SAINT VINCENT DE PAUL

 

CORRESPONDANCE

Tome III

 

829. — A ETIENNE BLATIRON

De Paris, ce 2 d’août 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous dire la consolation de mon âme qu’elle a reçue par la lecture de la vôtre, admirant la bonté de ce bon et saint cardinal (1) et sa conduite sur vous. Il est juste qu’on s’accommode un peu au temps quant aux difficultés de l’établissement. Je ne sais à quelle fin vous m’envoyez le projet, que je collige de la vôtre (2), que M. Codoing avait dressé à Gênes (3). J’écris derechef à M. Dehorgny qu’il vous envoie quelqu’autre que M. Dunots (4) et qu’il faut que celui qu’il vous

Lettre 829. — L. a. — L’original a été mis en vente par M. Charavay, chez qui nous en avons pris copie. Il est de la main du saint, sauf la partie du post-scriptum qui commence aux mots : il y a longtemps.

1) Le cardinal Durazzo, archevêque de Gênes.

2) La lettre d’Etienne Blatiron.

3) Il y était resté quelque temps à son retour de Rome.

4). Humbert Dunots, né près de Saint-Claude (Jura), fut attiré dans la congrégation de la Mission par Bernard Codoing, qui le reçut à Annecy en 1642. Il était prêtre et avait quarante ans. Il suivit Bernard Codoing à Rome et y resta jusqu’à sa mort. Il fut emporté par la peste à Saint-Sauveur, près de Rome, le 29 septembre 1649, quelques jours après avoir entendu la confession d’un pestiféré, qui lui avait communiqué son mal. Dans une lettre écrite après son décès (Bibl. mun de Lyon, ms. 774, f° 219-223), Martin

 

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enverra soit savant, intérieur, judicieux et qu’il sache faire le séminaire, ou pour le moins le moins éloigné de ces qualités que se pourra.

Monsieur Dufestel (2) s’est retiré chez lui à cause de la continuelle opposition qu’il avait et qu’il donnait aux autres contre le régime de la compagnie, jusques à menacer qu’après moi il la renverserait, et effectivement il jetait des fondements pour cela. Il y a assez long temps qu’il m’avait promis maintes fois de s’ajuster ; mais au lieu de le faire, il faisait tout le contraire. L’on lui a fait donner le doyenné de Lillers, en Artois. C’est une ville de conquête (6), Il est content et la compagnie en paix.

Monsieur Codoing (7) va toujours son train. Je crains bien ce que vous et Monsieur Martin m’en dites, quoiqu’il paraisse revenir. Nous suivrons vos avis à tous deux touchant sa demeure et son emploi (8), Il avait gâté déjà si fort M. Dunots (9) que celui-ci lui proposa de s’en aller tous deux à Genève. Mais, mon Dieu ! Monsieur, que me dites-vous de l’horrible méchanceté de ce pauvre f[rère] P[ascal] (10) ! L’esprit malin a-t-il eu le pouvoir de faire dire par un

Le Vasseur, prêtre de la Mission, après avoir fait l’éloge de sa grande piété, de sa parfaite régularité et de sa mortification, qui le portait à faire usage d’instruments de pénitence, ajoutait : "Il est bien difficile qu’un homme puisse arriver en cette vie à une plus grande pureté et innocence que ce bon serviteur de Dieu." Humbert Dunots était scrupuleux et peu propre à l’enseignement. Nous voyons par cette lettre qu’il subit la fâcheuse influence de Bernard Codoing. Ce ne fut heureusement que pour un temps très court.

5) Le nom de Dufestel est raturé dans l’original

6) Prise sur les Espagnols.

7) Le nom de Codoing se lit difficilement sous les ratures qui le recouvrent.

8) Il fut mis à la tête du séminaire de Saint-Méen.

9) On a cherché à rendre ce nom illisible sur l’original par des ratures.

10) Jean Pascal Goret.

 

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prêtre de la compagnie ce qu’il dit (11), et à lui cette imposture ! Bon Dieu ! de quel mal n’est-il capable, ou l’autre coupable ! Renvoyez-nous, s’il vous plaît, au plus tôt et le plus doucement que vous pourrez, et servez-vous cependant de quelqu’autre, en attendant que celui que j’espère faire partir demain ou trois jours après, soit arrivé. Ce ne sera pas celui dont je vous ai ci-devant écrit (12) ; car nous l’avons envoyé au Mans, en suite de ce que vous m’avez mandé, que vous vous en passeriez.

Je vois bien que ces Messieurs ont eu raison de conclure comme ils ont fait ; mais cui fini m’avez-vous envoyé le projet de la fondation ? Est-ce que S. E. soit disposée à faire la fondation au plus tôt ? Il y a dans ce projet des conditions qui pourraient altérer l’ordre de la compagnie et peut-être le renverser en ce lieu-là. Je vous prie me mander cui fini cet écrit (je ne l’ai pas bien pu colliger de la lecture de votre lettre), et alors je vous dirai mes petites pensées sur ces difficultés.

Je vous écris d’Orsigny (13), où je suis depuis hier, et m’en retourne dans deux heures à Paris, d’où j’ai envoyé votre lettre à Madame la duchesse d’Aiguillon, qui l’a désiré voir.

Je ne me ressouviens point des autres points de votre lettre pour vous y répondre.

Nos petites nouvelles sont que, par la grâce de Dieu, la compagnie fait assez bien partout (14), à ce que vous me dites près de ce frère ; elle a toujours à Paris environ 60 prêtres, au séminaire des Bons-Enfants ; et le petit séminaire du petit Saint-Lazare (15) est d’environ quarante,

11) Le saint avait ajouté les mots : O Jésus ! Monsieur, quelle méchanceté ! qu’il a ensuite raturés.

12) Le frère Nicolas ou le frère Le Rogueux. (Cf. 1. 827.)

13) Dans la commune de Saclay.

14) Première rédaction : partout, par la grâce de Dieu

15) Le petit Saint-Lazare, ou séminaire Saint-Charles, donnait sur

 

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qui commence assez bien, par la grâce de Dieu ; que l’on nous appelle à Notre-Dame de Plancoët, c’est un lieu de notable dévotion, qui s’est trouvé depuis peu à Saint-Malo ; que M. Nouelly et le frère Barreau sont partis pour l’assistance des pauvres esclaves chrétiens d’Alger, et que l’on est sur le point d’envoyer un prêtre et un frère à Salé, au royaume de Maroc, en Barbarie.

Voilà, Monsieur, ce que je vous puis dire à peu près, et mon chétif cœur, qui chérit plus le vôtre que soi-même et qui est, d’une affection invariable, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

J’écris à M. Dehorgny que, toutes choses cessantes, il vous envoie quelqu’un qui sache faire le séminaire, et je vous prie de nous renvoyer le frère P [ascal au plus tôt après la présente reçue. Nous ferons partir notre bon frère (16) dans trois jours.

Il y a long temps qu’on vous a envoyé par la voie de Marseille des ciseaux, des canifs, des petits livrets et des feuilles de dévotion. Je crois que M. Chrétien (17) diffère de vous les envoyer, attendant celui qui vous doit aller visiter. Si vous en êtes pressé, écrivez-lui

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

la rue du Faubourg Saint-Denis et occupait l’angle formé aujourd’hui, d’un côté des numéros impairs, par la rencontre de cette rue et du boulevard de la Chapelle.

16) Le frère Sébastien Nodo.

17). Jean Chrétien, né le 6 août 1606 à Oncourt (Vosges), ordonné prêtre le 5 avril 1631 reçu dans la congrégation de la Mission le 26 novembre 1640, supérieur à Marseille de 1645 à 1653, sous-assistant à la maison-mère en 1654, supérieur à La Rose de 1655 à 1662. Il faisait partie de la maison de Troyes le 26 novembre 1667.

 

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830. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 4 août 1646.

Mademoiselle,

Voici une semaine et demie de passée depuis votre départ, sans que nous ayons de vos nouvelles. Tout le monde en veut avoir ici, et je ne sais que dire à ceux qui m’en demandent ; moi-même, plus que tous, j’en suis en peine et ne puis m’adresser qu’à vous pour en apprendre. Je crains tant que les grandes chaleurs qu’il a fait et les incommodités du coche ne vous aient atténuée, ou pour le moins beaucoup affaiblie, que j’en attends le récit avec grande impatience et avec résolution de bien remercier Notre-Seigneur, si vous êtes encore en même disposition qu’en partant (1).

Lettre 830. — Manuscrit Saint-Paul p. 64. La lettre suivante nous apprend que celle-ci était de l’écriture du frère Ducournau.

1) Louise de Marillac avait quitté Paris le 26 juillet, en compagnie de Françoise Noret, de sœur Turgis, destinée à Richelieu, et des sœurs qui devaient former la petite communauté de Nantes : Elisabeth Martin, Claude, Marguerite Noret, Catherine Bagard, Perrette, de Sedan, et Antoinette, de Montreuil. La petite troupe arrivait à Orléans le lendemain soir. Elle y passa la matinée du 28 puis repartit, s’arrêta le soir à Meung-sur-Loire, fit de nouveau halte à Cour-sur-Loire et à Mont-Louis. Au port d’Ablevoie, sœur Turgis se détacha du groupe et prit la direction de Richelieu. A Tours, arrêt de six ou sept heures. Nouvelle étape à Saumur et pèlerinage à Notre-Dame des Ardilliers. Les voyageuses passèrent la nuit suivante aux Ponts-de-Cé, chez la femme d’un chirurgien. Au lever du jour, elles prirent le bateau, qui les déposa, le 3 août, à Angers, où, trois jours durant, elles vécurent en compagnie des sœurs de l’hôpital. D’Angers à Nantes, le trajet, coupé par trois courtes haltes, se fit encore par voie fluviale. Elles arrivèrent au terme de leur voyage le mercredi. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, pp 261-273.)

 

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831. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

je reçus hier une lettre qui me parut en quelque façon être de votre charité ; mais parce que je n’y vis aucune marque de votre écriture, je n’eus pas une petite peine, pour l’appréhension que vous fussiez bien malade mais j’ai été un peu soulagée par ce que le bon frère Ducournau m’a fait la charité me mander. Au nom de Dieu, Monsieur, vous savez la nécessité que vous avez de prendre un peu de temps pour recouvrer votre santé et pour essayer à en avoir pour le service de Dieu.

Je suis bien étonnée que vous n’ayez pas reçu la lettre que j’écrivis à votre charité à Orléans, où nous ne séjournâmes que la matinée du samedi, pour gagner pays tandis que notre bon Dieu me donnait a assez de force. 0 mon très honore Père, si votre charité savait les assistances de sa divine conduite, elle en serait reconnaissante pour suppléer à mes infidélités et ingratitudes. Je vous en supplie très humblement, par le saint amour de Dieu.

Je ne sais ce qui arrivera de cet établissement (1), auquel je n’ai point encore vu d’épines que de petits murmures populaires, mais tant d’applaudissements de tout le monde que cela n’est pas croyable. Nous n’avons séjourné que trois jours à Angers, d’où je me suis encore donné l’honneur de vous écrire, 4 ou 5 heures à Tours, et si nous ne sommes arrivés à Nantes que le huitième jour d’août, tant il nous a fallu être sur l’eau, à cause qu’elle est extraordinairement basse. Et quoique nous ayons fait tout ce que nous avons pu pour que l’on ne sut point le jour de notre arrivée la bonne Mademoiselle La Carisière avait donné tel ordre que l’on nous est venu treuver au bateau et mener, après la visite du Saint Sacrement chez Mademoiselle des Rochers qui vous salue très humblement ; et m’a témoigné un peu de douleur de n’avoir point eu de réponse de deux lettres qu’elle s’est donné l’honneur de vous écrire depuis le décès de son bon mari, qui était fort aimé et estimé en cette ville.

Je vous avais mandé quelque difficulté de demander Monsieur des Jonchères pour directeur de nos sœurs ; mais, si

Lettre 831 — L a — Dossier des Filles de la Charité, original

1) L’établissement de Nantes

 

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je n ai point d’autre ordre de votre charité que celui qu’elle nous donna, je ne vois point d’apparence de faire de choix que par son avis et lui faire la proposition de désirer cela de sa charité (2). Il n’est pas comme l’on n’avait dit, et je ne vois point que Mademoiselle sa sœur put rien gâter, car elle est très zélée et raisonnable et fait du bien non seulement en cet hôpital, mais par toutes les maisons de piété et nécessité.

Plut à Dieu, mon très honoré Père que j’eusse assez de puissance et d’amour pour reconnaître le soin de la conduite de la divine Providence sur nous ; oh ! que je chanterais hautement ses louanges ! Il faut demeurer court et me contenter d’inviter la cour céleste à en rendre la gloire a Dieu qu’elle pourra, et vous, notre très honoré Père auquel notre bon Dieu fait connaître ses conduites sur nous de suppléer à notre défaut.

Cette sainte Providence qui sait mes attaches à mes résolutions, a permis que nous ayons treuve malade du genou notre sœur que nous voulions amener ici, pour nous en faire prendre une autre, qu’il était nécessaire de changer Oh ! bénissons Dieu à jamais pour ses miséricordes et moi très particulièrement, de la grâce d’être, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante.

L. DE MARILLAC.

Je crois que quinze jours de séjour ici avanceront bien nos affaires.

Ce 11 août [1646] (3)

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

832. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 12 août 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris un peu en hâte ; c’est pour vous dire que

2) Il y avait alors à l’hôpital un ancien aumônier, que désirait remplacer M. des Jonchères, confesseur ordinaire des religieuses de la Visitation. Louise de Marillac avait jusque-là été peu favorable à ce choix pour les motifs qu’elle laisse entrevoir ici, et aussi parce qu’elle craignait de déplaire aux Visitandines

3) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

Lettre 332. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

 

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je loue Dieu de votre conduite dans votre emploi et le prie qu’il la bénisse de plus en plus à Richelieu et ailleurs.

Je suis en doute, il y a quelques jours, si je vous dois prier de revenir pour toucher à nos règles, si besoin est, touchant ce que vous m’avez mandé qu’il faut changer ; et pource que je suppose que vous vous en ressouviendrez, je vous prie de me le mander, n’y ayant pu faire l’attention requise lorsque vous me l’avez mandé, et que maintenant j’aurais peine d’ajuster cela moi-même. C’est pource que Monseigneur le coadjuteur (1), qui est maintenant en pouvoir d’approuver nos règles, ayant un vicariat de Monseigneur l’archevêque pendant son absence, y va travailler. Vous me manderez donc de nouveau ce que vous pensez qu’il faut changer à nos règles et à celles des Filles de la Charité.

Vous trouverez de la besogne à Saintes et à La Rose. Nous avons envoyé M. Dufour pour supérieur au premier et lui avons donné M. des Noyelles, qui s’est choqué de l’esprit dudit sieur Dufour à un point qui est fort touchant, et le bon M. Le Soudier (2) symbolise avec lui, qui m’a écrit d’un style qui paraît indisposé ; et selon cela, il semble qu’il est à propos que vous preniez quelqu’un à Richelieu, si cela se peut, à la place dudit sieur des Noyelles, que vous leur enverrez. Il faut que ce soit un homme qui prêche, à cause qu’il faudra qu’il conduise la mission à Saintes, tandis que M. Dufour fera le séminaire. M. Bourdet s’accommoderait bien de M. des Noyelles ; mais je ne vois pas qui vous pourriez ôter d’auprès de lui ; je ne dis plus, de Saint-Méen, car les Bénédictins réformés les en ont chassés par arrêt du

1) Jean-François-Paul de Gondi, le futur cardinal de Retz

2) Samson Le Soudier.

 

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parlement. L’on est après à travailler à les rétablir ; il y a arrêt du Conseil pour cela (3).

3) Les Bénédictins de Saint-Maur avaient vu de mauvais œil la transformation de l’abbaye de Saint-Méen en séminaire et fait leurs protestations devant le parlement de Bretagne, auquel les lettres patentes royales de sécularisation étaient adressées, suivant l’usage, pour qu’il les vérifiât et les enregistrât. Quand l’évêque de Saint-Malo vit l’opposition qui s’y manifestait, il craignit pour son projet, et, au lieu de présenter les lettres, se tourna du côté de la cour et en en demanda d’autres, qui renverraient pour l’enregistrement et l’exécution, au grand conseil et non au parlement. Cependant, les nouvelles démarches demandaient du temps, et le parlement de Bretagne, pressé par les Bénédictins de Saint-Melaine, sommait le prélat de montrer les lettres qu’il disait avoir reçues du roi. Devant ses réponses dilatoires sans cesse renouvelées, le parlement lui interdit, le 1er juin 1646, de faire aucune innovation dans l’abbaye, le condamna aux dépens, évalués à quarante livres, et ordonna que le procureur du roi demanderait au supérieur général de la congrégation de Saint-Maur d’envoyer autant de religieux qu’il en faudrait "pour satisfaire aux charges et surtout à celles du service divin, suivant la pieuse intention. des fondateurs" Le 22 juin, après enquête de commodo et incommodo, le grand conseil rendait son arrêt, dans le sens des désirs de l’évêque. C’était le conflit ouvert entre les deux pouvoirs. Le 17 juillet, le parlement confirma sa décision du 1er juin, fit défense à qui que ce soit de mettre à exécution celle du grand conseil, sous peine de 3.000 livres d’amende, et intima aux prêtres de la Mission l’ordre de quitter l’abbaye. Le 23 juillet, M. de Montbourcher, conseiller au parlement, commissaire, M. Monneraye, substitut du procureur général, un conseiller adjoint, un huissier de la cour, le visiteur des Bénédictins réformés, le prieur du Mont-Saint-Michel, celui de Saint-Mélaine, le nouveau prieur de Saint-Méen, cinq autres prêtres bénédictins et un frère lai étaient de grand matin aux portes du monastère. Toutes les issues étaient barricadées, et si bien, écrit dom Germain Morel "qu’à peine pouvait-on s’imaginer que les barricades de Paris, tant renommées dans l’histoire, en pussent approcher". Les assiégés durent bientôt céder la place et se réfugier dans l’hôtel abbatial. Les parties belligérantes vécurent ainsi côte à côte jusqu’aux premiers jours d’août. Les passions étaient surexcitées et les querelles éclataient à tout propos. Les séminaristes et les domestiques prenaient un malin plaisir à exaspérer les moines, à l’insu des directeurs. Un jour, ils remplirent l’unique puits de l’enclos de toutes sortes d’immondices. Les moines n’y tinrent plus. Ils portèrent leurs plaintes devant le parlement ; et le 7 août 1646, paraissait un arrêt par lequel la cour ordonnait que d’humbles remontrances seraient adressées au roi sur la décision du grand conseil et que commandement serait fait aux prêtres de la Mission, aux séminaristes et à leurs partisans de sortir de l’abbaye et de remettre aux Bénédictins les saintes reliques, les meubles et les ornements, sous peine d’emprisonnement. Les directeurs

 

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Pour M. Le Soudier, il vous sera facile de le raccommoder.

Et pour La Rose, Dieu a disposé du bon M. Jegat, qui était une perle dans la compagnie. Il s’est noyé dans la rivière du Lot, qui passe auprès, où il s’était allé baigner par ordonnance du médecin. Vous ferez faire les prières et les conférences accoutumées, s’il vous plaît. Il ne reste que quatre missionnaires de sept qu’ils doivent être ; nous en ferons partir trois au plus tôt pour remplir les places vides. Et si nous le pouvons, nous vous enverrons M. Michel, curé de Normandie, fort judicieux, mais qui n’est au séminaire que depuis trois ou quatre mois (4).

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous bénisse en ce lieu-là, comme partout ailleurs. Il faut un peu s’expédier ; Monsieur Dehorgny presse pour Rome.

du séminaire et leurs élèves obéirent. Les choses en étaient là quand saint Vincent écrivait la lettre ci-dessus.

Tous les renseignements que nous donnons ici sont tirés d’un manuscrit de dom Germain Morel bénédictin de la congrégation de St-Maur et prieur de Saint-Mélaine, de Rennes, un des principaux opposants à l’entrée des prêtres de la Mission dans l’abbaye de Saint-Méen. (Bibl. Nat., fr. 19831.) L’ouvrage de dom Morel n’est pas un livre d’histoire ; c’est une apologie. Nous ne lui en faisons pas un reproche. Il est dans son droit en soutenant une cause qui lui est chère et qu’il croit bonne, et en la soutenant avec verve et chaleur. Mais ces sortes de livres sont de ceux qu’il faut lire avec beaucoup de circonspection, car ils ne découvrent qu’une partie de la vérité historique et contiennent souvent plus d’une exagération. C’est ce que n’a pas suffisamment compris M. Ropartz, qui a connu le manuscrit du fougueux Bénédictin par un exemplaire conservé avant 1903 au grand séminaire de Rennes (in-4° de 300 pages) et l’a résumé dans une brochure intitulée : Dom Germain Morel. Histoire de la sécularisation de l’abbaye de Saint-Méen. Toutefois, s’il faut se défier des appréciations de dom Morel, nous pouvons avoir foi aux nombreux documents que nous a conservés son écrit.

4). Guillaume Michel, né à Esteville (Seine-Inférieure) quitta sa cure de Saint-Valery pour entrer dans la congrégation de la Mission le 19 juin 1646, à l’âge de trente-neuf ans. Il sortit de son propre mouvement avant d’avoir fait les vœux et rentra depuis. Il était de la maison de Sedan en 1657 et de celle de Fontainebleau en 1666.

 

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Je ne puis écrire de ma main à M. Alméras. Je le salue du cœur avec la tendresse que Notre-Seigneur sait, et toute la maison aussi, prosterné en esprit aux pieds d’un chacun et aux vôtres, à qui je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Richelieu.

 

833. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, la veille de l’Assomption Notre-Dame (1) [1646] (2)

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai encore reçu aucune de vos lettres, et si je ne puis croire que vous ne m’en ayez envoyé (3). Je vous donne à penser en quelle peine nous serions si nous n’avions appris d’ailleurs de vos nouvelles. La Mère déposée de la Visitation d’Orléans (4), passant ici pour aller à Dieppe, nous a assuré qu’elle vous avait vue et M. l’abbé de Vaux a écrit d’Angers que vous avez été là et en êtes partie en bonne disposition ; ce qui nous a un

Lettre 833 — L s. — Dossier des Filles de la Charité, orignal. Le post-scriptum est de la main du saint.

1) 14 août.

2) Année du voyage de Louise de Marillac à Nantes. Tous les autres détails confirment cette date.

3) Louise de Marillac avait écrit d’Orléans (L. ettres de Louise de Marillac, I. 147), d’Angers et le II de Nantes

4) Marie-Renée Rousseau avait dirigé le monastère d’Orléans du 24 mai 1640 au 21 mai 1643. La Mère Claude-Espérance lui succéda pendant deux triennats successifs.

 

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peu consolés et nous fait espérer que vous êtes maintenant à Nantes (5). Dieu veuille que ce soit avec les forces convenables pour travailler à cet établissement, pour lequel je prie sa divine miséricorde de vous donner une ample participation à son esprit, pour le pouvoir communiquer à vos chères filles et répandre avec elles les odeurs de la très sainte dévotion dans les âmes !

Je ne vous dis rien de particulier sur ce que vous aurez à faire avec ces Messieurs (6), sur la confiance que j’ai que N.-S. vous donnera assez de lumière et de conseil pour cela ; lui seul sait de quelle affection je lui recommande tous les jours votre âme et votre voyage, et combien grandes sont les bénédictions que je lui demande pour vous et votre petite troupe, laquelle je salue en esprit avec toute la tendresse qui m’est possible.

Je n’ai pu voir qu’une fois vos assistantes d’ici (7). Aujourd’hui je les dois voir, s’il plaît à Dieu. Tout y va assez bien, à la réserve d’un peu d’intempérie qui paraît en quelques-unes ; mais votre présence remettra tout, et peut-être aussi la conférence que je me suis proposé de leur donner la semaine prochaine (8).

M. votre fils est incommodé et tient le lit chez son médecin (9). Je lui ai fait offrir la maison et tout ce qui dépend de nous, pour son plus grand soulagement, ou bien deux sœurs pour le servir, au cas qu’il voulût demeurer au lieu où il est. Il a mieux aimé le secours des sœurs, lesquelles sont auprès de lui depuis quelques

5) Elle y était arrivée le 8.

6) Les administrateurs de l’hôpital.

7) C’étaient Jeanne Lepeintre, à laquelle Louise de Marillac avait passé ses pouvoirs, Julienne Loret, "une grande âme dans un petit corps", et Elisabeth Hellot, la si dévouée et si intelligente secrétaire de la fondatrice.

8) Cette conférence nous a été conservée. Elle traite du respect mutuel et cordial.

9) M. Vacher (cf Lettres de Louise de Marillac, I 155)

 

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jours. Monsieur Brin vient de le voir tout présentement ; il m’a assuré qu’il se porte mieux et qu’il n’y a rien à craindre. C’est pourquoi je vous prie de ne vous en point mettre en peine, mais bien de faire en sorte que je puisse sortir bientôt de celle où je suis à l’égard des dames de la Charité de l’Hôtel-Dieu, qui me font une rude guerre pour vous avoir laissée aller, particulièrement Madame de Nesmond. Si vous revenez en santé, comme je l’espère de la bonté de Dieu, la paix sera bientôt faite. Je vous supplie donc de vous conserver autant qu’il vous sera possible.

Employez tout le temps qu’il faudra pour ne rien presser, ni vous incommoder en votre retour. Notre-Seigneur l’aura très agréable, puisque vous le ferez pour son amour.

C’est en ce même amour que je suis véritablement, Mademoiselle, votre très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Depuis la présente écrite j’ai reçu votre lettre d’Angers, qui contient deux choses principales : l’une, la difficulté de sœur Perrette (10), et l’autre touchant le confesseur de vos filles de Nantes. Pour le premier, il faudra voir si elle changera, et eh user comme vous dites. Quant au second, je m’y trouve un peu empêché ; néanmoins, toutes choses pesées et considérées, je pense qu’il vaudra mieux se tenir à la proposition que nous prîmes ici, à

10) Sœur Perrette donnait beaucoup de soucis à Louise de Marillac. (Lettres de Louise de Marillac, 1. 178 bis et 182 bis.) Dans l’espoir qu’un déplacement lui serait utile, on la mit à Nantes. Rien n’y fit. Nous verrons plus loin qu’elle s’enfuit de Nan et rentra dans sa famille, à Sedan

 

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cause de ce commencement, et pource qu’on a quelque pensée de l’employer ailleurs dans quelque temps ; et ainsi vous pourrez alors prendre le Père spirituel de la Visitation (11), si ce n’est que vous jugez à propos, par les connaissances que vous avez de delà, d’en user autrement ; et c’est ce que je vous prie de faire.

Je viens tout présentement d’apprendre que M. votre fils est quasi guéri, et m’en vas mander à vos officières qu’elles se rendent céans après le dîner incontinent pour traiter avec elles de ce qu’il y aura à faire.

Je vous supplie d’avoir soin de votre santé et de prier Dieu pour le plus grand pécheur du monde, qui est v. s.

V. D.

Derechef je vous prie de suivre la pensée que Notre-Seigneur vous donnera sur le sujet du confesseur des filles.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras supérieure des Filles de la Charité, chez Messieurs les gouverneurs de l’hôpital de Nantes, à Nantes.

 

834. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis], août 1646.

Je crois être obligé de vous faire savoir que, le jour de sainte Anne, un second Joseph (1) fut sacrifié en cette ville de Tunis pour la conservation de sa chasteté, après avoir résisté plus d’un an aux violentes sollicitations de son impudique

11) M. des Jonchères.

Lettre 834. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 8, 1er éd., p 125

1). Antonin de la Paix.

 

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patronne et reçu plus de cinq cents coups de bâton pour les faux rapports que faisait cette louve. Enfin il a remporté la victoire en mourant glorieusement pour n’avoir voulu offenser son Dieu. Il fut trois jours attaché à une grosse chaîne, où je l’allai visiter, afin de le consoler et de l’exhorter à souffrir plutôt tous les tourments du monde que de contrevenir à la fidélité qu’il devait à Dieu. Il se confessa et communia, et après il me dit : "Monsieur, qu’on me fasse souffrir tant qu’on voudra ; je veux mourir chrétien." Et quand on le vint prendre pour le conduire au supplice, il se confessa encore une fois, et Dieu voulut, pour sa consolation, qu’il nous fut permis de l’assister à la mort ; ce qui n’avait jamais été accordé parmi ces inhumains. La dernière parole qu’il dit, en levant les yeux au ciel, fut celle-ci : "O mon Dieu, je meurs innocent." Il mourut très courageusement, n’ayant jamais fait paraître aucuns signes d’impatience parmi les cruels tourments qu’on lui fit souffrir ; après quoi nous lui fîmes des obsèques très honorables.

Sa méchante et impudique patronne ne porta pas loin la peine due à sa perfidie ; car le patron étant de retour en sa maison, la fit promptement étrangler pour achever de décharger sa colère. Ce saint jeune homme était portugais de nation, âgé de vingt-deux ans j’invoque son secours ; et comme il nous aimait sur la terre, j’espère qu’il ne nous aimera pas moins dans le ciel (2).

 

835. — AU CARDINAL MAZARIN

De Paris, ce 20 août 1646.

Monseigneur,

Voici Monsieur de Saintes (1) qui s’en va trouver [Votre Éminence]. Il lui confirmera ce que je me suis donné l’h[onneur] d’écrire à V[otre] E[minence] touchant Bordeaux et M[aillezais] (2) pour La Rochelle, et lui dira

2) Ce martyre est raconté avec plus de détails dans la notice de Julien Guérin. (Notices, t. III, p. 67 et suiv)

Lettre 835. — L. s — Dossier de la Mission, minute. Quelques additions sont de la main du saint.

1) Jacques Raoul de la Guibourgère

2) Aujourd’hui chef-lieu de canton en Vendée, dans l’arrondissement de Fontenay.

 

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comme les par [tisans de] Monsieur de Maillezais (3) agréent ce traité (4) [et en] remercieront V[otre] E[minence], et comme mondit sieur [de] Maillezais désirerait qu’il plût à la bonté [de Votre Éminence] de lui faire espérer quelque abbaye avec [un bénéfice], pour suppléer à la diminution du revenu qu’[il] souffre en ce traité, en sorte néanmoins qu’il se soumet à la volonté de V[otre] E[minence]. Il a fort bien fait à [Maillezais] et se propose de faire encore mieux à Bordeaux.

Et moi, Monseigneur, je continue mes [pauvres] prières pour la conservation de V[otre] E[minence], [pour le] bien de cet État et pour la sanctification de sa chère âme, qui suis, par la grâce [de Dieu], son, Monseigneur, très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

836. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 21 août 1646

Mademoiselle,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite de Nantes (1). Je loue Dieu de tout ce que vous me dites, particulièrement de votre bonne disposition, laquelle je prie sa divine

3). Henri de Béthune, évêque de Maillezais.

4). Traité important, par lequel le siège épiscopal de Maillezais était transféré à la Rochelle, l’évêque de Maillezais nommé à Bordeaux et celui de Saintes à La Rochelle. On espérait porter un coup décisif au protestantisme en érigeant en évêché un de ses principaux boulevards. (Cf. I. Bertrand, La vie de Messire Henri de Béthune archevêque de Bordeaux, 2 vol. in-8°, Paris, 1902.)

Lettre 836. — Manuscrit Saint-Paul, p. 64

1) La lettre 831.

 

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bonté de vous conserver, et vous d’y faire, de votre côté, tout ce qui vous sera possible. Je suis bien aise que vous ayez trouvé la dame dont vous me parlez (2) autre qu’on ne vous l’avait figurée. Cela étant, vous ferez bien de vous tenir à votre première résolution pour la conduite de nos sœurs, au cas néanmoins que rien ne soit survenu qui vous ait fait changer d’avis (3).

M. de Vaux m’a mandé qu’une des sœurs d’Angers (4) est dangereusement malade ; peut-être aussi qu’il vous en a avertie ; et ainsi vous aurez pu penser qui nous pourrons envoyer à sa place, au cas qu’il soit nécessaire.

La reine nous a commandé de lui envoyer deux sœurs pour la Charité de Fontainebleau ; à quoi nous avons satisfait, et choisi la sœur Barbe (6), avec une autre (6), qui, pour être trop jeune, me fait croire qu’il la faudra retirer (7).

 

837. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Nantes, ce mardi 22 août [1646] (1)

Monsieur,

Je crois que vous aurez reçu la lettre par laquelle je vous mandais que je croyais que la divine Providence voulait que nous suivissions l’ordre que votre charité nous avait donné pour la direction de nos sœurs, et ç’a grâce que sa bonté nous a faite à l’égard des difficultés dont je vous avais écrit au sujet de ma sœur Perrette. Je crois que nos

2) Mademoiselle des Jonchères.

3). Le premier nom mis en avant pour la direction des sœur, était celui de M. des Jonchères.

4). La sœur Marie-Marthe * Trumeau.

5). Barbe Angiboust. Elle était chargée des pauvres et des malades.

6). Anne Scoliège, directrice de l’école des filles.

7) Quelques mois après, trois autres sœurs furent envoyées à Fontainebleau pour le service de l’hôpital.

Lettre 837. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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sœurs auront pour confesseur ordinaire celui des religieuses de la Visitation (2), qui se veut donner à l’hôpital pour aumônier, à la place de celui qui y est depuis y a longtemps. J’appréhende bien que ces bonnes religieuses ne nous attribuent être la cause du déplaisir qu’elles en recevront. Elles ne le savent pas encore, et je ferai bien tout ce que je pourrai pour avoir l’honneur de les voir avant, crainte qu’elles m’en fassent reproche, encore que je n’y aie rien contribué.

Je vous remercie très humblement, mon très honoré Père, de la bonté que vous avez pour mon fils ; que ce m’est un grand repos. Le jour que je reçus l’honneur de votre chère lettre, j’avais eu une plus forte pensée de le donner à Dieu et lui abandonner entièrement. Cela m’aida à porter la nouvelle que votre charité me donna.

J’espère que demain nos affaires avec ces Messieurs seront terminées. Il n’y aurait plus qu’à voir parfaire les accommodements que j’ai demandés à ces Messieurs, et à voir nos sœurs dans l’exacte pratique, un peu de temps, de leur règle, chacune dans sa charge. Mais la crainte que j’ai de me satisfaire sans nécessité et de demeurer malade, me fait prendre résolution de partir la semaine prochaine pour aller prendre le carrosse d’Angers, si j’ai la santé que Dieu me donne. Ma sœur Jeanne Lepeintre m’a mandé qu’un homme d’église a été chez nous pour que l’on me mandat de passer par Le Mans, ce que je ne ferai pas, au moins pour m’y arrêter, si votre charité ne me l’ordonne et m’avertisse de ce que j’aurais à y faire.

Je suis bien fâchée que mon fils n’ait pas accepté l’honneur que vous lui avez fait de l’admettre chez vous. Mon Dieu ! je pense que je ne serai point exaucée, demandant son entière conversion. Il me semble que le mal qu’il a eu est plus dangereux qu’il ne pense ; mais je crains bien qu’il fasse la sourde oreille et qu’il ne veuille laisser entrer en son esprit la crainte, de peur qu’elle ne l’engage à un heureux retour.

Je ne sais rien de votre santé ; cela me met un peu en soin. Pour l’amour de Dieu, Monsieur, je vous supplie que j’en sois assurée.

Je crois que Mesdames de l’Hôtel-Dieu seront bien satisfaites de moi, quand elles auront vu que je n’ai point manqué d’écrire. Je m’étonne de tant de peine, vu que je sais bien me le pas mériter ; et Dieu, qui le sait, comment le souffre-t-il ? C’est pour m’humilier.

1) M des Jonchères

 

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Je me prends un peu à votre charité des honneurs que l’on nous rend ici. Au nom de Dieu, ne trompez plus personne en mon sujet L’on me prend pour grande dame. Je pense qu’il n’y a gué de dame de qualité qui ne nous soit venue voir, et même des personnes venir exprès des champs. Oh ! que je brûlerai un jour et que je recevrai de grandes confusions ! La volonté de Dieu soit faite, en laquelle je suis, Monsieur, votre très obéissante servante et indigne fille.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

838.--A DES PARENTS (1)

Ce n’est pas sans une conduite bien particulière de la Providence que vous avez été diffamés ; Dieu l’a ainsi permis pour sa gloire et pour votre bien : pour sa gloire, afin que vous soyez conformes à son Fils, qui a été calomnié au point qu’on l’appelait séducteur, ambitieux et possédé du démon ; pour votre bien, afin de satisfaire à la justice de Dieu pour d’autres péchés que vous pouvez avoir commis et que vous ne connaissez pas peut-être, mais que Dieu connaît.

 

839. — A JEAN BARREAU

De Paris, ce jour saint Barthélemy (1) 1646.

Béni soit Dieu, Monsieur, de ce qu’il vous a rendu heureusement

Lettre 838. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XIX, p. 291.

1). Sur les accusations de misérables calomniateurs, dit Abelly, un parlement célèbre, celui de Bordeaux probablement, intenta des poursuites contre quelques parents de saint Vincent. Malgré les prières de ses amis, le saint refusa d’intervenir sinon pour modérer la sévérité des juges, qui condamnèrent les diffamateurs, et pour engager ses parents, par la lettre ci-dessus, à bien supporter cette pénible épreuve.

Lettre 839. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1) 24 août

 

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à Alger, votre consulat ! Je prie sa divine bonté de vous y donner son esprit pour y servir Sa Majesté et le public en ce même esprit, dans la conduite de son Fils et de l’ange gardien qu’il vous a donné.

Je ne puis vous exprimer la consolation que mon âme a reçue à la réception de votre chère lettre. Oh ! que je prie bien Dieu qu’il bénisse le séjour, comme il a fait votre arrivée de delà, et tout ce que vous ferez de delà !

J’écris à Monsieur Nouelly touchant ce que l’on fait pour ces pauvres rachetés et captifs, qui n’est encore rien.

Votre bonne tante nous est venue voir pour apprendre de vos nouvelles. Elle a été ravie de celles que je lui ai dites de votre arrivée, et moi de la bonté que j’ai vue en cette chère âme. Elle se recommande à vos prières. Et moi, Monsieur, je vous recommande la mienne, à ce qu’il plaise à Dieu la faire participante au bien que vous faites de delà. J’en attends des nouvelles avec dévotion, et prie cependant Notre-Seigneur qu’il bénisse de plus en plus votre chère âme et qu’il la sanctifie.

Nous n’avons rien qui mérite vous être écrit pour le présent, sinon la bénédiction qu’il plaît à Notre-Seigneur donner aux petits travaux de la petite compagnie. Il vient de se faire une mission par M. Gallais de trois ou quatre mois durant. Je ne puis vous exprimer les bénédictions extraordinaires que Notre-Seigneur lui a données, comme aussi à celle de Gênes.

Sa divine bonté, qui vivifie et mortifie, nous a mis dans la souffrance et la confusion, à cause de la persécution que nous recevons dans l’établissement de Saint-Méen, ou plutôt Monseigneur de Saint-Malo (2), qui nous

2. Achille de Harlay de Sancy.

 

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y a établis. Béni soit sa divine bonté, qui en dispose ainsi ! Je suis, en son amour, votre très humble serviteur,

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Barreau, consul d’Alger, à Alger.

 

840. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GENES

De Paris, ce jour saint Barthélemy (1) 1646.

Monsieur,

Il n’y a que Dieu seul, Monsieur, qui vous puisse exprimer la consolation que j’ai de vous et de M. Martin et de tout ce que vous faites. O Monsieur, que je m’en vas dire la sainte messe de bon cœur à ce que sa divine bonté sanctifie vos chères âmes de plus en plus ! Je viens d’écrire à M. Dehorgny ce que je vous viens de dire, et le prie, si déjà il ne l’a fait, qu’il vous envoie celui qu’il vous a destiné (2).

Le bon M. Jegat, que M. Martin a connu, est mort à La Rose. Je le recommande à vos prières. Notre établissement (3) de Saint-Méen souffre persécution par les religieux réformés (4) pour nous chasser d’une abbaye, la mense des religieux, laquelle Monseigneur l’évêque, après la permission du roi et celle du Grand Conseil, a offerte à la compagnie pour son séminaire.

Lettre 840. — L. a. — Dossier de la Mission, original

1) 24 août

2) François Richard.

3). Le saint avait d’abord écrit notre maison

4) Le saint avait ajouté de Saint-Benoît, puis il ratura ces mots.

 

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Aidez-nous à honorer le déchassement de Notre-Seigneur de certaines provinces et les actes de vertu qu’il a pratiqués là dedans ; et priez pour ces Pères, je vous en supplie, que je chéris plus que moi-même et que j’ai tâché de servir en toutes les occasions, comme notre petite compagnie.

En même temps Notre-Seigneur, qui vivifie et mortifie, nous a consolés des merveilleuses et quasi miraculeuses bénédictions qu’il a données à une mission qu’on vient de faire, quatre mois durant, en même lieu, au fin fond du Maine par M. Gallais. J’en envoie la lettre à M. Guérin, à Tunis.

L’on vous a envoyé les choses que vous avez demandées, il y a assez longtemps. Je crois que vous les avez reçues et que le bon frère que nous vous avons envoyé (5) sera à vous aussitôt que la présente.

Je pense qu’il vaut mieux que vous nous renvoyiez notre frère Pascal (6) et que vous preniez plutôt quelque petit garçon pour vous servir, en attendant que nous vous envoyions quelqu’autre.

J’embrasse ici le bon M. Martin avec dévotion et vous, Monsieur, que je chéris aussi plus que moi-même, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Vous retiendrez ce bon frère Pascal le temps que vous [aurez besoin de lui] (7).

5) Sébastien Nodo ou Sébastien Drugeon, né à Briancon-l’Archevêque (Yonne), entré à Saint-Lazare le 1er novembre 1645, reçu aux vœux en novembre 1648.

6). Jean-Pascal Goret.

7). Ces mots ou d’autres équivalents ont disparu de l’original par suite d’une maladroite découpure des bords de la feuille.

 

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841. — A LOUISE DE MARILLAC

Paris, le jour de saint Louis (1) 1646.

Mademoiselle,

Je rends grâces à Dieu de celles qu’il vous fait et notamment de la santé qu’il vous donne.

Monsieur des Jonchères m’a écrit l’agrément de la prière que vous lui avez faite touchant la direction de nos chères sœurs. Il m’est impossible de lui écrire ; le courrier va partir. Faites-lui le renouvellement de mon obéissance, je vous en prie.

Vous trouverez votre nombre de sœurs augmenté de trois, dont les deux me paraissent bien bonnes. Je me défie un peu de la troisième. Mais quoi ! elle est venue de cent lieues d’ici. Je leur ai dit à toutes que nous en essaierons. Elles sont du Poitou.

Monsieur votre fils fut hier céans. Il est entièrement guéri. Je ne le vis pas, parce que je ne descendis pas assez à temps.

Mais quand viendrez-vous, Mademoiselle ?

Voici le résultat de la conférence de nos chères sœurs, rédigé par ma chère sœur Hellot (2), Je viens d’en lire une partie. Je vous avoue que j’en ai un peu pleuré à deux ou trois diverses reprises. Si vous ne venez bientôt, renvoyez-le-nous après l’avoir lu.

Nous vous attendons avec l’affection que Notre-Seigneur sait. Je suis, en son amour…

Lettre 841 — Dossier de la Mission, copie prise sur l’original, chez M. Butel, avocat, à Pau (14, rue Marca).

1) 25 août.

2) Sœur Elisabeth Hellot, née à Paris, entrée chez les Filles de la Charité en 1645, morte en 1652. Elle sut mériter la confiance de Louise de Marillac, qui la prit pour secrétaire.

 

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842. — A GILBERT CUISSOT

De Paris, ce jour saint Louis (1) 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous demande très humblement pardon, prosterné en esprit à vos pieds, de ce que je ne vous ai pas fait réponse plus tôt au détail de ce que vous m’écrivez du premier de ce mois.

L’affaire de M. Vasse est une indemnité qu’il a droit de prendre sur Coëffort (2) au changement du supérieur. Nous avons convenu avec un chanoine du Mans et maître des requêtes à quatre cents livres et à lui donner homme vivant et mourant. M. Gallais vous expliquera cela, et il est nécessaire qu’il soit satisfait au plus tôt. Je ne savais pas tous ces dettes. Ce que nous pouvons faire est de tâcher à satisfaire ici à M. l’abbé Lucas (3), et vous pourrez vous aider de ce que M. le fermier général lu doit. Je l’écris à M. Gallais.

Je dirai à M. Bajoue (4) ce que vous me dites de nos frères pour apprendre à servir à la sainte messe.

Lettre 842. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

12) 25 août.

2). Notre-Dame de Coëffort, église collégiale du Mans, unie à la Congrégation de la Mission.

3) Conseiller et aumônier du roi, abbé commenditaire de Saint-Hilaire au diocèse de Carcassonne. Il habitait Paris, rue Neuve-Saint-Honoré, sur la paroisse Saint-Roch. C’est de lui que les prêtres de la Mission tenaient la prévôté de l’église collégiale de Notre-Dame de Coëffort et leurs droits sur l’Hôtel-Dieu.

4). Emerand Bajoue, né à Céaux (Vienne), entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 1er décembre 1640, à l’âge de trente et un ans, reçu aux vœux le 24 avril 1657, mort le 28 février 1671. Il fut supérieur à La Rose (1649-1652) et à Notre-Dame de l’Orme ou de Lorm (1652-1654).

 

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M. Gallais vous pourra instruire de l’affaire de M. Pousset, et prendre résolution avec vous de ce qu’il y a à faire, et me le mander.

M. Alain est travaillé d’une fièvre tierce. Il eut hier le 5è accès. L’on espère que ce ne sera rien. Dès qu’il se portera mieux, je le prierai de répondre à votre lettre. M. Gallais et vous, Monsieur, jugerez s’il est expédient de donner la conduite intérieure et extérieure du séminaire à M. Le Blanc.

M. votre neveu (5) se porte bien, Dieu merci. Il est rentre dans le séminaire de son propre mouvement et y fait

Et moi, je prie Notre-Seigneur qu’il vous fortifie de plus en plus, et suis, en son amour, plus tendrement que je ne saurais vous exprimer, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Cuissot.

 

843. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 25 août 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai reçue du succès de votre visite de Richelieu. Je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse les autres à l’avenant et qu’il vous

5) Jean Cuissot, né à Moulins, entré dans la congrégation de la Mission le 28 novembre 1642, à l’âge de vingt-trois ans, reçu aux vœux le 11 novembre 1644. Il avait quitté la compagnie et obtenu sa réadmission.

Lettre 843. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

 

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fortifie, M. Alméras et vous. Je salue mondit sieur Alméras et le prie de demander pardon à M. son père (1), pour lui et pour moi, de ce qu’il n’est allé prendre congé de lui, dont il est plus fâché contre moi que je ne vous puis expliquer.

Vous trouverez à quoi travailler à Saintes, Messieurs Soudier et Noyelles ne vivant pas bien dans l’ordre, ni avec M. Dufour. La grande récollection de celui-ci a choqué ceux-là. Il peut y avoir de l’excès en M. Dufour. Tout le monde ne peut pas s’ajuster à cette sainte exactitude qu’il a. Mais le principal défaut vient de la liberté, quoique honnête, des autres. Vous tâcherez de les ajuster. Que si M. des Noyelles ne vous donne pas espérance de s’ajuster à l’exacte observance de la régularité, il vaudrait mieux l’envoyer à Saint-Méen ; M. Bourdet sera fort satisfait de cela. Mais je ne sais qui l’on pourra envoyer à sa place à Saintes, qui puisse parler en public. Pensez-y, Monsieur, je vous en prie.

Je viens d’écrire à M. du Coudray a que vous serez bientôt à lui, après avoir expédié Saintes, et le prie de vous bien recevoir et de faire usage de vos ordonnances. Je l’ai prié d’aller ensuite faire la visite à Cahors en la même manière qu’il vous verra faire. Monseigneur de Cahors (3) est mal satisfait de M. Delattre (4) et

1). René Alméras, né à Paris le 12 novembre 1575, avait épousé en premières noces Marguerite Fayet et en secondes Marie Leclerc, qui lui donna six enfants. D’abord secrétaire du roi, puis trésorier de France à Paris (19 janvier 1608), secrétaire de Marie de Médicis, maître des comptes de 1622 à 1656, contrôleur général des postes (1629-1632), secrétaire des commandements de Marie de Médicis, il remplit dignement tous ces emplois. Après avoir donné son fils à la congrégation de la Mission, il y entra lui-même le 2 mars 1657, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Il termina ses jours à Saint-Lazare le 4 janvier 1658. (Notices, t. II, p. 453-461.)

2) Supérieur à La Rose.

3) Alain de Solminihac.

4) Supérieur du séminaire.

 

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demande quelqu’autre à sa place, et c’est ce qui m’empêche.

Je ne sais si vous avez su la mort de feu M. Jegat. (11) s’est noyé, s’étant allé baigner, par l’ordre du médecin, à une rivière qui passe auprès de La Rose. Je ne vous puis dire quelle perte nous avons faite. Vous en ferez faire la conférence, si M. du Coudray ne l’a faite, quand vous y arriverez, ainsi que je lui ai mandé, et ferez écrire ce qu’on dira de ses vertus, et le nous enverrez pour faire la nôtre sur celle-là. Il y en a peu céans qui le [connaissent].

Je ne sais si je vous ai écrit le départ de M. Le Soudier (5) pour Salé, qui est en Afrique, par delà le détroit, sur la mer Océane, et comme les religieux réformés de Saint-Benoît nous ont chassés de Saint-Méen, de l’autorité du parlement. Je viens de recevoir une lettre de M. de Saint-Malo (6), par laquelle il me mande qu’il a avis que les nôtres sont rétablis de l’autorité du roi, cela avec l’assistance du capitaine des gardes de M. le gouverneur de la province (7). Si la chose dépendait de nous, nous rappellerions les nôtres ; mais c’est l’affaire de mondit seigneur, qui a agi en son nom et a interdit l’église de Saint-Méen, et a défendu, sur peine d’excommunication, à son peuple d’y entrer, pendant que ces Pères y seront. Mon Dieu, Monsieur, que cela m’afflige ! Eussiez-vous jamais dit que nous eussions eu cet exercice par ces bons Pères, que nous avons tâché de servir avec autant d’affection que si ce fussent été nos propres affaires ? J’espère

5) Jacques Le Soudier. Il n’alla pas plus loin que Marseille.

6) Achille de Harlay.

7) Le maréchal de la Maillerraye, gouverneur de Bretagne, avait, à la demande d’Achille de Harlay, envoyé quinze cavaliers à Saint-Méen, sous les ordres de Grand-Misons, pour chasser les Bénédictins de l’abbaye.

 

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que Notre-Seigneur regardera ce peu que nous avons tâché de faire pour eux, comme venant de la charité, quae patiens est (8), Plaise à la miséricorde de Dieu que cela soit ainsi et me donner le moyen de les servir à l’avenir ! ce que je me propose de faire plus afftectionnément que jamais, moyennant l’aide de Dieu, que je vous prie de lui demander pour moi.

Voilà l’endroit où je finis, après m’être recommandé à vos prières et à celles de ces Messieurs, que j’embrasse, prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, étant de présent à la Mission de Saintes, à Saintes.

 

844. — LE CARDINAL MAZARIN A SAINT VINCENT

Du 27 août [1646].

Monsieur,

J’ai rendu compte à la reine de ce que vous avez arrêté avec M. de Maillezais. Elle l’approuve entièrement et désire que le tout s’exécute de point en point. Je vous envoie pour cet effet le brevet de nomination qu’elle a faite de la personne de mondit sieur de Maillezais à l’archevêché de Bordeaux, ne doutant point que, de son coté, il ne soit bien aise de vous remettre sa démission entre les mains. Quant aux deux mille livres de pension et 400 en bénéfices dont vous êtes convenus, Sa Majesté m’a commandé de vous en assurer de sa part, afin que rien ne retarde la conclusion de cet affaire. Cependant je suis..

8) Première épître de saint Paul aux ; Corinthiens XIII, 4

Lettre 844. — Arch. des Affaires Étrangères, Mémoires et documents, France, 1646-1647, Lettres de Mazarin, Reg. 261, f° 186 v°, copie.

 

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845. — JEAN GARRON A SAINT VINCENT

27 août 1646.

Voici l’un de vos enfants en Jésus-Christ, qui a recours à votre bonté paternelle, dont il a ressenti autrefois les effets, lorsque, l’enfantant à l’Église par l’absolution de l’hérésie, que votre charité lui donna publiquement en l’église de Châtillon-les-Dombes l’année 1617, vous lui enseignâtes les principes et les plus belles maximes de la religion catholique, apostolique et romaine, en laquelle, par la miséricorde de Dieu, j’ai persévéré et espère de continuer le reste de ma vie. Je suis ce petit Jean Garron, neveu du sieur Beynier, de Chatillon, en la maison duquel vous logiez pendant que vous fîtes séjour audit Chatillon (1). Je vous supplie de me donner le secours qui m’est nécessaire pour m’empêcher de rien faire contre les desseins de Dieu. J’ai un fils unique qui, après avoir achevé ses classes, a formé le dessein de se faire jésuite. C’est le fils le plus avantagé des biens de la fortune qui soit en toute cette province. Que dois-je faire ? Mon doute procède de deux choses… Je crains de faillir, et j’ai cru que vous me feriez la grâce de donner vos avis là-dessus à l’un de vos enfants, qui vous en supplie très humblement.

Vous agréerez que je vous dise que dans Chatillon l’association de la Charité des servantes des pauvres est toujours en vigueur.

 

846. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Nous n’avons presque rien à faire et néanmoins je ne saurais faire hâter ces Messieurs, qui m’ont encore retenue pour cette semaine. Nous avons une grande difficulté, qui est que la coutume de cette ville est d’avoir un pourvoyeur.

Lettre 845. — Abelly, op. cit., 1. I, chap. XI 1er éd., p. 49.

1) Abelly a consacré plusieurs chapitres de son ouvrage (l. I, chap. IX, X, XI, XII) au séjour de cinq mois que saint Vincent fit à Châtillon en 1617.

Lettre 846. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

 

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qui avance ses deniers pour la dépense de l'hôpital gratuitement, dont la femme avait accoutumé de venir faire les portions des malades et vient encore les distribuer à sa volonté, d'autant que cela répugne à nos articles. Je proposai cette difficulté aux pères, qui m'accordaient tout ce que je leur demandais. Je crains bien que cela ne nous accroche et arrête un peu plus que le ne pensais, à cause que je prévois de grands inconvénients pour la tranquillité et union de nos sœurs, d'autant que cette femme n'est pas contente de leur ménagement et se veut faire d'intelligence tantôt avec l'une, tantôt avec l'autre, et je ne pense pas les devoir laisser, qu'elles ne soient déchargées de cet empêchement. Si cela se fait cette semaine, j'espère que nous partirons lundi, mais, parce que cela n'est pas très assuré, je vous supplie très humblement, Monsieur, prendre la peine me mander ce que j'aurai à faire, parce que cette femme et son mari achêvent dans 3 ou 4 mois et que Messieurs proposent supprimer cette charge pour plusieurs autres inconvénients ; savoir si, sur cette espérance, je les dois laisser, quoique je craigne que les désordres les plaintes et manque de bon service aux pauvres ce temps-là ne mettent impression dans les esprits que toutes ces fautes viendraient de nos sœurs. Si vous me faites l'honneur de m écrire, je vous supplie très humblement, Monsieur que votre charité adresse cette lettre à Sainte-Marie (1) crainte qu'elle ne tombe entre d'autres mains, au cas que toutes ces difficultés soient bien et sûrement levées et que je partisse le jour que je vous ai marqué.

Il est vrai que Monsieur l'abbé de Vaux m'a avertie de la maladie et rechute de notre bonne sœur Marie-Marthe (2) à Angers, et, depuis la semaine passée, je n'ai point eu de nouvelles. Quand bien Dieu en aurait disposé, je pense, Monsieur, qu'il ne serait pas encore besoin d'en envoyer une autre, d'autant que nos sœurs m'avaient fait entendre la nécessité des quatre sœurs qu'elles demandent y a longtemps. Messieurs les pères des pauvres, de leur mouvement me les ont demandées, me voyant sur le point de sortir d'Angers sans leur en parler, me promettant tout ce que j'ai cru nécessaire leur demander pour leur accommodation. Je leur ai promis vous en parler à mon retour et comme assuré de leur en envoyer le plus tôt qui se pourra, comme aussi deux à cet hôpital ici de Nantes, tellement, Monsieur, que

1) Couvent de la Visitation.

2). Marie-Marthe Frumeau.

 

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ce sera sept qu'il nous faut demander à ça divine Providence. Dieu soit éternellement glorifié des bénédictions qu'il donne à notre petite compagnie ! J'en espère toujours l'augmentation, puisque votre charité s'exerce si fortement pour sa perfection. Je ne vous saurais dire la consolation que mon cœur en ressent, Dieu me faisant connaître que je n'y suis nullement nécessaire et très peu utile.

J'ai bien ressenti la douleur de Monsieur et Madame de Liancourt : mais j'appréhende bien que la manière dont a été la mort de leur fils (3) soit longtemps à grande affliction à cette bonne mère. J'espérais que la maladie du pensionnaire de Monsieur Vacherot (4) lui aurait servi ; mais, a ce que l'on me mande, il se promène et même il découche de la maison. Il m'a écrit et me fait paraître un nouveau ressentiment d'avoir été arrêté, et, à mon petit sentiment, ici a mis et met une garde à son cœur pour l'empêcher qu'il ne reçoive connaissance de l'état auquel est son âme. Je vois tout ce mal, mais assez tranquillement, et me semble n'avoir plus rien en lui, duquel pourtant je désire beaucoup le salut. Je supplie très humblement votre charité le demander à notre bon Dieu, par les mérites de son Fils ; c'est une affaire de toute-puissance, je le crois.

Ma santé est un peu meilleure que losque je me donnai l'honneur de vous écrire la dernière fois. Tous savez tous mes besoins, non pas mes infidélités, qui me tiennent, presque sans aucun exercice de dévotion, toujours avec le monde ou dans le soin de ma santé. C'est pitié de moi, quoique je sois véritablement, et Dieu veuille que ce ne soit à ma grande confusion Monsieur, votre très humble et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

[Nantes] ce 28 août 1646 (5) ]

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

3) Henri-Roger du Plessis, comte de la Roche-Guyon, marquis de Montfort, tué au siège de Mardick le 6 août 1646.

4) Michel Le Gras.

5 Date ajoutée au dos de l'original par le frère Ducournau.

 

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847. —A LOUIS CALLON

Paris, 28 août 1646.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de celle que vous nous faites espérer, de venir bientôt vous reposer en suite de vos grands travaux. O Monsieur, que vous serez le bien venu et que je vous embrasserai volontiers ! Venez donc et ne tardez pas, s'il vous plaît, Monsieur ; et je vous assure que nous aurons un soin tout particulier de votre santé et que vous serez le maître de la maison pour dire et faire tout ce qu'il vous plaira, et particulièrement le mien, qui vous ai toujours chéri avec plus de tendresse que mon propre père.

Que si tant est que vous ayez besoin des quatre mille livres que vous avez données aux Feuillants (1) à rentes et affectées à la Mission, très volontiers nous vous en ferons la rétrocession, étant juste, ce me semble, qu'un fondateur qui se trouve en nécessité, s'aide du revenu de la fondation qu'il a faite. Et nous ferons plus; car si vous avez besoin du fonds pour vous subvenir en votre vieillesse, nous le vous transporterons, comme nous avons fait à M. le curé de Vernon (2), lequel nous ayant donné six cents livres de rente et les nous ayant demandées depuis, assurant en avoir besoin, nous lui avons rétrocédé et la rente et le fonds. Mais si vous n'en avez pas

Lettre 847. — Recueil du procès de béatification.

1) La donation remontait au 23 août 1629. Elle était faite à cette fin que deux prêtres de la Mission donneraient tous les ans une mission dans le diocèse de Rouen, plus spécialement dans le doyenné d’Aumale. La somme fut remboursée aux Pères Feuillants ie 23 novembre 1650. (Arch. Nat. M 211 liasse l.)

2). Aujourd’hui chef-lieu de canton dans I’Eure.

 

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besoin, jouissez toujours du revenu, Monsieur, ainsi que vous avez fait jusqu'à présent; et nous continuerons les missions que nous avons commencées et continuées avec tant de bénédictions. L'on nous a fait quelques ouvertures d'un établissement en ces quartiers-là ; et ceci pourra y servir. Et moi, Monsieur, n'aurai jamais plus grande consolation que celle de vous pouvoir complaire, comme à mon bon et très cher père, que je chéris plus que moi-même, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

 

848. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GENES

[Fin août 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Votre lettre m'a infiniment consolé, comme toutes les autres que vous m'écrivez, dont je rends grâces à Dieu, et le prie qu'il sanctifie de plus en plus votre chère âme. Je suis en peine du petit voyage de Monsieur Blatiron dans les grandes chaleurs, quoique bien consolé qu'il ait rendu ce petit service à Dieu en la personne de Madame de Guébriant (2), qui est une personne de notable considération.

Lettre 848. — Dossier de ia Mission, copie.

1). C'est évidemment entre les lettres 840 et 853, c’est-à-dire entre le 24 août et le 6 septembre 1646, que se place la lettre ci-dessus Saint Vincent ayant l'habitude d’écrire tous les huit jours, il est assez probable qu’elle est du 31 août.

2). Renée du Bec-crespin, veuve de Jean-Baptiste de Budes, comte

 

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Je viens d'écrire présentement à Monsieur Dehorgny qu'il se hâte de vous envoyer Monsieur Richard ; et je pense que vous aurez reçu notre frère Bastien avant la présente ; vous le trouverez fort bon enfant.

Voilà, Monsieur, ce que l'embarras que j'ai me permet de vous dire en fort grande hâte et en renouvellement des offres de mon obéissance, que je vous fais avec toute l'humilité et l'affection que je le puis, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

 

849. —A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

De Paris, ce 31 août 1646.

Monsieur,

L.a grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n'ai point reçu votre paquet cette semaine. Je vous fais ces lignes néanmoins pour entretenir le commerce de lettres par tous les courriers ordinaires, comme aussi pour vous dire que j'ai vu le R. P. Charlet, qui m'a dit, pour nos vœux, qu'il s'en faut tenir pour le présent à ce que nous en avons.

Je serai bien aise de savoir l'avis de delà, s'il est nécessaire que la perpétuité du général (1) soit autorisée par

de Guébriant, maréchal de France, mort, le 24 novembre 1643, des suites d’une blessure reçue au siège de Rotweil et inhumé à Saint-Lazare. La reine Anne d’Autriche lui confia la délicate mission de mener au roi de Pologne en 1645 la princesse Marie de Gonzague, qu'il avait épousée par procuration. Madame de Guébriant rentra à Paris en octobre 1646 et mourut à Périgueux le 2 septembre 1659.

Lettre 849. — L. a. — Colleclion de M Henri de Rothschild, orlginal

1) Le supérieur général de la congrégation de la Mission est élu à vie.

 

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le Pape, ou s'il suffit qu'elle le soit par Monseigneur de Paris.

Je me trouve empêché du refus qu'on vous fait de donner les facultés aux missionnaires d'Alger, desquels j'ai reçu lettre qu'ils ont été bien reçus et ont commencé déjà à y faire bien du bien.

M. Le Soudier (2) est parti pour Salé, qui est une ville sur la côte d'Afrique, sur la mer d'Océan, au delà du détroit.

Que ferons-nous à cela ? Les choses continueront-elles comme cela après M. Ingoli ?

Les Capucins demandent ici que nulle autre communauté se puisse établir aux villes de Grèce, d'Afrique et d'Asie, où le roi a des consuls, où ils sont établis, qui n'apporte lettres du roi au consul. J'ai moyenné cela; mais, la chose n'étant pas encore expédiée, j'y penserai.

Je vous avoue que j'ai beaucoup d'affection et de dévotion, si me semble, à la propagation de l'Eglise aux pays infidèles par l'appréhension que j'ai que Dieu l'anéantisse peu à peu de deçà et qu'il n'en reste point ou peu d'ici à cent ans, à cause de nos moeurs dépravées, de ces nouvelles opinions, qui croissent de plus en plus, et à cause de l'état des choses. Elle a perdu depuis cent ans, par deux nouvelles hérésies (3), la plupart de l'Empire et les royaumes de Suède, de Danemark et Norvège, d'Ecosse, d'Angleterre, d'Irlande, de Bohème et Hongrie, de sorte qu'il reste l'Italie, la France, l'Espagne et la Pologne, dont la France et la Pologne font beaucoup des hérésies.

Or, ces pertes d'Eglises depuis cent ans nous donnent sujet de craindre, dans les misères présentes, que dans

2) Jacques Le Soudier.

3) Les hérésies de Luther et de Calvin.

 

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autres cent ans nous ne perdions tout à fait l'Eglise en Europe ; et en ce sujet de crainte, bienheureux sont ceux qui pourront coopérer à étendre l'Eglise ailleurs. Monsieur Martin me mande que vous avez mandé à M. Blatiron que vous lui envoyez M. Richard, dont ils sont contents. Je vous prie de l'exécuter au plus tôt et de prier Dieu pour moi, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Dehorgny.

 

850. —A JEAN BOURDET, SUPÉRIEUR, A SAINT-MEEN

De Paris, ce 1er de septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre Seigneur soit avec vous pour jamais !

[Votre lettre] du mois passé m'a consolé d'un côté et

Lettre 850. —L. a. —Arch. de la Mission, minute. Cette minute est en mauvais état. Là où le texte fait défaut nous le reconstituons d'après une copie donnée par le registre 2, p. 287.

1). Pour se rendre compte de l'état d'esprit de Jean Bourdet au moment où saint Vincent écrivait cette lettre, il faut savoir que les religieux de Saint-Benoît, chassés de l'abbaye, le 20 août, par les soldats du maréchal de la Meilleraye, avaient demandé aide et protection au parlement de Bretagne. Le 22, la cour ordonnait une enquête. Le 28, elle décrétait de prise de corps MM. d'Orgeville, grand vicaire, Bourdet, Beaumont, Grand-Maisons et plusieurs autres. Pour éviter sans doute une collision sanglante, le maréchal de la Meilleraye rappela ses soldats. Pierre Beaumont resta seul pour garder l'abbaye. Jean Bourdet, écrit dom Maurel (cité par Ropartz, p.195), " fut saisi d'une terreur panique qui le fit à l'instant mettre le pied dans l'étrier et porter un jour et une nuit sans débrider, n'osant mettre le pied à terre, crainte de tomber entre les mains de la justice, jusqu'à ce qu'enfin, ni homme ni cheval n'en pouvant plus, il descendit à la porte d'une hôtellerie qu'il rencontra dans un village de

 

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mis en peine d'un autre. [La consolation] venait de ce que l'on n'avait rien fait contre vous [des choses] dont vous attendiez la violence le lendemain ; [et la peine] venait de ce que vous me mandez que vous ne p[ouvez retenir] la compagnie dans le danger dans lequel elle est. [sur quoi je vous dirai] que si la chose dépendait de la compagnie, que n[ous vous eussions] rappelés au premier exploit ; mais qu'étant [liés avec] un prélat qui est en cause, et la chose regardant le bien des [autres], qu'en pensant observer le conseil de l'Evangile, de ne point plaider, [nous tomberions] dans l'ingratitude, qui est le crime des crimes ; que le sujet est juste. De plus quelle risque encourt en cela la compagnie ? C'est de souffrir emprisonnement, me direz-vous ; car c'est le pis. Hélas ! [Monsieur], de quoi sommes-nous capables, si nous ne le sommes de cela pour [Dieu] ? Est-il possible que nous voyions des cent mille hommes qui [s'exposent] en chaque campagne, depuis le moindre du peuple jusques [aux princes] du sang, pour le service de l'État, non seulement à l'emprisonnement, mais à la mort, et que Notre-Seigneur ne trouvera pas cinq ou six serviteurs fidèles et assez courageux pour son service !

Oui, mais cela est contre la maxime de l'Evangile, qui nous défend de plaider, et contre l'usage de la compagnie. —Saint Paul et Notre-Seigneur ont conseillé de tout perdre plutôt que de plaider. Mais l'un et l'autre ont été contraints d'en venir là et ont perdu leurs [procès] et leur vie dans leurs procès. La maxime de la compagnie

l'évêché de Vannes, où voulant séjourner quelque temps pour prendre haleine et se rafraîchir, il trouva par malheur deux chevaux dans l'écurie, qu'on lui dit appartenir à deux huissiers qui venaient d'arriver ; ce qui l'étonna de telle sorte que, sans s'informer d'où ils venaient, où ils allaient, ni qui les menait, il replie bagage, remonte sur sa bête et recommence tout de nouveau à lui donner des deux, jusqu'à la faire, comme on m‘a dit, mourir entre ses jambes ".

 

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est d'aimer à plutôt perdre que de plaider ; cela est vrai; et je prie Dieu qu'il nous fasse la grâce d'être bien fidèles à la pratique de cette maxime; mais cela [est pour] quand cela dépend de nous. Mais quoi ! ce n'est pas nous qui sommes en cause; c'est un prélat qui nous a appelés pour servir Dieu av[ec lui] dans son diocèse, tandis que des personnes qui n'ont point droit vous en chassent. Une abbaye de Saint-Benoît qui n'est point en la congrégation des réformés, ni en quelqu'autre, ne dépend point d'une autre ; et nul abbé a droit de s'introduire dans l'abbaye d'un autre, non plus qu'au bénéfice d'un autre Ordre. De plus, ces bons Pères n'ont point permission de s'introduire dans une abbaye pour y établir leur réforme, que du consentement des religieux, de l'abbé et de l'évêque. Or, les religieux ont traité avec M. de Saint-Malo, [et M. de Saint-Malo] (2), en qui leur droit, celui d'abbé, comme il est, et celui d'évêque réside, contredit à leur introduction. In qua ergo potestate (3) ?

Oui ; mais le parlement [les porte] et les introduit là dedans. —Il est vrai ; mais ce souverain sénat [n'a pas le pou]voir d'introduire ni de maintenir le particulier dans un bien, [s'il ne lui] appartient de droit ; et il y a apparence que celui de Bretagne, [qui] a la réputation d'être des plus grands justiciers du royaume, [ne soutiendra] pas ces Pères, quand [il sera] bien informé. Et puis, le roi, en qui réside le souverain pouvoir [sur le] pouvoir des parlements et celui de prononcer par-dessus eux, [nous auto]rise. Comment pouvez-[vous] (4) mieux connaître la volonté de [Dieu aux] choses temporelles que par l'ordonnance

2) Ces mots, demandés par le sens, ne se trouvent pas dans le texte.

3). l’évangile de saint Mathieu XXI,23

4) Mot oublié dans l'original.

 

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des princes, et aux spirituelles que par celle de Nosseigneurs les prélats, chacun dans son diocèse ?

Oui, mais ce bien est de Saint-Benoît ; et par conséquent ses enfants ont droit de le réclamer quand on le veut aliéner de son Ordre et appliquer à d'autres usages. —[Je réponds] le bien de l'Eglise appartenir à l'Eglise ; et si saint Benoît vivait encore, il serait bien marri de nier cette proposition, lui qui est enfant de l'Eglise, joint d'ailleurs que le bien de son Ordre lui est donné par l'Eglise à cause des secours qu'il lui donnait pour lors par des séminaires d'ecclésiastiques qu'il élevait pour lors pour le service de l'Eglise et pour en remplir les bénéfices. Or ils ne font plus cela, et l'Eglise a ordonné que cela se fasse par les évêques, et les ordonnances du roi les y obligent pareillement, comme aussi d'appliquer à cela des bénéfices et autres revenus. Est-il pas juste que la même Eglise, qui a donné ce bien-là à cet Ordre pour faire lesdits séminaires, et qu'eux ne le faisant plus et n'étant plus dans l'état de ce faire, que la même : Eglise se serve [de ce] quelque peu de bien, de l'autorité du prince et du prélat, pour suppléer à ce que ces Pères ont fait d'autrefois et qu'ils ne font plus, pourvu qu'ils le fassent du consentement des justes possesseurs.

Selon cela, Monsieur, vous êtes fondé en droit, en autorité, en un besoin de l'Eglise et dans l'exécution de son intention. Et après cela, il se trouvera quelques-uns d'entre nous qui ne voudront rien souffrir pour cela ! Eh! bon Dieu ! quelle occasion meilleure attendez-vous de souffrir quelque chose pour Dieu ? Certes, je n'en vois point. Au nom de Dieu, Monsieur, ne soyons pas si peu affectionnés au service de Dieu, de nous laisser [aller] à une vaine peur, qui nous fasse abandonner le poste [qu'il] nous a donné. Oui ; mais la compagnie sera blâmée et dans le décri.

 

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— O Monsieur, quel or [gueil serait-ce] si, sous apparence de déférence et d’humilité, nous [abandonnions] l’honneur de Dieu pour ne pas risquer le nôtre ! Oh ! que [saint Paul] en était éloigné quand il disait qu’il fallait servir Dieu [per] infamiam et bonam famam, quasi seductores et tamen veraces (5) ! Je viens de dire que vous êtes [fondés en justice], et, cela posé, comme chacun l’estime, bien [heureux serez-vous] de souffrir quelque chose propter justitiam (6) [puisque par ce] moyen le royaume du ciel vous appartient, qui est la [fin pour] laquelle vous avez été appelés de Dieu pour l’établissement et la manutention des choses de sa gloire, non certes comme [des] lions entre des brebis, mais comme des brebis entre les [lions], pour être déchirés et dévorés. Plaise [à sa bonté nous faire cette grâce !

Je suis, en son amour….

 

851. — AU CARDINAL MAZARIN

De Paris, ce 4 septembre 1646.

Monseigneur,

La présente est pour faire savoir à Votre Éminence qu’il est mort depuis peu un professeur en théologie dans la Sorbonne. Il est question de procéder à nouvelle élection dans la même faculté. Monsieur le pénitencier (1) m’a dit que les jansénistes font grand’brigue pour en faire élire un de leur parti. Ceux de l’opinion commune de l’Église ont concerté entre eux et jeté les yeux sur un nommé M. Le Maistre, qui est fort savant, qui prêche

5) Deuxième épître aux Corinthiens VI, 8.

6) Évangile de saint Mathieu V,10

Lettre 851 — L s. — Arch de la Mission, original.

 

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bien et a une des meilleures plumes du royaume et est du bon parti (2), On lui a demandé si, étant élu, il acquiescerait à l’élection. Il en a fait difficulté, pource qu’un prélat lui offre une condition beaucoup plus avantageuse. Ce qui fait, Monseigneur, que ces Messieurs du bon parti ont désiré que je propose à V [otre] E [minence] si elle aura agréable de lui assurer présentement douze cents livres de pension sur quelque bénéfice, ou de lui donner parole qu’elle le fera dans quelque temps. Les avantages qui arriveront en ceci à l’Église, Monseigneur, sont que V [otre] E [minence] empêchera que cette opinion dangereuse ne s’enseigne publiquement en Sorbonne, qu’elle opposera un puissant génie à ces gens-là, qu’elle usera de sa providence ordinaire en tous les affaires d’importance, en un qui regarde la gloire de Dieu et le bien de son Église, et qu’enfin elle fera une créature au roi et à V [otre] E [minence]. L’élection se doit faire lundi prochain. Il est nécessaire que je sache la volonté de V [otre] E [minence] dans vendredi au Soir (3). Je prie Dieu cependant, Monseigneur, qu’il conserve V [otre] E [minence] et sanctifie sa chère âme de plus en plus, qui suis, en son amour, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

2). Nicolas Le Maistre accepta la place qu on lui offrait Il fut proposé le 4 juillet 1661 pour l’évêché de Lombez et mourut le 14 octobre suivant.

3) 7 septembre.

 

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852. — A JEAN BARREAU

De Paris, ce 6 septembre 1646.

Monsieur,

Il n’y a que Dieu seul qui vous puisse faire comprendre la consolation que nous avons de votre heureux voyage, du commencement et du progrès de votre arrivée. J’en rends grâces à la bonté infinie de Jésus-Christ, qui vous a fait celle-ci, et le prie qu’il sanctifie votre chère âme de plus [en plus], afin que vous agissiez toujours saintement et en toutes choses.

Voici les petits avis que je pense vous devoir donner. C’est qu’il semble que vous vous êtes un peu trop hâté à promettre l’argent du droit de la poste : 1° pource qu’il pouvait arriver que vous ne vous trouveriez pas cet argent dans le temps préfix ; 2° en ce qu’il se pouvait faire qu’empruntant cette somme de delà aux marchands pour leur rendre à Marseille, il pouvait arriver que l’argent ne serait pas prêt à leur arrivée à Marseille ; ce qui apporterait du décri de votre personne et de votre ministère. Le contraire est néanmoins, parce que la Providence a fait trouver du crédit aux Mathurins réformés pour fournir douze mille livres dans dix ou douze jours à Marseille à celui auquel vous auriez envoyé l’ordre de le prendre.

Le second avis est de ne jamais écrire ni parler des conversions de delà, et, qui plus est, de ne pas tenir la main à celles qui se font contre la loi du pays. Vous avez sujet de craindre que quelqu’un ne feigne cela pour exciter une avanie. Ressouvenez-vous, s’il vous plaît, Monsieur, de ce que je vous ai dit que les Jésuites ont

Lettre 852. — cette lettre a été publiée dans la Revue des documents historiques, juin 1873, p. 45, d’après l’original, qui a été mis en vente chez M. Charavay.

 

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fait d’autre fois à Péra (1) sur pareil rencontre. Il est bien à souhaiter que nous ayons un chiffre, si vous en savez l’usage, ou je vous en enverrai un. L’âme de votre affaire est l’intention de la pure gloire de Dieu ; l’état continuel d’humiliation intérieure, ne vous pouvant pas beaucoup employer aux extérieures ; la soumission intérieure du jugement et de la volonté à celui qui vous a été donné pour vous conseiller ; et, autant que vous le pourrez, ne rien faire sans lui proposer, si vous n’êtes obligé de répondre sur-le-champ. Jésus-Christ était le souverain seigneur [de Marie] et de saint Joseph, et cependant il ne faisait rien que de leur avis. C’est, Monsieur, ce mystère que vous devez honorer d’une manière particulière, à ce qu’il plaise à son infinie bonté vous conduire, dans l’état auquel vous êtes. Je vous ai écrit que j’ai vu votre bonne tante, et l’édification que j’en ai eue, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je minute à vous envoyer une personne pour servir de chancelier. Nous pressons les Pères de la Merci ; mais le désordre est si grand entre eux, à ce qu’ils m’ont dit, qu’il n’y a point apparence de rien faire avec eux. Le roi a commis M. de Morangis (2) pour en connaître. Cela va…. Nous verrons à y faire ce que nous pourrons Je loue Dieu de ce que vous avez retiré ce Père chez vous (3).

Suscription : A Monsieur Monsieur Barreau, consul d’Alger, à Alger.

1) Quartier de Constantinople

2). Antoine Barrillon, sieur de Morangis, maître des requêtes en 1625, conseiller d’État en 1648.

3) Une note écrite de la main du frère Barreau nous apprend que cette lettre fut reçue le 22 janvier et qu’il y fut répondu le 25.

 

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853. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 6 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous exprimer la consolation que vos lettres m’apportent, particulièrement la dernière que j’ai reçue, du 17 d’août. Je vous prie de m’en écrire souvent.

Je suis en peine de ce que M. Blatiron n’est encore de retour d’auprès de Madame la maréchale de Guébriant, et crains qu’il n’y soit tombé malade, ou que l’incommodité de cette bonne dame n’aille empirant ; ce que Dieu ne veuille !

J’ai nouvelles de M. Dehorgny, sur la prière que je lui ai faite, il y a long temps, de vous envoyer quelqu’un. Il m’écrit qu’il attendait la première pluie pour faire partir M. Richard, qui est un bon sujet et duquel j’espère que vous recevrez grand soulagement. J’ai certes beaucoup de douleur des longs travaux que vous souffrez, et n’en sens point de plus grande. J’ai toujours prié M. Blatiron de faire en sorte que Monseigneur le c [ardinal]-arch [evêque] modérât son zèle et vos occupations, et me propose de lui en écrire encore de bonne sorte au prochain ordinaire. Cependant, Monsieur, je vous prie de vous conserver autant qu’il vous sera possible.

Je loue Dieu de la disposition qu’il donne à ces deux Messieurs qui sont avec vous, de se donner à la compagnie, et prie Notre-Seigneur de leur communiquer de plus en plus son esprit. Saluez-les bien cordialement de ma part, s’il vous plaît, comme je fais votre chère âme, que

Lettre 853 — L s — Dossier de Turin, original

 

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a mienne chétive embrasse avec tendresse et affection particulière. J’ai envoyé votre lettre à Madame votre mère ; si elle m’envoie réponse, je la vous ferai tenir. Nous ne cessons ici de prier Dieu pour vous et pour vos emplois. Faites-en de même pour moi, qui suis de tout mon cœur, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

854. — LE CARDINAL MAZARIN A SAINT VINCENT

Monsieur,

Je vous dirai, pour réponse à la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire, du 4e de ce mois, que je ne puis que louer le zèle que vous faites paraître en tout ce qui regarde la gloire de Dieu et le bien de son Église. Le soin que vous prenez de rompre la brigue des jansénistes par l’élection de M. Le Maistre m’en est une nouvelle preuve, et je suis bien aise qu’on fasse choix d’une personne qui, par le témoignage que vous m’en rendez est si digne de remplir la place qui vaque dans la Sorbonne. Vous pouvez cependant l’assurer de ma part des douze cents livres de pension que vous jugez à propos qu’on lui donne sur quelque bénéfice, et que cela s’effectuera aux premières occasions que j’en aurai. Croyez en votre particulier que je serai toujours bien véritablement, Monsieur, votre très affectionné à vous faire service.

Le cardinal MAZARINI.

A Fontainebleau, ce 7e septembre 1646.

Suscription : Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission, à Saint-Lazare, faubourg Saint-Denis à Paris

Lettre 854. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

 

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855. — A CLAUDE DE MARBEUF (1)

De Paris, ce 8 septembre 1646.

Monseigneur,

Je suis le supérieur indigne de la congrégation de la Mis[sion et je me] donne la confiance de vous écrire la présente, pros[terné] à vos pieds et à ceux de Nosseigneurs de votre par[lement], pour vous supplier, par les entrailles de Notre-Seigneur, [de vouloir bien] protéger l’innocence d’un des plus hommes de [bien qui soient] au monde et qui travaille au salut du pa[uvre peuple avec] autant de bénédiction de Dieu. C’est M[onsieur de] Beaumont, l’un des prêtres de notre compag[nie. Les religieux] réformés de Saint-Benoît l’ont fait mettre dans vos p[risons], où il a les fers aux pieds, pour avoir été trouvé da[ns Saint-Méen] (2).

Je vous supplie de considérer, Monseigneur, que lui

Lettre 855. — L. non s. — Dossier de la Mission, minute de la main du secrétaire. Le document est en mauvais état

1) Premier président au parlement de Rennes.

2) Nous avons vu plus haut qu’à la suite d’un décret de prise de corps, prononcé par le parlement de Rennes, Pierre de Beaumont resta seul à l’abbaye de Saint-Méen. La Fontaine, sergent royal venu dans cette localité à la tête d’une petite troupe pour faire exécuter les ordres du parlement, se saisit de lui et le conduisit dans les prisons de Rennes. Mécontent d’avoir laissé échapper les personnages de marque qu’il comptait surprendre, il fit tomber sa mauvaise humeur sur son unique prisonnier et ordonna au geôlier de lui mettre brutalement les fers aux pieds. c’est ce que raconte dom Morel, et il ajoute que, sur sa propre intervention, Pierre de Beaumont fut traité avec égards et même relâché après avoir subi un interrogatoire en la chambre criminelle le 4 septembre. La détention du prisonnier n’avait duré que quatre ou cinq jours. Il était en liberté quand saint Vincent écrivait cette lettre. (Cf. Collet op cit. p. 416)

La conduite de saint vincent lors de l’affaire de Saint-Méen fut une des principales objections que souleva l’avocat du diable au procès de béatification. (Cf. Novae animadversationes R. P. D. Ridei promotoris super dubio virtutum tam theologalium quam cardinalium,

 

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[et ses] confrères ont été appelés en ce lieu par Mgr de [Saint-Malo], à dessein de faire un séminaire de jeunes ecclésiastiques, de les faire instruire de toutes les choses nécessaires [à leur] condition, conformément au concile de Trente [et aux] ordonnances de nos rois, qui veulent que les [évêques] instituent des séminaires d’ecclésiastiques dans [leur diocèse], où ils soient élevés suivant l’ancien usage de l’Église, et d’affecter des bénéfices pour l’entretien d’iceux. Mondit seigneur de Saint-Malo a érigé le sien dans l’abbaye de Saint-Méen et affecté à ce bon œuvre la mense des religieux, de leur consentement, à la réserve des pensions portées dans le concordat fait avec eux ; ce que le roi a confirmé par ses lettres patentes et par divers arrêts. En quoi je pense, Monseigneur, que vous et Nosseigneurs de la cour ayant été bien in [formé] de la chose, ne trouverez rien à dire, si ce n’est peut-être ce que ces bons Pères disent que M[onsieur] de Saint-Malo n’a pu faire l’union de ladite mense, ni l’approuver, attendu qu’elle appartient à l’ordre de Saint-Benoît et non à mondit seigneur de Saint-Malo. A quoi l’on répond, Monseigneur, qu’elle appartient tellement à Saint-Benoît qu’elle dépend de la juridiction de l’évêque, en sorte que le général des Ré[guliers] n’a juridiction que sur les religieux des abbayes de sa congrégation et n’a aucune autorité sur les autres qui [n’en sont] pas ; et par conséquent il n’a point eu droit de s’opposer à l’union de ladite mense audit séminaire, ni nul autre de l’Ordre, attendu qu’elle ne dépend d’aucune congrégation.

J’ajoute une autre raison à celle-ci, Mgr, que, l’abbaye [de] Saint-Méen étant dépendante de la juridiction des

quarta difficultas, p. 9, et Ultimae animadversationes, p. 3.)

L’avocat de la cause n’eut pas de peine à montrer que non seulement il n y avait rien à reprendre à ses actes, mais qu’il s’était comporté en saint. Cette lettre admirable en est une preuve.

 

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évêques de Saint-Malo, il est vraisemblable que les évêques sont les [fondateurs] de cette abbaye, qu’ils lui ont donné les dîmes [qu’elle] possède et une bonne partie du bien, en considération [de ce] que cette maison servait de séminaire au diocèse [pour] y élever les jeunes ecclésiastiques, et fournissait de bons curés aux cures qui en dépendaient. Et cela étant, [ne] semble-t-il pas raisonnable, Monseigneur, que, puisqu’ils ne font plus ni l’un ni l’autre, ains que les réformés ont changé leur état d’ouvriers de la vigne du Seigneur en moins, que l’Église rentre dans ses droits et qu’elle applique le bien qu’elle leur a donné, à des ouvriers qui tâchent à faire ce qu’ils ne font pas.

Ajoutons à cela, Mgr, qu’ils n’ont pu demander à la congrégation la permission d’entrer dans ladite abbaye, attendu que la bulle de l’érection de leur congrégation ne leur permet d’entrer dans aucune abbaye, quoiqu’ils y soient appelés par les religieux, si l’abbé et l’évêque n’y consentent. Et tant s’en faut qu’ils aient demandé cette permission à Mgr de Saint-Malo, qui est l’abbé et à qui appartient la juridiction de Saint-Méen, qu’au contraire il a lettre en main du général de Saint-Maur, par laquelle il paraît comme mondit seigneur de Saint-Malo l’avait prié de mettre de ses réformés dans ladite abbaye, et comme ce bon Père s’en excuse sur ce qu’il manquait de sujets pour y mettre. Ce qu’ayant vu, mondit seigneur de Saint-Malo, tant pour remédier aux désordres qui étaient dans cette abbaye, que pour faire son séminaire pour le bien de son diocèse, il en a usé de la sorte. Après cela, Mgr, ces bons Pères ont-ils eu raison de procéder avec tant de chaleur contre leur prélat et les ouvriers qu’il a placés dans sa vigne, [de les faire] emprisonner et mettre les fers aux pieds. Je ne [dis pas] ceci, Mgr, par plainte que je fasse contre eux. [il n’est]

 

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homme au monde qui les honore ni qui les [chérisse aussi] affectionnément que je tâche de faire, par l[a grâce de Dieu], comme ils vous pourront dire eux-mêmes.

Que si l’on trouve à redire à ce [que M. de Beaumont] est rentré dans Saint-Méen contre les [arrêts du parlement], assurez-vous, Mgr, qu’il en a usé de [la sorte avec la] simplicité d’un pauvre prêtre de la Mission, [qui ne] sait que c’est de procès et qui pensait [bien faire] en suivant l’ordre de son évêque et du roi. Vous pouvez croire, Mgr, que, si la chose eut dép[endu de] nous, qui ne sommes point en cause, nous [les aurions] rappelés au premier exploit.

Tout cela étant ainsi, Mgr, j’ai [recours à] votre bonté, puisque vous êtes le principal [ministre] de la justice souveraine de Dieu en votre [province], pour lui demander très humblement sa protection pour ledit sieur de Beaumont et pour notre compagnie. Et outre le mérite que vous en aurez devant Dieu, vous acquerrez sur nous tous une perpétuelle obligation, qui nous fera chercher les occasions de vous rendre nos très humbles services, desquels, Mgr, je vous supplie, avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, d’agréer les offres que je vous en fais et à votre famille. Je commencerai les prières que je me propose de faire toute la vie pour vous, Mgr, et pour la sanctification de votre chère âme, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

856. — A N***

12 septembre 1646.

Saint Vincent de Paul annonce à son correspondant qu’après

Lettre 856. — Collet, op. cit., t. I, p. 415. Le destinataire est probablement Antoine Portail ; nous savons par M. Charavay que

 

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quatre ou cinq jours de détention, Pierre de Beaumont, prêtre de la maison de Saint-Méen, a été mis en liberté.

 

857. — A JEAN DE FONTENEIL

A Paris, ce 13 septembre 1646.

Monsieur,

Je vous supplie, au nom de Notre-Seigneur, de donner adresse à ce paquet pour être envoyé et rendu à M. du Coudray, à La Rose. Je sais que je vous importune ; mais vous savez aussi que mes services vous sont dédiés, aussi bien que mon cœur, qui salue le vôtre avec toute l’humilité et l’affection possible, étant véritablement, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Fonteneil.

 

858. — A CLAUDE DUFOUR

De Paris, ce 13 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’espère de vous écrire amplement de ma main au premier jour, ne le pouvant à présent, à cause qu’il est heure tarde et que le courrier va partir. Je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai de ce

saint Vincent lui écrivit, le 12 septembre 1646, une lettre de trois pages in-4°.

Lettre 857. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

Lettre 858. — L. s. — Dossier de la Mission. original.

 

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que M. Portail m’a écrit de vous et que je savais déjà. Je prie Notre-Seigneur de vous communiquer de plus en plus sa conduite et son esprit. J’écris à Messieurs Le Soudier et des Noyelles ; donnez-leur, s’il vous plaît, mes lettres fermées, comme on fait ailleurs. Je mande au dernier, dans les difficultés qu’il trouve à Saintes, de s’en aller à La Rose ; et pour cela, je vous prie, Monsieur, de lui donner ce qui lui faudra. Et pour M. Le Soudier, je le conjure de faire son possible pour unir son cœur au vôtre et vivre avec vous dans l’intelligence et la soumission requises. Que s’il en usait autrement et qu’enfin vous n’en soyez pas satisfait, mandez-le-moi, s’il vous plaît ; je vous enverrai quelqu’un à sa place ; et effectivement nous vous enverrons au premier jour un prêtre et un frère clerc. Je me recommande humblement à vos prières et vous salue avec toute l’affection de mon cœur, étant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Dufour, supérieur des prêtres de la Mission, à Saintes.

 

859. — A JEAN MARTIN

Paris, ce 14 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis si consolé de recevoir de vos lettres que je ne

Lettre 859. — L. s. — Dossier de Turin. original.

 

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puis me passer de me plaindre quand je n’en reçois pas, comme cette semaine-ci, cette privation me mettant en peine et de vous et de M. Blatiron, duquel je n’ai aucune nouvelle depuis qu’il est allé au secours de Madame de Guébriant. Pour moi, je tâcherai à continuer, autant que je pourrai, le commerce des lettres par tous les ordinaires, encore qu’à présent je n’aie rien à vous dire que ce que je vous écrivis il y a huit jours, qui est que M. Dehorgny n’attend que la première pluie pour vous envoyer M. Richard, ainsi qu’il m’a assuré par deux fois, ce qui me fait croire que, s’il n’est déjà arrivé à Gênes, il y arrivera bientôt. Le sujet est si bon que M. Dehorgny ne s’en défait qu’à regret ; et faute de vous en pouvoir donner un autre qui vous soit propre, nous vous avons aussi envoyé d’ici un frère coadjuteur de bon exemple et de grand support ; mandez-moi, s’il vous plaît, s’il est arrivé et ce qu’il vous en semble.

J’ai bonne espérance maintenant que vos travaux se modéreront un peu, surtout si Monsieur Blatiron représente à Monseigneur le cardinal-archevêque le danger où il vous expose par la continuelle occupation à laquelle il vous oblige, qu’en cela il vous fait contrevenir à la pratique ordinaire de la compagnie et à la recommandation que je vous ai tant de fois réitérée de vous reposer de temps en temps. Je prie ledit sieur Blatiron de lui bien faire entendre cela pour une bonne fois ; car j’espère qu’il y aura égard.

Monsieur Guérin, qui est à Tunis, me mande qu’il peut facilement avoir la communication des lettres avec vous par le fréquent abord que font en ce lieu-là quelques barques de la principauté de Gênes. Je serais bien aise que cela fût, pour servir d’autant de divertissement audit sieur Guérin, qui n’en a quasi point, et aussi à cause de la consolation que vous aurez de la lecture de ses lettres.

 

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Quand j’en reçois, c’est toujours avec une particulière satisfaction. Je n’écris point à M. Blatiron, dans le doute où je suis qu’il soit de retour. Si d’aventure il l’est, cette lettre servira, s’il vous plaît, pour vous et pour lui. Je vous salue tous deux, prosterné en esprit à vos pieds, me recommandant humblement à vos prières. Les miennes tendent à ce qu’il plaise à Dieu vous conserver et vous donner de plus en plus une ample participation à son esprit, et à moi la grâce de vous faire connaître combien je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission de Gênes, à Gênes.

 

860. — A JEAN-FRANÇOIS DE GONDI, ARCHEVÊQUE DE PARIS

[Entre août et novembre 1646] (1)

Supplie humblement Vincent Depaul, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission, disant qu’ayant plu à votre charité pastorale donner auxdits prêtres de la Mission le pouvoir d’établir la confrérie de la Charité pour l’assistance des pauvres malades en toutes les paroisses de votre diocèse où elle se pouvait convenablement

Lettre 860. — Dossier des Filles de la Charité, copie du temps. Louise de Marillac a elle-même écrit au dos du document "copie de requeste présentée à Monseigneur de Paris pour l’establissement des Filles de la Charité." Cette supplique est une seconde rédaction ; la première a été publiée sous le no 773.

1) La première date est celle de l’entrée des sœurs à l’hôpital de Nantes ; la seconde, celle de l’approbation de la supplique.

 

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établir, après avoir fait ledit établissement en plusieurs villages avec bénédiction, quelques dames charitables de Paris en ont été si touchées qu’elles ont moyenné par Messieurs leurs curés un pareil établissement dans leurs paroisses, comme sont Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Saint-Leu, Saint-Sauveur, Saint-Médéric (2), Saint-Etienne, Saint-Sulpice, Saint-Gervais, Saint-Paul et autres, où ladite Charité est établie et s’exerce avec bénédiction.

Mais pource que les dames dont elle est composée sont la plupart de condition qui ne leur permet pas de faire les plus basses et viles fonctions qu’il convient exercer, comme de porter le pot par la ville, faire les saignées, les lavements, panser les plaies, faire les lits et veiller les malades qui sont seuls et tendent à la mort, elles ont pris quelques bonnes filles des champs à qui Dieu avait donné le désir d’assister les pauvres malades, lesquelles vaquent à tous ces petits services, après avoir été dressées à cet effet par une vertueuse veuve nommée Mademoiselle Le Gras, et ont été entretenues, pendant qu’elles ont demeuré en la maison de ladite demoiselle, par l’assistance de quelques charitables veuves et autres personnes, qui y ont contribué de leurs aumônes, de sorte que, depuis treize ou quatorze ans que cet œuvre est commencé, Dieu y a donné sa bénédiction, si bien qu’à présent il y a en chacune desdites paroisses deux ou trois de ces filles, lesquelles travaillent tous les jours à l’assistance desdits pauvres malades et même quelquefois à l’instruction des pauvres filles, quand elles le peuvent, et vivent aux dépens de ladite confrérie des paroisses où elles sont employées, mais si frugalement qu’elles ne dépensent que cent livres au plus par an pour leur nourri

2). Saint-Merry.

 

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ture et vêtement, et en quelques paroisses vingt-cinq écus seulement.

Outre l’emploi desdites filles dans les paroisses, il y en a trois qui sont employées par les dames de la Charité de l’Hôtel-Dieu pour y servir les pauvres malades et leur apprêter les petites douceurs qu’elles leur portent tous les jours audit Hôtel-Dieu. De plus, il y en a d’ordinaire dix ou douze employées pour élever les petits enfants trouvés de cette ville et deux ou trois pour l’assistance des pauvres forçats. Et outre celles qui sont employées ès choses susdites en cette ville, il y en a qui le sont encore à l’hôpital d’Angers, à celui de Nantes, à Richelieu, à Saint-Germain-en-Laye, à l’Hôtel-Dieu de Saint-Denis en France et en d’autres lieux de la campagne, où elles font à peu près les mêmes exercices pour ce qui regarde le traitement des malades, la guérison des plaies et l’instruction des petites filles.

Et pour fournir desdites filles en tous ces lieux et en tous les autres où l’on en demande, ladite demoiselle en élève d’autres chez elle et en a d’ordinaire plus de trente, qu’elle emploie, les unes à instruire les petites filles pauvres qui vont chez elle à l’école, les autres à visiter les malades de la paroisse pour leur porter leur nourriture et des médicaments, ou pour les soigner, les autres pour panser les maux des pauvres de dehors qui les viennent trouver à cet effet, les autres apprendre à lire et à écrire, et les autres à faire le petit ménage de la maison.

Et elle les entretient partie de l’argent que lesdites filles gagnent par leur travail manuel, quand elles ont du temps de reste après leurs emplois ordinaires, partie par l’assistance desdites veuves, qui y contribuent selon leurs facultés, partie par les aumônes ordinaires, mais particulièrement par le revenu que le feu roi et Madame la duchesse d’Aiguillon leur ont charitablement donné à perpétuité,

 

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qui se monte environ à deux mille livres par an. Et Ce qui est encore bien considérable dans les emplois de ces pauvres filles, c’est qu’outre le service corporel qu’elles rendent aux pauvres malades, elles tâchent de contribuer au spirituel en la manière qu’elles le peuvent, particulièrement en leur disant de fois à autre quelque bon mot, et donnant quelques avis à ceux qui sont pour mourir à ce qu’ils partent de ce monde en bon état, et à ceux qui guérissent pour leur aider à bien vivre. Et Notre-Seigneur bénit tellement le petit service qu’elles apportent dans leur simplicité, qu’il y a sujet de le glorifier pour les effets qui en réussissent (3).

Mais parce que les œuvres qui regardent le service de Dieu finissent d’ordinaire en ceux qui les commencent, s’il n’y a quelque liaison spirituelle entre les personnes qui s’y emploient, le suppliant craint qu’il n’arrive de même de cette compagnie, si elle n’est érigée en confrérie. C’est pourquoi il représente à Votre Seigneurie Illustrissime, avec tout le respect qui lui est possible, qu’il semble être à souhaiter qu’il vous plaise ériger ladite assemblée de filles et de veuves en confrérie, sous le titre de Confrérie de la Charité des servantes des pauvres malades des paroisses, et de leur bailler pour règlement les articles suivants, selon lesquels elles ont vécu jusques à maintenant et se proposent de vivre le reste de leurs jours (4).

VINCENT DEPAUL,

supérieur général de la congrégation de La Mission très indigne.

 

Suscription : A Monseigneur Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime archevêque de Paris.

3) Le saint a supprimé ici un assez long passage de la première supplique, probablement parce qu’il contenait l’éloge de son œuvre.

4). Le règlement sera publié au volume des documents.

 

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861. — A ANTOINE PORTAIL

Ce 22 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je vous écris à la hâte de Fontainebleau (1), où je suis venu pour les affaires qui me sont commises, pour vous continuer mes lettres et vous donner de nouvelles assurances de l’affection de mon pauvre cœur pour le vôtre très cher, et pour vous dire, Monsieur, que Monseigneur de Cahors me mande qu’il sera bien aise que vous alliez faire un tour jusqu’à Cahors, pour voir l’état de notre maison et comme toutes choses s’y passent. C’est de quoi j’ai voulu vous prier par ces lignes, afin de vous y en aller au plus tôt que vous pourrez.

Je salue le plus tendrement qu’il m’est possible Monsieur Alméras, Monsieur du Coudray et le reste de la famille, me recommandant humblement à vos prières et aux leurs, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Puisque Monseigneur a cette affection, voyez avec le bon M. du Coudray, que je salue tendrement, s’il est expédient qu’il soit de la partie ; et si cela est, je l’en prie.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, étant à Notre-Dame de La Rose, à La Rose.

Lettre 861. — L s. — Dossier de la Mission, original. Le post-scriptum est de la main du saint.

1). Résidence de la cour.

 

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862. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

D’Orsigny, ce 27 septembre 1646.

Monsieur,

Après avoir parlé de diverses affaires relatives à sa congrégation, le saint remercie Jean Dehorgny de l’envoi de François Richad à Gênes :

"Cette petite communauté (1) est en notable considération, à ce que m’a rapporté l’intendant de la Justice de l’armée du roi en Italie."

La petite persécution de Bretagne n’est pas encore apaisée,

"quoique Monseigneur l’évêque (2) et M. le coadjuteur de Saint-Malo (3) soient allés sur les lieux exprès pour cela. Notre prisonnier (4) a été délivré cinq jours après, et la compagnie est éparse par-ci par-là. Notre-Seigneur la rassemblera quand il lui plaira."

 

863. — A JEAN MARTIN

D’Orsigny, ce 27 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 11e de ce mois, avec la consolation

Lettre 862. — Catalogue de vente de M. Laverdet, janvier 1854, n° 1060. Il décrit ainsi l’original : "Lettre autographe signée…, deux pages in-4°, déchirure au haut de la marge extérieure enlevant la fin de sept lignes au recto et le commencement de quatre lignes au verso.

1) La communauté de Gênes.

2) Achille de Harlay de Sancy.

3) Ferdinand de Neufville.

4) Pierre de Beaumont.

Lettre 863. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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que vos lettres ont accoutumé de me donner, tant votre âme m’est chère et ce qui me vient de sa part agréable.

Je loue Dieu de l’arrivée du frère Sébastien et du bon accueil que lui ont fait Messieurs les ecclésiastiques qui sont avec vous, et Monseigneur le cardinal même. Je prie Notre-Seigneur qu’il lui fasse la grâce de les satisfaire toujours et les édifier de ses bons exemples. M. Dehorgny m’a mandé que M. Richard était aussi parti pour venir à Gênes. Je crois qu’il est meshui (1) auprès de vous et qu’il sera arrivé à temps pour vous soulager dans les travaux de l’ordination, au défaut de M. Blatiron, lequel vous dites être toujours arrêté par Madame la maréchale de Guébriant. Je loue Dieu pareillement de ce qu’elle est satisfaite de se, services, et j’approuve volontiers qu’il les y continue pendant qu’elle en aura besoin. Vous ne laisserez pas, moyennant l’aide de Dieu, de bien réussir dans votre conduite et dans vos emplois, parce que l’œuvre de Notre-Seigneur ne se fait pas tant par la multitude des ouvriers que par la fidélité du petit nombre qu’il appelle. Et comme je vous sais plein de zèle et de charité, j’attends aussi de voir réussir de vos soins grande bénédiction, s’il plaît à notre Maître commun vous départir les grâces que je lui demande. Je vous supplie, Monsieur, de lui bien recommander ma pauvre âme, puisque je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

Lettre 863. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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864. — A RENÉ ALMÉRAS, PÈRE

De Saint-Lazare [28, 29 ou 30 septembre 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je me prosterne en esprit à vos pieds et vous demande pardon avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, de ce que je vous ai donné sujet, sans y penser, de vous plaindre de moi, de ce que M. Alméras, votre fils, n’est allé prendre congé de vous avant son départ. Je vous ai dit, Monsieur, que j’ai fait cette faute sans y penser ; et il est vrai que je n’y fis point de réflexion pour tout avant son départ.

Voici comme la chose se passa. Nous fûmes longtemps en doute s’il irait à la campagne, tant à cause de son indisposition que dans le doute des lieux où ii irait. Au commencement, nous avions pensée de l’envoyer visiter si peu de maisons que nous avons, à commencer par Sedan, et de là aller à Toul, à Troyes, à Annecy, à Marseille et à Rome, non tant pour faire les visites que pour essayer si ce divertissement lui rendrait la santé. Nous consultâmes sur cela les médecins, qui furent bien d’avis de l’envoyer à la campagne, mais non pas à Rome, si ce n’était qu’il se trouvât en parfaite santé arrivant à Marseille, vers la fin de l’automne. Il se passa ensuite bien

Lettre 864. — L. a. — L’original appartient à M. Morel, entrepreneur à Rouen.

1) Une main étrangère a ajouté à côté de la suscription : septembre 1646. C’est, en effet, la seule date qui convienne à la lettre. Comme la lettre a été écrite après le voyage de Fontainebleau et que le saint n’était pas encore de retour le 27 septembre, nous ne pouvons choisir qu’entre les trois derniers jours du mois.

 

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du temps à penser à la route de Sedan ; mais, les grandes chaleurs survenant, nous appréhendâmes de l’envoyer de ce côté-là, à cause qu’il n’y a pas des coches pour être à couvert que depuis Troyes ; Ce qui nous fit changer de dessein du jour au lendemain sur l’occasion qui se présenta de l’envoyer à Angers, où il pouvait aller à couvert par le coche jusques à Orléans et de là par la rivière, de sorte que, la résolution prise le soir, il partit le lendemain, sans que je fisse aucune réflexion à l’obligation filiale qu’il avait d’aller recevoir vos commandements ; et je pense que ce fut de même de lui ; pour le moins il ne m’en parla point pour tout. Vous voyez par là, Monsieur, comme ma faute n’est pas volontaire, ains de manque de réflexion à ce que je dois.

La lettre que je vous envoie de mondit sieur votre fils vous fera voir un autre manquement, Monsieur, qui est de l’avoir reçue il y a environ vingt jours, et ne la vous ai point envoyée qu’à présent. C’est encore ici une faute qui ne procède pas tant de mon fait que d’un de nos frères, auquel je l’avais donnée avant mon départ pour Fontainebleau, et lequel oublia de la vous envoyer ; de quoi j’ai été bien étonné à mon retour, que je lui ai demandé s’il la vous avait envoyée. Il m’a dit que non ; et quoiqu’il soit bien soigneux, Dieu merci, il ne l’a pas été en cette occasion ; et je pense que notre soudain départ pour Fontainebleau, où il vint avec moi, en fut cause. Je vous rends compte de tout ceci, Monsieur, afin qu’il vous plaise de croire que je n’ai point manqué en cette occasion de bonne volonté, ains de mémoire, et que par conséquent vous me fassiez la grâce de m’accorder plus volontiers le pardon que je vous demande pour mondit sieur votre fils et pour moi.

Monsieur Portail m’écrit de notre maison de La Rose, du diocèse d’Agen, du 8 de ce mois, que M. votre fils et

 

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lui ne se sont jamais mieux portés, ce sont ses mêmes paroles, et qu’ils partiraient à huit jours de là pour Marseille, et de là l’un pour Gênes et pour Rome, et l’autre pour Annecy, diocèse de Genève, selon l’ordre que je leur enverrais à Marseille. Or, je suis en doute lequel des deux ira à Rome, ou bien s’ils y iront tous deux. Je vous assure, Monsieur, que Monsieur votre fils n’ira point à Rome, si Monsieur Merlet et notre médecin, M. Vacherot, y jugent le moindre inconvénient du monde. La vie de M. votre fils nous est trop chère, Monsieur, et votre satisfaction aussi. Et quoique les médecins estiment qu’il puisse passer, je manderai néanmoins qu’il ne le fasse pas, si sa santé n’est aussi bonne arrivant à Marseille que lorsqu’il est arrivé à La Rose.

Voilà, Monsieur, notre petite conduite à l’égard de Monsieur votre fils, que j’honore comme Dieu sait, et chéris plus que moi-même, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de La Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Alméras, conseiller du roi et son maître de la Chambre des Comptes.

 

865. — AU SUPÉRIEUR DE LA MAISON DE TOUL (1)

1646.

Nous plaidons le moins que nous pouvons, et quand

Lettre 865. — Collet, op, cit., t. II, p. 236.

1) La maison de Toul eut deux supérieurs en 1646 : Jean Bécu (1642-1646) et Charles Aulent (1646-1647). Celui auquel cette lettre est adressée, dit Collet, "s’était embarqué dans une affaire où il avait échoué" Nous pensons que c’est Jean Bécu.

 

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nous sommes contraints à plaider, ce n’est qu’après avoir pris conseil et du dedans et du dehors. Nous aimons mieux relâcher du nôtre que de malédifier le prochain (2)

 

866. — A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION (1)

[Entre le 1er et le 6 octobre 1646] (2)

Ma chère sœur,

]e loue Dieu de ce que vous me dites de la disposition de notre Mère 3 et de ce qu’elle me mande qu’elle ne fera rien à Chartres si ses elles ne l’en prient de la bonne sorte (4) ; et pour ce qui est de La Perrine (5), je regarderai la résolution qui s’y sera prise comme venant de Dieu. Quant à ce que vous me dites, d’aller chez vous pour assister à votre conférence, avant que votre Mère vienne, c’est, ma chère sœur, de quoi je vous prie de m’excuser,

2) Après avoir rapporté ces paroles du saint, Collet ajoute : "Dieu a cependant permis qu’il ait eu quelques procès, qu’il en ait gagné et qu’il en ait perdu ; mais c’est que la Providence voulait faire de lui un modèle pour tous les états et que celui des plaideurs a besoin des grands exemples." A vrai dire, saint Vincent n’a eu de procès que lorsqu’il y a été poussé non par son propre intérêt, mais par l’intérêt des autres. (Cf. lettre 850.)

Lettre 866. — Reg. 1, f° 23 v°, copie prise sur la minute autographe

1) La lettre 873 nous porte à penser que celle-ci est adressée à une sœur du premier monastère de Paris, très probablement à la sœur Louise-Eugénie de Fonteines, qui en était précédemment supérieure

2) L’annonce du retour prochain d’Hippolyte Féret, le sujet même de la lettre et le fait qu’elle a été écrite sur la fin de la retraite annuelle, qui se clôtura le 6 octobre en 1646, ne laissent aucun doute sur la date que nous donnons ici.

3). Hélène-Angélique Lhuillier.

4) On travail ait alors à l’établissement d’un monastère de la Visitation dans cette ville.

5) Au diocèse du Mans. La sœur Louise de Fonteines avait autrefois fait revivre l’observance monastique dans l’abbaye de religieuses établie en ce lieu.

 

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à cause que je scandaliserais nos gens, si je sortais pendant la retraite. Je vas plus avant, ma chère sœur, et vous prie de faire mes excuses à notre Mère et à votre chère communauté si je n’ai le bonheur de lui continuer mes petits services, tant pource que cette retraite m’a fait voir clair comme le jour que je suis en demeure vers notre compagnie pour m’être appliqué à d’autres soins qu’aux siens, dont j’aurai à rendre compte devant Dieu. Il y a encore une autre raison qui ne me presse pas moins, c’est que la compagnie a pour règle de ne se pas appliquer au soin des religieuses, pour se réserver entièrement au service des pauvres gens des champs ; et cependant me voilà dans La contravention à cette règle. Et pource qu’après moi il est à craindre que l’on ne regarde pas tant la teneur des règles que la façon que j’en aurai usé, c’est ce qui m’oblige consciencieusement à me retirer. Que si j’en ai usé autrement, ce n’a pas été sans syndérèse. Et si j’ai de plus grands embarras (6), j’espère que N.-S. m’en délivrera aussi. Il y a tant d’autres personnes à Paris qui vous serviront avec bénédiction. Voilà M. Féret qui va venir pour être curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (7), et voilà encore M. Abelly. Ce sont des gens qui vous serviront dans l’esprit de notre bienheureux Père (8) et avec plus de grâce que moi incomparablement ; et je m’offre même si les en prier, à condition que votre Mère ni vous ne m’écrirez point, ni ne m’en ferez écrire ni parler par personne pour reprendre l’emploi, et que vous me dispenserez d’aller chez vous, ayant pris résolution de n’y

6) L’emploi au conseil de conscience.

7) Hippolyte Féret était à Alet depuis plusieurs années. Saint Vincent, qui l’avait envoyé auprès de Nicolas Pavillon, le rappelait à Paris, probablement à la demande de l’archevêque Jean-François de Gondi.

8) Saint François de Sales.

 

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plus aller, vous protestant, ma chère sœur, que ce n’est pas par aucun mécontentement ; oh ! non, je vous en assure devant Dieu, ains que c’est par principe de conscience, par] es raisons que je vous ai dites. Vous n’avez eu que trop de charité et de support pour mes misères. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous en récompense et qu’il me pardonne les fautes que j’y ai faites. Et assurez-vous, ma chère sœur, que je vous honorerai et chérirai en N.-S. autant et plus que jamais et que je serai à la vie et à la mort…

 

867. — AU CARDINAL GRIMALDI (1)

De Paris, ce 4 octobre 1646.

Monseigneur,

Le sujet de la présente est pour faire un renouvellement de mon obéissance à V[otre] E[minence] et pour la supplier très humblement d’agréer que je lui adresse quelques écrits touchant les deux chefs saint Pierre et saint Paul, lesquels ont été faits par un des plus savants théologiens que nous ayons, et des plus hommes de bien, et qui ne veut pas être nommé (2), Il a fait ces écrits dans le doute s’il les ferait imprimer ; et ayant appris

Lettre 867. — Reg. 1, f° 14 v°, copie prise sur la minute autographe. Une autre minute autographe de la même lettre se trouve aux archives de la Mission. Comme elle présente plus d’une lacune, nous préférons suivre le texte du registre l, et mettre en note les variantes de la minute.

1) Le nom du destinataire nous est connu par les Mémoires du P. René Rapin, Paris 1865, 3 vol. in-8°, t. I, p. 115. I. e cardinal Grimaldi avait été nonce en France.

2) Raoul Allier prétend à tort dans la cabale des dévots, Paris, 1902, in-l6, p. 168, que le saint a en vue François de Raconis, évêque de Lavaur, qui a défendu la doctrine orthodoxe dans deux ouvrages : Examen et jugement du livre de la fréquente communion, Paris, 1644, in-4°, et de la primauté et souveraineté singulière de saint Pierre, Paris, 1645, in-4°. François de Raconis était mort le 6 juillet 1646 et a signé ses écrits.

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par la Gazette de Rome que l’on y examine le livre le l’auteur desdits deux chefs (3), que deux docteurs de Sorbonne, qui sont à présent à Rome (4), soutiennent être la doctrine de leur faculté, et que d’ailleurs la même faculté ayant été informée qu’on lui attribuait cette opinion, s’est assemblée et a député vers Monseigneur le nonce pour désavouer ces docteurs (5), l’assurer du contraire et le supplier de faire en sorte que la prochaine gazette fasse mention que l’on lui attribue à faux cette doctrine (6) ; c’est ce qui a mu ce bon et vertueux personnage à m’apporter aujourd’hui ces écrits, à dessein que je les envoie à Rome, pour servir de mémoire à ceux que Sa Sainteté a députés pour examiner ledit livre. Ils trouveront dans cet ouvrage tous les auteurs allégués pour la prétendue égalité de saint Paul avec saint Pierre, réfutés par les mêmes auteurs dont ils allèguent les passages, tous les uns après les autres (7). Or, à qui puis-je mieux adresser cet ouvrage

3) La doctrine de l’égalité de saint Pierre et de saint Paul, soutenue d’abord dans la préface du livre De la Fréquente communion, avait été combattue, comme nous venons de le voir, par François de Raconis, évêque de Lavaur. Elle fut reprise en 1645 dans deux ouvrages anonymes que les uns attribuent à Barcos, neveu de l’abbé de Saint-Cyran, les autres à Antoine Arnauld : De l’autorité de S Pierre et de S Paul, qui réside dans le Pape, successeur de ces apôtres, et La grandeur de l’Église romaine établie sur l’autorité de S. Pierre et de S Paul. L’intervention d’Isaac Habert, théologal de Paris, et de dom Pierre de Saint-Joseph, feuillant, en faveur de la doctrine traditionnelle provoquèrent en 1646 les Esclaircissements de quelques objections qu’on a formées contre le livre de La grandeur de l’Église romaine.

4) Les évêques qui avaient approuvé le livre De la fréquente communion, envoyèrent à Rome, pour empêcher la condamnation de cet ouvrage, Jean Bourgeois et Jérôme Duchesne.

5). Les mots désavouer ces docteurs manquent dans la minute.

6) Informé par le nonce Mar Bagni que Jean Bourgeois et Jérôme Duchesne prétendaient à Rome que la doctrine du livre de Barcos avait l’approbation de la Sorbonne, Nicolas Cornet, docteur de Navarre et syndic de la Faculté, en informa ses collègues, qui s’émurent de cette imputation et condamnèrent sur-le-champ l’erreur qu’on leur attribuait. (Cf Rapin, ibid).

7) Cette phrase, à une petite modification près, on trouvera, au

 

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qu’à V[otre] E[minence], Monseigneur, pour en faire faire l’usage que ce bon docteur souhaite (8), puisque V[otre] E[minence] est le prince et protecteur des choses de notre sainte religion, et qui m’avez fait l’honneur de me mander que je m’adressasse à V[otre] E[minence] en tous les affaires qui regarderont le service de Dieu ? Cela me fait espérer, Monseigneur, qu’elle ne l’aura pas désagréable, ni que je m’arroge toujours la qualité qu’elle me souffre de son très humble et très obéissant serviteur (9).

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

Ce bon docteur sera consolé s’il plaît à V[otre] E[minence] de me faire l’honneur de me faire écrire la réception et le succès de ses mémoires (10).

lieu de ils trouveront a été écrite par le saint lui-même au dos d’une lettre à lui adressée par le cardinal Mazarin le 7 septembre 1646. On a ajouté au-dessous : "Nota quod haec verba sunt scripta manu Vincentii a Paulo. Videtur quod opus illud de quo loquitur servus Dei fuerat editum a D. Le Maitre, de quo sermo est in libris Dupin… liber Magistri Morel, doctoris Sorbonici, edit apud Recolet ann ; 1646, in aquo falsificationis textuum…" (Cf. Rupin, op. cit., t 1, pp 114-115)

8). Le saint avait écrit dans la minute, à la suite de ces mots, quelques lignes, qu’il a ensuite raturées pour tourner autrement sa phase Les voici : "que ce bon docteur… l’auteur prétend que je… derechef au dire du public, des plus savants du monde et des plus hommes de bien. Je vous supplie très humblement l’avoir agréable, Monseigneur, et de me faire souffrir toujours la qualité, grâce que Votre Éminence m’a fait espérer, qui est de me tenir pour son très humble et très obéissant

9) Nous trouvons ici encore dans la minute trois lignes raturées

"Ces opinions, Monseigneur, troublent toujours un peu l’Église de deçà, non pas pourtant avec la chaleur, si me semble, qu’elles faisaient au commencement ; et après Dieu ce qui semble y avoir le plus contribué, c’est la Bulle de Sa Sainteté."

10) La doctrine des deux chefs fut censurée par Innocent X, le 24 janvier 1647, comme dangereuse et opposée à la constitution de l’Église ; mais la condamnation de Rome ne mit pas fin à la polémique. (Cf. Histoire ecclésiastique du XVIIe siècle par Louis Ellies Dupin, Paris, 1714, 5 vol. in-8°, t. II, p. 145 et suiv.)

 

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868. — A MONSIEUR DESGORDES

De Saint-Lazare, ce 4 octobre 1616.

Monsieur,

Madame Desgordes, votre mère, et Messieurs vos parents ayant désiré que je leur adresse, et à vous, Monsieur, un ecclésiastique pour être auprès de vous et vous servir à vos études. J’ai fait voir à Madame votre mère M. Le Noir, présent porteur, ecclésiastique de cette ville, laquelle l’agrée. Il a les qualités requises pour cela, et j’espère, Monsieur, que vous en aurez pleine satisfaction, après que vous l’aurez connu. Au nom de Dieu, Monsieur, recevez-le et obéissez en cela à madite dame ; la nature vous y oblige, Dieu vous le commande, et vous savez, Monsieur, que c’est l’intention de la cour ; et je vous puis assurer que la reine en aura une particulière satisfaction et que, s’il se présente jamais occasion de vous servir, que je le ferai de très bon cœur, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

869. — A ANDRÉ PRAT, CONSUL DE FRANCE, A SALÉ

De Paris, ce 5 octobre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous exprimer, Monsieur, la reconnaissance

Lettre 868. — La — La minute de cette lettre appartient aux Filles de la Charité de Castelsarrasin.

Lettre 869. — L. a — Bibl. Nat, n. a. f. 3533, pièce 395, minute.

 

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que j'ai de la charité dont il vous plaît honorer notre petite compagnie, de la vouloir employer au service de Dieu, à l'assistance de nos pauvres esclaves de Salé et à votre service. Je vous en remercie très humblement, Monsieur, et vous offre les petits services de notre petite compagnie et les miens avec toute l'humilité et l'affection que je le puis.

Je ne sais que dire au procédé de ce bon Père qui a gagné le devant (1), Monsieur, sinon que nous avons pour maxime de céder aux autres les bonnes œuvres qu'ils s'offrent à faire, estimant avec sujet qu'ils les feront mieux que nous. Et puis, nous craignons qu'il arrive quelque contestation sur le lieu et que cela ne soit plutôt à scandale qu'à édification aux chrétiens et aux infidèles. Que s'il arrive que Monsieur votre fils (2) n'ait pas reçu ce bon Père, ou si son voyage ne tend qu'au rachat des esclaves, ainsi qu'il l'a dit en partant, à ce qu'on m'a mandé, en ce cas ou semblable très volontiers nous ferons ce que vous commanderez, qui êtes choisi du roi et par conséquent de Dieu pour faire connaître sa volonté par la vôtre en ces occasions ; et si, en reconnaissance de cette obligati[on, se] présente quelque occasion de vous honorer, nous le ferons très volontiers, Monsieur.

Nous prierons Dieu cependant pour la c[onservation] de votre personne et celle de M. votre [fils, qui] vous représente à Salé, à ce qu'il vous conserve tous deux et sanctifie de plus en plus votre chère âme et celles du reste de votre famille, et suis, en son amour, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

1) Un Récolle.. (Cf. 1. 870.)

2).Henri Prat. Il succéda à son père le 20 octobre 1648.

 

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870. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A LA ROSE

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Te reçus hier deux de vos lettres, l’une du 21 et l’autre du 22 de septembre. Je m’en vas écrire à M. [du Coudray]. Je vous envoie la présente par homme exprès. Mon Dieu ! Monsieur, que ferons-nous ?.. Vous nous dites de faire revenir cette personne (1) de ses opinions (2), Il n’y a pas d’apparence, à cause de la qualité de son esprit et que déjà il en est venu là d’estimer que les conciles ont moins bien entendu les Saintes Écritures. De le mettre en retraite, il n’est pas de la trempe de son esprit. L’autre (3) est pituiteux et changement ; celui-ci un peu atrabilaire et arrêté. De le tenir, cela est fâcheux, et fâcheux encore de le renvoyer ; et néanmoins, toutes choses considérées, on sera contraint d’en venir là. Vous verrez par celle que je lui écris, que je vous envoie ouverte et que vous cachetterez ensuite de notre cachet, comme je le prie de se rendre à Richelieu, où je me propose de tâcher de l’aller voir et d’aviser à ce qu’il faudra faire. Vous la lui donnerez quand et de la manière que vous le jugerez à propos. Et, quoi qu’il dise ou fasse, demeurez toujours dans l’esprit de douceur et d’humilité.

Pour M. Boucher, s’il le veut suivre, vous lui direz qu’il

Lettre 870. Lettre et Conférences de S. Vincent de Paul (supplément), p. 61, 1. 3O4O. L’éditeur reconnaît avoir eu sous les yeux une copie fautive.

1). François du Coudray.

2) La lettre 885 nous en fait connaître quelques-unes

3) Léonard Boucher.

 

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faut ordre de moi pour cela. Il n’est pas expédient qu’il l’accompagne ; que s’il le fait par lui-même, nous verrons.

Quant à celui que vous laisserez à sa place, ce que vous me dites de M. Dufour à Cahors et de M. Delattre à La Rose n’est pas faisable du côté dudit sieur Dufour ; cela mortifierait trop Monseigneur de Saintes. Mais voyez ce qui m’est tombé dans la pensée : c’est de mettre M. Testacy à Cahors, si Monseigneur l’agrée et si vous n’y voyez pas de l’inconvénient, eu égard à sa conduite et à la proximité de sa bonne mère (4). Il paraît homme de bon sens, fidèle à ses pratiques, formé et entendu aux affaires. [Il est vrai que ce] fut hier qu’il vient d’être fait prêtre et que [peut-être on] aura peine de le voir d’un plein saut [arriver] à un premier emploi ; mais comme Messieurs…. sont bons et sans ambition, vous le leur pourriez faire trouver bon par la considération de l’intelligence qu’il a aux affaires. Quant à Monseigneur de Cahors, peut-être l’y trouverez-vous disposé ; sinon, nous tâcherons de vous envoyer M. Grimal ou M. Dufestel (5) ou M. Berthe. J’avais pensé à M. Bourdet ; mais je pense que nous l’enverrons en Hibernie, où nous sommes pressés d’envoyer des missionnaires du pays, sous la direction d’un supérieur français. Ils pourront partir dans quinze jours, si M. Bourdet est prêt. Il vous restera là M. Rivet (6) un bon petit prêtre de Normandie (7), M. des

4) Charles Testacy était de Condom.

5) Ce nom ne doit pas se trouver sur l’original François Dufestel avait quitté la compagnie et obtenu la cure de Saint Omer-de-Villers. Il n’y a guère apparence qu’il ait demandé sa réadmission ; car nous ne retrouvons plus son nom dans la correspondance du saint.

6) Louis Rivet, né à Houdan (Seine-et-Oise) le 19 février 1618, entré dans la congrégation de la Mission le 13 juin 1640, reçu aux vœux le 16 octobre 1642, ordonné prêtre le 19 septembre 1643. Il fut placé à Richelieu en 1646, puis au séminaire de Saintes, qu’il dirigea pendant plusieurs années (1648-1650, 1656-1662, 1665-1675).

7), Guillaume Michel.

 

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Noyelles. M. Le Soudier (8), [destiné] pour la Barbarie, est encore à Marseille, dans le doute s’il passera, et par suite du rencontre d’un Récollet, qui l’a supplanté ; et puis, nous étions en doute lequel, de lui ou de M. Lesage (9), partirait.

Que si M. Le Soudier ne va pas à La Rose, M. Cuissot (10), qui va à sa place et fait fort bien à présent, ira à La Rose et M. Perraud (11) à Saintes. Nous tâcherons d’envoyer au plus tôt les autres.

Nous voilà rétablis pour la deuxième fois à Saint-Méen, par arrêt du Conseil ; mais le parlement, dont le commissaire qui a chassé les nôtres (12) et le procureur général (13) ont ajournement, a mis un tel sévice (?) qu’on juge que nous n’aurons jamais repos en cette province-là, si l’on ne s’accommode à cet emploi (14). M. Codoing, que nous y avons envoyé (15), travaille…

Monseigneur de Cahors m’a mandé qu’il désirait que vous fassiez la visite chez lui. Il vous déchargera [son cœur]. Il a un peu de peine contre [nous]. Je pense

8) Jacques Le Soudier

9). Jacques Lesage, ne à Auffray (Seine-lnférieure, entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 7 octobre 1639, à l’âge d’environ vingt-cinq ans, reçu aux vœux le 26 novembre 1645. Il s’embarqua pour Alger en janvier ou février 1648 et s’adonna tout entier, sans regarder les fatigues et les dangers, au ministère des pauvres esclaves. Après une visite. aux pestiférés, il fut lui-même atteint par le terrible mal, qui l’emporta le 12 mai 1648.

10) Jean Cuissot. Nous verrons plus loin qu’il fut placé à Saintes.

11). Hugues Perraud, né à Arguel (Doubs) le 4 octobre 1615 entré dans la congrégation de la Mission le 5 janvier 1640, reçu aux vœux le 23 mars 1644, ordonné prêtre en 1646. Il fut placé à Saintes (1646), à Richelieu (1651) et mourut à Paris le 26 décembre 1659.

12). M. de La Touche_Frélon, conseiller au parlement.

13). M. Huchet de la Bédoyère.

14). Cette phrase est bien obscure et bien incorrecte. Elle ne doit pas reproduire fidèlement l’original.

15). En qualité de supérieur.

 

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que je ne l’ai pas assez servi, au gré de ces bons Pères (16) au procès qu’ils ont ici.

Vous n’avez jamais rien fait plus à propos que de rester à La Rose jusqu’à ce que toutes les choses soient au meilleur état que vous les pourrez mettre.

Je pense que nous n’aurons pas de difficulté à faire changer ce que vous et M. Dehorgny trouvez à propos de changer aux offices que vous me marquez, ni aux autres. Je ne laisserai pas de presser le coadjuteur (17), qui est bien long.

Nous sommes environ quarante en retraite. J’assiste à la bande des prêtres ; Dieu m’a donné des forces pour cela. Voici le huitième jour. Il n’y aura que notre visite, que j’ai pensée de différer à votre retour, que je prie Dieu qu’il soit au plus tôt que faire se pourra.

Je vous écrirai à Marseille et vous y enverrai les règles communes en latin.

J’embrasse cependant cette petite communauté avec toute l’humilité et l’affection que je le puis.

M. Bourdet m’a fait de grandes excuses de ce qu’il vous a contredit, et proteste de son obéissance aux ordonnance (18). S’il ne va en Hibernie, nous le pourrons envoyer à La Rose, si vous n’arrêtez l’un ou l’autre de ceux que je vous ai marqués.

J’ai écrit à Monseigneur de Cahors, en suite de ce qu’il avait mandé, de rappeler M. Delattre, que j’avais pensée de le lui reprendre, que vous n’en aviez point d’autre qui entende les affaires que lui, et que nous ferons néanmoins ce qu’il recommandera.

16) Les religieux des monastères qui dépendaient de l’abbaye de Chancelade.

17) Jean-François-Paul de Gondi, plus tard cardinal de Retz.

18) Aux ordonnances de la visite laissées par M. Portail à Saint-Méen

 

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871 — A FRANÇOIS DU COUDRAY (1)

[6 octobre 1616] (2)

Je ne puis, non, je ne puis, mon cher petit Père, vous exprimer la douleur que j’ai de vous contrister. Je vous supplie de croire que, si ce n’était l’importance des choses, j’aimerais mille fois mieux en porter la peine que vous la donner.

 

872 — ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GENES, A SAINT VINCENT

Nous avons écrit, de la part de M. le cardinal Duranzo archevêque de cette ville, à tous les archiprêtres des lieux où s’est faite la mission, de donner avis à tous les curés et prêtres de leur archiprêtré que les exercices spirituels se doivent commencer à tel jour en la raison de la Mission et loue tous ceux qui voudraient se servir de cette bonne occasion se pourraient tendre ici à telle heure. Plusieurs sont venus et se sont déjà retirés. le ne vous puis exprimer la grande consolation qu’ils ont revue, ni l’abondance des grâces que Notre-Seigneur leur a communiquée, ni la grande modestie et le silence exact qu’ils ont observés, ni leur humilité et sincérité à rendre compte de leurs oraisons, ni les conversions admirables et presque miraculeuses qui s’y sont faites.

Entre autres il s’y est trouvé un curé qui m’a dit, et presque eu public qu’il était venu, pensant se moquer, et plutôt par hypocrisie que par dévotion, afin que M. le cardinal lui procurât quelque augmentation de revenu. Il a dit de plus que la Mission n’a pas eu de plus grand ennemi que lui, qu’il en

Lettre 871. — Collet, op. cit., t. II, p. 162.

1) Collet dit que la lettre dont nous avons ici un extrait a été adressée à un missionnaire. L’expression mon cher petit Père, nous permet d’affirmer que ce missionnaire est François du Coudray.

2) L’extrait ci-dessus convient bien aux circonstances dans lesquelles fut écrite la lettre du 6 octobre 1646 adressée à François du Coudray et annoncée à M. Portail dans la lettre 870

Lettre 872. — Abelly, op. cit, 1. II, chap. IV, 1er éd., p. 290.

 

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avait dit tout le mal qu’il s’était pu imaginer, et même de Son Éminence. C’était un homme fort adonné au vice, qui avait obtenu un bénéfice par simonie, reçu les ordres sans aucun titre que ce bénéfice, exercé les ordres, administré les sacrements, fait tous les offices curiaux et demeuré plusieurs années en cet état ; un homme de négoce et d’intrigue, etc. Mais enfin Dieu l’a touché, et l’a touché très efficacement : il s’est converti, il a pleuré, il s’est humilié et a donné de grands témoignages de son changement. Tous ceux qui l’ont vu dans ces exercices, ou qui en ont entendu parler sont restés extrêmement édifiés ; et nous ne le sommes pas moins de tous les autres, qui ont fait beaucoup de fruit, chacun selon ses besoins.

De vous dire maintenant, Monsieur, combien grande a été la joie et la consolation qu’en a reçue Son Éminence, certes, les larmes qui sortaient de ses yeux, quand quelques-uns de ces Messieurs lui ont dit leurs sentiments, le peuvent mieux témoigner que mes paroles ; ce qui a fait un tel éclat dans la ville et encore aux environs, que plusieurs autres se présentent pour venir faire le même.

 

873. — A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION (1)

Ce jour saint Denis (2) [1646 (3)]

Ma chère Mère,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais Le sujet, ma chère Mère, pour lequel je vous ai prié de faire mes excuses à Madame Fouquet (4) de ce que je

Lettre 873. — Reg. 1, f° 34, copie prise sur la minute autographe.

1) Très probablement Marie-Agnès Le Roy, supérieure du second monastère de Paris.

2) 9 octobre.

.3) Dans sa lettre du 19 mai 1647 à la Mère Catherine de Beaumont, saint Vincent dit qu’il a essayé de se décharger, sept ou huit mois auparavant, des fonctions qu’il remplissait auprès des monastères de la Visitation. Il y a donc lieu de croire que celle-ci est de 1646 Cette conclusion se trouve corroborée par ce fait que sœur Madeleine-Augustine, la dernière des filles de Madame Fouquet, religieuse au second monastère de la Visitation, fit profession en 1646.

4) Née Marie de Maupeou. Saint Vincent disait que "si par malheur l’Évangile était perdu, on en retrouverait l’esprit et les maximes dans les mœurs et les sentiments de Madame Fouquet" Il

 

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ne pouvais assister à la profession de notre chère sœur sa fille (5), et de prendre tel autre que vous et elle choisirez, est de ce que la retraite que je viens de faire m’a fait voir que je ne puis satisfaire à mon obligation vers notre compagnie et au service que je dois à votre maison, et d’ailleurs que, notre petite congrégation ayant pour règle que nous ne nous appliquerons point au service des religieuses, afin de n’être pas détournés du service que nous devons au pauvre peuple des champs, je me sens obligé en conscience de l’observer, pource qu’on ne se réglera pas tant par la teneur de nos règles à l’avenir que par la façon que je les aurai observées ; que si j’en ai usé autrement, ce n’a pas été sans quelque syndérèse, quoique l’on me l’eût promis pour quelque temps, à cause de l’affection que j’ai pour votre saint Ordre ; et si j’ai de plus grands embarras (6), j’espère que N.-S. m’en délivrera aussi. C’est ce qui fait, ma chère Mère, que je vous supplie très humblement d’agréer de bon cœur la résolution que j’ai prise de me retirer, et de penser à quelqu’autre qui vous serve de Père spirituel. Il y a tant de personnes à Paris qui sont pleines de l’esprit de Dieu et de celui de notre bienheureux Père (7), et qui vous serviront avec bien plus de grâce de Dieu que moi.

ajoutait : "Elle rend la piété si aimable qu’elle anime tout le monde à s’y attacher." (Année sainte, t. I, p. 627.) La nouvelle de la disgrâce de son fils lui arracha ce cri : "Je vous remercie, ô mon Dieu. Je vous avais demandé le salut de mon fils ; en voilà le chemin."

5) Madeleine-Augustine Fouquet, alors âgée de seize ans. Du second monastère elle passa au troisième, lors de sa fondation. Elle y fut conseillère pendant trente ans et successivement directrice, assistante et économe. Trois de ses sœurs, Anne-Madeleine, Elisabeth-Angélique et Marie-Thérèse étaient religieuses au premier monastère. une autre, Louise-Agnès, fut avec elle d’abord au second, puis au troisième. Elle mourut le 2 novembre 1705, à l’âge de soixante-quinze ans. L’Année sainte nous a transmis le souvenir de ses vertus.

6) L’emploi au conseil de conscience.

7) Saint François de Sales

 

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874. — RENÉ ALMERAS, PÈRE, A SAINT VINCENT

[Octobre 1646] (1)

Quand je considère de quelle sorte et acquiescement je consentis à la vocation de mon fils, sans que les tendresses naturelles m’aient empêche de le consigner en vos maîtres, que, depuis près de dix ans, je n’ai exigé aucune visite, ni aucun des devoirs que les enfants doivent à leurs pères ; que je ne lui ai jamais parlé de sa vocation qu’en l’approuvant et me réjouissant de l’y avoir si bien confirmé, je vous proteste devant Dieu, qui est le scrutateur des cœurs, que je ne trouve rien à redire aux desseins que vous avez sur la personne de mon fils, aux commissions et aux emplois que vous lui donnez, ni aux voyages que vous lui faites faire, fussent-ils jusques aux Indes, croyant assurément que vous ne faites rien en tout cela que pour la gloire de Dieu. Et ayant une fois, qui fut la première que je vous le menai, déposé entre les mains de Dieu et les vôtres l’autorité paternelle que j’avais sur lui, pour vous en rendre le maître absolu, je ne puis ni ne dois révoquer l’offrande que j’en ai si volontairement faite. Ainsi il me reste seulement à prier Dieu qu’il bénisse ses actions, qu’il fasse prospérer ses voyages, et vous, Monsieur, de me donner quelque part à vos prières.

 

875. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 13 octobre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec vous pour] jamais !

La présente est pour vous [assurer de ce que] je vous ai

Lettre 874. — Vie manuscrite de M. Alméras, p. 15. (Cf. Notices, t. III, p. 234.)

1), L’auteur de la notice imprimée date cette lettre de 1647. L’auteur de la notice manuscrite se contente de dire que René Alméras, père, l’écrivit "pour répondre aux excuses" que saint Vincent "lui avait faites de ce que son fils était allé à Rome sans lui en donner avis ni prendre congé de lui". C’est donc non loin de la lettre 864 qu’il faut placer celle-ci.

Lettre 875. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1) Le contenu demande cette date.

 

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dit par ma dernière [lettre touchant] la personne dont est question (2), et [aussi pource] que j’ai écrit à Richelieu qu’on le re[çoive avec] le respect et la cordialité qu’il mérite. Vous en userez pour cela et pour toutes choses selon que votre prudence jugera à propos. Notre frère Champion (3) m’a dit la même chose que vous touchant l’ascension et la croix de Notre-Seigneur. Il sera bon que vous en fassiez un mot d’information à votre nom, faisant mention des erreurs du personnage, et que vous receviez les dépositions de M. Alméras et des autres qui lui ont ouï dire et soutenir cet erreur ; et faudra que vous et eux le signiez et que vous me l’envoyiez cacheté.

Vous avez bien fait de prendre les cent écus qu’on vous a mis en main ; nous les rendrons en cette ville.

Et il faudra que vous fassiez la visite à Cahors. Que si M. Delattre est destiné à La Rose et M. Testacy à Cahors, vous m’en donnerez avis, afin que nous en louions Dieu, si vous l’avez fait ; sinon, que nous vous envoyions quelqu’un pour diriger La Rose.

Voilà ce que je vous puis dire pour le présent en hâte, qui suis, à vous et à M. Alméras, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

2) François du Coudray.

3) Il y avait alors deux Champion dans la compagnie Louis clerc, et René, frère coadjuteur. Nous pensons qu’il s’agit ici de Louis Champion, né à Châteaudun, entré dans la congrégation de la Mission le 12 avril 1643, à l’âge de vingt ans, reçu aux vœux le 17 juin 1646. Il n’était encore que tonsuré en 1650 et enseignait néanmoins la morale aux Bons-Enfants. Il fut supérieur à Montmirail de 1652 à 1654 et passa de là à la maison de Marseille, où il était en 1655

 

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876. A EDMOND DWYER, ÉVÊQUE DE LIMERICK (1)

PREMIÈRE RÉDACTION

De Paris, ce 15 [octobre 1646] (2)

Monseigneur,

Voici enfin huit missionnaires (3), qu [i s’en vont] en Hib[ernie Parmi eux], les cinq sont hibernois, [un prêtre et un clerc français] et un frère anglais. Le p[rêtre français va pour] diriger la compagnie, selon l’avis de feu M. Skyddie, qui me manda, avant mourir, qu’il croyait qu’il en fallait user de la sorte ; et le clerc a [appris] le chant. Les uns et les autres craignent et aiment Dieu et ont du zèle pour le salut du prochain, par la grâce de Notre-Seigneur. Ils s’en vont se jeter à vos pieds, Monseigneur, et s’offrir au service de V[otre] S[eigneurie] Illustrissime et de Nosseigneurs les prélats, auxquels ils pourront rendre quelque petit service avec le temps. Nous en élevons ici d’autres, que nous vous pourrons envoyer quand ils seront formés, s’il se trouve le moyen de les faire subsister par l’affectation de quelque bénéfice, sans qu’ils soient à charge au peuple auquel ils iront faire la mission. Et plût à Dieu, Monseigneur, que je fusse digne d’être de la partie ! Dieu sait de quel cœur j’irais et de quelle affection je lui offre cette petite troupe, et à vous,

Lettre 876. — L a — Dossier de la Mission. Après une première minute, qui ne le satisfit pas, saint Vincent en écrivit une seconde de sa main. Nous donnons ici les deux rédactions.

1) Richard Arthur, évêque de Limerick, mort le 23 mai 1646 avait eu pour successeur son coadjuteur Edmond Dwyer, qui traversa les mauvais jours de la persécution religieuse en donnant l’exemple d’une foi inébranlable et d’un courage sans égal Obligé de s’exiler après la chute de Limerick, il mourut à Bruxelles deux ans après, en 1654.

2) Mois et année du départ des missionnaires pour l’Irlande.

3) Les noms sont donnés dans la lettre 877.

 

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Monseigneur, mon obéissance perpétuelle (4) ! Je vous supplie, très humblement, Monseigneur, de l’avoir agréable.

 

DEUXIÈME RÉDACTION

Je me donnai l’honneur de dire à Votre S [eigneurie] Illustrissime étant en cette ville, l’ordre que j’avais reçu de la part de notre Saint-Père d’envoyer quelques missionnaires de notre compagnie en Hibernie. Divers embarras nous ont empêchés de les envoyer plus tôt. En voici huit, Monseigneur, qui s’en vont se prosterner à vos pieds, vous demander votre sainte bénédiction (5).

L’on nous dit ici des merveilles de la conduite de V [otre] S [eigneurie], Monseigneur, et que d’elle seule, après celle de Dieu, viennent les heureux succès de la religion et de l’État en ces pays-là. Hélas ! Monseigneur, cela n’est pas malaisé à croire à ceux qui ont eu le bonheur d’approcher V (otre) S [eigneurie], comme moi, qui ne suis jamais sorti d’auprès d’elle qu’avec la pensée que l’esprit de Dieu et sa sainte opération résident en elle. S’il plaît à Notre-Seigneur de faire réussir la chose selon vos saintes intentions, votre mémoire en sera immortelle en la terre et au ciel. C’est de quoi je le prie, Monseigneur, qui me donne l’honneur de baiser les mains sacrées de V [otre] S [eigneurie] Illustrissime, prosterné en esprit à ses pieds, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère…

4) Saint Vincent a eu de la peine à trouver sa phrase. Il avait d’abord écrit "de quel cœur je travaillerais, selon les commandements desquels il plairait à Votre Seigneurie Illustrissime m’honorer", puis "de quel Cœur j’irais sous vous, Monseigneur"

5) Quand il eut terminé sa seconde minute, le saint, mécontent, ratura tout ce qu’il avait écrit, sauf les mots qui précèdent, et remplaça la partie raturée par Ce qui suit

 

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877. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A LA ROSE

[De Paris, ce 20 octobre 1646] (1)

Monsieur,

J’ai été bien consolé de vos dernières lettres, écrites de Cahors, et je suis en attente du succès. Je vous ai moi-même écrit deux fois à Cahors, et, après avoir répondu à vos questions, je vous disais, en outre, ce que je pense que vous deviez faire à La Rose, et notamment de faire en sorte que le personnage dont est question (2) vienne à Richelieu, et aviserons s’il le faudra faire venir ici.

Je vois bien, de la façon que vous me parlez de M. Testacy, qu’il ne faut tenter ce que je vous ai écrit par ma dernière, de lui confier la direction de La Rose, ni celle de Cahors. Il faut espérer que Notre-Seigneur fera ce qui sera pour le mieux. J’étais en pensée d’y envoyer M. Lucas ou M. Grimal, ou bien M. Le Soudier le jeune (3), lequel je doute qu’il aille en Barbarie, y ayant un Récollet

Lettre 877. — Pémartin, op. cit., t. 1, p. 591 lettre 505. Il a pris son texte sur l’original chez M. Charavay.

1) Nul doute que cette lettre ne soit d’octobre ou de novembre 1646. Pendant ces deux mois, le saint écrivit chaque semaine à M. Portail. Nous avons ses lettres du 6, du 13 et du 27 octobre, ainsi que celles du 3, du 10 et du 23 novembre, qui fut suivie de celle du premier décembre. La lettre ci-dessus semble donc devoir se placer ou le 20 octobre ou le 17 novembre. Les deux premières phrases porteraient à préférer cette dernière date ; mais ce qui suit ne peut convenir qu’à la première. C’est à cette dernière solution que nous nous arrêtons. La difficulté que soulèvent les premières lignes s’évanouirait vraisemblablement si nous pouvions consulter l’original. M Charavay écrit dans son catalogue en signalant cette lettre : "Déchirure dans un angle, emportant un certain nombre de mots." M. Pémartin a eu le tort de suppléer aux mots qui manquaient par des mots de son choix, sans séparer par des crochets ce qu’il supposait de ce qu’il lisait. Nous le soupçonnons d’avoir écrit Cahors là où il y avait La Rose et deux fois là où il fallait deux ou trois fois.

2). François du Coudray.

3). Jacques Le Soudier.

 

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qui l’a supplanté, a pris le devant et la condition qui lui était destinée à Salé. Un mot de votre avis sur tout cela, s’il vous plaît, le plus promptement que vous le pourrez.

M. Brin, M. Barry (4), le frère [O’Brien] (5), le frère Leclerc (6) et notre frère Patriache (7) sont partis pour l’Hibernie et doivent prendre MM. Le Blanc et Duiguin (8) et le frère Vacher (9) au Mans et peut-être M. Bourdet en

4.) Edme Barry, né au diocèse de Cloyne, en Irlande, le 24 juin 1613, ordonné prêtre à Cahors en 1639, reçu dans la congrégation de la Mission le 21 juillet 1641. Il fit les vœux à Saint-Lazare quelques jours avant de partir en Irlande, d’où il revint en 1652, après la prise de Limerick par l’armée de Cromwell. Il dirigea le séminaire du diocèse de Montauban de 1656 à 1664 et de 1675 à 1680, année de sa mort.

5) M. Pémartin écrit Aubriez. Il s’agit certainement de l’Irlandais Dermot O’Brien, né à Emly entré dans la congrégation de la Mission le 23 octobre 1645, à l’âge de vingt-quatre ans, mort prêtre en novembre 1649.

6). Pierre Leclerc, frère coadjuteur, né à Meaux le 24 juin 1624 entré dans la congrégation de la Mission le 28 avril 1644, reçu aux vœux le 21 novembre 1646.

7) Salomon Patriarche, né à l’île de Jersey, entré dans la Congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, le 24 juillet 1642, à l’âge de vingt-deux ans, reçu aux vœux en 1646. Il revint en France en 1649 à la suite de troubles cérébraux, fut placé à Saint-Méen et perdit complètement la raison en 1651.

8). Dermot Duiguin (ou Duggan), né en Irlande, entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 26 août 1645, à l’âge de vingt-cinq ans. Il revint en France en 1648, mais pour repartir deux ans après en Ecosse, où il passa le reste de sa vie, au milieu de dangers sans nombre, animé du zèle des apôtres et du courage des martyrs. Il mourut le 17 mai 1657 dans l’île de Uist, où une. ancienne chapelle porte encore son nom et rappelle son souvenir. (Notices, t. III, pp. 114-121.)

9). Philippe Le Vacher, né à Écouen (Seine-et-Oise) le 23 mars 1622, entré dans la congrégation de la Mission le 5 octobre 1643, reçu aux vœux le 5 août 1646. Rappelé en France en 1649, il fut envoyé à Marseille, y fut ordonné prêtre le 2 avril 1650 et s’embarqua pour Alger avec les titres de vicaire apostolique et de grand vicaire de Carthage. De retour en France en 1657, il quêta en faveur des esclaves. Son absence, qui devait être de quelques mois, dura deux ans. Il repartit en septembre 1659, rentra de nouveau dans son pays, puis accompagna à Alger en 1661 le frère Dubourdieu, qui allait prendre la place du frère Barreau consul de France dans cette ville. Il paya les dettes de ce dernier, arrangea diverses affaires et quitta définitivement la Barbarie en 1662, en compagnie de soixante

 

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Bretagne (10) Nous avons été pressés et du côté de Rome et des prélats du pays pour cela, et c’est pour ne faire aucune autre fondation de longtemps ; car nous avons disposé de tous ceux qui pouvaient travailler.

Je trouve que vous avez raison de faire partir le bon M. Alméras pour Annecy, si sa santé lui permet le voyage. Pourtant je fais attention à ce que vous me marquez, et vous pouvez lui dire que, s’il sent quelque tendance à éprouver les fatigues de l’année passée, il vaut mieux ne séjourner que peu de temps à La Rose et aller à Richelieu, d’où il sera prêt à revenir, et envoyer quelque autre à Annecy et aux autres maisons, où l’on demande incessamment qu’on les visite. Le capital que je vous prie de regarder ici, c’est la santé ; Notre-Seigneur pourvoira au reste.

Vous apprendrez à Marseille la faute qu’a faite le frère Barreau, consul d’Alger, de s’être obligé au payement de quarante mille livres, pour la rédemption de quelque captif, contre l’expresse défense qu’on lui en avait faite (11) Cet affaire nous met en peine. Et ce qui

dix esclaves, qu’il venait de racheter Il fut placé à la maison de Fontainebleau, où il mena jusqu’au 5 août 1679, jour de sa mort, la vie la plus exemplaire. (Notices, t. III, p. 595-606.)

10). Abelly nous a conservé (op. cit, t. II, p. 187) les avis que saint Vincent donna de vive voix aux missionnaires qui le quittaient pour aller travailler en Irlande. Après un arrêt forcé à Nantes, où ils occupèrent leurs loisirs auprès des pauvres et des malades, ils s’embarquèrent sur un vaisseau hollandais, qui les conduisit sans incident au terme de leur voyage. Là, ils se partagèrent en deux groupes pour évangéliser, les uns le diocèse de Limerick, les autres celui de Cashel

11) Le frère Barreau avait eu la faiblesse de s’engager pour un religieux de la Merci, le Père Sébastien Brugière, qui, après s’être imprudemment couvert de dettes pour libérer des esclaves, avait été poursuivi par ses créanciers, jeté dans un cachot, puis, vu l’état de sa santé, enfermé dans la maison du consul, avec défense d’en sortir. (Dan, Histoire de Barbarie et de ses corsaires, Paris 1649, p. 151 ; Documents algériens, Certificat des souffrances du Père Sébastien, dans la Revue africaine, t. XXXV, 1891.

 

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est plus fâcheux, c’est que le bon M. Nouelly (12) l’avait conjuré de ne le pas faire une heure auparavant. Je vous prie de faire célébrer une messe [par] (13) chacun de la famille de La Rose pour cela, comme aussi pour la mission d’Irlande. L’on est rétabli dans Saint-Méen par l’ordre du roi ; mais je ne sais pas si cela durera. Nous venons de faire nos retraites avec fruit, par la grâce de Dieu, en l’amour duquel je suis…

878. — AU MARQUIS DE MIREPOIX, GOUVERNEUR

DU COMTÉ DE FOIX

De Paris, ce 20 (octobre 16461).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec vous pour jamais !]

Je vous fais ici un renouvellement des (offres de mon) obéissance avec toute l’humilité et l’affection que je le puis. Je vous supplie très humblement, Monsieur, de l’avoir agréable, ensemble la très humble prière que je vous fais, de considérer Monseigneur l’évêque de Pamiers (2) comme l’un des plus zélés évêques pour la gloire de Dieu que je connaisse dans le royaume. Il a su l’honneur que vous me faites de m’avouer pour votre serviteur et souhaite beaucoup que je vous fasse savoir qu’il vous estime et affectionne au delà de tout ce que je

12). Supérieur du frère Barreau.

13). M Pémartin a lu pour ; il faut par.

Lettre 878. — L. a — Dossier de la Mission, minute.

1) Les contours des parties attaquées par l’humidité sur le document original montrent que cette lettre doit être rapprochée des lettres écrites dans les trois derniers mois de l’année 1646 ; elle est très probablement du 20 octobre.

2). François de Caulet, sacré évêque de Pamiers le 5 mars 1645.

 

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vous en pourrais dire, et qu’il désire avoir intelligence avec vous, Monsieur, pour les choses qui regardent le service de Dieu dans son diocèse, qui fait partie de votre gouvernement ; et quoique je l’aie assuré qu’il n’a pas besoin de médiateur, [pource que vous avez l’]esprit plus ecclésiastique que [qui ce soit], je ne laisse pas pourtant de vous [écrire, selon le dé]sir de mondit seigneur. L’expérience [montre que,] tandis que les évêques et les gouverneurs [vivent en bonne] intelligence, le règne de Jésus-Christ [s’établit puis]samment dans les âmes, et que, (quand cela n’) est pas, les affaires du bon Dieu n’en vont [pas bien.]

Il a différend avec les ecclésiastiques [syndiqués] de son diocèse, avec un entre les autres (3), [puissam] ment appuyé de quelques personnes de condition, qui favorisent l’impunité de ces scandales. Ce serait une chose digne de votre incomparable piété, Monsieur, si vous aviez agréable de lui faire dire de votre part qu’il se soumette aux ordres de son prélat et qu’il vive en sorte que mondit seigneur ne soit pas obligé par sa conscience d’agir contre lui. Et peut-être, Monsieur, que Dieu bénira votre entremise, non seulement à l’égard de cet ecclésiastique, mais aussi de beaucoup d’autres qui sont quasi en même état.

Certes, Monsieur, il me semble que cela vaut fait, et déjà j’en rends grâces à Dieu, et vous supplie, Monsieur, de me regarder comme la personne du monde [sur laquelle vous avez un] pouvoir absolu ; et, [si je puis vous servir en] quelque chose, honorez-moi [de vos commandements, je vous en] supplie.

Je prierai Notre-Seigneur cependant qu’il [vous bénisse

3). Probablement l’archiprêtre d’Ax. (Cf. Doublet Georges, François de Caulet, évêque de Pamiers, et la vie ecclésiastique dans un diocèse ariégeois sous Louis XIV, Foix, 1896, in-8°, p. 39 et suiv)

 

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de] plus en plus, qui suis en son amour, votre serviteur.

 

879. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION (1)

De Paris, ce… octobre 1646 (2)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais !

Vous pouvez juger de l’affliction que vos lettres m’ont

Lettre 879 — Reg. 2, p. 289 ; dossier de la Mission, minute autographe. La minute a souffert des ravages du temps. Comme fort probablement le copiste du registre 2 a pris son texte sur l’original c’est ce texte que nous suivons ici, tout en mettant en note les variantes de la minute.

1) La minute ne donne aucune indication sur le destinataire de la lettre. Le registre 2 note qu’elle est adressée " à un prêtre de la compagnie qui était sorti sous prétexte d’infirmité" Le manuscrit d’Avignon, qui la reproduit également, porte : à A M. N. au Mans" Si ce dernier renseignement est exact comme il n’y avait alors au Mans, du moins à notre connaissance, que MM. Gallais, Le Blanc et Cuissot ; comme d’autre part, ainsi que l’indique le contenu de la lettre, le destinataire n’était pas supérieur et avait fait les vœux le nom de Gilbert Cuissot semble s’imposer. C’est ce que pense l’auteur de sa notice. (Notices, t. II, p. 87.) Cependant cette conclusion ne s’accorde guère avec le registre 2. Nous y voyons, en effet, que cette lettre et la lettre 896 du 24 novembre, ont eu le même destinataire. Or la lettre 896 n’a pu être adressée à Gilbert Cuissot, qui se trouvait alors à Saint-Lazare, ainsi qu’il résulte du rapprochement des lettres 891, 899, 900

Deux missionnaires quittèrent la compagnie en novembre Jean Bourdet, supérieur de Saint-Méen, et Thomas Berthe. Les lettres 879 et 896 ne peuvent s’appliquer à Jean Bourdet, à qui saint Vincent offrait la direction de la Mission d’Hibernie. Mais ne conviendraient. elles pas à Thomas Berthe, que saint Vincent eut la pensée d’envoyer à Cahors et qui, placé à Sedan, rentra dans sn famille de dépit de n’être pas nommé supérieur ? (Cf. 1. 888.)

2). Dans la minute, le coin sur lequel se trouvait la date a disparu. Le registre 2 ne donne que le mois et l‘année. Seul le manuscrit d’Avignon indique le jour ; mais nous soupçonnons fort le copiste d’avoir choisi le premier jour d’octobre sans fondement sérieux. La lettre semble mieux placée à la fin du mois qu’au commencement.

 

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apportée, par l’affection que j’ai eue pour vous et que j’aurai toute ma vie. Toutes les raisons que vous m’alléguez sont fondées sur votre indisposition et sur l’espérance que vous avez de vous mieux porter en votre air natal, auquel cas vous faites état de revenir, pour accomplir les promesses (3) que vous avez faites à Dieu. Souffrez que je vous die, Monsieur, que nous n’avons pas tant d’intérêt à vivre longtemps qu’à marcher dans la vocation dans laquelle Notre-Seigneur nous a appelés, selon le conseil de l’Apôtre, et à tenir ce que nous avons promis à Dieu. Vovete et reddite Deo vestro (4). Et puis, pensez-vous (5) que l’air natal allonge les jours de votre vie au delà du compte que Dieu en a fait ? O Dieu ! Monsieur, qu’un peu du cœur de ceux qui vont chercher la maladie et se faire tuer aux armées par vanité, conviendrait bien à notre piété ! Trois personnes de la compagnie (6) se sont flattées de cette espérance, qu’elles se porteraient bien en leur pays, dont la première (7) y hâta sa mort et mourut trois jours après son retour. C’était M. Perdu. M. Senaux (8) a passé quatre mois chez ses parents (9), où il ne se trouva pas mieux, et M. Dubuc (10), qui est présentement chez les siens, me mande (11) qu’il s’y trouve mal de l’esprit

3). Texte de la minute : vous faites état d’accomplir la promesse.

4) Psaume LXXV, 12,

5) Minute : pensez-vous, Monsieur.

6) Minute : de la maison.

7) Minute : de cette espérance qu’elles se porteraient en leur pays, dont la première..

8). Nicolas Senaux, né à Auffay (Seine-Inférieure) le 9 mai 1619, entré dans la congrégation le 22 juin 1639, ordonné prêtre le 20 février 1640, reçu aux vœux le 23 mars de la même année, mort à Troyes le 28 mars 1658. Saint Vincent fait un bel éloge de sa régularité, de sa résignation et de son esprit d’indifférence dans une lettre du 12 avril 1658 et dans la conférence du 28 juin suivant.

9). Minute : quatre mois en son pays.

10) Louis Dubuc, né à Eu (Seine-Inférieure), reçu dans la congrégation en 1636

11) Minute : et M. Dubuc y est à présent, qui me mande.

 

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et du corps. Peut-être qu’il en arrivera autrement de vous. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas, selon ce que je viens de vous dire, qu’il y ait raison (12) de dispense en cela, ni par conséquent de sûreté pour vous. Et vous devez vous en méfier d’autant plus comme le fond de votre résolution vient de ce qu’ayant été flatté de l’attente de la supériorité, et la chose ayant tourné autrement, votre esprit a désiré de sortir premièrement du lieu où nous vous avions envoyé (13) ; et secondement, la tentation vous poussant plus avant, vous a porté à sortir de la congrégation ; car voilà le fond de l’affaire, quoique la nature tricheuse vous ait fait voir le contraire. Et si vous eussiez montré (14) ce repli à ceux de qui vous avez pris avis, vraisemblablement ils vous auraient conseillé de demeurer (15), notamment si vous leur eussiez dit le soin que l’on a céans, Dieu merci, des personnes infirmes, non seulement à l’égard de la nourriture et des remèdes, mais aussi à l’égard des changements de lieu et des emplois ; et selon cela, j’écrivis à Monseigneur (16) de Cahors (17) le jour avant que j’aie reçu votre lettre, comme nous vous destinions pour aller prendre la direction de son séminaire (18) Cela étant ainsi, revenez-vous-en, Monsieur, je vous en conjure, par la promesse que vous avez faite à Dieu de vivre et de mourir dans la compagnie et par le jugement adorable qu’il doit faire de votre âme à l’heure

12) Minute : Peut-être qu’il en arrivera autrement de vous. je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ que cela soit ainsi, et l’en prierai tous les jours de ma vie. Selon ce que je viens de vous dire, je ne vois pas qu’il y ait de raison de dispense en cela.

13) Sedan. Le mot se trouve en toutes lettres dans la minute, mais raturé.

14.) Minute : et si vous eussiez fait voir.

15). Minute : ils vous en auraient conseillé autrement.

16). Minute : Monsieur.

17) Alain de Solminihac.

18) Minute : de sa mission.

 

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de la mort. Vous avez deux exemples notables dans la même compagnie de deux personnes lesquelles, ayant cédé à la tentation de sortir, se sont relevées bientôt et sont rentrées (19) dont l’un est allé faire un établissement en son pays (20), lui sept ou huitième, et l’autre (21) travaille avec bénédiction, et nous lui avons la même confiance qu’auparavant, et la vous aurons à vous de même, pource que je sais la bonté de votre cher cœur, que je prie Dieu qu’il sanctifie de plus en plus, qui suis, en son amour….

 

880. — NICOLAS PAVILLON, ÉVÊQUE D’ALET, A SAINT VINCENT

Monsieur,

Voilà que je vous rends Monsieur Féret, qu’il vous a plu nous prêter pour quelques années. Je vous en rends très humbles grâces, reconnaissant ingénuement vous en avoir une particulière obligation. Il a rendu de très grands services à Dieu dans ce diocèse et y a répandu, par ses instructions et par l’exemple de ses vertus, la bonne odeur d’édification en tous états. Aussi a-t-il été généralement aimé et regretté de tous. Il s’en va se jeter entre vos bras, dans l’esprit d’indifférence, pour être déterminé, par vos avis et résolutions, à quoi que vous jugerez le devoir employer. Il ne peut qu’y réussir heureusement et procurer avantageusement le service de Dieu et de l’Église. Vous en reconnaîtrez, comme j’espère dedans l’expérience beaucoup plus que je ne puis vous exprimer. Quoique la perte que nous en allons faire pour ce pauvre diocèse nous en soit rude, nous l’acceptons pourtant avec douceur et patience, comme de la bonne et paternelle main de Dieu, qui nous donne et nous ôte comme il lui plaît. Il vous entretiendra de toutes nos petites nécessités, auxquelles je vous supplie très humblement de nous vouloir donner vos assistances ; ce que j’espère que vous ferez, Monsieur, d’autant plus volontiers qui regardent le rétablissement du service

19) Minute : lesquelles ayant cédé à la tentation, ils s’en sont relevés bientôt et sont rentrés dans la compagnie, dont l’un…

20). En Irlande.

21. Marc Coglée.

Lettre 880. — L. a. — Dossier de la Mission, original

 

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de Dieu et de la discipline de son Église. Monsieur Féret vous informera plus nettement de toutes ces affaires et des expédients qu’on pourrait employer pour en venir à bout. Je ne doute point, Monsieur, que votre zèle et vos adresses, conjoints au crédit que Dieu vous a donné, ne contribuent beaucoup à leur avancement. C’est ce qui m’oblige de l’implorer en cette occasion, comme aussi vos prières et sacrifices, pour nos extrêmes nécessités spirituelles. Je supplierai Notre-Seigneur en contre-échange de vous remplir de ses plus saintes bénédictions, et vous de me faire l’honneur de me croire de plus en plus, en son amour, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

NICOLAS,

é[vêque] d’Alet.

D’Alet, ce 25 octobre 1646

Suscription : A. Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission

 

881. — A ÉTIENNE BLATIRON

De Paris, ce 26 octobre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai point de vos lettres cette semaine, et si je ne puis discontinuer les miennes à votre égard. J’ai si grande joie de la lecture des vôtres et d’apprendre ce qui se passe en vos emplois que je vous prie, Monsieur, de m’écrire par tous les ordinaires. Cette joie n’est pas pour moi seul ; j’en fais part à toute la compagnie, lorsqu’il y a quelque chose de particulier, et prends de là sujet à vous recommander aux prières d’un chacun.

Je trouve bonne la raison de Monseigneur le c [ardinal-] archevêque (1) pour ne vous point accorder le relâche

Lettre 881. — L. s — Dossier de la Mission, original.

1). Le cardinal Durazzo.

 

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en vos travaux, la considérant dans son zèle ou (2) dans la disposition et la chaleur présente des peuples ; mais il faut regarder plus loin et conserver les ouvriers pour faire durer le travail. Faites donc encore, s’il vous plaît, quelques efforts pour avoir cette modération. Que si mondit seigneur persévère, au moins retenez-vous pour agir plus doucement dans la chaire et dans les fonctions. Parlez-leur plus familièrement et plus bas, les faisant approcher de vous ; car enfin la vertu ne se trouve point dans les extrémités, mais dans la discrétion, laquelle je vous recommande autant que je le puis, à vous et à Monsieur Martin.

M. Portail vous ira voir bientôt. Il est encore à La Rose, mais sur le point d’en partir pour aller à Marseille et puis à Gênes.

Notre frère Pascal (3) n’est pas encore arrivé ; quand il le sera, nous le recevrons en la manière que vous l’entendez et qu’il le désire. Je salue votre chère âme et votre petit troupeau, avec une consolation et une tendresse de mon cœur tout extraordinaire, et prosterné aux pieds adorables de Notre-Seigneur. Je le supplie de vous recevoir tous en sa protection et vous animer de plus en plus de son esprit et de son amour, dans lequel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

2) Le saint avait d’abord écrit : ou même ; réflexion faite, il ratura le second mot.

3) Jean-Pascal Goret.

 

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882. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 27 octobre 1646.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre écrite de Cahors, qui m’oblige à rendre grâces à Dieu de toutes les choses que vous me dites et de tous les biens que Dieu opère par vous, et je prie sa divine bonté de vous continuer ses lumières et sa conduite pour réussir en ce qui vous reste à faire, comme en ce que vous avez fait.

J’ai écrit à Richelieu qu’on y reçoive M. du Coudray et qu’il y demeure jusqu’à ce que la disposition des choses nous en fasse user autrement. Pour le surplus, qui regarde La Rose et Cahors, je ne puis rien conclure que vous n’ayez tout fait et que je ne sache vos sentiments.

Je prie M. Alméras de s’en aller à Annecy, puisque sa disposition (I) le permet, et vous, Monsieur, à Marseille ; mais ce sera après que vous aurez achevé où vous êtes.

M. Brin avec 4 ou 5 autres de nos Hibernois (2) sont partis pour l’Irlande, et M. Bourdet les doit aller joindre à Nantes, pour les diriger. Le f[rère] Vacher (3), qui était au Mans, en est aussi, et le frère Patriarche. Je les recommande à vos prières.

Nous avons maintenant M. Lambert supérieur au collège (4) et M. du Chesne est en mission avec Monsieur l’évêque de Tréguier (5). M. Bécu (6) nous aide céans, d’où

Lettre 882. — L s — Dossier de la Mission, original

1). Sa santé.

2) Voir leurs noms I 877.

3). Philippe L e Vacher.

4). Au séminaire des Bons-Enfants

5). Balthazar Grangier de Liverdi.

6) Jean Bécu

 

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la plupart de nos prêtres partent présentement pour les missions ; et M. Bajoue reste pour le séminaire.

Nous avons renvoyé au Mans M. Alain avec quelques autres, et rappelons M. Cuissot, à cause de son incommodité (7). Son neveu (8) est allé à Saintes avec M. Perraud et le f[rère] David (9).

Je ne puis vous dire autre chose, étant pressé pour le conseil, vous suppliant, Monsieur, de recommander mon âme à Notre-Seigneur, puisqu’elle chérit la vôtre très intimement et que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Cahors.

 

883. — A FRANÇOIS PERROCHEL, ÉVÊQUE DE BOULOGNE

De Paris, ce dernier d’octobre 1646.

Monseigneur,

Je rends grâces à Dieu de toutes celles qu’il vous fait, et par vous, Monseigneur, aux âmes qu’il vous a commises, et généralement à toute son Église, et prie sa divine bonté qu’il la sanctifie de plus en plus.

Monsieur de. Villequier (1) a dit ici des merveilles de

7.) Il était sujet à des accès de fièvre quarte.

8) Jean Cuissot

8) David Levasseur, frère coadjuteur, né à Dancé (Orne) en 1608, reçu dans la congrégation de la Mission le 2 janvier 1638.

Lettre 883. — L. a. — Original à Panningen (Hollande), chez les prêtres de la Mission.

1) Antoine, marquis de Villequier, puis duc d’Aumont, gouverneur de la ville et du territoire de Boulogne, né en 1601 maréchal de camp en 1638, lieutenant général en 1645, maréchal de France en 1651, créé duc et pair en 1665, mort le 11 janvier 1669.

 

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Monseigneur son évêque à la reine et à Monseigneur le cardinal (2) de sorte que, quand ils parlent des bons évêques, ils ont accoutume de nommer Messeigneurs de Boulogne et d’Alet (3). C’est ce qui fait, Monseigneur, que je pense que vous userez de tous les moyens imaginables pour conserver cette bonne intelligence entre vous deux, et, à cause de lui, avec ceux qui prennent connaissance de votre Hôtel-Dieu. J’en ai dit mes petites pensées au bon M. l’abbé de Colugri, qui les vous pourra dire.

Votre dernière me fait mention de la surcharge que vous avez des pays conquis (4), et la difficulté d’y faire ce qu’il faut, attendu le peu de revenu ; j’en parlerai à la reine, à ce qu’il lui plaise de vous assister d’ailleurs.

Quand je dis ici que vous faites votre visite, six personnes à un cheval, cela étonne et donne de l’admiration à un chacun. Oh ! que l’évêque est riche qui attire en admiration tous ceux non seulement qui voient, mais même qui entendent parler des trésors de leurs vertus ! C’est un grand cas que le monde même publie plus estimable la sainte pauvreté d’un évêque qui conforme sa vie à celle de Notre-Seigneur, l’évêque des évêques, que les richesses, le train et la pompe d’un évêque qui possède de grands biens.

Ce que je dis, Monseigneur, n’empêchera pas que je ne prenne occasion de représenter vos besoins dans les occasions.

Je me prosterne en esprit à vos pieds sacrés et vous

2) Le cardinal Mazarin.

3) Nicolas Pavillon. Les deux prélats s’étaient connus à Paris. Ils avaient fréquenté ensemble les conférences des mardis et donné ensemble plus d’une mission.

4). Sur les Espagnols. Cette partie du diocèse de Boulogne était très pauvre et souvent dévastée par les garnisons espagnoles de Saint-Omer, Aire et Renty, qui pillaient les églises ou même les incendiaient.

 

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demande votre sainte bénédiction, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

884. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce jour des trépassés (1) [1646] (2)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris à la hâte, mais non sans grande consolation de toutes les choses que vous m’avez écrites, dont je vous remercie, et prie Notre-Seigneur de vous donner la plénitude de son esprit pour le répandre par vous à ces bons ecclésiastiques que sa divine providence vous donne à conduire. Croyez-moi, ayez grande confiance en lui et ne vous étonnez pas de voir en vous de l’insuffisance ; car c’est bon signe et un moyen nécessaire pour l’opération de la grâce que Dieu vous a destinée. Nous ne cesserons de prier pour vous et je vous ferai envoyer les règlements et les pratiques du séminaire, pour vous donner de la facilité en ce commencement. Je vous supplie surtout de vous conserver et de prendre ce même soin de M. Blatiron et des autres, que je salue affectionnément, et en particulier votre chère [personne] (3), qui m’est en la considération que Dieu sait. Je prie Notre-Seigneur

Lettre 884. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1). 2 novembre.

2). Ce fut en 1646 que Jean Martin commença à s’occuper des ordinands de Gênes.

3). Mot oublié dans l’original.

 

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de la combler de ses grâces et de son amour, auquel et par lequel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

885. — A ETIENNE BLATIRON

De Paris, ce 2 de novembre [1646] (1)

Béni soit Dieu, Monsieur, de toutes les choses [que vous] me redites et que vous m,’aviez déjà écrites ! et (je le prie) qu’il soit son remerciement à lui-même de to [ut le bien] qu’il vous fait en toutes les manières que vous [me mandez]. Mon Dieu ! Monsieur, que cela me paraît bien, par [la grâce de] Dieu, qui conduit votre famille par vous !

Je ne suis qu’en peine de cette chère san[té. Au nom de] Dieu, Monsieur, ménagez-la dans la longueur des travaux où il] vous désire occupés, et consolez-moi de [vos nouvelles en] toutes les occasions que vous en aurez.

Nous avons fait partir sept missi[onnaires pour] l’Hibernie, et j’avais écrit à M. Bourdet en B[retagne] de faire le huitième. Je suis en doute s’il y pourra aller.

Dieu bénit de plus en plus la conduite et les travaux de M. Guérin à Tunis ; et notre consul d’Alger (2) s’est

Lettre 885. — L. a. — L’original appartient aux Filles de la Charité espagnoles de Madrid, calle de Jésus. Le coin supérieur de droite a été rongé par l’humidité.

1) L’année ne fait aucun doute, elle a été écrite anciennement au dos de la lettre et est demandée par le contenu.

2). Le frère Jean Barreau.

 

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obligé à environ 7 mille piastres pour la rédemption qui a été faite et non payée de plusieurs captifs, dont nous sommes en peine, mais plus d’une certaine personne de la compagnie (3), autre que M. C [odoing], qui s’est laissée emporter à quelques opinions non orthodoxes ; et qui plus est, c’est qu’il s’y opiniâtre Il croit que Notre-Seigneur n’est pas encore monté au ciel, et dit que Rome, les conciles, ni les Pères n’ont pas si bien entendu l’Ecriture Sainte, et à d’autres rêveries semblables. Nous sommes en peine de ce que nous en ferons. La curiosité de la langue hébraïque et des rabbins l’a mis dans ces extravagances qu’il soutient. L’on pense (4) qu’il le faut mettre hors de la compagnie, s’il ne revient de ces erreurs ; et nous y serons contraints. O Monsieur, que la vanité de l’esprit est un étrange démon ! Je recommande cet affaire à vos prières.

Nous avons en notre séminaire des Bons-Enfants soixante-dix prêtres, parmi lesquels il y a même un bachelier ; et celui de la compagnie céans est d’environ trente. Dieu bénit les uns et les autres. Je le prie qu’il bénisse les vôtres de Gênes et suis, en son amour et celui de sa sainte Mère, à vous et à M. Martin, lequel j’embrasse, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

3). François du Coudray

4) Première rédaction : M le pénitencier dit

 

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886. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 3 de novembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

[Je suis] étonné de n’avoir reçu de vos lettres touchant (ce que) vous avez fait à Cahors, tant avec Mgr l’évêque que [touchant le bon] ordre et la conduite de la maison, et ne puis (nullement) croire que vous ne m’en ayez envoyé la relation, [à moins que] les choses ne soient pas encore terminées [et que vous] en attendiez la fin. Quoi qu’il en soit, je [désire beaucoup] de savoir ce que vous y avez fait. Comment, si vous êtes retourné à La Rose a[vez-vous arrangé] ce qui reste pour remettre cette maison en [ordre] ?

J’ai nouvelles que M. du Coudray est arrivé… Quand il sera à Richelieu, je vous donnerai avis de ce qui se passera à son égard (1)

Cependant j’attendrai de vos nouvelles et le secours de vos prières et saints sacrifices pour moi et pour tous les besoins de la compagnie.

Et prosterné à vos pieds, j’embrasse en esprit votre chère âme, qui m’est en particulière considération devant

Lettre 886. — L. s. — Dossier de la Mission, original

1) Le secrétaire avait d’abord écrit quand il sera à Richelieu et que je saurai ce qui s’y passera à son égard je vous en donnerai avis. La phrase n’étant pas de son goût, le saint barra les mots et que je saurai ce qui s’y passera à son égard.

 

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Dieu, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

 

887. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

Paris, ce 8 novembre 1646.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec] vous pour jamais !

Je n’ai point reçu lettre de vous cette semaine. (Voici) le sujet de la présente. Le parlement de Rennes s’[est trouvé] embarrassé par les arrêts du Conseil, qui cassent les leurs et portent ajournement personnel au p[rocureur] général et au commissaire qui a exécuté les arrêts [de ce] parlement contre nous. On a donné enfin un a[rrêt, dans] lequel il est dit entre autres choses que le s [eigneur] évêque de Saint-Malo ne pourrait nous éta[blir à] Saint-Méen que par bulles du Pape, couchées aux États de la province et vérifiées a[u parlement] de Rennes (1) M. Codoing, qui est à présent à S[aint-Méen, est à la tête] de la famille, qui y est établie par arrêt [du Conseil], exécuté par un huissier du Conseil d’État (2) en la présence de Monseigneur l’évêque d’Auguste, coadjuteur de Saint-Malo (3) frère de Monsieur le maréchal

Lettre 887. — L. a. — Dossier de la Mission, original

1) Cet arrêt était daté du 8 octobre ; il fut confirmé par un second, le 28.

2). Il se nommait Quiquebœuf.

3). Ferdinand de Neufville était depuis 1644 coadjuteur de son oncle Achille de Harlay, que la mort devait enlever le 20 novembre 1646.

 

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de Villeroi, gouverneur du roi (4), qui porte cet affaire. Il est question, pour être en pleine paix, d’obtenir à Rome des bulles d’union de la mense religieuse de Saint-Méen au séminaire érigé par mondit seigneur de Saint-Malo, dont la direction perpétuelle est donnée à la (5) congrégation des prêtres de la Mission. Voici l’histoire et ensuite les raisons.

Monseigneur de Saint-Malo, voyant le misérable état auquel sont la plupart des ecclésiastiques de son diocèse, obtint permission du roi, conformément aux ordonnances de nos rois et du concile de Trente, d’unir la mense des religieux au séminaire d’ecclésiastiques qu’il avait institué dans Saint-Méen, où il y avait douze ecclésiastiques, et donné la direction aux prêtres de la Mission, que les lettres patentes du roi ont été adressées et vérifiées au grand conseil et l’union faite par mondit seigneur de Saint-Malo, et que le parlement, provoqué par les religieux réformés de Saint-Benoît et fâché de ce que mondit seigneur de Saint-Malo avait fait adresser les lettres patentes au grand Conseil, ont fait toutes les violences dont je vous ai écrit, et qu’enfin, ayant vu que le Conseil (du roi) était fortement contraire, ils ont trouvé [un ex]pédient de se mettre en quelque façon à couvert. [Ils ont] trouvé cet expédient pour nous donner lieu de nous accommoder avec ces Pères, ou de nous établir selon [leur] sens ; et c’est ce que M. le premier président

Il lui succéda et occupa le siège de Saint-Malo jusqu’en 1657.

4). Nicolas de Neufville, marquis de Villeroi, né le 14 octobre 1598, servit avec succès dans l’armée. Il gagna la confiance de Mazarin, devint maréchal de France (20 octobre 1646), gouverneur de Louis XIV (1646) et duc de Villeroi (septembre 1663). Il mourut à Paris le 28 novembre 1685

5). Première rédaction aux prêtres de la.

 

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a dit à Monseigneur l’évêque de Rennes (6), qui me l’a écrit.

Outre l’indisposition de Rome aux unions, vous y trouverez opposition du côté de ces bons Pères ; et allégueront que le concile et les rois de France ordonnent que les évêques uniront des bénéfices à leurs séminaires, n’entendant pas que ce soit des bénéfices qui dépendent des Ordres, ains seulement de ceux qui dépendent d’eux.

A quoi il se peut répondre que cette abbaye dépend des évêques de Saint-Malo, et non d’aucune congrégation, ni d’autre supérieur, quel qu’il soit ; 2° que vraisemblablement les évêques ont donné à l’abbaye de Saint-Méen les dîmes qu’ils ont, en considération de ce qu’ils faisaient alors les séminaires et faisaient ce qu’on tâche de faire. Cette dernière raison ne sera pas de mise ; vous ne l’alléguerez point, ains seulement que les religieux de l’abbaye, qui étaient en très grand désordre, ayant consenti à cela et étant contents de la condition qu’on leur a faite, que nul autre y a intérêt.

L’on vous dira qu’il n’y a que le Pape, et que les évêques ne peuvent point supprimer une régularité par quelque union à un corps. A quoi l’on répond qu’il est vrai, communément parlant, mais que les conciles donnant les pouvoirs aux évêques [au sujet] des bénéfices ordinaires et ne limitant pas le [nombre] des bénéfices, qu’il est vraisemblable que l’ [évêque] a pu faire cette union, attendu, comme j’ai dit, que cette abbaye dépend de sa juridiction et est censée dépendre de lui.

De dire que c’est le bien de Saint-Benoît et (que le) général des réformés (7) a eu droit de réclamer (pour sa)

6). Henri de la Motte-Haudancourt (1642-1662).

7). Dom Grégoire Tarrisse. Il gouverna dix-huit ans la congrégation de Saint-Maur et mourut à Paris le 24 septembre 1648 Collet fait remarquer que les enfants de saint Benoît furent des premiers à demander au saint-siège la béatification de Vincent de Paul

 

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communauté, l’on répond que la bulle [d’instruction] de leur congrégation porte qu’ils s’établiront [dans les] abbayes où les religieux, l’abbé et l’évêque [les demanderont]. Or est-il que les religieux de la maison ne demandent point cette réforme, l’abbé ni l’évêque n’y [consentent] point, qui est M. de Saint-Malo, lequel est abbé et le supérieur de la maison. Il s’ensuit que ledit général ni les religieux réformés n’ont point droit de s’opposer aux bulles que vous demanderez, ni de faire ce qu’ils ont fait.

Ajoutez à cela qu’une mense de religieux (8) n’est pas un bénéfice, que la cour de Rome n’a point d’intérêt à cette union, pource que, n’étant bénéfice, le Pape ne donne point des bulles jamais pour lesdites menses.

Voilà, Monsieur, à peu près les raisons de cette union. Il y a deux voies pour faire cet affaire : ou de faire juger à Rome si l’union faite par M. de Saint-Malo est bonne ou non, et, supposé qu’elle ne le soit pas, qu’il plaise à Sa Sainteté de l’approuver et suppléer aux défauts ; ou bien de donner une bulle qui ne fasse mention de celle qui a déjà été faite.

Je vous supplie, Monsieur, de consulter [sur] cet affaire et de me mander ce que vous en trouverez, au plus tôt. Et, s’il [est bes]oin, l’on en fera écrire d’ici à Sa Sainteté. Messieurs de Saint-Malo [sont] fort résolus d’employer tout ce qu’ils pourront, à cet affaire. Et pour vous dire vrai, je pense que Notre-Seigneur en serait bien glorifié et que l’Église en recevrait du secours non petit, à cause des séminaires qui se pourraient établir par ce moyen et non guère par autre.

L’Assemblée du clergé a agité la question de l’importance des séminaires ecclésiastiques et traité des moyens

8). Première rédaction : qu’une mense abbatiale.

 

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de les faire subsister, et n’en a point trouvé de plus avantageux que celui de l’union de quelques bénéfices où les religieux sont dans le désordre et où ils n’ont point disposition d’appeler les réformés, ou èsquels les réformés ne veulent pas s’établir à cause de la pauvreté des menses qu’ils ne veulent pas (9).

Voici le mémoire du nom, surnom et du diocèse de ce jeune gentilhomme polonais (10) que la reine de Pologne (11) nous a laissé ici et qui s’est mis dans le séminaire des écoliers, au petit Saint-Lazare (12), Je vous prie, Monsieur, de lui moyenner un dimissoire ad omnes ordines. Il a quelque disposition d’être de la compagnie, et moi d’être toute ma vie, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la M.

 

888. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 10 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre et celles que v [ous m’avez écrites] de La Rose, ensemble la pièce q [ue je vous avais] demandée,

9). La question des séminaires avait été agitée la veille dans l’assemblée du clergé au sujet d’un mémoire présenté par les prêtres du séminaire de Caen. (Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France, Paris, 1769, t. III, p. 372.)

10) Peut-être Stanislas-Casimir Zelazewski.

11) Louise-Marie de Gonzague.

12). Au séminaire Saint-Charles.

Lettre 888. — L a — Dossier de la Mission, original.

1) Tous les détails de cette lettre supposent l’année 1646 : la visite de M. Portail à La Rose, la présence de René Alméras dans cette maison, l’affaire de François du Coudray et de Léonard Boucher, etc.

 

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et ai appris l’ordre q [ui a été établi] à La Rose par M. Alméras [et celui qu’il] a donné à Cahors, dont je suis [fort content] et en rends grâces à Dieu et [le prie qu’il] vous exauce toujours dans les prières que vous lui faites incessamment pour la conduite que vous lui demandez dans vos visites.

Je vous dirai par la première mes petites pensées sur ce qu’il y a à faire à l’égard de M. B [oucher], quoique je pense qu’il est à propos que l’on vide l’affaire de M. du C [oudray] avant la sienne. Celui-ci est encore à Richelieu. Je lui ai écrit et prié d’attendre quelque temps, ayant jugé à propos d’en user ainsi, en attendant le papier que vous m’avez envoyé, qui le regarde. Ma pensée présente est de le faire venir à Fréneville et de traiter là avec lui de son affaire, jugeant quelque inconvénient à le faire venir en cette ville. Nous examinerons néanmoins une autre fois la chose. Peut-être serait-il [bon d]’en user avec lui comme l’on a fait avec M. C[odoing], qui ne se sent plus de ces opinions et [fait maintena]nt avec bénédiction ce qui lui a été commis [en Bre]tagne, où il fait la charge de M. [Bourdet] (2), qui est à Nantes, où il fait sa retraite, en [attendant le] congé qu’il m’a demandé de se retirer, [à cause] d’un fâcheux rencontre qui est arrivé [entre lui] et M. de Saint-Malo, dans les sentiments duquel M. Codoing est entré, et quelques-uns de la famille, qui trouvent à redire à son manîment. Ceci est secret. Hors M. Alméras, vous n’en parlerez à personne,

2) L’original porte : Brunet ; mais il est évident que le saint a écrit un nom pour un autre. Jean Bourdet quitta la compagnie ; et dom Morel nous apprend que saint Vincent lui fit obtenir un excellent bénéfice qui dépendait de l’abbaye de Marmoutiers. (S. Ropart, op. cit., p. 196.) Si M. Ropartz avait lu la correspondance du saint, il n’aurait pas ajouté, après avoir rapporté ce fait : "C’est la seule intervention de saint Vincent dans toute cette affaire (l’affaire de Saint-Méen) et la seule occasion qu’ait eue dom Morel de prononcer son nom. Est-il besoin de dire que je m’en suis senti tout heureux ?"

 

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s’il vous plaît. Nous l’avions destiné pour l’Hibernie, pour y conduire la compagnie que nous y envoyons, lui huitième ; mais il s’en excuse. Nous verrons le succès de sa retraite. Je l’ai conjuré par tous les moyens imaginables de demeurer dans la compagnie et de s’en venir ici.

Douze cents livres, c’est beaucoup pour La Rose. Vous ne sauriez vous représenter la pauvreté en laquelle nous sommes. Je vous prie de disposer la famille à honorer les incommodités de Notre-Seigneur. Les dépenses qu’on a faites au Mans ont réduit cette maison-là et celle-ci en la nécessité. Les accommodements se font par eux-mêmes avec le temps. Il n’appartient qu’à Dieu d’avoir toutes choses à souhait, et à ses serviteurs à en user comme Notre-Seigneur a fait. Vous ferez prendre cinq ou six cents livres de lettre de [change, s’il vous] plaît. Si c’est peu pour la maison, ass [urez-vous] que c’est beaucoup pour nous.

Bon Dieu ! Monsieur, que vous [avez bien fait de donner] l’ordre que vous avez donné à l’égard [de….]

Je pense vous avoir écr [it que] Monsieur Berthe s’est retiré, n’ayant pu [souffrir, là] où nous l’avions envoyé (3) l’opinion qu’ [avait plus d’]un externe et le bruit qu’il avait fait cour [ir par] la ville qu’il allait là pour être supérieur ; dont l’ayant désabusé et mandé ici, il feignit à Reims d’être malade, d’où il s’en retourna à Donchery, chez ses parents ; c’est à une lieue de Sedan.

Vous voilà donc bientôt sur le point de partir pour Rome. Dieu sait de quel cœur vous y êtes attendu, et aux autres maisons, et M. Alméras à Annecy. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous bénisse tous deux et qu’il sanctifie vos chères âmes de plus en plus.

Je suis en son amour, et salue très humblement la petite

3) La maison de Sedan.

 

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famille de La Rose, où j’estime que la présente vous trouvera, et cela prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je me trouve en peine à vous envoyer les deux personnes que vous demandez pour Cahors et pour La Rose.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

 

889. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Novembre 1646] (1)

Monsieur,

Nous avons grand besoin d’instruction de votre charité sur le sujet d’une faute assez notable d’une de nos sœurs ; c’est une nommée Marthe, fille d’un jardinier, qui demeure sur le chemin du village d’Issy. Elle a été fort longtemps sur la paroisse St-Leu, qui paraissait assez simple et bonne fille, mais est plutôt, à ce que je crains, un peu fine et réservée. Peu de temps après avoir été dans les paroisses, la curiosité l’a prise de vouloir beaucoup savoir, et d’elle-même s’est avancée à la chirurgie ; nous dit sa mère, pauvre femme, lui avoir donné la garniture d’un grand étui ; et depuis l’avoir mise à St-Paul, elle a encore eu une lancette, et dit sa mère lui avoir encore donnée. Et, au déçu de sa sœur servante, a saigné, quoique jamais l’on ne lui ait montré, si ce n’est des chirurgiens, étant aux paroisses. Et lorsque sa sœur lui a demandé sa lancette, elle (la) lui a refusée, disant qu’elle me la baillerait ; et à moi elle m’a dit l’avoir jetée, comme ne voulant plus voir le sujet qui l’avait fait offenser Dieu. Je l’ai retenue céans pour savoir de vous, Monsieur, ce que nous devons taire pour telles fautes, me semblant bien nécessaires à l’avenir ces exemples pour le bien de la compagnie,

Lettre 889. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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et que nous soyons averties de procéder en telles affaires avec justice et charité.

Faites-moi celle de demander à notre bon Dieu que mon fils, par sa miséricorde, participe un jour au mérites de la vie et mort de Jésus crucifié, vive source de toute sainteté, et moi aussi, misérable et infidèle à Dieu, qui suis, quoique très indigne, Monsieur, votre très obligée fille et obéissante servante.

L. DE MARILLAC

J’oubliais à vous dire que j’ai empêché cette sœur de se confesser et communier aujourd’hui, et attends l’ordre que votre charité me donnera, avant l’y envoyer.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

890. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Avant 1650] (1)

Monsieur,

Le petit garçon de mon fils me vient de dire qu’il le renvoya hier et qu’il ne sait où il est. Vous pouvez penser ma peine, que je supplie très humblement votre charité soulager et aider devant Dieu et recommander à sa miséricorde l’état où il peut être pour le présent et l’avenir. Si vous vouliez me faire la charité d’envoyer quelqu’un de chez vous pour savoir s’il n’a rien dit et ce qu’il a fait, sans que l’on sût mes appréhensions, ni les dispositions qu’il vous a dites, ce me serait un grand soulagement d’apprendre quelque chose. Comme je crains tout, cela me donne pensée qu’il ne fasse emporter le meuble de sa chambre pour se retirer tout à fait, sans que je sache où.

Je suis bien fâchée de vous donner tant de peine, mais il m’est impossible de chercher soulagement ailleurs ; et non seulement cela, mais j’appréhende si fort que l’on sache mon déplaisir, pour la crainte que j’ai que l’on vienne pour m’en dire quelque chose ; ce qui augmentera ma peine. Que ma douleur est grande ! Si Dieu ne m’aide, je ne sais ce que je ferai. Aidez-moi à me tenir fortement attachée à Jésus crucifié,

Lettre 890. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date du mariage de Michel Le Gras.

 

auquel je suis, Monsieur, votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Un mot que j’ai dit à mon fils à cause de ma grande peine.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

891. — A MICHEL ALIX

De Paris ce 23 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous [pour jamais !]

J’ai reçu votre lettre avec grande joie ; (cependant elle) m’a laissé de la douleur, à cause de [ce que vous] souffrez par la fièvre et par les t [racas qu’on vous] donne. Mais grâces à Dieu ! Il est plein de bonté] et pour vous et pour moi : po (ur vous, car c’est pource) que de tout cela vous en faites [bon usage, qu’il le] demande de vous, pour une plus [grande perfection et] sanctification de votre chère âme ; [ce qui paraît] en ce que telles afflictions portent une p [articulière] marque de la bonté de Dieu sur vous, vous donnant sujet d’honorer les actions plus amoureuses de la vie et de la mort de son Fils Notre-Seigneur. Oh bien ! Monsieur, exercez-vous donc en cette divine vertu de patience et de soumission à son bon plaisir. C’est la pierre de touche par laquelle il vous éprouve, et c’est par là qu’il vous mène en son pur amour. Pendant que vous lui demanderez la force de bien souffrir, je lui demanderai la grâce de vous

Lettre 891. — L. s. — Dossier de la Mission, original. Le post-scriptum est de la main du saint.

1) Cette date est demandée et par la date de la dédicace dont parle saint Vincent (22 novembre 1646) et par le contenu de la lettre.

 

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soulager ; et tout maintenant, prosterné en esprit devant son infinie miséricorde, je la supplie humblement de vous rendre la santé du corps et la paix (2) intérieure de votre cœur (3). Nous avons deux personnes en la compagnie qui ont aussi la fièvre quarte ; l’une est céans à présent (4) mais l’autre n’a pas laissé d’entreprendre le voyage d’Hibernie, avec le même courage que les autres, qui sont bien sains ; et je ne doute pas que Dieu ne l’en délivre bientôt, tant il se plaît à faire du bien à ceux qui pour le servir se détachent d’eux-mêmes. Plût à Dieu, Monsieur, que j’eusse le moyen de contribuer [à vo]tre soulagement ! Il sait de quelle affection je m’y [emploie]rais. Et si l’occasion se présente de vous faire changer de lieu, vous verrez que je n’épargnerai [rie]n de ce qui dépendra de moi.

[Je] vous eusse aussi volontiers rendu mes services [concern]ant la fondation qu’on veut faire en votre paroisse, [si j’av]ais su le nom de la fondatrice ou quelle sorte [de re]ligion s’y veut établir ; et faute de cela, [je mé]contenterai du moyen que vous me marquez, [en parlant] à Madame la duchesse d’Aiguillon [et enco]re aux magistrats de Pontoise ; ce que je ferai le plus tôt qu’il me sera possible.

Mais que me dites-vous, Monsieur, quand vous me mandez que vous m’avez dédié un livre (5) ? Si vous aviez pensé que je suis fils d’un pauvre laboureur, vous ne m’auriez pas donné cette confusion, ni vous n’auriez pas fait ce tort à votre livre de mettre en son frontispice le nom d’un pauvre prêtre qui n’a d’autre lustre que des misères et des péchés. Au nom de Notre-Seigneur, Monsieur,

2). Première rédaction : la paix de l’esprit.

3). Première rédaction : de votre âme.

4). Gilbert Cuissot. (Cf 1. 899 et 900)

5). Une nouvelle édition de l’Horus pastorum de Jacques Marchant.

 

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si cet œuvre est encore en état de pouvoir être dédié à quelque autre, ne me surchargez pas de cette obligation. Il y a longtemps que je connais assez votre bonne volonté pour moi ; et vous n’ignorez pas que je ne sois plein de reconnaissance pour vous et de désir d’être à jamais, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je tiendrai à bénédiction de vous servir à l’égard du changement dont vous parlez, et vous promets d’y penser, quoique je ne voie rien pour le présent et que j’aie sujet de craindre que mes péchés me rendent indigne.

Suscription : A Monsieur Monsieur Alix, curé d’Aumône (6) à Aumône.

 

892. — A ETIENNE BLATIRON

De Paris, ce 23 novembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous po[ur jamais !]

J’ai reçu deux de vos lettres en même temps. [L’une] et l’autre ont contribué à ma conso[lation, m’]apprenant la continuation et de votre santé [et de votre] bonne conduite, dont je rends grâces à Di[eu, et] le prie de vous conserver et bénir de [delà].

Mon âme a reçu un surcroît de [consolation] de ce que Monseigneur le cardinal v [ous donne la] liberté de prendre

6.) Saint-Ouen-l’Aumône, près de Pontoise (S.-et-O.)

Lettre 892. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

 

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le repos qui ser[ait nécessaire] après chaque mission. Usez-en donc, [je vous en] prie, et vous conservez comme une personne très chère à la compagnie, particulièrement à mon cœur, qui garde des tendresses d’affection pour vous, qui ne sont pas ordinaires.

Je salue très cordialement Messieurs Martin et Richard et me recommande humblement à leurs prières et aux vôtres, comme aussi à celles de ces bons Messieurs les ecclésiastiques qui vont travailler avec vous, auxquels je vous supplie de renouveler les offres de mes services.

Je vous ai envoyé, la huitaine passée, le traité de votre établissement, où j’ai fait quelques remarques. Vous me manderez œ que vous ferez en cela, et me croirez, en l’amour de Notre-Seigneur, s’il vous plaît, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

893. -- A GUILLAUME DELATTRE

De Paris, ce 23 novembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit a[vec vous] pour jamais !

Je vous fais ces lig[nes] pour vous dire que j’ai reçu v[otre] dernière et que je ne pourrai p[as vous] faire réponse au détail de ce [qu’elle contient], sinon qu’en vous disant qu’on [peut tomber dans l’excès en la pratique des v[ertus, et que] l’excès est quelquefois un p[lus grand]

Lettre 893. — L.a. — Dossier de la Mission, original.

 

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mal que le défaut de les pratiquer, [et qu’en] ce genre-là il s’est vu des personnes, et j’en connais, qui y trouvent de la volupté sensuelle et criminelle, qu’il suffira que vous en usiez comme je le vous ai permis, une fois le jour, l’espace d’un Miserere, absque emissione sanguinis, non enim meritum tam in dolore quam in amore consistit. Au nom de Dieu, Monsieur, réglez-vous à cela et observez les conseils que M. Portail vous donnera, et faites généralement tout ce qu’il vous ordonnera. Je vous fais cette prière d’autant plus volontiers que je sais que la sainte obéissance est l’âme de votre âme et que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delattre, supérieur des prêtres de la Mission, à Cahors.

 

894. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A CAHORS

De Paris, ce 23 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier la vôtre du… ; et toutes les autres que vous m’avez écrites, je pense aussi les avoir toutes re [çues et aussi] avoir répondu à toutes.

Si vous n’avez fait à Ca [hors, je vous prie] de conclure

Lettre 894. — L. a. — Bibl. Nat., n a. f. 1473, original. Le document est en mauvais état. Une copie ancienne nous a aidé à compléter les phrases mutilées

1). Année de la visite de M. Portail à La Rose et à Cahors.

 

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au plus tôt et de [vous rendre] à La Rose pour y conclure ce[lle] que vous y avez commencée. [Les visites] qui traînent comme cela sont pour l’ordinaire de peu de fruit. Les esprits se lassent [vite]. Qui veut remédier aux maux du corps et rétablir une meilleure santé, il faut qu’il donne les remèdes peu à peu, ou autrement il est à craindre qu’on ne lui fasse plus de mal que de bien. Il suffit en une visite qu’on connaisse le mal, qu’on impose et ordonne les remèdes et que l’on en laisse l’exécution au supérieur. Vous avez eu raison de leur expliquer les règles et d’en voir l’usage deux ou trois jours seulement ; mais, après cela, il faut commettre la chose à Dieu et au supérieur. Huit ou dix jours au plus en chaque lieu suffisent.

Vous avez bien fait de faire connaître l’excès qu’on a commis dans les disciplines, et de leur modérer le nombre, de leur prescrire le temps et la manière. Vous pouvez sans difficulté consentir que Monsieur Delattre la prenne tous les jours l’espace d’un Miserere, mais qu’elle soit simple et sans épingles. Et pour les autres, vous leur en permettrez moins et les consolerez dans leur fidélité aux pratiques de cette sorte de pénitence si rigoureuse et les règlerez

Je vous supplie de plus, Monsieur, de faire partir Monsieur Alméras au plus tôt pour Annecy. Il ne saurait traverser les montagnes d’Auvergne. Il faudra qu’il tire droit à Béziers, à Montpellier et qu’il passe à Nîmes et de là au Saint-Esprit (2), à Lyon et puis à Annecy.

Je ne vous dis rien de l’ordre que vous avez à établir à La Rose ici, parce que Monsieur Delattre (3) l’exécutera. [Voilà] longtemps qu’on n’a fait la mission [à Ai]guillon.

2). Au Pont-Saint Esprit, arrondissement d’Uzès (Gard).

3). Le nouveau supérieur de l’élablissement de La Rose.

 

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Je vous prie que ce soit la première [qu’on] y fera, et qu’on y fasse ce qui se pourra, (afin de) les accorder avec Madame la duchesse et ses [gens] et entre eux, et d’y passer cet Avent jusques (aux grandes fêtes de Noël pour faire à plein fond. [Dieu comble de] grâces ceux qui devront parler, qui donnent… plus forts et qui ont grâce pour vi [siter les ennemis ! Ils ne diront point à personne que c’est par ordre de moi ; ils diront qu’on est obligé d’y aller de 5 en 5 ans, et qu’on ne compte point pour mission ce que Monsieur du Coudray y fit quand il y alla avec Monsieur Drouard.

Vous me mandez que nous devons trois cents livres à Cahors. Je ne sais pourquoi nous donnâmes ici 400 livres à Monseigneur de Cahors, qu’il nous devait renvoyer à son arrivée. Je ne sais s’il l’a fait, et l’on ne lui en parlera point.

Voilà, Monsieur, ce que je vous puis dire pour le présent, sinon que je vous embrasse, prosterné en esprit à vos pieds, et fais le même à la petite famille de La Rose, et suis à vous et à eux, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

895. — A BONIFACE NOUELLY

De Paris, ce 2 [… novembre 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec vous pour jamais !]

Lettre 895 — L. s. — Dossier de la Mission, original

1) La date écrite en tête a disparu, avec le coin supérieur de droite, par suite des ravages de l’humidité ; il ne reste que le premier chiffre du quantième du mois. Si nous ajoutions foi à celle qui a été

 

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J’écris à M. le consul (2) [l’embarras où nous] sommes pour avoir l’argent auq (uel il s’est engagé). Le conseil a ordonné qu’il sera payé avec les] deniers qui se lèveront, dès que [l’on aura quêté] dans Paris pour les esclaves…. se veut charger desdites quê [tes……] de la Merci ni des Mathurins, (lesquels) nous font espérer plus de secours que les [autres] ; et c’est avec eux que nous tachons de nous accommoder. Nous ne perdrons point de temps, s’il plaît à Dieu ; et dès que l’argent sera prêt, nous vous l’enverrons par la voie de Tunis, ainsi que vous nous mandez.

Je prie ledit sieur Barreau de ne jamais plus s’engager à rien, ni même de s’entremettre du rachat d’aucun esclave, ains de bien exercer son office. Je le prie aussi de n’entreprendre aucune affaire, petite ni grande, sans vous en communiquer. Et je vous prie, Monsieur, de faire de même, vivant ensemble avec grande déférence, ouverture de cœur et pleine confiance, comme deux personnes unies en Jésus-Christ.

J’ai écrit aussi par ce même ordinaire à M. Guérin, à Tunis, de vous écrire quelque chose de la méthode et de la manière avec laquelle il agit envers les pauvres esclaves, afin de vous conformer à cela autant qu’il vous sera [possi] ble.

Je vous écris bien à la hâte, à cause [qu’il] est nuit. Je prie Notre-Seigneur d’être [de] plus en plus votre lumière, votre force et votre esprit et enfin votre récompense.

anciennement ajoutée au dos du document, la lettre serait du 8 mars 1647. Mais cette date soulève quelques difficultés ; elle est en opposition avec le 2 du début ; de plus les contours de la partie mutilée rapprochent étrangement cette lettre des lettres datées du 23 novembre 1646, et par son contenu elle semble mieux à sa place non loin de la lettre 877.

2). Le frère Jean Barreau.

 

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[Je suis], en lui, de toutes les forces de mon âme, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Nouelly. prêtre de la Mission, à Alger.

 

896. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION (1)

Du 24 novembre 1646.

J’ai reçu deux de vos lettres, qui ont redoublé ma douleur, voyant que vous persévérez à vous séparer de nous ; ce qui m’oblige de persévérer aussi à vous représenter le danger où vous vous exposez, mais c’est avec toute l’humilité et l’affection dont je suis capable, et avec un plein désir de votre salut. Je vous dirai donc dans ce sentiment :

1° Que je ne vois aucune raison qui vous rende dispensable des vœux, et, pour une seule que vous en cotez, qui est très faible, plusieurs fortes me persuadent que vous devez revenir. Vous êtes infirme, il est vrai ; mais ce prétexte est-il suffisant pour obliger Dieu à vous tenir quitte de la promesse que vous lui avez faite ? Vous n’ignoriez pas alors que vous ne fussiez sujet aux infirmités corporelles, comme le reste des hommes. Et, puisque vous avez franchi le pas, faut-il maintenant qu’une légère incommodité vous décourage ?

2° Votre retraite chez vous ne vous guérira pas. De quels remèdes userez-vous que vous n’ayez ici ? L’air de votre pays n’est pas meilleur que celui de Paris, et

Lettre 896. — Reg. 2, p. *290.

1). Probablement Thomas Berthe. (Cf. 1. 879, note l.)

 

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vous savez bien que vous ne trouverez pas chez vos parents plus de repos et de bons secours que nos infirmes en ont dans la compagnie.

3° Je vous prie de considérer la bonté de Dieu à vous appeler du monde. Combien y a-t-il d’âmes qui se perdront, faute d’une pareille grâce ! Mais combien plus mériteront de se perdre celles qui l’auront méprisée après l’avoir reçue !

4° Vous avez confessé tant et tant de fois que vous étiez touché de reconnaissance envers Dieu du bienfait de votre vocation ; pourquoi le rejetez-vous maintenant ?

5° Dieu vous a départi assez libéralement des talents pour tous les emplois de la compagnie ; et, vous en retirant, les peuples et les ecclésiastiques seront frustrés des assistances spirituelles pour lesquelles peut-être il vous les a donnés. Et quoique vous pensiez les faire valoir en assistant le prochain en votre particulier, ce sera néanmoins sans grand effet, parce que] a grâce de la vocation vous manquera ; l’expérience de quelques autres me fait craindre cela de vous.

6° Combien de victoires perdrez-vous, si vous perdez votre vocation, puisqu’avec elle vous pouvez surmonter le diable, le monde et la chair, et à même temps enrichir votre âme de la perfection chrétienne, pour laquelle les anges s’incarneraient, s’ils pouvaient, afin de venir imiter sur la terre les exemples et les vertus du Fils de Dieu !

7° Je veux croire qu’il vous semble que votre sortie ne procède pas du motif que j’ai dit, quoique vous ayez sujet d’estimer le contraire ; car, si cela n’était pas, d’où pourrait venir un si prompt changement ? Car, en partant d’ici pour cette maison-là, vous étiez si content de votre vocation qu’il ne se pouvait davantage, et j’en étais fort édifié. Mais quand il serait vrai que ce mal viendrait de quelqu’autre cause, et non de celle-là,

 

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comme vous dites que je le verrai au jour du jugement, que direz-vous en ce grand jour, quand il vous sera demandé compte de vos promesses, des lumières que vous avez reçues et de l’emploi que vous aurez fait de votre temps et de vos talents ? Pensez-vous que le soin de votre santé vous en décharge, puisque c’est Dieu qui la donne et qui l’ôte quand bon lui semble, et qu’il est dit que qui voudra sauver sa vie la perdra ?

Au nom de Notre-Seigneur, Monsieur, pensez à tout ceci et ne résistez point aux reproches de votre conscience ; mettez-vous en l’état auquel vous voudriez mourir, et j’espère de la bonté de Dieu qu’il vous donnera la force de vaincre la nature, qui ne cherche que sa liberté, au préjudice de votre pauvre âme, pour laquelle Dieu m’a donné des tendresses d’affection inexplicables. C’est pourquoi je vous conjure derechef, au nom de Jésus-Christ et par l’amour qu’il vous porte, de vous en venir ici. J’aurai en vous plus de confiance que jamais, parce que je n’aurai plus crainte de vous perdre, vous voyant garanti d’un écueil si dangereux. Choisissez telle maison qu’il vous plaira ; vous serez reçu partout à bras ouverts, et vous me donnerez occasion de vous témoigner que je suis, en son amour, Monsieur, votre…

 

897. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

De Paris, ce 27 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous [pour jamais !]

J’ai été consolé de voir dans votre lettre [que M.] le curé s’est un peu relâché de la réso [lution de] ne point

Lettre 897. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) Ce qui est dit dans cette lettre de Louis Thibault nous porte à la rapprocher de la lettre 900, qui est du 2 décembre 1646. L’état

 

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souffrir la communion des en [fants. J’espère] qu’il se rendra tout à fait si v [ous avez soin de lui] représenter : 1° que par nos règles [nous sommes tenus] à cela ; 2° qu’il a été toujours p [ratiqué ainsi en] toutes les missions que nous avons (faites ; 3° que les enfants) sont bien instruits et en état de bien [se préparer à la] communion, laquelle sert par après de dis [position à bien] faire les autres ; 4° que c’est un des princip [aux moyens] que nous ayons pour toucher les personnes plus âgées, qui ont le cœur dur et obstiné, lesquelles se laissent vaincre à cette dévotion des enfants et du soin qu’on prend après eux. Et, à propos de ceci, on me mande de Gênes que Monseigneur le cardinal-archevêque (2) a une telle affection à la communion des enfants qu’il se trouve en la plupart et y pleure de tendresse, comme s’il était lui-même un enfant. Enfin l’expérience que nous avons de la bénédiction que Dieu donne à cette action doit servir de motif à mondit sieur le curé de l’approuver en sa paroisse.

Que s’il dit qu’il veut faire cela lui-même, et que pendant le carême il les instruira pour les faire communier à Pâques, on lui peut répondre qu’il est vrai qu’il s’en acquittera bien mieux que nous, mais que ce que nous en ferons n’empêchera pas qu’il ne fasse alors la même chose. Que s’il craint que nous admettions à la communion des enfants qui ne soient assez instruits et n’aient les autres dispositions nécessaires, vous lui direz, s’il vous plaît, que notre coutume est de les examiner tous [en] la présence de Messieurs les curés, lesquels jugent [eux]-mêmes si on les doit recevoir à ce sacrement ou non, [qu’] ainsi mondit sieur pourra remettre à un

de mutilation de l’original, comparé à celui des originaux des lettres qui précèdent et qui suivent, enlève tout doute.

2) Le cardinal Durazzo

 

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autre temps [ceux] qu’il n’en trouvera pas capables. Que si enfin il trouve à redire à la solennité de la procession, [on la fera le] plus simplement qu’il se pourra, sans [éclat et s] ans habiller certains enfants en forme [d’anges], comme on a fait en quelques endroits ; (lui résister) en cela ne me semble pas faisable (3).

[Je] vous prie donc de lui bien représenter toutes ces choses, et j’espère qu’il vous donnera toute liberté pour ce regard ; sinon, nous verrons avec la compagnie s’il est expédient de continuer la mission sans ladite communion (4).

Quant aux confessions, il n’y aura rien de perdu à les différer jusqu’à lundi.

Et pour faire durer la mission jusqu’à la fin de l’an, à la bonne heure, on le fera aussi, s’il est nécessaire.

Nous enverrons de l’argent à M. Thibault et le ferons avertir de faire ce que vous dites vers M. Raisin, pour savoir si rien n’a été laissé par mégarde en sa maison.

Puisque vous n’avez point assez de lits, voyez, Monsieur, si vous pourrez en envoyer quelques-uns coucher aux Bons-Enfants.

Nous vous renvoyons notre frère Laisné (5). S’il est inutile, vous le pourrez renvoyer dans deux ou trois jours.

3). L’abbé Villien, le savant professeur à l’Institut catholique de Paris, estime que saint Vincent a le premier introduit l’usage de donner de la solennité à la première communion (La discipline des sacrements dans la Revue du clergé français,1er janvier 1912, t. LXIX, p. 30.)

4). Cette fin de phrase, depuis sinon nous verrons, est de la main du saint.

5). Le catalogue du. personnel signale deux missionnaires du nom de Laisné, Nicolas et Pierre, nés tous deux à Dreux, l’un le 9 novembre 1623, l’autre en 1625, entrés dans la congrégation de la Mission le 24 septembre 1641 et admis. aux vœux le 4 octobre 1643. Pierre reçut tous les ordres sacrés en décembre 1648. C’est de lui probablement qu’il est ici question. Il faisait partie de la maison de Saint-Méen en 1657.

 

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Nous vous enverrons demain des surplis et des bonnets

Les deux pistoles que vous avez envoyées ont été reçues.

Je salue toute la compagnie et vous particulièrement, étant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

898. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[1646] (1)

Monsieur,

Je ne me suis point avisée de vous demander si je communiquerai ceci (2) à nos sœurs, et ne l’ai pas fait. Permettez-moi de dire à votre charité que l’explication portée dans notre règlement de Filles de la Charité me fait désirer la continuation de ce titre, qui est omis, peut-être par mégarde dans le mémoire des termes de l’établissement (3).

Ce terme si absolu de dépendance de Monseigneur (4) ne nous peut-il point nuire à l’avenir, donnant liberté de nous tirer de la direction du supérieur général de la Mission ? N’est-il pas nécessaire, Monsieur, que par cet établissement, votre charité nous soit donnée pour directeur perpétuel. ? Et ces règlements qui nous doivent être donnés, est-ce l’intention de

Lettre 898. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le mot du début "Monsieur" montre que la lettre a été écrite avant 1650. La note 2 permet de préciser l’année.

2). L’acte du 20 novembre 1646, par lequel Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, érigeait en confrérie la compagnie des Filles de la Charité.

3). Le coadjuteur, qui a signé l’acte d’érection, au nom de son oncle l’archevêque de Paris, donne aux sœurs le nom de "servantes des pauvres de la Charité".

4). Le coadjuteur spécifie que la compagnie "demeurera à perpétuité sous l’autorité et dépendance" des archevêques de Paris. Il ajoute qu’il confie et commet à Vincent de Paul "la conduite et direction de la susdite société et confrérie tant qu’il plaira à Dieu de lui conserver la vie"

 

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Monseigneur que ce soient ceux marqués en suite la requête ? Cela requiert-il un acte à part, ou bien en veut-on former d’autres, puisqu’il en fait mention séparément ?

Au nom de Dieu, Monsieur, ne permettez pas qu’il se passe rien qui donne tant soit peu de jour de tirer la compagnie de la direction que Dieu lui a donnée, car vous êtes assuré que aussitôt ce ne serait plus ce que c’est, et les pauvres malades ne seraient plus secourus ; et ainsi je crois que la volonté de Dieu ne serait plus faite parmi nous, par laquelle j’ai le bien d’être, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante (5).

 

899. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 1er décembre [16461] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour jamais !]

J’ai reçu votre lettre avec grande co[nsolation, voyant] tout ce que vous m’écrivez, et n[e cesse de remercier] Dieu du bon ordre que vous av[ez mis] dans nos maisons. Je prie sa divine [bonté de donner sa] bénédiction pour les m[aisons qui restent à voir] d[ans ce] que vous leur a[llez prescrire. Maintenant], Monsieur, vous voilà donc [prêt à partir, ainsi] que je vois par votre lettre. J’en [ai une consolation] que je ne vous puis exprimer, parce [que vous] êtes attendu ailleurs avec patience et besoin, sur

5) Les craintes de Louise de Marillac n’étaient pas exagérées. Au sortir de la Révolution, les Vicaires généraux de Paris, s’appuyant sur les termes mêmes de l’approbation donnée en 1646 et en 1655, revendiquèrent le droit de diriger la compagnie des Filles de la Charité et provoquèrent un schisme, qui dura des années. L’autorité traditionnelle du supérieur général de la Mission sur les sœurs fut enfin mise hors de discussion, le 25 juin 1882, par cette réponse de Rome : "Nihil esse innovandum quoad regimen enuntiatae associationis Puellarum Charitatis quod per Pontificia indulta Superiori Generali Congregationis Presbyterorum Missionis, vulgo Lazzaristi, a S. Vincentio a Paulo institutae, pertinet"

Lettre 899. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1). Année de la visite de M. Portail à Cahors.

 

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tout à Rome, où je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ de vous conduire et de vous continuer les mêmes grâces, pour ramener les choses au point qu’il les désire, dans ce qui vous reste à faire, comme dans ce que vous avez fait.

M. B[oucher] m’a écrit par deux fois de La Rose les bons sentiments et la reconnaissance que Dieu lui donne. Je vous prie, Monsieur, de me mander si je me dois appuyer là-dessus.

Je n’ai rien à vous dire davantage qu’à vous assurer que tout va bien ici, grâce à Dieu. Je n’ai point d’autres nouvelles à vous donner. Vous saurez seulement que M. Cuissot a la fièvre quarte, et M. Bécu la goutte, et moi la grâce d’être, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT D EPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Cahors.

 

900. — A LOUIS THIBAULT

De Paris, ce 2 [décembre 1646] (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour jamais !]

Nous vous envoyons ce porteur pour ap[prendre de vos nouvelles et vous en donner des nôtres, [qui sont] bonnes, grâces à Dieu. La com[munauté est en bonne] santé, à la réserve de M. [Bécu, qui a la goutte, et de]

Lettre 900. — L. s. — Dossier de la Mission, original

1). Cette lettre doit être rapprochée de la lettre 899.

 

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M. Cuissot, qui a la fièvre q[uarte. Et vous, allez-vous] bi (en, après) tant de longs tr[avaux ? Peut-être n’êtes-vous pas sans] quelque incommodité ; mais j[e prie Notre-Seigneur] de vous conserver pour sa gloire. Je [le remercie de] la bénédiction avec laquelle vous les a[vez accomplis], dont nous avons été avertis de deçà. Et plaise à sa bonté infinie faire la grâce à tant de pauvres âmes d’en faire usage pour leur salut !

Voici cent livres que nous vous envoyons, tant pour payer ce que vous devez à Villeneuve-Saint-Georges, si d’aventure M. Gentil (2) ne vous a envoyé de quoi pour cela, que pour satisfaire à la dépense et autres dettes que vous avez faites depuis, comme aussi pour vous donner moyen de vous en revenir ; ce que je vous supplie de faire au plus tôt, et tout au plus tard jeudi. C’est assez travaillé pour ce coup ; et puis nous avons affaire de vous ici. Nous enverrons quelqu’autre à Villejuif (3) et la mission d’Orsay (4) se peut remettre à la Noël. Je vous attends donc avec désir de vous embrasser chèrement et avec espérance de vous voir bien reposer après tant de fatigues.

Dieu nous fasse la grâce de nous reposer éternellement en lui, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Thibault, prêtre [de la Mission, à Mont]geron (5).

2) Procureur à la Procureur à la maison-mère.

3). Grosse commune des environs de Paris.

4). Commune de l’arrondissement de Versailles (S.-et-O.).

5). Commune de l’arrondissement de Corbeil (S.-et-O.).

 

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901. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 7 décembre [1616] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous voilà donc seul, Monsieur, dans votre nouvel emploi. Oh ! que béni soit Dieu de vous avoir donné un moyen si propre de le consulter sur la manière d’avancer en son amour ceux qu’il vous a confiés ! Où le secours des hommes manque, le sien abonde. Et bénie soit à jamais sa bonté tant aimable de vouloir être servi en même temps à la ville et à la campagne par trois personnes seulement, en des affaires si importantes comme sont les siennes ! C’est signe qu’il y veut mettre la main lui-même et faire réussir de leurs travaux des fruits d’éternelle bénédiction.

J’ai l’âme tout attendrie quand je pense à vous et au choix qu’il en a fait, pour vous appliquer, tout jeune que vous êtes, à un si haut ministère que celui de perfectionner des prêtres. Je rends grâces à Notre-Seigneur de vous avoir mérité cette grâce, et le prie de parachever en vous ses desseins éternels. Et vous, Monsieur, humiliez-vous bien fort en vue de la vertu et suffisance qu’il faut avoir pour enseigner les autres et élever les enfants du Roi du ciel en la milice chrétienne ; mais confiez-vous hardiment en celui qui vous a appelé, et vous verrez que tout ira bien. Il semble qu’en ce commencement Dieu vous ait voulu faciliter l’entrée en cette sainte occupation par la disposition qu’il donne à vos séminaristes à la

Lettre 901 — L a — Dossier de Turin, original

1) Ce fut à la fin de l’année 1646 que Jean Martin fut chargé du séminaire

 

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piété et aux exercices, pour vous obliger à l’entreprendre avec plus de courage. Il faut adorer sa conduite et néanmoins s’attendre à ne trouver pas toujours des personnes si souples et si aisées à gouverner, mais espérer aussi qu’à proportion que les difficultés s’augmenteront, Dieu vous augmentera ses grâces. Et afin, Monsieur, que, de votre part, vous soyez muni de toute sorte d’armes, exercez-vous à la douceur et à la patience, vertus fort propres à vaincre les esprits revêches et durs. Vous pouvez penser si, de mon côté, je ferai instance auprès de Notre-Seigneur pour vous obtenir la plénitude de son esprit. Recommandez-lui, s’il vous plaît, mon âme et rendez l’incluse au frère Sébastien. Je lui écris, selon votre avis, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

902. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 8e décembre (1646) (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous [pour jamais !]

Encore que je sois en doute si celle-ci vous [trouvera] à Cahors ou à La Rose, je ne Laisse pas de [vous écrire] pour me trouver par elle à votre départ [de delà, si] elle vous y rencontre, et v[ous souhaiter pour votre voyage] une [particu] lière protection (de Dieu).

Lettre 902. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) La date est marquée : au dos de l’original, et le contenu la confirme.

 

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[J’ai éc]rit à Mars[eille pour annoncer votre arrivée] bien[tôt ; ma]is je pense, M[onsieur, que vous ferez bien] de n’y pas faire la visite jusqu[’à votre retour. Il faut] aller au plus pressé, qui est Rome. Vous [ne vous arrêterez] pas même à Gênes pour cela, vous con[tentant de] voir M. Martin, qui fait le séminaire, et [de dire] un mot à. M. Blatiron et à M. Richard, pour les saluer, au lieu où ils feront la mission, sinon qu’en passant vous les puissiez voir sans détour. Je vous écrirai plus particulièrement entre ci et là.

La prochaine ordination se doit faire à Saint-Lazare ; je la recommande à vos prières, sans oublier ma pauvre âme, ni la compagnie, laquelle va bien, grâces à Dieu. Je suis en grande peine de M. du Chesne, que nous avons envoyé, comme vous savez, à Nantes, pour conduire la mission d’Hibernie ; et depuis trois semaines qu’il est parti, nous ne savons où il est, n’en ayant aucune nouvelle. Dieu nous en veuille donner de bonnes et vous conserver, à vous, Monsieur, pour qui sa divine bonté me donne des sentiments d’affection et d’estime extraordinaires, m’ayant rendu, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Cahors.

 

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903. — A JACQUES THOLARD

De Saint-Lazare, ce 8 [décembre 1646].

La grâce de No[tre-Seigneur soit avec vous] pour Jamais !

Il faut bien dire, Monsieur, qu’en [infligeant au démon le] mauvais traitement que vous lui fai[tes subir et en lui] faisant la rude guerre que vous lui f[aites] et le ch[assant des âmes qu’il] a révoltées et que vous… (2) Notre[-Seigneur Jésus-Christ bénit] le [secours] que vous rendez [aux âmes qu’il a] rachetées de son sang précieux. [Au nom de Dieu], tenez bon, ne rendez point les armes ; [il y va de la] gloire de Dieu, du salut peut-être d’un million [d’âmes] et de la sanctification de la vôtre. Ressouvenez-vous, Monsieur, que vous avez Dieu avec vous, qu’il combat avec vous et qu’infailliblement vous vaincrez. Il peut aboyer, mais non pas mordre ; il vous peut faire peur, mais non pas du mal ; et de cela je vous en assure devant Dieu, en la présence duquel je vous parle ; je douterais fort autrement de votre salut, ou, pour le moins, que vous vous rendissiez indigne de la couronne que Notre-Seigneur vous va façonnant, tandis que vous travaillez si heureusement pour lui. La confiance en Dieu et l’humilité vous obtiendront la grâce qu’il vous faut pour cela. Que si vous êtes si fort pressé de la tentation, suspendez la confession et appliquez-vous aux accommodements.

Lettre 903 —. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1). Les dégâts faits au document original par l’humidité correspondent trop à ceux dont a souffert la lettre 902, pour qu’il ne soit pas, comme celle-ci, du 8 décembre 1646. C’est, au reste, la conclusion à laquelle conduit l’étude du contenu.

2). Des deux lignes qui suivent dans l’original il ne reste que quelques mots épars, qu’il nous a été impossible de relier ensemble.

 

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Dites à M. Gentil (3) que je vous ai prié d’en user de la sorte et que, s’il le faut, je vous enverrai un prêtre ou deux des Bons-Enfants pour confesser à votre place. Je vous fais cependant une nouvelle oblation de mon cœur et salue M. Gentil (4) et le reste de la famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Tholard (5), prêtre de la Mission, à Villejuif (6).

 

904. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GENES

De Paris, ce 14 décembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici une bien petite lettre, mais qui porte à mon cher Monsieur Martin des assurances de la grande affection que Dieu me donne pour lui. Je ne la puis exprimer, et pourtant je la sens vivement au milieu de mon cœur. Celui qui la voit vous, la fasse connaître comme il a fait à moi la bonté de votre âme et les grâces dont il l’a remplie, qui font le sujet de mes plus ordinaires consolations ! Souvent et tout présentement je supplie Notre-Seigneur

3) Mot raturé sur l’original, probablement pour qu’on ne connaisse pas le destinataire de la lettre.

4). Mot raturé sur l’original.

5). Mot raturé sur l’original.

6). Mot raturé sur l’original.

Lettre 904. — L. s. — Dossier de Turin, original.

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qu’il soit tout vôtre, et vous tout sien, qu’il bénisse votre emploi et que votre emploi l’honore et le glorifie en soi et en ces jeunes ecclésiastiques que sa providence vous a confiés, que vos paroles soient autant de semences jetées dans leurs cœurs, qui portent au centuple des fruits de charité et de bon exemple vers les pauvres fidèles, afin qu’ils fassent des œuvres dignes de ce nom. Vous voyez bien, Monsieur, que, si mes désirs sont accomplis, les biens que vous ferez iront à l’infini et dureront après vous. Je l’espère de la bonté de Dieu, qui se veut servir de vous en choses si importantes (1). Et pour cela humiliez-vous et vous confiez en lui.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Martin.

 

905. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A SAINT-MEEN

De Paris, ce 15 décembre [1646 (1)]

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit av[ec vous pour jamais !]

J’ai reçu deux de vos lettres, [qui m’ont] tôt fait prendre part aux peines que [vous éprouvez], et m’[ont fait]

1) Le secrétaire avait écrit grandes ; le saint ratura ce mot pour le remplacer de sa propre main par si importantes.

Lettre 905. — L. s. — Dossier de la Mission, original. Le document est en très mauvais état.

1) Cette date s’impose. Ce fut, en effet, à la fin de l’année 1646. que Bernard Codoing devint supérieur de l’établissement de saint Méen et que Ferdinand de Neufville monta, après la mort de son oncle, sur le siège de Saint-Malo.

 

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prier Notre-[Seigneur qu’il vous fasse la grâce] de [vous en dé]livrer… (2) [J’ai eu l’]occasion [de] lui (3) découvrir les [besoins de la] compagnie. Il m’a promis de lui co [ntinuer la] même assistance que son prédécesseur [et de nous] faire le bien qu’il pourra.

Je lui ai parlé aussi de Plancoët (4). Il veut être sur le lieu avant que de vous accorder la retraite de ceux qui y sont, et doit y aller dans un mois ou six semaines. Cependant, Monsieur, je vous prie d’avoir patience, faisant comme vous pourrez. Il serait pourtant à désirer que vous fissiez continuer les missions et le séminaire en même temps. Je sais bien que vous êtes trop peu ; mais vous pouvez vous allier quelques prêtres, qui vous aideront, quand ce ne serait que pour dire l’office. Je vous ai déjà écrit que nous avions exemple pour cela d’une maison (5) où il n’y a que trois personnes des nôtres, dont l’une conduit le séminaire et les autres sont quasi toujours en mission. Si vous pouviez faire de même, j’en serais consolé. Je remets néanmoins cela à votre discrétion, sachant bien que vous avez incomparablement plus d’affection que moi au bien et avancement du prochain.

Je n’ai pu encore vous envoyer le secours que vous m’avez demandé, tant pource [que nous n’]avons ici plus de monde qu’il nous faut, [que par la crai] nte où j’ai [été que] la tempête [ne revînt. Mainten]ant je su[is tenu] de le différer……. (6) en la bonne volonté qu’il (7) a de nous faire [du bi]en.

2) c’est à peine si nous avons pu saisir quelques mots détachés dans les trois lignes que nous omettons ici.

3) Ferdinand de Neufville, le nouvel évêque de Saint-Malo.

4) Saint Vincent avait vu de mauvais œil l’engagement pris par Jean Bourdet de desservir la chapelle de Plancoët. (cf. I 815) faisait des démarches pour se libérer de cette promesse.

5.) La maison de Gênes.

6) Les deux lignes qui suivent sur l’original sont trop incomplètes pour que nous puissions les reconstituer.

7). Probablement le nouvel évêque de Saint-Malo.

 

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Adieu, Monsieur ; conservez-vous, je vous en supplie, pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur. Je salue très affectueusement votre petite troupe, laquelle je prie sa divine bonté de bénir de ses éternelles bénédictions, et particulièrement votre chère âme, que la mienne embrasse cordialement.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M Codoing.

 

906. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION A RICHELIEU (1)

De Paris, ce 19e décembre 1646 (2).

Monsieur,

La grâce [de Notre-Seigneur] soit av [ec vous pour jamais !

Il y a] déjà bien des [jours que] j’ai reçu ré [ponse de vous, et je suis] encore plein de la consolation qu’elle m’a [procurée, voyant les sentiments] que vous avez de vous-même, qui sont très nécessaires en [l’emploi] que Dieu vous a donné, en l’absence de M. Gautier (3). Je [suis très reconnaissant] à sa divine bonté des lumières qu’elle vous départ, et la supplie d’accomplir en vous ses desseins éternels. Mais vous savez, Monsieur, que cette

Lettre 906. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1) C’est à tort que le registre 2 (p. 107) fail adresser la lettre "à M. Rivet, supérieur à Saintes". Louis Rivet ne fut nommé supérieur à Saintes que plus tard. Il était à Richelieu en 1646.

2) Dans la copie que nous suivons, une déchirure du coin supérieur droit a emporté le dernier chiffre de l’année. La date nous est connue par le registre 2.

3) Supérieur de la maison de Richelieu.

 

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défiance de vos propres forces doit être le fondement de la confiance que vous devez avoir en Dieu, sans laquelle nous nous trouvons souvent pires que nous ne pensions être ; et avec icelle on fait beaucoup, ou plutôt Dieu fait lui-même ce qu’il prétend de nous. N’arrêtez donc plus votre vue à ce que vous êtes, mais regardez Notre-Seigneur auprès de vous et dans vous, prêt à mettre la main à l’œuvre si tôt que vous aurez recours à lui, et vous verrez que tout ira bien. Pensez-vous que, puisque l’ordre de sa providence vous a établi en cette charge, il ne vous donne pas aussi les grâces convenables pour la bien faire, si, pour son amour, vous l’entreprenez courageusement ? N’en doutez point, Monsieur, non plus que de la sincère affection que mon cœur a pour le vôtre, qui est telle que je ne puis vous l’exprimer. Dieu vous la fasse connaître, s’il lui plaît, et veuille vous remplir de plus en plus de son esprit pour le répandre par vous dans les âmes que vous conduisez, et pour la plus grande sanctification de la vôtre !

J’embrasse en esprit toute la famille et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

907. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 23 décembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit a[vec vous pour jamais !]

Je ne sais si cette lettre v[ous arrivera pendant les]

Lettre 907. — L. s. — Dossier de la Mission, original

1) Date ajoutée au dos de l’original et donnée par le registre 2 p. 176) ; elle a disparu de cet endroit par suite des dégâts occasionnés par l’humidité.

 

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travaux de la mission… (2). [Dieu soit] donc à jamais béni ! [Je le prie que vous soyez de plus en] plus animé de son esprit pour [travailler à sa] gloire.

Votre lettre, que j’ai reçue hier au soir, m’apprend la bénédiction particulière qu’il a plu à Dieu donner à son œuvre, dont je ne puis le remercier assez. Plaise à sa divine miséricorde tirer son remerciement du fruit de cette mission, faisant la grâce à ces pauvres âmes de connaître et de reconnaître ses libéralités, et à nous de lui continuer nos petits services en tout ce qui pourra étendre et affermir l’empire de Jésus-Christ !

La proposition que vous m’avez faite de recevoir à pension des écoliers qui ont dessein sur l’état ecclésiastique, et non d’autres, m’a fait penser que peut-être Dieu se veut servir de nous en votre maison pour donner racine à ces jeunes plantes, et m’a fait désirer à même temps qu’il ait agréable de nous donner grâce pour le faire utilement. Vous pourrez donc en [faire] un essai ; mais que la pension soit de cinquante [écus] ; vous ne pouvez en prendre à meilleur compte, [et en]core moins gratis, crainte d’employer à cela ce [qui est nécessaire] à l’entretien des prêtres destinés [à évangéliser les peu]ples et à [conduire] la cure…. (3).

Je me suis enfin rendu au désir qu’on a de nous avoir à Luçon (4). La prière que Mgr de Luçon (5) et son chapitre

2) La suite manque sur une longueur de quatre lignes.

3) Des sept lignes qui suivaient sur l’original il ne reste plus que des mots isolés sans lien apparent.

4) Dès 1640, quelques prêtres de la Mission s’étaient établis à Luçon sous la direction de Gilbert Cuissot, auquel avait succédé Jacques Chiroye, qui dirigeait encore cette maison le 3 mai 1645. (Cf. 1. 749.) Nous ignorons à la suite de quelles circonstances Jacques Chiroye et les siens abandonnèrent Luçon et se retirèrent à Richelieu. Il est fort probable que cet abandon fut dû à la gêne dans laquelle se trouva la maison à la suite de la perte qu’elle fit, la mort du cardinal-ministre, du revenu des greffes de Loudun qu’elle partageait avec la maison de Richelieu.

5) Pierre Nivelle (1637-1661).

 

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nous en font, la nouvelle proposition de M. l’archidiacre (6) sont des marques que Dieu le veut, et des moyens qui facilitent l’exécution de cet établissement. Je prie M. Chiroye de s’y en aller, accompagné de quelque frère seulement, pour résoudre avec ces Messieurs ce qu’il faudra ; et, quand il en sera temps, nous enverrons les ouvriers nécessaires. J’ai déjà l’œil sur un de nos prêtres, qui me semble bien propre, et sur deux bons ecclésiastiques du séminaire des Bons-Enfants, qui ont désir d’aller rendre gloire à Dieu, un ou deux ans durant, dans l’exercice de nos fonctions. J’attendrai plutôt les nouvelles du succès du voyage de M. Chiroye. Donnez-lui, s’il vous plaît, ma lettre.

Je trouve raisonnable le soulagement [que Monsieur] Lucas demande, et il y a autant de jus [tice que de charité] de le lui accorder. Je vous supplie donc, [Monsieur, de] le dispenser de toute sorte de travail [et fonction] autre que d’entendre quelques [confessions], les fêtes et les dimanches… (7).

Continuez à M. du C[oudray vos charités]. Vous et la compagnie lui avez [bien servi ; je vous en] remercie. J’ai été bien aise que vous [en usiez] de la sorte. Laissez-lui donc faire ce qu’il voudra ; car j’espère qu’il n’y aura rien à dire en ses déportements. Je lui écris aussi, et, si je puis, j’écrirai à Monsieur Gobert pour lui témoigner la joie que j’ai de sa santé, et combien j’ai été touché de sa

6.) Claude Thouvant, conseiller et aumônier du roi, archidiacre d’aizenay. La discussion de sa proposition devait aboutir au contrat du 7 mars 1647 (Ach. Nat. S 6706,, par lequel il donnait à Jacques Chiroye, supérieur, une somme de 1.800 livres et lui faisait la remise des droits qu’il avait sur l’hôtel de Pont-de-Vie, maison achetée par les prêtres de la Mission en décembre 1641, le tout à condition que lesdits prêtres feraient chaque année une mission de trois semaines dans son archidiaconé.

7). Nous omettons ici quatre lignes de l’original, dont il ne reste plus que quelques mots épars.

 

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ferveur, le voyant si tôt dans le travail. Dieu le bénisse et lui et toute la compagnie, que j’embrasse en esprit avec beaucoup de tendresse et de consolation, particulièrement votre chère âme, pour laquelle la mienne a des affections que Dieu seul connaît et que je voudrais bien vous faire connaître, en son amour, comme étant en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Nous vous enverrons quelqu’un à la place de M. Chiroye au plus tôt.

Au bas de la première page : M. Gautier.

 

908. — A JACQUES CHIROYE, PRÊTRE DE LA MISSION. A RICHELIEU

De Paris, ce 23 décembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour jamais !]

Qui ne recevrait chèrement les lettres [que vous écrivez], et qui ne serait consolé de [voir que vous ne cessez de] c[herche]r le salut [des âmes ? Votre zèle] m’[a touché et] produit [en moi une telle joie que je ne puis vous] la [dire. Je ne cesse] de r[emercier Dieu et de lui deman]de[r qu’il] vous [continue les grâces qu’il vous] donne [en l’éta]blissem[ent de Luçon. Ayez confiance], Monsieur ; à la bonne [heure ! vous aller donner] commencement à un œuvre du[quel Notre-Seigneur] veut tirer le salut d’une infinité d’[âmes et] l’entière sanctification de

Lettre 908. — L. s. — Dossier de Ia Mission, original.

 

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la vôtre. Pendant que vous négocierez cet affaire, nous vous préparerons les ouvriers nécessaires, à savoir un de nos prêtres, que j’ai déjà en vue, avec quelque frère clerc et deux bons ecclésiastiques de notre séminaire des Bons-Enfants, qui veulent passer un ou deux ans au service des pauvres de la campagne et qui vous donneront bien de la satisfaction, comme j’espère. Mais auparavant de vous envoyer personne, vous mettrez, s’il vous plaît, les choses en état, sans toutefois conclure les conditions qui vous seront proposées soit par Mgr l’évêque ou son clergé, soit par M. l’archidiacre, que premièrement je n’en sois averti.

Je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ que, puisqu’il a agréable de vous commettre le soin d’un affaire qui le regarde, il vous donne la plénitude de son esprit et de sa conduite pour le traiter à son honneur et en sa vue

Monsieur l’archidiacre [désirerait la] mission tous [les an] s dans son archidiaconé… (1) [Pour le premier], vous pourrez volontiers vous y obliger, [mais] non pas au second, sinon pour deux ou trois villages au plus. Vous m’expliquerez, s’il vous plaît, son intention. Je me donne l’honneur de lui écrire et de lui témoigner notre soumission aux volontés de ces Messieurs et à la sienne, et le ressentiment que j’ai de la grâce qu’il nous présente. Je vous prie de lui en donner toutes les assurances possibles, comme je fais à vous des affections que mon cœur a pour le vôtre. Plaise à Dieu les unir de son amour dans le temps et dans l’éternité ! Je suis en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

1) Suivait ici l’énoncé des désirs de l’archidiacre ; mais il reste si peu de mots en cet endroit de l’original qu’il nous est impossible de reconstituer le texte.

 

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J’ai différé l’envoi de la lettre à M. l’archidiacre et les autres jusqu’au premier jour que je vous les enverrai à Richelieu ou a Luçon. Vous ne direz point que ces prêtres ne sont pas de la compagnie.

Au bas de la première page : M. Chiroye.

 

909. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1).

Nous attendons une grande quantité de malades au retour des galères Si ces pauvres gens souffrent de grandes misères dans leurs courses sur la mer, ceux qui sont demeurés ici n’en endurent pas de moindres. on les fait travailler à scier le marbre tous les jours, exposés aux ardeurs du soleil, qui sont telles que je ne les puis mieux comparer qu’à une fournaise ardente. C’est une chose étonnante de voir le travail et la chaleur excessive qu’ils endurent, qui serait capable de faire mourir des chevaux, et néanmoins que ces pauvres chrétiens ne laissent pas de subsister, ne perdant que la peau, qu’ils donnent en proie à ces ardeurs dévorantes. on leur voit tirer la langue comme feraient les pauvres chiens, à cause du chaud insupportable dans lequel il leur faut respirer. Et le jour d’hier, un pauvre esclave fort âgé, se trouvait accablé de mal et n’en pouvant presque plus, demanda congé de se retirer ; mais il n’eut d’autre réponse sinon qu’encore qu’il dut crever sur la pierre, qu’il fallait qu’il travaille. Je vous laisse à penser combien ces cruautés me touchent sensiblement le cœur et me donnent de l’affliction.

Et cependant ces pauvres esclaves souffrent leurs maux avec une patience inconcevable et bénissent Dieu parmi toutes ces cruautés qu’on exerce sur eux ; et je vous puis dire avec vérité que nos Français emportent le dessus en bonté et en vertu sur toutes les autres nations. Nous en avons deux malades à l’extrémité et qui, selon toutes les apparences, n’en peuvent échapper, auxquels nous avons administré tous les

Lettre 909. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 7, 1er éd., p. 118

1) Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis.

 

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sacrements. Et la semaine passée, il en mourut deux autres en vrais chrétiens ; et l’on peut dire d’eux que : pretiosa in conspectu Domini mors senctorum ejus. La compassion que je porte à ces pauvres affligés, qui travaillent à scier le marbre, me contraint de leur distribuer une partie des petits rafraîchissements que je leur donnerais s’ils étaient malades, etc. Il y a d’autres esclaves qui ne sont pas si maltraités, dont les uns sont sédentaires dans les maisons de leurs patrons et servent à tout de nuit et de jour, comme à cuire le pain, à faire la lessive, à apprêter le boire et le manger, et autres petits services d’un ménage. Il y en a d’autres que leurs patrons emploient à leurs affaires du dehors. Il y en a encore d’autres qui ont la liberté de travailler pour eux, en donnant à leurs patrons une certaine somme par mois qu’ils tâchent de gagner et d’épargner sur leur petite dépense.

 

910. — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1645 et 1651] (1)

Mademoiselle Le Gras est priée de mander à Mademoiselle de Lamoignon qu’il est nécessaire qu’elle s’en aille prier Madame de Brienne de se trouver à l’assemblée, en laquelle l’on a besoin de son avis et de celui de Madame la duchesse d’Aiguillon aussi ; et pource que la dernière est en affaires qui la pressent aujourd’hui, il faudra pour le moins insister à la première.

VINCENT DEPAUL.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

Lettre 910. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original. Louise de Marillac remit cette lettre à Mademoiselle de Lamoignon, qui écrivit en marge : "Pour m’en avertir, s’il vous plaît. Je suis toute vôtre. M. de L. Ce mercredi à une heure."

1) Cette lettre semble du temps où Madame de Lamoignon était présidente des dames de la Charité.

 

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A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

De Paris, ce 28 décembre [1646] (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour] jamais !

J’ai reçu votre lettre du […. Je remercie] Dieu de (tout ce) que vous (me marquez au sujet) des (succès que vous]) avez dans vos missions…] (2) ; car, à ce que je vois, (c’est un des plus grands] saints qui soient dans son [Église (3). J’ai un] sensible ressentiment de la modération que vous montrez] à l’article de la fondation dont vous me parlez, lequel je vous envoie en la forme qu’il le faudra passer, s’il lui plaît.

J’ai été certes beaucoup consolé d’apprendre le bon ordre du séminaire et le progrès qui s’y fait. C’est une grâce spéciale de Dieu, pour laquelle je prie sa divine bonté de se glorifier elle-même et d’agréer la reconnaissance que je lui en rends, particulièrement de la bonne conduite du bon M. Martin, qui a besoin d’être soutenu et fortifié du Saint-Esprit dans les divers emplois qu’il a. Dieu sait si j’appréhende qu’il succombe sous le faix, aussi bien que vous sous le vôtre.

J’écris par ce même ordinaire à M. Dehorgny de vous envoyer celui que vous demandez, ou un autre qui le vaille sans aucun retardement ; et, pour l’y obliger davantage ; je lui envoie votre lettre, afin que vos raisons le conseillent

Lettre 911. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original ; elle a disparu de cet endroit par suite des dégâts occasionnés par l’humidité.

2) Les quelques mots qui restent sur huit lignes de l’original ne nous permettent pas de reconstituer le texte.

3) Il s’agit fort probablement du cardinal Durazzo.

 

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sur le besoin qu’il en peut avoir. J’espère qu’il vous donnera contentement.

Je ne sais si vous vous souvenez qu’on a ci-devant donné le prieuré de Saint-Nicolas-de-Champvant, du diocèse de Poitiers, (à la maison de) Richelieu et que les provisions furent expédiées (à Rome pour présent[ement) faire venir ledit [prieuré] à la con[grégation des] prêtres de la [Mission établie à] Ri[chelieu. Il] est nécessaire [que vous en] fassiez [renonciatio]n par devant [notaire] po[ur la remettre entre] les mains de [M….], et un…, suivant [ce qu’] en ont [réglé les] abbés et religieux [de Notre]-Dame-des-Noyers (4), de qui ledit prieuré [dépend], étant à leur nomination, par acte du 6e de novembre dernier, par devant Girard, notaire royal ; laquelle démission vous enverrez, s’il vous plaît, en diligence, à M. Dehorgny, afin que sur icelle et sur la copie dudit consentement que je lui dois envoyer, il obtienne le bref de ladite union.

Je veux croire que cette lettre vous trouvera sur la fin de votre grande mission ; et plaise à Dieu qu’elle vous trouve dans une pleine disposition et dans un heureux succès de vos travaux pour le salut des pauvres que vous instruisez, et la sanctification de votre âme ! Je ne fais pas un moindre souhait pour ces messieurs qui travaillent avec vous, pour lesquels Dieu m’a donné de particulières et tendres affections, voyant leur bonté et le bon exemple qu’ils donnent à toute notre congrégation, à laquelle je fais souvent le récit de leur vertu et de leur zèle. Je vous supplie de les saluer humblement et cordialement de ma part, leur renou[velant les] offres de mon obéissance.

4) Abbaye de Bénédictins réformés de la congrégation de Saint Maur, au diocèse de Tours.

 

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J’embrasse [aussi] M. Richard et le frère Sébastien et p[rie Notre-Seigneur] de les bénir de plus en plus.

Je suis, [en son amour, Monsieur], votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

912. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

4 janvier 1647.

Vous pouvez dire à Monseigneur le cardinal (1) que Mes. seigneurs les prélats sont nos maîtres pour tous nos emplois extérieurs et que nous sommes obligés de leur obéir, comme les serviteurs de l’Évangile obéissaient à leur maître : s’ils nous commandent d’aller, nous sommes obligés d’aller ; si de demeurer, nous sommes obligés de demeurer ; si de travailler, nous sommes obligés de le faire ; et si nous y manquons, ils ont droit de nous punir. Bref, nous devons obéissance à Nosseigneurs les évêques en toutes les choses qui regardent nos emplois des missions, des ordinands, etc. ; mais pour la direction spirituelle et domestique, elle est au supérieur général.

 

913. — ALAIN DE SOLMINHIAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

[1647] (1)

le voudrais bien que M. Testacy et les autres de notre séminaire

Lettre 912. — Reg. 2, p. 76.

1) Le cardinal Durazzo, archevêque de Gênes.

Lettre 913. — Archives de l’évêché de Cahors, liasse 5, n° 6, original.

1) La lettre a été écrite pendant que Charles Testacy était supérieur du séminaire de Cahors et peu après le passage en cette ville d’Antoine Portail, qui s’y trouvait en décembre 1646.

 

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ne vous rompissent pas la tête, comme ils font, pour beaucoup de choses, n’y ayant aucune nécessité. L’intendant de ma maison m’a toujours dit qu’on pouvait nourrir les pensionnaires pour cent livres, et je le crois ainsi. Mais, quand ce ne serait pas, leur ayant fait entendre que c’est une ordonnance synodale faite de l’avis de tout notre synode, il faudrait avoir patience jusqu’au prochain synode pour la changer.

Il y a vingt-cinq braves ecclésiastiques dans notre séminaire, et dans peu de jours ils seront bien près de trente-cinq. C’est pourquoi il est tout à fait nécessaire d’envoyer quelqu’un des vôtres pour aider les autres, et particulièrement pour le chant ; ce qui est nécessaire. J’avais prié M. Portail de vous le dire. J’espère que vous y pourvoirez. Ce qu’attendant, croyez-moi votre très humble serviteur.

ALAIN,

évêque de Cahors.

 

914. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 11e janvier 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre chère lettre d’une affection très sincère et fort tendre pour votre chère âme, qui me paraît de plus en plus bénie et choisie de la main de Dieu pour procurer sa gloire dans celles que vous conduisez, et par elles dans une infinité d’autres, qui le loueront dans le temps et l’éternité. Travaillons donc hardiment et amoureusement pour un si bon Maître que le nôtre ; imitons-le en ses vertus, surtout en son humiliation, en sa douceur et sa patience ; et vous verrez un heureux progrès en votre conduite.

Je vous parle certes avec compassion des grands travaux que vous avez ; mais je me console dans la confiance

Lettre 914. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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que j’ai, que Dieu redouble vos forces et conserve votre cœur en paix. C’est la grâce que je lui demande, attendant que le secours qui vous doit venir de Rome soit arrivé. Il y a déjà 15 jours que j’ai prié M. Dehorgny de vous en envoyer quelqu’un en diligence ; et par le prochain ordinaire je vous enverrai les règles de notre séminaire des Bons-Enfants. Il y a longtemps que j’avais donné ce soin-là à quelqu’un. Excusez son oubliance et la mienne.

M. Portail vous ira voir bientôt. Il est déjà à Marseille. Il n’attend qu’une commodité pour partir. M. Alméras ira à Rome avec lui.

Je les recommande à vos prières, et moi avec eux, qui suis de tout mon cœur, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

915. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce mercredi. [Entre 1643 et 1649] (1)

J’ai envoyé votre billet, que l’on a baillé à Madame de Lamoignon, Mlle n’y étant pas ; laquelle dame m’a mandé que le jour de l’assemblée dépendait de vous et que Mlle Viole eut bien désiré que ce pût être vendredi.

Je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Lettre 915. — L. a. — Original communiqué par M. l’abbé Le Gras, 8, avenue du Parc, Lyon.

1) Avant 1643, Madame de Lamoignon n’était pas encore présidente des dames de la Charité ;. après 1649, Louise de Marillac n’appelait plus saint Vincent "Monsieur" au début de ses lettres.

 

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916. — A JEAN MARTIN

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous me faites un plaisir singulier de me consoler de vos lettres, à cause des effets qu’elles produisent en moi, n’en lisant jamais aucune que je ne sois touché de reconnaissance vers Dieu et de tendresse pour vous voyant les sentiments qu’il vous donne, d’humilité et de confiance, qui font naître la sainte générosité avec laquelle vous soutenez le poids d’un séminaire. Plaise à Dieu, Monsieur, vous fortifier de plus en plus et vous donner la plénitude de son esprit pour animer ce petit corps et le mouler selon les maximes de Jésus-Christ ! Je ne pense jamais à vous, que je ne vous donne à lui, avec actions de grâces pour celles qu’il vous fait. Et si je ne voyais sur vous une particulière assistance de Dieu, je croirais faire un songe quand je me représente qu’un jeune homme comme vous (1) conduit si heureusement l’intérieur et l’extérieur de plusieurs autres. Je prie derechef Notre-Seigneur d’exécuter ses desseins en vous et par vous, et de me faire miséricorde par vos prières.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

Lettre 916. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) M. Martin était né le 10 mai 1620 ; il avait donc vingt. sept ans.

 

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917. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 18 février 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

O Monsieur, que vos lettres me consolent toujours ! Certes, Monsieur, c’est à un point que je ne le vous puis exprimer.

Hélas ! Monsieur, que vous avez raison dans la description que vous me faites de l’état de votre intérieur ! Mais béni soit Dieu du bon usage que vous en faites ! tandis que nous serons dans cette vallée de misère, fussions-nous des saints, nous sentirons toujours ce que vous sentez ; et Dieu le permet afin de nous tenir toujours en haleine dans l’exercice de la sainte mortification et de l’humiliation. Tenons-nous ferme là dedans, et Notre-Seigneur restera vainqueur de nos passions en nous et régnera souverainement en nous et, par nous, dans les âmes au service desquelles sa providence nous a destinés. Tenons-nous donc ferme et marchons toujours dans les voies de Dieu, sans nous y arrêter.

O Monsieur, que dirons-nous de votre saint prélat (1), duquel vous me dites tant de choses ! Certes, j’admire cela et j’espère que, si Notre-Seigneur le conserve dix ans à son Église, qu’il renouvellera tout son diocèse, ainsi qu’a fait Monseigneur d’Alet (2),

J’écris à M. Blatiron qu’il est à souhaiter qu’on propose

Lettre 917 — L a — L’original a été donné en 1886 aux prêtres de la Mission de la maison de Chieri par M. Pierre Marietti, en reconnaissance de l’hospitalité reçue chez eux lorsqu’il y fit les exercices spirituels pour se préparer aux ordres sacrés.

1) Le cardinal Durazzo

2) Nicolas Pavillon.

 

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à ce saint prélat l’établissement des conférences entre Messieurs les curés et autres ecclésiastiques de la campagne. J’espère que, s’il plaît à Notre-Seigneur de continuer sa sainte bénédiction sur les travaux de ce saint prélat, comme il a fait jusques à présent, et notamment à l’égard de ces sortes de conférences que M. Blatiron sait, pour avoir été des premiers qui y ont travaillé, qu’il en réussira de grands biens. Mais quoi ! il faut faire les choses peu à peu. La grâce a ses commencements petits et ses progrès.

Pour la mission dans la ville, vous avez eu raison de lui en dire la manière.

Je vous prie, Monsieur, de lui faire de temps en temps des renouvellements de mon obéissance et de lui demander pour moi sa bénédiction, que je lui demande, prosterné en esprit aux pieds de Son Éminence, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

918. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1639 et 1649] (1)

Monsieur,

Je ne vous saurais que dire de ma santé, mais je vous assure que j’ai grand besoin de vous parler au sujet des nécessités de plusieurs filles, avant de penser a aucune chose.

Lettre 918. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) En 1639, la sœur Bécu était encore vivante (cf. 1 387) ; après 1649, toutes les lettres de Louise de Marillac à saint Vincent commencent par "Mon très honoré Père" et non par "Monsieur",.

 

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Nous avons ici notre sœur Charlotte bien mal depuis longtemps ; c’est la sœur de ma sœur Geneviève, de l’Hôtel-Dieu qui y servait aussi à la collation. Je crains bien qu’elle ne fasse comme notre défunte sœur Bécu. L’on lui a plusieurs fois ordonné la saignée du pied mais personne n’a pu avoir du sang. Si votre charité nous voulait envoyer ce bon frère Alexandre peut-être en aurait-il. Sa fièvre est d’ordinaire plus grande le soir que le matin.

Nos sœurs qui sont en retraite feront, quand il vous plaira leur confession, qui ne sera pas générale, ni de l’une ni de l’autre

La Lorraine qui vous parla samedi à Hôtel-Dieu, ne trouve point de condition. Il y a bien quinze jours qu’elle est à l’Hôtel-Dieu pour cela. Qu’en ferons-nous ?. Ne lui baillez point d’argent, si vous plaît. J’ai dit à ma sœur Geneviève de lui faire faire ce qu’elle a besoin. Elle ne de manderait pas mieux que de vivre là à ne rien faire et avoir de l’argent.

Je vois tant de désordre partout qu’il me semble que j’en suis accablée ; j’espère pourtant et me veux confier à sa divine Providence avec les saintes Marthe et Marie.

C’est en l’amour du bon Jésus que je suis, Monsieur votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

919. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier de février 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu une lettre de votre part, cette semaine, et non de celle de M. Blatiron, qui, étant absent et dans les grandes occupations où il est, ne peut fournir à tout. Et certes, j’admire votre soin de ce que, dans les embarras d’une maison et d’un séminaire, vous ne manquez pas à me donner cette consolation, qui a été extraordinaire à

Lettre 919. — L. s — Dossier de Turin, original.

 

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ce coup, en ce qu’elle m’apprend les bénédictions qu’il plaît à Dieu de continuer tant sur les travaux dudit sieur Blatiron que sur sa propre personne, en sorte que ce qui s’opère en lui et par lui semble un petit miracle, et les grâces singulières qu’il plaît à ce même Seigneur de vous faire aussi, bénissant, comme il fait, votre conduite et remplissant votre cher cœur d’une parfaite confiance en son secours, qui est le moyen des moyens pour faire heureusement son œuvre. Vous avez trouvé le secret ; et quiconque n’agira dans cet esprit, quelque capacité qu’il ait, il ne réussira jamais, ni pour lui, ni pour les autres. Tenons-nous donc, Monsieur, tenons-nous ferme à cette chère confiance en Dieu, qui est la force des faibles et l’œil des aveugles. Et, quoique les choses n’aillent pas selon nos vues et nos pensées, ne doutons point que la Providence ne les ramène au point qu’il faut pour notre plus grand bien

Que les discours qu’on vous fera ne vous étonnent nullement. Ce bon ecclésiastique qui a le premier travaillé dans les missions et qui vous a entretenu du dégoût qu’il en a maintenant, ne doit pas mesurer les autres par lui, ni croire qu’ils s’emploient à ce saint exercice pour complaire purement à Mgr le cardinal. Et quand cela serait, Dieu ne laisse pas de tirer sa gloire de ces intentions tortues, et plusieurs âmes en seront sauvées. Que s’ils viennent à discontinuer, comme il arrivera, s’ils ne regardent Dieu, Monseigneur le cardinal reconnaîtra pour lors que, pour faire un solide établissement, il lui faut des personnes qui se soient données à Notre-Seigneur en ces emplois, et non pas des ecclésiastiques du pays, qui ont d’autres prétentions.

Plaise à sa bonté infinie nous faire la grâce que toutes les nôtres tendent à l’avancement de sa gloire et à notre propre anéantissement !

 

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Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

920. — A FRANÇOIS ADHEMAR DE MONTEIL, ARCHEVÊQUE D’ARLES

De Paris, ce 29 février (1) 1647.

Monseigneur,

J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré, avec tout le respect que je dois à un si digne prélat. J’avais déjà su, par la voix publique et par l’un des députés de Marseille, l’heureux succès de votre entremise dans la pacification de cette ville-là, laquelle reconnaît qu’après Dieu elle en a l’obligation à votre prudente conduite. Et pour moi, j’en ai rendu grâces à Notre-Seigneur, ne doutant pas qu’en récompense il ne vous donne la perfection et l’attribut de cette béatitude. Je le prie aussi qu’il vous conserve longues années pour sa gloire et le bien de son Église.

Quant à l’abbaye de Saint-Césaire, assurez-vous, Monseigneur, qu’en ce que je pourrai contribuer à votre dessein, je le ferai de tout mon cœur, tant parce que vous me le commandez, qu’à cause de la dévotion que j’ai à ce grand saint Césarius, et que d’ailleurs je sais depuis

Lettre 920. — L. s. — Bibl. mun. d’Arles, ms 142, t. III, original. ce manuscrit vient de la bibliothèque de Laurent Bonnemant, prêtre d’Arles, et a pour titre Actes anciens et modernes concernant l’archevêché d’Arles. 1) Distraction du secrétaire ; c’était vraisemblablement le 1er mars.

 

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longtemps le besoin de ce monastère, votre prédécesseur y ayant voulu remédier (2). Mais Dieu, par sa mort, vous a réservé l’exécution et le mérite de ce bon œuvre. Plaise à sa bonté infinie accomplir en vous ses desseins éternels ! Je ne devrais vous offrir que mes chétives prières, attendu que c’est tout ce que je puis pour votre service ; néanmoins, Monseigneur, je prends la liberté de vous faire ici un renouvellement des offres de mon obéissance avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, dans la confiance que j’ai que vous ne l’aurez pas désagréable, puisque Notre-Seigneur m’a rendu au point que je suis, en son amour, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monseigneur Monseigneur l’archevêque d’Arles, en Arles.

 

921. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS

A SAINT VINCENT

A Mercuès, ce 3 mars 1647.

Monsieur,

J’ai fait la même difficulté que vous de recevoir dans le séminaire ces deux jeunes garçons desquels je vous ai écrit,

2) Pour rétablir la régularité dans le monastère de Saint-Césaire, où s’étaient glissés les plus lamentables abus, Jaubert de Barrault archevêque d’Arles, y avait introduit en 1639 des religieuses de Billom en Auvergne. (Gallia christiana novissima, Arles, Valence, 1901, in-f°, *col. 967, n° 2259, d’après les Arch. des Bouches-du-Rhône, S Césaire d’Arles, Reg. XXXVI, pièce 2.) Mal vues et jalousées par leurs compagnes, persécutées par l’abbesse, qui allait jusqu’à les priver de nourriture, les malheureuses réformatrices n’avaient pu, malgré les remontrances de l’archevêque et la volonté du roi, remédier aux désordres dont elles étaient, tous les jours, les témoins attristés. (Arch. Nat. Ve 187, n° 36.)

Lettre 921. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie.

 

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et l’avais dit à M. Testacy mais j’ai cru être obligé à vous écrire, remettant tout à votre jugement. Cependant le seigneur du lieu et partie des habitants qui résistaient ont donné les mains Je les entretiendrai dans ce bon dessein, attendant que Dieu nous fasse connaître sa volonté pour avoir un collège dans Cahors, afin d’y élever et instruire les personnes qui se dédient à son service en l’état ecclésiastique, et vous fournisse des moyens pour l’exécuter comme il fera, si c’est sa volonté. Cette fondation de mille écus pour ces deux jeunes hommes est un commencement.

Vous avez bien fait de ne point parler à M. de la Marguerie (1) de ce que je vous ai écrit de son fils (2) puisqu’il est dans l’opinion que vous me mandez.

Le provincial des Capucins n’est pas bien connu de vous. Il ne vous a pas dit les plaintes que les siens me font, non seulement par lettres, mais de vive voix. Je vous envoie une copie de la lettre que le roi m’a écrite sur son sujet, et une autre de Monsieur le nonce, afin que vous les lisiez à quelque heure perdue ; ce qui vous fera connaître cet esprit. Ignorez tout cela, s’il vous plaît et laissez parler le monde. Vous savez ma maxime sur ce sujet, de laquelle je ne me dépars pas.

Je vous prie de vouloir recevoir ces deux bons religieux aux Bons-Enfants en pension, comme les autres pendant qu’ils séjourneront à Paris. Ils s’en vont pour faire juger l’affaire de Sainte-Geneviève, auquel je vous supplie de nous continuer vos assistances. Vous seriez ravi de joie si vous saviez le bien que fait notre séminaire. Le bon M. Testacy en est tout extasié. C’est un fort bon ecclésiastique. le serais bien aise qu’il eut autant d’expérience que de bonté.

Je vous prie, au nom de Dieu, d’avoir pitié des diocèses de Montauban et de Sarlat et du mien, qui souffre de leur désordre. Un mot de recommandation à M. de Morangis pour nos bons religieux leur sera fort utile. Cependant croyez-moi, Monsieur…

ALAIN,

év. de Cahors.

1) Elie Laisné, sieur de la Marguerie.

2) Louis Laisné.

 

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922. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

Mars 1647.

Dieu vous fournir d’autres ouvriers, quand il en sera temps. Le besoin ne vous en a pas fort pressé jusqu’à maintenant, puisque vous n’avez pas fait d’ordination et que vous en avez passablement pour les missions, quoique non pas à souhait. Nous faisons ici et ailleurs comme nous pouvons. Serait-il raisonnable que nous fussions dans l’abondance des hommes, laquelle les rend inutiles une partie du temps, pendant que Dieu en manque en d’autres lieux où il nous appelle ? Saint Ignace ne fit-il par cent établissements, avant sa mort, de deux ou trois personnes chacun ? Ce n’était pas sans beaucoup d’inconvénients, puisqu’il y envoyait des novices et que parfois il était obligé de les établir supérieurs ; mais ce n’était pas aussi sans fruit ni sans providence. Si nous en avons entrepris quelques-uns, ce n’a pas été, Dieu merci, par aucun désir de nous étendre, sa divine bonté le sait, mais seulement de correspondre à ses desseins. Ce n’a pas été, non plus, de notre choix, ni par notre sollicitation, mais par la seule disposition d’en haut, que notre indifférence nous a donné loisir d’éprouver et de reconnaître.

Qui nous assurera que Dieu ne nous appelle point présentement en Perse ? Il ne le faut pas conjecturer de ce que nos maisons ne sont pas remplies ; car celles qui le sont davantage ne font pas le plus de fruit. N’avons-nous pas occasion de croire plutôt le contraire, même de craindre que Dieu n’abandonne l’Europe à la merci des hérésies qui combattent l’Église depuis un siècle et qui

Lettre 922. — Reg. 2, p. 72

 

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ont fait de si grands ravages qu’elles l’ont réduite comme à un petit point ? Et par un surcroît de malheur, ce qui en reste semble se disposer à une division par les opinions nouvelles qui pullulent tous les jours. Que savons-nous, dis-je, si Dieu ne veut pas transférer la même Église chez les infidèles, lesquels gardent peut-être plus d’innocence dans leurs mœurs que la plupart des chrétiens, qui n’ont rien moins à cœur que les saints mystères de notre religion ? Pour moi, je sais que ce sentiment me demeure depuis longtemps. Mais quand Dieu n’aurait pas ce dessein, ne devons-nous pas contribuer à l’extension de l’Église ? Oui, sans doute ; et cela étant, en qui réside le pouvoir d’envoyer ad gentes ; ? Il faut que ce soit au pape ou aux conciles ou aux évêques. Or ceux-ci n’ont de juridiction que dans leurs diocèses ; des conciles, il n’en est point en ce temps ; il faut donc que ce soit en la personne du premier. Si donc il a droit de nous envoyer, nous avons aussi obligation d’aller ; autrement, son pouvoir serait vain.

Vous savez, Monsieur, depuis quel temps la Sacrée Congrégation a jeté les yeux sur nous, combien de fois elle nous a fait solliciter, combien peu nous nous sommes hâtés pour ne mêler rien d’humain dans la résolution de cette sainte entreprise ; mais, comme nous sommes de nouveau pressés et par lettres et par Monseigneur le nonce (1), je ne doute plus qu’il n’en faille venir à l’exécution. J’avais disposé pour Babylone M. Féret ; mais Monseigneur de Paris le voulant avoir pour Saint-Nicolas-du-Chardonnet (2), m’a fait plainte de ce que je voulais le lui ôter. Je vous ai mandé que, ne sachant à qui m’adresser hors la compagnie, j’avais pensé à M. Gil

1) Nicolas Bagni.

2) Il occupa cette cure du 7 septembre 1646 au 16 janvier 1676.

 

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les ; ce qui n’a pas été trouvé convenable. J’en ai sondé d’autres parmi ces Messieurs de notre conférence ; mais je n’en ai trouvé ni d’assez résolus ni d’assez propres. Il me reste seulement à voir M. Brandon ; si celui-ci manque (3), je me vois obligé de rentrer dans la compagnie pour en prendre un. Priez Dieu pour cela, s’il vous plaît Quand le choix sera déterminé dedans ou dehors, je vous en donnerai avis. Cependant j’attendrai le mémoire que M. de Montheron vous a promis au sujet de ce voyage.

Je suis….

 

923. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 8 mars 1617.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce n’est que pour bénir Dieu des bénédictions qu’il donne à votre conduite du séminaire et aux bonnes dispositions de votre âme, qui vous font agir avec tant de confiance en Notre-Seigneur, qu’à la voir dans vos lettres elle me remplit de son odeur. Cette vertu, avec celles d’humilité et de douceur, pratiquées vers ces bons ecclésiastiques, feront des effets admirables dans leurs esprits, parce que Dieu même animera du sien vos exemples et vos paroles, et remplira le vôtre de ses lumières et de sa force ; et enfin il vous comblera de ses consolations éternelles. C’est la prière que je lui fais, prosterné devant lui, et que je lui ferai toute ma vie, tant il vous a rendu

3). Brandon n’accepta pas.

Lettre 923. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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cher à ma pauvre âme et tant il m’a fait, en son amour Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

924. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES (1)

8 mars 1647.

Trois de vos lettres me sont arrivées en même temps ; je les ai reçues comme de vous, Monsieur, c’est-à-dire avec joie et consolation, et certes avec reconnaissance envers Dieu de ce qu’il vous conserve parmi tant de travaux et qu’il bénit toujours ces mêmes travaux, nonobstant les empêchements que l’esprit malin s’efforce d’y apporter. Vous pouvez penser si de tout cela j’en remercie souvent son infinie bonté et si, en lui offrant les fruits qu’elle opère par vous, je lui présente aussi les désirs et les affections de votre charitable cœur et même tout ce cher cœur, afin qu’elle le détrempe dans les suavités de son amour ; car, me trouvant rempli de tendresse pour votre personne et d’appréhension qu’elle succombe à ses pénibles emplois, je me trouve aussi sans cesse sollicité d’invoquer sur vous le secours divin, encore que mes péchés me fassent craindre l’inefficacité de mes prières.

Lettre 924. — Reg. 2, p. 198.

1) Le manuscrit d’Avignon donne comme destinataire de celte lettre "M. N., supérieur, à Richelieu" ; mais il est clair que cette désignation provient d’une distraction du copiste, car le registre 2, que suit d’ordinaire le manuscrit d’Avignon, la dit adressée à Etienne Blatiron, supérieur, à Gênes, et plusieurs passages seraient inexplicables, si le destinataire était le supérieur de Richelieu.

 

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925. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 10 mars [1647] (1)

Monsieur,

L’embarras auquel vous êtes pour le grand monde qui est chez vous m’empêche de vous envoyer la lettre de Monsieur des Jonchères, en ayant aussi quelques autres à communiquer à votre charité pour en avoir son avis.

Je ne pense pas que ce que mon fils a dit ait été trouvé mauvais n’étant pas, à mon avis, sorti des termes du respect qu’il doit ; mais je crois être tout à fait impossible que l’affaire se fasse sans que votre charité donne son consentement, et je prévois bien que le retardement sera très préjudiciable à mon fils pour plusieurs raisons que je ne puis pas écrire. II faut se résoudre à tous les. événements que j’en appréhende, quoique très fâcheux.

Ce que je vous mandais qui m’avait été dit était pour faire empêcher que l’on ne continuât des invectives et médisances contre les mœurs de ceux de qui la doctrine est soupçonnée, et que l’on avait remarqué que ceux de ce parti avaient protesté en chaire n’y entrer qu’avec esprit d’union et de charité, et ne parlaient aussi qu’en ces termes.

Madame la comtesse de Maure m’a mandé que je prisse soin d’un livre qu’elle vous a envoyé, qui est l’Apologie de Jansénius (2), pour le lui renvoyer. Elle vous envoie aussi celui-ci pour le voir comme elle vous a promis.

Si je pensais vous pouvoir demain parler à quelque heure je vous supplierais très humblement me la donner, pour quelque besoin de notre compagnie, outre celui de Nantes qui est assez grand.

Notre sœur Madeleine (3) est beaucoup mieux, Dieu merci et tout va assez bien à Angers.

Je cause bien des désordres partout. Je crains que votre charité oublie mes besoins, qui me font souhaiter plus que jamais que votre charité croie que je suis, par la volonté de Dieu, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 925. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par ie frère Ducournau.

2). Ouvrage publié par Arnauld en 1644.

3) Madeleine Monget, supérieure des sœurs d’Angers

 

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926. — A MONSEIGNEUR INGOLI

De Paris, ce 15 mars 1647.

Monseigneur,

J’ai reçu la lettre de laquelle il a plu à Votre Seigneurie Illustrissime m’honorer, avec le respect et la dévotion que Notre-Seigneur me donne pour l’un des prélats de l’Église qui travaillent le plus à l’extension de l’empire de Jésus-Christ par toute la terre, et me suis donné à Dieu pour lui obéir à l’égard du commandement que Votre Seigneurie Illustrissime me fait de destiner quelqu’un de la compagnie pour la coadjutorerie de Babylone. N’ayant pu trouver aucun externe en qui les qualités requises me paraissent, qui ait voulu ou pu entreprendre ce bon œuvre, celui que je destine à cet effet, Monseigneur, est l’un des deux assistants que la compagnie m’a donnés pour me servir de conseil à la direction d’icelle (2), en qui il a plu à la divine bonté mettre à peu près les qualités requises à ce saint ministère, ce me semble. Je vous avoue, Monseigneur, que la privation de cette personne est m’arracher l’un œil et me couper moi-même l’un bras ; mais la dévotion que j’ai vers le pouvoir que Notre-Seigneur a donné à son Église et qui réside en la personne de notre Saint-Père, qui est d’envoyer ad gentes, et à l’obligation qu’ont par conséquent de lui obéir tous les ecclésiastiques de l’Église en ce cas-là, et la pensée qu’Abraham s’est mis en état de sacrifier son fils unique, et que le Père éternel nous a donné son propre Fils, cela ensemble m’a

Lettre 926. — L. s — Arch. de la Propagande, VI, Lettre di Francia, Inghiltera Scozia, Ibernia et India, 1647, n° 145, f° 81, original

1) Secrétaire de la Propagande

2) Lambert aux Couteaux L’autre assistant était. Antoine Portail.

 

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fait résoudre à destiner ce bon missionnaire pour un tel œuvre et à m’offrir moi-même, si j’en étais digne. Voilà, Monseigneur, la disposition en laquelle nous sommes pour cet affaire, duquel j’espère parler au premier jour à la reine et à Monseigneur le cardinal, pour savoir l’intention de Sa Majesté sur cela, dont je donnerai avis à Votre Seigneurie Illustrissime, à laquelle j’offre l’obéissance de notre petite compagnie et la mienne, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL

indigne supérieur de la congrégation de la Mission.

Au bas de le première page : Mgr Ingoli.

 

927. — UN PRÊTRE DE LA MISS0N A SAINT VINCENT

Marseille, 1647..

Nous sortons d’une mission qui nous a tenus, l’espace de cinq semaines, attachés aux confessionnaux, à la chaire et aux accommodements des procès, avec tant de succès et de fruit, que je puis dire sans exagération qu’on n’en peut pas souhaiter davantage. on y a réhabilité neuf ou dix mariages clandestins, fait environ vingt-cinq ou trente accommodements de procès, où il y allait, en quelques-uns, de sommes fort notables, en d’autres de l’honneur, et en d’autres de la vie ils se sont quasi tous faits de gré à gré, sans l’entremise de personne ; quelques-uns même dans l’église publiquement et pendant la prédication, avec tant de sentiments et de larmes que celui qui prêchait en était interrompu. Il arriva aussi qu’un homme de condition médiocre, ayant, par une émotion de colère répondu à quelqu’un des nôtres avec moins de discrétion et ajouté à sa réponse un blasphème publiquement devant la porte de l’église il en conçut un tel regret, quinze jours après, que, de son propre mouvement,

Lettre 927. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 4, 1er éd., p 38

 

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pour satisfaction de ce péché, il s’imposa lui-même de payer cent écus pour la réparation de l’église devant laquelle il avait proféré ce blasphème.

 

928. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 15 mars 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce n’est que pour continuer à me consoler avec vous dans l’entretien de nos lettres. Les vôtres me donnent plus de joie que toute autre chose, parce qu’en elles il me semble que je vois votre cœur, et dans icelui beaucoup de désir et de disposition pour aimer notre bon Seigneur, qui, de son côté, ne manquera à vous donner de plus en plus communication à son amour et à ses vertus pour en remplir votre âme ; et c’est de quoi je le prierai toute ma vie.

Je n’écris point à Messieurs Portail et Alméras, parce que je pense qu’ils sont plus proches de Rome que de Gênes, à l’heure que j’écris. Je ne doute point que vous n’ayez été consolé de les voir. J’attends nouvelles de leur départ et de ce qu’ils ont fait. Ce que vous demandez, d’en faire rester l’un à Gênes, n’est pas maintenant faisable, tant parce qu’ils ont à faire ailleurs, que parce que Dieu vous fera la grâce, et à vous et aux autres, de correspondre aux desseins de Dieu sur notre établissement en ce lieu où vous êtes, comme il a fait jusqu’à présent ; dont je l’en remercie. Ne désirons point que la compagnie ait du bruit et de l’estime pour son extension ; l’humilité et la confusion nous sont plus propres,

Lettre 928. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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et Dieu n’a pas besoin de la faveur des hommes ni de notre crédit pour nous appeler où il lui plaira. Je vous prie de lui recommander mon âme et de croire que la vôtre m’est très chère, et que je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

929 — A UN PRÊTRE DE LA MISSION * A ROME

*1657 (la lettre devrait être reportée au tome VI)

Je ressens beaucoup votre peine, et néanmoins je suis bien aise que vous me l’ayez découverte. La conduite de Dieu est telle sur ceux qu’il destine à quelque chose de grand ou de bien particulier pour son service, qu’il les exerce auparavant par des dégoûts, traverses, aversions *(2) et mouvements d’inconstance, tantôt pour les éprouver, tantôt pour leur faire expérimenter leur faiblesse, tantôt pour les détacher davantage des créatures *(3), d’autres fois pour abattre les fumées de quelque vaine complaisance, et toujours pour les rendre plus agréables à ses yeux. Ne doutez pas, Monsieur, que la tentation que vous souffrez ne contribue à votre avancement spirituel, si vous lui résistez.

Mais peut-être que vous ne pensez pas que ce soit une tentation, se cachant, comme elle fait, sous l’apparence d’un bien, car vous dites que vous ne voulez plus donner scandale à la compagnie. Je vous prie de croire que vous

Lettre 929 — Reg. 2, p. 294. * On trouve dans le dossier de Turin la minute de cette lettre, écrite de la main du frère Ducourneau.

*1) Date écrite par le frère Ducourneau en marge de la minute. La lettre n’est donc pas de 1647, comme l’a cru le copiste du registre 2.

*2) Texte de la minute : par des dégoûts fâcheux.

*3) Texte de la minute : des choses crées.

 

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ne lui en pouvez donner un plus grand que de vous en séparer pour aller faire votre propre volonté.

Vous dites aussi que vous aimez la règle, mais ensuite vous témoignez le contraire, disant que vous ne voulez pas être obligé de l’observer. Il est vrai que la vraie charité fait aimer les bonnes choses, mais il est vrai aussi que la nature rebute celles qui captivent sa liberté ; et il est à craindre que vous adhériez plutôt à ce rebut de la chair qu’à l’attrait de cette vertu, puisque vous dites que vous n’accomplissez plus le règlement par un pur amour de Dieu, et qu’au lieu de vous redresser de ce défaut, vous voulez passer outre et aller même contre cet amour, en secouant tout à fait le joug de Jésus-Christ et vous reprenant vous-même, après vous être quitté pour lui. Je prie sa divine bonté qu’elle ne le permette pas. Vous avez grand besoin de reconnaître l’esprit qui vous pousse, et de considérer en même temps qu’il n’y a homme, pour parfait et pour affermi qu’il puisse être en sa vocation, qui ne souffre parfois de fâcheuses secousses. L’ennemi fut bien si téméraire que d’entreprendre même le Fils de Dieu, pour se faire adorer de lui, qui est la plus horrible tentation que la malice ait pu inventer. Y a-t-il eu quelqu’un entre les apôtres, ni entre tous les saints, qui n’ait eu besoin de se faire violence pour résister aux attaques de la chair et du monde ? Vous nous avez raconté vous-même que pour entrer dans notre congrégation vous fîtes un grand effort sur vous, venant plusieurs fois céans demander d’être reçu, malgré la nature qui désirait un refus de notre part ; vous l’avez dit avec reconnaissance de ce que le mouvement de Dieu avait prévalu, et nous l’avons ouï avec consolation, comme un présage de vos futures victoires sur vos passions. En effet, vous les avez depuis beaucoup mortifiées, par sa grâce ; et si vous comparez votre vie de missionnaire

 

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à celle d’auparavant, vous y trouverez grande différence.

Courage donc, Monsieur ! tenons ferme ; car maintenant que nous sommes prêtres, nous sommes obligés à une plus grande perfection et à secourir davantage les âmes. Serait-il bien possible que, d. ans les belles occasions que Dieu nous en donne, une petite répugnance nous fît tout abandonner ! A Dieu ne plaise, puisque l’Apôtre dit qu’il est impossible que ceux qui ont été éclairés et se sont retirés de la lumière, retournent en l’état duquel ils sont déchus *(4) ! Conformément à cela, nous en voyons plusieurs qui, pour bonne intention qu’ils aient, et pour belles que soient leurs résolutions, se trouvent néanmoins courts quand il faut en venir aux effets, ou qu’il s’agit de vaincre les difficultés, parce qu’ayant manqué à la grâce, la grâce leur manque, et alors les scrupules les rongent, leur amour-propre se forme une conscience qui s’accommode avec la sensualité, et la nature reprend le dessus. Je n’exagère rien ; l’expérience le montre journellement.

Je vous en dis pourtant trop, mon cher Monsieur, parce qu’à l’heure où je vous écris, vous êtes peut-être délivré de la suggestion qui vous travaillait. Si cela est, j’en loue Dieu ; et, si cela n’est pas, je le prie qu’il vous en délivre.

Demandez-lui vous-même cette grâce, c’est le premier moyen que je vous donne ; et le second est qu’en cas que le séjour où vous êtes, ou les personnes qui sont avec vous, vous fassent quelque peine, vous vous en alliez à…. J’écris au supérieur qu’il vous y reçoive avec toute la cordialité possible ; ce qu’il fera volontiers, à cause de l’estime et de l’affection qu’il me témoigne avoir pour vous.

1). Épître aux Hébreux VI, 4-6.

 

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930. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

La mission de Gémozac (1) a donné de très consolants résultats : sept ou huit hérétiques ont abjuré leurs erreurs ; d’autres les auraient imités s’ils n’avaient craint d’être surchargés de tailles par les principaux de la localité, qui sont de la religion réformée. Ceux des habitants qui ne vont pas à la messe par respect humain seraient bien aises que le roi les obligeât à remplir ce devoir. "L’un de ces Convertis est un vieillard, lequel nous avions exhorté plusieurs fois, mais inutilement ; et après avoir fait notre dernier effort, un peu avant notre départ, voyant que nous ne pouvions rien gagner sur lui, nous eûmes la pensée de recourir à la sainte Vierge et la supplier d’employer ses intercessions pour obtenir la conversion de ce pauvre dévoyé. Nous allâmes à cette intention nous prosterner à genoux et réciter les litanies ; et voilà que, les ayant achevées, nous voyons notre vieillard revenir à nous et nous avouer qu’il reconnaissait la vérité et qu’il était en volonté d’abjurer son hérésie ; ce que nous lui fîmes faire, et ensuite sa confession générale ; et puis nous le reçûmes à la sainte communion. Et en nous disant adieu, il nous pria instamment de le recommander aux prières de tous les catholiques."

 

931. — A CLAUDE DUFOUR

Du 31 mars 1647.

Je rends grâces à Dieu, Monsieur, de tant et tant de bénédictions que Dieu donne à vos emplois des missions et des ordinands, et je le prie qu’il bénisse de même le séminaire que vous commencez, et qu’il ne permette pas que la tentation que vous avez contre votre vocation

Lettre 930. — Abelly, op. cil., 1. II, chap. I, sect. II, § 2, 1er éd., p. 28.

1). Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Saintes.

Lettre 931. — Reg. 2, p. 291. Un texte quelque peu différent nous est donné par le registre intitulé : Recueil de pièces ces relatives aux Filles de la Charité, p. 675. (Arch. des Filles de la Charité.)

 

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trouble la paix de votre âme. Je sais bien que l’Ordre des Chartreux est plus parfait en soi ; mais je ne crois pas que Dieu vous demande là, après vous avoir appelé ici, et que vous avez répondu et acquiescé au mouvement de cet appel, que sa bonté vous y a béni d’une bénédiction toute particulière, et telle que, si vous la considérez, elle est pour vous affermir invariablement dans la congrégation, surtout si vous vous mettez en l’état auquel vous voudriez être trouvé au jugement de Dieu. Mettez, s’il vous plaît, dans une balance les biens de la solitude d’un coté, et de l’autre ceux que Notre-Seigneur fait et fera de plus en plus par vous ; vous verrez que ceux-ci l’emporteront. Mettez aussi en considération votre conformité de vie présente avec celle que Notre-Seigneur a menée sur la terre, que c’est là votre vocation et que le plus grand besoin qu’ait aujourd’hui l’Église est d’avoir des ouvriers qui travaillent à retirer la plupart de ses enfants de l’ignorance et des vices où ils sont, et à lui donner de bons prêtres et de bons pasteurs, qui est ce que le Fils de Dieu est venu faire au monde, et vous vous estimerez trop heureux d’être appliqué comme lui et par lui-même à ce saint ouvrage.

Vous savez, Monsieur, que, quoique la vie contemplative soit plus parfaite que l’active, elle ne l’est pas toutefois plus que celle qui embrasse tout ensemble la contemplation et l’action, comme fait la vôtre, par la grâce de Dieu. Mais quand le contraire serait, il est certain que Dieu n’appelle pas tout le monde aux choses plus parfaites. Tous les membres du corps ne sont pas la tête, et tous les anges ne sont pas de la première hiérarchie ; ceux des inférieures ne voudraient pas être des supérieures ; ils sont contents de celle où Dieu les a mis ; et les bienheureux qui ont moins de gloire n’envient pas ceux qui en ont une plus grande. Nous devons de même

 

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nous contenter de l’état où nous sommes par la disposition de la Providence et auquel Dieu nous bénit. Certes, l’enfant d’une pauvre femme laisse là toutes les autres mères pour se tenir collé au sein de la sienne.

De dire que vous avez grand’peine à la Mission ; hélas ! Monsieur, il n’y a point de condition au monde où il n’y ait à souffrir. Qui est l’homme qui ne sent pas des difficultés et des contradictions dans la plupart des choses de son état et qui ne pense qu’il serait plus heureux dans un autre emploi qu’il n’est pas dans le sien ? Assurez-vous, Monsieur, que c’est ici une ruse du diable, pour vous détourner du bien que vous faites pour l’Église. C’est sa finesse de tenter les plus gens de bien d’une plus grande perfection, pour leur faire quitter celle où Dieu les veut. Demeurez donc constamment dans votre état et ambula vocatione qua vocatus es (1) et noli flectere ad dexteram neque ad sinistram (2), et assurez-vous que votre vocation opérera votre justification et enfin votre glorification. Faites-moi savoir ce qu’il faut faire pour vous conforter là dedans ; car si quelqu’un des nôtres trouble votre repos, nous vous enverrons quelqu’autre à sa place. Je vous prie de faire une heure d’oraison sur ce que je vous dis et de me mander les sentiments que Dieu vous donnera là-dessus, et ne m’y oubliez pas, s’il vous plaît, à ce que Dieu daigne faire miséricorde à ma pauvre âme.

Je suis, en l’amour….

1). Épître aux Ephésiens IV, I.

2) Second livre des Paralipomènes XXXIV, 2,

 

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932. — A UN SUPÉRIEUR (1)

Du 9e avril 1647.

Il y a cinq ou six mois que je reçus deux paquets de vos lettres, et depuis peu j’en ai reçu un autre. Je ne fis point réponse aux premiers, pource que je ne savais que vous dire à tant de choses que vous me proposiez. L’état que j’ai toujours fait de votre piété m’a fait avoir du respect pour les choses que vous m’avez dites et écrites, en sorte que je lus ces deux paquets à genoux, en la présence du Saint Sacrement, et priai Dieu qu’il me fît la grâce de reconnaître si les choses que vous me disiez venaient de lui, et, si cela était, de les embrasser. Mais je vous avoue, Monsieur, que, si cela est, mes péchés m’ont rendu indigne de le connaître ; au contraire, il me semble que nous renverserions le peu de bien qu’il plaît à Dieu de faire à l’égard des ecclésiastiques, étant comme évident que là où les choses approchent de la sorte que vous les proposez, il n’y a point de différence de tels ecclésiastiques avec les boursiers des collèges. Nous en avons essayé de plusieurs façons ; mais l’expérience nous a fait voir que la manière dont l’on s’y prend est celle qui réussit le mieux.

Nous avons soixante prêtres au collège des Bons-Enfants, quarante petits séminaristes au séminaire de Saint-Charles, trente ecclésiastiques au séminaire de Cahors, dont Mgr l’évêque me mande qu’il est satisfait, par

Lettre 932. — Reg. 2, p. 293.

1) Le supérieur auquel s’adresse cette lettre était vraisemblablement à la tête d’un séminaire. Or, parmi les supérieurs des six séminaires confiés à la congrégation de la Mission en dehors de Paris nous ne voyons guère que Bernard Codoing, alors à Saint-Méen, qui eût des idées semblables à celles que critique ici saint Vincent.

 

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la grâce de Dieu. Il y en a huit à Annecy, qui commencent bien aussi, et autant au Mans, douze ou quinze à Saint-Méen. Ces petits essais nous font espérer que Notre-Seigneur bénira son ouvrage, s’il plaît à sa miséricorde de n’avoir pas égard à l’abomination de ma vie.

Oserai-je vous dire, Monsieur, que ce qui me fait le plus défier de vos avis est l’esprit de médisance et injurieux qui y paraît et qui me semble tout à fait éloigné de la vraie charité dont nous avons un tableau qui la représente au vif dans le bienheureux évêque de Genève.

Ne croyez pas, Monsieur, que je prenne injure à ce que vous me dites de moi ; ô Jésus ! nenni ; mais seulement ce que vous dites des corps de l’Église en général et de plusieurs en particulier, ce qui est directement opposé à la seconde condition de la charité, qui est la bénignité. Et puis, Monsieur, Notre-Seigneur vous a-t-il révélé ces manières que vous proposez ?

 

933. — A FRANÇOIS ADHEMAR DE MONTEIL, ARCHEVÊQUE D’ARLES

[1647] (1)

Monseigneur,

Comme Dieu m’a donné pour vous une entière et perpétuelle obéissance, je suis obligé à vous en renouveler les offres de temps en temps. Je le fis ces jours passés (2) lorsqu’en réponse de l’honneur de votre lettre, je vous assurai que je m’emploierais volontiers pour avoir un ordre de la reine tendant à la réformation de Saint-Césaire. Et je continue de le faire à présent, Monseigneur,

Lettre 933 — Lettres et Conférences de Saint Vincent de Paul (Supplément), p. 526, 1. 3133.

1) Voir note 2.

2). Par la lettre du 29 février 1647.

 

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avec toute la révérence que je dois, vous suppliant de l’avoir agréable, puisque c’est pour accompagner la lettre que Sa Majesté vous écrit au sujet de ladite réforme. Elle ne peut être que bien, étant du style de M. de Verthamon (3).

Au nom de Dieu, Monseigneur, usez en toutes occasions du pouvoir que vous avez sur moi, qui suis, en son amour sacré, Monseigneur, votre…

 

934. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1)

Vous seriez ravi d’entendre, tous les jours des fêtes et dimanches, chanter en nos églises et chapelles l’Exaudiat et les autres prières pour le roi de France, pour qui les étrangers mêmes témoignent du respect et de l’affection ; comme aussi de voir avec quelle dévotion ces pauvres captifs offrent leurs oraisons pour tous leurs bienfaiteurs, qu’ils reconnaissent pour la plupart être en France, ou venir de France ; et ce n’est pas un petit sujet de consolation de voir ici presque toutes sortes de nations dans les fers et les chaînes prier Dieu pour les Français.

 

935. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1642 et 1649] (1)

Monsieur,

Je vous supplie très humblement prendre la peine me mander

3) Peut-être Antoine de Verthamon, archidiacre de l’Église métropolitaine de Paris, chanoine de l’Église de Cahors, conseiller-clerc du roi en son Parlement.

Lettre 934. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 7, 1er éd., p. 122.

1). Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis.

Lettre 935. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) La lettre a été écrite après la fondation des établissements d’Issy et de Fontenay-aux-Roses (1642) et avant la fermeture de l’établissement d’Issy (1649)

 

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si ce sera pour demain mercredi que l’assemble de nos sœurs pourra se faire, à ce que je les fasse avertir, et celles d’Issy et Fontenay (2).

Mademoiselle de Lamoignon me manda hier de savoir de vous quand elle pourra décharger entièrement son cœur, vous venant treuver ; mais elle ne désire pas que l’on le sache chez elle. Je l’en avertirai si vous me faites l’honneur me le mander. Elle voudrait que ce fut au plus tôt. Donnez-moi, s’il vous plaît, votre sainte bénédiction, puisque je suis, Monsieur. votre très humble et très obligée fille et servante.

L. DE M.

Ce mardi.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

936. — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1642 et 1649] (1)

Vous ferez avertir l’assemblée pour demain l’après-dînée, s’il vous plaît, Mademoiselle, et Mademoiselle de Lamoignon pour ce soir, à six heures ; mais il me serait plus commode que ce fût à une heure après midi aujourd’hui céans.

 

937. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce jour de Pâques [21 avril 1647] (1)

Monsieur,

J’ai pensé qu’il était nécessaire que votre charité prît la peine de voir cette lettre de Monsieur d’Annemont avant que nos sœurs partent pour Nantes. Deux choses me semblent aussi être sues de vous : s’il n’est point nécessaire de comumuniquer

2). Ces deux localités se trouvent dans la banlieue de Paris.

Lettre 936. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle saint Vincent l’a écrite.

Lettre 937. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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notre pensée du changement de la sœur Catherine (2) à Messieurs des Jonchères et d’Annemont, et même à Mlle de la Carisière, ou, si les choses demeuraient dans le calme, il ne serait point à propos de mander ma sœur Élisabeth (3), qui est toujours malade, comme vous verrez ; ou bien, s’il faudra laisser négocier ce changement à ma sœur Jeanne (4), selon l’ordre que votre charité lui en donnera. Une autre chose, que je crois très nécessaire et de grande utilité, c’est que votre charité prenne la peine d écrire une lettre pour toutes nos sœurs, si vous le jugez à propos, pour leur témoigner un peu de mécontentement et pour les encourager.

Aussi vrai, mon très honoré Père, cette pauvre compagnie souffre bien sous ma chétive conduite ; aussi pensé-je que tôt (5) Dieu la délivrera de cette captivité, qui est à si grand empêchement à le perfection de son œuvre ; et moi j’ai grand sujet de craindre de mourir en mon endurcissement, si votre charité ne m’aide.

Ne pouvons-nous point espérer le bien d’une conférence, ces fêtes, pour achever celle de l’instruction des devoirs des sœurs soumises aux sœurs servantes, et de la conduite et support des sœurs servantes aux sœurs soumises (6) ? Il me semble que cela, bien entendu et bien pratique, serait un empêchement à tous les petits désordres de la compagnie, comme aussi que nous eussions nos petits règlements (7) pour en faire lecture de temps en temps à la compagnie. Une dame m’a donné charge de m’informer s’il ne pouvait y avoir cinquante arpents de terre à vendre entre la maison

2) Catherine Bagard.

3) Elisabeth Martin, supérieure à Nantes.

4) Jeanne Lepeintre. Elle fut nommée, quelques jours après, supérieure des sœurs de Nantes.

5). Tôt bientôt.

6). Saint Vincent avait traité ce sujet le 2 février précédent dans une conférence qui nous a été conservée.

7) Les règlements ou statuts de la Compagnie, approuvés le 20 novembre 1646 par Jean-François-Paul de Gondi, coadjuteur, au nom de son oncle l’archevêque de Paris. Saint Vincent les lut à ses filles au cours de la conférence qu’il leur fit le 30 m. ai 1647. A quoi attribuer cette attente de six mois, qui se serait prolongée, semble-t-il, sans les instances de Louise de Marillac ? Ce n’est pas, au moins exclusivement, aux grandes occupations du fondateur, puisqu’il avait trouvé le temps de réunir les sœurs le 2 février. Peut-être a-t-il nourri quelque temps l’espoir d’obtenir certaines modifications de détail ; peut-être aussi le document pontifical lui fut-t-il communiqué plusieurs mois après la date d’approbation.

 

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où logent les petits enfants treuvés (8), et La Chapelle, et je lui ai proposé votre maison vers les Récollets (9), en espérance qu’il s’y pourrait trouver proche les terres qu’elle souhaite y compris la maison. Je vous supplie très humblement, Monsieur, si vous pensez que la chose soit faisable, prendre la peine me le mander par frère Ducournau (10), à cause que cette dame doit envoyer, après ces fêtes, un homme pour visiter la place.

S’il plaît à votre charité se souvenir de Madame la comtesse de Maure pour mon fils, à cause que l’autre affaire s’évente fort ? Il me semble que vous n’entendez parler que de cette affaire. Mon Dieu ! que mon orgueil me fait souffrir en ce sujet, et que ce m’eut été un grand repos d’en être exempte ! La très sainte volonté de Dieu ne l’a pas permis. Il en soit béni à jamais, et de quoi j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

8) L’hospice des Enfants trouvés donnait sur la rue du faubourg Saint-Denis ; il s’élevait vis-à-vis l’enclos de Saint-Lazare, à proximité de l’emplacement occupé par la gare du Nord. Le boulevard de La Chapelle, situé un peu au dessus, suit les limites de ce qui était alors le village de ce nom.

9) Ce couvent a donné son nom à la rue actuelle des Récollets il est devenu l’hôpital militaire Saint-Martin.

10). Bertrand Ducournau, né en 1614 à Amou (Landes), fut reçu dans la congrégation de la Mission le 28 juillet 1644, en qualité de frère coadjuteur, et fit les vœux le 9 octobre 1646. Comme il avait une belle écriture, un esprit judicieux, une intelligente ouverte et une certaine expérience des affaires par les situations diverses qu’il avait occupées dans le monde, saint Vincent le prit pour secrétaire. Parmi les lettres du saint qui nous ont été conservées, la première qu’écrivit le frère Ducournau est adressée à Jacques Chiroye et datée du 3 mai 1645. Par son dévouement, son savoir-faire et son amour du travail, ce bon frère rendit des services inappréciables au saint et à sa congrégation. Nous avons vu plus haut comment il s’y prit pour arracher à l’humilité de saint Vincent les originaux des deux premières lettres. Plus que tout autre à Saint-Lazare peut-être, il comprit ce que le saint serait pour la postérité. Il gardait la minute de ses lettres et prenait ou faisait prendre copie de ses entretiens aux missionnaires. On peut dire que, par la préparation des matériaux et par ses notes personnelles, il a plus contribué qu’Abelly lui-même à la première vie de saint Vincent. Après la mort du saint, il resta secrétaire du supérieur général et archiviste de la maison. Il mourut

 

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938. —- A CLAUDE DUFOUR, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 23 avril 1647.

Je vous remercie très humblement, Monsieur, de la confiance que vous me témoignez, demandant mon avis sur la pensée que vous avez d’entrer aux Chartreux. Je vous dirai tout simplement ce que je voudrais vous avoir conseillé à l’heure de ma mort, qui est que vous marchiez dans la vocation dans laquelle il a plu à Dieu de vous appeler, sans écouter désormais la suggestion de l’esprit ennemi de la persévérance finale au bien commencé, son dessein étant de vous tirer de là où Dieu vous a mis, sous prétexte de la plus grande sûreté de votre salut, afin que vous entriez dans un plus grand danger de le faire, car, s’il vous tire du lieu où vous êtes, il vous empêchera ensuite d’entrer là où vous prétendez, ou bien il vous en fera sortir après que vous y serez. On m’a dit qu’il y a cent Jésuites dans Paris qui sont sortis du sein de leur sainte mère, sous prétexte de faire des merveilles ailleurs, et la plupart sont à scandale et en grand péril de se perdre.

Au nom de Dieu, Monsieur, tenez-vous ferme dans l’état auquel Notre Seigneur vous a mis, et rejetez la pensée contraire comme ennemie des desseins éternels de Dieu sur vous et sur tant d’âmes que sa divine Majesté veut sauver par votre moyen. Que si le séjour de Saintes, ou l’emploi que vous avez, ne vous agréent pas, mandez-le-moi, s’il vous plaît ; nous vous destinerons ailleurs. Je vous dis derechef, Monsieur, que je me donne à

à Paris le 3 janvier 1677. Son aide au secrétariat, le frère Chollier, a écrit sa vie, que l’on trouve au tome premier des Notices, p 377 et suiv

Lettre 938 — reg 2, p 294

 

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Dieu pour répondre à sa divine Majesté, pour vous et pour moi, du conseil que je vous donne. Cependant je prie Notre-Seigneur qu’il vous fasse voir la malignité de cette tentation, comme il me semble que je la vois, qui tend a vous faire perdre le certain pour l’incertain, et qui vous fait prendre l’opinion pour inspiration et la lassitude pour sollicitude.

 

939. — AUX FILLES DE LA CHARITÉ DE L’HÔPITAL DE NANTES

D’Orsigny, à 4 lieues de Paris, ce 24e avril 1647.

Mes chères Sœurs,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne pense jamais à vous et au bonheur que vous avez d’être Filles de la Charité et d’être employées des premières, au lieu où vous êtes, pour l’assistance des pauvres, qu’avec consolation. Mais quand j’entends dire que vous vivez en vraies filles de Dieu, qui est à dire en vraies Filles de la Charité, c’est ce qui m’augmente la consolation jusqu’à un point qu’il n’y a que Dieu seul qui vous le puisse faire connaître. Continuez, mes chères

Lettre 939. — Dossier des Filles de la Charité, copie prise par sœur Hellot. — Cette lettre, écrite à la demande de Louise de Marillac et à la suite d’observations présentées par M. d’Annemont, bienfaiteur des sœurs (cf. Lettres de Louise de Marillac 1. 173), fut envoyée par la fondatrice, qui voulut, elle aussi, ajouter son mot et donner ses conseils (cf. ibid., 1. 174). "O mes Sœurs, disait-elle, parlant de la lettre du saint, la douceur du style, la remarque des grâces que Dieu vous a faites et à nous, et les instructions que sa charité nous donne si suavement, m’ont donné un tel effroi que je ne le vous puis dire, me souvenant que tant de fois Dieu nous a fait avertir par lui de nos obligations, tant de fois a su et voulu oublier nos fautes et manquements, ne se lassant point de nous exciter et d’encourager, ni d’avoir des soins de nous tout paternels."

 

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Sœurs, et perfectionnez-vous de plus en plus dans votre saint état. Voici les raisons qui vous y doivent porter.

C’est premièrement la sainteté de votre état, qui consiste à être vraies filles de Dieu, épouses de son Fils et vraies mères des pauvres ; et cet état, mes chères Sœurs, est si grand que l’entendement humain ne peut comprendre rien de plus grand en une pure créature sur la terre.

La seconde raison est en ce que, pour vous élever à ce bonheur, Dieu vous a tirées de la masse corrompue du monde.

La troisième est la fidélité que vous avez eue de correspondre à la sainte inspiration que Notre-Seigneur vous a donnée pour vous y appeler, l"ardeur avec laquelle vous avez demandé au commencement d’y être reçues, les résolutions que nous prîtes pour lors d’y vivre et d’y mourir saintement.

En quatrième lieu, mes chères Filles, la bénédiction qu’il a plu à Dieu de donner à vos exercices de dévotion et à l’assistance des pauvres ; tant de bons exemples que vous avez donnés au dedans de la maison ; tant de bonnes filles que vous y avez attirées, qui y vivent saintement ; tant de pauvres malades que vous menez a une bonne vie ; et tant d’autres que vous avez réconcilies a Dieu par vos bons conseils dans leurs maladies ; et encore tant d’autres qui sont maintenant bienheureux au ciel et prient incessamment pour la sanctification de vos chères âmes. Ce sont là, mes chères Sœurs, des raisons entre une infinité d’autres que plusieurs rames de papier ne pourraient contenir, qui vous doivent animer de plus en plus à persévérer et à vous perfectionner en votre sainte vocation.

Il me semble, mes chères Sœurs, que vous me dites toutes que vous le voudriez bien, mais que vous êtes agitées

 

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d’une infinité de tentations qui vous accablent. A quoi je réponds, mes chères Sœurs, que toutes ces tentations vous sont envoyées ou permises de Dieu pour les mêmes raisons qu’il a envoyé et permis à son Fils celles qu’il a souffertes, qui a été pour donner preuves de son amour infini pour la gloire de son Père et pour la sanctification de son Église.

Oui, mais il me semble, direz-vous, que tant d’autres bonnes âmes qui sont dans le monde et dans les religions (1), non pas même dans votre communauté, ne sont peinées intérieurement au point que vous l’êtes. Or je vous réponds qu’il n’y a point d’âmes sur la terre qui fassent profession d’être tout à Dieu et à ses pauvres membres, qui ne souffrent autant de peines intérieures et extérieures comme vous faites, car c’est un arrêt donné de Dieu, non contre, mais en faveur des bonnes et saintes âmes, que toutes, tant qu’elles sont, souffriront tentation et persécution.

Baste ! me direz-vous, mes chères Sœurs, qu’on soit tenté parfois, mais que ce soit toujours, en tous lieux, et par quasi toutes les personnes avec lesquelles je vis, cela m’est insupportable. Le bon plaisir de Dieu est, mes chères Sœurs, que ces bénites âmes d’élite qu’il chérit tant soient tentées et affligées tous les jours ; et c’est ce qui il montre et à quoi il nous exhorte quand il dit en l’Évangile que ceux qui veulent aller après lui, il faut qu’ils renoncent à eux-mêmes, qu’ils portent la croix (2), qui est à dire qu’ils souffrent affliction tous les jours. Pesez ce mot de tous les jours, mes chères Sœurs.

Je supporte cela volontiers des personnes externes, Monsieur, direz-vous ; mais que ce soit de mes propres

1) Religion, communauté religieuse.

2). Évangile de saint Mathieu XVI, 24.

 

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sœurs, qui me devraient être à consolation et qui me sont à peine, à croix et affliction, et cela en tout ce qu’elles disent, en tout ce qu’elles font et ne font pas !

Hélas ! mes chères Sœurs, de qui souffrirons-nous que de ceux avec qui nous sommes ? Sera-ce des personnes qui sont éloignées, de celles que nous n’avons vues et ne verrons jamais ? De qui souffre le membre d’un corps, si ce n’est par le mal que lui fait souffrir un autre membre ? De qui et par qui Notre-Seigneur a-t-il souffert, si ce n’est par ses apôtres, par ses disciples et par ces peuples parmi lesquels il vivait, qui étaient le peuple de Dieu ? Un bon homme, se confessant un jour, disait à son confesseur, qui Lui demandait quel usage il faisait des afflictions qu’il recevait du côté du prochain : "Hélas ! mon Père, je ne souffre rien de ce côté-là. Depuis que ma femme et mes enfants sont morts, je suis tout seul et ne saurais me fâcher contre personne, quand je le voudrais." C’est pour vous dire, mes chères Sœurs, que nos croix de tous les jours du côté du prochain ne nous peuvent arriver que du côté de ceux avec qui nous vivons.

Eh bien ! me direz-vous, je supporte plus volontiers les peines qui m’arrivent de mes sœurs que quand elles viennent de la part de notre sœur servante (3), sa froideur, ses incommodités, sa taciturnité et de ce qu’elle ne me dit jamais une parole gracieuse, et, si elle me parle, c’est toujours avec une parole sèche et fâcheuse ; c’est ce que je ne puis supporter et qui me fait chercher ma consolation parmi quelques-unes de nos sœurs qui ont

3). Elisabeth Martin. Son état maladif était sans doute la principale cause des désordres qui s’étaient glissés dans la petite communauté de Nantes.

 

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la même peine que moi, et qui me fait entretenir le plus que je puis avec mon confesseur et dire mes peines à des externes.

A cela je réponds, ma chère Sœur, que c’est là une marque que nous sommes bien faibles ou malades, puisque nous avons besoin d’être flattés de nos supérieurs dans tout ce qu’ils nous disent et ordonnent, et que, tant s’en faut qu’une Fille de la Charité doive affecter ces caresses comme avantageuses, qu’au contraire elles ont raison de penser, quand la servante les caresse, qu’elle les traite en enfants ou en malades. Notre-Seigneur conduisait les siens d’une manière ferme et sèche et quelque fois avec de grosses paroles et injurieuses en apparence, jusques à en traiter d’hypocrites quelques-uns et d’autres de satans et d’autre fois il prit des cordes et frappa sur ceux qui vendaient à la porte du temple, et, qui plus est, il ne leur prédisait que des maux et des afflictions extrêmes qui leur devaient arriver. Et après cela nous voudrons être flattés de nos supérieurs et nous retirerons d’eux comme fit ce malheureux qui trahit Notre-Seigneur, pour faire bande à part avec quelques mécontents et avec nos confesseurs ! O Jésus ! mes très chères Sœurs, Dieu vous en garde !

Il me semble, mes très chères Sœurs, que vous me dites que vous n’êtes pas tombées dans ce malheureux état, par la grâce de Dieu, ou que vous me demandez quelques avis pour vous en retirer, si vous y êtes tombées, et pour vous réunir à votre chef et à chaque sœur de votre famille et par conséquent à Notre-Seigneur, qui ne souffre point d’union avec lui si l’on n’en a avec celles qui le représentent et avec ses membres. Si vous n’êtes pas tombées en ce misérable état, j’en rends grâces à Dieu et m’en vas célébrer pour cela ; mais, si vous y êtes tombées, voici, mes chères Sœurs, les moyens de vous en retirer,

 

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avec l’aide de Dieu, que je m’en vas lui demander à la sainte messe pour cet effet.

Le premier moyen est de faire votre oraison deux ou trois fois sur ce que je vous écris, dont la première se fera sur la première partie de cette lettre, la deuxième sur la seconde, la troisième sur la troisième.

Le second moyen est de vous confesser toutes à Monsieur des Jonchères de toutes les fautes que vous avez faites en cela, non seulement depuis votre dernière confession, mais aussi depuis que vous êtes à Nantes, et de vous résoudre à bien prendre les bons avis qu’il vous donnera et les accomplir.

Le troisième est de vous embrasser toutes après la sainte communion et vous entredemander pardon les unes aux autres et vous entredonner les cœurs.

Le quatrième, de faire votre oraison tous les mois, un an durant, sur le même sujet.

Le cinquième est de ne pas suivre le mouvement de votre affection au choix des sœurs avec lesquelles vous vous entretiendrez et de plutôt fuir la communication de celles pour qui vous auriez de l’inclination, pour vous lier avec les autres.

Le sixième, de ne point parler à votre confesseur qu’au confessionnal, si ce n’est une parole ou deux, pour des choses nécessaires, et non autrement, faisant en ce cas comme font les sœurs de votre maison de Paris avec leurs confesseurs de Saint-Lazare.

Le septième, de m’écrire chacune les sentiments que Notre-Seigneur lui aura donnés en suite de vos trois oraisons et de la confession et communion que vous ferez à cet effet, comme je vous ai dit.

Le huitième, que la supérieure écrive à Mademoiselle Le Gras tous les mois le progrès de sa famille en ces pratiques.

 

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Et le dernier moyen est que vous fassiez votre communication intérieure à Monsieur des Jonchères tous les mois et notamment touchant les défauts contre les choses ci-dessus.

Voilà, mes chères Sœurs, mes petites pensées sur le sujet que vous avez de louer Dieu de votre vocation, d’y persévérer et de vous y perfectionner, un mémoire des défauts auxquels une famille de la Charité peut tomber en son nouvel établissement, et les moyens d’y remédier. Je vous supplie très humblement, mes chères Sœurs, d’agréer ce que je vous en dis, pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui suis, en son même amour, mes chères Sœurs, votre très humble serviteur (4)

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A nos très chères sœurs les Filles de la Charité servantes des pauvres malades de l’hôpital de Nantes.

 

940. — JACQUES LESC0T, ÉVÊQUE DE CHARTRES, A SAINT VINCENT

Je ne puis recevoir une nouvelle plus agréable, ni plus avantageuse que celle qu’on me mande, que vous désirez faire continuer les missions en mon diocèse, si je le trouve

4.) Lambert aux Couteaux et la sœur Jeanne Lepeintre allèrent faire la visite à l’hôpital de Nantes ; et cette dernière y resta comme supérieure, à la place de la sœur Elisabeth Martin, qui se rendit à l’hôpital d’Angers.

Lettre 940. — Abelly, op. cit 1 II,., chap.I, sect I, 1er éd., p. 2

 

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bon. Il n’y a point de diocèse en France dont vous puissiez disposer plus absolument ; et je ne sais s’il y en a où les missions puissent être plus utiles et plus nécessaires pour les ignorances étranges que je rencontre en mes visites lesquelles me font horreur. Je ne détermine rien, ni lieu, ni temps ni pouvoir ; tout est à vous ; et pour parler aux termes d’Abraham : ecce universa coram te sunt ; et je suis moi-même en vérité et de cœur votre…

 

841. — A JEAN MARTIN

D’Orsigny, à 4 lieues de Paris, ce 26 avril 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai que deux mots à vous dire, me trouvant aux champs depuis quatre ou cinq jours ; c’est seulement pour vous assurer qu’en quelle p. art que je me trouve, votre souvenir m’est très cher et très fréquent, et mon cœur toujours et entièrement vôtre. Dieu sait de quelle affection je le prie pour vous et avec quelle consolation je lui offre toute votre personne, sachant combien vous êtes à lui et combien fidèlement vous répondez à ses desseins éternels.

Prenez soin de votre conservation et saluez cordialement de ma part M. Richard et notre f[rère] Sébastien. Je vous ai dit que j’avais fait rendre votre lettre à Mademoiselle votre mère ; si elle a envoyé au logis sa réponse, je la vous enverrai.

On m’a dit que M. votre frère étant allé à Toulouse avec Mgr l’archevêque, demeure encore avec lui.

Lettre 941 — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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Dieu nous fasse la grâce de demeurer inviolablement en son amour, par lequel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

942. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

2e de mai 1647.

Je ne cherche que la volonté de Dieu, comme vous pouvez penser, en l’affaire de Perse. Je vous en ai écrit toutes les particularités. J’ai fait ce que j’ai pu pour avoir quelque externe pour l’évêché de Babylone, qui nous est offert, et nul n’y veut entendre, ou ne le peut, par la disposition de sa personne, ou par sa condition, ou par l’état de ses affaires. Cette œuvre me semble fort importante à la gloire de Dieu. Il nous y appelle par le Pape, qui seul a pouvoir d’envoyer ad gentes, et auquel il y a conscience de ne pas obéir. Je me sens pressé intérieurement de le faire, dans la pensée qu’en vain ce pouvoir que Dieu a donné à son Église d’envoyer annoncer l’Évangile par toute la terre, résiderait en la personne de son chef, si relativement ses sujets n’étaient obligés d’aller aux lieux où il envoie travailler à l’extension de l’empire de Jésus-Christ. De plus (peut-être que je me trompe) je crains bien fort que Dieu permette l’anéantissement de

Lettre 942. — Reg. 2, p. 74

 

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l’Église en Europe, à cause de nos mœurs corrompues, de tant de diverses et étranges opinions que nous voyons s’élever de tous côtés, et du peu de progrès que font ceux qui s’emploient pour tâcher de remédier à tous ces maux-là. Les opinions nouvelles font un tel ravage qu’il semble que la moitié du monde soit là dedans ; et il est à craindre que, s’il s’élevait quelque parti dans le royaume, il n’entreprît la protection de celui-ci. Que ne devons-nous pas craindre en la vue de tout cela, Monsieur, et que ne devons-nous pas faire pour sauver l’épouse de Jésus-Christ de ce naufrage ! Si nous ne pouvons à tout cela autant que fit Noé à la conservation du genre humain dans le déluge universel, nous contribuerons au moins aux moyens dont Dieu se pourra servir pour la conservation de son Église, en mettant, comme la pauvre veuve, un denier dans le tronc. Et quand je me tromperais, comme je le veux espérer de la sagesse de Dieu, qui semble vouloir perdre pour mieux sauver, nous ferons un sacrifice à Dieu, comme Abraham, qui, au lieu d’Isaac, sacrifia un mouton, dans la sainte ignorance de la fin pour laquelle il semblait vouloir le premier pour avoir le dernier.

Ces motifs et plusieurs autres m’ont fait résoudre à cette sainte entreprise et de passer par-dessus la considération du peu d’ouvriers que nous sommes et du besoin que nous avons ici de celui que nous destinons pour ce lieu-là. Et ce qui me détermine dans cette difficulté est la vue du sacrifice qu’Abraham * se proposait de faire de son fils, quoiqu’il n’eût que celui-là et qu’il sût que Dieu l’avait destiné pour être la souche de la bénédiction de son peuple.

J’ai encore passé par-dessus le danger qu’il y a que cet exemple ne donne sujet à quelques personnes de la compagnie d’ambitionner les prélatures, ayant estimé que

* Cf. François de Sales, "Introduction" p. 286 (éd de la Pléiade) N. cl.L

 

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l’éloignement du lieu dont il s’agit, les risques qu’on y court en y allant et en y résidant, et l’humilité apostolique selon laquelle pourra se comporter celui qui est destiné pour cela, qui sera comme celle des évêques d’Irlande, ôteront le sujet d’ambitionner ces emplois, et plu sieurs autres inconvénients.

L’on dira peut-être que, si l’évêque ne marche en ce pays-là in magnis, la cour du prince, les chrétiens et les religieux l’auront à mépris, et qu’il ne s’autorisera pas au point que Sa Sainteté prétend peut-être, pour négocier avec la bienséance requise la liaison entre le roi de France et ce prince-là contre l’ennemi commun des chrétiens. A quoi je réponds que j’espère qu’il suppléera au défaut de ce brillant et de cet état pompeux par la vertu, et que les évêques arméniens qui sont de delà et qui ne paraissent, non plus que leur patriarche, que comme les simples prêtres de deçà, n’auront pas tant d’aversion de notre évêque, comme s’ils le voyaient pompeux, tant pource que Notre-Seigneur et les saints apôtres ont renoncé et fait renoncer tous les chrétiens à la pompe, que pource que quasi naturellement les chrétiens se prennent garde de la différence qu’il y a de cet état pompeux à celui de Jésus-Christ humilié, et s’en scandalisent. De dire si ce sera M. Lambert que je regarde pour cet emploi, il est vrai que j’y ai pensé ; mais je ne m’y suis pas résolu ; et quoique je lui aie parlé du dessein en général et pris son avis pour cela, et que souvent il s’offre d’aller aux extrémités de la terre, si l’on l’y envoie, je ne lui ai jamais dit que j’aie aucune pensée sur lui, et il n’en sait encore rien.

Pour le temporel, cet évêché a neuf cents écus de revenu ; et afin que l’ancien évêque, qui en jouit et ne réside pas, en transporte la moitié à son successeur, on lui donnera d’ailleurs treize ou quatorze cents livres en bénéfice

 

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ou pension viagère, pour le dédommager de cette moitié.

Voilà l’état de l’affaire. Je suspendrai néanmoins la résolution jusqu’à ce que j’aie vu ce que vous me voulez écrire sur cela, à dessein de [donner] (1) les mains à vos raisons, si elles sont meilleures que les miennes.

 

943. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 3e mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de la bénédiction qu’il a donnée à la mission de Quarto (1), et à vous de l’assistance que vous avez rendue en icelle au bon M. Blatiron, qui m’en témoigne grande satisfaction et reconnaissance. Le voilà maintenant de retour à Gênes, et vous en état de l’assister d’une autre sorte, prenant soin de le faire reposer autant et si longuement qu’il se pourra. Je ne doute pas qu’il ne vous rende la même charité ; car il me mande la crainte où il est que le travail ne vous accable. Certes, je n’en ai pas moins que lui ; ce qui fait que très souvent je prie et fais prier pour votre conservation, de laquelle je vous conjure de prendre vous-même tous les soins possibles. J’espère que Messieurs Portail et Alméras ayant vu le besoin que vous avez tous d’un peu de support (2), feront hâter le départ de celui que M. Dehorgny vous doit envoyer. Il y a longtemps que

1). Mot oublié dans le reg. 2.

Lettre 943 — L s. — Dossier de Turin, original.

1) Quarto al Mare, bourg situé à dix kilomètres de Gênes

2) Support, aide.

 

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je l’en ai prié, et je continue encore aujourd’hui, pour contribuer de ce que je puis à votre soulagement. Et plût à Dieu que je le pusse faire en propre personne ! J’irais me joindre volontiers a vous pour participer au bonheur que vous avez d’être continuellement appliqué à l’exercice de l’amour divin (3). Oh ! qu’à jamais votre cœur puisse-t-il goûter les suavités de celui de Notre-Seigneur ! Je le prie qu’il vous en remplisse, pour le communiquer à ceux vers lesquels vous lui rendez service. Pour moi, je suis tout en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

944. — ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GÊNES, A SAINT VINCENT

6 mai 1647.

Nous voici de retour de la mission de… Elle comprenait cinq paroisses, outre le concours du voisinage. Il s’y est fait un très grand nombre de conversions et de confessions générales, nonobstant la dureté du peuple, lequel était très difficile à émouvoir, si rien que nous perdions presque courage au commencement. Mais Notre-Seigneur nous a voulu consoler, sur la fin de la mission, touchant ces cœurs endurcis, et répandant sur eux des grâces si abondantes, que ceux qui, au commencement, ne voulaient point nous écouter, à la fin de la mission ne pouvaient consentir à se séparer de nous. Encore que, le jour de notre départ, étant allés à l’église pour recevoir

3.) Saint Vincent a ajouté ce mot en interligne de sa main.

Lettre 944 Abelly, op. cit, 1 II, chap. I, sect. IV, 1er éd., p. 70.

 

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la bénédiction de M. le curé, tout le peuple vint à l’église et se mit à pleurer et à crier Miséricorde, comme si en nous en allant, nous lui eussions ôté la vie ; tellement que nous eûmes bien de la peine à nous échapper.

Il y a eu quantité de noblesse de la ville de Gênes qui est venue en ce lieu et qui a assisté aux actions de la mission, dont elle a été fort édifiée. M. le cardinal-archevêque de Gênes (1) y est venu donner la confirmation, en suite de quoi, comme il prenait sa réfection avec les missionnaires et quelques gentilshommes qui l’avaient accompagné un seigneur du voisinage lui ayant envoyé un présent, il s’excusa de le prendre, disant que les missionnaires avaient pour règle de ne rien recevoir en mission, et le renvoya.

 

945. — A JEAN DEHORGNY, *PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

9 mai 1647.

J’avoue que les supériorités de nos maisons ne sont pas bien remplies ; mais assurez-vous que c’est ce qui arrive d’ordinaire aux compagnies naissantes et que celle des Jésuites, hors les neuf premiers Pères et quelque petit nombre d’autres, était en pareil état au commencement. la grâce imite la nature en plusieurs choses, laquelle les fait naître brutes et mal agréables ; mais avec le temps elle les perfectionne. Qui aurait dit que le peu de science, la pauvreté de biens et de condition et la sainte rusticité des prélats du premier siècle de l’Église eussent fait ce qu’ils ont fait ? Et qui aurait pensé que notre chétive compagnie, qui n’est qu’un avorton des autres de l’Église, fît ce qu’il plaît à Dieu de faire par elle, non seulement en France, mais aux pays étrangers ? C’est chose admirable de la bénédiction que Notre-Seigneur donne à nos missionnaires d’Hibernie, de Gênes,

1) Le cardinal Durazzo.

Lettre 945. — Reg. 2, p. 27

 

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de Tunis et d’Alger. Or, cela se faisant par la grâce que Dieu a donnée à la même compagnie, nous avons sujet d’espérer que sa divine bonté lui donnera aussi des sujets comme il les faut pour la conduire. Ce qui étant ainsi, nous ne devons pas juger des desseins de Dieu sur elle selon le raisonnement humain ; à quoi néanmoins nos petits esprits s’attachent.

 

946. — A RENÉ ALMERAS

De Paris, ce 10 mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que vous voilà arrivé en parfaite santé, et le prie qu’il vous donne son esprit de direction pour celle de la compagnie de delà. O Monsieur, que je souhaite qu’elle, soit éloignée des maximes du monde et avec un entier abandon entre les bras de la providence de Dieu ! Quand je pense parfois à la conduite de la petite compagnie, j’ai une consolation toute sensible de ce qu’il me semble que l’on a tâché de suivre la même providence en toute sa petite conduite, en sorte que l’on ne s’appuie non plus sur les moyens humains que sur des roseaux ; et je vous puis dire, Monsieur, que je n’y crois non plus qu’à notre ennemi ; et si la compagnie m’en croit, jamais elle n’en usera autrement. O Monsieur, quel bonheur de ne vouloir rien que ce que Dieu veut, de ne faire rien que selon que la Providence en présente l’occasion, et de n’avoir rien que ce que Dieu nous a donné par sa providence !

Lettre 946. — Recueil du procès de béatification.

 

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L’esprit humain vous dira que ce n’est pas à Rome comme ailleurs, qu’il faut s’insinuer, qu’il se faut rendre considérable, qu’il se faut autoriser, qu’il faut agir humainement avec les humains et se servir avec eux de moyens humains. Mais ne le croyez pas, Monsieur ; toutes ces maximes portent à faux à l’égard d’une compagnie que Notre-Seigneur s’est suscitée, qu’il anime de ses maximes et qui prétend agir selon son esprit. Ce que je vous dis semble paradoxal ; assurez-vous, Monsieur, que l’expérience vous le fera voir.

J’écris à Monsieur Dehorgny et le prie de demeurer cet été auprès de vous, pour vous aider de son assistance. Je vous prie, Monsieur, de lui avoir confiance, comme aussi aux bons avis que Monsieur Portail vous laissera. Mais que dis-je ? Hélas ! Monsieur, j’ai tort de vous faire cette prière, puisque je sais que, par la grâce de Dieu, c’est votre esprit.

J’aurais consolation de vous en pouvoir dire davantage ; mais voilà que Monsieur de Chalcédoine (1) m’attend là-bas, il y a près d’une heure ; c’est ce qui me fait finir, en me recommandant, prosterné à vos pieds en esprit et à ceux de la compagnie, à qui, comme à vous, je suis, du cœur que sa divine bonté sait, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Alméras, supérieur des prêtres de la Mission, à Rome.

1) Richard Smith, évêque in partibus de Chalcédoine, ancien vicaire apostolique en Angleterre, où l’avait envoyé Urbain VIII.

 

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947. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 10e mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Non, je ne puis cesser de vous écrire, encore que je n’aie aucun nouveau sujet pour le faire. Pour le présent, je prends celui de vous recommander le soin de votre conservation et de celle de M. Blatiron ; ce que j’ai encore fait par ma dernière, et continuerai tant que je serai dans la crainte que vos excessifs travaux vous accablent. Et en vérité, Monsieur, vous ne pouvez m’obliger en chose au monde plus qu’en celle-là. Il vous doit suffire que Dieu le veut, puisque de votre bonne disposition dépend l’avancement de plusieurs. Je la demande instamment à Notre-Seigneur, avec la continuation de ses faveurs et consolations pour votre chère âme, que la mienne embrasse tendrement.

Je reçus hier lettres de M. Guérin, de Tunis. Dieu le bénit extraordinairement. Il me mande que ceux d’Alger font aussi fort bien. Je ne puis vous dire combien cela et ce que nous apprenons de votre petite famille console et encourage toute la compagnie.

Nous avons aussi nouvelles de nos Messieurs d’Hibernie. Ils me mandent que la guerre et la pauvreté du pays leur sont de grands empêchements ; néanmoins, ayant fait une mission, le cours du peuple a été si grand qu’ils ne pouvaient suffire pour les confessions, encore qu’ils soient cinq ou six confesseurs, à cause que plusieurs des lieux circonvoisins ont accouru au bruit de la

Lettre 947. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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parole évangélique, et quelques-uns, éloignés d’environ dix lieues, ont attendu les quatre et cinq jours pour se pouvoir confesser. Je les recommande aux prières de toute votre compagnie, et particulièrement ma pauvre âme à vos saints sacrifices. Je suis uniquement, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

948. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A SAINT-MÉEN

11 mai 1647.

Monseigneur l’évêque de Tréguier (1) désire avoir pour un mois ou deux quelqu’un de notre compagnie qui le pousse et l’aide à se mettre dans ses fonctions épiscopales d’abord qu’il entrera dans son évêché, où il doit être huit ou dix jours avant la Pentecôte. Il n’a encore parlé en public que deux ou trois fois, par l’adresse de M. du Chesne, qui l’a mené exprès à une mission et l’a duit (2) dans notre petite méthode, en sorte qu’il ne veut jamais parler autrement. C’est un esprit bon, judicieux et aisé. Il a beaucoup de charité pour la compagnie, qu’il a pensée d’établir en son évêché, s’il en trouve le moyen. Il craint, s’il n’est porté par ce secours à ces exercices spirituels, comme visites, exhortations, prédications, catéchismes, etc., qu’il ne commence ni continue rien. Or

Lettre 948. — Reg. 2, p. 173.

1) Balthazar Grangier de Liverdi (1646 1679).

2) Duit, formé.

 

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je viens à vous pour ce dessein et je vous prie de vous rendre à Tréguier avant la Pentecôte et de prendre pour second le frère… je ne vous parle point de la façon qu’il est expédient d’agir avec ce bon seigneur ; l’humilité, la douceur, le zèle et le respect que Notre-Seigneur vous a donnés, feront en vous ce qu’il faudra.

 

949. — A LA MÈRE CATHERINE DE BEAUMONT (1)

De Paris, ce 19 mai 1647.

Ma très chère Mère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu vos deux chères lettres, avec beaucoup de

Lettre 949. — L. a. — Original au couvent de la Visitation de Toulouse. Mgr Douais en a donné un fac-similé dans son ouvrage La Visitation de Toulouse : Études, souvenirs et documents, Paris, 1905, in-8°.

1). Anne-Catherine de Beaumont-Carra était l’une des colonnes de la Visitation. Du monastère d’Annecy, où elle avait passé les premières années de sa vie religieuse, elle avait accompagné sainte Chantal à Bourges pour la fondation d’un nouvel établissement. Le premier monastère de Paris la mit à sa tête en 1622 et en 1625. Pendant son second triennat, elle fonda dans cette ville le second monastère, dont elle fut élue et réélue supérieure. Elle dirigea ensuite le couvent de Grenoble (1629-1635) et celui de Pignerol (1644), puis alla fonder un établissement à Toulouse (1647). C’est dans cette ville qu’elle mourut le 30 janvier 1656. La Mère Faber a écrit et Mgr Douais publié des mémoires sur le temps que la Mère de Beaumont passa à Toulouse. Nous lisons dans l’Année sainte (t. V, p. 533) : "Saint Vincent de Paul… avait conçu beaucoup de vénération pour son mérite, vénération dont la connaissance parvint jusqu’à la reine Anne d’Autriche. Cette grande princesse, à son tour, favorisa l’humble Mère de ses bontés et ne crut pas indigne de sa Majesté de l’honorer de ses visites." La sainte fondatrice de la Visitation avait souvent recours aux lumières de la Mère de Beaumont, comme le montre sa correspondance. Nous voyons par ses lettres que la Mère de Beaumont était "sèche, trop ferme et sérieuse" et que le besoin d’activité lui faisait parfois négliger ses exercices de piété.

 

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consolation, comme vous pouvez croire, ma chère Mère, et rends grâces à Dieu de ce que sa providence vous a donnée à un prélat des plus excellents de l’Église (2) et ii une ville des plus dévotes que voie le soleil, à ce que j’ai ouï dire à Monseigneur l’évêque de Lisieux (3), qui était évêque de Nantes, quand vous étiez en cette ville (4).

Vous voilà donc en notre pays, ma chère Mère, ou bien proche. Oh ! que j’en loue Dieu de bon cœur, et le prie qu’il y sanctifie de plus en plus votre chère âme et par vous celles de tant de bonnes filles que la même providence vous a destinées.

L’affaire dont votre charité me parle, ma chère Mère, je dis celui du collège de Maguelonne (5), me semble impossible, à cause qu’étant destiné pour élever des ecclésiastiques, l’on ne consentira point qu’il soit appliqué à un autre usage. Et n’importe de dire qu’il y a un grand désordre là-dedans ; l’on vous dira que le temps viendra peut-être auquel l’on le réformera. Et vous pouvez croire, ma chère Mère, que, quoique Monseigneur de Toulouse y ait eu quelque pensée d’autre fois pour nous, et que le principal du collège m’ait vu plusieurs fois pour cela, que très volontiers je m’en déporte, et louerai Dieu, si la chose peut réussir à votre souhait, et vous y offre mes petits services avec l’affection que je le puis,

2) Charles de Montchal.

3) Philippe Cospéan, évêque d’Aire du 18 février 1607 au 18 mars 1622, de Nantes du 18 mars 1622 à 1635, et de Lisieux du 25 juillet 1636 au 8 mai 1646, jour de sa mort. *Il avait administré quelque temps le diocèse de Toulouse.

4) La Mère de Beaumont, du temps où elle était supérieure du monastère de Grenoble, avait dû se rendre à Nantes pour y traiter de la fondation d’un couvent en cette ville, où elle laissa plusieurs de ses filles.

5) Collège fondé à toulouse en 1363 ; comme d’autres collèges de la même ville, il servait de maison d’habitation aux écoliers de l’Université. Sur cet établissement voir Collège de Maguelonne par M. Saint-Charles dans les Mémoires de l’Académie des Sciences inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 1883, pp. 110-128.

 

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quoique, comme je vous ai dit, la chose me paraisse impossible, selon que je vois la disposition du Conseil du roi et la suite des affaires de pareille condition. Hélas ! ma chère Mère, nous n’avons garde de ne pas vous y servir pour notre intérêt. Savez-vous bien, ma chère Mère, que nous sommes dans la maxime et dans la pratique de ne pas demander aucune fondation et que c’est Notre-Seigneur seul qui nous a établis là où nous sommes ? Et si la compagnie m’en croit, elle en usera toujours de la sorte. Monseigneur l’archevêque vous pourra dire lui-même l’indifférence avec laquelle il m’a vu agir en cet affaire ; et peut-être que nous lui avons donné sujet de penser que nous n’avions pas assez de reconnaissance de la grâce que sa bonté nous offrait, faute de ne lui avoir dit ce que je vous dis, que nous tâchons de suivre l’adorable providence de Dieu en toutes choses et de ne la pas devancer. Aidez-moi, ma chère Mère, je vous en prie, devant Dieu, à nous bien établir dans cette pratique.

Il est vrai, ma chère Mère, que j’ai prié nos chères sœurs (6) de m’excuser si je ne les pouvais plus servir de père spirituel, à cause de l’embarras auquel je suis, qui m’empêche de faire les choses auxquelles je suis obligé ; et de cette prière il y a sept ou huit mois (7) ; et Dieu sait que ce n’est pas faute d’affection, et que je n’ai jamais eu sujet de mécontentement d’elles, ains toute sorte de douceur, de bonté et de charité. Sa divine bonté sait encore que je m’écorche moi-même en faisant cela ; mais quoi ! la conscience me presse à m’arrêter à ce que je puis et à honorer la toute-puissance de Dieu par la reconnaissance de mon impuissance. Elles n’ont point encore

Les filles de la Visitation de Paris.

7). Voir lettres 866 et 873.

 

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pris personne. J’ai tâché jusques à présent de faire le nécessaire sans aller chez elles, en attendant qu’elles prennent quelqu’un. Vous pouvez croire, ma chère Mère, qu’il n’y a personne qui ait plus de pouvoir de me faire passer par-dessus mes difficultés que vous, n’était la raison que je vous ai dite, qui vous fais ici un renouvellement des offres de mes petits services, avec toute l’affection et l’humilité que je le puis, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, ma chère Mère, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A ma Révérende ma Révérende Mère Anne-Catherine de Beaumont, supérieure de la Visitation Sainte-Marie de Toulouse, à Toulouse.

 

950. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 24 mai 1647.

Je ne sais si je vous dois presser pour prendre quelque repos, puisque vous savez que le plus grand contentement que vous me puissiez désirer en ce monde consiste en votre conservation. Ayez-en donc soin, pour l’amour de Notre-Seigneur, et souffrez que je vous invite à la modération du travail, pendant que d’autres vous poussent à l’excès. Parlez hardiment de ma part ; et sans vous plaindre, dites que c’est trop.

Lettre 950. — Reg. 2, p. 218

 

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951. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

On me donna avis, le jour de Pâques, qu’une galère d’Alger était arrivée à Bizerte, et aussitôt je partis pour aller visiter les pauvres chrétiens qui étaient enchaînés. J’en trouvai environ trois cents, et le capitaine me permit de leur faire une petite mission de dix jours. J’avais pris avec moi un prêtre, qui m’aida à catéchiser et à confesser ces pauvres gens, qui firent tous leur devoir, à la réserve de quelques Grecs schismatiques. O grand Dieu, quelle consolation de voir la dévotion de ces pauvres captifs, desquels la plupart n’avaient pu se confesser depuis longtemps ! Et il y en avait qui ne s’étaient point approchés de ce sacrement depuis huit et dix ans, et d’autres même depuis vingt ans. Je les faisais tous les jours déchaîner et sortir de la galère pour venir en terre recevoir la sainte communion dans une maison particulière où je célébrais le sainte messe ; et après que la mission fut achevée, je les régalai et leur donnai pour cinquante-trois écus de vivres.

J’étais logé dans la maison d’un Turc, qui me nourrit pendant le temps que dura la mission ; et néanmoins il ne voulut jamais prendre aucun argent de moi, disant qu’il fallait faire la charité à ceux qui la faisaient aux autres ; qui est une action bien digne de remarque en la personne d’un infidèle. Ce qui vous étonnera encore davantage est que presque tous les Turcs de ce lieu-là furent tellement touchés et édifiés de cette mission, que plusieurs d’entre eux me venaient baiser le visage et les mains, et je ne doute point que votre cher cœur ne se fut pâmé de joie en voyant cela. Que si le fruit de cette petite mission de Bizerte me fut doux, le chemin pour y aller me fut bien rude et épineux ; car n’ayant pas voulu prendre des janissaires pour m’escorter, je fus rencontré par des Arabes, qui me chargèrent de coups ; et un d’entre eux m’ayant pris à la gorge, me serra si fort que je croyais qu’il m’allait étrangler ; et me tenais pour mort ; mais comme je ne suis qu’un misérable pécheur, Notre-Seigneur ne me jugea pas digne de mourir pour son service.

Lettre 951 — Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII, § 9, 1er éd p 130

 

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952. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier de mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Votre lettre a produit en moi deux contraires effets : elle m’a réjoui, parce qu’elle venait de vous, que mon âme chérit tendrement, et m’a contristé de voir qu’on ne laisse sur pied le pauvre M. Blatiron. Je crains avec raison que mal n’en advienne à sa santé, si Dieu ne le conserve, comme j’espère qu’il fera, puisque tant de travail ne se fait que par pure obéissance.

Je n’ai pas moins d’appréhension pour vous, car, au dire même dudit sieur Blatiron, vous êtes accablé de soins et le peine (1) ; mais je prie sans cesse Notre-Seigneur qu’il soit votre force en tant d’embarras et éternellement votre récompense.

Je pensais que déjà vous aviez eu du secours de Rome, en sorte que mon esprit restait soulagé du soulagement dans lequel je vous croyais ; mais pourquoi ne vient-il pas, y ayant si longtemps que j’ai prié ceux de Rome de vous l’envoyer ? Or sus, Monsieur, prions Notre-Seigneur que toutes choses se fassent au gré de sa providence, que nos volontés lui soient tellement soumises qu’entre lui et nous il n’en soit qu’une seule, laquelle nous fasse jouir de son unique amour dans le temps et dans l’éternité.

Lettre 952 — L a — Dossier de Turin, original

1) Peine, travail

 

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Je suis, dans ce désir, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

953. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Juin 1647] (1)

Monsieur,

Si votre charité avait agréable de proposer au maître. de la maison proche de Saint-Laurent qu’il se logeât au département qu’il a baillé au brasseur de bière, au cas que les dames le voulussent dédommager, cela accommoderait bien les petits enfants.

Je ne me puis empêcher de vous dire que j’ai eu aujourd’hui grande peine pour la crainte de la prédestination, sur quelque pensée que j’ai eue en l’oraison ; cela a pressé de telle sorte mon esprit qu’il m’a fait faire un acte d’acquiescement au dessein de Dieu pour mon fils et moi être à jamais objet de sa justice.

J’ai oublie de vous demander permission de communier toute la neuvaine que l’on dit la sainte messe au Saint-Esprit. Elle commença vendredi. Et me servant de la permission que votre charité m’a donnée de communier quand ma santé me le permet, j’ai aussi communié depuis ce temps-là de la neuvaine. Je ne l’ose continuer sans votre permission plus particulière, que je vous demande pour l’amour de Dieu, avec le secours dont nous avons besoin, et suis, Monsieur votre très obligée fille et très humble servante

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 953. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre a été écrite entre l’Ascension et la Pentecôte ; elle semble de même année que la lettre 937.

 

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954. A LOUISE DE MARILLAC

Mademoiselle Le Gras est priée d’envoyer ce paquet chez Madame la duchesse d’Aiguillon ; c’est pour ces bonnes religieuses. Si elle n’est en ville, l’on recommandera de ma part au Suisse qu’il l’envoie par le premier qui ira à Rueil, où elle est.

 

955. — A LOUISE DE MARILLAC

[Vers 1647] (1)

Mademoiselle,

Madame la duchesse (2) a obtenu cent écus de M. le surintendant pour ces bonnes religieuses. L’on les leur fera [porter], à la charge qu’elles s’en retournent. Faites-leur faire votre école cependant, s’il vous plaît, et voyez comme elles font. Elles ont grâce de Dieu pour cela. Ne leur dites rien, s’il vous plaît, des cent écus.

 

956. — A LOUISE DE MARILLAC

Mademoiselle,

Je verrai ces bonnes religieuses dans deux ou trois jours, Dieu aidant. Pourriez-vous pas les induire à se retirer dans leur monastère ?

Lettre 954. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

Lettre 955. — Manuscrit Saint-Paul, p. 70.

1) Cette lettre a été écrite vers la fin des troubles qui agitèrent la Lorraine.

2).L.a duchesse d’Aiguillon.

Lettre 956. — Manuscrit Saint-Paul, p. 70

 

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957. — A LOUISE DE MARILLAC

[Vers 1647] (1)

Mademoiselle,

L’intention de Madame la duchesse d’Aiguillon est que ces bonnes religieuses s’en retournent en Lorraine, et leur a fait donner cette somme en [cette] considération, et non autrement. Elle m’a envoyé pareillement deux cents livres à cette même en et trouve bon qu’elles ne portent sur elles que ce qui leur est nécessaire pour leur nourriture, et que nous leur fassions tenir à Toul tant les cent écus qu’elles ont touchés, que les deux cents livres que nous avons. Je vous supplie de leur dire qu’elles me mandent quand elles seront prêtes à s’en retourner, et qu’il n’y en a pas eu une de toutes celles qui sont venues qui en remporte tant que cela de Paris, pour le moins de ma connaissance.

 

958. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 7 juin 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce n’est que pour me consoler avec vous du secours qui vous est arrivé, ne doutant point que M. Patrice (1)

Lettre 957. — Manuscrit Saint-Paul, p. 71.

1) Cette lettre a suivi de peu de jours la lettre 955.

Lettre 958. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Patrice Valois (nom francisé de Walsh), né à Limerick (Irlande), reçu dans la congrégation de la Mission le 21 décembre 1644 à l’âge de vingt-cinq ans, ordonné prêtre en 1646.

 

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ne soit à présent à Gênes, puisqu’il est parti de Rome il y a plus d’un mois, selon que M. Portail m’écrit. Je vous prie de l’embrasser de ma part, comme je vous embrasse tous en esprit, suppliant Notre-Seigneur de nous lier de son pur amour, afin qu’ensemblement nous l’aimions uniquement, fortement et éternellement. Mon Dieu ! Monsieur, que mon âme désire La perfection de la votre ! Oui, certes, autant que son propre avancement, puisque je ne sais demander l’un sans l’autre. Je ne cesse aussi d’implorer sur vous et en vos travaux les effets d’une spéciale protection de Notre-Seigneur, qui m’a rendu invariablement, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

959. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

14 juin 1647.

Selon votre lettre, nous ne devons plus considérer Messieurs… et… (1) que comme personnes entamées de la tentation et auxquelles il n’y a plus d’assurance, le premier ayant le venin du bien temporel dans le cœur, et l’autre ayant son cœur dans la corruption de la chair et du sang. Donc attendons-en de Dieu la disposition et demeurons en paix.

Lettre 959. — Reg. 2, p. 101

1) Peut-être Pierre de Fondimare et M. de Restal. (Voir la lettre 1068)

 

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960. — A CLAUDE DUFOUR, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 15e de juin 1647.

Je ne puis vous dire la consolation que mon âme a reçue par la dernière lettre que vous m’avez écrite, et de la résolution que Notre-Seigneur vous a donnée. Certes, Monsieur, je pense que le ciel même s’en réjouit ; car, hélas ! l’Église a assez de personnes solitaires, par sa miséricorde, et trop d’inutiles, et plus encore qui la déchirent ; son grand besoin est d’avoir des hommes évangéliques, qui travaillent à la purger, à l’illuminer et à l’unir à son divin époux ; et c’est ce que vous faites, par sa divine bonté. Je fus attendri dernièrement de ce que le R [évérend] prieur de la chartreuse du Mont-Dieu (1) étant venu passer un jour entier céans pendant l’ordination, pour voir les exercices qui s’y font, il s’en trouva si touché qu’il me dit des paroles tellement avantageuses du bonheur de cet emploi, que la modestie ne me permet pas de vous les redire ; et je ne vous puis exprimer les soupirs qu’il faisait pendant le pontifical (2), entendant ce qui se disait du devoir du diacre. Je vous assure, Monsieur, que ce bon Père a plus l’esprit d’un missionnaire que moi, et que, s’il lui était permis, il sortirait de sa celle (3) pour aller annoncer Jésus-Christ au pauvre peuple et pour travailler à l’instruction des prêtres.

Travaillons-y, Monsieur, de toute l’étendue de nos forces, je vous en prie, dans la confiance que Notre-Seigneur, qui nous a appelés à sa manière de vie, nous fera plus participants à son esprit et enfin à sa gloire. Rejetez

Lettre 960. — Reg. 2, p. 292

1) Commune de l’arrondissement de Sedan (Ardennes)

2) Pendant l’explication du pontifical.

3 Celle, cellule.

 

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donc absolument toutes ces pensées ; et quand vous serez las de la résidence au lieu où vous êtes, mandez-le-moi ; je contribuerai à votre consolation en tout Ce qui me sera possible. Vous savez l’estime et l’affection que Notre-Seigneur m’a données pour vous, et que je vous chéris plus que moi-même.

 

961. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

Tunis, juin 1647.

Nous avons tant fait que de l’argent que vous m’avez envoyé, nous avons racheté cette pauvre femme française qui a souffert si longtemps la tyrannie d’un barbare patron ; c’est un vrai miracle de l’avoir tirée des mains de ce tigre, qui ne la voulait donner pour or ni pour argent. Il s’avisa un matin de m’envoyer quérir ; et comme je fus chez lui, nous accordâmes à trois cents écus, que je lui baillai à l’heure même ; et lui fis faire sa carte de franchise ; et je la menai aussitôt en lieu de sûreté. Deux heures après, ce misérable s’en repentit et il pensa enrager de regret ; c’est véritablement un coup de la main de Dieu.

Nous avons pareillement racheté un garçon des Sables-d’Olonne, qui était sur le point de renier sa foi. Je pense vous avoir écrit comment deux ou trois fois nous lavons empêché de le faire. Il écoute cent cinquante écus. J’en ai donné trente-six, pour ma part ; nous avons mendié le reste où nous avons pu.

J’ai aussi retiré cette jeune femme sicilienne qui était esclave à Bizerte, le mari de laquelle s’était fait turc. Elle a enduré trois ans entiers des tourments inexprimables, plutôt que d’imiter l’apostasie de son mari. Je vous écrivis, vers le temps de la fête dernière de Noël, le pitoyable état où je l’avais trouvée, toute couverte de plaies. Elle a coûté deux cent cinquante écus qui ont été donnés par aumônes dont j’ai contribué une partie.

Lettre 961 — Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII, § 12, 1er éd, p 139

 

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962. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 21 juin 1647.

Oui, oui, Monsieur, nous prierons Dieu pour vous et pour la réconciliation de ces personnes si fort acharnées à la vengeance, et ferons dire des messes pour cela. La mienne, si je puis, se célébrera à Notre-Dame, selon votre intention ; mais, après tout, voulez-vous pas bien agréer que nos soins et nos prières soient sans effet, si tel est le bon plaisir de Dieu ? Car, Monsieur, que serait-ce si tout nous succédait, et quelle raison avons-nous, pauvres gens que nous sommes, de prétendre à réussir toujours ? Nous en avons encore moins de nous troubler quand quelqu’un résiste à nos petites persuasions. Puisque Dieu se contente de notre bonne volonté et de nos justes efforts, contentons-nous aussi des événements qu’il leur donne, et jamais nos actions seront sans fruit. Je vous dis tout ceci sur le déplaisir que vous avez de ce qu’aucuns ne profitent pas de vos missions ; car il ne s’en faut pas étonner ; mais plutôt, Monsieur, estimons que tout va le mieux du monde quand nous n’en sommes pas satisfaits, pourvu que nous sachions nous en humilier et redoubler notre confiance en Dieu Il est pourtant vrai que nous avons sujet de louer Dieu de la continuation de ses grâces sur vous. Je l’en remercie donc et je le prie de vous conserver et dans vos forces ordinaires et dans le désir de l’avancement de sa gloire.

Lettre 962 — Reg 2, p 218

 

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9133. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 21 juin 1617

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous êtes-vous proposé quelque chose de plus exprès que de vouloir invariablement ce que Dieu veut ? Je ne le crois pas. Quel sujet donc, Monsieur, pouvez-vous avoir de perdre courage quand les choses ne vous réussissent pas ? Jusqu’à présent, vous avez grand sujet d’en remercier Dieu ; et certes, de mon côté, je vous aide à le faire de ce que je puis, tant j’ai du ressentiment des grâces qu’il vous a faites. Je sais la fidélité et le soin que vous avez pour l’œuvre de Dieu. Que vous reste-t-il donc qu’à demeurer en paix ? Il ne vous demande que cela, avec un humble acquiescement au succès qu’il y donne, lequel je ne puis douter qu’il ne soit entier en votre âme. A quel propos doncques entrer en défiance ? Vous me représentez vos misères ; hélas ! et qui n’en est plein ? Tout est de les connaître et d’en aimer l’abjection, comme vous faites, sans s’y arrêter que pour y établir le fondement d’une ferme confiance en Dieu ; car alors le bâtiment est fait sur une roche, en sorte que, la tempête venant, il demeure ferme. Ne craignez donc point, Monsieur ; vous êtes fondé là-dessus, je le sais ; car pour ces timidités ou défiances que vous sentez, elles sont de la nature et n’approchent que de loin votre cœur, qui est bien plus généreux que cela. Que Dieu fasse donc de nous et de nos emplois à son gré, que nos peines soient vainement prises à l’égard des hommes, et que les mêmes

Lettre 963 —. L s. — Dossier de Turin, original.

 

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hommes n’aient pour nous que de l’ingratitude et du mépris, nous ne laisserons, pour tout cela, de continuer nos exercices, sachant que par iceux nous accomplissons la loi, qui est d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même.

J’en demande à Dieu la grâce pour vous et pour moi, qui suis, en son amour, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de La Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

964. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Mon très honoré Père,

J’ai bien été surprise de votre partement avant que nous ayons eu les ordres nécessaires pour le partement de nos sœurs à Montreuil. N’était que les places du coche sont retenues, nous différerions ; mais ce doit être mercredi ; et que feront elles sans la bénédiction et l’instruction de votre charité, dont elles ont si grand besoin ? Si notre bon Dieu ne vous inspire de nous mander toute leur conduite, nous serons bien en peine. Je vous assure, Monsieur, que j’ai l’esprit si accablé que j’avoue que je suis cause que nos pauvres sœurs souffriront ce déplaisir.

Pour le partement de nos sœurs pour Nantes (2), nous ne

Lettre 964. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Les Filles de la Charité étaient appelées à Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais) par le comte Charles de Lannoy, gouverneur de cette ville. Louise de Marillac y envoya Anne Hardemont et Marie Lullen, du Mans, qui partirent le 26 juin, après avoir reçu les avis de leur fondatrice. (Pensées de Louise de Marillac, p. 211) Saint Vincent leur avait déjà donné les siens au conseil du 19 juin 1647.

2) Des trois sœurs qui devaient partir à Nantes nous n’en connaissons qu’une seule, sœur Jeanne Lepeintre, qui allait faire la visite des hôpitaux de cette ville et d’Angers. Saint Vincent lui avait dit au conseil du 19 juin : "Or ça, pour ma sœur Jeanne, il faudrait bien

 

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saurions du tout le taire que nous n’ayons encore eu l’avis de votre charité sur une nouvelle qui nous donne avis de ne pas changer ma sœur Cathe[rine] Ba[gard] (3), celle qui a commencé le trouble dans l’hôpital, et quelle croit qu’il faut absolument faire revenir ma sœur Elisabeth (4) et envoyer une sœur de conduite (5).

Je crois que vous savez l’arrivée de nos sœurs d’Angers, qui sont de retour, mais l’accusée paraît la plus innocente du monde. Je n’ai osé écrire à son père sans savoir de votre charité ce que nous en ferons ; je crois qu’il ne sera pas longtemps sans venir. le supplie notre bon Dieu que votre charité soit de retour en bonne santé avant ce temps-là. votre sainte bénédiction, mon Père, s’il vous plaît, pour nos sœurs et pour nous ! La sœur Marguerite Tourneton s’en alla dimanche sans dire mot, et la Mère prieure (6) m’a écrit qu’elle était allée ce matin à l’Hôtel-dieu et qu’elle l’avait reçue, demande un autre habit pour nous renvoyer le notre (7). Je n’ai point fait réponse et n’en ferai point qu’à votre retour. Dieu seul sait l’état de mon pauvre esprit sur tous ces désordres, car il semble que notre bon Dieu veut entièrement nous détruire. Je le mérite et m’étonne que sa justice diffère tant à être exécutée. Pourvu que sa miséricorde sauve mon âme, il me suffit. Obtenez-moi cette grâce par votre charité, puisque je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et très humble servante.

Ce 24 juin 1647 (8).

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la Mission.

quatre esprits ; si elle pouvait emporter celui de Mademoiselle Le Gras, cela lui ferait bien plaisir ; n’est-il pas vrai, ma fille ?"

3) La sœur Catherine Bagard était à l’hôpital de Nantes depuis la première entrée des Filles de la Charité dans l’établissement. Par sa conduite irrégulière, son mauvais esprit et les imperfections de son caractère elle avait causé bien des ennuis à ses supérieurs et à ses compagnes. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, 1. 173, 181)

4) Elisabeth Martin, supérieure des Filles de la Charité à Nantes

5) Le choix de Louise de Marillac se porta sur Jeanne Lepeinte

6) La prieure des sœurs augustines de l’hôtel-Dieu.

7) Elle se repentit de son acte, rentra et mourut l’année suivante.

8) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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965. — A LOUISE DE MARILLAC

De Fréneville, ce 26 juin 1647.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je partis si inopinément qu’il ne me fut possible de vous dire adieu ; votre bonté m’en excusera bien, comme j’espère. Je serai de retour lundi ou mardi matin, s’il plaît à Dieu. Cependant je vous supplie de me faire savoir de vos nouvelles par un de nos frères, qui partira demain pour venir ici.

Je vous envoie une ou deux lettres que j’ai reçues avant partir, mais que je n’ai pu voir jusqu’à mon arrivée en ce lieu.

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous conserve. Je me porte bien et suis entièrement, en son amour, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

966. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 26 juin [1647] (1)

Monsieur,

Nos pauvres sœurs (2) sont parties ce matin, avec grand déplaisir de n’avoir point votre bénédiction, mais néanmoins avec soumission à ma conduite de la divine Providence. Notre

Lettre 965. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

Lettre 966. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Cette date correspond au contenu de la lettre.

2). Les sœurs destinées à la fondation de Montreuil.

 

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bon Dieu veuille, par sa bonté, que votre retour soit si tôt et en bonne santé !

Toute notre pauvre compagnie est en grande douleur, étonnement et crainte pour la perte de notre sœur (3). Le murmure de chacune est à la sourdine, car personne n’en ose parler, et j’attends le retour de votre charité pour leur faire entendre de quelle sorte elles doivent regarder ce changement.

Il me semble, Monsieur, que je commence à me fortifier un peu, pourvu que rien ne me survienne ! Mais j’ai un étrange soin de moi et n’ai point de plus sérieuse occupation qu’à me faire du bien, il n’en est pas de même pour les intérêts de mon âme, quoique, par la grâce de Dieu, j’aie un peu plus de calme que quand je me donnai l’honneur de vous écrire pour faire voir à votre charité l’état de celle qui n’a autre consolation que celle du bonheur d’être, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Je pense qu’il y a quelque chose à redire à la liberté de nos sœurs de Serqueux (4).

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la Mission.

 

967. — A LOUIS SERRE, PRÊTRE DE LA MISSION, A CRÉCY

Du 2e de juillet 1647.

Lorsque ces Messieurs qui se veulent donner à la compagnie, seront en état de venir ici, nous les recevrons au séminaire, où il est nécessaire qu’ils passent, quelque bonté qu’ils aient, l’expérience nous ayant fait voir que la vertu ne prend que de faibles racines en ceux qui n’y sont que peu de temps. Et plusieurs qui nous ont paru bien réguliers dans le séminaire, pour avoir été employés

3) La sœur Marguerite Tourneton.

4) Commune de l’arrondissement de Neufchâtel (Seine-Inférieure). Les Filles de la Charité y avaient un établissement.

Lettre 967. — Reg. 2, p. 40.

 

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ailleurs trop tôt, en ont perdu leur vocation. Vous voyez donc la nécessité qu’il y a qu’ils passent par cette épreuve.

 

968. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION DE LA MAISON DE RICHELIEU

7 juillet 1647.

Vous nous avez parlé de trois filles qui postulent pour entrer à la Charité. Si elles sont propres et bien résolues, envoyez-les, s’il vous plaît ; et s’il s’en présente d’autres, écrivez-m’en, car cette petite compagnie est en disette de sujets, tant on en demande de toutes parts.

Faites ressouvenir Monsieur… de ce que vous lui avez mandé touchant les Filles de la Charité, de l’incommodité où elles sont, et combien il est à désirer qu’on assure leur petit fait.

 

969. — A LOUISE DE MARILLAC

[7 juillet 1617] (1)

Mademoiselle Le Gras est priée par les dames de la Charité d’envoyer demain dimanche, à une heure, quatre enfants, deux garçons et deux filles, avec deux Filles de la Charité au château de Bicêtre (2), avec les hardes et

Lettre 968. — Le texte de cette lettre est tiré d’un manuscrit intitulé Lettres choisies du Bienheureux. Vincent de Paul instituteur et premier supérieur général de la congrégation de la Mission. ce recueil, écrit entre 1929 et 1937, se trouve à la maison-mère des Filles de la Charité. Il est de la même famille que le manuscrit d’Avignon, en reproduit toutes les lettres dans le même ordre et ajoute une neuvième partie, qui contient dix-neuf lettres, toutes relatives à la direction des Filles de la Charité. si nous n’avons pas parlé de ce manuscrit dans l’Introduction, non plus que d’un autre recueil semblable en espagnol, possédé par les prêtres de la Mission de Madrid, c’est que nous ignorions leur existence.

Lettre 969. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date du transfert des enfants trouvés à Bicêtre

2) Il semble bien que les quatre enfants dont il est ici question furent les premiers placés à Bicêtre

 

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sans les couches des enfants, et ce qu’il faudra pour vivre le jour et le lendemain. Madame Truluy ira prendre les enfants avec un carrosse, à l’heure ci-dessus marquée, et le linge qu’il faudra, et les amènera chez Madame de Romilly, où Madame la chancelière (3) et les autres dames les iront prendre et les amèneront. Elles ont quelque raison particulière d’en user de la sorte et souhaiteraient bien que Mademoiselle Le Gras fût en état d’être de cette conduite ; mais il n’y faut pas penser, comme je crois.

 

970. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Juillet 1617] (1)

Monsieur,

Enfin l’expérience nous fera voir que ce n’était pas sans raison que j’appréhendais le logement de Bicêtre. Ces dames ont dessein de tirer de nos sœurs l’impossible. Elles choisissent pour logement des petites chambres, où l’air sera incontinent corrompu, et laissent les grandes ; mais nos pauvres sœurs n’osent rien dire. Elles ne veulent point que l’on dise la messe mais que nos sœurs l’aillent entendre à Gentilly. Et que feront les enfants en attendant ? et qui fera l’ouvrage ? Voilà ma sœur Geneviève (2) ; je vous supplie prendre la peine lui parler. Elle vous fera entendre toute la peine qu’elles ont et les prétentions des dames. Je crains bien qu’il nous taille quitter le service de ces pauvres petits enfants.

La volonté de Dieu soit faite par laquelle je suis, Monsieur votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

S’il plaît à votre charité se souvenir de nos deux dames, qui seront prêtes à faire leur confession demain matin, si cela se peut ?

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

3) Madame Séguier.

Lettre 970 — L. a.Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) Geneviève Poisson.

 

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971. — LES FILLES DE LA CHARITÉ DE LA MAISON-MÈRE

A SAINT VINCENT

Monsieur,

C’est pour avertir votre charité que deux de nos sœurs s’en sont allées ce matin sans dire mot. L’une est Perrette, revenue d’Angers, et l’autre Marguerite revenue de Fontainebleau. Nous avons envoyé au coche de Sedan, sur la pensée qu’elles y pourraient être ; mais comme notre sœur n’a pas ordre de les arrêter par force, en cas qu’elle les treuve, et Mademoiselle jugeant qu’il est nécessaire, elle supplie votre charité nous prêter un de vos frères, si vous jugez qu’il soit à propos, sinon, prendre la peine, pour l’amour de Dieu, de nous mander ce que nous avons à faire, ce qu’attendant, nous demeurons, Monsieur, vos très humbles et obéissantes servantes.

Les Filles de la Charité

Ce 23e juillet [1647] (1)

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

972. — A LOUISE DE MARILLAC

[Juillet 1647] (1)

Bénissons Dieu, Mademoiselle, de ce qu’il purge la compagnie des sujets faits de la sorte, et honorons la disposition de Notre-Seigneur, quand ses disciples l’abandonnaient. Il disait à ceux qui restaient : voulez-vous pas vous en aller après eux (7) ? Je ne vois pas ce qu’on peut faire à ces filles, quand

Lettre 971. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

Lettre 972. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Saint Vincent a écrit ces mots sur la lettre même des sœurs de la maison-mère, dont il donnait Communication à Louise de Marillac, alors à Bicêtre.

2) Évangile de saint Jean VI, 68

 

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l’on les trouvera ; nous n’avons point d’autorité de les arrêter ; elles sont libres ; laissez-les aller. Je m’en vas envoyer quelqu’un au coche de Sedan, qui ne part qu’à neuf heures. M. Gallais a n’est pas ici ; il y a dix jours, il est en Picardie. Elles n’iront pas toutes deux de ce côté-là. Il faudra donner avis au père de Perrette de ce qu’elle a fait et à Angers et à Nantes.

Je ne vois pas que vous ayez à dire quelque chose de nouveau à Jeanne Lepeintre (4), ains seulement quelques paroles de plainte de son mal (5), et d’encouragement, et aussi qu’elle fasse son possible de renvoyer C[atherine] Bagard. Et quand il en arriverait [quelque chose] (6) à la bonne heure ! Au nom de Dieu, ne [nous étonnons] de rien. Dieu fera tout pour le mieux.

 

973. — LAMBERT AUX COUTEAUX A SAINT VINCENT

A Nantes, ce 26 juillet 1647.

Monsieur,

Votre bénédiction s’il vous plaît !

Nous voici sur le point de partir de Nantes, après avoir fait les choses desquelles je m’en vais vous rendre compte. Je vous puis assurer que nos sœurs ont été beaucoup agitées ; et certes, si elles ont commis quelques petites fautes, les occasions où la Providence de Dieu les a mises ont été de grands sujets pour éprouver leurs esprits. La sœur servante s’était divisée d’avec le confesseur, et lui pareillement. Cela était ouvertement. Chacun avait son parti et au dedans et au dehors de la maison. C’est assez de vous dire cela pour

3) Guillaume Gallais avait été supérieur à Sedan, d’où était originaire la sœur Perrette ; peut-être même l’avait-il envoyée en communauté

4) Alors supérieure à Nantes.

5) Une fluxion. (Lettres de Louise de Marillac, p.323.)

6) Le mauvais état de l’original ne nous permet pas de donner comme certaine la lecture de ces mots et des mots "nous étonnons"

Lettre 973 — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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vous faire connaître tout le reste, et surtout que tout ce qui s’est dit de part et d’autre n’a point été toujours selon la vérité mais bien selon la passion.

Nous avons envoyé trois de nos sœurs : deux à Paris, qui sont les sœurs Catherine Bagard et Antoinette Larcher, l’autre à Richelieu, qui est la sœur Isabelle (1). Nous leurs avons donné jusqu’à Saumur, pour les divertir, nos sœurs Claude et Brigitte et avons mis ordre que la sœur de Turgis se treuve à la fontaine à Saumur, laquelle y sera dimanche prochain au soir pour joindre nos deux sœurs Catherine et Antoinette. Les deux autres s’en reviendront. J’ai reçu la sœur Brigitte à faire vœu. I a été nécessaire de faire ce changement non seulement de nos deux sœurs, mais aussi de notre sœur Isabelle, laquelle est une excellente fille, mais aussi qui a, par imprudence, grandement contribué à tous les petits désordres qui sont arrivés. Il reste ici encore la sœur Henriette (2), laquelle a un engagement horrible avec le bon Monsieur l’aumônier, quoiqu’il soit très innocent et en sa suite et en sa source ; car pour Monsieur l’aumônier, il est très homme de bien, et elle fille très sage. Mais cependant cela trouble cette pauvre fille, dans l’ordre que je laisse, qu’elle se prive de toute communication avec ce bon Monsieur. Il faudra un peu voir comme cela pourra prendre, et en tout cas, si elle ne peut s’en abstenir, on la pourra rappeler, quoiqu’il soit très difficile de l’arracher d’ici. J’espère pourtant que tout s’accommodera et que la sœur Jeanne Lepeintre ménagera tout.

J’ai stipulé avec ces Messieurs les pères des pauvres qu’ils iront treuver Monsieur le grand vicaire pour lui demander ou proposer un confesseur du dehors. Je l’ai fait agréer à Monsieur l’aumônier et à mondit sieur le grand vicaire. Ils m’ont de plus promis de congédier le bon frère que Mademoiselle Le Gras ou vous avez envoyé.

Voilà, Monsieur, à peu près ce que nous avons fait et j’espère de la bonté de Dieu qu’il me pardonnera le mal que j’y ai apporté, et qu’il tirera sa gloire du reste. Au reste, Monsieur, je ne vous saurais dire combien toute la petite compagnie a d’obligation en particulier au bon Monsieur des Jonchères et en général à toute sa famille, soit pour l’affection qu’il porte à nos pauvres sœurs, soit pour la bonté qu’ils ont [eue] pour notre égard pendant que nous avons séjourné ici. Nous avons été logés chez la mère de Monsieur des Jonchères.

1) Elisabeth Martin.

2) Henriette Gesseaume.

 

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Lesquels en outre sont très signalés en piété et bonté.

Ces Messieurs les pères des pauvres sont aussi pleins de bonté à l’égard de nos sœurs ; et certes si Dieu nous faisait la grâce qu’elles pussent vivre en bonne intelligence, ce serait ici un petit établissement qui sanctifierait beaucoup les filles de la Charité ; car je crois que Dieu leur fera encore longtemps la grâce de souffrir pour le dehors. Je recommande, Monsieur, ce bien à vos prières et à celles de Mademoiselle Le Gras.

Si Dieu fait la grâce à nos pauvres sœurs d’aller jusqu’à Paris, oh ! certes, il les faudra bien recevoir, car elles n’ont point fait les maux dont on les a soupçonnées ; et si le tout avait été bien conduit, je crois que la faute ne serait point tombée sur elles.

Je n’écris point à Mademoiselle Le Gras, quoiqu’elle m’ait écrit j’espère que cette lettre servira, si vous le trouvez bon, pour elle.

Je m’en vais dire adieu à nos sœurs, et à vous, Monsieur, je vous demande la continuation de vos prières. J’espère que nous serons, dans le commencement du mois d’août, à Luçon et que de la nous irons à Saintes, où nous espérons recevoir de vos nouvelles. Encore un coup votre bénédiction ; c’est à votre très humble et très obéissant serviteur.

LAMBERT,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la congrégation de la Mission au collège des Bons-Enfants, proche la porte Saint-Victor, à Paris.

 

974. — JEAN BARREAU, CONSUL A ALGER, A SAINT VINCENT

En Alger, ce 27 juillet 1647.

Par la dernière que le bon Monsieur Nouelly vous a écrite, par la voie de Gênes et de Livourne, vous avez pu savoir comme, le 26 juin dernier, le bacha (1) nouvellement arrivé m’avait fait mettre en prison pour raison du cautionnement que j’ai été obligé de faire pour les Révérends Pères de la Merci.

Lettre 974. — Ms. de Lyon, f° 208 et suiv

1) On dirait aujourd’hui pacha. Les pachas étaient nommés pour trois ans.

 

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Celle-ci est pour vous le confirmer encore et vous donner avis que j’en suis sorti le 20 du présent, par la grâce de Notre-Seigneur, avec autant de ressentiment (2) que si j’avais fait les exercices ; à quoi n’a pas peu servi l’entretien que me donna alors ledit sieur Nouelly, qui était le traité de la conformité à la volonté de Dieu, lequel il ne m’a sans doute donné que par une inspiration toute particulière, pour me préparer à l’orage qui m’est arrivé du depuis et dont je ne suis pas encore échappé.

Or le moyen dont il a plu à Notre-Seigneur [user] pour me faire sortir est tel que, la maladie contagieuse s’étant augmentée et ayant d’autant plus allumé le désir de mondit sieur à secourir les pauvres chrétiens malades, tant pour l’administration des sacrements qu’autres secours temporels, il en fut enfin frappé le mercredi 19 du présent, sur les 9 à 10 heures du matin, qu’il revint à la maison, saisi d’une grande lassitude et tout trempé de sueur ; ce qui me fut rapporté à la prison, où je fus encore. A laquelle nouvelle je me résolus d’en sortir, à quel prix que ce fut, pour l’aller secourir. Enfin, moyennant 45 piastres qu’il me fallut donner à quelques personnes de crédit auprès du roi et à quelques-uns de ses officiers, il fut ordonné que j’en sortirais, ce qui fut à l’instant exécuté. Et de cette façon je me rendis à la maison le samedi 20, sur les 3 heures après midi, où je trouvai qu’il n’était pas si extravague qu’il avait été la nuit et le matin ; ce qui me consola grandement, parce que chacun me disait que, si je ne faisais diligence pour sortir, je ne le trouverais pas en vie, s’étant fait apporter le matin le sacré viatique et les saintes huiles.

Ma présence lui donna quelque espèce de consolation, et m’embrassa d’abord fort tendrement sens me dire mot, ne me connaissant presque plus néanmoins, quelque temps après, étant revenu à soi, il me dit qu’il croyait que c’était fait de lui et qu’il croyait que Notre-Seigneur en voulait disposer, qu’il n’avait aucun regret de mourir, sinon qu’il prévoyait que les pauvres chrétiens seraient abandonnés et sans secours. Après que je l’eus encouragé le mieux qu’il me fut possible je m’informai de lui-même quel était son mal, et les remèdes qu’on lui avait donnés la nuit et le jour précédents.

Je ne m’informai point de la cause, parce que les pleurs et les gémissements des chrétiens étaient des témoignages assez assurés que le soin qu’il apportait à les secourir, et particulièrement les plus abandonnés, comme étaient ceux qui

2). Ressentiment, sentiment.

 

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étaient touchés de la peste, en était la première cause après Dieu. Et certes, je ferais une signalée injure à sa mémoire si je ne publiais ainsi qu’est la vérité. A quoi n’a pas peu contribue le peu de soin qu’il avait de sa personne, ne se donnant pas le loisir, le matin, avant que de porter le Saint Sacrement aux malades, de prendre un petit doigt de vin, ou autre chose, tant était grand le désir qu’il avait de secourir ses enfants. Et peu de temps avant sa maladie, étant à dîner avec moi dans ma prison, ainsi que c’était sa coutume, m’informant de lui quelle précaution il apportait pour se garantir du mal, qui était si violent que les malades ne duraient pas deux fois vingt-quatre heures, il me répondit qu’il n’en avait point d’autre que celui de la confiance en Dieu. Et comme je lui eus répliqué qu’à la vérité c’était un excellent remède, que toutefois Dieu ne nous défendait pas, avec celui-là, de prendre un petit doigt de vin avant que de sortir, il me répartit que, voyant qu’aussitôt qu’il avait achevé la messe, chacun sortait de la chapelle, il lui semblerait commettre une grande irrévérence s’il le laissait seul ; à quoi nous pouvons ajouter l’appréhension qu’il avait que ce mal ne pressât trop les malades et qu’il n’arrivât trop tard à leur secours. Et quoique je lui représentasse qu’il était ici extrêmement nécessaire et que, s’il ne voulait se conserver pour soi-même, il se conservât au moins pour les autres et pour moi, qui en avais si grand besoin dans l’état où j’étais, jusque-là même que j’eus la témérité de lui dire que c’est tenter Dieu que de se hasarder de la sorte, mais ce fut en vain, parce que le respect qu’il portait au Saint Sacrement et l’amour qu’il avait pour les pauvres était incomparablement plus grand que l’amour qu’il avait pour lui-même. Et tout ce que ses amis lui conseillaient n’était pas capable de diminuer l’un, ni altérer l’autre.

Ce qu’il fit encore paraître avant que de mourir. Le seigneur Ortensio Gaulteri, qui tient ici la place de vicaire général de l’évêque de Carthage, lui dit que, si Dieu lui faisait la grâce de revenir en santé, il lui défendrait, même sous peine d’excommunication, d’avoir tant de fréquentation avec les malades, mais bien de s’informer d’eux et de les assister par un tiers. Il lui répondit avec un grand soupir que cela ne pouvait être, tant était grand en lui le zèle du salut des âmes, dont voyez encore une preuve.

Environ huit jours avant sa maladie, étant venu dîner avec le Père Sébastien, religieux de Notre-Dame de la Merci (3),

3) Le R. P. Sébastien Brugière était venu à Alger en mars 1644, avec les Pères François Faure et François Faisan, ses confrères,

 

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pour lequel j’étais prisonnier, comme nous lavions nos mains, il survint un pauvre Provençal implorer son secours pour un nommé Pierre Boquit, esclave depuis 25 ans et qui aidait à porter les morts en terre, et le pria de le venir confesser. Soudain, quittant la serviette, il le suivit, préférant le bien de l’âme de ce pauvre chrétien à son propre besoin et nécessité.

Je ne vous rapporte pas cet exemple comme le seul, mais comme ordinaire et quotidien. Combien de fois l’avons-nous vu, tout trempé de sueur après avoir été en course toute la matinée, chercher quelque prise, ainsi appelait-il cet exercice, pensant se donner une petite demi-heure de repos, qu’aussitôt il rentrait dans la maison d’un autre chrétien, qui demandait secours pour un autre, et y volait à même temps, sans aucune remise. Je vous puis assurer que ce n’était pas en vain qu’il donnait à cet exercice le nom de course, parce qu’il y allait avec autant d’ardeur, et plus encore, que ne font les corsaires d’Alger pour attraper quelque vaisseau marchand. Et comme ils n’ont exception de personne et qu’ils prennent tout ce qui s’y trouve indifféremment, ainsi le faisait notre bon corsaire, car il n’y avait espagnol, italien et autre nation qu’il ne tâchât de gagner à Notre-Seigneur et mettre en bon état.

Sa maladie commença avec une grande douleur d’estomac et de reins, avec une grande lassitude jusqu’aux extrémités, qui lui causèrent une fièvre si violente que chacun croyait qu’il ne passerait pas le jour. Ensuite il eut quelques vomissements, qui donnèrent aussitôt à connaître la qualité de sa maladie.

pour s’occuper de la rédemption des captifs. Les sommes qu’il avait en mains lui permirent de payer la rançon de deux cents esclaves. Quatre-vingt-seize autres chrétiens furent délivrés, moyennant promesse de 8 990 piastres et l’échange de vingt-deux Turcs. Retenu en otage à Alger, tandis que ses confrères retournaient en France pour s’y procurer les sommes promises, qu’ils ne trouvèrent pas, il dut recourir à des emprunts onéreux, au taux de 50 p. 100, afin de contenter les plus exigeants de ses créanciers. Ses dettes s’accumulèrent. En mai 1645, un renégat français, qui lui réclamait vainement cinquante piastres sur le prix d’un esclave, se précipita sur lui, un couteau à la main, prêt à le tuer. Le Père Sébastien s’enfuit et tomba si malheureusement qu’il se rompit deux côtes et s’écrasa la rate. Les plaintes affluant à la douane de la ville, il fut saisi, condamné, jeté dans une affreuse prison, où il resta deux mois ; puis, comme sa santé donnait des inquiétudes, il reçut l’autorisation d’aller habiter la maison du consul français, à condition de n’en pas sortir. C’est là qu’il se trouvait ! le 25 novembre 1645, quand il fit devant François Constans, chancelier du consul d’Alger, la déclaration dont la Revue africaine a publié le procès-verbal dans son tome XXXV, sous ce titre Certificat des souffrances du Père Sébastien.

 

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Cette fièvre qui dura jusques au dimanche au soir, avec de grandes inquiétudes et rêveries et quelques sueurs extraordinaires, qu’il eut tout le dimanche, qui lui diminuèrent la fièvre. Sur le soir, il revint en son bon sens, en telle sorte que nous le croyions hors du danger de mort. Je le veillai la nuit et comme je fus seul avec lui, j’eus le bonheur de jouir, l’espace de deux ou trois heures, de sa conversation, pendant laquelle il me donna quelques avis pour me gouverner dans ce pays, dans le temps que je serai seul. Là il me fit voir la consolation que reçoit une âme qui meurt dans les fonctions de sa vocation. Il me témoigna une très grande constance à recevoir la mort, à laquelle il s’était attendu dès lors que nous nous embarquâmes à Marseille pour venir en cette ville, et ainsi qu’il me le dit plusieurs fois, d’être brûlé et empalé, avec une parfaite résignation à la volonté de Dieu, mais avec une tendresse si grande que je souhaitais être en sa place.

Enfin, le lundi au matin, la fièvre lui redoubla ; et vous remarquerez que cette journée fut si fâcheuse, à l’occasion d’une petite pluie, qui dura un quart d’heure, après un an de sécheresse, que l’on dit qu’il mourut 8250 personnes. Au commencement donc du mauvais temps, qui commença environ sur les deux heures après midi, il retourna à l’agonie, avec des grands efforts et violences. Il se tenait assis sur son lit et, le crucifix à la main, il se figurait être en chaire pour prêcher. En cet état, il prononçait quelques paroles que nous ne pouvions entendre. De temps en temps je lui faisais baiser le crucifix et dire Sancta Maria, etc., ou Maria mater, etc., mais je ne puis vous exprimer avec quelle ardeur et affection il les exprimait du mieux qu’il savait. Après avoir demeuré en ces efforts environ une heure, les forces lui manquèrent ; sa chaleur le quitta peu après, et après un demi-quart d’heure de tranquillité il expira, ou plutôt s’endormit tant il passa doucement. Voilà à peu près le progrès de sa maladie.

Aussitôt qu’il fut expiré le bruit de sa mort s’épandit si fort par la ville qu’en même temps toute la maison fut remplie de chrétiens tant français, italiens, espagnols, que d’autres nations, qui témoignaient par leurs larmes que la perte qu’ils faisaient leur était bien sensible et, après quelque prière qu’on leur fit de se retirer, à cause du mauvais air, il n’y eut aucun moyen. Enfin nous le portâmes en terre dans un lieu qu’on appelle Bab-Azoun (4), sur le rivage de la mer, où il fut mis auprès du défunt Père Lucien (5). Là assistaient sept à

4) Porte du ruisseau. C’est là qu’était le cimetière des chrétiens.

5) Dans son premier voyage à Alger, en janvier 1643, le Père

 

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huit cents chrétiens de diverses nations, tous les larmes aux yeux, comme aussi plusieurs Turcs, desquels il était encore fort regretté, à cause du secours qu’il donnait à leurs esclaves dans leurs maux, ce qui ne me donnait pas peu de consolation, dans l’état où j’étais. Et certes, ils auraient été bien ingrats s’ils ne lavaient fait. Il s’était acquis du crédit parmi eux par les grâces particulières que Dieu lui avait données pour toucher le cœur de ces barbares à être portés de compassion envers leurs esclaves.

Il entrait aussi librement dans leur maison comme il aurait fait dans la notre ; et la bénédiction que Dieu donnait à ses travaux par la convalescence de quelques-uns, le faisait passer pour médecin ; et sous ce manteau il allait librement visiter, consoler et assister les pauvres chrétiens, pour cachés qu’ils fussent, et leur administrait les sacrements en présence de leurs patrons, à qui il donnait à entendre que c’étaient des remèdes ; en quoi il ne les trompait aucunement, puisqu’ils opèrent plus efficacement que ceux du corps.

Après lui avoir donné les derniers devoirs, nous pensâmes à conserver le reste et à apporter le soin et la diligence qui fût possible. Le R. P. Sébastien Brugière, religieux de Notre-Dame de la Merci, me conseilla de faire des parfums de brûler beaucoup de bois de senteur dans la maison et particulièrement dans la chambre où il était mort.

Le lendemain de sa mort, je me trouvai saisi d’une grande défaillance de cœur, avec des sueurs extraordinaires sans aucun repos ; et l’imagination, qui était encore plus blessée, me figurait déjà que j’étais mort, et, dans cette pensée, je commençai à disposer de toute chose comme si je devais mourir le jour même. Cela fait, je commençai à me détacher de toutes les choses de la terre et me remettre entre les mains de notre bon Dieu. C’est la où je me ressouvins de ce que l’avais lu, dans la prison, du traité de la conformité à la volonté de Dieu. Et quelquefois, faisant réflexion à l’inspiration qu’avait eue feu M. Nouelly de me donner ce traité, je me figurai que c’était un effet de sa divine et singulière prudence, par laquelle il me voulait disposer à recevoir la mort avec patience, quoique destitué de mon principal secours, éloigné de mes plus

Lucien Hérault trinitaire, avait racheté quarante-huit esclaves. De retour dans cette ville en 1645, il fit de nouveaux rachats et se donna comme caution. Comme l’argent promis tardait à venir, il fut mis en prison. Il succomba bientôt après, le 28 janvier 1646. Son corps fut inhumé hors la ville, au cimetière des chrétiens, qui était près de la porte de Bab-el-Oued. (Dan, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, p.136.)

 

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proches ou intimes amis, sans aucune consolation, dans un pays où j’ai été si vivement persécuté. Néanmoins je ressentais en moi-même que toutes ces considérations me donnaient davantage de courage, me croyant d’autant plus conforme a sa volonté, qui l’ordonnait ainsi. Il y a toutefois apparence, depuis un jour, qu’il me veut garder pour une autre occasion.

Le lendemain de sa mort, il fut chanté un service solennel dans le bain (6) du roi, où se trouva quantité de monde, autant que le lieu et le temps le pouvaient permettre Là il fut prononcé une oraison funèbre par le R. P. Pierre, religieux de Notre-Dame-des-Carmes, qui traita fort amplement de la cause de sa maladie ; et puis étant tombé sur le psaume Beatus qui intelligit super egenum et pauperem, il exagéra *tant le secours qu’il avait porté tant aux ecclésiastiques qu’aux séculiers, qu’il le fit passer pour un saint. Deux jours après, il en fut chanté un autre dans le bain de Cheleby (7), où fut aussi prononcé une oraison funèbre par le R. P. Ange, religieux de Saint-François, qui prit pour son sujet le deuil que fit autrefois saint Jérôme sur la mort de sainte Paule et sur ce qu’il est rapporté in morte ejus omnes defecisse virtutes. Il s’est fort étendu sur sa charité envers les pauvres chrétiens ; sa douceur et affabilité, n’étant jamais parti aucun chrétien d’avec lui qu’il n’ait été satisfait ; sa modestie, par laquelle il gagnait les cœurs d’un chacun ; ainsi des autres.

Entre les personnes qui l’ont charitablement et cordialement secouru, je ne puis vous cacher le zèle du R. P. Sébastien et celui du R. P. Corse, directeur dudit défunt, qui l’ont assisté jusqu’au dernier soupir et ne l’ont jamais abandonné, quelque danger qu’il y ait eu. Je serais ingrat envers le nommé Gabriel Mirsane, chirurgien de La Flèche, en Anjou, pour le rachat duquel Madame la duchesse d’Aiguillon m’a donné ordre jusqu’à la somme de 500 livres, le soin et la diligence duquel ne se peuvent dire, ni l’assiduité avec laquelle il l’a gardé ayant toujours couché dans la maison pour être plus prompt à son secours.

C’est dans cette occasion où j’ai éprouvé la fidélité des nommés René Duchesne, pauvre gentilhomme du Poitou (8), qui vogue depuis douze ans à la galère et demeure dans la maison depuis un an à nous servir d’écrivain, et de Jean Benoît, qui

6) Bain, bagne.

7) Patron du bagne.

8) René Duchesne, né à Saint-Juire-Champgillon (Vendée) en août 1607. Il entra dans la congrégation de la Mission le 16 février 1654, comme frère coadjuteur et fit les vœux ; le 1er novembre 1658.

 

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nous sert de cuisinier depuis le même temps. A l’envi l’un de l’autre, c’était à qui témoignerait plus d’affection. Il a aussi été secouru par trois autres chrétiens nommés Jean Petit, de Boulogne, Lépine, de Picardie, et Guillaume Mobavec, de l’évêché de Coutances, lesquels nous ont secourus et continuent encore leurs services.

Voilà à peu près le succès de ce qui est arrivé en Alger en la personne de feu M. Nouelly ; je dis à peu près, parce que j’aurais trop à faire si je voulais spécifier les services qu’il a rendus aux pauvres nécessiteux et malades. Ils étaient trop considérables devant Dieu pour en différer la récompense.

Pour moi, je rends grâces à Dieu de ce qu’il m’a encore donné le temps de faire pénitence. Ceci soit à la plus grande gloire de Dieu, comme je le pense et que la vérité est telle que j’ai l’honneur de me dire, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

BARREAU.

 

975. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1)

Nous avons ici un petit garçon de Marseille, âgé de treize ans, lequel, depuis qu’il a été pris et vendu par les corsaires a reçu plus de mille coups de bâton pour la foi de Jésus-Christ qu’on voulait lui faire renier par force. On lui a, pour ce même sujet, déchiré la chair d’un bras, comme on ferait une carbonnade pour la mettre dessus le gril ; après quoi, ayant été condamné à quatre cents coups de bâton, c’est-à-dire à mourir ou à se faire turc, j’allai promptement trouver son patron ; je me jetai trois ou quatre fois à genoux devant lui les mains jointes, pour le lui demander. Il me le donna pour deux cents piastres ; et, n’en ayant point, j’empruntai cent écus à intérêt, et un marchand donna le reste.

Lettre 975 — Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII § 12, p 140

1) Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis

 

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976 A ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS

30 juillet 1647.

Monseigneur,

Voici vos bons religieux de Chancelade qui s’en retournent avec leur arrêt. Ils ont fait des merveilles en la sollicitation de cet affaire et donné grande édification à tous ceux avec lesquels ils ont traité. Il y a une clause dans l’arrêt qui vous donne beau jour pour obtenir l’érection de votre congrégation. Le Conseil ordonne que les religieux de Chancelade, Sablonceaux (1) et Saint-Girard (2) vivront sous la direction du supérieur ou l’abbé dudit Chancelade, qui est, à proprement parler, l’érection d’une congrégation entre ces trois maisons. Et pource que le magistrat temporel ne peut donner la juridiction spirituelle requise à un supérieur de plusieurs maisons, et qu’il faut qu’elle soit donnée par le Pape, en qui réside ce droit, les religieux desdites maisons doivent retourner à Sa Sainteté, pour lui demander, en faveur de l’abbé de Chancelade, l’autorité de diriger spirituellement les trois maisons susdites. Et pource que ledit sieur abbé de Chancelade, évêque de Cahors, a fondé une maison dans le diocèse dudit Cahors, pour vivre sous la direction du supérieur ou abbé de Chancelade (3) et qu’il y a plusieurs autres maisons du même Ordre qui

Lettre 976. — Reg. I, f° 2, copie prise sur la minute, qui était de la main du saint.

1) Petite localité de la Charente-Inférieure. Alain de Solminihac y avait envoyé deux de ses religieux, à la demande de M de Sourdis, archevêque de Bordeaux, abbé commendataire de l’abbaye.

2) A Limoges.

3) L’évêque de Cahors venait d’appeler dans cette ville, le mois précédent, douze chanoines réguliers de la réforme de Chancelade. Trois d’entre eux, parmi lesquels leur supérieur, qui était le R. P. Garat, étaient hospitalisés à l’évêché ; cinq ou six logeaient dans une maison de louage, au faubourg de la Barre ; les autres devaient

 

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demandent à vivre sous la direction dudit supérieur de Chancelade, l’on supplie Sa Sainteté d’ériger en congrégation l’union desdites 3 maisons faite par le Conseil du roi, pour vivre sous la direction dudit supérieur de Chancelade, et d’attribuer à ladite congrégation les droits et privilèges attribués aux autres congrégations religieuses, avec pouvoir de recevoir en ladite congrégation les maisons non réformées, ni d’autre congrégation, de l’Ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, qui demanderont être unis à icelle, conformément à ce que [dit] le saint concile de Trente, qui ordonne que les maisons religieuses qui ne sont d’aucune congrégation, seront tenues de s’unir en corps de congrégation.

Voilà, Monseigneur, mes petites pensées sur le sujet de cet affaire. Et pource que la présence d’un homme presse le succès d’un affaire et le fait réussir plus tôt et plus assurément, je pense que la chose mérite que vous y envoyiez quelqu’un qui ne paraisse pas là avec l’habit, en sorte que la chose soit plus tôt faite que les explorateurs qu’on tient de delà n’en soient avertis.

L’on dit que Mgr l’évêque du Puy (4) doit aller à Rome pour la béatification du bienheureux évêque de Genève, à cet automne ou au printemps ; si cela est, je le prierai de travailler à cela.

Voilà, Monseigneur, ce que je vous puis offrir, et mon pauvre cœur, que je plie en cette lettre, avec laquelle je le vous envoie, qui suis, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l. M.

aller en mission toute l’année, sauf à l’époque des moissons. Quelques années après, ils s’établirent aux Cadurques, dans un bâtiment que l’évêque de Cahors avait fait bâtir pour eux.

4). Henri de Maupas du Tour (1641-1661).

 

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977. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION,

[1647] (1)

Nous n’avons rien de nouveau, sinon la mort de Monsieur Aulent, qui était supérieur de notre maison de Toul, où il a fini ses jours avec des marques presque infaillibles de son bonheur éternel. Aussi a-t-il vécu en véritable serviteur de Dieu et aussi saintement qu’un véritable missionnaire puisse faire. Je n’en puis dire le détail ; mais vous pouvez vous le représenter en vous imaginant un homme en qui on ne peut remarquer des défauts et qui est dans la pratique de toutes les vertus. Cela se peut dire de lui sans exagération, et je vous le dis avec grand sentiment de douleur de la perte que la compagnie a faite en lui. Dieu nous fasse la grâce de l’imiter, et à moi celle d’obtenir miséricorde par ses prières et par les vôtres !

 

978. — JULIEN GUÉRIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1)

Je ne puis m’empêcher de vous faire savoir ce qu’un Turc me dit ces jours passés, pour la confusion des mauvais chrétiens. Je m’efforçais de réconcilier deux chrétiens qui se voulaient mal l’un à l’autre ; et comme il voyait que j’avais de la peine à les accorder, il me dit devant eux en sa langue. "Mon Père, entre nous autres Turcs il ne nous est pas permis de demeurer trois jours mal avec notre prochain, encore bien

Lettre 977 — Ms. de Lyon.

1) Année de la mort de M. Aulent.

Lettre 978. — Abelly, op cit, 1. II, chap. I, sect. VII, § 8 1er éd. p 124

1) Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis.

 

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qu’il eût tué quelqu’un de nos plus proches parents." Et en effet, j’ai plusieurs fois remarqué cette pratique parmi eux, les voyant s’embrasser incontinent après qu’ils s’étaient battus. Je ne sais pas si l’intérieur répondait à l’extérieur ; mais il n’y a point de doute que ces infidèles condamneront, au jour du jugement, les chrétiens lesquels ne veulent point se réconcilier ni intérieurement, ni extérieurement ; et en retenant leur haine au dedans de leurs cœurs contre leur prochain, la témoignent encore au dehors avec scandale et mémé se glorifient de la vengeance qu’ils ont prise ou qu’ils désirent prendre de leurs ennemis. Et cependant ces gens, que nous estimons des barbares, tiennent à grande honte de retenir dans leurs cœurs aucune haine et de ne vouloir pas se réconcilier avec ceux qui leur ont fait du mal.

 

979. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Bicêtre, août 1647] (1)

Monsieur,

Je m’excusai hier à Monsieur Le Roy de vous faire un message de sa part, et pense vous devoir dire néanmoins tout ce qu’il m’avait dit et que je lui avais réparti ; ce qu’il me serait bien difficile de vous mander. Mais le principal est qu’il fait état que c’est lui qui est le directeur et administrateur de l’hôpital des enfants ; et comme tel, il prétend y aller faire l’instruction quand bon lui semblerait, y mettre un prêtre et en avoir tout le soin spirituel ; que l’on lui ferait plaisir de lui treuver un prêtre et lui présenter [pour] qu’il l’approuve ; et que de cela il était plus jaloux que d’un évêché ou cardinalat ; que si l’on lui déniait, qu’il irait faire ses plaintes à Monsieur le procureur général (2) et se démettrait de l’administration que l’on lui avait donnée.

Je fis l’étonnée de ce qu’il n’avait point parlé de cela plus tôt, lui disant que ces dames (3) avaient toujours eu égal souci jusques à présent du spirituel comme du temporel, comme il parait par les baptêmes, confessions à Pâques et instructions pour la première communion, de leur faire dire la sainte messe, tant pour les enfants que pour les nourrices, et que

Lettre 979. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau

2) Blaise Méliand (1641-1650).

3) Les dames de la Charité.

 

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je croyais que Messieurs du chapitre s’étaient entièrement déchargés de toute la conduite de cette œuvre sur le soin de ces dames, à la réserve des douze cents livres dont elles leur rendaient compte ; et que, depuis plus de cinquante ans que Messieurs du chapitre avaient ce soin, qu’il ne paraissait point autre administration que celle de ladite somme ; que néanmoins je parlais sans avoir entendu parler de tout cela aux dames, que je voyais très peu ; et seulement ce que je lui en disais était dans le sens commun. Il se plaignit de n’avoir été averti de Bicêtre. Je lui représentai que je croyais que les dames n ; en eurent pas seulement la pensée de le devoir faire, et que cela fut extrêmement précipité. Il me dit quantité d’autres choses, et moi à lui, que je ne puis mander ; il ne manqua pas de m’alléguer la réponse de ma sœur Geneviève (4) à ces Messieurs sur leur demande, et lui fis entendre comme quoi elle le disait.

Si quelque bonne personne pouvait obtenir de la reine cette place pour un établissement de la Mission, l’on empêcherait beaucoup de contradictions, et ferait-on un grand bien.

J’oubliais à vous dire que, sur mon refus de vous parler, Monsieur Le Roy se résolut d’aller trouver ces dames et leur parler fortement.

S’il plaît à votre charité prendre la peine de voir la lettre de Mme de Romilly, je l’enverrai, si vous le treuvez bon. Bénissez-nous, s’il vous plaît, et me croyez, Monsieur, votre très obéissante servante et très obligée fille.

L. DE MARILLAC.

Me venant en l’esprit la grande nécessité, je lui dis que je crois que bientôt les dames seraient contraintes de remettre tout l’œuvre à qui le pourrait faire. Nous fûmes toujours bons amis, car je lui parlai comme neutre.

Je pense qu’il serait nécessaire de penser au vin au plus tôt.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

980. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

A Toulouse, ce 20 août 1647.

Monsieur,

J’ai reçu celle que vous avez pris la peine de m’écrire du

4) Geneviève Poisson.

Lettre 980. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

 

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4 courant. Il n’y a rien à dire aux commissaires que vous avez nommés pour l’affaire de mes religieux.

Depuis que Monsieur l’abbé d’Estrades a été nommé à l’évêché de Périgueux, je n’ai cessé de l’exhorter, prier et presser d’apporter toute la diligence qui lui serait possible pour avoir promptement les bulles et s’en aller dans son diocèse. Enfin, voyant par ses lettres qu’il se laissait conduire par le mouvement de son frère, qui était de les obtenir gratis et de n’en presser l’expédition qu’autant qu’il l’espérait obtenir par cette voie, je lui écrivis en ces termes, il peut y avoir deux mois, que je le priais de proposer cette vérité à M. son frère, de laquelle il ne devait pas douter, que, depuis le temps qu’il demande le gratis pour les bulles, il y a plusieurs âmes de ce diocèse qui sont damnées, qui ne le seraient pas s’il y eut été, que jusques au temps qu’il obtiendra ses bulles gratis plusieurs se damneront, qui se sauveraient s’il était dans son diocèse ; s’il en veut répondre à Dieu, que je ne le croyais pas ; et quand M. son frère en voudrait répondre, s’il en serait déchargé devant Dieu ; que je lui écrivais cela avec un ressentiment sensible, etc. Cinq semaines ou environ après, il m’écrivit qu’il était résolu de pourvoir au diocèse de Périgueux d’une fa, con ou d’autre et qu’il en traite avec Monseigneur de Condom (1) pour avoir sa démission. Et peu de jours après, il m’écrivit que ledit traité était conclu, qu’il baillait son abbaye au neveu de mondit seigneur de Condom, lequel lui baillerait la démission de sondit évêché, avec la réserve de douze mille livres de pension, et me priait de vous en écrire pour vous prier de faire accepter ladite démission ; ce que je fais, puisqu’il le désire, quoique je croie qu’il n’en soit besoin, sachant assez l’affection avec laquelle vous souhaitez que ce désolé diocèse de Périgueux soit promptement rempli d’une personne qui ait les qualités requises pour le régir. L’on craint que M. le neveu de Monseigneur de Condom y aspire ; de quoi on a désiré que je vous donnasse avis, afin que, si cela est, vous vous y opposiez autant qu’il vous sera possible. C’est celui qui avait traité avec Monseigneur l’évêque d’Agde (2) pour l’évêché de Bayonne, duquel vous le jugeâtes indigne pour une action qu’il fit sortant de faire les exercices de chez vous, indigne de sa profession.

On a rapporté à Monseigneur l’évêque de Valence (3) que vous vous étiez employé pour lui dans le Conseil de conscience,

1) Antoine de Cous, mort le 15 février 1648.

2) François Fouquet, transféré de Bayonne à Agde en 1643.

3) Charles-Jacques de Gelas de Leberon

 

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de quoi il se sent fort votre obligé. Il vous prie, et moi avec lui, de continuer à lui rendre vos bons offices dans le Conseil près son Éminence (4) afin qu’elle lui donne moyen d’aller faire avec liberté ses fonctions dans son diocèse. Il est bien facile de trouver de bons gouverneurs de villes, mais très difficile de trouver de bons évêques, zélés pour le salut des âmes comme lui. Et puisque ce gouverneur ne peut se contenir de commettre des violences contre lui ou ses officiers, il est bien juste et plus raisonnable qu’on baille quelqu’autre emploi à ce gouverneur que non pas d’obliger mondit seigneur de Valence à quitter son diocèse.

Il y a deux mois que je suis ici à poursuivre ce grand affaire duquel je vous ai parlé, contre Monseigneur le comte de Rastignac, mon hommager (5), sans avoir pu avoir arrêt ; et possible ne l’aurai de ce parlement, tant il y a de chicanes dans la justice Que je l’aie ou non, je me retirerai dans peu de jours dans mon diocèse. Ce qu’attendant, je suis, Monsieur, etc.

ALAIN DE SOLMINIHAC,

év. de Cahors.

 

981. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Bicêtre, 22 août 1647] (1)

Monsieur,

Je pense, si votre charité le treuve bon, qu’il est à propos que je ne m’en retourne point que je ne laisse ici une maîtresse d’école en train d’apprendre à coudre et à lire les enfants, au cas que rien ne me presse d’aller à la maison ; et pour cela, Monsieur, j’ai une très humble supplication à faire à votre charité, pour l’amour de Dieu, qui est de prendre la peine de visiter nos cinq sœurs que j’ai laissées en retraite, sans les avoir beaucoup servies, et je leur avais fait espérer de retourner ce soir ou demain du matin. Il y en a une de St-Germain-en-Laye, une de Nanteuil (2), une du village d’Issy et celle que je crois qu’il nous faudra renvoyer à St-Denis, ne pensant pas qu’elle nous soit propre. Les autres sont extrêmement pressées

4) Le cardinal Mazarin

5) Jean-François Chapt, marquis de Rastignac, maréchal des camps et armées du roi

Lettre 981. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le frère Ducournau a ajouté au dos de la lettre : août 1647. Le post-scriptum permet de préciser le jour.

2) Nanteuil-le-Haudoin.

 

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de s’en retourner, et il faudrait, au plus tard, que ce fût samedi prochain. La cinquième est celle que je destine pour une des maîtresses de nos petits enfants.

J’ai pensé, Monsieur, qu’il serait bien nécessaire que votre charité nous donnât promptement un ecclésiastique, pour deux raisons : l’une, pour qu’il instruise les garçons ; et l’autre est, Monsieur, qu’il. me semble que le premier qui sera en possession d’y pourvoir y demeurera.

Il nous est mort, ce matin, un enfant. J’ai pris la liberté de faire prier le bon prêtre qui le viendra enterrer, que, si ce n’est sa commodité de venir l’enterrer sur le soir, qu’il nous fasse la charité de nous venir demain dire la sainte messe par même moyen.

Si vous jugiez nécessaire que nos sœurs vous allassent treuver pour vous parler chez vous, plutôt que de ne leur point parler, je supplie très humblement prendre la peine le mander. Ce serait néanmoins une grande consolation à toute la famille que ce fût au logis.

Si votre charité est d’avis que nos sœurs aillent parler à Monsieur le procureur général (3) pour lui ramentevoir (4) les nécessités qu’elle lui a représentées, je crois qu’il faudrait que ce fut ma sœur Geneviève (5), les autres ne font pas si bien. Il serait nécessaire de lui représenter qu’il, faut faire la provision d e bois entièrement.

Nos dames n’ont point pensé de disposer un lieu pour l’école. Nous en avons vu un qui serait bien propre en bas, pour les garçons, qu’il faut séparer des filles ; il n’y parait avoir à faire que la porte et fermer les fenêtres ; et celle des filles, l’on la fera en haut. Je voudrais bien que nous eussions de ces écriteaux alphabétiques ; nous les mettrons contre les murailles ; c’est la méthode des Ursulines de quelque lieu. Je ne dis pas pour l’écriture, car je ne pense pas qu’il soit expédient que les filles apprennent à écrire.

Il est vrai, mon très honoré Père, qu’il y a sujet d’espérer beaucoup de bien de cette œuvre, s’il plaît à notre bon Dieu y continuer ses saintes bénédictions. Je vous demande de tout mon cœur, pour son saint amour, la vôtre, pour l’accomplissement en moi de sa sainte volonté en ce sujet, et suis, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante

LOUISE DE MARILLAC.

J’ai oublié de vous demander permission de faire maigre

3) Blaise Méliand.

4) Ramentevoir, rappeler.

5) Geneviève Poisson.

 

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demain, qui est vendredi, et jeûne, à cause que je pense le pouvoir. Je le ferai, si votre charité ne me le défend.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

982. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Mon cœur, encore tout plein de joie de l’intelligence qu’il me semble que notre bon Dieu lui a donnée de ces mots Dieu est mon Dieu, et du sentiment que j’ai eu de la gloire que tous les bienheureux lui rendent en suite de cette vérité, ne peut s’empêcher de vous parler ce soir et de vous supplier à m’aider à faire usage de ces excès de joie, et de m’enseigner quelque pratique pour demain, jour du saint que j’ai l’honneur de porter le nom (1), jour de la rénovation de mes vœux (2), souhaitant, et pour l’un et pour l’autre, entendre de vous la sainte messe, s’il plaît à votre charité me mander l’heure, comme je l’en supplie très humblement, dans l’espérance, mon très honoré Père, que vous savez que tout ce que je suis est entre vos mains, pour être donné à ce bon Dieu, de qui l’amour m’a, par sa grande miséricorde, fait être votre très humble et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Ce soir saint Barthélémy 3.

Lettre 982. — L. a. — Original au séminaire de Saint-Sulpice à Paris.

1) Saint Louis, roi de France, dont la fête est le 25 août.

2) Le 4 mai 1623, Louise de Marillac avait fait vœu de rester dans l’état de viduité, si elle survivait à son mari. (Cf. Pensées de Louise de Marillac, p. 6) Ce vœu, elle le renouvelait tous les ans à pareil jour (cf. Gobillon, op. cit, p. 27), le premier samedi de chaque mois (cf. Pensées, p. 4) et aux principaux anniversaires. Elle y avait ajouté plus tard celui de se consacrer au service des pauvres.

3) 24 août.

 

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983. — A LOUISE DE MARILLAC

[25 août] (1)

Béni soit Dieu, Mademoiselle, des caresses dont sa divine Majesté vous honore ! Il faut les recevoir avec respect et dévotion, et en la vue de quelque croix qu’il vous va préparant. Sa bonté a accoutumé de prévenir les âmes qu’il aime, de la sorte, quand il désire les crucifier. Oh ! quel bonheur d’avoir une providence si paternelle de Dieu sur soi, et que cela vous doit augmenter la foi, la confiance en Dieu et à l’aimer plus que jamais ! Faites-le donc, Mademoiselle. L’action que vous devez faire aujourd’hui vous en dira beaucoup. Je participerai à votre consolation, comme je me propose de le faire à votre croix par le saint sacrifice que j’espère lui présenter aujourd’hui, entre huit et neuf.

Bon jour, Mademoiselle.

V. s. V. D.

 

984. — A JEAN FRANÇOIS DE GONDI, ARCHEVÊQUE DE PARIS

3 septembre 1647.

Monseigneur,

Voici un renouvellement que je vous fais du vœu de mon obéissance, avec toute l’humilité et l’affection que je le puis. Je vous supplie très humblement, Monseigneur,

Lettre 983. — L. a. — Original au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris.

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle elle est écrite.

Lettre 984 — Reg. 1, f° 63 v°, copie prise sur l’original, qui était de la main du saint.

 

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de l’avoir agréable, comme aussi la très humble prière que M. Ribier, présent porteur, vous va faire touchant l’union de son prieuré de *Bruyères-le-Château (1) Il y a trois raisons, Monseigneur, qui semblent demander cela à votre bonté, outre celle de ce que nous sommes vos pauvres petites créatures, dont la première est le long temps qu’il y a que mondit le prieur a cette volonté, car il y a 6 ou 7 ans, outre que M. son feu père lui donna ce conseil en mourant ; la seconde est notre besoin, à cause de la surcharge de nos emplois : d’un séminaire de 40 prêtres externes que nous avons aux Bons-Enfants, qui ne paient qu’environ le tiers de ce qu’ils dépensent, sept sols par jour ; celle des ordinands, qui s’en va redoubler par la réception de tous ceux qui prendront les ordres mineurs de votre diocèse, que vous, Monseigneur, avez trouvé bon que nous prenions ; et la troisième est, Monseigneur, que ce bénéfice est à la collation de l’abbé de Saint-Florent-lez-Saumur (2), et non de vous, Monseigneur ; de sorte que vous n’ôtez pas aucune chose des droits de votre dignité. Ajoutez à cela, Monseigneur, que ce nous sera une station pour ceux de la compagnie qui iront faire la mission en ces quartiers-là. Votre bonté, Monseigneur, nous a donné l’être en nous établissant à Saint-Lazare ; et nous faisant la charité dont il s’agit, elle nous donnera le moyen de mieux être et de plus travailler pour son service.

J’avoue, Monseigneur, que je suis indigne que vous ayez aucun égard à ma prière pour cela ; mais la bonté paternelle que N.-S. vous a donnée pour votre Mission et pour le bien des âmes de votre diocèse suppléera à mon indignité, qui suis, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre…

1) Localité de Seine-et-Oise, arrondissement de Corbeil.

* C’est le mot que porte la copie. S’agirait-il de Bruyères-le-Châtel comme l’a cru Pémartin ? Le prieuré dont parle ici saint Vincent a M. Ribier comme titulaire, il est englobé dans l’archidiocèse de Paris, et l’abbé de Saint-Florent-lez-Saumur en est le collateur. Le prieuré de Brienne le Château ne réalise que la première condition ; celui de Bruyères-le-Châtel les réalise toutes les trois. Il ne saurait donc y avoir de doute.

2) Saint-Florent est aujourd’hui englobé dans la ville de Saumur. *Mazarin était abbé de Saint-Florent.

 

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985. — A MATHURIN GENTIL

De Paris, ce 17 septembre 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’achève de répondre à deux de vos lettres, car par ma dernière je vous ai parlé sur beaucoup de choses qui y sont contenues ; particulièrement pour la décharge de votre maison, je vous ai prié de nous renvoyer nos frères Laisné (1), Dupont (2), Denis (3) et les deux petits écoliers ; ce que je continue de faire, au cas qu’ils ne soient partis.

Je suis certes étonné de la liberté de notre frère Laisné à prendre de l’argent, aussi bien que de l’emploi qu’il en a fait. Nous penserons un peu à ce que nous aurons à faire à son égard.

Nous vous enverrons pour régent notre frère Gurlet (4) après la retraite qu’il va commencer. Il pourra mener les enfants de M. Prudhomme et quelqu’autre avec eux, s’il s’en présente (5).

Je vous ai mandé qu’en nous faisant savoir où demeure M. Gautier, ou celui à qui il nous faut adresser pour le

Lettre 985. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Probablement Nicolas Laisné.

2) Louis Dupont, né à Nemours, entré dans la Congrégation de la Mission le 23 octobre 1641, à l’âge de vingt-deux ans, reçu aux vœux en novembre 1644, supérieur à Toul (1652-1653) Tréguier (1654-1661), Annecy (1662-1663), et Saint-Charles (1664-1671).

3) Peut-être Denis Gigot, né à Donnemarie (Seine-et-Marne), entré dans la congrégation de la Mission le 22 juillet 1647, à l’âge de vingt-deux ans, reçu aux vœux à Troyes le 9 octobre 1649.

4) Claude Gurlet, né à Lyon, reçu dans la congrégation de la Mission le 12 juin 1646, à l’âge de vingt-quatre ans, mort le 2 février 1653

5). Probablement pour le séminaire des Bons-Enfants.

 

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rachat de Valobron, nous tâcherons de vous faire donner du temps pour le payer.

Si M. le prévôt de la Couture (6) est d’avis qu’on laisse le bail à Madame Gremy pour 29 années, moyennant quelque haussement du prix, et que le logis soit rendu à la fin en bon état, j’en suis content et m’en remets à ce que ledit sieur prévôt en ordonnera.

M. Aubert (7) a tort de demander deux pistoles pour le fumier qu’il a mis aux jardins ; M. Gallais assure qu’elles lui ont été déduites dès la première année, s’en étant payé lui-même par ses mains. Et au regard des quatre pistoles que vous dites lui avoir promises pour la non-jouissance desdits jardins, ledit sieur Gallais s’en était défendu, parce que ledit sieur Aubert ne peut prétendre aucune non-jouissance par le contrat de son bail. Pour moi, je [ne] le sais pas ; conférez-en, je vous prie, avec ledit sieur prévôt.

Quant à l’échange qu’on vous demande à faire avec la petite maison et le quartier de vigne de feu M. de Saint-Jacques (8)…

Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Gentil, prêtre de la Mission, au Mans.

6) Paroisse du Mans.

7). Pierre Aubert, marchand au Mans. (Arch. Nat. S 6707)

8) La phrase est telle quelle dans l’original ; par distraction le secrétaire l’a laissée inachevée

 

986. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

Du 20 septembre 1647.

Je vous supplie, Monsieur, de partir de Saint-Sauveur (1) et de n’employer pas à Rome plus de six jours pour achever la visite (2). C’est bien assez, tant pource que plus vous abrégerez, moins vous y aurez de peine, que pour la nécessité que nous avons ici de vous. Je suis seul à soutenir le faix, n’ayant que M. Cuissot qui me puisse aider (3). Je vous supplie aussi de vous contenter d’autres six jours pour revoir nos règles avec Messieurs Dehorgny et Alméras, pour reprendre ensuite le chemin de France. Si, passant à Gênes, vous estimez qu’une seconde visite y soit nécessaire, vous la pourrez faire, s’il vous plaît, pendant huit jours seulement. Celle de Marseille se fera de même dans huit ou dix jours. Et quoique je sache que plusieurs considérations pourront requérir plus de temps, néanmoins j’ai sujet de désirer absolument et de vous conjurer, Monsieur, comme je fais, au nom de Notre-Seigneur, de n’y en pas mettre davantage en aucun de ces lieux-là, non tant pour les raisons que j’ai dites, que parce qu’il réussit plus de bien d’une visite faite promptement, pendant que les esprits sont encore dans la chaleur de l’action, que lorsqu’elle traîne trop. Le temps qui passe celui que j’ai dit, sert plutôt à lasser les personnes

Lettre 986. — Reg. 2, p. 104.

1) Abbaye située à quinze lieues de Rome, dans la Sabine ; Antoine Portail s’y était retiré pour éviter les chaleurs de la capitale dont il avait beaucoup souffert.

2) La visite, commencée le 23 avril, ne se termina que le 16 novembre. Les chaleurs furent cause de plusieurs interruptions. (Voir la notice d’Antoine Portail, pp. 55, 59.)

3). Lambert aux Couteaux était en tournée de visites. (Cf. 1. 987)

 

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visitées et à attiédir la ferveur de l’œuvre, qu’à produire quelque fruit ; nous en avons quelque expérience, et la pratique des autres communautés nous le fait croire ainsi. Je vous supplie derechef d’en user de la sorte ; j’en aurai une singulière consolation (4).

 

987. — CHARLES TESTACY, SUPÉRIEUR, A CAHORS (1)

De Paris, ce 21° septembre 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La présente est seulement pour vous demander nouvelles de trois choses : la première est de l’état de votre santé et de l’opération des remèdes que vous avez pris, la seconde est du succès de votre ordination, et la troisième est de ce qu’est devenu M. Lambert et quelle route il a prise (2). Je croyais avoir de ses lettres par ce dernier courrier et même des vôtres, à l’ordinaire ; mais n’en ayant reçu aucune, je reste en peine de toutes les choses ci-dessus, particulièrement de celle qui vous regarde, ce qui fait que je vous supplie de m’en dire quelque chose. Ce n’est pas que je n’aie grande espérance que tout va bien ; nous l’avons demandé à Dieu par les prières de la compagnie et par celles de celui qui est, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

4) Les circonstances ne favorisèrent pas les désirs du saint, qui ne devait pas revoir Antoine Portail de deux ans.

Lettre 987. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1). C’est par le contenu de la lettre que nous devinons le nom du destinataire.

2). Le 6 août précédent, Lambert aux Couteaux faisait la visite de la maison de Saintes ; il était le 20 septembre à Cahors.

 

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988. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 21 septembre 1647.

Monsieur,

Je vous écrivis hier un mot par le bon M. Lambert, qui a visité notre séminaire avec grand fruit. Il vous en dira les particularités.

Je viens de recevoir celle que vous avez pris la peine de m’écrire, du 7 du courant. Je suis très aise que l’élection de la prieure du Pouget soit agréée. C’est une bonne religieuse qui y remettra et maintiendra la réforme, s’il plaît à la reine de lui accorder le brevet nécessaire pour cela. La religieuse pour laquelle on fait quelque bruit est celle pour laquelle Monseigneur l’évêque d’Utique (1) vous parla en ma présence, laquelle, outre les défauts généraux et communs à toutes les religieuses de cette maison, de ne savoir ni par théorie, ni par pratique encore moins, ce que c’est que la religion, en a d’autres particuliers. Ainsi je vous supplie de vous opposer à ce dessein et de faire ressouvenir à Sa Majesté de ce qu’elle m’a si souvent assuré, qu’elle nommerait un homme apostolique à l’évêché de Périgueux, qui est entièrement abandonné en pillage. Les âmes se damnent à milliers et non est qui recogitet. Oh ! que la foi est rare en ce siècle ! Clama, ne cesses. Et souvenez-vous que tant plus le combat sera rude, d’autant plus glorieuse en sera la victoire, et la récompense plus grande, à laquelle je sais bien que vous ne pensez pas.

J’étais prêt à me mettre à l’autel quand j’ai reçu la vôtre. A l’instant j’ai annoncé à nos ordinands que je voulais que dorénavant ceux qui prendraient les 4 moindres assistassent aux ordinations, étant bien juste que notre séminaire se conforme à sa mère.

Je donnerai avis à Monseigneur de Valence (2) des soins que vous avez pris pour lui faire recevoir quelque satisfaction. Il est fort piqué de ce qu’on a donné, par arrêt du Conseil, au présidial ou sénéchal la place qu’il occupait au sermon dans son église. Il est fort nécessaire qu’il soit dans son évêché ;

Lettre 988. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

1) Pierre Bertier, évêque titulaire d’Utique, coadjuteur de l’évêque de Montauban.

2) Charles-Jacques de Gelas de Leberon.

 

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mais je crois aussi qu’on doit tâcher de lui donner quelque satisfaction. Si vous jugez à propos que le roi lui en écrive, en semble qu’il serait expédient que Sa Majesté lui mandat qu’elle avait fait très exprès commandement au gouverneur de Valence de ne le troubler en sa charge et à ce qui est du à sa dignité, etc.

L’on nous a mandé de Sarlat que l’affaire de Monsieur Sevin pour cet évêché était terminé et que les expéditions devraient être délivrées le 20 du courant ; d’où j’en ai reçu grande joie. Je pars demain matin pour aller visiter mon diocèse de ce côté-là et Chancelade pendant les vendanges.

Quand vous verrez la reine, je vous supplie de dire à Sa Majesté que l’évêché de Couserans (3), qui est à présent vacant, est dans une extrême désolation. Je suis, Monsieur, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

 

989. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

27 septembre 1647.

Je ne pense jamais à vous ou à quelqu’un des vôtres qu’avec grande consolation. Vous désirez tous d’être entièrement à Dieu, et Dieu vous désire aussi tous pour lui ; il vous a appelés les premiers à Gênes pour le service qu’il veut de la compagnie en ce lieu ; et pour cela il vous donnera des grâces particulières qui serviront comme de fondement à toutes celles qu’il fera jamais à cette nouvelle maison. Oh ! quel sujet de louange à sa bonté ! Quelle confiance ne devez-vous pas avoir en sa protection ! Mais quelle humilité, quelle union et quel respect les uns pour les autres ! O Dieu, mon Seigneur, soyez, s’il vous plaît, le lien de leurs cœurs ; faites éclore les effets de tant de saintes affections que

3) Pierre de Marca monta sur le siège épiscopal de Couserans en 1648.

Lettre 989. — Reg. 2, p. 198.

 

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vous leur faites concevoir et donnez croissance aux fruits de leurs travaux pour le salut des âmes ; arrosez de vos bénédictions éternelles cet établissement, comme un nouvel arbre planté de votre main ; fortifiez ces pauvres missionnaires dans leurs fatigues ; enfin, mon Dieu, soyez vous-même leur récompense, et par leurs prières étendez sur moi votre immense miséricorde.

Je reviens à vous, Monsieur, seulement pour vous assurer que je suis en Notre-Seigneur…

 

990. — A JEAN BARREAU, CONSUL DE FRANCE, A ALGER

(Fin septembre ou début d’octobre 1647 1)

Je reçus hier au soir la triste quoiqu’heureuse nouvelle de la mort de feu M. Nouelly, laquelle m’a fait épancher bien des larmes à diverses reprises, mais des larmes de reconnaissance envers la bonté de Dieu sur la compagnie, de lui avoir donné un prêtre qui aimait si parfaitement Notre-Seigneur et qui a fait une si heureuse fin.

Oh ! que vous êtes heureux de ce que le bon Dieu vous a choisi pour une si sainte œuvre, à l’exclusion de tant d’autres gens inutiles au monde !

Vous voilà donc quasi prisonnier pour la charité, ou, pour mieux dire, pour Jésus-Christ. Quel bonheur de souffrir pour ce grand monarque, et que de couronnes vous attendent en persévérant jusqu’à la fin !

Lettre 990. — Abelly, op. cit., 1, II, chap. I, sect. VII, § III, p, 102.

1) Cette lettre répond à celle qu’avait écrite Jean Barreau le 27 juillet 1647 et qui était arrivée à Paris pendant la retraite annuelle ou fort peu de jours avant (cf. 1. 991).

 

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991. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[fin septembre ou début d’octobre 1647] (1)

Quoique je sois en retraite, je ne laisse p. as de vous écrire pour recommander à vos prières une personne de la compagnie trépassée : c’est Monsieur Nouelly, prêtre, décédé à Alger, où il avait été envoyé pour assister les pauvres esclaves chrétiens, dont il s’est si dignement acquitté, qu’il a mieux aimé s’exposer au danger d’une maligne contagion qui était parmi les pauvres affligés, que de manquer à les secourir jusqu’à leur dernier soupir, en sorte qu’ayant été saisi du même mal, il en est mort. Notre frère Barreau, son compagnon, m’en a écrit des choses grandement touchantes et de grande édification.

 

992. — A JACQUES DESCLAUX, ÉVÊQUE DE DAX

7 octobre 1647.

Monseigneur,

J’ai reçu avec une grande joie, comme toujours, l’honneur qu’il vous a plu me faire, de me faire part de votre accommodement avec Messieurs de votre chapitre, et prie N.-S. qu’il cimente cette union et celle dont il est et sera éternellement uni à son Père (1), et prie sa divine

Lettre 991. — Ms. de Lyon.

1) Celte lettre à été écrite l’année de la mort de M. Nouelly et pendant les huit jours que saint Vincent employait à sa retraite annuelle.

Lettre 992. — Reg. 1, f° 26, copie prise sur la minute autographe.

1) L’évêque de Dax était en procès avec ses chanoines au sujet du libelle des titres de nomination pour les prébendes du chœur, de la portion congrue à payer au chapelain major et des honneurs auxquels il prétendait avoir droit de leur part pendant les offices pontificaux. Le parlement de Bordeaux, saisi de l’affaire, lui avait donné raison par arrêt du 4 avril 1647. Appel fut interjeté devant le Conseil du roi. Mais les chanoines voyant que là aussi leur cause prenait mauvaise tournure, firent proposer à Jacques Desclaux un

 

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bonté qu’il fasse de même à l’égard de M. de Poyanne (2).

Le bénéfice d’Orthez est toujours là, quoique j’en aie parlé au dernier conseil ; N.-S. en disposera comme et quand il lui plaira. M. de Vignoles, de Béarn, et ses amis font instance pour un sien neveu ; et un autre Béarnais (3) secrétaire du prince Casimir, cardinal de Pologne (4) le demande, et avec grande instance ; et partagent l’esprit de celui qui y peut tout (5)

L’affection que vous, Monseigneur, me témoignez avoir pour l’établissement d’une mission dans votre diocèse, par la plupart de vos lettres, m’y a fait penser plus sérieusement depuis votre dernière, que j’ai reçue dans ma retraite, en laquelle je suis encore, [et] me fait vous proposer, Monseigneur, savoir si un petit prieuré simple que

accommodement dont les évêques d’Aire et de Bazas seraient les arbitres. Les deux prélats rendirent leur sentence le 13 juillet 1647, et l’accord fut scellé par la rédaction de nouveaux statuts. (Cf. Degert, Histoire des évêques de Dax, Paris, 1903, in-8°, p 328 ; et notre Histoire des cathédrales de Dax dans le Bulletin de la Société de Borda, année 1908, p. 275.)

2). Jean-Henri-Gabriel de Baylens, marquis de Poyanne, commandeur des ordres du roi, gouverneur de Dax, Saint-Sever et Navarrenx, lieutenant général du roi dans le Béarn et la Navarre, mort à Saint-Sever *le 3 février 1667, laissant la réputation d’un vaillant capitaine.

3). Isaac Bartet Il devint secrétaire du cabinet, conseiller du roi et résident de Pologne en France. Mademoiselle de Montpensier lui vendit, le 25 novembre 1669, le marquisat de Mézières-en-Brenne, qu’il revendit, le 17 mars 1692, à Louis de Rochechouart, duc de Mortemart. Il mourut en septembre 1707

4). Peu de princes connurent comme le cardinal Casimir les vicissitudes du sort. Né en 1609 il vint en France pendant sa jeunesse, y fut mis en prison par Richelieu, entra chez les Jésuites, reçut le chapeau de cardinal, monta sur le trône de Pologne après la mort de Wladyslaw IV, se fit relever de ses vœux, épousa sa belle-sœur Louise-Marie et gouverna sous le nom de Casimir V. Son règne fut malheureux. La Pologne, attaquée tour à tour par les Cosaques, la Suède, le Brandebourg, la Russie, la Transylvanie et minée par les discordes intestines, dut laisser à ses ennemis une partie importante de son territoire. Veuf en 1667, Casimir V abdiqua et se retira en Flandre, puis dans l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Martin de Nevers. Il mourut dans cette ville en 1672

5) Le cardinal Mazarin.

 

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nous avons à deux lieues d’Orléans pourrait servir à cet établissement, soit que M. le curé de Poy (6) ou quelqu’autre de delà voulût permuter et s’en pût accommoder. Il consiste en une ferme, où il y a deux fermiers, dont chacun a deux charrues de labour pour environ quatre cents [arpents] (7) de terre, qui sont en une pièce tout à l’entour. Le service que vous en pourrez retirer, ce seront les missions depuis la Toussaint jusques à Pâques, dans les paroisses du diocèse où vous, Monseigneur, les enverrez, [et] les ordinands ; et si vous, Monseigneur, ordonnez que nul sera reçu aux saints ordres qui n’ait passé six mois pour le moins dans votre séminaire, dans quinze ans vous aurez la consolation de voir que votre clergé aura changé de face, s’il plaît à N.-S. de donner sa bénédiction sur son œuvre et le reste, et de n’avoir pas égard à la chétiveté des ouvriers. Monseigneur de Cahors (8) en use de la sorte, sans qu’il lui en coûte rien. Chaque ecclésiastique paye sa pension selon la taxe que mondit seigneur ordonne ; ils ne payent que cent livres ou 40 écus par an. Aussi n’y a-t-il pas province en France où l’on vive à meilleur marché qu’en ce lieu-là, où il est nécessaire d’y consommer tous les vivres ; il n’y a point de transport du tout. Ce qui pourra coûter, ce sont les bâtiments et l’ameublement, s’il n’y en a assez à Burglosse (9), ou là où vous, Monseigneur, les établirez. Quant à l’entretien des

6) Pierre de Larroque (1634-1655). Les curés de Poy ou Pouy étaient aussi directeurs de la chapelle de Buglose.

7). Mot oublié dans l’original

8). Alain de Solminihac.

9) Burglosse ou Buglose était et est encore un quartier de l’ancienne commune de Pouy, aujourd’hui Saint-Vincent-de-Paul. Au temps de l’enfance de saint Vincent, de l’aveu de tous les historiens locaux, il n’y avait à Buglose ni chapelle ni pèlerinage. Jean-Jacques du Sault, évêque de Dax, mû par le bruit des miracles opérés en ce lieu, ordonna une enquête et fit élever, en l’honneur de la sainte Vierge, un modeste sanctuaire, qu’il bénit lui-même solennellement le 16 mai 1622 et qui devint dès lors le centre de sa dévotion à Marie dans la région. Saint Vincent, de passage dans son village

 

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missionnaires, il me semble qu’il ne monte qu’à 16 ou 1.800 livres. L’on m’a dit que la cure de Poy vaut 1.000 livres. Peut-être que les messes qui se diront à Burglosse pourront suffire au surplus (10)

Voilà, Monseigneur, mes petites pensées sur ce sujet, que je vous propose à l’aventure, pource que vous me faites l’honneur de me commander d’y penser.

Je me viens de ressouvenir que M. Sanguinet, le curé d’auprès de Tartas (11) m’a dit qu’il a quelque pensée de s’en venir demeurer à Paris ; et me semble qu’on me le mande de delà ; si la cure vaut celle de Poy et est de votre diocèse, peut-être sera-t-il bien aise d’en traiter. Je vous dis ceci à l’aventure, Monseigneur, et que vous n’avez personne sur la terre à qui Dieu ait donné plus d’estime et plus d’affection qu’à moi, qui suis, en son amour…

 

993. — A ANTOINE PORTAIL, A ROME

Du 4 octobre 1647.

Nous sortons de retraite. Nous étions dix-huit en une bande

natal deux ou trois mois après cette inoubliable manifestation, alla prier devant la madone des landes et célébrer la messe dans sa chapelle. (Cf. Collet, op. cit, t. I, p. 109 note l.) L’histoire de Notre-Dame de Buglose a été écrite en 1726 par Raymond Mauriol, prêtre de la Mission. (Histoire de la sainte chapelle et des miracles de Notre-Dame de Buglose, Bordeaux, in-12), puis par l’abbé Danos (Le pèlerinage de Saint-Vincent-de-Paul et de Notre-Dame de Buglose, suivi de l’art de sanctifier le pèlerinage, Paris, 1844, in-16) et le chanoine Labarrère Histoire de Notre-dame de Buglose et Souvenir du Berceau de St-Vincent-de-Paul, Paris, 1857, in-8°). Pour se faire des idées justes sur l’origine du pèlerinage, il vaut mieux consulter l’abbé Gabarra (Pontonx-sur-l’Adour et le prieuré de S Caprais dans la Revue catholique d’Aire et de Dax, 1874), l’abbé Degert (op. cit., p. 313 et suiv) et Jules Bonhomme (l’origine de Buglose dans la Revue de Gascogne, 1882, t. XXIII, pp. 373-383).

10) Les prêtres de la Mission ne devaient s’établir à Buglose qu’en 1706

11) Joseph Sanguinet, curé de Saint-Yaguen, près Tartas, dans l’arrondissement de Saint-Sever et le diocèse de Dax.

Lettre 993. — Reg. 2, p. 6, copie prise sur l’original autographe

 

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et trente-deux en une autre. Nous venons de faire le renouvellement de nos vœux. Et pource que quelques uns ont dit qu’ils sont nuls, et avaient difficulté de les renouveler (M…. et un clerc étaient les principaux), j’ai empêché que ce dernier les ait renouvelés. Et mondit sieur… m’étant venu trouver pour me dire que toutes ses difficultés étaient tombées en suite de quelque chétif discours que je leur fis hier au soir à tous, il m’a demandé, ce matin, de bonne façon la permission de les renouveler, et effectivement m’a apporté quantité de choses qu’il avait en particulier, pour s’en dépouillez, lesquelles je lui ai néanmoins laissées, et lui ai permis de renouveler ses vœux avec les autres.

La petite exhortation que j’ai faite contenait deux points : le premier était des raisons que nous avions de faire cette rénovation, en sorte qu’il plût à Dieu nous donner la grâce qui accompagne les vœux ; et le second était des moyens, où j’ai dit deux choses : l’une, que je priais ceux qui ne sentaient pas en eux la résolution d’y persévérer, de s’en retirer ; et l’autre, qu’une marque d’avoir cette grâce, c’était d’être résolu de ne jamais parler contre cette sainte action et de la défendre dans les occasions contre ceux qui l’improuveraient, pource que sans doute l’on fera ce qui se pourra pour impugner ces vœux et au dedans et au dehors.

Dieu a béni, ce me semble, cet entretien. Je n’ai jamais vu plus de sentiment de dévotion qu’il en a paru en tous, excepté en moi misérable, le plus grand pécheur du monde. Si donc l’on impugne la chose, ce sera à cause de la réserve de la dispense au Pape ; et néanmoins les docteurs de decà nous disent qu’on l’a pu faire, que chacun peut renoncer à son droit de recourir à l’Ordinaire et se rapporter à Sa Sainteté pour la dispense. Il appartient au Pape primitivement de dispenser des vœux, et

 

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privativement à l’égard de ceux de chasteté et du pèlerinage de Rome.

Jamais je n’ai mieux vu l’importance de nos vœux qu’aujourd’hui. Monseigneur Ingoli (1) nous peut beaucoup aider pour l’approbation, comme il a fait pour notre bulle et pour notre établissement à Rome. Je vous prie que M. Dehorgny, M. Alméras et vous, Monsieur, lui fassiez bien entendre que nous avons été en peine pour l’affermissement de notre Institut, duquel il est assez informé, Messieurs les prélats ne désirant pas que nous soyons religieux, et les religieux nous conseillant le contraire, fondés sur La légèreté humaine et les grands travaux de notre état ; que la providence de Dieu a enfin inspiré à la compagnie cette sainte invention de nous mettre dans un état auquel nous avons le bonheur de l’état religieux par les vœux simples, et de demeurer néanmoins dans le clergé et dans l’obéissance à Nosseigneurs les prélats, comme les moindres prêtres de leurs diocèses, quant à nos emplois. Je tâcherai de vous envoyer aujourd’hui ou vendredi l’avis des docteurs, Messieurs le pénitencier (2), Duval, Pereyret (3), Cornet (4) et Coqueret. J’ai confiance que, si l’on instruit bien ce saint prélat, lui seul pourra informer Sa Sainteté et la Congré

1) Secrétaire de la Propagande.

2) Jacques Charton, docteur en théologie, directeur du séminaire des Trente-Trois et membre du conseil de conscience.

3). Jacques Péreyret, né à Billom (Puy-de-Dôme) *en 1580, fut d’abord théologal de Mende Il professa avec éclat la philosophie et la théologie au collège de Navarre et fut élevé à la dignité de grand maître. Envoyé à Clermont en qualité de vicaire général, il y travailla activement à la réforme des abus jusqu’à sa mort, qui survint le 15 juillet 1658. Il a écrit en 1650 contre les jansénistes un traité latin sur la grâce (Apparatus ad tractatum de gratia).

4) Nicolas Cornet, né à Amiens le 12 octobre 1592, fut, lui aussi, grand maître de la maison et société de Navarre. Il refusa l’archevêché de Bourges et le titre de confesseur de Richelieu. Il mourut au collège de Boncourt le 18 avril 1663. Bossuet a prononcé son oraison funèbre.

 

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gation des Réguliers et faire notre affaire ; car qui pourra impugner raisonnablement une chose qui n’est pas contre les conciles, ni les canons, ni les décrets des Papes, ains conforme à l’usage de l’Église avant les vœux solennels, auquel temps on les faisait simples, et par conséquent dispensables ?

Que si l’on dit que ceux-là étaient censés religieux, la réponse est bonne, disant qu’encore que ces vœux constituassent l’état de religion en ce temps-là, ils ne le peuvent faire maintenant, parce que l’Église défend l’institution de nouvelles religions, si ce n’est qu’elles professent une des quatre règles approuvées de l’Église qui embrassent les vœux solennels, ou que le Pape l’autorise, comme celle des Jésuites (5). Or, nous ne prenons point aucune de ces quatre règles de religion, et le Saint-Père ne nous a point érigés en état religieux, ains de clercs séculiers. Il s’ensuit que nous ne sommes point dans un état de religion, attendu même que nous déclarons qu’encore que nous fassions ces vœux simples, nous n’entendons pas être religieux, mais de demeurer toujours dans le clergé.

Que si l’on objecte que les vœux seuls, de leur nature, constituent une personne en l’état religieux, je réponds que cela est vrai des vœux solennels, mais non pas des simples, une personne particulière, voire plusieurs, pouvant faire les trois vœux simples en particulier, sans

5) L’interdiction de fonder un Ordre religieux quelconque sans l’autorisation du Saint-Siège, portée par les XIIe et XIVe conciles œcuméniques, n’est accompagnée d’aucune restriction. Toutefois beaucoup de canonistes pensent avec Vermeersch (De religiosis institutis et personis, Bruges, 1902, 2 vol. in-8°, t I, p. 45), que cette règle ne s’appliquait pas aux Instituts qui embrassaient la règle de saint Basile, de saint Augustin, de saint Benoît ou de saint François. Telle n’est pas l’opinion de Bouix. (Tractatus de jure regularium, Paris, 1857, 2 vol in-8°, t. I, p. 205.)

 

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pour cela être religieux. Si donc des personnes particulières le peuvent, pourquoi non une compagnie ?

Au nom de Dieu, Monsieur, pesez cette vérité et la faites peser. Priez Dieu pour cet affaire et n’y perdez pas temps. Si Monseigneur Ingoli le goûte et l’entreprend, j’ai une parfaite confiance qu’il en viendra à bout.

 

994. — LE CARDINAL MAZARIN A SAINT VINCENT

Du 10 octobre 1647..

Monsieur,

J’ai vu la lettre que vous avez écrite à de Lionne (1) sur le sujet de la promotion à l’épiscopat de M. l’abbé de Chailli (2) ; et comme la difficulté que vous y trouvez consiste en une question de fait, dont m’étant enquis avec soin, j’ai trouvé que la chose qu’on vous a dite n’avait jamais été, et en suis assuré tous les jours par personnes dignes de foi, je vous prie de faire, de votre coté, sans perte de temps, les diligences que vous croirez nécessaires pour la satisfaction de votre esprit afin que vous vous en éclaircissiez pleinement et que vous m’écriviez ce que vous aurez appris, Sa Majesté désirant, pour plusieurs considérations importantes, que je vous dirai à notre première vue, mettre fin à cette affaire sans plus de délai (3).

Cependant je demeure…

Lettre 994. — Bibl. Maz., ms. 2216, f° 404, copie

1) Hugues de Lionne, confident de Mazarin, qu’il avait connu à Rome. Après avoir été secrétaire des commandements de la reine régente il devint grand maître des cérémonies et commandeur des ordres du roi, fut envoyé en Italie (1654-1656) et en Allemagne (1658) en qualité d’ambassadeur extraordinaire, contribua à l’élection d’Alexandre VII, négocia les préliminaires de la paix des Pyrénées, fut nommé ministre d’État en 1658, poste qu’il continua d’occuper après la mort de Mazarin, et mourut à Paris le 1er septembre 1671, à l’âge de soixante ans.

2) Charles-Louis de Lorraine, abbé de Chailli, célèbre abbaye de l’ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Senlis, mort à Paris le 1er juin 1668. Il était proposé pour l’évêché de Condom.

3). Saint Vincent tint bon. L’évêché de Condom fut donné à Jean d’Estrades, évêque de Périgueux, qui céda son siège à Charles-Louis de Lorraine en 1658 en échange de l’abbaye de Chailli, *en un temps où le saint ne faisait plus partie du Conseil de Conscience.

 

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995. — A GUILLAUME DELVILLE

De Paris, ce 11 octobre 1647.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nous vous envoyons six ou sept prêtres, cinq de la compagnie et les deux autres du séminaire des Bons-Enfants. Des cinq il y en a deux de Montmirail, et des trois restants l’un est Monsieur Watebled (1), dont vous connaissez la bonté. Celui-ci pourra servir à l’observance de la régularité sous vous, qui ne manquez pas d’autres occupations. Il importe que l’on observe bien les règles, à cause que plusieurs d’entre eux sont destinés pour d’autres maisons, où il importe qu’ils portent ce qui s’observe de deçà dans les missions. Il sera bon qu’à cet effet aussitôt vous fassiez lire à table les règles qu’on doit lire au commencement des missions. Monsieur le théologal (2) est capable de cela ; il y a été d’autres fois ; mais il le faut prier, lui, de ne pas s’assujettir au temps du coucher, ni aux autres emplois.

Vous me mandez que Monsieur le théologal ne parlera que trois fois par semaine et qu’il faut que vous souteniez le reste pour le soir et la prédication du matin. Cela me paraît difficile. J’espère vous envoyer M. Tholard dans trois ou quatre jours, qui pourra vous soulager et faire le matin. Il a grâce de Dieu pour disposer les peuples

Lettre 995. — Recueil du procès de béatification.

1) Pierre Watebled, frère du célèbre Vatable, né à Tully (Somme), entré dans la congrégation de la Mission le 19 janvier 1641, à l’âge de dix-neuf ans, reçu aux vœux le 14 juin 1643, supérieur du séminaire de Saintes de 1650 à 1651, mort victime de son dévouement à Villeneuve-Saint-Georges (Seine-et-Oise) en octobre 1652.

2). Antoine Caignet.

 

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à recevoir les miséricordes qu’il répand dans les missions bien faites, et qui est autant à dire aux missions où la régularité s’observe. Il ne confessera point (3) ; il pourra servir aux accommodements. Si un rhume qu’il a lui permet et Dieu bénit une saignée qu’on lui a faite aujourd’hui, il pourra partir dans trois jours.

Vous me mandez que Madame de Longueville veut faire les frais. O mon Dieu ! Monsieur, faut-il commencer du temps de Monsieur Delville et du mien et par Monsieur Delville la dissipation et la ruine de l’esprit de la Mission ! O Jésus ! à Dieu ne plaise que vous soyez l’instrument d’un tel malheur ! Nous ne sommes pas moins obligés à faire gratis nos missions, que les Capucins à vivre d’aumônes. Eh ! bon Dieu ! que dirait-on d’un Capucin qui toucherait de l’argent, et que n’a-t-on pas raison de dire des missionnaires qui se laisseront défrayer par quelques-uns dans les missions, et cela par Monsieur Delville et de mon temps ! O Jésus ! absit hoc a nobis !

Voici vingt écus, que j’ai dit qu’on vous délivre, déduits les frais du voyage. Vous fournirez ce qu’il faudra. C’est pour vous donner le temps d’envoyer quérir ce qu’il faudra pour toute la dépense. C’est votre département. Que si l’on vous y fait quelque empêchement, quittez, Monsieur, après que vous en aurez demandé la permission à Monseigneur de Meaux (4). Changez de logis et prenez-en un où vous ayez la liberté de faire votre dépense. Sachez, Monsieur, que je me suis trouvé dans pareil rencontre et que je dis tout franc à la dame qui avait procuré la mission que, si elle ne permettait que nous nous unissions, que nous nous en retournerions ce

3) Pour le motif indiqué dans la lettre 424.

4) Dominique Séguier, évêque de Meaux.

 

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même jour-là ; en effet, nous l’aurions fait, si cette bonne dame ne nous eût dit qu’elle consentait que nous fissions ce que nous voudrions. Et de cela elle resta fort édifiée, et je vous assure de la même chose du côté de Madame de Longueville ; et je vous dis plus : qu’elle et tous ceux qui le sauront resteront édifiés de votre fidélité à l’observance de nos règles, et que vous malédifieriez tout le monde si vous vous laissiez aller à l’effet de sa bonté de vous laisser tenter.

Au nom de Dieu, Monsieur, usez-en comme je vous le dis, maintenant et toujours. Que si vous n’avez pas ce qu’il faut pour cela, mandez-le-moi ; nous y pourvoirons. Je vous dis ceci avec une très grande douleur de voir de mon temps ce malheur arrivé en notre compagnie, et cela par Monsieur Delville, que je chéris plus que moi-même un million de fois, et qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, son très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delville, supérieur des prêtres de la Mission de Crécy, à Coulommiers.

 

996. — A JEAN CHRÉTIEN, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

[Entre septembre et novembre 1647] (1)

Prévenu par Jean Chrétien que Jean Le Vacher (2) malade,

Lettre 996. — Vie manuscrite de Jean Le Vacher, p. 3. Cette vie se trouve aux archives de la Mission.

1). Voir note 2.

2). Jean Le Vacher, né à Ecouen (Seine-et-Oise) le 15 mars 1619, entra dans la congrégation de la Mission, ainsi que son frère Philippe, le 5 octobre 1649, fit les vœux en 1646 et fut ordonné prêtre

 

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n’était pas en état d’aller de Marseille à Tunis, Vincent de Paul répond que le voyage ne doit pas être différé (3).

 

997 — A JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

[Entre septembre et novembre 1647] (1)

Vincent de Paul invite Jean Le Vacher à prendre les précautions que demande son état de santé et à s’embarquer sans crainte.

en 1697. Julien Guérin, missionnaire à Tunis, ayant besoin d’un aide, saint Vincent lui envoya Jean Le Vacher. Le 23 août 1647, comme le fondateur et son jeune disciple quittaient ensemble la maison de Saint-Lazare ils se trouvèrent en présence du nonce Nïcolas Bagni. "Monseigneur, dit le saint, vous venez fort à propos pour donner votre bénédiction à ce bon prêtre, qui part pour la Mission de Tunis. — Quoi ! cet enfant ! s’écria le nonce étonné. — Monseigneur, reprit le saint il a vocation pour cela." Jean Le Vacher arriva à Tunis le 22 novembre 1647. La mort de Julien Guérin, puis, deux mois après, celle de Martin de Lange consul, firent reporter sur lui la double charge de chef de la Mission et de consul. Il ajouta à ces titres, en 1650 celui de vicaire apostolique. Comme le Saint-Siège n’admettait pas que le consulat fût géré par des prêtres, saint Vincent y envoya un laïque, Martin Husson, qui arriva à Tunis en 1653 et en repartit en avril 1657, chassé par le bey. Jean Le Vacher reprit pendant deux ans les fonctions de consul. Il rentra en France en 1666 et fut envoyé à Alger en 1668 comme vicaire général de Carthage et vicaire apostolique d’Alger et de Tunis. Sa vie à Alger fut celle d’un apôtre et sa mort celle d’un martyr. Le 26 juillet 1683, pendant le bombardement de cette ville par Duquesne, les Turcs, après avoir mis tout en œuvre pour obtenir de lui un acte d’apostasie, l’attachèrent à la bouche d’un canon, qui projeta son corps dans la mer. (Cf. Raymond Gleizes, Jean le Vacher, Paris, 1914 in-16.)

3). D’après le premier biographe de Jean Le Vacher, saint Vincent aurait répondu en substance : "Si M. Le Vacher est trop faible pour aller jusqu’au vaisseau, qu’on l’y porte ! Si durant le trajet il ne peut résister à l’air de la mer, qu’on le jette dedans !" Cette façon de parler est tellement étrange sous la plume du saint qu’on est porté à se demander si sa pensée a été bien rendue.

Lettre 997. — Vie manuscrite de Jean Le Vacher, p. 3.

1). Cette lettre est de même date que la précédente.

 

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998. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Ce 19 octobre [1647] (1)

Je fus bien fâchée de n’avoir point su que l’on vous eut été treuver pour vous mander que, par la grâce de Dieu, je n’ai point été plus mal que votre charité me laissa, et toujours mieux ; ce qui fut cause que j’allai à la messe le jour saint Luc.

Mesdames de Herse, Traversay, de St-Mandé (2) et Viole s’assemblèrent encore hier céans, sans que je susse pourquoi, ni qu’elles le dussent, que environ une heure auparavant. Je crois que c’était pour se réjouir que la Providence avait fait paraître le soin qu’elle veut avoir des pauvres petits enfants. Il est venu plusieurs petites aumônes, et le meilleur secours est qu’elles devaient recevoir aujourd’hui cinq mille livres ; je crois que c’est des 8000, car c’est le receveur de l’Hôtel Dieu qui doit recevoir la quittance.

Elles s’attendent bien à la conférence que votre [charité] résolut avant son partement.

Leur cœur s’est tout renouvelé en la vue de ce secours, et se sont résolues de faire continuer leur ouvrage à Bicêtre, et pour cela Madame Traversay et Mademoiselle Viole y doivent aller lundi passer la journée. Elles m’ont chargée de solliciter Monsieur Drouard pour recevoir 500 livres d’une part, et deux cents de l’autre, et cela par l’ordre de Madame la duchesse d’Aiguillon. l’espère que votre retour achèvera de donner trêve aux grands besoins de l’œuvre de Notre-Seigneur, par l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la congrégation de la Mission.

Lettre 998. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Marie de Fortia, épouse de Jérôme de l’Arche, seigneur de Saint-Mandé, lieutenant général civil et criminel au baillage du palais à Paris

 

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999. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Octobre 1647] (1)

Monsieur,

Une bonne dame, excitée par Mademoiselle de Lamoignon et par la conduite de la divine Providence nous a envoyé cent écus pour ces pauvres petits enfants. Soyez-lui-en reconnaissant pour nous, s’il vous plaît, Monsieur, et me permettez faire souvenir votre charité de notre sœur Jeanne Lepeintre.

Je vous supplie, si vous le jugez à propos, nous laisser les 3 mémoires que nous vous avons envoyés pour l’assemblée des dames, crainte qu’ils ne soient brouillés en votre absence

Mon incommodité me continue, et j’ai pensé que notre bon Dieu, par ces si fréquents changements d’un peu mieux et plus mal, veut que le m’en serve pour faire connaître à votre charité l’inconstance de mes passions, de qui je suis si dépendante que, quelque résolution que je fasse, [elles] ne me donnent point liberté de les assujettir à la raison, étant quelques jours un peu remise, et aussitôt je m’échappe.

Je supplie très humblement votre charité, si elle a, dans quelques-uns de ses livres, quelque image approchante de la ressemblance des images de la Charité (2), me faire le bien m’en donner une, et vous demande pardon de cette liberté. C’est que je n’en puis recouvrer comme je la souhaite, et j’espère que cela m’aiderait beaucoup, aidée aussi des prières de votre charité, de qui je suis, mon très honoré Père, très obéissante servante et tout indigne fille.

Faites-moi, s’il vous plaît la charité de me donner la bénédiction de notre bon Dieu et la votre à la sainte messe.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1000. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Novembre 1647] (1)

Monsieur,

Il m’a semble que Dieu a mis mon âme dans une grande

Lettre 999. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

2) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Voir t. II, p. 10, note 6.

Lettre 1000. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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paix et simplicité à l’oraison, très imparfaite de ma part, que j’ai faite sur le sujet de la nécessité que la compagnie des Filles de la Charité soit toujours successivement sous la conduite que la divine Providence leur a donnée, tant pour le spirituel que temporel, en laquelle je pense avoir vu qu’il serait plus avantageux à sa gloire que la compagnie vint à manquer entièrement, que d’être en une autre conduite, puisqu’il semble que ce serait contre la volonté de Dieu. Les marques sont qu’il y a sujet de croire que Dieu inspire et fait connaître sa volonté pour la perfection des œuvres que sa bonté veut faire, au commencement qu’il fait connaître ses desseins, et vous savez, Monsieur, qu’en ces commencements de celui-ci, qu’il a été proposé que le temporel de ladite compagnie, s’il venait à manquer par malversation, retournerait à la Mission, à ce qu’il fut employé pour l’instruction du peuple des champs.

J’espère que, si votre charité a entendu de Notre-Seigneur ce qu’il me semble vous avoir dit en la personne de saint Pierre, que c’était sur elle qu’il voulait édifier cette compagnie, qu’elle persévérera au service qu’elle lui demande pour l’instruction des petits et le soulagement des malades. Pour ce qui est du parloir je n’ai point vu en mon esprit aucune résolution ; mais pour l’élection des dames, oh ! je vois toujours plus nécessaire celle dont j’ai parlé à votre charité, de qui je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Je supplie très humblement votre charité, s’il y a moyen, nous donner demain la conférence et nous faire le bien de nous en avertir.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1001. — ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 4 décembre 1647

Monsieur,

Je vous rends grâces de tout mon cœur de tous les soins que vous avez pris de nous donner Monsieur de Sevin pour évêque de Sarlat. C’est un œuvre de si grand mérite qu’il

Lettre 1001. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

 

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ne se peut dire. Dieu soit votre récompense ! J’ai mis dans votre paquet la réponse d’une lettre qu’il m’a écrite, n’ayant point d’adresse ; j’ai cru que vous auriez agréable de prendre la peine de la lui faire tenir.

Monsieur d’Estrades nommé à l’évêché de Condom, m’a écrit depuis peu que vous aviez résisté puissamment au Conseil à ce que l’abbé duquel je vous avais écrit par son avis (1) ne fût nommé évêque de Périgueux. Je ne puis concevoir comment il est possible qu’on pense à donner des évêchés à des personnes de cette sorte, et un évêché de telle importance que celui de Périgueux, et en l’état auquel il est et qu’on sait bien, l’ayant dit et déclaré si souvent, et la nécessité d’y pourvoir d’un homme apostolique ; à quoi je vous conjure de vous employer et ne vous lasser jamais pour une si sainte œuvre.

La Mère de Laroque, élue prieure du monastère du Pouget par les religieuses de cette maison fait bien sa charge. J’ai dit à un sien beau-frère, qu’elle m’avait envoyé pour me visiter de sa part, qu’il fallait avoir le brevet du roi, suivant ce que vous m’aviez écrit. Ils enverront ou donneront ordre à quelqu’un de Paris de le demander. Celui qui aura cette charge s’adressera à vous pour savoir l’ordre qu’il faut qu’il tienne pour le retirer. Je suis toujours, Monsieur, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

 

1002. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 13 décembre 1647.

Je rends grâces à Dieu de l’accroissement de votre santé au milieu de tant de travaux. Vous êtes délicat et faible et sans cesse dans des exercices pénibles ; néanmoins sa divine bonté se plaît à vous conserver. Ce n’est pas sans raison, ni sans m’avoir fait penser qu’il en va presque de vous comme de Mademoiselle Le Gras, laquelle je considère comme morte naturellement depuis dix ans ; et, à la voir, on dirait qu’elle sort du tombeau,

1) Voir la lettre 980.

Lettre 1002. — Reg. 2, p. 218.

 

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tant son corps est faible et son visage pâle ; mais Dieu sait quelle force d’esprit elle n’a pas. Il n’y a pas longtemps qu’elle a fait un voyage de cent lieues (1) ; et sans les maladies fréquentes qu’elle a et le respect qu’elle porte à l’obéissance, elle irait souvent d’un côté et d’autre visiter ses filles et travailler avec elles, quoiqu’elle n’ait de vie que celle qu’elle reçoit de la grâce. C’est la même grâce aussi, Monsieur, qui vous fortifie pour vous sanctifier, et qui vous sanctifie afin que vous confortiez les autres dans les voies du salut.

J’approuve infiniment le petit support que vous vous donnez, vous et M. Martin, dans les prédications et catéchismes que vous et lui faites journellement. O bonté divine, unissez ainsi tous les cœurs de la petite compagnie de la Mission, et puis commandez ce qu’il vous plaira ; la peine leur sera douce et tout emploi facile, le fort soulagera le faible et le faible chérira le fort et lui obtiendra de Dieu accroissement de force ; et ainsi, Seigneur, votre œuvre se fera à votre gré et à l’édification de votre Église, et vos ouvriers se multiplieront, attirés par l’odeur d’une telle charité.

 

1003. — ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GÊNES,

A SAINT VINCENT

16 décembre 1647.

La mission de… a pleinement réussi ; sept bandits se sont convertis et un Turc employé au service d’un gentilhomme a demandé le baptême, qu’on lui a donné, après l’avoir convenablement préparé.

1) Pour conduire les Filles de la Charité à l’hôpital de Nantes.

Lettre 1003. — Abelly, op. Cit, 1. II, chap. I, sect. IV, p. 70.

 

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1004. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

20 décembre 1647.

Que dirons-nous de la maison de Marseille ? Elle a grand besoin de votre secours ; venez-vous-y-en donc s’il vous plaît, au plus tôt ; vous y trouverez indigence d’ouvriers et, comme vous savez, d’un bon supérieur (1) particulièrement à cette heure que l’on projette d’y établir un séminaire, lequel sans doute y sera fort utile. Mais quel remède à ces besoins ? Nous y allons bien envoyer deux ou trois personnes après l’ordination ; et notre frère Get (2), qui fait l’entretien du matin aux ordinands avec grande clarté et beaucoup de témoignages de sa suffisance, sera du nombre, ainsi que, je l’espère, pour aller diriger ledit séminaire ; mais d’y envoyer un chef capable, il nous est impossible. Nous avions pensé à M. [Cuissot], qui a la vigilance aux choses extérieures, mais peu d’onction pour le dedans, bien qu’il soit tout à Dieu ; et voilà que Monseigneur de Cahors nous l’a enlevé, ne pouvant goûter M. [Testacy], qui est maintenant à Saintes. M. du Chesne serait bien propre, s’il était ici, car la diversité des emplois de cette maison-là requiert un esprit agissant ; mais il y a six mois que nous

Lettre 1004 — Reg. 2, p. 102.

1). Le supérieur était Jean Chrétien.

2). Firmin Get, né à Chépy (Somme) le 19 janvier 1621, entré dans la congrégation de la Mission le 6 janvier 1641, reçu aux vœux en janvier 1643. Il fut placé à la maison de Marseille en 1648, en prit la direction en 1654 et la garda jusqu’à 1662, sauf un temps très court passé à Montpellier pour fonder un séminaire qui ne dura que quelques mois (1659-1660). Il devint ensuite supérieur à Sedan (1663-1668, 1673-1681), supérieur au Mans (1670-1673), et visiteur de la province du Poitou, poste qu’il occupa jusqu’au 4 avril 1682.

 

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n’avons reçu de ses lettres (3), ce qui nous met bien en peine. D’un autre côté, la Providence nous ôte les moyens d’y laisser pour un temps M. Dehorgny, comme nous avions projeté ; enfin elle nous contraint d’y laisser encore M. [Chrétien] (4).

Cela étant, je vous supplie de le ménager et de considérer deux choses : l’une, qu’il a auprès de lui une personne qui, par antipathie, fait voir ses fautes plus grandes que peut-être elles ne sont ; et l’autre, qu’il est difficile de se bien posséder et d’être exact à tout parmi la multiplicité des affaires. Vous y aurez égard, s’il vous plaît, et le traiterez le plus doucement qu’il vous sera possible, pour ne le pas décourager. Si néanmoins, vous jugez que M… soit pour mieux réussir en la conduite que l’autre, vous en pourrez faire un essai.

Il sera bon que vous apportiez une grande circonspection, en ce qui regarde l’hôpital, envers Messieurs les administrateurs, et surtout et pour toutes choses envers Monseigneur de Marseille (5). Notre-Seigneur vous inspirera le reste et vous donnera part à son esprit. Je l’espère d’autant plus que cette visite est plus importante que les précédentes, comme cette maison est aussi la plus difficile que nous ayons, à cause de la diversité extraordinaire de ses emplois : de l’hôpital, des missions sur les galères, des missions sur le terroir, des aumôniers, du séminaire, des affaires de Barbarie, des lettres qu’il faut envoyer et recevoir, et de quelques autres circonstances.

3) Vincent de Paul ne tarda pas à recevoir des nouvelles de Pierre du Chesne, qui était malade en Irlande.

4). Il continua jusqu’en 1653.

5). Etienne du Puget (1644-1668).

 

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1005. — A NICOLAS PAVILLON, ÉVÊQUE D’ALET

De Paris, ce [3e] janvier (1) 1648.

Monseigneur,

Agréez, s’il vous plaît, qu’en ce commencement d’année, je vous renouvelle les offres de mon obéissance perpétuelle, et que, prosterné en esprit à vos pieds, Monseigneur, je vous demande votre bénédiction, à ce qu’il plaise à Dieu faire miséricorde à mon âme, maintenant que sa séparation est proche d’avec ce misérable corps. C’est ce que je fais, Monseigneur, avec toute l’humilité et la confiance que le peut un pauvre prêtre vers l’un des plus dignes prélats qu’il connaisse au monde. J’apprends de plus en plus, Monseigneur, la bénédiction que Dieu donne à vos conduites tout apostoliques et qui répandent partout tant de suaves odeurs que mon chétif cœur ne peut contenir la joie qu’il en ressent. Je prie Notre-Seigneur qu’il continue de se glorifier par elles.

J’ai été prié par M. de Benjamin, fils de feu M. de Benjamin, qui tenait de l’Académie du roi, de vous parler de lui et de vous supplier, comme je fais, Monseigneur, de le recevoir pour quelque temps près de votre sacrée personne. Il est ecclésiastique, diacre, âgé de 28 ou 30 ans, pieux, savant, qui a l’esprit bon et qui ne cherche qu’à se perfectionner en sa profession ; ce qu’il témoigne particulièrement par le choix qu’il fait d’une si bonne école. Je ne vous en parle, Monseigneur, qu’à

Lettre 1005. — Gossin, op. Cit., p. 453, d’après l’original communiqué par la marquise de Périer

1) Texte de Gossin : 31. cette date est évidemment fautive, car la réponse est du 29 janvier.

 

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condition que vous le puissiez faire sans vous incommoder. Il ne vous sera nullement à charge pour sa dépense, car il a 5 ou 6.000 livres de rente de son patrimoine. Faites-moi la grâce, s’il vous plaît, Monseigneur, de me mander votre intention et de m’honorer de vos commandements. Vous savez qu’ils me seront très chers et que je suis à la vie et à la mort, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa glorieuse Mère, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1006. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1644 et 1649] (1)

Se souvenir d’avertir les dames qu’elles prennent garde, dans les instructions, de ne pas beaucoup parler aux extrêmement malades, quoiqu’ils n’aient pas fait de confession générale, mais seulement les avertir de se confesser des péchés qu’ils auraient oubliés ou retenus autrefois, s’ils s’en souviennent, avec volonté de se confesser de tous ceux qu’ils ont commis contre Dieu et le prochain ; si elles pouvaient leur faire prononcer des actes de foi, espérance et charité nécessaires à salut et employer beaucoup de temps à disposer ceux qui guérissent, à faire des résolutions de vivre en bonnes chrétiennes. et leur enseigner comment il faudra qu’elles fassent. Voilà, Monsieur, l’avis de la Mère dite des Sacrements (2) donné à Mademoiselle de Villenant. Mais je viens de recevoir cette lettre de Mademoiselle de Lamoignon, qui dit que

Lettre 1006. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original Par cette lettre, Louise de Marillac suggère à saint vincent les avis qu’il conviendrait de donner aux dames de la Charité dans la réunion du lendemain

1) L’empreinte apposée sur la cire qui a servi à cacheter cette lettre ne se trouve sur aucune des lettres antérieures à l’année 1644 ; I’expression "Monsieur" indique qu’il faut la placer avant 1650

2.La religieuse augustine de l’Hôtel-Dieu chargée d’avertir l’aumônier quand un malade demandait les sacrements.

 

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Mademoiselle de St-Mandé propose de n’en rien dire à la grande assemblée.

S’il plaît à votre charité, Monsieur, se souvenir de faire entendre le bien que c’est d’aider à la continuation d’un bon œuvre commencé aussi bien après sa mort que durant que l’on y agit en sa vie, quand il est entrepris pour l’amour de Dieu, comme celui des Enfants treuvés, et que pour cela ceux qui, par leur testament, font du bien en ont même mérite quand il est fait en parfaite charité, que de ce qu’ils ont fait en leur vie, ayant eu la volonté de le faire s’ils eussent pu, pourvu que cela soit véritable ? Je pense que cela pourra servir, représentant le danger que tout demeure. S’il plaît aussi à votre charité me mander la demeure de Madame la présidente du Sault pour lui envoyer le billet pour l’avertir de l’assemblée de demain, que vous n’oublierez pas, s’il vous plaît. ?

Les dames se relâchent bien de se treuver à la collation, et quelques-unes méritent louange pour y être bien soigneusement.

Pardonnez, Monsieur, à votre très petite fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1007. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce mercredi matin [15 janvier 1648] (1)

Monsieur,

Nous sommes arrivés à Bicêtre en bonne santé, Dieu merci, mais pour n’y guère être. Je supplie très humblement votre charité nous envoyer dès demain le frère boulanger à qui j’ai parlé, pour nous instruire et aider à faire faire un bon four et nous trouver une personne qui s’y entende bien. Il serait bien nécessaire aussi de commencer à vendre le vin ; il s’en fait un très grand débit en ce quartier, en barils et grosses bouteilles, à cause des soldats (2), Que si l’on attendait

Lettre 1007. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Les cabaretiers de Paris ne virent pas cette vente de bon œil ; ils firent tomber leur colère sur les sœurs et allèrent jusqu’à les insulter et les maltraiter. Les coupables, déférés à la justice, n’échappèrent au châtiment que sur l’intervention de Vincent de

 

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davantage, il est à craindre que la vente ne soit pas si bonne. Ma sœur Geneviève (3) dit qu’elle croit que ces dames veulent attendre d’avoir du vin de moindre prix pour le mêler.

Je ne pense pas que ce fût un ménage, parce qu’il serait nécessaire d’un garçon pour cela, qui pourrait bien emporter tout le profit, outre que ce serait un grand embarras pour nos sœurs, qui auraient à prendre garde que l’on ne fit point de tort, ce qui serait bien difficile à éviter.

Je supplie très humblement votre charité se souvenir que c’est d’aujourd’hui en huit jours qu’elle nous a promis la conférence (4).

Je vis hier la sœur de Monsieur Vacherot bien fort malade. Elle me dit de la recommander en vos saintes prières et que, si elle osait, elle vous supplierait de lui faire la charité de prendre la peine de l’aller voir. Si elle empirait, je vous en supplierais volontiers. Je prie notre sœur Julienne (5) de vous en avertir si vous le jugez à propos.

Je pense que cela ferait beaucoup de bien à nos sœurs que vous prissiez aussi la peine de donner une visite à nos sœurs

Paul. (Déposition de sœur Geneviève Doinel, dix-septième témoin au procès de béatification de saint Vincent.)

3). Geneviève Poisson.

4). Saint Vincent donna sa conférence le 22 janvier.

5). Julienne Loret était née à Paris. Orpheline de bonne heure, elle fut recueillie par les parents de Jacques de la Fosse, prêtre de la Mission. "C’était un petit corps qui renfermait une grande âme", est-il dit dans la conférence qui fut faite après son décès. (Recueil des principales circulaires des s. upérieurs générauX de la Mission, Paris, 1877-1880, 3 vol. in-4, t. II, p. 524) Elle entra en communauté le 9 juin 1644 et fit les premiers vœux le 25 décembre 1649. Son mérite et sa vertu étaient si remarquables que, trois ans à peine après son admission, le 30 octobre 1647, elle était chargée de la formation des nouvelles sœurs. Louise de Marillac la prit en même temps pour son assistante. "C’était elle qui conduisait toute la communauté, dira plus tard Mathurine Guérin, parce que Mademoiselle n’était point en état d’assister à aucun exercice."(Recueil des principales circulaires, t. II, p.530) Julienne Loret faisait en même temps les fonctions de secrétaire A ce titre, elle était chargée de prendre les entretiens de saint Vincent, qu’elle écoutait, la plume en main. En 1651, elle fut envoyée à Chars (Seine-et-Oise) pour mettre ordre à une situation particulièrement délicate. Quand elle revint à Paris en 1653, après deux ans de dures épreuves, ce fut pour recevoir sa nomination de supérieure à Fontenay-aux-Roses (Seine), où elle était encore en 1655. Rappelée à la maison-mère, elle y remplit de nouveau les fonctions d’assistante,

 

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du logis, pour faire entendre à ma sœur Hellot le bien qui peut arriver à la compagnie que les sœurs s’habituent à la soumission les unes aux autres, et que celles qui paraissent avoir quelqu’autorité servent d’exemple.

Le travail de nos pauvres sœurs de céans n’est presque pas croyable, non tant pour la grande peine comme pour les répugnances que naturellement l’on a à cet exercice. C’est pourquoi il est très juste de leur aider à les encourager et faire connaître ce qu’elles font et ce que c’est de leur exercice devant Dieu, comme aussi de les aider de prières. J’en ai plus de besoin que pas une, étant la plus infirme de corps et de courage, quoique j’aie le bonheur d’être, Monsieur, votre très humble servante et très obligée fille.

Suscription : A Monsieur, Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission.

 

1008. — A PLUSIEURS PRÊTRES (1)

De Paris, ce 17 janvier 1618.

Messieurs,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ayant su les travaux que vous avez pris en la mission sur les galères et la bonne part que vous avez à la bénédiction qu’il a plu à Dieu d’y donner, je n’ai pu dénier à mon cœur le témoignage de reconnaissance que j’en dois à votre zèle. Quel bonheur, Messieurs, d’imiter de si près Notre-Seigneur, qui est venu en ce monde pour

qu’elle conserva après la mort de la fondatrice, sous la Mère Chétif, et qu’elle reprit plus tard sous la Mère Nicole Haran. Elle mourut à Fontainebleau le 9 août 1699. Sa vie manuscrite, œuvre d’Antoine Durand, prêtre de la Mission, se trouve à la maison mère des Filles de la Charité.

Lettre 1008. — L. s. — Original à l’hôpital Saint-Eloi de Montpellier

1) Peut-être des prêtres de la congrégation fondée par Christophe d’Authier.

 

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les mêmes fins pour lesquelles vous vous êtes donnés à lui dans l’emploi que vous avez, d’autant plus grand que les besoins sont extrêmes parmi ces pauvres âmes ! Certes, votre couronne sera grande, et plus grande si vous l’acquérez par la. persévérance. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous anime de plus en plus de son esprit, et qu’il me donne les occasions de vous rendre mes services, désirant de tout mon cœur de vous témoigner que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Messieurs, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1009. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 23 janvier [1648] (1)

Monsieur,

Voilà la lettre de Mademoiselle Poulaillon qui donne témoignage de la fidélité de cet homme qui se présente pour Bicêtre (2), Il dit, outre cela, qu’il sait bien faire le pain, travailler au jardin, labourer et charrier. Tout cela est à faire en ce lieu-là, et le tout fort cher, quand il faut faire travailler à journée. Si votre charité le treuve à propos, elle parlera de l’impossibilité de faire la porte pour vendre Le vin au lieu où Madame la présidente de Herse l’avait marqué, à cause qu’il faudrait des degrés au moins de deux toises, ou à peu près.

Il est mort 52 enfants dans Bicêtre depuis que l’on y est, et bien encore 15 ou 16 qui ne valent guère mieux. J’espère

Lettre 1009. — L. a. — Dossier des Fille, de la Charité, original.

1) La lettre de Mademoiselle de Pollalion, à la suite de laquelle Louise de Marillac a écrit la sienne, porte la date du 22 janvier 1648.

2). La lettre de Mademoiselle de Pollalion a été publiée par la sœur de Geoffre dans le volume autographié des Lettres de Louise de Marillac p. 350

 

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que, quand tout sera bien accommodé selon le désir de ces bonnes dames, ils n’iront pas si vite. Peut-être qu’elles diront que j’ai parlé du besoin qu’il y a que le Saint Sacrement y soit, non seulement pour la nécessité, mais pour que Notre-Seigneur prenne possession de cette maison, à la vue du peuple, qui a intérêt à l’œuvre en quelque manière. Ce qui me fait prendre la liberté de vous dire qu’il m’est venu en la pensée que non seulement les dames devaient être averties du jour mais aussi de faire dire efficacement aux prônes des paroisses, pour obliger le monde à y faire du bien. Car comme l’on voit ce magnifique lieu, que l’on croit être aux petits enfants, que toutes les personnes qui le gouvernent sont de grande condition, la plupart croient qu’il y a de grands biens, et il nous faut emprunter ce que l’on achète pour les provisions, outre toutes les autres nécessités que vous savez.

S’il plaît à votre charité se souvenir de nous demander des filles nous en sommes dans une nécessité bien pressante, car l’ouvrage de la maison et d’ailleurs augmente tous les jours.

Faites-moi toujours l’honneur de me croire, Monsieur, votre très obéissante servante et très obligée fille.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1010. — A LA DUCHESSE D’AIGUILLON

24 janvier 1648.

Madame,

Il n’y a que Notre-Seigneur seul qui vous puisse faire comprendre la consolation que j’ai reçue de la bénédiction qu’il a donnée aux armes de Mgr le duc de Richelieu (1), ni la tendresse avec laquelle je lui demande sa

Lettre 1010. -- Reg I, f° 67, copie prise sur la minute autographe.

1) Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, né le 2 octobre 1631, avait succédé à son père François de Vignerod, frère de la duchesse d’Aiguillon, dans la charge de général des galères. Dans ! a bataille dont parle ici saint Vincent, le duc avait sous ses ordres une trentaine de vaisseaux français, trois vaisseaux portugais et quatre brûlots. Il mit le feu à cinq vaisseaux espagnols, qui avaient jeté l’ancre sous Castellamare ; et comme le gros de la flotte

 

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conservation et la sanctification à l’infini de votre chère âme.

Voici des lettres de Marseille. J’ai grande peine d’envoyer là (2) M. Lambert, pour beaucoup de raisons. M. Codoing est dangereusement malade et peut-être devant Dieu. C’est à Saint-Méen où il est tombé malade. Nous avons céans un homme qui a quelques qualités plus accommodantes pour le dehors que M. Delattre ; c’est le supérieur de La Rose ; je dis M. Delattre ; il est vrai que M. Delattre est plus intérieur et régulier. Nous verrons en suite de la visite de M. Portail, dont il me doit envoyer le résultat par le premier courrier.

Je lui dis hier, par ma lettre que j’écrivis au soir, qu’il partît pour Annecy aussitôt qu’il aurait achevé la visite à Marseille ; mais ayant relu sa lettre, que je vous envoie ce matin, j’ai pensé qu’il est à propos qu’il demeure jusques à ce que les affaires de la maison et du séminaire soient éclaircis (3), et je lui mande qu’il demeure.

Madame la princesse (4) doit assister, à 3 heures précisément aujourd’hui, chez Madame de Lamoignon, à l’assemblée. Y serez-vous, Madame ? Si cela est, nous aurons

ennemie approchait, il la canonna, la repoussa sur Baia et sur le château de l’Œuf et coula trois ou quatre navires. Cette victoire fut sans lendemain, à cause du manque de vivres, qui obligea la flotte à revenir sur les côtes de France. Le duc de Richelieu mourut le 10 mai 1715.

2) A Marseille comme supérieur.

3). Le séminaire de Marseille s’ouvrit dans le courant de l’année 1648. Ce fut un des motifs qui retinrent si longtemps Antoine Portail dans cette ville, où il dut encore s’occuper de procurer un logement convenable aux missionnaires, qui étaient à l’étroit dans une maison louée au voisinage de l’arsenal. Il acheta pour eux un vaste terrain, situé aujourd’hui au centre de la ville, entre la rue du Tapis-Vert la rue Thubaneau, le boulevard Dugommier et la rue Longue-des-Capucines, et fit commencer les constructions, qui devaient durer une dizaine d’années. (Cf. Simard, op. cit, p. 95.)

4). Charlotte de Montmorency, princesse douairière de Condé.

 

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le bonheur de vous parler de toutes ces choses. Vous verrez ici une lettre de M. Barreau.

 

1011. — NICOLAS PAVILLON A SAINT VINCENT

D’Alet, ce 29 janvier 1648.

Monsieur mon très cher et très honoré Père,

Je chéris et respecte d’autant plus les lettres qui me viennent maintenant de votre part, que je sais qu’elles sont comme tirées de la presse de vos saintes et très importantes occupations pour le service de Dieu et de l’Église, qui vont, comme j’apprends, croissant de jour en jour. Aussi, quand ce bonheur m’arrive, je le reçois comme un effet de votre charité paternelle vers moi, qui me sens obligé par conséquent de vous en faire un remerciement très particulier avec toute l’humilité affection et révérence qui m’est possible.

Si la disposition de notre pauvre et chétive famille et la condition de nos divers petits emplois souffraient que je reçusse des ecclésiastiques parmi nous pour y faire servir, autres que ceux qui nous sont nécessaires pour l’administration du diocèse et des affaires qui en dépendent, j’agréerais de bien bon cœur une telle occasion qu’il vous plaît me proposer et qui, à mon avis, ne pourrait réussir qu’à la commune édification de tous nos domestiques et de notre clergé. Mais me trouvant ci-devant obligé de m’excuser, pour ces mêmes raisons, envers plusieurs, des principales et des plus remarquables familles de ce pays, qui s’étaient présentés pour cette même fin, je devrais, ce me semble, appréhender de leur donner quelque sujet de mécontentement, en recevant quelques autres d’ailleurs, et de faire encore un préjugé pour l’avenir en semblables rencontres. Examinez, Monsieur, vous-même, s’il vous plaît, le fondement de cette difficulté.

Cependant mon très cher et très honoré Père, je ne vous puis dissimuler qu’un des plus grands désirs qui me pourraient rester en cette vie serait d’avoir l’honneur de vous revoir encore et de jouir, au moins pour quelque peu de temps, de votre santé et amiable conversation, ce qui serait sans doute d’une singulière consolation et très grande utilité spirituelle pour moi. Mais si la divine Providence en dispose autrement, comme il y a de l’apparence, au moins la suppliai-je

Lettre 1011. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

 

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très humblement de n’avoir pas égard à mon extrême indignité pour me priver de cette grâce dedans l’éternité. Vous me pouvez, mon très cher Père, par vos saintes prières et sacrifices, obtenir cette miséricorde, et c’est de quoi je vous conjure très instamment comme aussi de me croire plus que jamais, en l’amour de notre cher Sauveur et de sa sainte Mère, Monsieur mon très cher et très honore Père, votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur et fils.

NICOLAS,

indigne évêque d’Alet.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission, à Saint-Lazare-lez-Paris.

 

1012. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Les habitants de Saché (1), commune de 600 communiants, ont suivi avec édification les exercices de la mission : 1200 fidèles se sont trouvés à la communion générale ; nombreuses ont été les réconciliations, restitutions et conversions ; le curé, son vicaire et cinq autres ecclésiastiques ont fait leur confession générale ; un des plus riches du lieu, dont le cœur était resté jusqu’alors fermé à la compassion, a fait annoncer au prône qu’il donnerait du pain, trois fois la semaine, aux pauvres qui se présenteraient à sa porte.

 

1013. — BALTHAZAR GRANGIER, ÉVÊQUE DE TRÉGUIER,

A SAINT VINCENT

Guingamp, 1648.

Votre lettre nous a trouvés tous occupés dans notre mission, de laquelle j’espère beaucoup. L’un de vos prêtres y prêche le soir admirablement et dévotement ; un autre fait le principal

Lettre 1012. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 8, 1er éd., P 53

1) Commune de l’arrondissement de Chinon (I-et-L.).

Lettre 1013. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 6, 1er éd., p 44

 

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catéchisme à une heure après-midi, où il se fait admirer et aimer des petits et des grands ; un autre fait le petit catéchisme, et mon théologal prêche le matin en bas breton enfin tout le monde travaille et on n’a pas même voulu me laisser oisif, car je prêche deux jours la semaine. Nous commencerons tous à confesser demain, Dieu aidant. Les gens de ce pays sont fort étonnés, n’étant pas accoutumés aux missions, chacun en dit son avis diversement mais avec respect. J’espère qu’avec la grâce de Dieu tout ira bien.

 

1014. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[1648] (1)

Voilà que nous allons enterrer le corps de notre bon Monsieur du Chastel, qui décéda hier, à une heure après midi, après avoir si longtemps édifié de sa patience dans une aussi fâcheuse maladie que la sienne. Je vous prie de lui rendre les assistances des saints sacrifices et des prières de votre famille.

 

1015. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

De Paris, ce 7 février 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Mon Dieu ! Monsieur, que je suis consolé de la conférence que vous avez faite sur les défauts des missions des galères ! Le fruit qui en a réussi (1) est une marque que Dieu a eu bien agréable cette action. Je l’en remercie de

Lettre 1014. — Ms. de Lyon.

1) Année de la mort de Pierre Duchastel.

Lettre 1015. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Qui en a réussi, qui s’en est ensuivi.

 

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tout mon cœur, et vous, Monsieur, de ce que vous avez : assisté à l’assemblée de Messieurs les administrateurs (2). Je n’ai pu achever de lire les articles qu’ils vous ont proposés ; je les verrai, Dieu aidant, ensemble la fondation de Madame la duchesse (3). Afin que sur les obligations d’icelle je vous puisse dire mes pensées avant que vous dressiez aucun règlement touchant l’hôpital, je vous prie de nous envoyer une copie de la patente de sa fondation, laquelle nous servira à bonne fin ; je dis la fondation ou déclaration du roi à l’égard de l’hôpital (4). Il sera bon que vous fassiez entendre auxdits sieurs administrateurs que la compagnie n’a point de visiteur général, mais seulement un en chaque province.

Je ne suis pas marri que M. Tyrry n’aille à Alger et serais bien aise de savoir si M. Lesage y est allé et quel temps il a eu.

Dans cinq ou six jours, Dieu aidant, nous vous allons envoyer une belle carrossée de monde, la plus grande partie pour Rome et l’autre pour Marseille. Je vous prie de les attendre et de me recommander à Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Monseigneur de Marseille (5) est-il de retour ? Lui avez-vous rendu ma lettre et fait la proposition du séminaire ? En ce cas, quel accueil et quelle disposition avez-vous remarqués ?

Au bas de la première page. M. Portail.

2) Les administrateurs de l’hôpital des galériens.

3) La duchesse d’Aiguillon.

4) Ce membre de phrase est de la main du saint.

5) Etienne de Puget.

 

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1016. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 14 février [1618] (1)

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais

Je ne doute point que Messieurs les administrateurs (2) n’aient dessein de prédominer en tout. Quand ils vous reparleront des règles de l’hôpital, dites-leur, s’il vous plaît, comme de vous-même, qu’une bonne maxime de ceux que Dieu emploie à l’établissement des œuvres saintes et nouvelles est de différer autant qu’ils peuvent le règlement qu’ils font, à cause que l’expérience montre que ce qui est faisable au commencement est parfois nuisible dans le progrès, ou sujet à des inconvénients fâcheux ; que pour cela quelques communautés n’ont fait leurs constitutions que cent ans après, comme les Chartreux. Saint Ignace ne fit qu’un petit projet des siennes ; mais sa compagnie les a mises depuis en l’état qu’elles sont, selon les lumières que le temps leur a découvertes. M. de Genève, pour s’être trop hâté à faire le règlement des filles de Sainte-Marie, a été obligé de faire un directoire (3).

Si, après cette raison générale, lesdits sieurs administrateurs

Lettre 1016. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) La lettre est de 1648, bien que le secrétaire l’ait, par distraction, datée de 1647. Trois raisons plus particulièrement nous portent à faire cette modification au texte : 1° Les missionnaires d’Hibernie n’ont pu écrire au saint en septembre 1646, vu qu’ils n’ont quitté la France que deux mois après, en novembre (cf. 1 902) ; 2° Firmin Get n’était pas prêtre le 20 décembre 1647 (cf 1 1004) ; 3° Louis Callon vivait encore le 14 février 1647. Il faut donc abandonner l’année 1647, et seule l’année 1648 peut convenir.

2). Les administrateurs de l’hôpital des galériens.

3) Le directoire de la Visitation fut préparé dans une assemblée plénière tenue à Annecy en mai 1623, sous la présidence de sainte Chantal, la vénérable fondatrice s’inspira surtout de notes laissées

 

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vous pressent, venez au particulier et leur dites, s’il vous plaît, que nous ne pouvons nous obliger d’entretenir deux prêtres de la compagnie (4) dans l’hôpital : 1° parce que la fondation de Madame la duchesse (5) ne le détermine pas ; 2° que le revenu n’est suffisant pour cela et pour les autres charges ; 3° que notre institut n’a que deux fins principales, savoir est l’instruction du pauvre peuple de la campagne et les séminaires ; qu’en cela git notre devoir, et non en la direction des hôpitaux qui n’est qu’un accessoire ; que néanmoins nous avons entrepris celle dont est question, dans la pensée d’y employer des prêtres externes, quand les nôtres ne pourraient suffire, ainsi que nous faisons dans les missions. Je vous envoie un extrait de ce à quoi la fondation nous oblige. Certes, l’entretien de deux prêtres à l’hôpital nous serait une grande charge, puisque, si l’un d’eux tombait malade, comme il arriverait souvent, il en faudrait un troisième. Dieu vous inspirera le reste.

Notre monde partira, Dieu aidant, au premier voyage du coche de Lyon. M. Gallais sera de la partie, comme j’espère. M. Get est assez bon et sage pour servir d’assistant. Ce n’était pas mon intention qu’on nourrît si longtemps le prêtre arménien ; mais, puisque c’est faire une charité, in nomine Domini ! 2 ou 3 séminaristes du collège (6) étaient tout disposés d’aller sur les galères ; mais sur ce que M. Chrétien nous manda qu’il ne les fallait envoyer et qu’il trouve

par saint François de Sales, mort le 28 décembre 1622. ce directoire a été édité en 1850 sous le litre Coutumier et directoire pour les sœurs religieuses de la Visitation Sainte-Marie.

4) Les mots "de la compagnie" sont en interligne et de la main du saint

5.) La duchesse d’Aiguillon

6) Le collège des Bons-Enfants

 

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rait suffisamment des prêtres du pays pour cela, nous les avons découragés et divertis de leur résolution ; si bien que je crains qu’il ne s’en trouvera point à présent qui veuillent y aller. J’ai néanmoins fait prier M. Berthe 7 d’en sonder quelques-uns.

J’ai reçu les papiers de M. de Trébizonde (8) et l’indulgence demandée par feu M. Callon (9).

Nous n’avons rien de nouveau, sinon de vieilles nouvelles d’Hibernie, arrivées depuis deux jours et datées des mois de septembre et de novembre.

M. du Chesne est incommodé d’un flux de sang depuis un mois avant sa dernière lettre, et notre frère Le Vacher (10) depuis qu’il est en Hibernie. Les autres sont bien disposés, grâces à Dieu. Les misères du pays sont grandes en toute façon et les ennemis environnent le lieu où nos gens résident, en sorte que, quand ils vont en mission, ils sont en danger (11) Je les recommande à vos prières, et en particulier mon âme.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Marseille.

7) Supérieur du collège des Bons-Enfants.

8) L’évêque in paribus de Trébizonde

9) Il était mort à Aumale le 26 août 1647

10) Philippe Le Vacher

11) Les troupes confédérées étaient entrées, en septembre 1647, à Tipperary et à Caher, puis, se portant sur Cashel, avaient pris la ville et massacré une partie de ses habitants. Le 13 novembre, elles infligèrent une sanglante défaite à l’armée irlandaise massée à Kanturk. Les catholiques irlandais qui échappèrent aux combats ou aux massacres ne pouvaient échapper à la misère. Les prêtres étaient plus exposés ; ils devaient se cacher pour pratiquer leur religion, sous peine de prison et de mort.

 

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1017. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 14 février 1648.

Les grâces que Dieu verse sur vos travaux sont des effets de sa pure miséricorde et non de nos chétives prières ; nous sommes de pauvres gens, plus capables de détourner ses bénédictions que de les attirer. Je remercie sa divine bonté du zèle et de la fidélité qu’elle donne à votre cœur et à ceux qui sont avec vous. Certes, Monsieur, je suis si touché de l’usage que vous faites de ces vertus et de beaucoup d’autres, que, quand l’occasion se présente d’exciter la communauté de Saint-Lazare à sa propre perfection, je lui rapporte les exemples que la vôtre nous en donne ; je lui raconte vos longs travaux, nonobstant les infirmités d’aucuns, votre patience dans les difficultés, la charité et le support que vous avez les uns pour les autres, le gracieux accueil, la prévention d’honneur et les services que les externes trouvent en chacun de vous. D’où vous voyez, Monsieur, que le miel de votre ruche s’écoule jusques dans cette maison et sert à la nourriture de ses enfants. O Dieu ! quel sujet de consolation pour toute la compagnie ! mais quel motif à notre petite famille de s’humilier devant Dieu et de faire toujours de mieux en mieux, puisqu’il se plaît à étendre et à multiplier ainsi les biens qu’elle fait, aux lieux mêmes où elle n’est point !

Les présents que l’on vous apportera dans Gênes, vous les pourrez recevoir, quoiqu’ils viennent des lieux où vous avez fait la mission ; mais ceux que l’on vous pourrait offrir en faisant lesdites missions, refusez-les honnêtement.

Lettre 1017. — Reg. 2, p. 199.

 

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1018. — A LA MARQUISE DE MAIGNELAY

De Saint-Lazare, ce samedi matin [1647 ou 1648] (1).

Madame,

C’est avec toute l’humilité et le respect qui m’est possible, que je vous supplie, prosterné en esprit à vos pieds, de me pardonner si je ne me rends aujourd’hui chez Monsieur du Fresne, selon votre commandement, pour ce que, ne pouvant faire ce qu’il a proposé, de suite, pour les raisons de conscience que je vous ai dites, Madame, j’aurais trop d’affliction de refuser en présence la personne du monde à laquelle j’ai plus d’obligation et d’affection d’obéir, du fait dont il s’agit, vous protestant, Madame, que j’aimerais mieux mourir que de vous désobéir, s’il y allait de moins que de mon salut, et que, tant s’en faut que ce soit manquer d’affection pour ces bonnes filles (2), que, si je me Laissais aller aux mouvements de ma nature, je m’en irais les trouver à l’heure que je vous parle.

Et pour ce qui regarde Mademoiselle d’Anse (3), je ne

Lettre 1018. — L. a. — Original au British Museum, Egleton ms 1609, f° 35. Cette lettre a été tirée en fac-similé à un grand nombre d’exemplaires

1) Voir note 2.

2) Les filles de la Visitation, que saint Vincent cessa de visiter pendant dix-huit mois, à la suite d’une résolution prise pendant sa retraite de 1646. Nous savons, par la conférence du 13 novembre 1654 aux missionnaires, que ces religieuses eurent recours à la marquise de Maignelay pour faire fléchir le saint et que ce moyen leur réussit.

3). Marie Lambert, demoiselle d’Anse, fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche et dame de la Charité. Disgraciée et renvoyée de la cour à l’époque de la Fronde, pour avoir laissé paraître ses sentiments vis-à-vis de Mazarin, elle sut si bien regagner la faveur de la reine que celle-ci lui donna dix mille livres par testament. Louise de Marillac et saint Vincent eurent plus d’une fois recours à ses bons offices.

 

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manquerai, Madame, d’aller recevoir vos commandements demain ou après, Dieu aidant, en l’amour duquel je suis, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Madame Madame la marquise de Maignelay.

 

1019. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Il y a plus d’un mois que nous sommes averties que Monsieur l’abbé de Vaux doit venir en cette ville au commencement du mois de mai, et qu’il est nécessaire qu’il ordonne d’un directeur pour nos sœurs, ce qui ne fait (1) avant que je vous aie fait toutes ses propositions, avant qu’il parte et que le changement des sœurs soit fait.

Mon peu d’expérience et capacité empêchent que je ne puis donner sujet à votre charité de prévoir (2) aux dangers où je vois souvent toute la compagnie dépérir petit à petit plutôt que s’établir ; ce qui me donne souvent les pensées d’Agar sur la crainte de la mort de son fils pour ne le voir périr ; mais plus justement qu’elle, puisque ce sont mes péchés qui sont cause de tous les désordres.

Je vous demande très humblement pardon de la surcharge de peine que je vous donne. Si je ne pensais que c’est la volonté de Dieu, j’essaierais de voir en paix tous ces dangers. Je supplie sa bonté y remédier et votre charité croire toujours que je suis, Monsieur, votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 1019 — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Probablement pour "ce qu’il ne fera"

 

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1020. — A CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A RICHELIEU (1)

De Paris, ce 22 mars 1648 (2)

Monsieur,

Il y a longtemps, Monsieur, que Notre-Seigneur a donné à votre cœur les sentiments pour lui rendre quelque signalé service ; et quand on fit à Richelieu l’ouverture des missions parmi les gentils et idolâtres (3), il me semble que Notre-Seigneur fit sentir à votre âme qu’il vous y appelait, comme pour lors vous me l’écrivîtes, ensemble avec quelqu’autre de la famille de Richelieu. Il est temps que cette semence de la divine vocation sur vous ait son effet. Et voilà que M. le nonce, de l’autorité de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi, de laquelle notre Saint-Père le Pape est chef, a choisi la compagnie pour aller servir Dieu dans l’île Saint-Laurent,

Lettre 1020. — Arch. de la Mission, dossier de Madagascar, copie ancienne.

1) Charles Nacquart, né à Treslon (Marne) était entré dans la congrégation de la Mission le 6 avril 1640, à l’âge de vingt-trois ans. Arrivé à Madagascar le 4 décembre 1648, il étudia si bien la langue du pays, avec laquelle il avait déjà fait connaissance sur le bateau qu’en peu de temps il fut capable de rédiger un court abrégé de la doctrine chrétienne. Il convertit plusieurs protestants, baptisa soixante-dix-sept malgaches et régularisa la situation de Français qui vivaient en concubinage avec des femmes indigènes. Il évangélisa non seulement Fort-Dauphin, mais tout le pays d’alentour, dans un rayon de plus de dix lieues. Tant de travaux l’épuisèrent. Il mourut le 29 mai 1650. Les Mémoires de la Congrégation de la Miss : on (Paris, 1863-1899, II vol. in-8°) ont publié (t. IX) ses lettres, son journal et son testament, sur d’anciennes copies conservées aux archives de la Mission

2). Abelly, qui reproduit cette lettre en entier (op. cit., t. II, chap. I, sect. IX, § I, p. 156), non sans la retoucher sur plusieurs points, la date d’avril 1648.

3). Le sens est : quand on annonça à la maison de Richelieu qu’on allait commencer la Mission de Madagascar.

 

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autrement dite Madagascar (4) ; et la compagnie a jeté les yeux sur vous, comme sur la meilleure hostie qu’elle ait, pour en faire hommage à notre souverain Créateur, pour lui rendre ce service, avec un autre bon prêtre de la compagnie.

O mon plus que très cher Monsieur, que dit votre cœur à cette nouvelle ? A-t-il la honte et la confusion convenables pour recevoir une telle grâce du ciel ? vocation aussi grande et aussi adorable que celle des plus grands apôtres et des plus grands saints de l’Église de Dieu ; desseins éternels accomplis dans le temps sur vous ! L’humilité, Monsieur, est seule capable de porter cette grâce ; le parfait abandon de tout ce que vous êtes et pouvez être, dans l’exubérante confiance en votre souverain Créateur doit suivre. La générosité et grandeur de courage vous est nécessaire. Il vous faut une foi aussi grande que celle d’Abraham ; la charité de saint Paul vous fait grand besoin ; le zèle, la patience, la déférence, la pauvreté, la sollicitude, la discrétion, l’intégrité des mœurs et le grand désir de vous consommer tout pour Dieu vous sont aussi convenables qu’au grand saint François Xavier.

Cette île [est] (5) sous le Capricorne. Elle a 400 lieues

4) Le départ des missionnaires fut si précipité que saint Vincent n’ayant pas le temps de recourir à Rome, se contenta de demander les pouvoirs à Nicolas Bagni, nonce en France. Le nonce ignorait que la Propagande réservait la Mission de Madagascar aux Carmes déchaussés et leur avait déjà accordé toutes les facultés nécessaires. Par décret du 20 juillet 1648, la Propagande suspendit les pouvoirs donnés par le nonce à Charles Nacquart et à Nicolas Gondrée. Toutefois, pour ne pas les condamner à une oisiveté forcée, elle leur permit d’exercer toutes les fonctions curiales, pour les catholiques de l’île seulement, jusqu’à ce que les Carmes eussent renoncé à leurs droits. La situation fut régularisée par le désistement de ces religieux et un nouveau décret de la Propagande.

5). Mot oublié dans la copie.

 

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de long et environ cent soixante de large (6). Il y a des pauvres gens dans l’ignorance d’un Dieu, que l’on trouve pourtant fort simples, bons esprits et fort adroits. Pour y aller, on passe la ligne de l’équateur. Ceux qui ont la direction de cette île sont des marchands de Paris, qui sont comme les rois du pays (7).

La première chose que vous aurez à faire, ce sera de vous mouler sur le voyage que fit le grand saint François Xavier, de servir et édifier ceux des vaisseaux qui vous conduiront ; y établir les prières publiques, si faire se peut ; avoir grand soin des incommodés et s’incommoder toujours pour accommoder les autres ; porter le bonheur de la navigation, qui dure quatre ou cinq mois (8), autant par vos prières et la pratique de toutes les vertus, que les mariniers feront par leurs travaux et leur adresse ; et à l’égard de ces messieurs (9) leur garder toujours grand respect ; être pourtant fidèle à Dieu pour ne pas manquer à ses intérêts, et jamais ne trahir sa conscience par aucune considération, mais se prendre soigneusement garde de ne pas gâter les affaires du bon Dieu, pour les trop précipiter ; prendre bien son temps et le savoir attendre.

Quand vous serez arrivé en cette île (10) vous aurez

6) L’île mesure exactement 1 515 kilomètres du nord au sud et 470 de largeur moyenne.

7). Une société de capitalistes, la Société de l’Orient composée de vingt-quatre membres, avait obtenu de Richelieu, le 22 janvier 1642, le droit exclusif de faire le commerce à Madagascar et aux îles adjacentes pendant dix ans. Ils avaient envoyé des colons dans l’île, sous l’autorité de M. de Pronis, qui d’abus en abus avait obligé la Compagnie à lui chercher un successeur. M. De Flacourt fut choisi. Il alla prendre possession de son poste par le bateau qui conduisit MM. Nacquart et Gondrée. (Cf. Mémoire sur la Compagnie des Indes Orientales, 1642-1720, Bibl. nat. f.f. 6231).

8). Elle dura plus de six mois.

9). MM. de Flacourt, de Bloye, Galiot, Ruffin et autres compagnons de voyage.

10) Le copiste a écrit ville, par distraction sans doute.

 

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1° à vous régler selon que vous pourrez. Il faudra peut-être vous diviser, pour servir en diverses habitations ; il faudra vous voir l’un et l’autre le plus souvent que vous pourrez, pour vous consoler et vous fortifier. Vous ferez toutes les fonctions curiales à l’égard des Français et des idolâtres convertis. Vous suivrez en tout l’usage du concile de Trente et vous servirez du rituel romain. Vous ne permettrez qu’on n’introduise aucun usage ; et si déjà il y en avait, vous tâcherez doucement à ramener les choses à ce point. Pour cela, il sera bon que vous emportiez au moins deux rituels de Rome. Le capital de votre étude, après avoir travaillé à vivre parmi ceux que (11) vous devrez converser en odeur de suavité et de bon exemple, sera de faire concevoir à ces pauvres gens, nés dans les ténèbres de l’ignorance de leur Créateur, les vérités de notre foi, non pas par des raisons subtiles de la théologie, mais par des raisonnements pris de la nature ; car il faut commencer par là, tâchant de leur faire connaître que vous ne faites que développer en eux les marques que Dieu leur a laissées de soi-même, que la corruption de la nature, depuis longtemps habituée au mal, leur avait effacées. Pour cela, Monsieur, il faudra souvent vous adresser au Père des lumières et lui répéter ce que vous lui dites tous les jours : Da mihi intellectum ut sciam testimonia tua (12), Vous rangerez par la méditation les lumières qu’il vous donnera, et pour montrer la vérité du premier et souverain Être et les convenances pour le mystère de la Trinité, la nécessité du mystère de l’Incarnation, qui nous fait naître un second homme parfait, après la corruption du premier, pour nous réformer et redresser sur lui. Je voudrais leur faire voir les

11) Que, avec qui

12) Psaume CXVIII, 125

 

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infirmités de la nature humaine par les désordres qu’eux-mêmes condamnent ; car ils ont des lois, des rois et des châtiments.

Quoiqu’il y ait quelques livres qui traitent ces matières, comme le catéchisme de Grenade (13) ou autre, que nous tâcherons de vous envoyer, je ne puis que je ne vous répète, Monsieur, que le meilleur sera l’oraison : Accedite ad eum et illuminamini (14) ; s’abandonner à l’esprit de Dieu, qui parle en ces rencontres. S’il plaît à sa divine bonté vous donner grâce pour cultiver la semence des chrétiens qui y sont déjà et qui y vivent avec ces bonnes gens dans la charité chrétienne, je ne doute nullement, Monsieur, que Notre-Seigneur ne se serve de vous de delà pour préparer à la compagnie une ample moisson. Allez donc, Monsieur, et, ayant mission de Dieu par ceux qui vous le représentent sur la terre, jetez hardiment les rets.

Je sais combien votre cœur aime la pureté. Il vous en faudra faire de delà un grand usage, [attendu que ces peuples (15) viciés en beaucoup de choses, le sont particulièrement de ce côté-là, jusque-là que l’on dit que les maris mènent leurs propres femmes aux Européens, pour avoir des enfants d’eux. La grâce infaillible de votre vocation vous garantira de tous ces dangers.

Nous aurons tous les ans de vos nouvelles, et nous vous en donnerons des nôtres.

Encore qu’il ne faille point d’argent en ces pays pour y vivre, néanmoins, Monsieur, la compagnie a ordonné qu’on vous envoyât cent écus en or pour les nécessités

13). Catéchisme ou instruction du symbole de la foy, traduction par le chanoine Nicole Colin, Paris, Chaudières, 1587, in-f°

14) Livre des Psaumes XXXIII, 6.

15) Ces mots, nécessaires au sens de la phrase, ne sont pas dans la copie ; nous les empruntons aux texte d’Abelly.

 

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qui peuvent survenir. Nous vous enverrons aussi une chapelle complète, deux rituels romains, deux petites Bibles, deux conciles de Trente (16) deux Binsfeld (17) des images de tous nos mystères, qui servent merveilleusement à faire comprendre à ces bonnes gens ce qu’on leur veut apprendre, et qui se plaisent à en voir.

Nous avons ici un jeune homme de ce pays-là, d’environ vingt ans, que Monseigneur le nonce doit baptiser aujourd’hui. Je me sers d’images pour l’instruire, et il me semble que cela lui sert pour lui lier l’imagination.

Je ne sais s’il ne serait pas nécessaire de porter des fers pour faire des pains à dire la sainte messe, des épingles, des étuis de poche, chacun trois ou quatre, des huiles saintes pour le baptême et l’extrême-onction, chacun un Busée (18) quelques Introduction à la vie dévote (19) des abrégés des vies des saints.

Vous avez une obédience (20) de nous, un plein pouvoir de Monsieur le nonce, lequel a grandement cette œuvre à cœur.

Avec cela je me donne absolument à vous, sinon pour vous suivre en effet, d’autant que j’en suis indigne, au moins pour prier Dieu, tous les jours qu’il plaira à Dieu de me laisser sur la terre, pour vous, et, s’il plaît à Dieu me faire miséricorde, pour vous revoir dans l’éternité et

16) Les premières éditions des canons et décrets du concile de Trente avaient paru à Rome en 1564. Les plus récentes étaient celles d’Anvers (1640) et de Cologne (1644).

17) Auteur d’un enchiridion theologiae pastoralis, Trèves, 1591, in-8°, réédité à Paris en 1646

18) Manuel des Méditations dévotes sur tous les évangiles des dimanches et fêtes de l’année. Cet ouvrage, composé en latin par le P. Busée, avait été traduit et augmenté par Antoine Portail en 1644.

19). Une belle édition de Introduction à la vie dévote venait de paraître à Paris en 1641

20.) La lettre d’obédience fut envoyée le 28 mars à MM Nacquart et Gondrée. Elle a été publiée dans les Mémoires, t. IX, p. 42, note l.

 

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vous y honorer comme une personne qui sera placée par la dignité de sa vocation au nombre des personnes apostoliques.

Je finis, prosterné en esprit à vos pieds, demandant qu’il vous plaise aussi m’offrir à notre commun Seigneur, afin que je lui sois fidèle et que j’achève en son amour le chemin de l’éternité, qui suis dans le temps et serai à jamais, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Celui que nous vous destinons est M. Gondrée, lequel vous avez peut-être vu à Saintes, où il a demeuré, étant encore clerc ; c’est un des meilleurs sujets de la compagnie, en qui la dévotion qu’il avait, entrant en icelle, se conserve toujours ; il est humble, charitable, cordial et zélé ; bref il est tel que je ne puis vous en dire le bien que j’en pense.

Quelques marchands partiront d’ici mercredi ou jeudi pour aller à La Rochelle, où l’embarquement se doit faire. S’ils désirent passer à Richelieu, Monsieur Gondrée pourra aller avec eux pour vous y aller joindre, et eux s’en iront devant disposer leur vaisseau et vous attendre vers le (15) ou le 20 du mois prochain, auquel temps ils doivent faire voile (21). Je vous supplie, Monsieur, de vous tenir prêt.

Nous ajouterons aux livres jà nommés la vie et les épîtres de l’Apôtre des Indes (22),

21) Le vaisseau ne leva l’ancre que le 21 mai, jour de l’Ascension

22) Parmi les vies françaises de saint François Xavier, saint Vincent pouvait connaître celles de Martin Christophe (1608), Michel Coissard (1612), Etienne Binet (1622), du P. de Balinghem et une vie anonyme publiée à Mons en 1619. La première édition française de ses lettres avait paru à Paris en 1628.

 

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Ne divulguez ceci, s’il vous plaît, non plus que nous ne l’avons encore divulgué de deçà.

L’un des messieurs à qui cette île est donnée par le roi s’en va au voyage (23) ; il fera votre dépense sur mer et sur les lieux. Vous verrez sur les lieux si, avec le temps, vous y pourrez avoir du bien, pour vous y entretenir en votre particulier. Il y fait si bon vivre que cinq sols de riz, qui tient lieu de pain, suffisent pour nourrir cent hommes par jour.

Que vous dirai-je davantage, Monsieur, sinon que je prie Notre-Seigneur, qui vous a donné part à sa charité, qu’il vous la donne de même à sa patience, et qu’il n’y a condition que je souhaitasse plus sur la terre, s’il m’était loisible, que celle de vous aller servir de compagnon à la place de M. Gondrée.

 

1021. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 29 de mars 1648.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’écris à M. Nacquart par M. Gondrée, qui part aujourd’hui dans un coche pour Richelieu, afin de se rendre ensemblement à La Rochelle avec ces messieurs qui les doivent mener aux Indes, environ le 20e du mois prochain.

Monseigneur l’archevêque de Reims (1) est dans votre voisinage ; il m’a écrit que vous ne l’avez point visité.

23) M. de Flacourt. La Société de l’Orient avait promis de procurer aux missionnaires le logement, des vivres et des vêtements. Le nouveau gouverneur ne tint pas ces engagements.

Lettre 1021. — L s. — Dossier de Turin, original.

1) Léonord d’Estampes de Valençay

 

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Je vous supplie, Monsieur, de l’aller voir, et, vous prosternant à ses, pieds, de lui demander pardon de ne lui avoir rendu plus tôt vos devoirs ; que vous venez lui offrir votre obéissance et celle de votre compagnie, comme à celui qui vous a établis à Richelieu (2) et à qui, pour cette raison, vous devez toute sorte de respect et de soumission. Vous lui ferez aussi de ma part, s’il vous plaît, un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle.

Je vous ai recommandé M. du Coudray et je le vous recommande encore ; je ne le puis faire assez selon l’étendue de l’affection que Dieu me donne pour lui (3). Je vous prie de lui en donner témoignage et de me mander en quel état il est. Nous avons demandé à Notre-Seigneur sa conservation et sa santé.

Je ne sais si M. Chiroye (4) a recouvré la sienne ; je lui ai demandé des nouvelles il y a huit jours. Je vous prie de m’en écrire, au cas qu’il ne le fasse, et de saluer de ma part toute la famille, de laquelle et de vous en particulier je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. Gondrée est parti sans la lettre de M. Nacquart ; je la vous envoie (5). Voyez La lettre du frère Cruoly (6) et la lui rendez, si vous le jugez à propos.

Au bas de la première page : M. Gautier.

2) Voir t. I, pp. 430 et 447.

3) On sait que François du Coudray avait sur certains points dogmatiques des idées singulières.

4). Supérieur à Luçon.

5). Voir lettre 1020

6). Donat Cruoly, né à Cork (Irlande) le 24 juillet 1623, entré dans la congrégation de la Mission le 9 mai 1643, reçu aux vœux

 

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1022. CHARLES NACQUART A SAINT VINCENT

Du 1er avril 1648.

Monsieur

Votre sainte bénédiction, s’il vous plaît !

Il me semble en lisant et relisant la vôtre que les termes d’icelle n’étaient point d’un homme mais des paroles de l’esprit de Dieu, qui me communiquent, à la vérité, que c’est son bon plaisir de se servir de moi en une si noble et relevée vocation dont à la vérité, je me reconnais très indigne, et n’y ai pas senti de répugnance de la part de la chose, sinon que j’aurais bien désiré et souhaiterais bien encore d’être sous la conduite de quelqu’un et n’avoir point de direction, dont je me vois totalement incapable, faute de vertu et de prudence et de science, ce qui me donne très grande appréhension de gâter. l’œuvre de Dieu et d’empêcher beaucoup sa gloire, qu’un autre procurerait bien plus avantageusement, et serais en grand repos de n’avoir qu’à obéir. Hélas ! j’ai bien de la peine de me persuader que ce soit à moi, pauvre Charles Nacquart, que s’adresse cette signification du dessein de Dieu. Oh bien ! pourtant, puisque vous me tenez lieu de père sur terre, après celui que j’ai au ciel, je n’en doute pas Que M. Gondrée vienne quand il lui plaira ; j’irai avec lui comme un enfant perdu, à l’aveugle pour découvrir si cette terre est de promission. Et quoique j’aie vu ma main toute lépreuse, je me confie que Dieu nous donnera sa verge toute puissante pour opérer ce qu’il lui plaira. Mais au moins, si vous n’envoyez un supérieur, ajoutez, s’il vous plaît, un troisième compagnon, afin que ce triple cordon soit plus fort et indissoluble. Vous n’en avez peut-être pas à nous donner, dites-vous. Vous n’avez qu’à mettre (1) une lettre ici à M. Maillard (2) qui, s’il

en novembre 1645, ordonné prêtre en 1650. Il fut du nombre des missionnaires envoyés en Picardie en 1651 pour porter secours aux populations réduites à la misère. Saint Vincent le nomma ensuite directeur des étudiants et professeur de théologie à Saint-Lazare (1653-1654), puis l’envoya comme supérieur au Mans, d’où il revint à Saint-Lazare en 1657 pour professer la morale. Donat Cruoly fut à la tête de la maison de Saint-Brieuc de 1667 à 1670.

Lettre 1022 —. Arch. de la Mission, dossier de Madagascar, copie.

1). Mettre, envoyer.

2). Antoine Maillard, né à Veney (Meurthe), entré dans la congrégation de la Mission le 21 mai 1644, à l’âge de vingt-six ans, reçu aux vœux en 1646, longtemps procureur de la maison de Saint-Lazare, procureur général de 1679 à 1686.

 

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vous en souvient, il y a deux ans, vous le demanda aussi instamment que pas un et qui tout présentement, comme j’avais la main à la plume, ayant, par quelque conjecture soupçonné, par quelque chose qu’il a reconnu de M. Gautier, n’a prié instamment de vous dire qu’il y a encore son cœur plus porté que jamais, si vous le trouvez bon. En vérité aussi je crois qu’il aurait beaucoup de grâces, à raison de sa vertu et douceur et autres qualités, par lesquelles nous ne serions qu’un cœur. Si vous dites qu’il est trop nécessaire pour procureur à Richelieu, il a mis tout en si bon ordre qu’un autre n’aurait pas peine de lui succéder ; ce frère Vageot qui a l’estomac dévoyé pour l’étude (3), peut-être s’en acquittera bien. Donnez-le-nous (4) et pour supérieur ; il n’est point capable de vanité. Il y a des hommes qui s’enivrent d’un verre de vin et qui se noient dans 4 doigts d’eau. La moindre fumée d’honneur est capable de m’étourdir. Je puis dire : qui datus est mihi stimulus carnis (5), en entendant l’autre sexe ; ce qui me fait appréhender d’être quelquefois seul. Comme vous dites, il ne coûtera pas plus 3 que 2 ; mais fiat voluntas Domini ! Mais voici des demandes, au cas que vous confirmiez en moi votre première proposition.

Faudra-t-il choisir un lieu de résidence duquel, comme d’un centre, nous allions à la circonférence de l’île faire des missions, comme en ce pays, pour y revenir ? Y a-t-il là des villes, des paroisses, des églises, d’autres prêtres que nous (6) d’autre religion de controverse ? Y a-t-il d’autres seigneurs que les Français, dont il faille dépendre ? Comment faut-il faire les fonctions curiales ? De même qu’en ce pays ? Faut-il observer nos mêmes cérémonies entièrement, et il n’y a pas (7) de livre de plain-chant ? Dirons-nous la messe tous les jours dans le vaisseau ? Aurons-nous partout de la matière de consécration ? Si nous n’avons qu’une chapelle, comment faire, quand nous serons divisés ? N’y a-t-il point d’obstacles à notre religion pour toutes nos fonctions, nos habits de prêtres ? Faut-il avoir

3) Philippe Vageot, clerc, né à Bellegarde (Ain), entré dans la congrégation de la Mission le 3 mai 1645, à l’âge de vingt et un ans, reçu aux vœux le 12 octobre 1647, ordonné prêtre en septembre 1648, placé à la maison de Saintes peu après son ordination, supérieur de cet établissement de 1651 à 1655, année de sa sortie de la compagnie.

4) Antoine Maillard.

5). Seconde épître aux Corinthiens XII, 7.

6). Il n’y avait à Madagascar, dans la région qu’allaient habiter les missionnaires, qu’un seul prêtre, M. de Bellebarbe.

7). Il n’y a pas, n’y a-t-il pas ?

 

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des bonnets carrés, des surplis ? Pourrons-nous établir des confréries de la Charité, recevoir des exercitants ? Comment réglerons-nous notre temps sans horloge ou montres ? Pourriez-vous nous envoyer le règlement de la Mission comme on y a mis la dernière main (8) ? Pourrons-nous admettre des compagnons de ce pays, ou pour être prêtres et instruire ? Y a-t-il des évêques, ou aurons-nous quelques coadjuteurs d’ici ou de là ? Le frère J. Bance (9) s’était offert, comme vous savez. Faut-il accepter quelque fondation pour notre subsistance en particulier et faire bâtir sans vous en avoir écrit ? Cela serait bien long.

Il y aurait possible (10) d’autre chose à vous proposer, auxquelles vous suppléerez en nous donnant de nouveaux avis, si vous n’y avez déjà pourvu par M. Gondrée. Vous aurez encore assez de temps pour répondre à la présente, avant que nous partions, si vous en prenez la peine, par la première poste, à quoi nous nous attendrons. Aurons-nous un encensoir, de l’encens, un soleil pour honorer N.-S. au Saint Sacrement de l’autel ? L’aurons-nous toujours consacré dans le vaisseau ? Tâcherons-nous de faire faire des confessions générales à tous ceux du vaisseau ? Ferons-nous lecture de table sur le chemin et là. ? Pourrons-nous avoir sur le chemin et au pays la liberté de garder l’ordre de la journée d’un missionnaire, faire des conférences entre nous et en faire avec ces messieurs du vaisseau, s’ils y sont disposés, et aussi, dans le pays, aux enfants, aux hommes (11) ? Si nous avions des indulgences beaucoup à distribuer et des messes privilégiées, des prières de 40 h., etc., cela exercerait la dévotion.

J’attendrai la vôtre pour vous dire adieu et faire mon testament (12) avant que mourir moralement à tout le pays. Offrez-nous derechef aux prières de la compagnie, sans lesquelles j’aurais bien moins de confiance pour une telle entreprise, à laquelle ces marchands qui y vont pour le temporel me serviront d’aiguillon ou de confusion, si je ne fais pour la gloire de Dieu et le salut des âmes autant comme eux pour

8) Avec les dernières modifications.

9). Jean Bance, né à Ménonval (Seine-Inférieure) en 1611, reçu dans la congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, le 9 novembre 1637.

10) Possible, peut-être.

11) La réponse de saint Vincent fut affirmative, et Charles Nacquart eut la joie de voir matelots et passagers répondre à son appel.

12) Le seul testament que nous ayons de Charles Nacquart est du 24 juin 1649. Il a été publié dans les Mémoires, t. IX, p. 137.

 

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leur trafic, quoique je craigne extrêmement de me perdre, sachant mes infirmités et l’incapacité à la conduite des âmes. N.-S. me veuille tenir la main et me donner ce que vous m’avez déjà souhaité et que vous lui demanderez avec tant d’autres bonnes âmes, dont par vous je mendie le secours.

Je suis, en son amour, inviolablement et de tout mon cœur, en celui de sa sainte Mère et de saint Joseph, Monsieur et très honoré Père, votre très humble et très obéissant et très affectionné fils.

CHARLES NACQUART,

très indigne prêtre de la Mission.

Y a-t-il danger d’écrire un petit mot à mon père pour lui demander sa bénédiction et qu’il fasse prier Dieu pour moi

 

1023. — NICOLAS GONDRÉE, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

De Tours, ce 3 avril 1648.

Monsieur,

Votre bénédiction !

Je suis arrivé à Tours heureusement, en la compagnie de Monsieur de Bloye, qui nous conduit, par l’ordre de M. de Flacourt (1) II ne pouvait nous donner un homme de meilleure conduite, non seulement pour le temporel, mais aussi pour le spirituel. Je vous puis assurer que j’ai reçu de lui autant d’édification comme jamais j’ai reçu de personnes de sa condition, chantant et excitant les autres soir et matin et à toute heure à la dévotion. J’espère que Dieu se veut servir de lui en Madagascar ; car il m’a fait paraître autant d’ardeur comme je pourrais espérer, et autant de désir d’amplifier la gloire de Dieu en ces peuples, non seulement par les autres les défendant par sont autorité, mais aussi par les instructions familières qu’il a dessein de leur faire. II commence déjà sa mission,

Lettre 1023. — Arch. de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1). Etienne de Flacourt, né à Orléans en 1607, gouverna la colonie de Madagascar, au nom de la Compagnie des Indes, de 1648 à 1655, au milieu de mille difficultés, suscitées surtout par les colons, qui attentèrent plus d’une fois à sa vie. Après son retour en France, il fut employé dans l’administration de la Compagnie. Il a laissé une Histoire de la grande îsle de Madagascar (Paris, 1654, in-4) et un Dictionnaire de la langue de Madagascar (Paris, 1658, in-8), qu’il a dédié à Saint Vincent.

 

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enseignant à communier, le Pater et le Credo ; en un mot, c’est un soleil au milieu de plusieurs étoiles ; et moi ne suis que ténèbres, à cause de mes imperfections, au milieu de ces lumières. Il voudrait que plusieurs ecclésiastiques voulussent se donner à Dieu pour la conversion de l’île ; ce qu’il m’a manifesté ; car ayant fait rencontre d’un honnête prêtre qui cherchait condition, il fut ravi de connaître la bonne volonté qu’il avait de servir à Dieu en ce pays, et après avoir sondé son intérieur, qui est très bon car il nous proteste que ce n’est point son intérêt propre qui le fait aller en ce quartier, mais la pure gloire de Dieu. avec désir de souffrir, d’obéir, de travailler et d’endurer le martyre s’il en est de besoin. Béni soit Dieu de lui avoir communiqué cet esprit ! Il espère de vos nouvelles le plus tôt que vous pourrez car il pourra acheter quelque rafraîchissement pour cela, pourvu que vous le fassiez trouver bon à Monseigneur le nonce (2), à qui, comme à vous, Monsieur, [je suis] votre très humble serviteur.

N. GONDRÉE,

prêtre indigne de la Mission.

Monsieur de Bloye, M. Galiot, M. Rufin et le reste de notre bande se recommandent à vos saintes prières et à celles de toute la compagnie. Vous pensez que nous allions seulement deux missionnaires, mais ils m’ont assuré que nous ne serions point seuls ; et en quoi ils nous pourront assister, ils feront de bon cœur, et que, pour couronner leur travail, ils vous iront saluer, comme quelqu’uns m’ont promis, afin de remercier Dieu de leur voyage faisant une bonne retraite, comme quelqu’uns ont déjà fait. Plaise à Dieu qu’ils puissent exécuter ces desseins. !

Monsieur de Bloye vous prie de prendre la peine d’adresser les vôtres à M. Henry, dans La Rochelle, où il a mené ce bon prêtre, qui m’a montré toutes ses lettres en bonne forme. Ce bon prêtre m’a fait vous dire qu’il attend avec impatience vos réponses ; et nous sommes dans les mêmes désirs de savoir les succès de cette affaire. Le nom de ce bon prêtre est Abraham Louvel, de l’évêché du Mans.

Monsieur, je ne vous envoie la présente que pour satisfaire à la volonté de M. de Bloye, qui l’a ainsi désiré pour savoir votre volonté touchant ce bon prêtre, qui a été vicaire en quantité de villes, parait trop fin un peu ignorant, a été refusé à Orléans ; bref, je ne pense point que nous nous puissions accommoder avec lui. Nous attendons vos réponses.

2). Nicolas Bagni.

 

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1024. — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1645 et 16491]

Mademoiselle,

Je trouve bon et vous promets de faire tout ce que vous me mandez.

Je m’en vas dire à cette fille que je pense qu’il est bon qu’elle demeure ici ; et cela est conforme à l’Évangile.

Puisque celle de cette paroisse (2) s’en veut aller, à la bonne heure, mettez sœur Jeanne de la Croix (3) à sa place et parlez-lui en la manière que vous dites.

J’ai soin de ma santé et en aurez encore davantage ; je le vous promets, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, v. s.

V. D.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1025. — JEAN-JACQUES OLIER A SAINT VINCENT

[Avril 1648] (1)

Qui a Dieu a tout.

Monsieur,

J’ai à vous donner avis que le Père Maurice (2) a été visité

Lettre 1024 — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Voir note 3.

2). La paroisse Saint-Laurent.

3). Sœur Jeanne de la Croix, née au Mans, était entrée chez les Filles de la Charité en 1645 ou 1646. Elle fut placée à Serqueux au plus tard en 1649, devint assistante de Louise de Marillac en 1651 puis dirigea l’établissement de Châteaudun et fut encore une fois nommée assistante.

Lettre 1025. — L. a. — Arch. du séminaire de Saint-Sulpice original.

1). Date ajoutée au dos de l’original.

2) Carme déchaussé de la maison de Paris, sur la paroisse Saint-Sulpice.

 

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par M. du Bosquet (3) et, que M. l’abbé de Cérisy (4) conserve avec lui grande intelligence, par le moyen de Madame Seguin, qui est la pénitente affidée dudit Père Maurice, qui ne souffrira qu’avec violence que le bon Père lui soit ôté, et fera ce qu’elle pourra sur l’esprit de M. le chancelier (5) par ces messieurs et par elle-même, pour se le conserver Cette bonne dame est affectionnée au parti nouveau, autant qu’on le peut être et comme, ces jours passés, je faisais avertir, par un de nos messieurs, Madame la chancelière de donner avis à M. son mari qu’on voulait faire venir en cette ville le Père Séguenot (6), qui serait une chose périlleuse, la bonne Madame Seguin se déclara porter avec peine qu’on s’opposât à ce parti et ses suppôts. Et peut-être, Monsieur, serait-il important que vous vissiez M. le chancelier pour le prévenir sur ceci, selon que la divine sagesse vous en pourrait ouvrir les voies.

Je suis libre à vous faire savoir ces choses comme des intrigues nécessaires à découvrir dedans l’œuvre de Dieu, que vous aimez et qu’il vous charge de maintenir

OLIER.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission.

 

1026. — ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

Au mois d’avril 1648.

Monsieur,

J’écris à Madame la marquise de Senecey (1) et la supplie de

3) Le futur évêque de Lodève.

4). Germain Habert, abbé de Cérisy (Manche), membre de l’Académie française, auteur d’une vie du cardinal de Bérulle, mort en 1655.

5). Pierre Séguier.

6). Claude Séguenot, né à Avallon le 6 mai 1596, quitta le barreau pour entrer à l’Oratoire en 1624. Il se lia de bonne heure avec l’abbé de Saint-Cyran. Sa traduction française du livre de saint Augustin sur la virginité lui valut quatre ans d’emprisonnement à la Bastille (1638-1643) et la censure de la Sorbonne. Il fut supérieur à Nancy, Dijon, Rouen, Saumur, Tours, fut nommé assistant du général en 1661, 1666 et 1669 et gouverna l’Oratoire de Paris de 1667 à 1673. Il mourut dans cette ville le 7 mars 1676. Plusieurs de ses ouvrages sont restés manuscrits

Lettre 1026. — Arch. de l’évêché de Cahors, copie prise sur l’original.

1) Marie-Catherine de la Rochefoucauld, comtesse, puis duchesse

 

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représenter à la reine l’état déplorable du diocèse de Rodez, qui est quasi aussi ruiné que celui de Périgueux, excepté que les églises n’y sont pas si ruinées et qu’il y a plus d’ecclésiastiques, les mœurs desquels sont si dépravées que dès lors que Mgr de Rodez (2) fut mort, ils quittèrent l’habit clérical. Les uns pendaient leurs soutanes aux fenêtres des cabarets, les autres buvaient à sa santé, et ceux qui avaient quitté leurs concubines les reprirent La première action que firent les vicaires généraux fut de casser toutes les ordonnances que ce prélat avait faites pour la réforme de son diocèse ; ce qui a rempli d’un si grand scandale toute cette province, que je ne saurais l’exprimer, que c’est un des plus grands diocèses de ce royaume et de la plus difficile conduite qui se puisse voir à cause des esprits des personnes de ce pays-là, qui sont très, fâcheux, et qu’il (est) tout à fait nécessaire que Sa Majesté y pourvoie d’un homme apostolique, et que je la supplie de dire à Sa Majesté, ou comme venant d’elle-même, ou comme l’en ayant suppliée. Je vous ai voulu mettre ici ce que je lui ai écrit, afin que vous vous en serviez dans l’occasion. Je vous supplie, au non de Dieu, d’apporter tout le soin qui vous sera possible afin que ce diocèse soit pourvu d’un pasteur tel que l’état auquel il est réduit le requiert. Il n’est pas seulement nécessaire que ce soit une personne apostolique, mais encore qu’il soit doué d’une grande force d’esprit et d’un grand cœur. Serait-il possible que la reine, par quelque considération d’État, voulut mettre là une personne qui n’eut pas les qualités requises pour réformer ce diocèse ? Je ne le puis croire de cette bonne princesse, et en aurais grande douleur, si cela arrivait. Si vous voulez lui dire ce que je vous ai écrit, vous pouvez bien assurer Sa Majesté que cela est très véritable. Il y a bien peu de personnes qui sachent mieux l’état de ce diocèse que moi. Il entoure le mien plus de vingt lieues de France et il cause des maux que je ne saurais vous dire. Quelque diligence que j’y apporte de mettre sur les frontières de bons vicaires forains d’y faire de fréquentes visites et y envoyer souvent nos missionnaires, néanmoins cela n’empêche pas qu’il n’en reçoive de grands dommages tant les mœurs des ecclésiastiques de ce pays sont scandaleuses et dépravées.

de Rendan, première dame d’honneur de la reine Anne d’Autriche, gouvernante de Louis XIV durant son bas âge, mariée à Henri de Bauffremont, baron de Senecey, qu’elle perdit en 1622, morte le 10 avril 1677 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

2). Charles de Noailles, mort le 27 mars 1648. On lui donna pour successeur, le 10 juin 1648, Hardouin de Péréfixce, le futur archevêque de Paris.

 

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Le bon Monsieur Ferrier (3) s’est retiré, qui avait, dans le peu de temps qu’il y a demeuré, travaillé beaucoup pour la réforme de ce clergé, et s’était acquis une grande réputation et créance dans tout ce pays, etc.

Laissera-t-on toujours le pauvre diocèse de Périgueux dans la misère ? J’avais envie d’écrire à Madame la Marquise de Senecey ; et si voulez le dire à la reine, que je vous l’ai mandé et qu’il n’y a rien de quoi Dieu lui fasse tant rendre compte que de ne pourvoir les évêchés de pasteurs qui aient les qualités requises et de n’y avoir assez tôt pourvu. Dieu inspire Sa Majesté de faire choix de personnes qui soient selon son cœur. !

Je suis cependant, Monsieur, etc.

ALAIN,

év de Cahors.

 

1027. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

Du 24 avril 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! (a)

Je vous prie de terminer toutes choses avec Messieurs les administrateurs de l’hôpital avant votre retour. A ce que je vois, il n’y aura pas de grandes difficultés. Ils approuvent déjà que la direction spirituelle nous demeure tout entière ; et en cela ils se conforment à ceux de l’Hôtel-Dieu de Paris, qui ne prennent aucune connaissance que du temporel, laissant le reste aux

3) Disciple du Père de Condren et collaborateur de Jean-Jacques Olier, un des fondateurs du séminaire de Saint-Sulpice. Venu à Rodez à la demande de l’évêque, Charles de Noailles, qui lui conféra les titres de grand vicaire et d’official. *Il fit reconnaître comme séminaire diocésain le séminaire à Villefranche, fondé par Raymond Bonal. et travailla à la réforme du diocèse avec tant de succès, qu’après six mois de séjour il jugea son œuvre accomplie et retourna à Paris.

Lettre 1027.Recueil des exhortations et lettres de saint Vincent, première partie, p. 286.

*Reg.2, p. 103.

a) Coste demande de supprimer les lignes 19 à 21…. ??? VIII, 627.

 

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soins de Messieurs de Notre-Dame (1), et ceux-ci ne servent pas ledit Hôtel-Dieu par eux-mêmes, mais ils le font desservir par d’autres ; ils se contentent d’en députer un d’entre eux pour voir en général si tout va bien. Nous ferons volontiers de même, et j’assure Monsieur de la Coste que je n’ai jamais entendu faire autrement, à cause que le service des hôpitaux ne s’accorde pas avec nos fonctions. Nous mettrons dans celui des forçats des prêtres externes, que nous choisirons dans les séminaires, et un des nôtres veillera sur eux et travaillera avec eux.

 

1028. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 26 avril 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Oui, Monsieur, allez remercier, s’il vous plaît, Monseigneur l’archevêque de Tours ; sa charité et sa courtoisie exercée vers les vôtres méritent bien ce voyage. En lui témoignant votre reconnaissance, faites-lui connaître la mienne et le suppliez d’agréer le renouvellement des offres de mon obéissance, que je lui fais par vous avec toute l’humilité qu’il m’est possible.

Je rends grâces à Dieu de la nouvelle dignité de Messieurs Constantin (1) et Manceau (2) ; saluez-les de ma part

1) Les chanoines de Notre-Dame de Paris.

Lettre 1028. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) François Constantin, né à Limoges, entré dans la congrégation de la Mission le 19 décembre 1643, à l’âge de vingt. ans, reçu aux vœux le 25 décembre 1645, ordonné prêtre le 31 mars 1648.

2). Simon Manceau, né à Kalembourg hameau de la commune de Laumesfeld (Moselle), reçu dans la congrégation de la Mission le 17 janvier 1645 à l’âge de vingt-quatre ans, ordonné prêtre le 31 mars 1648. Il était encore à Richelieu en 1651.

 

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et leur dites, s’il vous plaît, que j’ai prié et prierai encore Notre-Seigneur qu’il leur donne toujours de nouvelles dispositions pour le Sacrifice, et la grâce de ne l’offrir jamais par coutume ; que je les supplie de se souvenir de moi, quand ils prononceront Nobis quoque peccatoribus, comme du plus grand pécheur qui soit sur la terre. C’est en cette vue, Monsieur, que je me recommande pareillement à vos prières et à celles de votre communauté, à laquelle et à vous en particulier je fais don de mon cœur et de tout ce que je suis, quoique tel que je viens de dire.

Je suis bien aise que M. du Coudray se porte mieux, et de la liberté que vous lui donnez de demeurer à Bois-Bouchard (3). Je vous conjure, Monsieur, de le supporter en cela et au reste (4) autant que vous le pourrez, et moi particulièrement, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. Lambert ne vous fait point de réponse, parce qu’au sortir de sa retraite, où il honorait celle de Notre-Seigneur au ventre de son incomparable Mère, il a voulu encore honorer son enfance, en demeurant au séminaire, où il est rentré depuis 4 ou 5 jours, Dieu sait avec quelle humilité et avec quelle édification pour la compagnie.

Au bas de la première page : M. Gautier.

3) Le fief de Bois-Bouchard, situé dans le voisinage de Marie-de-l’Etoile, appartenait aux missionnaires de Richelieu, qui y avaient établi leur maison de campagne.

4). Voir p. 286, note 3.

 

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1029. — LOUISE DE. MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce jour sainte Monique [4 mai 1648] (1).

Monsieur,

Je crois que Mlle Viole proposera un boulanger pour cuire à Bicêtre ; si votre charité treuve bon de dire que déjà y en a eu un qui boulange fort bien, et que l’on s’est bien treuvé de sa façon ? car j’appréhenderais bien que l’on en introduisit un autre qui ne serait pas si propre tant pour le bien des enfants que pour nos sœurs.

Monsieur le curé de St-Laurent (2) se plaint toujours de n’avoir pas ce qui lui appartient pour les baptêmes. Les dames veulent qu’il intente un procès contre Monsieur le curé de St-Christophe (3) ; mais, comme il n’a aucune copie du contrat de fondation, il ne le peut pas, outre que mondit sieur de St-Christophe se plaignait de n’en pouvoir rien tirer. Je crois Monsieur, qu’il serait nécessaire que ces dames prissent la peine d’en savoir la raison, et serait aussi bien aisé de faire donner les papiers nécessaires à Monsieur de St-Laurent.

Il m’est venu en pensée depuis hier de proposer à votre charité si elle treuverait bon pour ne pas tant choquer Monsieur le curé de Chars (4), d’envoyer ma sœur Jeanne-Christine à la place de ma sœur Turgis et de réserver la sœur Jacquette pour Chantilly (5), car je prévois qu’il nous faudra encore ôter de Chars celle qui y est demeurée pour ne pas négliger l’avertissement de la personne inconnue mais l’une et l’autre demandent à faire les vœux y a longtemps, et je crois que ce serait trop les affliger de les remettre ; il y a grande apparence que ce sera utilement, étant l’une et l’autre d’esprit assez mûr et d’âge assez avancé.

Lettre 1029. — L. a. — Original chez les sœurs de la Miséricorde de Montpellier

1) Date ajoutée au dos de la lettre par le frère Ducoumau.

2). Guillaume de Lestocq.

3). Paroisse de Paris. Elle comprenait dans son enceinte, près de l’Hôtel-Dieu, la maison dans laquelle étaient portés les enfants nouvellement trouvés. Il y avait une autre maison d’enfants trouvés sur la paroisse Saint-Laurent.

4). Commune de l’arrondissement de Pontoise. Les Filles de la Charité, établies dans la localité depuis 1647, avaient beaucoup à souffrir des tendances jansénistes de M. Pouvot, curé de la paroisse.

5) Les Filles de la Charité y avaient un établissement depuis l’année précédente. (Cf. Chantilly par le chanoine Eugène Muller Senlis, 1913, in-8°)

 

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S’il vous plaît prendre la peine nous donner réponse en ce sujet au plus tôt à cause que le temps presse pour Chars et moi de me dire, Monsieur, votre très obéissante servante et indigne fille.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1030. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

Du 8e mai 1648.

C’est bien dit, Monsieur, qu’il ne faut pas que le supérieur de la maison de Marseille demande avis à Messieurs les administrateurs, quand il sera question de mettre ou de changer des prêtres externes dans l’hôpital : je veux dire qu’il ne faut pas que cela lui soit une obligation. Il aura droit de les établir et de les destituer par lui-même, comme un curé son vicaire. Vous ajusterez donc toutes choses conformément au mémoire que je vous ai envoyé, et en conviendrez par écrit, si ces messieurs le désirent, particulièrement au cas que les patentes de la fondation, ou les règlements qu’ils ont faits, nous obligeassent ou à d’autres choses, ou à faire autrement que ledit mémoire ne porte, lequel écrit se pourra insérer à la suite de leur règlement, si vous le jugez à propos. Vous pourrez aussi convenir des autres circonstances, comme du temps et des occupations, non toutefois pour nous obliger à faire aucun service solennel dans la chapelle, bon pour y prêcher une fois le mois et y faire le catéchisme parfois. Notre maison est trop pauvre pour entretenir les prêtres qu’il faudrait, s’il fallait chanter et faire tout ce que ces messieurs demandent.

Lettre 1030. — Reg. 2, p. 104

 

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Dites-leur que nous ferons le mieux que nous pourrons, et avec le plus d’ajustement à ce qu’ils désireront. Après cela ne nous amusons point à vouloir pénétrer dans leurs intentions pour l’avenir ; car pour voir en eux tant de circonspection en ce commencement, il ne faut pas s’imaginer qu’ils aient dessein d’empiéter sur le spirituel, mais seulement de bien faire les choses, selon leurs lumières présentes.

 

1031. — JULIEN GUÉRIN, PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Tunis, mai 1648.

Il m’est impossible de vous exprimer combien grands ont été les gémissements et les pleurs des pauvres esclaves, de tous les marchands et de M. le consul (1) et combien de consolation nous recevons de leur part. Les Turcs mêmes nous viennent visiter dans notre affliction, et les plus grands de la ville de Tunis m’ont envoyé offrir de leur part secours et service. Enfin, Monsieur, je vois évidemment qu’il fait bon servir fidèlement Dieu, puisque dans la tribulation il suscite ses ennemis mêmes pour secourir et assister ses pauvres serviteurs. Nous sommes affligés de la guerre, de la peste et de la famine, même excessivement, et avec cela nous sommes sans argent ; mais pour ce qui regarde notre courage il est très bon, Dieu merci ; nous ne craignons non plus la peste que s’il n’y en avait point. La joie que nous avons, notre frère et moi, de la santé de notre bon M. Le Vacher, nous a rendus forts comme les lions de nos montagnes.

 

1032. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

13 mai 1648

Monsieur,

Nous sommes pressées d’envoyer deux de nos sœurs, l’une

Lettre 1031. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § I,

1er éd., p. 94

1) Martin de Lange. Ces gémissements avaient eu pour cause la crainte de perdre Jean Le Vacher, que la peste avait failli emporter.

Lettre 1032. — Hospice de Dourdan, copie.

 

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à Crespières (1) et l’autre à Maule ; et ce sont de celles qui ont demandé, il y a bien longtemps, à votre charité de se donner à Dieu par les vœux. Il y a bien six à sept ans qu’elles sont dans la compagnie, sans avoir jamais témoigné aucun dégoût, mais, au contraire, elles ont toujours été de très bon exemple S’il plaît à votre charité leur permettre demain matin, avant de partir entendre la messe et faire cette sainte action ? Elles ne partiront que sur les midi. Vous nous ferez, s‘s’il vous plaît, la charité de nous faire avertir, si vous l’agréez, et si nous aurons le bien d’entendre de vous la sainte messe pour ce sujet.

J’ai bien grand besoin que Dieu me fasse la grâce de vous parler et que votre charité me croie toujours, Monsieur, votre très obéissante fille et très humble servante.

LOUISE DE MARILLAC.

L’une de nos sœurs s’appelle Andrée, qui est près de Tours, et l’autre Catherine de Gesse, qui servait les pauvres à Saint-Gervais.

 

1033. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 15 mai 15 1648.

Je ne puis cesser, Monsieur, de vous recommander votre santé ; elle m’est si chère et si utile aux âmes, que je vous supplie derechef de faire votre possible pour la recouvrer, suspendant toute sorte de travail et suivant exactement les avis des médecins. Souvenez-vous, Monsieur, que saint Augustin dit que qui n’obéit aux médecins fait ce qui est en lui pour se donner la mort ; nous lirons cela un de ces jours à l’office. J’espère donc que vous serez fidèle à leurs ordonnances et que vous donnerez cette consolation à la compagnie, après tant d’autres qu’elle en a reçues de vous, à qui je suis, en l’amour de

1) Commune de l’arrondissement de Versailles. Les sœurs venaient d’y fonder un établissement.

Lettre 1033. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. le premier président de la cour des Aides m’a dit beaucoup de bien de M. votre frère.

Au bas de la première page. M. Martin.

 

1034. — DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR A RICHELIEU,

A SAINT VINCENT

1648.

Pendant deux missions données dans le Bas-Poitou trois missionnaires ont eu le bonheur de convertir douze hérétiques notables

 

1035. — JEAN BARREAU, CONSUL A ALGER, A SAINT VINCENT

[Alger, mai 1648] (1)

Voici une histoire qui ne vous semblera pas moins belle que celle de l’année passée, par l’issue de laquelle vous pourrez reconnaître le secours que j’ai reçu de la main toute puissante de notre bon Dieu, qui m’a guéri encore à cette fois du mal contagieux, qui va tous les jours en augmentant Je ne puis pénétrer dans les délibérations de ses conseils mais j’appréhende avec juste raison qu’il ne jette la paille dans le feu, après en avoir cueilli le froment

Il semblait que les grands et importants services que feu monsieur Lesage, mon très cher et bien-aimé père et maître rendait à notre bon Dieu, dans la personne des pauvres chrétiens esclaves, dans cette ville d’Alger, lui devaient donner un

Lettre 1034 — Abelly, op. cit., 1, II, chap. I, sect. Il, § 8,1er éd p 53

Lettre 1035. — Ms. de Lyon, f° 203 et suiv.

1) Jean Barreau écrit cette lettre après le 12 mai 1648, jour de la mort de Jacques Lesage, dans le courant de ce même mois.

 

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siècle de vie, et que les lâchetés devaient bientôt trouver leur fin dans la fin de la mienne. Je vois tout le contraire, à ma confusion.

Il n’a paru en cette ville que comme un éclair, mais qui a laissé des marques très sensibles de ses effets et qui l’ont d’autant plus fait considérer qu’il sont plus considérables. Sa mission na pas été si longue que celle de feu Monsieur Nouelly ; mais son travail a bien été aussi grand, à cause de la grande quantité d’occasions que Notre-Seigneur lui a présentées depuis le jour des Cendres dernier, qu’il est entré en cette ville, jusques au 12 du présent mois, qu’il est allé à la gloire, tout ce temps n’ayant été qu’une suite continuelle de soins et de sollicitudes pour le secours tant spirituel que temporel des pauvres malades tant de la peste que d’autre maladie.

Son premier soin après son arrivée fut de s’informer exactement de la manière avec laquelle mondit sieur Nouelly se comportait à l’égard des pauvres chrétiens esclaves et sa méthode pour les secourir, et après, pour les porter à faire des fruits dignes de pénitence par de salutaires exhortations qu’il faisait dans les bains de Cheleby et du Collorgli, qui sont deux personnes puissantes dans la ville, tant à la fin de la messe que des vêpres, à la fin desquelles il leur faisait faire quelquefois les prières du soir, ainsi qu’il avait fait, au commencement de sa messe, celles du matin ; ce qui ne s’était encore pratiqué dans cette ville ; et pour obliger un chacun à entrer en cette sainte coutume, il avait fait traduire les prières en langue espagnole, comme étant la plus vulgaire en cette ville, à quoi nous travaillions à l’heure même que la violence de son mal l’obligea à se mettre au lit.

A la fin de ses exhortations, il suppliait tous les assistants de le faire avertir quand quelqu’un d’entre eux ou de leur connaissance serait tombé malade, soit de peste, ou d’autre mal, et qu’il les assisterait même au péril de sa vie. Cette supplication était faite avec un si grand sentiment d’amour qu’il tirait les larmes des yeux d’un chacun. Mais ce n’était encore rien au regard du zèle avec lequel il exécutait ce qu’il leur avait promis ; ce qui lui donna un tel crédit parmi les pauvres chrétiens qu’ils accouraient à lui de tous cotés pour être secourus ou spirituellement ou corporellement, selon leurs nécessites et comme il appréhendait que ses paroles n’eussent pas assez d’efficace sur leurs esprits, il leur promettait de récompenser de quelque somme d’argent ceux qui lui feraient la faveur dont il était si fort altéré, qu’il avait toujours des chrétiens à sa solde, qui ne faisaient autre chose que d’aller par la ville s’informer où il y avait des malades,

 

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tellement que ce que sa faiblesse ne lui permettait pas de faire par lui-même, il le faisait par l’entremise d’autrui ; et pour ce qui dépendait de son ministère il le faisait avec une ardeur très grande, tant en l’ad ministration des sacrements qu’autres secours

/I savait accompagner son zèle avec une telle discrétion et prudence qu’il envoyait premièrement le sieur Claude Didier, apothicaire, qu’il avait amené avec lui de France, pour trouver quelques moyens de parler aux malades. Que si en effet, il y avait de la peine d’entrer, il faisait entendre au patron qu’il ne pouvait donner remède à son esclave que le médecin ne l’eut visité, et qu’à cet effet il lui en amènerait un. Et de cette manière, il avait entrée où il y avait péril de la vie.

A la faveur donc de cette invention ils entrèrent tous deux dans la maison d’un Turc, lequel d’abord les repoussa rudement ; mais lui ayant dit qu’ils étaient l’un médecin, l’autre chirurgien, qu’ils venaient visiter son chrétien malade, il leur permit et voulut entrer avec eux. Le sieur Didier, voyant que sa présence les pouvait empêcher, se mit à discourir avec lui, et insensiblement le fit sortir du trou où gisait ce pauvre malade, cependant que notre médecin faisait son pieux office. Le Turc croyait bonnement tout ce qu’on lui disait touchant la personne qui était avec son esclave. Mais les femmes étant survenues sur ces entrefaites reconnurent que c’était un papas ; c’est ainsi qu’ils appellent les prêtres. Notre bon Dieu toutefois, qui voyait de bon œil tout cet artifice, leur donna assez de retenue pour ne le point déceler, à moins de quoi il y avait grand danger pour l’un et pour l’autre. Ainsi leur invention réussit, à l’avantage du pauvre chrétien, à la plus grande gloire de Dieu

Une autrefois, il se servit du même artifice pour entrer dans la maison d’un Turc puissant, où il y avait un pauvre chrétien et un renégat espagnol, tous deux frappés de peste, et, nonobstant les deux dangers apparents, l’un de la peste, l’autre du feu, il se résolut d’y entrer, à quelque prix que ce fut. En effet, il lui réussit en telle façon que le renégat, qui était couché à coté du chrétien, entendant les exhortations qu’il lui faisait et les regrets qu’il témoigna alors, il fut touché d’un très sensible déplaisir d’avoir quitté notre sainte foi, et demanda instamment le sacrement de pénitence ; ce que notre bon médecin jugea bon de différer jusqu’au soir pour prendre ce petit avis et conseil sur ce qu’il avait à faire en telle occurrence. Il lui fit faire cependant quelques actes de contrition, dans l’espérance qu’il avait de retourner sur le soir ; à quoi il ne manqua pas, quoique je lui eusse repré

 

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senté qu’il n’y allait pas moins que du feu et que, si le renégat, en mourant, refusait de dire certaines paroles qu’ils ont entre eux, on attribuerait cela à sa visite ; ou qu’il revint en convalescence, toujours il y avait du péril. Tout cela n’empêcha pas qu’il ne retournât le soir même. Mais, hélas. ! que les jugements de Dieu sont équitables ! il trouva que Notre-Seigneur en avait déjà disposé et qu’il était mort.

De la part du chrétien, il n’y avait pas moins de danger, à cause que le patron avait dessein de le rendre turc Ledit sieur Didier y est retourné plusieurs fois, sans que jamais on lui ait voulu permettre de le revoir. Notre bon médecin voulut tenter encore une fois pour exhorter ce pauvre chrétien à tenir ferme en la foi. Mais le jour même qu’il devait exécuter son dessein, il tomba malade ; et ainsi du depuis nous n’en avons pas ouï parler du tout Ce qui nous donne sujet d’appréhension est que certaines femmes avaient grand soin de lui pendant sa maladie et que, se faisant fortes de sa faiblesse, elles ne le pervertissent.

Il me semble, Monsieur, qu’en voilà assez pour faire un martyr desiderio. Ce n’est pas la seule occasion où il s’est offert à la mort. Il y en a quantité d’autres, que son humilité nous a cachées. Peu de temps avant que de tomber malade, son zèle le porta à entrer dans une maison où étaient des personnes frappées de peste, pour aller secourir un pauvre chrétien mourant. Et ce même zèle le fit entrer dans une autre maison d’où tout le monde avait fui ; et trouvant tout raide mort celui qu’il cherchait, sans s’effrayer aucunement, se mit à genoux à ses pieds, et ayant dit un De profundis pour son âme s’en alla chercher son aventure ailleurs. O Monsieur, que je la trouve heureuse !

Si ses forces avaient été égales à son courage, il nous aurait bien donné de la matière pour nous entretenir, encore que je n’en manque pas, par la grâce de Dieu. Si je voulais spécifier en détail toutes ses actions héroïques y ayant eu peu de jours auxquels il ne lui soit arrivé quelque chose digne de remarque, si je pouvais ressusciter les chrétiens qui sont morts de peste dans l’hôpital de Cheleby ou dans le bain de la Douane, ils nous découvriraient bien des choses qu’il nous a tenues cachées. Enfin, je pense tout dire en disant qu’il n’y a aucun chrétien, de quelque nation qu’il soit qui ait imploré son secours dans sa maladie, telle qu’elle fût qui n’ait été assisté par lui avec une charité incroyable.

Parmi ses hautes occupations, il se ressouvenait toujours de ses bains, dans lesquels il prêchait avec tant de bénédiction que nous avons vu des esclaves qui ne s’étaient confessés de 10, 12 et 14 années, se venir jeter à ses pieds à Pâques

 

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et faire leurs devoirs avec des généreuses résolutions de se défaire de leurs mauvaises habitudes.

La semaine sainte arrivant il redoubla ses exhortations qu’il faisait après les ténèbres, que nous chantâmes ces trois jours accoutumés. Le jeudi saint, il fit la cérémonie du lavement des pieds avec une telle dévotion qu’il tirait les larmes des yeux d’un chacun. Et comme j’étais là présent, j’en versai aussi une petite part.

Le lendemain, il prêcha la passion, tenant le crucifix à la main, à la fin de laquelle il demanda justice, à l’encontre de ceux qui négligeraient leur devoir. Ensuite il fit faire une protestation générale à tous ses auditeurs de se mettre en état de bons chrétiens ; à quoi la plupart ont été fidèles. Et pour en faciliter les moyens, comme ils n’étaient que deux prêtres, il résolut de. coucher la nuit dans le bain pour entendre les confessions de ceux qui se présenteraient. Le jour suivant, il célébra l’office avec toutes les cérémonies et dévotion que le temps et le lieu pouvaient permettre.

Après avoir parlé au mieux qu’il m’a été possible, mais non pas comme l’importance du sujet le mérite, de la manière qu’il a traité avec les étrangers il me semble qu’il ne sera pas hors de propos de dire trois mots de sa douceur à régler les choses domestiques, par le moyen de laquelle il a su me réduire peu à peu à ce que bon lui a semblé, comme aussi tous ceux de la maison.

Je me suis donné l’honneur de vous écrire ci-devant les dispositions que j’avais apportées à le recevoir, et la grande tranquillité qu’elle m’avait causée. C’est pourquoi je n’en parlerai point ici. jamais qu’il ne l’a oui contredire à quoi que ce soit. Il approuvait avec flatterie tout ce qui s’y faisait ; et la sympathie qui était entre nous était si grande que, quand il était dehors, j’étais en peine, et, lorsqu’il ne me voyait point, il n’était point en repos. Nos affections étaient si unies que nous n’avions tous deux qu’un cœur, avec cette différence toutefois que le mien était bien éloigné de la l’affection du sien. Mais, hélas ! que ce bonheur n’a pas duré ! Il me semble que ce n’est qu’un songe.

Par tout ce que dessus il est aisé à juger que son mal n’est provenu que de son assiduité à secourir les pauvres malades de peste et autres maladies qui l’obligèrent, le vendredi cinq du présent mois à se mettre au lit. La nuit précédente, il avait ressenti quelque douleur en l’aine droite, qui l’avait obligé d’appeler ledit sieur Didier pour le visiter, qui lui conseilla de se remettre dans le lit ; mais comme il préféra le salut des âmes à celui de son corps, il n’eut pas assez de force sur son esprit pour l’empêcher d’aller dire

 

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la messe au bain de la Douane, et qu’il ne repassât, au retour, au bain de Cheleby, où Le R. P. préfet des capucins s’était rendu pour chanter une grand’messe de saint Roch, à l’instance des majordomes dudit bain, à laquelle il devait faire L’office de diacre. La sainte messe achevée, avec beaucoup de fatigue pour lui, nous retournâmes à la maison où il me déclara son mal ; et après avoir travaillé avec lui fort longtemps à la traduction des prières dont j’ai parlé ci-dessus, il fut contraint de se mettre au lit, sur les deux heures après midi, avec une certaine joie et allégresse de se voir arrêté pour un si beau sujet ; ce qui me fit répandre des larmes d’une douce consolation, faisant réflexion que M. Nouelly était tombé malade un pareil jour de vendredi.

Après quoi nous le visitâmes et trouvâmes que la peste était déjà toute grosse. Environ une heure après, le charbon parut au dessus, à la distance d’un travers de doigt, ce qui nous donna d’abord bonne opinion.

Aussitôt ledit sieur Didier lui appliqua les remèdes, pour aider à la nature, qui semblait vouloir faire son effet d’elle-même. Nous lui fîmes prendre cependant des potions cordiales avec des bouillons ; mais la faiblesse de son estomac les lui fit vomir ; ce qui obligea ledit sieur Didier de lui appliquer un épithème sur l’estomac de thériaque, etc. Il avait fort peu de fièvre sans mal de cœur, ni de tête ; ce qui nous laissait espérer que ce ne serait rien, ou au plus qu’il en serait quitte pour le mal. Nous ne laissâmes pas que de le faire confesser sur le soir et, le lendemain, lui donner le sacré viatique. Néanmoins, comme il dormait peu et avec de grandes inquiétudes, on jugea que son mal s’était déjà emparé du cœur. C’est pourquoi on jugea à propos de lui donner dimanche matin, l’extrême-onction, pendant qu’il avait encore le jugement bon, après laquelle il me demanda la formule des vœux que ceux de la compagnie font entre vos mains, qu’il me pria de lire mot à mot et qu’il répéta avec une très grande ardeur, et de vous assurer qu’il mourait avec tous les sentiments que la compagnie demande de ses sujets ; et quand il plairait à notre bon Dieu de lui renvoyer la santé, il protestait de l’employer au salut des âmes jusqu’au dernier soupir de sa vie. le vous assure que cela me tira les larmes des yeux. Après lui avoir demandé à genoux sa bénédiction et me l’avoir donnée, je lui répétai mot à mot la même formule des vœux et le priai qu’arrivant devant Dieu au ciel il portât pareil témoignage devant sa divine Majesté qu’il me commandait de porter devant les hommes. Je l’embrassai, à l’heure même, avec toute la cordialité qu’il me fut possible, protestant de mourir plutôt à ses

 

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pieds que de l’abandonner. Et s’étant ressouvenu d’une certaine croix d’argent qu’il portait à son col, dans laquelle il y avait des reliques, il se l’arracha lui-même, disant qu’il faisait scrupule de mourir avec ce trésor et me le remit entre mes mains pour en disposer ainsi qu’il vous plairait. Et lui ayant demandé s’il ne la portait pas avec permission il me dit qu’à la vérité vous la lui aviez bien donnée, mais que vous ne pensiez pas qu’elle fut de telle conséquence. Voilà, Monsieur, jusqu’où a été son détachement.

Cependant la faiblesse de son estomac lui ayant fait rejeter jusqu’aux restaurants que nous lui avions faits, voyant qu’il ne pouvait supporter les bouillons, enfin le mardi 12 du présent mois, il lui survint une petite sueur, qui lui dura environ un quart d’heure, et que nous pensions être une crise, après laquelle il demeura froid par les extrémités. Puis nous lui demandâmes comment il se trouvait, et nous dit qu’il lui semblait être en repos Et lorsque nous le croyions ainsi un quart d’heure après il se trouva à l’agonie. Aussitôt je me saisis de son crucifix et le lui fis baiser en faisant un acte de contrition, qu’il répéta mot à mot. Puis je lui fis dire Maria mater gratiae et dix ou douze fois le sacré nom de Jésus et de Marie. En suite de quoi le R. P. Sébastien (2) religieux de Notre-Dame de la Merci, lui donna indulgence plénière, en vertu de son Ordre, avec absolution générale ; et un moment après il mourut, les mains jointes, sans aucune violence, ni perte de jugement.

Voilà, Monsieur, une mort autant à souhaiter que la vie a été exemplaire et à imiter, et qui nous fait bien reconnaître que in brevi explevit tempora multa, étant mort à l’âge de 36 ans, ainsi que, peu de temps auparavant, il m’avait dit son âge.

Si feu Monsieur Nouelly a été regretté, il ne l’a pas moins été ; les pleurs des pauvres chrétiens en sont de véritables témoins, qui disent tout haut avoir perdu leur père.

Le lendemain, nous le portâmes à Bab-Azoun, auprès de feu M. Nouelly, en compagnie de quatre ou cinq cents chrétiens, pleurant de se voir abandonnés dans le danger qu’ils courent d’autant que les autres prêtres ne se veulent pas tant hasarder ; et à moins que des cœurs pareils à ces deux Messieurs, à peine seront-ils secourus.

Le jour même fut dite sur son corps la première messe dans notre chapelle, que j’avais fait mettre dans un autre lieu,

2) Sébastien Brugière.

 

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à cause qu’elle était trop petite. La messe fut dite par un religieux bénédictin qui est le seul prêtre que nous ayons de ces trois que l’on disait être observantins, pris depuis peu. Notre défunt a eu un avantage par dessus les autres, parce qu’aussitôt qu’un chrétien meurt, il est portée en terre.

Ce matin a été chanté un service solennel au bain du roi où a assisté un bon nombre de chrétiens, autant que le loisir leur a pu permettre. Le R. P. capucin a parcouru en trois mots quelqu’une de ses actions les plus principales ; mais, comme il y a peu de temps qu’il est en cette ville, il ne pouvait pas avoir la connaissance de tout ce qui lui est arrivé. Voici à peu près ce que j’ai pu retenir de son langage : que plus les choses sont parfaites, plus elles doivent être regrettées, quand nous les perdons. Il prouva sa perfection par sa mortification, étant mort à lui-même, puisque, sans considérer les intérêts de sa santé, il s’est exposé pour le salut de ses frères ; et a allégué Le passage de l’Apocalypse Beati mortui et avec l’application de saint Ambroise. Il la prouva aussi par sa simplicité et sa douceur, en le comparant à cet enfant de l’Évangile auquel Notre-Seigneur disant les commandements de Dieu, il lui fit réponse : hac hora, etc. ; et quand ce viendrait au jugement notre défunt pourrait bien dire la même chose. Il la prouva aussi par sa charité, s’étant exposé si généreusement à venir en cette ville, sachant bien que le mal était si grand, Majorem caritatem, etc. Et enfin il conclut qu’il y en avait assez pour faire un martyr. Mais qu’eut-il dit s’il eut su ce qui est ci-dessus !

Le R. P. Sébastien lui a donné tout le secours qui lui a été possible. Je puis dire que sa charité est grande, puisqu’aussitôt qu’il apprit sa maladie, il se vint offrir à lui et ne l’abandonna qu’en le mettant en terre.

Ledit sieur Didier, qui avait une inclination particulière pour ses vertus, a fait humainement tout ce qui lui a été possible pour contribuer à sa santé ayant toujours couché en sa chambre pour être plus prompt à le secourir,, quelque danger qu’il y eut eu.

Les pauvres René Duchesne et Jean Benoît, qui n’espèrent point de liberté que de votre secours, se sont employés de toute leur affection.

Enfin, Monsieur, tous y ont fait leur devoir. Il n’y a que moi qui m’en suis très mal acquitté dont je vous demande très humblement pardon. Ce sont les sentiments avec lesquels je suis obligé de fermer la présente, qui va par voie du bastion, en vous assurant que je m’estimerai bienheureux si, après une si belle vie, je pouvais avoir une si belle mort, que le vous prie d’obtenir pour moi de notre bon Dieu, en

 

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l’amour duquel je suis, de tout mon cœur, Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur.

BARREAU.

Je vous demande pardon de la précipitation avec laquelle la présente est achevée. Nous pensions que la galère ne dût partir que demain. Il vient de venir un ordre de la faire partir tout à l’heure Le R. P. capucin est fort malade ; on ne sait ce que c’est. L’autre prêtre est en galère où sont allés René Duchesne et Jean Benoît. Je suis à présent seul.

 

1036. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Il est vrai que j’ai une affection toute particulière pour la fête de la Pentecôte et que ce temps-ci de son attente m’est très cher. Je me souviens d’avoir eu, y a quelque temps, une grande consolation, Oyant un prédicateur dire que ce fut en ce jour-là que Dieu donna sa loi écrite à Moïse, et qu’en la loi de grâce il avait donné, en ce même jour, à son Église la loi de son amour, qui portait puissance de l’effectuer. Et parce que, en ce même jour, il a plu à Dieu mettre en mon cœur une loi qui n’en est jamais sortie, nonobstant toutes mes méchancetés (2), je souhaiterais volontiers, s’il m’était permis, qu’en ce même jour sa bonté fit entendre les moyens d’observer cette loi selon sa sainte volonté. Je ne sais si ce n’a point été pour cela que j’ai eu pensée de vous demander permission de nous disposer à cette fête par la privation de la sainte communion ces onze jours que la sainte Vierge, les apôtres et saintes femmes ont été séparés de leur cher Maître nous servant aussi de cette occasion pour penser au mauvais usage que nous avons fait toute l’année de nos communions, afin d’exciter en nous un nouveau désir de communier avec plus de ferveur et d’utilité pour la gloire de Dieu, et afin aussi de participer avec les apôtres au baptême qu’ils reçurent d’amour et de ferveur pour le service

Lettre 1036. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Après 1649, Louise de Marillac emploie toujours en tête de ses lettres l’expression : "Mon très honoré Père."

2), Voir lettre 753, note l.

 

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du prochain. Je vous supplie très humblement, Monsieur, que les faiblesses de mon esprit que je vous ai fait paraître, n’exigent point de votre charité la condescendance qui vous pourrait donner pensée que je voudrais que vous déférassiez à mes pensées ; car cela est tout à fait extorqué de mon désir, et n’ai point plus grand plaisir que quand je suis raisonnablement contrariée, Dieu me faisant la grâce presque toujours de connaître et estimer les avis d’autrui tout autres que les miens, et particulièrement quand c’est une charité. Je suis assurée de voir évidemment cette vérité, quoique ce soit en des sujets qui me soient cachés pour un temps.

 

1037. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 22 mai 1648.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre, écrite en l’absence de M. Blatiron ; elle m’a donné une joie particulière, m’apprenant votre meilleure disposition ; mais je demeure contristé de vous voir délibéré (1) à retourner déjà au travail, où je crains que vous retombiez en pire état. Je vous supplie d’avoir patience, et de vous fortifier tant que vous pourrez, par le repos et les remèdes ; vous ne me pouvez donner une plus grande consolation, ni rendre plus de service au prochain, qu’en vous mettant en état de lui en rendre longuement. Ces Messieurs, à qui vous pensez donner scandale, seront, au contraire, édifiés de vous savoir bien obéissant en ceci, comme vous l’êtes aux grandes et difficiles occasions.

J’ai écrit à M. Blatiron qu’il retienne pour encore M. Brunet, bien que nous en ayons grand besoin ailleurs

Lettre 1037. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Délibéré décidé.

 

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Je vous supplie de recommander mon âme à Notre-Seigneur, puisque je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

Au bas de la première page. M. Martin.

 

1038. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 12e juin 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous remercie du soin que vous prenez de m’écrire, en l’absence de M. Blatiron.

Je suis après pour trouver le moyen de vous faire tenir nos lettres, sans qu’il vous en coûte rien. Il n’est pas raisonnable que le port se paye 2 fois.

J’écris à M. Alméras qu’il vous donne, s’il peut, un de ses frères, en échange d’un autre que vous lui enverrez.

Vous savez que la famille de Gênes m’est très chère et que je suis très consolé quand les sujets d’icelle sont contents et qu’en général tout y va bien. Je la recommande pour cet effet très souvent à Notre-Seigneur, et en particulier votre chère âme, Monsieur, à laquelle la mienne est collée fort intimement.

Je songe tout de bon à vous envoyer un homme d’âge, tel que vous et M. Blatiron m’avez écrit qu’il le faut, afin que ceux qui viendront à la maison aient confiance en lui.

Vous ne me dites rien de votre santé ; plaise à Dieu

Lettre 1033 — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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qu’il la perfectionne de plus en plus pour sa gloire et pour ma consolation, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

Au bas de la première page : M. Martin.

 

1039. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 14 juin 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Puisque M. Lucas (1) est allé en mission, je vous supplie d’envoyer par un exprès la lettre ci-incluse à Monsieur de Saint-Aignan, qui la lui rende en main propre. Vous donnerez aussi à M. Charpentier celle que je lui écris ; peut-être se pourra-t-il rendre le porteur de la première.

Nous n’avons personne à vous donner pour les orgues, notre frère Dufresne (2) étant nécessaire de deçà.

Puisque c’est une coutume de donner à déjeuner à M. le lieutenant général, officiers et autres qui se trouvent avec lui au jour du Saint-Sacrement, cette coutume-là acquiert droit, et partant il le faut payer ; il serait difficile de s’en dispenser.

Je vous écris à la hâte, mais non sans consolation de

Lettre 1039. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) Antoine Lucas, supérieur de la maison.

2). Peut-être Denis Dufresne, coadjuteur, né à Argenteuil (Seine-et-Oise), entré dans la congrégation de la Mission le 1er novembre 1642, à l’âge de quarante et un ans

 

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vous assurer que votre cœur m’est cher et que je suis de tout le mien, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Gentil.

 

1040. — THOMAS TURCHI, SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES DOMINICAINS, A SAINT VINCENT

Reverendissime Pater et Domine

Tot vestrae in me meumque OrdineM pietatis titulis Vestrae Reverendissimae Paternitatis debitor factus, saepius cogor mea gratitudine vestras curas publicas sanctioresque interpellare vestramque gravare modestiam dum beneficia vestra gratus recolo. Inter haec urgent me maxime ad referendas vobis gratias quae non ita pridem effecistis pro fundatione cathedrae theologicae in studio generali Casseliensi Ordinis nostri, in Hibernia ad usum publicum tam regularium quam saecularium, id que ad instantiam Reverendi Patris Fratris Fabiani Ryan, Hiberni, Ordinis nostri, pro illo negotio a provinciali suo deputati. Et vestrum in Ordinem beneficium eo magis sensi quo publicum quoque ad Dei cognitionem et gloriam multorumque eruditionem et salutem tam proficuum quam Ordini nostro utile erit et honorificum… est quod orem et sperem ut tam pio operi ab ea manu imponatur… a qua meruit fundari, totisque profusae charitatis incentivis caeptum… urgentibus flammis consummetur. In utriusque gratiae factae et speratae vicem, mea meique Ordinis hic et ubique, maxime vero in Hibernia, offero et spondeo vota pro Vestrae Reverendissimae Paternitatis totiusque vestrae sacrae societatis conservatione et prosperitate, ut habeat ubique gratum quem sibi ubique fecit esse debitorem dum majora possim et plura quam vota quibus vobis efficaciter probem quod vere et sincere sim Vestrae Reverendissimae Paternitatis humillimus et devotissimus servus in Domino.

Romae, in conventu Sanctae-Mariae super Minervam, 15a junii 1648.

Lettre 1040 — Arch. de la Mission, copie prise à la maison généralice des Pères dominicains, Epistolae R. P. Turchi, IV p. 91.

 

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TRADUCTION

Très Révérend Père et Monsieur,

Le pieux dévouement de votre Paternité Révérendissime envers ma personne et mon Ordre vous donne tant de droits à ma gratitude que je suis souvent pressé, quand je me rémémore vos bienfaits, de venir vous distraire, par mes remerciements, de vos saintes et publiques occupations et blesser votre modestie.

Ce qui me presse surtout de vous témoigner ma reconnaissance, c’est la fondation d’une chaire de théologie, pour l’usage public tant des réguliers que des séculiers à l’université que notre Ordre dirige à Cashel, en Hibernie, et cela sur les instances du R. P. frère Fabien Ryan, Irlandais, de notre Ordre député à cet effet par son provincial. J’ai senti d’autant plus fortement ce bienfait envers notre Ordre que, public de sa nature, il est aussi profitable à la connaissance et à la gloire de Dieu, à l’érudition et au salut de beaucoup qu’utile et honorable à notre Institut. Je demande, et c’est la mon espoir, que ce pieux ouvrage soit soutenu par la main qui l’a fondé, et que, commencé sous l’inspiration d’une abondante charité, il soit consommé par les flammes ardentes de la même vertu.

En retour des services rendus et de celui que j’espère, j’offre à Votre Paternité Révérendissime les vœux que je forme, ainsi que mon Ordre, ici et partout, en Irlande surtout, pour la conservation de votre personne et de votre pieuse compagnie. Elle aura partout la reconnaissance de celui qu’elle fait partout son obligé, en attendant que je puisse vous présenter plus que des vœux et vous prouver efficacement que je suis vraiment et sincèrement de Votre Paternité Révérendissime le serviteur très humble et très dévoué en Notre-Seigneur.

A Rome, au couvent Sainte-Marie de la Minerve, le juin 1648.

 

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1041. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Juin 1648] (1)

Monsieur,

Monsieur Lambert vous dira l’extrémité de notre chère sœur Louise, de Saint-jacques (2). Je supplie très humblement votre charité lui faire entendre ce que c’est que la bénédiction que notre Saint-Père nous a accordée, et la manière de l’appliquer, afin que notre pauvre sœur ait part à ce grand bien.

Je vous supplie très humblement me permettre de l’aller demain voir, si je puis avoir commodité, et Madame de Marillac (3), et, par même moyen, faire les trois saintes stations dans la rue Saint-Denis, tout proche l’une de l’autre ; et si votre charité se voulait donner la peine de me parler samedi, j’en serais bien aise, pour communier dimanche, à l’intention du jubilé.

Je vous supplie très humblement prendre la peine me mander s’il est nécessaire que j’écrive à ma sœur Barbe (4) au sujet de la petite qu’elle nous à envoyée, vu ce qu’elle m’en mande (5), comme aussi ce que je lui manderai de cette femme

Lettre 1041. — Ms. Saint-Paul, p. 24.

1). La présence à Paris de Lambert aux Couteaux et de Louis Thibault et la mention du jubilé ne laissent aucun doute sur l’année. D’autre part, la lettre précède de fort peu de jours le 24 juin, date de celle qui porte le n° 181 bis dans la correspondance de Louise de Marillac.

2). Saint-Jacques de la Boucherie. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, 1. 181 bis.)

3). Jeanne Potier, épouse de Michel de Marillac, petit-fils du garde des sceaux de même nom.

4). Barbe Angiboust, qui était alors à Fontainebleau.

5). Cette "bonne petite fille", comme l’appelle la fondatrice (Lettres de Louise de Marillac, 1. 181 bis), Vint. à Paris, et Mademoiselle, la trouvant trop jeune, la renvoya à Barbe Angiboust "Je crois que vous ferez… bien, lui écrivait-elle le 24 juin 1648, de la mettre en quelque condition, pourvu que ce soit chez des gens de bien, comme chez quelque laboureur, quand elle ne serait du commencement qu’à garder les vaches ; et puis, à mesure qu’elle croîtra, on lui pourra faire faire quelque chose de plus ; et quand elle aura servi trois ou quatre ans, si Dieu lui donne la volonté de le servir parmi nous, nous la pourrons prendre ; et il sera bien mieux que ce soit elle qui le désire, quand elle sera en âge capable, que d’y venir à présent qu’elle ne sait encore ce qu’elle veut."

 

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et 2 filles dont elle nous parle dans sa lettre que j’ai reçue hier, que je vous envoie.

Si Monsieur Lambert me fait la charité vous dire toutes les plaintes que l’on lui a faites de moi, vous verrez bien le besoin que j’ai que vous m’accordiez la demande que je vous fais pour samedi.

Monsieur l’aumônier de Mademoiselle (6) me vient de mander de bouche qu’il se donnerait la peine de venir en ce quartier pour vous communiquer la lettre de ma sœur Barbe, et qu’il me la ferait voir aussi. Je ne lui avais rien mandé de votre part.

 

1042. — A LOUISE DE MARILLAC

[Juin 1648] (1)

Monsieur Lambert fut voir hier notre bonne sœur de Saint-Jacques, qu’il trouva en très grand danger, mais disposée à l’égal au bon plaisir de Dieu.

Je ne sais pas [encore] (1) ce qui se pratique en cette nature d’indulgence que notre Saint-Père vous a donnée ; je m’en informerai. Aussi bien cette bonne fille a-t-elle gagné le jubilé, pendant lequel toutes autres indulgences cessent. Si votre santé le vous permet et vous aviez un carrosse, vous la pourriez aller voir et faire vos stations en deux ou trois lieux au plus.

Il sera bon de mander à ma sœur Barbe qu’elle vous envoie ces deux filles, si M. Thibault les juge propres, et ne lui rien dire de la fille qui a accompagné cette sœur.

6) La duchesse de Montpensier, fille de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII.

Lettre 1042 — Ms. Saint-Paul, p. 24. Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle saint Vincent l’a écrite.

1). Le manuscrit porte : avoir ; c’est évidemment une faute de copiste.

 

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1043. — A JEAN DEHORGNY *

De Paris, ce 25 juin 1648.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Votre dernière lettre dit deux choses : l’une, que nous donnons des emplois trop considérables à nos frères coadjuteurs, et l’autre, que nousavons mal fait de nous déclarer contre les opinions du temps.

Je vous dirai pour le premier, Monsieur, que je remercie très humblement Notre-Seigneur de ce qu’il vous fait faire attention à la conduite de la compagnie, et vous prie de continuer, quoiqu’il me semble que nous ayons raison d’en user comme nous faisons à l’égard des deux points ci-dessus.

Il n’y a en toute la compagnie que notre frère Alexandre (1) qui ait la recette et la mise entre les mains, que nous lui donnâmes quand (2) nous envoyâmes M. Gentil au Mans (3), et cela faute d’un prêtre qu’on pût appliquer à cela ; et il s’est appliqué à cet emploi en sorte qu’il y a sujet d’en (4) louer Dieu.

Ce bon frère Nicolas (5) que vous me marquez, de la maison de Crécy, n’avait pas l’argent entre ses mains, quoiqu’on vous ait dit. L’argent se garde là dans un coffre à deux serrures, dont M. Tournisson (6) avait l’une

Lettre 1043 — Arch. dép. de Vaucluse, D 296, copie ancienne prise sur l’original. Nous signalerons en note les variantes du texte publié par les Mémoires de Trévoux en avril 1726 (p. 742 et suiv.).

* Voir le texte de cette lettre et son commentaire par Bernard KOCH à la fin du volume XIII. pp. 863 & sq.

1). Alexandre Véronne.

2) Mémoires de Trévoux : lorsque.

3) Mémoires : Maine.

4) Mémoires : : de.

5). Plusieurs frères coadjuteurs portaient ce petit nom.

6) Ce nom ne se trouve pas dans le catalogue du personnel.

 

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et son assistant avait l’autre ; et il en va de même partout, notamment où M. Portail a fait sa visite. Cela n’empêche pas que nous ne mettions cet emploi entre les mains d’un prêtre dans quelque temps et que nous ne fassions attention à ce que vous me dites.

Je pense que ce qui trouble les ordres par les frères vient de ce qu’on les tient trop bas. Saint François ordonne que les frères lais auraient voix à l’élection des gardiens ; mais les Capucins et les Récollets ont ôté cela, et c’est ce qui désespère ces pauvres frères et qui les a obligés de s’en plaindre au Pape. Le Fils de Dieu traitait ses apôtres d’amis, quoiqu’ils ne fussent pas encore prêtres ; et nous voulons traiter les nôtres de serviteurs, quoiqu’il soit vrai de dire que la plupart aient plus de vertu que la plupart d’entre nous, pour le moins plus que moi (7) !

Quant au 2° point (8) qui concerne la faute que nous avons faite de nous déclarer contre les opinions du temps, voici, Monsieur, les raisons qui m’y ont porté.

La première est celle de mon emploi au Conseil des choses ecclésiastiques, dans lequel chacun s’est déclaré contre : la reine, Mgr le cardinal (9), M. le chancelier (10) et M. le pénitencier (11). Jugez de là si j’ai pu demeurer neutre. Le succès a fait voir qu’il était expédient d’en user de la sorte.

La seconde raison est celle de la connaissance que j’ai du dessein de l’auteur de ces opinions nouvelles (12), d’anéantir l’état présent de l’Église et de la remettre en son pouvoir. Il me dit un jour que le dessein de Dieu

7) Tout cet alinéa manque dans les Mémoires de Trévoux.

8) Mémoires : second point.

9) Le cardinal Mazarin.

10) Pierre Séguier.

11) Jacques Charton.

12) Jean du Verger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran.

 

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était de ruiner l’Église présente et que ceux qui s’employaient pour La soutenir faisaient contre son dessein ; et, comme je lui dis que c’était Le prétexte que prenaient pour l’ordinaire la les hérésiarques, comme Calvin, il me répartit que Calvin n’avait pas mal fait en tout ce qu’il avait entrepris, mais qu’il s’était mal défendu (14)

Le troisième a été que j’ai vu que trois ou quatre Papes (15) avaient condamné les opinions de Baïus (16), que Jansénius soutient, comme avait fait aussi la Sorbonne en l’année 1560, et que la plus sainte partie de la même faculté, qui sont tous les anciens, se déclarent contre ces opinions nouvelles (17), et que notre Saint-Père a condamné celle des deux chefs, qu’on voulait établir avec mauvais dessein (18). Et la quatrième, que je mets ici La dernière, outre plusieurs autres, est ce que dit Célestin, pape (Epistola 2 ad Episcopos Galliae), contre quelques prêtres qui

13) Mémoires : c’étaient pour l’ordinaire les prétextes que prenaient les.

14) Abelly nous a conservé le récit de cet entretien, op. cit., t. II, chap. XII, p. 410

15) Pie V, Grégoire XIII et Urbain VIII.

16). Michel Baïus était né à Melin (Belgique) en 1513. Nommé professeur d’Écriture Sainte à l’Université de Louvain, puis chancelier de ce corps, il sut si bien se faire apprécier de ses collègues que ceux-ci le députèrent au concile de Trente. C’est encore sur lui qu’on jeta les yeux pour remplir les fonctions d’inquisiteur général. Ses opinions étranges sur l’état de la nature réparée, la justification, l’efficacité des sacrements et le mérite des bonnes œuvres, opinions qu’il répandait par ses enseignements et ses écrits, émurent plusieurs docteurs de Louvain et lui suscitèrent des attaques. Dix-huit de ses propositions furent condamnées par la Faculté de Paris (27 juin 1560), soixante-seize par Pie V (1er octobre 1567, 13 mai 1569). Grégoire XIII dut intervenir de nouveau le 29 janvier 1579. Baïus mourut le 19 septembre 1589, après avoir rétracté ses erreurs de vive voix et par écrit. Ses Œuvres, imprimées à Cologne en 1696 par les jansénistes Quesnel et Gerberon, furent mises à l’index le 8 mai 1697

17). Le jansénisme avait des adhérents en Sorbonne, surtout parmi les jeunes docteurs. (Voir Rapin, Mémoires, t. I, p. 43-46.)

18). La condamnation d’Innocent X est du 24 janvier 1647.

 

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avançaient quelques erreurs contre la grâce et lesquelles ces évêques avaient condamnées. Ce bon Pape, après les avoir loués de s’être opposés à la doctrine de ces prêtres, il (19) dit ces mêmes paroles : "Timeo ne connivere sit hoc tacere, timeo ne illi magis loquantur qui permittunt illis taliter loqui, in lalibus causis non caret suspicione taciturnitas, quia occurreret veritas, si falsitas displiceret ; merito namque causa nos respicit, si silentio faveamus errori (20)." Que si l’on me dit que cela est vrai à l’égard des évêques, et non pas à celui d’un particulier, je réponds que, vraisemblablement, cela s’entend non seulement des évêques, mais aussi de ceux qui voient le mal et qui, en tant qu’en eux est, ne l’empêchent pas.

Voyons maintenant de quoi il s’agit. Vous me dites que c’est du livre De la fréquente communion de Jansénius (21) ; que, pour le premier (22), qui l’avez lu par deux fois et que peut-être le mésusage qu’on fait de ce divin sacrement a donné lieu à cela.

Il est vrai, Monsieur, qu’il n’y a que trop de gens qui abusent de ce divin sacrement, et moi misérable plus que tous les hommes du monde, et je vous prie de m’aider à en demander pardon à Dieu ; mais La lecture de ce livre, au lieu d’affectionner les hommes à la fréquente

19) Ce mot ne se trouve pas dans le texte de Trévoux.

20) Patrologiae Cursus completus, éd. Migne, Paris, 1857-1864, 221 vol. in-4°, t. IV, col. 529. Migne a préféré la variante foveamus errorem

21). Rarement livre fit plus de bruit et eut plus de succès que le livre De la fréquente communion, composé par Antoine Arnauld selon l’esprit de Jansénius, publié à Paris en 1643 et déjà parvenu à sa sixième édition en 1648. M. Dehorony l’avait reçu des mains de son ami le janséniste Bourgeois, docteur en théologie, qui était venu à Rome pour en pêcher une condamnation. Il l’avait lu, s’en était pénétré et en trouvait les principes excellents. (Hermant, Mémoires… sur l’histoire ecclésiastique du XVIIe siècle, 1630-1663, éd. Gazier, Paris, 1905-1908, 6 vol. in-8°, t. I, p. 389.)

22). Mémoires : la première.

 

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communion, elle (23) en retire plutôt. L’on ne voit plus cette hantise des sacrements qu’on voyait d’autres fois, non pas même à Pâques. Plusieurs curés de Paris se plaignent de ce qu’ils ont beaucoup moins de communiants que les années passées. Saint-Sulpice en a 3.000 de (24) moins ; Monsieur le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (25) ayant visité les familles de la paroisse après Pâques, en personne et par d’autres, nous dit dernièrement qu’il a trouvé 1.500 de ses paroissiens qui n’ont point communié ; et ainsi des autres. L’on ne voit quasi plus personne qui s’en approche les premiers dimanches du mois et les bonnes fêtes, ou très peu, et guère plus aux religions (26), si ce n’est encore un peu aux Jésuites. Aussi est-ce ce qu’a prétendu feu M. de Saint-Cyran pour desaccréditer (27) les Jésuites. M. de Chavigny disait, ces jours passés, à un intime ami que ce bon Monsieur lui avait dit que lui et Jansénius avaient entrepris leur dessein pour désaccréditer ce saint Ordre-là à l’égard de la doctrine et de l’administration des sacrements. Et moi je lui ai ouï tenir quasi tous les jours quantité de discours conformes à cela.

Dès que M. Arnauld (28), qui a donné son nom à ce

23) Ce mot ne se trouve pas dans les Mémoires de Trévoux.

24). Ce mot manque également dans les Mémoires de Trévoux.

25). Hippolyte Féret.

26). Religions, communautés religieuses.

27). Désaccréditer, discréditer.

28). Antoine Arnauld, né à Paris le 6 février 1612, ordonné prêtre en 1641, admis dans la société de Sorbonne en 1643, devint, à la mort de Saint-Cyran, le clef du parti janséniste, dont il était déjà l’apôtre et le théologien. Son premier ouvrage de controverse fit beaucoup parler de lui ; c’était le livre de la fréquente communion. Il a écrit, depuis, la Grammaire générale, la Logique ou l’Art de penser et un si grand nombre d’autres traités que, joints à ses lettres, ils forment une collection de quarante-cinq volumes in-4°. Il mourut en exil à Bruxelles le 8 août 1694. Ses frères et ses sœurs furent tous d’ardents jansénistes ; quelques-uns même, comme *Arnauld d’Andilly, Henri Arnauld, évêque d’Angers, Catherine Arnauld,

 

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livre, vit l’opposition qu’il rencontra de divers côtés sur le sujet de la pénitence publique et sur celle qu’il voulait introduire avant la communion, il s’expliqua à l’égard de cela de l’absolution simplement déclaratoire ; mais, quoi qu’il en soit, il y reste encore des erreurs, à ce que nous dit dernièrement Monsieur le grand maître de Navarre (29), qui est un des plus savants du siècle, comme aussi M. le pénitencier (30), Messieurs Cornet et Coqueret, qui étaient assemblés céans pour ces sortes d’affaires et que cette déclaration est captieuse et contient quantité de choses qui ne valent guère mieux que ce qu’il dit (31) dans le premier livre. Ce qu’il dit : que l’Église, ayant, au commencement, pratiqué la pénitence publique avant l’absolution, avait toujours affection de rétablir cet usage, et qu’autrement elle ne serait pas la colonne de vérité, toujours semblable à elle-même, ains une synagogue d’erreurs, cela, Monsieur, ne porte-t-il pas à faux ? L’Église, qui ne change jamais dans les (32) choses de la foi, ne le peut-elle pas faire à l’égard de la discipline ; et Dieu, qui est immuable en lui-même, n’a-t-il pas changé ses conduites à l’égard des hommes ? Notre-Seigneur, son Fils, n’a-t-il pas changé quelquefois les siennes, et les apôtres les leurs ? A quel propos cet homme dit-il donc que l’Église serait en erreur, si elle ne retenait l’affection de rétablir ces sortes de pénitences qu’elle pratiquait au passé ? Cela est-il orthodoxe ?

Quant à Jansénius, il le faut considérer ou comme soutenant les opinions de Baïus, tant de fois condamnées

mère de Le Maistre de Sacy, la Mère Angélique et la Mère Agnès ont joué un rôle important dans le parti. (Cf. Pierre Varin, La vérité sur les Arnauld Paris, 1847, 2 vol. in-8°.)

29). Jacques Péreyret.

30) Jacques Charton

31) Mémoires : a dit.

32) Mémoires : Quant aux.

 

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par les Papes et par la Sorbonne, comme je l’ai (33) dit, ou comme soutenant d’autres doctrines qu’il traite là dedans. Quant au premier, n’avons-nous pas obligation de nous tenir à la censure que les Papes et ce docte corps ont faite de ces opinions-là et de nous déclarer contre ? Quant au reste du livre, le Pape défendant de le lire, le Conseil des choses ecclésiastiques n’a-t-il pas dû conseiller à la reine de tenir la main à ce que [ce que] (34) le Pape Urbain huitième a ordonné s’exécute, et faire profession ouverte de se déclarer contre les opinions de Baïus censurées et ces sortes de nouvelles opinions de ce docteur, qui soutient hardiment celles que l’Église n’a point (35) encore déterminées touchant la grâce ?

Vous me dites par la vôtre que Jansénius a lu dix fois toutes les œuvres de saint Augustin et trente fois les traités de la grâce, et qu’il n’y a pas d’apparence que les missionnaires se mêlent de juger des opinions de ce grand homme.

Je vous réponds à cela, Monsieur, que d’ordinaire ceux qui veulent établir de nouvelles doctrines sont hommes fort savants et qu’ils étudient avec grande assiduité et application les auteurs desquels ils se veulent servir ; qu’il faut avouer que ce prélat était fort savant, et qu’ayant le dessein que j’ai dit de désaccréditer les Jésuites, il a pu lire saint Augustin le nombre de fois que vous me dites ; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit pu tomber dans l’erreur et que nous ne serions pas excusables d’adhérer à ses opinions, qui sont contraires aux censures qui ont été faites contre sa doctrine. Les prêtres ont obligation de ne pas adhérer et de contredire la doctrine de Calvin et des autres

33) Mémoires : j’ai.

34) Mots oubliés dans la copie.

35) Mémoires : pas.

 

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hérésiarques, quoiqu’ils n’aient jamais lu les auteurs sur lesquels ils se sont fondés, non pas même ses livres.

Vous me dites de plus que les opinions que nous disons anciennes sont modernes, qu’il y a environ 70 ans que Molina (36) a inventé les opinions qu’on dit anciennes, touchant le différend. Je vous avoue, Monsieur, que Molina est auteur de la science qu’on dit médienne (37), qui n’est, à proprement parler, que le moyen par lequel on fait voir comme cela se fait et d’où vient que deux hommes qui ont pareil esprit, mêmes dispositions et pareil degré de grâce pour faire les œuvres de leur salut, et que néanmoins l’un le fait et que (38) l’autre ne le fait pas, l’un est sauvé et l’autre se perd. Mais quoi ! Monsieur, il ne s’agit pas de cela, qui n’est pas article de foi. La doctrine qu’il combat, que J.- C. est mort pour tout le monde, est-elle nouvelle ? N’est-elle pas de saint Paul et de saint Jean ? L’opinion contraire n’a-t-elle pas été condamnée au concile de Mayence (39) et en plusieurs autres (40) contre Godeschalcus (41) ? Saint Léon ne

36). Louis Molina, célèbre jésuite espagnol né en 1533, mort à Madrid en 1600, connu surtout par son livre De concordia gratiae et liberii arbitrii, qui développe sa théorie de la science moyenne. Cet ouvrage, attaqué dès son apparition, donna lieu à de violentes polémiques entre Jésuites et Dominicains. L’affaire fut portée devant le tribunal de Clément VIII, qui institua, pour la juger, la congrégation de Auxiliis. Après bien des discussions sans résultat, Paul V laissa libre l’enseignement des doctrines contestées et interdit aux deux écoles, sous menace de graves peines, de se censurer mutuellement

37). La science moyenne, ainsi appelée, parce qu’elle tient en quelque sorte le milieu entre la science divine du possible et celle des faits qui doivent absolument arriver, est la Connaissance par laquelle Dieu sait infailliblement, avant tout décret absolu de sa volonté, ce que l’homme fera sous quelque condition et avec quelque secours de la grâce que ce soit.

38). Mot omis dans les Mémoires de Trévoux.

39). En 848

40). Par exemple au concile de Quiercy-sur-Oise, en 849.

41). Godescale, Gotescale ou Fulgence, savant Bénédictin, né en Allemagne en 806, enseigne des doctrines hétérodoxes sur la prédestination.

 

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dit-il pas dans les leçons de Noël, que Notre-Seigneur est né pro liberandis hominibus (42) ? et la plupart des saints Pères tiennent-ils pas ce langage-là ? Le concile de Trente, en la session 6e, De Justificatione, chapitre 2e, n’apporte-t-il pas les paroles de saint Jean sur ce sujet : Hunc proposuit Deus propitiationem per fidem in sanguine ipsius pro peccatis nostris, non solum autem pro nostris, sed etiam pro totius mundi (43) ? Et au troisième : Verum etsi ille pro omnibus mortuus est ; il dit ensuite qu’encore que cela soit ainsi, non omnes tamen mortis ejus beneficium recipiunt, sed ii dumtaxat quibus meritum passionis ejus communicatur. Après cela, Monsieur, dirons-nous cette doctrine nouvelle ?

Dirons-nous encore nouvelle celle qu’il combat, contre la possibilité de l’observance des commandements de Dieu, contre le canon 18 du même concile (44) et de la même session, qui dit que, si quis dixerit Dei praecepta homini etiam justificato et sub gratia constituto esse ad observandum impossibilie, anathema sit.

Et celle que vous dites, Monsieur, qu’il nous importe peu de savoir s’il y a des grâces suffisantes, ou si elles sont toutes efficaces, est-elle nouvelle ? N’est-elle pas contenue dans le second concile d’Orange, chapitre 25 ? Voici, Monsieur, les paroles de ce concile, par lequel vous verrez, sinon les mots propres de grâce suffisante, pour le moins l’équivalence du sens. Hoc etiam secundun fidem catholicam credimus quod, accepta per baptismum gratio, omnes baptizati, Christo auxiliante et cooperante, quae

Condamné par plusieurs conciles il fut dégradé, fouetté publiquement et enfermé dans l’abbaye *d’Hautvilliers. Il mourut dans sa prison en 868, sans avoir renoncé à ses idées.

42). Mémoires : omnibus.

43). Première épître de saint Jean, II, 2.

44). Mémoires. : les canons saints du même concile.

 

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ad salutem pertinent, possint et debeant, si fideliter laborare voluerint, adimplere.

Et quant à ce que vous dites, qu’il nous importe peu de savoir cela, je vous supplie (45), Monsieur, de souffrir que je vous dise qu’il me semble qu’il est de grande importance que tous les chrétiens sachent et croient que Dieu est si bon que tous les chrétiens peuvent, avec la grâce de Jésus-Christ, opérer leur salut, qu’il leur donne les moyens par Jésus-Christ et que cela manifeste et magnifie beaucoup l’infinie bonté de Dieu.

L’on ne peut non plus dire nouvelle l’opinion de l’Église qui croit que toutes les grâces ne sont pas efficaces, puisque l’homme les peut refuser, chap. 4, De Justificatione.

Vous dites que Clément VIII et Paul V ont défendu que l’on dispute des choses de la grâce (46). Je vous répondrai (47), Monsieur, que cela s’entend des choses qui ne sont pas déterminées, comme le sont celles que je viens de dire ; et pour les autres qui ne sont pas déterminées par l’Église, pourquoi Jansénius l’attaque-t-il ? Et en ce cas, n’est-il pas du droit naturel de défendre l’Église et de soutenir les censures fulminées contre ?

Vous dites que ce sont des matières d’école. Il est vrai de quelques-unes ; et quoique d’autres soient telles, faut-il pour cela s’en taire et laisser altérer le fond des vérités par ces subtilités ? Le pauvre peuple n’est-il pas obligé de croire et par conséquent d’être instruit des

45) Mémoires : prie.

46). Pour mettre fin aux discussions, qui troublaient deux Ordres célèbres de l’Église après l’apparition du livre de Molina, Clément VIII évoqua l’affaire et interdit aux deux parties la discussion des questions controversées, jusqu’à ce qu’il eût fait connaître sa décision.

47). Mémoires : dirai.

 

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choses de la Trinité et du Saint Sacrement, qui sont si subtiles ?

Voilà, Monsieur, ce qui me vient en l’esprit pour vous faire voir la raison que nous avons de nous être déclarés en ce rencontre contre ces opinions nouvelles, contre lesquelles je n’en vois point, sinon deux, dont l’une est le sujet de craindre qu’en pensant arrêter ce torrent des nouvelles opinions, l’on enflamme davantage les esprits. A quoi je réponds que, si cela était, il ne faudrait point s’opposer aux hérésies, à ceux qui nous veulent ravir la vie ou le bien, et que le berger ferait mal de crier au loup, lorsqu’il voit qu’il est prêt (48) d’entrer dans la bergerie. L’autre est celle de la prudence, qui est purement humaine, étant fondée sur le que dira-t-on ? L’on se fera des ennemis. O Jésus ! Monsieur, jà (49) n’advienne que les missionnaires ne défendent pas les intérêts de Dieu et de l’Église pour ces chétifs et misérables motifs, qui ruinent] es intérêts de Dieu et de son Église et remplissent d’âmes les enfers (50).

Oui, mais, me direz-vous, faut-il que les missionnaires prêchent contre les opinions du temps et le monde, qu’ils s’en entretiennent, qu’ils disputent, attaquent et défendent à cor et à cri les anciennes opinions ? O (51) Jésus, nenni ! Voici comme nous en usons : jamais nous ne disputons de ces matières, jamais nous n’en prêchons, ni jamais nous n’en parlons dans les compagnies, si l’on ne nous en parle ; mais si l’on le fait, l’on tâche d’en parler avec le plus de retenue que l’on peut, M. G[illes] excepté, qui se laisse un peu emporter par son zèle ; à quoi je tâcherai de remédier, Dieu aidant (52).

48) Mémoire : au loup, quand il est prêt.

49). Mémoires : ah !

50). Mémoires : et qui remplissent les enfers.

51). Mémoires : Ah !

52).M. Gilles professait la théologie à Saint-Lazare et donnait des entretiens

 

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Quoi donc ! me direz-vous, défendez-vous qu’on dispute sur ces matières ? Je réponds que oui et qu’on en (53) dispute point céans pour tout.

Mais quoi ! désirez-vous qu’on n’en parle point à la Mission de Rome ni ailleurs ? C’est à quoi je prie les officiers de tenir la main et de donner pénitence à ceux qui le feront, si ce n’est au cas que j’ai dit.

Et pource que vous me dites, Monsieur, qu’il faut laisser chacun de la compagnie croire de ces matières ce qu’il lui plaira (54), ô Jésus ! Monsieur, il n’est pas expédient qu’on soutienne diverses opinions dans la compagnie ; il faut que nous soyons toujours unius labii, autrement nous nous déchirerions tous les uns les autres dans la même compagnie.

Et le moyen de s’assujettir à l’opinion d’un supérieur ? Je réponds que ce n’est pas au supérieur qu’il se soumet, ains à Dieu et au sentiment des Papes, des conciles, des saints. Et si quelqu’un ne voulait pas déférer, il ferait mieux (55) de se retirer, et la compagnie de l’en prier. Beaucoup de compagnies de l’Église de Dieu nous donnent l’exemple de cela. Les Carmes déchaussés, en (56) leur chapitre qu’ils tinrent l’année passée, ordonnèrent que leurs professeurs en théologie enseigneraient les opinions anciennes de l’Église et agiraient contre les nouvelles. Chacun sait que les Révérends Pères jésuites en usent de la sorte, comme, au contraire, la congrégation de Sainte-Geneviève ordonne

aux ordinands. Après plusieurs avertissements, saint Vincent, voyant qu’il ne pouvaient le corriger de son zèle immodéré contre les opinions nouvelles, l’éloigna de Saint-Lazare.

53). Mémoires : qu’on n’en.

54) Mémoires : libre de croire de ces matières ce qu’il lui semblera.

55). Mémoires : bien.

56). Mémoires : dans.

 

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à leurs docteurs de soutenir les opinions de saint Augustin, ce que nous prétendons faire aussi en expliquant saint Augustin par le concile de Trente, et non le concile par saint Augustin, pource que le premier est infaillible et le second ne l’est pas. Que si l’on dit que quelques Papes ont ordonné que l’on croie (57) saint Augustin à l’égard des choses de la grâce, cela s’entend au plus des matières disputées et résolues alors (58) ; mais, comme il s’en fait de temps en temps des nouvelles, il faut s’en tenir pour celles-là à la détermination d’un concile (59), qui a déterminé toutes choses selon le vrai sens de saint Augustin, qu’il l’entendait mieux que Jansénius et ses sectaires (60).

Voilà, Monsieur, la réponse à votre lettre, laquelle je n’ai point communiquée à qui que ce soit, ni (61) la communiquerai jamais ; je vous dis de plus que je n’en ai parlé à qui que ce soit et que je ne me suis fait aider par qui que ce soit au monde en ce que je vous dis, et que vous le jugerez bien par mon chétif style et par mon ignorance, qui ne paraît que trop. Que s’il y a quelque chose qui semble (62) au-dessus de cela, je vous avoue, Monsieur, que j’ai fait quelque petite étude touchant ces

57). Mémoires : croira.

58). Dans une lettre à saint Césaire, évêque d’Arles, le pape Boniface II, met saint Augustin au nombre des Pères qui ont exposé la vraie doctrine de la grâce : "Cum de hac re multii Patres et prae caeteris beatae reordationis Augustinus, episcopus, sed et majores nostri apostolicae sedis antistites ita ratione probentur disseruisse latissima ut nulli ulterius deberet esse ambiguum, fidem quoque nobis ipsam venire de gratia supersedendum duximus responsione multiiplici" (Migne, Patrologiae cursus completus, t. LXV, col. 31).

59) Le concile de Trente.

60). Parmi les propositions condamnées par le Saint-Office le 7 décembre 1690 nous trouvons celle-ci (prop. 30) : Ubi quis invenerit doctrinam in Augustinus clare fundatam illam absolute potest tenere et docere, non respiciendo ad ullam Pontificis bullam.

61). Mémoires ; et ne.

62). Les mots qui semble sont omis dans les Mémoires de Trévoux.

 

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questions et que c’est le sujet ordinaire de mes chétives oraisons (63).

Je vous supplie, Monsieur, de la communiquer à M. Alméras (64) ; et à ceux que vous jugerez à propos de la compagnie, à ce qu’on voie les raisons que j’ai eues d’entrer dans les sentiments anciens de l’Église et de me déclarer contre les nouvelles (65) et que nous demandions à Dieu et fassions (66) tout ce qui sera en nous pour être cor unum et anima una (67) en ce fait comme en tout le reste. Je vivrai dans cette espérance et aurais une affliction que je ne vous puis exprimer, si quelqu’un, quittant les vives sources des vérités de l’Église, se fabriquait des citernes des opinions nouvelles, du danger desquelles il n’y a guère personne qui ait mieux été informé par l’auteur que moi, qui suis, Monsieur, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’ose vous dire, Monsieur, que M. Féret (68) s’étant embarrassé dans ces opinions nouvelles, il a dit à Monsieur le curé de Saint-Josse (69) que ce qui l’en a retiré, c’est la fermeté qu’il a vue en (70) ce misérable pécheur contre cela,

63) Saint Vincent a écrit sur la grâce un travail très substantiel, que nous publierons en son lieu.

64). D’après ce que nous verrons plus loin (I 1068), il est fort probable que Jean Dehorgny préféra ne pas communiquer à son supérieur.

65). Contre les nouvelles opinions.

66). Mémoires : et que nous fassions.

67) Livre des Actes IV, 32.

68) Collet écrit à tort : Froger (op cit., t I, p 539, note) était mort en septembre 1646.

69) Louis Abelly, le biographe de saint Vincent

70) Mémoires : dans.

 

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dans deux ou trois conférences que nous avons eues sur ce sujet ; c’est M. le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qui fut reconnu, d’abord qu’il revint d’Alet, par un chacun qu’il était dans ces opinions, desquelles il est à tel point hors de ces sentiments qu’il a proposé à M. de Saint-Josse qu’il faut que nous fassions quelque manière de congrégation secrète pour défendre les vérités anciennes. Je vous supplie de tenir ceci secret. Je n’ai point eu le loisir de lire ma lettre, et je ne l’ai osé faire transcrire ; vous aurez peine à la lire ; excusez-moi.

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, prêtre de la Mission, à Rome.

 

1044. — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

De l’île Saint-Vincent du Cap-Vert (1) [25 juin 1648] (2)

Monsieur,

Votre sainte bénédiction s’il vous plaît !

Nous voici pour quatre ou cinq jours en terre pour prendre des eaux. Notre départ de La Rochelle fut le jour de l’Ascension, auquel l’ancre fut levée. Nous sommes en bonne santé, Dieu merci, après quelque peu de mal de mer ou vomissement dès le commencement. Nous avons eu la consolation de voir la piété de ceux de notre vaisseau, qui ont fait leur devoir pour gagner le jubilé que j’avais appris avoir été concédé par Sa Sainteté, dont nous fîmes ouverture depuis la Pentecôte jusqu’à la Fête-Dieu. Nous arrivâmes en cette île la veille de saint Jean, où nous avons célébré la messe tous

Lettre 1044. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1) Île de l’archipel portugais du Cap-Vert, dans la partie occidentale du groupe.

2). La lettre a été certainement écrite entre le 23 et le 29 juin 1648. La date du 25 semble résulter de la comparaison de ce qui est dit ici avec le contenu de la lettre 1179.

 

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les jours comme aussi avons-nous fait dans le vaisseau tant que le temps nous l’a permis. Nous avons ici rencontré des Portugais fort bon chrétiens, quoiqu’esclaves, qui sont ici envoyés pour la chasse des cabris. Nous espérons les confesser par interprète et les communier demain pour leur faire part du jubilé comme nous avons fait hier et aujourd’hui environ à une douzaine d’un vaisseau qui est de Dieppe, venu à même île pour des eaux. Ce que nous avons admiré en ces Portugais est qu’ils sont bons musiciens, et chantèrent des psaumes avec bonne harmonie.

Mais nous voilà prêts de remettre en mer pour encore quatre mois environ. Priez Notre-Seigneur qu’il nous fasse arriver au but qu’il prétend, comme des sagesses élues. Nous espérons beaucoup de fruit en ce pays, avec la grâce de Dieu, vu nommément que Monsieur notre commandeur (3) (qui vous présente ici ses très humbles recommandations) nous témoigne un grand désir d’y contribuer. Nous vous écrirons de ce pays, et si vous nous voulez écrire et envoyer quelque chose quand il partira quelque vaisseau pour ces Messieurs…

Nous célébrons la messe ordinairement en particulier pour vous et pour la compagnie en général et pour Monsieur Lambert et autres particuliers de notre connaissance, sans oublier le séminaire afin qu’il l’augmente en nombre et en vertu et qu’il fasse croître des plantes, pour venir peupler l’île Saint-Laurent (4) et autres lieux qui ont si grand besoin d’ouvriers.

Entre autres, je vous prie de vous enquérir, s’il y a moyen, d’un nommé Monsieur Rozée, marchand de Rouen, demeurant rue aux Ours, qui a la direction, pour les Français, des îles de Sénégal, où l’on dit qu’il y a quantité d’âmes à gagner à J.- C., et aussi aux Iles de Cap-de-Vert et de Gambie, où il n’y a point de prêtres, sinon peut-être un aumônier pour le vaisseau qu’on y envoie. Tout cela dépend de ce M. Rozée, qu’on dit être homme vertueux et bon chrétien. Notre capitaine de navire dit qu’il y a autant d’assurance et de liberté d’y prêcher l’Évangile comme dans Paris. Tous ces pauvres gens sont mahométans et bons, fort dociles. Dieu y veuille pourvoir !

Adieu, Monsieur. Nous apprenons la langue de Madagascar. Recommandez-nous derechef aux prières de toute la Compagnie et spécialement à Monsieur Lambert et à Monsieur Gautier, auxquels j’écrirais si le loisir me le permettait. Le porteur de la présente est un capitaine de Dieppe.

3) M de Flacourt.

4.) Ancien nom de l’île de Madagascar.

 

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le suis de tout mon cœur, en l’amour sacré de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, Monsieur et très honoré Père votre très humble et très obéissant fils.

C. JACQUART,

indigne prêtre de la Mission de l’île Saint-Laurent.

 

1045. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 26 juin 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 1er de ce mois avec celles de M. Blatiron. Nous avons aujourd’hui recommandé fort expressément aux prières de la compagnie Mgr le cardinal (1), à ce qu’il plaise à Dieu lui donner la paix en son diocèse et, pour le bien de ce même diocèse, le conserver longuement. Dieu sait si nous vous avons oublié, vous ni nos chers confrères, et si nous continuerons fidèlement à lui demander l’abondance de ses bénédictions sur un chacun de vous en particulier.

Je crois, comme vous, Monsieur, qu’il sera utile d’aller aux lieux où l’on a fait la mission, faire de temps en temps une prédication en passant et rétablir la confrérie de la Charité, au cas qu’elle soit déchue ; mais il faut concerter cela auparavant et ne pas quitter quelque chose de meilleur.

Je rends grâces à Dieu de ce qu’il a redonné la santé au signor Baliano (2) ; je m’en suis beaucoup réjoui et je

Lettre 1045. — L s Dossier de Turin, original.

1) Le cardinal Durazzo, archevêque de Gênes.

2). Pierre-Paul Baliano, né à Gênes le 3 février 1628, entra dans la congrégation de la Mission à Gênes le ler novembre 1649 et fut reçu aux vœux le 8 septembre 1652. Peut-être est-il question ici de son père ou d’un parent.

 

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prie Notre-Seigneur qu’il le conserve et pour sa gloire et pour notre consolation. La mienne sera toujours de vous témoigner que je suis, en l’amour de ce même Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page. M. Martin.

 

1046. — A LA PROPAGANDE

[1648] (1)

Eminentissimi e Reverendissimi Signori,

Non essendo per ancora date ad alcuna religione o Preti secolari le tre Arabie Felice, Petrea e Deserta da coltivarsi e ridursi alla fede cristiana, Vincenzo a Paolo, superiore della Congregazione della Missione, offerisce di mandare dei suoi a dette Arabie quando l’Eminenze Vostre restino servite d’affidargliele a coltivare a lui, la Missione sub noimine propri0, accio la possa andar provvedendo di tempo in tempo delle cose necessarie, e concedergli le facoltà solite, con potestà ancora di fare un vice-Ejrefetto, che abbia da risiedere in bocca di un porto confine all’Arabia Felice, ove colle navigazioni degl’Olandesi ed Inglesi si potranno mandar i Missionari, i quali, per ora supplico, siano al numero di sei sacerdoti della sua Congregazione da proporsi ed approvarsi da Monsignore Nunzio di Francia, il quale dara la nota dei soggetti scelti, accio la Sacra Congregazione

Lettre 1046. — Supplique non signée. — Arch. de la Propagande, original.

1) Voir lettre 1068, p. 380.

 

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li possa dichiarare Missionari, ed approvare per vice prefetto quello che sarà più idoneo (2).

Che e Quas Deus, etc.

TRADUCTION

Eminentissimes et Révérendissimes Seigneurs,

Les trois parties de l’Arabie connues sous le nom d’Arabie Heureuse, Arabie Pétrée et Arabie Déserte n’ayant encore été confiées à aucun Ordre religieux ni à aucun prêtre séculier, pour être évangélisées et ramenées à la foi chrétienne, Vincent de Paul, supérieur de la congrégation de la Mission, offre d’y envoyer plusieurs de ses prêtres. A cet effet, il supplie Vos Éminences de vouloir bien lui donner cette Mission, qu’il dirigerait en son nom propre et qu’il pourvoirait de temps en temps des choses nécessaires, de lui accorder les facultés habituelles et aussi le pouvoir d’établir un vice-préfet, qui aurait sa résidence à l’entrée d’un port, sur les confins de l’Arabie Heureuse, où les missionnaires pourraient débarquer, amenés par des vaisseaux hollandais ou anglais. Ils seraient, pour commencer, au nombre de six. Leur liste, dressée par le suppliant, serait remise au nonce de France, qui témoignerait dé l’aptitude des sujets proposés et la présenterait à la Sacrée Congrégation, pour qu’elle donnât aux missionnaires les pouvoirs nécessaires et choisît parmi eux le plus digne de remplir les fonctions de vice-préfet.

 

1047. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 3 juillet 1648.

Notre pauvre nature n’est-elle pas misérable ? Tout le monde est content à Gênes de notre frère [Sébastien] (1). Il n’y a que lui seul qui ne se peut supporter ; il en veut sortir pour se satisfaire, quoiqu’il voie bien qu’il ne le peut sans déplaire et sans incommoder ceux envers

2) Le projet n’aboutit pas.

Lettre 1047. — Reg. 2. p. 199.

1). Le frère Sébastien Nodo.

 

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lesquels il pourrait exercer une continuelle charité, comme il a fait jusqu’à maintenant. Il se pourra faire néanmoins que Dieu tirera sa gloire d’une telle faute ; je l’en prie de tout mon cœur, etc.

C’est la vérité, Monsieur, que ceux-là feront bien aux pays étrangers à l’égard des pauvres et des captifs s’ils se plaisent à faire ici les mêmes choses auprès des malades et des affligés. Je loue Dieu de ce que vous éprouvez le frère Sébastien dans le mouvement qu’il a d’aller en Barbarie.

 

1048. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Tunis, 1648.

Parmi les esclaves capturés par les corsaires et emmenés à Tunis se trouvent deux jeunes garçons, de quinze ans environ l’un Français, l’autre Anglais ; les maisons de leurs maîtres étant assez proches, ils avaient la facilité de se voir souvent Ils s’aimaient comme deux frères. L’Anglais, converti du luthéranisme par le Français, avait été instruit par Jean Le Vacher. Il s’attacha si fortement à sa nouvelle foi qu’à des marchands anglais hérétiques venus pour racheter des esclaves de leur pays et de leur religion, il déclara préférer l’esclavage à l’apostasie.

Les deux amis continuèrent de se fréquenter et de s’encourager l’un l’autre dans leurs bonnes dispositions. Il arriva plus d’une fois que leurs patrons, après avoir vainement tenté de les entraîner dans le mahométisme, les brutalisèrent au point de les faire tomber évanouis à terre.

L’Anglais vint un jour chez le Français, au moment où celui-ci gisait inanimé. Il l’appela. "Je suis chrétien pour la vie", répondit le Français, qui reprenait ses sens. Le jeune visiteur se pencha pour baiser les pieds ensanglantés de son ami. Sur ces entrefaites, des Turcs entrèrent. A leurs questions, il répondit : "J’honore les membres qui viennent de souffrir pour Jesus-Christ, mon Sauveur et mon Dieu." Les infidèles furieux le chassèrent en l’injuriant.

Lettre 1048. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. II, sect. VII § XI, 1er éd., p. 135

 

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Quelque temps après, le Français trouva, à son tour, l’Anglais étendu sur une natte de jonc, le corps meurtri des coups que venait de lui donner son patron. A côté, devisaient des Turcs et le patron lui-même. Le Français s’approcha. "Qui aimes-tu davantage, demanda-t-il à son ami, Jésus-Christ ou Mahomet ?" L’Anglais répondit : "Jésus-Christ. Je suis chrétien et je veux mourir chrétien." A ces mots, les Turcs entrèrent dans une violente colère. L’un d’eux, qui portait deux couteaux à ses côtes, fit mine de vouloir couper les oreilles du Français. L’enfant prit lui-même un des couteaux et, sans hésiter, se trancha une oreille. Pour l’empêcher d’aller plus loin, on s ! empressa de le désarmer.

Dès ce jour, les Turcs cessèrent leurs sollicitations ; ils jugeaient toute tentative vouée à l’insuccès.

Les deux jeunes martyrs moururent l’année suivante, emportés par une maladie contagieuse.

 

1049. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A SAINT-MÉEN

11 juillet 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici dans un billet la réponse de Mademoiselle Le Gras et la mienne touchant les filles de Moncontour (1) et celles de Saint-Méen qui se veulent donner à Dieu dans la compagnie des Filles de la Charité.

Il ne se peut dire la bonne édification que les trois défuntes ont donnée pendant le peu de temps qu’elles ont vécu depuis leur arrivée ; nous en avons fait des conférences où il fut rapporté des choses admirables de ces bonnes filles, en sorte que leur vie et leur mort nous ont laissé des marques et des sentiments de leur sanctification.

Lettre 1049. — Recueil de lettres choisies, exemplaire de la maison. mère des Filles de la Charité

1) Aujourd’hui chef-lieu de canton dans les Côtes-du-Nord. Mathurine Guérin était du nombre de ces filles ; elle seule persévéra.

 

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1050. — AU *BUREAU DES FINANCES DE LA VILLE DE PARIS

[Vers le 14 juillet 1648] (1)

Lesdits suppliants vous remontrent que ledit chemin de Saint-Maur (2) n’étant que chemin de chasse, qui ne doit avoir que trente pieds de largeur, conformément à vos ordonnances, et même que ledit chemin, en plusieurs endroits de son étendue, il n’y ait que quatre toises au plus de large et même en son embouchure, vers la vallée de Fécamp (3), là où il se perd pour entrer dans le grand chemin de la porte Saint-Antoine (4), allant audit Saint-Maur, à l’endroit de laquelle vallée de Fécamp jusques à l’entrée de Picpus icelui chemin de Saint-Maur n’a qu’une charrière de largeur, qui n’est pas seulement un chemin carrière, qui doit avoir quinze pieds ; ce qui vous aurait été fait rapport par Jacques Bouzauct, commis à l’exercice de ladite voirie de la ville et faubourg de Paris, suivant votre ordonnance du huitième novembre mil six cent quarante-cinq.

Ce considéré, mesdits sieurs, il vous plaise permettre auxdits suppliants de faire assigner par devant vous ledit Vincent Thibaut, pour voir dire et ordonner qu’attendu qu’il s’est reculé dudit chemin de Saint-Maur de quatre toises par haut vers son embouchure, vers la chaussée du Bourget (5), et de quatre toises deux pieds

Lettre 1050. — Requête signée. L’original appartient aux Filles de la Charité de la rue Oudinot, 3, Paris.

1). Voir note 6.

2). Aujourd’hui rue Saint-Maur.

3) Il y avait autrefois à Paris une rue de la Vallée-de-Fécamp. C’est aujourd’hui la partie de la rue de Charenton qui va de la rue de Montgallet à la barrière.

4). La porte Saint-Antoine se trouvait près de la Bastille.

5). Ce nom était porté autrefois par la partie de la rue du faubourg

 

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par en bas, et avoir par ce moyen entrepris sur les terres desdits suppliants jusques à la quantité de quatre-vingt-treize toises et demie de terre en superficie, que lesdits suppliants reprendront pareille quantité de terre, qui est entre ledit chemin de Saint-Maur et la maison de clôture dudit Thibaut, pour en faire et disposer comme du propre et de l’ancien domaine dudit Saint-Lazare, et ordonner que ledit chemin de Saint-Maur aura en son embouchure, vers ladite chaussée du Bourget, telle largeur qu’il est porté par vos ordonnances, qui est de trente pieds de large, et ordonner que ci-après aucun alignement ne soit donné aux particuliers qui voudront bâtir de l’autre côté dudit chemin de Saint-Maur, vis-à-vis des terres desdits suppliants, sans qu’iceux y soient appelés, à ce que à l’avenir aucun ne fasse entreprise sur leurs terres et que les chemins aient leurs largeurs conformes à vos ordonnances ; et vous ferez justice (6).

VINCENT DEPAUL,

 

1051. — A UN CLERC DE LA MISSION

15 juillet 1648.

Je veux suspendre mon jugement au sujet de votre lettre,

Saint-Martin qui va de l’église Saint-Laurent à la rue de Flandre.

6) On lit à la suite de la requête : "La présente requête sera communiquée audit Thibaut, et lui assigné au premier jour par devant nous, pour être ouï et répondre sur icelle ; auquel jour ledit Thibaut rapportera l’alignement qui lui a été donné pour sa clôture et bâtiment. — Fait au bureau des finances à Paris, le quatorzième jour de juillet mil six cent quarante-huit et défenses à tous autres de faire aucun bâtiment sans notre permission. — Devavoquier, Hard, Longuer. — Par mesdits sieurs.. Sensier. — L’an mil six cent quarante-huit, le sixième jour d’août, à la requête des vénérables prêtres de la Congrégation de la Mission."

Lettre 1051. — Reg. 2, p. 296.

 

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tandis que M…. ne m’en dira mot. J’ai peine à croire que son procédé soit tel que vous le décrivez, ou que la parole qui vous est si sensible soit sortie de lui sans beaucoup de sujet. Je sais que sa conduite est assez douce, grâces à Dieu ; personne que vous ne m’en a encore fait plainte ; et je trouve la vôtre d’autant plus étrange que sa douceur a été considérable en votre endroit, non seulement pour supporter vos fautes, mais pour les cacher aux autres, comme il voulut faire à moi-même, lorsque vous m’écrivîtes une lettre moins digérée qu’il ne fallait ; car il m’en fit une pour votre justification.

Mais supposons qu’il se soit échappé, comme il vous semble ; faut-il s’alarmer de si peu de chose ? De qui supporterez-vous les imperfections et quelle injure êtes-vous capable de souffrir, si, de votre propre supérieur, une parole inconsidérée vous est insupportable ? Peut-être l’a-t-il dite exprès pour vous éprouver ; et en ce cas cette épreuve ne lui a pas mal réussi, puisque votre indisposition a paru aussitôt en plusieurs manières : 1° vous excusez votre faute par la comparaison de celle de votre frère ; 2° vous vous plaignez que la leçon des enfants vous est une pesante surcharge ; 3° vous demandez à changer de maison ; 4° vous vous montrez plein de propre estime, et vous présumez que toute la communauté rendre témoignage de n’avoir jamais rien remarqué en vous qui mérite la correction qui vous a été faite. Toutes ces choses sont bien éloignées des sentiments du pauvre publicain et de ceux que doit avoir un bon missionnaire, et néanmoins vous me les écrivez, dites-vous, pour conserver votre vocation. Dieu veuille, mon cher frère, que vous en ayez le dessein ! mais ce n’en est guère le chemin. La pratique de la patience, de l’humilité et de l’exactitude au règlement est la bonne marque de notre persévérance.

 

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Nous verrons si désormais vous travaillerez à l’acquisition de ces vertus et si vous donnerez à votre supérieur plus de satisfaction que par le passé. Je vous assure, mon cher Frère, que ce serait là une de mes plus sensibles consolations. Je demanderai à Dieu qu’il vous fasse cette grâce ; car votre âme m’est plus chère que je ne vous puis exprimer.

 

1052. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 15 juillet 1648.

Monsieur,

A près vous avoir rendu de très humbles grâces, comme je fais par celle-ci, de l’affection avec laquelle vous nous donnez vos assistances en l’affaire que nos religieux de Chancelade et nous avons contre ceux de Ste-Geneviève, laquelle je vous supplie de nous continuer, agréez que je vous die que tant s’en faut que j’aie jamais eu la pensée de ne vouloir pas que vous receviez en votre congrégation des ecclésiastiques de mon diocèse, qu’au contraire j’ai toujours cru qu’il était juste et nécessaire que vous en reçussiez : juste, parce que votre congrégation le sert bien ; nécessaire, parce que les vôtres qui conduisent notre séminaire ne pourront pas faire les missions utilement s’il n’y a aucun de mon diocèse avec eux à cause du langage du pays, auquel il est nécessaire qu’elles se fassent, pour être utiles, lequel ils ne savent pas. Et vous pourrez vous ressouvenir qu’entre les raisons que je vous ai dites, pour lesquelles vous deviez faire état de notre séminaire, c’est que vous en pouviez retirer, comme il est véritable, beaucoup de sujets pour faire faire des missions dans tout ce pays et le Languedoc, que c’est presque la même langue. Il est vrai que j’estimai qu’il était nécessaire que ce fut avec certaines conditions : l’une à cause de la fondation de huit cents livres que mon clergé donne annuellement pour l’entretènement de six séminaristes destinés au service de notre diocèse par notre emploi ; j’ai cru qu’il était nécessaire que ce nombre fut rempli avant que vous en pensussiez prendre d’autres ; et vous en êtes demeuré d’accord avec moi, et.M. Lambert aussi,

Lettre 1052. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

 

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quand il fut ici. L’autre, qui est plutôt un avis que non pas une condition, que vous ayez égard à la nécessité que ce diocèse avait de prêtres ; car vous ne sauriez croire combien elle était grande lorsque j’y vins. A présent il est presque pourvu de ceux qui lui sont nécessaires, ou le sera dans peu de temps ; et il y en aurait de reste si les autres diocèses ne les prenaient.

Vous seriez ravi de voir mon clergé, et béniriez Dieu mille fois si vous saviez le bien que les vôtres ont fait dans notre séminaire, qui s’est répandu par toute la province. Je vous prie donc d’examiner encore si cette condition est juste, de n’en prendre point jusques à ce que ce nombre de six soit complet. Il n’y en a que deux ; encore sont-ils étrangers, convertis à notre religion, lesquels veulent embrasser l’état ecclésiastique. Je n’ai pas voulu que les vôtres se missent jusques à présent en peine de procurer que ce nombre fût rempli, mais bien tout au contraire, au moins du temps du gouvernement de M. Delattre et de M. Testacy.

Après tout, je n’ai qu’à vous dire deux choses : l’une que l’affection que j’ai pour votre congrégation, qui ne cédera jamais à celle d’aucun des vôtres, me fait vous supplier de considérer très mûrement si vous ne devez point mettre quelque condition dans le pouvoir que vous donnerez aux vôtres de recevoir des ecclésiastiques des diocèses dans lesquels vous serez établi s ; car j’ai toujours cru, et ce que les vôtres ont fait en mon endroit me le fait croire davantage, que c’est absolument nécessaire, afin de vivre en bonne intelligence avec les évêques qui vous appelleront dans leurs diocèses. Ne mesurez pas, je vous prie, les autres à votre aune ; vous vous y tromperiez assurément. Plût à Dieu qu’il en eût coûté une partie de mon sang, que je baillerais volontiers pour votre compagnie, qu’ils eussent votre esprit ! et Dieu veuille par sa grâce, qu’ils en aient une partie, sinon le tout ! Il me semble bien que le bon M. Lambert tâche de le prendre, je souhaiterais bien que les autres en fissent de même.

L’autre chose que j’ai à vous dire est qu’il n’y aura point de condition pour vous ; vous aurez toujours tout pouvoir sur ce qui dépendra de moi ; mais je vous supplie, que cela soit dit entre vous et moi seulement, et de me croire, Monsieur, etc.

ALAIN

év. de Cahors.

 

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1053. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 22 juillet 1648.

Monsieur,

Je vous rends mille grâces des continuels soins qu’il vous plaît prendre pour nos religieux et pour moi en l’affaire que nous avons avec ceux de. Sainte-Geneviève.

Puisque vous n’avez pu obtenir la confirmation perpétuelle de la Mère de Laroque (1), nous tâcherons de la faire continuer par le moyen des supérieurs de l’Ordre.

Je vous ai écrit au long touchant la réception des ecclésiastiques de mon diocèse en votre congrégation. Vous verrez comme je n’ai pas entendu que vous n’en receviez absolument ni eu la pensée. Néanmoins permettez-moi de vous dire qu’il me semble que vous ne pourvoirez pas assez aux inconvénients qui arriveront, si vous n’ajoutez quelque condition à ce règlement que vous trouvez juste, qu’il n’en sera pas reçu de ceux qui sont dans le séminaire, pendant qu’ils y seront, ce que m’a fait M. Delattre, qui était engagé pendant qu’il y était, et les a remis à être reçus jusqu’à ce qu’ils en fussent dehors. Pourvoyez, je vous prie, à cet inconvénient ; car pour ceux qui sont aux études chez vous ou ailleurs, ou qui sont hors le séminaire et n’y ont pas demeuré, je n’en ai jamais fait de difficulté, mais seulement dit, par forme d’avis, qu’ils doivent être retenus à en recevoir jusques à ce que le diocèse fut pourvu de ceux qui lui sont nécessaires. Voilà mes petits sentiments, que je soumets aux vôtres.

Cependant je vous rends mille millions de grâces de tant de soin que vous avez pris pour nous donner M. Brandon pour Périgueux, lequel enfin Dieu a béni. J’espère qu’il en sera glorifié et vous récompensé. Et parce que mon diocèse prend part au bien à cause du voisinage, je vous supplie, quand vous verrez la reine, si vous le jugez à propos, de dire à Sa Majesté que je lui en rends de très humbles grâces. Je prie Dieu de lui faire la grâce de pourvoir toujours de bons pasteurs aux évêchés de ce royaume.

Je suis toujours, Monsieur, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

Lettre 1053. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

1). Comme prieure du monastère du Pouget.

 

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1054. - — A CLAUDE DUFOUR, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

24 juillet 1648.

J’ai reçu votre lettre avec joie, voyant la fidélité que vous avez eue à me découvrir les pensées qui agitent votre cœur. Ce n’est pas merveille que vous soyez tenté ; au contraire, ce serait chose nouvelle si vous ne l’étiez point, pource que la vie des hommes n’est autre chose que tentation, et nul n’en est exempt, particulièrement de ceux qui se sont donnés à Dieu ; son propre Fils même a passé par cette épreuve. Mais si c’est une nécessité pour tous, c’est aussi un sujet de mérite pour les personnes à qui Dieu fait la grâce de réduire tout en bien, comme vous faites. Vous savez assez, Monsieur, que sans les désordres il n’y aurait point de règlements ; mais nos inclinations se portent au mal en tant de manières qu’il a été de la prudence divine et humaine de leur opposer des remèdes spécifiques. C’est pour cela que l’Ancien et le Nouveau Testament sont pleins de commandements, de conseils et de règles de salut, que l’Église a tant fait d’ordonnances et de décrets, et que les jurisconsultes ont établi des lois pour les choses civiles. Les règles que vous avez sont maximes évangéliques et moyens pour les garder, à peu près les mêmes que nous pratiquons de deçà, où personne, grâces à Dieu, ne s’en est encore plaint. Que si le nombre vous en semble excessif, je vous supplie de considérer combien grand est celui des préceptes divins, des canons, décrets, lois et admonitions dont je viens de parler ; plusieurs gros volumes ne les peuvent contenir. Il se peut faire néanmoins que

Lettre 1054 — Reg 2, p 31

 

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vous ayez peine de la diversité des choses qui vous sont recommandées et de ce que peut-être on vous presse trop pour les observer. Je suis bien aise que vous m’en ayez écrit, parce que je prierai les visiteurs de faire attention ci-après à ne rien ordonner que fort à propos ; comme je prie votre supérieur (1) de vous faire traiter doucement, en cas que par le passé on ait manqué à le faire, même de vous faire changer de lieu, si vous le désirez.

La compagnie a toujours été bien satisfaite de votre exactitude ; ceux qui vous ont vu ici en ont été fort édifiés, et, à ce que j’apprends, ceux qui habitent maintenant avec vous ne le sont pas moins ; ce qui me fait juger que la petite répugnance que vous avez est une production du mauvais esprit, qui veut vous ennuyer dans un si beau chemin. Je vous prie, Monsieur, ne l’écoutez point ; car si deux ou trois règles vous déplaisent pour être superflues à votre égard, un autre les affectionne parce qu’elles lui conviennent. Les enfants de Notre-Seigneur marchent bonnement dans ses voies ; ils ont confiance en lui ; aussi quand ils tombent, il les relève ; et si, au lieu de s’arrêter à maugréer la pierre où ils ont bronché, ils s’humilient dans leur chute, il les fait avancer à grands pas en son amour. C’est ce que j’espère de vous, Monsieur, qui êtes tout à lui, par sa miséricorde, et qui ne respirez que sa sainte volonté.

Il y a grande différence entre la vie apostolique et la solitude des Chartreux. Celle-ci, à la vérité, est très sainte, mais elle n’est pas convenable à ceux que Dieu a appelés à la première, qui en soi est plus excellente ; autrement saint Jean-Baptiste et Jésus-Christ même ne l’auraient pas préférée à l’autre, comme

1) Louis Rivet

 

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ils ont fait, en quittant le désert pour prêcher aux peuples ; outre que la vie apostolique n’exclut pas la contemplation, mais l’embrasse et s’en prévaut pour mieux connaître les vérités éternelles qu’elle doit annoncer ; et d’ailleurs elle est plus utile au prochain, lequel nous avons obligation d’aimer comme nous-mêmes, et par conséquent de l’aider d’une autre manière que ne font pas les solitaires. Et quoiqu’il vous semble que vous vous acquitteriez plus volontiers des devoirs de cette sainte religion que de ceux de notre petit institut, vous y seriez sans doute trompé, comme beaucoup d’autres qui ont quitté leur véritable vocation pour entrer dans une manière de vie différente, en laquelle ils ont trouvé moins de satisfaction. Pourquoi ? parce que les difficultés qu’ils ont pensé fuir n’étaient pas en la chose qu’ils ont délaissée, mais dans leur propre imagination, la qualité de l’esprit se trouvant la même partout, faute de la corriger par une continuelle mortification. Au reste, Monsieur, vous savez que nous ne sommes pas religieux et n’avons pas intention de l’être ; Dieu ne nous a pas jugés propres pour cet état. Prions-le qu’il nous rende dignes de celui où il nous a mis.

 

1055. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

Du 24 juillet 1648.

Vos incommodités m’affligent à bon escient ; je pense que le changement d’air vous sera bon ; mais avant de reprendre celui de France, je vous prie d’essayer celui de la campagne de Rome par le moyen des missions qu’on y fera cet hiver. Si ce remède est sans effet, je

Lettre 1055. — Reg. 2, p. 297.

 

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vous assure, Monsieur, que nous vous prierons de vous en revenir, et dès maintenant je le ferais, sans que je crains de contrevenir au dessein de Dieu sur vous, en vous rappelant ici, avant que d’avoir tenté de delà les moyens possibles pour vous bien porter.

Quant à la seconde raison que vous avez de repasser en France, croyez, Monsieur, que les chaleurs du climat ne contribuent guère aux mouvements déshonnêtes, la chair traîne partout ses infinités. Quand vous seriez ici, vous en ressentiriez les misères de même qu’en Italie ; c’est un exercice que Dieu permet en vous, comme il l’a permis en saint Paul, et peut-être pour la même fin, ou au moins pour vous donner sujet de mérite.

 

1056. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 28 juillet 1648.

Monsieur,

Le soin que j’avais apporté qu’on ne parlât point de ces nouvelles opinions dans cette ville de Cahors ni dans tout le reste de mon diocèse, a été cause que nous avons vécu en grand repos jusques à présent. Mais comme l’ennemi commun de la paix ne cesse jamais de travailler à semer des troubles il est arrivé depuis peu qu’un des professeurs en théologie de notre université (1) a enseigné la doctrine et les opinions de Jansenius. En ayant eu avis pendant la retraite de mes exercices, le mandai au grand archidiacre de mon Église cathédrale (2), qui a de grandes qualités et est grand ennemi de toutes ces nouveautés, de lui aller dire de ma part que je m’étonnais fort qu’il enseignât cette doctrine et lui faire commandement de cesser ; ce qu’il fit incontinent. Mais ce docteur au lieu d’obéir, lui répondit avec arrogance qu’il avait déjà

Lettre 1056. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

1). Le Père Louis Mesplède, dominicain. On garde aux archives de l’évêché de Cahors le procès-verbal dressé sur les opinions de ce religieux

2) Claude-Antoine Hébrard de Saint-Sulpice.

 

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baillé ce traité, et lui dit beaucoup de choses là-dessus pour soutenir ces opinions.

Le grand archidiacre m’ayant rapporte cela, je mandai incontinent à mon promoteur de faire commandement de ma part à tous les écoliers de m’apporter leurs écrits et leur faire défense, à peine de désobéissance, d’en aller plus prendre sous ce professeur, qui est un religieux de l’Ordre de St-Dominique ; à quoi ils obéirent incontinent ; et fallut qu’il cessât faute d’écoliers.

Le théologal de mon Église, qui ne l’aime pas, ayant appris cela, prêcha contre ces opinions ; ce qui le mit aux champs. En ayant eu avis, je donnai charge à mon promoteur de faire défense audit théologal de prêcher plus de la sorte, désirant assoupir cela, comme c’est le mieux, et d’aller dire à ce professeur que je n’approuvais pas ce que le théologal avait fait, et que, s’il n’en parlait pas de son coté et qu’il se reconnut, je tâcherais d’assoupir cela et lui conserver son honneur. Il me remercia fort par mon promoteur ; mais en même temps, ayant appris que l’université était assemblée, part de son couvent et s’en va dans la salle où ils étaient et leur représenta que j’avais fait enlever ses écrits, fait faire défense à ses écoliers de l’aller plus ouïr et que bien que je lui eusse envoyé faire faire des excuses par mon promoteur, néanmoins il ne se sentait pas satisfait et qu’il les priait de se joindre à lui pour plaider contre moi, offrant de fournir tout l’argent nécessaire.

L’université l’ayant fait sortir pour opiner, il fut résolu d’une commune voix de ne souffrir jamais que cette doctrine fut enseignée dans l’université, et se joignirent tous à moi, et, l’ayant fait rentrer, il fut fort rabroué. J’en envoyai donner avis à tous les couvents, lesquels se joignirent aussi tous à moi ; et toutes les personnes de condition qui surent son procédé, le blâmèrent fort de sorte qu’il s’est trouvé tout seul ; et à peine s’est-il trouvé quelques esprits qui se soient seulement voulu informer dans le particulier que c’était.

Il ne s’est pas néanmoins arrêté là, car il a crié hautement qu’il ferait imprimer ces opinions pour les défendre.

Sur ce temps Messeigneurs les évêques de Bazas (3) et de Condom (4) m’ayant fait l’honneur de me venir voir, je mandai le grand archidiacre et le chancelier (5) de se rendre ici ; ce qu’ayant fait, ils rapportèrent devant eux les opinions des autres professeurs ; et ayant vu que c’étaient les mêmes opinions

3) Samuel Martineau

4) Jean d’Estrades.

5) Pierre Parriel, chancelier de l’université de Cahors

 

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de Jansénius, il fut résolu que je lui manderais de me venir trouver, et, s’il venait, je lui ferais une bonne réprimande de ce qu’il avait enseigné cette doctrine, et lui ferais très expresses inhibitions et défenses de l’enseigner jamais plus et lui ordonnerais de témoigner à ceux à qui il en avait parlé, qu’il en était bien marri ; que s’il n obéissait pas, je ferais un décret portant inhibitions et défenses de ne l’enseigner plus, à peine d’être procédé contre lui par toutes voies de droit, et aux écoliers de ne l’écouter plus, à peine d’excommunication ni de retenir ses écrits ; et l’université ferait un autre décret, par lequel elle le priverait de voix active et passive et lui défendrait de plus enseigner.

Ayant eu connaissance de cette résolution il est revenu à soi, et hier il vint céans avec le chancelier et me témoigna le déplaisir qu’il avait d’avoir enseigné cette doctrine et de m’avoir déplu. Je lui fis une bonne réprimande et lui fis connaître sa faute, de façon que, par la grâce de Dieu, ce feu qui s’allait allumer dans notre ville s’est éteint, et j’espère que dans peu de jours il ne s’en parlera pas.

Cet affaire m’a donné grande douleur au commencement ; mais, grâces à Dieu, il a été étouffé dans sa naissance. Je vous l’ai voulu mander, parce que je serai bien aise que vous sachiez les affaires de cette nature qui se passeront dans mon diocèse, et afin que vous vous ressouveniez de ce que je vous ai dit si souvent, que ma présence était si nécessaire dans mon diocèse que je n’en devais jan sais sortir que pour de très grandes et urgentes affaires, et pour vous dire aussi que Messeigneurs de Bazas et de Condom m’ont extraordinairement pressé de m’en aller à la cour pour les défendre contre les violences qu’ils souffrent de Monsieur d’Epernon (6), particulièrement Monseigneur de Bazas et plusieurs autres de la province ; que les prélats qui sont là-bas leur écrivent qu’il faut que tous ceux de la province y aillent en foule et me nomment en particulier. Je leur ai répondu que je serai toujours à eux inséparablement pour la défense de leur dignité et de leurs personnes, mais que, pour aller à Paris, je ne croyais pas que je le pusse, à cause de la nécessité que mon diocèse a de ma présence ; que j’y avais quatre grandes affaires, la moindre desquelles requérait ma présence, sans que je m’y sois pu résoudre, quoique peut-être j’y serai contraint. Je leur ai remontré beaucoup de choses là-dessus et leur ai dit que je vous en écrirais. Ils m’ont dit de recommander l’affaire à Notre-Seigneur et qu’ils s’en remettaient à moi. Je vous dirai doncques que

6) Le duc d’Epernon, gouverneur de Guyenne.

 

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je n’ai jamais pu connaître que ce fût la volonté de Dieu que j’y allasse pour ce sujet. Au contraire il me semble que ce serait contre sa volonté ; car je ne me souviens point d’avoir vu d exemple dans l’histoire ecclésiastique que tous les évêques d’une province l’aient quittée pour aller porter, leurs plaintes aux princes des persécutions des gouverneurs, non pas même de celles des tyrans, mais bien de députer quelqu’un ; et les autres demeuraient dans leurs diocèses ou, s’ils ne pouvaient y être en sûreté, se retiraient dans les voisins, et de là donnaient leurs assistances à leurs peuples. Je ne vois pas aussi que cela fût approuvé à la cour, particulièrement au temps où nous sommes, qui nous obligerait, si nous y étions, d’en partir pour revenir en nos diocèses ; et moi particulièrement je ne voudrais pas pour de mon sang en avoir été absent pendant que ce docteur y enseignait cette mauvaise doctrine, que peut-être je n’eusse jamais pu extirper, et d’autant plus que tout Toulouse est en feu.

Je vous prie me mander là-dessus vos sentiments. Cependant je vous dirai que mondit seigneur de Bazas, voyant que les violences de d’Epernon s’augmentent de jour à autre et qu’il se prévaut du temps, s’est résolu de se retirer à Paris pour quelque temps, mais avec intention de ne se plaindre point pendant ces troubles. C’est un grand prélat et qui mérite bien d’être assisté et que la reine l’appuie. C’est pourquoi je vous supplie de disposer l’esprit de Sa Majesté pour cela, afin que, quand il sera temps, elle prenne la cause. Au nom de Dieu, employez tout ce que vous avez de pouvoir et crédit pour empêcher que Monsieur de Laverdin ne soit évêque du Mans (7), pour les raisons que Monseigneur de Bazas vous dira. Cependant croyez-moi, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

7) Philibert-Emmanuel de Beaumanoir de Lavardin avait une assez mauvaise réputation, il fut toutefois nommé évêque du Mans le 20 février 1649, malgré les résistances de saint Vincent

 

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1057. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

[Juillet 1648] (1)

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Voici une nouvelle bien affligeante, mais qui est mêlée d’une grande consolation. Dieu a disposé du bon M. Guérin à Tunis et peut-être de M. Lesage en Alger (2), l’un et l’autre frappés de peste, laquelle depuis longtemps est fort échauffée en ces lieux-là ; M. Le Vacher et notre frère François (3) en ont aussi ressenti le venin ; mais il a plu à sa divine bonté de les conserver quasi par miracle.

Nous attendions la nouvelle de la mort dudit sieur Le Vacher, lorsque lui-même nous a mandé celle dudit sieur Guérin, qui arriva le mois de mai dernier (4). Sa fin, comme sa vie, a rendu de véritables témoignages de son zèle et de sa charité, qui nous donnent une assurance moralement infaillible de la réception de son âme dans

Lettre 1057. — L. s. — Dossier de Turin, original. Cette lettre a été envoyée aux diverses maisons de la congrégation de la Mission.

1). L’année ne fait aucun doute, car Julien Guérin est mort le 25 mai 1648. Il n’y a pas la même certitude pour le mois. Si nous donnons la préférence au mois de juillet, c’est que le saint n’a pu recevoir avant juillet la lettre écrite le 20 juin par Jean Le Vacher et eut vraisemblablement avant le mois d’août celle que le frère Barreau lui adressa le 12 mai ou dans les huit jours qui suivirent.

2). Il était mort, en effet, le 12 mai précédent, victime de son dévouement pour les pestiférés, qu’il visitait et consolait, sans se soucier de sa propre santé.

3). François Francillon, né à Céaux (Vienne) en janvier 1621, reçu dans la congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, en avril 1645. Il accompagna Julien Guérin à Tunis, revint en France, fut envoyé à Alger et s’y dévoua jusqu’au 6 juillet 1688, jour où les Turcs l’attachèrent à la bouche d’un canon.

4). Le 25 mai, date donnée par Jean Le Vacher lui-même dans une lettre qu’il adressa de Tunis à René Alméras le 22 juin 1648.

 

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l’éternité bienheureuse. Je vous prie néanmoins de lui rendre le secours accoutumé.

Ce que nous savons de M. Lesage est que notre frère Barreau, son compagnon, nous a mandé, par lettres du quatrième de mai, qu’il était tombé malade de la contagion deux jours auparavant ; et Monsieur Le Vacher, par une lettre du vingtième de juin, en parle en ces termes : "J’estime, dit-il, que vous avez à présent reçu des lettres d’Alger sur la mort de M. Lesage." Or, bien que nous n’en ayons reçu d’autre que celles de sa maladie, nous craignons pourtant que le trépas s’en soit ensuivi, et qu’étant venu à la connaissance dudit sieur Le Vacher, l’avis qu’il nous en donne en si peu de mots ne soit que trop véritable. Il se peut faire aussi que ce n’est qu’un faux bruit ; car il est éloigné d’Alger de cent lieues.

Tandis, Monsieur, que nous en attendons la dernière nouvelle, M. Le Vacher est donc en bonne disposition, grâces à Dieu. Il a été pourtant à telle extrémité qu’on l’a tenu pour mort, en sorte que le bon M. Guérin, qui n’était encore malade, avait déjà donné ordre à sa sépulture, et chacun s’était retiré de sa chambre, à la réserve de notre frère Franc, ois, lequel, le regardant de fois à autre, aperçut en lui, deux heures après, quelques signes de vie ; et à l’instant il sortit dehors pour en avertir ceux qui l’avaient abandonné comme mort, lesquels accoururent pour s’assurer de la vérité, et l’ayant reconnue, ils en restèrent également étonnés et consoles.

Peu de jours après, ce bon frère fut attaqué de deux pestes et de la fièvre continue. M. Guérin ensuite tomba malade ; si bien que les voilà tous trois dans le lit ; ce qu’étant rapporté audit frère François, sa charité le pressa si fort qu’au même temps il se leva pour assister les autres ; et comme on le voulut empêcher, à cause

 

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qu’il était bien mal, il répondit : "Dieu fera de moi ce qu’il lui plaira ; mais il faut qu’en l’état où ils sont, je leur fasse le bien que je pourrai." En effet, il les a toujours servis jusqu’au décès de l’un et jusqu’à la bonne disposition de l’autre, leur donnant des bouillons et des remèdes, allant tantôt en ville, tantôt ailleurs ; il a fait enfin pour leur soulagement comme s’il n’eut eu aucun m. al.

Quelques jours après, pour récompense de sa charité, Dieu permit qu’il se trouvât guéri d’une de ses pestes. L’appétit lui revint, et peu à peu l’autre peste se dissipa aussi, sans qu’il ait pris aucun remède qu’après que ledit sieur Le Vacher s’est bien porté, lequel le fit saigner et purger. Il parle de ce frère comme d’une merveille, et le bon M. Guérin ne m’en a jamais parlé qu’avec louanges.

Voilà, Monsieur, de grands sujets de louer Dieu et pour la santé des uns et pour le décès des autres : de celle-là, pource qu’elle donne moyen à ces deux bons serviteurs de Dieu de lui continuer leurs services en la personne des esclaves malades et abandonnés, qui est un degré de charité le plus élevé qui se puisse exercer en ce monde ; et de celui-ci, pour ce qu’une telle mort est précieuse au ciel et à la terre, et qui sera, Dieu aidant, la semence des missionnaires, comme le sang des martyrs a été celle des chrétiens ; aussi est-ce un martyre d’amour de mourir pour l’assistance corporelle et spirituelle des membres vivants de J.- C.

Nous nous sommes entretenus vendredi au soir des vertus de feu M. Guérin et continuerons à la prochaine conférence ; nous faisons recueillir ce qui s’en dit pour en faire part à toutes nos maisons. Le sujet le mérite bien ; c’était une âme des plus pures, des plus détachées et des plus à Dieu et au prochain que j’aie jamais reconnue.

 

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O Monsieur, quelle perte pour les pauvres, mais quelle perte pour nous de n’avoir plus cet exemple de zèle et de charité ! Souvent je m’en suis servi comme du plus efficace pour animer la compagnie à la pratique de ces vertus. Nous ne l’avons plus ; Dieu nous l’a ôté ; peut-être que c’est pour nous punir du mésusage que nous en avons fait ; mais, comme il est vrai que la plupart en ont profité, Dieu veut nous exciter à une plus grande émulation pour aller établir partout l’empire de son Fils Notre-Seigneur, ainsi qu’a fait notre bon M. Guérin, qui jouit maintenant de la récompense due à ses travaux et qui nous obtiendra la grâce de l’imiter, si, en effet, nous commençons dès à présent dans les occasions journalières que nous en avons. Ce bon serviteur de Dieu n’a pas attendu qu’il fût en Barbarie pour aimer et consoler les pauvres ; il l’a toujours fait en France et en Lorraine, autant qu’il l’a pu ; et c’est ce qui lui a mérité le bonheur d’aller mourir au service des pauvres esclaves, ainsi que plusieurs ont remarqué en notre conférence.

Je prie N.-S. qu’il soit la vie de nos cœurs et qu’il me fasse digne de la grâce que j’ai reçue de sa divine miséricorde, d’être, en elle, comme je suis, et de vous et de votre petite compagnie, que j’embrasse tendrement en esprit, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de le première page. M. Gautier.

 

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1058. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

15 août 1648.

Je loue Dieu de votre vigilance et bonne conduite à procurer que ces Messieurs les ecclésiastiques de Gênes qu’on appelle missionnaires ne soient plus appelés ainsi, pour empêcher la confusion des mêmes noms et prévenir les inconvénients qui arrivent de la multiplicité de ceux qui les portent. Vous ferez bien d’insister aussi à ce qu’il plaise à Monseigneur le cardinal de changer le nom aux exercices qu’ils font, de crainte que, les appelant missions, on ne vienne encore avec le temps à nommer ceux qui les feront, missionnaires, parce que souvent les ouvriers tirent leur nom de celui de leurs ouvrages, et l’on passe facilement de l’un à l’autre ; outre que c’est l’usage de l’Église d’assigner à toutes les compagnies et à leurs fonctions divers noms, pour les distinguer les uns des autres.

 

1059. — EDMOND DWYER, ÉVÊQUE DE LIMERICK, A SAINT VINCENT

Vers août 1648] (1)

Il est juste, Monsieur, que je vous rende des actions de grâces, de tout mon cœur, du bienfait que j’ai reçu de vous par vos prêtres, et que je vous dise le très grand besoin que l’on a de les avoir en ce pays. Je puis vous assurer confidemment que leurs travaux y ont fait plus de fruit et qu’ils ont converti plus d’âmes que tout le reste des ecclésiastiques ;

Lettre 1058 — Reg. 2, p. 85.

Lettre 1059. — Abelly, op. cit, 1. II, chap. I, sect. VIII, 1er éd., p. 149

1) Abelly dit que cette lettre est du même temps que la lettre 1060.

 

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et de plus, que, par leur exemple et leur bonne conduite, la plupart de la noblesse de l’un et l’autre sexe est devenue un modèle de vertu et de dévotion, qui ne paraissait point parmi nous devant l’arrivée de vos missionnaires en ces quartiers. Il est vrai que les troubles et les armées de ce royaume ont été un grand empêchement à leurs fonctions ; et néanmoins la mémoire des choses qui regardent Dieu et le salut est tellement gravée, par leur moyen dans les esprits des habitants des villes et des gens de la campagne, qu’ils bénissent Dieu également dans leurs adversités aussi bien que dans leurs prospérités. J’espère de me sauver moi-même par leur assistance.

 

1000. — THOMAS WALSCH, ARCHEVÊQUE DE CASHEL (1)

A SAINT VINCENT

16 août [1648] (1)

Le départ de vos missionnaires me donne occasion de vous témoigner mes humbles reconnaissances accompagnées d’actions de grâce, de ce que, par votre grande charité, vous avez daigné secourir par vos prêtres missionnaires le petit troupeau que Dieu m’a commis ; ce qui s’est fait, non seulement dans un temps très propre pour nos besoins, mais aussi dans une occurrence entièrement nécessaire. Aussi est-il véritable que par leurs travaux et emplois les peuples ont été excités à la dévotion, qui s’augmente tous les jours. Et quoique ces bons prêtres aient souffert beaucoup d’incommodités depuis leur arrivée en ce pays, ils n’ont pas laissé pour cela de s’appliquer continuellement aux travaux de leur Mission, comme des ouvriers infatigables, lesquels aidés de la grâce, ont glorieusement étendu et augmenté le culte et la gloire de Dieu.

J’espère que ce même Dieu, qui est bon et tout-puissant, sera lui-même votre ample récompense et la leur. Et de mon coté je le prierai qu’il vous conserve longuement, vous ayant choisi pour le bien et utilité de son Église.

Lettre 1060. — Abelly, op. cit, 1. II, chap,. I, sect. VIII. 1er éd., p. 148. Cet écrivain note que la lettre fut écrite en latin

1). Né dans le diocèse de Waterford en 1580, nommé à l’archevêché de Cashel en 1626, emprisonné pour la foi à la fin de l’année 1652 et, après neuf mois de captivité, exilé en Espagne, où il mourut le 5 mai 1654.

2) Texte d’Abelly : 1658. La rectification s’impose.

 

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1061. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, 1648] (1)

Moyennant quelque argent que j’ai donné aux patrons ou gardiens de ces pauvres esclaves je les ai assemblés en chaque lieu ; et là, je les ai instruits, consolés, confessés et confirmés en la foi, par la grâce de Dieu. Et ayant accommodé les lieux le plus décemment que j’ai pu, j’y ai célébré la sainte messe, où ils ont tous communié ; et nous sommes demeurés les uns et les autres pleins de consolation, qu’il a plu à Dieu départir à ces pauvres esclaves au milieu des misères de leur captivité, qui sont fâcheuses et pesantes au delà de ce que des personnes libres peuvent se représenter ; et par conséquent les joies et consolations qu’ils ont goûtées parmi leurs peines ne peuvent être que des fruits de la grâce de Dieu. Je les ai tous embrassés ; et pour les remettre un peu de leurs fatigues, je les ai régalés autant que notre pauvreté l’a pu permettre, et outre cela j’ai donné aux plus pauvres, à chacun, un quart de piastre.

 

1062. — A LA SŒUR MADELEINE-ELISABETH DE MAUPEOU

RELIGIEUSE DE LA VISITATION

Ma chère sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit à jamais avec vous ! Vous êtes souhaitée ici ; on vous demande de là, et vous êtes indifférente, comme le doit être une bonne

Lettre 1061. — Abelly, op. cit., 1 II, chap. I, sect., VIII, § 9, 1er éd., p. 131.

1). Jean Le Vacher écrivit cette lettre au retour de son premier voyage aux maceries de la campagne, c’est-à-dire, sans aucun doute, dans l’année de son arrivée à Tunis.

Lettre 1062 — Année sainte, t. VII, p. 253.

1). Madeleine-Elisabeth de Maupeou, fille de Gilles de Maupeou, intendant et contrôleur général des finances sous Henri IV, quitta le monde en janvier 1628, à l’âge de trente-deux ans, pour entrer au premier monastère de la Visitation à Paris. Les religieuses du couvent de Caen l’élurent pour leur supérieure le 24 mai 1635 et la réélurent le 20 mai 1638. En 1641, elle alla fonder un monastère

 

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servante de Dieu et une bonne fille de Sainte-Marie. Votre monastère d’ici vous demande pour la fondation de Compiègne (6) ; vos chères filles de Bayonne pensent que vous leur êtes nécessaire et font instance a ce que vous demeuriez avec elles. Vous ferez ce que vous jugerez devant Dieu être pour le mieux ; vous vous en viendrez, ou vous demeurerez.

La pensée que j’ai, que vous cherchez Dieu et sa sainte volonté uniquement, fait que j’estime la faire moi-même, en vous remettant le discernement d’icelle. Si vous venez, ce qui est à souhaiter, je vous prie de m’en donner avis, la présente reçue, et que vous veniez au plus tôt, si quelque chose d’importance ne vous arrête, pour que l’on dispose selon cela les choses de la fondation. Oh ! ma chère sœur, que vous serez reçue cordialement, si vous venez ! Que si vous ne venez pas, ne le pouvant, on s’en remettra au bon plaisir de Dieu, qui nous sera connu par le choix que vous ferez. Dieu vous remplisse de plus en plus de son esprit, ma très chère sœur !

Je suis, en son amour, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

De Paris, ce 3e septembre 1648.

de son Ordre à Bayonne, où l’appelait son neveu François Fouquet, évêque de cette ville. Son second triennat avait pris fin depuis un an, quand saint Vincent lui écrivait cette lettre. Elle resta à Bayonne, et les sœurs la mirent de nouveau à leur tête le 2 juin 1650. De retour à Paris, elle dirigea le premier monastère de 1655 à 1658 et y termina ses jours, à l’âge de soixante-dix-huit ans, le 3 juillet 1674. (Cf. Année sainte, t. VII, pp. 249-254)

2) Le monastère de Compiègne s’était ouvert le 13 juin 1648.

 

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1063. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 5 septembre 1648.

Béni soit Dieu, Mademoiselle, de la sollicitude que Notre-Seigneur vous donne pour vos chères filles et pour moi, dans ces émotions populaires (1) ! Nous voilà tous, par la grâce de Dieu, sans que Notre-Seigneur nous ait faits dignes de souffrir quelque chose pour lui en ce rencontre.

Assurez-vous au reste qu’il n’y a rien que j’aie pensé devoir dire que je n’aie dit, par la grâce de Dieu ; je dis à l’égard de toutes choses. Le mal, c’est que Dieu n’a pas béni mes paroles, quoique je croie fausses celles qu’on dit de la personne dont vous entendez me parler (2), Il est vrai que je tâche de les dire à la manière que font

Lettre 1063. — L. a. — Original au Berceau de saint Vincent de Paul

1) Saint Vincent fait ici allusion aux journées des 26, 27 et 28 août. La nouvelle de l’arrestation de Broussel, conseiller à la Grand’Chambre, avait soulevé le peuple contre la cour. Dans les rues, des barricades s’étaient élevées. La milice bourgeoise, appelée aux armes pour rétablir l’ordre, sympathisait avec les insurgés. Il fallut que la reine cédât et fit revenir Broussel, alors en route vers Sedan

2). Il serait difficile de dire au juste à quoi saint Vincent fait ici allusion Serait-ce aux relations de Mazarin et d’Anne d’Autriche ? Le bruit courut, répandu par les frondeurs, que la reine et son ministre étaient liés par un mariage de conscience ; et certains ajoutaient que saint Vincent lui-même avait béni leur union. On en causa à Saint-Lazare, et le frère Robineau n’hésita pas à interroger le saint, qui lui répondit : "Cela est faux comme le diable." (Cahier ms. du frère Robineau, p. 10, arch. de la Mission.) La question de ce mariage secret a été étudiée par Jules Loiseleur (Problèmes hitoriques. Mazarin a-t-il épousé Anne d’Autricha ? Gabrielle d’Estrées est-elle morte empoisonnée ? 1867, in-l2) et par Victor Molinier (Notice sur cette question historique : Anne d’Autriche et Mazarin étaient~ils secrètement mariés ? Paris, 1887 in-8°) Il semble établi que Mazarin n’était pas dans les ordres sacrés. (Cf. Chéruel Adolphe, Lettres du Cardinal Mazarin, 9 vol. in-4°, Paris, 1872-1906, t. I, p. XVI, note 2.)

 

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les bons anges, qui proposent, sans se troubler, lorsqu’on ne fait pas usage de leurs lumières.

C’est La leçon que m’a apprise le bienheureux cardinal de Bérulle, et l’expérience que j’ai, que je n’ai pas grâce, ains que je gâte tout, quand j’en use autrement.

Si vous désirez passer chez Madame de Saint-Simon (3) pourquoi non ?

Les choses vont ici tout doucement. Vos malades commencent à se mieux porter partout.

Je tâcherai de dire un mot à M. le comte de Maure (4). J’ai peur pourtant de gâter la chose par ma misère. Je ne descendrai point au particulier néanmoins. Notre-Seigneur suppléera à ce qui me défaudra, s’il lui plaît.

Je loue Dieu de ce que vous me dites des visites de Charités. Oh ! que je suis mortifié de ne les pouvoir faire ! Notre-Seigneur y pourvoira par ailleurs, s’il lui plaît.

Je suis en son amour, Mademoiselle, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

De Paris, cette…

3) Louise de Crussol, mariée en secondes noces au marquis de Saint-Simon, qui devint lieutenant général des armées du roi, gouverneur et bailli de Senlis et capitaine du château de Chantilly.

4) Parent par alliance de Louise de Marillac. Il prit une part active aux troubles de la Fronde. Saint Vincent voulait-il lui donner des conseils de sagesse politique ?

 

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1064. — A JEAN DEHORGNY

D’Orsigny, ce 10e septembre 1648.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 17e août (1), qui est pour achever de répondre aux miennes touchant les diversités d’opinions, celle-ci étant à l’égard du livre de Le communion (2), pour réponse à laquelle je vous dirai, Monsieur, qu’il peut être, ce que vous dites, que quelques personnes ont pu profiter de ce livre en France et en Italie ; mais que d’une centaine qu’il y en a peut-être qui en ont profité à Paris, en les rendant plus respectueux en l’usage de ce sacrement, qu’il y en a pour le moins dix mille auxquels il a nui en les en retirant tout à fait ; que je loue Dieu de ce que vous en usez comme je fais, qui est de ne point parler de ces choses en la famille et de ce qu’elle va son train à Rome comme ici.

Il est vrai, ce que vous dites, que saint Charles Borromée a suscité l’esprit de pénitence dans son diocèse, de

Lettre 1064. — Arch. dép. de Vaucluse, D 296, copie du XVIIe ou du XVIIIe siècle. On trouvera en note les variantes du texte publié en mars 1726 par les Mémoires de Trévoux (p. 448). Ni le manuscrit des archives départementales, ni les Mémoires de Trévoux ne donnent le post-scriptum, que nous avons emprunté au supplément des Lettres et conférences de St Vincent de Paul (p. 70). L’éditeur de ce supplément a eu en main l’original de la lettre, que lui avait communiqué Mademoiselle d’Haussonville et que l’on n’a pu retrouver.

* Voir le texte de cette lettre et son commentaire par Bernard KOCH à la fin du volume XIII. pp. 863 & sq.

1). Mémoires : du 7 août.

2). L’ouvrage avait pour titre : De la fréquente communion, où les sentimens des Pères des Papes et des Conciles touchant l’usage des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie sont fidèlement exposez, pour servir d’adresse aux personnes qui pensent sérieusement à se convertir à Dieu et aux pasteurs et confesseurs zélés pour le bien des âmes, par M. Antoine Arnauld, docteur en théologie, de la maison de Sorbonne. — Sancta Sanctis. — A Paris, chez Antoine Vitré, 1643

 

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son temps, et l’observance des canons d’icelle, et que c’est ce qui mutina le monde contre lui et même des bons religieux, à cause de la nouveauté ; mais il n’a pas constitué la pénitence ou, quoi que ce soit, la satisfaction, à se retirer de la sainte confession et de l’adorable communion, si ce n’est aux cas portés par les canons, que nous tâchons d’observer (3) en cas des occasions prochaines, des inimitiés, des péchés publics ; mais il est (4) bien éloigné de ce qu’on dit, qu’il ordonnait des pénitences publiques pour des péchés secrets et à faire la satisfaction avant l’absolution, comme le livre dont est question (5) prétend faire.

Venons au particulier. Il est vrai, Monsieur, quoi que vous me disiez du livre de La fréquente communion, qu’il a été fait principalement pour renouveler la pénitence ancienne comme nécessaire pour rentrer en grâces (6) avec Dieu ; car, quoique l’auteur fasse quelquefois semblant de proposer cette pratique ancienne seulement comme plus utile, il est certain néanmoins qu’il la veut pour nécessaire, puisque par tout son (7) livre il la représente comme une des grandes vérités de notre religion, comme la pratique des apôtres et de toute l’Église durant douze siècles, comme une tradition immuable, comme une institution de Jésus-Christ, et qu’il ne cesse de faire entendre qu’il est obligé de la garder et d’invectiver continuellement contre ceux qui s’opposent au rétablissement de cette pénitence. D’ailleurs, il enseigne manifestement qu’anciennement il n’y avait point d’autre pénitence pour toute sorte de péchés mortels que la

3) Mémoires. : de pratiquer.

4) Mémoires : était.

5) Mémoires : dont il est question.

6) Mémoires : pour entrer en grâce

7) Mémoires : le.

 

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publique, comme on voit par le 3e chapitre de la seconde partie, où il prend pour une vérité l’opinion qui porte qu’on ne trouve dans les anciens Pères, et principalement dans Tertullien, que la pénitence publique en laquelle l’Église exerçât la puissance de ses clefs ; d’où il s’ensuit par une conséquence très claire, que M. Arnauld a dessein d’établir la pénitence publique pour toutes sortes de péchés mortels et que ce n’est pas une calomnie de l’accuser de cela, mais une vérité que l’on tire aisément de son livre, pourvu qu’on le lise sans préoccupation d’esprit.

Et vous, Monsieur, me dites que cela est faux. Vous êtes à excuser, parce que vous ne saviez (8) pas le fond des maximes de l’auteur et de toutes ces doctrines, qui était de réduire l’Église en ses premiers usages, disant que l’Église a cessé d’être depuis ces temps-là. Deux des coryphées (9) de ces opinions ont dit à la Mère de Sainte-Marie de Paris (10), laquelle on leur avait fait espérer qu’ils pourraient attirer ii leurs opinions, qu’il y a cinq cents ans qu’il n’y a point d’Église ; elle me l’a dit et écrit.

Vous me dites, en second lieu, qu’il est faux que M. Arnauld ait voulu introduire l’usage de faire la pénitence avant l’absolution pour les gros pécheurs. Je réponds que M. Arnauld ne veut pas seulement introduire la pénitence avant l’absolution pour les gros pécheurs, mais il en fait une loi générale pour tous ceux qui sont coupables d’un péché mortel, ce qui se voit par ces paroles tirées de la 2e partie, chapitre 8 : "Qui ne voit combien ce Pape juge nécessaire que le pécheur fasse pénitence de ses péchés, non seulement avant que de communier, mais

8.) Mémoires : savez.

9) M. de Saint-Cyran ne serait-il pas un de ces coryphées ?

10). Hélène-Angélique Lhuillier.

 

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même avant que de recevoir l’absolution ?" Et un peu plus bas, il ajoute : "Ces paroles ne nous montrent-elles pas clairement que, selon les règles saintes que ce grand Pape a données à toute l’Église, après les avoir apprises dans la perpétuelle tradition de la même Église, l’ordre que les prêtres doivent garder dans l’exécution de la puissance que le Sauveur (11) leur a donnée de lier et de délier les âmes, c’est de n’absoudre les pécheurs qu’après les avoir laissés dans les gémissements et dans les larmes, et leur avoir fait accomplir une pénitence proportionnée à la qualité de leurs péchés." Il faut être aveugle pour ne pas connaître, par ces paroles et par beaucoup d’autres qui suivent, que M. Arnauld croit qu’il est nécessaire de différer l’absolution pour tous les péchés mortels jusqu’à l’accomplissement de la pénitence ; et en effet, n’ai-je pas vu faire pratiquer cela par M. de Saint-Cyran, et le fait-on pas encore à l’égard de ceux qui se livrent entièrement à leur conduite ? Cependant cette opinion est une hérésie manifeste.

Pour ce qui est de l’absolution déclaratoire, vous me dites qu’il n’a point besoin que de son premier livre pour faire voir le contraire, et m’alléguez trois ou quatre autorités pour cela. Je réponds que ce n’est pas de merveille que M. Arnauld parle quelques fois comme les autres catholiques ; il ne fait en cela qu’imiter Calvin, qui nie trente fois qu’il fasse Dieu auteur du péché, quoiqu’il fasse ailleurs tous ses efforts pour établir cette maxime détestable, que tous les catholiques lui attribuent.

Tous les novateurs (12) font de même ; ils sèment des contradictions dans leurs livres, afin que, si on les reprend

11) Mémoires : le Seigneur.

12). Les Mémoires de Trévoux ajoutent ici le mot en.

 

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sur quelque point, ils puissent s’échapper, en disant qu’ils ont ailleurs le contraire. J’ai ouï dire à feu M. de Saint-Cyran que, s’il avait dit des vérités dans une chambre à des personnes qui en seraient capables, que, passant en une autre où il en trouverait d’autres qui ne le seraient pas, qu’il leur dirait le contraire ; que Notre-Seigneur en usait de la sorte et recommandait qu’on fît de même (13).

Comment est-ce que M. Arnauld peut soutenir sérieusement que l’absolution efface véritablement les péchés, puisqu’il enseigne, comme je viens de montrer, que le prêtre ne doit point donner l’absolution au pécheur qu’après l’accomplissement de la pénitence, et que la raison principale pour laquelle il veut qu’on observe cet ordre est afin de donner temps au pécheur d’expier ses crimes par une satisfaction salutaire, comme il le prouve amplement dans le chapitre 2e de la seconde partie ? Un homme judicieux qui veut qu’on expie des péchés par une satisfaction salutaire, avant que de recevoir l’absolution, peut-il croire sérieusement que les péchés soient expiés par l’absolution ?

Vous me dites que M. Arnauld dit que l’Église retient dans le cœur le désir que les pécheurs fassent pénitence selon les règles anciennes, et que M. Arnauld dit que la

13) Raoul Allier (La cabale des dévots, Paris, 1902, in-16, p. 165) a peine à croire que Saint-Cyran ait pu tenir pareil propos. Il préfère admettre que saint Vincent l’a mal compris. "Saint-Cyran sentait si bien, écrit-il, que sa pensée allait contre les doctrines courantes, que pour éviter les condamnations sommaires et les scandales inutiles, il ne s’en ouvrait qu’à des amis sûrs et en état de le comprendre." Voilà à quoi se réduirait ce que Saint-Cyran aurait dit à saint Vincent. Saint Vincent était là, présent devant l’abbé quand celui-ci parlait ; tel que nous le connaissons, nous savons qu’il était plutôt porté à excuser qu’à accuser, à atténuer la gravité d’actes ou de paroles répréhensibles qu’à l’exagérer. Son autorité est, semble-t-il, d’un autre poids que celle de Raoul Allier.

 

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pratique ancienne et nouvelle de l’Église sont toutes deux bonnes, mais que l’ancienne est meilleure (14), et qu’elle, étant une bonne mère, qui ne respire que le plus grand bien de ses enfants, leur désire toujours le meilleur, au moins dans son cœur.

Je réponds qu’il ne faut point confondre la discipline ecclésiastique avec les désordres qui se peuvent rencontrer. Tout le monde blâme ces désordres ; les casuistes ne cessent de s’en plaindre et de les remarquer, afin qu’on les connaisse ; mais c’est un abus de dire que ne point pratiquer la pénitence de M. Ar [nauld], ce soit un relâchement que l’Église tolère avec regret. Nous n’avons pas grande assurance de la pratique d’Orient dont vous parlez ; mais nous savons que, par toute l’Europe, on pratique les sacrements de la manière que M. Arnauld condamne, et que le Pape et tous les évêques approuvent la coutume de donner l’absolution après la confession et de ne point faire pénitence publique que pour des péchés publics. N’est-ce pas un aveuglement insupportable de préférer, en une chose de telle conséquence, les pensées d’un jeune homme, qui n’avait aucune expérience dans la conduite des âmes lorsqu’il a écrit, à la pratique universelle de toute la chrétienté ?

Si la pratique de la pénitence publique a duré en Allemagne jusques au temps de Luther, comme vous dites, ce n’a été que pour les péchés publics ; et personne ne trouve mauvais que cette pénitence soit rétablie partout, puisque le concile de Trente l’ordonne expressément (15). Et quel rapport a l’ordonnance de saint Ignace, que vous m’alléguez aussi, avec la conduite de ceux qui éloignent tout le monde de la communion,

14) Mémoires : est la meilleure

15) Ses. XXIV, chap. VIII.

 

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non pour huit ou dix jours, mais pour cinq ou six mois, non seulement les grands pécheurs, mais de bonnes religieuses qui vivent en une grande pureté, comme nous avons appris (16) de l’épître de M. de Langres à M. de Saint-Malo (17). Ce n’est pas s’arrêter à des pointilles que de remarquer des désordres si notables et qui ne tendent qu’à la ruine entière de la sainte communion ; et tant s’en faut que des gens de bien doivent mettre en pratique ces (18) maximes pernicieuses, qu’ils ont juste sujet de les mépriser et de concevoir mauvaise opinion de ceux qui les autorisent.

Saint Charles n’avait garde de les approuver, puisqu’il ne recommande rien tant, dans ses conciles et dans ses actes, que la fréquente communion, et qu’il ordonne plusieurs fois de grièves peines contre tous les prédicateurs qui détournent les fidèles directement ou indirectement de la fréquente communion. Et jamais l’on ne trouvera qu’il ait établi la pénitence publique ou l’éloignement de la communion pour toutes sortes de péchés mortels, ni qu’il ait voulu qu’on mît trois ou quatre mois entre la confession et l’absolution, comme il se pratique très souvent et pour des péchés ordinaires par ces nouveaux réformateurs ; de sorte qu’encore qu’il y puisse avoir de l’excès à donner facilement l’absolution à toutes sortes de pécheurs, qui est ce que saint Charles déplore, il ne faut pas conclure de là que ce grand saint approuvât les extrémités dans lesquelles M. Ar [nauld] s’est jeté,

16) Mémoires : comme nous l’avons appris.

17). Le mémoire envoyé par Sébastien Zamet, évêque de Langres, à Achille de Harlay de Sancy, évêque de Saint-Malo, était, croit l’abbé Prunel (Sébastien Zamet, p. 264, note 2), la réponse à un questionnaire préparé par M. de Harlay, sur l’ordre de Richelieu, au sujet de Saint-Cyran. On le trouve en entier dans cet ouvrage pp. 265-268.

18) Mémoires : des.

 

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puisqu’elles sont entièrement opposées à quantité d’ordonnances qu’il a faites.

Quant à ce qu’on attribue au livre de La fréquente communion, de retirer le monde de la fréquente hantise des saints sacrements, je vous réponds qu’il est véritable que ce livre détourne tout le monde puissamment de la hantise de la sainte communion et de la sainte confession, quoiqu’il fasse semblant, pour mieux couvrir son jeu, d’être fort éloigné de ce dessein. En effet, ne loue-t-il pas hautement dans sa préface, page 36, la piété de ceux qui voudraient différer la communion jusques à la fin de leur vie, comme s’estimant indignes de s’approcher (19) du corps de Jésus-Christ, et n’assure-t-il pas qu’on satisfait plus à Dieu par cette humilité que toutes (20) sortes de bonnes œuvres ? Ne dit-il pas, au contraire, dans le chapitre 2e de la 3" partie, que c’est parler indignement du Roi du ciel que de dire qu’il soit honoré par nos communions et que Jésus-Christ ne peut recevoir que de la honte et de l’outrage par nos fréquentes communions qui se font selon les maximes du Père Molina, chartreux (21), qu’il combat par tout son livre, sous l’apparence d’un écrit fait à plaisir ? De plus, ayant prouvé par saint Denis, dans le chapitre 4 de la première partie, que ceux qui communient doivent être entièrement purifiés des images qui leur restent de leur vie passée par un amour divin pur et sans aucun mélange, qu’ils doivent être parfaitement unis (22) à Dieu seul, entièrement parfaits et entièrement irréprochables, tant s’en faut qu’il ait aucunement adouci les paroles si hautes

9). Mémoires d’approcher.

20) Mémoires : que par toutes.

21). Antoine Molina, auteur d’un traité de l’Instruction des prêtres, qui fut traduit en plusieurs langues, mort en 1612.

22). Mémoires : unis parfaitement.

 

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et si éloignées de notre faiblesse, que, les ayant données toutes crues, il a toujours soutenu dans son livre de La fréquente communion qu'elles contiennent les dispositions qui sont nécessaires pour communier dignement. Cela étant, comment se peut-il faire qu'un homme qui considère ces maximes et ce procédé de M. Arnauld, puisse s'imaginer qu'il souhaite avec vérité que tous les fidèles communient fort souvent ? Il est certain, au contraire, qu'on ne saurait tenir ces maximes pour véritables, qu'en même temps l'on ne se trouve très éloigné de fréquenter les sacrements. Et pour moi, j'avoue (23) franchement que, si je faisais autant d'état du livre de M. Arnauld que vous en faites, non seulement je renoncerais pour toujours à la sainte messe (24) et à la communion, par esprit d'humilité, mais même j'aurais de l'horreur du sacrement, étant véritable qu'il le représente, à l'égard de ceux qui communient avec les dispositions ordinaires que l'Eglise approuve, comme un piège de Satan et comme un venin qui empoisonne les âmes, et qu'il ne traite tous ceux qui en approchent en cet état de rien moins que de chiens, de pourceaux et d'antechrists (25).

Et quand on fermerait les yeux à toute autre considération pour remarquer seulement ce qu'il dit en plusieurs endroits des dispositions admirables sans lesquelles il ne veut pas qu'on communie, se trouvera-t-il homme sur la terre qui eût si bonne opinion de sa vertu qu'il se croie (26) en état de pouvoir communier dignement ? Cela n'appartient qu'à M. Arnauld, qui, après

23) Mémoires : je vous avoue.

24).Mémoires : à la messe.

25).Mémoires: et qu'il ne traite rien moins tous ceux qui en approchent en cet état que de chiens, de pourceaux et d'antéchrists

26).Mémoires : crût.

 

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avoir mis ces dispositions à un si haut point qu'un saint Paul eût appréhendé de communier, ne laisse pas de se vanter par plusieurs fois dans son apologie qu'il dit la messe tous les jours ; en quoi son humilité est autant admirable qu'on doit estimer sa charité et la bonne opinion qu'il a de tant de sages directeurs, tant séculiers que réguliers, et de tant de vertueux pénitents, qui pratiquent la dévotion, dont les uns et les autres servent de sujet à ses invectives ordinaires.

Au reste, j'estime que c'est une hérésie de dire que ce soit un grand acte de vertu de vouloir différer la communion jusques à la mort, puisque l'Eglise nous commande de communier tous les ans. C'est aussi une hérésie de préférer cette humilité prétendue à toutes sortes de bonnes œuvres, étant visible que pour le moins le martyre est beaucoup plus excellent; comme aussi de dire absolument que Dieu n'est point honoré par nos communions et qu'il n'en reçoit que de la honte et de l'outrage.

Comme cet auteur éloigne tout le monde de la communion, il ne tiendra pas à lui que toutes les églises ne demeurent sans messes, pource qu'ayant vu ce que dit le vénérable Bède, que ceux qui laissent de célébrer ce saint sacrifice sans quelque légitime empêchement, privent la Sainte Trinité de louange et de gloire, les anges de réjouissance, les pécheurs de pardon, les justes de secours et de grâces, les âmes qui sont en purgatoire de rafraîchissement, l'Eglise des faveurs spirituelles de Jésus-Christ, et eux-mêmes de médecine et de remède, il ne fait point de scrupules d'appliquer tous ces effets admirables aux mérites d'un prêtre qui se retire de l'autel par esprit de pénitence, comme on le voit dans le chapitre 40 de la première partie ; il parle même plus avantageusement de cette pénitence que du sacrifice de la messe. Or, qui ne voit que ce discours est très puissant

 

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pour persuader à tous les prêtres de négliger de dire la messe, puisqu'on gagne autant sans la dire qu'en la disant, et qu'on peut dire même, selon les maximes de M. Arnauld, qu'on gagne davantage ? Car, comme il relève l'éloignement de la communion beaucoup au-dessus de la communion, il faut aussi qu'il estime beaucoup plus excellent l'éloignement de la messe que la messe même.

Et la morale de tout ceci est que ce nouveau réformateur n'éloigne les prêtres et les laïques de l'autel sinon sous ce beau prétexte de faire pénitence ; mais pour savoir en quoi il met cette grande pénitence, qu'il estime si avantageuse aux âmes, il paraît en paroles expresses dans la préface, page 18, que, de toutes les rigueurs de l'ancienne discipline, il n'en garde quasi autre chose que la séparation du corps du Fils de Dieu, qui est la partie la plus importante, selon les Pères, parce qu'elle représente la privation de la béatitude, et la plus aisée, selon les hommes, parce que tout le monde en est susceptible.

M. Ar[nauld] pourrait-il montrer plus manifestement que son livre n'a été fait qu'à dessein de ruiner la messe et la communion, puisqu'il emploie toute l'antiquité pour nous prêcher la pénitence (dont jamais je n'ai vu faire un seul acte à l'auteur de cette doctrine, ni à ceux qui l'assistaient à l'introduire), et qu'après toutes ces fanfares il se contente qu'on ne communie point ? Certes, ceux qui lisent son livre et qui n'y remarquent pas ce dessein sont du nombre de ceux dont parle le prophète : Oculos habent et non videbunt ; et je ne comprends pas comment vous, Monsieur, pouvez accuser les adversaires de M. Ar[nauld] de ruiner la pénitence, puisqu'on se plaint, au contraire, avec raison, de ce que cet auteur a fait des efforts extraordinaires pour prouver qu'il était nécessaire de faire de longues et rigoureuses

 

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pénitences avant que de communier et de recevoir l'absolution, et qu'en même temps il a déclaré en paroles expresses (afin que personne n'en prétende cause d'ignorance), qu'il ne réserve autre chose de l'ancienne pénitence que l'éloignement de l'autel.

Voilà, Monsieur, la réponse que je fais à votre lettre, avec tant d'empressement que je n'ai pas le loisir de la relire.

Je m'en vas en ce moment célébrer la sainte messe, afin qu'il plaise à Dieu de vous faire connaître les vérités que je vous dis, pour lesquelles je suis prêt de donner ma vie.

J'aurais beaucoup d'autres choses à vous dire sur ce sujet, si j'en avais le loisir. Je prie Notre-Seigneur (27) qu'il vous les dise lui-même. Je vous prie de ne me pas faire réponse sur ce sujet, si vous persévérez dans de telles opinions (28), qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Vous ne serez plus maître et administrateur du Saint-Esprit de Toul, si ce parlement ne reçoit l'évocation au Conseil du roi de votre procès contre MM. Thierry et.... dont le dernier a obtenu permission de prendre possession (29). Or, qu'il admette votre évocation, celui qui fait

27) Mémoires : je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ.

28).Mémoires : dans ces opinions.

29).Le bénéfice du Saint-Esprit échappa, en effet, à M Dehorgny. Saint Vincent le fit demander plus tard à Rome pour M. Jolly, qui avait l'intention de le résigner en faveur de la congrégation de la Mission. (Cf. 1. du 10 octobre 1653.) L'affaire traîna. Saint Vincent écrivait à M des Jardins le 29 décembre 1657 : " Nous ne sommes pas encore à bout des lettres de l'union, mais nous sommes toujours après et dans l'espérance de les avoir."

 

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la charge de premier président mande que le parlement ne le veut point faire, l'ayant refusé pour la deuxième fois et déchiré ladite évocation ; pour le moins, l'avocat général a fait cela ; de sorte que, s'ils ne renoncent à ce dernier arrêt fait, je m'en vais mander que l'on sauve ce que l'on pourra des meubles. Ils ont pris le temps de la révolte quasi générale de nos parlements. Enfin, si nous ne sommes condamnés avant que ma lettre arrive, cela ne saurait tarder huit jours après. In nomine Domini !

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, prêtre de la Mission, à Rome.

 

1065. —A ETIENNE BLATIRON

De Paris, le 25 septembre 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous m'excuserez bien si je vous écris par une autre main que la mienne, d'autant que je suis fort pressé.

Je loue Dieu des sentiments de Monseigneur le cardinal (1), pour lequel j'ai de très grands sentiments de respect et de révérence, et désirerais volontiers qu'il puisse voir d'où ils procèdent ; il connaîtrait que jamais personne n'en a eu pour un autre de plus grands, comme aussi je bénis Dieu de la charité de ces Messieurs nos cofondateurs et le prie de bénir la chapelle de la maison.

Lettre 1065. — L. s. — Dossier de Turin, original. La fin, à partir des mots: Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur du cœur, est de la main du saint.

1). Le cardinal Durazzo.

 

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Je suis fort consolé du bon ordre que Monseigneur a résolu de mettre au séminaire en leur faisant faire des exercices spirituels. Je prie Notre-Seigneur de les sanctifier par sa sainte miséricorde.

Vous avez raison de faire quelque difficulté de recevoir ce bon religieux. Je vous prie de côtoyer cet affaire et de laisser agir la providence divine. Si pourtant vous connaissez que cela doive réussir à bien et qu'il fasse beaucoup d'instance, vous en pourrez essayer, s'il vous plaît.

Nous vous enverrons le frère Claude le plus tôt que faire se pourra; il est allé aux eaux à Moulins ; s'il eût été ici, nous vous l'eussions renvoyé. Il désire apprendre à faire du pain et à saigner. Il lui faudra viron (2) quinze jours pour apprendre cela. Cependant nous vous en enverrons deux, afin que vous n'en manquiez pas ; si vous en avez trop, vous les enverrez à Rome.

Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur, du cœur que vous savez, qui est plus attendri pour vous que je ne vous puis expliquer, qui salue votre famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J'oubliais à vous dire que j'ai été fort attendri sur ce que vous me dites de cet accident qui est arrivé à G[ênes] (3), que je l'ai dit à la compagnie, que les prêtres ont célébré chacun pour rendre grâces à Dieu de ce que le mal n'a pas été si grand qu'on le nous a fait [craindre] d'abord, et à ce qu'il plaise à la bonté de Dieu de con

2) Viron, environ.

3).On lit en marge tourbillon de vent arrivé le jour de la fête saint Augustin.

 

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server cette ville sans danger ; et nos frères communieront à cette même intention, Dieu aidant.

Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, supérieur de la Mission de Gênes, à Gênes.

 

1066.—A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Lazare, [Octobre 1648] (1)

Mademoiselle Le Gras est très humblement remerciée par son serviteur Vincent du remède qu'elle lui envoie, duquel il propose de faire usage, Dieu aidant.

Nous travaillerons à l'affaire du Monstrel (2) et de la foire (3).

Je ne me ressouviens point du sujet de la lettre de M. le curé de Serqueux (4) ; si vous le savez, je lui ferai réponse dès aujourd'hui.

Je pense que l'air me pourra profiter ; si peu que je fus dernièrement en notre voyage de Saint-Germain (5), je m'en trouvai mieux. Si je ne vas demain à Saint-Germain, je pourrai partir pour aller voir nos chères sœurs de Fréneville (6) ; c'est un grand cas que cet air m'a toujours [profité (7)] en nos petites infirmités.

Lettre 1066. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date de la réponse à cette lettre.

2).Peut-être Montreuil. Au XIIIe siècle on disait Monsteriolum ou Monsterolum, de Monasteriolum, petit monastère; d’où le mot Monsterel ou Monstrel, encore usité au XVIIe siècle.

3).La célèbre foire de Saint-Laurent dépendait de la maison de Saint-Lazare.

4).En Seine-Inférieure. Deux Filles de la Charité y furent établies par Mgr de Saint-Luc, châtelain de Taillefontaine, par contrat du 13 novembre 1645.

5).Saint-Germain-en-Laye, où était la cour.

6).Les Filles de la Charité s'étaient établies à Fréneville en 1647.

7).Mot oublié dans l’original.

 

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Feriez-vous pas bien, Mademoiselle, de vous en aller prendre l'air en quelque lieu de ces quartiers, Liancourt, Saint-Denis ou ailleurs ? Je vous prie d'y penser et de me mander quelle est la racine que vous m'envoyez et comme il en faut user.

 

1067. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Octobre 1648] (1)

Monsieur,

Il ne me souvient pas bien de l'affaire dont M. le curé de Serqueux (2) vous a écrit, mais il m est resté en l'esprit que c'était des religieuses d'auprès de Forges (3), qui sont accusées de quelque grande faute, pour laquelle je crois que ~on veut ôter l'abbaye à celle qui la possède, qu'il tient très innocente de ce dont on l'accuse.

C'est de la réglisse dont l'on fait de la tisane, dont je vous ai envoyé petits morceaux pour en rendre l'usage plus facile mais il faut qu'elle soit nouvelle et n'en couper qu'à mesure que l'on en use, à cause qu'elle noircit. Je n'oserais me vanter que nous en avons dans notre jardin, à cause que nous n'en avons vu encore que la fleur et les feuilles.

J'avais oublié de vous mander que la prieure de Montmartre, qui est sœur de Mlle Channelain et toute proche de mourir du poumon, se recommande à vos saintes prières et vous supplie lui faire la charité la faire recommander aussi à celles de Messieurs de votre compagnie, pour qu'il plaise à Dieu lui faire miséricorde.

Je vous renvoie cette lettre crainte que vous croyiez qu'elle ait été portée à qui elle est.

Je supplie Dieu que votre voyage ne soit pas long et que votre retour soit en parfaite santé.

Nos soeurs nous demandent quelque sirop dont nous n'avons pas de provision ; j'enverrai savoir si le frère Alexandre (4) en pourrait donner.

Lettre 1067. — L. a. — Original chez les Filles de la Charité de Châteaudun.

1) Date marquée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) François du Marche.

3).Aujourd'hui chef-lieu de canton dans l’arrondissement de Neufchâtel-en-Bray ( S. -I .) .

4).Alexandre Véronne.

 

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Puisque votre charité me le permet, je pourrai aller à St-Denis et peut-être à Bicêtre , je n'ai plus que faire cette année à Liancourt; je crois aussi que Monsieur et Madame s'en vont à la Roche-Guyon pour un mois.

Si vous partez demain, je n'aurai point l'honneur de vous voir avant. Que deviendra ma pauvre conscience en attendant, et l'état auquel mes relâchements, paresses et infidélités ont réduit mon âme, qui ferait peur à sainte Catherine, si elle était sur terre, puisqu'elle lui paraîtrait sans amour, sans cet amour que je devrais tant avoir, et qui, par sa grâce, m'a fait être Monsieur, votre très obéissante servante et très humble.

LOUISE DE MARILLAC.

Ce vendredi.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1068. — A RENÉ ALMÉRAS

23 octobre 1648.

Monsieur,

J'ai reçu deux de vos lettres à la fois, l'une concernant la sortie de M. de Fondimare (1), la réponse du frère Doutrelet (2), le sentiment de M. de Restal sur nos règles et notamment le jugement qu'on fait des vœux ; et l'autre regarde la décharge de l'emploi que vous avez.

Je commence à vous répondre qu'il faut se soumettre à la disposition de la Providence à l'égard des entrées et des sorties de la compagnie et imiter l'acquiescement au bon plaisir de Dieu qu'on voit en Notre-Seigneur au bon plaisir de son Père, dans la désolation de sa divine compagnie ; et que selon ce bon plaisir, il fait et pour

Lettre 1068 — Pémartin, op cit.,t II, p. 121, 1. 612

1) Pierre Fondimare, né au Havre, reçu dans la congrégation de la Mission le 18 octobre 1644, à l'âge de vingt-trois ans.

2).Michel Doutrelet, né à Rouen, reçu dans la congrégation de ia Mission le 14 mai 1644, à l’âge de dix-huit ans, admis aux voeux le 14 mai 1646.

 

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voit toutes les choses toujours pour sa gloire et pour le bien des personnes que cela regarde. Selon cela, nous devons regarder la sortie de ces personnes comme un bien pour la compagnie et peut-être le leur.

Quant à Doutrelet, vous savez de lui la raison pourquoi il ne veut pas renouveler ses vœux; et s'il est ferme en cela, vous le renverrez au plus tôt, supposé que Sa Sainteté l'approuve. Du reste il faut se soumettre au bon plaisir de Dieu, qui n'aura fait vouloir ce moyen que pour faire subsister la compagnie, et je pense que cela, et tous les divers jugements qu'on a portés de delà sur cet affaire, vous doit faire admettre cet affaire le plus que l'on pourra.

Le Pape (3), dit-on, n'aime pas l'état religieux. A la bonne heure ; mais peut-être que, considérant que nos vœux ne nous font pas religieux, il les approuvera, surtout la chose dépendant de lui (je dis, de sa disposition) ; et il sera bon de lui faire entendre qu'il sera difficile de faire subsister la compagnie, eu égard aux divers, importants, rudes et éloignés emplois qu'elle a. La diversité paraît en ce qu'on se donne au service du pauvre peuple et à celui des ecclésiastiques, et à ceux-ci par les retraites à ceux qui sont en état d'entrer dans les ordres, et d'autres pour les jeunes enfants qui aspirent à l'état ecclésiastique, comme est celui du petit Saint-Lazare, celui de Saint-Méen et du Mans, et les deux ensemble qu'on va commencer à Agen (4), et enfin par les ordinands. Quant aux missions des champs, vous en connaissez la diversité, la rudesse et l'importance des unes et des autres. Le moyen de conserver des hommes

3) Innocent X

4).Le séminaire d’Agen s’ouvrit, en effet, quelques jours après, sous la direction de Guillaume Delattre ; mais il ne fut fondé qu’en 1650.

 

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libres au milieu de tant de si rudes et si importants emplois ! Ajoutez celui de Barbarie, de Perse et de l’Arabie Heureuse, où la Propagande nous envoie, et celui de Madagascar. Notez, Monsieur, qu’il est bien difficile de la pouvoir faire subsister en sûreté dans des emplois si difficiles. Que si Sa Sainteté, ou la Congrégation à laquelle elle enverra la connaissance de cet affaire, improuve ces vœux simples, qu’elle nous fasse] a charité de nous donner un moyen pour cela. La congrégation est régie par Sa Sainteté ; c’est à elle de nous donner les moyens de subsister, si elle ne trouve pas bon celui que nous proposons. Que si, après tout, elle ne l’agrée pas, nous devons nous soumettre à demeurer en simple congrégation sous ses lois. Nous nous y soumettrons, et peut-être que l’expérience leur fera reconnaître le besoin qu’elle en a. Que si Sa Sainteté pourvoit là-dessus et approuve ce que nous avons fait, cela fera cesser toutes ces petites émotions et ces prétextes d’abandonner la vocation.

J’oubliais de vous dire, à l’égard de Doutrelet, que je ne me ressouviens pas si on lui a donné son titre de la maison, parce que, si cela est, il faut aviser au moyen qu’on prendra pour en être déchargé. M. [Carcireux] (5) nous a fait assigner à ce que nous ayons a lui payer le sien, ensemble les arrérages… (6), sous le prétexte de l’obligation que nous lui avons faite de l’en tenir quitte (c’est-à-dire de lui en conserver la possession). Voyez cette noire ingratitude et ce qu’il y aura à faire à l’égard dudit Doutrelet.

5) M. Pémartina a lu : Curtivaux ; mais ce nom n’a été porté par aucun missionnaire.

6). Ces points remplacent un passage que n’a pas su lire M Pémartin, ou plutôt qu’il a mal lu. Voici son texte : "..les arrérages depuis que nous avions fait, ou quoi que ce soit M. Chomel à notre prioré, et sous le prétexte de l’obligation…"

 

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Au reste je trouve que vous avez surexcédé en ce que vous avez donné au sieur de Fondimare. A quel propos donner des largesses à ceux qui désertent la compagnie ? Baste pour ceux que l’on renvoie ; encore ne suffit-il pas qu’on leur donne huit ou dix écus au plus ? Il sera bon que vous fassiez entendre cela à la famille, afin qu’on le sache et qu’on s’y attende. Les Pères jésuites ne donnent rien à ceux qui sortent, non plus que les Pères de l’Oratoire, ni pas un Ordre que je sache.

Quant à nos règles, je pense, Monsieur, qu’il est nécessaire que vous commenciez à les faire approuver, ou, pour le moins, celle des vœux et celle de la perpétuité du généralat, à l’égard de ceux qui viendront à l’avenir. Que s’il y a tant de difficulté à faire recevoir toutes les règles, il faudrait les faire réduire en ces abrégés que vous m’avez envoyés, y ajoutant les deux points ci-dessus. Au nom de Dieu, Monsieur, ne perdez pas le temps en cela.

Venons à votre petite lettre. Je vous promets qu’elle m’a bien fait faire des examens sur ce qui vous peut avoir mû à demander votre décharge de votre emploi. Quelquefois le cœur m’a dit que vous aviez voulu imiter MM. Dehorgny et Codoing, qui ont demandé, comme vous, d’être déchargés de leur supériorité ; d’autres, que vous pensiez que votre conduite est la cause de la sortie de ces messieurs, et d’autres, que ce n’est point tout cela, mais que la cause véritable est quelque intelligence particulière que j’ai avec M. Dehorgny, dont je ne vous donne pas connaissance ; que les paquets de lettres que j’ai écrites audit sieur Dehorgny (7) vous font penser que je traite quelque chose avec M. Dehorgny, de laquelle

7) Les lettres du 25 juin et du 10 septembre et peut-être d’autres que nous n’avons plus

 

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lui ni moi ne vous donnons point de connaissance de cet affaire, faute de confiance en vous.

Mais je vous dirai, quant au premier point, que, s’il n’y a que cette raison que je vous allègue, je n’ai pas raison de me mettre en peine, mais de louer Dieu de ce que je ne sache pas un supérieur qui ne demande d’être déchargé de la supériorité ; quant au second, que jamais cette pensée ne s’est présentée à mon esprit, et que tant s’en faut, que je rends grâces à Dieu de votre bonne conduite et le prie qu’il vous la continue ; et pour la troisième, que l’affaire dont je lui écrivais est de telle nature, qu’il n’y a personne sur la terre avec laquelle je puisse traiter de cet affaire, non pas même avec M. Lambert, qui me tient lieu d’assistant, et auquel j’ai une parfaite confiance, comme j’en ai, de raison, à ceux à qui je me communique. Mais je n’ai point parlé à qui que ce soit de la compagnie, et l’ai prié, lui, de n’en parler à qui que ce soit. Il s’agit du salut et de la réputation d’une personne qui ne veut pas que j’en parle à autre que lui. Voilà, Monsieur, la nature de l’affaire que je traite avec lui. Au nom de Dieu, Monsieur, assurez-vous qu’il n’y a personne au monde en laquelle Dieu me donne plus de confiance qu’à vous, ni pour qui j’ai plus d’estime. Après cela, je vous supplie de ranger cette icelle pensée à celle que l’esprit malin vous donna lorsque vous étiez malade ; je vous assure qu’elles viennent toutes deux de la même source et tendent à la même fin ; et de cela je vous en assure en la présence de Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis…

M. Brisacier a aversion aux vœux ; il m’en a parlé autrefois de la sorte. Il fut pourtant satisfait quand je lui dis que nous ne prétendions pas entrer en l’état religieux. Il m’a dit qu’il pourrait être employé dans les

 

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affaires du roi, de delà ; si cela a lieu, il faudra procéder avec précaution avec lui. Vous pourrez lui en dire quelque chose, comme votre pensée ; tout l’effort doit être à l’égard de ceux de la Congrégation. Il suffit que vous dressiez vos principales forces de ce côté-là et que vous fassiez agir par Monsieur l’ambassadeur (8) vers Sa Sainteté. Il y a déjà quelque factum nouveau d’autre côté à notre égard. Que si Monsieur l’ambassadeur n’est pas si goûté de Sa Sainteté, il suffira qu’il lui en parle une fois d’abord et que vous fassiez vos sollicitations particulières, pas tant par raisons que par recommandations auprès de Nosseigneurs, le plus que vous pourrez à l’égard de nos Français. Mitte sapientiam et nihil deerit.

 

1069. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

30 octobre 1648.

La pratique de porter le chapelet à la ceinture s’observe toujours en cette maison ; je vous prie que cela s’observe de delà. Nos autres maisons y sont fidèles ; c’est un usage saint et d’édification.

 

1070. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 30 octobre 1648.

Je prie Dieu qu’il vous inspire la manière d’agir utilement avec M.… ; il me semble que la meilleure sera celle qui aura plus de douceur et de support, comme

8) Le marquis de Fontenay-Mareuil.

Lettre 1069. — Reg. 2, p. 104.

Lettre 1070. — Reg. 2, p. 200

 

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plus conforme à l’esprit de Notre-Seigneur et plus propre à gagner les cœurs. Si vous gagnez le sien, vous aurez de lui toute satisfaction. L’état où il est n’est qu’une tentation qui passe, pour laquelle il faut prier Dieu pour lui.

Je vous prie de suspendre les retraites d’un jour par mois auxquelles vous désirez que votre famille s’adonne. Nous sommes après pour examiner s’il est convenable, ou non, de continuer celles qui se font ici, à cause de quelques inconvénients qui en sont arrivés.

 

1071. — A UN ÉVÊQUE NOUVELLEMENT ÉLU (1)

Non parum aegre tuli quod me invaletudo corporis et negotiorum multiplic[ium] ingruentium accumulata turba prohibuerit, ne ei quo me praevenire dignata est Dominatio Sua Ill[ustrissi] ma honori meis utcumque satisfacerem litteris. Huic gratiae impares in me gratias agnosco, ut et iis quibus nostros antehac Romae in dies prosecuta est beneficiis. Sed D[omi]nus retribuet pro me ; imo jam pauperum fidejussor Christus exuberantissime respondit ad votum et ad m[eritum], eum eligens in episcopum, qui prodesse velit et praeesse sciat, qui, prudent[ia et] moribus praeeminens, cathedram sanctorum implere sufi~ciat. Laetat[us sum] in his et superabundo gaudio quod sic magnifice exaltaverit Deus [provi]dentiam suam, ut eum qui de virtute profecerat in virtutem, de [honore] etiam promoveret in honorem.

Lettre 1071 — L. s. — Bibl. Vaticane, fonds Barberini, Latinorum 2172, original. A l’orthographe de certains mots, on devine que la lettre a été écrite par un secrétaire italien.

1). Probablement Jean-Baptiste Spinola, élu évêque de Matera le 14 mai 1648, transféré à Gênes en 1664, puis promu au cardinalat, mort le 4 janvier 1704.

 

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Confidimus autem in D[omi]no et speramus [ut qui] vos ad magna in bonum Ecclesiae provexit, etiam in idipsum sublim [et] ad majora. Cum multa gratiarum actione preces affectuosas offerim [us pro h]is. Qui segregavit vos ad dandam scientiam salutis plebi suae, ipse in b[onum] v[est]ros continuet Ecclesiamque v[est]ram sine maculis et rugis sub v[est]ra prov[identia] conservet. Hacc eo vel maxime speramus quo Deus tumultuantes ibi [discordiarum] et belli nascentis fluctus tranquillavit ad pacem, pro qua eum incessanter [deprecari] non desinimus. Quod autem nostros suis continuo juvat consiliis et specia[li prose] quitur benevolentia, his ego non quales volo sed quales valeo, refero grati [as] ; precibus respondebo et votis ; et quod meae exiguitatis impotentia non prae[bet], exuberans munificentia illius exolvet qui de thesauris suae gratiae multi[plicis] erogat universis. Interim, si quando me jussis suis cohonestare dignetur, [me] semper in obsequio suae Dominationis Ill [ustrissi] mae experietur promptissimum.

V[est] rae Ill[ustrissi]mae et R[everendissi] mae Dominationis humillimus necnon devotissimus in D[omi]no.

VINCENTIUS A PAULO,

indignus superior generalis congregationis Missionis

Parisiis, nonis novembris (1) 1648.

 

TRADUCTION

Grande a été ma peine de ne pouvoir, à cause de ma maladie et de la multiplicité des affaires, répondre plus tôt, par lettre, à l’honneur dont Votre Grandeur a daigné me prévenir. Je me reconnais incapable de vous remercier dignement, tant de cette faveur, que des bienfaits dont jusqu’à présent vous avez comblé nos confrères de Rome. Mais Dieu acquittera

1) 5 novembre

 

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pour moi cette dette de reconnaissance ; et Notre-Seigneur, qui s’est fait caution pour les pauvres, répond déjà surabondamment à mes vœux en choisissant pour l’épiscopat un prélat qui veut se rendre utile, sait gouverner, est remarquable par sa prudence et l’intégrité de ses mœurs et promet d’être un digne successeur des saints. Quel n’est pas mon bonheur et ma joie de voir que Dieu a si bien dirigé le cours des événements qu’après vous avoir fait croître de vertu en vertu, il vous mène d’honneur en honneur ! Confiant dans le Seigneur, nous espérons qu’après vous avoir conduit à de hautes destinées, pour le bien de son Église, il vous élèvera plus haut encore. Avec nos actions de grâces, nous lui offrons aussi nos affectueuses prières. Puisse Celui qui vous a choisi pour donner la science à son peuple, maintenir vos ouailles dans le bien et conserver votre Église sans tache ni ride sous votre conduite pastorale ! Nous l’espérons d’autant plus que Dieu a apaisé les troubles qui s’élevaient ici comme des flots tumultueux et fait cesser la guerre qui commençait. Nous jouissons maintenant de la paix, dont nous lui demandons avec instance le maintien.

Quant aux conseils et à la bienveillance dont vous daignez favoriser nos confrères, je vous en remercie, non dans la mesure de mon devoir, mais dans celle de mes forces ; j’y répondrai par mes vœux et mes prières. Ce que l’impuissance de ma petitesse ne peut vous offrir, vous le recevrez de la libéralité surabondante de Celui qui fait participer tous les hommes au trésor de ses grâces.

Si cependant Votre Grandeur veut m’honorer de ses commandements, elle me trouvera toujours dans la disposition de la plus prompte obéissance.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime le très humble et très dévoué serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne supérieur général de la congrégation de la Mission.

De Paris, ce jour des nones de novembre 1648.

 

1072. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 6 novembre [1648] (1)

Monsieur,

Une personne de Fontainebleau nous manda, y a quelques

Lettre 1072. — L. a. — Original chez les Filles de la Charité de la maison centrale d’Ans, près Liége

1) Voir Lettres de Louise de Marillac, 1. 223.

 

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jours, que notre sœur Barbe Angiboust avait la fièvre depuis la Notre-Dame de septembre, et hier l’on nous dit de Saint-Germain-de-l’Auxerrois que son confesseur avait mandé à une dame de la paroisse qu’elle se mourait et que l’on lui allait donner l’extrême-onction. Treuvez-vous bon Monsieur, que, sur ces nouvelles, nous y envoyions aujourd’hui une sœur ? car nous avons écrit, et une de nos sœurs partit, y a huit jours, pour y être sa compagne, et nous n’en avons eu aucune nouvelle.

S’il plaît à votre charité nous donner promptement réponse ? Je vous demande aussi, pour l’amour de Dieu, votre bénédiction, étant, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE M.

Sil vous plaît vous souvenir de la réponse de Monsieur de Beauvais (2).

 

1073. — A LOUISE DE MARILLAC

[6 ou 7 novembre 1648] (1)

PREMIÈRE RÉDACTION

Mademoiselle,

Il y aurait charité et encouragement pour les autres sœurs si vous envoyiez visiter notre pauvre malade par une fille (2), par le coche, s’il y en a, sinon par eau (3) jusques à Melun et de là à pied trois lieues jusques à Fontainebleau, avec quelqu’un qui l’accompagne.

2) Augustin Potier.

Lettre 1073. — L. a. —- Original chez les Filles de la Charité

d’Ans près Liège.

1) Cette lettre répond à la précédente. Saint Vincent avait d’abord écrit sa réponse autour du texte même de Louise de Marillac ; mais soit que ce ne fût pas assez lisible, soit qu’il n’eût pas assez bien exprimé sa pensée, il la recommença sur la feuille restée en blanc.

2). Louise de Marillac fit choix d’Anne Hardemont.

3). Par la Seine.

 

- 388 -

DEUXIÈME RÉDACTION

Je suis bien touché de la maladie extrême de notre pauvre sœur Barbe. Il y aura piété de lui envoyer une fille et encouragement pour les autres. Vous pourrez donc l’envoyer, s’il vous plaît, Mademoiselle, par le coche, s’il y en a, ou par eau jusques à Melun, d’où une commodité s’y trouve le lundi ou le mardi au port Saint-Paul (4), et de là il faudra qu’elle aille à pied dans les bois jusques à Fontainebleau, où il n’y a point de danger à présent que la cour n’y est pas. Et le coche est à la rue de la Cossonneries (5).

 

1074. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 7 novembre 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Je réponds à la vôtre très chère du 26 du mois passé, pressé de sortir pour aller à Saint-Denis, où je fais la visite chez les filles de la Visitation. Nous n’avons rien reçu de la partie due à feu M. Le Bourgais (1) que 100 livres, lesquelles lui furent envoyées, comme vous savez. Il y a peu de sujet d’espérer le reste,

4) Sur le quai des Célestins, en face de 11 rue Saint-Paul. C’est là qu’étaient débarqués les vins, les fers, le charbon de terre et les denrées d’épicerie.

5). Cette rue existe encore sous le même nom ; elle aboutit, du côté du boulevard Sébastopol, de l’autre aux Halles centrales.

Lettre 1074. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Jacques Le Bourgais, né à Coutances, reçu prêtre dans la congrégation de la Mission le 17 septembre 1645, à l’âge de trente-huit ans.

 

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vu que nous n’avons point l’obligation et qu’il est juste que cela revienne aux parents du défunt. Son père vit, ce me semble.

Vous ferez bien de sortir d’affaires avec M. Voseillan, pour les rachats des viviers. S’il ne veut relâcher jusqu’aux 125 livres, il faudra lui donner quelque chose de plus plutôt que de plaider.

Il est vrai que nos affaires sont comme faites avec M. Rivière, et vous devez agir en ce qui regarde ses chapelles ainsi que vous faites au reste, sauf que vous devez paraître agissant comme procureur dudit sieur Rivière, attendant que nous ayons tout à fait conclu et arrêté avec lui.

Nous faisons notre possible pour vous envoyer des prêtres et des frères.

Notre intention n’est pas que nul de votre maison offre le sacrifice pour nos défunts au préjudice des obligations que vous avez, auxquelles il faut satisfaire préalablement ; et au lieu des messes, on pourra faire des prières pour nos défunts.

M. Bajoue envoie à M. Cornaire (2) trois livres et à M. Roujon un règlement de la Charité, le tout empaqueté et couvert de papier, dont l’adresse vous en est faite par le messager ; faites-le retirer, s’il vous plaît, et continuez à prier pour moi, qui suis, du cœur que Dieu sait, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Gentil.

1) Guillaume Cornaire, né le 4 juin 1614 à Tincey (Haute-Saône), ordonné prêtre au carême de l’année 1639, entré dans la congrégation de la Mission le 2 décembre 1647, reçu aux vœux au Mans le 23 novembre 1653, placé à Fontainebleau en novembre 1661. Le frère Chollier a écrit sa notice, qui ne nous a pas été conservée.

 

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1075. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 15 novembre 1648.

Il se faut garder de donner aucun sujet de mécontentement à Messieurs les grands vicaires ; ils sont nos maîtres ; nous devons nous ajuster à leurs volontés, autant qu’il nous est possible. Lors donc qu’ils vous enverront des ecclésiastiques, la compagnie les doit recevoir volontiers et les tenir le temps qu’ils ordonneront, et même les prêtres qu’ils y enverront pour recevoir correction, sauf à leur représenter humblement que vous êtes surchargés, s’il en est ainsi, ou les autres inconvénients qui peuvent survenir. Il est aussi fort convenable que la compagnie suive leurs intentions touchant les missions, pour n’en entreprendre aucune sans leur consentement, ni sans leur demander les lieux. Nous devons avoir pour maxime de ne jamais nous étonner des difficultés présentes, non plus que d’un vent qui passe, pource qu’avec un peu de patience on les verra dissiper. Le temps change tout. J’ai lu dans l’histoire des Jésuites que le Pape qui succéda à celui qui érigea leur compagnie en religion (1), les obligea à porter un chaperon ; cela leur était un peu dur, et pourtant il fallut passer par là durant sa vie ; mais après sa mort ils quittèrent aussitôt le chaperon (2). De même, si maintenant on exige de vous quelque chose qui ne vous revienne pas, coulez doucement un peu de jours ; la vicissitude des choses vous délivrera bientôt de cette sujétion. Dieu nous élève et nous abaisse, il nous console et nous afflige, selon qu’il nous voit disposés à profiter de ces états.

Lettre 1075. — Reg. 2, p. 107.

1) Religion Ordre religieux.

2). L’habit de chœur. Paul IV avait quatre-vingt-trois ans, quand il prit cette mesure. Il mourut l’année suivante.

 

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1076 - HENRI DE MAUPAS DE TOURS, ÉVÊQUE DU PUY,

A SAINT VINCENT

Monsieur,

Deux affaires très importantes a la gloire de Dieu m’obligent de vous faire ces lignes.

Les désordres de l’abbaye de Monestier (1), Ordre de St-Benoît, dans ce diocèse, à 4 lieues du Puy. Elle dépend de Messieurs de Sansterre. Les Pères de la réforme de St-Maur qui demeurent à l’abbaye de St-Germain-des-Prés, vous en diront toutes nouvelles. J’en revins hier où j’ai fait sommation au prieur de châtier un religieux… (2) qui avait sa concubine dans sa chambre quand j’arrivai, laquelle doit accoucher dans huit jours.

Les violences et les sacrilèges que les soldats du régiment du Languedoc, commandés par le sieur de Valon ont commis dans une église de mon diocèse depuis trois jours en çà. Je vous supplie très humblement d’en informer la reine au plus tôt. J’en écris à Monsieur l’argentier plus au long. Je crois qu’il vous montrera ma lettre. Il y va de la gloire de Dieu. Les autels ont été profanés, le saint ciboire dérobé, et le calice dans lequel on consacrait tous les jours. J’appréhende que Dieu ne fasse sentir sa colère à ceux qui ont l’autorité en main, s’ils n’arrangent sa querelle. J’enverrai homme exprès dans huit jours à la cour pour porter les informations et les plaintes.

C’est, Monsieur votre très humble serviteur.

HENRY,

évêque du Puy.

Du Puy, ce 18 novembre 1648.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission à Paris.

Lettre 1076. — L. a — Dossier de la Mission. original.

1). Commune de l’arrondissement d’Ambert (Puy-de-Dôme).

*Aujourd’hui Le Monastier, chef-lieu de canton de la Haute-Loire.

2) Ce mauvais religieux avait donné un tel scandale que, par respect pour le lecteur nous sommes obligés d’arrêter ici la phrase de l’évêque du Puy. Suite ajouteé à sa place, Cl. L.

 

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1077. — THOMAS TURCHI, SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES DOMINICAINS, A SAINT VINCENT

26 novembre [1648] (1)

Rmus D. Vincent de Paul, Congregationis Missionis superior generalis. Monet ut audivit P. Labat, Biarrotte et fratrem Bernardum, consuluisse, imo remisisse in suam provinciam, ut reconciliarentur et colloquerentur ; exspectare se definitionem colloquii, ut, negotium si illi placet, definiat unionem et pacem illorum, rem sane gratissimam Regi, Reginae et D. Cardinali.

TRADUCTION

26 novembre 1648.

Thomas Turchi prévient Vincent de Paul qu’après avoir entendu les Pères Labat, Biarrotte et le frère Bernard, il leur a conseillé de retourner dans leur province, ou mieux les y a renvoyés, les engageant à négocier en vue de la réconciliation. Il attend le résultat des pourparlers pour décréter l’union et la paix, si les conditions proposées lui plaisent, mesure qui sera très agréable au roi, à la reine et à Monsieur le cardinal.

 

1078. — A JEAN BARREAU, CONSUL DE FRANCE, A ALGER

4 décembre 1648.

Nous ne pouvons mieux assurer notre bonheur éternel qu’en vivant et mourant au service des pauvres, entre les bras de la Providence et dans un actuel renoncement de nous-mêmes, pour suivre Jésus-Christ.

Lettre 1077. — Arch. de la Mission, copie prise à la maison généralice des Pères dominicains, Epistolae R. P. Turchi, IV, 88, p. 20.

1). Date imposée par la place du document dans le registre.

Lettre 1078. — Reg. 2, p. 34.

 

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1079.— LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Décembre 1648] (1)

Monsieur,

Nous sommes bien empêchées de donner une personne pour aller à l’assemblée chez Madame la duchesse d’Aiguillon, ne lui pouvant donner autre instruction que lui mettre nos papiers entre les mains. Et comme je crois que l’intérêt de tous les autres est semblable au nôtre, j’ai pensé que peut-être mon fils pourrait s’y trouver et faire comme les autres, si ce n’était Monsieur, que votre charité treuvât bon que nous baillassions nos papiers à celui qui s’y treuvera pour votre maison.

Nous attendrons l’ordre qu’il vous plaira nous donner, priant Dieu qu’il vous donne parfaite santé pour sa gloire, étant Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1080. — ÉTIENNE BLATIRON A SAINT VINCENT

Gênes, 10 décembre 1648.

Pendant une mission donnée à Lavagna (1), plusieurs bandits se sont convertis.

 

1081. — A RENÉ ALMÉRAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 11e décembre 1648.

Dieu soit béni, Monsieur, de ce que votre famille marche présentement de bon pas ! Il plaît à Dieu que quelquefois les communautés tombent en telle désolation qu’il semble que tout est perdu ; mais après il les

Lettre 1079. — L. a. — Origina ! communiqué par la supérieure des Filles de la Charité de la rue Oudinot, 3, Paris.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

Lettre 1080. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. IV, 1er éd., p. 71

1). Petite ville de la province de Gênes et patrie d’Innocent IV.

Lettre 1081. — Reg. 2, p. 229.

 

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élève en meilleur état qu’elles n’étaient. Les touches d’en haut sont toujours salutaires. Je vous prie de demander à Dieu pour moi, comme je ferai pour vous, que jamais notre esprit s’étonne de voir de la décadence en nos maisons. Il abat et redresse quand bon lui semble ; et l’abaissement qu’il fait de quelque [personne] dont il prétend se servir, est un présage de sa future élévation. La défiance de votre conduite est bonne ; mais ne faut-il pas se confier en Notre-Seigneur et ne faut-il pas le laisser faire, puisque c’est lui qui conduit, et non pas nous ?

 

1082 — THOMAS TURCHI A SAINT VINCENT

Rome, ce 21 décembre 1648.

Monsieur et Révérendissime Père Vincent,

Je me sens très obligé à votre zèle pour le bien des affaires de mon Ordre, et au soin que vous avez pris de remettre les Pères anciens de la province toulousaine dans les voies de leur devoir, dont la vanité et le libertinage les a détraqués et leur a fait inventer des griefs où ils auraient eux-mêmes mis leur bien et leur repos. le n’ai fait, Monsieur, l’union dont ils se plaignent qu’à leur instance et par leur consentement pour accorder leurs querelles et différends particuliers, où ils étaient depuis deux ans, sans provincial, dans la confusion et dans les factions et partialités où les prétentions de quelques-uns et entre autres des Pères Biarrotte et Marrin (1) les avaient jetés. Le piteux état où je trouvais les couvents de cette province, y faisant ma visite, tant pour le temporel que pour le spirituel, les débris des maisons qui tombaient en ruines à Marciac (2) La Réole, le Port Sainte-Marie (3), etc., par la mauvaise économie

Lettre 1082. — Arch. de la Mission, copie prise à la maison généralice des Pères dominicains, Epistolae R. P. Turchi IV, 88, p. 118.

1) Peut-être Martin.

2). Chef-lieu de canton dans l’arrondissement de Mirande (Gers).

3). Chef-lieu de canton dans l’arrondissement d’Agen (Lot-et-Garonne).

 

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et le peu de zèle du bien commun et de l’observance des officiers, les scandales arrivés de tous côtés, comme à Bergerac, Agen, Marciac, La Réole, le Port Sainte-Marie, etc., les plaintes générales des séculiers, qui n’étaient ni servis ni édifiés, enfin les prières communes de tous et eux-mêmes se voyant sans novices, sans études et sans moyens ni espérance d’en pouvoir avoir, à cause de la petitesse et pauvreté de leurs couvents, m’obligèrent à apporter ce remède efficace et unique à tant de maux présents et à venir par ladite union de cette province si misérable et au reste la deuxième de l’Ordre, à la congrégation de Saint-Louis de decà la Loire, dont les couvents sont en bonne odeur et pour le spirituel et pour le temporel et ont moyen d’élever dans l’observance et la science nombre de novices et écoliers, pour réparer les brèches de cette province autrement irréparables, et y insinuer insensiblement et amoureusement les principes et pratiques de la vie régulière, qui est le fondement et l’unique arc-boutant des maisons religieuses. Ces considérations, Monsieur, qui avaient cimenté cette union, les eussent portés à l’entretenir et chérir si l’ambition et vanité de quelques messieurs ou docteurs ne les eût changés, se voyant privés de la charge de provincial [tant] pour n’avoir rien (?) qui tendît à l’observance régulière qui était l’unique chemin pour le bien et conservation de l’observance dans les couvents où elle était déjà que pour obliger les autres à la recevoir et embrasser et ce conformément aux ordres et volontés des rois très chrétiens d’heureuse mémoire Henry IV et Louis XIII, qui ont toujours fait instance aux chapitres généraux et aux généraux de l’Ordre que les provinciaux de France fussent de l’observance et les novices élevés dans les maisons de l’étroite observance, qui est un de leurs autres griefs, pour lesquels ils ont bien osé ici par les artifices du P. Labat, lors leur procureur en cette cour, extorquer sous faux exposés et subrepticement, des bulles de Committimus in partibus contre le bref du Pape Urbain VIII, d’heureuse mémoire, les ordres des chapitres généraux et le décret de la Congrégation des Réguliers tout fraîchement donné qui les condamne de m’obéir, sur et après avoir vu tous leursdits griefs. Si bien, Monsieur, qu’en cette affaire portée avec tant de violence et de hardiesse contre l’honneur de cette cour, fort indignée d’avoir été surprise, contre l’autorité de la Congrégation des cardinaux, contre les ordres du Roi, qui a bien daigné, par ses patentes, confirmer ledit décret d’union, et contre la disposition des parlements de Toulouse et Bordeaux, qui l’ont homologué, enfin contre les bonnes intentions de M. le cardinal, par l’avis duquel j’ai noué toute cette affaire, je ne puis me relâcher en chose quelconque qu’ils

 

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n’aient auparavant obéi et réparé, par leur obéissance et leurs soumissions, les mauvaises semences de rébellion et irrévérence que leurs violences et surprises ont jeté dans les esprits des religieux, de très dangereuse suite et exemple si j’y déférais le moins du monde, quand bien mon devoir et ma conscience me le permettraient. Et partant, Monsieur, je vous prie trouver bon qu’ils m’obéissent, et après je leur ferai connaître que je suis leur père et toujours en état de leur faire grâce, quand ils seront dans les termes de la recevoir, c’est-à-dire dans leur devoir.

Je ne puis à présent autre chose, étant obligé aux intérêts de cette cour et de mon Ordre, vous étant beaucoup obligé d’avoir voulu les porter à leur devoir. Dieu veuille qu’ils vous croient ! Et de ces difficultés vous voyez Monsieur, combien il y a de peine de contenter tout le monde et que, lorsque Messeigneurs les évêques font instance pour la réforme des couvents, a combien d’affres et de difficultés il faut se résoudre, et qu’il est beaucoup plus aisé de souhaiter ce bien que de l’exécuter, et que, si je ne réponds pas… de leurs bons désirs sitôt que comme ils le souhaitent, que c’est plus faute de moyen que de bonne volonté, puisque ce m’est une de mes plus grandes consolations de voir mon Ordre dans l’observance et dans l’état de sa vocation.

Je prie Dieu qu’il vous continue ses grâces et bénisse vos saintes intentions, pour lesquelles si je puis ici quelque chose, je vous prie m’employer ici avec autant de liberté que j’ai de confiance en votre piété. je [me] suis déjà offert ici pour tout ce que je puis à vos bons Pères et enfants qui sont ici.

Je vous prie me croire….

 

1083. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

De Paris, ce jour de [Noël 1648] (1).

M [onsieur,]

[La grâce de] Not[re-Seigneur soit avec vous pour j[amais].

[Puisqu’]il a p[lu à Dieu bénir les travaux] q[ue vous avez]

Lettre 1083. — L. s. — Dossier de la Mission, original. Ce document est en très mauvais état

1) La date se trouvait sur la partie de l’original rongée par l’humidité ; elle a été reproduite au dos de la lettre.

 

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faits [et leur donner bon succès], je le prie qu’il soit lui-même votre récompense] et que toutes ses créatures l’en g[lorifient]. Il voit la reconnaissance que j’en ai, et cela me console, dans l’impuissance ou je suis de l’exprimer par paroles. Plaise à sa divine bonté que les âmes que vous avez secourues fassent un saint usage des lumières qu’elles ont reçues, et que celles que vous allez secourir ressentent les effets de sa miséricorde !

Je n’ai pas regret de Ce que vous êtes passé de l’une mission à l’autre sans retourner au logis, sinon pource que vous vous privez d’un peu de repos, craignant fort que l’excès du travail vous accable. Au nom de N.-S., Monsieur, ménagez-vous.

Mardi dernier partirent d’ici notre frère Ennery (2), notre fr[ère] Claude et un autre bon frère coadjuteur, tous bien aises de vous aller rendre leurs services et soumissions. Ils se mirent dans le coche de Lyon avec un prêtre et un clerc de [notre compagnie] qui s’en vont en Barbarie. [Le premier, qui se nomme M.] Dieppe (3) [va à A]lger à la place [de M. Lesage,] et l’a[utre à] Tunis pour [faire l’office de] cons[ul de la nat]ion française ; [en cette qualité, il est char]gé de [fa]ciliter [le rachat des esc]laves. [Il se nom] me Huguier (4), [à la] connaissance des affaires dans le monde et est bien craignant Dieu.

2) Jean Ennery, né en décembre 1616, à Castle Mak Ennery (diocèse de Limerick, Irlande), entré dans la congrégation de la Mission le 23 septembre 1642, reçu aux vœux le 11 octobre 1645. C’était ; au dire de saint Vincent (Abelly, op. cit., 1. III, p. 48) un "homme sage, pieux et exemplaire" Il professa la théologie à Saint-Lazare (1652), secourut les malheureux habitants de la Champagne éprouvés par la guerre (1653) et assista ceux de ses compatriotes qui s’étaient réfugiés à Troyes (1654). Envoyé à Gênes, il y mourut de la peste en 1657

3). Jean Dieppe, né à Cancale (Ille-et-Vilaine), reçu dans la congrégation de la Mission le 5 août 1647, à l’âge de trente ans, mort de la peste à Alger le 2 mai 1649. Il avait quitté Paris le 22 décembre.

4). Benjamin-Joseph Huguier, né à Sézanne (Marne) le 10 mars 1613,

 

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Il a plu à Dieu de disposer du bon M. de Fargis (5), qui était parmi nous depuis un an et qui nous consolait beaucoup, étant fort pieux et de bon exemple. Nous nous entretiendrons de lui un de ces jours. Je vous prie de prier et de faire prier Dieu pour son âme, sans oublier la mienne, qui chérit tendrement la vôtre et votre petite famille, que je salue en esprit d’humilité et d’affection.

Si notre frère Robert se veut faire religieux, à la

procureur au Châtelet de Paris avant son admission dans la congrégation de la Mission, où il entra le 15 septembre 1647, reçu aux vœux en 1651 après son retour en France, ordonné prêtre en février 1655. Après son ordination, il devint aumônier des galériens de Toulon. Cependant la Barbarie l’attirait. Il fut envoyé à Alger le 19 septembre 1662, avec le titre de vicaire apostolique. La peste y exerçait alors de terribles ravages. Il contracta la maladie au chevet des mourants qu’il allait assister et succomba lui-même en avril 1663. (Mémoires de la congrégation de la Mission, t. II, p. 221-230.)

5). La famille de Charles d’Angennes, seigneur de Fargis, s’était fait un nom dans les armes et la diplomatie. Par son mariage avec Madeleine de Silly, sœur de Madame de Gondi (vers 1610), il devint comte de la Rochepot. Il est probable que saint Vincent le vit plus d’une fois chez le général des galères, quand il y était aumônier. M. de Fargis fut ambassadeur en Espagne de 1620 à 1626. Le 1er janvier 1626, il signa le traité de Monçon, qui fut désavoué par Richelieu et conclu sur de nouvelles bases le 6 mars. On sait que la reine-mère, mécontente de la politique et de l’influence de Richelieu, avait groupé autour d’elle un certain nombre de personnages disposés à renverser le puissant ministre. Madame de Fargis, sa dame d’honneur, qui était de l’opposition, prit part aux intrigues. Condamnée à mort en 1631, elle s’enfuit à l’étranger et mourut à Louvain en 1639. Son mari fut enfermé pour le même motif à la Bastille le 14 février 1633. Peu d’années après, il eut la douleur de perdre son fils, tué au siège d’Arras, le 2 juin 1640, à l’âge de vingt-sept ans. Il lui restait une fille Henriette, alors au Port-Royal. Malgré les pressantes démarches de son père, elle refusa de se marier, préférant passer sa vie dans cette abbaye, où elle mourut le 3 juin 1691, après en avoir été longtemps abbesse. M. de Fargis quitta le monde et entra dans la congrégation de la Mission le 31 décembre 1647. Il mena au séminaire une conduite si exemplaire que saint Vincent avoue "ne lui avoir jamais vu commettre un seul péché véniel". Il mourut le 20 décembre 1648 (Notices, t. II, pp. 425-430)

 

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bonne heure, laissez-le faire, attendu que depuis si longtemps on n’a pu lui ôter la fantaisie d’étudier. Notre-Seigneur nous fasse part de son humilité, de sa patience et de sa charité, en l’amour de laquelle je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : [A Mo] nsieur [Monsieur] Blatiron, supérieur [des prêtres] de la Mission, à Gênes.

 

1084. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[Décembre 1648 ou janvier 1649] (1)

Monsieur,

Il a plu à Dieu nous ôter le bon frère de Fargis un an après que sa bonté nous l’avait donné. Il était comte de Rochepot et seigneur de Fargis ; il avait épousé la sœur de Madame la Générale des galères, notre première fondatrice ; il avait été ambassadeur du roi en Espagne. Il décéda le 20e du mois de décembre. En sa mort comme en sa vie, il a paru fort détaché et tout plein de Dieu. Certes, Monsieur, il nous a été un grand exemple pendant que nous avons eu le bonheur de le posséder, en sorte que je ne lui ai jamais vu commettre un seul péché véniel. Je recommande son âme à vos prières et je prie Notre-Seigneur qu’il sanctifie la vôtre de plus en plus. Je ne doute point de votre courage pour l’imiter.

Lettre 1084. — Manuscrit de Lyon.

 

- 400 -

1085. — AU MARQUIS DESPORTES

Ce dernier jour de l’an 1648.

Monsieur,

La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire est digne d’une âme vraiment chrétienne comme la vôtre. Je ne puis vous exprimer, Monsieur, combien je reste édifié de vos sentiments pour la prélature et de vos dispositions touchant la pension, pour laquelle je vous rendrai tous les services qui me seront possibles. Le bon usage que vous en voulez faire m’y oblige doublement ; à quoi néanmoins je prévois deux difficultés : la première est que l’on ne donne point de pensions ecclésiastiques qu’à ceux qui le sont, qui en portent l’habit et qui en effet vivent conformément à cela. Je sais, Monsieur, que vous avez l’esprit ecclésiastique et que cette difficulté n’a point de lieu à votre égard. Mais en voici une seconde qui est fort à craindre ; c’est que la reine et Mgr le cardinal (1) se trouvent si fort accablés de demandeurs de toute sorte qu’ils n’ont aucune liberté de considérer ceux qui le méritent le plus. On leur arrache les pensions comme les bénéfices, et on les empêche de disposer à leur gré des uns et des autres. Je ne laisserai pas, Monsieur, de leur parler de vous aux occasions et en la manière que Dieu sait. Il est vrai que votre nom est trop illustre et votre mérite trop connu pour avoir besoin d’être préconisés, et peut-être que l’estime que Sa Majesté et S [on] E [minence] en font les obligera de vous donner contentement plus tôt que je n’ose espérer. Je prie N.-S. que cela soit.

Lettre 1085. — Reg I, f° 30. Le copiste note que la lettre a été écrite par le secrétaire et signée par le saint.

1). Le cardinal Mazarin.

 

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Il a plu à sa divine bonté nous ôter le bon M. de Fargis, un an après qu’elle nous l’avait donné ; il décéda le 19 de ce mois (2). En sa mort comme en sa vie, il nous a paru fort détaché et tout plein de Dieu. Certes, Monsieur, il nous a été à grand exemple pendant que nous avons eu le bonheur de le posséder, en sorte que je ne lui ai jamais vu commettre un simple péché véniel. Je recommande son âme à vos prières et je prie N.-S. qu’il sanctifie la vôtre de plus en plus. Je ne doute point, Monsieur, de votre courage pour l’imiter en sa retraite, s’il vous était possible ; ains je crois que vous vivez chez vous aussi pieusement et religieusement que vous feriez dans un cloître. O Dieu ! Monsieur, qu’il fait bon se disposer ainsi à l’éternité bienheureuse, en l’amour de laquelle je suis, Monsieur, votre…

VINCENT DEPAUL.

 

1086. — A LAMBERT AUX COUTEAUX, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT-LAZARE

De Fréneville, ce 18 janvier (1) 1649.

Vincent de Paul écrit qu’il n’est pas expédient de mettre en vente le blé conservé dans les greniers de Saint-Lazare. Mieux vaut le prêter à usure au bon Dieu en faisant l’aumône aux pauvres. Si l’aumône d’un setier de blé par jour ne suffit pas, qu’on en donne deux.

2) Nous lisons dans la lettre précédente que M. de Fargis est mort le 20. La contradiction serait-elle due à une erreur de copiste ou a un oubli du saint ?

Lettre 1086. — Lettre signalée par le frère Pierre Chollier dans sa déposition au procès de béatification de saint Vincent

1) Le 18 janvier, saint Vincent était encore à Villepreux ; par suite il y a ici erreur ou sur la localité ou sur la date. La lettre pourrait bien être du 28.

 

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1087. — A ANTOINE PORTAIL

De Villepreux, ce 22 janvier 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne sais si vous m’avez écrit par l’ordinaire qui arriva la semaine passée ; je n’ai point reçu lettre de votre part, mais oui bien de M. Chrétien et de Tunis. Je ne vous écrivis point la semaine passée ; vous en savez la cause, comme je crois. Je partis de Paris le 14e de ce mois pour aller à Saint-Germain, à dessein d’y rendre quelque petit service à Dieu ; mais mes péchés m’en ont rendu indigne ; et après 3 ou 4 jours de séjour, je me suis rendu en ce lieu, d’où je partirai après demain pour aller visiter nos maisons (1) Il plaît à Dieu que je sois maintenant inutile à toute autre chose. J’irai

Lettre 1087. _ L s — Dossier de Turin, original.

1) Se sentant peu en sûreté dans Paris, la reine s’était retirée à Saint-Germain-en-Laye, suivie de la plus grande partie de la cour. Le parlement, les grands et le peuple étaient prêts à tout pour obtenir le renvoi de Mazarin. Tout Paris était sous les armes. Saint Vincent, ému des malheurs qui se préparaient et de ceux qui désolaient déjà la capitale, résolut une démarche auprès d’Anne d’Autriche, qui l’écoutait volontiers. Il partit le 14, avant le jour, accompagné de son fidèle secrétaire, le frère Ducournau, qui a laissé de ce voyage un récit utilisé par Collet. A Clichy, des gens armés de piques et de fusils se précipitèrent sur les deux voyageurs. Le saint n’aurait peut-être pas échappé au danger si l’un des assaillants n’eût reconnu en lui son ancien curé et calmé ses compagnons. A Neuilly, la Seine était débordée ; Vincent de Paul la traversa courageusement sur son cheval. Il arriva à Saint-Germain entre neuf et dix heures, vit la reine et lui dit nettement que son devoir était de renvoyer son ministre. Introduit devant Mazarin, il lui parla avec la même franchise. Mazarin, un moment étonné, lui répondit il se sacrifierait volontiers si tel était l’avis de Le Tellier. L’avis de Le Tellier, on le devine, fut négatif. Trois jours après, le saint, muni d’un passeport et protégé par une escorte, prenait le chemin

 

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droit au Mans, et puis en Bretagne. Je vous ai mandé que M. du Chesne irait à Marseille ; mais, certes, il est trop nécessaire à Saint-Lazare. Je vous prie, Monsieur, d’avoir patience et de faire comme vous pourrez et pour les sujets et pour la subsistance ; nous sommes dans l’impossibilité de vous rien fournir, non plus qu’aux autres maisons qui ont leur revenu sur les coches, lesquels ne vont plus ; et, selon les apparences, nous n’en retirerons de longtemps aucune chose, non pas même de ce que les fermiers nous doivent. Ceux des aides ne nous payeront non plus, tandis que ces troubles dureront. Tout cela ne vous exprime pas encore assez l’extrémité où se trouve le pauvre Saint-Lazare (2), Dieu soit loué ! Quel moyen donc, me direz-vous, que la maison de Marseille s’entretienne ? Il faut premièrement et sans barguigner renvoyer tous vos séminaristes qui ne payent une pension suffisance ; 2° dire à Mgr de Marseille (3) ce qui se passe, afin de l’exciter à vous subvenir de quelque chose ; et en troisième lieu, tâcher de trouver des messes. J’ai regret de vous dire ceci ; mais la

de Villepreux Il ne pouvait retourner à Paris, où la nouvelle de sa visite à la cour risquait de soulever contre lui la colère du peuple, déjà excité par le bruit du mariage secret de la reine et de Mazarin béni, disait-on, par Vincent lui-même. (Cf. Collet, op. cit., t. I, p. 468) La démarche du saint supposait beaucoup de courage, car la reine s’irritait contre tous ceux qui lui parlaient de s’adoucir. (Cf. la France au milieu du XVIIe siècle, d’après la correspondance de Guy Patin, Paris, 1901, in-l6, p. 11)

2). Quand il écrivait ces lignes, saint Vincent ignorait encore que six cents soldats, logés à Saint-Lazare, avaient pillé et saccagé la maison, enlevé les portes, vendu une partie du blé et mis le feu aux provisions de bois. (Cf. Abelly, op. cit., 1. I, chap. XXXIX, p. 1182) Collet, op. cit. t. I, p. 471) A cette nouvelle, la ville avait ordonné au colonel de Lamoignon d’envoyer chaque jour des soldats, jusqu’à nouvel ordre, à la maison de Saint-Lazare pour sa "sûreté et conservation" (Cf. Registres de l’hôtel de ville de *Paris pendant la Fronde, éd. par MM. Le Roux de Lincy et Douet d’Arcq, Paris, 1847, 3 vol. in-8°, t. I, p. 204.)

3). Etienne de Puget (1644-1668).

 

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nécessité prévaut à toute autre considération. Enfin faites votre possible pour ne pas nous engager.

Ceux de Barbarie doivent être avertis de ce qui se passe, afin qu’ils ménagent leur dépense. J’en écris à M. Le Vacher (4). Et pource qu’il me mande que le frère qui va pour proconsul (5) a besoin de faire plusieurs présents en entrant en charge, et que nous ne pouvons lui rien envoyer pour cela, j’estime qu’il fera bien de différer son passage, et je vous prie de le retenir pour encore.

Je suis en peine de la faute qu’a faite M. Le Vacher, permettant l’imposition sur les barques de France, pour payer les dettes d’un particulier. Les marchands de Marseille ont raison de s’en plaindre. Je vous prie de les voir de ma part, et, après leur avoir demandé pardon, savoir d’eux quel moyen il y a de remédier à cette faute ; à quoi je m’emploierai volontiers ; et dès maintenant je m’en vais écrire en cour pour avoir une lettre du roi au day, à ce qu’il ne souffre point aucune levée sur les vaisseaux français, pour laisser le commerce libre. Je prierai aussi Madame la duchesse d’Aiguillon de presser les expéditions et pour la survivance et pour la commission du consulat de Tunis (6).

Le doute que les postes aillent et que la présente vous soit rendue, m’oblige à finir pour vous assurer que je suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l.M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Marseille.

4) Jean Le Vacher.

5) Benjamin Huguier, clerc de la Mission.

6). Martin de Lanne, consul à Tunis, était mort sur la fin de

 

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1088. — A LOUISE DE MARILLAC

De Fréneville, ce 4 février 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Me voici encore à Fréneville (1) où ce temps si froid m’a surpris, à l’occasion de la fête que j’y ai voulu passer, pour aider à disposer ces bonnes gens pour se donner à Dieu, afin qu’il lui plaise leur faire la grâce de faire bon usage des afflictions qu’ils attendent.

Nos chères sœurs (2) me paraissent de plus en plus unies et aimant leur vocation, et s’en acquittent bien, Dieu merci ; elles nous donnent de leur pain bis, où le fermier mêle de l’orge dans le sien ; cela est venu de leur charité ; nous leur donnerons du blé en récompense. Elles nous ont aussi envoyé des pommes, que les bonnes gens leur ont données. Elles se confessent à M. Le Gros (3), depuis le temps qu’elles avaient été à quelqu’un de

juillet 1648. La duchesse d’Aiguillon, qui avait déjà acheté le consulat d’Alger, fit, pour les mêmes motifs, l’acquisition du consulat de Tunis, qu’elle offrit, avec la permission du roi, à la congrégation de la Mission.

Lettre 1088. — Cette lettre a été publiée, d’après l’original, dans la Notice sur la conservation et la translation des reliques de saint Vincent de Paul p 9.

1). Forcé par le froid et les neiges de séjourner à Fréneville, saint Vincent n’y resta pas inoccupé. A la suite d’un sermon sur les moyens de calmer la colère de Dieu et sur l’attitude à garder au milieu des ruines que menaçait de causer la guerre civile, les habitants de Valpuiseaux firent presque tous leur confession. (Cf. Collet, op. cit., t. I, p. 472-473.)

2). La sœur Toussainte et la sœur Jeanne Fouré, de Loudun.

3). Jean-Baptiste Le Gros, né en 1614 au diocèse de Coutances, entré prêtre à Saint-Lazare le 24 juin 1644, reçu aux vœux le 29 juin 1646, procureur de la maison-mère de 1648 à 1651, supérieur au séminaire Saint-Charles en 1651, à Richelieu de 1651-1655, mort le 5 novembre 1655 à Montech (T.-et-G.) (Cf. Notices, t. III, pp. 146-148 ; ms. de Lyon, f° 226-230)

 

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nous, et ont fait de même à nous, depuis qu’elles ont été à M. Le Gros. Cette pratique me paraît bonne.

Je vous trouve bien courageuse de tenir ainsi bon dans votre maison. L’on parlait du fou (4) d’autrefois, et c’est ce qui me fit vous écrire ce que je vous ai écrit. L’on n’en viendra pas à cet excès, comme je crois.

Notre-Seigneur vous donne de la santé parmi tout cela ; je l’en remercie de tout mon cœur et le prie à la sainte messe, où je vous vois devant Dieu tous les jours, qu’il vous conserve.

Dès que le beau temps sera venu, j’espère partir et d’aller droit à Angers, Dieu aidant, où Dieu sait de quel cœur j’y verrai vos filles.

M. Escart m’a parlé d’une, qui est à Bicêtre, qui gêne bien les autres ; il sera bon que vous voyiez ce qu’il y aura à faire.

Voilà, Mademoiselle, ce que je vous dirai pour le présent, sinon que je me recommande à vos prières et à celles de nos chères sœurs, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1089. — A JACQUES NORAIS (1)

[De Fréneville, ce] 5 février 1649.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Mon Dieu ! Monsieur, que j’ai senti et sens, au moment

4). C’est le mot que porte le texte. La lecture est sans doute fautive

Lettre 1089. — Reg. I, f° 15, copie prise sur la minute autographe.

1) Coseigneur d’Orsigny, secrétaire honoraire du roi.

 

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que je vous parle, de la douleur de La perte que vous avez faite au pillage qui a été fait en votre maison d’Orsigny ! Je vous avoue, Monsieur, que le dommage que nous avons reçu et que nous pouvons encore recevoir ne m’est rien en comparaison. Nos péchés nous ont rendus coupables de toutes ces pertes. Mais vous, Monsieur, qu’avez-vous fait et qu’a fait notre bonne Mademoiselle, que N.-S. a chargée d’une si pesante croix que celle de sa longue et douloureuse maladie ! Il vous a visités tous deux par vos propres entrailles, par une longue et fâcheuse maladie, et en vos biens ; quel nom donnerons [-nous] (3) à cette conduite de Dieu sur vous ? Certes, Monsieur, je n’en vois point de plus rapportante en quelque façon que celle qu’il a tenue sur Job, qu’il a affligé en ces trois manières. O Monsieur, quel bonheur d’être traité en ce monde comme ce grand saint, que Dieu montrait comme le parangon des justes, qui ne dit ni ne fit jamais rien qui déplût à sa divine Majesté ! Ajoutez à cela, Monsieur, que c’est un Dieu qui l’a fait, sans l’ordre duquel rien ne se fait, et que sa divine bonté, qui vous chérit plus tendrement que jamais père n’aima son enfant, l’a fait pour se glorifier en vous deux, pour sanctifier vos chères âmes de plus en plus et pour faire voir au ciel et à la terre l’amour qu’il a pour vous, et l’estime qu’il fait de votre vertu, puisqu’il la met à une telle épreuve. Un païen nous apprend qu’en ces occasions il se faut soumettre à la Providence ; et le Fils de Dieu, qui l’entendait mieux que lui, nous dit que c’est être bien heureux que de souffrir en pareils rencontres, et que sa gloire est la récompense de ceux qui le font avec patience pour l’amour de lui. Il le faut bien dire : un esprit moins bien appris en l’école de Jésus-Christ que

2) Elisabeth Merault, épouse de Jacques Norais

3) Mot oublié par le copiste.

 

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Monsieur et Mademoiselle Norais [l’accepterait] (4) puisque c’est une nécessité et qu’il n’y a point de remède ; mais je m’assure que votre piété, qui sait bien que la charité convertit la nécessité en vertu, par l’agrément du bon plaisir de Dieu, dans toutes les afflictions que nécessairement nous souffrons, saura bien entrer en cette béatitude et en rapporter le mérite de la gloire. Selon cela, Monsieur, il est vrai de dire que ce qui paraît une perte pour vous selon la chair, est un grand avantage selon l’esprit et un sujet grand de rendre grâces à Dieu.

 

1090. — AUX DAMES DE LA CHARITÉ

[De Fréneville, ce] 11 février 1649.

Mesdames,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

La providence de Dieu m’ayant éloigné de vous, je ne laisse pas de vous voir souvent au saint autel et de vous offrir, vous et vos familles, à N.-S., dans la confiance que j’ai que votre charité demande à Dieu miséricorde pour moi. Je vous supplie très humblement, Mesdames, de me faire cette grâce et de vous assurer que, s’il plaît à Dieu d’avoir égard aux prières que je lui offre et continuerai de lui offrir incessamment pour vous, que vous serez consolées et protégées de sa spéciale protection, dans les communes afflictions dont il plaît à sa divine Majesté de nous éprouver.

Vous aurez pu savoir, Mesdames, comme Dieu m’a donné l’occasion d’aller visiter les maisons de notre petite compagnie, où je m’en vas, avec dessein de revenir, lorsque l’état des choses] le permettra. Que ferons

4) Mot oublié par le copiste.

Lettre 1090. — Reg. I, f° 27 v°.

 

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nous cependant, Mesdames, des œuvres que le bon Dieu vous a commises, particulièrement de la Charité de l’Hôtel-Dieu et des pauvres enfants trouvés ? De vérité, il semble que les misères particulières nous dispensent du soin des publiques, et que nous aurions un bon prétexte devant les hommes pour nous retirer de ce soin ; mais certes, Mesdames, je ne sais pas comme il en irait devant Dieu, lequel nous pourrait dire ce que saint Paul disait aux Corinthiens, qui se trouvaient en pareil accessoire (1) : "Avez-vous encore résisté jusques au sang (2) ?" ou pour le moins, avez-vous encore vendu une partie des joyaux que vous avez ? Que dis-je, Mesdames ? Je sais qu’il y en a plusieurs entre vous, et je crois le même de tant. que vous êtes, qui avez fait des charités, lesquelles seraient trouvées très grandes, non seulement en des personnes de votre condition, mais aussi en des reines ; les pierres le diraient si je m’en taisais ; et c’est pour l’excellence de vos cœurs incomparablement charitables que je vous parle de la sorte. Je me garderais bien d’en user ainsi à l’endroit d’autres personnes moins animées de l’esprit de Dieu que vous êtes.

Mais que ferons-nous donc ? Il semble qu’il est à propos de mettre en question, Mesdames ! s’il est expédient que vous fassiez la grande assemblée qu’on avait proposée. Quand, où et comment ? Il y a des raisons pour et contre.

Il semble premièrement qu’elle se doit faire, à cause que c’est l’usage d’en faire une environ ce temps-ci ; et en second lieu, les besoins étant extraordinaires, il semble que les moyens d’y remédier doivent être aussi extraordinaires, comme ceux d’une assemblée générale.

1) Accessoire, circonstance

2) Épître aux Hébreux XII, 4

 

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Contre cela, il semble qu’elle ne soit pas de saison présentement, à cause du trouble dans lequel l’on est, qui inquiète les esprits et refroidit la charité ; peut-être que plusieurs dames appréhendent de s’y rendre et que celles qui s’y trouveront, si elles n’ont une charité qui passe le commun, s’entrefroidiront les unes les autres ; et puis, Madame la princesse (3) n’y étant pas, ni Mesdames d’Aiguillon et de Brienne (4), il semble qu’il y aurait quelque chose à souhaiter, surtout si l’on pensait à faire quelque changement en la substance de l’œuvre.

Voilà, Mesdames, le pour et le contre qui me tombe dans l’esprit présentement. Vous examinerez cela, s’il vous plaît, à la pluralité des voix. Madame la duchesse d’Aiguillon me dit, lorsque je partis de Saint-Germain, ou m’a écrit depuis, que la reine lui avait dit qu’elle enverrait quelque chose pour les pauvres enfants trouvés. Je ne sais si elle l’a fait. J’ai prié M. Lambert de leur envoyer un peu de blé, et ai écrit à Madame la présidente de Lamoignon, afin qu’elle ait agréable de s’employer vers Messieurs de la ville pour donner escorte au blé, au dedans et au dehors de la ville ; je ne sais, non plus, ce qui en a été fait ; si cela n’est exécuté, je prie l’un et l’autre par celle-ci de faire ce qu’il faudra pour cet effet.

Et pource que cela ne suffit pas, voyez, Mesdames, s’il est à propos d’emprunter, comme officières de la Charité, quelque somme de deux ou trois mille livres, pour subvenir aux besoins plus pressants. J’écris à

3) Charlotte de Montmorency, princesse de Condé.

4). Louise de Béon, femme d’Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, seigneur de Bassy, secrétaire d’État aux affaires étrangères. Madame de Brienne prit une part active, comme dame de la Charité, aux bonnes œuvres de saint Vincent et de Louise de Marillac. L’œuvre des Filles de la Providence lui doit aussi beaucoup. Elle mourut le 2 septembre 1665.

 

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M. Lambert qu’il s’oblige aussi à notre nom ; que si l’on a peine de s’obliger, il est expédient de faire un effort chacun de nous à cet effet ; en ce cas, je prie M. Lambert de faire ce qu’il faudra de notre part. J’avoue, Mesdames, que ce que je dis est un peu chargeant ; mais cela serait encore plus vrai si je le disais à des personnes moins charitables que vous. Après tout, je prie N.-S., qui préside ès assemblées qui se font en son nom, comme la vôtre, qu’il vous fasse connaître ce qu’il désire de vous en cette occasion et vous fasse la grâce de l’accomplir.

Ces grandes froidures m’ont retenu en ce lieu (5) et le feront encore jusqu’à ce que le temps soit adouci ; alors j’espère partir pour Le Mans ou pour Angers ou pour tous les deux ; j’espère recevoir là le résultat de votre assemblée, si M. Lambert ne me l’envoie ici par un exprès.

Je prie Dieu cependant qu’il bénisse et sanctifie de plus en plus votre même assemblée et vos chères personnes.

Je suis, en l’amour de N.-S., Mesdames, votre….

VINCENT DEPAUL.

 

1091. — A DENIS GAUTIER

D’Orléans, ce 25 février 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La providence de Dieu vous a rendu le refuge de la

5). Fréneville.

Lettre 1091. — Recueil du procès de béatification.

 

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pauvre Mission de Paris. Voici Monsieur Escart et nos frères Jean Geneset (1) et Ambroise (2) qui vont pour jouir de la charité que vous faites au séminaire. Tous connaissent l’esprit de piété et de l’exacte régularité dudit sieur Escart, et serez édifié, comme j’espère, de nos frères.

Monsieur Lambert m’a écrit que vous avez dessein de faire valoir par vos mains le bois de Bouchard et que vous lui avez demandé ci-devant des frères pour cela. L’un de ceux-ci gouvernait le manège d’Orsigny, d’où vous avez retiré les chevaux que Monsieur Testacy vous amène ; et l’autre est vigneron, qui pourra faire vos vignes.

Et moi j’espère partir demain pour aller commencer la visite par Le Mans. La miséricorde de Dieu m’a donné le temps pour cela. Je suis parti de Paris, il y a plus de six semaines, pour Saint-Germain-en-Laye, où j’ai passé trois ou quatre jours ; et m’étant mis en chemin pour Le Mans, l’on me manda que l’on attendait le pillage d’Orsigny, à ce que je mandasse à nos frères ce qu’ils feraient. Cela m’obligea de prendre le chemin de Fréneville, où, la rigueur de l’hiver m’ayant surpris, j’ai été contraint de passer un mois ; et voici le troisième jour que j’en suis parti, avec un troupeau de deux cent quarante moutons, que je vous envoyais ; mais le mauvais temps nous a contraints de les laisser par les chemins, chez une dame de connaissance. C’est le troupeau que nous avons sauvé du pillage d’Orsigny (3).

1) Jean Geneset, frère coadjuteur, né à Saint-Mihiel, reçu dans la congrégation de la Mission vers 1643, à l’âge d’environ vingt ans, mort en septembre 1652.

2). Ambroise Tumy, frère coadjuteur, né à Argenteuil (Seine-et-Oise), entré dans la congrégation de la Mission le 10 août 1644 à l’âge de vingt ans, reçu aux vœux en décembre 1652.

3) La ferme d’Orsigny était la principale ressource de la maison

 

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Me voici donc sur le point d’aller commencer ma visite au Mans. De là j’espère passer à Angers pour tâcher de retirer ce qui nous est dû par le fermier des aides et vous envoyer ce qu’on vous a destiné. Et de là je pourrai tirer sur Saint-Méen et à Tréguier et revenir de là chez vous ou à Luçon et tâcher de continuer, Dieu aidant, la visite par Tours, si mes forces me le permettent.

O Monsieur, que je me suis affligé de la mort de feu Monsieur du Coudray ! J’avais pensée de le prendre en passant et de l’amener quand et moi, et voilà que Notre-Seigneur en a disposé autrement. Je vous prie, Monsieur, de m’écrire à Angers le détail comme Dieu en a disposé, et d’adresser votre lettre aux filles de Sainte-Marie, si vous trouvez occasion, et non autrement. Je vous prierais de vous y rendre, si j’étais assuré du temps que j’y pourrais être.

Je ne vous dis point des nouvelles de Saint-Lazare, ni de nos petits collèges de Paris (4) ; M. Escart vous les pourra dire ; il en est parti depuis moi. Ce qui est arrivé depuis son départ, c’est que l’on a déchargé cette maison de tout le monde qu’on a pu, pour avoir moyen de continuer l’aumône plus longtemps à deux mille tant de pauvres, auxquels l’on la fait tous les jours, par la grâce de Dieu, en sorte qu’il faut chaque jour quatre setiers de blé, mesure de Paris, pour le moins. Crécy, Troyes et Montmirail secourent leurs pauvres, mûs en cette occasion par l’exemple que vous leur avez donné. Plaise à Notre-Seigneur Jésus-Christ conserver ce support

de Saint-Lazare. Des soldats de l’armée roy