SAINT VINCENT DE PAUL

 

TOME XV.

Mission et Charité N° 19-20

Janvier/Juin 1970

CORRESPONDANCE

LETTRES INÉDITES DE SAINT VINCENT

 

1. — LETTRE DE G. PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

J’ai été chez vous pour avoir ce bien, vous voir et vous parler de la pension de mon neveu Mathieu Pluyette, boursier de votre Collège (1), mais le saint exercice auquel vous êtes employé m’a ôté ce bien de pouvoir vous rencontrer. J’ai osé vous écrire ce mot par mon homme, bien connu dans le Collège du Cardinal, pour vous prier de me faire tenir ce qui est dû au petit, lequel est au Collège de Senlis. Deux quartiers seraient dus à la St Jean, si vous n’avez baillé quelque chose au Denis (2) sur celui de Noël ; nous tâcherons de vous le faire voir à la St Rémi, pour demeurer à Paris ou tirer de vous un consentement qu’il demeurera à Senlis, ce qui sera, comme je le crois, selon la conscience. Je vous envoie la quittance de ma main, sans spécifier la somme, et le restant à la St Rémi, en recevrai une du petit, ce qu’attendant je demeurerai toujours, Monsieur, votre très humble serviteur.

G. PLUYETTE.

De Fontenay, ce 3 juillet 1629.

Lettre 1. — Lettre signée. Original aux Archives nationales (Paris) M I05 (Collège des Bons-Enfants).

1). Les revenus du Collège des Bons-Enfants, affectés à l’entretien des missionnaires de S. Vincent depuis 1625, étaient grevés par une rente consistant en deux bourses fondées par Jean Pluyette, ex-principal du Collège au XVe siècle, en faveur des membres de la famille Pluyette de préférence. Voir Ch. Pluyette. Un recteur de l’Université de Paris au XVe siècle, Jehan Pluyette et les fondations qu’il institua, Notice biographique et historique, Paris, 1900.

2). Cf. Lettre 7, p. 6.

 

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2. — LETTRE DE G. PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

J’ai su que vous n’aviez pas écrit en votre livre l’argent que vous avez baillé pour la pension de Mathieu Pluyette, votre petit boursier, mon neveu. J’eusse bien désiré pouvoir vous voir pour cela, mais de crainte de ne pas vous rencontrer, j’ai écrit ce mot pour vous dire qu’il y eut un an au commencement de Carême qu’il fut reçu en la bourse, et que l’accord était fait avec le cousin qui céda la place, qu’il ne recevrait rien au terme de Pâques suivant. Toutefois nous n’avons su vous parler touchant ce quartier, car vous n’avez encore baillé pour mon neveu que trois quartiers : St-Jean, celui de St-Rémi et l’autre de Noël, comme vous pouvez le voir par les quittances, et est dû au principal de Senlis ce qui reste, car de mon temps on recevait neuf ou dix livres au terme de Noël plus qu’aux autres, à cause des terres du Mesnil. Ce porteur doit être frère du principal de Senlis, qui demeure chez un orfèvre, afin qu’on ne vous visse à fausse enseigne, qui me mandera ce que vous aurez arrêté touchant cela. J’eusse bien désiré vous voir, mais le Carême me retient. Ce sera, Dieu aidant, après les Pâques, ce qu’attendant je demeurerai, Monsieur, votre humble serviteur.

G. PLUYETTE.

De Fontenay, ce 13 mars 1630.

 

3. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce samedi 4 (mai 1630).

Mademoiselle,

La grâce de Notre Seigneur soit avec vous pour jamais !

Béni soit Dieu, Mademoiselle, de ce que j’ai plus tôt la nouvelle de votre guérison que de votre maladie ! Et je le prie qu’il vous fortifie entièrement et en façon qu’il se puisse dire un jour de vous

Lettre 2. — Lettre signée.

Original aux Arch. Nat. (Paris) M 105 (Collège des Bons-Enfants).

Lettre 3. — Lettre autographe.

Original au Musée historique de l’Orléanais, à Orléans.

Publié avec la disposition et l’orthographe de l’original dans les Annales C.M. 1947/1948. p. 499 500.

Publié partiellement, d’après le Manuscrit Saint-Paul, dans l’édition Coste, t. I, p. 82-83.

 

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que ces paroles de la Sainte Écriture vous regardent, qui sont : Mulierem fortem quis inveniet ? (1). Vous entendez ce latin ; c’est pourquoi je ne le vous expliquerai point.

Pour le temps que vous dites que les enfants sont à l’école, qui ne suffit pas pour leur pouvoir profiter, et les deux jours encore qu’ils ont de campos, je ne vois point d’inconvénient que vous allongiez un peu ce temps-là et que pour les raisons que vous m’alléguez, vous les occupiez ces deux jours-là, ni que vous tâchiez de faire venir à l’école celles qui n’ont point accoutumé d’y aller. Mais je pense qu’il sera bon de le faire agréer au bon M. Belin (2) et de rendre capables ceux qui en parleront, que vous en usez ainsi pour le peu de temps que vous avez à demeurer, et leur dire que ce n’est pas là une école, mais un exercice de piété pendant quelques jours.

Pour le petit Michel (3), soyez en repos ; il n’y a que deux ou trois jours que je le vis aller à sa leçon et qu’il se portait bien.

J’ai fait tenir votre lettre à Mlle Du Fay (4) et encouragé Mlle Du Fresne (4) d’aller à Villepreux (5), ce qu’elle a toutes les envies du monde de faire. Mais, certes, son indisposition ne lui permettra pas ce contentement qu’elle désire extrêmement. Je la recommande à vos prières, et vous, de bien prendre garde à votre santé et de ne pas trop prendre sur vous, ce que j’ai peur pourtant que vous fassiez, en ne voulant pas prendre le relâche de ces deux jours, ni vous tenir au temps qu’on a accoutumé d’employer à l’école. C’est pourquoi, en cette appréhension, je vous prie de vous contenter, quoi que je vous aie dit ci-dessus, du temps ordinaire. Ce procédé sera plus au gré, comme je pense, du bon M. Belin. Que si vous y voyez un notable détriment, écrivez-m’en, s’il vous plaît, une autre fois, après que vous aurez commencé ; et je retirerai un mot de lettre du P. de Gondi (6) pour son fermier, à ce qu’il exécute son ordonnance au plus tôt.

Finissons ici, l’on me presse un peu. J’achève donc en invoquant l’assistance de Dieu sur vous, la force du corps et la sainte tranquil-

1). Qui peut trouver une femme forte ? (Livre des Proverbes, XXXI, 10).

2). Chapelain des Gondi à Villepreux.

3). Fils de Sainte Louise de Marillac, pour lors étudiant au Séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

4). Mlle Du Fay et Mlle Du Fresne étaient Dames de la Charité.

5). Localité sise en Seine-et-Oise, au Sud-Ouest de Paris.

6). Philippe-Emmanuel de Gondi, ex-général de Galères, prêtre de l’Oratoire depuis 1627 ; il mourra en 1662.

 

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lité de l’esprit, ce que je lui demande d’aussi bon cœur que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, Mademoiselle, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Mes recommandations à votre hôtesse.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras, à Villepreux.

 

4. — LETTRE DE G. PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

Je vous envoie copie des provisions de mon neveu Mathieu, collationnées par devant le tabellion, comme vous l’avez désiré. Je pense que vous jugez bon qu’il demeure encore quelque temps à Senlis pour ses principes, sur lesquels vous avez pris la peine de l’interroger, de quoi je vous remercie. Il témoigne avoir bonne volonté. Je prie Dieu qu’il puisse seconder le saint désir du fondateur et se rendre capable de servir un jour au public, ce qu’il fera plus saintement, quand il aura eu l’honneur de votre bonne compagnie, de laquelle je ne me priverai pas quand j’irai à Paris, puisque vous me témoignez l’avoir pour agréable, ce qu’attendant je demeurerai, Monsieur votre très humble serviteur.

G. PLUYETTE.

De Fontenay, ce 2 octobre 1630.

 

5. — A LOUISE DE MARILLAC

(Octobre 1630) (1).

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ces lignes seront pour vous prier de nous donner de vos nouvelles et pour vous en donner des nôtres et de celles de Germaine (2).

Lettre 4. — Lettre signée.

Original aux Arch. Nat. (Paris) M 105 (Collège des Bons-Enfants).

Lettre 5. — Lettre autographe.

Original à la Maison centrale des Filles de la Charité de Cracovie.

Publié dans les Annales C. M. 1930, p. 685.

I. Date imposée par la présence de M. Du Coudray à Villepreux et la "proposition" de Germaine.

2. Germaine, maîtresse d’école à Villepreux.

 

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Pour les miennes, elles sont à l’ordinaire, et pour Germaine M. Du Coudray me mande qu’il a commencé à parler d’elle à M. le Curé (3), à M. Belin (4) et au maître d’école (5), et que ni les uns ni les autres ne s’éloignent point de la proposition qu’il leur à faite (6). Nous verrons ce qu’il en sera.

Je pensais que nous pourrions faire la mission à Saint-Cloud (7) ces fêtes (8), mais nous ne le saurions sans grande incommodité. C’est pourquoi nous remettrons à la Saint-Martin.

Cependant, dites-nous, de grâce, que fait votre cœur ? Le mien a été beaucoup occupé, cette matinée, en vous et aux pensées que Notre-Seigneur vous donne.

Je suis, en son amour, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

 

6. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce vendredi 11 avril 1631.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Mon petit voyage que j’ai fait aux champs d’où je revins avant hier au soir m’a empêché de vaquer à l’affaire de Monsieur votre fils avec en plus l’occupation des Ordinands qui recommencèrent hier. Or, j’ai néanmoins fait retirer parole du R.P. Lallemant (1), principal du collège des Jésuites, qu’il le recevra pensionnaire et m’en vais

3). Le curé de Villepreux.

4). Chapelain des Gondi, à Villepreux.

5). Le maître d’école de Villepreux.

6). Proposition d’une école à Villepreux pour les petites filles dont Germaine serait chargée.

7). Localité des environs de Paris. 8. Les fêtes de la Toussaint.

Lettre 6. — Lettre autographe.

Original chez les Filles de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Narbonne. Publié avec la disposition et l’orthographe de l’original dans les Annales C.M. 1958, p. 625-626.

Publié partiellement d’après le Manuscrit Saint-Paul dans l’édition Coste, t. I, p. 106-107.

1). Jérôme Lallemant (ou Lallemand). né à Paris en 1593, entré dans la Compagnie de Jésus en 1610, mort à Québec en 1665.

 

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présentement envoyer votre lettre à M. Wiart (2). L’on m’a dit que Dieu bénit votre travail, dont je le remercie de tout mon cœur et le prie qu’il vous ramène pleine de santé et de bonnes œuvres, l’un des jours de la semaine prochaine que vous jugerez à propos pour être ici aux offices de la Semaine Sainte. Je vous envoie une lettre qu’on m’a adressée, mais je n’ai lu que présentement le billet par lequel vous me mandez que j’envoie à Mme Forest (3) un tableau, un pot et un paquet qu’on a envoyé céans, lequel j’étais en peine d’envoyer. Ce sera demain Dieu aidant. Voyez cependant combien je suis indigne d’emploi et de servir ainsi que je dois. Notre-Seigneur me le pardonnera, s’il lui plaît. Je suis en son amour, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Mademoiselle Le Gras, à Montreuil (4).

 

7. — LETTRE DE G. PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

Je n’ai pas encore rendu réponse à M. du Coudray, qui, en votre nom, m’avait écrit le 22 mars pour savoir quand mon neveu fut reçu boursier ; je vous dis qu’il y eut un an après Noël, et qu’il a l’accord du cousin Denis, qu’il ne recevrait rien du quartier. Je vous ai déjà mandé la même chose de savoir ce qu’il avait baillé pour Mathieu car il en avait quittance ; et pour les terres du Mesnil, je pense que si vous avez pris garde au revenu des boursiers, vous savez qu’ils touchent plus de vingt-six livres aux quartiers. Je sais que de mon temps il y avait plus de revenus, j’ai été étonné quand j’ai su par sa lettre que les terres du Mesnil n’étaient pas aux boursiers car cela est sur le contrat du bien laissé aux boursiers.

Je pensais aller à Paris pour le synode, et avoir le bien de vous voir mais puisqu’il ne se tient pas, et que je crains de ne vous trouver chez

2. François Wiart (ou Wyart), prêtre de la Communauté de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, mort à Laon en 1661.

3). Madame Forest, Dame de la Charité.

4). Montreuil, localité proche de Paris, Sainte Louise de Marillac s’y trouvait en mission de chanté.

Lettre 7. — Lettre signée. Original aux Arch. Nat. (Paris) M 105 (Collège des Bons-Enfants).

 

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vous à cause de vos saintes occupations, j’ai écrit ce mot pour mon neveu orfèvre, lequel me fera tenir votre réponse, ce qu’attendant je demeurerai, Monsieur, votre très humble serviteur.

G. PLUYETTE.

De Fontenay, de 14 avril (1631).

 

8. — A LOUISE DE MARILLAC

Ce 15 septembre 1631 (1)

Mademoiselle,

Je reçus hier la vôtre du 23 de ce mois, par laquelle je vois ce que me mandez de cet ecclésiastique. Si monseigneur de Châlons (2) ne vous a envoyée quérir et qu’il soit proche, il me semble que vous feriez bien de l’aller voir et de lui dire, tout simplement et à la bonne foi, pourquoi le R.P. de Gondi vous a priée de prendre la peine d’aller en Champagne, et ce que vous faites. Et offrez-vous à retrancher ce qu’il lui plaira de votre procédé, et à tout quitter, s’il l’a agréable ; c’est là l’esprit de Dieu. Je ne trouve point de bénédiction qu’en cela. Monseigneur de Châlons est un saint personnage, vous devez le regarder comme interprète de la volonté de Dieu, au fait qui se présente. Que s’il trouve bon que vous changiez quelque chose en votre manière de faire, soyez-y exacte, s’il vous plaît ; s’il trouve bon que vous vous en reveniez, faites-le tranquillement et gaiement, puisque vous ferez la volonté de Dieu. Que s’il est éloigné et vous laisse faire, continuez, s’il vous plaît, à enseigner les petites filles. Que s’il s’y rencontre des femmes, à la bonne heure, mais ne faites dire à présent qu’elles le fassent, s’il vous plaît ; mais seulement vous pourrez faire avertir les sœurs de la Charité (3) de vous voir toutes ensemble. Honorez en ce procédé l’humilité du Fils de Dieu dans le sien.

Lettre 8. — Lettre probablement autographe. Original mis en vente chez Charavay, le 28 mars 1874. Publié, sans doute d’après une copie prise alors, dans l’édition Pémartin (1882), t. I, p. 28-29. Publié partiellement, d’après le Manuscrit Saint-Paul dans l’édition Coste, t. I, p. 126-127.

1). Date donnée par Charavay.

2). Henri Clausse de Fleury, évêque de Châlons de 1624 à 1640.

3). Il s’agit de la Confrérie de la Charité.

 

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Notre Compagnie étant à présent à Bergères (4), il n’est pas expédient, je pense, que vous y alliez. Tenez-vous donc au Mesnil (5), s’il vous plaît, jusqu’à ce que la mission y aille ; alors vous pourrez aller à Bergères et aux autres lieux, et mandez-moi, je vous en prie, le succès de ce que vous aurez fait avec monseigneur de Châlons. Monsieur votre fils s’en retourna hier au collège en parfaite santé. Il étudiait ici six heures par jour par lui-même. Le père principal l’affectionne et se propose de lui donner une chambre pour lui seul ce qui est une faveur non petite. Il était si fait avec nous que, comme je lui dis hier adieu, son cœur s’attendrit très fort. Cela fait voir qu’il est de bon naturel, vous aurez sujet de consolation de ce côté-là. Il faut prier Dieu qu’il lui continue sa grâce. Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

 

9. — LETTRE DEDICATOIRE DE R. DOGNONI A SAINT VINCENT

A Monsieur,

Monsieur

Vincent de Paul,

Supérieur des Prêtres de la Mission de Paris.

Monsieur,

Deux raisons me convient à vous dédier Le Bon Laboureur (2) ; la première est l’action de grâce qui vous est due par tous les bons laboureurs, pour le profit qui leur vient de vos saints exercices, lesquels obligent tous ceux et qui s’en ressentent, et qui en ont quelque connaissance, à bénir Dieu de vous avoir transmis par une métempsycose qui n’appartient qu’à lui, l’esprit, les affections et le dessein avec le nom du grand Patron des missionnaires S. Vincent Ferrier, pour le bien de notre siècle, où les missions apostoliques qu’il institua de son temps sont notoirement plus nécessaires que

4. Paroisse du diocèse de Châlons, actuellement : Bergères-les-Vertus (Marne).

5). Paroisse du diocèse de Châlons, actuellement : Le Mesnil-sur-Oger (Marne).

Lettre 9. — Lettre imprimée en tête du volume Le Bon Laboureur, paru en 1632.

Original perdu.

Publié avec commentaires dans les Annales C. M. 1941-1942, p. 276-279. 1). Richard Dognon, chanoine de Verdun, mort en 1638.

2). Le Bon Laboureur…, deuxième édition, parue en 1632 (l’approbation date de 1630). Ouvrage de plus de 700 pages traitant pratiquement et familièrement des vertus propres aux laboureurs.

 

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jamais elles ne le furent. Que béni soit Dieu de vous avoir donné cet esprit et l’ardente charité de Jésus-Christ qui vous presse, comme nous le voyons, de courir au secours des âmes qui lui coûtent tout son sang ; et bénis ceux qui pressés par la même charité vous assistent en une entreprise de vraie laborieuse, mais si honorable, et si noble, qu’il n’en est point de plus excellente, puisque c’est celle qui divinise les hommes, qu’elle associe aux travaux du Sauveur, et les fait ses coopérateurs au salut des hommes mêmes pour lesquels il est mort. Hommes entre lesquels je ne doute pas qu’on ne doive considérer tous les premiers nés que le monde n’a daigné quasi regarder, les laboureurs et autres habitants des villages, puisqu’ils ont été singulièrement considérables à Notre Seigneur, qui pour leur témoigner son particulier amour a voulu qu’ils eussent les premiers la nouvelle de sa naissance au monde, comme s’il fût né premièrement pour eux, est allé pendant les années de sa manifestation les chercher çà et là par les villages et bourgades pour leur annoncer le Royaume de Dieu ; et enfin a bien daigné par une prérogative de faveur incomparable se les accompagner aux travaux de sa passion. Car Simon Cyrénéen qui l’aida au port de sa croix était, dit l’Évangéliste, un homme qui venait du village ; toutes considérations dignes de ce zèle brûlant que vous avez pour les pauvres villageois : aussi, certes, avez-vous cette consolation et cet avantage en votre dessein, que quoique notre siècle soit indiscrètement critique, et que la plupart du monde aujourd’hui mesurant à son sentiment les projets de la dévotion d’autrui se mêle de censurer tous les établissements nouveaux, soit d’Ordres religieux, soit d’autres Congrégations ou Communautés : la vôtre néanmoins par une certain privilège secret, qui est une manifeste bénédiction de Dieu demeure à couvert de la contradiction des langues, et rencontre une approbation générale, et dans l’esprit et dans la bouche de tous ceux qui savent ce que c’est, qui ont été parfumés de la bonne odeur dont vous embaumez tous les lieux où vous allez, et reconnaissent en l’abondance et suavité de vos fruits, que l’arbre qui les produit ne peut être que grandement bon.

Or, outre cette raison qui est générale, j’en ai une autre qui m’est particulière de vous dédier Le Bon Laboureur : c’est l’accueil que vous lui avez fait à sa première sortie qui l’oblige à se représenter à vous sur le point qu’il est de paraître une seconde fois ; et comme il n’est au monde que pour servir à l’instruction des personnes champêtres, il vient vous offrir tout ce qu’il est, et tout ce qu’il peut, et mendier chez vous le crédit qu’il lui faut pour être utilement employé. Non pas que ci-devant il ait été de relais, car, grâce à Dieu, il a été au-delà des espérances de son auteur, mieux venu partout

 

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où il s’est présenté qu’il ne méritait ; mais parce que la recommandation qui s’y est vue de votre part jusqu’à présent, lui ayant acquis de la créance, il se persuade que quand il s’avouera désormais pleinement de vous, vous le traiterez tout à fait comme vôtre, et qu’avec une extraordinaire charité vous suppléerez ses défauts qui ne sont que trop fréquents.

Il eût été mieux pour lui qu’avant d’entreprendre l’instruction des autres, il eût pris lui-même ses Institutions chez vous ; mais pour tout dire, il m’est arrivé quelque chose de pareil à ce qui advint autrefois à un grand ecclésiastique d’Espagne, Maître Avila (3), quand il vit la Compagnie de Jésus établie par S. Ignace : Voilà, dit-il, un dessein que j’avais conçu, mais avec tant de confusion que mon esprit n’a pu l’enfanter. Je dis que le même en quelque façon m’est advenu, sans vouloir pour cela entrer en comparaison avec ce grand homme. Et de fait, c’est une vérité que je crois vous avoir autrefois avouée, qu’ayant pensé dès longtemps à contribuer ce que je pourrais au secours des pauvres gens des villages, obligé et par ma naissance, et par ma condition d’ecclésiastique, et par les nécessités que chacun ne voit que trop partout : comme je m’étais mis en devoir de faire réussir ce projet selon ma portée, j’appris heureusement l’Institut de votre Congrégation vouée au salut de ces mêmes personnes pour qui je prétendais travailler, et ce fut cette sympathie d’inclination et de visée à même but qui me fit ardemment rechercher l’honneur de votre connaissance, que je chérirai toute ma vie, et le moyen d’apprendre dans la pratique de vos exercices, où de votre grâce vous me donnâtes autant d’emploi que mon loisir me le permit, à être bon Missionnaire, et qui me fit avouer spécialement que je rencontrais en vos missions ce que j’avais cherché avec tant de peine et que je n’avais point trouvé ailleurs, la vraie façon d’assister utilement les laboureurs. Et n’eût été que le pauvre Bon Laboureur s’était dès lors montré plus qu’à demi, et que son impression était presque achevée, je l’eusse retenu tout à fait, mais jusqu’à ce qu’il eût appris en votre école ce qu’il aurait par après à redire aux gens des villages : toutefois, comme il était fort avancé, je lui permis, parce que vous l’ordonnâtes ainsi, de se laisser voir, à charge que si une autre fois, il repassait sous la presse, vous lui feriez la charité de lui corriger ses défauts ; c’est l’effet de cette promesse qu’il a attendu, et dont vos occupations sérieuses et continuelles, comme je crois, l’ont frustré jusqu’à présent. On ne laisse pas cependant de le presser de se produire encore un coup tel qu’il est, et

3. Le Bienheureux Jean d’Avila, né en 1500, apôtre de l’Andalousie, mort en 1569.

 

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il le fait pour contenter ceux qui le pressent. Mais ce n’est pas sans prendre vos livrées, afin qu’il ait plus de sujets de se dire vôtre : car il a emprunté de vos missions les règles et l’institution de votre Confrérie de la Charité, pour les publier partout où il se trouvera, comme exercices très propres aux laboureurs, et de piété exemplaire et grandement nécessaire aux villages : avec espérance toujours que vous lui ferez un de ces jours la charité entière et tiendrez coup à votre promesse, afin qu’il paraisse moins défectueux la troisième fois qu’il se montrera, s’il passe si avant ; c’est de quoi je vous supplie, Monsieur, et de me continuer l’honneur de vos bonnes grâces, avec la place que vous m’avez donnée parmi vos missionnaires, et la qualité de, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur.

R. DOGNON.

 

10. — A LA SŒUR HELENE-ANGÉLIQUE LHUILLIER (1)

De Saint-Lazare, ce jour des Rameaux, à neuf heures. (2)

Ma très chère Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre d’hier avec consolation, et celle de notre digne Mère (3) pour le Visiteur (4), que je tiens aussi très chère, et espère participer au profit que vous faites de la lecture de ces lettres. Je vous remercie de tout cela et vous prie, ma chère sœur, de dire à la bonne fille destinée pour Le Mans (5) de votre grâce ce qu’elle a à faire. Son frère me vient de dire qu’elle est dans une sainte impatience de son bonheur. Et moi je suis, en l’amour de Notre-Seigneur et du cœur qu’il sait, ma très chère Sœur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Prêtre indigne de la Mission.

Lettre 10. — Lettre autographe.

Original aux Archives de la Mission. Publié dans les Annales C.M. 1926, p. 473-474, et 1937, p. 237.

1). Religieuse du premier monastère de la Visitation de Paris. Voir notice dans l’édition Coste, t. I, p. 64 (en note).

2). Très probablement 9 avril 1634.

3). Sainte Jeanne de Chantal.

4). Sur le Visiteur dans l’Ordre de la Visitation, voir dans l’édition Coste, t. I, p. 370 (note 4)

5). La Visitation fut établie au Mans en 1634. Les six premières religieuses y arrivèrent le 22 juillet 1634.

 

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11. — A M. DE MONTHOLON (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

Je suis bien fâché de ce que je n’ai eu le bonheur de me trouver céans lorsque vous nous avez fait l’honneur de venir. J’étais à un petit village près d’ici, mais je suis revenu un quart d’heure après votre départ et ai trouvé Monsieur votre frère (2). Mon Dieu, Monsieur, que je sens la peine que lui et les autres vous donnent. Il m’a conté son affaire (3) et quoi que je lui ai pu dire de la peur que j’ai qu’il n’ait pas bien rencontré, qu’il vous doit croire absolument et suivre le conseil de vos communs parents et quelque chose même de la maison où il s’allie, que je connais (4), je n’ai fait que davantage échauffer sa passion. Je lui avais demandé permission de vous aller voir avec M. le Curé de Saint-Germain (5), mais comme j’ai été à Saint-Merri (6), j’ai été saisi d’une vive appréhension qu’il s’échappât, et m’en suis retourné et l’ai trouvé reposant. C’est pourquoi j’ai pris le temps de vous faire ces lignes pour vous prier de me mander l’ordre selon lequel il vous plaît que je m’y comporte, en attendant que j’aie

Lettre 11. — Lettre autographe. Original mis en vente par la maison Charavay, dont le Catalogue (Autographes et Documents historiques. Ventes des 10 et 11 décembre 1957) donne une photographie du document. Publié dans Les Annales C. M. 1957, p. 674-681 (photographie, transcription avec disposition et orthographe de l’original, commentaire historique).

Date : sans doute décembre 1634 (début du séjour de Jean de Montholon à Saint-Lazare).

1). Guy-François de Montholon, né en 1600 à Paris, avocat au Parlement en 1618, conseiller d’Etat en 1645, mort en 1679.

2). Jean de Montholon, né en 1613, donc âgé alors de vingt et un ans seulement.

3). Voici comment on peut sommairement reconstituer cette affaire : En 1632, Jean de Montholon épouse Jeanne Jeannesson ; l’aîné de la famille (Guy-François, tuteur de ses frères depuis la mort du père en 1632), estimant qu’il y a eu mésalliance, fait annuler le mariage par arrêt du Parlement ; la Sorbonne, consultée par Jean, le déclare valide (1633) ; le 28 septembre 1634, Guy-François obtient une sentence de la Prévôté de Paris l’autorisant à faire enfermer Jean et le 5 décembre 1634, Jean est enfermé au prieuré de Saint-Lazare, où des places étaient réservées aux fils de famille "dévoyés". La lettre publiée ici a trait au début de ce séjour de Jean à Saint-Lazare. En 1635 (après le 28 mars), Jean de Montholon s’évada ; Monsieur Vincent écrivit alors une autre lettre à Guy-François pour présenter ses excuses (lettre publiée dans l’édition Coste, t. I, p. 291-293).

4). Les parents de Jeanne Jeannesson étaient seigneurs de Clichy-la-Garenne ; c’est là sans doute que Monsieur Vincent les a connus, lorsqu’il était cure de cette paroisse.

5). Probablement Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse de Paris.

6). Paroisse de Paris.

 

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l’honneur de vous voir demain pour vous remercier comme je fais très humblement de l’heureux commencement que vous avez donné à notre défense (7). L’on m’a fait savoir de la part de deux de nos sages que vous avez fait des merveilles. J’espère, Monsieur, que la fin en sera encore plus heureuse et que Notre-Seigneur vous en réserve une grande récompense au Ciel et suis, en son amour, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Monsieur Monsieur de Montholon, avocat à la Cour.

 

12. — LETTRE DE M. COLOMBET (1) A SAINT VINCENT

Jésus Maria

Monsieur,

Mlle Lamy (2) estime qu’il n’est pas à propos d’avoir, dans le commencement, deux servantes (3). Il suffit que nous en ayons une bonne pour ne pas faire crier ceux qui se sont imaginé que cela ruinerait la Charité, tant qu’à présent il n’y a que cinq ou six malades ; mais, dans quelque temps, l’affaire étant bien établie, nous y joindrons une compagne suivant vos ordres. S’il y avait moyen de l’avoir promptement, cela nous aiderait beaucoup ; néanmoins, il vaudrait mieux attendre pour en avoir une excellente. S’il est besoin d’envoyer à La Villette (4), je vous supplie d’y envoyer ce garçon et lui commander ce que vous désirez qu’il fasse. Je vous souhaite le bonjour. Je me recommande à vos prières.

7. Depuis l’union du Prieuré de Saint-Lazare à la Congrégation de la Mission (1632) Saint Vincent avait eu à vaincre de nombreuses et tenaces oppositions en particulier devant le Parlement ; l’appui des gens en place était indispensable

Lettre 12. — Lettre autographe.

Original en possession (1931) de M. l’abbé Lorenzo, du clergé de Paris. Publié dans les annales C. M. 1932, p. 5-6.

Date : l’année même où fut établie la Charité de Saint-Germain-l’Auxerrois (1637),

Saint Vincent transmit cette lettre à Sainte Louise de Marillac, en écrivant quelques lignes au-dessous du texte.

1). Curé de Saint-Germain-l’Auxerrois.

2). Dame de la Charité.

3). Servantes des pauvres ou Filles de la Charité.

4). Alors village de la banlieue, aujourd’hui quartier de Paris.

 

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Nous aurons dimanche prochain M. Pavillon (5) pour faire une prédication de la Charité (6), afin de faire savoir à tout le monde ce que c’est et faire cesser les bruits. Je vous supplie très humblement de recommander instamment l’affaire à Dieu et me mander si vous jugez cette prédication être à propos, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

COLOMBET.

 

13. — J.-J. OLIER A SAINT VINCENT (1)

10 février 1637.

"La quatrième de nos missions se fit il y a quinze jours, dans laquelle il s’est fait plus de deux mille confessions générales, quoique nous ne fussions que six ouvriers, et sur la fin huit ; nous étions accablés de peuple qui y abordait de sept ou huit lieues du pays, nonobstant la rigueur du froid et l’incommodité du lieu, qui est un vrai désert. Ces bonnes gens apportaient leurs provisions pour trois ou quatre jours, et se retiraient dans les granges ; et là on les entendait conférer ensemble de ce qu’ils avaient oui de la prédication et au catéchisme. Et à présent l’on voit ici les paysans et leurs femmes faire la mission eux-mêmes dans leurs familles ; les bergers et les laboureurs chanter les commandements de Dieu dans les champs, et s’interroger les uns les autres de ce qu’ils ont appris pendant la mission. Enfin, la noblesse pour laquelle il semblait que nous ne parlions pas, nous servant d’un langage si grossier comme nous faisons, après s’être acquittée chrétiennement et exemplairement de son devoir, ne nous a pas laissé partir qu’en fondant tout en larmes. Cinq huguenots ont abjuré leur hérésie en cette dernière mission, quatre desquels qui nous fuyaient auparavant sont venus eux-mêmes nous y chercher ; et cela, Messieurs, pour nous apprendre, comme vous me l’avez souvent enseigné, que la conversion des âmes est l’ouvrage de la grâce, auquel nous mettons souvent empêchement par notre propre esprit ; et que Dieu veut toujours opérer, ou dans le néant, ou par le néant ; c’est-à-dire en ceux et par ceux qui reconnaissent et confessent leur impuissance et leur inutilité."

5. Nicolas Pavillon, né à Paris en 1597, nommé en 1637 à l’évêché d’Alet, mort en 1677.

6). Prédication au sujet de la Confrérie de la Charité.

Lettre 13. — Abelly L. La vie du Vénérable serviteur de Dieu, M. Vincent de Paul,1664, II, p. 33-34.

 

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14. — A LOUISE DE MARILLAC

M. le Curé de Saint-Germain m’a écrit la présente. J’ai baillé un billet à cette bonne fille que vous m’avez adressée à Mme Goussaultl. Monsieur votre fils se porte bien, et moi, je suis votre serviteur

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

15. — A LOUISE DE MARILLAC

La lettre n° 370 de l’édition Coste (t. I, p. 555-556), adressée à Louise de Marillac vers 1638, a été publiée par Coste d’après l’édition Pémartin (1880), t, II, p. 3. Depuis, l’original de cette lettre a été retrouvé (1942) à l’hôpital de Tarbes, desservi par les Filles de la Charité. Le texte conforme à l’original a été publié dans les Annales de la Congrégation de la Mission 1941-1942, p. 559. Les différences avec le texte Pémartin-Coste sont insignifiantes, c’est pourquoi nous n’estimons pas utile de reproduire ici ce texte. Une photographie de cette pièce figure dans les Archives de la Mission.

 

16. — A FRANÇOIS DU FESTEL (1)

De Saint-Lazare, ce 8 mai 1638.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 3 mai et vu par icelle : 1° la difficulté de continuer la mission auprès des soldats ; 2° le bruit qui court sur Saint-Lazare ; 3° qu’on trouve à redire de ce qu’on n’a écrit à personne de la ville pour recommander la Compagnie.

Lettre 14. — Lettre autographe, écrite au bas de la lettre de M. Colombet

Original en possession (1931) de M. l’abbé Lorenzo, du clergé de Paris. Publié dans les Annales, C. M., 1932, p. 6.

Date : d’après les données mêmes de la lettre de M. Colombet : l’année même où fut établie la Charité à Saint-Germain-l’Auxerrois (1637).

1). Dame de la Charité.

Lettre 16. — Lettre autographe.

Original chez les Sœurs de la Charité de Besançon, à Besançon. Photocopie de l’original dans les Archives de la Mission.

1). François Du Festel, né à Oisemont (diocèse d’Amiens), reçu dans la Congrégation de la Mission en 1633, prêtre en 1636, supérieur de la maison de Troyes de 1638 à 1642, quitte la Congrégation de la Mission en 1646.

 

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Or je vous dirai quant au premier qu’il est vraisemblable que l’étonnement du pauvre peuple l’empêcherait de profiter de la mission et qu’il faut attendre avec patience] e temps des ordinands pour y faire les exercices si Monseigneur de Troyes (2) l’agrée, sinon il sera bon d’aller faire la mission aux autres lieux qui dépendent de M. le Commandeur (3), que si tant est que vous fassiez] es ordinands, je vous enverrai M. Baudet (4) que j’ai retenu ici exprès pour cela, mais il m’en faut donner avis avant le temps.

Quant au bruit qui court sur Saint-Lazare, qu’y ferons-nous ? Il faut supporter ces bruits avec patience, Notre-Seigneur les fera évanouir puisqu’il n’y a point de fondement.

Je vous ai écrit le sentiment de M. le Commandeur et du Père de Gondi (5) touchant le troisième point ; il vaut mieux manquer avec le conseil de ces deux bons esprits que de s’ingérer de soi-même ; je leur en parlerai encore une fois et leur communiquerai votre lettre.

Il sera bon que vous me donniez avis de tout ce qui nous regarde, et cela par tous les messagers ; écrivez, s’il vous plaît, à Monseigneur de Troyes touchant les ordinands, non pas comme mettant la chose en doute, mais pour savoir de lui s’il y aura beaucoup d’ordinands.

Le jeune homme qu’il nous a envoyé n’ayant point désir d’être de la Compagnie, et pour ce qu’il y aurait là danger, à ce qu’on craint, qu’il n’indisposât les autres écoliers qui désirent tous être de la Compagnie, nous avons pensé à le mettre au Collège du Cardinal (6) où nous lui paierons la pension bien volontiers et le ferons répéter parfois, de sorte qu’il sera comme s’il était chez nous, n’y ayant qu’une muraille entre ce Collège et le nôtre. Je vous prie, Monsieur,

2. René de Breslay, évêque de Troyes (1604-1641).

3). Noël Brulart de Sillery, chevalier de Malte, commandeur de Troyes, né en 1587. Après avoir exercé diverses charges à la Cour, il reçut le sacerdoce en 1634. Ami de Saint Vincent de Paul et bienfaiteur de la Congrégation de la Mission, il mourut à Paris en 1640.

4). Sans doute, Jacques Boudet, prêtre de la Mission, né à Epinay (diocèse de Paris), entré dans la Congrégation de la Mission en 1634.

5). Philippe-Emmanuel de Gondi, "fondateur" avec sa femme, morte en 1625, de la Congrégation de la Mission. Devenu veuf, il quitta sa charge de Général des Galères de France et entra à l’Oratoire. Bienfaiteur de l’établissement des Missionnaires de Montmirail. Il mourut à Joigny le 29 juin 1662.

6). Collège du Cardinal Lemoine, séparé du Collège des Bons-Enfants par un mur mitoyen.

 

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de le dire à Monseigneur de Troyes, et que nous aurons soin particulier de lui et de payer sa pension sans qu’il soit besoin qu’il paie autre chose, il suffira qu’on l’entretienne d’habillement.

Je dois partir ce matin pour Brie-Comte-Robert (7) et de là je pourrai aller faire un tour à Fréneville (8), pour être de retour la veille de l’Ascension.

Je salue de tout mon cœur Mrs Du Chesne (9), Savary (10) et notre frère René (11), et suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Monsieur Monsieur Du Festel, prêtre de Mission à Sancey (12).

 

17. — LETTRE DE G.PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

Ne pouvant aller à Paris, je vous prie bailler les six… à moi dûs à cause de la bourse de bonne aumône (du) cousin Etienne Pluyette échus le jour de Noël, et m’obligerez, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

G. PLUYETTE.

De Fontenay, ce 25 décembre 1638.

7). Localité de Seine-et-Marne à 30 km de Paris. Les Missionnaires et Saint Vincent lui-même y ont prêché Une mission à prêcher de cinq en cinq ans y a été fondée par le Commandeur de Sillery.

8). Hameau de la commune de Valpuiseaux, en Seine-et-Oise. La Congrégation de la Mission y possédait une ferme où, à plusieurs reprises, Saint Vincent fit des séjours plus ou moins prolonges.

9). Pierre Du Chesne, Prêtre de la Mission, reçu dans la Congrégation de la Mission en 1637, placé peu après au Séminaire de Troyes. Mort à Agde le 3 novembre 1654.

10). Pierre Savary, Prêtre de la Mission, né en 1606 à Neuville-Vitasse (diocèse d’Arras), entré dans la Congrégation de la Mission en 1637, placé au Séminaire de Troyes.

11). Frère coadjuteur de la Mission, non identifié.

12). Localité située près de Troyes, appelée aujourd’hui Saint-Julien, lieu de résidence provisoire des Missionnaires de Troyes.

Lettre 17. — Lettre autographe. Original aux Arch. Nat. (Paris) M. 105 (Collège des Bons-Enfants).

 

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18. — A LOUISE DE MARILLAC

(1638, vers décembre) (1)

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous ne vous lassez jamais de nous bien faire et faites, à ce que je crains, au delà de ce que vous pouvez. Je vous en remercie très humblement, Mademoiselle, et vous prie de ne plus en user de la sorte. Il nous suffit et vous serons toujours redevables, quoi que nous fassions pour le service de M. votre fils (2). Souffrez donc qu’on] le serve sans autre considération que celle de ce que nous vous devons et de l’affection que nous avons à vous servir et lui aussi.

Votre lettre me paraît bien et ferez bien de lui envoyer. Je prie Notre-Seigneur qu’elle lui soit efficace pour le déterminer pour une bonne fois. Je vous renvoie la sienne avec celle que vous lui écrivez, et tâcherai à lui faire faire une petite cheminée à l’une des petites chambres au plus tôt, pour ce que nous aurons les ordinands désormais aux Bons-Enfants et que la chambre où il loge leur est nécessaire.

S’il fait beau et que vous le puissiez sans aucune incommodité, vous pourrez entendre la sainte messe tous les jours de votre retraite ; sinon, honorez la solitude de Notre-Seigneur, comme sainte Madeleine, tout à fait.

Vous lirez, s’il vous plaît, le petit [livre] de l’Imitation de Notre-Seigneur, le livre de l’Amour de Dieu de M. de Genève (3), vers le six, sept ou huitième livre, à votre choix, et quelque vie des saints à votre dévotion.

Bonjour, Mademoiselle, Je suis V.S.V.D.

[Votre serviteur VINCENT DEPAUL]

(au dos S. Louise de Marillac a écrit : De Monsieur Vincent qui parle d’une retraite et de mon fils.)

Lettre 18. — Lettre autographe.

Original chez les Filles de la Charité de la paroisse Saint-Projet, à Bordeaux. Photographie de l’original dans les Archives de la Mission, Texte publié dans les Annales de la C. M, 1928, p. 253-254.

1). Cette date est imposée par le contenu de la lettre (retraite des ordinands aux Bons-Enfants, situation du fils de Sainte Louise de Marillac, Michel Le Gras.

2). Le fils de Sainte Louise était alors logé aux Bons-Enfants et étudiait en vue du sacerdoce sans être bien fixé sur sa vocation.

3). Le Traité de l’amour de Dieu de Saint François de Sales.

 

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19. — A LOUISE DE MARILLAC

(1638) (1)

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous avez eu sujet de murmurer et de vous plaindre intérieurement de moi, de ce que je ne vous ai fait réponse, ni ne vous ai vue ; votre charité me le pardonnera, s’il lui plaît, et en attribuera la faute à l’embarras et non à l’affection, Dieu sait que je n’en manque pas. J’ai parlé à M. Pavillon (2) de Monsieur votre fils, j’estime qu’il est à propos qu’il achève sa théologie, qu’il se fasse prêtre, qu’il s’exerce quelque temps dans les exercices de piété convenables aux ecclésiastiques, et, cela fait, je ne fais aucune difficulté que ledit Sr Pavillon ne le reçoive. Hors cela le jeune homme serait inutile audit Sr Pavillon et aurait une peine insupportable à soi-même de se voir dans des montagnes à l’extrémité du royaume (3), sans rien faire et inhabile à tout emploi. Au nom de Dieu, Mademoiselle, croyez-moi en cela, je sais ce que c’est. J’espère que si Monsieur votre fils fait ce que je viens de dire, il ne manquera pas de bons emplois ; s’il plaît à Dieu que je vive, je vous promets d’en avoir soin comme s’il était de mon sang. Soyez donc en repos de ce côté-là. S’il était en état d’emploi, je le pourrais mettre dès demain au service de Monsieur, frère du Roi (4), pour lequel on m’en demande un, ou lui faire bâiller une chanoinie auprès de Lyon, en une fondation nouvelle d’un chapitre que fonde M. de Saint-Chamond (5) qui m’a chargé de lui fournir les personnes que j’estimerai propres, jusqu’au nombre de huit. Enfin, il ne demeurera pas, soyez assurée de cela, pourvu qu’il fasse ce que je vous dis.

Lettre 19. — Lettre autographe.

Original chez les Filles de la Charité de la Maison Eugène-Napoléon, à Paris. Texte publié avec disposition et orthographe de l’original, enrichi d’un commentaire historique, dans les Annales C. M.,1958, p. 218-221.

1). Date imposée par le contenu de la lettre : situation de Michel Le Gras, encore hésitant sur sa vocation, présence à Paris ou dans les parages, de Pavillon, état de "disponibilité" de M. Du Coudray, nommé, cette même année 1638, Supérieur de la maison de Toul.

2). Nicolas Pavillon (1597-1677), évêque nommé d’Alet ; sacré en 1639, il gagna peu après son diocèse où il résida jusqu’à sa mort.

3). Alet, situé dans la vallée de l’Aude, à 30 km au sud de Carcassonne, au pied des Pyrénées.

4). Gaston d’Orléans (1608-1660).

5). Melchior Mitte de Miolans, marquis de Saint-Chamond (1586-1649), fondateur en 1634 d’un chapitre collégial pour lequel il fit construire une chapelle à Saint-Chamond (diocèse de Lyon).

 

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Nous tâcherons donc d’envoyer M. Du Coudray (6) samedi à Liancourt (7), s’il vous plaît de lui moyenner un cheval qui soit céans demain soir. Je suis en peine de l’indisposition de cette bonne dame et m’en vais célébrer la sainte messe à son intention, et prier Dieu pour vous à qui je suis en l’amour de Notre-Seigneur

V.T.H.S. [Votre très humble serviteur].

V. DEPAUL.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras, à La Chapelle (8).

 

20. — A LA COMMUNAUTÉ DE SAlNT-NICOLAS-DU-CHARDONNET

(29 avril 1639).

Cette lettre portant le n° 374 dans l’édition Coste (t. I, p. 545-546), a été publiée d’après l’édition Pémartin (1880) : lettre n° 239, t. I, p. 247-248. Or, Pémartin, sans indiquer sa source, l’avait tirée du manuscrit 2453 de la Bibliothèque Mazarine : La Vie du vénérable serviteur de Dieu, Messire Adrien Bourdoise… Peu de variantes entre ces trois textes. Le manuscrit porte, en plus du texte publié : Fait à Saint-Lazare ce pénultième d’avril mil six cent trente-neuf. Vincent de Paul.

Cette lettre a été publiée, avec le contexte du manuscrit, dans les Annales C.M. 1952, p. 230-231.

6). François Du Coudray, Prêtre de la Mission, né en 1586, dans le diocèse d’Amiens. Entré en 1626 dans la Congrégation de la Mission, il fut nommé en 1538 supérieur de la maison de Toul.

7). Localité située dans l’Oise. Sainte Louise de Marillac y fit plusieurs séjours.

8). La Chapelle, village alors près de Paris, actuellement englobé dans la ville même de Paris. La Maison-Mère des Filles de la Charité y fut établie de 1636 à 1642.

 

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21. — GUILLAUME COMPAING A SAINT VINCENT

(5 mai 1639) (1).

Les prêtres de la Communauté de S. Nicolas, ayant sérieusement examiné la proposition (3) et octroi ci-dessus et le tout mûrement considéré, ont loué M. Bourdoise (4) de sa ferveur et grand désir d’avancer dans la vertu, même de se rendre plus propre à l’établissement du séminaire et de la Communauté ; comme aussi ont reconnu la continuation des bénéfices, faveurs et bienveillances que Messieurs de la Mission leur ont de tout temps départies ; de quoi ils sont très obligés envers eux. En revanche de ce, ils acceptent celui ou ceux qu’il plaira à Messieurs de la Mission d’envoyer à Saint-Nicolas et à qui la Communauté pourra servir, en quelque sorte que ce soit. Et de plus ils leur offrent tout ce qu’ils verront que la Communauté pourra faire, en leur considération. Quant à l’effet de la susdite proposition les Prêtres de la Communauté ont humblement prié M. Bourdoise, leur cher confrère et honoré économe, de se contenter en faisant quelque visite à Saint-Lazare, soit d’un ou de plusieurs jours, sans que cela paraisse, ni tire à conséquence vers M. N…, ni autres, et de là communiquer avec ledit Séminaire, selon qu’il plaira à Messieurs de la Mission de lui permettre. Fait en la Chambre des Délibérations de la Communauté, le etc…

Guillaume COMPAING (5).

Prêtre et secrétaire d’icelle.

Lettre 21. — Donnée d’après le Manuscrit 2453 de la Bibliothèque Mazarine : La Vie du vénérable serviteur de Dieu, Messire Adrien Bourdoise… Ce texte, avec le contexte, a été publié dans les Annales C. M.,1952, p. 231. Cette lettre est la réponse à la lettre précédente, datée du 29 avril 1639 ; elle est censée émaner de la Communauté de Saint-Nicolas et s’adresser à la Congrégation de la Mission, en fait, elle est signée Guillaume Compaing et elle répond à une lettre signée Vincent de Paul.

1). Date donnée par l’auteur du Manuscrit 2453 (Courtin, un contemporain de M. Bourdoise).

2). Communauté sacerdotale établie, en 1618, sur la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet, par Adrien Bourdoise et quelques confrères.

3). M. Bourdoise voulait se démettre de ses fonctions dans la Communauté de Saint-Nicolas, il désirait se retirer à Saint-Lazare pour un temps assez long. Saint Vincent l’admit à faire une retraite et fit en sorte de le renvoyer à sa Communauté.

4). Adrien Bourdoise (1584-1655), un des réformateurs du clergé en France dans la première moitié du XVIIe siècle, instituteur et organisateur de la Communauté de Saint-Nicolas, Ami de Saint Vincent.

5). Un des premiers membres de la Communauté de Saint-Nicolas, mort en 1656.

 

- 22 -

22. — A N ***

[29 août 1639]

… Un grain de charité suffit pour calmer bien des inquiétudes et assoupir bien des différends…

 

23. — AU FRÈRE JEAN DUHAMEL, DIACRE (1).

15 décembre 1639.

Mon très cher frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ne pouvant avoir le bien de vous aller voir comme je le vous avais mandé, je vous prie par ces lignes de ne point céder à la tentation qui vous veut détourner de prendre le saint ordre de prêtrise, pour auquel parvenir vous avez fait quasi tout ce que vous avez fait depuis que vous êtes au monde. Disposez-vous y donc, je vous en prie, pour le recevoir à cette ordination. Si vous différez davantage, vous priverez Dieu de la gloire qu’il en recevrait, les bienheureux de la consolation qu’ils en auraient, les âmes du Purgatoire du soulagement qu’elles en recevraient, et toute l’Église militante des grâces que vous lui obtiendriez par votre adorable sacrifice et qui pis est, vous réjouirez le diable d’avoir eu le pouvoir de vous détourner de faire tous ces biens. De penser que vous en seriez, une autre fois, plus capable, ô Jésus, il ne le faut pas espérer. De ne le faire jamais, Dieu vous garde d’avoir à répondre de cela devant Dieu. Ce serait enfouir le talent que Notre-Seigneur vous a mis en main, auquel cas les Saintes Écritures vous menacent d’un horrible châtiment. De dire que vous n’êtes pas capable et ne le serez jamais, je le vous avoue, Monsieur, eu égard à l’infinie sainteté de l’œuvre, mais eu

Lettre 22. — Tirée de Collet : La Vie de Saint Vincent de Paul, Nancy 1748, t. II, p. 161, Date donnée par Collet.

Lettre 23. — Lettre autographe. Original à la Bibliothèque de Châlons-sur-Marne, dans le Manuscrit 742 (fonds Garinet 405). Publié dans tome XXXII (1935) des Mémoires de la Société des Sciences et des Arts de Vitry-le-François. Reproduit dans les Annales C. M. 1936, p. 696-697. L’édition Coste donne ce texte (lettre N° 413, t. I, p. 608-609) d’après le Registre 2 des Archives de la Mission, texte incomplet et fautif. Sur l’origine et la valeur de cette source voir ce qu’en dit Coste dans la Préface de son édition : t. I p. XXI-XXIV.

1). Jean Duhamel était membre de la Congrégation de la Mission. Ordonné prêtre peu après cette lettre, il sera placé à Annecy et quittera la Congrégation dès 1640.

 

- 23 -

égard à notre misère, espérez, Monsieur, que Notre-Seigneur sera votre capacité comme il sera lui-même le sacrificateur avec vous. Pour le reste de vos peines, nous en parlerons après cela. Je suis cependant, dans l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur,

VINCENS DEPAUL.

 

24. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 17 décembre 1639.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus, hier au soir, la vôtre, du jour de saint Nicolas, laquelle m’a porté une fort sensible consolation en suite de la peine que j’avais du lieu où vous pouviez être et de l’état de votre santé. Béni soit Dieu de ce que vous voilà donc à Angers (1) et logée avec le bon M. l’abbé de Vaux (2). Je ne vous répondrai point par la présente à tout ce que vous me mandez, pource que je n’ai encore pu voir vos filles de La Chapelle et que le messager s’en va partir bientôt.

Je vous ai écrit cette semaine pour répondre à la vôtre de Saumur, et adressé ma lettre à M. l’abbé de Vaux, auquel je me suis donné l’honneur d’écrire.

Il est aujourd’hui le samedi des Quatre-Temps, qui m’oblige à aller dire la messe à Notre-Dame pour la Charité. Après dîner, Dieu aidant, j’irai à La Chapelle, parlerai à Mme Turgis (3) et commencerai à donner l’ordre pour les filles que vous demandez ; mais je pense

Lettre 24. — Lettre autographe. Original chez les Filles de la Charité de la paroisse Saint-Projet à Bordeaux. L’édition Coste donne cette lettre (N° 414, t. I, p. 609-611) d’après l’édition Pémartin de 1880 (N° 261, t. I, p. 272-274) et le Manuscrit Saint-Paul, qui reproduit plusieurs extraits. Le texte de l’original a été publié dans les Annales C. M. 1928, p. 254-256 ; vous le redonnons ici à cause des erreurs que contiennent les éditions antérieures.

1). S. Louise de Marillac est à Angers pour y installer les Filles de la Charité établies à l’hôpital.

2). Guy Lasnier, abbé de Vaux, vicaire général d’Angers (1602-1681), en relations avec S. Vincent depuis 1635, il favorisa l’établissement des Filles de la Charité à l’hôpital d’Angers.

3). Elisabeth Le Goutteux, veuve Turgis, Fille de la Charité ; elle exerça diverses charges dans sa Communauté, en particulier c’est elle qui, à l’époque remplaçait S. Louise de Marillac lorsque celle-ci devait s’absenter de la Maison-Mère de La Chapelle.

 

- 24 -

qu’il ne faut pas penser à Marie de Saint-Germain (4), ni à celle de Saint-Paul (5). Je tâcherai de vous envoyer les autres au plus tôt et penserai un peu à Mme Turgis. Il y a des choses beaucoup à dire pour et contre.

Hélas ! mon Dieu ! que ferons-nous pour Nancy, où il est nécessaire que nous en envoyions au plus tôt. Je fis hier espérer cela à Mme la duchesse d’Aiguillon". Pour Henriette (7), je ne sais encore rien de rien.

Pour les articles, je pense que vous avez bien répondu et qu’il n’est pas besoin d’en faire encore ; nous verrons dans quelque temps, pendant lequel l’on fera un essai du bon plaisir de Dieu. Vous ferez bien d’en parler de la sorte, si me semble, et même de montrer leur petit règlement de vie à M. de Vaux et à tel autre qu’il jugera convenable, et notamment de bien affermir les filles dans la résolution de le bien garder, de suivre la direction en la manière qu’elle est couchée dans ledit règlement ; et vous leur inculquerez, tant à ces Messieurs qu’à elles, l’importance de les changer. Mme la duchesse d’Aiguillon me le disait encore ces jours passés.

Je fus hier samedi (8) à La Chapelle, où je vis toutes vos filles. Elles font fort bien, par la grâce de Dieu. Mme Turgis en est fort contente.

Henriette est encore chez elle. Son frère est venu dire qu’avant que d’aller à Saint-Germain (9) elle viendrait à La Chapelle. Il n’est pas expédient qu’elle y aille. Il faut envoyer quelque autre à Saint-Germain et la retenir ici pour lui faire connaître sa faute.

Je trouve de la difficulté à vous envoyer Mme Turgis. Je pense qu’il sera bien de vous envoyer Geneviève (10), qui était auprès de vous lorsque vous étiez auprès d’ici, ou bien Marie, qui était aux Enfants-trouvés. Que si nous vous envoyons celle-ci, l’on enverra celle-là à Saint-Germain, ou au contraire. Je tâcherai de les faire partir dans trois jours.

4. Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). Les Filles de la Charité y étaient établies depuis 1638.

5). Paroisse de Paris sur laquelle les Filles de la Charité eurent un établissement à partir de 1634.

6). Marie de Wignerod, duchesse d’Aiguillon (1604-1675), nièce du Cardinal de Richelieu, Dame de la Charité, protectrice de S. Vincent et bienfaitrice de ses œuvres.

7). Henriette Gesseaume, Fille de la Charité.

8). Commencée le samedi 17 décembre, la lettre fut reprise le dimanche 18. Entre-temps, Saint Vincent était allé à La Chapelle.

9). Saint-Germain-en-Laye.

10). Geneviève Caillou, Fille de la Charité. Elle fut du nombre des premières Sœurs envoyées à Angers ; elle y resta jusqu’en 1644.

 

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M. votre fils se porte bien ; je ne l’ai pas encore entretenu à cause de l’embarras auquel je suis. Je m’en vas envoyer quérir vos filles cette après-dîner pour les faire partir après-demain, Dieu aidant, en l’amour duquel je suis, pourvu que vous ayez bien soin de votre santé, Mademoiselle, votre très humble serviteur

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras, au logis de M. l’abbé de Vaux, à Angers.

 

25. — LETTRE DE G. PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

Je vous prie de continuer de bailler au présent Etienne Pluyette l’argent qui est du ce premier jour de l’an, pour la bourse des Pluyette, lequel fut satisfait l’ayant reçu il y a six mois du en ce temps ; il nous fait plaisir en cela, et vous de ne faire défaut de lui bailler, et en demeurerai, Monsieur, votre très humble serviteur.

G. PLUYETTE.

De Fontenay, ce 26 décembre 1639.

 

26. — A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Lazare, ce lundi à midi [11 février 1641] (1).

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous remercie très humblement du soin que vous avez de moi. Je me porte bien, Dieu merci. M. Delorme me vit hier et m’ordonna une médecine, que j’ai prise aujourd’hui. Je n’ai plus de fièvre, ni

Lettre 25. — Lettre autographe. Original aux Arch. Nat. (Paris) M 105 (Collège des Bons-Enfants).

Lettre 26. — Lettre autographe. Original chez les Filles de la Charité de la paroisse Saint-Projet à Bordeaux. Publié dans les Annales C. M. 1928, p. 256-257.

1). Date imposée par celle de l’établissement des Filles de la Charité à Sedan

(février 1641) et la comparaison du contenu de la lettre avec celui des lettres N° 512, 513, 514, 517, 518, 519 de l’édition Coste (t. II, p. 159-161 ; 163-167).

 

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quasi d’enflure à la joue, de sorte que, par la grâce de Dieu, il ne tiendra qu’à moi que je ne fasse pénitence de mes fautes. Il y a apparence que Notre-Seigneur m’en veut donner le temps.

J’ai fait retenir et payer deux places au coche de Sedan qui part demain à dix heures. Vous tiendrez nos sœurs prêtes à partir à neuf heures, s’il vous plaît. Je suis bien mortifié de ne les pas voir ; assurez-les que je les verrai des yeux de l’esprit et que demain, Dieu aidant, j’espère dire la messe à leur intention.

J’écris à Madame la duchesse (2) et au Père capucin qui y est, selon ce que vous me mandez. Il reste une difficulté : l’on m’a rapporté qu’on craint qu’il n’y ait quelque défense pour le commerce avec cette ville-là ; c’est ce qui m’a donné sujet d’écrire à Madame la duchesse d’Aiguillon et de la prier de me mander s’il y a danger d’envoyer ces filles. J’en attends la réponse ; et pour ce que peut-être elle n’aura eu le temps de voir ma lettre, j’ai prié un domestique de M. le chancelier (3) de le savoir de lui et de me le mander.

Vous ne laisserez pas de les tenir en état de partir à l’heure que j’ai dit, s’il vous plaît.

J’envoie un prêtre de céans pour entendre cette bonne fille et suis en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

2). La duchesse de Bouillon (1615-1657), convertie depuis peu au catholicisme elle contribua financièrement à l’établissement des Filles de la Charité à Sedan

3). Pierre Séguier (1588-1672), serviteur docile de la politique intérieure de Richelieu puis de Mazarin. Charitable, il favorisa les œuvres de Saint Vincent.

 

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27. — A SAINTE JEANNE DE CHANTAL (1)

De Paris, ce 9 juin 1641.

Ma très chère et très digne Mère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu aujourd’hui celle que votre bonté m’a écrite par l’adresse de notre Mère du faubourg (2) ; pour réponse à laquelle je vous dirai, ma chère Mère, que je rends grâces à Dieu de toutes celles qu’il fait à vos pauvres Missionnaires par la communication (3) que votre Charité souffre qu’ils lui fassent, et le prie qu’il les rende dignes de] a continuation de la même grâce par le bon usage que je souhaite bien fort qu’ils en fassent. Au nom de Notre-Seigneur, ma digne [Mère], continuez-leur la même charité.

Je tâcherai de vous obéir à l’égard du Faubourg pour la visite, et suivrai l’ordre que votre bonté me marque, si vous impétrez — de Notre Seigneur qu’il me fasse part à la fermeté qu’il vous a donnée dans la douceur. Oh ! que votre bon ange nous aiderait bien pour cela, si vous, ma chère [Mère], l’en priez bien.

Voici comme va l’affaire duquel un Prélat s’est plaint à celle, laquelle votre charité me mandez qui vous en a écrit. Il n’est pas besoin que je vous dise ici l’exercice de vos chères Filles qui sont à la

Lettre 27. — Lettre autographe. Original chez les Visitandines d’Orthez (Basses-Pyrénées).

Lettre publiée en partie dans l’édition Coste N° 539 (t. II, p. 185-186), d’après une copie incomplète insérée au Procès de Béatification de Jeanne de Chantal. Photogr. Arch. Mission, Paris. Texte original, avec une introduction historique, publié (dans la disposition et avec l’orthographe de l’original) dans Les Annales C.M. 1954-1955, p. 6211-628.

1). Sainte Jeanne-Françoise Frémiot de Chantal (1572-1641). Après la mort de son mari elle se mit sous la direction de S. François de Sales, qui l’orienta vers la vie religieuse, ensemble ils instituèrent l’ordre de la Visitation. Après la mort de S. François de Sales elle consulta S. Vincent pour sa direction spirituelle et pour les affaires de son Ordre. Dans les lettres qu’il lui adresse S. Vincent s’efforce d’adopter le style et la manière de S. François de Sales. Dès 1622, S. Vincent fut le supérieur ecclésiastique de la Visitation dans le diocèse de Paris : Premier monastère (1619) installé au faubourg Saint-Antoine en 1621 ; deuxième monastère établi en 1626 (faubourg Saint-Jacques) ; troisième monastère établi en 1639, à Saint-Denis.

2). Il s’agit d’Anne-Marguerite Guérin, Supérieure du deuxième monastère de la Visitation, au faubourg Saint-Jacques.

3). S. Vincent conseillait à ses confrères d’Annecy de faire leur communication intérieure à S. Jeanne de Chantal ; ceux-ci recouraient à la Supérieure de la Visitation dans leurs peines spirituelles et lui confiaient pratiquement la direction de leur âme.

 

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Madeleine (4). Quelques-unes d’entre les Professes craignant que nos Sœurs se retirassent et que les dyscoles ne prévalussent, trouvèrent moyen d’écrire à Madame la Duchesse d’Aiguillon par elles-mêmes, et la prièrent à l’insu de la Supérieure de les venir voir. Ce qu’elle fit, pour ce qu’elle a charité et est bienfaitrice de la Maison. Elles lui firent leurs plaintes en sorte que la Dame en parla à ce bon Seigneur, et le pria de terminer cette affaire et comme elle vit que l’affaire tirait en longueur, que la combustion continuait et s’enflait de plus en plus, et que cela était fomenté par l’audace qu’elles se donnaient d’être maintenues par ledit Seigneur, cette bonne Dame lui manda qu’elle le priait de terminer cette affaire ou qu’elle s’en plaindrait, ce qui le fâcha extrêmement et l’anima beaucoup contre vos chères Filles disant que cela vint d’elles : ce qui n’est pas. J’en assure votre charité et qu’elles n’y ont aucune part à… (déchirure)… que je fusse en lieu pour vous dire les circonstances de cette affaire, ma digne Mère, et vous verriez qu’elles sont innocentes, et lui-même m’avoua, il y a quelque temps, qu’il ne le croyait pas, mais qu’elles étaient pour le moins le sujet pour lequel il avait été maltraité. La Maison va bien pour le présent. C’est une petite tempête qui a passé et qui a produit un calme plus grand que jamais dans ces esprits, de sorte qu’il y sujet de louer Dieu, et vous, ma chère Mère, de vous assurer que la conduite de cette affaire a été par le conseil du frère et de la sœur de ce bon Seigneur, et dans l’esprit de respect et de soumission, et rien contre cela.

Il s’est passé quelque autre petit rencontre sur ce même sujet depuis peu, qui a fait faire de nouvelles plaintes, mais je puis vous assurer, ma chère Mère, qu’il n’y a point de leur faute. Mais quoi, Notre-Seigneur permet que vos bonnes Filles soient exercées de la sorte. Béni soit Dieu de ce qu’elles le sont sans sujet ! La charité est patiente, dit saint Paul (5), ce grand œuvre de charité qu’elles font ne mérite-t-il point qu’elles y souffrent pour exercer leur patience. Jamais il ne s’est fait œuvre de Dieu pour Dieu, où l’on ne soit payé de cette monnaie. Notre chère Mère de la Ville (6) paraît avoir l’esprit de Dieu dans sa conduite. Notre chère Sœur Angélique (7) vit dans ses infirmités avec

4). Le monastère de Sainte-Madeleine (maisons de filles repenties) était dirigé depuis 1629 par les religieuses de la Visitation. La supérieure était alors la Mère Anne-Marie Bollain.

5). 1èr Ep. de Saint Paul aux Corinthiens, chap. XIII, verset 4.

6). Louise-Eugénie de Fonteines, qui venait d’être élue, le 16 mai 1641, supérieure de la Visitation rue Saint-Antoine.

7). Marie-Angélique Le Masson ou Hélène-Angélique Lhuillier ou encore quelque autre religieuse de la Visitation.

 

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une humilité et cordialité avec elles qui m’édifie. Oh ! que je souhaite cette même bénédiction dans tous les Ordres, et que c’est une harmonie admirable aux yeux de Dieu, et d’édification à ceux qui les voient. Bonsoir, ma chère Mère ! Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Si je ne puis écrire, par cette occasion, à M. Codoing (8), ce sera par la première. J’espère que cette lettre trouvera M. De Horgny (9), de notre Compagnie, à Annecy (10), où il est allé voir vos Missionnaires. Votre bonté dira cependant à M. Codoing, s’il lui plaît, ma digne Mère, que j’ai baillé quatre cents livres à Monsieur de Menthon pour le quartier de juillet.

Suscription : A ma Très Digne Mère Ma Mère de Chantal, Supérieure du Premier Monastère de la Visitation d’Annecy, à Annecy.

 

28. — A SYLVESTRE DE CRUSY DE MARCILLAC

Évêque de Mende

Paris, ce 6 décembre 1641.

Monseigneur,

Je vous remercie très humblement de la grâce que vous avez faite à vos missionnaires de les recevoir avec tant de bonté, et prie Notre-Seigneur qu’il vous en fasse le remerciement lui-même et qu’il soit votre récompense et qu’il nous fasse dignes, eux et moi, de vous servir selon l’étendue de votre désir.

8). Bernard Codoing, prêtre de la Mission (1610-1678 environ), né et mort à Agen, entré dans la Congrégation de la Mission en 1636, supérieur de la maison d’Annecy depuis 1640, il quitta la Compagnie après 1650.

9). Jean De Horgny, prêtre de la Mission, entré dans la Congrégation de la Mission en 1627. Il était à cette époque supérieur du Collège des Bons-Enfants, il se trouvait, en juin 1641, à Annecy pour la visite canonique.

10). Les prêtres de la Mission furent établis à Annecy en 1640, pour missionner dans le diocèse et recevoir les ordinands. Le premier supérieur ouvrit peu après un Séminaire dans sa maison.

11). Membre de la noblesse savoyarde habitant Annecy.

Lettre 28. — Lettre autographe. Original communiqué par M. Saffroy, libraire à Paris (1927). Texte publié dans Les Annales C. M.1927, p. 235-236.

1). Né en 1571, évêque de Mende de 1628 à 1659, date de sa mort.

 

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Monsieur votre official vous aura pu écrire comme Monsieur le chancelier (2) m’a témoigné qu’il était fort aise de ce que vous travaillez avec tant d’ardeur dans votre diocèse ; qu’il ne sera pas besoin que vous, Monseigneur, reveniez ici ; qu’il n’accordera rien à ceux qui vous exercent, qui vous donne sujet de le venir empêcher, qu’à la vérité l’offre qu’ils font de rembourser le droit dont est question et de le rendre quitte à la province dans dix ans lui semble raisonnable, étant si avantageux au pays ; à quoi n’ayant pas prévu la réponse, je me réservai à lui faire, lorsque je serai mieux instruit, comme je le ferai, et en parlerai à celui que vous m’aviez fait l’honneur de me mander de le dire, pour y servir en temps et lieu.

J’ai aussi vu exprès M. de Vertamont (3) pour l’affaire de Monsieur votre official, lequel je n’ai point vu depuis, pour lui dire comme ledit sieur de Vertamont me promit de bonne façon qu’il ferait bonne justice à mondit sieur votre official et qu’il en voulait conférer avec M. de Morangis (4), qui a donné l’indult à sa partie.

J’ajoute à cela, Monseigneur, la très humble prière que je vous fais de faire bailler cinq écus de là à M. Savinier (6), pour s’habiller, lui et M. Le Sages, et les rendrai ici à M. votre official ne les lui ayant pu délivrer, pour ce qu’il y a longtemps que je ne j’ai vu et que je ne sais par quelle autre adresse vous les envoyer, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monseigneur Monseigneur l’évêque et comte de Mende et de Gévaudan à Mende.

2). Pierre Séguier.

3). Probablement François de Verthamon, conseiller d’État.

4). Probablement Antoine Barillon, sieur de Morangis, maître des requêtes.

5). Annet Savinier, prêtre de la Mission, né près de Clermont-Ferrand, entré dans la Congrégation de la Mission en 1635.

6). Jacques Le Sage, prêtre de la Mission, né à Auffray (diocèse de Rouen) vers 1614, entré dans la Congrégation de la Mission en 1639, mort en 1648 à Alger.

 

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29. — A BERNARD CODOING (1)

Saint-Lazare, ce 9 février 1642.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

Voici une lettre de Monseigneur le Cardinal Mazarini (2), à notre recommandation, au cardinal Antonio (3), neveu de Sa Sainteté. Je reçus hier la vôtre du lieu de la mission où vous avez amené vos séminaristes. Oh ! que mon âme est consolée de tout ce que vous m’en dites, comme aussi de la proposition de l’achat de cette maison, si elle est dans la ville d’Annecy, ou si proche qu’elle vous puisse servir de logement, comme si l’on était dans la ville. Mais il nous est impossible de vous aider de ces 7.000 florins. M. Du Festel (4) tâchera donc de s’accommoder des mille ducats, qui est partie de la somme mise en constitution de rentes.

Vous avez bien fait de m’avertir de ne pas employer S. E. (5) pour le dessein de Monseigneur de Genève (6) ; sans cela j’en aurais écrit demain à M. de Chavigny (7), à Lyon, pour lui en parler. Votre présence à Rome pourra beaucoup vers M. l’ambassadeur (8) pour cela. Je lui en ferai écrire par M. de Liancourt (9), qui est son bon ami, de la meilleure encre qu’il pourra.

Lettre 29. — Lettre autographe.

Original à la Bibliothèque de l’Université d’Amsterdam (Schenkings Diederichs 59 Ap.). Lettre publiée dans l’édition Coste (N° 570 t. II, p. 223-226) d’après une copie fautive ; éditée avec la disposition et l’orthographe de l’original dans les Annales C. M. (1953, p. 253-254).

1). Supérieur de la maison d’Annecy, B. Codoing venait d’être nommé supérieur de la maison de Rome.

2). Le cardinal Mazarin (1602-1661), présent pour lors à la cour de France sans fonction définie ; conseiller de Richelieu, il sera son successeur le 17 décembre 1642.

3). Antonio Barberini (1608-1671), neveu du Pape Urbain VIII, assez influent alors à cause des charges nombreuses qu’il avait successivement exercées en Curie.

4). François du Festel venait d’être nommé supérieur de la maison d’Annecy en remplacement de B. Codoing.

5). Son Éminence le cardinal de Richelieu.

6). Juste Guérin, évêque de Genève depuis 1639, il mourra en 1645.

7). Léon Bouthillier, comte de Chavigny (1608-1652), exerça diverses charges administratives et diplomatiques importantes.

8). François Du Val, marquis de Fontenay-Mareuil, ambassadeur à Rome, de 1640 à 1650, il mourra en 1665.

9). Roger Du Plessis, duc de Liancourt (1598-1674), homme de piété et de bonnes œuvres, lié au groupe janséniste.

 

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Le bon M. Thévenin, curé de Saint-Etienne, en Dauphiné (10), m’a écrit plusieurs lettres, toutes tendantes à travailler à faire un Séminaire de prêtres pour les cures et autres bénéfices, et me pousse par quantité de raisons et même par les jugements de Dieu. Il vous a vu en Dauphiné et à Annecy, et nous ici. Je souhaiterais bien que vous prissiez la peine de le voir en passant et de lui rendre mes lettres dans lesquelles il y en a une de change pour prendre à Lyon, de Messieurs Mascarini et Lumague (11), 250 livres qu’il me mande qu’il a dépensées pour nous venir voir. Il me presse d’abandonner notre dessein [des missions] pour suivre celui qu’il propose, ce que je n’aurais pas difficulté à faire si Notre-Seigneur l’avait agréable. Mais la Compagnie ayant été approuvée du Saint-Siège, qui a infaillibilité pour l’approbation des Ordres que Notre-Seigneur institue, à ce que j’ai ouï dire à feu M. Du Val (12) ; 2° et la maxime des Saints étant qu’une chose qui a été résolue devant Dieu en suite de plusieurs prières et conseils qu’on a pris, il faut rejeter et tenir pour tentation tout ce qui se propose contre ; 3° et enfin ayant plu à Dieu de donner une approbation universelle d’un chacun à ce bon œuvre [des missions], en sorte que partout chacun commence à y prendre goût et à y travailler, et la miséricorde de Dieu accompagnant cet œuvre de ses bénédictions, il me semble qu’il faudrait quasi un ange du ciel pour nous persuader que c’est la volonté de Dieu qu’on abandonne cet œuvre pour en prendre un autre qu’on a déjà entrepris en plusieurs endroits et qui n’a pas réussi. Et pour ce que néanmoins le Saint Concile de Trente (13) recommande cet œuvre, nous nous sommes donnés à Dieu pour le servir en cela partout où nous le pourrons. Vous avez commencé (14), Monseigneur d’Alet (15) fait de même, Monseigneur de Saintes (16) a ce même dessein ; et nous allons commencer en cette ville pour en faire un essai de douze, à quoi S. E. (17) nous aide de mille écus (18). Ce bon serviteur de Dieu voudrait que la chose allât un peu plus vite, mais

10). Sans doute Saint-Etienne de Saint-Geoirs (Isère).

11). Banquiers de Lyon.

12). André Du Val (1564-1638), professeur en Sorbonne, un des conseillers les plus écoutés de M. Vincent.

13). Décret "Cum, in adolescentium aetas", publié dans la XXIIIe session (15 juillet 1563).

14). C’est à Annecy, l’année précédente, que B. Codoing avait commencé les exercices d’un Séminaire de clercs.

15). Nicolas Pavillon, évêque d’Alet depuis 1638, il mourra en 1677.

16). Jacques Raoul de La Guibourgère, évêque de Saintes depuis 1642, il sera transféré à Maillezais-La Rochelle en 1646.

17). Le cardinal de Richelieu.

18). L’écu valait 3 livres.

 

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il me semble que les choses de Dieu se font peu à peu et quasi imperceptiblement, et que son esprit n’est pas violent, ni tempestatif.

Je vous ai dit ci-dessus que je vous priais de le voir, mais j’ai pensé depuis qu’il n’est pas besoin et qu’il suffira que vous lui envoyiez mes lettres.

Je suis bien aise, Monsieur, de ce que votre nature est revenue de ces mouvements pressants que vous sentiez pour Rome au commencement, et que vous les craignez à présent, parce que ce sera le pur amour de Dieu qui vous y amènera, et que par conséquent vous avez sujet d’espérer que l’esprit même de Dieu vous animera et ferai son œuvre par vous. Allez donc, Monsieur, in nomine Domini, en cette confiance. Écrivez-moi souvent et de toutes choses. Choisissez un lieu sain pour votre habitation. La lettre de M. le cardinal Mazarini est écrite de bonne encre, et moi je suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. de Montereil, secrétaire de l’ambassadeur de Rome, prendra une barque pour aller terre à terre. Je vous prie de vous rendre à Marseille vers le 25 ou 27.

Suscription : A Monsieur Monsieur Codoing, prêtre de la Mission à Lyon.

 

30. — A JACQUES CHIROYE

La lettre 613 de l’édition Coste (t. II, p. 292-293), adressée à Jacques Chiroye, prêtre de la Mission, supérieur de la maison de Luçon, le 6 septembre 1642, a été publiée par Coste d’après l’édition Pémartin de 1880 (N° 364, t. I, p. 420-421). L’original de cette lettre a été retrouvé depuis ; en 1935 il était en la possession de Mgr Garnier, évêque de Luçon, qui l’a communiqué à l’archiviste de la Congrégation de la Mission ; celui-ci a publié cette lettre dans les Annales C. M. (1938, p. 606-607) avec l’orthographe de Saint Vincent car la lettre est entièrement autographe.

Les différences entre l’original et le texte Pémartin-Coste sont minimes sans portée ; c’est pourquoi nous ne jugeons pas utile de redonner ici cette lettre.

 

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31. — A FRANÇOIS DU FESTEL

De Paris, ce 20 septembre 1642.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai été plus consolé qu’autre que le bon Dieu ne vous peut exprimer du bon état auquel M. Lambert (1) a trouvé votre communauté en général et chacun en particulier, et pour la bénédiction qu’il plaît à Notre-Seigneur de donner à vos missions et à votre séminaire, dont je rends grâces à Dieu, et le prie qu’il bénisse son œuvre de plus en plus et qu’il sanctifie votre chère âme et toutes celles de la petite Compagnie et, par vous, toutes celles qu’il a résolu de sauver par votre moyen.

Et pource que vous me faites instance d’introduire dans la Compagnie la déposition et le changement des supérieurs plus fréquemment que nous n’avons fait jusqu’à présent, et me priez de commencer par vous, et de vous laisser obéir en la même maison où vous avez dirigé je remercie Dieu, Monsieur, de la lumière qu’il vous a donnée pour cela et me donne à sa divine Majesté pour en user de la sorte, moyennant sa grâce. Et, comme vous le désirez, nous commencerons par vous. Vous vous déposerez donc, s’il vous plaît, Monsieur, au premier chapitre que vous tiendrez, et remettrez votre office en la personne de M. Guérin (2), lequel je prie de l’accepter, et la Compagnie de le regarder en Dieu, et Dieu en lui, et de lui obéir de même.

Et pource qu’il sera nouveau en cet emploi et qu’il est nécessaire qu’il soit assisté de vos bons conseils, je vous prie de lui faire cette charité, et lui de prendre votre avis en toutes choses. Il sera bon, avant d’en venir là, que vous lui disiez les petites maximes de la Compagnie, l’esprit et la manière de diriger d’icelle, et lui direz notamment cette maxime : qu’il faut être ferme et invariable à la fin, mais doux et humble pour les moyens, quoique je la pratique Si mal.

Lettre 31. — Lettre autographe. Original dans la collection privée de la reine de Hollande (en 1931). Une partie de cette lettre a été éditée d’après une copie défectueuse du Registre 2 (Archives de la Mission) par Coste (N° 618, t. II, p. 297-299). Les Annales C. M. ont publié le texte intégral d’après l’original (1931, p. 693-696).

1). Lambert aux Couteaux, prêtre de la Mission (1606-1653), entré dans la Congrégation en 1629 ; il était alors supérieur de la maison de Richelieu. Il avait dû être envoyé eu visite extraordinaire à Annecy pour éclairer M. Vincent sur la situation de la maison.

2). Guérin (Jean), prêtre de la Mission (1594-1653), entré dans la Congrégation en 1639 ; nommé supérieur de la maison d’Annecy en remplacement de Fr. Du Festel (septembre 1642), il le demeura jusqu’à sa mort.

 

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Et pource que l’esprit malin en fait quelquefois des siennes au changement des officiers d’une Compagnie, indisposant les uns à cause de la déposition de l’ancien, auquel ils ont confiance ; d’autres, de ce qu’on ne les a pas choisis, eux ; et d’autres pour le choix de la personne ; je vous prie, Monsieur, de faire une conférence (3) sur ce sujet, dont le premier point sera de l’indifférence que doivent avoir les missionnaires pour passer de la direction d’un officier à un autre ; 2° comme se doivent comporter les missionnaires entre eux lorsqu’on change quelque officier ; 3° comment se doit comporter le déposé avec celui qui sera élu et l’élu avec le déposé. Je ne puisque je ne vous die qu’un des meilleurs moyens du second point, c’est de n’en point parler pour tout entre eux, comme je pense. Mon Dieu, Monsieur ! que je serai consolé si vous m’envoyez ce qui aura été dit sur chaque point ! Je vous supplie de le recueillir.

J’espère que celui qui vous a suggéré la pensée du changement vous en donnera d’utiles à la Compagnie, de la façon qu’on se doit comporter dans ce changement.

Je vous prie me mander si ce que vous me dites, par la vôtre du 29 août, qu’on vous devra au premier d’octobre 12 pistoles (4), s’entend outre ce qu’on a payé et votre paie à cette honnête femme de cette ville à laquelle vous nous avez mandé de payer ce que vous avez pris d’elle.

Le bruit est ici que Monseigneur prend pour son successeur M. l’archevêque de Maurienne (5).

J’oubliai hier de prier M. Codoing qu’il ne se mêle point de l’affaire du Visiteur de Sainte-Marie (6). Je n’en savais chose quelconque. O mon Dieu, Monsieur ! qu’il est bon de ne se mêler que de ce que nous avons ordre. Dieu est toujours là dedans et jamais ou rarement au reste.

Je ne comprends pas bien la mesure de la maison que les bonnes Filles de la Visitation vous offrent. Vous dites qu’elle a 53 pieds (7) de long, 43 de large et cent cinquante pas (3) de face sur le pavé. La face du bâtiment, n’est-ce pas sa largeur ou sa longueur ? Un mot de cela, s’il vous plaît.

3). La conférence était un exercice de communauté au cours duquel chacun des participants disait ses pensées et ses sentiments sur le sujet proposé.

4). La pistole valait 10 livres.

5). Paul Millet de Châles (1599-1656), évêque de Maurienne. Il avait pris possession de son siège le 17 septembre 1642. C’est par erreur que M. Vincent lui donne le titre d’archevêque.

6). Le Visiteur canonique des couvents de l’ordre de la Visitation.

7). Le pied valait 0 m. 33.

8). Le pas valait 2 pieds 1/2

 

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Il y a difficulté d’acheter un fonds dans un État dans lequel l’on n’a pas permission du prince de s’établir. Si, sans avoir égard à cela le conseil que vous pourriez prendre d’habiles gens à Chambéry (9) est de cet avis, vous ferez bien d’acheter cette maison, pourvu qu’elle soit au bon air. Je vous supplie, Monsieur, au nom de Dieu, de regarder sur toutes choses le bon air dans l’achat que vous ferez.

Voilà, Monsieur, ce que je vous dirai pour le présent, sinon que je salue votre communauté avec tout le respect qui m’est possible, prosterné en esprit à ses pieds, et que je suis à elle et à vous, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL

i. p. de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Du Festel, supérieur des prêtres de la Mission d’Annecy, à Annecy.

 

32. — FRERE MATHIEU REGNARD A M. VINCENT

Janvier 1643.

Il y a quelques jours, notre frère Mathieu m’écrivait de Lorraine ; et sa lettre toute baignée de larmes, me mandait les misères de ce pays et particulièrement de plus de six cents religieuses :

"Monsieur, la douleur de mon cœur est si grande que je ne la vous puis dire sans pleurer, pour la grandissime pauvreté de ces bonnes religieuses que votre charité fait secourir, dont je ne vous saurais représenter la moindre partie. Leur habit ne peut presque être reconnu… Elles sont rapetassées de tous côtés de vert, de gris, de rouge, enfin de tout ce qu’elles peuvent avoir. Il leur a fallu prendre des sabots."

9). Chambéry, ancienne capitale de la Savoie ; depuis le transfert de la cour et du gouvernement à Turin, Chambéry était demeuré le centre administratif des pays d’au-delà des monts.

Lettre 32. — Conférence du 25 janvier 1643, aux Filles de la Charité. Archives des Filles de la Charité. Original de l’écriture de Louise de Marillac. S.V. IX, 84-85.

 

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33. — A BERNARD CODOING

De Paris, ce 5 février 1643.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écrivis la semaine passée et n’ai rien, si me semble, à vous dire de nouveau, sinon que quelque petite altération qui est arrivée dans les affaires rend l’affaire de Saint-Yves (1) plus difficile, et qu’elle n’est pas à presser.

L’autre (2) est touchant la demande que vous m’avez faite si nous ferions la mission dans les villes épiscopales ; sur quoi je vous dirai que je n’ai jamais eu la pensée de cette exclusion, oui bien de n’y point travailler hors de là, et, de fait, vous l’avez faite à Annecy (3) et M. Chiroye (4) la fait à Luçon ; mais pour prêcher, catéchiser et confesser dans ces lieux-là, hors le temps de la mission, c’est ce qui m’a semblé n’être pas expédient. Je fais prier la Compagnie pour résoudre la chose, si faire se peut, selon le dessein de Dieu, et nous mettrons cette résolution dans les règles, Dieu aidant.

Je vous prie de vous ressouvenir de la dispense du vœu de religion, que je vous ai demandée pour une veuve, et celle d’un prêtre capucin qui est devenu hérétique, dont M. Portail (9) vous a écrit.

En voici une autre : un curé a eu sa cure par une simonie assez légère. Il se nomme Taufin (3), du diocèse de Troyes ; il demande la dispense de tenir le bénéfice et condonation des fruits qui ne sont que de cent écus par an ; il est très homme de bien, la simonie ne touche qu’à six muids de vin que son résignant voulait qu’il lui

Lettre 33. — Lettre autographe. Original aux Archives ducales de Sagan (Silésie), en 1936. Coste dans son édition n’avait pu que signaler la lettre (N° 640, t. II, p. 363), l’existence n’en étant connue alors que par un catalogue de Charavay. Texte publié dans les Annales C. M. (1936, p. 405-408) avec l’orthographe de l’original.

1). Il était question d’unir la paroisse Saint-Yves (à Rome) à la Congrégation de la Mission et d’y installer les prêtres de la Mission. Le projet n’aboutit pas.

2). En marge M. Vincent écrit : J’ai oublié de vous envoyer la lettre de M. Codoing (sic), il y a longtemps.

3). B. Codoing avait séjourné à Annecy comme supérieur de la maison de la Congrégation de la Mission de 1640 à 1642.

4). Jacques Chiroye, prête de la Mission (1614-1689), entré dans la Congrégation en 1638, supérieur de Luçon, depuis 1640.

5). Antoine Portail, prêtre de la Mission (1590-1660), le premier compagnon de M. Vincent, choisi par l’assemblée générale de la Congrégation réunie en 1642, comme premier assistant du supérieur général (M. Vincent).

6). Ce nom difficilement lisible a été barré postérieurement, sans doute pour couvrir du voile de l’anonymat cette histoire de simonie.

 

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donnât absolument, après avoir convenu de la pension qui était de douze écus ; au nom de Dieu, Monsieur, faites-la expédier au plus tôt ; s’il est besoin d’exprimer le bénéfice, il se nomme Nogetum (7).

J’attends la lettre de change des mille livres que je vous ai proposé de prendre. Nous n’avons point encore les contrats de votre fondation, quelque diligence que j’y fisse, pour quantité de circonstances qui se rencontrent en l’affaire.

M. Du Coudray (8) et M. Boucher (9) partiront dans deux jours pour la Barbarie (10), pour les raisons que je vous ai écrites, et feront la mission en attendant sur les galères de Marseille. S’il n’y allait que de la rédemption des captifs, l’on n’irait pas, mais s’agissant de voir les raisons qu’il y aura d’assister spirituellement les pauvres esclaves dans l’avenir, chacun nous y porte ; vous en direz un mot, s’il vous plaît, à Monseigneur Ingoli (11).

J’attends avec impatience le succès de votre séminaire, le nôtre est béni de Dieu ici ; nous en avons vingt-deux dont il y en a sept ou huit en mission.

Et moi je salue et embrasse votre chère Compagnie, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et obéissant serviteur,

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. de Saint-Aignan (12) nous a résigné le prieuré de Dyé (13), diocèse de Langres ; M. Gallot (14) doit envoyer la procuration à un sien ré-

7). Ce mot a été barré lui aussi, sans doute pour la raison donnée à la note 6, Nogetum (ou Nogetus) correspond à Nogent, or il y a trois Nogent dans le diocèse de Troyes.

8). François Du Coudray, prêtre de la Mission (1586-1649), entré dans la Congrégation en 1626. Il n’alla pas en Barbarie, restant quelque temps à Marseille pour évangéliser les galériens en compagnie de plusieurs autres confrères.

9). Léonard Boucher, prêtre de la Mission, entré dans la Congrégation en 1632. Pas plus que Fr. Du Coudray il n’ira en Barbarie.

10). Par ce terme de Barbarie on désignait alors l’Afrique du Nord. Les missionnaires de M. Vincent commencèrent à travailler au bien spirituel des esclaves chrétiens à Tunis, en 1645, à Alger, en 1646.

11). Secrétaire de la Congrégation de la Propagande à Rome, de 1622 à 1649.

12). Chanoine du chapitre cathédral de Notre-Dame de Paris depuis 1638, plus tard Grand Vicaire du Cardinal de Retz, archevêque de Paris. Son nom de famille était Paul Chevalier. Il mourra en 1674.

13). Prieuré bénédictin, aujourd’hui dans le diocèse de Sens et le département de l’Yonne. Le projet en question n’aboutit pas.

14). Notaire ecclésiastique du diocèse de Paris.

 

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pondant […] banquier à Rome. Il y enverra de plus le consentement de M. l’abbé et des religieux ; vous le verrez, s’il vous plaît, pour lui recommander et y tenir la main pour la componende (15).

Suscription : A Monsieur Monsieur Codoing, Supérieur des prêtres de la Mission de Rome à Rome.

 

34. — A FRANÇOIS DU FESTEL

Détails intéressants sur les affaires générales de la Congrégation dans différentes villes et sur les galères et sur le succès des études dans les séminaires. Il lui envoie la ratification de la fondation du Commandeur de Genève avec toutes les recommandations possibles :

"O Monsieur, que j’ai une grande consolation de ce que Notre-Seigneur a choisi deux Commandeurs de Malte pour le bien du diocèse de Genève. Je prie Notre-Seigneur qu’il sanctifie de plus en plus cet ordre-là et l’âme de mondit Seigneur, et qu’il glorifie de plus en plus celle de Monsieur le Commandeur de Sillery (1). Je vous prie, Monsieur, de demander permission à mondit Seigneur de lui baiser la main de la part de notre petite Compagnie et particulièrement de la mienne."

15. La componende était une offrande versée au Saint-Siège à l’occasion de l’obtention d’un bénéfice, d’une grâce ou d’une faveur.

Lettre 34. — Le résumé qui en est donné est tiré d’un catalogue de Charavay qui la signale comme autographe. Coste la signale à son tour dans son édition (N° 652, t. II, p. 374). La partie ci-dessus reproduite, à la suite du résumé de Charavay, a été retrouvée à la Bibliothèque Nationale de Paris (Département des Manuscrits : Nouv. Acq. fr. 3099).

1). Voir note 3 de la lettre N° 16 de la présente édition.

 

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35. — A BERNARD CODOING,

Prêtre de la Mission, Supérieur à Rome

De Paris, ce 20 mars 1643.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu deux de vos lettres à la fois, l’une du 1er et l’autre du 12 février. Voici la réponse à la première. Je rends grâces à Dieu de tout ce que vous me dites par toutes deux et notamment de ce [que] vous avez eu le bonheur de faire révérence à Mgr le cardinal Lante (1) et de tout ce que S. Em. vous a dit, comme aussi de ce que vous avez commencé le séminaire par les diacres et les sous-diacres que Mgr le cardinal Lante vous a envoyés, et vous dirai que j’entrevois les fruits que vous me dites qui en pourront réussir, s’il plaît à Dieu d’y donner sa bénédiction, comme je l’en prie de tout mon cœur, et lui offre toutes les palpitations de mon cœur comme autant d’oraisons jaculatoires qui lui demandent incessamment cette grâce.

Pour l’affaire de Saint-Yves (2), je n’y vois point beaucoup de choses à espérer pour le présent, à cause de l’instance que font les Pères de l’Oratoire à l’égard de Saint-Louis (3) par leur Père général (4), confesseur de Monsieur, frère du Roi (5), auquel la personne à laquelle j’en ai parlé (6) ne veut pas déplaire. Vous ne direz point ceci à qui que ce soit au monde ; nous verrons avec le temps.

J’ai fait voir vos lettres, comme je le fais pour l’ordinaire, à Madame votre fondatrice (7) ; quand il y aura quelque chose de particulier, vous me le direz par un billet à part.

Lettre 35. — Lettre autographe. Original au Musée de Mariemont (Belgique) en 1960’il s’y trouve depuis 1910. Lettre publiée dans l’édition Coste (n° 654, t. II, pp. 375-382) d’après une copie pleine de fautes de lectures et d’interprétations erronées. L’original. retrouvé récemment, n’est pas en très bon état : en plusieurs endroits, l’encre a mangé le papier ; on trouve beaucoup de ratures ; quelques noms propres et même des lignes entières ont été rendues illisibles par une main postérieure. Quelques lectures données ici restent conjecturales. Photographie de l’original aux Archives de la Mission (Paris).

1). Évêque suburbicaire d’Ostie.

2). Cf. note 1 de la lettre n° 33 de la présente série.

3). Confrérie et paroisse de Saint-Louis-des-Français à Rome (à laquelle étaient rattachées la confrérie et la paroisse de Saint-Yves). Elle dépendait des Oratoriens français.

4). François Bourgoing (1585-1662). Supérieur général depuis 1641.

5). Gaston, duc d’Orléans.

6). Le comte de Brienne.

7). La duchesse d’Aiguillon.

 

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Voici la réponse à la seconde. Elle me parle amplement de Saint-Yves et de quelques missions en Bretagne. Je ne vous puis dire que ce que je vous ai dit sur ce sujet, sinon que la personne à qui j’en ai parlé s’éloigne de moi à cause de cela, et que nous avons quelques Bretons à notre séminaire, si la chose était pressée ; à cela près, omnia tempus habent (8).

Je suis tout à fait de votre sentiment, Monsieur, qu’il faut s’attacher aux séminaires, et que les missions s’en feront mieux. Nous sommes obligés d’aller commencer celui de Cahors après Pâques, et Nos seigneurs de Mende (9) et d’Angoulême (10) nous pressent pour faire le même chez eux au même temps, ce qui nous est impossible, si Dieu ne nous aide. Nous faisons payer pension à tous ceux qui en ont le moyen ; ils donnent 200 livres et d’aucuns quatre-vingts écus (11). Je pense comme vous qu’il en faut user partout de la sorte.

J’écrirai au premier jour à M. Soufliers (12) ce que vous me dites pour Agen (13). J’attendrai ce que Mme la Duchesse (14) me dira touchant celui de Richelieu (15) et les ordinands à Poitiers (16).

Je suis bien aise de ce que vous me dites, que le Pape (17) admettra l’union des cures au séminaire, en payant la componende (18). M. de Saintes (19) me demande cela par celle que je reçus hier de lui. Expliquez-moi cependant, s’il vous plaît, la condition que vous me dites, de payer la componende, à combien cela monte, et celle-ci que ces cures sont desservies par des prêtres du séminaire.

Je n’ai point l’honneur de connaître M. de Vanci, je ferai néanmoins attention à l’ouverture que vous me faites à son égard. Quant à la cure du diocèse (20) de Mgr le cardinal Lante, si nous avons des hommes et supposé qu’elle soit en quelque petite ville,

8). Livre de l’Écclésiaste III, 1 "y a un temps fixé pour tout."

9). Sylvestre de Crusy dé Marcillac, évêque de Mende de 1628 à 1659, date de sa mort.

10). Jacques Du Perron, évêque d’Angoulême de 1637 à 1646.

11). C’est-à-dire 240 livres.

12). François Soufliers, né à Montmirail, diocèse de Soissons, en 1606, reçu dans la Congrégation en 1629, ordonné prêtre eu 1631.

13). Plus exactement La Rose, diocèse d’Agen, où Fr. Soufliers était Supérieur depuis l’année précédente.

14). La duchesse d’Aiguillon.

15). Le séminaire de Richelieu commença en 1646 et n’eut qu’une existence éphémère.

16). Il s’agit soit d’un séminaire d’ordinands projeté (projet abandonné), soit d’une retraite d’ordinands prêchée à Poitiers.

17). Urbain VIII, pape de 1623 à 1644.

18). Cf. la note 15 de la lettre n° 33 de la présente série.

19). Jacques Raoul de la Guibourgère, évêque de Saintes de 1642 à 1646.

20). Cf. note 1.

 

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in nomine Domini, il y faudrait penser. Mais si vous pouvez suspendre la chose, en attendant vous verrez et me manderez l’état du lieu, le nombre des communiants et combien de personnes cela pourrait entretenir [?], après que vous y aurez fait la mission.

Pour la dispense du vœu, je vous ai renvoyé celle que vous m’aviez envoyée, et mandé que cette bonne âme n’a qu’environ 36 ans. Et pour la maladie qui la contraint à manger de la viande, c’est un affaiblissement de la nature par une continuelle agitation de son esprit et des sollicitudes que des affaires lui ont données. Je vous supplie, monsieur, de travailler à cela.

L’absolution ou la dispense qu’on demandait pour cet hérétique converti, qui a été Capucin, se demandera à Rome par lui-même, qui est parti pour y aller.

Je ferai refaire et signer par M. Callon (21) la lettre qu’il a déjà écrite à M. l’abbé d’Aumale (22), et si l’affaire de Saint-Yves s’avançait nous lui ferions écrire par des personnes de considération ; si cette affaire se faisait, vous ôtez l’âme de la chose en supprimant la considération du séminaire. Que dira-t-on pour raison du changement de cette direction ?

Puisque le frère du Frère Martin (23) vous est utile et [que] vous pensez en faire un bon enfant, in nomine Domini, gardez-le.

Nous tâcherons d’obtenir la lettre de Mgr le cardinal Mazarin en la manière que vous la demandez, et vous enverrai le livre latin des ordinands par M. de Horgny, lequel j’espère faire partir à Pâques pour aller visiter les pauvres petites familles de Notre-Seigneur (24).

Nous penserons à ce que vous me dites, qu’il est expédient que le général ait la faculté d’appliquer les biens d’une maison à une autre. Prenez avis de cela, si cela est à souhaiter et s’il y a exemple.

Je ferai dresser désormais les mémoriaux en latin, avant de vous prier d’obtenir ce qu’ils contiendront.

Voici les paroles de la dame du vœu touchant son indisposition ; cette infirmité est plutôt une faiblesse et délicatesse de tempérament qui empêche cette femme de pouvoir faire six jours maigres de suite, sans être malade quant à une maladie particulière.

21). Louis Callon, né à Aumale, diocèse de Rouen, entre dès 1626 dans la Congrégation de la Mission ; peu après il rejoignait sa cure d’Aumale, sans cesser de faire partie de la Congrégation. Mort à Vernon en 1647.

22). Edmond ou Aimé du Broc du Nozet.

23). Non identifié avec certitude, peut-être Jean Martin, né à Paris en 1620, entre dans la Congrégation de la Mission en 1638, ordonné prêtre à Rome en 1645, mort à Rome en 1694.

24). Autrement dit : pour aller faire la visite canonique de plusieurs maisons de la Compagnie.

 

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Vous me manderez, s’il vous plaît, le nom de la cure de Vannes (25) dont vous me parlez, afin de tâcher à y établir un séminaire.

Reste maintenant à vous répondre à ce que vous me dites de M… [?] et, à son sujet, du support des dyscoles (26). Que feriez-vous, monsieur, d’une personne qui aurait fait son possible depuis quelques années pour faire retirer de la maison tous ceux qu’elle a pu et qui, effectivement, en a débauché quatre ou cinq des plus capables de servir et a fait faire un merveilleux échec dans une âme, des meilleures de la Compagnie, et dont l’esprit, s’il n’est entièrement perverti, est beaucoup altéré, qui fait ce qu’il peut pour cela, non seulement de paroles, mais aussi par écrit aux absents ? Voici ce qu’il dit à un monsieur… [?] " Est-il toujours en son béguin (27) ? Ne pense-t-il plus à ce que je lui ai dit que, s’il lève l’enseigne, je battrai le tambour partout ? Et tels et tels ne prendront-ils point parti ? Et vous, voulez-vous pas que je vous envoie de l’étoffe de ce pays pour vous en faire un froc à vos vœux (qu’il a faits il y a six ou sept ans) ?" Et ensuite, il lui mande les défauts corporels de ceux du pays, que la plupart des hommes entrent à l’église par le cloître et que les femmes sont si laides qu’il n’a pas été en peine de faire un signe de croix pour en chasser la tentation ; et mande cela du lieu où il fait la mission à un qui est à 150 lieues de lui.

Que feriez-vous… [?] parce qu’il l’a toujours… [?] depuis qu’il en est dehors, et a mis une telle division dans la famille de… [?] qu’il a fallu faire maison neuve ? Et tout cela au fort qu’il me donnait les plus grandes espérances. O Monsieur, Dieu nous garde de le vous envoyer et à vous de le prendre ! Il renverserait votre établissement bientôt ou l’altérerait bien fort.

Vous me dites qu’il faut supporter de ces gens-là en ce commencement que la compagnie a tant besoin d’hommes, et que dans quelque temps l’on pourrait purger la compagnie. Il est vrai, Monsieur, que la compagnie a besoin d’hommes ; mais il vaut bien mieux en avoir moins que d’en avoir plusieurs de dyscoles et faits de la sorte. Dix bons feront plus pour Dieu que cent de ces gens-là. Purgeons, Monsieur, purgeons la compagnie des personnes profanes et qui ne sont pas agréables aux yeux de Dieu, et il l’augmentera et la bénira. Dieu voulant faire mettre à mort environ trois mille hommes qui avaient adoré le veau d’or, et Moyse l’en voulant empêcher par ses prières, il lui répondit : "Dimitte me ut irascatur furor meus contra

25). Ce projet de séminaire à Vannes n’eut pas de suite.

26). Personnes avec lesquelles il est difficile de vivre.

27). "Être dans son béguin", c’est-à-dire : être inexpérimenté comme un enfant.

 

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eos faciantque te in gentem magnam (28)." Selon cela, Monsieur, diminuer le nombre de ceux qui offensent Dieu dans une compagnie est augmenter la même compagnie en vertus et en nombre, parce que l’on accourt aux compagnies bien réglées et vertueuses. O que Notre-Seigneur savait bien ce qu’il disait quand il disait que malum pecus inficit omne pecus (29). Il ne faut qu’un homme comme celui-là, Monsieur, pour troubler une compagnie. Celle des Mathurins réformés (30) est en une désolation extrême et menacée d’être anéantie ou en tout ou en partie par un esprit profane, dyscole et incorrigible et plein d’artifices.

Je prie Dieu, Monsieur, qu’il éclaire et élève votre entendement, pour connaître l’importance qu’il y a pour la gloire de Dieu et pour la sanctification de la compagnie et pour le bien de l’Église que nous ne souffrions point en icelle les personnes qui n’y font pas bien et que le temps viendra que l’on ne le pourra pas faire, quand, l’on le voudrait entreprendre.

Oui, mais il s’en va écrire et faire rage contre la compagnie. Il ne nous fera pas plus de mal que Dieu ne voudra qu’il nous en fasse, et le mal qu’il nous fera nous tournera à bien. Et puis [ne] serions-nous pas indignes de servir à Dieu en la condition que nous sommes, si, pour empêcher qu’une personne nous fasse du mal, nous souffrons qu’elle altère le service et la gloire de Dieu parmi nous ? Souvenez-vous, Monsieur, que le déchet de la plupart des communautés vient de la lâcheté des supérieurs à ne tenir ferme et pour ne les purger des dyscoles et incorrigibles.

Je finis en me recommandant à vos saintes prières et à celles de la compagnie, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la mission.

28). Livre de l’Exode, XXXII, 10 : "Laisse-moi, que ma colère s’embrase contre eux et je ferai de toi une grande nation."

29). Proverbe qu’on ne trouve pas dans la Sainte Écriture, le sens est celui-ci : une brebis vicieuse corrompt n’importe quel troupeau.

30). Il s’agit de l’ordre des Trinitaires (appelés en France : Mathurins) réformés en France à la fin du XVI° siècle. L’ordre était alors en pleine crise par suite de l’opposition à l’autorité du Supérieur général de certains membres de l’ordre, à la tête desquels était un certain Alexis Berger.

 

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36. — LETTRE DE SAINT VINCENT

AUX PRÊTRES DE LA MISSION DE MARSEILLE

En date du 18 avril 1643, signalée dans Allier (Raoul). La Compagnie du Très-Saint-Sacrement de l’Autel à Marseille. Paris, 1909. L’auteur publie (pp. 153-155) la lettre de la Compagnie du Saint-Sacrement de Paris à la Compagnie de Marseille, datée du 18 avril 1643. On y lit le passage suivant (p. 153) :

"Nous avons fait prier Monsieur Vincent, Supérieur des Prêtres de la Mission, qui a envoyé des missionnaires en Barbarie, qui sont encore en votre ville de leur écrire promptement en faveur dudit Vatel [esclave français détenu à Alger] à ce qu’il soit compris dans le nombre de ceux qui doivent être délivrés. Ce qu’il nous a promis de faire si le fonds qu’ils ont peut suffire à la délivrance de ceux pour lesquels ils sont envoyés et à la sienne, et leur a écrit aujourd’huy à cet effet…"

 

37. A BERNARD CODOING,

Prêtre de la Mission, Supérieur à Rome

De Paris ce 7 mai 1643.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

Madame la Duchesse d’Aiguillon (1) est enfin déterminée à donner cinq mille livres tous les ans, sur le prix de la ferme des coches de Rouen, outre celles de Soissons qu’elle a déjà données ; cela est pour faire sept mille cinq cents livres par an, pour la maison de Rome, qui est ce que vous avez demandé.

Cette nature de revenu, comme il est sur le domaine du roi aliéné, il court risque d’être remboursé, et quelquefois pis ; l’on a pourtant sujet d’espérer que la chose étant employée à un si important usage, à la gloire de Dieu et au bien de son Église, et étant appuyée ici par Messieurs les Nonces, que la chose sera réservée dans les aliénations qui se font parfois de ce bien là, ou quand le roi, par l’extrême nécessité de ses affaires met la main dessus. Le contrat n’est point encore passé quoiqu’il soit minuté. Je verrai aujourd’hui Madame la Duchesse. C’est ce que je vous puis dire pour aujourd’hui, pour être pressé de m’en aller commencer une neuvaine pour le roi (2) que je recommande

Lettre 37. — Lettre autographe.

Original en possession (1965) de M. R. Schuermans. avocat, à Turnhout (Belgique).

1). Nièce du Cardinal de Richelieu, bienfaitrice des œuvres de Saint Vincent, en particulier des maisons de Rome, de La Rose, d’Alger et de Tunis.

2. Le roi Louis XIII devait mourir le 14 mai suivant.

 

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à vos prières et la mission de Sedan que Sa Majesté m’a commandé d’y envoyer, comme aussi je vous mande de nous envoyer la dispense du vœu d’entrer aux Carmélites. Et je suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Monsieur Monsieur Codoing supérieur des prêtres de la Mission à Rome. Au-dessous : Monsieur Marchand, de Rome.

 

38. — LETTRE DU PÈRE FÉLICIEN A SAINT VINCENT

Signalée dans Collet (Pierre), La Vie de Saint Vincent de Paul. Nancy, 1748, 2 tomes, t. I, p. 306 :

"… nous avons encore une lettre du Père Félicien, vicaire provincial des Capucins de Lorraine, où il remercie Saint Vincent au nom de ses frères, à peu près comme Saint Paul remerciait Philemon, de ce qu’il a soulagé dans leur extrême besoin les serviteurs de Dieu : Quia viscera Sanctorum requieverunt per te… (1)" Collet ajoute en note : "Cette lettre, qui est datée de Saint-Mihiel, le 20 mai 1643, se conserve au séminaire de Toul."

 

39. — LETTRE ADRESSÉE A SAINT VINCENT

Signalée dans Allier (Raoul), La Compagnie du Très Saint-Sacrement de l’Autel, à Marseille… Paris, 1909. (Extraits des délibérations, p. 55) [1643] : "Du 1er août. Fut écrit à Paris à Monsieur Vincent, Supérieur général des prêtres missionnaires de France, d’envoyer de ses prières à Salé (1) en Barbarie pour la consolation des esclaves chrétiens (2)".

1). Épître de Saint Paul à Philémon, verset 7 : "Le cœur des Saints est en repos grâce à toi."

Lettre 39. — Cette lettre, écrite en fin juillet 1643, est perdue.

1). Port sur la côte atlantique du Maroc.

2). Le projet n’eut pas de suite, cependant on en parla assez longtemps. Le 25 juillet 1646, Saint Vincent écrivait à A. Portail : "On nous en demande encore à Salé, qui est une autre ville de l’Afrique, où l’on a permission de prêcher Jésus-Christ. Nous ne savons encore qui choisir pour y aller." (Saint Vincent, Œuvres, édit. Coste, t. II, p. 623). Saint Vincent désigna un de ses confrères, Jacques Le Soudier, et l’envoya à Marseille pour s’embarquer, mais, apprenant qu’un religieux Récollet avait "gagné le devant", il arrêta l’affaire pour ne pas entrer en concurrence avec d’autres religieux missionnaires.

 

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40. — A BERNARD CODOING,

Prêtre de la Mission, Supérieur à Rome

De Paris, ce 13 novembre 1643.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je serais plus en peine de votre maladie si l’on ne me mandait en même temps que vous vous en portez mieux. Je prie Notre-Seigneur et le ferai prier qu’il vous redonne une parfaite santé. Je vous prie, Monsieur, de la ménager quand sa bonté la vous aura redonnée, et de modérer, à cet effet, l’austérité de la vie, à l’égard du manger et du dormir, que vous avez augmentée depuis vos exercices, et de suivre, à cet effet, le conseil de M. Blatiron (1). Rationabile enim debet esse obsequium vestrum (2) ; et l’excès dans la pratique des vertus n’est pas moins vicieux que le défaut.

Je pense que vous aurez déjà arrêté le marché de la maison de 2 000 livres. Votre affaire des coches, qu’on vous voulait ôter, est terminée à votre avantage en Conseil du roi ; et la fondation des 2 000 livres est faite, par la grâce de Dieu. Il ne reste plus à rien que vous ne fassiez les ordinands et le séminaire des prêtres.

Les Pères de l’Oratoire font ici instance pour avoir Saint-Louis (3) tout à fait et, à cet effet, il a été ordonné au Conseil qu’ils en parleront avec M. l’Ambassadeur à Rome (4). Je vous prie de n’en pas parler à qui que ce soit.

M. de Brienne m’a fait la même réponse à l’égard de Saint-Yves (5).

M. de Saint-Chamond part dans deux jours pour l’ambassade de Rome. Il m’a fait l’honneur de me venir voir et de me faire espérer protection.

Lettre 40. — Lettre autographe.

Original mis en vente en 1925 ou 1926 par M. Lemasle, marchand d’autographes. Cette lettre a été publiée dans les Annales C. M.,1926, pp. 231-232.

1). Etienne Blatiron, né à Saint-Julien-Chapteuil, diocèse de Clermont, en 1614 ; reçu dans la Congrégation de la Mission en 1638 ; ordonné prêtre en 1639. Il était arrivé à Rome depuis quelques mois. C’était un confrère prudent et avisé, fort estimé par Saint Vincent. Il mourra à Gênes en 1657, victime de son dévouement auprès des pestiférés.

2). Épître de Saint Paul aux Romains, XII,1. La citation est approximative ; elle peut se traduire ainsi : "Que votre obéissance soit raisonnable" ; dans le contexte de l’épître, le sens est légèrement différent.

3). Cf. note 3 de la lettre n° 35 de la présente série.

4). M. de Saint-Chamond. Cf. infra.

5). Cf. note 1 de la lettre n° 33 de la présente série.

 

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Et Mgr le cardinal Grimaldi (6) partira dans le mois prochain. C’est un prélat de grande vertu, conduite et fermeté. Je reçus hier sa bénédiction. Il me fit espérer aussi sa protection pour vous, quoique je l’aie un peu choqué, sans y penser, à l’égard du grand vicaire de Pignerol (7), pour quelque difficulté que je lui ai faite en quelque chose qu’il demandait. Mais, cela n’est rien. Il me parlait hier avec notable application de notre bonheur de nous donner à l’assistance du pauvre peuple des champs.

Voilà tout ce que l’embarras auquel je suis me permet de vous dire pour le présent, sinon que j’embrasse votre petite compagnie, prosterné à genoux à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL,

Indigne Prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Codoing, Supérieur des Prêtres de la Mission de Rome, à Rome.

 

41. — LETTRE DU MARQUIS DE FABERT (1)

Écrite de Sedan à Saint Vincent. Signalée dans Barre (Joseph), Vie de Monsieur le Marquis de Fabert, Paris, 1752, 2 tomes. T. I, p. 459. L’auteur fait l’éloge de Guillaume Gallais (2), Supérieur des missionnaires de Sedan (3), en ces termes :

"Le chef de la mission était M, Gallais, savant lazariste, homme d’une probité reconnue, désintéressé, religieux sans superstition, extrêmement attentif à ne rien faire qui put lui attirer quelque distinction extérieure toujours modèle et jamais spectacle dans les missions ; faisant usage de ses talents pour l’utilité des autres et non pour sa propre élévation. Il commença le grand ouvrage de la conversion des Sedanais par étudier leur caractère afin de s’accommoder à leur porte et de prendre en quelque façon le point et le degré de leur génie. "

En marge, le Père Barre donne comme source : "Lettre de M. Fabert à Monsieur Vincent (4)".

6). Girolamo Grimaldi, nonce à Paris depuis 1641 ; il venait d’être nommé cardinal (13 juillet 1643) et allait quitter son poste pour rejoindre la Curie romaine ; en 1655, il deviendra archevêque d’Aix-en-Provence ; c’est là qu’il mourra en 1685.

7). Pignerol, ville du Piémont, dépendait alors de la France.

1). Abraham de Fabert, né à Metz en 1599, valeureux militaire, gouverneur de Sedan en 1642, maréchal de France en 1658, il mourra à Sedan en 1662.

2). Guillaume Gallais, né à Plouguenast, diocèse de Saint-Brieuc, reçu dans la Congrégation de la Mission en 1639, ordonné prêtre en 1641, Supérieur de Sedan de 1643 à 1644.

3). Les Prêtres de la Mission commencèrent leur ministère à Sedan en mai 1643 (fondation royale).

4). Lettre à dater de 1643-1644 (pendant le séjour à Sedan de G. Gallais, de mai 1643 à septembre 1644, ou peu après son départ).

 

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42. — LETTRE DU CHEVALIER SIMIANE DE LA COSTE (1)

A SAINT VINCENT

Monsieur,

J’ai cru être de mon devoir de vous assurer de mon très humble service et de mes obéissances, et vous témoigner de la joie que j’ai reçue de l’entrée de vos MM. dans l’hôpital des pauvres forçats (2). Notre-Seigneur soit votre récompense, Monsieur, de la charité que vous avez rendue à cette maison, et des bons onces que vous lui avez rendus auprès de Madame la Duchesse d’Aiguillon. Je ne vous écris rien de son état ni de ses besoins, car je ne doute pas que M. de Montmort (3), lequel nous avons prié avant son départ de ce pays de vous en informer pleinement, ne l’ait fait, ainsi qu’il m’a fait l’honneur de me l’écrire, m’ayant assuré de la continuation de vos bonnes volontés pour procurer l’accomplissement de l’œuvre de Notre-Seigneur.

D’ailleurs, je sais que M. Du Festel vous en donne souvent des nouvelles. Pourtant je me contenterai seulement de vous supplier très humblement de croire que je ne vous suis pas moins acquis que les moindres sujets que vous avez dans votre Compagnie, à laquelle j’ai dédié tous mes services ; mais étant incapable de lui en faire ressentir tous les effets, du moins je demanderai à Dieu dans mes faibles prières, de communiquer à vous et à elle l’abondance de ses grâces et de la remplir

Lettre 42. — Tirée de : Allier (Raoul), La Compagnie du Très Saint-Sacrement de l’Autel, Paris, 1909, pp. 181-182, d’après la Vie de M. le chevalier de la Coste, par Antoine de Ruffi, Aix, 1659.

1). Gaspard Simiane de la Coste, né à Aix, en 1607. Venu à Paris, il se lia d’amitié avec Monsieur Vincent. De retour à Marseille, il se dévoua à toutes sortes de bonnes œuvres. Il fut l’auxiliaire majeur des œuvres de Saint Vincent à Marseille, en particulier il donna son temps et ses soins à l’Hôpital des Galériens. Il mourut de la peste, victime de son dévouement auprès des galériens pestiférés, le 24 juillet 1649.

2). En vertu d’un contrat signé le 25 juillet 1643, la duchesse d’Aiguillon avait fondé la maison de la Mission de Marseille : elle donnait 14 000 livres parmi les clauses du contrat nous trouvons celle-ci : les missionnaires assureraient le service spirituel dé l’Hôpital des Galériens. Cet hôpital, dont l’institution, vers 1618 semble due à Saint Vincent et à son protecteur, Ph. E. de Gondi, général des galères, avait été réorganisé depuis peu, grâce à Mgr Gault, évêque de Marseille, et au chevalier de la Coste.

3). Henri-Louis Habert, seigneur de Montmort (ou de Montmaur), maître des requêtes et conseiller du roi.

 

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de son Saint-Esprit avec la même sagesse qu’il le versa sur ses apôtres dont elle suit les traces et desquels vous souhaite les couronnes, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur.

Le Chevalier DE LA COSTE.

A Marseille, ce 27 juin 1644.

Suscription : A Monsieur Vincent, fondateur des Missionnaires.

 

43. — LETTRE A ANTOINE PORTAIL (1),

Prêtre de la Mission à Saint-Lazare

Richelieu, ce 5 octobre 1644.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai été affligé, au point que vous pouvez penser, de la mort de M. Perdu (2) et également consolé, voyant de la façon que Notre-Seigneur a disposé de lui. L’on lui a fait un service fort dévot ici, qui a été accompagné de larmes, et la conférence de beaucoup de consolation.

Voici le bail que je vous renvoie signé. Si M. Trubois donnait six cents livres, je l’aimerais mieux, supposé qu’on soit en ces termes-là. Je ne fais rien faire que de l’agrément de M. Sorus.

Vous ferez bien d’envoyer les 400 livres à Fréneville (3), si déjà vous ne l’avez fait. Nous les devons au fermier, à cause de sa grange de blé.

Embrassez M. Gallais de ma part. Il me tarde que je ne l’embrasse. Nous aviserons à la mission de Villevaudé (4) ; pour l’autre, il n’y faut pas penser.

Lettre 43. — Lettre autographe. Original mis en vente par M. Charavay, marchand d’autographes à Paris, en 1927 ou 1928. Lettre déjà publiée dans l’édition Coste (n° 725, t. II, p. 480), d’après un fac-similé incomplet et incorrect, publiée de nouveau, d’après l’original, dans les Annales C. M.,1928, pp. 8-10.

1). Antoine Portail (cf. note 5 de la lettre n° 33 de la présente série) était depuis 1642 le premier assistant de Saint Vincent ; c’est lui qui tenait la place du Supérieur général quand celui-ci était absent de Saint-Lazare. Saint Vincent est, pour lors à Richelieu, où il fait la visite canonique.

2). Jacques Perdu, né à Grandvillers, diocèse d’Amiens, en 1607 ; entré dans la Congrégation de la Mission en 1630 ; ordonné prêtre en 1632.

3). Cf. note 8 de la lettre n° 16 de la présente série.

 

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Je suis bien consolé de ce que vous me dites de M. Bourdet (5) ; embrassez-le aussi.

Je ne pourrai point partir d’ici que dans trois ou quatre jours. Oh ! que d’affaires j’y ai trouvées !

Vous aurez pour hôtes nouveaux MM. Colée (6), Buissot (7), Durot (8), malade ; Le Noir (9), Chastel (10) et peut-être Lefebvre et notre Frère Bastien. Je vous prie, Monsieur, de donner ordre à leur logement.

O bon Dieu, Monsieur, que j’ai trouvé des choses éloignées de notre attente !

Vous ne ferez point partir ceux que je vous ai mandés, que je ne vous le mande ; mais vous les tiendrez en état de cela et direz à M. Alméras (11) que je trouve bon ce qu’il me propose à l’égard de Cantelin et des deux autres desquels il me parle ; et à Mademoiselle Le Gras, que je trouve bon tout ce qu’elle me mande (12), et que je tâcherai de m’acquitter de tout ce qu’elle a promis pour moi, mais qu’il est difficile que je m’y rencontre quand et elle, et que, par la grâce de Dieu, je me porte bien, quoique je travaille du matin jusques au soir.

4). Petite localité du diocèse de Meaux.

5). A cette époque, deux Prêtres de la Mission portaient ce nom, il n’est pas possible de déterminer avec certitude lequel des deux vise Saint Vincent dans ce passage ; il s’agit probablement de Jean Bourdet, né à Saint-Babel, diocèse de Clermont, en 1614, entré dans la Congrégation de la Mission en 1636, ordonné prêtre en 1640, placé pendant quelques mois à Saint-Lazare, entre son supériorat à Troyes (1642-1644) et son placement à Saint-Méen (1645).

6). Antoine Colée, né à Amiens en 1610, entré dans la Congrégation de la Mission en 1630, ordonné prêtre en 1635, sorti de la Congrégation en 1646.

7). Nicolas Buissot, entré dans la Congrégation de la Mission en 1630, ordonné prêtre en 1632.

8). Nicolas Durot, né à Oisemont, diocèse d’Amiens, entré dans la Congrégation de la Mission en 1633, ordonné prêtre en 1636, sorti de la Congrégation en 1645.

9). Jacques Le Noir, né à Arras en 1615, entré dans la Congrégation de la Mission en 1641, probablement renvoyé de la Congrégation peu après.

10). Pierre Du Chastel, né à Courcelles-le-Comte, diocèse d’Arras, en 1606 entré dans la Congrégation de la Mission en 1641, déjà prêtre, mort en 1648 à Saint-Lazare.

11). René Alméras, né à Paris en 1613, entré dans la Congrégation de la Mission en 1637. Saint Vincent, qui l’estimait, lui confia des charges importantes et délicates (direction du noviciat, supériorité de la maison de Rome visite canonique des maisons de la Congrégation). En 1661, il succéda à Saint Vincent à la tête de la Congrégation de la Mission ; il mourut en 1672.

12). Allusion au pèlerinage que Sainte Louise de Marillac projetait de faire à Chartres, où elle espérait pouvoir retrouver Saint Vincent.

 

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Si quelque chose presse à me faire savoir, vous l’adresserez à M. le Curé de Tours pour me rendre, ou, par homme exprès, à Fréneville, où je ne pourrai me rendre que le jeudi 15 (13) de ce mois, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur,

Votre très humble et obéissant serviteur,

VINCENS DEPAUL.

Si je ne puis écrire à M. Lambert (14), vous lui direz que nous sommes au fort de ce grand remue-ménage, que nous avons besoin de prier et que je le prie d’écrire mon absence à Mgr l’Archevêque de Reims (15) et qu’au retour nous travaillerons à son affaire.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, Prêtre de la Mission à Saint-Lazare-lès-Paris, Paris.

44. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION A ST LAZARE

A Fréneville, ce 15 octobre 1644.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

1. Voici la réponse à la Mère du faubourg (1). Je vous prie de luy envoyer au plus tôt et à Mme la duchesse d’Aiguillon la sienne dès que vous l’aurez reçue.

2. Il est nécessaire que je parle à M. l’abbé de Vaux (2) moi-même au retour. Dieu aidant.

13). C’est par distraction que Saint Vincent annonce son arrivée à Freneville pour le jeudi 15 (le 15 était un samedi) ; il y arriva effectivement le jeudi 13.

14). Lambert Aux Couteaux, né à Fossemanant, diocèse d’Amiens en 1606 entré dans la Congrégation de la Mission en 1629. C’était un des hommes de confiance de Saint Vincent. Il mourut en Pologne, en 1653, de la peste contractée au chevet des pestiférés. Il était alors (octobre 1644) chargé de négocier avec l’archevêque de Reims à propos de la situation juridique et financière de l’établissement des missionnaires de Sedan (en fonctions depuis mai 1643)

15). Léonor d’Estampes de Valençay, archevêque de Reims de 1642 à 1651 date de sa mort. Sedan était dans son diocèse.

Lettre 44. — Lettre autographe. L’original appartenait en 1942 à la cure de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris. Lettre publiée avec l’orthographe de l’original et un commentaire succinct dans les Annales C. M. 1941-1942, pp. 272-273. Photogr. Archive Mission, Paris.

1). La Mère Anne-Marguerite Guérin, Supérieure du second monastère de la Visitation de Paris (au faubourg Saint-Jacques), de 1640 à 1646.

2). Guy Lasnier, abbé de Vaux (1602-1681). Cf. édit. Coste, t. I, p. 601.

 

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3. 0 que j’ai de la douleur de la perte que fait l’Église en la personne de M. Caignet. Je ne vous recommande point nos Frères Get (3) et Jamain (4) ; j’espère que notre Frère Alexandre (5) y excellera. Je les salue tous deux. Béni soit Dieu de ce qu’enfin M. Trubois s’est rendu aux 700 livres. Il est juste de le préférer, si les choses sont en état de cela : vous avez bien fait d’y employer M. Sorus. Je m’en suis toujours douté : Dieu y voit n’être pas ferme.

Vous apprendrez par la lettre que je vous ai écrite de Saint-Dyé (6) que ceux qui doivent venir de Richelieu ne partiront que la veille de Saint-Simon (7) faute de place en carrosse.

Je suis en peine de l’indisposition de Sœur Geneviève. Je vous supplie, Monsieur, de la saluer de ma part et sa compagne malade.

Béni soit Dieu de ce que tout va assez bien à Saint-Lazare. J’espère partir lundi pour Fontainebleau, si ma petite infirmité me le permet.

Je vous renvoie la lettre de M. Grimal (8) et vous prie de l’accomplir Si vous pouvez.

Je prie Alexandre d’accomplir ce que demande M. Grimal à l’égard des couvertures.

Monsieur, votre très humble serviteur,

VINCENS DEPAUL,

Indigne Prêtre de la Mission.

Suscription [d’une autre main] : A Monsieur Portail, Prêtre de la Mission à Saint-Lazare.

3). Firmin Get, né à Chepy, diocèse d’Amiens, en 1621 ; entré dans la Congrégation de la Mission en 1641. Il ne sera ordonné prêtre qu’en 1647 ; il fait alors ses études ecclésiastiques à Saint-Lazare. Sa santé restera fragile ; il mourra en 1682.

4). Martin Jamain, né en 1619, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640 ; il mourra à Saint-Lazare en 1645.

5). Alexandre Véronne, né à Avignon en 1610, entré en qualité de Frère coadjuteur dans la Congrégation de la Mission en 1630. A Saint-Lazare, il exerça pendant de longues années avec intelligence et dévouement, les fonctions d’infirmier. Il mourra en 1686.

6). Saint-Dyé-sur-Loire (département actuel du Loir-et-Cher).

7). 27 octobre.

8). François Grimal, né à Paris en 1605, ordonné prêtre en 1629, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640. Il ne fera les vœux qu’en 1646 ; il sera de ceux qui n’hésiteront pas à les renouveler en 1656.

 

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45. — A ANTOINE PORTAIL, Prêtre de la Mission, a Saint-Lazare

Fontainebleau, ce 19 octobre 1644.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’arrivai hier mardi seulement ici et espère partir aujourd’hui pour retourner à Fréneville pour tâcher de terminer l’affaire avec le fermier de Mespuits (2), qui est à la débandade, déterminé à mettre la fin à la ferme, et ne sais ce qu’il aura fait cette nuit, quoique ce qu’il demande ne soit pas juste. De Fréneville, j’espère aller à Chartres, un jour ou deux après, accomplir le vœu qu’on y a fait pour moi.

Vous baillerez à M. Chaumel ces deux missives, s’il vous plaît.

La reine m’a fait l’honneur de me commander d’envoyer ici faire la mission au plus tôt. Voyez qui vous y pourrez destiner avec M. Gallais (3). L’on n’aurait rien fait pendant que la cour y est.

Je loue Dieu de la meilleure disposition du Frère Get (4) et prie Dieu qu’il redonne sa parfaite santé à jamais.

Je vous ai envoyé deux lettres pour Rome. Vous n’avez point vu celles que je vous ai envoyées pour distribuer. M. Codoing demande d’être déposé. J’écris à M. De Horgny (5) de prendre sa place. Vous n’en parlerez point encore, s’il vous plaît.

Je me recommande aux prières de M. Lambert et à ses cosolitaires (6).

Lettre 45. — Lettre autographe. Original chez les Sœurs de Mount-Saint-Vincent, à Halifax (Canada). Lettre publiée dans les Annales C. M., 1937, pp. 14-15.

1). Au retour de Richelieu, Saint Vincent s’est arrêté à Fontainebleau où se trouve la Cour.

2). Village au sud de Paris (département actuel de Seine-et-Oise). La Présidente de Herse, propriétaire d’une ferme située dans ce village, en avait fait don à la Congrégation de la Mission.

3). Guillaume Gallais venait de quitter Sedan, il était "disponible" à Saint-Lazare.

4). Cf. la lettre précédente, note 3.

5). Effectivement, Jean De Horgny, qui se trouvait déjà à Rome pour la visite canonique de la maison, remplaça peu après Bernard Codoing dans sa charge (jusqu’en 1647).

6). Par cette expression, Saint Vincent veut désigner ceux qui font les exercices de la retraite spirituelle en même temps que Lambert Aux Couteaux.

 

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Je pense que, toutes choses considérées, Jourdain (7) a raison pour la provision du vin.

Mme la Duchesse (8), touchant l’expédient de M. Lambert, me parle… (9)

Je ne vois rien qui requière la présence de M. Du Chesne (10) à Paris.

Je le salue, ensemble toute la maison, et principalement M. le Prieur (11), et suis votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : A Monsieur Portail, Prêtre de la Mission, à Saint-Lazare.

 

46. — A LOUISE DE MARILLAC

Ce jour des Rameaux (1) 1646.

Je vous remercie très humblement de toutes les charités que vous m’avez faites pendant mes petites indispositions, comme vous avez fait il y a plus de vingt ans, Mademoiselle, et prie Notre-Seigneur qu’il soit lui-même votre remerciement, comme il sera votre récompense.

Je me porte mieux, Dieu merci, mais je ne sors point encore, pour ce que ce n’ai pas été purgé, parce qu’il me reste un peu de rhume.

7). Jean Jourdain, né à Galluis, diocèse de Chartres, en 1587, entré dans la Congrégation de la Mission en qualité de Frère coadjuteur, en 1627. Il avait été maître d’hôtel chez la marquise de Maignelay, où il avait fait la connaissance de Saint Vincent. Il fut le premier Frère coadjuteur de la Congrégation et rendit de précieux services à Saint-Lazare ; il était alors (1644) chargé de la dépense.

8). La duchesse d’Aiguillon.

9). Saint Vincent a oublié de terminer sa phrase.

10). Pierre Du Chesne, entré dans la Congrégation de la Mission en 1637. Ce fut un des missionnaires les plus estimés de Saint Vincent ; il était alors supérieur de la maison de missions de Crécy qu’il allait quitter sous peu pour prendre la direction de la maison des Bons-Enfants, à Paris. Il mourra à Adge en 1654.

11). Adrien Le Bon, chanoine régulier de Saint-Augustin, prieur de Saint-Lazare ; il résigna son prieuré en faveur de la Congrégation de la Mission, en 1632. Demeuré à Saint-Lazare. devenu Maison-Mère de la Congrégation de la Mission, il y mourut en 1651, dans sa soixante-quatorzième année.

Lettre 46. — Lettre autographe. Original chez les Filles de la Charité de la paroisse Saint-Projet à Bordeaux. Texte publié dans les Annales de la C. M., 1928, p. 257-259.

1). 25 mars.

 

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Votre cœur s’est un peu consterné en la vue de mes petites incommodités et de ce que vous regardez quelquefois les choses d’un œil qui regarde les suites et les événements.

Vous faites le même à l’égard de M. votre fils et c’est ce qui vous trouble. Il est bon, Mademoiselle, de ne pas donner ces libertés à notre imagination et de l’arrêter par la considération de ce que c’est un effet de nos affections mélancoliques, que, pour l’ordinaire, la plupart des choses n’arrivent pas, et de ce qu’il n’en sera que selon que la Providence adorable en ordonnera.

Eh bien ! vous désiriez faire votre revue et une plus intime communication (2) avec celui auquel Notre-Seigneur vous a donné quelque confiance, et il n’a point plu à Dieu que la chose se soit pu faire, afin que vous la fassiez intérieurement et intimement avec lui-même, qui, vous honorant de son amour avec excès, comme dit l’Apôtre, il veut, par une divine jalousie, que ce soit à lui que vous fassiez cette chère revue et cette intime communication. Avez-vous sujet de vous plaindre, cela étant ainsi ?

Et que savez-vous si ce n’est pas exprès que Dieu vous prive des nouvelles de M. votre fils, afin que vous honoriez d’une manière particulière la privation qu’il a voulu souffrir du sien et de la sainte Vierge aussi. Offrez-lui vos tendresses pour cela Mademoiselle, bénissez-le donnez-lui la conduite de M. votre fils et il l’adressera si bien que du mal même, s’il y en avait, ce que je ne crois pas, il en tirera du bien et son salut. Celui qui tire de l’eau des rochers et de l’huile des pierres dures ne fera-t-il pas l’effet que je dis ?

J’ai vu ce beau tableau (3). Ce sera demain que l’Église fera la fête de l’Incarnation. J’espère dire la sainte messe en sa vue demain me semblant plus convenable qu’aujourd’hui. Est-ce pour votre oratoire ou pour celui des enfants ?

Écrivez-vous point, dans mardi, à M. Portail touchant vos filles qu’il demande (5) ? Pourrait-il pas bien ajuster les choses selon votre sens, dont vous lui donnerez l’intelligence ? Il est bien à souhaiter

2). "Revue", "communication", ces mots font allusion à la direction de conscience pour laquelle Sainte Louise de Marillac s’adressait à Monsieur Vincent.

3). Pour le fait de ce tableau ainsi que pour la plupart des points traités dans cette lettre, voir dans l’édition Coste (t. II, p. 574-576) les lettres 793 (du 24 mars 1646) et 794 (du 25 mars) ; cette dernière étant une réponse la présente.

4). La fête de l’Annonciation était transférée au lendemain (26 mars) à cause de la solennité des Rameaux.

5). M. Portail était pour lors au Mans où il procédait à la visite canonique de l’établissement des Missionnaires. M. Portail sollicitait l’envoi de Filles de la Charité pour le service de l’hôpital.

 

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que vous y alliez ; mais, comme la chose n’est pas prête et que vous ne pouvez pas être à tous les établissements, faites des mémoires qui servent pour le présent et pour l’avenir à cet effet.

Il faut qu’elles aient la direction, ou qu’elles soient soumises aux autres sœurs (6). Celui-ci n’est pas expédient et l’autre est difficile peut-être. Il faut pourtant tendre là, ou que l’on leur donne quelque partie des malades à traiter à leur façon. Dites-moi vos pensées sur cela. L’on écrit le mardi et le samedi, et nous verrons.

Je m’en vas cependant vous offrir à Notre-Seigneur, à l’adorable sacrifice de la sainte messe, que je m’en vas célébrer, et vos chères filles aussi. Je vous demande la même grâce à votre sainte communion.

Je serai bien aise de savoir ce que c’est que ce petit chapelet de douze grains qui est attaché à l’image de la sainte Vierge.

Bon jour, Mademoiselle.

Je suis votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

 

47. — A GUILLAUME DELATTRE (1),

Prêtre de la Mission, Supérieur à Cahors

De Paris, ce 19 mai 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je viens de recevoir présentement la vôtre. Pour y répondre ainsi qu’à votre précédente, je vous dirai, Monsieur, que j’ai été fort sensiblement contristé, lorsque j’ai vu par la vôtre que vous avez été si malade. Je loue Dieu de ce que ce n’a pas été avec danger, et le prie qu’il vous conserve de longues années pour son service et celui de son épouse. Au nom de Dieu, Monsieur, ménagez-vous.

6). Il s’agit des sœurs d’une autre communauté desservant pour le présent l’hôpital du Mans.

Lettre 47. — Lettre autographe.

Original chez les Prêtres de la Mission de Florence (Italie).

Texte publié avec l’orthographe et la disposition de l’original dans les Annales de la C. M.,1947-1948, p. 300,-310.

Photographie aux Archives de la C. M. à Paris.

1). Guillaume Detattre, Prêtre de la Mission, né à Amiens en 1610, entré dans la Congrégation de la Mission eu 1642, mort à Bordeaux en 1650.

 

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Non, Monsieur, ce n’est pas celui que vous soupçonnez qui m’a dit ce qui m’a donné sujet de vous écrire la dernière fois (2), mais au contraire c’est lui qui me l’a donné de vous… les paroles de gratification (3)… et de cela je vous en assure devant Dieu qui est la vérité même, mais c’est quelque autre qui m’en a parlé. Je vous dirai tout simplement, Monsieur, que ce que j’ai trouvé à souhaiter, sont deux choses : la première, que vous pouviez ne pas vous raidir contre la chaleur de ce peuple, d’autant que vous n’étiez pas encore curé (4) et que M. le curé était de sentiment contraire au vôtre, la seconde, qu’il eût été expédient, étant dans la ville, de mener ce peuple vers le grand vicaire, dès qu’il commença à se raidir ou de le lui renvoyer. Je vois bien que c’est le pur zèle de faire observer les ordonnances de Monseigneur de Cahors (6), mais quoi, honor regis judicium diligit (6), et puis l’on ne s’avise pas toujours de toutes choses sur-le-champ.

C’est pour cette fermeté que vous avez, que Monseigneur vous estime et vous aime, et même témoigne qu’il vous désire plus qu’aucun autre qu’il connaît dans l’emploi que vous avez. Obsequium tuum ejus judicium diligit (7).

Ce rencontre-ci, Monsieur, et les actes de patience que vous y pratiquez vous mériteront quelque nouvelle grâce pour des rencontres semblables.

Au reste je suis ravi de voir les oblations si souvent réitérées que vous avez faites et faites si souvent à Dieu. O Dieu, Monsieur que je le prie de bon cœur qu’il s’honore lui-même de la gloire qu’il en retire et qu’il soit son remerciement à soi-même et un aide de votre chère âme.

2). Sans doute, la lettre 799 de l’édition Coste (t. II, p. 582-585).

3). Les mots qui suivent, ainsi que quelques-uns de la ligne précédente sont illisibles par suite d’une mouillure du papier.

4). L’union de la paroisse Saint-Barthélémy de Cahors au séminaire, dont le Supérieur serait le curé, décrétée par l’évêque depuis 1644, n’aura son effet que quelques semaines après cette lettre.

5). Alain de Solminihac, né en 1593, prêtre en 1618, réformateur de l’abbaye de Chancelade, en Périgord, dont il était le titulaire depuis 1614. Nommé évêque de Cahors en 1637, il gouverna son diocèse avec zèle, le dotant d’institutions efficaces et durables. Ami de Saint Vincent de Paul, il fut un modèle d’évêque réformateur. Mort en 1659. Sa cause de béatification a été introduite.

6). Verset 4 du psaume XCVIII. D’après la version de la Vulgate le sens est celui-ci : "C’est la force du roi de s’attacher à la justice."

7). Cette citation, appelée par la précédente, n’est pas tirée de la Sainte Écriture. Le sens semble celui-ci : "Ton obéissance s’attache à ses justes décisions".

 

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Je ne puis vous exprimer la tendresse que Notre-Seigneur me donne pour vous et pour votre petite mais bien bonne famille, que j’embrasse avec toute la tendresse de mon cœur qui chérit le vôtre mille fois plus que soi-même, en celui de Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

Indigne prêtre de la Mission.

J’embrasse votre chère famille prosterné en esprit à ses pieds.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delattre, Supérieur des Prêtres de la Mission de Cahors, à Cahors.

 

48. — À BONIFACE NOUELLY (1),

Prêtre de la Mission, Supérieur à Alger

De Paris, ce 7 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je prie Notre-Seigneur, qu’il vous fasse connaître la consolation incomparable que vos lettres m’ont apportée. Je prie sa divine bonté, qui vous a choisi de toute éternité pour une œuvre de cette importance, qu’il vous donne l’esprit qu’il a eu en sa dévotion intérieure dans la soumission externe qu’il rendait à saint Joseph.

O Monsieur, que de démons que le prince des démons a députés, pour vous tenter dans cet état. L’emploi de notre cher frère (2), la diversité des sentiments, le désapprouvement mutuel et réciproque et la naturelle inclination que nous avons que toutes choses nous cèdent, que toutes ces choses ont chacune un esprit malin, qui travaille incessamment pour rompre le lien de la charité dont Dieu a uni vos cœurs ! Mais tenez bon, Monsieur ; humiliez-vous très bien pour tous deux ;

Lettre 48. — Lettre autographe.

Original mis en vente par M. Lemasle, marchand d’autographes à Paris, en 1925 ou 1926. Texte publié dans les Annales de la C. M.,1926, p. 233-235.

1). Boniface Nouelly (ou Nouel, ou Noel), né en 1618 à Collonges, diocèse de Genève, entré déjà prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1643. Il venait alors d’arriver à Alger, il y mourra en 1647, victime de la peste contractée au chevet d’un malade qu’il assistait.

2). Le frère Jean Barreau, encore clerc de la mission, né en 1612 à Paris, entré dans la Congrégation de la Mission en 1645 ; il était, en 1646, consul de France à Alger ; il mourra à Paris en 1679, ou peu après.

 

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produisez quantité d’actes intérieurs vers cette chère moitié de vous-même, et vous renverserez ces spectres malins, et les précipiterez au fin fond des enfers, en sorte qu’ils ne vous tenteront jamais plus. Imaginez-vous, Monsieur, que la sainteté de votre emploi et l’état de votre manière fait enrager les démons.

Travaillez cependant à votre ouvrage capital, Monsieur, visitez, consolez, fortifiez et animez de l’esprit de Dieu vos pauvres esclaves (3). C’est là le principal et l’unique sujet de vos emplois ; le reste est subalterne à celui-là.

O Monsieur, que M. Chrétien (4) en fait bien au gré d’un chacun ! Chacun reconnaît que l’esprit de Dieu anime et conduit le sien. Pouvez-vous pas vous entr’écrire l’un à l’autre ? S’il y a moyen, j’en serai consolé, afin que la mutuelle communication vous entr’anime l’un l’autre et vous entr’aide. Si vous le faites, il faut que cela se fasse avec tant de discrétion que personne ne trouve à redire à vos lettres quand elles seront interceptées.

J’écris à M. le consul nos petits avis sur deux sujets. La communication de sa lettre, que vous préviendrez par la vôtre, vous informera de ce que je vous dis. Aussi bien suis-je extrêmement pressé.

Voici une nouvelle que je m’en vas vous dire, qui vous fera part de la grande affliction en laquelle nous sommes de l’emprisonnement, au Parlement de Rennes, de M. de Beaumont (6), où il court risque de sa vie. Voici le sujet. Monsieur de Saint-Malo nous a établis à Saint-Méen dans son diocèse, où il a fait un séminaire d’ecclésiastiques, auquel il a uni, du consentement du roi, la mense des religieux de l’abbaye, de leur consentement aussi, conformément au concile de Trente et aux ordonnances de nos rois. Les religieux réformés de Saint-Benoît se sont plaints au Parlement et l’ont animé, de sorte qu’ils nous ont chassés de ce lieu-là ; et y ayant été rétablis par l’autorité du roi, ils ont pris prisonnier ledit sieur de Beaumont et ordonné que nous serons chassés de la province, contre les arrêts du roi, qui nous y maintiennent.

3). B. Nouelly avait été envoyé à Alger pour le service spirituel des esclaves chrétiens retenus captifs à Alger.

4). Jean Chrétien, né en 1606 à Oncourt, diocèse de Toul, ordonné prêtre en 1631, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640 ; il était, en 1646, Supérieur de la maison de Marseille ; mort après 1667.

5). Pierre de Beaumont, né en 1617 à Puiseaux, diocèse de Sens, entré dans la Congrégation de la Mission en 1641, ordonné prêtre en 1644, placé à Saint-Méen, il fut emprisonné quelque temps à la suite des affaires soulevées par l’établissement des Missionnaires en 1645. Sur cette pénible affaire, voir Coste : Le grand saint du grand siècle, Monsieur Vincent, t. II, p. 133-144.

 

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Voilà, Monsieur, comme nous avons sujet d’honorer le déchassement de Notre-Seigneur de quelques provinces et celui des apôtres, et comme notre petite Compagnie a commencé à souffrir en prison sans avoir mal fait, ainsi Dieu ayant béni ses travaux d’une manière particulière et notamment ceux de M. de Beaumont, qui est des plus hommes de bien que j’aie jamais connus, et des meilleurs ouvriers de la Compagnie. Nous souffrons en cela, selon ce qui paraît par la haine qu’ils ont contre mondit sieur l’évêque de Saint-Malo (6), à cause qu’il s’est adressé au grand Conseil, au lieu de s’adresser à eux pour l’enregistrement de nos lettres d’établissement au Parlement.

Je vous fais part de ma douleur, afin que vous voyiez que vous trouvez votre sûreté et travaillant parmi les infidèles, tandis que nous souffrons toutes ces choses parmi les fidèles.

Je suis pressé de finir en me recommandant à vos prières. qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL,

Indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Nouel, prêtre de la Mission, à Alger.

6). Achille de Harlay de Sancy, né à Paris en 1581, entré à l’Oratoire en 1620, nommé évêque de Saint-Malo en 1631 ; il mourut à Saint-Malo le 20 septembre 1646.

 

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49. — A JEAN DE HORGNY,

Prêtre de la Mission, Supérieur à Rome

D’Orsigny (1), ce 27 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous avez bien fait de ne pas tenter la ch… 2 les affaires étant en l’état qu’elles sont le P. Co…… jacobin estime que nous devons nous contenter… de M. de Paris, et il croit que cela suffit et qu’… et que, supposé notre dessein de nous tenir dans le… est mieux parce que celles du Pape seraient une dispo… pour entrer en l’état dé religion.

Messieurs Portail et Alméras sont encore à La Rose (3), et de là ils tireront à Marseille (4) ; ils tachent d’établir l’observance de tout le petit règlement (5) comme il est écrit, par tous vous verrez étant de delà. Je suis bien consolé de ce que vous me dites que Mgr Ingoli a pensé de créer vicaires forains MM. Guérin et Nouelly (6).

Lettre 49. — Lettre autographe. Original mis en vente, en 1951, par M. Degrange, marchand d’autographes à Paris ; signalé en janvier 1854 dans le catalogue de M. Laverdet, marchand d’autographes, sous le n° 1060. Deux courts extraits ont été publiés dans l’édition Coste : N° 862 (t. III p. 58). Le texte de l’autographe a été publié, avec l’orthographe et la disposition de l’original, dans les Annales de la C. M., 1951, p. 373-374.

1). Orsigny, ferme importante que possédait la Congrégation de la Mission depuis 1644 (sur le territoire actuel de la commune de Saclay, en Seine-et-Oise). Saint Vincent y fit quelques séjours.

2). Un fragment de l’original (en haut, à droite) a été arraché, d’où les lacunes marquées par les points de suspension.

3). Notre-Dame de La Rose, près de Sainte-Livrade, diocèse d’Agen. Les missionnaires y étaient établis depuis 1639, pour le service du pèlerinage et les missions dans les campagnes. M. Portail faisait alors la visite canonique de la maison. M. Alméras se trouvait à La Rose : Monsieur Vincent songeait à lui confier la visite canonique des maisons d’Annecy, puis de Rome, enfin la direction de la maison de Rome.

4). MM. Portail et Alméras devaient passer par Marseille ; il y passèrent effectivement. M. Portail alla faire la visite canonique de la maison de Rome, dont M. Alméras fut nommé supérieur.

5). Il s’agit du premier projet des Règles communes, mis au point en 1642 dont on poursuivait l’approbation à Paris puis à Rome. Le premier paragraphe de cette lettre, eu dépit des lacunes, traite vraisemblablement de cette question de l’approbation.

6). Mgr Ingoli, secrétaire de la Congrégation de la Propagande, pour Accroître les pouvoirs des missionnaires de Barbarie (Julien Guérin à Tunis, Boniface Nouelly à Alger), les fit nommer vicaires généraux de l’archevêque de Carthage.

 

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Je le suis encore de ce que vous avez envoyé M. Richard (7), à Gênes, cette petite communauté est en notable considération, à ce que m’a rapporté l’intendant de la justice de l’armée du roi en Italie.

Je suis de votre avis touchant l’établissement de la Compagnie en cette République-là (8).

Comme aussi de la manière que vous avez tenue avec Monseigneur le cardinal Ludovisi (9).

Et estime que vous faites bien de vous réduire en le plus petit volume à l’égard de votre logement.

Vous en userez comme Dieu vous inspirera à l’égard de Saint-Sauveur (10), l’occasion de s’en retirer est bien opportune, puisque vous jugez que l’établissement en ce lieu-là trouve quelques inconvénients.

…Il serait bien à souhaiter que l’on trouvât quelque… dient touchant le Saint-Esprit de Toul (12) ; l’on commence… la mission à la campagne ensuite de l’odeur… la Compagnie dans l’administration de la cure de Saint-Amand (13).

La petite persécution de Bretagne (14) n’est point encore apaisée quoique Messeigneurs l’évêque et le coadjuteur de Saint-Malo soient allés sur les lieux exprès pour cela. Notre prisonnier a été délivré cinq jours après. La compagnie est dispersée par ci par là ; Notre-Seigneur les rassemblera quand il lui plaira, et moi je finis en me recommandant à vos prières, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Suscription : Monsieur de Horgny.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

7). François Richard, né en 1622 à Metz, entré dans la Congrégation de la Mission en 1643, placé à Rome, puis à Gênes.

8). République de Gênes. 9

9). Niccolo Albergati-Ludovisi, archevêque de Bologne et cardinal en 1645, mort en 1687.

10). Peut-être l’abbaye de Saint-Sauveur, à quinze lieues de Rome, où les missionnaires allèrent se reposer une fois ou l’autre.

11). Les lacunes dans les lignes qui suivent ont pour origine la déchirure mentionnée à la note 2 de la présente lettre.

12). Il est fait ici allusion aux difficultés rencontrées par les missionnaires établis à Toul, en 1637, pour les missions et les exercices des Ordinands. Les Frères du Saint-Esprit, desservant l’hôpital, se considéraient comme lésés par la fondation.

13). Sans doute la paroisse de la ville de Toul, dont furent provisoirement chargés les missionnaires.

14). Allusion aux difficultés de Saint-Méen. Voir la note 5 de la lettre précédente.

 

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50. — A GUILLAUME DELVILLE (1),

Prêtre de la Mission, à Montmirail (2)

Saint-Lazare, ce 4 octobre 1646.

M. Delville sera assuré par ce billet, que j’écris en hâte, le messager [étant] par ici, que nous avons reçu les lettres qu’il écrit à M. Codoing et à moi ; que je ferai tenir les siennes à Rouy (3) en Bretagne, où il est je dis, à M. Codoing ; comme je prie, de sa part, M. Delville de me renvoyer au plus tôt les prédications qu’il lui a laissées ; il en a grand besoin où il est.

M. de Soissons (4) veut-il bien notre établissement à Montmirail aux conditions d’ailleurs connues. Nous lui avons écrit. Il me semble que M. le prieur (5) m’a dit que vous l’êtes allé voir et qu’il vous a donné son consentement. Si cela est, il sera bon que vous alliez trouver M. Nacquart (6) et que vous acceptiez le don qu’il vous désire faire de la maison, voire même quand bien mondit seigneur ne vous aurait pas encore donné la parole. Ce que l’on ne peut faire en un temps, l’on le pourra faire en un autre. N’y perdez donc point temps, s’il vous plaît (7) […] Mais je ne vois pas d’apparence qu’il fasse ce qu’il avait projeté et n’y faut pas seulement penser.

Si nous pouvions faire les missions et le séminaire dont vous parlez, Monsieur, il le faudrait faire, pourvu que ce fussent des jeunes hommes qui aspirassent à l’état ecclésiastique. Mais quoi ! nous ne pouvons faire le premier, qui est notre capital ; et quel moyen de faire le second !

Lettre 50. — Lettre autographe. Original mis en vente à Paris en 1932. Texte publié dans les Annales de la C. M., 1933, pp. 217-219.

1). Guillaume Delville, né à Tilloy-les-Bapaume (diocèse d’Arras) en 1608 entré prêtre dans la Congrégation de la Mission, mort à Arras en 1658.

2). Les Prêtres de la Mission étaient établis à Montmirail (diocèse de Soissons, actuellement département de la Marne) depuis 1644.

3). B. Codoing était alors Supérieur de la maison de Saint-Méen (diocèse de Saint-Malo). Rouy est une localité qu’il n’a pas été possible d’identifier.

4). Simon Le Gras, né à Paris en 1589, nommé évêque de Soissons en 1623, mort au château de Sept-Mons, près de Soissons. en 1656.

5). Le prieur de l’Hôtel-Dieu de la Chaussée (faubourg de Montmirail) qui dépendait du diocèse de Troyes.

6). Charles Nacquart, né à Treslon (diocèse de Soissons) en 1617, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640 ; après son ordination, il "missionna" à Richelieu ; désigné pour Madagascar, il fit partie de la première équipe lazariste ; arrivé à la fin de 1648, il mourut à la tâche en 1650. Ch. Nacquart étant originaire du diocèse de Soissons, on s’explique qu’il ait songé à donner une maison lui appartenant, à la maison de Montmirail.

7). Ici une déchirure de deux lignes. La première ligne commence par : M. le Pri…, la deuxième par : Delville…

 

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De ne pas faire les missions, ô Jésus ! Monsieur, Dieu nous en garde ! Nous verrons avec le temps si nous pourrons vous donner deux de nos écoliers pour faire les classes, tandis que vous ferez la mission avec M. Royer (8) et celui qu’on vous enverra.

Je vous remercie très humblement du bon traitement que vous avez fait à M. le prieur et à ses gens. Nous le reconnaîtrons.

Je vous écris de ma retraite. Nous sommes environ quarante qui la faisons [en plusieurs bandes ; outre] sept prêtres [un mot illisible], il y a deux ou trois clercs parmi nous ; et une partie du séminaire en l’autre ; et les frères coadjuteurs à part. Quand ferez-vous les vôtres ? Je vous prie de recommander les nôtres à Dieu et Dieu sait de quel cœur nous lui recommanderons les vôtres et de quel cœur je vous chéris. Certes, il n’y a que lui qui vous le puisse faire connaître.

Je salue aussi très humblement M. Le Royer et vous promets à tous deux de vous envoyer quelque prêtre au premier jour, qui suis, en l’amour du même Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

Vincens DEPAUL.

i. p. d. la M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delville, supérieur de la Mission de Fontaine-Essart (9) à Montmirail.

 

51. — A ANTOINE PORTAIL

Prêtre de la Mission, à La Rose

De Paris, ce 6 octobre [1646] (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier deux de vos lettres, l’une du 21 et [l’autre du] 22 de septembre. Je m’en vas écrire à M. de [… Je] vous envoie la présente par homme exprès.

8). Il s’agit ou de Nicolas Royer, né à Chenières (diocèse de Trèves) en 1613, entré dans la Congrégation de la Mission en 1639, ordonné prêtre en 1642 ; ou de Ponce Royer, né au Thor (diocèse de Cavaillon) en 1615, entré prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1645.

9). Hameau proche de Montmirail où s’étaient établis les missionnaires en quittant La Chaussée devenue inhabitable.

Lettre 51. — Lettre autographe. Original à la Bibliothèque de l’État prussien, à Berlin (en 1931). Texte publié, d’après une copie à la fois fautive et lacuneuse, dans l’édition Pémartin (n° 3040, supplément pp. 61-64), reproduit tel quel (à part quelques corrections conjecturales) dans l’édition Coste (n° 870, t. III, pp. 70-73) ; publie d’après l’original dans les Annales de la C. M., 1931, pp. 696-699).

1). Date certaine, établie d’après le contexte.

 

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Mon Dieu, Monsieur ! que ferons-nous [à ce que] vous nous dites ? De faire revenir cette personne (2) de ses opinions, il n’y a pas d’apparence, à cause de la qualité de son esprit et que déjà il en est venu là d’estimer que les conciles ont moins bien entendu les Saintes Écritures. De le mettre en retraite, il n’est pas de la trempe de son esprit. L’autre (3) est pituiteux et changeant ; celui-ci (4) un petit [peu] atrabilaire et arrêté. De le tenir, cela est fâcheux, et fâcheux encore de le renvoyer ; et néanmoins, toutes choses considérées, l’on sera contraint d’en venir là.

Vous verrez, par celle que je lui écris et que je vous envoie ouverte, que vous cachetterez ensuite de notre cachet, comme je le prie de se rendre a Richelieu, où je me propose de tâcher de l’aller voir et d’aviser à ce qu’il faudra faire. Vous lui donnerez quand vous le jugerez à propos et en la manière. Et quoi qu’il die ou fasse, demeurez toujours dans l’esprit de douceur et d’humilité.

Pour M. Boucher, s’il le veut suivre, vous lui direz qu’il faut ordre de moi pour cela. Il n’est pas expédient qu’il l’accompagne ; que s’il le fait par lui-même, nous verrons.

Quant à celui que vous laisserez à sa place, ce que vous me dites de M. Dufour (5) à Cahors et de M. Delattre à La Rose n’est pas faisable du côté dudit sieur Dufour ; cela mortifierait trop Monseigneur de Saintes (6). Mais voici ce qui m’est tombé en la pensée : c’est de mettre M. Testacy (7) à Cahors, si Monseigneur l’agrée et vous n’y voyez pas de l’inconvénient, eu égard à sa conduite et à la proximité de sa bonne mère (8). Il paraît homme de bon sens, fidèle assez en ses pratiques, forme et entendu aux affaires. [Il est] fâcheux qu’il vient d’être fait

2). François du Coudray ; c’était un érudit mais, depuis quelque temps, il professait des idées hétérodoxes. M. Vincent dut l’éloigner de La Rose ; il le plaça à Richelieu où il mourut en 1649.

3). Léonard Boucher ; il faisait partie du personnel de La Rose et montrait de l’attachement pour la personne et les idées de son supérieur, Fr. du Coudray.

4). Jusqu’à la fin du paragraphe et dans tout le paragraphe suivant les pronoms se rapportent à Fr. Du Coudray.

5). Claude Dufour, né à Allanche (diocèse de Clermont) en 1618, entré prêtre dans la Congrégation de la Mission eu 1644 ; il était, en 1646, supérieur du Séminaire de Saintes ; il le demeura jusqu’au 1648 ; mort à Madagascar en 1656. G. Delattre devant être changé de Cahors, M. Portail avait proposé de mettre à sa place Cl. Dufour.

6). Jacques-Raoul de la Guibourgère, transféré cette même année à Maillezais-La Rochelle ; son successeur sur le siège de Saintes sera nommé à la fin de l’année 1646 ; ce sera Louis de Bassompierre.

7). Charles Testacy, né à Condom en 1613, entré dans la Congrégation de la Mission en 1643 ; nomme Supérieur de la Maison de Cahors, à la fin de 1646, en dépit de ce que dit ici le Supérieur de la Mission.

8). Il n’y avait guère plus de 50 lieues de route entre Cahors et Condom.

 

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prêtre et que [la famil] le (9) aura peine de le voir d’un plein saut [arriver] au premier emploi ; mais, comme Messieurs Water (10) et Treffort (11) sont bons et sans ambition, vous leur pourriez faire trouver bon par la considération de l’intelligence qu’il a aux affaires. Quant à Monseigneur de Cahors (12), peut-être l’y trouverez-vous disposé ; sinon, nous tâcherons de vous envoyer M. Grimal ou M. Berthe (13). J’avais pensé à M. Bourdet ; mais je pense que nous l’enverrons en Hibernie, où nous sommes pressés d’envoyer des missionnaires du pays sous la direction d’un supérieur français. Ils pourront partir dans quinze jours, si M. Bourdet en est prêt.

Il vous restera là Messieurs Riou (14), un bon petit prêtre de Normandie (15), M. des Noyelles (16). M. Le Soudier (17), car l’autre (18) est parti pour la Barbarie et est encore à Marseille, dans le doute s’il passera à cause d’une rencontre d’un Récollet, qui l’a supplanté ; et puis nous étions en doute lequel, de lui ou de M. Lesage, partirait.

Que si M. Le Soudier ne va à La Rose, M. Cuissot le jeune (19), qui va à sa place et fait fort bien à présent, ira à La Rose et M. Perraud (20) à Saintes. Nous tâcherons d’envoyer au plus tôt les autres deux.

Nous voilà rétablis pour la seconde fois à Saint-Méen, par arrêt du Conseil ; mais le Parlement, dont le commissaire qui a chassé les nôtres (21) et le procureur général (22) ont ajournement personnel, les

9). Les confrères de la maison.

10). James Water, né à Cork (Irlande), en 1616 entré dans la Congrégation de la Mission en 1638, ordonné prêtre en 1642 ; en 1646 il était à Cahors.

11). Simon Treffort, né à Villiers-Herbisse (diocèse de Troyes) en 1611 entré dans la Congrégation de la Mission en 1642 ; il était en 1646 au Séminaire de Cahors ; mort à Cahors en 1682.

12). Alain de Solminihac.

13). Thomas Berthe, né à Donchery (diocèse de Reims) en 1622, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640, ordonné prêtre en 1646 et placé à Sedan ; il excerça de hautes charges dans la Compagnie et mourut en 1697.

14). Non identifié ; ne figure pas sur les listes du personnel.

15). Guillaume Michel, né à Esteville (diocèse de Rouen) en 1607, entré prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1646.

16). Philippe des Noyelles, né à Arras en 1609, entre dans la Congrégation de la Mission en 1642.

17). Samson Le Soudier, né à Courson (diocèse de Coutances) en 1609, entré dans la Congrégation de la Mission en 1638.

18). Il s’agit de Jacques Le Soudier, que Monsieur Vincent appelle parfois Le Soudier le jeune.

19). Jean Cuissot, prêtre, né à Moulins en 1619, entré dans la Congrégation de la Mission en 1642, frère cadet de Gilbert Cuissot, Prêtre de la Mission.

20). Hugues Perraud, né à Arguel (diocèse de Besançon) en 1615, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640, ordonne prêtre en 1646, mort à Pans en 1659.

21). M. de la Touche-Frelon, conseiller au Parlement.

22). M. Huchet de la Bédoyère.

 

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ont mis en telle furie qu’on juge que nous n’aurons jamais repos en cette province-là si l’on ne s’accommode. C’est à quoi M. Codoing que nous y avons envoyé, travaille.

Quand ce bon Monsieur (23) sera parti, il faudra cesser le commerce de ces femmes et renvoyer ces garçons, s’ils ne payent pension raisonnable.

M. de Cahors m’a mandé qu’il désirait [que vous] fassiez la visite chez lui. Il vous déchargera [son cœur]. Il a un peu de peine contre [moi], je pense, de ce que je ne l’ai pas assez [servi] au gré de ces bons Pères (24), au procès qu’il avait ici.

Vous n’avez jamais rien fait plus à propos que de rester à La Rose jusques à ce que toutes soient au meilleur état que vous les pourrez mettre.

Je pense que nous n’aurons pas difficulté à faire changer ce que vous et M. Dehorgny trouverez à propos de changer aux offices (25) que vous me marquez, ni aux autres. Je ne laisserai pas de presser M. le coadjuteur (26), qui est bien long.

Nous sommes environ 40 en retraite. J’assiste à la bande des prêtres. Dieu m’a donné des forces pour cela. Voici le huitième jour. Il n’y aura que notre visite, que j’ai pensée de différer à votre retour, que je prie Dieu qu’il soit au plus tôt que pour faire se pourra.

Je vous écrirai à Marseille et vous y enverrai les règles communes en latin (27).

J’embrasse cependant cette petite communauté avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

Vincens DEPAUL

indigne prêtre de la Mission.

23). Fr. Du Coudray.

24). Les Religieux de la Réforme de Chancelade, dont le Supérieur était Alain de Solminihac, évêque de Cahors ; ces Religieux étaient alors en procès avec les Augustins de Sainte-Geneviève.

25). Il s’agit ici d’une partie des Règles et Constitutions de la Congrégation de la Mission, dont Sa ut Vincent poursuivait d’abord l’approbation auprès de l’archevêque de Paris. Le Supérieur de la Mission sollicitait l’avis de M. Portail sur ces Règles.

26). Jean-François-Paul de Gondi, coadjuteur depuis 1643 de son oncle Jean-François de Gondi, archevêque de Paris ; il sera cardinal en 1652 et succédera à son oncle en 1654.

27). Monsieur Vincent veut parler du texte des Règles de la Compagnie dont le texte ne sera définitivement établi qu’en 1658.

 

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Monsieur Bourdet m’a fait de grandes excuses de ce qu’il vous a contredit, et promettait de faire observer vos ordonnances. S’il ne va en Hibernie, nous le pourrons envoyer à La Rose, si vous n’arrêtez l’un ou l’autre de ceux que je vous ai marqués.

J’ai écrit à M. de Cahors, en suite de ce qu’il avait mandé de rappeler M. Delattre, que j’avais pensé lui représenter que nous n’en avions point d’autre qui entende les affaires que lui et que nous ferions néanmoins ce qu’il commanderait.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

 

52. — A ANTOINE PORTAIL

Prêtre de la Mission, à La Rose

De Paris, ce 18 (octobre 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai été bien consolé de vos […] suis en attente du succès, je […] deux fois contre […] pense que vous deviez faire à La Rose, et notamment de faire en sorte que le personnage dont il est question (2) vienne à Richelieu (3), et nous aviserons s’il le faudra faire venir ici. Je vois bien, de la façon que vous me parlez de M. Testacy, qu’il ne faut pas tenter ce que je vous ai écrit par ma dernière de lui confier la direction de La Rose, ni celle de Cahors. Il faut espérer que Notre-Seigneur fera ce qui sera pour le mieux. J’étais en pensée d’y envoyer

Lettre 52. — Lettre autographe.

Original mis en vente à l’Hôtel des Ventes à Paris, eu 1937. Texte publié dans l’édition Coste (n° 877, t. III, p. 81-84) d’après l’édition Pémartin (n° 505, t. I, pp. 591-592). Une copie avec disposition et orthographe de l’original (retrouvé eu 1937) a été publiée dans les Annales de la C.M., 1937, pp. 730-731. Cette copie dénonce les prétéritions, les "arrangements" et les mauvaises lectures du texte publié par Pémartin.

Une grave déchirure du coin de la feuille, eu haut et à droite, a fait disparaître, au recto et au verso, des mots assez nombreux pour empêcher de donner un sens aux fragments de lignes subsistants.

1). La date est certaine, établie par le solide raisonnement du P. Coste dans son édition.

2). François Du Coudray, Prêtre de la Mission.

3). Les Missionnaires étaient titulaires de la cure de Richelieu, fondée par le Cardinal depuis 1638.

 

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M. Lucas (4) ou M. Grimal, ou bien M. Le Soudier le jeune (5), lequel je doute qu’il aille en Barbarie, y ayant un Récollet (6) qui l’a supplanté, a pris le devant et la condition qui lui était destinée à Salé (7). Un mot de votre avis sur tout cela, s’il vous plaît, le plus promptement que vous le pourrez.

M. Brin (8), M. Barry (9), le frère O’Brien (10), le frère Leclerc (11) et notre frère Patriarche (12) sont partis pour l’Hibernie (13) et doivent prendre MM. Le Blanc (14) et Duiguin (16) et le frère Le Vacher (17) au Mans, et peut) être M. Bourdet en Bretagne. Nous avons été pressés et du côté de Rome et des Prélats du pays pour cela ; c’est pourquoi nous ne ferons aucune fondation de longtemps.

[…] aviez raison de faire partir […] Annecy sa santé lui permet […] que vous me marquez et vous […] que s’il sent quelque tendance à […] l’année passée il vaut mieux […]que pour peu de temps à La

4). Antoine Lucas, né à Paris en 1600, entré dans la Congrégation de la Mission en 1626 ; en 1646, il faisait partie du personnel de la maison de La Rose ; il mourut en 1656.

5). Jacques Le Soudier, né à Vire (diocèse de Bayeux) en 1619, entré dans la Congrégation de la Mission en 1638, ordonné prêtre en 1642, mort à Montauban, en 1663.

6). Les Récollets formaient, depuis le début du XVII" siècle, une branche de l’ordre franciscain.

7). Voir les notes 1 et 2 de la lettre n° 39 de la présente édition.

8). Gérard Brin, ne près de Cashel (Irlande) en 1618, entré dans la Congrégation de la Mission en 1639, ordonné prêtre eu 1644. Très estimé de Saint Vincent, il "missionna" en Irlande (à deux reprises) et en France.

9). Edme Barry, ne au diocèse de Cloyne (Irlande) en 1613, ordonné prêtre en 1639, entré dans la Congrégation de la Mission en 1641 ; parti pour l’Irlande eu 1646, il en revint en 1652 ; mort à Montauban en 1680.

10). Dermot O’Brien, né à Emly (Irlande) en 1621, entré dans la Congrégation de la Mission en 1645, mort prêtre en 1649.

11). Pierre Leclerc, frère coadjuteur, né à Meaux : en 1624, entré dans la Congrégation de la Mission eu 1644.

12). Salomon Patriarche, frère coadjuteur, ne dans l’île de Jersey en 1620, entré dans la Congrégation de la Mission en 1642.

13). Autre nom de l’Irlande. Les Missionnaires envoyés par Monsieur Vincent se dévouèrent dans le pays eu dépit des persécutions, de 1646 à 1652.

14). François Le Blanc (ou White), né à Limerick (Irlande) en 1620, entré dans la Congrégation de la Mission en 1645, ordonné prêtre en 1651 ; il "missionna" en France et en Ecosse où il mourut en 1679.

15). Dermot Duiguin, né en Irlande en 1620, entré dans la Congrégation de la Mission en 1645, missionnaire en Irlande, puis en Ecosse où il mourut en 1657.

16). Philippe Le Vacher, né à Écouen (diocèse de Paris) en 1622. entré dans la Congrégation de la Mission en 1653 ; après trois années passées en Irlande, il fut rappelé en France ; ordonné prêtre en 1650, il travailla à Alger (vicaire apostolique et, plus tard, consul de France) ; rentré en France en 1662, il mourut à Fontainebleau en 1679.

 

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Rose d’où […] à revenir, et envoyer quelque autre à Annecy et aux autres maisons, où l’on demande incessamment qu’on les visite (17). Le capital que je vous prie de regarder ici c’est la santé ; Notre-Seigneur pourvoira au reste.

Vous apprendrez à Marseille la faute qu’a faite le frère Barreau, consul d’Alger, de s’être obligé au paiement de 40 000 livres, pour la rédemption de quelque captif, contre l’expresse défense qu’on lui en avait faite. Cette affaire nous met en peine ; ce qui est plus fâcheux, c’est que le bon M. Nouelly (18) l’avait conjuré de ne le pas faire une heure auparavant. Je vous prie de faire célébrer une messe par chacun de la famille de La Rose, comme aussi pour la mission d’Irlande.

L’on est rétabli dans Saint-Méen par l’ordre du Roi, mais je ne sais si cela durera (19).

Nous venons de faire nos retraites avec fruit, par la grâce de Dieu, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

Vincens DEPAUL.

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

 

53. — LETTRE DEDICATOIRE

DE CHARLES AUBERT (1) A SAINT VINCENT

A Monsieur Vincent, supérieur général des Prêtres de la Mission, Monsieur, l’on trouvera par aventure étrange qu’encore que je sois privé du bonheur de votre connaissance personnelle, si librement je vous présente ce petit Discours (2) en la simplicité de notre esprit et langage, mais le grand progrès qui se fait tous les jours par dignes et pieux personnages que notre Dieu, par votre ministère, a suscité en cette région,

17). Il s’agit ici de visite canonique.

18). Voir les notes 1, 2, 3 de la lettre n° 48 de la présente édition.

19). Voir la note 5 de la lettre n° 48 de la présente édition.

Lettre 53. — Lettre imprimée en tête du volume Bief Discours… Texte publié dans les Annales de la C. M. 1941-42, p. 274.

1). Charles Aubert (1567 env. 1653 env.), avocat et prêtre du Mans, auteur d’ouvrages de caractère religieux, cf. Dict. de Biogr. Française, t. IV (1948), col. 14-15 : art. Aubert (Charles) par J. Balteau.

2). "Brief Discours de Charles Aubert, prêtre, du respect et honneur des enfants envers leurs pères et mères, à M. Vincent supérieur général des Prêtres de la Mission." Le Mans, 1646, 152 p. (Bibliothèque Nationale : D 21298).

 

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lesquels si heureusement travaillent pour le bien et salut des âmes (3) fait évidemment reconnaître l’ardeur de votre zèle, pour son service son honneur et sa gloire. Cette connaissance nous a donné le courage de le vous présenter simplement, estimant chose indigne et indécente de notre âge, d’apporter artifice pour obscurcir ou bien dissimuler la vérité en toutes choses, qui sert plutôt d’une amorce au péché, qu’une guide assurée pour marcher droitement au chemin de vertu, qui de soi a des moyens très efficaces pour attirer l’esprit d’une bonne naissance, sans mendier des ornements externes. Je vous présente donc, Monsieur, ce petit labeur, avec soumission très humble d’y recevoir telle correction qu’il vous plaira y apporter, pour demeurer le reste de mes jours, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur. C.

AUBERT,

prêtre indigne.

 

54. — A JEAN-FRANÇOIS DE GONDI, Archevêque de Paris.

8 septembre 1647 (1).

a… En général, le saint prêtre était en garde contre les nouvelles communautés. Cela paraît par une grande lettre qu’il écrivit cette même année 1647 à M. l’Archevêque de Paris, et dans laquelle il joint à un profond respect une fermeté vraiment sacerdotale. Un homme (2), qui avait un prieuré (3) dépendant de l’abbaye de Saint-Florent-les-Saumur (4), voulait depuis plusieurs années le réunir au Séminaire des Bons-Enfants (5), que la nourriture de quarante prêtres

3). Allusion aux travaux apostoliques des Prêtres de la Mission, établis au Mans depuis 1645 (Grand Séminaire et Missions).

Lettre 54. — Texte tiré de Collet (Pierre), C.M. Vie de Saint Vincent de Paul… (Nancy, 1748, 2 tomes), t. I, P. 430-431. L’auteur donne la substance de la lettre avec quelques citations textuelles. I. Date donnée par Collet.

2). M. Ribier.

3). Le Prieuré de Bruyères-le-Châtel, prieuré bénédictin situé près d’Étampes alors diocèse de Paris.

4). L’abbaye bénédictine de Saint-Florent-les-Saumur, située dans le diocèse d’Angers, commune de Saumur, était rattachée depuis 1637 à la Congrégation de Saint-Maur.

5). Ancien Collège des Bons-Enfants, berceau de la Congrégation de la Mission, qui s’y était établie en 1625 ; en 1632, Saint Vincent et les Missionnaires s’étant

 

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externes, qui ne payaient que sept sols par jour, surchargeaient extraordinairement (6). M. de Gondi, à qui on en fit la proposition, ne l’agréa pas. Il fit entendre à ceux qui la lui faisaient, qu’il était mécontent de Vincent de Paul, qu’il savait de bonne part que c’était lui qui, dans le Conseil du Roi (7), avait empêché qu’une certaine religieuse ne s’établit à Lagny (8) ; que s’il voulait être, comme auparavant, de ses amis, il fallait qu’il changeât de style et qu’il portât la Reine à changer de sentiments.

Ce fut à cette occasion que le saint prêtre écrivit au prélat la lettre dont je viens de parler ; elle porte en substance : qu’il est vrai que la Reine (9), à son retour d’Amiens, lui a parlé de l’établissement en question ; qu’il est encore vrai qu’il ne l’a pas favorisé, mais qu’il a eu de fortes raisons pour en agir ainsi ; que depuis longtemps il avait été arrêté, dans le Conseil ecclésiastique (10), qu’on ne permettrait plus de nouveaux établissements de religieuses ; qu’on reconnaissait qu’il y en avait déjà de trop ; que Sa Majesté en recevait souvent des plaintes ; que plusieurs s’anéantissaient d’elles-mêmes ; que depuis peu on en avait vu se former et disparaître six ou sept de ces sortes de Congrégations (11) ; que quelques-unes avaient donné du scandale et excité des murmures ; enfin, qu’on ne connaissait pas assez l’esprit de la Reine, quand on la croyait capable de changer du blanc au noir ; et que pour lui, il ne pouvait ni se repentir, ni se dédire d’un avis qu’il n’avait donné qu’en la seule vue de Dieu.

La fermeté de ces paroles était tempérée par des témoignages de reconnaissance, de soumission et de respect, que je supprime en ce lieu, où il ne s’agit pas de constater les justes ménagements que le saint prêtre eut toujours pour les Pontifes de l’Église de Dieu ;

transportés à St-Lazare, le Collège connut diverses affectations ; en 1645 on y avait institué un Séminaire pour les prêtres désireux de se former aux fonctions de leur état.

6). Sur toute cette affaire voir la lettre de Saint Vincent à J.-F. de Gondi en date du 3 Septembre 1647 (publiée dans l’édition Coste, t. III, p. 232-233).

7). Le Conseil de Conscience, institué par la reine Régente Anne d’Autriche eu 1643 pour les nominations aux bénéfices (évêchés, abbayes) et pour ce qui regardait les questions ecclésiastiques et religieuses. Saint Vincent fit partie de ce Conseil dont il fut, un temps, rapporteur.

8). Localité située à l’Est de Paris (ancien diocèse de Paris, département actuel de Seine-et-Marne).

9). Anne d’Autriche.

10. Il s’agit encore ici du Conseil de Conscience que Collet appelle plus haut Conseil du roi.

11. Collet ajoute en note : "Elles sont nommées dans la lettre du saint."

 

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mais de faire connaître que l’apparence du bien ne le séduisait pas et qu’il ne donnait son approbation aux nouveaux établissements de Filles que lorsque l’Esprit de Dieu, la nature et les principes de leur Institut, et plus encore l’expérience, le mettaient à portée de juger qu’il n’y avait rien à craindre et beaucoup à espérer (19).

 

55. — LETTRE (de Pluyette) A JEAN DEHORGNY, Prêtre de la Mission

Monsieur,

Je vous supplie vouloir délivrer à mon frère présent porteur les vingt-six livres pour le quartier de bourse échu le premier jour d’avril dernier, durant lequel il a demeuré au collège et n’est sorti qu’à la fin du mois de mars, et me faire obliger de ne payer aucune somme au neveu de M. le curé de Fontenay, prétendu boursier, jusqu’à ce que nous soyons vidé de notre différend, ce qu’espérant de la faveur de M. Vincent et la vôtre, je suis. Monsieur votre obéissant et affectionné serviteur.

PLUYETTE.

Paris, le 28 avril 1648.

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, Prêtre de la Mission à St-Lazare, à Paris.

 

12). On s’explique pourquoi Saint Vincent faisait tout son possible pour empêcher que les Filles de la Charité, instituées par lui et Sainte Louise de Marillac en 1633, fussent considérées comme des religieuses.

Lettre 55. — Arch. Nat., Paris. M. 105.

 

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56. — LETTRE DÉDICATAIRE

DE J.-B. DE LA PLACE (1) A SAINT VINCENT

[1648]

A Monsieur,

Monsieur Vincent da Paul,

Instituteur et Supérieur général de la Congrégation de la Mission.

Monsieur,

Je me séparerais de mon devoir, si je ne vous offrais cette Union (2) ; j’approche de l’original pour juger de la fidélité de ma copie, j’ai médité cet ouvrage en vous voyant faire, le public ne me doit qu’un peu de toile et de couleurs, et beaucoup d’ombrages qui lui cachent plus de beautés qu’il n’en découvre. Depuis que votre zèle a uni la piété pour la dispenser à tout un monde chrétien, l’ignorance a quitté l’autel, les cabanes ont leurs docteurs aussi bien que les palais, et les bouches d’or se font entendre où l’on ne sacrifie que dans le plomb. Devant que la plus juste de nos monarques eut mis son Église entre vos mains, on naissait avec la mitre et l’anneau ; vous gouvernez les biens de cette illustre mineure avec un équitable aveuglement, votre choix s’étend plutôt sur une science roturière que sur une noble ignorance, et la vertu qui se pouvait plaindre d’un pauvre berceau vous est redevable du trône où elle est élevée au mépris de la faveur (3). Votre humilité, Monsieur, égale votre zèle, elle est couverte d’éclat et se tient dans l’obscurité, chargée de grandeur, et ne sort point de sa bassesse. La France vous regarde comme l’Antiquité ses héros qui ne se réservaient de leurs conquêtes que la gloire de les donner. Tant de vertus que vous assemblez justifient la protection de mon ouvrage, qui ne s’éloigne point de mon dessein s’il m’attache à votre personne en qualité, Monsieur, de votre très humble et très obéissant serviteur.

DE LA PLACE.

Lettre 66. — Lettre imprimée en tête du volume Union mystique. Texte publié dans les Annales de la C. M., 1947-48, p. 323., Jean-Baptiste de la Place (1612-1678). Docteur de Sorbonne, abbé commendataire de l’abbaye de Val-Richer (abbaye cistercienne su diocèse de Bayeux, département actuel du Calvados), qu’il ramena à l’Observance régulière eu 1645 ; il se démit en 1651, mais revint à Val-Richer où il séjourna quelques années avant de mourir, en 1678, sous l’habit cistercien.

2). "Union mystique ou Exercices spirituels pour s’unir à Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans tous les temps de l’année selon l’ordre ecclésiastique…". Paris, 1648, 194 pp.

3). Allusion au zèle déployé par Saint Vincent au Conseil de Conscience pour pourvoir les sièges épiscopaux de prélats dignes de leur fonction pastorale.

 

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57. — A LAMBERT AUX COUTEAUX (1),

Prêtre de la Mission, à Saint-Lazare

[février ou mars 1649].

"… J’ai été bien consolé d’apprendre par votre lettre que vous et toute la Compagnie recevez avec joie l’enlèvement de vos biens (2). Je vous assure, Monsieur, qu’il ne me reste d’autre peine de ces grandes pertes, que celle de vous voir dans le travail extraordinaire dont vous êtes chargé…"

 

58. — LETTRE DE M. MARTIN LEVASSEUR A SAINT VINCENT

[Rome, 29 septembre 1649].

Monsieur,

Celle-ci sera pour faire savoir en peu de lignes ce que j’ai remarqué de plus considérable en la vie et en la mort de M. Dunotz et ce qu’on a dit dans la conférence qui fut faite sur ce sujet. Il y aurait trop à dire si je voulais vous déduire en particulier les actions vertueuses de ce bon serviteur de Dieu. Je dirai seulement ce qui me semble de plus considérable et édifiant.

On peut considérer ce bon serviteur de Dieu en tant que prêtre et comme missionnaire. Comme prêtre on peut dire qu’il était un vrai extrait de l’idée que saint Paul nous donne aux épîtres de Timothée et de Tite et je crois qu’il serait bien difficile de trouver un prêtre dans la vie active et commune comme la nôtre et de son âge qui eut plus exactement en pratique ce que cet apôtre nous ordonne.

Premièrement sa dévotion était sincère, sans fard, sans indiscrétion substantielle et solide, non pas superficielle et changeante comme celle de beaucoup qui est plus de flamme que de chaleur. Sa méditation était

Lettre 57. — Extrait tiré d’Abelly (L) Vie du Vénérable Serviteur de Dieu Vincent de Paul… Seconde édition. (Paris. 1668, 2 tomes) t. I, p. 293.

1). Lambert Aux Couteaux était pour lors (depuis 1642) assistant du Supérieur général pour le gouvernement de la Maison-Mère. Il avait écrit à M. Vincent pour l’informer de la situation de Saint-Lazare. Le saint, après sa démarche auprès de Mazarin (14 janvier 1649), pour amener le ministre à quitter la Cour avait jugé prudent de s’éloigner de Paris ; il était alors dans l’ouest de la France où il faisait la visite des maisons de sa Compagnie.

2). Saint-Lazare avait été pillé par les soldats en janvier 1649, pendant les troubles de la Fronde ; il eu avait été de même peu après de la ferme d’Orsigny qui alimentait Saint-Lazare.

Lettre 58. — Bibliothèque municipale de Lyon. Manuscrit 1285.

 

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presque continuelle excepté le temps qu’il employait à la sainte messe et à réciter certaines prières et oraisons vocales qu’il récitait tous les jours, car son étude était plutôt d’oraison que de spéculation. Vous savez, Monsieur, avec quelle attention et ferveur il récitait son office et tous avant sa mort ont dit qu’il semblait un ange au chœur avec les autres.

Pour la sainte messe, il ne la célébrait jamais qu’après une longue préparation et quand il pouvait après avoir entendu une ; son action de grâce durait toujours une demi-heure ou trois quarts d’heure et s’il n’avait pas entendu la messe avant que d’aller à l’autel, il l’entendait après l’avoir dite ; les dimanches et fêtes, il en entendait d’ordinaire trois.

La piété et la religion paraissait en ce qu’il avait un grand soin de la netteté de l’église et des ornements sacerdotaux ; il balayait souvent l’église et la sacristie et ne voulant pas permettre qu’un autre le fit ou lui, aidât, remerciant ceux qui le voulaient soulager en cela ce qu’il continua jusqu’à sa maladie quoiqu’il ne fut plus sacristain. C’était aussi lui qui blanchissait les corporaux et les purificatoires. Il avait grand soin qu’on observât les cérémonies aussi qu’on tint les mains nettes à cause disait-il, qu’elles étaient les instruments du sacrifice de la messe.

En ses études, il ne prétendait pas autre chose que de s’exciter à l’amour de Dieu et aux autres vertus, comme il appert manifestement par les écrits qu’on lui a trouvés après sa mort, car excepté un compendium de théologie scolastique et un de philosophie qu’il avait transcrit et quelques petites additions qu’il y a faites, il n’a rien recueilli depuis qu’il est à Rome, sinon un abrégé des Commentaires de Ménochius sur l’écriture qu’il fit les premiers mois qu’il fut en Italie, et quelques petites additions qu’il a faites à un abrégé latin des prédications de la Mission et des Instructions de Murcantius, qui est tout ce qu’on lui a trouvé avec les rimes sur l’A Kempis, et quelques litanies, et toutefois il m’a dit avant sa mort qu’il avait lu tous les livres qui sont ici à la réserve d’Ara qu’il n’a lu qu’en partie, selon les difficultés qui lui venaient, et en tout ce qu’il remarque de soi il n’y a rien de subtil ou curieux, mais tout y est affectif et de dévotion et choses communes.

En tant que Missionnaire

1° Une affection très grande et extraordinaire à sa vocation. J’ai trouvé ceci de sa main : "Garde-toi de t’imaginer de pouvoir faire mieux ailleurs." Il en parlait toujours avantageusement.

2° Son exactitude est connue, et, à dire simplement mon sentiment c’était l’âme du bon ordre de la maison par son bon exemple et par le soin qu’il avait de sonner les exercices du jour très exactement.

 

 

3° Sa ferveur, il n’était jamais oisif, mais, ou il priait ou lisait, ou balayait, ou travaillait au jardin. Il a éveillé un an entier si ponctuellement, que, quelque froid qu’il ait eu, et quoique pendant la nuit l’horloge s’arrêtât, il se levait ponctuellement. Il me dit une fois tout hors de lui-même : Homo Dei apprehendo vitam aeternam. Son langage ordinaire était de Dieu ou de la vertu.

4° Sa miséricorde envers les pauvres ; il m’a dit souvent qu’il était bien difficile de demeurer en ce lieu à cause de la pauvreté des bonnes gens, et que cela l’affligeait et le rendait mélancolique, voyant qu’on ne les pouvait pas secourir selon leurs besoins. Il était toujours après moi pour voir comment on pourrait les aider.

5° Sa charité vers Dieu ; il disait souvent : "Il faut mourir, que faisons-nous en ce monde ? et qu’il désirait être au ciel. Il me dit un jour, à l’occasion du manquement de quelque personne qu’il ne pouvait voir offenser Dieu, et que cela lui causait une douleur semblable à ceux qu’il souffrirait si on lui déchirait le cœur. Il me priait souvent d’avertir les autres de leurs manquements, et lui disant une fois que c’était temps perdu, il me répliqua que je le fisse au moins pour n’être point responsable devant Dieu ; qu’il approuvait fort la maxime des Pères Jésuites : ou l’ordre ou la porte.

De là vient qu’aux confessions il était fort circonspect de ne donner l’absolution qu’à ceux qu’il en jugeait capables, et étant un jour interrogé de quelques prêtres de la Compagnie touchant l’opinion de quelques auteurs sur le point des occasions prochaines nécessaires et présumées non volontaires et des rechutes, il répondit froidement que pour lui il ne serait jamais de cette opinion. Et me parlant un jour de la facilité de quelqu’un à donner l’absolution et des pénitences légères, il me dit : "O Monsieur, qu’il est difficile d’avoir une vraie foi de ce qui se passe au sacrement de pénitence et d’eucharistie et de n’être pas plus soigneux qu’ils ne soient profanés." Et lui communiquant un jour qu’on murmurait à cause des pénitences et du délai de l’absolution, il me dit qu’il fallait laisser dire et ne regarder que Dieu. Il était entièrement persuadé que la facilité des confesseurs est une des plus grandes occasions du dérèglement des peuples. Il ne pouvait entendre parler du contraire sans témoigner son sentiment : je sais par expérience ce que cela a opéré en quelques âmes, qui étaient en de grands désordres, lesquelles par la grâce de Dieu s’en sont retirées.

Le cavalier Santi étant malade m’envoya prier de le lui envoyer, mais il était déjà mort, et un autre y étant allé, il ne voulut pas se confesser, et l’étant allé voir, il rite dit qu il avait un grand regret de ce bon prêtre, qu’il eut consolation de se confesser à lui ; qu’il avait eu plusieurs confesseurs à Rome et autre part, mais qu’il n’en avait jamais trouvé aucun qui lui eut donne plus d’éclaircissement et de consolation.

 

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Pour son particulier, il se confessait avec tant d’humiliation, de componction et de sainte terreur, que souvent, l’entendant, il me venait ce passage de l’Écriture Sainte : "Ad quem respiciam nisi ad pauperculum et trementem sermones meos (1)", et jamais je n’ai donné absolution avec tant de joie et d’amplitude de cœur, car il me semblait voir en lui la grâce, tant elle se faisait paraître extérieurement en ce bon serviteur de Dieu.

Quoiqu’il fut absolument nécessaire, et cela presque toujours, qu’il mit en pratique la coutume de la Compagnie de répéter quelque péché de la vie passée, pour assurer le sacrement, tant son âme était pure toutefois, outre la pénitence que je lui enjoignais, il me priait souvent d’y ajouter une rude discipline : ce sont ses mots.

Son obéissance était "quasi modo geniti infantis", sans jamais répliquer, et il m’a souvent dit qu’il s’étonnait comme il y en avait qui avaient de la peine à obéir, et que pour lui il avait expérimenté qu’en suivant son sentiment, il s’était toujours trompé, qu’en suivant celui des supérieurs il avait toujours reconnu la vérité de ces mots : "Ut vos audit, me audit". Il disait souvent ces mots de saint Bernard : "qui suit son sentiment, suit un faux maître".

Quand il allait en quelque lieu, même pour une demi-heure, il se mettait à genoux, me demandant la bénédiction, le plus souvent à la porte, devant les externes, et cela avec tant d’humilité et de dévotion que ceux qui le voyaient en étaient attendris. Une personne qui s’y trouva me dit : "O Monsieur, vous savez chez vous ce que c’est que vertu ; pour nous, nous vivons en bêtes."

Quand il avait quelque scrupule, il me venait trouver et me demandait si en cela il y avait du péché, et s’il s’en confesserait, et lui ayant dit que non, il s’en allait à la sacristie se vêtir pour célébrer.

Pour ce qui est de sa mansuétude, il n’a jamais contristé personne et quoique, en de certaines rencontres, il ait été repris aigrement jamais il n’a donné aucun signe de mortification ou tristesse mais toujours s’humiliait.

Sa mortification est plus à admirer qu’à imiter. Ce serait un grand narré si je voulais vous écrire ce qu’il a souffert pour la chasteté. Outre les disciplines ordinaires dont il avait permission, il me venait souvent demander permission d’en prendre. Il usa longtemps de certaines ceintures de rejetons de groseillier qu’il pliait et ajustait à cet effet et se les appliquait à la chair vive. C’est chose qui fait horreur de voir les épines de ces sortes d’arbrisseaux, car il prenait des branches d’un an, jugez, Monsieur, on met pour chose grande, comme elle est en effet, que sainte

 

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Thérèse se soit disciplinée avec des orties. Il a couché un grand temps sur la dure. Il est vrai qu’il ne s’est servi de ces dernières mortifications les deux dernières années de sa vie, car on les lui défendit. Il m’a dit que ce n’était pas sans raison qu’on honorait les saints, car la vertu était difficile à acquérir et qu’il fallait bien souffrir avant que d’en avoir un peu.

Dieu lui donna en récompense une grande pureté de corps et d’esprit ; il me dit en ses dernières communications qu’il ne ressentait plus rien des tentations passées, et qu’il y avait plus d’un an que la miséricorde de Dieu l’avait aidé en ce point. Il était toutefois très circonspect pour les conversations avec les femmes et ne les envisageait jamais. Enfin la constance avec laquelle il a toujours suivi la vertu, la persévérance avec laquelle il a scellé toutes ses bonnes œuvres ; étant tombé malade, il me pria de ne le point laisser, le lendemain il se confessa, demanda la communion pour viatique, après laquelle il me pria de lui donner l’extrême-onction au premier besoin.

Il montra une patience extrême, sans jamais se plaindre, ni lamenter, il dit qu’il n’en relèverait pas, et le matin précédant celui de sa mort, il me dit qu’il avait souffert cette nuit extraordinairement, que Dieu lui avait fait éprouver comme un ramas de tous les maux qu’avaient soufferts les saints ; un peu après il ajouta : "même de ceux des saints martyrs". Je n’osai pas l’interroger plus particulièrement, mais je pensai que c’était quelque vision du diable. Il mourut avec une grande paix et trépassa comme un enfant du berceau. Après sa mort je trouvai dans ses écrits un petit écrit de protestations à Dieu écrites de son sang et cachetées proprement, afin qu’on ne le lut pas. Je vous l’envoie, Monsieur, avec les rimes qu’il a faites sur le Gerson et sur l’évangile, lesquels, je crois, méritent bien qu’on les conserve. Un capucin m’en avait demandé quelque partie, mais je m’excusai sur ce que je désirais vous les renvoyer. Il y aura quelque manquement parce qu’il n’a pu les revoir et qu’il faisait cela pour sa consolation particulière. M. Blosquelet me demande celui de sa scolastique, et un autre de l’Écriture Sainte, pour un abrégé des instructions de Menochius et des prédications de la Mission, dont il a écrit brièvement les points en latin. Ils vous prient Monsieur, de me les accorder, si vous le jugez à propos.

Voilà, Monsieur, ce que j’avais à vous mander du défunt le bon M. Dunotz, mais je crois que son humilité nous a privés de la connaissance de beaucoup de ses actions qui nous serviraient d’exemple et nous donneraient beaucoup d’édification, car je puis dire avec vérité et simplicité, que, selon mon pauvre jugement, il est bien difficile qu’un homme puisse arriver en cette vie à une plus grande pureté et innocence que ce bon serviteur de Dieu. C’est pourquoi je crois qu’il est au ciel, selon la sentence de Notre-Seigneur : "Beati mundo corde, quoniam ipsi

 

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Deum videbunt." Je vous prie, Monsieur, de prier Dieu pour moi afin qu’il me pardonne le mauvais usage que j’ai fait des exemples de ce bon serviteur de Dieu et me fasse la grâce de l’imiter en quelque chose.

J’ajouterai ici encore deux mots : 1°, il se levait toujours vers la minuit pour faire à genoux quelque petite prière, et cela avec permission, car il ne l’aurait jamais fait autrement, quelque grande que fut sa dévotion. 2° il était extrêmement réservé à parler au désavantage du prochain, et il n’en pouvait non plus ouïr parler mal, pas même en général des vices ou désordres de quelques provinces ou villes, ou de quelques professions. 3° il disait d’ordinaire : "Messieurs et mes Frères, faisons le bien, nous le trouverons", et pendant qu’il a enseigné quelques-uns des nôtres, il ne se passait presque point de jour soit en classe, soit à la répétition de l’oraison, qu’il faisait faire quelquefois à l’absence du supérieur, de dire à la fin : "Faisons bien, nous le trouverons". 4° souvent aussi et très souvent il disait : "Je souhaite de mourir, je souhaite de mourir", ce qui fait voir combien il était détaché du monde et pensait à l’éternité. Mais le moyen de dire tout ? Sa vie a été une continuelle application à Dieu ou aux œuvres de charité envers le prochain ; aussi ne saurait-on dire combien il est regretté par les externes aussi bien que par ceux de la maison.

Je suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

LE VASSEUR,

Prêtre indigne de la Mission.

De St-Sauveur, le 29e 7bre 1649.

 

59. — LETTRE DU CHANCELIER SÉGUIER (1) A SAINT VINCENT

(De Pontoise, 16 avril 1650 ou peu avant.)

Il lui écrit au sujet des affaires de Louis Machon (2), accusé d’avoir fabriqué de faux sceaux. Cette lettre est signalée dans une lettre du Chancelier Séguier à son bibliothécaire Blaize, datée de Pontoise, 16 avril 1650. Voici le passage :

"… prendre la peine, lorsque vous aurez remis ma lettre à Monsieur le Lieutenant criminel et au Père Vincent, de me venir trouver avec les papiers que je verrai avec vous, pour voir ce que l’on pourra faire…"

Lettre 59. — Extrait de la lettre du Chancelier Séguier publiée dans l’ouvrage de René Kerviler : Le Chancelier Pierre Séguier… (Paris, 1874), p. 627.

1). Pierre Séguier (1588-1672), garde des Sceaux en 1633, Chancelier en 1635 il le resta jusqu’à sa mort. Homme pieux et juste, il fit partie du monde religieux de la capitale, en relations avec tout ce que Paris comptait d’hommes de bien.

2). Louis Machon, chanoine de Toul, archidiacre de Port. En 1645, il avait dédié à Saint Vincent un ouvrage intitulé Dix Méditations… Le texte de cette

 

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60. — LETTRE DU P. VITET (1), religieux de Chancelade, A SAINT VINCENT

De Rome, 3 septembre 1650.

"… Le P. Guérin (2), procureur de Sainte-Geneviève, a découvert le dessein des agents de Mgr de Cahors (3) au sujet de la révocation des commissaires. Il a su ainsi l’arrivée de ces deux agents, religieux de Chancelade (4), qu’on aurait voulu lui cacher, et qui avaient pris une soutane noire. Il menace de les faire emprisonner. Il a jour arrêté pour une audience du Saint-Père. On conseille aux deux religieux de Chancelade de se retirer en France. L’emprisonnement serait une humiliation pour Monseigneur et la ruine des affaires de Chancelade.

"Est-il vrai qu’un religieux qui change son habit est excommunié et que son supérieur immédiat ne peut le dispenser…"

dédicace a été publié dans les œuvres de Saint Vincent (édition Coste) t. XIII, p. 133-134. Sur L. Machon, voir : Céleste (Raymond) Louis Machon, apologiste de Machiavel et de la politique du Cardinal de Richelieu. Recherches sur sa vie et ses Œuvres. Bordeaux 1882 et du même auteur : Louis Machon… Nouvelles recherches… Bordeaux 1883.

Lettre 60. — Extrait d’une lettre figurant dans les Archives de l’évêché de Cahors. Fonds Solminihac, liasse II, n° 51. Texte publié dans l’ouvrage de l’abbé Eugène Sol : Alain de Solminihac… Lettres et Documents (Cahors. 1930), p. 420. Une lettre du P. Vitet à Saint Vincent, en date du 5 septembre 1650, fait allusion à la présente lettre (publiée dans l’édition Coste, n° 1256, t, IV, p.73) : Je me suis donné l’honneur de vous écrire par le précédent courrier que le R. P. Guérin…".

1). R. P. Vitet, Augustin de la Réforme de Chancelade, alors à Rome, occupé à des démarches en vue de faire approuver la Réforme de Chancelade. Le compte rendu des négociations qu’il fait à Saint Vincent à plusieurs reprises montre l’appui qu’apportait notre saint à l’œuvre réformatrice de son ami Alain de Solminihac.

2). Jacques Guérin, procureur général à Rome de la Congrégation de Sainte Geneviève (branche des Chanoines réguliers de saint Augustin). Mort eu 1681. La Réforme de Chancelade était quelque peu concurrente de cette de Sainte Geneviève, ce qui explique les efforts du P. Guérin pour contrarier les démarches des représentants de Chancelade.

3). Alain de Solminihac.

4). Chancelade, abbaye de l’ordre des Chanoines réguliers de Saint Augustin, réformée, en 1623, par l’abbé Alain de Solminihac : divers monastères s’agrégèrent à cette réforme et Chancelade devint tête de Congrégation.

 

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61. — LETTRE DE LOUIS EUDO DE KERLIVIO (1), A SAINT VINCENT

A Hennebont (2), ce 22 novembre 1650.

Pax Christi !

Monsieur,

Je prie Dieu qu’il vous récompense des soins que vous avez eu de pourvoir notre hôpital (3) de personnes de qui j’espère son établissement en un bon ordre pour l’assistance des pauvres, comme nous en voyons déjà de grands commencements depuis l’arrivée des sœurs Anne (4) et Geneviève (5), qui fut heureusement, grâce à Dieu, le 6 de ce mois. Monsieur le Grand Vicaire m’a communiqué votre lettre, qui contient une crainte qu’il arrive difficulté à cause d’une personne qui a eu ci-devant le gouvernement des malades audit hôpital. Pour cela, Monsieur, il n’arrivera aucun inconvénient, d’autant que si cette personne ne peut s’accorder avec les deux sœurs, je la mettrai hors dudit lieu, où j’ai un entier pouvoir de disposer toutes choses à ma volonté. La chose se pourra d’autant plus facilement faire que c’est une personne de fort basse condition. Dès à présent, la sœur Anne a l’intendance de tout. Monsieur le Grand Vicaire se donnera l’honneur de vous écrire s’il ne l’a déjà fait. Je vous prie, Monsieur, de croire que je ferai mon possible pour aider nos bonnes sœurs, particulièrement en ce qui est leur salut, espérant de Dieu les grâces nécessaires à ce sujet que je vous prie de lui demander et de me tenir, Monsieur, pour votre très humble et obéissant en N.-S.

Louis EUDO,

prêtre indigne.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, général de la Congrégation des Prêtres de la Mission, à Saint-Lazare, à Paris.

Lettre 61. — Texte tiré des Archives Nationales de Paris : S 6168 dossier Hennebont (ms autographe) ; publié dans les Annales de la C. M.1949-50, p. 246-247.

1). Louis Eudo de Kerlivio (1621-1675), vicaire général de Vannes ; il s’était préparé au sacerdoce au Collège des Bons-Enfants A Paris, sous la direction de Saint Vincent dont il resta l’ami.

2). Hennebont, localité du diocèse de Vannes, actuellement chef-lieu de canton du département du Morbihan, à 12 km de Lorient.

3). Eudo de Kerlivio avait demandé à M. Vincent des Filles de la Charité pour le service des pauvres malades de l’hôpital d’Hennebont qu’il avait personnellement fondé.

4). Anne Hardemont, fille de la Charité, qui fut la première supérieure des Sœurs d’Hennebont, qu’elle devait quitter l’année suivante pour Nantes.

5). Geneviève Doinel, Fille de la Charité ; elle vivait encore en 1705 puisqu’elle a déposé, cette année-là, au Procès de Béatification de M. Vincent.

 

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62. — A CLAUDE DUFOUR (1), PRÊTRE DE LA MISSION, A SEDAN (2)

De Paris, ce 29 décembre 1650.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu et prie Notre-Seigneur Jésus-Christ son fils, qu’il soit lui-même son action de grâces de celle qu’il nous a faite de vous avoir conservé dans le grand danger, dans lequel votre grande maladie vous a mis, et le prie qu’il vous conserve de longues années pour le bien de son Église et, s’il l’a agréable, pour celui de ces bonnes gens de Madagascar (3), pour lesquels particulièrement il semble qu’il vous a conservé. Au nom de Dieu, faites tout ce que vous pourrez pour confirmer de plus en plus votre santé, pour l’aller employer pour ces pauvres gens des Indes (4) qu’il semble que Notre-Seigneur veuille sauver en partie par votre ministère.

Je suis en celui de sa Sainte Mère, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

indigne Prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Dufour, Prêtre de la Mission étant de présent à Sedan.

Lettre 62. — Lettre autographe.

Original à l’église Saint-Vincent-de-Paul du Havre. Texte publié avec l’orthographe de l’original dans les Annales de la C.M.1939, p. 194.

1). Claude Dufour (1618-1656).

2). Les Missionnaires étaient établis à Sedan depuis 1643, pour le service de la paroisse et pour des missions à prêcher dans les campagnes environnantes.

3). Cl. Dufour était destiné à la mission de Madagascar dont les débuts remontent à 1648 ; son départ, retardé par diverses circonstances (d’où le séjour provisoire à Sedan), n’aura lieu qu’en 1656 ; Cl. Dufour devait mourir épuisé un peu plus de deux mois après son débarquement.

4). Terme générique utilisé alors, qui, dans la pensée de Saint Vincent, désigne Madagascar.

 

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63. — EDME DESCHAMP (1), Prêtre de la Mission, A SAINT VINCENT

15 février 1651 (2)

Texte tiré de Collet (3) où cette lettre est mentionnée et en partie résumée :

"Après la bataille de Rethel (4), dans laquelle l’archiduc Léopold (5) et le Vicomte de Turenne (6) furent défaits (7) par le Maréchal Du Plessis (8), il resta sur la place deux mille Espagnols, à qui personne ne donnait la sépulture. Plus de huit semaines après le combat ils étaient encore sur le champ de bataille, où une partie servait de nourriture aux chiens et aux loups, l’autre exhalait une odeur qui corrompait l’air et qui peu à peu eut porté dans tout le voisinage et l’infection et la mort. Le Missionnaire (9) qui parcourait ce canton fut effrayé de ce spectacle ; il en donna avis à Vincent de Paul, et l’assura qu’avec cent écus il en viendrait à bout. Une petite gelée qui survint favorisa l’exécution de cette pénible entreprise. Dix jours de délai l’auraient rendue si difficile que mille écus n’eussent pas suffi pour la terminer".

Lettre 63.

1). Edme Deschamp, né à Saint-Dié (alors diocèse de Langres) en 1617, entré dans la Congrégation de la Mission en 1643, ordonné prêtre en 1650 ou 1651. Employé par Saint Vincent à diverses fonctions de dévouement et d’assistance dans les pays dévastés par la guerre civile (Champagne et Ile-de-France). Épuisé par ses travaux, il mourut à Basville, près d’Étampes, en octobre 1652.

2). Date donnée en marge du texte par Collet.

3). Collet (Pierre) C.M. donne ce passage dans sa Vie de St Vincent de Paul (Nancy, 1748, 2 tomes) t. I, p. 487-488. Abelly (Louis) dans la Vie du Vénérable Serviteur de Dieu Vincent de Paul… (Paris, 1664, 3 livres) donne (livre II, p. 402-403) un extrait de lettre d’Edme Deschamps faisant allusion aux mêmes faits ; cet extrait a été publié dans l’édition Coste : lettre N° 1316, t. IV, p. 143-144. Y eut-il deux lettres d’Edme Deschamps ? ou n’y en eut-il qu’une seule qu’Abelly ou Collet ont arrangée, chacun à sa guise ?

4). Localité située dans le département actuel des Ardennes.

5). Archiduc d’Autriche Léopold-Guillaume (1614-1662), deuxième fils de l’empereur Ferdinand II, bien que titulaire de plusieurs évêchés, il fut surtout homme de guerre ; il était pour lors gouverneur des Pays-Bas.

6). Turenne (1611-1675) pendant cette période de la Fronde militait dans le parti hostile à Mazarin ; les Impériaux soutenaient financièrement et militairement ce parti.

7). La bataille se déroula le 15 décembre 1650.

8). Bernard Du Plessis-Besançon (1600-1670).

9). Edme Deschamps.

 

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64. — AUX ADMINISTRATEURS DU GRAND HOPITAL DU MANS

Cette lettre est donnée dans l’édition Coste (lettre n° 1333, t. IV, p. 164) d’après l’édition Pémartin (lettre n° 780, t. II, p. 319). L’original qu’a vraisemblablement vu Pémartin est perdu. Antérieurement à l’édition Pémartin, cet original a été inséré dans J.L.A.M. Lochet. Saint Vincent de Paul et ses institutions dans le Maine. (Angers, 1859), p. 77-78. Les Annales de la C.M. (1951, p. 377-378) reproduisent ce texte avec son orthographe. Notons en passant que le texte de Pémartin est fidèle, pour une fois on est heureux de le constater.

 

65. — LETTRE DES ÉVÊQUES D’ALET (1) ET DE PAMIERS (2)

A SAINT VINCENT

Alet, 22 avril 1651 (3).

Texte tiré de Collet (4) où cette lettre est mentionnée et citée en partie :

"La veille du jour où cette lettre (5) partit pour Luçon, les évêques d’Alet et de Pamiers, en écrivirent une en commun à Vincent de Paul, pour répondre à la sienne (6). On y voit la vénération singulière qu’avaient ces deux prélats pour le serviteur de Dieu : mais on y voit pour le moins aussi bien, qu’ils voulaient rétablir la paix par des moyens, qui n’étaient

Lettre 65.

1). Nicolas Pavillon (1597-1677), évêque d’Alet depuis 1637 ; il fut formé à la vie sacerdotale et apostolique sous la direction de Saint Vincent de Paul. Arrivé dans son diocèse en 1639 (peu après son sacre) il se révéla un évêque pieux, zélé et bienfaisant ; ses attaches avec les jansénistes suscitèrent contre lui des oppositions.

2). François-Etienne de Caulet (1610-1680), évêque de Pamiers depuis 1644. Prélat réformateur. Ses sympathies pour les tenants du jansénisme n’ont jamais été excessives, cependant, en 1651, ses relations avec N. Pavillon faisaient de lui un adversaire des opposants au jansénisme.

3). Date et lieu d’origine donnés d’après Collet.

4). Dans sa Vie de St Vincent de Paul (Nancy, 1748, 2 tomes) t. I, p. 538-539, Collet résume la lettre, mais on peut la reconstituer assez facilement, d’autant plus que sont insérées dans le texte de nombreuses citations.

5). Lettre dont Collet parle précédemment (p. 537) ; lettre adressée le 23 avril 1651 à Pierre Nivelle, évêque de Luçon ; publiée dans l’édition Coste : lettre N° 1345, t. IV, p. 175-1816. Depuis le début de l’année 1651, Saint Vincent s’employait activement à obtenir des signatures d’évêques pour une supplique adressée au Saint-Siège en vue de provoquer une condamnation formelle des Cinq Propositions tirées de

 

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propres qu’à donner des forces à l’erreur, et qui par une suite nécessaire ne pouvaient que perpétuer la guerre. Ils disent en substance, qu’il y a longtemps qu’ils gémissent des divisions qui affligent l’Église ; qu’ils eussent répondu plus tôt à la lettre qu’il a plu à Vincent de leur écrire, s’ils n’avaient jugé que l’affaire, sur laquelle on désirait leur résolution, demandait beaucoup de conseil et de prières ; qu’ils vont lui déclarer ce qu’ils pensent, avec la simplicité et le désintéressement dont il leur a donné tant d’exemples ; qu’ils croient donc qu’il n’y a pas d’apparence, que dans une agitation si vive, et que les deux partis croient juste, l’Esprit de Dieu, qui est un Esprit de paix, trouve assez de docilité dans les cœurs, pour y opérer une parfaite réunion ; que, quoiqu’ils respectent la voie qui leur a été proposée, de demander au Saint-Siège la décision des questions principales d’une doctrine qu’on juge suspecte, néanmoins il leur semble important, que les évêques ne se rendent point suspects, ni odieux à aucun parti en se déclarant pour l’un ou pour l’autre, afin de pouvoir en son temps moyenner plus aisément la paix par la confiance que tous auront sujet de prendre en eux ; qu’ayant été conviés par plusieurs autres évêques, de vouloir signer une lettre écrite au Pape, contraire à celle que Vincent leur a envoyée, ils appréhendent, accordant aux uns ce qu’ils ont refusé aux autres, de contribuer à un schisme, qui en fait de doctrine, et entre des personnes d’un si grand poids, peut produire de grands maux ; et donner occasion de risée aux libertins et aux hérétiques, et de scandale aux bons catholiques. La guerre et les divisions, qui affligent l’État et la Chrétienté, sont encore un motif que les deux prélats font valoir, et qui leur fait craindre qu’une Bulle, donnée dans une saison si agitée de troubles, ne puisse avoir toutes les formalités nécessaires, et qu’elles n’aigrisse les maux, au lieu de les adoucir.

Mais les deux évêques voulaient-ils donc qu’on continuât à disputer, et à se déchirer les uns les autres, comme on avait commencé à faire ? Ce n’était pas là leur intention ; voici l’expédient, par lequel ils se flattaient d’arrêter le cours de la division, et de rétablir la concorde ; ils le proposent en ces termes : Il nous semblerait donc, Monsieur, plus à propos de

l’Augustinus de Jansénius. Arguant de ses relations personnelles avec les deux prélats, Saint Vincent leur avait écrit pour solliciter leur adhésion à la supplique des évêques ; la présente lettre est leur réponse. Le saint réfutera leurs assertions dans la lettre à eux adressée en juin 1651 ; le texte en est connu par Abelly (La Vie du Vénérable Serviteur de Dieu, Vincent de Paul. Paris, 1664, 3 livres) livre II, p. 422-426 ; le texte peut être complété et corrigé par celui que donne Collet : t. I, p. 540-544. Coste l’a publié dans son édition : lettre n° 1367, t. IV, p. 204-210. Sur toute cette affaire voir Coste (Le grand Saint du grand Siècle. Monsieur Vincent, Paris, 1932, 3 tomes) t. III, p. 204-210.

 

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travailler à nous joindre tous pour demander au Saint-Siège, que, puisque pour nos péchés les hommes ne sont pas en état de traiter les choses paisiblement… il lui plaise d’envoyer une Bulle, qui défende, sous de très graves peines, à toute personne, de quelque qualité et condition qu’elle soit, d’agiter les questions du temps dans les chaires et dans les écoles, par écrit et de vive voix, en public et en particulier, jusqu’à ce qu’il juge le temps plus propre pour les décider ; et qu’il ordonne cependant aux évêques d’user de censures et autres voies raisonnables, pour la faire observer inviolablement à tout le monde. C’est le tempérament que nous avons cru le plus convenable à l’état présent des choses. Le reste de la lettre ne renferme que des vœux pour la paix, et des preuves de respect et d’attachement pour celui à qui ils écrivent. Nous vous assurons devant Dieu, disent-ils au St Prêtre, que nous conserverons chèrement le souvenir et la reconnaissance des obligations singulières, que nous avons à la grande charité, que vous avez exercée envers nous depuis tant d’années ; et que nous sommes avec tout le respect et l’affection qui nous est possible, Monsieur, vos très humbles serviteurs,

Nicolas, E. d’Alet, François, E. de Pamiers.

 

66. — A EUDO DE KERLIVIO (1), A HENNEBONT

[avril 1651]

Saint Vincent, écrit le 16 avril 1651, à la Sœur Anne Hardemont, supérieure de la maison d’Hennebont, fondée par Eudo de Kerlivio (édition Coste : lettre n° 1342, t. IV, p. 172-174), dans cette lettre nous lisons le passage suivant (p. 172-173) :

"J’ai reçu grande consolation de votre lettre, à cause de celle que vous donne le bon M. Eudo, votre père et bienfaiteur. Je lui fais un mot de remerciement de tant de charité qu’il exerce envers vous et notre sœur Geneviève…

Lettre 66.

1. Sur ce personnage et la fondation d’Hennebont voir la lettre n° 61 de la présente édition.

 

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67. — AU R.P. CHARLES FREMONT (1), DE L’ORDRE DE GRANDMONT

[juin 1651] (2)

Dans l’Histoire [manuscrite] de la Réforme de Grandmont contenant la vie du Très Révérend Père Charles Frémont… composée par f. Pierre Legeay… 1718, (Bibliothèque Nationale. Manuscrits. Fonds français 19682), nous trouvons, à la p. 155 (chap. 3e du livre II du t. I) le texte suivant :

"Il [le P. Frémont] reçut le premier jour de juillet de cette même année 1651, une lettre du B. Vincent de St Paul, instituteur de la Congrégation de St-Lazare, qui le priait de se rendre incessamment à Paris, pour une affaire de conséquence qui concernait la gloire de Dieu, le bien général de l’ordre de Grandmont et le bien particulier de la Réforme, sans lui spécifier autre chose."

Lettre 67.

1. Charles Frémont (1610-1689), religieux de Grandmont ; protégé par le cardinal de Richelieu, il avait pris la tête d’un mouvement de réforme de l’Ordre, en dépit de l’opposition du Supérieur général, le P. Georges Barny ; les monastères gagnés à la Réforme formeront plus tard une branche particulière de l’Ordre de Grandmont. Le P. Frémont s’était lié d’amitié avec Saint Vincent au temps oh il était Supérieur du Collège de Grandmont à Paris. M. Vincent, pendant toute la période où il fut membre du Conseil de Conscience, favorisa efficacement la Réforme de Grandmont, sans pour autant heurter le Supérieur général de l’Ordre. Sur cette affaire voir : Abbé Terre. Saint Vincent de Paul et l’Ordre de Grandmont, article publié dans Mission et Charité. N° 3 (juillet 1961) p. 363-372-

2. Date déduite des premiers mots du passage cité.

 

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68. — LETTRE DU R.P. CH. FREMONT A SAINT VINCENT

[fin octobre ou début novembre 1651 (1)],

Lettre signalée dans un autre passage du manuscrit cité pour la lettre n°67, p.160-161 :

"Dès que le R.P. Charles eut reçu ces deux novices (2), il écrivit au B. Vincent et à l’évêque de Lodève (3), que la Providence l’avait mis en état de pouvoir envoyer des disciples lorsqu’il en aurait le consentement du Général (4)".

 

69. — LETTRE DE FRANÇOIS BOSQUET, évêque de Lodève,

A SAINT VINCENT

Tours, [décembre 1651] (1)

Lettre signalée dans un autre passage du manuscrit cité pour les lettres 67 et 68, p. 161 :

Lu" Ce me ? me prélat [Fr. Bosquet] lui écrivit [au P. Frémont] de Moulins en Bourbonnais, le 24 décembre de la même année 1651 et lui mandait qu’il avait écrit de Tours à dom Georges Barny et à M. Vincent afin qu’il pressât le général de lui envoyer le vicariat (2) qu’il lui avait demandé."

Lettre 68.

1). Date fixée d’après le contexte. Le P. Frémont avait écrit à l’évêque de Lodève au sujet de la même affaire le 28 octobre 1651,

2). Grâce à l’arrivée de ces deux novices, le P. Frémont envisageait, d’accord avec l’évêque de Lodève, de faire passer à la Réforme le Prieuré de Saint-Michel de Lodève ; l’opposition du Supérieur général fut telle que l’union ne se fera qu’en 1679.

3). François Bosquet (1605-1676). Après une brillante carrière administrative, il entra dans les ordres et, en 1648, devint évêque de Lodève, il mourra évêque de Montpellier en 1676.

4). Georges Barny, Supérieur général de l’Ordre de Grandmont.

Lettre 69.

1). Date déterminée d’après le contexte et la succession vraisemblable des événements.

2). Pouvoir de Vicaire avec autorité sur les monastères gagnés à la Réforme. Le P. Barny fit longtemps la sourde oreille ; nous connaissons une lettre que Saint Vincent lui adressa sur le même sujet, le 24 janvier 1652 (édit. Coste, lettre N° 1449, t. IV, p. 309-311)

 

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70. — A ANNE-MARGUERITE GUÉRIN (1), Religieuse de la Visitation (2)

Ce 13 février 1652

Ma chère Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Nos chères Mères qui sont venues du dehors pour traiter des affaires de votre saint ordre avec nos Mères et déposées (3) de vos monastères de cette ville, selon le désir de votre monastère d’Annecy (4), n’ont point voulu recevoir les raisons pour ne pas venir, que vous m’alléguâtes lundi passé, que je vous vis à cet effet, et sont résolues absolument de ne conclure qu’en votre présence les affaires qui leur ont été proposées, et sont résolues de ne s’en pas retourner que cela ne soit ; et elles m’ont fait une si forte instance pour cela, que je n’ai pu leur refuser l’ordre, que je vous envoie par la présente, de vous en revenir céans avec notre chère sœur de Chandenier (5), dès aujourd’hui dimanche par ce carrosse qu’on vous envoie. Venez donc, ma chère sœur, au moment que je vous marque, quelque difficulté qu’on vous propose du contraire. Que si, après avoir fait ici ce qu’il y a à faire, M. de Saint-Nicolas (6) juge que vous puissiez rendre quelques services à nos chères

Lettre 70. — Lettre autographe.

Original au monastère de la Visitation de Boulogne-sur-Mer. Texte publié dans les Annales de la C.M. (1929, p. 724-725).

1). L’adresse manque sur l’original. D’après le texte de la lettre on voit qu’il s’agit d’une ancienne Supérieure du Second monastère de la Visitation de Paris (au faubourg Saint-Jacques) ; il ne peut s’agir que de la Sœur Anne-Marguerite Guérin (1599-1672) ; d’abord religieuse du Premier monastère de la Visitation de Paris (rue Saint-Antoine), elle fut envoyée, comme Assistante de la Supérieure, au Second monastère, lors de sa fondation en 1626 ; elle en fut la Supérieure de 1640 à 1646 ; en 1659, elle sera la première Supérieure du Troisième monastère de la Visitation de Paris (rue Montorgueil). En 1652, elle était à la Visitation du faubourg Saint-Jacques.

2). Depuis 1622 (dès avant la mort de Saint François de Sales) Saint Vincent était Supérieur ecclésiastique de la Visitation du diocèse de Paris ; à mesure que les monastères se fonderont (ils seront au nombre de quatre en 1660) M. Vincent verra croître ses responsabilités et ses charges.

3). Mères déposées. Il s’agit des Supérieurs en exercice et de celles qui, déposées légitimement, à l’expiration de leur mandat, gardaient une certaine influence dans leur monastère.

4). Annecy : première fondation de la Visitation par Saint François de Sales et Sainte Jeanne de Chantal (1612). Bien que chaque monastère fut autonome, la Visitation d’Annecy gardait une prééminence morale dans tout l’Ordre.

5). Marie-Louise de Rochechouart de Chandenier (1620-1694), religieuse de la Visitation, sœur des deux abbés de Chandenier, très liés à Saint Vincent ; deux de ses sœurs la suivront à la Visitation.

6). Hippolyte Féret, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et vicaire général de Paris.

 

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Mères de la Conception, il en sera le maître et ordonnera ce qu’il lui plaira. Et moi, ma chère [sœur], je vous supplie de faire un renouvellement des offres de mes très humbles services à votre chère Mère votre supérieure (7) et à sa chère communauté. Nous vous attendons donc aujourd’hui et vous prie de n’y pas manquer, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, ma chère sœur, votre très humble serviteur,

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

71. — AU COMTE D’ARGENSON (1), Ambassadeur de France à Venise

De Paris, ce 10 mai 1652.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre avec tout le respect et la reconnaissance que je dois à l’honneur de votre souvenir. Je suis indigne du remerciement que vous me faites, tant parce que le sujet ne le mérite pas, que pour l’obligation que j’ai de vous servir ; et c’est, Monsieur, ce que je voudrais faire en chose de plus grande importance. Plaise à Dieu m’en donner les occasions !

Cependant je le remercie de ce que vous avez été reçu avec grand honneur par les Vénitiens et de la grâce qu’il vous a faite, à ce que j’ai appris, de vous mettre en grande considération parmi eux.

Je le prie qu’il bénisse de plus en plus vos conduites et votre maison. Et comme je suis trop chétif pour espérer le bonheur de pouvoir

7). Mère Marie-Agnès Le Roy.

Lettre 71. — Lettre signée ; seule la phrase qui suit la signature est de la main de Saint Vincent. Original aux Archives du Ministère des Affaires Étrangères. Correspondance de Venise. Vol. 84 f° 200.

Texte publié dans les Annales de la C.M. (1927, p. 236-237).

1). René II de Voyer d’Argenson (1623-1700). Ambassadeur à Venise de 1651 à 1655 succédant à son père. De 1655 à sa mort il vécut dans la retraite occupé à de bonnes œuvres ainsi qu’à la composition d’ouvrages de piété. Membre actif et influent de la Compagnie du Saint-Sacrement il est l’auteur des fameuses Annales de la Compagnie… publiées en 1900 par dom Beauchet-Filleau.

 

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faire autre chose pour vous, ni pour elle, je continuerai au moins de vous offrir souvent et tendrement à Notre-Seigneur et à souhaiter avec ardeur de vous rendre mon obéissance.

Je vous supplie très humblement, Monsieur, d’agréer les offres que je vous en fais, qui suis, à la vie et la mort, en l’amour de ce même Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL.

i. p. d. l. M.

Si je pouvais mettre mon cœur dans cette lettre, aussi bien que ses effets pour votre service, je le ferais avec joie.

Au bas de la première page : M. d’Argenson.

 

72. — A LA MÈRE MARIE-AGNÈS CHEVALIER (1)

Religieuse de la Visitation

Juillet 1652 (2)

…et la peine de quitter votre chère maison. Mais quoi ! la dépense n’est pas à considérer en ces occasions ; et la peine vous sera récompensée par la consolation de voir vos chères sœurs (3), qui s’attendent à vous recevoir avec un accueil, une chère (4) et une tendresse que je ne vous puis exprimer. Je vous envoie la lettre que notre chère

Lettre 72. — Lettre signée avec post-scriptum autographe. Original au monastère de la Visitation de Boulogne-sur-Mer. La partie supérieure de cette lettre écrite recto-verso a été coupée, d’où les lacunes. Texte publié dans les Annales de la C.M. (1929, p. 725-726).

1). La lettre ne porte pas de suscription ; d’après le texte on voit qu’elle est destinée à la supérieure d’une communauté religieuse sur laquelle S. Vincent a autorité, d’une communauté qui dut quitter son monastère et se réfugier ailleurs avec ses élèves. Ces indices permettent de penser qu’il s’agit de la Visitation de Saint-Denis, qui fut contrainte pendant les troubles de la Fronde (en juillet 1652) de chercher asile au premier monastère de la Visitation de Paris (rue Saint-Antoine). La supérieure de la Visitation de Saint-Denis était alors la Mère M.-A. Chevalier.

2). Date à laquelle les Visitandines de Saint-Denis durent se replier sur Paris.

3). Sœurs de la Visitation de la rue Saint-Antoine à Paris.

4). Ce mot signifiait alors bon visage, accueil bienveillant.

 

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Mères m’a écrite sur ce sujet et peut-être vous a-t-elle déjà fait tenir le mandement que je lui ai envoyé pour vous. Vous ferez donc bien d’envoyer dès aujourd’hui, si vous pouvez, vos petites filles et quelques-unes de la communauté, comme les…… ma chère Mère, votre très humble serviteur,

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Ce qui fait que je vous donne ce conseil, c’est l’appréhension du retour du danger que vous avez couru et la douleur du mal qu’on vous a fait et non point pour aucune connaissance particulière que je sais de l’état des choses. L’on ne saurait mal faire en pratiquant un conseil de Notre-Seigneur. Et puis, la presse que vous font les parents de vos petites filles (6), qui peuvent savoir plus de nouvelles que moi, me presse moi-même.

 

73. — A CHARLES BAYART (1), Prêtre de la Mission, à Montmirail (2)

7 décembre 1652.

"J’approuve que vous fassiez enfermer le jardin de murailles et y fassiez entrer le petit lopin de terre qui appartient à l’Hôtel-Dieu et qu’en échange vous en achetiez autant près du même Hôtel-Dieu qui servira de jardin aux Sœurs (3) pourvu néanmoins que cela soit trouvé bon par les principaux de la ville, car cet hôpital est au public et nous n’en sommes que les administrateurs qui ne pouvons disposer du fonds.

5). La supérieure de la Visitation de la rue Saint-Antoine, la Mère Louise-Eugénie de Fonteines.

6). Les élèves pensionnaires dont les Sœurs étaient les maîtresses,

Lettre 73. — Copie tirée du Coutumier de Montmirail, conservé aux Archives départementales de la Marne à Châlons. L’original a disparu. Texte publié dans les Annales de la C.M. (1960, p. 314).

1). Charles Bayart, né au diocèse de Soissons en 1617, entré dans la Congrégation de la Mission en 1644 ; depuis 1651, il était supérieur de l’établissement des missionnaires de Montmirail.

2). Localité du département actuel de la Marne, appartenant alors au diocèse de Soissons.

3). Filles de la Charité, établies à Montmirail en 1650, pour le service de l’hôpital.

 

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"La fondation de Montmirail (4) nous oblige aux Missions, à maintenir l’Hôpital, y recevoir les passants et même les malades, et enfin à faire le bien que nous pouvons sur les terres des fondateurs (5) par la visite des malades, par instruire et consoler aux rencontres qui en ont besoin et par les autres bonnes œuvres que les prêtres peuvent et doivent pratiquer. Vous avez bien fait de recevoir à l’Hôpital les trois soldats blessés. Le refus eût scandalisé le peuple et eût fâché M. de Leuze (6). Il vaut mieux excéder en charité que d’en manquer. Ces occasions n’arrivent pas souvent et il n’y a aucune conséquence à craindre."

 

74. — A MARTIN HUSSON (1), à Montmirail

13 avril 1653.

Monsieur,

J’ai offert à Notre-Seigneur, en célébrant la sainte messe, vos peines, vos gémissements et vos larmes ; et moi-même, après la consécration, je me suis jeté à ses pieds, le priant de m’éclairer. Cela fait, j’ai considéré attentivement ce que j’aurais voulu à l’heure de ma mort vous avoir conseillé de faire ; et il me semble que si j’avais eu à mourir au même instant, j’eusse été consolé de vous avoir conseillé d’aller à Tunis (2), pour le bien que vous pouvez y faire, et eusse eu, au contraire, un extrême regret de vous en avoir dissuadé ; voilà sincèrement ma pensée. Vous pouvez, toutefois, ou aller ou ne pas aller.

4. L’établissement des missionnaires date de 1644. 5. La famille de Gondi. 6. Bailli de Montmirail.

Lettre 74. — Publiée dans l’édition des Lettres de Saint Vincent de Paul donnée en 1882 par Pémartin (t. I, p. 467-468) ; citée dans l’édition Coste (t. IV, p. 585, en note) comme étant des paroles prononcées par Saint Vincent. Original perdu,

1). Martin Husson, né en 1623, avocat au Parlement de Paris, était, en 1653, attaché au service de la famille de Gondi. Engagé par Saint Vincent à se charger du consulat de Tunis, "acheté" par la duchesse d’Aiguillon, il partit, en juillet 1653 pour Tunis où il trouva le grand missionnaire Jean Le Vacher, dont il fut lé soutien et l’ami. Il resta en charge jusqu’en 1657 ; de retour en France, il devint intendant de la duchesse d’Aiguillon. Homme savant, pieux et vertueux, il mourut en 1695. Voir son éloge fait par Saint Vincent dans la lettre adressée à Jean Le Vacher, le 15 juillet 1653 (édit. Coste, t. IV, p. 625-626).

2). Dans cette lettre Saint Vincent parle de la proposition qu’il a faite à M. Husson de devenir consul de Tunis et des réticences que celui-ci a opposées

 

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75. — A L’ABBESSE D’ETIVAL (1)

16 juin 1653 (2).

Texte tiré de Collet (3) (t. II, p. 157-158) : "Il [Saint Vincent] écrivit à l’abbesse d’Etival pour l’engager à recevoir une de ses anciennes religieuses, qui prétendait n’être sortie de son prieuré qu’à cause des misères du temps (4), et qui, dans le monde, courait plus de risques que dans son cloître, quelque exposé qu’il fût…"

 

76. — FRANÇOIS HALLIER (1) A SAINT VINCENT

[de Rome], 21 juillet 1653.

Texte tiré de Collet (3) (t. I, p. 558-559). "On reconnut en effet bientôt, et à Paris et à Rome, que les protestations janséniennes n’avaient rien de sincère. Le fameux écrit à trois colonnes, que ces Messieurs (4) répandirent dans tout le royaume, fit juger qu’à l’abri de la condamnation d’un sens purement calviniste, dont il ne s’agissait pas, ils continuaient à soutenir toute l’erreur du sens de Jansénius, dont il s’agissait uniquement, et qui était le seul que le Pape eut voulu condamner. C’est ce que le docteur Hallier explique fort au long dans une lettre, qu’il écrivit à Saint Vincent. Cette lettre, qui est

Lettre 75. — Original perdu. 1. L’abbaye d’Etival (Etival-en-Charnie, diocèse du Mans) était un monastère de religieuses bénédictines. La lettre est sans doute adressée à Claire Nau, abbesse de 1627 à 1660. Saint Vincent avait travaillé à introduire la réforme dans ce monastère, aussi connaissait-il l’abbesse.

2). Date donnée par Collet.

3). Dans sa Vie de St Vincent de Paul (Nancy, 1748, 2 tomes).

4). Probablement les troubles de la Fronde.

Lettre 76. — Original perdu.

1. François Hallier (1595-1659), docteur de Sorbonne, syndic de la faculté de Théologie depuis 1645 ; il deviendra évêque de Cavaillon en 1657. Il avait été dépêché à Rome, en compagnie de Jérôme Lagault et de François Joysel, docteurs de Sorbonne eux aussi, afin de contrecarrer l’influence des docteurs jansénistes qui travaillaient, dans le milieu de la cour romaine, à empêcher le condamnation, puis à en diminuer la portée lorsque celle-ci sera portée par la Bulle Cum occasione du 31 mai 1653, censurant les fameuses "Cinq Propositions", tirées de l’Augusninus de Jansénius.

2). Date donnée par Collet.

3). Dans sa Vie de Saint Vincent de Paul (Nancy, 1748, 2 tomes).

4). Les docteurs jansénistes.

 

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datée du 21 juillet, porte en substance, que les Jansénistes n’ont ni sens ni raison, quand ils tachent à se couvrir par des tergiversations si ridicules ; qu’ils donnent aux propositions (6) des sens tout autres que les paroles ne portent ; que les propositions étant claires, ils s’efforcent de les rendre équivoques et ambiguës par des explications éloignées du sens naturel des paroles, et du sens de Jansénius qu’Innocent X les a condamnées selon le sens de Jansénius, qui est celui qu’elles ont naturellement, selon la signification des paroles ; qu’après avoir entendu les Députés du Parti, il ne les a pas jugés recevables dans leurs sens chimériques ; qu’il a condamné absolument les propositions, comme ne pouvant recevoir aucune explication catholique ; qu’il a témoigné les condamner en tant qu’elles contiennent les opinions de Jansénius, qui sont les mêmes que celles des Jansénistes, comme il appert par leurs Apologies de Jansénius, et le reste de leurs livres ; que le Pape a donné dans sa Bulle un sens à la cinquième proposition, parce qu’il n’était pas contenu dans les paroles, mais seulement en Jansénius, et qu’il la condamne en ce sens, qui est celui du livre et de ses défenseurs ; que pour les autres propositions, il ne les a point expliquées, parce qu’il les a jugées assez claires, et qu’il a vu qu’elles n’avaient besoin d’aucun éclaircissement.

Après avoir prouvé, qu’en suivant la méthode de ces nouveaux docteurs, il n’est point de proposition, quelque mauvaise qu’elle soit, qu’on ne puisse soustraire à la censure, Hallier démontre par un grand nombre de faits, qu’on ne peut douter de l’intention du Souverain Pontife. S’il est vrai, dit-il, que le sens de Jansénius est à couvert, pourquoi donc le Pape a-t-il refusé des Bulles à un homme, dont tout le crime était d’avoir signé l’Augustin de ce Prélat ? Pourquoi a-t-il fait déposer un Général d’Ordre, qui favorisait les Jansénistes ? Pourquoi, sans autre raison, a-t-il relégué à Malte un autre religieux, et fait une rude réprimande au Général des "N" ? Pourquoi a-t-il donné dans le royaume de Naples un évêché à un Augustin, nommé Célestin Brun qui dans les Congrégations avait défendu la vérité catholique, et contre les Jansénistes, et contre son Supérieur même. Tant y a, continue M. Hallier, qu’Innocent X a témoigné vouloir récompenser tous ceux qui ont parlé contre les Novateurs, et défavoriser tous ceux qui étaient pour eux ; et c’est pour cela, ajoute-t-il, qu’il m’a offert l’évêché de Toul ; que sans que j’y pensasse, il m’a donné en Bretagne un prieuré, qui lui était demandé par plusieurs personnes de qualité ; et qu’il a

5). Les "Cinq Propositions".

 

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donné ordre à son Dataire de donner les premiers vacants à MM. Joysel et Lagault. Au reste, dit encore ce docteur, les Jansénistes sentent mieux que personne, que c’est à eux qu’on en veut ; et ce n’est que pour cela, qu’ils se sont enfuis honteusement de Rome, sans saluer aucun des Cardinaux de la Congrégation."

 

77-78. — FRANÇOIS HALLIER et JÉRÔME LAGAULT (1)

A SAINT VINCENT

[de Rome] fin juillet 1653 (2).

Texte tiré de Collet (t. I, p. 560-561).

"Les Députés que le Pape retenait à Rome, et qu’il y comblait de bienfaits, craignirent que Vincent ne se laissât prendre à des marques équivoques de soumission, qu’il n’en crut trop aisément sur leur parole des gens, qui ne devaient être crus qu’à l’épreuve. Hallier et Lagault lui écrivirent donc chacun en particulier : comme leurs lettres sont dictées par le même esprit, nous donnerons tout à la fois un précis de l’une et de l’autre…

Après avoir dit au Serviteur de Dieu, qu’il fait paraître sa charité dans les peines qu’il se donne pour ramener les Jansénistes à la soumission et à l’obéissance, in spiritu lenitatis ; et lui avoir témoigné le plaisir qu’ils ont eu d’apprendre que plusieurs de ceux qui avaient pris un mauvais parti, étaient revenus à l’unité, ils entrent en matière. Ils approuvent extrêmement, qu’on n’insulte pas à ces Messieurs, et qu’on les reçoive avec douceur et respect : mais ils soutiennent en même temps qu’il ne faut ni les employer, ni les conserver dans les places où ils pourraient semer leurs erreurs, à moins qu’ils ne témoignent un véritable repentir du passé ; qu’on se doit défier de ceux qui, après avoir enseigné le Jansénisme, prétendent n’avoir rien enseigné qui soit condamné par la Bulle du Pape ; qu’on doit regarder comme très pernicieux à l’Eglise, ceux qui, pour écarter le vrai, l’unique point de la Censure, ont recours à leur distinction (3) de divers sens

Lettres 77-78. — Originaux perdus. Collet donne des extraits de l’une et l’autre lettres, sans qu’on puisse savoir à qui attribuer les citations textuelles, sauf le dernier passage donné expressément par Collet comme étant de Hallier.

1). Jérôme Lagault. docteur de Sorbonne, mort eu octobre 1653, à son retour de Rome.

2). Date vraisemblable ; la matière de ces deux lettres indique qu’elles suivent de près la lettre du 21 juillet 1653.

3). Allusion à la trop célèbre distinction "du droit et du fait" proposée par Arnauld et Nicole.

 

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ridicules et chimériques ; que quand il s’agit de conserver la pureté de la religion, il faut être raide, et ne plier jamais ; que la plus grande prudence est de n’avoir aucune condescendance pour les personnes, quand par une conduite contraire, on peut exposer au danger les vérités catholiques et les âmes simples ; qu’on sait à Rome et qu’on sait certainement, qu’il y a en France bien des gens disposés à la révolte qu’il est de craindre que la soumission de quelques autres ne soit qu’extérieure ; et qu’enfin la dissimulation est ordinaire aux hérétiques ainsi que le témoigne S. Jérôme par ces paroles : Haeresis semper simulat poenitentiam, ut docendi in Ecclesiis habeat facultatem ne si aperta luce se prodiderit, foras expulsa moriatur… Je vous conjure donc, Monsieur, disait Hallier, de faire vos efforts, afin qu’on ne souffre point, qu’aucun enseigne, prêche, instruise les autres de bouche ou par écrit, si sa conversion n’est bien assurée, et sa droiture reconnue. C’est l’avis de tous les gens de bien de ce pays ; et cet avis est appuyé sur tous les canons ecclésiastiques, et les Règles des Saints Pères… Que si l’on fait autrement, ou l’erreur continuera, ou il couvera quelque temps sous la cendre, pour éclater après avec plus de ferveur. Considérez, s’il vous plaît, cette vérité, et me croyez, Monsieur, votre etc."

 

79. — PIERRE SCARRON (1), évêque de Grenoble, A SAINT VINCENT

1er mars 1654 (2).

Extrait de Faillon, Vie de M. Olier…, 4e édit., Paris, 1873, 3 tomes (t. III, p. 448-449) :

Vers le même temps [1654], M. Pierre Scarron, qui occupait le siège épiscopal de Grenoble depuis trente-trois ans, persuadé que M. Olier (3) malgré ses infirmités, n’attirerait pas moins de bénédictions sur son diocèse, et n’y produirait pas moins de fruits que n’en procurerait l’ouvrier le plus zélé et le plus infatigable, songea à le demander pour coadjuteur. Mais ne doutant point qu’il refusât cette dignité, il écrivit

Lettre 79. — Original perdu.

1). Pierre Scarron, évêque de Grenoble depuis 1620, il le demeurera jusqu’à sa mort (février 1668).

2). Date donnée en marge par Faillon.

3). Jean-Jacques Olier, né à Paris en 1608, ordonné prêtre en 1633, ami et disciple de Saint Vincent, ancien membre des Conférences des Mardis, curé de la paroisse de Saint-Sulpice, à Paris, instituteur de la Compagnie dite de Saint-Sulpice, mort à Paris en 1657.

 

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à la reine (4) de lever elle même tous les obstacles, en faisant à M. Olier un commandement formel d’accepter l’épiscopat ; et pour y mieux réussir, il chargea de sa lettre Saint Vincent de Paul, à qui il écrivit en même temps en ces termes :

"Il y a longtemps, Monsieur, que Sa Majesté, pleine de confiance en votre sagesse et votre prudence, vous a rendu l’arbitre des mérites de tous les ecclésiastiques de son royaume. Ce motif m’a donné le mouvement de vous communiquer un dessein, que Dieu m’a inspiré sur le déclin de mon âge, de partager les soins de mon diocèse avec M. l’abbé Olier. Ses actions sont autant au-dessus de l’envie, que l’estime et la réputation dont il jouit sont au-dessous de la vérité. C’est pourquoi, dans la crainte que j’ai eue qu’il n’opposât sa modestie à ma prière, j’ai recherché le commandement de la reine, pour fortifier la pureté de mon intention, qui a pour objet l’honneur de l’Église et le bien de mon diocèse. Je vous conjure de l’appuyer de votre crédit et de remettre les lettres en mains propres (5)."

Les démarches du prélat ne furent pas suivies de succès.

 

80. — A ÉTIENNE BLATIRON, Prêtre de la Mission, Supérieur à Gênes

14 août 1654 (1)

Texte tiré de Collet (t. II, p. 143-144).

"Il félicita le Supérieur de Gênes [Etienne Blatiron], de ce qu’il avait eu recours à la médiation de ce glorieux Patriarche (2) pour se procurer des ouvriers capables de cultiver la vigne du Seigneur. Il lui conseilla de dire ou de faire dire pendant six mois une messe dans une chapelle qui lui était dédiée : il souhaita que dans ses expéditions apostoliques, il portât les peuples à avoir de la dévotion de la confiance en ce gardien fidèle de la Mère Immaculée de Jésus : ce sont ses termes."

4). La reine-mère Anne d’Autriche.

5). Faillon ajoute en marge après ce texte : Attestations aut., p. 235.

Lettre 80. — Original perdu.

1). Date donnée par Collet.

2). Saint Joseph. Sur la dévotion d’E. Blatiron à saint Joseph (dévotion encouragée par Saint Vincent), voir la lettre n° 1956 (édit. Coste, t. V. p. 462-463).

 

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81. — A EMERAND BAJOUE, Prêtre de la Mission

De Paris, ce 24 novembre 1654.

Monsieur,

La grâce de Notre Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu votre lettre, laquelle m’a beaucoup affligé pour l’indisposition dans laquelle vous êtes. J’espère Monsieur, que l’air d’ici, et l’exercice des fonctions que vous y exerciez ci-devant avec tant de bénédiction feront que vous recouvrerez votre santé.

Pour le fer dont vous avez besoin, l’on vous en fera accommoder un ici, tel qui vous faudra ; vous n’êtes pas seul Monsieur, qui soit attaqué de semblable incommodité ; il y en a même plusieurs dans la Compagnie, et lesquels se servent de pareil remède ; le défunt Roy en avoit un, feu Monsieur Callon s’en servoit aussi, et s’en trouvoient bien.

Vous avez bien raison, Monsieur, de dire que Monsieur du Chesne n’ira pas à Lorm, non certes, Monsieur, il n’ira pas, puisqu’il est allé recevoir la récompense de ses bonnes œuvres. En vérité, Monsieur, la Compagnie perd beaucoup en la mort de ce Serviteur de Dieu, mais que ferons nous à cela, certes rien autre chose, sinon que de nous soumettre au bon plaisir de Dieu, et révérer ses ordres. Je ne vous recommande point de célébrer et faire célébrer par chaque prêtre de la Compagnie les trois messes, que l’on a accoutumé en semblable rencontre, pource que je suis tout assuré que vous n’aurez garde d’y manquer, non plus que nos frères d’offrir une communion et un rosaire à son intention.

J’espère de faire partir, dans quelques jours Monsieur Chrestien et avec lui un bon prêtre d’Annecy pour aller vous relever ; le premier en philosophie et en théologie, et a été curé auparavant son entrée en la Compagnie ; et depuis peu il est de retour de Marseille, où il a exercé l’office de Supérieur avec bénédiction ; j’espère Dieu aidant qu’il fera bien à Lorm, c’est un homme intelligent, et d’une conversation fort douce et agréable ; lorsqu’ils seront arrivés, vous pourrez partir, et vous mettre sur l’eau jusques à Bordeaux ou vous prendrez le carrosse de Bordeaux, qui moyennant vingt-cinq écus y compris votre nourriture par le chemin, vous amenera jusques à Paris, et ainsi, Monsieur, vous n’aurez soin de rien pour

Lettre 81. — Photocopie. Archives de la Mission, Paris.

 

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ce côté là, j’espère de plus que notre Seigneur bénira votre voyage et que nous aurons le bien de vous embrasser ici avec les tendresses que vous pouvez penser, qui suis en l’amour de Notre Seigneur, Monsieur

Monseigneur de Montauban s’en va retourner, je pense que vous ferez bien de remettre entre ses mains la disposition des choses que vous avez, c’est son affaire, il y pourvoira.

Votre très humble serviteur

VINCENS DE PAUL,

p.d.l.m.

Suscription : A Monsieur Monsieur D’Agan Grand vicaire de Montauban pour faire tenir, s’il lui plaît, à Monsieur Monsieur Bajoue, Supérieur des prêtres de la Mission de Lorm, à Montauban.

 

82. — A LA CONGRÉGATION DE LA PROPAGANDE, à Rome.

[1654] (1)

Le Supérieur général de la Congrégation de la Mission, réputant à grand honneur et faveur que la sacrée Congrégation de la Propagande daigne lui commander quelque chose, et étant très disposé à lui obéir dans la demande qu’elle lui fait de M. Jean Leblanc (2) prêtre de ladite Congrégation, pour être envoyé en Ecosse, prend seulement la confiance de représenter à la même sacrée Congréga-

Lettre 82. — Original perdu. Cette lettre a été publiée dans l’édition Pémartin de 1880 (n° 1014, t. III, p. 9-10). Coste ne l’a pas reproduite dans son édition, non par oubli, mais volontairement, car dans sa Table manuscrite de concordance entre l’édition Pémartin et la sienne, il signale, en face du n° 1014 : pas lettre du saint. On ne voit pas pour quelles raisons Coste a rejeté cette lettre. Certains indices font penser que Pémartin n’a pas eu l’original sous les yeux, par exemple, le fait que la lettre est rédigée en français, alors que les autres lettres que nous connaissons, adressées par Saint Vincent à la Propagande, sont rédigées en italien. La situation et les faits auxquels se rapporte la lettre ne cadrant pas exactement avec ce que nous savons de par ailleurs faut-il voir là une raison de douter de l’authenticité ?

1). Date donnée par Pémartin.

2). Jean Leblanc, sans doute s’agit-il de François Leblanc (1620-1679). On ne saurait dire dans quel séminaire il enseignait alors ; quant à ses "douleurs" au bras, elles ont dû cesser, car peu après nous trouvons notre missionnaire en Ecosse ; c’est là d’ailleurs qu’il mourra, en 1679, après deux courts séjours en France.

 

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tion que ledit M. Jean Leblanc ne se trouve pas à Paris, mais dans une autre ville à quelque distance, où ayant commencé à enseigner un cours de théologie morale aux ecclésiastiques qui sont dans le séminaire dirigé par les prêtres de la Mission, il pourrait difficilement en être enlevé sans préjudice de cette maison et de ce séminaire, et sans donner grand déplaisir à l’évêque.

En outre, ledit Jean Leblanc souffre depuis quelques années des douleurs à un bras, avec quelque danger de paralysie ; c’est pourquoi il est estimé peu propre aux fatigues de cette mission d’Écosse qui demande des hommes d’une santé parfaite, vu qu’il leur faut travailler beaucoup, voyager souvent à pied, et être mal nourris et couchés, ce qui ne convient point pour des personnes de mauvaise santé comme lui, l’expérience en ayant été faite dans ceux qui ont abandonné ladite mission par défaut de bonne santé.

Mais ledit Supérieur général a écrit à deux autres prêtres irlandais gens de savoir et de bonnes mœurs, de bonne santé, et zélés pour, le salut des âmes, et il leur a proposé cette occasion de travailler, et quand il aura reçu leur réponse, il donnera leurs noms à Monseigneur le Nonce, afin que, si la sacrée Congrégation le trouve bon, elle choisisse l’un d’eux (3), et puisse prendre des informations. Du reste, ledit Supérieur général est prêt à obéir à ce que commandera la sacrée Congrégation, non seulement au sujet de M. Jean Leblanc, mais encore pour sa propre personne, s’il était propre à servir à quelque chose, sous l’obéissance de la sacrée Congrégation.

3). Sans doute Guy Dermot, dit Duiguin, mort en 1657, aux missions d’Écosse.

 

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83. — A ADRIEN GAMBART (1)

(entre 1650 et 1660)

Si M. Gambart vient aujourd’hui à l’assemblée (3), je lui dirai un mot dans ma retraite et lui rendrai compte de ce qui s’est passé avec M. le Prieur (4). Je lui ai dit, en un mot, que, s’il n’assiste aux conseils de ces bonnes filles (5), ou ne vous y fait assister, que ces conseils seront inutiles et ne serviront qu’à autoriser l’inclination de Mad. de L. (6). A quoi il ne me dit rien, sinon qu’il verrait.

O, Monsieur, que l’esprit religieux est sur ses gardes ! Il sera bon que vous le voyiez ensuite et lui disiez ce que je vous dis.

Suscription : M. Gambart.

 

84. — A MADEMOISELLE DE VILLERS (1), en Pologne

De Paris, ce 16 juin 1656.

Mademoiselle,

Je me donne l’honneur de vous faire ici un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle. Je vous supplie très humblement, Mademoiselle, de l’avoir pour agréable.

Lettre 83. — Billet autographe. Original aux archives de la Visitation de Mons (Belgique). Lettre publiée dans les Annales de la C.M, (1929, p. 728).

1). Adrien Gambart (1600-1668), prêtre du diocèse de Noyon, ami de Saint Vincent, associé pendant un temps à Ses travaux missionnaires ; il n’a jamais fait partie de la Congrégation de la Mission, bien qu’on l’ait parfois affirmé ; il fut pendant longtemps confesseur des Visitandines du deuxième monastère de Paris (faubourg Saint-Jacques) et directeur de la communauté religieuse des Filles de la Providence de Saint-Joseph.

2). Il est impossible de préciser davantage.

3). Assemblée tenue à Saint-Lazare, probablement réunion des prêtres de la Conférence des Mardis.

4). Peut-être Claude de Blampignon (1611-1669), prêtre du diocèse de Troyes membre des Conférences des Mardis, visiteur général des Carmélites de France confesseur des Visitandines du premier monastère de Paris (rue Saint-Antoine) prieur de Bussière-Badil, au diocèse de Limoges.

5). Peut-être les religieuses de la Visitation.

6). Peut-être Mademoiselle de Lamoignon, dont les rapports avec la Visitation étaient très étroits.

Lettre 84. — Lettre autographe. L’original se trouvait en 1926 entre les mains de Mgr Jarlin, vicaire apostolique lazariste de Pékin. Texte publié dans les Annales de la C.M. (1926, p. 428-429), avec un commentaire succinct ; nouvelle publication, après révision d’après une photographie, dans les Annales de la C.M. (1937, p. 238).

1). Mlle de Villers, dame d’honneur de Louise-Marie de Gonzague, reine de Pologne ; elle mourra en 1658.

 

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L’on a fait courir en cette ville des bruits qui nous affligeaient (2). Béni soit Dieu de ce que M. Ozenne (3) nous a soulagés par les bonnes nouvelles qu’il nous a écrites (4) ! O mon Dieu, Mademoiselle, que mon cœur est attendri toutes les fois que je pense au roi (5) et à la reine (6), qui est plus souvent que tous les jours ! Je les offre incessamment à Notre-Seigneur, tout chétif que je suis, et votre chère personne bien souvent.

Plût à Dieu, Mademoiselle, que j’eusse le bonheur qu’a M. Ozenne d’être auprès de la reine, pour admirer la force et la bonne conduite de cette incomparable princesse, comme vous faites ! Je ne puis vous exprimer les merveilles qu’on nous en dit, ni à quel point Notre-Seigneur m’a fait votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENS DE PAUL,

prêtre de la Mission.

Suscription : A Mademoiselle de Villers près la reine de Pologne

2). Allusion aux nouvelles de la situation périlleuse du royaume de Pologne par suite de l’invasion du pays par les Suédois.

3). Charles Ozenne, né à Nibas (diocèse d’Amiens) en 1613, ordonné prêtre en 1637, entré dans la Congrégation de la Mission en 1638, envoyé en Pologne dès 1653, par Saint Vincent, pour prendre la tête de la Mission lazariste eu ce pays, mort à Varsovie en 1658.

4). Allusion a la lettre de Ch. Ozenne, datée du 11 mai 1656, à laquelle Saint Vincent répondit le 9 juin suivant ; Ch. Ozenne (on le déduit de la réponse du saint) signalait une certaine rémission dans les calamites qui, depuis l’année 1655, affligeaient la Pologne.

5). Jean-Casimir, roi de Pologne (1609-1672).

6). Louise-Marie de Gonzague (1612 env.-1667), Dame de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Paris jusqu’à son mariage, en 1645, avec Ladislas, roi de Pologne ; veuve en 1648, elle devint l’épouse de Jean-Casimir, frère et successeur de Ladislas ; elle introduisit dans sa nouvelle patrie, en 1651, les Prêtres de la Mission et, en 1652, les Filles de la Charité.

 

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85. — SÉGUIER, Théologal de Paris, à SAINT VINCENT

30 juillet 1656

Suivant la parole que Monseigneur de Meaux (1) vous a donnée ce matin de vous faire savoir sa résolution sur l’affaire dont vous avez pris la peine de lui parler, il m’a recommandé de vous écrire pour vous dire qu’il consentait à ce que Monsieur Des Lions (2) et vous désirez de lui en cette occasion sur la parole que vous lui donnez de la disposition dudit sieur qui ayant été inconnue jusqu’ici, ledit seigneur ne pouvait agir autrement avec M. Des Lions. Ce n’est pas qu’il ne lui fâche fort de faire une brèche à la discipline qu’il prétend faire en son diocèse, mais il considère tellement la personne dudit sieur qu’il espère que le bien dont vous lui faites concevoir l’espérance récompensera abondamment le préjudice que pourra souffrir présentement la bonne cause, mais il me semble, sauf votre meilleur avis, qu’il serait à propos de faire connaître à Monsieur Des Lions que sans fondement il se pique de ce qu’on lui a demandé accusant ceux qui lui ont écrit et le Conseil de M. de Meaux. Comme si on lui avait tendu un piège, puisque, à moins des circonstances et exceptions particulières qui étaient cachées et secrètes aux uns et aux autres, on ne lui a rien demandé que de juste et nécessaire. Si vous ne jugez pas à propos de lui toucher ce point, M. Grandin (3) le pourra faire dans sa réponse, cela pourra servir à mettre son esprit plus en repos. Je vous baise très humblement les mains et demeure, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

SÉGUIER, Théologal de Paris.

Lettre 85. — Lettre autographe. Original à La Haye (Pays-Bas) : Algemeen Rijksarchief. P.R. 888. Photographie aux Archives de la Congrégation de la Mission à Paris. Texte publié dans les Annales de la C.M. 1947/1948, p. 312.

1). Dominique Seguier (1595-1659), frère du Chancelier, nommé évêque d’Auxerre en 1631, transféré à Meaux en 1638 ; il conservera ce siège jusqu’à 1659 et mourra à Paris la même année.

2). Jean Des Lions. né à Pontoise en 1615, doyen théologal de Senlis en 1638, exclu de la Sorbonne en 1656 à cause de ses sympathies jansénistes. M. Vincent fit de grands efforts pour l’amener à se soumettre à l’autorité de l’Église, surtout au cours des années 1656 et 1657. Sur cette affaire voir Coste (P.) Le grand Saint du grand Siècle, Monsieur Vincent, t. III, p. 202-204). J. Des Lions est l’auteur de plusieurs ouvrages de morale et de spiritualité. Il mourut à Senlis en 1700.

3). Martin Grandin, né à Saint-Quentin en 1604, docteur de Sorbonne en 1638. Professeur et directeur apprécié, il fut le conseiller de nombreux ecclésiastiques. Adversaire du jansénisme, puis du gallicanisme. Auteur d’une Théologie en 5 volumes (Paris. 1710-1712). Mort en 1691.

 

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86. — A JEAN DES LIONS, Doyen de Senlis

De Paris, ce dimanche, entre une et deux heures, 30 juillet 1656.

Monsieur,

Je ne vous puis exprimer la douleur que cette dernière croix dont Notre-Seigneur vous a exercé m’a affligé, ni combien la consolation m’a été sensible que votre commandement de vous servir en cette affaire, m’a apporté ; je vous en remercie très humblement et vous supplie de ne me pas épargner en toutes rencontres.

D’abord que je vis votre lettre je me défiai que je pusse obtenir de M. de Meaux ce que je lui demanderais, et pensai comme je dis à ce bon Monsieur présent porteur ma petite pensée, ce matin, M. Leschassier est venu auquel j’ai dit ma difficulté, il est tombé dans mon avis, mais la rédaction de la lettre que vous avez écrite à M. Grandin nous a détournés de cette résolution, et je suis allé chez M. Grandin pour m’expliquer avec lui de cette affaire, mais ne l’ayant pas rencontré, je suis allé trouver Mgr de Meaux, et lui ai dit la chose en sa substance et en ses circonstances, mais non pas le secret. Je l’ai trouvé dans l’estime de votre personne, et que je lui disais vrai, et que n’était le désir qu’il m’a dit qu’il avait d’en conférer avec ces Mrs les Docteurs pour faire toutes choses dans les circonspections convenables, il m’aurait dit le bon mot. Il estime votre personne et l’aime, il m’a dit ensuite qu’il croyait que je lui disais vrai, et qu’il en conférerait avec ces Mrs les Docteurs, et me donnerait avis de ce qu’il aurait résolu.

En descendant de sa chambre, j’ai rencontré M. le Théologal auquel pour abréger je vous dirai que j’ai dit ce que j’ai rapporté à mondit Seigneur de Meaux, mais il m’a paru un peu plus ferme, et que cela allait contre la résolution prise de ne pas donner ses chaires pour prêcher à ceux qui refuseront de signer la censure (1) et que néanmoins Mgr de Meaux pourrait dire qu’il ne savait pas cette conclusion, et qu’il le verrait. Je pense qu’il a dîné avec lui.

En m’en revenant j’ai eu diverses pensées sur le sujet de M…. (2) présent porteuret de son retour, la première a été de la retenir, mais après y avoir repensé, j’ai cru qu’il était expédient de vous remercier

Lettre 86. — Donnée ici d’après une copie figurant aux Archives royales de La Haye (Pays-Bas) : Algemeen Rijksarchief. Fonds O.B.C. Amersfoot. Texte publié dans les Annales de la C.M. 1947/1948, p. 313-314.

1). Sans doute la censure de la Sorbonne de janvier 1656 excluant Antoine Arnauld du nombre de ses Docteurs. Dans le scrutin qui précéda cette censure Des Lions avait refusé de voter contre Arnauld, ce qui lui valut d’être exclu à son tour.

2). Le nom a été rendu illisible.

* le texte porte "rédention" ; il faut lire évidemment "rédaction". Cl. L.

 

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aujourd’hui afin que vous m’envoyiez entre ci et demain à huit heures une lettre à Mgr de Meaux par laquelle vous le priez de vous excuser de ce que quelque petite incommodité qui vous empêche de faire la prédication jeudi, quoi qu’on ait demandé de sa part, et ce que je lui ferai rendre. S’il me fait une réponse contraire, voire même de lui envoyer à Meaux s’il était parti. Voilà, Monsieur, ma petite pensée sur ce sujet, et un renouvellement que je vous fais ici de mon obéissance, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

 

87. — A MARIE-ANTOINETTE BRIDOUL (1), Abbesse des Brigittines d’Arras

[début octobre 1656] (1)

Extrait de a Abrégé de la Vie de la vénérable dame Marie-Antoinette Bridoul, très digne abbesse du Monastère de Notre-Dame de la Sainte-Espérance". (Lille 1667, 110 p.) :

"Sur la fin de sa vie, elle [Marie-Antoinette Bridoul] fit écrire au R.P. Vincent de Paul, fondateur et premier supérieur général des missionnaires en France, espérant que ce saint personnage lui donnerait quelque bon conseil et soulagement, comme il fit en effet. Mais sa réponse ne fut reçue qu’après la mort de cette bonne Mère que Dieu voulut encore sevrer de cette joie et consolation. Après un compliment fort civil et respectueux, le R.P. déclare qu’il avait conçu un grand désir de la pouvoir soulager, aider et servir, du moins par ses prières, comme j’ai fait, dit-il, avec notre Communauté, afin qu’il plaise à la divine bonté de vous relever de vos peines ; elles me semblent si sensibles que je vous porte compassion. Je parle selon la chair, car selon l’esprit, je vous estime heureuse d’être éprouvée de la sorte, puisque ce traitement

Lettre 87. — Original perdu. Des passages de la lettre de Saint Vincent sont enchâsses dans le texte donné ici. Cet extrait de l’"Abrégé… " a été publié avec une introduction dans les Annales de la C.M. (1959, p. 399-401).

1).A. Bridoul, née à Lille en 1590, entrée chez les Brigittines d’Arras, elle y fit profession eu 1611 ; élue abbesse en 1623, elle demeura en charge jusqu’à sa mort, le 13 octobre 1656.

2). Date conjecturale, après les données fournies par le texte publié ici : "Sur la fin de sa vie" (terminée le 13 octobre 1656) ; d’autre part la réponse de M. Vincent n’est arrivée qu’après la mort de M. A. Bndoul.

 

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rigoureux n’arrive qu’aux âmes que Dieu chérit et sur lesquelles il a des desseins extraordinaires. Je n’ai jamais vu personne de mauvaise vie être travaillée de ces afflictions parce que N.S. ne le permet qu’aux âmes qu’il veut sanctifier. Et après l’avoir encouragé de belles raisons sur l’exemple de notre Sauveur, il achève sa lettre disant que ce lui sera un surcroît de bonheur qu’elle ne pourra connaître que dans le ciel, si elle meurt sur cette croix ; sa patience sera couronnée et les douleurs changées en félicités éternelles. Vivez, lui dit-il, dans cette espérance et demeurez humblement soumise à la conduite amoureuse de votre divin époux, en qui je suis, etc."

 

88. — A JEAN DES LIONS, Doyen de Senlis

De Paris, ce 22 octobre 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais !

Voici ce que m’écrit le Supérieur de la maison de la Congrégation de la Mission de Rome (1) au sujet que vous savez. Le retardement vient de la peste, dont cette ville-là est travaillée, qui a fait cesser les assemblées et a rendu l’accès de Sa Sainteté plus difficile. J’ai fait faire un extrait de toutes les lettres que m’écrit ce bon Supérieur depuis la réception de votre lettre, que je vous envoie, comme aussi le Décret de la Congrégation des Cardinaux établie pour l’approbation des livres. Ce n’est pas celle de l’Inquisition, à ce qu’on m’a dit, mais une autre érigée à cet effet, à cause de la difficulté qu’on fait de recevoir ce qui s’ordonne par l’Inquisition aux pays où elle n’est pas introduite.

Le prêtre auquel M. Jolly a confié votre lettre est chapelain secret du Pape, et très bon serviteur de Dieu ; il a beaucoup de bonté pour nous, à cause qu’il a travaillé en Hibernie d’où il est, avec les Prêtres de la Mission que nous avions envoyé en ces pays-là, et est fort estimé du Pape. J’espère qu’il nous fera avoir réponse du Pape, ou de son Secrétaire d’État (2).

Lettre 88. — Donnée ici d’après une copie figurant aux Archives royales de La Haye (Pays-Bas) : Algemeen Rijksarchief, fonds O.B.C. Amersfoort Texte publié dans les Annales de la C.M. 1947/1948, p. 314-315.

1). Edme Jolly, né en Doue-en-Brie (diocèse de Meaux) en 1622 entré dans la Congrégation de la Mission en 1646, ordonné prêtre en 1649, supérieur de la maison de Rome en 1655, assistant général de la Congrégation en 1661, élu supérieur général en 1673, mort en 1697.

2). Giulio Rospigliosio (1600-1669), choisi comme Secrétaire d’État par le Pape Alexandre VII aussitôt après son élection (1655) créé Cardinal en 1657 il succéda à Alexandre VII en 1667, sous le nom deClément IX.

 

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Depuis ce dessus écrit, j’ai reçu la réponse que le Secrétaire du Pape nous fait par ordre de Sa Sainteté. Je ne puis vous exprimer la consolation que j’en ai reçue, j’espère que celle que vous recevrez ne sera pas moindre, je vous supplie, Monsieur, de m’en faire part. Voici le moment venu auquel j’espère que Notre-Seigneur vous comblera de nouvelles grâces, notamment celle de retirer du danger de la voie de perdition les âmes qui semblent être au bord du précipice de leur damnation, et c’est ce que j’espère de la bonté de Dieu qui semble être le premier mobile de la conduite de cette œuvre, en considérant l’ordre que sa Divine Providence a tenu pour le mener au point qu’il est, et à l’estime que ceux à qui il a été nécessaire de communiquer votre lettre, ont conçu de vous, Monsieur, et l’espérance qu’ils ont que vous êtes capable de ramener les personnes engagées au parti contraire, ou une bonne partie, à l’union indissoluble avec leur chef, et c’est ce que je demande à la bonté infinie de Notre-Seigneur en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre…

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je vous supplie de me renvoyer le décret de la censure, j’ai promis à une personne de considération de la lui faire voir.

 

89. — A JEAN MARTINI, Prêtre de Mission, Supérieur a Turin

De Paris, ce dixième novembre 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais. !

Puisque le commerce de Gênes est interdit en Piémont, en sorte qu’il est difficile que de longtemps vous puissiez recevoir M. Vincenzo Greco (2), nous tâcherons de pourvoir à votre besoin par un autre moyen, et c’est en vous envoyant un prêtre d’ici. Nous avons la _

Lettre 89. — Lettre signée. Original dans les Archives du Conseil Supérieur des Conférences de Saint Vincent de Paul à Gênes. Photographie et traduction italienne dans les Annales della Missione, 1948,

Texte avec la disposition et l’orthographe de l’original publié dans les Annales de la C.M. 1947/1948, p. 3481. Supérieur de Turin depuis 1655. 2 Vincenzo Greco prêtre italien dont on sait seulement qu’il venait de Rome. qu’il travaillait à Gênes en 1656 ; il n’est pas certain qu’il ait été agrégé à la Congrégation de la Mission.

 

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pensée de vous donner un autre Savoyard, et Dieu aidant, nous ferons partir, la semaine qui vient, sans remise, ou lui ou quelqu’autre qui soit capable de vous soulager. Monseigneur le Marquis (3) a eu raison de désirer que vous soyez secouru, et je l’ai souhaité, depuis longtemps dans la crainte que vos grandes missions ne vous accablent. Je vous prie au nom de Notre-Seigneur de ne vous surcharger pas, mais de modérer vos travaux, quelque concours qu’il y ait. M. de Musy (4) est maintenant auprès de vous si quelque accident ne lui est arrivé. Les autres qui partirent de céans avec lui sont heureusement arrivés à Marseille, et je prie Dieu qu’il vous fasse parvenir au comble des consolations que mon cœur vous désire, en répandant ses abondantes bénédictions sur votre personne, sur votre famille, sur vos conduites et sur vos emplois. Je suis en lui votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, Supérieur des Prêtres de la Mission de Turin, à Turin.

 

90. — A JEAN DES LIONS, Doyen de Senlis

De Paris, ce 22 novembre 1656.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais

J’ai une très grande confusion de ce que me voici en demeure vers vous depuis la Toussaint pour ne vous avoir écrit, et, quelque excuse que je vous pourrais donner, j’aime mieux recourir au pardon que je vous demande pour cela, accompagné de regret et de bon propos de m’amender, avec l’aide de Dieu, et de faire une autre fois toutes choses à point nommé, que vous me ferez l’honneur de me commander

Voici, Monsieur, la pensée de M. de Saint-Nicolas (1) au sujet de l’affaire dont il est question. Il pense que vous ferez bien, Monsieur,

3). Philippe de Simiane, Marquis de Pianezza, homme d’État piémontais (1608-1677), fondateur de la maison de Turin en 1655. 4. M. de Musy, prêtre, entré dans la Congrégation de la Mission en 16 placé à Turin en 1656, il quitta la Congrégation l’année suivante.

Lettre 90. — Donnée ici d’après une copie figurant aux Archives royales de La Haye (Pays-Bas) : Algemeen Rijksarchief, fonds O.B.C. Amersfoort Texte publié dans les Annales de la C.M. 1947/1948, p, 315-316

1). Hippolyte Feret, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris. Il travailla en compagnie de M. Vincent à ramener certains jansénisants, entre autres Des Lions, à la soumission aux décisions du Saint-Siège.

 

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d’user de cette occasion pour la plus grande gloire de Dieu et pour l’édification de son Église, selon que votre zèle et votre sagesse le trouveront convenable.

Et que si vous le trouvez bon, qu’il sera à propos d’écrire à ce Seigneur (2) et l’inviter à se déclarer par quelque lettre, ou à Sa Sainteté (3), ou, ce qui paraît suffire, à quelqu’un de ses amis en cette ville, comme il se soumet sincèrement et absolument à la Constitution du défunt Pape (4) et au petit Bref (5) envoyé depuis ladite Constitution, par lequel Sa Sainteté a déclaré d’avoir condamné la doctrine de Jansénius, dans les cinq propositions et au sens de Jansénius, et généralement à tout ce que le Pape défunt a ordonné, et ce que le présent ordonnera sur cette matière, sans aucune réserve, même aux décrets qu’a faits la Congrégation de l’Index.

Voilà, Monsieur, le sentiment de ce bon serviteur de Dieu, auquel souscrit celui qui est indigne de cette qualité, et auquel vous souffrez, celle de, Monsieur, votre…

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

91. — A JEAN DES LIONS, Doyen de Senlis

De Paris, ce 11 décembre 1656.

Monsieur,

Votre lettre du 26 novembre m’a fait aviser de faire chercher, parmi les miennes, les dernières de Rome, qui parlent de celle que vous y avez écrite, dont je vous envoie les extraits. Je n’avais pas seulement oublié de les faire chercher, selon votre premier commandement, mais j’avais même perdu les espèces de ce qu’on m’avait mandé sur ce sujet, en sorte que je pensais qu’elles ne contenaient rien qui méritât de vous être connu, mais la lecture que je viens d’en faire m’a convaincu du contraire ; et je serais bien marri, Monsieur, que ce que M. Jolly (1)

2). Probablement le duc de Liancourt.

3). Alexandre VII, Pape de 1655 à 1667.

4). Constitution "Cum occasione" d’Innocent X, du 31 mai 1653, condamnant les cinq propositions tirées de l’Augustinus.

5. Constitution "Ad sacram beati Petri Sedem", d’Alexandre VII, du 16 octobre 1656.

Lettre 91. — Donnée ici d’après une copie figurant aux Archives royales de La Haye (Pays-Bas) : Algemeen Rijksarchief, fonds 0, B.C. Amersfoort,

Texte publié dans les Annales de la C.M. 1947/1948, p. 316.

1). Edme Jolly, supérieur de Prêtres de la Mission à Rome.

 

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a mis en la dernière fût demeuré dans l’obscurité. C’est un homme si candide et si judicieux en tout ce qu’il écrit et d’ailleurs si craignant Dieu, qu’il dit les choses comme il les voit et les connaît, et toujours au sens plus véritable. Si bien, Monsieur, que vous pouvez croire à ses paroles, comme à l’évidence de ces choses mêmes, si elles vous étaient présentes. Or ces extraits ont été tirés mot à mot et syllabe à syllabe. Plus je pense à cette affaire, et plus j’y vois le doigt de Dieu, et grande apparence qu’il en veut le succès pour sa gloire et l’édification de son Église. Si vous jugez que mon entremise puisse quelque chose vers le Seigneur (2) que vous savez, je m’y emploierai au temps et en la manière que vous m’ordonnerez, désirant de vous obéir en tout.

C’est votre.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

92. — HENRI DE BOURBON (1), Abbé de Saint-Germain-des-Prés,

A SAINT VINCENT

[entre le 2 et le 13 avril 1657] 2.

Extrait de Faillon, Vie de M. Olier… 4e édition, Paris, 1873, 3 tomes (t. III, p. 478).

"Car ce fut lui [M. Vincent] qui fortifia les disciples de M. Olier dans la résolution de ne pas abandonner ce dessein [l’œuvre du Séminaire de Saint-Sulpice], et qui présida l’assemblée qu’ils tinrent, le 13 du même mois [avril], pour le choix de son successeur. Ce choix ne devait pas être la matière d’une longue délibération, M. de Bretonvilliers (3,) que le défunt avait désigné avant sa mort, fut en effet nommé sur-le-champ et d’une voix unanime. Mais pour attirer la bénédiction de Dieu sur cette première élection, et y procéder avec plus de confiance, ces ecclésiastiques désirèrent que saint Vincent de Paul y fut présent, et qu’il y assistât au nom et de l’autorité de l’abbé de Saint-Germain, leur supérieur. Ce prélat lui écrivit en ces termes :

2). Probablement le duc de Liancourt.

Lettre 92. — Original perdu. Faillon l’a probablement vu car il signale en marge : Lett. aut. de Henri de Bourbon à Saint Vincent.

1). Henri de Bourbon (1600-1682), fils naturel de Henri IV, évêque de Metz sans avoir reçu les ordres) de 1612 à 1652, abbé commendataire de Saint-Germain-des-Prés de 1623 à 1669.

2). La lettre n’a pu être écrite qu’entre la mort de M. Olier (2 avril 1657) et l’élection de son successeur (13 avril de la même année).

3). Alexandre Le Ragois de Bretonvilliers (1621-1676), né et mort à Paris, continua l’œuvre de M. Olier et présida à l’expansion de la Compagnie de Saint-Sulpice.

 

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J’ai été averti de la perte de M. Olier, supérieur du Séminaire du faubourg Saint-Germain ; et comme ces Messieurs n’ont point voulu procéder à une nouvelle élection sans me le faire savoir, et m’ont fait l’ouverture de vous prier de vouloir les assister dans cette occasion, et autoriser de votre présence une action qui n’a d’autre but que la plus grande gloire de Dieu, je vous conjure, pour l’amour de moi, de ne leur point refuser ce secours, espérant que Dieu favorisera leur dessein, et que vous serez le moyen dont il se servira pour y parvenir.

 

93. — A JEAN DES LIONS, Doyen de Senlis

De Paris, ce 6 avril 1657.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais.

Voici une lettre que Mgr l’évêque de Pamiers (1) m’a adressée pour la vous faire tenir ; ma misère a fait que vous ne l’avez reçue plus tôt. Je vous en demande très humblement pardon

Voici aussi la Bulle de Notre Saint Père le Pape (2), qui confirme celles d’Innocent X et des autres Papes qui ont condamné les opinions du temps. Je crois, Monsieur, que vous la trouverez telle qu’il ne vous restera plus de lieu de douter, après l’acceptation et publication de Nosseigneurs les Prélats, tant de fois assemblés sur ce sujet, et depuis peu Nosseigneurs de l’Assemblée du Clergé qui en ont fait imprimer une relation (3), laquelle je vous aurais envoyée, n’était la créance que

Lettre 93. — Donnée ici d’après une copie figurant aux Archives royales de La Haye (Pays-Bas) : Algemeen Rijksarchief, fonds o.s.c. Amersfoort. Texte publié dans les Annales de la C.M. 1947-1948, p. 317-322. Abelly (La vie du vénérable serviteur de Dieu, Vincent de Paul… Paris, 1664. 3 livres), livre II, p. 436-438, a reproduit les principaux passages de cette lettre, non sans leur avoir fait subir des retouches pleines de signification. Coste, dans son édition des lettres de S. Vincent (lettre n° 2238, t. VI, p. 266-270), a reproduit ce texte en lui assignant la date du 2 avril. Nous croyons utile de donner le texte intégral de la lettre d’après la copie de La Haye, qui a toutes chances d’être plus proche de l’original perdu.

1). François-Étienne de Caulet (1610-1680), évêque de Pamiers depuis 1645 il se classait alors parmi les adversaires du jansénisme ; par la suite il changea de camp.

2). Constitution d’Alexandre VII "Ad sacram beati Petri sedem" du 16 octobre 1656.

3). L’Assemblée du Clergé avait, en 1657, envoyé à tous les évêque de France le texte de la constitution "Ad sacram".

 

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j’ai que vous l’avez déjà vue, et enfin après la Censure de Sorbonne (4), et la lettre qui vous a été écrite par ordre de N.S. Père (5). Selon cela, Monsieur, j’espère qu’à ce coup, vous donnerez la gloire à Dieu et l’édification à l’Église, que chacun attend de vous en cette occasion, car d’attendre davantage, il est à craindre que l’esprit malin qui emploie tant de souplesse pour éluder la vérité, ne vous mette imperceptiblement en l’état que vous n’aurez plus la force de la faire, pour ne vous être pas prévalu de la grâce, ensuite d’un si longtemps qu’il y a qu’elle vous sollicite par des moyens si suaves et si puissants que je n’ai pas ouï dire que Dieu en ait employé de tels à l’égard de qui que ce soit de ce côté-là.

De dire, Monsieur, que les miracles que fait la Sainte Épine à Port-Royal (6), semblent approuver la doctrine que se prêche en ce lieu-là, vous savez celle de Saint Thomas qui est que jamais Dieu n’a fait des miracles pour confirmer les erreurs, fondé sur ce que la vérité ne peut autoriser le mensonge.

Or, qui ne voit que les propositions dont il s’agit, soutenues par ce parti-là, sont de cette nature, puisqu’elles sont condamnées par le Souverain Pontife et que Saint Augustin dit sur ce même sujet : Locutus est Petrus sufficit.

Je vous envoie un imprimé qui a été fait au sujet de ces miracles, qui fait voir comme les miracles ne sont pas des marques infaillibles de la sainteté des personnes qui les font, ni des lieux où ils se font. J’y ajoute une autorité de Jansénius, évêque d’Ypres, dans son Commentaire sur les Évangiles (7), dont le témoignage ne peut être reproché par ceux qui, pour le soutenir, paraissent disposés à tout perdre, et jusqu’à leur propre salut. Il dit au 7e chapitre sur Saint Mathieu, verset 22 sur ces paroles : Multi dicent mihi in illa die : "Daemonia ejicere, virtutes multas facere, id est multa effecta virtutis seu potestatis

4). Peut-être la censure d’exclusion prononcée par la Sorbonne contre Arnauld et ceux des Docteurs qui refusaient d’accepter la Constitution "Cum occasione", du 31 mai 1653 par laquelle Innocent X condamnait les Cinq Propositions extraites de l’Augustinus (janvier 1656).

5). Des Lions avait promis sa soumission aux décisions du Saint-Siège si le Pape répondait à ses objections ; M. Vincent. probablement, provoqua une réponse à Des Lions. écrite au nom du Pape ; en dépit de cela Des Lions demeura intraitable.

6). Allusion au miracle survenu à Port-Royal de Paris, le 24 mars 1656 (guérison de Marguerite Périer, nièce de Pascal). Ce miracle divisait l’opinion : les jansénistes y voyaient une sanction divine à leur résistance ; les adversaires du jansénisme proclamaient la supercherie ou l’illusion ; d’autres, plus prudents se contentaient de préciser la portée réelle du miracle.

7). Tetrateuchus sive Commentarius in quatuor Evangelia, publié à Louvain en 1639 (1 vol. in 4°).

 

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divinae, quae non sunt alia quam multiplicia miracula : quod enim in parte dixerat, generaliter concludit intelligi autem debent verae prophetiae, verae daemonum ejectiones, verae virtutes et miracula. Non enim necesse est ut mentiri intelligantur, qui ista sive voce, sive cogitatione dicturi sunt, nam omnia ista ab improbis fieri posse exemplo Balaam et Caiphae et filiorum Scevae et aliorum patrum ; unde Basilius in Moralibus Reg. 7 vocat ea dona spiritualia quibue occulto Dei consilio ornari sinantur improbi, sed vanam istorum fiduciam esse, si fidei non adsit vita proba, declarat Christus."

D’attendre que Dieu vous envoie un ange pour vous éclaircir davantage, il ne le fera pas ; il vous renvoie à l’Église, et l’Église assemblée à Trente vous renvoie au Saint-Siège, au sujet dont il est question, ainsi qu’il paraît par le dernier chapitre de ce Concile (8).

D’attendre que le même Saint Augustin revienne s’expliquer lui-même, Notre-Seigneur nous dit que si l’on ne croit aux Écritures, l’on ne croira pas à ce que les morts ressuscités nous diront (9), et s’il était possible que ce grand Saint revînt, il se soumettrait, comme il a fait d’autrefois, au Souverain Pontife.

D’attendre le jugement de quelque faculté de théologie fameuse qui décide encore cette question, où est-elle ? On n’en connaît point dans l’État du christianisme une plus savante que celle de Sorbonne, dont vous êtes un très digne membre.

D’attendre d’un autre côté qu’un grand Docteur et très homme de bien, vous marque ce que vous avez à faire, où en trouverez-vous un, en qui ces deux qualités se rencontrent mieux qu’en celui à qui je parle.

Il me semble, Monsieur, que j’entends que vous me dites que vous estimez ne devoir pas vous déclarer si tôt afin d’amener avec vous quelques personnes de condition (10). Cela est bon, mais il est à craindre que pensant sauver du naufrage ces personnes-là, ils ne vous entraînent et noient avec eux. Je vous dis ceci avec douleur, d’autant que leur salut m’est aussi cher que le mien et que je donnerais mille vies pour eux, si je les avais. Il semble que votre exemple les fera bien plutôt revenir que tout ce que vous leur pourriez dire.

Tout cela donc posé, au nom de Dieu, Monsieur, ne différez plus cette action qui doit être si agréable à sa divine bonté, il y va de la risque de votre salut, et vous avez plus de sujets de la craindre, que la plupart de ceux qui trempent dans ces erreurs, parce que vous en

8). Décret de Réforme générale publié dans la dernière Session du Concile de Trente (3 décembre 1563).

9). Évangile selon Saint Luc, chap. XVI, vers. 30-31.

10). Saint Vincent vise ici sans doute le duc et la duchesse de Liancourt.

 

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avez reçu, et non pas eux, un éclaircissement particulier de la part de Notre Saint-Père. Quel déplaisir auriez-vous, Monsieur, si remettant plus longtemps à vous déclarer, on venait à vous y contraindre, ou à vous déclarer contre, ainsi que la résolution en a été prise par Nosseigneurs les Prélats. C’est pourquoi je vous supplie, au nom de Notre-Seigneur, de vous hâter, et de ne pas trouver mauvais que le plus ignorant et le plus abominable des hommes vous parle de la sorte. Si des bêtes ont parlé et des méchants prophétisé, je puis vous dire la vérité, surtout en vous disant ce que vous diraient notre Saint-Père et tous les Prélats du Royaume, s’ils vous parlaient en ce sujet. O ! Monsieur, que ce vous sera un grand sujet de consolation au jugement que Dieu fera de vous sur cette matière, quand vous penserez que vous avez préféré celui du Souverain Pontife et des Prélats, à l’opinion d’une poignée d’esprits.

Plaise à Dieu, Monsieur, qu’il vous parle lui-même efficacement et vous fasse connaître le bien que vous ferez en vous hâtant de lui donner gloire en cette occasion.

Car outre que vous vous mettez en l’état auquel Dieu vous demande, il y a sujet d’espérer qu’à votre imitation, une bonne partie de ces personnes-là reviendront de leur égarement, et au contraire, vous pourrez être cause qu’ils y demeureront. Si vous retardez ce dessein, et je crains sensiblement et avec sujet que vous ne l’exécutiez jamais, ce qui me serait une affliction mortelle, à cause que vous estimant et vous affectionnant au point que je fais, et ayant eu l’honneur de vous servir en la qualité que j’ai fait, je ne pourrais sans une extrême douleur vous voir sortir de l’Église. J’espère que Notre-Seigneur ne permettra pas ce malheur, comme je l’en prie bien souvent, qui suis en son amour, Monsieur, votre…

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Si vous n’avez à faire de cette Bulle, je vous supplie de me la renvoyer comme aussi l’imprimé et si vous n’avez vu la relation qu’ont faite MM. de l’Assemblée touchant des opinions, je la vous enverrai.

 

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94. — LE CHANOINE PIERRE DUCASSE (1) A SAINT VINCENT

A Aire, ce 18 mai 1657.

Monsieur et Très Honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît !

J’ai reçu le paquet qu’il vous a plu m’adresser à Bordeaux, chez M. de Fonteneil (2), avec quatorze pièces de mission (3), parmi lesquelles je n’en ai trouvé qu’une seule des pièces ordinaires de la mission, qui est celle de la confession. J’espère, Monsieur, que vous m’accorderez la grâce que je vous ai demandée par plusieurs lettres, de me faire tenir les autres qui servent à une mission régulière. Plaise à Notre-Seigneur Jésus-Christ, chef de tous les missionnaires, de vouloir, s’il lui plaît, départir ses bénédictions sur nos desseins. Je vous supplie, par les entrailles de sa charité, de recevoir un petit présent, que je vous envoie pour gage de l’affection que je conserve pour votre congrégation très ecclésiastique, c’est un testament solennel, dans lequel je la prie d’accepter mes petits biens, pour les employer en des missions pour ce pauvre pays. J’en ai envoyé un autre à M. de Fonteneil, qui contient la même chose, afin que l’un ou l’autre se trouve après ma mort. Je vous supplie de faire consulter si vous pouvez tenir ledit testament sans vous préjudicier, d’autant que votre communauté y est instituée héritière, car si cela était, vous le pourriez mettre en dépôt entre les mains de quelque personne qui vous soit affidée.

M. de Tastet, que vous avez autrefois vu chez feu Monseigneur le Cardinal de Richelieu, a demandé avec instance que je vous présentasse

Lettre 94. — Lettre autographe. Original aux Archives nationales (Paris) : S. 6699 (liasse d’Aire).

1). Chanoine théologal du diocèse d’Aire qui avait songé à entrer dans la Congrégation de la Mission et qui, pendant un temps, travailla avec les missionnaires (Cf. Saint Vincent, t. IV, p. 333, 568, 569)

2). Jean de Fonteneil (né vers 1605, mort en 1679), vicaire général du diocèse de Bordeaux, instituteur en 1636 d’une communauté de prêtres séculiers : Les Missionnaires du Clergé, dont les œuvres, missions et séminaires, étaient analogues à celles de la Congrégation de la Mission. Vincent de Paul et Jean de Fonteneil se connaissaient et s’estimaient, leur correspondance en témoigne. En 1682, les Prêtres du Clergé (titre sous lequel on les connaissait alors) cédèrent leurs œuvres aux Prêtres de la Mission de Saint-Lazare.

3). Il s’agit du texte des sermons prêchés par les Missionnaires Lazaristes.

 

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ses respectueux baisemains ; c’est ce que je fais avec votre permission, et avec la même, je prendrai toujours la qualité de, Monsieur et Très Honoré Père, votre très humble et très obéissant enfant et serviteur,

DUCASSE, i.p.d.l.m.

Je vous supplie, Monsieur, de me donner dans ce coin la liberté de saluer votre communauté et de vous supplier de prendre la peine de me faire savoir lorsque ce paquet vous sera rendu.

Suscription : A Monsieur, Monsieur Vincent, Supérieur général des Prêtres de la Mission, à Saint-Lazare-les-Paris.

 

95. — A PIERRE CABEL (1), Prêtre de la Mission, Supérieur à Sedan

De Paris, ce 2 décembre (1657) (2)

Je prie M. Cabel de voir MM. des Maretz (3), fils de M. l’Intendant (4) de M. le duc de richelieu (5), qui portent les armes dans la citadelle de Sedan (6), et de leur offrir ses services et ceux de la maison, et de

Lettre 95. — Lettre autographe. Original conservé à la Maison-Mère des Sœurs de Saint-Joseph à Montréal (Canada). Texte publié avec l’orthographe et la disposition de l’original dans les Annales de la C.M., 1961, p. 222. Photographie aux archives de la Maison-Mère des Prêtres de la Mission à Paris.

1). Pierre Cabel, né en 1617 à Chézery (diocèse de Genève, département actuel de l’Ain), ordonné prêtre en 1642, entré dans la Congrégation de la Mission en 1643, placé à Sedan en 1643, nommé supérieur de cette maison en 1657, mort à Paris en 1688.

2). Sur la feuille d’adresse une note ancienne donne l’année 1657 ; rien ne s’oppose à ce que cette date soit exacte.

3). On ne sait rien de ces personnages, fils de Jean Desmaretz de Saint-Sorlin sinon qu’ils servaient alors dans un régiment en garnison à Sedan.

4). Jean Desmaretz de Saint-Sorlin (1595-1676), homme de lettres de l’entourage du Cardinal de Richelieu ; peu après la mort de celui-ci (1642) il se retira chez le duc de Richelieu qui fit de lui son intendant ; auteur spirituel diversement apprécié. Tant qu’il subit l’influence de Monsieur Vincent, qu’il appellera (en 1668) son "bon Père spirituel" et qu’il dira avoir consulté souvent, Desmaretz se maintint dans des voies à peu près sages, après la mort de Saint Vincent, il se laissa aller, sur le plan religieux et spirituel comme sur le plan littéraire, à des bizarreries qui ont fait croire qu’il avait plus ou moins perdu la raison. Son ouvrage capital, Les Délices de l’esprit (apologie poétique du christianisme), parut en 1658.

5). Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu (1631-1715), petit-neveu du cardinal de Richelieu, général des Galères de 1653 à 1661.

6). Les Missionnaires étaient établis à Sedan depuis 1643, l’année précédente, la principauté de Sedan avait été annexée au royaume de France ;

 

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prier MM. Michel (7) ou servant (8) de les entretenir dans l’esprit de piété et de dévotion et à la hantise des Saints-Sacrements, tous les mois une fois ; et j’assure mondit sieur Cabel que lui et lesdits sieurs Michel ou Sevant qu’ils me consoleront plus que je ne leur puis exprimer, parce qu’ils me donneront moyen de reconnaître en quelque façon les infinies obligations que nous avons à mondit sieur des Maretz le père.

VINCENS DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Cabel, Supérieur des Prêtres de la Mission à Sedan.

le roi, par sa fondation de 24 000 livres, avait voulu procurer des missions et par-là, sinon convertir de suite les Calvinistes à la foi catholique, du moins confirmer les catholiques dans leur foi. Le gouverneur, Abraham Fabert, et une solide garnison devaient gagner les cœurs et les esprits à la France, donc logiquement, dans la pensée d’alors, au catholicisme romain. Saint Vincent recommande aux Missionnaires d’aider les catholiques à devenir meilleurs et par le spectacle d’une vie réellement chrétienne, faire tomber les préventions des Calvinistes.

7). Guillaume Michel, né en 1607 à Esteville, diocèse de Rouen, entré déjà prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1646.

8). Jean Servant (il signait Sevant), né en 1617 à Caen, diocèse de Bayeux, entré dans la Congrégation de la Mission en 1654, mort à Richelieu en 1665.

 

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96. — A JEAN PARRE (1), Frère de la Mission, à Rethel (2)

A Paris, ce 15 décembre 1657.

Mon cher Frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

Notre assemblée (3) d’hier vous a ordonné trois cents livres pour les besoins du quartier de Rethel, vous les prendrez, s’il vous plaît, et en tirerez lettre de change sur Mlle Viole (4). Votre missive du 6 me donne sujet de louer Dieu du voyage que vous avez fait pour le soulagement du pauvre peuple, et des forces qu’il vous donne pour lui continuer vos services. Plaise à sa divine bonté de vous donner ses bénédictions de corps et d’esprit.

Je suis, en son amour, mon cher frère, votre très affectionné serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A notre Frère, le Frère Jean Parre, de la Congrégation de la Mission à Rethel.

Lettre 96. — Lettre signée. Original chez les Prêtres de la Mission de Florence (Italie). Texte publié dans les Annales de la C.M.,1947-1948, p. 310. Photographie aux Archives de la Maison-Mère des Prêtres de la Mission à Paris.

1). Jean Parre, né en 1611 à Châtillon-en-Dunois, diocèse de Chartres, entré en 1638 dans la Congrégation de la Mission en qualité de Frère coadjuteur, mort après 1660. Il fut l’un des auxiliaires les plus précieux de Saint Vincent (tout comme le Frère Mathieu Regnard) pour enquêter sur les besoins des pauvres dans les provinces dévastées par la guerre (Picardie et Champagne) et pour distribuer les secours conformes aux besoins.

2). Rethel, ville des Ardennes, qui avait beaucoup souffert de la guerre, surtout depuis 1651. Les Frères Regnard et Parre y firent plusieurs séjours pour organiser la répartition des secours envoyés de Paris. Le Frère Parre y institua la Confrérie de la Charité.

3). Il s’agit de l’Assemblée des Dames de la Charité qui, quoique sollicitées de partout, se montrèrent à plusieurs reprises généreuses pour soulager la misère qui régnait à Rethel.

4. Marguerite Deffita, veuve de Jacques Viole, Dame de la Charité, intelligente et active ; elle était très appréciée de Monsieur Vincent ; morte à Paris en 1678.

 

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97. — A LA MÈRE MARIE-AGNÈS LE ROY (1) Religieuse de la Visitation

De Saint-Lazare, ce 18 décembre 1658.

Ma chère Mère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

M. Bucher (2) vint céans hier au matin, qui me parla en mêmes termes qu’il vous a parlé, disant qu’il ne vous veut donner que 15 000 livres, qu’il veut une prompte résolution ou, autrement, qu’il est résolu de retirer sa fille. Je vous avoue que j’ai été surpris de ce propos, aussi bien que vous, quoique je fusse auparavant en quelque défiance de ce qu’il ferait. Et partant, ma chère Mère, je ne vois pas qu’on puisse s’attendre autre chose de lui, ni qu’il soit disposé à une remise. C’est pourquoi vous ferez bien de prendre les avis de vos conseillères (3) pour savoir ce que vous avez à faire, et lui donner une réponse résolutive, telle qu’il la demande. Je ne vous dirai rien sur la somme que vous devez demander, parce que je n’ai jamais voulu me mêler de la dot des filles. Mais, quant à la personne, je ne puis vous celer que la qualité de l’esprit du père me fait appréhender celui de la fille ; vous y veillerez (4).

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous fasse connaître et suivre sa volonté. Vous me ferez savoir la résolution que vous aurez prise s’il vous plaît, afin que, lorsque ledit sieur Bucher me viendra revoir, comme il m’a dit le vouloir faire, je me comporte selon cela.

Pour Mlles de Bouillon (5), il me semble que vous ferez bien de vous excuser sur leur réception. Je sais bien qu’elles sont bien bonne et qu’il leur serait bien avantageux de passer quelque temps chez vous pour se rendre meilleures. Je considère aussi la circonstance

Lettre 97. — Lettre signée. Original aux Archives du Monastère de la Visitation de Mons (Belgique). Texte publié dans les Annales de la C.M., 1929, p. 726-728.

1). Marie-Agnès Le Roy, née à Mons (Belgique) en 1603, entrée à la Visitation de Paris (premier monastère, rue Saint-Antoine), transférée au second monastère de Paris (faubourg Saint-Jacques), dès sa fondation en 1626 ; elle gouverna ce monastère pendant dix-huit ans, avec des interruptions ; elle y mourut en 1669.

2). Père d’une jeune fille qui avait manifesté le désir d’entrer à la Visitation du faubourg Saint-Jacques.

3). Première rédaction : de votre communauté ; la correction est de la main de Saint Vincent.

4). Après avoir écrit cette phrase (à partir de : Mais, quant…) Saint Vincent la barra ; nous l’insérons quand même ici, car elle reflète la pensée du saint.

5). Il s’agit des filles de Frédéric-Maurice de la Tour, duc de Bouillon : Louise, Emilie-Léonor et peut-être Hippolyte.

 

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que vous me marquez, que cette retraite les mettrait à couvert de la hantise et du dessein de Mme la maréchale de Turenne (6), leur tante, qui est de la religion prétendue (7). Mais, comme ce n’est que pour trois mois qu’elles se veulent retirer et qu’elles se réservent la liberté de sortir quand il leur plaira, je pense qu’il y aura moins d’inconvénient à les remercier qu’à les recevoir pour si peu de temps et sous cette condition d’aller et de venir.

Voilà mon sentiment et voici que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, ma chère Mère, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Je vous prie de ne me point nommer en faisant la réponse à ces demoiselles.

J’oubliais à vous dire que M. Bucher m’a dit qu’encore qu’il ne promette que 15 000 livres à sa fille, son dessein est pourtant de n’en demeurer pas là ; mais il ne veut s’engager à rien. Il a une maison de 20 000 écus (8) et il m’a dit qu’il lui en voulait conserver la moitié. Il me dit hier qu’il a encore un fils, âgé de vingt et un ans, qui est à Lyon, qui veut entrer à l’Oratoire, et, cela étant, qu’il pourra égaler ses enfants au partage de ses biens.

Je ne sais si vous devez faire quelque fondement là-dessus.

Il m’a dit, de plus, que, si son fils se retire, Madame sa femme est résolue de se retirer chez vous. Pesez ceci devant Dieu avec vos conseillères, ma chère Mère (8).

Suscription : A ma chère Mère, la Mère supérieure du faubourg Saint-Jacques.

6). Charlotte de Caumont, mariée à Henri, vicomte de Turenne, maréchal de France, morte en 1666.

7). Sous-entendre : réformée ; c’est par cette expression qu’on désignait alors souvent le protestantisme.

8). L’écu valait 3 livres, la livre à peu près 10 de nos francs 1970.

9). Ces deux dernières phrases sont de la main même de Saint Vincent.

 

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98. — A JEAN PARRE, Frère de la Mission, à Saint-Quentin

De Paris, ce 16 août 1659.

Mon très cher Frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je pense que vous avez raison de remettre vos exercices jusqu’à ce que vous ayez fait ce qui vous a été ordonné par Mgr l’Évêque de Noyon à Notre-Dame de la Paix à l’égard de la distribution des semences dont je vous ai écrit, et aussi pour ce qui regarde la distribution des aumônes des pauvres malades et visiter la Charité de Dames de Reims, Rethel et les autres.

Je suis bien consolé de ce que vous me dites de divers soulagements que les malades trouvent à la Sainte Chapelle de Notre-Dame de la Paix.

Les Dames se proposent de faire un effort en faveur des églises ruinées, mais comme elles sont très peu en nombre, et que celui des églises et la ruine de la plupart est très considérable, je doute bien qu’elles puissent faire grand-chose.

Ce bon homme de Saint-Quentin qui veut être ermite, que vous m’avez adressé fait sa retraite pour examiner sa vocation. Je crains bien qu’il n’y ait assez de fermeté pour une condition si sujette aux diverses agitations de l’esprit.

M. l’Archidiacre de Noyon m’écrit l’histoire de l’invention de cette sainte image de Notre-Dame.

Mandez-moi, s’il vous plaît, si la dévotion du peuple continue et les effets de leur dévotion (2).

Lettre 98. — Lettre signée. Original possédé en 1934 par Mme Whitney-Hoff ; un catalogue de sa collection a été publié à Paris, en 1934, sous le titre : Lettres autographes composant la collection de Mme Whitney-Hoff. Cet ouvrage donne, p. 110, un fac-similé de la présente lettre. Texte publié avec l’orthographe de l’original dans les Annales de la C.M., 1936, p. 699-700.

1). Henri de Baradat, évêque de Noyon de 1626 à 1660, avait demandé au Frère Parre de mettre bon ordre à la dévotion mal réglée du peuple, qui se manifestait au sanctuaire de Notre-Dame de la Paix, à l’occasion de la distribution des secours.

2). Ces trois derniers mots sont de la main de Saint Vincent.

 

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Offrez-nous, s’il vous plaît, à Dieu, par sa sainte Mère ; priez pour notre cher Frère du Corneau (3) que nous avons envoyé prendre l’air pour quelque incommodité qu’il a, et pour moi, qui suis le plus misérable pécheur du monde (4).

Votre frère et serviteur,

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A notre cher Frère Jean Parre, de la Congrégation de la Mission, étant à présent à Notre-Dame de la Paix, proche Saint-Quentin, à Saint-Quentin.

 

99. — AU R.P. HILARION (1) à Rome

De Paris, ce 12 septembre 1659.

Mon Révérend Père,

J’apprends par la plupart des lettres que m’écrit le Supérieur de la Mission de Rome (2), que nous contractons tous les jours de nouvelles obligations envers Votre Révérence, par les grâces indicibles qu’elle nous fait incessamment, et que, depuis peu, le Saint-Siège nous a accordé par votre moyen deux brefs (3) considérables,

3). Bertrand Ducournau, né en 1615 à Amou, diocèse de Dax, entré en 1644 dans la Congrégation de la Mission en qualité de Frère coadjuteur, mort en 1677 à Saint-Lazare qu’il n’avait pratiquement jamais quitté, sinon pour raison de santé. Son intelligence et son savoir-faire l’avait fait choisir, par Saint Vincent, pour son secrétaire, dès 1645 ; il le demeura jusqu’à la mort du saint.

4). Ces deux derniers mots sont de la main de Saint Vincent.

Lettre 99. — Lettre signée. Original à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan : Manoscritti, B 264, folio 355, recto et verso. Texte publié, d’après une minute (plus longue que l’original) conservée au

Archives de la Mission, dans l’édition Coste : lettre n° 2978, t. VIII, p. 122-123. Les Annales de la C.M.,1951, p. 375-376, ont publié le texte de cette lettre d’après la Vita del P.D. Ilarione Rancati… scritta dal P.D. Angelo Fumagalli (Brescia, 1762), p. 120. A noter que ce texte, tantôt se rapproche de la minute, tantôt s’en éloigne pour devenir conforme à l’original. Photographie aux Archives de la Maison-Mère des Prêtres de la Mission, à Paris.

1). Bartolomeo Rancati, né à Milan en 1594, entré chez les Cisterciens en 1608 (c’est alors qu’il changea son nom de baptême en celui d’Ilarione, Hilarion). Employé à diverses fonctions dans plusieurs Congrégations romaines, il eut l’occasion de rendre service à telle ou telle Communauté, en particulier à celle des Prêtres de la Mission. Mort à Rome en 1663.

2). Edme Jolly.

3). Parmi ces deux Brefs, il y a probablement le Bref A lias nos, du 12 août 1659, déterminant le statut de la pauvreté dans la Congrégation de la Mission.

 

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de quoi, mon Révérend Père, je remercie Votre Révérence, avec le respect et l’affection que je le puis. Mais d’autant que je ne suis pas digne de lui faire un remerciement proportionné à tant de bienfaits, je prie Notre-Seigneur qu’il en soit lui-même votre rétribution dans le ciel. Qu’il conserve Votre Révérence longuement sur la terre, et que les grands biens qu’elle y fait, aillent croissant à la gloire de Dieu et à l’édification de toute l’Église selon le souhait de votre zèle incomparable. Nous prierons Dieu aussi, mon Révérend Père, qu’il nous fasse la grâce de vous rendre quelque petit service, particulièrement moi, qui vous renouvelle les offres de mon obéissance avec toute l’humilité et la reconnaissance que le peut, en l’amour de Notre-Seigneur, mon Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la mission.

Suscription (au bas de la première page) : le R.P. Hilarion.

 

100. — A JEAN PARREI, Frère de la Mission à Saint-Quentin

De Paris, ce 20 septembre 1659.

Mon cher Frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous remercie des messes que vous avez fait dire pour nos malades et de la chemise que vous m’avez envoyée, que j’ai reçue. M. Perraud l’a prise. Dieu veuille qu’elle lui profite !

Dieu soit béni des bénédictions qu’il donne à la dévotion de Notre-Dame de la Paix et aux soins que vous en avez !

Lettre 100. — Lettre signée. Original à la Bibliothèque Vaticane. Texte publié dans les Annales de la C.M., 1934, p. 649-652. L’édition Coste (lettre n° 2984, t. VIII, p. 129) donne un résumé et un extrait de cette lettre d’après un catalogue de Laverdet, marchand d’autographes, qui l’avait mise en vente en 1855.

1). Pour les faits et personnages mentionnés dans cette lettre, on peut se reporter à la lettre 96 de la présente édition.

 

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Vous irez, quand il vous plaira, du côté de Laon et de Rethel.

J’ai fait tenir votre lettre à Mlle Viole. Les Dames n’ont rien ordonné.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, mon cher Frère, votre très affectionné serviteur,

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A mon frère, le Frère Jean Parre, de la Mission, à Saint-Quentin.

 

101. — A EDME JOLLY, Prêtre de la Mission, Supérieur a Rome

[fin septembre-début octobre 1659 (1).

Je vous enverrai le Règlement des Filles de la Charité et l’approbation que Mgr le cardinal de Retz en fit à Rome (2), une copie des Lettres Patentes et de leur enregistrement au Parlement, afin de voir comment il faut dresser l’approbation (3). Nous venons d’en

Lettre 101. — Lettre autographe.

Original en possession (1945) de M. l’Abbé Auzou, prêtre du diocèse de Paris. Texte publié avec l’orthographe et la disposition de l’original dans les Annales de la C.M., 1945-1946, p. 199. Coste, dans son édition (lettre n° 2994, t. VIII, p. 138), eu avait donné un résumé d’après le catalogue de Laverdet, marchand d’autographes (janvier 1854).

1). Coste "cerne" ainsi la date vraisemblable de cette lettre : "Cette lettre a été écrite peu de jours après le 12 septembre 1659, date du départ des sœurs pour Narbonne, et avant que le saint eût résolu de différer au printemps l’envoi des Filles de la Charité destinées à la Pologne, par suite avant la lettre 2996 (3 octobre 1659)".

2). Jean-François-Paul de Gondi, cardinal de Retz, après son évasion (8 août 1654) s’était réfugié à Rome, sans cependant renoncer à son siège archiépiscopal de Paris. C’est là que Saint Vincent avait obtenu de lui l’approbation de la Communauté des Filles de la Charité et de son Règlement général (18 janvier 1655).

3). Saint Vincent voulait obtenir la sanction du Saint-Siège, car l’approbation par l’archevêque de Paris était susceptible de révision ; en effet, un nouvel archevêque pouvait supprimer ce que son prédécesseur avait établi et approuvé.

 

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faire partir quatre (4) ; partie pour Narbonne et partie pour Cahors ; et, dans peu de jours pour la Pologne ; et le moyen de diriger tout cela que par l’attribution de l’autorité de Sa Sainteté.

J’attends l’extra tempora pour notre frère Arthurs.

M. Etienne (4) se dispose pour Madagascar [ainsi que] MM. Boussordec (7) et Feydin (8).

Suscription [au dos] : à Monsieur Monsieur Jolly.

 

102 A JEAN GICQUEL (1), prêtre de la Mission

De Paris, ce 27 septembre 1659.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nos malades sont toujours fort incommodés : M. Perraud en danger ; M. Le Soudier pas tant M. Berthe et M. Martin ont la fièvre quarte à Turin ; M. Alméras est incommodé et notre frère

4). Il s’agit des Filles de la Charité.

5). Arthur (Nicolas), né en 1632 à Cork (Irlande), entré dans la Congrégation de la Mission en 1654, ordonné prêtre en 1659 ; c’est en vue de cette ordination hors des temps prévus, que Saint Vincent sollicite la faveur d’un extra tempora.

6). Etienne (Nicolas), né en 1634 à Paris, entré dans la Congrégation de la Mission en 1653, ordonné prêtre en 1659, parti pour Madagascar en 1660, puis en 1663, il y mourut assassiné en 1664.

7). Boussordec (Charles) né en 1609 à Châtelaudren, diocèse de Tréguier entré dans la Congrégation de la Mission en 1654, mort en 1665 sur les côtes du Cap Vert, se rendant à Madagascar.

8). Feydin (François), né en 1620, à Allanche, diocèse de Clermont, ordonné prêtre en 1645, entré dans la Congrégation de la Mission en 1653, fut à plusieurs reprises désigné pour la mission de Madagascar, mais fut, chaque fois, empêché d’y parvenir ; il quitta la Congrégation ; en 1705, il est curé dans le diocèse d’Arras ; il dépose alors au Procès informatif commencé en vue de la béatification de Monsieur Vincent.

Lettre 102. — Lettre autographe, connue seulement par une photographie dont la provenance est ignorée ; la photographie semble avoir été prise sur un fac-similé inconnu. Rien ne permet de douter de l’authenticité de cette lettre.

1). Gicquel (Jean), né en 1617 à Miniac, diocèse de Saint-Malo, ordonné prêtre en 1642, entré dans la Congrégation de la Mission en 1647, mort en 1672.

 

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Ducournau aussi, le vôtre se porte assez bien, Dieu merci ; M. Etienne est à Nantes avec MM. Daveroult (2), Feydin et notre frère Patte (3) attendant que le vaisseau soit en état de faire voile Et moi, Monsieur, je [vous] salue très humblement avec toutes les tendresses de mon cœur, qui suis votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : M. Gicquel.

 

103. — LETTRE D’HENRI ARNAULD (1), évêque d’Angers, à SAINT VINCENT

[1659] (2)

Texte tiré de Grandet : (3)…

"Avant de revenir en Anjou, il [P. Maillard] (4) voulut faire une retraite à Saint-Lazare sous la conduite de Monsieur Vincent, qui goûta si fort son esprit et sa piété, qu’il pensa dès lors à l’attacher à sa congrégation. Ce dessein aurait sans doute réussi parce que M. Maillard y avait beaucoup de penchant […] Monseigneur […] écrivit […] à Monsieur Vincent pour le prier de dire de sa part à M. Maillard de venir travailler dans son diocèse. Monsieur Vincent n’eut pas plutôt reçu cette lettre qu’il la porta à M. Maillard […] M. Maillard regardant la volonté de son prélat comme celle de Dieu ne balança pas à partir. Il vint à Angers promptement, et fut reçu au séminaire vers la fin de l’année 1659…"

2). Daveroult (Pierre), né en 1614 à Béthune, diocèse d’Arras, ordonné prêtre en 1638, entré dans la Congrégation de la Mission en 1653. Désigné pour Madagascar à deux reprises, il dut chaque fois revenir en France sans avoir pu atteindre l’île.

3). Patte (Philippe), frère coadjuteur, né en 1620 à Vigny, diocèse de Rouen entré dans la Congrégation de la Mission en 1656. Associé aux travaux missionnaires de M. Etienne à Madagascar, il fut, avec lui, massacré en 1664.

Lettre 103. — Lettre perdue, connue seulement par l’allusion de Grandet.

1). Arnauld (Henri) 1597-1692, membre de la célèbre famille Arnauld (Antoine, la Mère Augélique, etc.), évêque d’Angers de 1649 à sa mort. Excellent évêque réformateur.

2). Date probable d’après le texte même cité ici.

3). "Mémoires de Joseph Grandet". Histoire du Séminaire d’Angers depuis sa fondation en 1659 jusqu’à son union avec Saint-Sulpice en 1695, publiée pour la première fois d’après le manuscrit original par G. Letourneau. Angers-Paris, 1893, 2 tomes. Le texte cité est tiré du t. 1, p. 12.

4). Maillard (Pierre), prêtre séculier du diocèse d’Angers, pour lors à Paris il revint à Angers en 1659, fut pendant plus de vingt ans supérieur du Séminaire d’Angers et mourut en 1692.

 

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104. — A GABRIEL DE LESPINAY (1), Prêtre de la Mission, à Marseille

De Paris, ce 2 janvier 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

Je prie Dieu qu’avec cette nouvelle année, Il nous donne un renouvellement d’esprit en l’amour du sien. Avant de répondre à votre lettre du 23 décembre, je vous dirai qu’il a plu à Dieu de nous ôter le bon M. Perraud qui décéda vendredi dernier. Nous devons nous entretenir à ce soir des vertus que Dieu lui a fait la grâce de pratiquer. Il a beaucoup souffert pendant cinq mois ou environ qu’il a été malade. Il y a sujet de croire après un si long purgatoire qu’il est maintenant bienheureux. Aussi a-t-il vécu et fini comme Notre-Seigneur, en travaillant et mourant pour le salut des âmes. Vous ne laisserez pas, s’il vous plaît, Monsieur, de prier et de faire prier Dieu pour la sienne.

Avant que d’avoir reçu votre lettre où vous parlez de M. de Pourrade pour le faire élire administrateur (2) Mgr le duc de Richelieu (3) m’avait envoyé la lettre qu’il écrit à MM. les Administrateurs par laquelle il leur mande qu’il a choisi MM. Négriau et de Saint-Jacques ; pour le moins, M. Desmaretz (4) m’a ainsi écrit, et ainsi il n’est plus temps de penser à d’autres, si ce n’est qu’il y ait de si notables empêchements pour mettre ceux-là en exercice que ces Messieurs jugent à propos de lui en nommer de nouveau quatre, et en ce cas, il faudrait procéder selon les formes accoutumées et mander à ce bon Seigneur les raisons de cette nouvelle élection.

Lettre 104. — Copie tirée du "Recueil Nodet" constitué à Marseille, au plus tard à la Révolution, vraisemblablement cédé par M. Messonnier dernier Supérieur lazariste de Marseille, à son parent, M. Nodet ; passé de mains en mains, il finit par se perdre… ; avant sa disparition, on eu avait pris de très fidèles copies qui furent trouvées en 1941. L’histoire de ce recueil est retracée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 228-230. Par recoupements, on peut constater la fidélité des copies : les originaux écrits sans doute par le frère Ducournau, secrétaire de Saint Vincent étaient fort lisibles, La copie de la présente lettre, dont l’original a disparu a été publiée dans les Annales de la C.M., p. 231-232.

1). Gabriel de Lespinay, né à Grandchamp, diocèse de Lisieux, entré prêtre dans la Congrégation de la Mission eu 1645, supérieur de la maison de Marseille de 1659 à 1660.

2). Il s’agit, dans ce paragraphe, de l’administration de l’Hôpital des Galériens de Marseille.

3). Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, général des galères de 1643 à 1661.

4). Jean Desmaretz de Saint-Sorlin, intendant de la maison du duc de Richelieu. Voir les notes 4 et 5 de la lettre 95 de la présente édition.

 

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Il ne faut pas penser à l’acquisition de la maison qui a vue sur votre jardin : elle est trop chère et nous n’avons pas de quoi la payer, mais nous avons de quoi honorer la sainte pauvreté de Notre-Seigneur. Nous le ferons donc s’il vous plaît en cette occasion.

M. Boussordec est revenu de mission (5). Nous le ferons reposer quelques jours ; l’hiver est si rude de deça que je fais conscience de l’engager à un si long voyage que celui de Marseille et pendant ces grands froids.

Vous avez bien fait, Monsieur, de donner quelque consolation spirituelle aux pauvres des galères à l’occasion des fêtes de Noël, nonobstant les misères des corps où ils sont réduits qui semblent les rendre incapables d’instruction. J’espère que Dieu en aura tiré du fruit, et qu’il ne laissera pas sans récompense les peines que vous y avez prises.

Je suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

J’écris à M. Huguier (6) que nous avons reçu deux écus pour Barriot, forçat sur le Richelieu.

 

105. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission, à Marseille

De Paris, ce 9 janvier 1660.

Monsieur,

Je prie Notre-seigneur qu’en Monsieur, cette nouvelle année, il renouvelle nos cœurs en son esprit, et qu’Il nous unisse en lui pour toute l’éternité.

Avant de répondre à votre dernière lettre, je m’en vas vous faire part de ma joie, n’ayant pas voulu en donner la semaine dernière à mon affliction, quoi qu’elle fut grande. Je pensais néanmoins être

5). Charles Boussordec était désigné pour Madagascar ; peu avant cette désignation, il "missionnait" avec ses confrères de la maison de Richelieu, Ch. Boussordec connaîtra plusieurs départs pour Madagascar (1655, 1660, 1664). aucun n’aboutira puisqu’il mourra au Cap Vert, en 1665, au cours du voyage.

6). Benjamin-Joseph Huguier, né en 1613, à Sézanne, diocèse de Troyes, entré dans la Congrégation de la Mission en 1647, ordonné prêtre en 1655 ; il était, en 1660, au service spirituel des forçats de Toulon, ses fonctions lui permettaient de servir d’intermédiaire entre les familles et les forçats, pour faire parvenir de l’argent ou de la correspondance.

Lettre 105. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 232-234

 

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obligé de vous recommander M. Etienne et notre frère Patte comme défunts ; mais ils sont ressuscités ; nous les avons tenus pour morts, et Dieu leur a conservé la vie comme par miracle. Ils partirent de Nantes le 6 décembre pour aller à La Rochelle par mer ; il ne faut qu’un jour pour y arriver, et il s’en est passé plus de vingt, avant qu’on n’ait appris aucune nouvelle certaine. On m’écrivait de ces deux villes-là qu’ils avaient péri, et un jeune homme de Paris qui était en la même barque, et qui, se voyant la mort entre les dents (c’est son terme), se jeta sur un petit esquif, sur lequel il s’est heureusement sauvé, a écrit ici à Madame sa mère, qu’après que M. Etienne eût donné l’absolution générale à trente personnes qui étaient dans la même barque, il l’avait vue s’abîmer devant ses yeux avec tout ce monde-là, de sorte que nous ne pouvions plus douter de la vérité de cet accident ; mais le lendemain que cette lettre affligeante nous a été communiquée, nous en avons reçu deux de ce bon prêtre, qui nous ont assuré du contraire, disant qu’après avoir prononcé la dite absolution, Dieu leur envoya un souffle de vent si favorable, qu’il leur fit éviter un banc de sable où ils allaient échouer, et qu’encore qu’ils aient été quinze jours durant à la veille de mourir, pour n’avoir ni mât, ni voiles, la tempête ayant brisé ceux qu’ils avaient, ni même des vivres, n’en ayant pris que ce qu’il fallait pour un trajet de trente lieues, la bonté de Dieu toutefois les a conduits à Saint-Jean-de-Luz, qui est un port de France sur la frontière d’Espagne, en bonne santé et avec bon appétit ; et enfin à La Rochelle, où ils sont sur le point de s’embarquer pour Madagascar avec MM. Daveroult, Des Fontaines (1) et Feydin, tous prêtres de la Compagnie, qui étaient grandement désolés, pensant avoir perdu leur Supérieur, et nous en étions aussi en une douleur et une consternation inconcevables ; mais le bon Dieu qui mortifie et qui vivifie, nous a également consolés, en nous redonnant ces deux siens serviteurs, que nous croyions noyés. Ils ont pris la poste à Saint-Jean-de-Luz pour venir joindre leurs confrères. Je vous prie, Monsieur, de m’aider à remercier Notre-Seigneur de ces grâces-là et de lui bien recommander le voyage et la Mission de ces cinq missionnaires (2).

Pour revenir à votre lettre du 30 décembre, je vous remercie de la vigilance que vous avez apportée pour nous mander les senti-

1). Pasquier Des Fontaines, né en 1630 à Bailleul-Sire-Berthoult, diocèse d’Arras ; entré dans la Congrégation de la Mission en 1653 ; ordonné prêtre en 1657 ; parti pour Madagascar en 1660, il était de retour à Paris en 1661 sans avoir pu toucher l’île.

2). Les missionnaires aboutirent, à cause du naufrage de leur vaisseau, au Cap de Bonne-Espérance, d’où ils furent rapatriés par un vaisseau hollandais en 1661.

 

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ments de MM. les Administrateurs, touchant la prétention qu’on a sur M. Chrestien pour une [somme] de l’hôpital, vous me faites espérer de voir s’il est fait mention dans le livre ou les papiers du même hôpital où les comptes des receveurs, de la somme qu’on prétend répéter, cela est important à savoir pour la décharge de M. Chrestien, et je vous prie de me le mander. Je vous ai envoyé la nomination faite par Mgr le duc de Richelieu de deux nouveaux administrateurs, mais M. de Pourrade ne lui ayant pas été présenté à temps ni en la manière accoutumée, aussi ne l’ai-je pas choisi selon votre souhait.

Il est vrai qu’il peut arriver inconvénient qu’un prêtre couche à l’hôpital, et il serait à souhaiter qu’il n’y couchât pas, mais il y a nécessité de le faire à cause du grand nombre de malades qui autrement pourraient mourir la nuit sans assistance. Je vous prie, Monsieur, de veiller sur cela, en attendant que vous ayez moyen d’y pourvoir tout à fait, et ce moyen-là, j’espère de le vous envoyer bientôt, avec l’aide de Dieu.

Faites savoir à M. le Prévôt qu’en tout ce que nous pourrons lui obéir, nous le ferons toujours de grand cœur, mais qu’ayant pour règle de ne point travailler dans les villes épiscopales, hors de nos maisons, si ce n’est à l’égard des pauvres esclaves, vous ne pourrez aussi faire des conférences ni des exhortations aux filles du Refuge, de quoi je vous prie de vous excuser le plus honnêtement que vous pourrez.

Nous avons reçu deux écus pour Nicolas Bonner, deux pour Pierre Le Gros, dit la Pointe, un pour Renault Lepage et trente sols pour Jacques Mauger. C’est en tout seize livres dix sols que je prie M. Huguier de leur distribuer, et vous, Monsieur, de lui en tenir compte.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Nous venons de recevoir encore vingt-sept livres quatorze sols pour François Dardane, sur la Saint-Dominique et cinq livres dix sols, pour Pierre Blondeau, sur la Cologne. [Capitaine ?].

 

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106. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission,

supérieur de Marseille, de passage à Montpellier

De Paris, ce 23 janvier 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu votre chère lettre du 13, qui m’a donné une joie très sensible en m’assurant que vous êtes bien guéri de vos yeux, dont je rends grâces à Dieu, et je le prie qu’en vous conservant la vue corporelle, Il vous augmente et perfectionne celle de l’esprit, afin que plusieurs participent à vos lumières et en soient de plus en plus éclairés.

Je loue Dieu du retour de Mgr de Montpellier (l). Je crains comme vous que son séminaire demeure dégarni à cause de la pauvreté de ceux qui aspirent à l’état ecclésiastique, si Dieu n’inspire à ce bon prélat quelque moyen d’en aider quelques-uns à payer leur pension. Certes, c’est le grand besoin des diocèses que d’avoir de bons prêtres, capables et exercés, et c’est le plus grand service qu’on puisse rendre à Dieu et à son Église que de contribuer à leur en donner, comme vous faites par sa grâce.

Je vous remercie, Monsieur, de ce que vous avez secouru M. Durand (2) pendant les fêtes de Noël. Il se trouve à présent fort surchargé de la présence de Monseigneur d’Agde (3) et je crains qu’il demeure accablé sous le faix, si vous ne l’assistez de nouveau. Voyez Monsieur, si vous pouvez lui envoyez derechef M. Parisy (4) pour le soulager, pendant le peu de séjour que ce bon prélat fera en son diocèse. Mais si cela ne se peut sans vous incommoder par trop, retenez-le auprès de vous, Dieu pourvoiera à tout s’il lui plaît. Je le prie qu’il

Lettre 106. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 234-235

1). François Bosquet (1605-1676), évêque de Montpellier depuis 1657 ; il rentrait alors de Toulouse où il avait assisté aux États de Languedoc. 2. Antoine Durand, né en 1629 à Beaumont-sur-Oise, diocèse de Beauvais, entré dans la Congrégation de la Mission en 1647, ordonné prêtre en 1654, mort en 1708 ; en 1660, il était supérieur du Séminaire d’Agde.

3. Louis Foucquet, frère du surintendant des Finances, évêque d’Agde depuis 1658, mort en 1702.

4. Antoine Parisy, né en 1632 au Mesnil-Réaume, diocèse de Rouen, entré dans la Congrégation de la Mission en 1651 ; il était à Montpellier depuis 1659 ; en 1660, il ira à Narbonne, puis à Marseille.

 

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tire sa gloire de vos travaux et vous la plus grande sanctification de votre chère âme que j’embrasse de toutes les affections de la mienne, et suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A Monsieur Get, Supérieur des Prêtres de la Mission, à Marseille, étant de passage au séminaire de Montpellier.

 

107. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 23 janvier 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu, avec votre lettre du 13 janvier, le paquet de Tunis que je n’ai encore pu voir.

J’approuve le paiement de sa lettre de change de cent piastres sur ce que ceux d’Alger lui doivent. Écrivez tout, s’il vous plaît, pour compter avec un chacun nettement. Il eut été bon de me nommer les esclaves rachetés dont vous me parlez et que vous avez accueillis ; pour cette fois, je vous prie d’agréer cette corvée et nous verrons si, à l’avenir, il est à propos de recevoir chez vous ceux qui vous seront adressés.

Vous ne me dites pas pour qui sont ces deux lions (1) que M. le Consul d’Alger (2) envoie en France. Peut-être ne le saviez-vous pas quand vous m’avez écrit, puisque vous n’aviez pas encore reçu ses lettres. Si c’est à nous qu’il les adresse sans autre destination, je suis d’avis que vous en fassiez un présent au roi quand il sera à Marseille. J’écris à cet effet à M. de Saint-Jean (3), aumônier de la reine, et auquel vous pourrez vous adresser, pour aviser à les présenter à Sa Majesté, d’une manière convenable à des personnes de notre condition.

Lettre 107. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M. 1943-1944, p. 235-236.

1). Des lions ? Est-ce que le copiste a bien lu ?

2). Jean Barreau clerc de la Mission.

3). Nicolas de Saint-Jean, aumônier de la reine Anne d’Autriche, très lié avec Saint Vincent.

 

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Je pense qu’il eût mieux valu remettre à un autre temps les trois séminaristes que vous avez chez vous que de les recevoir à présent que vous êtes chargés des missions de Mme de Vins (4), et n’avez pas des hommes assez pour ces deux emplois. Néanmoins, puisque la Providence en a ainsi ordonné, nous verrons si nous pouvons vous en envoyer de propres. Pour M. Boussordec, il se dispose à partir au premier jour. Il vous portera, Dieu aidant, les feuilles et les méditations que Monseigneur de Marseille (5) demande.

Je suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

108. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission à Marseille

De Paris, ce 30 janvier 1660.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu votre lettre du 20 et le mémoire de la dépense faite pour la conduite de votre [famille] qui va bien haut.

Vous avez bien fait de faire discontinuer de coucher à l’hôpital puisqu’on peut administrer le jour, aux malades que l’on voit en danger, les derniers sacrements. Je crains bien, aussi bien que MM. les Administrateurs, qu’on aura de la peine à soutenir l’hôpital, attendu que la subsistance de cette année est déjà à demi-consommée, si ce n’est que la Providence leur suscite quelque secours extraordinaire. Or, je ne vois pas de qui on le peut attendre, si Mgr le Cardinal qui est à présent de delà, le refuse. Je pense que ces Messieurs feront une bonne action, s’ils ont occasion de lui parler, de lui donner la pensée, ou de lui faire représenter par d’autres, la grande nécessité d’assister les forçats malades et de l’impuissance de le faire à cause du retranchement de l’aumône du roi des années passées.

4). Laurence Veyrac de Paulian, marquise de Vins, morte en 1659 ; elle avait, par testament, a fondé" plusieurs missions et était devenue, de ce fait bienfaitrice de la maison de Marseille.

5). Etienne de Puget, évêque de Marseille depuis 1644, il le reste jusqu’à sa mort en 1668.

Lettre 108. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 236-237.

1). Le cardinal Mazarin, premier ministre.

 

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Les pensions des aumôniers des galères sont sur l’état de cette année. Informez-vous de M. Get ou de quelque autre, à qui il se faut adresser et ce que vous avez à faire pour en recevoir le paiement. Je sais bien qu’elles sont assignées sur les gabelles de Provence, de même que la fondation de l’hôpital, et que M. Amat en est le receveur général. Il a son commis de delà, qui peut-être aura l’ordre de vous payer ! Mais ce ne sera pas si tôt, à mon avis, vous verrez. Si vous recevez quelque chose, on verra comment on en fera la distribution aux aumôniers.

Je remercie M. Cornier (2) de la bonne nouvelle qu’il m’a donnée, qu’il est délivré de ses peines. On ne pouvait attendre autre chose de la bonté de Dieu et de sa patience. Il plaît à Notre-Seigneur d’exercer ainsi les meilleures âmes pour quelque temps, afin de les éprouver et puis tout d’un coup, il apaise la tempête et laisse ses serviteurs en paix. Je lui en souhaite une grande et continuelle avec les bénédictions de Dieu sur ses emplois.

Vous aurez reçu trois livres pour Jacques Fournier, dit la Rivière, sur la Manse, trente sols pour Guillaume Laisné, dit la Montagne, sur la Capitaine, et sept livres dix sols pour Jacques Simon, aussi forçat.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà où je suis toujours en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

2). Charles Cornier, né en 1623 à Landujan, diocèse de Saint-Malo, entré prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1659, placé la même année à Marseille.

 

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109. — A DOMINIQUE LHUILLIER (1), Prêtre de la Mission. Supérieur à Crécy

De Saint-Lazare, ce 6 février 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais

Le Frère Claude (2) arriva hier au soir. Il va travailler à ce qu’il a à faire et dans deux jours nous vous le renvoyerons. Cependant M. [Asseline] (8) s’en va pour vous tenir compagnie, et pour profiter des bons exemples et des avis que vous lui donnerez. Je vous prie de le recevoir.

Je ne vous le recommande pas, sachant que votre charité n’a pas besoin de recommandation. Seulement, je prie Notre-Seigneur qu’Il soit le lien de vos cœurs. Il vous dira nos petites nouvelles.

[C’est] la première fois que je vous écris depuis la mort de notre bon M. Perraud, qui arriva le 26 décembre. Je vous prie de lui rendre les devoirs accoutumés, et de n’oublier pas devant Dieu, Monsieur votre très humble serviteur,

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A Monsieur Lhuillier, Prêtre de la Mission, à Crécy.

 

110. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 6 février 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu le paquet d’Alger et non pas lu. Vous me proposez par votre lettre du 27 janvier, pour l’entrevue de vous et M. Get, de vous en aller à Montpellier. Mais comme cela ne presse pas, et que

Lettre 109. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 237-238.

1). Dominique Lhuillier, né en 1619 à Barisey-au-Plain, diocèse de Toul entré prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1651, missionnaire à Crécy depuis 1654, mort à Toulon.

2). Claude Le Gentil, frère coadjuteur, né vers 1620 à Berchères diocèse de Châlons, entré dans la Congrégation de la Mission en 1637, place à Crécy

3). Jacques Asseline, né à Dieppe, diocèse de Rouen, entré dans la Congrégation de la Mission en 1653, ordonné prêtre en 1659, placé à Crécy en 1660.

Lettre 110. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 238.

 

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dans la conjoncture présente, votre plus grande affaire est de garder la maison, je vous prie de n’en bouger point. Je crains quelque trouble, et je prie Notre-Seigneur qu’il n’en arrive point.

M. Boussordec n’est pas parti comme je vous l’ai déjà mandé, à cause de la rigueur de l’hiver ; or, en attendant que le temps soit un peu détendu, nous l’avons envoyé aux Bons-Enfants (1), afin qu’il y voie le Séminaire, qu’il sache ce qu’on y observe et qu’il se puisse aider de ces connaissances au besoin. Il y sera encore sept à huit jours. Et après cela, nous espérons de le faire partir. Peut-être sera-t-il assez tôt à Marseille pour commencer la mission de Vins (2), à la mi-carême, ou à peu près.

Puisque les lions nous sont adressés pour en disposer, il le faut faire en la manière que je vous ai prescrit et à M. de Saint-Jean. Je n’ai rien à ajouter à ce que je vous ai dit. Nous avons reçu un écu pour Pierre Lainé, dit de Rosier, sur la Capitaine. Je le mande à M. Huguier. M. de Saint-Jean me mande qu’il vous verra, il faut vous ouvrir à lui en vos pressants besoins.

Je suis, en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A M. de Lespinay, Supérieur des Prêtres de la Mission à Marseille.

 

111. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 27 février 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu votre lettre du 17. Puisque le bail de votre jardinier est expiré, il ne faut plus souffrir que les femmes entrent en votre enclos. Je n’ai su jusqu’à présent qu’elles aient eu cette liberté par le passé,

1). Il s’agit du Collège des Bons-Enfants, berceau de la Congrégation de la Mission Maison-Mère de 1625 à 1632 ; depuis 1645 y était organisé un séminaire de clercs et de prêtres où l’on donnait un enseignement surtout pratique.

2). Vins, localité du diocèse de Fréjus, où une mission avait été "fondée" par la marquise de Vins.

Lettre 111. — Lettre signée. Original (en 1944) aux bureaux de la Propagation de la Foi à Lyon. Une copie de cette lettre figure dans le "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M. 1943-1944, p. 238-239.

 

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pour le moins je n’y ai pas tait réflexion. Il faut tâcher de trouver un autre jardinier qui n’en ait point. Vous me proposez de réduire le jardin en pré, mais c’est un changement trop considérable pour le faire sans y avoir bien pensé.

J’espère que M. Get vous ira voir bientôt à Marseille, vous en concerterez avec lui. Si vous n’avez point de barque pour Alger pressée de partir, il vous aidera à faire ce qu’il faut pour la sûreté de l’argent qu’il y faut envoyer. Il pourra faire quelque séjour avec vous et vous donner moyen de faire la mission de Vins. C’est pourquoi nous différerons le départ de M. Boussordec

Les paroles fâcheuses qui ont échappé au bon Père Rédempteur nous donnent sujet de nous réjouir de n’avoir pas donné lieu à ses calomnies et d’en remercier Dieu. Bienheureux serons-nous, s’il nous trouve dignes de souffrir pour la justice, et s’il nous fait la grâce d’aimer la confusion, et de rendre bien pour mal à ceux qui nous persécutent. Bienheureux sont les serviteurs qui sont traités comme leur Maître, Notre-Seigneur, en qui je suis Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

112. — A DOMINIQUE LHUILLIER, Prêtre de la Mission à Crécy

[fin février 1660] (1)

Il a plu à Dieu de nous priver du bon M.Portail (3). Il décéda le samedi quatorzième de ce mois qui était le neuvième de sa maladie, laquelle commença par une espèce de léthargie qui s’est changée

Le premier paragraphe, depuis "Puisque le bail… Il jusqu’à "… sans y avoir bien pensé." a été publié dans l’édition Coste : N° 3084, t. VIII, p. 247, d’après le Recueil intitulé "Manuscrit de Marseille".

1). Sans doute un Religieux de l’Ordre de Notre-Dame de la Merci, appliqué au rachat [rédemption) des esclaves captifs en Barbarie.

Lettre 112. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 240. Les deux premiers paragraphes de cette lettre, rapportant la mort d’A. Portail et la maladie de Mlle Le Gras, se retrouvent tels quels dans deux lettres déjà publiées (édition Coste. N° 3085, à F. Get, à Marseille, 27 février 1660 (t. VIII, p. 248-249) et N° 3091, à G. Desdames, à Varsovie, 5 mars 1660 (t. VIII

1). D’après la date de la mort, annoncée ici, d’A. Portail (14 février) et la "parenté" avec les lettres du 27 février et du 5 mars.

2). A. Portail était alors le Premier Assistant de Saint Vincent et le Directeur des Filles de la Charité.

 

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en fièvre continue et en d’autres accidents. Il eut, depuis, l’esprit et la parole assez libres. Il avait toujours appréhendé la mort, mais la voyant approcher il l’a envisagée avec paix et résignation. Il m’a dit plusieurs fois que je l’ai visité, qu’il ne lui restait aucune impression de sa crainte passée. Il a fini comme il a vécu, dans le bon usage des souffrances, la pratique des vertus, le désir d’honorer Dieu et de consommer ses jours, comme Notre-Seigneur, en l’accomplissement de sa volonté. Il a été l’un des deux premiers qui ont travaillé aux missions, et il a toujours contribué aux autres emplois de la Compagnie à laquelle il a rendu de notables services, en toutes les manières ; en sorte qu’elle aurait beaucoup perdu en sa personne, si Dieu ne disposait de toutes choses pour le mieux, et ne nous faisait trouver notre bien, où nous pensons recevoir du dommage. Il y a sujet d’espérer que ce sien serviteur nous sera plus utile au Ciel qu’il n’eut été sur la terre. Je vous prie, Monsieur de lui rendre les devoirs accoutumés.

Lors de son trépas, Mlle Le Gras (3) était aussi à l’extrémité et nous pensions qu’elle s’en irait devant lui, mais elle vit encore et se porte mieux, grâces à Dieu qui n’a pas voulu nous accabler d’une double affliction.

Je loue Dieu de la douceur avec laquelle ce bon pensionnaire vit avec nous. Il est vrai que vous avez besoin de votre logement pour les prêtres qui vous viendront ; si néanmoins, il veut demeurer avec vous jusqu’alors, vous le pourrez retenir pour les cinq cents livres, supposé qu’il soit résolu de les donner et alors s’il ne vous reste point de chambre pour le mettre, il se pourra retirer.

Je suis consolé de ce que vous me mandez de la personne, et j’en rends grâces à Dieu. Je prendrai mon temps pour lui en faire quelque petite congratulation afin de l’encourager à continuer.

M. Maillard (4) vous envoie cent livres. Je suis marri que ce soit si peu. Une autre fois, Dieu aidant, nous vous enverrons davantage. Dieu vous donne la plénitude de son esprit, afin que les opérations en rejaillissent sur tous ceux qui vous approchent. Je suis dans son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

3. Mlle Le Gras mourra le 15 mars 1660.

4. Antoine Maillard, né à Veney (diocèse de Toul), en 1618, entré prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1644 ; il était pour lors procureur de la maison de Saint-Lazare.

 

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113. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 19 mars 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai appris par votre lettre du 2 de ce mois, votre arrivée à Marseille où je vous prie de demeurer et de prendre le gouvernement de la maison et des affaires, si déjà vous ne l’avez pris. Je prie aussi M. de Lespinay (1) de rester quelque temps de delà, pour contribuer aux missions que vous pourrez faire après Pâques. Je lui écris d’une affaire d’Alger ; je vous prie d’en prendre connaissance et de la faire exécuter avec les autres ordres que je lui ai donnés par mes précédentes. Toutefois, il court de deçà un bruit qui est autorisé, à ce que me mande une personne ce matin par le secrétaire de Monseigneur de Vendôme (2), que le Roi fait faire quelque armement pour aller retirer les esclaves de Barbarie (3). Je vous prie de vous en informer et s’il y a quelques apparences de vérité, de suspendre l’envoi des sommes que j’ai marquées.

M. de Lespinay me mande que vous êtes un peu incommodé. J’en suis en peine, je vous prie de me mander ce que c’est, et de vous ménager.

Je suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Ce que vous avez dit à Monseigneur de Montpellier (4), en prenant congé de lui, me paraît judicieux.

Lettre 113. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 241.

1). Prédécesseur immédiat de F. Get dans la charge de Supérieur de la maison de Marseille.

2). César de Bourbon, duc de Vendôme, fils naturel de Henri IV (1594-1665).

3). Effectivement une expédition navale contre Alger se préparait alors, elle aura lieu en juillet et août 1660, sous le commandement du fameux chevalier Paul.

4. François Bosquet.

 

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114. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 26 mars 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

Je vous envoie une copie du compte que vous m’avez envoyé, lors de votre départ pour Montpellier, des sommes que vous avez laissées dans le coffre pour les esclaves. Or, par les mémoires que M. Le Vacher m’a envoyés, il témoigne avoir emporté de Marseille en Alger celles dont il est parlé au premier feuillet, à la réserve des cinq cents livres de Mathurin Colin, et de vingt livres reçues par M. Guivar pour Edme Guillaume, dont il ne nous fait aucune mention — outre cela il a emporté mille neuf cent soixante-dix piastres pour M. le Chevalier du Brus qu’il a racheté.

Et sur les sommes du second feuillet, il a emporté cinq mille livres sur l’argent des quêtes dont il nous a envoyé le compte de l’emploi, et mille livres sur les trois mille deux cents livres reçues, pour racheter trois prêtres ou religieux esclaves, dont il a délivré le Père Bonaventure de Sainte-Croix, qui est maintenant à Gênes. Il y a apparence qu’il a aussi disposé des huit cent soixante-dix-huit livres, reçues des Pères de la Merci. Néanmoins, il ne m’en a rien écrit, ce me semble. Si les vingt livres d’Edme Guillaume sont encore en votre pouvoir, je vous prie de me les mander, pour les rendre à ce pauvre garçon qui est ici. Comme déjà nous lui avons rendu cent quatre-vingt-neuf livres que sa sœur lui envoyait en Alger et que M. de Lespinay a touchées en votre absence, il y a trois ou quatre mois, qu’il n’a pas néanmoins envoyées en Alger. Or, ces cent quatre-vingt-neuf livres étant donc encore en votre coffre, je vous prie de les faire tenir à Jean Beguin, esclave au dit Alger, parce que nous avons reçu ici pareille somme de Monsieur son père.

J’ai reçu votre lettre du 16. Je suis bien aise que vous ayez repris la conduite (1). Je vous en remercie, et je prie Notre-Seigneur qu’il soit lui-même la vôtre.

J’écrirai à Monseigneur de Montpellier conformément à ce que vous me mandez. Mais ce ne pourra pas être aujourd’hui (2).

Lettre 114. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 241-243

1). C’est-à-dire la charge de supérieur de la maison.

2). Le 26 mars 1660 était le jour du Vendredi-Saint.

 

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Je loue Dieu de ce que MM. de Lespinay et Beaure (3) sont allés commencer la mission de Vins. Vous ne me dites rien de M. Cornier. Je veux croire que vous ou lui serez allés à leur secours.

Je n’improuve pas l’expédient que vous avez proposé pour envoyer sûrement de l’argent à Alger. Mais je vous prie de ne rien envoyer du provenu des quêtes que je ne vous le mande. J’ai pourtant donné un ordre contraire à M. de Lespinay, mais je ne savais pas une nouvelle que je viens d’apprendre, qui vient de trop bonne part pour nous faire croire qu’elle n’est que trop véritable. C’est que le frère B [arreau] (4) en a encore fait une des siennes en perdant deux mille huit cents écus par sa faute. Vous savez qu’environ le temps que vous êtes allé à Montpellier, il partit un navire anglais de Marseille pour Alger par lequel divers marchands envoyèrent diverses sommes à ce pauvre homme pour racheter des esclaves. Le vaisseau étant arrivé, le capitaine ayant fait savoir au consul l’argent qu’il avait à lui délivrer, le consul en a touché une partie et lui a laisse l’autre, se fiant à sa parole. Or, il est arrivé deux choses, la première est que le consul a racheté les esclaves qu’il avait ordre de délivrer, et les a renvoyés en leur pays, s’étant servi à cet effet de quelques dépôts qu’il avait, dans l’espérance de les remplacer sur ce que ledit capitaine lui devait ; mais il lui a fait banqueroute des deux mille huit cents écus et c’est la seconde chose qui est arrivée. Après cela, Monsieur, et tant d’autres fautes de ce frère qui ont précédé celle-ci, ne devons-nous pas nous défier de sa trop grande facilité, pour ne pas dire faiblesse. Ne devons nous pas craindre si nous lui envoyons de l’argent, qu’il en abuse encore, et qu’au lieu de payer les dettes, il en contracte de nouvelles. Tout considéré, je pense qu’il est à propos de différer à lui envoyer le secours qu’il demande ; dites m’en votre avis. J’attends celui de Madame la duchesse d’Aiguillon à qui j’ai fait savoir cette nouvelle perte. Le remède serait d’envoyer un nouveau consul et de rappeler celui-là.

Nous y penserons. Nous avons reçu dix-huit livres pour Denis Dubois, forçat sur le Capitaine ; je prie M. Huguier de les lui donner.

3). Jacques Beaure, ne à Saint-Léonard-de-Noblat, diocèse de Limoges, en 1627, entré en 1656 dans la Congrégation de la Mission ; il faisait partie de la maison de Marseille depuis 1658.

4). Le frère Barreau, clerc de la Mission, titulaire du consulat de France à Alger, avait, à plusieurs reprises, commis des impudences, conséquences de son zèle intempestif et d’une charité mal réglée à l’égard des esclaves chrétiens ; le dey d’Alger ou ses subordonnés ne lui avaient pas épargné les avanies, et cela fit qu’à cause de lui la religion catholique et la nation française subirent de rudes humiliations.

 

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Je pense qu’il est bon que vous écriviez vous-même à M. Le Vacher, à Alger, et que vous lui disiez que le bruit étant de deçà, que lui et le consul ont fait la faute que j’ai dite, avec le capitaine anglais, vous le priez de vous mander ce qui en est, parce que nous avons jugé à propos de ne leur envoyer aucun secours de l’argent des quêtes que nous ne soyons éclaircis de la vérité.

J’ai adressé un paquet de livres arabes à M. de Lespinay pour Tunis, où je vous prie de les envoyer.

Je suis, Monsieur, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

115. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 2 d’avril 1660.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 23 mars. Je loue Dieu de ce que vous avez reçu quatre cent quinze livres d’un côté, et huit cent quatre-vingt-quatre livres d’un autre qui sont ensemble mille cent vingt-neuf livres, des Pères de la Merci. Cette somme, avec les huit cent quatre-vingt-cinq livres reçues ci-devant par M. Le Vacher, à ce que vous me marquez, quoique sa quittance ne porte que huit cent soixante-dix-huit livres, les vingt livres que le Père Sérapion (1) dit avoir laissées à M. B[arreau] et les neuf livres que ces bons Pères nous ont promis, faisant en tout deux mille quatre cents livres à quoi monte l’avanie soufferte par le dit B[arreau] à leur occasion ; vous lui en tiendrez compte, s’il vous plaît.

Quoique vous ayez des commodités assurées pour envoyer de l’argent à Alger, je ne puis me résoudre de confier de nouvelles sommes au consul après la nouvelle perte qu’il a fait, par son imprudence, de deux mille huit cents écus, ainsi que je vous ai mandé. J’en ai la nouvelle de trop bonne part pour en douter, et puisqu’il outrepasse les ordres réitérés que je lui ai donnés, de n’employer jamais l’argent d’un esclave pour un autre, et de ne s’engager pour personne, ce serait lui donner occasion de faire de nouvelles fautes que de lui mettre de l’argent en main, tant il est enclin à l’employer autrement qu’il ne doit. Je pense donc, Monsieur, qu’il faut envoyer quelqu’un en

Lettre 115. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M. 1943-1944, p. 243-245.

1). Religieux de Notre-Dame de la Merci, arrivé à Alger en 1655 ; il semble avoir eu, dès le début des difficultés avec le frère Barreau, consul de France.

 

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Alger pour prendre connaissance certaine des dettes et en faire lui-même les paiements, des deniers qu’il apportera. M. Huguier (2) ferait bien cela, ce me semble, si vous pouviez mettre à sa place un des autres prêtres que vous avez, propre à faire ce qu’il fait.

Nous avons ici un frère qui avait été destiné pour Alger. Je vous prie de m’en écrire votre avis au plus tôt et cependant de différer l’envoi du secours que ces Messieurs demandent.

Je vous ai mandé qu’Edme Guillaume (3) est en cette ville et qu’il n’a pas reçu en Alger, ni à Marseille, les cent quatre-vingt-neuf (4) livres que sa sœur lui envoyait. Mais nous les lui avons rendues de deça, afin que cet argent-là soit envoyé et délivré à Jean Bègue (6), esclave en Alger. Je sais bien que le dit Guillaume a touché cinq ou six cents livres que vous lui avez fait tenir, il y a trois ou quatre ans, et c’est de cela qu’il s’est racheté, avec une trentaine de piastres que le Père Maturin lui a fournies, mais les dites cent quatre-vingt-neuf livres n’ont été envoyées à M. de Lespinay que depuis cinq ou six mois.

Je serais bien aise de savoir combien il y a que les Cordeliers ont été chassés de Marseille, et pourquoi ? Nous devons nous commettre à Dieu pour tout ce qu’il ordonnera de votre maison et de votre jardin.

Je me donne l’honneur d’écrire à Monseigneur de Montpellier par cet ordinaire, conformément à votre avis. Si vous avez occasion présente et assurée d’envoyer vingt écus en Alger à notre frère B [arreau] ou à M. Le Vacher, je vous prie de le faire pour les distribuer à François de Lestang, esclave, qui est de Paris, peu à peu, et non tout à la fois de peur que son patron ne croit qu’il est plus accommodé qu’il n’est pas. Vous en écrirez à un ou à l’autre. Vous prendrez ces vingt écus sur l’argent des quêtes, lesquels nous remplacerons la prochaine fois que nous vous enverrons quelque lettre de change.

Je suis, Monsieur, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

2). Benjamin Huguier, Prêtre de la Mission, était alors à Toulon, exerçant son ministère auprès des forçats.

3). Esclave chrétien à Alger.

4). La copie porte ici mille huit cent quatre-vingt-dix livres ; ce chiffre énorme vient sans doute d’une faute de lecture, il est vraisemblable qu’il ne s’agit que de cent quatre-vingt-neuf livres (cf. lettre du 26 mars 1660, N° 102 de la présente édition).

5). La copie porte Jean Béguin, mais il est plus probable qu’il faut lire Bègue, c’est le nom d’un esclave qu’on trouve à plusieurs reprises mentionné dans la correspondance de Saint Vincent.

 

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116. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur a Marseille.

De Paris, ce 9 avril 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais.

J’ai reçu votre lettre du 30 [mars]. Puisque vous êtes d’avis d’envoyer à nos confrères d’Alger cinq ou six mille livres par la barque assurée qu’on prépare, j’en suis content et je vous prie de le faire pour remédier à leurs plus pressants besoins, nonobstant la faute du consul dont je vous ai parlé, et la résolution où nous sommes d’envoyer quelqu’un de delà pour éviter que l’argent se consomme inutilement.

Je vous ai déjà dit que je me suis donné l’honneur d’écrire à Monseigneur de Montpellier au sujet de votre demeure de Marseille, et comme je ne lui ai offert personne, à votre place j’attendrai sa réponse pour voir s’il est expédient de lui faire cette avance. Je suis en peine de l’indisposition de M. Parisy qui ne m’en a rien écrit, et bien aise que vous ayez prié M. Durand de l’aller voir, qui nous en mandera des nouvelles et qui nous fera peut-être savoir qu’elle sont les intentions de mondit Seigneur pour son séminaire et pour la Compagnie.

Nous avons reçu quatre écus blancs (1) pour un forçat de Toulon nommé Armand Duval. J’écris à M. Huguier qu’il les lui donne. Comme aussi au nommé Richard, sur la Fiesque, seize livres qu’on vient de nous apporter. On doit envoyer aujourd’hui, ou par le prochain ordinaire, une lettre de change de MM. Simonnet (2) de six cents livres pour deux esclaves qui sont en Alger, nommés Lafortune et Champagne ; c’est pour leurs petites nécessités. Si vous les recevez assez tôt, je vous prie de les envoyer en Alger par la première barque. Voici qu’on vous en écrit, et la lettre est dedans.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Lettre 116. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944 p. 245.

1). L’écu d’argent (écu blanc) valait trois livres.

2). Banquiers de Paris dont il est plusieurs fois fait mention dans la correspondance de Saint Vincent.

 

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J’écris à MM. Le Vacher frères (3). Je vous prie d’envoyer à celui de Tunis par la première commodité, cent écus que nous avons reçus ici pour lui de Madame la comtesse de Tonnerre (4) pour remboursement de pareilles sommes qu’il a fournies à M. le Chevalier de Tonnerre. Je vous] es ferais tenir lorsque nous aurons quelqu’autre argent à vous remettre. Je mande à M. Le Vacher que nous les lui envoyons.

 

117. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 16 avril 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 6 avec les paquets d’Alger et de Tunis. J’avais pensé que si la barque qui se préparait pour Alger y allait sans rien apporter à nos missionnaires, ils en seraient par trop affligés et peut-être incommodés, et pour cela je vous ai prié par ma dernière de leur envoyer seulement cinq ou six mille livres, en attendant que nous puissions envoyer quelqu’un de delà. Vous me mandez à présent que la barque a changé de dessein, sur le bruit qui court de l’armement, et il semble qu’en effet dans cette conjoncture, il est bon de suspendre toutes choses. Néanmoins, si vous avez occasion de leur faire tenir sûrement quelque secours, je laisse cela à votre prudence.

J’espère de vous envoyer par cet ordinaire une lettre de change de deux mille livres de MM. Simonnet sur MM. Napollon (1) dont les mille cinq cents livres sont pour la subsistance de ceux d’Alger ou

3). Philippe et son frère Jean Le Vacher. De Philippe il a déjà été question (lettre N° 52 de la présente édition, note 16), quant à Jean il est né à Écouen, diocèse de Paris, en 1619, entré dans la Congrégation de la Mission eu 1643, ordonné prêtre en 1647, longtemps missionnaire à Tunis, il mourra (vraisemblablement en martyr), à Alger, en 1683.

4). Marie Vignier (1603-1679), épouse de François de Clermont, comte de Tonnerre, mère de Louis de Tonnerre, chevalier de Malte, capitaine de galère, pour lors esclave à Tunis.

Lettre 117. — Lettre signée. Original en possession (1953) de la T.H.M. Blanchot, Supérieure générale des Filles de la Charité. Lettre publiée avec la disposition et l’orthographe de l’original dans les Annales de la C.M., 1952, p. 511-512. Antérieurement cette lettre dont une copie fait partie du "Recueil Nodet" avait été publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 246-247. La comparaison entre ces deux textes nous permet de vérifier la confiance accordée aux copies du "Recueil Nodet" : la copie est substantiellement exacte, elle diverge de l’original sur des points de détail (conséquence évidente de quelques mauvaises lectures).

1). Jean et Louis Napollon, banquiers à Marseille ; comme celui de MM. Simonnet, leur nom revient souvent dans la correspondance de Saint Vincent.

 

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de Tunis, reçues de la ferme des coches de l’année passée. Si vous avez occasion de les envoyer à Tunis plutôt qu’Alger, vous le ferez, s’il vous plaît. Nous espérons recevoir bientôt du fermier les autres mille cinq cents livres, et alors nous vous les remettrons pour les faire tenir au lieu où vous n’aurez pas envoyé celles-ci. Pour les cinq cents livres de surplus voici à quoi vous les emploierez. Vous y prendrez, premièrement, trois cents livres que nous avons reçues ici de Madame la comtesse de Tonnerre et que je vous ai prié d’envoyer à M. Le Vacher de Tunis pour son remboursement de pareille somme qu’il a fournie au chevalier de Tonnerre. — Deuxièmement, vous y prendrez soixante livres que nous avons reçues ici pour François de Lestang, parisien, esclave à Alger, et les enverrez, s’il vous plaît, à M. Le Vacher J. ou au consul pour les lui distribuer peu à peu. — Troisièmement, vous y prendrez trente-trois livres que je vous prie d’envoyer aussi en Alger pour être délivrées à l’homme de chambre de M. le comte d’Insiquin, qui est un seigneur irlandais, fait esclave depuis peu avec M. son fils, et les deux jeunes hommes de condition, qui sont de Normandie, nommés Lafortune et Champagne, pour lesquels Madame la marquise de Nantouillet (2), mère du premier, vous envoya une lettre de change de six cents livres la semaine passée. Je donne connaissance à M. Le Vacher de toutes ces sommes et de leur destination. Et enfin vous prendrez sur les dites cinq cents livres, les cent sept livres qui restent en déduction de ce que nous vous devons, des avances faites aux forçats, dont je vous prie de nous envoyer le compte, où vous ferez mention desdites cent sept livres. J’écris à M. Huguier qu’il donne trente sols à Jacques Fournier, dit La Rivière, forçat sur la Saint-Dominique.

Je loue Dieu des missions que vous vous proposez de faire, je prie Notre-Seigneur qu’il les bénisse.

Prenez dans le coffre ce qu’il vous faudra pour la dépense de votre famille (3), nous le remplacerons, Dieu aidant. Tenez compte de tout.

Je suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Suscription : A Monsieur Monsieur Get, Supérieur des Prêtres de la Mission à Marseille.

2). Louise d’Aguesseau, seconde femme de Henri du Prat, marquis de Nantouillet.

3). Il s’agit évidemment ici des confrères composant la maison de Marseille.

 

 

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118. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission à Marseille

De Paris, ce 30 avril 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il y a longtemps que je ne vous ai pas écrit. J’ai pourtant fort souhaité de le faire, mais j’en ai été empêché par mes misères. Dieu soit loué, Monsieur, de la mission que vous avez faite à Vins, et des grâces que sa divine bonté y a faites par vous au pauvre peuple. Je crois bien que la difficulté du langage vous a fait de la peine (1) On en trouve toujours dans les commencements, mais peu à peu on vient à bout de tout, et rien ne doit rebuter un ouvrier évangélique, de l’exercice des vertus propres à son état, et de la prétention d’avancer en tout et partout la gloire de son maître.

Je suis consolé de votre courage et de votre patience et j’espère que Dieu continuera de bénir vos travaux, et de bien édifier la famille par votre exemple. Je prie Notre-Seigneur, Monsieur, de vous donner une parfaite santé.

Nous n’avons rien de nouveau de deçà, sinon que le sacre d’un évêque s’étant fait en notre église ces jours passés il s’en fera un autre Dieu aidant, le jour de l’Ascension ; le premier, de Monseigneur d’Oloron (2), et le second, de Monseigneur de Chalon-sur-Saône (3). Nous attendons Messieurs les Abbés de Chandenier (4) qui reviennent de Rome, et de vous quelque petite nouvelle en l’absence de M. Get sur l’état des choses publiques, particulièrement de l’armement dont on parle.

Je suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Lettre 118. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 247-248. La fin du premier paragraphe, depuis "…peu à peu…" jusqu’à "la gloire de son maître", constitue la lettre N° 3118 de l’édition Coste (t. VIII, p. 285) publiée d’après le recueil intitulé "Manuscrit de Marseille".

1). M. de Lespinay. originaire de Normandie, n’était sans doute pas familiarisé avec le dialecte provençal parlé communément dans la région (diocèse de Fréjus) où se trouvait Vins.

2). Armand-François de Maytie, évêque d’Oloron, sacré le 11 avril 1660.

3). Jean de Maupeou, évêque de Chalon-sur-Saône sacré le 9 mai 1660.

4). Claude de Chandenier, abbé de Moûtiers-Saint-Jean (mort en 1710) et son frère Louis. abbé de Tournus, mort à Chambéry le 2 mai 1660, à son retour de Rome, après avoir été reçu la veille dans la Congrégation de la Mission.

 

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119. — A GABRIEL DE LESPINAY, Prêtre de la Mission à Marseille

De Paris, ce 21 mai 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que vous avez touché les deux milles livres et que vous avez occasion d’en envoyer mille cinq cents à Tunis. Je suis bien aise que M. Parisy soit à Marseille, je l’y embrasse de tout mon cœur. Je souhaiterais fort de l’y laisser, mais Monseigneur l’archevêque de Narbonne (1) m’a fait promettre de le lui envoyer. Je le prie donc de se tenir prêt pour partir au premier ordre que nous lui en donnerons. Je ne puis lui écrire pour aujourd’hui, non plus qu’à M. Cornier, ainsi que je me le suis proposé. J’ai été accablé d’affaires tout le jour et nous voici dans la nuit ; je ne puis même vous écrire à vous, Monsieur, que brièvement et en courant. Je pense à vous pour les difficultés où vous vous trouvez et pour le remède que vous vous proposez, mais je vous prie d’avoir encore patience et de vous souvenir que le dégoût et le découragement sont des productions de la pauvre nature que l’on porte partout où l’on va, qu’il faut s’abandonner à l’esprit de Notre-Seigneur pour se supporter soi-même, et pour vaincre sa timidité, sa paresse et les autres infirmités. Je prie cet esprit saint et sanctifiant de vous animer de sa force, et de vous combler de ses bénédictions.

Je suis en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

120. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 28 mai 1660.

Monsieur, La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris quoi que je n’ai point reçu de vos lettres, parce que M. de Lespinay me mande que vous seriez de retour à Marseille

Lettre 119. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 248. La fin de la lettre, à partir de "…je vous prie […] de vous souvenir..," jusqu’à "…de ses bénédictions", constitue la lettre N° 3128 de l’édition Coste (t. VIII, p. 293), publiée d’après le recueil intitulé "Manuscrit de Marseille".

1). François Foucquet.

Lettre 120. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 248 249.

 

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après les fêtes de Pentecôte, c’est pour vous adresser une lettre de change de mille neuf cent trois livres sur MM. Napollon, vous en enverrez mille cinq cents à Alger pour la subsistance de nos confrères, et les autres quatre cent trois livres vous les retiendrez s’il vous plaît pour les besoins de votre maison. Je vous priais il y a quelques semaines, d’envoyer ou à Tunis ou à Alger autres mille cinq cents] ivres sur les deux mille que je vous ai remises, il y a environ deux mois. Or puisque vous ne l’avez pas encore fait, vous enverrez, s’il vous plaît, à M. Le Vacher, à Tunis, ces premières mille cinq cents livres. Je suis bien marri que vous ayez perdu l’occasion d’une barque qui est partie nouvellement pour y aller.

Il faut penser sérieusement à secourir ceux d’Alger, au plus tôt et d’une façon ou d’autre, je ne dis pas seulement pour vivre mais pour payer leurs dettes. Mandez-moi si quelque barque se prépare et ce qu’on dit de l’armement.

Je n’ai autre chose à dire à M. de Lespinay, ni à vous, Monsieur sinon que j’attends de savoir le succès de vos missions.

Je suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Quand je vous dis d’envoyer de l’argent à Alger, je l’entends avec le grain de sel que les plus sages et expérimentés jugeront qu’il n’y a point de danger, et qu’ils ne feront pas difficulté d’y recevoir des injures (1).

Voici une lettre pour Alger, laquelle il ne faut pas envoyer comme elle est, mais sous une enveloppe au consul.

 

121. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 4 juin 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ma joie aurait été pleine, de vous savoir de retour des missions et satisfait du succès, si vos yeux n’étaient malades. Je rends grâces

1). Ce post-scriptum, écrit de la main de Saint Vincent, était moins facile à lire que le corps de la lettre rédigée par le secrétaire (frère Ducournau ou frère Robineau), aussi le copiste ajoute-t-il ces mots, pour marquer son hésitation "Est-ce cela ?"

Lettre 121. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 249-250.

 

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à Dieu de tout, et je le prie qu’il ait agréable de les guérir. J’espère bien qu’il le fera puisque ce mal est provenu d’une cause extraordinaire qui ne se trouve pas à Marseille où vous êtes.

Je loue Dieu aussi, Monsieur, de ce que la lettre de mille deux cents livres de M. le Curé du Havre (1) a été acceptée, et le paiement promis dans trois jours.

Je vous ai envoyé depuis une autre lettre de change de mille neuf cent trois livres, savoir, mille cinq cents livres pour la subsistance de nos confrères de Barbarie, et le reste pour celle de votre maison.

Je trouve bonnes les raisons que M. de Lespinay m’a marquées pour envoyer M. Cornier en Languedoc, et non M. Parisy. Mais Monseigneur l’Archevêque de Narbonne m’ayant demandé ce dernier, je me suis engagé à le lui envoyer. On m’a mandé depuis que ce bon prélat revient à Paris, et en ce cas, il nous pressera de tenir parole.

Nous avons reçu deux écus pour André de Paris sur la galère de la Reyne, je le mande à M. Huguier.

J’ai écrit à M. de Lespinay la mort de M. l’abbé de Chandenier, mais je ne lui ai, pas dit qu’il a voulu paraître devant Dieu, sous le nom et l’habit de missionnaire. Il les a instamment demandés pendant sa maladie à M. Berthe (2), qui le reçut en la Compagnie, quelques jours avant son décès. Il avait fait la même instance à M. Jolly (3), et il me l’avait faite à moi-même, plusieurs fois depuis quelques années ; mais je ne le voulais pas écouter, je détournais son discours, voyant la pauvre Mission indigne d’un personnage de sa condition et de sa vertu ; jamais je n’en ai connu un plus à Dieu, plus détaché du monde, plus éloigné des créatures, plus affectionné à la vie intérieure, ni plus disposé à l’assistance du prochain. O Monsieur, que c’est une grande perte pour l’Église, et très grande pour nous. Il n’y a que notre maison du Ciel qui aie mérité de le posséder en qualité de missionnaire. Il a seulement laissé à celle de la terre les exemples de la sainte vie, autant pour les admirer que pour les imiter. Nous en avons fait une conférence, et ce soir, nous en ferons une autre, Dieu aidant. Je ne sais ce qu’il a vu en cette chétive Compagnie, qu’il ait ainsi voulu se couvrir de ses haillons pour se présenter devant la majesté de Dieu, où j’espère qu’il obtiendra de nouvelles bénédictions pour ceux qui en sont revêtus sur la terre, pour travailler

1). Michel Bourdon, docteur de Sorbonne en 1654, curé du Havre de 1655 a 1668 ; lié à Monsieur Vincent, il avait fait plusieurs retraites à Saint-Lazare, sous la direction du Saint.

2). Alors à Chambéry, revenant de Turin, sans doute en compagnie des frères de Chandenier.

3). Supérieur à Rome lors du dernier séjour qu’y fit Louis de Chandenier.

 

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toujours plus vaillamment à la vigne du Seigneur. Ceux de Rome (4) y sont appliqués par le Pape même qui en a envoyé huit avec quatre évêques pour visiter les évêchés suffragants de Rome. Sa Sainteté leur envoie aussi les Ordinands aux quatre-temps, depuis l’ordination de septembre dernier. Il plaît aussi à Dieu de bénir partout ailleurs les personnes et les emplois de la Compagnie. Je vous prie de l’en remercier, et de lui demander de bons ouvriers.

Je suis en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Nous venons de recevoir vingt et une livres pour le nommé Traverse, forçat, et trois livres pour Jacques Fournier, dit Larivière, sur la Saint-Dominique.

 

122. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur a Marseille

De Paris, ce 18 juin 1660.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du huitième ; elle m’a fait peur d’abord, la voyant écrite d’une autre main que de la vôtre, mais elle m’a fort consolé sur la fin, voyant que vos yeux sont guéris, dont je rends grâces à Dieu.

Après tout, il faut s’ajuster aux ordres de la Providence qui vous octroie les moyens de secourir nos confrères d’Alger, et attendre en patience que Dieu vous en donne l’occasion, laquelle, j’espère, que vous ne laisserez pas s’échapper. C’est un sujet de grande consolation de savoir que les pauvres esclaves français qui sont à Tunis sont proches de leur liberté et de leur retour par la paix qui s’est conclue et qui sera exécutée. Peut-être qu’à l’exemple de cette ville-là, celle d’Alger demandera la même composition et qu’on la réduira par force à rendre les hommes qu’elle a pris, et à n’en plus prendre. O Dieu, quelle grâce s’il plaît à Dieu de l’accorder à nos chétives prières et aux souhaits de toute l’Église.

4). Les missionnaires de la maison de Rome.

Lettre 122. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 251.

 

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Puisque le frère Le Moyne (1) est incommodé à Marseille et qu’il ne l’était pas à Agde (2), je consens qu’il y retourne, et j’écris à M. Durand (3) qu’il le reçoive. J’envoie dès aujourd’hui en Pologne les lettres de M. Truillard (4). Nous avons reçu un [écu] (5) pour Guillaume Laisné, dit La Montagne, forçat sur la Saint-Dominique, ainsi que je le mande à M. Huguier.

Je suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

Puisque vous avez commencé la muraille du cloaque, il est à propos, sans se plaindre, ni pas même en parler (6).

 

123. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 25 juin 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre et beaucoup de joie de ce qu’il plaît à Dieu de bénir la mission que fait M. de Lespinay. Vous avez bien fait de n’y aller pas, à cause de vos yeux malades. J’en aurais été bien marri

1). Jean Le Moyne, né en 1611 à Saint-Cyr-en-Pail, Diocèse du Mans, entré dans la Congrégation de la Mission comme frère coadjuteur en 1643, placé à Agde en 1655, il y revint après un court séjour à Marseille.

2). Le séminaire d’Adge fut confié à la Congrégation de la Mission en 1654 ; des difficultés répétées firent qu’en 1671, les missionnaires quittèrent l’établissement.

3). Antoine Durand était supérieur du séminaire d’Agde depuis 1656.

4). M. Truillard était un officier français qui avait pris du service en Pologne son père habitait la région de Marseille. La lettre dans laquelle Saint Vincent envoie les lettres de M. Truillard père destinées à son fils est adressée à Guillaume Desdames, supérieur à Varsovie et porte la même date que la présente ; eue se trouve dans l’édition Coste : n° 3144 (t. VIII, p. 309-310). Déjà une fois en 1656 M. Truillard avait fait passer par M. Vincent une lettre pour son fils (voir la lettre du 29 septembre 1656 à Charles Ozenne, supérieur à Varsovie, édition Coste n° 2149, t. VI, p. 96-97).

5). Le copiste a mis ici quelques points de suspension, il n’a pas su lire le mot ; il est fort probable qu’il y avait escu sur l’original.

6). Le post-scriptum est de la main de Saint Vincent, le copiste n’a pas su le lire correctement, ce qu’il donne ne présente pas de sens acceptable.

Lettre 123. — Copie tirée du "Recueil Nodet" publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 251-252.

 

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et je vous prie de faire ce que vous pourrez pour vous guérir, bien loin de rien entreprendre qui puisse rengréger (1) votre mal. Votre santé est trop chère à la Compagnie, et trop nécessaire au poste que vous tenez, pour ne pas la ménager soigneusement.

Nous accueillerons le plus gracieusement que nous pourrons M. Bayn (2), s’il prend la peine de venir céans, et lui témoignerons le plus de reconnaissance que nous pourrons pour la bonté qu’il a pour votre famille, et les bons offices que vous en avez reçus.

Nous ne pouvons pas nous dispenser d’envoyer M. Parisy à Narbonne, car voilà qu’on nous le demande pour ce que je l’ai fait espérer à Monseigneur l’Archevêque. Il ne faut pas pourtant vous hâter de le faire partir.

Voici une petite lettre de change de cinquante écus que je vous prie de retirer. Ils sont pour Nicolas Chocquart, forçat sur la Montolieu, lesquels il a demandé à sa mère, disant qu’il avait trouvé moyen d’avoir sa liberté pour cette somme-là ; mais c’est lorsqu’il était sur une autre galère, et à présent, il mande qu’il s’en va en voyage pour trois mois, et ne demande que vingt livres pour sa subsistance.

Néanmoins, sa mère, qui avait cet argent prêt, a désiré de le vous remettre afin qu’il ne tienne à cela que son fils se sorte de la misère. Elle vous prie néanmoins de ne lui bailler point cet argent que pour sa délivrance, mais de le garder, tant que vous y verrez de l’incertitude, à la réserve des vingt livres qu’il demande pour ses propres besoins, que vous lui pourrez donner, s’il vous plaît.

Nous avons reçu six écus pour un autre forçat de Toulon nommé Denis-Dubois, sur la galère Princesse. J’écris à M. Huguier, qu’il les lui délivre.

On écrit ici qu’il est arrivé à Marseille un ambassadeur d’Alger. Je vous prie de me mander ce qui en est.

Et suis, Monsieur, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

1). Terme d’ancien français signifiant aggraver.

2. Joseph Bayn, Marseillais, qui, lors de son séjour à Paris, fut reçu et soigné à Saint-Lazare (voir les lettre N° 3215 et 3230 de l’édition Coste, t. VIII, p. 384 et 400.

 

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124. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 2 juillet 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 22 de juin. Je loue Dieu de ce que vos yeux se guérissent, et de la prévoyance que vous avez eue pour nos confrères d’Alger quand vous avez prié M. Le Vacher, de Tunis, de les assister, s’il en a l’occasion.

Je loue Dieu aussi de l’heureux succès de la mission de M. de Lespinay, particulièrement de la réconciliation des habitants et de l’accommodement de ce grand procès. Plaise à sa bonté d’affermir et de multiplier tous les biens qui s’y sont faits.

Je ferai lever, Dieu aidant, une copie en bonne forme du testament de feue Mme de Vins (1) pour la vous envoyer. Nous en avons déjà levé une mais il n’est pas à propos de nous en défaire.

Je ferai vérifier sur nos mémoires votre compte d’avances faites aux forçats. Il eut été mieux de l’envoyer en détail qu’en bloc.

Il est assuré que la fondation de l’hôpital (2) et les gages des aumôniers ont été mis sur l’état de cette année. Il faut en solliciter le paiement de delà des receveurs ou commis des gabelles. Mais, pour l’année prochaine, je ne sais si l’état en est encore arrêté ; je m’en informerai.

Nous avons reçu trente sols pour Jacques Gabat, forçat sur la Saint-Louis, et trois livres pour Claude Lefebvre, dit Lanal ; celui-ci est à Marseille, l’autre à Toulon. Je vous prie de leur faire donner à chacun son fait ; j’en dis un mot à M. Huguier pour le premier.

Nous sommes fort en peine d’un esclave nommé Vital Bernusset, détenu à Napolly de Romani (3) ou à Scio (4), pour lequel MM. les Abbés de Chandenier ont envoyé à Marseille mille deux cents livres par M. Le Vacher, ce me semble, lequel a employé Mme de Valbelle (5) pour recommander le rachat de ce pauvre homme à un marchand de sa connaissance à qui on a envoyé la somme pour le moins. Il avoue avoir reçu trois cent cinquante-quatre piastres, ainsi que je l’ai vu par l’extrait d’une de ses lettres où son nom, ni sa demeure ne sont point marqués, non plus que la date. Il parle que le Père custode, capucin, a pris la peine d’en écrire à Scio à ses Pères pour en traiter

Lettre 124. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 252-254.

1). Voir la note 4 de la lettre N° 107 de la présente édition.

2). L’hôpital des forçats à Marseille.

3). Napoli di Romagna, dans le Péloponnèse.

4). Île de la Mer Egée, proche de l’Asie Mineure.

5). Parente du lieutenant de l’Amirauté de Marseille.

 

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au meilleur compte qui se pourra, trouvant fort à propos que le rachat soit mené par le Supérieur de son couvent. Cependant dit ce marchand, je ne me dessaisirai point de l’argent que ledit Vital ne soit ici, conformément à mon ordre. Je vous prie, Monsieur, de vous informer soigneusement, de Mme de Valbelle, qui est ce marchand ? Où il est ? Et s’il n’a rien écrit de nouveau touchant cet esclave ? A quoi il tient qu’on ne le rachète ? A quoi on a employé le reste de l’argent ? Enfin, tâchez d’avoir une entière connaissance de l’état présent de cette affaire, et de voir ce qui reste à faire pour l’exécution, afin de l’avancer autant que vous pourrez. Car, outre la charité que vous ferez à ce pauvre captif de lui procurer sa liberté au plus tôt, vous ferez un très grand plaisir à M. l’Abbé de Moûtiers-Saint-Jean (6), frère de feu M. l’Abbé de Chandenier, qui a cette affaire à cœur, parce que cet esclave est frère d’un bon ecclésiastique qui est à lui, et nous avons toutes les obligations imaginables de lui obéir ; ce qu’attendant de votre vigilance ordinaire, je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

125. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 16 juillet 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nous avons eu la consolation de voir M. Bayn, qui nous a fait l’honneur de venir céans par deux fois. Je l’ai envoyé visiter chez lui et par votre frère (1) et par un autre. Nous lui avons témoigné tout le respect et la reconnaissance que nous devons à sa personne et à sa bonté, et si l’occasion se présente de le servir, nous le ferons de grand cœur. Il le mérite bien, car pour si peu que j’ai eu le bien de lui parler, il m’a paru plein d’honneur et de vertu.

Je compatis sensiblement à vos douleurs et aux incommodités dont il plaît à Dieu d’exercer votre petite famille. Plaise à sa bonté infinie d’en tirer sa gloire et votre propre sanctification. Au reste, je vous prie de faire tout ce qui est à désirer pour vous et pour les

6). Voir la note 4 de la lettre N° 118 de la présente édition.

Lettre 125. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 254.

1). Nicolas Get, né en 1635, à Chépy, diocèse d’Amiens, entré dans la Congrégation de la Mission en 1655, il partira, avant son ordination sacerdotale, pour la Pologne, en septembre 1660.

 

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autres, pour vous bien porter, et de ne vous hâter pas d’envoyer M. Parisy à Narbonne. Écrivez à M. Desjardins (2) que je vous ai prié d’attendre un nouvel ordre, lequel je diffère de vous donner, dans l’incertitude du voyage de Monseigneur l’Archevêque de Narbonne à Paris, parce que s’il y venait, les choses pourraient changer.

La maison d’Annecy étant satisfaite des frères qu’elle a, il n’est pas à propos d’y envoyer le Frère Le Moyne. J’écrirai à celles de Lorm (3) et de la Rose (4), pour savoir si l’une ou l’autre se pourront accommoder de lui, et je vous le ferai savoir.

J’ai prié Mme Foucquet (5) de s’informer de ce que vous désirez savoir touchant l’hôpital et les aumôniers. J’en attends la réponse.

J’ai reçu le paquet d’Alger. J’en suis bien aise, et néanmoins je ne l’ai encore pu voir. J’écris à M. Huguier qu’il donne à un forçat nommé Jean Fanson 4 livres 10 sols et à François Fremin (6) livres.

J’espère de vous envoyer au premier jour quelqu’argent pour Monsieur le comte d’Insiguin qui est en Alger et pour vous rembourser des avances faites aux forçats.

Je suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

126. — A JEAN PARRE, Frère de la Mission, a Rethel

De Paris, ce 17 juillet 1660.

Mon cher frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Il y a huit jours que je vous ai écrit à Reims et depuis je vous ai encore écrit à Laon et à Saint-Quentin dans le doute si vous étiez

2). Georges Desjardins, né en 1625 à Alençon, diocèse de Sées, ordonné prêtre en 1649, entré dans la Congrégation de la Mission eu 1651 ; il était supérieur de l’établissement de Narbonne depuis 1659.

3). Notre-Dame de Lorm, au diocèse de Montauban, où les missionnaires étaient établis depuis 1652.

4). Notre-Dame de la Rose, au diocèse d’Agen, où les missionnaires étaient établis depuis 1639.

5). Marie de Maupeou, dame Foucquet (1590-1681), Dame de la Charité mère de Nicolas Foucquet, surintendant des finances, de François Foucquet évêque de Bayonne, puis d’Agde, enfin archevêque de Narbonne, de Louis Foucquet, évêque d’Agde.

Lettre 126. — Lettre signée. Original chez les Prêtres de la Mission de Florence (Italie). Sur la "collection" dont fait partie cette lettre, voir la note du P. Combaluzier dans les Annales de la C.M., 1947-1948, p. 307-308.

 

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encore en Champagne. Je vous écris la présente à Rethel afin que, en quelque lieu que vous soyez, vous y receviez de nos nouvelles.

L’assemblée dernière (1), ainsi que je vous l’ai déjà mandé, vous a ordonné 848 livres pour les employer à réparer quelques églises, les plus ruinées et les plus délaissées que vous trouverez en Champagne et Picardie, non pour entreprendre les grosses réparations, car il n’en faudrait qu’une pour consommer tout, mais pour faire en plusieurs les choses plus nécessaires, afin qu’on y puisse célébrer la sainte messe, avec quelque décence, et que l’autel soit à couvert de la pluie et des vents ; encore faut-il excepter celles où les seigneurs dîmiers (2) et les habitants peuvent faire cette dépense, car s’ils le peuvent ils le doivent, et il faut se contenter de les y exhorter. Nous avons céans lesdites 848 livres que vous pouvez prendre et les tirer sur moi quand il vous plaira, ensemble les 500 livres destinées pour en acheter des grains et les donner à semer aux pauvres gens l’hiver prochain, ainsi que je vous l’ai écrit ci-devant, car ce n’est pas une nouvelle aumône, je vous en parle seulement pour vous en faire souvenir.

J’attends que vous me mandiez où vous voulez que nous vous adressions un petit ballot de linge et d’ornements d’église. Je vous avais écrit que nous vous les enverrions à Saint-Quentin, mais cela n’a pas été fait, ayant pensé qu’il valait mieux attendre votre réponse.

Nous ne pouvons pas vous dire encore si vous prendrez congé de la Champagne.

Je suis en Notre-Seigneur, mon cher frère (3)…

Je viens de recevoir votre lettre du 12. Je ferai savoir aux Dames ce que vous me mandez. Je doute fort qu’elles se veuillent mêler de ces deux filles qui ont désir de se retirer en quelque communauté ;

Texte publie avec l’orthographe de l’original dans les Annales de la C.M.,1947-1948, p. 311.

Photographie aux Archives des Prêtres de la Mission à Paris. Saint Vincent, ignorant ou se trouvait le Frère Jean Parre, lui adressa deux lettres, l’une à Reims, l’autre à Rethel ; celle de Reims a été publiée dans l’édition Coste n° 3158 (t. VIII, p. 324-325). Le fond et la forme des deux lettres sont fort semblables, cependant on note quelques variantes, c’est pourquoi nous donnons ici le texte de la lettre de Rethel.

1). Assemblée des Dames de la Charité de Paris.

2). Ceux qui percevaient les dîmes (gros décimateurs) au lieu et place des curés desservants auxquels elles auraient dû normalement revenir. 3). Le bas de la lettre a été découpé à cet endroit.

 

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pour la troisième qui veut être de la Charité (4), elle y pourra être reçue dans quelque temps si elle persévère, ayant les bonnes qualités qu’elle a, mais il est à propos de la remettre pour l’éprouver. Vous la pourrez cependant observer. Je suis en Notre-Seigneur, mon cher frère votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

127. A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 23 juillet 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai fait parler de votre rente due par les héritiers de feue Mme la Marquise de Vins. Il est à propos avant de passer outre que vous nous envoyiez un mémoire du nom des terres où les missions ont été faites ? Combien elles ont duré ? Et comment elles ont réussi ? Et même que vous y joigniez les certificats que vous avez retirés de Messieurs les Curés pour les montrer ici à ceux qui administrent la succession.

Il a plu à Dieu de nous ôter un de nos bons et meilleurs frères. C’est Sirven (1) qui était à Sedan la règle vivante de la maison. Homme sage et intelligent, bienfaisant à tout le monde, qui s’adonnait volontiers au soin et soulagement des pauvres malades et à la consolation des affligés. Toute la ville l’aimait et a assisté à son enterrement depuis les premiers jusqu’aux moindres, témoignant beaucoup de regret de sa privation ; même les hérétiques qui étaient édifiés de sa modestie et de sa charité.

Nous avons grand sujet de croire que Dieu a déjà récompensé son âme dans le Ciel des bons services qu’il lui a rendus sur la terre. Il ne faut pas, néanmoins, Monsieur, laisser de prier Dieu pour elle dans l’incertitude des jugements de Dieu et pour nous conformer à l’usage de l’Église et à la pratique de la Compagnie (2).

4). C’est-à-dire entrer dans la Compagnie des Filles de la Charité.

Lettre 127. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 255-256.

1). Pierre Sirven, Frère coadjuteur, né à Verdun-sur-Garonne (diocèse de Montauban), entré dans la Congrégation de la Mission en 1640, mort à Sedan le 12 juillet 1660.

2). Cet éloge du Frère Sirven se retrouve à peu près dans les mêmes termes dans d’autres lettres de la même époque. Cf. Édit. Coste, lettres n° 3160, 3161, 3169, 3181 (t. VIII, p. 326, 327-328, 333, 349-350).

 

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Je ne puis que vous prier d’assister nos confrères d’Alger dès que vous le pourrez faire sûrement.

M. l’abbé de Chandenier vous remercie et moi avec lui, de ce que vous m’écrivez touchant Vital Bernusset, et nous vous prions de faire changer le premier ordre donné à M. le Consul de Smyrne, en le priant de nouveau de faire tenir l’argent qu’il a pour le rachat de cet esclave, là où il sera nécessaire, et même de fournir ce qu’il faudra, en cas que les 354 piastres ne suffisent. Vous pourrez répondre de son remboursement lequel nous vous enverrons au premier ordre. M. Le Vacher ne nous a pas envoyé celui qu’il a fait donner audit sieur Consul.

Je suis toujours en peine de votre goutte, et nous prions Notre-Seigneur qu’il aie agréable de vous en délivrer.

Nous avons céans trois ou quatre malades qui le sont dangereusement ; c’est de fièvre continue. Il semble que le bon Dieu nous veuille visiter. Son saint nom soit béni et sa volonté toujours accomplie.

J’écris à M. Huguier qu’il donne (3) livres à Laisné dit La Montagne. Nous avons reçu 384 livres pour M. le comte d’Insiguin, esclave en Alger. Nous vous les enverrons au premier jour. Cependant si vous avez l’occasion de les faire tenir à nos confrères pour les lui délivrer, je vous prie de le faire.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

128. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur a Marseille

De Paris, ce 6 août 1600.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 27 juillet. Je viens d’adresser à M. Desdames, en Pologne, celle de M. Truillard. Je n’ai encore pu voir les lettres de Tunis. Je vous ai adressé, la semaine passée, une lettre de change de Messieurs Simonnet sur Messieurs Napollon de 984 livres. Six sont pour vous rembourser des avances faites aux forçats et le reste pour le comte d’Insiguin, esclave en Alger.

Lettre 128. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 256.

 

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Nous solliciterons le payement de la fondation de Madame de Vins quand vous m’aurez envoyé les certificats des missions que vous avez faites.

M. le Procureur général a dit à Madame sa Mère (1) que non seulement la fondation de l’hôpital (2) est sur l’état, mais encore qu’elle doit être payée. Et par conséquent les gages des aumôniers des galères. En ce cas, vous ferez bien de distribuer à chacun sa part.

Je rends grâces à Dieu de votre meilleure disposition et du bon état de votre petite famille. Nous avons eu quelques malades céans, qui se portent mieux, grâces à Dieu, à la réserve du Frère Le Gouz (3) qui est en danger de mort. La perte sera grande, si elle arrive, car c’est un des meilleurs esprits du Séminaire en tous sens.

M. Alméras a été contraint de s’arrêter à Tours, en s’en revenant de Richelieu (4), pour une grande faiblesse qui lui est arrivée, qui nous a mis dans une grande appréhension, mais par sa dernière qu’il n’a pu écrire de sa main, il me mande qu’il se remet peu à peu.

J’embrasse ces Messieurs qui sont avec vous et votre cher cœur en particulier, étant de tout le mien en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

129. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 13 d’août 1600.

Monsieur.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 3 et les certificats des quatre missions que vous avez faites sur les terres de feue Madame la Marquise de Vins. Nous nous en servirons pour solliciter le payement de sa rente.

M. l’abbé de Chandenier ayant vu que l’on parle de 1 000 piastres pour le rachat de Vital Bernusset, ne veut pas répondre pour une

1). Marie de Maupeou, dame Foucquet, Dame de la Charité, était la mère de Nicolas Foucquet, Procureur général et Surintendant des Finances.

2). L’hôpital des galériens de Marseille.

3). René Legouts, né à Saint-Michel de Chavaignes (diocèse du Mans), entré dans la Congrégation de la Mission en 1658 ; il guérit de sa grave maladie puisque nous le trouvons Prêtre de la Mission à Sedan en 1674.

4). M. René Alméras avait été envoyé à Richelieu à l’occasion du passage dans cette localité du roi et de la reine (le 7 juillet 1660).

Lettre 129. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 257

 

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si grosse somme ; mais seulement jusqu’à 500 (1) ; je veux dire qu’en cas qu’on le puisse délivrer pour 500 piastres, il prie qu’on fournisse ce qui manque à la somme qui a été envoyée, et qu’il rendra ce surplus-là, tous frais faits. Je vous prie de vous en rendre caution, et non pour davantage.

Nous sommes fort pressés par la mère de La Rue, esclave en Alger, qui demeure chez le Consul, pour 600 livres qu’elle lui a envoyés et que vous ou M. de Lespinay avez reçus, il y a huit ou neuf mois. Si vous lui avez fait tenir ce secours, mandez-le-moi, ou souvenez-vous de l’envoyer à la première commodité.

Gardez, s’il vous plaît, les 130 livres qui vous restent pour un forçat qui est en voyage, jusqu’à ce que sa mère vous fasse savoir ce que vous ferez de cet argent, puisqu’il n’est pas suffisant pour délivrer son fils. Nous ne savons où elle demeure pour l’en avertir, il faut attendre qu’elle vienne ou qu’elle envoie céans.

Je loue Dieu de ce que vous vous portez de mieux en mieux. Nos malades sont aussi hors de danger par la grâce de Dieu.

Je mande à M. Huguier qu’il donne 30 livres à Pierre Laisné.

Je suis en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

130. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 20 août 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici une nouvelle qui vous affligera : c’est que le bon M. Bayn est malade d’une colique depuis quatre ou cinq jours ; pour moi, j’en suis fort en peine, quoique, grâces à Dieu, il n’y a rien à craindre. Et ce qui augmente ma douleur, c’est que nous n’avons pu le loger céans selon son désir, de quoi il a sujet d’être mésédifié, pouvant penser que nous manquons de reconnaissance et de charité ; et néanmoins, Monsieur, j’ai plus désiré de lui donner cette satisfaction que je ne l’ai jamais désiré pour personne, tant parce que vous nous

1). La copie porte quinze cents ; c’est sans doute une erreur de lecture : le contexte impose le chiffre de cinq cents.

Lettre 130. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C. M., 1943-I944, p. 257-258

 

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l’avez recommandé que pour la grande bonté que j’ai reconnue en lui. Je me suis même appliqué deux ou trois fois aux moyens de le recevoir, et les ai concertés avec notre Frère Alexandre (1) et avec d’autres ; mais il nous a été impossible de trouver en toute la maison un lieu convenable, nos infirmeries sont occupées de nos malades. Nous n’avons que quatre chambres à cheminée dont l’une sert à Mgr l’Évêque d’Oloron (2), une autre à M. l’Abbé de Chandenier, la troisième à M. Pignay, docteur en Sorbonne, notre bienfaiteur, qui tous logent céans ; la quatrième est promise à une personne de condition qui doit venir faire la retraite, et où nous devons loger ensuite un des prédicateurs de la prochaine ordination qui sera un externe. Pour nos petites chambres, vous savez qu’elles sont tout à fait incommodes pour les malades, et qu’au lieu de faire plaisir à M. Bayn en lui en donnant une, nous lui aurions fait tort de le loger si pauvrement. Outre que la plupart de nos prêtres n’en ont point, et qui plus est, nous avons pour l’ordinaire quinze ou vingt exercitants que nous sommes contraints de mettre dans les salles, faute de chambres. Il n’y a donc que la pure impuissance qui nous aie empêché de loger ce bon Monsieur. Nous lui avons offert au reste tout ce qui dépend de nous et lui avons donné un frère pour le servir pendant sa maladie, là où il est.

Je verrai avec Mme la duchesse d’Aiguillon si les nouveaux Fermiers des Gabelles voudront faire payer les gages des aumôniers qui sont sur l’état de cette année. Je crains bien qu’ils en feront difficulté.

On nous a fait espérer, pour le prochain ordinaire, un mandement sur le Receveur des terres de Mme de Vins qui est de là pour recevoir de lui la première année de la rente.

J’écris à M. Huguier qu’il donne à Jean de Bréquigny, forçat, 30 sols, et je prie Dieu qu’il achève de vous guérir et de vous sanctifier par Notre-Seigneur Jésus-Christ en qui je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

1). Alexandre Véronne, frère infirmier de Saint-Lazare.

2). Voir note 2 de la lettre n° 118 de la présente édition.

 

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131. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 27 d’août 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 17. Mme la duchesse d’Aiguillon a fait parler aux Fermiers des Gabelles de Provence pour les prier d’ordonner à leurs commis de payer les gages des aumôniers, mais je n’ai su quelle réponse ils ont faite.

M. Grimancourt (1), exécuteur honoraire du testament de feue Mme la marquise de Vins (2), nous a promis une ordonnance sur le Receveur de ses terres pour vous payer la rente de la première année de sa fondation. J’ai envoyé chez lui pour la retirer. Si je la reçois avant le départ de l’ordinaire, vous le recevrez avec la présente, sinon ce sera pour le prochain.

C’est assez que vous pensez aux grands et pressants besoins de nos confrères d’Alger ; je suis assuré que vous ferez tout votre possible pour les assister au plus tôt. M. Bayn est guéri grâce à Dieu. J’écris à M. Huguier (3) qu’il donne 6 livres 15 sols à M. Ebran, forçat.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

132. — A DOMINIQUE LHUILLIER, Prêtre de la Mission, à Crécy

De Paris, ce 27 août 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit toujours avec vous !

Voici le bon Frère Servin (1) qui s’en va à Saint-Fiacre (2) avec le dessein de repasser par Crécy. Je vous prie de le recevoir avec toute

Lettre 131. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 258-259

1). Jean de La Roche-Lambert, seigneur de Grimancourt, maître d’hôtel du roi, demeurant à Paris.

2). Ce testament, avec ses deux codicilles, a été publié dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 264-273.

3). Le copiste a lu Gagnaire, erreur évidente de lecture.

Lettre 132. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales de la C.M., 1943-1944, p. 259.

1). La copie porte Souvin, il s’agit très probablement de Guillaume Servin Frère coadjuteur, né à Amiens vers 1615, entré dans la Congrégation de la Mission en 1655.

2). Localité proche de Crécy.

 

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la cordialité possible, comme un des bons serviteurs de Dieu qui sont en la Compagnie.

Monseigneur de Meaux (3) m’a fait mander par M. Brin (4) qu’il désirait vous employer en ses visites ; à quoi j’ai répondu que vous n’êtes pas encore assez exercé pour pouvoir prêcher tous les jours ; mon dit Seigneur se contente de ce que vous pourrez faire. Cela étant, je vous prie de lui rendre tous les services qui vous seront possibles en ce saint emploi.

J’ai mandé à M. Brin de vous délivrer de ce pénible et insupportable fardeau, dont la Providence de Dieu vous avait chargé, et qui vous a fait si continuellement pratiquer la vertu de patience, qu’il y a grand sujet de bénir Dieu de la force qu’il vous a donnée pour supporter si longtemps cet homme si fâcheux et si déraisonnable (5). Je crois qu’à présent cela vaut fait. Je me propose d’envoyer un prêtre à Crécy pour y demeurer pendant que vous serez en visite. Je vous prie de me mander quand est-ce qu’il le faudra faire partir.

Je suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

 

133. — A FIRMIN GET, Prêtre de la Mission, Supérieur à Marseille

De Paris, ce 3 de septembre 1660.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nous n’avons encore pu retirer de M. de Grimancourt l’ordonnance qu’il nous a fait espérer sur le reçu des terres de M. le marquis de Vins pour votre rente. Il tire de longue pour gagner temps, mais le ferai presser, Dieu aidant.

Nous avons reçu 12 livres pour Denis Beauvais, 3 livres pour le nommé Urbain Hanis, 3 livres pour Jean Lavergne, tous forçats à Toulon. J’écris à M. Huguier qu’il leur donne à chacun son fait, plus 3 livres à Desloriers.

3). Dominique de Ligny, évêque de Meaux depuis 1659 ; il mourra en 1681.

4). Prêtre de la Mission, alors Supérieur à Meaux.

5). Pierre de Lorthon, secrétaire du roi, fondateur de la maison, fut, par ses exigences et son humeur changeante, une cause permanente de difficultés pour les missionnaires de Crécy.

Lettre 133. — Copie tirée du "Recueil Nodet", publiée dans les Annales C.M., 1943-1944, p. 260.

 

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Nous n’avons encore eu réponse des Fermiers des Gabelles touchant les gages des Aumôniers.

M. l’abbé de Chandenier n’entend répondre pour le sieur Bernusset, esclave, d’aucune chose, sinon qu’on puisse le délivrer et renvoyer en France pour 500 écus. En ce cas, il répond de ce qui pourra manquer aux 400 écus qu’il a déjà envoyés : savoir les 100 écus d’un côté et les frais faits ou à faire pour le port et autres droits des dits 500 écus, en sorte qu’ils soient rendus nets et liquides au dit Bernusset, supposé qu’on n’en puisse rien faire rabattre à son patron, et comme j’ai dit, qu’il le veuille au moins lâcher pour cette somme-là.

J’ai reçu les lettres de Tunis, nous penserons à ce que nous aurons à faire pour conserver ce consulat-là.

Prenez, s’il vous plaît, 1 000 livres sur la masse des quêtes pour en assister M. Le Vacher, de Tunis, et sur ces 1 000 livres, envoyez-lui les habits et autres provisions qu’il demande, et le reste de la somme vous la lui ferez aussi tenir à même temps. Nous verrons puis après si ces quêtes-là sont pour dégager le dit sieur Le Vacher de Tunis, aussi bien que le Consul d’Alger, ainsi que c’est le sentiment de Mme la duchesse d’Aiguillon (1). Cela étant, cela fera autant de pris. Et en cas du contraire, il faudra remplacer des 1 000 francs du premier argent que nous enverrons à Tunis. Tenez en mémoire s’il vous plaît.

Pour secourir nos frères d’Alger, cela est tout à fait nécessaire. Mais il faut faire la guerre à l’œil pour ne rien hasarder dans le trouble présent. Informez-vous auparavant du succès de l’armée, et prenez la peine de nous en avertir, et nous verrons.

Je n’ai encore pu voir le mémoire qui regarde les Pères Cordeliers (2) dites au Supérieur des Observantins que je lui demande encore huit jours pour penser à ce qu’il propose et pour en prendre avis.

Je suis en Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur,

VINCENS DEPAUL,

i.p.d.l.m.

1). Bienfaitrice insigne des deux missions d’Alger et de Tunis.

2). Cordeliers et Observantins sont des branches de l’ordre franciscain.

 

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134. — SAINTE LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

J’ai été priée de vous supplier très humblement, pour l’amour de Dieu, comme je fais, de faire la charité à une pauvre femme qui a très grand besoin d’être enfermée, de faire prier M. Gillot, marchand, demeurant la place aux Chats (1), de lui aider à avoir place à la Pitié (2). Le besoin qui m’a été représenté est tout à fait digne de compassion, tant pour le salut de son âme que pour l’assurance de sa personne. Ce qui fait, Monsieur, que je me suis résolue de vous être importune et vous assurer, par ce mot, que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

L. DE MARILLAC.

 

135. — A LOUISE DE MARILLAC

Les deux lettres que je vous renvoie, Mademoiselle, me semblent bien. Je pense que vous feriez bien de mettre (1) ma Sœur Barbe à la retraite. Je l’entendrai à confesse, Dieu aidant, et lui parlerai par même moyen samedi prochain, ne le pouvant plus tôt, à cause de l’embarras dans lequel je suis, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENS DEPAUL.

Lettre 134. — Lettre autographe non datée. Original Archives Mission, Paris. Texte publié avec l’orthographe et la disposition de l’original dans les Annales de la C. M., 1961-1962, p. 16.

1). Place de Paris située près du Cimetière des Innocents.

2). Hôpital de Paris, bâti non loin du Jardin des Plantes.

Lettre 135. — Lettre autographe non datée. Original Archives Mission, Paris. Texte publié avec l’orthographe et la disposition de l’original dans les Annales de la C.M., 1961-1962, p. 16.

1). M. Vincent avait alors écrit :" vous ferez bien de parler…" il a corrigé par : "mettre".

 

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136. — SAINTE LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

J’oubliai hier de vous demander si notre Sœur Renée demeurera cette fois pour faire sa retrait e ; c’est à peu près le temps que votre charité lui avait marqué. Et si elle demeure, trouverez-vous bon que notre Sœur Claude (1), de Chinon, aille, ce temps, occuper sa place ? Elle fait ici l’école assez souvent et fait bien.

Je vous supplie très humblement vous souvenir du besoin que nous avons d’une conférence. Que si ce pouvait être cette semaine pour nous servir de meilleure disposition à la fête de la Sainte Vierge, vous nous ferez la charité de nous avertir du jour. Toutes nos sœurs en ont grand désir. Et nos sœurs qui espèrent n’être plus retardées pour se donner tout à Dieu (2), vous supplient de le bien vouloir, et moi que je me dise, Monsieur, votre très humble et très obligée fille et servante. L. M.

La réponse est au bas :

Je pense que vous ferez bien de faire faire à présent la retraite à cette bonne fille et d’envoyer l’autre à sa place pendant cela.

La conférence se pourra faire, comme j’espère, vers vendredi ou samedi et non plus tôt.

Bon soir, Mademoiselle. Je suis votre serviteur.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

Lettre 136. — Lettre autographe non datée ; la réponse de Saint Vincent est, elle aussi, autographe, Original chez les Filles de la Charité de l’Hôtel-Dieu de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir). Texte publié dans les Annales de la C.M., 1931, p. 293. Photographie aux Archives de la Maison-Mère des Prêtres de la Mission à Paris.

1). Plusieurs Filles de la Charité portaient ce prénom ; il n’est pas possible de savoir de qui parlent Sainte Louise et Saint Vincent.

2). Il s’agit des vœux, donc postérieurement à 1642,

 

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137-138. — AUX ADMINISTRATEURS DE L’HÔPITAL DE NANTES (1)

ET A LOUISE DE MARILLAC

Extrait d’Abelly, Vie du Vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul… Seconde édition, Paris, 1667. 2 Livres (Livre II, p. 234-235).

"… Ayant eu avis que les administrateurs de l’hôpital de Nantes désiraient mettre des religieuses hospitalières en la place des Filles de la Charité qui servaient leurs malades, il leur écrivit aussitôt qu’il avait ouï dire beaucoup de bien de ces religieuses, et que si c’était leur dessein de les établir à Nantes, et de congédier les Filles de la Charité, il les priait très humblement de le faire sans aucune difficulté. Il envoya sa lettre toute ouverte à Mademoiselle Le Gras, supérieure de ces bonnes Filles, et lui manda qu’il en fallait user de la sorte, et n’avoir aucune peine de ce renvoi car, disait-il, l’esprit du christianisme veut que nous entrions dans les sentiments des autres ; Notre-Seigneur même en userait ainsi, s’il conversait encore visiblement sur la terre, et l’on doit espérer que Dieu tirera sa gloire de ce changement et si on le laisse faire."

 

139. — A LOUISE DE MARILLAC

Extrait de Collet (P.), Traité des devoirs de ta vie religieuse… Lyon, 1765, 2 tomes (T. I, p. 52-53).

"… Tel fut d’abord le caractère de la pieuse Louise de Marillac, si connue et si respectée de nos jours sous le nom de Mademoiselle Le Gras. Vincent de Paul, qu’on n’accusera pas d’être resté oisif pendant la longue carrière qu’il a fournie sur la terre, fut plus d’une fois obligé de modérer le feu saint qui dévorait cette illustre veuve ; et de lui présenter, comme il a fait en bien d’autres occasions, que les œuvres de Dieu ont leurs commencements et leur progrès ; que quand il voulut sauver Noé et sa famille, il lui commanda de faire une arche qui pouvait être achevée en peu de mois, et dont toutefois la construction dura cent ans ; qu’il n’envoya son Fils sur la terre pour remédier au péché du premier homme, que plusieurs siècles après qu’il eut été commis ; que ce Fils, qui aurait pu venir dans un âge

Lettres 137-138. — Non datées.

1). Les Filles de la Charité étaient établies à Nantes depuis 1646 ; elles y connurent un certain nombre de difficultés qui durent plusieurs fois faire envisager leur rappel.

Lettre 139. — Non datée.

 

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parfait, avait voulu naître petit enfant, et croître en âge comme les autres hommes ; qu’il disait quelquefois, en parlant de ce qu’il avait à faire, que son heure n’était pas encore venue ; pour nous apprendre à ne nous pas trop presser dans les choses qui dépendent plus de Dieu que de nous ; qu’il aurait pu former ses disciples en un jour, et que cependant il y employa plusieurs années ; qu’il aurait pu même établir de son temps l’Église par toute la terre ; mais qu’il se contenta d’en jeter les fondements, et qu’il laissa le reste à faire à ses apôtres et à leurs successeurs. Que faut-il donc faire, poursuivait le saint prêtre, aller doucement, prier beaucoup, attendre en paix les moments de Dieu, les saisir avec joie quand ils sont arrivés…"

 

140. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Extrait d’Abelly (L.), Vie du Vénérable Serviteur de Dieu, Vincent de Paul… Seconde édition, Paris, 1667, 2 Livres. (Livre II, p. 231).

"… Ayant reçu un don fort considérable d’une personne de grande piété, un parent proche du bienfaiteur témoigna en être mécontent, bien qu’il n’eut aucun droit de s’y opposer. Aussitôt que Monsieur Vincent en eut connaissance, il déclara à ce bienfaiteur en présence de ce même parent, qu’il renonçait de bon cœur au bien qui lui avait été donné ; et il écrivit ensuite à un prêtre de sa Congrégation, tout ce qui s’était passé dans cette rencontre, et il ajouta ces paroles dignes de remarque : J’ai déclaré à ces Messieurs que nous renoncions entièrement au bien qui nous avait été fait, préférant l’union de leur famille à notre intérêt temporel ; c’est pourquoi je vous prie de me renvoyer les papiers que je vous avais adressés pour ce sujet. Ne sommes-nous pas heureux, Monsieur, de pouvoir faire cet acte de désintéressement, pour l’union de la famille de notre bienfaiteur. Je vous assure que je prends ceci pour une grâce particulière de Dieu, qui nous donne cette occasion de postposer nos intérêts temporels aux avantages spirituels de cette famille…"

 

141. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Extrait d’Abelly (L.), Vie du Vénérable Serviteur de Dieu, Vincent de Paul… Seconde édition, Paris, 1667. 2 Livres. (Livre II, p. 168-169)

Lettre 140. — Non datée.

Lettre 141. — Non datée.

 

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"… Nous devons remercier Dieu […] de la place que nous tenons dans le cœur de ce bon Seigneur, dont vous me faites mention ; elle est convenable aux serviteurs de Jésus-Christ, qui n’en doivent désirer aucun hors de lui, qui leur soit avantageuse ou honorable ; et qui pour se rendre agréable à ses yeux et plus semblables à sa vie, doivent se réjouir de la froideur et du rebut des grands du monde et se plaire dans le rang des petits, car c’est à ceux-ci que le Royaume des cieux appartient. Il y a danger de complaisance ou de vanité pour ceux qui trouvent dans les autres des témoignages de bonne estime ou d’affection particulière, au lieu que dans le contraire l’on trouve de quoi s’humilier et mortifier l’amour-propre, ce qui est un bien incomparable. Plaise à Dieu, Monsieur, nous bien établir dans cette pratique, jusqu’à nous faire estimer le mépris de quelque part qu’il vienne, et nous faire désirer que les autres nous soient préférés aux emplois et aux rangs honorables…"

 

142. — AU PÈRE HILARION RANCATI

Révérendissime Pater,

Postquant didici ex litteris ab Urbe Roma ad me missis quanto cum studio et affectu P. V. Reverendissima in negotio confir1nationis Consitutionum nostrarum nobis favere dignita sit, valde demiratus sum omnino ignorans, unde talis ac tanta P. V. Reverendissimae erga nos tam indignos, et illi inutiles, imo antehac illi penitus ignotos benevolentia processisset. Et cum nullam ex parte nostra tantae gratiae causam esse videam, ullam eximiae charitati suae, quae in hoc nihil aliud praeter Deum potuit intueri, totam compellor adscribere. Quare cum referendis gratiis prorsus imparem me esse sentiam, Deum O M. enixe rogo ut ipsemet P. V. Reverendissimae merces sit magna nimis. Orationes quamplurimas et sacrifia non pauca indixi in hacce domo nostra Parisiensi ; scripsi etiam ad nostros, qui aliis in domibus Congregationis nostrae degunt, ut idipsum facerent pro incolumitate et prosperitate P. V. Reverendissimae, quam Congregatio nostra inter suos praecipuos benefactores semper adnumerabit, et ipsa tota, licet pauca

Lettre 142. — Non datée, étant donné le rapprochement possible avec la lettre 99 de la présente édition, on peut penser qu’elle est de 1658 ou 1659. Le texte latin de la lettre a été publié dans les Annales de la C.M., 1951 p. 375 (avec quelques coquilles faciles à corriger) d’après Fumagalli (A.) Vita del P.D. Ilarione Rancati… Brescia, 1762 (p. 119). Sur le P. Rancati et ses relations avec la Congrégation de la Mission, voir Annales de la C.M., 1951, p. 374-377.

 

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se perpetuo illi addictam esse gaudebit, et palam profitebitur. Sic vota nostra bonorum omnium desideriis sincerissime consociantes, demissis animis ex justitiae debito offerimus sicque Paternitatem Vestram in dies donis coelestibus et gratiis divinis cumulari cupit.

P. V. Reverandissimae

Humill. et Obseq. servus

Vincentius a Paolo

Congr. Miss. Sup. Generalis.

Traduction :

Révérendissime Père,

Après que j’eus appris, par des lettres expédiées de Rome, le zèle et l’affection avec lesquels Votre Paternité Révérendissime avait daigné nous aider dans l’affaire de la confirmation de nos Constitutions, je me suis demandé, dans l’ignorance où j’en étais, d’où venait cette bienveillance de Votre Paternité Révérendissime envers nous, indignes, incapables de lui rendre service et jusqu’alors absolument inconnus d’Elle. Et comme je vois de notre côté aucune raison à cette bienveillance, je suis obligé de l’attribuer à Votre charité qui, dans cette affaire, n’a eu en vue que Dieu seul. C’est pourquoi, me sentant absolument incapable de rendre ce bienfait, je demande avec ardeur à Dieu qu’il soit lui-même la récompense abondante de Votre Paternité Révérendissime. J’ai ordonné beaucoup de prières et de sacrifices dans notre maison de Pans, j’ai écrit aussi à ceux de nos confrères qui résident dans les autres maisons de notre Congrégation afin qu’ils fissent de même pour le salut et la prospérité de Votre Paternité Révérendissime que notre Congrégation comptera toujours parmi ses principaux bienfaiteurs ; notre Congrégation tout entière, encore que peu nombreuse, proclamera publiquement sa joie d’être pour toujours à votre service. En toute humilité, comme il se doit, nous offrons à Votre Paternité Révérendissime nos vœux unis sincèrement aux souhaits de tous les gens de bien. Que vous soyez comblé des dons célestes et des grâces divines, c’est ce que désire

de Votre Paternité Révérendissime

le très humble et très obéissant serviteur

Vincent de Paul,

Supérieur général de la Congrégation de la Mission

 

143. — A X… (destinataire Inconnu)

Extrait d’Abelly (L.), La vie du Vénérable Serviteur de Dieu, Vincent de Paul… Paris, 1664, 3 Livres (Livre I, p. 253-254) (1). "Il remettait quelquefois aux siens, devant les yeux la pensée de la mort comme une des plus salutaires, et les exhortait à s’y préparer par

Lettre 143. — Non datée.

1). Ce texte a été repris par Collet (P.), La vie de Saint Vincent de Paul…. Nancy, 1748, 2 tomes (t. II, p. 109) avec quelques modifications sans importance.

 

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de bonnes œuvres, les assurant que c’était là le meilleur et le plus assuré moyen pour bien mourir. Il voulait pourtant que cette pensée de la mort fut animée de confiance en la bonté de Dieu, et non pas telle qu’elle nous causât aucun abattement ou inquiétude d’esprit. Ce fut l’avis qu’il fit donner à une personne, qui ayant une vive appréhension de la mort, l’avait incessamment dans la pensée, car il lui fit dire, comme il se voit dans une lettre qu’il écrivit sur ce sujet, que la pensée de la mort était bonne, et que Notre-Seigneur l’avait conseillée et recommandée ; mais qu’elle devait être modérée, et qu’il n’était pas nécessaire ni expédient que cette personne l’eût incessamment présente en son esprit, qu’il suffisait qu’elle y pensât deux ou trois fois le jour, sans s’y arrêter néanmoins beaucoup de temps, et même si elle s’en trouvait inquiétée, qu’elle ne s’y arrêtât point du tout, et qu’elle s’en divertît doucement."

 

144. — LETTRE DE G. PLUYETTE A SAINT VINCENT

Monsieur,

J’avais été il y a quelque temps à Paris, pensant vous y voir et vous parler de mon neveu Matthieu Pluyette, boursier de votre collège, lequel continue ses principes dans le collège de Senlis. Comme je vous avais parlé, j’eusse bien désiré que vous eussiez pris la peine d’écrire un mot, prévenant qu’il demeurât là pour quelque temps. Je crains qu’on ne trouve pas bonne cette demeure ; je pense que cela n’est pas contre l’intention du fondateur. Je vous ai envoyé un mot par mon homme qui retient le premier payement, afin de vous bailler quittance pour le second quartier échu à la saint Rémi. J’avais baillé quelque chose au cousin Etienne Pluyette, sur la croyance qu’il ne recevrait rien du quartier de Pâques, mais je pense qu’il en a reçu quelque chose et que vous gardez le reste. Je vous envoie la quittance en blanc de ce qu’il […], et quand je pourrai, je vous verrai, ce qu’attendant, je demeurerai, Monsieur, votre très humble serviteur.

G. PLUYETTE.

(Sans date).

Lettre 144. — Lettre signée.

Original aux Arch. Nat. (Paris) M.105 (Collège des Bons-Enfants).

 

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E N T R E T I E N S

1. CANEVAS D’ENTRETIEN

AUX DAMES DE LA CHARITÉ DE L’HÔTEL-DIEU

SUR L’ŒUVRE DE LA VISITE DES MALADES

1638-1642

Entretien pour les 14 de la Charité de l’Hôtel-Dieu (1)

I. Des raisons qu’elles ont pour embrasser ce saint exercice. Il. Ce qu’il faut faire devant la visite. III. Ce qu’il faut faire pendant IV. Ce qu’il faut faire après.

1° Motif que Dieu vous a appelées et choisies pour cela par l’ordre de la Providence.

2° Que par ce bon œuvre, l’on ôte les âmes de l’empire du diable et l’on les rétablit en celui de Dieu ; pensez quelle consolation a un prince chassé de sa principauté, de se voir rétabli.

3° Que vous êtes cause que les pécheurs qui meurent en suite de ces instructions et confessions générales s’en vont droit en paradis et que ceux qui guérissent mèneront une bonne vie.

4° Vous assurez votre salut en sauvant vos âmes.

Ce qu’il faut faire devant.

1° Offrir dès le réveil du matin dont vous devez servir le jour les malades, toutes vos pensées a Dieu afin qu’il vous fasse la grâce de bien faire ce bon œuvre.

2° Communier ce jour-là à cette intention, réellement ou spirituellement.

3° S’humilier en la vue de Dieu et de votre pauvreté pour un si grand œuvre.

I. Canevas d’entretien. Ms. autogr. 4 p. 9 x 21 cm. Ce texte se rattache aux autres canevas d’entretien aux Dames de la Charité publiés au t. XIII des Œuvres se Saint Vincent (édit. Coste), p. 761-802, l’original fait partie de la collection d’autographes de Cardinal Manning à Londres. Photogr. Arch. Miss. Paris. D’après le contenu et l’écriture, ce texte peut être daté des environs de 1638- 1642.

1). La Compagnie des Dames de la Charité comptait, depuis 1636 un groupe de quatorze Dames chargées de préparer les malades à la confession de leurs fautes.

 

- 178 -

Ce qu’il faut faire pendant.

1° Leur préparer l’esprit en les saluant gracieusement, et leur disant : "Oh ça, mon enfant, qui pensez-vous qui vous ait envoyé le mal que vous avez ? C’est Dieu. 2 Et pourquoi ? C’est pour vous attirer à Lui, ou pour vous faire mener une meilleure vie.)~

2° Il faut leur dire que pour profiter de leur maladie, il faut faire deux choses : primo, être instruit des choses nécessaires à salut, voici l’autorité : "Haec est vita aeterna ut cogniscant te Deum verum et quem misisti filium" (2). Or, ce qui est nécessaire à salut à savoir qu’il y a un Dieu en trois personnes.

3° Il leur faut dire qu’il faut faire leur confession générale et la raison pour cela c’est qu’il faut savoir que par le baptême nous sommes faits enfants de Dieu, et que, offensant sa divine majesté, nous devenons enfants du diable, que le moyen de revenir à la dignité d’enfant de Dieu, c’est la confession bien faite, et je dis bien faite, pour ce que celles qui ne le sont pas ne font pas cet effet ; qu’une confession bien faite a quatre conditions : 1° de bien examiner sa conscience, etc. Et pour ce que nul ne peut assurer d’avoir bien fait ses confessions passées, ni par conséquent d’être rentre dans la grâce de Dieu, il faut faire une confession générale, laquelle se fait comme les autres excepté que là on ne s’accuse que des passés, etc.

Ce qu’il faut faire après.

1° Au sortir de rende grâces à Dieu de ce que vous aurez fait.

2° De penser en vous en retournant à la manière qua vous vous êtes prises à ce bon œuvre et aux moyens de remédier aux manquements.

3° Si vous avez trouvé quelque secours à donner pour sortir du péché, le faire au plus tôt.

CANEVAS D’ENTRETIEN AUX DAMES DE LA CHARITÉ

RAPPORT SUR L’ŒUVRE DES ENFANTS TROUVÉS

1647

"L’assemblée est à trois fins : 1° L’une pour rendre compte à la Compagnie de l’état des affaires d’icelle ; 2° Pour agiter s’il est expédient qu’elle continue le soin des pauvres à l’Hôtel-Dieu et

2. S. Jean XVII, 3 (citation approximative).

2. Canevas d’entretien. Ms autogr. 2 p. 8 x 21 cm. On peut noter la parenté (même sujet, mêmes motifs développés, même réalisme) avec les canevas d’entretien publiés dans le t. XIII des Œuvres de Saint Vincent (édit. Coste) p. 761-802. Photogr. Arch, Miss. Paris. Quelques fragments du présent texte ont été publiés au t. XIII. N° 197, p. 802, d’après le Catalogue (1914) de S. Kra, marchand d’autographes. L’original a été mis eu vente le 14 décembre 1965 à l’Hôtel des Ventes (rue Drouot, Paris). Offert à 900 Fr, il a été adjugé pour la somme de 3 100 F. Ce document peut être daté de la deuxième moitié de l’année 1647, après le 7 juillet, date probable de l’installation des Enfants trouvés à Bicêtre.

 

- 179 -

des enfants trouvés, et au cas qu’il soit jugé quels moyens il faut prendre pour la faire subsister ; 3° Pour procéder à l’élection d’une trésorière des enfants.

PREMIER POINT

Il y a 820 enfants trouvés dont il y a 150 de sevrage et les autres en nourrice. L’on a dépensé cette année à l’Hôtel-Dieu… dont l’on doit encore environ quatre mille livres. L’on a dépensé pour les enfants environ 35 000 livres dont l’on a encore…

Il a plu à la reine de donner le château de Bicêtre aux enfants pour leur logement jusqu’à ce que le public ait besoin de cette maison pour une chose de plus grande importance.

DEUXIÈME POINT

Il semble pour quatre raisons que la Compagnie doive abandonner l’œuvre des enfants, à cause qu’il faudra peut-être 40 000 livres l’année prochaine et que les enfants n’en ont qu’environ 13 000 livres ; 2° Pour ce que nous sommes en temps de guerre où les aumônes sont rares à cause des incommodités publiques ; 3° Pour ce qu’il vaut mieux quitter l’œuvre de bonne grâce que d’attendre que la nécessité nous y contraigne ; 4° Et puis, il semble que ce n’est pas là une œuvre de femmes.

Voici la réponse à ces trois (sic) raisons : quant à la première, que le bon Dieu a assisté la Compagnie jusqu’à présent en sorte que sa Divine Providence jusqu’à présent a pourvu à ce bon œuvre, sans qu’on se soit notablement endetté, en quelle conscience peut-on se défier de la Providence de Dieu puisqu’elle ne nous a manqué jusqu’à présent ?

Quant au second point, ce bon œuvre s’est commencé et a été poursuivi pendant la guerre, et nous avons sujet d’espérer que le bon Dieu de paix nous donnera la paix et nous continuera sa Providence pendant la guerre.

Quant au troisième point, qui est de quitter de bonne grâce, hélas, Mesdames, le peut-on en conscience tandis que le bon Dieu assiste l’œuvre par sa Providence qui lui a donné cette année un logement qui a coûté deux cent mille livres et puis à qui le… nous à ceux qui le vous ont donné, en ce cas vous voyez bien où cela ira, pour l’Hôtel-Dieu, ils prétendront que cela n’est pas de leur fait.

Que ce ne soit pas là une œuvre de femmes, sachez, Mesdames que Dieu s’est servi de votre sexe pour faire les plus grandes choses qui se sont jamais faites au monde ; lesquels des hommes ont jamais fait ce que Judith a fait, ce qu’a fait Esther, ce qu’a fait en ce royaume La Pucelle d’Orléans, ce qu’a fait sainte Geneviève qui pourvut Paris de vivres pendant une famine ? et enfin

 

Tome XV (Mission et Charité)

Ajout d’une notice et de corrections p. 59-61 :

l’original est retrouvé et nous en avons photocopie B. KOCH

- 59 - Samedi 5 septembre 98

48 - À BONIFACE NOUELLY 1

7 septembre 1646

Original dans une collection privée, en Allemagne. Photocopie aux Archives de la C. M. Paris.

Publiée dans les Annales de la C. M., 1926, p. 233-235.

Le haut des marges externes étant rongé des souris, les parties manquantes, restituées sont entre crochets droits.

En rouge et entre chevrons : les mots inexacts de l’édition Mission et Charité (tome XV).

Notules des archivistes successifs :

a) Paris. M. Vincent le 22 janvier 1647 b) <2° main> Lettre de consolation

l faut se supporter, car <mot barré> et de la manière qu’il faut recevoir

+ les accidents fâcheux

Le 25 janvier 1647 <3° main> et supporter en Dieu l’empri-

sonnement des frères.

À Monsieur

Monsieur Nouel, prêtre

de la Mission

à Alger. * * *

Folio 1 recto

De Paris, ce 7 septembre 1646

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous po[ur] jamais !

Je prie Notre-Seigneur, qu'il vous fasse conna[ître] la consolation incomparable que vos lettres [m'ont] apportée. Je prie sa divine bonté, qui vous a 2 choisi de toute éternité pour un 3 œuvr[e de] cette importance, qu'il vous donne l'esprit qu'il [a eu] en sa dévotion intérieure dans la soumission externe qu'il rendait à saint Joseph.

O Monsieur, que de démons que le prince des démons a députés, pour vous tenter dans cet état. L'emploi de notre cher frère 4, la diversité des sentiments, le désapprouvement mutuel et réciproque et la naturelle inclination que nous avons que toutes choses nous fassent jour 5 <cèdent>, que toutes ces choses ont chacune un esprit malin, qui travaillent incessamment pour rompre le lien de la charité dont Dieu a uni vos cœurs ! Mais tenez bon, Monsieur ; humiliez-vous très bien pour tous deux ;

Lettre 48. — Lettre autographe. "Original mis en vente par M. Lemasle, marchand d'autographes à Paris, en 1925 ou 1926. Texte publié dans les Annales de la C. M.,1926, p. 233-235".

Remis en vente à Berlin en juillet 1998, à partir de la Collection Geigy, par Stargandt - Autographenhandlung, Katalog 670, nr 1188, pour 2500 DM, acheté par un médecin de Hanovre, qui en a envoyé photocopie aux Archives de la C. M. Paris en août 98. 3 pages écrites de 22,5 x 17 cm en moyenne et la dernière portant l’adresse, la suscription, sur une grande feuille pliée en deux. Le haut des marges extérieures a été rongé par les souris.<B. Koch, samedi 5 septembre 98>

___________________________

1. Boniface Nouelly (ou Nouel, ou Noel), né en 1618 à Collonges, diocèse de Genève, entré déjà prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1643. Arrivé à Alger en 1646 avec Frère Jean Barreau, il y mourra en 1647, victime de la peste contractée au chevet d'un malade qu'il assistait.

2. M. Vincent il avait d’abord écrit "qu’en vous a[mots barrés et rongés ] cela sup", il a alors barré "en", écrivant dessus "i" : "qui vous a choisi".Les mots rongés ayant déjà été barrés, il ne manque donc rien.

3. "Œuvre", comme "rencontre", comme plusieurs autres mots féminins aujourd’hui, étaient alors masculins.

4. Le Frère clerc Jean Barreau, pas encore prêtre. Né en 1612 à Paris, avocat au Parlement, entré en 1645 dans la Congrégation de la Mission, arrivé à Alger en 1646 comme consul de France, il mourra à Paris en 1679 ou peu après.

5. "Faire jour" : céder.

- 60 -

produisez quantité d'actes intérieurs vers cette chère moitié de vous-même, et vous renverserez ces spectres malins, et les précipiterez au fin fond des enfers, en sorte qu'ils ne vous tenteront jamais plus. Imaginez-vous, Monsieur, que la sainteté de votre emploi et l'état de votre manière font <fait> enrager les démons.

Travaillez cependant à votre ouvrage capital, Monsieur, visitez, consolez, fortifiez et animez de l'esprit de Dieu vos pauvres esclaves 6. C'est là le principal et l'unique sujet de vos emplois; le reste est subalterne à celui-là.

O Monsieur, que M. Chrétien 7 <en (inexistant)> fait bien au gré d'un chacun !

Folio 1 verso 8

Chacun reconnaît que l'esprit de Dieu anime et conduit le sien. Pouvez-vous pas vous entr'écrire l'un à l'autre ? S'il y a moyen, j'en serai consolé, afin que la mutuelle communication vous entr'anime l'un l'autre et vous entr'aide. Si vous le faites, il faut que cela se fasse avec tant de discrétion que personne ne trouve à redire à vos lettres quand elles seraient <seront> interceptées.

J'écris à M. le consul 9 mes <nos> petits avis sur deux sujets. La communication de sa lettre, que vous préviendrez 10 par la vôtre, vous informera de ce que je lui <vous> dis. Aussi bien suis-je extrêmement pressé.

Voici une nouvelle que je m'en vas vous dire, qui vous fera part de la grande affliction en laquelle nous sommes de l'emprisonnement, au Parlement de Rennes, de M. de Beaumont 11, où il court risque de sa vie. Voici le sujet. Monsieur de Saint-Malo 12 nous a établis à Saint-Méen 13 dans son diocèse, où il a fait un séminaire d'ecclésiastiques, auquel il a uni, du consentement du roi, la mense des religieux de l'abbaye, de leur consentement aussi, conformément au concile de Trente et aux ordonnances de nos rois. Les religieux réformés de Saint-Benoît se sont plaints au Parlement et l'ont animé, de sorte qu'ils nous ont chassés de ce lieu-là ; et y ayant été rétablis par l'autorité du roi, ils ont pris prisonnier ledit sieur de Beaumont et ordonné que nous serons chassés de la province, contre les arrêts du roi, qui nous y maintiennent.

___________________________

6. B. Nouelly avait été envoyé à Alger pour le service spirituel des esclaves chrétiens captifs à Alger.

7. Jean Chrétien, né en 1606 à Oncourt, diocèse de Toul, ordonné prêtre en 1631, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640 ; il était, en 1646, Supérieur de la maison de Marseille ; mort après 1667.

8. M. Vincent laissnt assez de marges à gauche, la partie rongée n’a pas touché les mots sur cette page.

9. Le consul était le Frère Jean Barreau, clerc de la Mission, évoqué ci-dessus.

10. "Prévenir" n’a pas ici le sens d’avertir, mais de "venir avant", "devancer". Ceci suppose soit que M. Nouëlly lira la lettre de M. Vincent à Jean de Barreau, ce qui était alors un des devoirs des supérieurs, sauf, il est vrai, pour la correspondance avec les supérieurs majuers, ce qui était le cas ici, - soit qu’il demande à Jean Barreau de lui faire part du contenu après lui avoir parlé de la sienne, selon ce conseil de la montrer avant.

11. Pierre de Beaumont, né en 1617 à Puiseaux, diocèse de Sens, entré dans la Congrégation de la Mission en 1641, ordonné prêtre en 1644, placé à Saint-Méen, il fut emprisonné quelque temps à la suite des affaires soulevées par l'établissement des Missionnaires en 1645. Sur cette pénible affaire, voir Coste : Le grand saint du grand siècle, Monsieur Vincent, t. II, p. 133-144.

12. Achille de Harlay de Sancy, né à Paris en 1581, entré à l'Oratoire en 1620, nommé évêque de Saint-Malo en 1631 ; il mourut à Saint-Malo le 20 septembre 1646.

13. Saint Méen, abbaye bénédictine dont Achille de Harlay, évêque de Saint-Malo, était abbé commendataire, où il ne restait que deux moines âgés qui ne pouvaient plus entretenir les bâtiments. L’évêque avait fait une enquête dont le procès-verbal est conservé aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine à Rennes, avec d’autres documents sur cette union de l’abbaye au Séminaire. La "mance", c’est-à-dire la "mense", est l’ensemble des revenus pour assurer la subsistance des personnes d’une institution, diocèse ou abbaye.

- 61 -

Voilà, Monsieur, comme nous avons sujet d'honorer le déchassement de Notre-Seigneur de quelques provinces et celui des apôtres, et comme notre petite Compagnie a commencé à souffrir en prison sans avoir mal fait, ains 14 <ainsi> Dieu ayant béni ses travaux d'une manière particulière et notamment ceux de M. de Beaumont, qui est des plus hommes de bien que j'aie

Folio 2 recto

jamais connus et des meilleurs ouvriers de la Compa[gnie]. Nous souffrons en cela, selon ce qui paraît par [la] haine qu'ils ont conçue <omis> contre mondit sieur l'évêq[ue de] Saint-Malo, à cause qu'il s'est retiré 15 <adressé> au grand C[onseil, au] lieu de se retirer <s'adresser> à eux pour l'enregistrem[ent de] nos lettres d'établissement au Parlement.

Je vo[us fais] part de ma douleur, afin que vous voyiez [que] vous trouvez votre sûreté en <et> travaillant parm[i] les infidèles, tandis que nous souffrons toutes ces choses parmi les fidèles.

Je suis pressé de finir en me recommandant à vos saintes <omis> prières. qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur,

Monsieur,

votre très humble et obéissant serviteur.

Vincens Depaul

Indigne prêtre de la Mission.

___________________________

14. "Ains" était courant en ancien français pour dire "mais". C’est un contresens de le transcrire par "ainsi".

15. Les sens courants, même à cette époque, tournaient autour de "quitter", "chercher une retraite"; il semble très rare de l’utiliser comme ici pour dire "chercher soutien", "chercher garantie", "s’adresser à".

 

 

Texte à l’authentique

A Monsieur

Monsieur Nouel, presbtre

de la Mission

à Alger.

Folio 1 recto

De Paris, ce 7 7bre 1646

Monsieur,

La grâce de Nostre Seigneur soit avecq vous po[ur] jamais !

Je prie Nostre Seigneur, qu'il vous face cogno[istre] la consolation incomparable que vos lettres [m'ont] apporté. Je prie sa divine bonté, qui vous a 2 choisi de toute éternité pour un 3 œuvr[e de] ceste importance, qu'il vous donne l'esprit qu'il [a eu] en sa dévotion intérieure dans la soubzmission externe qu'il rendoit à st Joseph.

O Monsieur, que de démons que le prince des démons a députté, pour vous tenter dans cest estat. L'employ de nostre cher frère 4, la diversité des sentimens, le désaprouvement mutuel & réciproque & la naturelle inclination que nous avons que toutes choses nous fasent jour 5, que toutes ces choses ont chascune un esprit maling, qui travaillent incessament pour rompre le lien de la charité dont Dieu a uni vos coeurs. Mais tenez bon, Monsieur; humiliez-vous très bien pour tous deux;

Lettre 48. — Lettre autographe.

"Original mis en vente par M. Lemasle, marchand d'autographes à Paris, en 1925 ou 1926. Texte publié dans les Annales de la C. M.,1926, p. 233-235".

Remis en vente à Berlin en juillet 1998, à partir de la Collection Geigy, par Stargandt - Autographenhandlung, Katalog 670, nr 1188, pour 2500 DM, acheté par un médecin de Hanovre, qui en a envoyé photocopie aux Archives de la C. M. Paris en août 98. 3 pages écrites de 22,5 x 17 cm en moyenne et la dernière portant l’adresse, la suscription, sur une grande feuille pliée en deux. Le haut des marges extérieures a été rongé par les souris.<B. Koch, samedi 5 septembre 98>

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1. Boniface Nouelly (ou Nouel, ou Noel), né en 1618 à Collonges, diocèse de Genève, entré déjà prêtre dans la Congrégation de la Mission en 1643. Arrivé à Alger en 1646 avec Frère Jean Barreau, il y mourra en 1647, victime de la peste contractée au chevet d'un malade qu'il assistait.

2. M. Vincent il avait d’abord écrit "qu’en vous a[mots barrés et rongés ] cela sup", il a alors barré "en", écrivant dessus "i" : "qui vous a choisi".Les mots rongés ayant déjà été barrés, il ne manque donc rien.

3. "Œuvre", comme "rencontre", comme plusieurs autres mots féminins aujourd’hui, étaient alors masculins.

4. Le Frère clerc Jean Barreau, pas encore prêtre. Né en 1612 à Paris, avocat au Parlement, entré en 1645 dans la Congrégation de la Mission, arrivé à Alger en 1646 comme consul de France, il mourra à Paris en 1679 ou peu après.

5. "Faire jour" : céder.

- 60 -

produisez quantité d'actes intérieurs vers ceste chère moitié de vous mesme, & vous renverserez ces spectres malings & les précipiterez au fin fondz des enfers, en sorte qu'ilz ne vous tenteront jamais plus. Immaginez vous, Monsieur, que la sainteté de vostre employ & l'estat de vostre manière font enrager les démons.

Travaillez cependant à vostre ouvrage capital, Monsieur, visitez, consolez, fortifiez & animez de l'esprit de Dieu vos pauvres esclaves 6. C'est là le principal & l'unicque subjet de vos emplois; le reste est subalterne à celuy-là.

O Monsieur, que M. Chrétien 7 faict bien au gré d'un chascun !

Folio 1 verso 8

Chascun recognoict que l'esprit de Dieu anime & conduit le sien. Pouvez-vous pas vous entr'escrire l'un à l'autre ? S'il y a moien, j'en seray consolé, affin que la mutuelle communication vous entr'anime l'un l'autre, & vous entr'aide. Si vous le faictes, il faut que cela se face avec tant de discrétion que personne ne trouve à redire à vos lettres quand elles seroient interceptées.

J'escris à Mr le Consul 9 mes petitz advis sur deux subjets. La communication de sa lettre, que vous préviendrez 10 par la vostre, vous informera de ce que je luy dis. Aussi bien suis-je extrêmement pressé.

Voicy une nouvelle que je m'en va vous dire, qui vous ferra part de la grande affliction en laquelle nous sommes de l'emprisonnement au Parlement de Rennes de Mr de Beaumont 11, où il court risque de sa vie. Voicy le subject. Monsieur de Saint Malo 12 nous a establis à St Méen 13 dans son diocèse, où il a faict un Séminaire d'eclésiasticques, auquel il a uni, du consentement du Roy, la mance des Religieux de l'abbaye, de leur consentement aussi, conformément au Concile de Trente & aux ordonnances de nos Roys. Les Religieux réformés de St Benoict se sont plaintz au Parlement & l'ont animé, de sorte qu'ilz nous ont chassés de ce lieu là; & y ayant esté restablis par l'auctorité du Roy, ilz ont pris prisonier ledict sieur de Beaumont & ordonné que nous serons chassez de la province, contre les arrests du Roy, qui nous y maintiennent.

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6. B. Nouelly avait été envoyé à Alger pour le service spirituel des esclaves chrétiens captifs à Alger.

7. Jean Chrétien, né en 1606 à Oncourt, diocèse de Toul, ordonné prêtre en 1631, entré dans la Congrégation de la Mission en 1640 ; il était, en 1646, Supérieur de la maison de Marseille ; mort après 1667.

8. M. Vincent laissnt assez de marges à gauche, la partie rongée n’a pas touché les mots sur cette page.

9. Le consul était le Frère Jean Barreau, clerc de la Mission, évoqué ci-dessus.

10. "Prévenir" n’a pas ici le sens d’avertir, mais de "venir avant", "devancer". Ceci suppose soit que M. Nouëlly lira la lettre de M. Vincent à Jean de Barreau, ce qui était alors un des devoirs des supérieurs, sauf, il est vrai, pour la correspondance avec les supérieurs majuers, ce qui était le cas ici, - soit qu’il demande à Jean Barreau de lui faire part du contenu après lui avoir parlé de la sienne, selon ce conseil de la montrer avant.

11. Pierre de Beaumont, né en 1617 à Puiseaux, diocèse de Sens, entré dans la Congrégation de la Mission en 1641, ordonné prêtre en 1644, placé à Saint-Méen, il fut emprisonné quelque temps à la suite des affaires soulevées par l'établissement des Missionnaires en 1645. Sur cette pénible affaire, voir Coste : Le grand saint du grand siècle, Monsieur Vincent, t. II, p. 133-144.

12. Achille de Harlay de Sancy, né à Paris en 1581, entré à l'Oratoire en 1620, nommé évêque de Saint-Malo en 1631 ; il mourut à Saint-Malo le 20 septembre 1646.

13. Saint Méen, abbaye bénédictine dont Achille de Harlay, évêque de Saint-Malo, était abbé commendataire, où il ne restait que deux moines âgés qui ne pouvaient plus entretenir les bâtiments. L’évêque avait fait une enquête dont le procès-verbal est conservé aux Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine à Rennes, avec d’autres documents sur cette union de l’abbaye au Séminaire. La "mance", c’est-à-dire la "mense", est l’ensemble des revenus pour assurer la subsistance des personnes d’une institution, diocèse ou abbaye.

 

- 61 -

Voilà, Mr, comme nous avons subject d'honorer le deschassement de Nostre Seigneur de quelques provinces & celuy des apostres, & comme nostre petite Compagnie a commencé à souffrir en prison sans avoir mal faict, ains 14 Dieu ayant béni ses travaux d'une manière particulière & notamment ceux de Mr de Beaumont, qui est des plus hommes de bien que j'aye

Folio 2 recto

jamais cogneu et des meilleurs ouvriers de la Compa[gnie]. Nous souffrons en cela, selon ce qui paroit par [la] haine qu'ilz ont conçue contre mondict sieur l'évesq[ue de] Saint Malo, à cause qu'il s'est retiré 15 au grand C[onseil, au] lieu de se retirer à eux pour l'enregistrem[ent de] nos lettres d'establissement au Parlement.

Je vo[us fais] part de ma douleur, affin que vous voyiez [que] vous trouvez vostre sûreté en travaillant parm[y] les infidelles, tandis que nous souffrons toutes ces choses parmy les fidelles.

Je suis pressé de finir en me recommandant à vos saintes prières, qui suis, en l'amour de Nostre Seigneur

Monsieur,

vostre très humble & obéissant serviteur.

Vincens Depaul

Indigne presbtre de la Mission.

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14. "Ains" était courant en ancien français pour dire "mais". C’est un contresens de le transcrire par "ainsi".

15. Les sens courants, même à cette époque, tournaient autour de "quitter", "chercher une retraite"; il semble très rare de l’utiliser comme ici pour dire "chercher soutien", "chercher garantie", "s’adresser à".

 

 

 

 

Numérisation et correction terminées

à "La Chesnaye", le Dimanche 19 Avril 1992, Jour de Pâques.

Sœurs Marie-Catherine DESMARD et Geneviève RABILLER, Filles de la Charité.

Claude LAUTISSIER

© CONGRÉGATION de la MISSION, Province de Paris,

88, rue du Cherche-Midi, 75006 PARIS.