette faiblesse : " Ah! Père, s’écrie-t-elle, maintenez~moi bien sévèrement dans ma sépulture, ne me donnez jamais de liberté, car je me perdrais. "

    Le P. Tassinari, cependant, ne partageait pas l’avis de sa pénitente sur elle-même, mais il ne le lui disait pas. Depuis longtemps lui et les soeurs capucines désiraient voir Véronique à la tête du couvent,la faire élire comme abbesse. Dans ce but on s’efforcait d’obtenir du Saint-Office la levée des défenses concernant la sainte.

    Véronique à laquelle on cachait pourtant ces projets, les apprit par la réapparition, dans ses visions, de la grande croix qui lui causait toujours tant d'épouvante. Elle se mit a prier Jésus avec ardeur de lui épargner ce fardeau, et obtint la promesse de ne pas le recevoir pour cette fois encore. La grande croix disparut et la sérénité rentra dans l’âme de la sainte. 439

    Les soeurs qui travaillaient à Rome pour obtenir la permission d'élire Véronique avaient remarqué sa grande tristesse. Elles furent toutes surprises, un jour de la trouver subitement rassérénée, joyeuse même. Elle dit à une des sœurs, sa confidente, en allant à l’église :

    " Faites tout ce que vous voulez. Ce sera moi qui remporterai la victoire et non vous. "

    La soeur, se voyant devinée, se mit à pleurer. " Est-ce possible que vous ayez cette assurance, dit-elle. Comment l'avez-vous elle? " Mais Véronique ne voulant pas en dire davantage, répondit simplement:

    " Ne perdez pas courage, faites vos prières en toute simplicité et ayez la foi ".

    Le Seigneur, cependant, lui avait annoncé que la croix n'était retirée que momentanément. Un jour il faudrait bien qu'elle l'accepte, le répit concédé ne serait qu'une préparation à la dignité qu'il lui réservait. Véronique passa ces trois années dans de grandes épreuves, de toutes espèces. Son noviciat lui donna beaucoup de soucis; dans son exquise délicatesse de conscience, elle craignait toujours de ne pas remplir suffisamment son devoir de maitresse des novices, et si l'une de ses filles tombait en quelque faute, la sainte s'en attribuait une grosse part. Justement il vint au couvent quelques novices, de vocation nulle ou mal comprise, envoyées comme il arrivait alors fréquemment, par calculs de famille. Une certaine Blanche surtout pour la maitresse un vrai tourment par son insubordination et son insolence soutenue par une des religieuses qui était sa tante, celle-ci se figurait que la Mère Véronique était injuste pour sa nièce. Après deux ans des plus pénibles contrariétés. La malheureuse Blanche quitta les capucines, mais la sainte n’était débarrassée de cette croix que pour en assumer une encore plus lourde le 5 août 1716, elle était élue abbesse à l’unamité des voix.

    Pendant le Carême de cette année, la grande croix avait reparu. La sainte Vierge la lui plaça elle-même sur les épaules en lui annonçant que le reste de ses jours serait, plus que jamais, rempli de souffrances et d'épreuves.

    Véronique comprit qu'elle ne pouvait plus demander l’éloignement de ce nouveau calice et se résigna.

    Depuis les dernières élections, on avait beaucoup travaillé à Rome Le P. Crivelli, suffisamment édifié par ses longues études, de la haute sainteté de Véronique et de l’origine toute céleste des dons surnaturels qui se voyaient en elle, était persuadé que sa nomination d'abbesse serait toute à la gloire de Dieu et pour le bien des âmes. Il avait donc commencé ses démarches auprès du Saint-Office.

    Peu après les élections précédentes, dans les derniers jours de Mgr Eustachi, le P. Crivelli avait longuement coopéré avec le prélat sur ce sujet et tous deux s'étaient trouvé d'accord sur la nécessité d'obtenir du Saint Office; la résolution de la défense faite jadis. Un certain abbé J. Loncellini était présent à l'entretien. Il avait de grandes influences à Rome et promit de s'entremettre. Le lendemain le P. Crivelli vit la sainte arriver tout en larme a son confessionnal et le prier de ne pas lui imposer la croix qu'il lui préparait.

    Le P. Crivelli ne comprenait rien à ce desespoir, Véronique ne pouvait pas connaitre l'entretien de la veille. Il lui dit brusquement qu'il ne savait pas ce qu'elle voulait dire et lui ordonna de s'expliquer. Alors Véronique lui avoua qu'elle avait vu saint François pendant la messe que le Père disait au couvent et que le Saint lui avait montré la grande croix en lui confiant que le P. Crivelli la lui préparait.

    " Ces paroles, déposa le Père au procès, non seulement ce jour-là, mais les deux jours suivants, elle mêmes répéta exactement. Je lui répondis avec mépris et dédain que je la croyais folle, si elle se figurait que je la voulais abbesse, car je me la jugeais même pas capable de gouverner les poules. Mais elle, souriant modestement, répliqua : " Père, c'est inutile, ne niez pas davantage, je le sais et je l'ai vu ".

    Après la mort de Mgr Eustachi, le Père Crivelli partit pour Rome. Dans une longue audience du pape Clément XII, il lui exposa tout ce qu'il savait et croyait de Véronique et peu après, il obtint la permission tant désirée des capucines. 442

    On n'attendait que cette autorisation pour placer la sainte à la tête du couvent. On ne lui permit même pas de se décharger de ses fonctions de maîtresse des novices et jusqu'à sa mort, elle assuma ces deux lourds fardeaux.

    On comprend difficilement comment Véronique put remplir conscieusement ces deux charges, alors que ses souffrance miraculeuses, la mettant à l'agonie presque chaque semaine, les lui rendaient vraiment impossibles. Il fallait un secours surnaturel, miraculeux, pour qu'elle puissent suffire à tout.

    Ce secours ne lui manqua point. La Reine du ciel lui apparut et Il dit : " Ma fille, je l'ai voulu ainsi, je te confirme dans cette charge. Je suis avec toi et je remplirai avec toi tes devoirs. Je ferai ton office à ta place. C'est moi qui suis ta supérieure et tu dois dépendre, en tout, de moi. Tu dois désormais vivre d'une vie divine de souffrance et dans les souffrances. Dans cette nouvelle vie tu dois, plus que jamais, mourir à toi-même. Vis toujours courageuse et vigilante. Ne regarde ici ni le passé ni le futur, gouverne la communauté avec amour et par amour, sans respect humain ni recherche de toi, mais avec Dieu, en Dieu, pour Bieu. Aies toujours la règle en main et que rien ne t'échappe; aies la règle dans le coeur pour pénétrer tout aies là règle en toi pour l'observer et la faire observer. L'exercice de l’humilité consiste dans un perpétuel anéantissement et une vraie connaissance de soi-même. C’est là le fondement de ta charge. Une stable volonté en Dieu en sera la base, l'ornement et la matière, si tu t'affermis en elle, rien ne pourrat t’attrister, jamais tu ne te lamenteras de rien, tu resteras constante dans la joie comme dans l’amertume. L’une et l’autre sont la volonté de Dieu et toutes choses dépendent de lui. Dans cette volonté se calmeront tes inquiétudes, s’affermira tapaix, en elle toute amertume te paraitra suave et douce. Bref, la divine volonté, c’est la félicité de l’âme ".

    En finissant de donner à la nouvelle abbesse ce beau règlement de vie, la sainte Vierge la liait à la volonté de Dieu d'une manière surnaturelle, toute mystique, mais indissoluble"

    Véronique était abbesse depuis environ deux mois lorsque fut élu le successeur de Mgr Eustachi, Mgr Alessandro Codebô. Parmi les nombreuses merveilles que présentait le cœur de Véronique, l'une des plus stupéfiantes était celle qui donnait à la sainte la vision de son propre cœur, comme un miroir où elle apercevait des choses mystérieuses. C'est ainsi qu'elle y avait vu, avant la nomination de Mgr Codebo, la mitre et les initiales du futur évêque (1) et elle avait compris qu'il serait un père plein de bonté pour elle. En effet, l'un des premiers actes de son épiscopat fut de prendre tout spécialement la direction de Véronique et, la voyant souffrir beaucoup de l'obligation d'écrire son journal, il lui permit de le cesser. Mais il compris bien vite et les confesseurs le lui remontrèrent combien de précieux documents sur une âme aussi prédestinée allaient être perdus et il ordonna à Véronique de reprendre son journal, mais de le lui envoyer directement chaque jour.

    (1). Sur l’ordre du P. Tassinari, sainte Véronique dut dessiner ce qu'elle avait vu alors dans son cœur. Ce dessin est conservé à l'évéché de Citta di Castello.

    La sainte s'attacha a ce prélat comme à un véritable père. Elle priait beaucoup pour lui et Dieu lui donnait souvent des revélations à lui communiquer. Il arrivait au prélat de recevoir un message de la sainte, lorsqu'il avait à décider une chose grave ou qu'Il était tourmenté d'inquiétudes et, dans ce message, il trouvait la solution qu'il cherchait, le conseil dont il avait besoin. Jamais pourtant il n'avait donné connaissance de ses agitations intérieures à personne. Véronique obtint aussi la guérison miraculeuse de Mgr Codebô.

    Lorsqu'elle priait pour lui ou pour l'un de ses confesseurs, les instruments mystérieux contenus dans son cœur s'agitaient quand elle devait être exaucée.

    La première année de son élévation à la charge d'abbesse fut marquée, pour Véronique, par un miracle insigne qui montrait bien qu’elle était l'abbesse désignée par Dieu. Le 8 octobre 1717, comme elle arrivait à l'église a six heures du matin pour l'office de Prime, la sainte et ses religieuses apercurent le sanctuaire en feu. La sacristine avait oubliée d’éteindre un cierge après l'office des matines et le feu s'était communiqué aux boiseries voisines. Les soeurs, épouvantées, n'osaient avancer et se serraient contre leur Mère, mais celle-ci demeura paisible.

    " Il me semblait que tout brûlait, écrit-elle : J'ai recouru aussitôt à ta sainte Vierge, je l’ai priée de me faire la charité d’éteindre le feu et les instruments de mon coeur m'invitèrent à demeurer sans crainte parce que je serais exaucée. Pleine d'une vive foi en la Mère de Dieu, je m'approchai de l'endroit où le feu était le plus ardent et je fis le signe de la croix. Aussitôt les flammes diminuèrent. Les sept glaives de Marie et les instruments de la Passion s'agitèrent dans mon cœur en signe que ma prière serait écoutée. Le feu cessa aussitôt. Que Dieu et la sainte Vierge soient bénis! "

    Ce que la sainte ne dit pas, c'est que l’incendie ne laissa que les traces nécessaires pour prouver qu'il avait existé. Le lutrin fut trouvé à demi brûlé.

    La sainte Vierge révéla après à Véronique que, sans sa prière, tout le couvent eût été détruit.

    Mgr Codebô; instruit du miracle, vint lui-même le constater et interrogea l'Abbesse.

    " La voix du prélat, écrit-elle, résonnait comme une musique dans mon âme, aussi harmonieusement que la voix de Dieu lui-même, chose que j'ai éprouvée souvent aux pieds de son confesseur (1). 447

    (1). Mgr Codebo eut la réputation d'un homme saint et vraiment apostolique. Le ciel lui témoigna souvent son affection, tel ce jour, peu après l'incendie, ou il était venu célébrée la messe au couvent. Véronique vit la sainte Vierge toujours auprès de lui le bénir affectueusement. Elle dit à Véronique qu'elle le soutiendrait toute sa vie.

    Personne ne remplit avec plus de zèle, de conscience, d'attention, la charge de diriger un couvent que ne le fit Véronique. Le bien des âmes qui lui sont confiées, voilà sa perpétuelle préoccupation, et elle dirige ces âmes avec une mansuétude, une affectueuse douceur qui est irrésistible. " Quand elle devait nous avertir, dit la sœur Florida Ceoli, elle Le faisait avec tant de sérénité qu'elle nous inspirait un vrai désir de nous régler d'après ses avertissements ".

    Pendant son long gouvernement, dit aussi le P. Tassinart, elle fit toujours admirer sa mansuétude, la manière polie dont elle traitait chacune de ses religieuses. Si elle devait leur faire une rellentrance, elle la faisait avec tant d'humilité, d'affection, qu'elle inspirait à toutes les sœurs autant, de vénération que d'amour. Aussi toutes s'étudiaient à se conformer à ses avis.

    Le temps de sa direction, qui dura onze ans, fut un temps de paix, d'union, de franquilité si vraiment béni qu'on n’aurait pu le souhaiter meilleur. Je puis d'autant mieux l’affirmer que j'ai été pendant ce temps plusieurs fois confesseur ordinaire extraordinaire et que j'ai pu apprendre aussi beaucoup de choses des autres religieux et confesseurs."

    Cette douceur aimable unie à une volonté ferme pour le bien est affirmée par tous les contemporains de la sainte.

    Dieu bénit son gouvernement, non seulement par les grâces les plus éclatantes de ferveur et de perfection données à toutes les soeurs, mais aussi au point de vue temporel. Jamais les aumônes ne furent plus abondantes, si bien que la sainte Abbesse, craignant de manquer au voeu de pauvreté, en accordant davantage à la délicatesse de ses enfants, employa ce qu'elle avait de trop à restaurer les bâtiments du couvent. On lui doit la construction de la partie appelée " dormitorium ", l'installation des fontaines du jardin et la remise à neuf de la cuisine.

    On a consigné plusieurs guérisons miraculeuses que la sainte Abbesse opéra, pour des religieuses malades, par le signe de la croix fait sur elle! Plusieurs fois aussi, elle multiplia des provisions, comme nous l'avons déjà vu. Elle renouvela le miracle des œufs et des poissons avec des oranges, avec de l'huile, une année où elle était rare et chère, avec un remède coûteux elle chassa des animaux destructeurs du jardin; on vit une porte fermée s'ouvrir au signe de la croix fait par la sainte. C'était la menue monnaie des miracles, elle était elle-même un miracle permanent.

    Son existence, de l'avis de tous ceux qui l’approchaient, était absolument surnaturelle, les stigmates et surtout la blessure au coeur devaient la tuer dès leur imposition.

    En 1717, l’hydropisie dont elle devait souffrir si longtemps commence a se montrer. Elle fut guérie plusieurs fois miraculeusement sur l’ordre du confesseur, par la sainte Vierge, mais en la guérissant, la mère de Dieu la prévint que cette maladie reviendrait un jour.

    L'année 1717 fut une année de souffrances extraordinaires pour la sainte. Il est certain que le Seigneur lui imposa ce surcroît d'épreuves à cause des événements qui bouleversaient la chrétienté. Par la, il lui montrait qu'il acceptait l'offre que, tant de fois, elle lui avait faite, d'être choisie comme intermédiaire entre le ciel irrité et la terre coupable. Les Turcs menaçaient de nouveau l'Italie et l'Europe. Véronique suivait, jour par jour, cette lutte suprême entre le croissant et l'étendard catholique. Lutte soutenue avec tant de courage par la Pologne et l'Autriche, presque isolées par la politique coupable du roi de France et des pays protestants. Mais la sainte priait et souffrait. Presque tous les jours, la Mère de Dieu lui disait : " Prie, ma fille, prie et fais prier, la chrétienté court un grand danger et les péchés des hommes deviennent une formidable montagne ", et elle parlait à Véronique des anxiétés du Souverain Pontife, à qui ne voyait autour de lui que défection et perfidie. Elle lui montrait les fléaux que le ciel appretait pour punir la terre ; alors la sainte demandait des souffrances, toujours, toujours sans trouver qu'elle en avait assez.

    Cette force d'Âme dans la souffrance a étonné tous ceux qui ont connu Véronique.

    Le P. Crivelli dit, en parlant de son courage : " Elle supportait avec une force d'âme incroyable, voire même avec une véritable joie, les aridités et toutes les adversités de l'âme et du corps. Elle gravissait sans peine le chemin de la sainteté par sa résignation à la volonté de Dieu, l'exercice de toutes les vertus et un magnifique courage dans la souffrance ".

    Il fallait vraiment une vertu exercée à un point extraordinaire pour remplir dignement cette double mission d'abbesse, dirigeant sur terre son petit troupeau, et de médiatrice, vivant plus dans l’autre monde qu'en celui-ci. Que de fois on dut attendre longtemps qu'elle revienne à elle, ou bien encore, on la secouait vainement pour obtenir une réponse pressée, mais rien n'y faisait. Les sœurs, alors, prièrent le Seigneur de leur rendre leur Mère. Il arrivait aussi très souvent qu'elle était ravie en extase pendant un repas ou un chapitre. 450

    Par un miracle inoui, elle tenait parfaitement le chapitre, elle écoutait les coulpes et disait exactement ce qu'il fallait dire à chacune, si bien qu'on s’apercevait pas de son ravissement. Véronique, en revenant à éelle, remerciait Dieu intérieurement et était persuadée que la sainte Vierge avait tenu le chapitre à sa place. La Reine du ciel daigna réellement remplacer sa fille bien-aimée quand elle ne pouvait pas remplir en meme temps sa double mission. Plusieurs religieuses attestèrent au procès ce fait merveilleux. L'une d'elle raconte. La sainte était occupée à peiner aux enfers et son corps agonisait sur son lit, c'est pourquoi la bienheureuse Vierge prit son office d'abbesse pendant ce temps et, sous l'apparence de Véronique, s'occupait de sa communauté. Me trouvant un jour dans ma cellule, je vis entrer la vénérable soeur Véronique qui venait me parler de choses intérieures me regardant. Je remarquai combien elle avait l'air majestueux et surnaturel, si bien que je la crus en extase. A peine lui eus-je ouvert mon coeur, que ses réponses brèves me firent une impression très vive; et me sentis poussée intérieurement à une grande perfection. Elle resta environ deux heures avec moi, ne disant que peu de paroles, : mais chaque mot était comme une illumination qui m'enrichissait d’un grand profit. C’était comme un colloque intérieur. Elle me laissa donc une grande paix, toute consolée et toujours plus contente de mon état de capucine que j’avais embrassé déjà depuis sept ans. Peu après je rencontrais la mère Florida, alors vicaire; elle me demanda ce que j'avais et pourquoi j’avais pleuré, car vraiment j’avais versé des larmes de componction et de tendresses.

    " N’auriez-vous pas été contente de la visite de la Mère Véronique?" me dit-elle.

    Je dis alors à la Mère Florida que Mère Véronique disait peu de paroles. La Mère Florida Cevoli, souriant, me répondit : savez-vous que la Mère Véronique est aujourd'hui en enfer et souffre pour la conversion des pécheurs. Celle qui est venue vous voir est la bienheureuse Vierge qui remplit l’office de la Mère Abbesse. Je crois vraiment que c'était la sainte Vierge; son visage ravissant de modestie, sa parole plus pénétrante, les sentiments intérieurs qu'elle excitait en moi, la componction, la paix spirituelle, la joie, tout me prouve que c'était bien la Vierge Marie, car jamais, en parlant avec la Mère Véronique, je n'ai ressenti à ce degré l'enthousiasme spirituel. D'ailleurs, j'ai souvent entendu la Mère Florida déclarer que plusieurs religieuses avaient connu avec certitude, autant que se puisse aimer une certitude humaine, que la sainte Vierge avait souvent agi en place de Véronique.

    Plusieurs dépositions identiques des sœurs capucines contemporaines racontent des miracles du même genre. Elles étaient toutes persuadées que la Mère de Dieu remplaçait la sainte Abbesse lorsqu'elle allait souffrir en purgatoire et en enfer, et leur croyance s'appuyait surtout sur l'émotion intense, le ravissement intérieur, la dévotion enflammée qu'elles ressentaient en voyant leur Abbesse ou en lui parlant à certains moments, où sa beauté devenait vraiment surhumaine. 452

    Dans ces instants les sœurs éprouvaient un vif désir, une attirance invincible à se rapprocher de leur Mère, en même temps que la crainte respectueuse comme on en peut avoir devant un être divin.

    Si Véronique ne dit pas catégoriquement, dans son journal, qu'elle recevait une telle faveur de la Reine du ciel, on ne peut le deviner. Que de fois on y lit ces mots que lui adresse Marie : " C'est moi qui suis l'Abbesse: c'est moi la Supérieure. Ne crains rien, je veillerai sur le couvent et ne lui laisserai manquer de rien " Elle donne surtout ces assurances lorsque Véronique doit souffrir quelque grande peine et qu'elle s'inquiète de savoir comment elle pourra concilier son devoir d'observance avec les ordres d'expiation que Dieu lui impose. Cette charge d'abbesse lui est d'autant plus pénible que les prohibitions du Saint-Office demeurent toujours aussi sévères. Elle doit toujours avoir des intermédiaires entre elle et le dehors, obligation humiliante qui double souvent son travail, la force à ne rien faire que par la bonne volonté de celles qui doivent lui obéir.

    Si le Saint-Office croyait arriver par là à ensevelir Véronique dans l'oubli, il se trompait. La renommée de celle qu'on appelait " la sainte ", avait franchi les portes du couvent et même celles de Citta. Ils étaient innombrables ceux qui demandaient des prières et des conseils à l'humble Capucine.

    On venait des pays les plus lointains, dépose le P. Guelfi; on écrivait de tous cotés pour demander des secours spirituels. Beaucoup des suppliants appartenaient aux plus hautes classes, épient personnages considérables par leur science, leur piété, leur naissant. Les sœurs répondaient pour l'Abbesse et celle-ci, quel que fut le rang de la personne qui lui écrivait, ne donnait que de brèves réponses transmettre, mais dans cette concision on trouvait toujours l'avis et le conseil juste, qui montraient combien étaient grandes sa prudence et sagacité.

    C'était chose journalière, dit de son coté le P. Tassinari, que l’évêque et les directeurs de la Mère Véronique reçussent, de toutes sortes de personnes, des demandes multiples pour l'interessé aux besoins spirituels de cette foule de toute catégorie. On lui demandait des conseils pour les affaires temporelles, pour les objets. les plus divers, et c'était une occupation bien grande de répondre atout le monde et surtout de diriger les Seeurs qui répondaient et notaient pas toujours capables de bien ré pondre. Rarement la Mère répondait autrement que par de brèves paroles; elle ne s'expliquait longuement qu'à l’ordre de ses Supérieurs; même alors, elle y mettait une circonspection et une prudence qui était admirée de tout le monde.

    Cette prudence venait souvent d'une inspiration divine; les sœurs s'étonnaient quelquefois de cette réserve, on reconnaissait après combien elle était nécessaire. On le vit à l'occasion des lettres du Frère Félix. Ce religieux, Franciscain conventuel assaillait l’abbesse de ses lettres; demandait des prières pour toutes sortes de choses. Comme il avait une réputation de sainteté établie et que ses lettres respiraient un zèle ardent pour l'Église et les âmes, les religieuses s'étonnaient de voir leur Abbesse, accueillir avec tant de froideur les missives du Frère Félix. Les sœurs, chargées de la correspondance de la Supérieure, ne pouvaient assez admirer les belles lettres du Frère et demandèrent à Véronique la permission de, les lire au, réfectoire. L'Abbesse répondit énergiquement " Non " . Elles insistèrent alors pour qu'on les envoyât à d'autres monastères, mais, à leur grande stupéfaction, la sainte prit les lettres, les déchira et les jeta au feu. Les Sœurs, alors, refléchissant a ce que contenaient ces lettres se rappelèrent qu'au milieu de belles exhortations, il se trouvait des insinuations dangereuses (1) entre autres contre l'obéissance. Véronique leur fit remarquer non seulement le danger de ces insinuations, mais encore des erreurs de doctrine, et leur dit que cet homme avait déjà été emprisonné par ordre du Saint-Office comme suspect d’hérésie.

    (1). Ce Frère disait entre autres que les religieuses ne devaient pas accourir aux repas au son de la cloche, afin de se mortifier en retardant l'heure de se nourrir, ce qui, aux yeux de Véronique, était une faute contre l'obéissance.Il avait aussi envoyé a la Mère Vicaire un règlement spirituel que Véronique refusa de faire connaitre à la communauté. Elle défendit à la Mère Vicaire de répondre à ces lettres. Ce Frère avait aussi demandé que la communauté priât pour l’élection d'un Souverain Pontife, lors de la mort d'innocent XI mais la sainte ne at jamais aucune attention à ses demandes.

    Véronique ne pouvait pas, humainement, connaître ces détails, et les sœurs admirèrent sa prudence surnaturelle. Plusieurs fois, les religieuses voulurent essayer d’obtenir du Saint-Office la révocation des défenses qui étaient si pénibles pour leur Mère; mais dès qu'elle apprenait qu'on voulait faire des démarches, elle s'y opposait de toutes ses forces. Laissez-moi, disait-elle, ces occasions continuelles de faire des actes d'obéissance.

    Et, dirent les témoins, elle se montrait très heureuse de rester dans cette dépendance, ne désirant qu'une chose, vivre oubliée et ignorée, loin de la grille du parloir et des occasions d'écrire.

    Une seule personne reçut la permission de voir la sainte. C'était la princesse Pamphilie, qui avait obtenu du Pape et du grand Inquisiteur cette précieuse faveur, mais telle était la réputation d’humilité de la sainte, que l'illustre princesse n'osa pas se nommer et se présenta au parloir avec une bienfaitrice du couvent comme amie de celle-ci.

    Ce fut l'unique regard que Véronique jeta sur le monde extérieur en l'espace de trente-trois ans. Mais que pouvait-elle désirer sur cette terre, elle qui connaissait les demeures d'éternité? 456
     
     

    CHAPITRE XXI

    LES DERNIÈRES ANNÉES. OBÉISSANCE MIRACULEUSE. VÉRONIQUE PRÉDIT SA MORT. SA DERNIÈRE MALADIE. LES TROIS PURGATOIRES. SA PRÉCIEUSE MORT.

    Véronique approchait de la fin des trente-trois ans de martyre prédits par le Seigneur, lors de l'impression des stigmates. Longue série de jours de merveilles et de souffrances, dont nous ne pouvons qu’indiquer la succession ininterrompue. Qu'il nous suffise de dire que les scènes de la Passion, les heures de purgatoire et d'enfer, les miracles du coeur, la rénovation des stigmates, du mariage mystique, des confessions au ciel, toute la série des miracles, des visions, des extases déjà racontées en ce livre, se renouvelle sans cesse avec des détails toujours émouvants, toujours nouveaux, parce que, à mesure que Véronique atteint un degré de plus parfaite vertu, les grâces surnaturelles deviennent toujours plus extraordinaires.

    On dirait que Dieu se plait à semer le miracle autour d'elle pour montrer combien elle lui est chère. Le 19 avril 1718, se passa un des faits les plus mystérieux de la vie de Véronique. Elle-même avoue que ce fut un des jours les plus mémorables de sa vie. Il n'est pas, dans l'hagiographie, de miracle plus frappant de la puissance du confesseur comme représentant de Dieu ici-bas, et, par conséquent, muni de sa toute-puissance.

    La veille de ce jour, la sainte Vierge avait enlevé le coeur blessé à Véronique, pour le remplacer par le cœur amoureux. Elle lui avait ordonné en même temps une obéissance exacte aux ordres du confesseur. Le lendemain, en se trouvant aux pieds du Père Tassinari, alors confesseur, une vive clarté vint illuminer son esprit, lui découvrant ses moindres fautes comme autant de crimes horribles. Le cœur amoureux étant incapable de souffrance, Véronique s'affligeait de ne pouvoir exprimer sa vive contrition par la torture aigue de ses blessures. Après sa confession, le Père, inspiré de Dieu, lui dit " Je vous ordonne de remettre à Dieu et à la très sainte Vierge le cœur amoureux. Mais je ne veux pas que vous restiez en vie. Quand le cœur amoureux partira, l'âme ira à Dieu et la vie s'éteindra en vous. Si c'est la volonté de Jésus et de sa sainte Mère que vous reveniez ensuite à la Vie, je le veux bien. Donc, que l’âme et le coeur s'en aillent et (si Dieu vous rend la vie) que le cœur blessé revienne en vous avec votre âme et que ce soit pour opérer en vous un complet renouvellement. Que ce renouvellement commence ce soir et soit tout en ciel et pour Dieu.

    En entendant le Père, écrit Véronique, je croyais entendre Dieu lui-même, ni même temps à les forces me manquaient.

    Le Père me dit alors " Je veux que vous communiez et que cette communion vous serve de viatique (1) "

    (1). Il s'agit ici, bien entendu, d'une communion spirituelle.

    Le Père me dit ensuite " Je veux vous donner aussi l’extrême-onction ", et pendant qu'il récitait les paroles que l’on dit alors, je les suivais avec des grands sentiments d'amour et je me sentais faiblir peu à peu (2). Il m’inspira encore quelques pieuses pensées, me parla des plaies de Jésus, de son sang, des mérites de ses souffrances, des mérites de la sainte Vierge et de son coeur percé de sept glaives, puis commença la recommandation de l’âme. Pendant ce temps, je senti ma vie s'en aller, mon corps devenait rigide et sans forces, le coeur amoureux n'attendait plus que l’ordre de mourir. J'entendis cet ordre et aussitôt le coeur quitta mon corps, l'âme partit avec le cœur et je restait réellement morte.

  3. Si le P. Tassinari avait, ainsi que l’écrtt la sœur, récité toutes les paroles qni se disent dans l’administration du sacrement des mourants, il aurait commis un sacrilège indigne de lui. Nous devons donc supposer que la bonne Véronique, dans sa prostration physique et morale, n'entendait pas bien ce que le confesseur lui disait et que le Père lui récitait quelque prière ayant un sens qui se rapprochait de l'extrême-onction; demandant au Seigneur pardon pour les fautes commises par la mourante, en ses cinq sens; par les merites de sa passion et de sa mort. (Note du P. Pizzicaria.)
" A peine expirée, je me vis dans un lieu, très obscur et abandonnée. Mon âme était unie à la volonté de Dieu. Tout à coup une lumière m'appârut, elle me guidait pour paraitre devant Dieu.

Je ne le trouvais pas sévère, mais tout amour quoiqu'il dût me juger. Il me dit que, par le moyen de l'obéissance, ce ne serait pas le jugement (1). Cependant, il me montra une troupe de démons qui se disputaient avec stupeur se mordant comme des enragés parce qu'ils ne pouvaient m'enlever à Dieu, car il leur était interdit de m'approcher là ou je me tenais sous le commandement de l’obédience, c'est à-dire près de Dieu. Cependant mon âme était toute pleine d'angoisse, attendant la sentence divine. Marie vint prier son divin Fils de me faire la grâce de renvoyer mon âme dans mon corps inanimé, car le Père m'avait bien ordonné de mourir, mais aussi de ressusciter ensuite. Alors Jésus et Marie donnèrent leur bénédiction à mon âme et lui commandèrent de retourner dans mon corps. La sainte Vierge remit dans ma poitrine le cœur blessé et je revins de la mort à la vie. J'étais toute raide, sans force, et pendant longtemps, je ne pus articuler une parole.

(1). C'est-à-dire que cette mort, quoique réelle, n'était pas évidemment la fin de la vie de Véronique, mais un acte de parfaite obéissance, il n'y avait pas à lui faire subir le dernier jugement. 460 " Émerveillée de ce prodige, je me reconnaissais très obligée à Dieu. Je me sentais tout autre, mon cœur et mon âme avaient d'autres pensées et quoique ce miracle durât pendant peu d'heures, je me demandais s'il n'avait pas duré un siècle.

" Tous mes membres étaient comme des morceaux de bois, je ne pouvais fermé un doigt pendant un certain temps, je ne pouvais parler car ma langue était comme paralysée. Dans le cœur blessé se mouvaient les instruments, mais d'une façon occulte et je crus comprendre que la sainte Vierge me commandait de racontera à son serviteur, de sa part, tout ce qui m'était arrivé. Je devais lui dire que ma mort ne fut pas apparente, mais vraie et réelle, que j'avais trouvé un juge miséricordieux à cause de la confession que j'avais faite peu avant d'expirer, enfin que je devais me préparer à beaucoup souffrir parce que Dieu voulait que je vive de cette vie actuelle.

En revenant à moi, je me sentis glacée comme un cadavre avec une grande douleur au cœur. Je dis : " Père, êtes-vous là? " Il me répondit : " Oui, je suis ici ". Je demandai selon mon habitude : que m'ordonne la sainte obéissance? Il répondit " Le récit de tout ce qui vient de se passer ". Je lui dis alors comment je me trouvais. Il m'ordonna de ne pas faire attention à l'humanité et de raconter exactement tout. Il me dit cela avec une certaine gravité résolue qui me fit trembler et ce fut dans ce tremblement que je lui fis le récit bref qu'il exigeait. Chaque fois qu'il me parlait, il me semblait entendre la voix de Dieu lui-même.

J’était stupéfaite de me retrouver en vie parce que le peu de temps que j'étais restée morte m'avait paru une éternité.

Véronique ressemblait de plus en plus à un ange sur ta terre. Son corps est tellement maté, dompté, annihilé par l’âme, qu'elle peut dire sincèrement ces paroles qui font frémir : " Sans la défense de mes Supérieurs, je me serais flagellée jusqu’aux os, j’aurais mis chair en miettes pour l'amour de Dieu. "

Ses compagnes ne peuvent assez contempler son visage séraphique. " Nous la voyions, dit la Mère Spanacciari, si absorbée en Dieu, si élevée au-dessus de ce monde que bien souvent nous allions lui demander la bénédiction au chœur, et elle ne nous voyait ni ne nous entendait. "

" Elle était continuellement en extase, dit une autre. Ceux qui ne l'eussent pas connue, à son seul aspect, devinaient une âme uniquement occupée de Dieu. " Toutes affirment que la sainte Abbesse faisait l'admiration et l’édification de la communauté. Et cependant il y avait encore des cœurs aigris et jaloux parmi les religieuses, des cœurs qui n’aimaient pas Véronique. En 1718, elle avait encore deux ennemies au couvent. L’une mourut en 1720, mais l’autre demeura toujours insensible à cette vertu à la fois si aimable et si éclatante et ne reconnut son erreur qu'après la mort de la sainte.

Véronique avait espéré qu'au bout de trois ans elle serait délivrée de sa charge d'abbesse. 462

Vers époque de l'élection voyant que les soeurs étaient bien décidées à la réélire, elle écrivit au P.Tassinari pour le supplier de lui défendre d'accepter cette dignité. Elle usa même d'un moyen d'un moyen d’une naive candeur. Elle imagina d'envoyer à Mgr Codébo une confession de toutes les fautes qu'elle avait commises comme abbesse pendant ces trois ans, se figurant dans son humilité, que l'évêque allait la declarer indigne de gouverner encore les capucines mais le P. Tassinari, et le prélat ne se laissèrent influencer par ces démarches. Lorsque, après le scrutin, elle se vit réélue, elle crut, dit-elle, mourir de la violence de son chagrin. Elle voulut essayer de remontrer son indignité à l’évêque de Citta di Castello qui présidait l'élection, mais celui-ci lui coupa brusquement la parole.

" Taisez-vous, dit-il, c'est la volonté de Dieu. Obéissez. "

Il avait cependant fallu obtenir, pour cette réélection, une nouvelle permission du Pape et du Saint-Office. Véronique dit humblement que Dieu lui imposa cette nouvelle croix pour la punir d'avoir mal gouverné le couvent pendant les trois années précédentes.

"Le Seigneur lui imposa de garder ce fardeau sur ses épaules jusqu'à la mort.

Nous ne nous arrêterons plus à détailler Les dernières années de sainte Véronique. Sa vie est l’uniformité du miracle. Elle poursuit celle existence de haute mysticité, dont nous avons essayé de donner une idée. La souffrance continue a formé la trame de ses jours. Elle passe les souffrances de la Passion aux tortures du purgatoire, et séance dans de merveilleuses extases, jusqu'à ce troisième ciel dont saint Paul se dit incapable de raconter la splendeur. Elle ne redescend sur terre que pour lutter avec le démon, et ainsi elle arrive dans ces travaux si divers, jusqu'au terme de ces trente-trois années prédites portant sur elle les insignes de son alliance divine : les stigmates.

Depuis deux ou trois ans, les accès d'hydropisie revenaient plus forts. Elle avait été guérie miraculeusement des premières atteintes du mal, dix ans auparavant, mais maintenant Jésus voulait qu'elle ajoutât ce mal si pénible à la série de ses douleurs. Les sœurs ne se préoccupaient pas beaucoup de cet état, parce qu'elles étaient si bien habituées aux guérisons miraculeuses de l'Abbesse qu'elles ne doutaient pas d'un nouveau miracle.

Cependant, la Mère Véronique parlait plus souvent de sa mort. Elle précisait davantage le moment fatal. Une révélation le lui avait appris. Son confesseur l'interrogeant, elle lui répondit qu'en effet la sainte Vierge lui était apparue et lui avait annoncé sa mort, en ajoutant qu'avant de mourir, elle devrait subir trois purgatoires. Le premier, donné par Dieu, consistait dans des maladies très graves, très douloureuses dont elle devrait être torturée le second viendrait de l'obéissance à ses directeurs qui devaient éprouver sa patience de plusieurs ma mères très pénibles, et enfin le troisième serait accablé par le démon, qui redoublerait ses assauts avec une rage désespérée. A cette prédiction, l'humanité défaillait de terreur, mais tant de fois elle avait dû se soumettre à l'esprit. Cette fois encore, Véronique accepta le calice d'amertume avec joie.

A ses filles, la sainte Abbesse ne cachait pas davantage les préparatifs de départ. Un peu avant sa mort, distribuant les emplois aux sœurs, elle dit à la Mère Boscaini, en lui con nant la charge de sacristine " C'est la dernière fois que je distribue les offices. "

Quoi? s'écria une soeur présente, quoi, Mère Abbesse, voulez-vous dire que vous allez mourir?.

Véronique sourit et fit un signe d'acquiescement. Pendant les chapitres de cette dernière année, lorsque arrivait le tour de la sœur Gabrielle Brozzi de faire sa coulpe, les autres sœurs remarquèrent qu'au milieu des avis qu'elle lui donnait, la sainte Abbesse répétait toujours cette phrase : " sœur Gabrielle, préparons-nous. Pour nous, le temps devient court ". Effectivement, cette sœur mourut trois mois après Véronique.

La même Sœur Boscaini fut envoyée un jour, par le confesseur, pour qu'elle communiquat à la Supérieure un certain trouble qui la tourmentait : " Écoutez-moi, quand vous aurez le temps dit-elle ". Mais Véronique laissant là ce qu'elle faisait, se rendit aussitôt dans la cellule de la sœur Boscaini Il vaut mieux que j’obéisse immédiatement, dit-elle, qui sait si j'aurai le temps plus tard!.

Le lendemain, en effet, elle commencait sa dernière maladie.

C’était le 6 juin 1727, en l’octave de la Pentecote. La communauté communiait ce jour-là. Les sœurs s’étonnèrent de l’agitation leur Mère. Elle hatait tant qu’elle pouvait les préparatifs. Après son ordinaire confession matinale, elle appella la sacristine pour lui dire de donner bien vite la mèche avec laquelleon allumait les quatre cierges placées à la fenêtre de la communion. Elle alluma elle-meme ces cierges, puis acheva sa préparation. A peine eut-elle reçu la sainte hostie qu'elle s'affaissa tout à coup, frappée d’apoplexie. On se précipite, on la relève, on l'assied sur un escabeau qui se trouvait là (1), mais elle, le visage rayonnant de bonheur, les yeux levés vers le ciel, est ravie en extase pendant qu’elle répète joyeusement : " Je m’en vais! Je m'en vais! " ~ 466

Il fallut transporter la vénérable malade à l’infirmerie. Dans leur trouble, les sœurs la portèrent dans la salle la plus rapprochée afin de moins la fatiguer. Cette salle obscure, véritable prison, était justement celle ou était restée enfermée par ordre du Saint-Office, après avoir reçu les stigmates.

Pendant qu’on essayait de la faire revenir à elle, on faisait appeler son confesseur, le P. Roméro Guelfi, le médecin Bardigo et le chirugien Gentili. Mgr Codebo accourut aussi, car, pour tous la sainte abbesse était précieuse, et tous souhaitaient ardemment la garder encore longtemps sur cette terre.

Véronique, elle, n'avait de pensées que pour l’Époux divin qu’elle allait rejoindre. Il est vrai qu’une révélation lui avait apprise que sa maladie aurait ce nombre mystique de trente-trois jours que Jésus aimait à faire entrer si souvent dans la vie de la bien-aimée. Mais la sainte ne voulut jamais tenir compte de ses révélations pour agir, se défiant trop d’elle-même. Aussi, dès qu'elle apercu le confesseur, elle lui demamda l'extreme-onction, mais le P. Guelfi la refusa, ne trouvant pas encore l’heure arrivée. Véronique se tut, résignée. L'entrée de Mgr Codebo dans sa cellule lui causa une véritable confusion. Elle ne se jugeait pas digne de cet honneur, et toute suite, protesta qu’elle était la plus misérable du couvent. Elle s’accusa de n'avoir jamais bien correspondus aux bienfaits de Dieu, depuis cinquante ans qu’elle était dans la vie religieuse, et de n,avoir su acquérir aucune vertu. Dans son humilité touchante, elle croyait avoir été pour ses soeurs un objet de scandales et leur demandait pardon ainsi qu’à l'évêque. " Je suis une grande pécheresse, répétait-elle, ne vous affligez pas de mon départ. " Elle aurait voulue recevoir du prélat la bénédiction in articulo mortis, mais lui aussi ne trouva le danger assez grand. Pour la consoler et lui accorda de communier tous les jours, grâce qu'elle souhaitait ardemment.

Les trois purgatoire prédits commençaient. Comme l'habile ouvrière met la dernière main a sa broderie superbe, avant de la présenter au roi pour qui elle travaille, ainsi Véronique achevait la trame sainte de ses jours par une dernière et terrible souffrance, dernier joyau à placer dans la conronne qui rattendaft tà.haut. Elle devait souffrir dans tout son corps, dans son âme, dans son coeur, elle devait boire le calice jusqu'à la lie. 468

Le mal s'aggravait rapidement. Une fièvre ardente la dévorait, chacun de ses membres souffrait d'une souffrance particulière aux plus fortes douleurs de tête s'ajoutaient des rages de dents, des coliques, des tiraillements de nerfs. Les jointures de ses os lui donnaient des élancements insoutenables et de continuelles nausées rempechaientde retenir aucune nourriture ni aucun remède. Et cependant ce n'était pas assez. Les médecins vinrent ajouter à son martyre les supplices de leur barbare médication. Ils avaient fait transporter la sainte dans une cellule plus claire et s'efforçaient de combattre le mal par tous les moyens en leur pouvoir. Comme il se voyaient, surtout, dans le mal, des symptômes apoplectiques, ils recommencèrent les boutons de feu à la nuque, les saignées, les médicaments les plus violents. Véronique souffrait sans se plaindre, car toute cette médication augmentait son supplice. Elle ne pouvait avaler une médecine sans attendre aussitot dans des spasmes de douleur aigues ; si on essayait de la changer de place pour la soulager, les mains des sœurs, si doucement qu’elles touchassent, lui causaient de telles souffrances qu’elles s’évanouissait. Elle avoua même une fois à une personne qui l’interrogeait que le moindre mouvement lui occasionnait des souffrances comme celles de l'enfer.

Avec une résignation héroique la pauvre malade, tout en sachant très bien ce qu'elle avait souffert, se soumettait à toutes les médications. Elle s'efforçait, avec une docilité touchante, d'avaler tout ce qu'on lui présentait, mais elle le rejetait aussitôt. Alors le confesseur et les sœurs qui la gardaient lui reprochaient de ne pas essayer de conserver ces remèdes, et la traitaient même de désobéissante. Par une sévérité qui parait excessive, on la grondait également lorsque, dévorée de fièvre, elle réclamait quelques gouttes d'eau distillée, et on la traitait de personne peu mortifiée. On défendit même aux sœurs infirmières de lui donner une goutte d'eau. L'une de ces sœurs, la Mère Boscaini, l'atteste au procès :

" Elle se sentait consumée par son ardente fièvre ", dit-elle, et sa bouche était comme brulée de sécheresse. Je la voyais souffir de ce feu ardent et fébrile qui lui donnait une soif continue, elle demandait alors un peu d'eau distillée ou autre chose pour la soulager. Mais ordinairement la médication on le lui refusait et meme on la reprenait comme d’un manque de mortification. On ne me défendait et aux autres infirmière de rien lui donnée à boire, ni aucun autre réfrigérant! Dès qu’elle entendait qu’on lu parlait au nom de l’obéissance, elle se résignait tranquillement. Nous autres infirmières, nous étions bien tourmentées de la voir dans cet état, car la nécessité de lui donner un peu d'eau ou d’autre boisson était vraiment très grande, et même nous trouvions durs et sévères les ordres du Père confesseur et de la Mère Vicaire. Florida Ceoli. Il arriva même que sœur Gabriella Brozzi, émue de compassion, alla chercher dans le jardin un fruit et le porta à la vénérable malade. Celle-ci à la vue de ce fruit, parut contente et montra le désir de l’avoir ; en ce moment vint la dite Mère Coeli et le confesseur qui grondèrent sévèrement la Sœur Brozzi et confisquèrent le fruit. La vénérable Mère Véronique se soumit humblement en silence, mais la Sœur Brozzi me dit qu’elle ne pouvait voir la pauvre malade si cruellement alterée, sans lui donner quelques gouttes de rafraichissement (1).

  1. On ne comprend pas bien pourquoi le Père Confesseur et la Mère Vicaire agissaient si durement envers Véronique, sinon par une inspiration divine, le Seigneur voulant que la sainte accomplit son œuvre expiatrice jusqu’au dernier soupir.
Heureusement Mgr Codebo était plus impitoyable et lorsqu'il venait, ordonnait à Véronique de réclamer tout ce qui pouvait la rafraichir, et c’était un petit repos dans ce purgatoire. 471

Mais la sœur Boscaini reprend :

" Cette ardente fièvre de la Vénérable, non seulement rendait sa peau brulante sur tout le corps, mais surtout se jetait, sur les mains qui étaient tout enflammées, comme si elles eussent été brûlées. Elle, dans sa souffrance, me demandait de jeter quelques gouttes d'eau sur ses mains. J’étais obligée de lui dire que je n’en avais pas la permission. Elle répétait quelquefois peu après sa demande, puis humblement se résignait dans l’obéissanee. Je lui donnais quand je pouvais un petit raffraichissement d’eau et de vin préparé par la Mère Vicaire. Mais on ne lui accordait ce soulagement que quatre ou cinq fois par jour, et, encore on lui présentait un tout petit verre comme ceux qu'on emploie pour prendre le rosolio (espèce de liqueur). À peine y avait-elle posée les lèvres qu'elle les retirait, et me voulait en prendre que la moitié ".

Un jour la soeur Giacintha, ne pouvant supporter davantage la vue du supplice de Veronique, malgré la défense de lui donner aucun rafraichissement pris une bouteille d’eau de vese que la Mère Coeli avait laissée dans la cellule. La sœur en baigna avec un linge les parties du crops dont la peau, dans le lit, s'était enflammée et saignait. Aussitot un démon apparut à la malade portant un flacon d'eau de rose pareil à celui qu'avait pris la Sœur Giacinta, il le brandissait joyeusement en disant à la Mère que la sœur Giacinta avait manqué à l'obéissance par compassion pour elle. La Mère Véronique manda à l'instant la soeur soi-disant coupable et, devant les autres religieuses, lui demanda avec une profonde humilité pardon de sa faute.

Le charitable évolue de Citta di Castello venait souvent visiter la sainte et celle-ci ne cessait de lui témoigner un profond respect, toute confuse d'un honneur dont elle se croyait indigne. Que lui demandait pardon de ses fautes, raconte toujours la soeur Boscaini, et le fit propriétaire de toutes ses souffrances en cette dernière maladie, les offrant au prêlat pour qu'il les appliquât selon son bon plaisir, et pour le bien de son diocèse. Dernier acte de l'héroique charité de cette âme généreuse qui avait consacré sa vie au bien du prochain et à la gloire de Dieu.

Le démon pouvait-il conserver quelque espoir de gagner encore à lui une telle âme, ou bien pronta-t-il des derniers jours de cette sainte vie pour assouvir sa rage et son dépit? Dieu permit qu'il assaillit la sainte jusqu'à son dernier jour. C'était le purgatoire que Véronique devait subir de la part des démons.

Ils la tentaient contre la foi et t’espérance, essayant de la faire tomber dans le désespoir ou de lui faire peur en lui apparaissant sous la forme de hideux Éthiopiens ou encore sous forme d'ânes qui accouraient vers son lit et se met ~ientabraireaaesoroi elles avec une face que doublait le mal de la tête endolorie. Un matin qu'elle était seule, est-il raconté au procès, le démon, sous la forme de l’évêque, arriva auprès d’elle et, d’un ton irrité, lui dit qu’il connaissait maintenant clairement qu’elle avait toujours vécu dans le mensonge, qu’elle s’était trompée et trompait les autres et qu’est ce qu'elle croyait avoir les grâces de Dieu n’étaient qu’illusions et mensonge du démon. Aussi, il reviendrait l’après-midi avec ses ministres, afin qu'en leur présence et devant toutes les sœurs, elle confessât son hypocrisie et avouat ses erreurs. J'étais alors à l'infirmerie, continue la narratrice, avec deux autres sœurs, nous étions toutes trois indisposées, la Vénérable nous appela et nous dit avec précipitation " Mes soeurs, recommandez-moi à Dieu a de tout votre cœur, recommandez-moi! " Voyant sa grande agitation mèlée d'une humble crainte, nous lui demandâmes. " Qu'avez-vous, Mère Maîtresse, qu'est-ce qui vous agite? " Elle, humblement, répondit Mgr l’évêque est venu et m'a dit qu'il avait reconnu que je me trompais, que je trompais les autres et que j'avais vécu comme une hypocrite. Et aujourd'hui il va revenir avec d'autres, afin que j'abjure ma tromperie devant tous; auriez-vous quelque lumière qui vous fasse croire qu'il en est vraiment ainsi pour moi je suis prête à obéir, Nous lui dimes que certainement Monseigneur n'était pas venu parce que nous n’avions pas quitté l’infirmerie. " Comment? " dit-elle, mais il doit encore être dans les escaliers, vous me dites cela pour ne pas me faire de la peine! . Il nous fut facile de lui prouver que c'était une nouvelle méchanceté du démon, mais, nous fumes grandement édifiées d’une telle humilité, d’une telle résignation si parfaite.

Une autre, très douloureuse épreuves fut les subites absences de mémoire de Véronique au moment ou elle devait se confesser. Elle se préparait très bien, puis, lorsque le pretre arrivait, elle ne savait plus ce qu'elle devait dire. Celui était un grand tourment, car, toute sa vie, la confession avait été pour elle un secours puissant, une force, un rafraichissement. Le Père, voyant qu'elle ne savait, plus rien dire, la grondait sévèrement. Elle s'excusait humblement, disant qu’elle avait fait son possible, mais qu'elle ne se souvenait de rien. Le confesseur partait et la pauvre malade, sans se plaindre de ce qu'on l’a traitait si impitoyablement demanda aux sœurs, aux novices, à toutes celles qui venaient, de prier Dieu pour elle afin qu'il lui rendre la mémoire. Deux novices, la prenait en pitié, essayaient comme à un petit enfant, de lui apprandre à se confesser. La sainte les écoutait avec humilité et reconnaissance et les remerciai de tous son coeur. " Dieu vous récompense ", leur disait-elle, je ferai comme vous me le dites. 474

Au milieu de tant de souffrances, son âme demeurait toute en Dieu, le désir du ciel grandissait dans son coeur depuis si longtemps détaché de la terre, elle n’attendait plus que la mort. Mais elle était réellement comme elle le signait toujours "fille de l’obéissance " et sa mort meme devait etre un acte de supreme soumission. Tout les jour, elle demandait au confesseur la permission de mourir. Tous les jours, elle lui était refusée. " Quel supplice, disait-elle tristement aux sœurs, se sentir mourir et ne pouvoir expirer!

Celle qui, toute sa vie, avait pratiqué l’obéissance à un degré héroique, qui avait fait de cette vertu la base de sa sainteté, ne devait pas meme la consolation de voir cette vertu appréciée en elle. C’était un ultime et très douloureuse humiliation que Dieu lui imposait. Pendant cette dernière maladie, elle se vit presque journellement traitée de désobéissante. Tous ses efforts pour obtenir, au prix des plus cruelles souffrances, semblaient mécoonus. Elle n’en montra jamais d‘impatience, ne fit aucun reproche, ne chercha meme pas às’excuser. Son obéissance n'en devenait que plus empressée. N'entendez-vous pas qu’on sonne matines, lui dit une nuit le P. Segapoli qui l'assistait, n'allez-vous pas à l’église? . Et la pauvre mourante de se redresser péniblement et de chercher à sortir de son lit malgré sa paralysie. Il fallut que le Père lui défendit d’essayer de se lever.

Une autre fois, regardant les bandellettes qui enveloppaient les mains stigmatisées de la Mère Véronique, le meme Père lui dit dédaigneusement: Qu'est-ce que cela? Il menait les bandelettes quelle est cette hypocrisie? Il n'avait pas acheva ces mots que la sainte, souriante et douce, lui tendait sa main droite, la seule qu'elle pût remuer; Voici ma main, lui dit-elle, l’obéissance m'a mis ces bandelettes, que l’obéissance ment

On ne lui permettait meme pas de délirer. Lorsque la fièvre lui troublait l'esprit, lui faisant prononcer parfois des mots incohérents ou sans suite, le confesseur lui disait brusquement: " Taisez-vous, et faites en sorte que je n'entende plus ces sottises ". Aussitôt elle se taisait. Alors, dit une sœur présente à ces incidents, le confesseur exigeait qu'elle lui rendit compte de son âme. Elle le faisait immédiatement, lui disait les oraisons, les prières qu'elle avait faites, d'une manière si sensée que nous restions stupéfaites de cette force d'esprit. Ses communions journalières étaient son unique soutien avec la vue du crucifix. Elle ne le quittait pas, le pressant sur sa poitrine, lui parlant, le priant, avec une dévotion inexprimable. Elle appelait le crucifix et portier de son cœur. "Voyez ", dit-elle un jour à des novices, en leur montrant son précieux trésor. Voyez, l'amour s'est laissé prendre. Voici la seule cause de mes souffrances. La sainte pria ses enfants de lui chanter un cantique qu'elle aimait beaucoup, sur l'incarnation du Verbe. En l’écoutant, elle pleurait " Pourquoi pleurer-vous lui? " demandait-on. Elle avec un élan indicible, s’écria " Ah! comment vous voûlez vous que je ne pleure pas à penser à tant d’affection. "

Les longues heures de souffrances se passèrent dans des actes d’ardent amour, de résignation, de foi et d'espérance. Le médecin lui-meme était touché et ému devant cette piété angélique. Un jour qu’il exhortait sa malade a unir ses souffrances à celles de Jésus, elle lui répondit : " pour se faire un gain de la souffrance, Il faudrait l’accompagner de mérites que je n'ai pas. Mais cependant, je supporterais bien volontiers ces souffrances et d'autres encore, pourvu que ce soit la volonté de Dieu! "

Lorsque Mgr Codebo venait visiter la malade. Elle demandait à prendre dans ses mains sa croix pectorale, parce que, disait-elle, elle en éprouvait une grande consolation.

Un jour elle lui dit tout à coup Monseigneur, après ma mort, vous pourrez faire de mon corps ce que vous voudrez?

"Que voulez-vous donc que je fasse de votre corps?" répondit le prélat avec dédain, surpris de l'étrange apostrophe.

Elle, sans s'émouvoir, répéta la même chose, car Dieu lui avait révélé que son cœur serait ouvert comme preuve incontestable de la vérité des merveilles qu'il y avait opérées. L’évêque, en ce moment, ne pensait guère à cela, et crut que la malade délirait. 477

Après trente jours d'un long supplice, l’état de Véronique s'aggrava, la fin était proche. On lui donna l’extreme-onction et Mgr Codebo vint lui apposer la bénédiction in articulo mortis. Ses douleurs semblaient apaisées, une grande paix succédait à la fièvre brulante. Véronique, les yeux mi-clos, le visage irradié d'une joie surnaturelle, paraissait plongée dans une extase continuelle. Aux yeux des assistants, elle conversait déjà avec son Époux Jésus, avec Marie, avec les saints qu’elle aimait le plus. On suivait sur son visage, devenu d'une beauté ravissante, les phases de ses visions, les élans de joie et d'amour de son coeur.

Elle voulut se confesser encore, avant de recevoir le viatique divin de son dernier voyage, et voulut aussi demander encore pardon à ses soeurs. Comme sa voix était trop faible, elle pria le confesseur de parler pour elle. Une sœur était absente, retenue dans sa cellule par une indisposition. Elle envoya quelqu’un implorer pardon pour elle. Puis ce fut, après la communion, un dernier et mysterieux colloque terrestre entre le Seigneur et son élue, d'où elle sortit pour donner, de sa voix de mourante, quelques conseils d'adieu à ses filles. Cette règle qu’elle avait tant aimée et observée, elle les suppliait de ne jamais la perdre de vue, elle les exhortait à la paix, à la charité, à la pénitence et leur donnait à toutes son crucifix à baiser. Une dernière fois l’évéque arriva auprès de la sainte, posa sus ses levres sa croix pontificale avec une dernière bénédiction suivie par celle du confesseur, du saint Rosaire et des sept douleurs.

Un grand calme se répandit sur les traits de la mourante, on la voyait prier intérieurement, serrant dans ses mains tremblantes le crucifix, son unique amour ici-bas. L'agonie commencait. Autour d'elle on récitait les prières des agonisants, entrecoupées des sanglots des sœurs désolées. Véronique suivait les oraisons dans une paix profonde, comme le prisonnier qui attend l'heure de la délivrance déjà plein de joie à la pensée de la liberté. L'aube blanchissait le ciel. L’aube du jour d‘été, qui se lève fraîche et souriante comme un reflet de paradis. Véronique est là, toujours calme, mais si faible qu’on percoit a peine son souffle. Le confesseur se penche sur elle et lui montre le ciel qui rosit. Allons, soeur Véronique, dit-il, soyez heureuse, vous allez rejoindre celui que vous avez tant désiré.

La sainte ouvre les yeux, radieuse, mais son regard se fixe avec insistance sur le Père, il le suit partout, il demande une grâce, mais laquelle? Le Père cherchait sans rien trouver. Il priait, reprenait les prières des mourants, suggérait des pensées dévotes, toujours les yeux suppliants de Véronique s'attachaient à lui

Tout à coup, il comprit. Dieu lui faisait connaître le désir de sa servante. Il se souvint que, bien des fois, Véronique lui avait dit qu'elle ne voudrait pas quitter ce monde sans sa permission, voulant, comme son époux Jésus, être obéissante jusqu'à la mort. S'armant d’une vive foi, le coeur ému devant ce mystère de vertu surhumaine, il dit à la mourante sœur Véronique, " si le bon plaisir de Dieu veut vous reprendre ici-bas, et s'il est agreable a sa Majesté divine que l'ordre de son ministre intervienne ici, je vous donne cet ordre. "

À peine le P. Guelfi eut-il prononcé ces paroles solennelles qui marquaient la fin des trois heures d'agonie, subie comme Jésus sur la croix, Véronique regarda ses filles assemblées comme pour leur dire un dernier adieu et baissant la tête, elle rendit l'esprit. 480

On était au matin du 9 juillet 1797, sainte Véronique venait d'atteindre ses soixante-sept ans, elle achevait ses cinquante ans de vie religieuse et les onze années de son gouvernement d'abbesse.
 
 

CHAPITRE XXII

POST MORTEM LES FUNÉRAILLES. LE CŒUR AUTOPSIÉ. MIRACLES APRÈS LA MORT. CONCLUSION.

Autour du couvent, la foule anxieuse se pressait depuis qu'on savait la sainte en agonie. Qui donc, dans Citta di Castello n’avait pas imploré l'assistance de l'abbesse Véronique? Combien lui étaient redevables de grâces? Elle était la protectrice de la cité. C'est en vain qu'elle avait caché la vie au plus profond du cloitre, elle avait rayonné au loin, et la gloire n'attendais pas sa mort pour la couronner. Sans ce fut une explosion de sanglots, de cris, de gémissements, lorsqu'on ouvrit la porte du couvent pour annoncer que la sainte venait de partir pour le ciel. On eût dit que chacun perdait sa mère. Ce fut, dit le promoteur du procès de canonisation, un vrai tumulte dans toute la ville puis, espérant pouvoir contempler les traits vénères de Véronique, la foule se porta au monastère, emplissant l'église et ne voulant pas s'en aller qu'elle n'eût jeté un regard sur le doux visage de l’Épouse du Christ et baisé ses stigmates.

Mais au couvent se passaient des scènes non moins émouvantes Mgr Codebo assemblait autour de lui quelques prêtres éclairés, et les autres religieuses les plus prudentes et les plus vertueuses du couvent, afin d’examiner s’Il m'y aurait pas lieu d'ouvrir le cœur de Véronique et d'examiner ses stigmates, afin de constater si, vraiment, il y avait dans son cœur quelques signes extraordinaires. Le prélat se souvenait des dernières paroles de la vénérable défunte : " après ma mort vous ferez de mon corps ce que vous voudrez ".

Tous ceux qui avaient connu Véronique rappelèrent les merveilles des stigmates, l'odeur suave de la blessure du coeur, et ce miracle, sur lequel les médecins appuyèrent elle gardait ses plaies vives et saines comme des plaies nouvellement faites. Or, il est impossible qu'une blessure reste vive sans s'en nammer ou s'envenimer, elle doit, ou se cicatriser, ou devenir purulente. Les plaies de Véronique avaient un caractère absolument phénoménal.

Il fut décidé qu'on ouvrirait le corps virginal. Devant une assistance respectueuse et émue, le médecin et le chirurgien qui avaient soigné Véronique constatèrent d'abord, au côté gauche, la cicatrice d'une blessure. ils constatèrent que cette blessure avait du être profonde et atteindre directement le cœur. Le cœur extrait, il fut constaté que la blessure le traversait de part en part. On l'ouvrit, et à l'admiration des assistants, il s'y trouva dans la partie supérieure différents signes formés d'une matière dure et brune comme des muscles durcis. Ils dessinaient parfaitement les instruments de la Passion, tant de décrits par la sainte, On y retrouva la bannière avec les initiales I et M, les clous, le roseau, la couronne d'épines, les sept épées des douleurs de Marie, une petite flamme, croix avec la lettre C. L’examen de cette partie du haut du coeur ayant duré longtemps, le P. Guelfi insista pour qu'on n’enlèves pas le reste du cœur et qu'on procédat tout de suite aux obsèques. On ne put ainsi continuer la vénération de tout ce que d'après l'aveu de Véronique, le Seigneur avait placé dans son coeur. L'évêque consentit à faire cesser l'autopsie. On se borna à constater le déplacement de l'os de l'épaule et son fléchissement, ainsi que la blessure faite par le poids de la croix. On examina aussi les stigmates des pieds et des mains et le procès-verbal, dressé et signé par les témoins, devint une preuve indéniable de la véracité des miracles de la vie de Véronique.

Un des motifs pour lesquels on devancait les obsèques, c'était l'affluence toujours grandissante de la foule autour du couvent. Beaucoup de monde avait passé la nuit devant la porte de l'église, attendant le moment où on exposerait les restes vénérables de la stigmatisée. Mais depuis le matin cette foule grandissait sans cesse. Ce n'étaient plus seulement les habitants de Citta di Castello qui arrivaient, mais à mesure que la nouvelle de la mort s'étendait au loin, les gens de la campagne accouraient aussi, et cette multitude, dans une attente prolongée, devenait impatiente et inquiète. Lorsqu'en enfin on ouvrit les portes de l'église ou l’on avait placé le corps vénérable de la sainte, et son cœur merveilleux, il y eut une telle poussée, un élan d'ardente dévotion si irrésistible que les restes précieux eussent été mis en pièce si on ne se fut haté, après une véritable lutte, de les rentrer dans le couvent.

Le lendemain l’évêque procéda aux funérailles solennuelles, entouré de tout le clergé de la ville, du gouverneur, des magistrats, de la noblesse et d'un concours immense de peuple. Mgr Codebo avait fait enfermée le corps vénérable dans un cercueil de chêne ( Les capucines étaient enterrées dans un grossier cercueil de bois blanc ). et on le déposa auprès des autres soeurs défuntes, dans le petit cimetière des capucines. Il fit mettre le coeur dans une boite à côté du corps, avec un parchemin enfermé dans une boite de fer blanc dans lequel était relaté l'autopsie du cœur avec les attestations des témoins. En même temps, il préparait le procès de canonisation en procédant à l’interrogatoire de vingt-cinq témoins, tous ayant connu intimement la Mère Véronique, c'est-à-dire les six confesseurs encore vivants, neuf des consœurs de la sainte, tes chirurgiens et médecins et quelques autres laiques. Cinq mois après la mort de la sainte, le dossier était complet, et un an après, le prélat demandait l'introduction de la cause.

Le 4 mars 1728, environ neuf mois après la mort de sainte Véronique, Mgr Codebo fit exhumer ses restes pour le smettre dans un caveau sous le chœur de l’église. On trouva son corps consumé dans l’humidité de la fosse pleine d’eau, mais odeur de corruption, ni aucune odeur de putréfaction, et on déposa son squelette enveloppe de laine blanche dans un autre cercueil.

Une nouvelle reconnaisance des précieux restes eut lieu en 1746 par le successeur de Mgr Codebà, Mgr Gasparini. Mais déjà Véronique avait été déclarée Vénérable, et les ossements furent déposés dans une châsse recouverte de cuivre, après avoir été respectueusement enveloppés de satin rouge. On déposa cette chasse sous la statue de Marie Addolorata, qu'elle avait tant aimée, avec l'inscription suivante en latin…

D. O. S Il. Ossa Ven. Servae Dei Soron. Verenocae de Julianis Cappuccinee

Ne subter labenttbus aquis penitus interirent Sac. Rituum Congregatione annuente iterum translata ac judicibus delegatis apostolicis episcopo Cortonen. atque episcopo Urbanien. etVaden. hic Anno DNI MDCCXLIX. .

En même temps qu’on établissait les bases du proces de canonisation, la dévotion à sainte Véronique grandissait tous les jours avec la renommée de sa sainteté. Nous avons dit que cette renommée avait, dès son vivant, franchi les grilles du monastère des capucines. Depuis longtemps on venait demander une prière de Véronique avec autant de foi qu’on eu pour un des saints les plus illustres de l’Église. Le grand duc de Toscane, Cosme III, se recommandait à la sainte chaque fois qu’il avait à entreprendre une chose importante, et lui envoyait souvent des aumônes. La belle-fille de Cosme III Violante de Bavière, obtint même la permission du Pape d'entrer dans le couvent pour pouvoir contempler de ses yeux les glorieux stigmates de Véronique. Combien de grands personnages eussent voulu obtenir la même faveur qui leur fut toujours refusée. La renommée de la sainte avait pénétré jusqu'en Allemagne, et l'empereur Charles V se nt recommander à elle, lui et toute sa famille. La confiance et l'estime en la Mère Véronique ne tardèrent pas à devenir un vrai culte qui augmenta à mesure que les miracles se multipliaient, soit à son tombeau, soit par ses reliques. La charité de la sainte ne s'était pas éteinte avec sa vie, elle continuait à se prodiguer du haut du ciel.

Parmi les miracles innombrables qui éclatèrent après sa mort, l'un des plus célèbres fut la guérison de l’archiprêtre de la Pieve di Saddi, don Gio. Francesco Leonazzi, qui ont lieu un mois environ apres la mort de Véronique. Don Giovanni fut atteint le 27 aout 1727 d'une attaque d'apoplexie Toute la partie droite de son corps était paralysé, il ne voyait presque plus et sa langue raidie l’empêchait de parler. Plein de foi en la puissance de Veronique, il demanda qu'on lui appliquat quelqu’une de ses reliques, ce qu’on fit. Il fut guérit aussitôt et trois jours après pouvait reprendre la célébration des offices à la stupéfaction des ouailles.

Peu après, un autre miracle non moins éclatant soulevait l’enthousiasme de toute la ville. Un paysan, en se rendant au couvent des capucines pour y vénérer Véronique, fut attaqué par un taureau furieux qui lui donna un coup de corne dans la gorge et l'envoya, blessé et meurtri, rouler dans un fossé plein d'eau. On le releva et on le porta mourant chez les capucines.

Un médecin appelé ne put que constater l’affreuse blessure de la gorge et tes autres meurtrissures graves. On le jugea dans un état désespéré et on lui administra tes derniers sacrements. Un Père Capucin qui se trouvait là, eut l'idée de mettre contre la blessure un morceau de toile qui avait touché le cœur de la Bienheureuse, et engagea te blessé à se recommander à Véronique. Dès le premier jour la blessure parut meilleure et le troisième jour, le brave homme reprenait, guéri, le chemin de son village.

Citons encore la guérison de la princesse Éléonore de Toscane qui, à la suite d'une petite attaque d’apoplexie, était accablée de maux de tete affreux et ressentait est toutes sortes d’autres souffrances. Le P. Guelfi étant arrivé a Florence ou la princesse languissait, il put lui donner les détails les plus circonstanciée de la mort de la sainte qu’il avait assistée jusqu'à son dernier soupir, et lui offrit une fiole pleine d’eau dans laquelle on avait lavé son cœur prodigieux. Pleine de confiance, la princesse avala quelques gouttes de ce liquide et, a l’instant, elle sentit ses forces revenir, ses douleurs cesser. Elle était completement guérie.

Les capucines ne pouvaient pas etre oubliées dans cette distribution de grâces. La soeur Marie-Madeleine Boscaini, cette fidèle amie de Véronique, recue la première les bienfaits de sa glorieuse compagne. A la suite d'un très gros rhume et d'un rhumatisme, elle était restée asthmatique et ne pouvait se débarrasser d'une fièvre qui la minait. Elle ne pouvait plus manger et une hydropisie grandissante l'accablait. Elle souffrait de tous ses membres et pendant onze mois subit un véritable martyre. Les médecins essayèrent en vain tous leurs remèdes. Elle était très mal lorsque son confesseur l’engagea à implorer l'assistance de Véronique. Point n'était besoin d'exciter sa confiance. Elle avait toujours aimé et vénéré la sainte Abbesse. Elle but de l'eau dans laquelle on avait mis un petit morceau d'habit de la sainte. La guérison fut instantanée. Pleine de joie elle se mit à courir dans tout le couvent, appelant les religieuses stupéfaites et remerciant a grands cris la Vénérable. Dans l’ardeur de sa reconnaissance, elle courut auprès d’une autre infirme et lui parla avec tant d'ardent et confiance que bientot, a son tour, l’infirme sortait de son lit, subitement guérie.

On examina cette guérison ainsi que celle de Mme Pacarini, de Citta di Castello pour le procès de béatification. Cette dame, atteinte d'une paralysie générale, fut aussi guérie soudain par l’attouchement d‘me retique de la Mère Véronique.

Soixante-trois ans après sa mort, le 7 juin 1802, le monastère de Citta di Castello célébrait en grande pompe la fête de la béatification de Véronique Giulani, en présence du roi Charles-Emmanuel de Sardaigne, de l’archiduchesse Marianne d'Autriche, de plusieurs cardinaux, d'évoqués, de prélats, d'illustres personnages, accourus pour rendre hommage à la grande sainte italienne. Malgré les tristesses des temps et les sombres nuages politiques, tous voulaient cet ébrerta nouvelle protectrice du pays.

Les miracles continuèrent d'éclater près du tombeau de sainte Véronique. Le parfum paradisiaque qui s'échappait pendant sa vie de la blessure de son coeur, se répandit plusieurs fois dans sa cellule et autour de sa châsse.

De tous côtés on suppliait le Souverain Pontife de faire commencer immédiatement le procès en canonisation, l'enthousiasme pour la nouvelle sainte croissait tous les jours, il est probable qu'on n'aurait pas tardé à placer Véronique Giulani sur les autels. Dieu permit que cette aurore resplendissante eût une éclipse soudaine et tendue. L'Église allait traverser de bien mauvais jours. Le Pape, prisonnier de l’empereur Napoléon, les cardinaux dispersés, les évêques persécutés, tel est le sombre bilan des douloureuses heures qui suivirent ta gracieuse fete de la béatification. Il fallut longtemps encore pour bander les blessures de l’Église persecutée.

Ce fut seulement le 26 mai 1839 que le pape Grégoire XVI promulgua le décret de canonisation. De nouveaux troubles vinrent encore assombrir l'horizon politique et religieux de l'Italie, le règne à la fois si glorieux et si douloureux de Pie IX ne put donner au pays de sainte Véronique le calme nécessaire à l'extension de la piété extérieure. Mais qui donc peut attendre la paix dans l'Église du Christ? N'est-ce pas au contraire dans l’épreuve que la foi se ranime et que la piété refleurit? Ainsi pensent les généreux dévots de sainte Véronique, et depuis ces derniers vingt ans, l'amour de l'Italie pour sa sainte et glorieuse Enfant s'est réveillé avec une intensité consolante. Celle qui avait tant souffert pour préserver son pays, et qui peut être t'a réellement préservé de la malédiction du ciel irrité, de l’invasion musulmane et des fléaux terrestres, cette sainte médiatrice devait-il évoquée plus ardemment dans les crises douloureuses des derniers temps, aussi les pieux habitants de Mercatello, lieu de naissance de Véronique, et de Citte di Castelleto, la ou se trouve son tombeau, deviennent plus nombreux et plus fructueux. Puisse cet humble ecrit et la gloire de notre chere sainte lui attirer un peu d'amour, un peu de confiance, un peu de foi, puissions-nous avoir augmenté le nombre de ses dévots clients, et nous serons alors largement récompenser du travail que nous lui offrons avec piété et reconnaissance.

Saint Roch (26 novembre 1907)

TABLE DES MATIERES

Événement remarquable de la vie de la sainte Véronique Giulani

I MERCANTELLO. LA FAMILLE GIULANI. NAISSANCE DE VÉRONIQUE. SA PREMIÈRE ENFANCE. SA PIÉTÉ EXTRAORDINAIRE. MERVEILLE ET FAVEURS CÉLESTES. 2

II LES ORPHELINS. DÉPART POUR PLAISANCE. PREMIERS ESSAIS DE PÉNITENCES. PREMIÈRE COMMUNION. 12

III PREMIERS COMBATS POUR LE CLOITRE. CALCULS MONDAINS DE LA PART DE SON PÈRE. DANGERS COURUS DANS LE MONDE. RETOUR À MERCANTELLO. ESSAIE DE PERFECTIONNEMENT. NOUVELLE POURSUITE DU MONDE. 20

IV. LES DERNIÈRES ÉPREUVES. VISITE À L’ÉVÊQUE DE CITTA DI CASTELLO. ORSOLA REÇUE AUX CAPUCINES. DÉPART DE MERCATELLO. L'ENTRÉE AU COUVENT. 31

V. LE NOVICIAT. PEINES ET TENTATIONS. PREMIÈRES RUSES DIABOLIQUES. CONSOLATIONS DIVINES. 36

VI LES EMPLOIS DU COUVENT. VICTOIRES HÉROÏQUES. MIRACLES. COMMENCEMENT DU JOURNAL. HORREUR DU PÉCHÉ. MEDITATION DIFFICILE. AMOUR DE JÉSUS. PÉNITENCES. 44

VII PRÉPARATION AUX NOCES DIVINES. PÉNITENCES. LA SOLENNITÉ DU SPOSALIZIO. L’AMOUR ET LA COURONNE. LA PURE SOUFFRANCE. 55

VIII LA COURONNE D’ÉPINE. TRAITEMENT DES MÉDECINS. LE CALICE D’AMERTUME. LE CŒUR ET L’ÂME. 64

IX LE DÉMON ET VÉRONIQUE. LE SAUVETAGE D’UNE ENNEMIE. LA CROIX SUR L’ÉPAULE. 72

X LE SAINT NOM DE JÉSUS. LES FÊTES DE NOEL. LE BAMBINO. VISIONS ET EXTASES. LA CLOCHE. PERSÉCUTION. LES CONFESSEURS. CONNAISSANCES DES ÂMES. COMMUNIONS. 81

XI LE GRAND JEÛNE. ABSTINENCE MIRACULEUSE. LES MIRACLES DU COEUR. 92

XII STIGMATISÉE. PRÉPARATION AUX STIGMATES. L'AGONIE AU JARDIN DES OLIVIERS. LA STIGMATISATION. 102

XIII L'HUMILIÉE. L’EXAMEN DES STIGMATES. LE SAINT-OFFICE. LA LIQUEUR MIRACULEUSE. 111

XIV LA MAITRESSE DES NOVICES. SA BONTÉ, SA BIENVEILLANCE, SON ZÈLE. CONDUITE ADMIRABLE ENVERS TOUTES LES SŒURS. EXTRAIT DU JOURNAL.119

XV. L'HEURE D'ÉTERNITÉ. LE JUGEMENT DE L’ÂME. FUREUR DE L’ENFER ET RUSES DU DÉMON. ZÈLE POUR LES ÂMES. 128

XVI LE PURGATOIRE. VÉRONIQUE EN PURGATOIRE. SES SOUFFRANCES. LES ÂMES DÉLIVRÉES PAR ELLE. 138

XVII LE P. CAPPELETTI. LE CŒUR DE VÉRONIQUE. LES NOTES DU P. CAPPELLETI. LA SAINTE VIERGE DIRECTRICE DE VÉRONIQUE 147

XVIII LES SOUFFRANCES DE LA PASSION. LE PÈRE CRIVELLI. VÉRONIQUE FLAGELLÉE ET CRUCIFIÉE. 157

XIX SOUS LA ROUE DU MOULIN. LA CONFESSION. VISIONS PROPHÉTIQUES. LES ANGES GARDIENS. 165

XX LA NOVICE DE MARIE. L'ABBESSE. LE TABLEAU MIRACULEUX. LE P. TASSINARI. VÉRONIQUE ABBESSE. 176

XXI LES DERNIÈRES ANNÉES. OBÉISSANCE MIRACULEUSE. VÉRONIQUE PRÉDIT SA MORT. SA DERNIÈRE MALADIE. LES TROIS PURGATOIRES. SA PRÉCIEUSE MORT. 187

XXII POST MORTEM LES FUNÉRAILLES. LE CŒUR AUTOPSIÉ. MIRACLES APRÈS LA MORT. CONCLUSION.196

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