6 - Serm. 3 - (Doc. 14) SERMON DE SAINT VINCENT SUR LE CATÉCHISME
(à Joigny, vers 1615 / 1616)
NOTES
1. «Philippe-Emmanuel de Gondi, comte de Joigny.» L'emploi
des titres de noblesse étant très précis, «cette
ville», dont il va être question dans une phrase barrée,
ne peut être que la ville comtale, Joigny, au sud de Sens.
a. Ici viennent deux phrases, barrées successivement, et suivies
du texte définitif. M. Coste ne les a pas données; or elles
manifestent comment M. Vincent cherchait l'expression de sa pensée,
et précisent le rôle “pastoral” du comte :
«et c'est parce qu'ayant veu ces jours passés la jeunesse
de ceste ville, de bonne façon… - Et c'est parce qu'ayant remarqué
ces jours passés votre jeunesse propre aux lettres et aux armes
en l'entrée que vous luy avez faict, il a désiré voir
quel advancement ils ont à la foy, afin», et suit le texte
définitif.
Ce passage, jamais publié, a son importance: il révèle
que dès cette époque M. de Gondi avait le souci de la formation
chrétienne de ses sujets, tout comme nous verrons Madame manifester
le même souci en janvier 1617, à l'occasion des confidences
du paysan de Gannes. Notons que M. et Mme interviennent chacun sur son
territoire.
b. M. Vincent avait d'abord écrit, puis barré aussitôt
:
(encore que la fin de toute prédication soit) «de retirer
les âmes du péché et les atirer au bien»…
Le fait qu'il ait rayé cela et l'ait remplacé par «attirer
au Ciel», aussitôt, sans avoir besoin de l'ajouter en interligne,
montre que, dès cette époque, tout en prêchant sur
le péché et le risque de se mettre en enfer, comme nous le
lirons un peu plus loin, il préférait montrer d'abord la
perspective de l'amour de Dieu et du ciel.
Ce souci lui restera toute sa vie, jamais l'évangélisation
ne se réduira pour lui à la morale, toujours il tiendra à
ce qu'on annonce d'abord le centre de la doctrine de foi et d'amour. Il
recommande ceci, «quand on catéchise les pauvres à
la rencontre», c'est-à-dire au gré des occasions :
«il est à propos de commencer par les trois mystères
de la Trinité, de l'Incarnation et du Saint Sacrement de l'autel,
comme étant plus nécessaires» (Observations, en tête
du Petit Catéchisme de la Mission , Bibl. Nation., Fonds fr., Ms
24851, f° 315, publié par M. J. Guichard, C. M. : Saint Vincent
de Paul catéchiste, Paris 1939).
c. M. Vincent avait d'abord écrit l'inverse: «exhorter»,
et, à la suite, «enseigner»; en se relisant, il a corrigé,
au-dessus, dans l'interligne: «enseigner», puis «exhorter»;
mais il n'a pas corrigé l'ordre dans l'incise suivante, la prédication
mixte.
d. M. Coste a interverti: «pour enseigner et pour exhorter»,
sans doute pour suivre l'ordre de la correction de M. Coste; mais nous
devons laisser tel quel le texte du manuscrit.
e. M. Vincent avait d'abord écrit :
«celle qui est pour exhorter a pour matière la verteu
et le vice; celle qui est pour enseigner a pour sujet les choses de la
foy»,
Ce n'est qu'en se relisant qu'il a préféré mettre
enseigner d'abord, comme auparavant, et a barré les mots inadéquats,
pour écrire les bonnes formules au-dessus, dans l'interligne. Tout
cela témoigne de son souci d’enseigner.
f. M. Vincent avait écrit :
… «pour ce que vous avez de très bons pasteurs & et
prédicat[eu]rs, des sermons» etc.
On ne voit pas pourquoi il a barré; ou bien le compliment était
mérité, et attesterait que le clergé n'était
pas aussi universellement en dessous de sa tâche qu’on le dit, ou
bien il lui a peut-être paru un peu exagéré et trop
flatteur ?
g. Ici M. Vincent avait écrit :
«et parce que la misère du siècle est sy grande
que les grands».
et il n'a pas continué cette phrase, sans doute pour ne pas
sembler humilier les grandes personnes.
h. M. Coste a lu "fruit", mais le manuscrit a clairement “pfit”, ou
à la rigueur “pfis”: il est difficile d'y voir fruit.
i. La référence à Marc est ajoutée,
celle à Hébreux est de la main de M. Vincent, la dernière
phrase est le début du Symbole de Saint Athanase.
L'édition Coste a quelques erreurs de lecture: la première
citation n'a pas «quicumque crediderit», mais très clairement
«qui vero non», le “non” étant écrit «nõ»,
avec le signe typique d'abréviation. Et la dernière n'a pas
«salvus fieri», mais bien, comme dans le texte officiel, «salvus
esse», “esse” écrit également en abrégé:
«e e» surmontés du trait d'abréviation; enfin,
M. Coste a oublié les deux derniers mots et le «etc.»
j. Il avait d'abord écrit «obligé de croire»,
et aussitôt il a barré «croire» pour mettre «de
savoir et de croire».
k. Il avait d'abord écrit «ce qu'il doit croire &
savoir», et aussitôt il a barré «croire &»,
mettant simplement «savoir et faire». On retrouve toujours
ce souci de permettre même aux pauvres d’avoir une foi éclairée,
instruite.
l. Il avait d'abord écrit «qui est celui qui est»,
et aussitôt il a barré «est» pour mettre «mérite
le titre», montrant mieux qu'on n'est pas chrétien automatiquement,
mais que notre genre de vie doit le montrer.
m. Il avait d'abord écrit «& rendre compte de notre
foy, comme nous voyons», et il a aussitôt barré cette
idée, pourtant remarquable. Il ne la reprend que plus loin, en évoquant
les protestants, mais elle est diffuse dans tout ce texte.
n. Mots barrés : «la raison, c'est».
o. Il avait d'abord mis «ils y seraient», ce qui
impliquait "tous": il a nuancé, en barrant, pour mettre «plusieurs».
* * *
(S. V. XIII, 25-30)
6 - Serm. 3 - (Doc. 14) SERMON DE SAINT VINCENT SUR LE CATÉCHISME
(à Joigny, vers 1615 / 1616)
Arch. de la Mission, original autographe et microfilm 6-018 - 6-022.
«Cet entretien semble avoir été écrit entre
1613, date de l'entrée de saint Vincent chez les Gondi, et 1616,
date de la résignation de l'abbaye Saint-l.éonard de Chaume,
plutôt vers 1616.»
La date peut se déduire de deux faits: d'une part, M. Vincent
était chez les de Gondi, puisqu’il se réfère à
M. le Comte, et d'autre part il va parfois à La Rochelle, selon
ce qu'il dit dans le sermon; cela peut avoir lieu, ou bien durant sa charge
d'abbé commendataire de Saint-Léonard, soit à l'occasion
de démarches, soit pour rencontrer Jacques Gasteaud, (cf. l'acte
du 7 décembre 1612), ou bien, éventuellement, après
la reprise de la ville aux protestants, le 30 octobre 1622, et la mission
aux galériens à Bordeaux, début 1624; mais le texte
semble plutôt supposer que les catholiques y sont encore sous la
tutelle des protestants; retenons donc vers 1615 /1616.
Quant au lieu, le texte publié par M. Coste ne permet pas de
s'en faire une idée, mais les phrases raturées reproduites
ici mentionnent deux fois "cette ville", et la première fois, en
lien avec M. le Comte: le sermon a donc été donné
à Joigny.
/f°1/ Je ne monte poinct en chaire pour vous faire une prédica[ti]on,
comme l'on a acoustumé, mais pour vous dire quelque chose du catéchisme,
parce que monsieur le conte <sic> 1 l'a désiré, avec la
permission de monsieur le curé, <a 4 lignes et demie barrées>
afin de disputer un peu avec eux des choses de la foy, pendant qu'il sera
icy, sçachant que Dieu n'a pas seulem[en]t estably les seigneurs
pour retirer les cens & les rentes de ses subiectz <sujets>, mais
pour leur administrer la justice, maintenir la religion & les faire
bien aymer, servir & honorer Dieu & aprendre sa s[ain]te
volonté.
Encore que la fin de toute prédica[ti]on soit d'attirer les
âmes au cielb, si est-ce que ceux qui en ont faict des traictez <traités>
en remarquent de trois sortes <de prédications>: l'une pour enseigner,
l'autre pour exhorter c, & l'autre, mixte, pour exhorter & pour
enseigner d tout ensemble. Cel[le] qui est pour enseigner a pour matière
les choses de la foy e; celle qui est pour exhorter a pour sujet la vertu
& le vice e; & la mixte, enseigner & exhorter, c'est-à-dire
elle enseigne les choses qui apartienent à la foy & donne de
l'amour de la verteu & de l'horreur du vice. La première est
pour ceux qui ne sçavent pas ce qu'il faut qu'ils sçachent;
la seconde, pour ceux qui le sçavent & qu'il faut f[ai]re bons;
la 3°, pour ceux qui ne sont pas trop bien instruicts & qui ont
besoing d'estre retirez du vice & estre eschaufez <échauffés>
à la vertu. La première s'apelle catéchiser &
regarde les petits enfants & les infidelles; la 2° et 3° regardent
les catholicques qui sont déjà grands & aucunement <=
quelque peu> instruicts.
/f° 2/ Nous ne traicterons point les deux dernières, pource
que [XIII 26] vous avez f des sermons ordinairem[en]t à ceste fin,
mais nous parlerons de la première, qui est de catéchiser,
c'est-à-dire d'instruire les petitz enfants, g asseurant neantmoingts
les grands qu'ils y fairont du p[ro]fit h.
(En se relisant, M. Vincent a ajouté en marge, en toutes petites
lettres, ces citations de l'Écriture : )
Qui vero no[n] crediderit , etc. (Mc 16, 16). .Sine fide impossibile
est quemcumque placere Deo Hébr. 11, 6. Quicumque vult
salvus e[ss]e, ante om[nia] opus est ut teneat catholicam fidem, quam nisi
etc. i.
<Mais celui qui ne croira pas , etc. Sans la foi il est impossible
de plaire à Dieu , Quiconque veut être sauvé,
il faut avant tout qu'il tienne la foi catholique; s'il ne la , etc.>
Le catéchisme, c'est ce petit livre que vous voyes, où
est conteneu ce que le ch[re]stien est obligé de j sçavoir
& de croire et qui a esté dressé pour l'instruction du
peuple, affin qu'il sache ce qu'il doit k sçavoir & faire. Il
enseigne qui est celui qui l mérite le tiltre de ch[re]stien, la
fin pour laquelle l'homme a esté créé, comme il y
a un Dieu en trois personnes & trois personnes en un Dieu, les commandements
de Dieu & de son Église, les sacrements, & l'exercice du
ch[re]stien; qui est enfin tout ce que nous sommes obligés de sçavoir,
le tout réduict en sy petit volume & en telle méthode
qu'on l'aprendra en peu de temps.
La fin pour laquelle il a esté dressé du commencem[en]t,
c'est pour instruire les infidelles m; mais il es[t] arrivé despuis
qu'il a faleu <fallu> le praticquer envers les ch[re]stiens mesmes n
et que les gens d'Église sont obligés à l'enseigner
aux petitz enfants, parce que les pères & les parrins &
marreines qui sont obligez de leur enseigner les choses de la foy ne s'en
acquitent pas comme il faut, & qu'aussy plusieurs y seraient o bien
empêchez eux-mesmes pour n'avoir pas aussy esté instruicts,
& que par ce moyen la plus grande partie des âmes est au chemin
de perdition, qui vero non crediderit condemnabitur (Mc 16, 16) i.
NOTES
p. L'édition Coste a : "qui vivait bien l'an 200"; le "bien"
n'existe pas, mais "l'an" peut être confondu avec "bien", et M. Coste
l'aura doublé inconsciemment, et n'aura sans doute pas relu ni vérifié
son texte.
q. M. Vincent avait d'abord écrit «300», et a corrigé
ensuite en écrivant un 5 sur le 0 du milieu; cela explique cette
rupture de l'ordre chronologique qu'il suivait.
r. Il avait d'abord mis «prati», et n'a même pas
achevé "pratiqué", pour écrire «enseigné».
s. Il est curieux de constater que dans ce texte M. Vincent, contrairement
à son habitude et à l'usage du temps, emploie toujours "mais",
et non pas "ains". Peut-être est-ce pour l'euphonie des tournures
? ou parce que l'usage de chacune de ces deux conjonctions est lié
à diverses nuances de sens ?
t. L'édition Coste porte "insinué", mais seule une lecture
trop rapide pouvait suggérer cette lecture: la première lettre
est nettement un "e", il n'y a pas assez de jambages pour lire "inu", et
la finale, qui n'est pas un "g" complet, n'a en tout cas rien d'un "e";
enfin, "eu" et "soing" sont nettement séparés
u. «en quelque façon» a été ajouté
après coup, dans la marge et au début de l'interligne, en
écriture minuscule.
v. L'édition Coste porte : se humiliaverit sicut ; or
ici aussi le mot "ergo", quoique en abrégé, est clair, et
différent du "se" qui suit "humiliaverit", et que M. Coste a supprimé,
croyant à un redoublement.
w. Il avait écrit, puis il a barré :
«qui ne scavent s'il y a un Dieu»
Chose curieuse, c'est la seule rature importante de cette page, alors
que les autres pages en ont tant, sauf la dernière, la 5°, qui
n'en a que deux également.
x. L'édition Coste a oublié le "me".
y. Du latin "crassa", épaisse, quasi impénétrable
! Juste après, l'édition Coste ajoute un deuxième
"O", mais il n'y en a pas dans le texte.
z. Curieuse orthographe pour "huguenots", mot dérivé
de l’allemand "Eidgenossen", "Confédéré", par lequel
les Suisses se désignaient, et qui fut adopté spécialement
par les calvinistes de Genève. Les calvinistes du Languedoc se dénommaient,
eux, "parpaillots", de l'occitan "parpallhol" (prononcer parpaillol), "papillon",
en raison de leurs vêtements de fête blancs. Ni l'un ni l'autre
de ces termes n'est donc péjoratif, les catholiques reprenaient
simplement les termes par lesquels les calvinistes se désignaient.
aa. Voici que revient l'idée de «rendre raison de sa foi»,
mais c'est aux protestants qu'elle est reconnue …
bb. "Pertinacement": avec entêtement. L'édition Coste
ajoute un point d'interrogation, car ce n'est qu'une conjecture de lecture;
ce n’est certainement pas cet adverbe qui est écrit, mais aucune
meilleure lecture ne vient à l'esprit …
cc. Deuxième petite rature de cette page: M. Vincent avait écrit,
puis a barré : «miner», et il a mis «ruiner»
dd. L'édition Coste porte, à tort : "l'écrasons".
ee. «Notre espérance», et non pas "nos espérances",
comme écrit, à tort, l'édition Coste.
ff. M. Vincent a ajouté «et craindre» dans l'interligne,
et donc en se relisant. Notons combien, à la suite de Jésus,
il unit les deux commandements en un seul : Dieu et le prochain.
gg. «en sa pureté» a été ajouté
au-dessus de la ligne, à la relecture.
hh. L'édition Coste a accommodé à la grammaire
en mettant "sont-ils réduits"; nous suivons le manuscrit.
ii. "La religion", c'est-à-dire la religion réformée,
le calvinisme.
jj. L'édition Coste a mis "si bien", mais il n'y a que
trois lettres, et, même si le "o" est bouché, c'est exactement
le même mot que le "bon docteur", 2 lignes au-dessus, et nettement
différent du "et a fait si bien", entre deux.
kk. Il est clair que M. Vincent va séjourner ou missionner de
temps en temps à La Rochelle, ce que les biographes n'ont jamais
mentionné. On est plutôt loin de la vie retirée dans
sa chambre chez les Gondi, "comme dans une chartreuse" (P. Coste, Monsieur
Vincent, I, p. 83). Il est vrai que nous ne trouvons qu'une autre allusion
à ces séjours, durant la conférence du 23 mai 1659,
déjà mentionnée à propos de Jacques Gasteaud
(S. V. XII, 256), mais c'est suffisant pour les mentionner.
ll. Une phrase a été barrée tout de suite
:
«il n'y a pas un huguenaut dans ceste ville, nous»
Notons que nous y trouvons la deuxième attestation que ce sermon
sera donné en ville, et nous avons vu pourquoi c'était Joigny,
la ville comtale de M. de Gondi.
mm. L'édition Coste a omis "Je réponds", sans doute parce
que les deux dernières lettres en sont barrées par le premier
des traits obliques qui barrent deux lignes; mais cela ne supprime pas
le «Je réponds». Voici la phrase barrée :
(je réponds) «qu'encore que il aille à la messe
& qu'il l'entende, qu'un ch[ac]un peut autant …»
nn. Voir supra note h.
oo. Deux mots barrés: «& vespres».
pp. Suivait une autre objection, qu'il a barrée :
«Ouy, mais selon quoi nos pères seront-ilz damnés
pour n'avoir sceu <su> le catéchisme ?»
Et ne pensez pas que ce soyt chose nouvelle en l'Église.
(XIII, 27) Origène, qui vivoyt l'an 200 p, soubz Sévère,
praticquoyt le catéchisme. Sainct Basile, qui vivoyt soubz Julien
l'Apostat, 350 q; St Ambroise, soubz Théodose, 320; St Augustin,
soubz Arcade & Honoré, l'an 400; & St Cyrille /f° 3/
Alexandrin, l'an 430, soubz Valentinien 3; tous ceux-là ont enseigné
r le catéchisme, comme moy auiourd'huy, & ont faict des livres
entiers, & cela pource qu'ayant considéré les ch[res]tiens
estre les uns spirituels & les autres charnels, les charnels qui vacquoyent
beaucoup aux choses du corps & peu à celles de l'âme,
& qu'il estoy[t] aussy nécessaire pour les petits enfants.
Mais s que dis-je? no[stre] Seigneur mesme, le Fils de Dieu, n'a-[t]-il
pas eu soing t d'instruire les petitz enfants & de les catéchiser
en quelque façon u quand, en St Matthieu 19, il prêche les
juifs & les Apôtres voulant empêcher les petitz enfants
d'aler à lui? Il s'en prend garde & dict: Sinite parvulos venire
ad me & nolite prohibere eos, talium est enim regnum coelorum (Mt.
19, 14), & les embrassant, il les bénissoyt. Il leur donne des
anges gardiens; Angeli eorum semper vident faciem Patris (Mt. 18,
10), il les rend propres héritiers du ciel: Talium, etc. Il donne
une peyne notable à ceux qui les scandaliseront; ceux qui les reçoyvent
le reçoivent luy-mesme, qui sont des prérogatives qu'il a
données aux petitz enfants, sy nous croyons à l'Évangile.
(En se relisant, M. Vincent a ajouté en marge, en toutes petites
lettres, ces citations de l'Écriture : )
Amen, amen dico vobis, nisi conversi fueritis et efficiamini sicut
parvuli isti, non intrabitis in regnum coelorum. Quicumque ergo humiliaverit
se v sicut parvulus iste, iste major erit in regno coelorum. Qui autem
susseperit unum parvulum in nomine meo me sussipit. Qui autem scandalizaverit
unum de pusillis istis, expedit ei ut suspendatur mola asinaria in colo
ejus (Mt. 18, 3-6).
Pour la nécessité, cha[c]un la cognoyt; je vous en fairai
[28] vous-mesmes juges, sçavoir sy tous sçavent ce qu'il
faut qu'ilz croient. N'est-il pas vray que l'ignorance est sy grande, que
je me suis trouvé avec des personnes ch[res]tiennes & catholicques
w auxquels <sic> j'ay demandé s'ilz sçavoyent les commandements
de Dieu, qui me x respondoyent qu'ilz n'avoyent jamais esté à
l'escole, & d'autres qu'ils les sçavoyent bien lire dans les
heures ? O ignorance crace, <crasse> y ! aveuglem[en]t du diable, que
nous soyons veneus jusques à ce poinct qu'un ch[ré]tien ne
sache poinct en qui il croyt !
Quand il n'y auroyt autre chose sinon que nous voyons que les huguenautz
z, nos ennemys, nous ont osté les armes des poinctz <poings>
pour nous en ruiner, ne devrions-nous poinct les reprendre pour nous en
défendre ? Car sçavez-vous avec quel soing ilz l'enseignent
& l'aprennent ? Ilz l'ont tel, que ils l'enseignent tous les dimanche,
l'après-d[înée], à leurs enfants, & les
enseignent de façon qu'il n'y a celui qui ne rende raison de sa
foy aa et qui n'en dispute pertinem[men]t, ou, pour mieux dire, [[pertinacement]]
bb. Ceux qui sont picqués de l'aspic reprenent le mesme aspicq et
l'escrasent sur la playe & guérissent par ce moyen; les huguenautz
se servent du catéchisme pour ruiner cc no[tre] foi: reprenons le
mesme catéchisme & l'apliquons dd sur la playe.
/fol° 4/ L'utilité en est infinie. Premièrem[en]t,
le catéchisme nous enseigne la foy, il nous fait mettre notre ee
espérance en Dieu en nos adversitez, il nous fait aymer et craindre
ff Dieu & no[tr]e prochain, nous asseure contre les tenta[ti]ons du
diable, nous rend asseurez contre les ennemys de la foi & finalement
nous obtient le paradis.
Et surtout, pères et mères, aprenes <apprenez> que
vos enfants vous seront beaucoup plus obéissants qu'ilz ne sont.
Comment penses <pensez> [vous] que l'Italie ayt conservé
la foi en sa pureté gg, que par le catéchisme? & comment
l'Espaigne? & comment le Canada, le Pérou et le Brésil
[29] soyt réduit hh à la foy, que par le catéchisme?
Comment, d'ailleurs, penses-vous que l'on conserve la foy en France où
il y a des huguenauts, que par le catéchisme, comme à La
Rochelle? O chose digne d'un grand peuple! il y a à La Rochelle
environ 1500 catholicques, et tout le reste de la religion ii. Ces catholicques
ne sçavoyent en qui ils croyaient il y a 15 ou seze ans, jusques
à ce que Dieu y envoya un bon docteur qui commença à
catéchiser les enfants & a faict si bien, peu à peu,
par la grâce de Dieu & de ce petit catéchisme, qu'il a
rendeu ce peuple sy bon jj que j'ay honte moi-mesme lorsque je me trouve
parmy eux kk et vois qu'ilz me surpassent beaucoup en charité.
L'on m'objectera: "Qu'avons-nous à faire de vo[tre] catéchisme?
Nous sommes ch[ré]tiens, ll car nous alons à l'église,
nous entendons la messe, vespres, nous nous confessons à Pasques;
qu'est-il besoing d'autre chose?" Je responds mm que je n'ay poinct trouvé
en toute la Ste Escriture qu'il soyt assez à un ch[ré]tien
d'ouïr la messe, vespres et se confesser, & que j'y ai trouvé
que quiconque ne croyt à tout ce qu'il appartient à la foy
n'est pas sauvé. Et puis quel profit nn tire de la messe oo celuy
qui ne cest <sait> pas ce que c'est, ni de la confession celui qui ne
cest <sait> en quoy elle consiste ? pp
/fol° 5/ La disposition qu'il faut de no[tr]e costé,
c'est cele qu'il faut à un vase pour conserver une qq liqueur en
sa bonté. Il faut premièrement que le vase soyt net, en terre
& bouché. Vos coeurs sont des vases, & la doctrine rr ch[ré]tienne
la liqueur. Comme le vase qui a des ordures dedans ne conservera la liqueur
en sa pureté, de mesme l'enfant superbe, gourmand & opiniastre
ne conservera poinct la doctrine en sa pureté. Si le vase est fendeu,
la liqueur verse; ainsy, sy, quand vous estes au catéchisme, vous
penses à autre chose, vous estes un vase fendeu & tenez poinct
ce quy vous est enseigné. Il faut donc que [30] ceux qui voudront
aprendre renoncent aux vices & aux péchés, qui sont comme
des ordures de l'âme, & dans peu de temps ills loueront Dieu
d'avoir aprins ce qu'ilz aprendront & ne voudroyt pour tout ce qui
est au monde ? ss le pris du royaume des Cieux.
Partant donc, j'exhorte les pères et mères qui sont icy
présents & qui ont des enfants, de les y envoyer & d'y venir
eux-mesmes, tt pensant au regret que vous aurez un jour si vous et uu vos
enfants estes damnés, faute de sçavoir ce qui est nécessaire
de savoir, en en vv ayant mesme le moyen si facile.
L'ordre que je tiendray pour enseigner sera le plus ww sy facile qu'un ch[ac]un en sera capable, aussy bien les indoctes comme les doctes & les petitz comme les grandz, rejetant toute sorte de questions vaines & inutilles & toutes enquêtez mesmes superflues.
La question est d'un docteur qui demande à un enfant s'il est
ch[ré]tien; l'enfant respond qu'ouy, par la grâce de Dieu.
Vous noteres xx, petitz enfants, quand vous dictes qu'oui, par la grâce
de Dieu, yy que c'est Dieu seul qui vous a faictz ch[ré]tiens, par
sa grâce & non pas que vous l'ayez mérité ny que
ce n'est pas vo[tre] père qui vous a faictz ch[ré]tiens,
mais que donc vous en avec l'obliga[ti]on à Dieu seul, qui vous
pouvait faire naistre un païen zz. Vous aprendrez aussy que ce n'est
pas la doctrine d'un homme qui le faict ch[ré]tiens, mais Dieu,
Gratia Dei sum id quod sum. (1 Cor. 15, 10), <c'est par la grâce
de Dieu que je suis ce que je suis >.
* * * * *
NOTES
qq. On ne voit pas pourquoi l'édition Coste a mis "la liqueur",
le manuscrit ne laisse pas de confusion possible entre «une»
et “la”.
rr. M. Vincent avait d'abord écrit «et la foy»,
qu'il a barré aussitôt, écrivant «doctrine»
à la suite.
ss. Mot indéchiffrable, qui a fait renoncer M. Coste à
transcrire cette fin de phrase.
tt. Mots barrés, et remplacés par «pensant»,
qui exprime la même idée en un seul mot :
«vous resouvenant sy tout est»
uu. «vous et» a été ajouté dans l'interligne,
après coup.
vv. L'édition Coste a oublié un des deux "en".
ww. «Le plus» est de trop, mais M. Vincent a à peine
rayé "le", et laissé "plus". Peut-être, tout en écrivant
"le plus", pensait-il "de plus" ?
xx. M. Coste a cru lire "Vous, chers enfants"; on connaît la
tendresse de M. Vincent, mais ici, il a écrit «Vous noteres»
( c’est-à-dire “vous noterez”), parfaitement lisiblement.
yy. Ayant supprimé le verbe "noterez", M. Coste est obligé
d'en insérer un, entre crochets ; “[vous dites]”, pour justifier
le «que» suivant, qui est parfaitement en place, dans le texte
de M. Vincent : «vous noterez … que».
zz. L'édition Coste a oublié le «donc»,
assez petit, il est vrai, mais tout de même visible, et a cru justifié
d'ajouter un "d' " : "faire naître d'un païen",
alors que l'expression de M. Vincent, "faire naître un païen",
quoique pas très aisée, est fort claire: en me faisant naître,
Dieu aurait pu faire naître un païen, me faire naître
païen.
SAINT VINCENT DE PAUL
SERMON SUR LE CATÉCHISME