CHAPITRE 1 : Les erreurs sur les temples
CHAPITRE 2 : Faut-il construire des temples ?
CHAPITRE 3 : La forme
CHAPITRE 4 : La fin
CHAPITRE 5 : La dédicace et la consécration des églises
CHAPITRE 6 : La décoration des temples
CHAPITRE 7 : La bénédiction de l’eau, du sel, des cendres et
des cierges.
CHAPITRE 8 : Les pèlerinages
CHAPITRE 9 : Les vœux que l’on fait aux saints
CHAPITRE 10 : Les jours de fête doivent-ils être célébrés par
les chrétiens ?
CHAPITRE 11 : Le jour du dimanche
CHAPITRE 12 : Pâque.
CHAPITRE 13 : La pentecôte
CHAPITRE 14 : La septuagésime et les dimanches suivants
CHAPITRE 15 : Les autres fêtes du Seigneur
CHAPITRE 16 : Les fêtes des saints
CHAPITRE 17 : Les vigiles
2018 09 15 début
L’ÉGLISE TRIOMPHANTE
LIVRE 3 : DES CHOSES PAR LESQUELLES
L’ÉGLISE PÉRÉGRINANTE DE LA TERRE
REND UN CULTE
À L’ÉGLISE TRIOMPHANTE DU CIEL
PRÉFACE
CHAPITRE 1 : Les erreurs sur les temples
Les temples de Dieu ont eu deux sortes d’ennemis. La première
était formée de ceux qui détruisaient les temples non par haine des
temples, mais par haine d’une nation ou d’une religion. L’autre,
de ceux qui haïssaient les temples ou leur contenu parce qu’ils les
considéraient comme quelque chose de mauvais. De la première
sorte furent Nabuchodonosor, Antioche, Pompée, Cassius, Titus, qui profanèrent
ou incendièrent le temple de Salomon non par haine du temple, mais par
haine du peuple hébreu. Voir 1V Rois, 1 Macchabées X, Joseph «(livre
14 des antiquités, et livre 7 de la guerre judaïque), Cornelius Tacite
(livre 21), et saint Augustin (livre 18 de la cité de Dieu).
Dioclétien a ordonné que les églises des chrétiens soient
rasées non par haine des temples, mais de la religion chrétienne. (Eusèbe
livre 8, chapitre 2 de son histoire de l’église). Julien l’apostat
a voulu faire la même chose, comme le rapporte saint Jérôme dans son
épitre à Riparius. Les ariens aussi et les donatistes profanèrent
et spolièrent les temples des catholiques non par haine du temple, mais
de la religion. Voir saint Athanase (dans son apologie pour
sa fuite), Theodoret (livre 4, chapitre 10 et 20 de son histoire), et Optatus
(livre 5 contre Parmenius).
À l’autre sorte appartiennent d’abord les manichéens.
Car, Faust (saint Augustin, livre 20, chapitre 3 et 4) reproche aux chrétiens
d’avoir des temples et des autels à la manière des Gentils et des Juifs.
À la suite des manichéens, les messaliens exécraient tous les temples
et tous les autels, et voulaient qu’on ne prie Dieu que dans les maisons,
comme saint Jean Damascène le rapporte (dans les cent hérésies).
À la même époque, Eustathius détestait tous les temples, et surtout
ceux des martyrs, selon Socrate (livre 2, chapitre 23 de son histoire).
Et il voulait que les assemblées se tiennent dans les maisons privées.
Les petrobusiens détruisaient les temples, et riaient de la construction
de nouvelles églises, d’après Pierre de Cluny, dans sa
lettre contre les petrobusiens, et l’auteur de la vie de saint Bernard
(livre 3, chapitre 5). Les albigeois enseignèrent la même
chose, comme l’écrit Bernard de Luxembourg dans son catalogue.
La même chose les Waldenses, d’après Claude Caussordius (dans
son livre contre les Waldenses, chapitre 6). La même chose les Wiclefistes,
d’après Thomas Waldensem (tom 8, tit 17, et 22). La même chose
les Thaborites, d’après Énée Sylvius (de l’origine des Bohémiens,
chapitre 35). La même chose les anabaptistes transylvaniens, dans
les antithèses du vrai Christ, et du faux Christ, éditées à Albe Julie
en l’an 1568.
Pour leur part, les luthériens et les calvinistes admettent
des temples, mais seulement pour la prédication et l’administration
des sacrements. Ils nous reprochent de faire des temples pour prier,
de consacrer rituellement quelques-uns en l’honneur des saints, de les
décorer somptueusement. Car les magdebourgeois (centurie 4, chapitre
6, colonne 407 et suivantes) disent beaucoup de choses contre la consécration
des églises. Et, dans la préface de la centurie 6, ils reprochent
aux chrétiens de construire des églises à grands frais, et de les faire
en l’honneur des martyrs. Dans la préface de ses institutions,
Jean Calvin blâme l’embellissement des temples avec de l’or,
de l’argent, du marbre, et des pierres précieuses. Et (dans
le livre 1, chapitre 2, verset 13) il veut que les ornements de temples
ne soient que la prédication et l’administration des sacrements.
Au livre 3 (chapitre 20, verset 30), il dit qu’on doit ériger des temples
pour prier en commun, mais qu’il ne faut y voir aucune sainteté. Il
dit en toutes lettres en cet endroit que les prières privées ne se font
pas mieux dans un temple que n’importe où ailleurs.
CHAPITRE 2 : Faut-il construire des temples ?
Ceux qui ne veulent pas qu’on érige des temples ne
peuvent apporter comme preuves que certains passages de l’Écriture où
on lit que Dieu n’habite pas dans des bâtisses faites de main
d’homme. Comme Matthieu 5 : « Le ciel est le siège de Dieu, et
la terre l’escabeau de ses pieds. » Et Actes 11 : « Mais le Très
Haut n’habite pas dans des temples faits par les hommes. » Les
manichéens se servaient de ce passage (comme l’atteste saint Augustin
dans son livre contre Adimante au chapitre 10), pour prouver que le Dieu
de l’ancien testament, qui avait commandé qu’on lui construise un
tabernacle et un temple, n’était pas le vrai Dieu mais un mauvais
principe, et qu’il était en lutte contre le Dieu du nouveau testament.
Saint Augustin les réfutait facilement, car les manichéens
disaient que le Dieu de l’ancien testament avait voulu un temple, mais
que le dieu du nouveau n’en avait pas voulu.
Or, c’est le contraire que nous lisons dans l’Écriture.
Dieu dit dans Isaïe 66 : « Le ciel est mon siège, et la
terre l’escabeau de mes pieds. Quelle maison m’édifierez-vous
? » Nous lisons aussi le contraire dans le nouveau testament.
Le Christ, dit en Jean 11 au sujet d’un temple fait par l’homme : «
Chassez ces chose d’ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une
maison de négoce. » Et en Matthieu 21 : « Ma maison sera appelée
une maison de prière. » Le Dieu qui est le même dans l’ancien
et le nouveau testament, approuve donc les temples dans lesquels
il est adoré, mais n’approuve pas les temples dans lesquels on
pense qu’il est enfermé, comme les idoles, c’est-à-dire comme les
dieux des nations qui étaient vraiment contenus dans les temples.
CHAPITRE 3 : La forme
Nous ne dirons pas grand chose sur la forme des églises,
puisqu’on peut encore aller voir des églises très anciennes.
Il faut, cependant, noter deux choses. La première.
À la ressemblance du temple de Salomon, dans lequel se trouvaient
l’atrium, la partie sainte, et le saint des saints, les églises ont
presque toutes trois parties. La première. Le portique
avant l’entrée dans le temple. que les Grecs appellent pronaon
et nous vestibule, où demeuraient les pénitents. Ensuite
était le naos, le temple, ou le navire. Enfin, bèma ou ierateion, c’est-à-dire
le sanctuaire, qui était la partie intérieure du temple, là où était
l’autel. Il était séparé du reste du temple par des degrés,
des chandeliers et des voiles, ou des rideaux. N’y pénétraient
que les prêtres avec leurs clercs ministres. En plus de ces parties
du temple, il y avait aussi une petite maison annexée au temple qu’on
appelait édicule salutaire, où siégeait l’évêque quand il se préparait
à offrir le saint sacrifice. Voir Eusèbe dans la vie de Constantin
(livre 3). Il décrit là le temple que Constantin avait fait construire
au saint sépulcre. De même Théodoret (1, 4, hist, chapitre 20)
où il décrit le sanctuaire, séparé par des rideaux du reste du temple,
qu’avait construit l’empereur Valence. Dans le livre 5 (chapitre
17), il parle du sanctuaire et de l’édicule salutaire. Voir
aussi saint Jérôme (dans son épitre sur la mort de Népotien), saint
Augustin (livre 22, chapitre 8 de la cité de Dieu), et Walfrid Stabon
(livre sur les choses ecclésiastiques, chapitre 4 et 6).
Autre chose. Les églises des chrétiens étaient pour
la plupart tournées vers l’orient, et avaient quatre côtés tournés
vers les quatre parties du monde. À l’exception de quelques-unes
qui, en raison de la configuration du lieu, étaient construites
autrement. Cela, on le sait en partie par l’expérience, et en
partie par le témoignage des anciens. Car, Tertullien (dans le livre
contre les valentiniens), dit, pas loin du début, qu’ils ont coutume
d’aimer l’Orient. Walfride Strabon (choses ecclésiastiques,
chapitre 4), dit que la plus grande partie des églises sont fabriquées
de telle façon que ceux qui y prient puissent regarder l’orient.
De même Paulin (épitre 12). Attestent la même chose saint Justin
(question 118), Épiphane (hérésie 19, qui est celle des Esséniens),
Origène (homélie 5 sur les Nombres), saint Basile (chapitre 27
de son livre sur le Saint-Esprit), saint Grégoire de Nysse (sermon 5 sur
la prière dominicale), saint Augustin (livre 2, chapitre 5 du sermon sur
la montagne), Germain (dans son livre sur la théorie des choses sacrées),
saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 13 sur la foi), et tous les anciens
auteurs qui disent que c’est une tradition apostolique de prier en se
tournant vers l’orient. Cette chose est particulièrement conservée
dans les prières solennelles qui sont dites dans les temples.
Les raisons de cette cérémonie sont au nombre de cinq.
La première. Parce que le paradis terrestre était à l’orient,
Genèse 11, selon la traduction des septante. La traduction latine
de la vulgate a : Dieu planta un paradis dès le début. Le grec
a ephuteusen paradison enden kata anatolas, et le mot hébreu peut certainement
être traduit de l’une et l’autre façon, car il signifie à la foi
avant et orient, qui est une partie antérieure du monde. Voilà
pourquoi notre interprète, à Genèse 4, a traduit le même mot par région
orientale. Nous nous tournons donc vers l’orient pour prier,
parce que c’est de l’orient que le soleil se lève et commence à se
mouvoir, et c’est pourquoi cette partie corporelle du monde est la plus
excellente. En priant, nous tournons donc notre face corporelle vers
le corps le plus excellent, soit parce que, comme le dit Justin,
il faut donner à Dieu ce qu’il y a de meilleur, ou soit pour nous avertir
de tourner la face spirituelle de notre âme vers l’esprit le plus excellent
qui est Dieu, comme le dit saint Augustin. La troisième raison.
Parce que le Christ que nous prions est la lumière du monde
(Jean V111), et parce que « le nom de cet homme est Orient » (Zacharie
V1). C’est donc pour signifier que dans la prière nous sommes
illuminés par le soleil de justice qu’est le Christ, comme sont éclairés
par le soleil corporel ceux qui regardent l’orient, que nous nous
servons de cette cérémonie, comme le dit Walfride.
La quatrième raison. Puisque que, en mourant sur la croix,
le Seigneur était tourné vers l’est, prier vers l’est c’est
comme regarder la face du crucifix. Et parce que, en
montant au ciel, il est monté en direction de l’orient (psaume 67) nous
nous tournons vers l’est comme pour monter vers lui par nos vœux et
nos prières. Et parce que nous croyons que c’est de l’orient qu’il
viendra pour le jugement, (Matth 24 : « comme l’éclair qui va de l’orient
à l’occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme »), nous
prions vers l’Orient comme en attente de la venue du Seigneur, comme
le dit saint Jean Damascène.
Nous pouvons ajouter une cinquième raison. Parce
que les Juifs priaient et prient vers l’occident, comme le montre Exode
26, où il est dit que la porte du tabernacle était en direction
de l’orient, et Ézéchiel 8 : « Voici que dans le temple de Dieu, entre
le vestibule et l’autel, vingt-cinq hommes qui se tenaient debout, le
dos tourné contre le temple du Seigneur, et faisant face à l’orient,
et adoraient au lever du soleil. » Car l’Écriture blâme ceux
qui, contre le rite de ce temps, adoraient vers l’Orient. Donc,
nous regardons à l’est pendant que les Juifs regardent à l’ouest,
pour montrer que leur lettre tue, et que notre esprit vivifie;
que le voile demeure toujours sur leurs cœurs, et que avons, nous, déposé
le voile en nous tournant vers le Seigneur.
CHAPITRE 4 : La fin
C’est pour quatre fins qu’on érige des édifices sacrés,
et c’est de là que viennent les quatre noms qu’on leur donne.
La première. Pour offrir des sacrifices à Dieu, et c’est de là
que vient le mot temple. La deuxième. Pour prier, et c’est
delà que vient le mot oratoire. La troisième. Pour conserver
honorablement les reliques des martyrs, et c’est de là que vient le
mot basilique, ou mémorial ou martyrium. La quatrième.
Pour prêcher au peuple la parole de Dieu, et le paître par les sacrements,
et c’est de là que vient le mot église. De ces quatre fins, les
luthériens et les calvinistes ne reconnaissent que la dernière.
Les anabaptistes et les Waldenses ne reconnaissent même pas celle-là.
Car, que dans le nouveau testament, on ne doive pas ériger de temple pour
offrir des sacrifices, les hérétiques de ce temps ont toujours cela à
la bouche. Et ils le prouvent avec tous les arguments par lesquels
ils ont coutume de prouver qu’il n’y a pas de sacrifice externe dans
l’Église ou de sacerdoce. Lesquels arguments ne se rapportent
pas à la question débattue.
Marloratus a trouvé un seul argument à opposer aux temples,
le verset 21 de l’Apocalypse : « Je n’ai pas vu de temple en elle,
car c’est le seigneur qui est son temple. » Il s’agit là de
l’Église, comme le montre les versets suivants : « Les nations marchaient
dans sa lumière, et les rois apportaient leur splendeur en elle. »
Ces paroles, saint Jean les a empruntées d’Isaïe (chapitre 60).
Or, il est certain qu’Isaïe parle de cette église militante, et on
le confirme par la raison que Dieu a voulu que soit renversé le temple
de Salomon qui avait été érigé pour offrir des sacrifices. On
le confirme aussi par les pères. Car, les pères s’abstiennent
habituellement du mot temple, quand ils parlent des églises des chrétiens.
Bien plus, ils opposent les églises aux temples, comme saint Jérôme
qui, dans l’épitre à Riparius, dit que Julien avait renversé les églises
du Christ, ou les avait converties en temples. Et Cecilius, dans
Minutius Felix, reproche aux chrétiens de n’avoir, comme les athées,
ni temple ni autel. Et Optatus (livre V1) : « Qui parmi nous est
entré dans un temple ? ».
Que les églises devaient être instituées pour prier, parce
qu’il est préférable de prier dans un lieu plutôt
que dans un autre, tous les hérétiques de ce temps le nient. Et
ils prouvent ainsi leur assertion. D’abord, par les paroles de
Matthieu 6 : « Toi, quand tu prieras, entre dans ta chambre… » et de
Jean (4) : « Vient l’heure, et c’est maintenant, où vous n’adorerez
le Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem. Dieu est Esprit,
et ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. »
La prière ne doit donc pas être obligatoirement liée à un lieu.
Enfin, ils citent saint Paul, 1 Timothée 2 : « Je veux que les hommes
prient dans n’importe lequel lieu en levant des mains pures. »
Et puis : Dieu n’est pas plus dans un temple qu’il n’est ailleurs
: « car il n’habite pas dans les temples faits de main d’homme,
mais il remplit le ciel et la terre. » On peut donc invoquer et
adorer Dieu partout.
Qu’on ne doit pas ériger de temples aux saints, ils le prouvent
en disant que c’est de l’idolâtrie pure, car les temples appartiennent
au culte de latrie. Saint Augustin enseigne (dans son livre contre
le sermon des Ariens, chapitre 20, où il prouve que l’Esprit saint est
Dieu par les paroles de l’apôtre aux Corinthiens 1, 6 : « Vos membres
sont un temple du Saint Esprit. » Il dit : « Si les ariens lisaient
que le temple de Salomon a été érigé au Saint-Esprit avec du
bois et des pierres, ils ne nieraient pas qu’il est Dieu puisque la constitution
du temple appartient au culte de latrie. Comment donc nient-ils que
le Saint-Esprit est Dieu, puisqu’il a un corps de beaucoup plus noble.
» Voilà pourquoi saint Augustin dit (livre 8, dernier chapitre
de la cité de Dieu) : « Ce n’est pas non plus à ces martyrs que nous
instituons des temples, des sacerdoces, des sacrements et des sacrifices.
Car, ce n’est pas eux, mais leur Dieu qui est notre Dieu. »
De même, dans le livre 1 contre Maximin, argument 11 sur le Saint-Esprit,
saint Augustin : « Si à un ange très excellent nous faisions un temple
avec du bois et des pierres, nous serions anathématisés par la
vérité du Christ, et par l’église de Dieu, parce que nous présentons
à une créature une adoration qui n’est due qu’à Dieu. Érasme
avait noté en marge : « Cela se fait maintenant pour tous les dieux.
» Qu’on ne doit pas ériger d’églises pour la prédication
et les sacrements, les anabaptistes n’ont pour preuve que l’exemple
du Christ, qui prêchait tantôt dans sur les monts, tantôt
dans les déserts, tantôt dans le bateau de Pierre, tantôt dans
les maisons privées. Il administrait le baptême dans l’eau du
Jourdain, et il a institué l’eucharistie dans une maison privée et
profane.
Pour réfuter cela d’une façon ordonnée, voici la première
proposition : « On a le droit d’instituer certains lieux dans lesquels
la parole de Dieu et les sacrements sont administrés au peuple. »
Cette proposition va contre Eustathius, les Waldenses et les anabaptistes.
On le prouve, d’abord, par l’exemple du Christ et des apôtres
qui, même si, de temps en temps, selon les circonstances, semaient
la parole de Dieu dans divers lieux, cependant, c’est dans le temple
et dans les synagogues, les églises de leur temps, qu’ils le faisaient
de préférence. En Matthieu XXV!, le Seigneur dit : « À chaque
jour, j’enseignais, assis dans le temple, et vous ne m’avez pas arrêté.
» Et Jean XV111 : « Moi, j’ai parlé ouvertement au monde.
J’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous
les Juifs s’assemblent. Je n’ai rien dit en secret. » Les actes
des apôtres 5. Quand un ange fit sortir de prison les
apôtres, il leur dit : « Allez, et, debout dans le temple, dites au peuple
toutes les paroles de cette vie. Ce qu’ayant entendu les apôtres
entrèrent dans le temple et enseignèrent. » Les apôtres Paul
et Barnabée (Actes X111), envoyés pour prêcher, entraient d’abord
dans les synagogues, et c’est là qu’ils prêchaient.
Deuxièmement. On le prouve ensuite par l’exemple des premiers
chrétiens. Car, que les premiers chrétiens aient eu des lieux
de prière distincts des maisons, la première épitre aux Corinthiens
le prouve (chapitre X1) : « Quand vous vous rassemblez dans l’église,
j’entends dire qu’il y a des dissensions parmi vous. » Et que
cette église n’était pas une maison privée, le montre ce qui
suit : « N’avez-vous pas des maisons pour manger et boire, ou méprisez-vous
l’église de Dieu ? » Et de nouveau : « Si quelqu’un a faim,
qu’il mange dans sa maison etc… » Et, au chapitre 14 : « Que
les femmes se taisent dans les églises. Si elles veulent apprendre quelque
chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison. »
On le confirme aussi par les pères les plus anciens. Car, Clément,
(au livre X des reconnaissances, vers la fin), rapporte que, à la prédication
de saint Pierre à Antioche, la maison de Théophile fut convertie en église,
et que c’est là que fut instituée la chaire de Pierre, d’où
il prêchait au peuple. Philon (dans la vie théorique des suppliants,
que cite Eusèbe, livre 2, chapitre 17 de son histoire) écrit que les
premiers chrétiens s’étaient constitué des maisons sacrées pour célébrer
les mystères, et lire les saints livres. Justin (dans son
apologie 2, vers la fin) dit que, au jour du Seigneur, les chrétiens se
rassemblaient dans un certain lieu pour entendre la parole de Dieu
et recevoir l’eucharistie. Tertullien, le plus ancien des pères
latins, (dans son livre contre les Valentiniens, près du début),
se souvient expressément des lieux sacrés où les chrétiens se réunissaient.
Saint Cyprien, dans son sermon sur l’aumône, dit, en blâmant les femmes
riches qui venaient à l’église sans rien offrir : « Tu viens
au Seigneur sans sacrifice, et tu prends une part du sacrifice que le pauvre
a apporté. »
Quand saint Grégoire le thaumaturge, l’égal de Cyprien, voulait
construire une église, et n’avais pas suffisamment d’espace libre
à cause de la proximité d’un rocher, il déplaçait ce rocher par ses
prières, comme le rapporte Eusèbe (livre 7, chapitre 25 de son histoire).
Au chapitre 26, ce même Eusèbe raconte que les catholiques étaient entrés
en conflit avec Paul de Samosate au sujet d’un édifice sacré, et qu’ils
avaient plaidé leur cause devant l’empereur Aurélien. Il importe
peu que ce miracle de saint Grégoire le Thaumaturge ait été rapporté
par Eusèbe de Césarée ou par son traducteur latin Ruffin : tous les
deux sont des auteurs anciens.
Troisièmement. On le prouve par la raison.
Le peuple chrétien doit nécessairement se rassembler de temps en temps
pour participer aux saints mystères. Car, on ne pouvait ni prêcher
ni administrer les sacrements à chaque personne en particulier.
Et même si la chose avait été possible, elle n’aurait pas été convenable,
car un rassemblement s’impose pour nourrir l’union des âmes.
Il est donc nécessaire qu’un certain lieu soit établi pour que ces
rassemblements s’opèrent. De plus, si nous avons des lieux déterminés
pour d’autres ministères, pour les procès, les banquets et le sommeil,
pourquoi pas aussi pour les saint mystères ?
L’exemple de Jésus ne prouve pas le contraire, car, de son
vivant, l’église du nouveau testament n’était pas encore instituée.
Elle était en train de se rassembler et de se constituer. Il n’y a donc
pas à s’étonner qu’elle n’ait pas eu de lieux sacrés propres.
Mais, dès que les chrétiens commencèrent à devenir un peuple, ils eurent
des églises, comme il a été démontré.
La seconde proposition : « Les églises des chrétiens ont été
instituées pour offrir des sacrifices, et c’est pourquoi on les appelle
vraiment et proprement des temples. » On peut le prouver d’abord
par tous les arguments qui démontrent que l’eucharistie est un sacrifice.
Mais cela, comme je l’ai dit, relève d’un autre sujet. On va
donc le prouver de la manière suivante. Les églises des chrétiens
ont toujours eu des autels : elles furent donc de vrais temples, car un
temple n’est rien d’autre que la maison d’un autel. Car, sans
autel, on ne peut sacrifier, mais sans temple on le peut. C’est
pourquoi, si pour exclure les sacrifices, les hérétiques nient le temple,
ils devraient bien plutôt nier les autels. Or, on ne peut en aucune
façon nier les autels, comme le laisse entendre saint Paul (1 Corinthiens
X) : « Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur et à la
table des démons. »
L’apôtre oppose là la table de l’eucharistie aux tables des idolothytes,
qui étaient de vrais autels. C’est pourquoi saint Ambroise emploie
le mot autel en expliquant la table de l’eucharistie. Saint Paul
dit aussi (dans Hébreux X111) : « Nous avons un autel duquel n’ont
pas le pouvoir de manger ceux qui servent avec zèle dans le tabernacle
». Ce passage, les adversaires l’entendent de l’autel de la
croix, comme si l’apôtre avait dit : nous avons la passion du Christ
dont ne peuvent pas profiter ceux qui sont encore occupés à célébrer
sa figure. Mais les pères l’entendent du sacrifice de l’eucharistie.
Car, Theophylactus dit qu’il s’agit ici du sacrifice non sanglant.
Enseignent la même chose saint Jean Chrysostome, Sedulius, Theodoret,
Oecumenius.
Venons-en maintenant à la tradition de tous les pères.
Il n’y a, pour ainsi dire, aucun père qui ne se souvienne pas de l’autel
de l’église. Nous avons le canon 3 des apôtres, Denys l’aréopagite
(chapitre 3 de l’église hiérarchique), saint Irénée (livre 4, chapitre
34), saint Athanase (dans la vie de saint Antoine, et dans l’apologie
de sa fugue), Tertullien (livre sur la pénitence), Optatus
(livre V1 contre Parmenianus), saint Jérôme (dans l’épitaphe de Néopolitanus),
saint Augustin (dans l’épitre 50). Tous les autres font toujours
mention de l’autel quand ils parlent d’une église.
On le prouve troisièmement, par le témoignage des pères qui
emploient le mot temple. Les Grecs, en effet, se servent souvent
de ce mot, comme Eusèbe (livre 111 de la vie de Constantin), saint Basile
(dans le psaume 64), saint Grégoire de Naziance (dans le sermon sur sa
sœur Gorgonia), saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur Théodore),
saint Jean Chrysostome (dans son homélie 51 sur Matthieu) et d’autres.
Les latins n’ont pas de répugnance pour ce mot. Car, Lactance,
dans son poème sur la passion du Seigneur, dit : « Chacun doit supporter
d’autres maisons proches des temples. » Et Salvanianus (dans son
livre 4 sur la providence) dit : « L’église, ou plutôt le temple.
» Saint Ambroise (livre 2, chapitre 21, des devoirs) : « Il revient
surtout au prêtre de décorer le temple de Dieu convenablement, pour que
même avec ces marques d’honneur, resplendisse l’autel du Seigneur.
»
Et, au chapitre 28 : « Personne ne doit porter d’accusation parce
qu’un temple de Dieu a été édifié. Personne ne doit s’indigner
de ce que, pour ensevelir les reliques des fidèles, des lieux sont réservés.
» Saint Jérôme (chapitre 7 de Jérémie) appelle une église
un temple. Saint Augustin (livre 8, dernier chapitre de la cité de Dieu)
: « Nous non plus nous ne faisons pas de temples, de sacerdoces, de sacrements
et de sacrifices pour ces mêmes martyrs. Car ce n’est pas eux,
mais leur Dieu qui est notre Dieu. » Il dit clairement que c’est
pour Dieu que toutes ces choses-là sont faites. Voilà pourquoi
il ajoute un peu plus bas : « Il ne sait pas que ces sacrifices sont ceux
des martyrs celui qui sait qu’un seul sacrifice est offert à Dieu par
les chrétiens ? »
Avec tout ce que je viens de dire, je peux répondre à la première
objection tirée de l’Apocalypse (chapitre X1) qu’il s’agit de l’église
triomphante. Il n’y aura pas là de temple parce que cesseront
alors les prières, les oblations et les sacrements, pour lesquels les
temples ont été érigés. C’est ainsi qu’expliquent ce texte
tous les auteurs éprouvés et approuvés, comme Primasius, Bède, Richard,
Rupert, Anselme, et saint Augustin (livre XX, chapitre 17 de la cité de
Dieu). Il dit là qu’il ferait preuve d’une insigne impudence celui
qui voudrait voir dans ce texte l’église présente.
Ce qui nous fait comprendre que ne vient pas de saint Augustin le commentaire
de l’apocalypse qui se trouve au tome 9 de ses œuvres, selon lequel
il s’agit là de l’église présente. Le contexte lui-même le
déclare, car, au chapitre 20, on décrit le jugement et la condamnation
des impies, et on conclut le chapitre par ces mots : « Chacun est jugé
selon ses œuvres, et l’enfer et la mort ont été envoyés dans l’étang
de feu. Voilà la seconde mort. Et celui dont le nom n’a pas été
trouvé écrit dans le livre de vie est envoyé dans l’étang de feu.
» On parle ensuite (chapitre 21) de la gloire des bienheureux :
« Et j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle. » De plus, un peu
après ces mots (et je n’ai pas de vu de temple en elle), il ajoute :
« et n’entrera en elle rien de souillé. » Ce qui ne peut
certes pas s’entendre de l’église présente, dans laquelle entrent
plusieurs immondes et plusieurs impurs. Comme le montre le filet
lancé dans la mer, et qui est rempli de toutes sortes de poissons. (Matth
13, 17).
Ils disent que l’Écriture parle de l’église interne
et prédestinée, qui n’admet que des justes. Mais, c’est
le contraire qui est vrai, car, selon leurs principes, tout prédestiné
et fidèle qu’il soit, chaque baptisé est cependant immonde, et
pèche dans chacune de ses actions. Car, ils enseignent que le péché
n’est pas enlevé en ce monde par le baptême, ou par la foi, mais n’est
simplement pas imputé. Ils ne peuvent donc pas dire qu’on
appelle ici non souillés ceux à qui Dieu n’impute aucun péché, car
saint Jean ajoute, « qui ne font ni abomination ni mensonge. »
Je demande donc : les fidèles luthériens et les prédestinés font-ils
des abominations et des mensonges, ou n’en font-ils pas ?
S’ils en font, ils ne sont donc pas dans l’église. S’ils n’en
font pas, ils ne pèchent donc pas dans toutes leurs actions. Il
faut donc qu’ils avouent que saint Jean parle de l’église céleste,
dans laquelle il n’y aura personne qui commette des abominations et des
mensonges.
Pour la preuve tirée d’Isaïe, saint Jérôme donne trois
explications de ce texte. La première. Celles des Juifs et
des hérétiques Chiliastares, qui réfèrent toutes les paroles
d’Isaïe du chapitre 60 à la félicité des mille années, qu’ils
auront, croient-ils, avec le Christ sur cette terre après la résurrection.
L’autre est celle des catholiques qui entendent tout de l’église triomphante.
La troisième est celle d’autres catholiques qui entendaient toutes
choses spirituellement au sujet de l’église présente. Lyre en
apporte deux autres. Une est de ceux qui voient dans toutes
ces choses l’allégresse des Juifs après leur retour de Babylone. Une
autre entend tout au sujet de l’église, mais pas tout au sujet du même
état de l’église. La première partie, ils l’entendent de l’église
présente, et l’autre de l’église future.
La première explication est hérétique et imaginaire, et elle
a été réfutée des milliers de fois par les pères. La deuxième
est probable, et elle n’offre aucune difficulté à notre argument.
La quatrième est très fausse, et est bien réfutée par Lyre. La cinquième
est probable, et l’argument ne lui offre aucune difficulté. La
troisième est la plus probable de toutes, et c’est celle qu’adoptent
saint Jérôme et, après lui, saint Cyrille. Et selon elle,
nous répondons à l’argument que les choses qui s’appliquent
littéralement à l’église militante sont, par saint Jean, attribuées
analogiquement à l’église triomphante.
Car, c’est ce que les apôtres ont souvent fait. Ce verset
d’Osée X1 (j’ai appelé mon fils de l’Égypte), qui s’applique
littéralement aux fils d’Israël, est attribué par Matthieu
(chapitre 11) au Christ, au sens allégorique. Et ce que Moïse avait
dit de l’agneau pascal au sens littéral, (Exode X11), (vous ne lui briserez
aucun os), Jean (X1X) l’applique allégoriquement au Christ. Et,
cela ne répugne pas à saint Jérôme, car lui-même, à la fin du chapitre
36, dit que la gloire de l’Église qui est décrite dans ce chapitre,
trouve sa réalisation en partie dans ce siècle, mais principalement dans
le futur.
À la confirmation, je dis d’abord que Dieu a voulu que le temple
de Salomon soit renversé pour que nous comprenions que le statut de l’ancien
testament avait cessé, et non parce que la construction d’un
temple lui déplaisait. Au témoignage des pères, je dis que
les premiers chrétiens, à cause de la mémoire récente du sacerdoce
d’Aaron, s’étaient abstenus non seulement du mot temple, mais même
du mot sacerdoce, pour que les cérémonies judaïques ne semblent pas
survivre. Voilà pourquoi les apôtres, dans leurs épitres,
disent épiscopes et presbytes à la place de prêtres, et églises à
la place de temples. Et c’est ainsi que s’expriment Justin, Ignace,
et les autres très anciens pères.
Ensuite, quand, au temps de Tertullien, la différence entre
les Juifs et les chrétiens fut suffisamment perçue, les chrétiens commencèrent
à nommer prêtres les épiscopes et les presbytes, comme on le voit chez
Tertullien dans son livre sur les voiles des vierges. Mais
ils s’abstenaient encore d’employer le mot temple, parce que le monde
était alors plein de temples d’idoles, et que le mot temple signifiait,
dans la langue courante, un lieu consacré aux sacrifices sanglants.
Et c’est au sujet du mot pris dans ce sens que Minutiius, Optatus
et Jérôme nient que les chrétiens aient des temples.
Mais, tu diras que, à l’objection de Cecilius que les chrétiens
n’avaient ni temples, ni autels ni sacrifices, il répondit que les chrétiens
n’érigeaient pas de temple parce qu’ils savaient que Dieu ne peut
pas être contenu dans un lieu; qu’ils ne sacrifiaient pas parce qu’ils
savaient que Dieu n’a besoin de rien; qu’ils étaient eux-mêmes des
temples de Dieu, et qu’ils sacrifiaient avec les vertus de justice, de
piété et les autres. Il semble donc admettre là que les
chrétiens n’avaient alors ni temples, ni autels ni sacrifices.
Je réponds qu’Octave n’a pas voulu jeter les choses saintes aux chiens.
Et comme il ne voyait pas que Cécile était capable du mystère de l’eucharistie,
qui est l’unique sacrifice des chrétiens, il a préféré se taire là-dessus,
et répondre selon l’idée que se faisait son adversaire des sacrifices,
qui étaient nécessairement sanglants. Car, qu’avant le temps
de Minutius, les chrétiens aient eu des autels et des sacrifices, et donc
aussi des temples, les citations déjà données d’Irénée et de Tertullien
le prouvent. L’un et l’autre, en effet, sont plus âgés que
Minutius.
La troisième proposition : « Les chrétiens ont raison de construire
des églises pour prier, même privément. » On le prouve d’abord
par les témoignages de l’Écriture. Car, (à 111 Rois 8, eet 2
Paralip 6), Salomon affirme que le temple a été fait pour qu’il soit
un lieu de prière et de supplications ,et pour que quiconque priera
là soit exaucé. Trois Rois 9, Dieu apparaissant à Salomon, lui
promet qu’il en sera comme il l’a demandé. Or, si c’était
une superstition de prier dans un temple plutôt qu’ailleurs, Salomon
n’aurait pas institué de temple à cette fin, et Dieu n’aurait pas
approuvé le fait accompli. Car, la superstition ne fut jamais
licite.
De plus, on dit dans Isaïe ( 56), que « ma maison sera appelée
une maison de prière. » Ce que le Seigneur confirme en Matthieu
(XX1). Il ne faut pas voir une objection dans las parole suivantes
(Matth 21) : « Entre dans ta chambre », ou « une heure viendra où ce
ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez
», car, après avoir dit toutes ces choses, il a dit du temple de Salomon
« ma maison sera appelée une maison de prière. »
On le prouve ensuite par des exemples tirés de l’Écriture.
1 Rois 1, Anne se rendit au tabernacle pour prier Dieu là où se trouvait
l’arche. Et, priant là, elle fut exaucée. À 2 Rois 7,
voulant prier de la même façon, David se rendit au tabernacle, et commença
à prier devant l’arche du Seigneur. Il est certain
que s’il n’avait pas pensé que Dieu y est plus présent, et qu’il
exauce plus facilement les prières, il serait demeuré dans sa maison
pour prier. Le même David (1 Paralip chapitre 21), voulut aller
au tabernacle du Seigneur à Gabaon, afin de prier pour que la peste soit
détournée du peuple, mais la crainte et la terreur l’en empêchèrent.
Il érigea donc un autel dans Jérusalem. Parce que, étant captif,
Daniel ne pouvait pas entrer dans le temple, quand il était sur le point
de prier, il (V1) ouvrait le fenêtre et priait en se tournant dans la
direction où se trouvait le temple. Dans Luc 11, on lit qu’Anna, fille
de Phanuelis, ne sortait pas du temple, servant Dieu nuit et jour par ses
jeûnes et ses prières. Dans les Actes V111, un eunuque de
la reine d’Éthiopie, venait adorer dans Jérusalem.
On le prouve troisièmement par les pères. Origène (homélie
2 sur l’Exode) appelle les églises chrétiennes « des maisons de prière.
» Tertullien (dans apologie chapitre 39) écrit qu’on se rassemble
à l’église d’abord et avant tout pour prier, ensuite pour lire l’Écriture,
et puis pour exhorter. Eusèbe (livre 2, chapitre 17 de son histoire)
dit, d’après Philon, que dans chaque ville « des édifices sacrés
étaient consacrés à la prière. »
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie 30 contre les Anoméens)
dit : « On dit qu’on peut tout aussi bien prier à la maison.
Toi, ô homme, tu t’illusionnes, et tu es affecté d’une grave erreur.
Car, même s’il est permis de prier à la maison, il ne peut pas
se faire que tu pries aussi bien dans ta maison que dans une église. »
Il répète la même chose dans son homélie 79 au peuple. Saint
Basile (dans le livre 2 sur le baptême, question 8) parle d’un lieu
qui n’est pas peu réservé pour la prière. Et il réfute deux
objections, (tirées de Jean 1V et de 1 Timothée 11) que nous font
nos adversaires. Et, à la question 40, il dit qu’on ne doit pas
aller dans les églises pour se livrer à des négoces séculiers,
mais pour prier.
Saint Ambroise (dans son sermon sur la livraison des basiliques
aux ariens) dit qu’il a pris l’habitude d’aller chez les martyrs
à chaque jour, c’est-à-dire dans les basiliques des martyrs,
pour y prier. Saint Jérôme (dans l’épitaphe de Marcella) dit
: « Elle célébrait les basiliques des apôtres et des martyrs par des
prières secrètes. » Ruffin (livre 2, chapitre 33 de son histoire)
écrit ceci au sujet de Théodose : « Il faisait le tour de tous les lieux
de prière. » Saint Augustin (livre 22, chapitre 8) se souvient
d’un grand nombre de personnes qui priaient dans les basiliques en demandant
des miracles. Et il dit, au même endroit, qu’il s’est
consacré une maison de prière pour lui et ses collègues.
Quatrièmement. On le prouve par le nom. Car
les églises sont souvent appelées en grec euktèria, et en latin oratoria
(oratoires). Voilà pourquoi saint Augustin dit (dans la lettre 109)
que, dans un oratoire, personne ne fait rien d’autre que ce pourquoi
il a été fait, et ce qui lui a donné le nom. Cinquièmement.
On le prouve par des raisons. La première raison. Dieu
est dans un temple plus qu’il ne l’est ailleurs. Car, autrement,
saint Paul n’aurait pas dit (1 Cor 111) : « Ne savez-vous pas que vous
êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? »
Et à 1 Corinthiens V1 : « Vos membres sont le temple du Saint-Esprit,
qui habite en vous. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps. »
Et, à Corinthiens V1 : « Vous êtes le temple du Dieu vivant,
comme le dit le Seigneur, parce que j’habiterai en eux et je marcherai
avec eux. » Car l’apôtre a tiré sa comparaison des vrais temples,
dans lesquels il habite d’une façon particulière. Et afin de
nous montrer que Dieu habite en nous d’une manière toute particulière,
il donne à nos corps le nom de temples de Dieu. Voilà pourquoi
saint Augustin dit à Simplicianus (livre 2, question 4) que David
a prié devant l’arche, « parce qu’il y avait là une présence plus
sacrée et plus secourable de Dieu ».
La deuxième raison. Dans le temple, Dieu exauce plus rapidement.
Car ce que (dans 111 Rois 1X) Dieu a promis pour le temple de Salomon,
il le promet, sans l’ombre d’un doute, pour les temples des chrétiens.
En effet, ce que Salomon a demandé quand il a dédicacé le temple, l’Église
le demande quand elle dédicace de nouveaux temples : « que les oreilles
de Dieu soient ouvertes dans ce lieu ». Il n’est pas croyable
que Dieu ait écouté les prières de Salomon et qu’il n’exauce pas
celles de l’Église. De plus, c’est là la façon et la raison
dont Dieu est présent dans un temple d’une façon particulière : pour
exaucer.
La troisième raison. Parce que la prière est une
chose très noble, et c’est pour cela qu’un lieu très noble et sacré
lui est du. Voir saint Basile, livre 2, question 8 sur le baptême.
La quatrième raison. Parce que, dans une église, il y a tout
ce qu’il faut pour exciter la dévotion nécessaire à la prière : les
autels, les croix, les images et les reliques. Même les murs dédiés
à Dieu incitent à la piété. Choses qu’on ne trouve certainement
pas ailleurs.
La cinquième raison. Parce que, dans les temples, en plus
de la présence de Dieu qui est partout, il y aussi, dans l’eucharistie,
la présence corporelle du médiateur, le Christ. Ce qui certes,
augmente l’espérance et la confiance du priant. Et, de plus, elle
ne peut pas ne pas inculquer dans un esprit religieux l’effroi
et la révérence. Car, comme le dit saint Jean Chrysostome, (homélie
36 dans 1 aux Corinthiens), car là où est le Christ dans l’eucharistie,
ne fait pas défaut la présence de nombreux anges; et où est un tel roi,
et de tels princes, là est le palais céleste, et même le ciel.
Il nous sera maintenant facile de répondre aux arguments contraires.
À l’objection tirée de l’évangile qui nous exhortait à entrer dans
notre chambre pour prier, je réponds qu’on ne peut pas entendre le mot
chambre au sens matériel. Car, autrement, l’apôtre contredirait le
Seigneur en disant : « je veux que les hommes prient en tout lieu. »
Et ne lit-on pas que le Seigneur a prié souvent sur des monts, comme sur
le mont Thabor ? Mais qu’il ait prié dans sa maison, on ne le
lit jamais. Et saint Jean Chrysostome (dans son homélie 79 au peuple)
dit qu’on peut prier partout, et même à la foire.
Et il rapporte l’exemple suivant. Un magistrat furieux
hurlait devant les portes d’une maison. Les propriétaires
de cette maison se munirent du seul signe de la croix, et, après avoir
prié Dieu de tout leur cœur, ils changèrent vite le cœur du magistrat,
et rendirent amical celui qui était irrité contre eux. Le Seigneur
(dans Matthieu V1), ordonne que, dans la prière, nous ne cherchions pas
la vaine gloire, comme le faisaient les pharisiens, qui priaient dans les
lieux publics pour être vus par les hommes. Nous cherchons seulement à
plaire à Dieu, et à être vu par Lui. Quand nous prions dans cet
esprit, c’est-à-dire pour ne pas recevoir de louanges humaines, nous
prions toujours dans nos chambres, que nous soyons dans une église, sur
une montagne, ou à la foire. Quand nous entrons dans notre chambre
pour prier avec le désir d’être vu, on peut dire alors que nous
prions en dehors de notre chambre, comme le note justement saint Jean Chrysostome
dans son commentaire de ce passage.
Saint Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Caïn), saint Jérôme
(chapitre 6 sur Matthieu), et saint Augustin (livre 2, chapitre 6 de son
sermon du Seigneur sur la montagne) entendent par chambre le secret du
cœur, et ils veulent que soient chassées les divagations
de l’esprit pendant la prière. J’en conviens. Mais, la
première explication est plus littérale. À la deuxième objection,
je dis que le Seigneur, dans ce passage, ne parle pas de l’adoration
par rapport à un lieu, mais par rapport à la façon d’adorer.
Car, il ne veut pas dire que, au temps de la vraie loi, personne
n’adorera à Jérusalem ou sur le mont Garizim, puisque ce serait manifestement
faux.
En effet, dans Actes 111, après avoir reçu le Saint-Esprit,
Pierre et Jean montaient au temple pour prier, et, depuis ce temps jusqu’à
aujourd’hui, il y a des pèlerins qui se rendent aux lieux saints
de la Palestine, adorent Dieu à Jérusalem et sur le mont Garizim, et
à d’autres endroits de cette terre. Le sens des paroles du Seigneur
est donc le suivant : au temps de la nouvelle loi, il ne faut plus adorer
Dieu sur le mont Garizim selon le rite que les Samaritains utilisaient
en adorant sur cette montagne. Il ne faut plus, non plus, adorer
à Jérusalem selon le rite que les Juifs utilisaient dans le temple pour
adorer. Mais selon un nouveau rite qui sera dans l’esprit et dans
la vérité, c’est-à-dire, qui ne consistera pas en prières externes,
corporelles, dans des cérémonies qui sont des ombres des cérémonies
à venir, mais avec une connaissance interne et spirituelle, et avec
l’amour de Dieu, dans un cœur contrit et humilié.
Cette adoration intérieure et spirituelle n’exclut pas, cependant,
un culte public, même si elle est toute tournée vers l’intérieur.
C’est ainsi qu’ont commenté ce passage saint Jean Chrysostome, saint
Cyrille, Euthymius et d’autres. Ils opposent le « en esprit »
aux cérémonies des Juifs, en tant qu’elles étaient corporelles.
Et le « en vérité », ils l’opposent aux mêmes cérémonies en tant
qu’elles sont des ombres et des figures.
Théophylcatus, saint Thomas et Cajetan n’ont quand même
pas donné une mauvaise explication quand ils ont opposé « in spiritu
» aux cérémonies corporelles juives, et « in veritate » à l’erreur
des Samaritains qui adoraient ce qu’ils ne connaissaient pas.
La solution consiste en ceci : Dieu a voulu que le culte des chrétiens
soit surtout spirituel, et pur de toute erreur, alors que le culte principal
des Juifs était externe, et que celui des Samaritains n’était pas seulement
externe mais impur, car ils adoraient ensemble le Dieu d’Israël et les
dieux des nations.
Mais tu diras qu’il ne semble pas vrai que le culte principal
des Juifs soit externe, car, en Isaïe 29, Dieu reproche aux Juifs de prier
et d’honorer Dieu avec leurs lèvres, alors que leur cœur était loin
de lui. Et David (au psaume 50), offre à Dieu le sacrifice d’un
cœur contrit et humilié. Je réponds que même si le culte interne
était requis des Juifs et se rencontrait en certains, il est cependant
propre au nouveau testament. Parce que le culte interne qui
procède, par l’Esprit, de la foi et de la charité, est une grâce
du nouveau testament qui ne pouvait pas être obtenue par l’ancien.
C’est comme quand nous disons que la crainte est propre à
la loi, et l’amour à l’évangile. Et cependant, Dieu requérait
des Juifs un amour qui venait de tout leur cœur. Et les patriarches et
les prophètes aimèrent véritablement Dieu de tout leur cœur, et, pour
cette raison, ils appartenaient au nouveau testament, car ce n’est pas
de la lettre de la loi qu’ils avaient cela, mais de l’esprit de la
grâce. Nous disons aussi que le culte de la loi est externe,
mais qu’il ne plaisait pas sans le culte interne; et que le culte
interne est le culte de l’évangile, mais qu’il n’est pas possible
sans le culte externe; et que, si, dans l’ancien testament, certains
ont rendu à Dieu un culte interne, ce n’est pas de la loi qu’ils le
tenaient, mais de la grâce du nouveau testament auquel ils appartenaient.
Au troisième texte, la réponse est facile. Car,
quand l’apôtre dit : « Je veux que les hommes prient en tout lieu,
levant à Dieu des mains pures, sans colère et sans dissimulation »,
il parle soit de la prière publique, soit de la prière privée.
S’il parle de la privée, comme l’entendent Ambroise, Anselme, Haymo,
Thomas et les autres latins, alors, le sens est, selon eux, que ce n’est
pas seulement dans l’église, même si elle est la maison principale
de la prière, mais même dans tous les lieux qu’il est licite
de prier Dieu, pourvu que la turpitude d’un lieu ne semble pas l’empêcher.
S’il est question de la prière publique, alors ce texte
témoigne en notre faveur, car ce « en tout lieu » signifie dans
tout lieu où il convient d’adorer publiquement Dieu, c’est-à-dire,
dans toute église. Que cela soit la vraie explication, on le déduit
de ce que, selon tous les grecs et plusieurs latins, l’apôtre a mis
ce « en tout lieu » à cause des Juifs qui pensaient qu’on ne pouvait
prier Dieu que dans un seul lieu, le temple de Salomon. Des prières
privées, les Juifs en faisaient eux aussi partout, comme le laisse entendre
Matthieu V1 : « Ils aiment se tenir debout pour prier dans les synagogues
et sur les places publiques. » Il s’agit donc là de la
prière publique et sacrificielle que les Juifs estimaient ne devoir être
faite que dans le temple de Salomon.
On le voit aussi par ce qui est ajouté tout de suite après
: « De la même manière les femmes, dans un habit de fête ».
Ce qui ne peut se comprendre que de la prière qui se fait dans une église.
Car pourquoi faut-il que les femmes soient habillées convenablement
quand elles vont prier si ce n’est à cause des autres avec qui elles
prient. On le voit aussi, en troisième lieu, parce que, quand
saint Paul dit : je veux donc que les hommes prient en tout
lieu, ce « donc » unit cette phrase avec le début du chapitre,
où il est dit : « Je demande d’abord qu’on fasse des demandes, des
supplications ». Ces paroles saint Augustin, dans son épitre
à Paulin, et tous les Grecs comprennent qu’elles sont dites de
la prière publique, qui se fait dans la célébration des messes.
Saint Basile (dans le livre 2, question 8 su baptême) explique ainsi ces
deux passages. Le Christ et l’apôtre ont voulu enseigner qu’il
n’y aurait pas un seul lieu de prières, à Jérusalem, mais qu’en
tout lieu des temples et des églises devront être érigées.
Au quatrième argument, je concède que Dieu est partout d’une certaine
manière, mais pas de toutes les façons. Car, si Dieu était partout
dans ce monde comme il l’est dans le ciel devant les bienheureux, on
dirait pour rien : notre Père qui êtes aux cieux. Et, pour
réfuter ces paroles de Calvin, (livre 3, chapitre 20, verset 30), il faut
savoir qu’il a parlé ainsi : « Il faut se garder de penser que le temple
est l’habitation propre de Dieu, où il approcherait plus près de nous
ses oreilles, comme on l’a pensé dans les siècles antérieurs. »
Ou Calvin veut que Dieu n’habite pas au sens propre dans un temple
de façon à y être enfermé, ou il estime qu’en aucune façon Dieu
est plus présent dans un temple qu’ailleurs. Si c’est le premier
cas, il a raison, mais il ment quand il ajoute que c’est ce qu’on a
pensé pendant plusieurs siècles.
Car, les catholiques ne furent jamais stupides à ce point.
Si c’est le deuxième cas, il parle manifestement contre les Écritures,
car si Dieu avait été partout de la même façon qu’il était
dans le temple de Jérusalem, c’est en vain qu’on l’aurait appelé
la maison de Dieu (Isaïe 56) et ailleurs souvent. C’est en vain
que saint Paul aurait dit que nous sommes le temple de Dieu parce que Dieu
habite en nous. Et si Dieu ne parle pas et n’écoute pas plus dans
un lieu que dans un autre, pourquoi, je le demande, dans l’ancien
testament, les réponses n’étaient-elles données que du propitiatoire
qui se trouvait au-dessus de l’arche ?
La quatrième proposition : « C’est à bon droit qu’on édifie
et dédicace des temples non seulement à Dieu, mais aussi aux saints.»
On prouve cette proposition par les conciles et les témoignages des pères.
Le concile de Gangrene (dans son épitre aux évêques d’Arménie), réprouve
Eusthatius comme étant un contempteur des basiliques des saints martyrs.
Et au canon 20, il nomme les basiliques des martyrs. Le concile de
Gabilone (au dernier canon), les appelle basiliques des martyrs.
Le concile de Carthage 5, canon 14, interdit de construire des basiliques
pour les martyrs, là ou ne se trouve ni le corps ni aucune
relique d’un martyr, et où n’a pas habité le martyr. Car une
de ces choses est requise pour qu’un lieu puisse être appelé mémorial
d’un martyr.
De plus, les pères enseignent la même chose. D’ abord,
les Grecs. Saint Cyrille de Jérusalem (dans sa catéchèse 16) se
souvient de l’église des apôtres érigée à Jérusalem, au lieu
où le saint Esprit était descendu. Saint Athanase (dans son épitre
à ceux qui mènent la vie solitaire), nomme le temple de saint Quirinus.
Saint Basile (dans le psaume 64), au tout début, invoque le temple sacré
des martyrs. Saint Grégoire de Naziance, (dans son sermon1 contre
Julien), écrit que Gallus et Julianus avaient commencé d’ériger à
grands frais un temple pour le martyr Mamaeus; et il loue Gallus,
parce qu’il fait cela avec un grand amour. Grégoire de Nysse dans
son discours contre Theodore dit plusieurs choses sur un temple dédié
à ce martyr. Saint Jean Chrysostome (homélie 28 au peuple) dit
: « Pour les vraies églises royales, les vraies maisons des prière,
et les temples des martyrs etc. » Et, dans l’homélie 66, il dit
que Constantin, après sa mort, a été le saint portier du pêcheur, parce
qu’il avait été enseveli devant les portes de la basilique de saint
Pierre à Constantinople. Theodoret (livre 7 aux Grecs), dit que
les anciens temples d’idoles sont maintenant des temples de martyrs.
Eusèbe (livre 4, chapitres 58, 59, 60 de la vie de Constantin) dit qu’un
très beau temple a été érigé à Constantinople en l’honneur des
apôtres. Sozomène (livre 6, chapitre 18), se souvient du
temple de saint Thomas érigé à Édesse. Socrate (livre 1, dernier
chapitre) se souvient de l’église des apôtres. Évagre
(livre 2, chapitre 3) se souvient du temple de sainte Euphémie, et (au
livre 4, chapitre 8), de celui de Thècle, de grandes dimensions,
construit par Zénon.
Nicéphore (livre 13, chapitre 37), se souvient du temple de
Basiliseus. Saint Jean Damascène (livre 4, chapitre 16) déclare qu’on
doit construire des temples en l’honneur des martyrs. Et
il nous reste encore le livre de Procopius sur les édifices de Justinien,
où il énumère plusieurs temples de martyrs et d’autres saints.
Parmi les latins. Saint Ambroise (livre 1, épitre 5 à l’évêque
Félix de Comes : « Il a été question d’une basilique qu’il
a construite et qui doit être dédicacée au nom des apôtres ».
Saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance : « Entre dans les basiliques
des martyrs, et il t’arrivera d’être purifié. » Au même endroit,
et dans l’épitre précédente, il se souvient des basiliques des apôtres
et des martyrs. Gaudence, l’égal d’Ambroise, dans son traité
sur la dédicace de l’église : « Dieu nous a accordé d’avoir des
reliques de martyrs à vénérer; et il nous a fait le cadeau de pouvoir
fonder une basilique en leur honneur.
Saint Augustin, (dans le livre des soins à donner aux morts, chapitre
1), se souvient de la basilique de saint Félix : « Pour que soit placé
dans la basilique du bienheureux Félix etc. » Et (dans le livre
1, chapitre 1 de la cité de Dieu) : « Attestent cela les lieux des martyrs,
et les basiliques des apôtres. » Et (au livre 20, chapitre 21 contre
Faust) , il écrit : « Le peuple chrétien célèbre les anniversaires
des martyrs avec une solennité religieuse. » Et (au livre 8, chapitre
26 de la cité de Dieu), il dit : « Mais cela semble vous attrister que
les basiliques de nos martyrs aient pris la place de leurs temples. »
L’auteur du livre sur les dogmes ecclésiastiques (chapitre 73) dit qu’on
va dévotement dans les basiliques des martyrs. Au premier anniversaire
de la mort de Félix, Paulin dit désirer pouvoir « servir
saint Félix en nettoyant et en gardant sa basilique ».
Victor Uticensis (livre 1 sur la persécution des Vandales) écrit
que les Carthaginois avaient deux amples églises dédiées à saint Cyprien.
Saint Grégoire (livre 2 chapitre 8 de ses dialogues) écrit que, par saint
Benoit, sur le mont Cassin, deux temples d’Apollon ont été changés
en oratoires des saints, l’un de saint Martin, l’autre de saint Joannis.
Le livre pontifical atteste que Sylvestre a dédié des basiliques construites
par Constantin, une pour Pierre, et une autre pour Paul, une troisième
pour Joannis, une quatrième pour Laurent; Libère une à la bienheureuse
Vierge Marie, Damase, une à saint Laurent, Innocent, une à Gervais
et Protais, Sixte 11, une à Marie et à saint Laurent, Léon une à saint
Corneille, Gélase une à Éphémie, Symmaque, une à saint André,
Jean 1 une à saints Philippe et Jacques, Pélage 11 une à saint
Laurent, saint Grégoire une à sainte Agathe, Boniface 4, une à la bienheureuse
Vierge Marie, et à tous les saints. Tous ces pontifes, à l’exception
de Grégoire et de Boniface, vécurent avant l’an mille.
En second lieu, on le prouve par une raison tirée du semblable. Le
temple de Salomon n’a pas été érigé seulement pour les sacrifices
et les prières, mais aussi pour la conservation de l’arche du Seigneur,
comme le montre le livre de Paralipomènes, chapitre 17, où, voulant édifier
un temple, David dit à Nathan : « Tu vois que moi j’habite dans une
maison en bois de cèdre, et l’arche de Dieu dans une tente de peaux
de bêtes. » De même, Paralip chap 28 : « J’ai pensé
à édifier une maison dans laquelle reposerait l’arche d’alliance
du Seigneur, l’escabeau des pieds de notre Dieu. » On le voit
aussi dans Paralip, chapitre V, où, quand le temple fut construit, ils
y introduisirent l’arche avec une grande solennité. Et dans le
psaume 81, où il est dit que David avait le vœu d’édifier
une maison pour l’arche de Dieu. On y lit aussi : « Entre,
Seigneur, dans ton repos, toi et l’arche de sanctification. »
Or, le même honneur, ou un plus grand encore, est du aux saintes reliques
du Christ et des saints. Car, saint Jérôme disait du sépulcre
du Seigneur (épitre 17 à Marcella) : « Les Juifs vénéraient le saint
des saints parce que l’arche de l’alliance s’y trouvait. Le
sépulcre du Seigneur ne te semble-t-il pas plus vénérable ? »
Donc, comme on a pu ériger une maison sur l’arche de Dieu, on peut en
ériger aussi sur le sépulcre du Christ. Et si on le peut sur le
sépulcre du Christ, on le peut certainement aussi sur les sépulcres des
saints. Car c’est la même raison qui vaut pour tous, puisqu’ils
ne diffèrent les uns des autres que par le plus et le moins.
De plus, que les reliques des saints soient aussi vénérables que
l’arche de Dieu, on le prouve ainsi. Car, l’arche, en tant qu’elle
était en bois, ne méritait aucun honneur. Elle était vénérée
parce qu’elle représentait le siège de Dieu, et parce que Dieu
parlait par elle. Or, les corps des saints furent des sièges
vivants de Dieu, et des organes vivants par lesquels Dieu parlait.
Car, à Corinthiens 1, 6, il est dit : « Vos membres sont le temple du
Saint-Esprit. » Et à 11, Corinthiens 13 : « Le Christ qui parle en moi.
» Il sera donc permis de construire des édifices sacrés pour orner
et conserver les sépulcres des saints. Et c’est cela la dédicace
des basiliques aux saints.
Tu diras que, au moins pour la Vierge et les saints, dont nous n’avons
aucune relique, il n’est pas permis d’ériger de basilique.
Je réponds que par le mot reliques, nous n’entendons pas des ossements
et des vêtements, mais aussi des lieux où les saints ont souffert, où
ils ont habité, et où ils ont fait quelque chose de remarquable.
Et c’est de cette façon qu’ont été érigées les deux basiliques
de saint Cyprien (selon Victor, livre 1), une à l’endroit où
il a souffert, et l’autre où reposait son corps. C’est de cette
façon qu’ont été érigées beaucoup d’églises de la sainte Vierge
et des saints dans les lieux où ils apparurent, où ils firent des miracles.
J’ajoute aussi qu’on peut ériger des basiliques pour
conserver la mémoire des saints à cause d’une image ou seulement
d’un nom. On peut, par exemple, ériger une basilique à saint
Pierre pour que, avertis par une image ou par le seul nom du temple, ceux
qui entrent se souviennent de saint Pierre, et le vénèrent et le prient,
dans ce lieu, comme patron. Et ce n’est pas contre le concile de
Carthage 5, canon 14, qui statua qu’on n’accepte aucun martyrium, à
moins que ne soient présentes les reliques d’un saint, qu’il n’ait
souffert ou n’ait habité à cet endroit. Car l’intention du concile
n’est pas de prohiber absolument toute construction de basilique de martyrs
où ne se trouvent pas ses reliques, mais de ne pas croire que ces reliques
sont des reliques de tel martyr sans le témoignage d’historiens crédibles.
À l’argument qu’on nous oppose, il y a deux solutions.
La première, celle des auteurs plus récents. Parce que, ne faisant
pas de distinction entre temples et basiliques, ils estiment que
les édifices sacrés ne peuvent être érigés que pour Dieu, puisqu’on
n’offre de sacrifice qu’à Dieu. Mais comme la plupart des temples
sont consacrés à Dieu, ils disent, pour pouvoir mettre entre temples
et basiliques une certaine différence, qu’on leur donne le nom des saints
non parce qu’ils sont érigés pour eux, mais parce que, dans ces temples,
on conserve leur mémoire, et qu’ils y sont invoqués comme patrons.
Quand donc on lit dans les auteurs anciens ou on entend dire qu’on donnait
le nom de temple ou de basilique aux églises de saint Pierre, de
saint Paul ou d’autres saints, ils disent qu’on doit donner l’explication
suivante. Cette basilique ou ce temple est de saint Pierre, c’est-à-dire
est un temple dédié à Dieu en souvenir et au nom de saint Pierre; ou
est dédié à Dieu pour qu’on prie là par l’intercession de saint
Pierre. Exemple. On dit la messe de saint Pierre, non parce
que le sacrifice est offert à Pierre, mais parce qu’il est offert à
Dieu en action de grâces pour la gloire accordée à saint Pierre, et
pour que, en même temps, saint Pierre soit interpellé en tant que patron
et avocat auprès de Dieu. Cette explication est surement bonne et
conforme au rite de l’Église, qui est conservé dans la consécration
des temples. Car, à toutes les fois que, dans cette cérémonie,
le prêtre récite des prières, il dit qu’il consacre le temple en l’honneur
de Dieu, et au nom de tel ou tel saint.
L’autre solution admet que les édifices sacrés sont édifiés vraiment
et au sens propre du terme pour les saints. Non en tant que temples
mais en tant que basiliques, ou martyriums. Car il faut observer
que selon la doctrine des anciens pères les mots temple et basilique ne
sont pas synonymes; et que même si on les emploie tous les deux pour désigner
la même maison de prière, c’est dans un sens différent. Car
un édifice sacré est appelé temple au sens propre, dans la mesure où
il est érigé pour y offrir des sacrifices. Le même édifice sacré
est appelé basilique, dans la mesure où il a été construit pour
orner le sépulcre d’un saint, et offrir la possibilité de visiter
ses reliques. Car le mot basilique n’a aucun rapport avec les sacrifices.
En effet, on appelle basiliques les palais des rois (Esther 5).
Bien plus, ce sont ces palais royaux qui sont appelé basiliques au sens
propre, et c’est d’eux que vient le nom de basiliques de martyrs.
C’est ce que nous voyons aussi pour les autels. Car une seule
et même pierre est appelé autel dans la mesure où on sacrifie à Dieu
sur elle. On peut dire aussi la même chose des sépulcres.
On donne ce nom dans la mesure où il touche les os d’un martyr.
Car, tous les autels sont des sépulcres des saints. Et comme la
pierre est dédiée à un saint non en tant qu’autel mais en tant
que sépulcre, de la même façon, cette maison est dédiée à un
saint non en tant que temple, mais en tant que basilique. Et comme
ce serait de l’idolâtrie d’ériger des autels à des saints,-- et
ce n’est cependant pas de l’idolâtrie de leur ériger des sépulcres
de pierre,-- de la même façon, ce serait de l’idolâtrie d’ériger
aux saints des temples en tant que temples. Et ce n’est cependant
pas de l’idolâtrie de leur ériger des basiliques. Comme
ce n’est pas non plus de l’idolâtrie de donner aux saints des écrins
en or ou en argent pour y loger leurs reliques. Car les basiliques
ne sont rien d’autre que de grands écrins dans lesquels sont enfermés
de plus petits écrins, ainsi que des sépulcres. Il s’ensuit
donc que c’est autrement qu’on dit messe de saint Pierre et basilique
de saint Pierre. Car, la messe n’est offerte en aucune manière
à saint Pierre, ni premièrement, ni secondairement. Mais
la basilique, elle, est certainement édifiée à et pour saint Pierre,
si non premièrement, du moins secondairement.
Qu’il existe une telle différence entre temple et basilique, on
peut le prouver avec les pères. Car saint Augustin (livre 1 contre
Maximin, et livre contre les sermons des ariens) atteste très clairement
que l’érection d’un temple est un culte de latrie qui n’est du qu’à
Dieu. Le même saint Augustin associe le temple avec l’autel et
le sacrifice, au livre 8, dernier chapitre de la cité de Dieu. Cependant,
dans ces mêmes livres, il reconnait que c’est à bon droit qu’on édifie
des édifices en mémoire des martyrs. Et surtout au livre 12, chapitre
10 de la cité de Dieu, où il dit : « Nous, nous ne fabriquons
par pour nos martyrs des temples comme à des dieux, mais des mémoriaux,
comme à des hommes morts dont les esprits vivent auprès de Dieu.
» Le même Augustin ne dit jamais des temples de martyrs.
Et cependant, il dit souvent des basiliques de martyrs, comme les autres
pères latins.
Les Grecs, eux, disent qu’on construit ou qu’on dédicace
des temples aux martyrs, comme le montre saint Basile (psaume 64).
Il l’appelle « ieron tôn marturôn ». Saint Grégoire de Nysse
parle ainsi, et les autres. Mais il est certain qu’ils employaient
le mot matériellement, c’est-à-dire cette maison qui est appelée temple,
est fabriquée pour les martyrs; non en que temple pour offrir
des sacrifices, mais en tant que basilique pour célébrer la mémoire
des saints. Que même eux comprenaient que les édifices sacrés
étaient construits pour Dieu mais aussi pour les saints, en souvenir d’eux,
comme le sacrifice est offert à Dieu en souvenir d’eux, on le prouve
ainsi. Car ils disent que les édifices sacrés ont été
construits pour les martyrs, mais ils ne disent jamais qu’on offre des
sacrifices aux martyrs. Au contraire, ils le nient explicitement.
Comme Theodoret (livre 8 aux Grecs). Ils estimaient donc qu’autre
chose était de construire des édifices sacrés pour les martyrs, et autre
chose leur offrir un sacrifice. Le rite de consécration ne nous
crée pas de souci, car, quand on dit que le temple est consacré en l’honneur
de Dieu et au nom du martyr, il s’agit de la consécration d’un temple
en tant que tel.
CHAPITRE 5 : La dédicace et la consécration des églises
Les magdebourgeois (centurie, 4, capitre 6, colonne 407 et suivants),
reprochent trois choses aux dédicaces. La première.
Nous érigeons des temples avec une grande allégresse, et nous les dédicaçons
solennellement. Ce qui vient, selon eux, de la kakothèlia des Juifs,
et ce qui n’est rien d’autre que réintroduire le judaïsme dans l’Église.
La seconde. Que nous employions un si grand nombre de cérémonies
dans la consécration des temples. Car, parmi celles-là, certaines
ne peuvent pas être excusées de superstition et de magie. Car,
d’abord, on peint douze croix, et devant chacune on allume des lampes.
On frappe ensuite à la porte du temple, et on ouvre. Ensuite sur
des cendres répandues sur les dalles à cette fin, on écrit, avec
le bâton pastoral, l’alphabet grec d’un angle à un autre.
Et ensuite l’alphabet latin d’un autre angle à un autre angle, de
façon à former une croix. On fait ensuite une mixture avec de l’eau,
du vin, du sel et des cendres, et on en asperge le temple. Puis,
on oint les autels avec le chrisme. La troisième. Ils nous reprochent
de penser que les temples sont des lieux plus saints que d’autres. Ce
que nous reproche aussi Jean Calvin (livre 3, chapitre 20, verset 30).
Nous ajouterons trois sentences à leurs reproches.
La première. C’est de plein droit que l’on dédicace les
temples de Dieu dans la joie et solennellement. On le prouve d’abord
par l’ancien testament, où nous lisons (Nombres V11) que la dédicace
du temple et de l’autel s’est faite dans la liesse populaire,
et dans une grande solennité. De plus, nous lisons trois fois que
la dédicace du temple a été faite au milieu de la joie générale et
avec pompe. La première fois, par Salomon (Paralip livre 2,
chapitre 7); la deuxième fois, par Esdras (livre 1, d’Esdras, chapitre
6); la troisième fois par les Macchabées (chapitre 4). À cette solennité
qui se renouvelait à chaque année, le Christ lui-même a assisté (Jean,
chapitre X). Cet argument, nos adversaires pensent qu’ils jouent
contre nous, parce que nous semblons judaïser quand nous faisons ce qu’ils
faisaient dans des cérémonies de ce genre.
Mais, cet argument est plutôt en notre faveur. Car, les cérémonies
propres aux Juifs, qui ont cessé et qui ne peuvent pas être conservées,
sont celles qui avaient été instituées pour signifier quelque chose
qui arrivera dans le Christ, ou dans l’Église. Si, en effet,
elles étaient conservées, elles auraient une fausse signification,
et seraient donc de fausses professions de foi. Parce que l’agneau
pascal signifiait la passion future du Christ, celui qui l’immolerait
maintenant selon ce rite professerait que le Christ n’a pas encore souffert,
ce qui est contre la vraie foi. Or, les cérémonies qui sont fondées
sur la raison naturelle, comme la flexion des genoux, la coulpe,
ne sont pas propres aux Juifs, même s’ils se les étaient appropriées.
Et elles ne semblent pas, non plus, appartenir à la loi cérémonielle,
mais à la loi morale.
Que la dédicace du temple soit de ce genre de cérémonies, on le
déduit de ce qu’on ne lit pas que ’est Dieu qui ait institué cette
cérémonie; mais que c’est guidés par la nature,
que Salomon, Esdras et les Macchabées, ont pensé qu’il convenait de
rendre grâce à Dieu pour avoir parachevé ce temple, et ont prévu que
c’est avec une grand joie que le peuple participerait aux cérémonies.
En second lieu, parce que la nature elle-même enseigne que, quand de grandes
œuvres sont terminées, on doit se réjouir et rendre grâces à
Dieu; et que, quand on entreprend une nouveauté, on invoque
Dieu et on s’attaque à l’œuvre avec joie. C’est ce qui se
fait dans la dédicace d’un temple. Car, nous exultons et
nous rendons grâce à Dieu en voyant une construction terminée; et c’est
avec joie et pleins d’espoir, que nous commençons à nous servir du
temple.
Troisièmement, car la nature enseigne de célébrer les
jours de naissance des grands hommes. Cela, les païens eux-mêmes
le faisaient. Et nous célébrons, à chaque année, la création
du pontife suprême. De là viennent les sermons de saint Léon sur
les anniversaires de son élection à la papauté. Pourquoi ne pourrait-on
pas célébrer de la même façon la naissance d’un temple, chose
publique, grandiose, et très utile à toute l’église ? Ajoutons
enfin que Dieu lui-même semble avoir donné l’exemple d’une dédicace,
lorsque, son œuvre terminée, il bénit et sanctifia le septième jour,
et le fêta en ne faisant rien.
On le prouve ensuite par la pratique constante de l’Église
et la tradition des anciens. Eusèbe (livre 9, chapitre 10
de son histoire), écrit : « Lors des dédicaces des églises, des fêtes
étaient fréquemment organisées par les nôtres, dans les villes
et en tout endroit, avec une grande joie et une grand exultation.
Les prêtres se réunissaient, et même les plus grandes distances
ne les empêchaient pas de venir, car le chemin ne paraissait pas long
à leur charité. » De même, dans le livre 4 de la vie de Constantin,
il écrit qu’il avait convoqué un synode universel à Tyr pour la consécration
et la dédicace d’un édifice qu’il avait construit pour les
martyrs à Jérusalem, la trentième année de son règne.
Athanase dans son apologie à Constance, dit : « Ceci a été
fait par Alexandre de bienheureuse mémoire, et par d’autres pères,
qui rassemblèrent le peuple, et qui, quand la construction fut terminée,
célébrèrent la dédicace en rendant grâce à Dieu. Il faut, donc, empereur,
que tu te complaises dans ces dédicaces. Car cet édifice
nouvellement érigé requiert la présence de ta piété. C’est
cela seul qui lui manque pour être parfaitement ennobli. Tu
te feras un devoir de rendre à Dieu des vœux dans cette maison que tu
lui as construite, comme tous le désirent et le souhaitent. »
Au même endroit, en faveur des dédicaces d’églises, il présente
l’exemple d’Esdras.
Saint Basile, au commencement du psaume 64, dit, pour expliquer pourquoi
il était arrivé en retard pour la dédicace de l’église, où le peuple
l’avait attendu de minuit jusqu’à midi : « S’il faut vous donner
la raison de mon retard, et de ma longue absence, je vous dirai qu’étant
chargé d’une autre église semblable à la vôtre, et qui n’en est
pas tellement éloignée, j’y ai consumé beaucoup de temps. »
Ce texte qui peut passer pour ambigu, les magdebourgeois eux-mêmes (centurie
4, chapitre 6, colonne 408) reconnaissent qu’il parle d’une dédicace
de temple.
Saint Grégoire de Naziance (dans son sermon sur le neuvième
dimanche ) commence ainsi : «Qu’il faut honorer les dédicaces de temples
c’est une ancienne loi qui est excellente. » Saint Jean Chrysostome
fait tout un sermon sur les dédicaces, (tome 3). Sozomène
(livre 4, chapitre 13) écrit que Basile d’Ancyre a invité plusieurs
évêques pour la dédicace d’un temple. Saint Ambroise (livre
1, épitre 5 à Félix) dit que lui et Félix sont invités par Bassianus
à la dédicace d’une basilique. Et, dans l’épitre à sa sœur,
que l’on trouve au milieu de ses sermons au numéro 92, il écrit : «
Quand j’ai dédicacé la basilique, plusieurs ont commencé à
m’interpeller d’une seule voix, en disant : « Feras-tu une dédicace
semblable dans une basilique romaine ? » Et j’ai répondu : «
Je le ferai, si je trouve des reliques de martyrs. »
Gaudence, dans le traité de la dédicace, dit que plusieurs évêques
se sont rassemblés pour la célébration de la dédicace d’une église,
qui avait été érigée à Brixe, en l’honneur des reliques de saint
Jean Baptiste, de saint André, de saint Thomas, de saint Luc, de saint
Gervais, de saint Protais, de Celse, et des quarante martyrs. Saint Augustin
a donné cinq sermons au peuple pour célébrer la dédicace d’un temple
(251, 252, 253, 254, 255. Et 256). Le pape Gélase (épitre 1 aux
évêques de Lucanie et des Abruzzes, chapitre 6) écrit : « Qu’il n’ose
pas dédicacer de nouvelles basiliques qui n’ont pas été érigées
selon les prescriptions. » De même au chapitre 27, il a formulé
d’autres prescriptions à observer lors de la dédicace des basiliques.
Félix 1V, qui a vécu avant l’an mille, en parle longuement dans
sa lettre décrétale, et il dit, entre autres : « Il faut célébrer
à tous les ans les solennités des dédicaces d’églises. »
Prosper (par 3 chapitre 38 sur les promesses de Dieu) atteste avoir été
présent quand, à Carthage, à été dédicacé un temple célèbre, qui
appartenait autrefois aux Gentils. Sur le frontispice, on a trouvé
divinement écrites de grandes lettres en airain : le pontife Aurèle l’a
dédié. Ce présage plongea tout le monde dans la stupeur,
quand on vit que l’évêque Aurèle avait réalisé ce qui avait été
prédit longtemps d’avance.
Saint Grégoire (livre 3, chapitre 30 des dialogues) raconte que, en
son temps, une basilique a été dédicacée non sans grand miracles; et
que ces miracles indiquaient clairement que cette dédicace avait
plu à Dieu. Saint Bernard a fait cinq sermons sur la dédicace des
temples. Rupert (chapitre 28 de la Genèse), prouve qu’on
a raison de fêter les dédicaces. Hugues de saint Victor (livre
2, paragraphe 5, chapitres 2 et 3 sur les sacrements), Isidore (livre,
chapitre 35 des devoirs), Raban (livre 2, chapitre 45, sur l’institution
des moines), Amalarius (dans son livre sur l’ordre de l’antiphonaire),
le bienheureyx Yves (dans son sermon sur la consécration des temples)
Walfride (dans les choses ecclésiastiques, chapitre 9), tous ces auteurs
parlent de la dédicace des églises comme d’une chose très antique,
même s’ils sont eux-mêmes des auteurs anciens.
La deuxième proposition. L’Église a raison de consacrer les
temples avec des prières et des cérémonies variées.
On le prouve, d’abord, par des témoignages de l’Écriture.
En effet, dans l’Écriture, nous avons la consécration d’un temple
ou d’un autel dans l’état de la nature, de la loi et de la grâce.
Dans l’état de nature. Au chapitre 28 de la Genèse, Jacob érigea
une pierre où sacrifier. Il la consacra en répandant sur
elle de l’huile, et appela ce lieu Bethel, c’est-à-dire maison de
Dieu. Au chapitre 35, ayant été averti par Dieu de faire un autel,
il érigea de nouveau une pierre, la consacra en l’oignant, et fit des
libations. Cela n’appartient certainement pas à de la magie, car
tous louent cette action, et il appert qu’elle plait à Dieu. Elle
n’appartient pas non plus aux cérémonies de la loi juive qui
n’existaient pas encore. Pourquoi ne nous serait-il pas permis
de faire la même chose ?
De plus, dans l’état de la loi, nous voyons Moïse (Exode chapitre
40, Nombres, 7) consacrer, avec de l’huile sacrée et d’autres
cérémonies, un tabernacle, un autel et tous ses vases. Il est certains
aussi que ces cérémonies ne furent pas magiques. Et bien que ces
cérémonies aient appartenu à l’ancien testament, tout en ne lui appartenant
pas en propre, puisqu’elles étaient fondées sur la prière, rien n’empêche
que nous puissions, nous aussi, y avoir recours. Dans l’état
de la grâce ou de l’évangile, nous n’avons pas de témoignages aussi
limpides. Mais nous pouvons déduire quelque chose d’approprié
des paroles de saint Paul. Au chapitre 11 de l’épitre 1 aux Corinthiens,
il leur reproche de manquer de respect envers l’église, en mangeant
dans l’église. Ce qui laisse suffisamment entendre que l’église était
une sorte de lieu sacré. Car pourquoi accuserait-on de profanation
d’église quelqu’un qui fait une chose licite, si ce n’est à cause
de la consécration de ce lieu ? Et on le confirme par Denys l’aréopagite
qui vécut au temps des apôtres. Dans son livre sur la hiérarchie
ecclésiastique (chapitre 5, partie 1), il enseigne explicitement que les
autels doivent être oints d’une huile sacrée, et consacrés par un
évêque.
On le prouve ensuite avec les décrets des anciens conciles.
Le concile de Carthage 5 (canon 6) stipule : « Il en sera de même des
églises. À toutes les fois qu’on a hésité à les consacrer, il faut
voir à ne pas les consacrer précipitamment. » De même le concile
d’Agathe, (chapitre 14) : « Il a plu que les autels soient consacrés
non seulement par l’onction du saint chrême, mais aussi par la bénédiction
sacerdotale. » Le concile de Bracarense enseigne la même
chose au canon 6. On le prouve aussi par les décrets des pontifes
Gélase et Félix 1V, déjà cités, et de Jean 1, dans son épitre aux
évêques d’Italie. On trouve chez Gratien (dist 1) d’autres
décrets portant sur la consécration des églises et des autels.
Il parle même du concile de Nicée, et d’un concile d’Hippone, qu’Augustin
(dans son livre des rétractations, chapitre 17) atteste être plénier
pour toute l’Afrique. Ces décrets sont disparus et n’existent
plus que chez Gratien.
Troisièmement. On le prouve par les pères cités dans la première
conclusion. Car, la plus grande partie d’entre eux se souviennent
de la consécration et des cérémonies qui étaient d’usage lors de
la dédicace des temples. On le prouve, en quatrième lieu, par une
raison tirée de la fin de ces cérémonies. La fin, en effet,
joue un rôle déterminant pour signifier que ce temple est dédié à
Dieu et à des actions sacrées; que ce n’est pas une maison profane,
mais sacrée. Car, même si cette dédicace consiste essentiellement
dans la volonté et l’intention du consécrateur, il est quand même
nécessaire que cette intention et cette volonté soient communiquées
aux autres hommes par des signes externes. Exemple. Les contrats
humains consistent dans la volonté et l’intention des contractants.
Cependant, pour que cette volonté soit connue, qu’elle soit
ferme et ratifiée, ce ne sont pas seulement des paroles qui sont nécessaires,
mais de nombreuses cérémonies, comme c’est le cas dans les mariages,
le couronnement des rois, dans l’armée etc. C’et donc
pour signifier que le temple est consacré au Christ, que l’on peint
son signe, c’est-à-dire la croix. On en peint 12, distantes entre
elles, pour qu’elles occupent tout le temple. Et à chacune
d’entre elles, on allume une lampe pour signifier que les douze apôtres
ont apporté cet étendard du Christ sur toute la terre, et ont éclairé
le monde par leur prédication.
Et comme le temple ne doit pas être une maison profane ou ordinaire,
mais une maison sacrée, c’est pour signifier cela qu’il est oint.
Car, l’huile est le symbole le plus commun et le plus évident de la
consécration. C’est en effet un liquide très noble, suréminent,
et surtout qui pénètre partout, qui guérit et fortifie. Elle donne
du lustre aux choses. Voilà pourquoi il a plus à toutes les nations,
et même à Dieu, de s’en servir pour signifier la consécration.
Parce que le temple est destiné aux divins sacrifices, aux prières, et
aux autres actions saintes et pures, non aux sordides et ténébreuses
manigances des séculiers, on a recours, pour signifier cette pureté et
limpidité, à de l’eau, de l’encens et des cierges.
Et parce que le temple est consacré pour prêcher et enseigner la foi,
qui est le fondement de toute justice, c’est pour cette raison qu’on
écrit l’alphabet sur les dalles. On l’écrit en latin et en
grec, parce que c’est dans ces langues que la foi a été prêchée,
et que ces deux langues étaient utilisées partout quand on a institué
ces cérémonies. Et parce que, dans le temple, on ne fait pas qu’enseigner
les chrétiens, mais on les persuade à pratiquer les vertus et à changer
de vie, c’est pour cette raison qu’on fait ce mélange d’eau, de
cendres, de sel et de vin.
Et, parce que, enfin, le démon est chassé du temple et qu’il ne
lui est pas permis d’y demeurer, et qu’on supplie Dieu, les anges et
les saints d’habiter dans ce lieu, c’est pour cette raison qu’on
frappe à la porte, qu’on ordonne au diable de sortir, et qu’on introduit
les reliques des saints. Une autre fin de ces cérémonies
est de signifier le Christ et l’Église. Car l’église matérielle
désigne l’église spirituelle, et l’autel signifie le Christ.
Et la raison pour laquelle l’autel est fait de pierre, est oint,
est posé à un endroit élevé, et sous lequel sont cachées des reliques,
c’est que le Christ est appelé pierre (1 Corinthiens X), qu’il fut
oint par le Saint-Esprit de préférence à ses compagnons (psaume 44),
qu’il est la tête de toute l’Église (Colossiens 1), et qu’en lui
sont cachées la vie et la gloire des saints (Colossiens 3, 1). Voilà
pourquoi, dans le ciel, saint Jean vit les âmes des saints sous l’autel
(Apocalypse 6).
De plus, les cérémonies qui se font dans les dédicaces d’église,
montrent tout le cheminement des fidèles. On frappe
d’abord à la porte, et le temple est ouvert par le bâton pastoral
de l’évêque, parce que, après en avoir reçu le pouvoir du Christ,
les pasteurs frappent sur les cœurs des fidèles, et les ouvrent pour
qu’ils reçoivent la foi. Ensuite, après être entré,
l’évêque, avec son bâton pastoral, écrit l’alphabet sur les dalles
recouvertes de cendre, parce que, par le même pouvoir, les prédicateurs
écrivent dans les cœurs des fidèles les rudiments de la foi, et en font
des catéchumènes. Troisièmement. On asperge
d’eau le temple et on allume les cierges, parce que, après le catéchisme
vient le baptême, qui est le sacrement d’illumination. Quatrièmement,
on peint des croix sur les murs et on les oint, (car si des croix ont été
faites au début de la consécration, c’est à ce moment qu’elles devraient
être faites. Mais, auparavant, elles avaient été faites
par complaisance, on les aurait attendues trop longtemps si elles n’étaient
peintes qu’au cœur de la cérémonie), pour signifier la confirmation,
qui, après le baptême, est administrée avec la croix et le saint crème.
Cinquièmement. On fait une mixture avec de l’eau, de la cendre,
du sel et du vin, car toute la vie des fidèles doit employée à la mortification
des vices, à la recherche et à la conservation d’une nouveauté
de vie. Car, l’eau signifie l’homme, comme il est par lui-même
après le péché : il est, comme l’eau, froid et insipide.
La cendre signifie la pénitence et la mortification des vices, le sel
la saveur, et le vin signifie la joie et la ferveur de la nouvelle vie.
Sixièmement. Après la consécration, on fête dans l’allégresse
parce que, à la fin de cette vie, les fidèles entreront dans la joie
du Seigneur, là où ils se réjouiront perpétuellement. Tu
peux voir ces explications et d’autres dans saint Augustin et saint Bernard
dans leurs sermons sur la dédicace des églises. Ainsi que
dans Hugues de saint Victor, dans Raban Maure, aux endroits cités, qui
expliquent dans le détail les raisons de ces cérémonies.
La troisième proposition. On doit avec raison estimer qu’un
temple consacré est saint et vénérable, et doté d’une vertu divine.
On le prouve d’abord par sa relation à Dieu. Le temple est
consacré à Dieu; il est donc une chose de Dieu; et il est donc
saint. Car, toute chose consacrée à Dieu est sainte par le
fait même. Lévitique, fin : « Un animal qui peut être immolé au Seigneur
sera saint s’il lui est dédié. » Et, plus bas : « Ce qui aura été
consacré une fois au Seigneur sera le saint des saints. » Matth
XX111 : « Malheur à vous, chefs aveugles, qui dites : celui qui jure
par le temple, il n’y a rien. Mais s’il jure par l’or du temple,
il le doit. Fous et aveugles ! Qu’est-ce qui est plus grand
? L’or, ou le temple qui sanctifie l’or ? »
Dans ce passage, le Seigneur veut qu’un temple de pierre soit
plus noble que l’or lui-même, parce qu’il communique à l’or sa
sainteté. Car, bien que des pierres soient tout à fait inférieures
à de l’or, cependant, à cause de la relation qu’elles ont avec le
Seigneur, ces pierres qui font le temple sont de loin plus nobles et plus
saintes que l’or. Voilà pourquoi saint Augustin (livre 4, chapitre
40 contre Cresconius), dit : « La consécration des murs au Dieu tout-puissant
rend l’église vénérable. »
On le prouve ensuite par les prières et la bénédiction de l’évêque.
Car, comme le dit l’apôtre 1 Tim 1V : « On ne peut rien condamner de
ce qui est pris en action de grâces. Car cela est sanctifié par la parole
de Dieu et la prière. » Or, si les mets ou les breuvages sont sanctifiés
par la parole de Dieu et la prière, pourquoi les temples ne seraient-ils
pas sanctifiés aussi, eux qui sont consacrés par des personnes sacrées
en priant et bénissant ? De plus, quand Salomon a sanctifié le
temple, Dieu l’a sanctifié lui aussi, comme il le dit lui-même (111
Rois, 1X) : « J’ai exaucé ta prière, et j’ai sanctifié cette maison
que tu as construite. » Or, les prières de l’église ne sont
pas moins efficaces que celles de Salomon.
Troisièmement, on le prouve par les choses qui sont dans un temple.
Car un lieu où se trouvent des choses s saintes est forcément saint.
Exode 111 : « Le lieu où tu te tiens est saint. » Or, dans les
temples, il y a beaucoup de choses saintes. D’abord, les
croix, les images du Christ et des saints. Ensuite, les reliques
des saints. Puis, la personne du corps du Seigneur dans l’eucharistie.
Enfin, la présence des anges. Car, on croit que les anges
sont toujours ou fréquemment présents dans les temples.
Voilà pourquoi l’historien Joseph (dans le livre 2 de la guerre
judaïque), écrit qu’on entendit des voix dans le temple de Salomon,
peu avant qu’il soit abattu, qui disaient : « Nous émigrerons de là.
» L’opinion commune est à l’effet que c’était la voix des anges
qui abandonnaient le lieu. Et saint Jean Chrysostome (dans son homélie
1 sur les paroles d’Isaïe : « J’ai vu le Seigneur assis »), dit
qu’une multitude d’anges se tiennent près de la sainte table dans
les églises. » Cinquièmement et ultimement. Dieu est présent
par une protection et une vertu spéciales. En signe de quoi, quand
le tabernacle a été dédié par Moïse, la nuée de la gloire de Dieu
recouvrit le tabernacle. Il a agi de la même façon quand
Salomon lui dédia le temple : une nuée de gloire emplit la maison de
Dieu.
Saint Grégoire écrit que la même chose est arrivée en son
temps (au livre 3, chapitre 30 des dialogues) : « Quand le ciel était
bleu et sans nuages, une nuée céleste est descendue sur l’autel de
l’église, la couvrit comme d’un voile, et remplit l’église d’une
telle terreur et d’une odeur si suave que, alors que les portes étaient
grandes ouvertes, nul n’osa y entrer. » Dans le livre 11, chapitre
3 des Macchabées, nous lisons qu’Héliodore a dit : « Il y a vraiment
dans ce lieu la vertu d’un dieu. Car, celui qui habite les cieux
est un visiteur et un protecteur de ce lieu. »
On le prouve, quatrièmement, par l’absence des démons. Car,
comme les temples des Gentils sont pollués, et immondes, parce qu’ils
sont des demeures de démons, comme l’enseigne saint Grégoire (livre
3, chapitre 7 de ses dialogues), les temples de Dieu sont saints parce
qu’ils sont privés de démons. Car, le même saint Grégoire (
livre 3, chapitre 30 des dialogues), écrit qu’après la consécration
d’un temple qui avait appartenu auparavant aux Ariens, le diable
est sorti de manière sensible, en toute hâte et avec précipitation.
Et comme les maisons des princes sont des asiles, où aucun licteur n’ose
mettre la main, de la même façon, les démons n’ont pas la permission
de se promener dans la maison de Dieu comme ils le font ailleurs.
2018 09 23 debut
CHAPITRE 6
La décoration des temples
La décoration des temples consiste en partie dans la construction
elle-même, et en partie, dans les images, les croix, les calices, les
vêtements, et autre chose. Nous reprochent ces décorations
autant les anciens petrobrusiens et les Wiclefistes que les luthériens
et les calvinistes, aux endroits cités. Voici quels sont leurs arguments.
Le premier, tiré de Jérémie V11 : « Ne mettez pas votre confiance
dans des paroles de mensonge en disant : le temple du Seigneur, le temple
du Seigneur ! » Commentant ce passage, saint Jérôme a parlé ainsi
: « Il prescrit et au peuple des Juifs d’alors et à nous aujourd’hui
qui semblons solidement enracinés dans la foi, de ne pas mettre
notre confiance dans la splendeur des édifices, dans les lambris
dorés, dansles parois recouverts de marbre, et de ne pas dire : le temple
de Dieu, le temple de Dieu ! » Le même saint Jérôme (dans son
épitre à Népotianus) : « Parmi ceux qui construisent des édifices
religieux, beaucoup recouvrent d’or les murs et les colonnes,
et font scintiller les autels avec des pierres précieuses. » Et
plus bas : « Que personne ne m’oppose les richesses qui se trouvaient
dans le temple des Juifs : la table, les lampes, les encensoirs, les vases,
tout ce qui était en or pur. Ces choses étaient alors approuvées
par le Seigneur quand les prêtres immolaient des hosties,
et quand le sang des bestiaux était la rédemption des péchés. Maintenant,
quand le Seigneur pauvre a dédicacé la pauvreté de sa maison, pensons
à sa croix, et nous ne verrons que de la boue dans les richesses. » Et
plus bas : « Ou nous répudions l’or avec les autres superstitions des
Juifs, ou si l’or nous plait, que nous plaisent aussi les Juifs ! »
Troisièmement, ils citent saint Ambroise (livre 1, chapitre 28 des
devoirs) : « Il aurait été préférable que tu conserves les vases des
vivants, plutôt que les vases de métal. À eux, tu ne peux pas
donner de réponse. Car, que dirais-tu : j’ai peur qu’il n’y
ait pas assez d’ornements dans le temple ? Il répondrait : ils
ne recherchent pas uniquement les sacrements. L’or ne plait pas
non plus à ceux qu’il ne peut pas acheter. Car, le vrai
ornement des sacrements est la rédemption des captifs. »
Quatrièmement. Acacius cité par Socrate (livre 7, chapitre 21),
qui, quand on lui reprocha d’avoir vendu les vases sacrés pour les pauvres,
répondit : « Notre Dieu n’a besoin ni de plats ni de calices, parce
qu’il ne mange ni ne boit. » Cinquièmement, saint Hilaire (épitre
contre Auxentium) : « L’amour des lambris vous joue de vilains
tours. Vous avez bien tort de mettre votre vénération de l’église
dans la toiture et les murs. » Sixièmement. Lactance
(livre 2, chapitre 4) loue Perse pour avoir écrit qu’on ne doit pas
apporter de vases d’or dans les temples : « Il a parlé en sage ! »
Septièmement. Saint Bernard (dans son apologie à l’abbé
Guillaume, vers la fin) : « O vanité des vanités, mais moins vaine qu’insensée.
L’église étale ses richesses sur les murs, et n’a rien à donner
aux pauvres. Elle recouvre ses pierres d’or, et laisse nus ses
fils. » Huitièmement. Saint Jean Chrysostome (homélies 51
et 81 sur saint Matthieu) enseigne qu’il est préférable de donner des
aumônes plutôt que d’orner richement les temples, et réfute l’argument
qu’on a coutume d’apporter. À ces citations, ils
ajoutent des raisons. La première. Le Christ a toujours aimé et
enseigné la pauvreté. La deuxième. Car l’or dans les temples
est oiseux et superflu. Car les murs ne ressentent pas leurs décorations,
et n’en ont pas besoin pour accomplir la fin pour laquelle ils ont été
faits. Voilà pourquoi Perse s’exclame ainsi : « Dites aux pontifes
: dans le saint lieu, que fait l’or ? » La troisième.
La pompe des temples non seulement n’aide pas, mais nuit.
Car elle attire l’esprit à elle, et les détourne des pensées
spirituelles. La quatrième. Les temples vivants sont
meilleurs que les temples morts. Or, ne font jamais défaut
les pauvres qui sont des temples vivants de Dieu, et qui ne manquent
pas seulement du superflu, mais du strict nécessaire. La cinquième.
Car, au jour du jugement, ne sera pas condamné celui qui n’aura pas
embelli son temple avec de l’or et des pierres précieuses, mais
celui qui n’aura pas nourri le Christ dans le pauvre.
Voilà donc quels sont leurs arguments. Même s’ils apparaissent
avoir un grand poids, ils ne peuvent rien contre la vérité, car rien
n’est plus pesant que la vérité. Nous les réfuterons donc dans
ce chapitre, après avoir présenté et confirmé la sentence de l’Église.
La première proposition. C’est une œuvre bonne et pieuse dans son
genre que de dépenser de grandes sommes d’argent pour la construction
et l’embellissement des églises. » On le prouve d’abord
par l’ancien testament. Car, Dieu a voulu que le tabernacle soit
très décoré, et cela à un point tel que presque tous les instruments
du sanctuaire étaient en or. Les courtines du tabernacle et les
vêtements des prêtres étaient des plus somptueux, étant faits
de soie, de byssus, de pourpre et de pierres précieuses. Et pour
que ne fassent pas défaut les artisans, Dieu a donné à certains la sagesse
et la dextérité nécessaires pour accomplir toutes ces choses.
Voir l’Exode.
Ensuite, à Nombres 7, les princes offrirent, pour l’ornementation
du temple, d’immenses sommes d’or et d’argent. David
accumula dans le temple une si grande quantité d’or, d’argent
et de pierres précieuses, que la chose semble impossible. Lire les
paralipomènes 1, dernier chapitre, et livre 2, chapitres 3, 4, et
5. Et il est certain que si les raisons qu’on apporte contre l’ornementation
de nos temples avaient quelque valeur, elles incrimineraient le tabernacle
de Moïse et le temple de Salomon. Car, même alors, les pauvres
ne faisaient pas défaut. Alors, aussi, les murs ne ressentaient
pas leurs décorations. Alors, aussi, les esprits des adorateurs
pouvaient être distraits. Mais, nonobstant tout cela, on n’a pas
mis fin à la magnificence et à la somptuosité dans l’édification
du temple et du tabernacle.
On le prouve ensuite par le nouveau testament. Car, en
Marc X11, le Christ loue la veuve qui a déposé dans la salle du trésor,
deux pièces d’argent, l’argent de son repas. Si donc cette veuve
a bien fait en donnant à Dieu le coût de ses repas, comment
peut-on blâmer ceux qui donnent une partie de leurs biens pour décorer
la maison de Dieu ? A chapitre X111, quand les apôtres dirent au
Seigneur : « Quelles pierres ! Quelles structures ! », Jésus aurait
eu une occasion idéale de réprouver la magnificence de ce temple, ou
tout au moins d’instruire ses disciples en leur disant que, dans l’ancien
testament, il était permis d’orner des temples, mais que, sous
la loi évangélique, la chose ne sera plus permise. Or, le Seigneur
n’a rien dit de tel. De même, au chapitre X1V, Judas
blâma Marie de Madeleine qui, pour oindre la tête du Seigneur, avait
fait de si grandes dépenses, et sembla dire : Pourquoi ce gaspillage
d’argent ? Car cet onguent aurait pu être vendu pour la somme
de trente deniers, et être donné aux pauvres. » Mais Jésus répondit
: « Son geste est une bonne œuvre. » S’il était permis, en
mettant de côté les pauvres, d’oindre la tête du Seigneur avec
un onguent d’un grand prix, pourquoi ne serait-il pas permis d’édifier
au Seigneur un temple d’un grand prix ?
On le prouve ensuite par la prophétie d’Isaïe. Car, au chapitre
60, où les principaux commentateurs s’entendent pour dire que,
au sens littéral, il s’agit de l’église chrétienne qui existe sur
la terre, nous lisons : « Je glorifierai la maison de ma magnificence.
» Et plus bas : « Les îles m’attendent, pour que j’emmène
tes fils de loin : leur or et leur argent, au nom de ton Seigneur. »
Et plus bas : « Les fils édifieront les murs de tes pèlerins, et leurs
rois te serviront. » Et plus bas : « La gloire du Liban viendra
à toi, le sapin, le cèdre et le pin, viendront ensemble orner le lieu
de ma sanctification, et je glorifierai le lieu de mes pieds. »
Ce qui s’est réalisé à la lettre au temps de Constantin et des autres
princes qui érigèrent de magnifiques temples, et qui les ornèrent somptueusement.
On le prouve en quatrième lieu avec les pères. Eusébe,
livre 9, chapitre 10 de son histoire : « Ils furent tous remplis comme
par une joie infusée et un don divin, surtout en voyant ces édifices
qui, peu auparavant avait été détruits par les machines impies des tyrans.
Ils revenaient à la vie, beaucoup plus beaux, plus grands et plus
élevés qu’avant. » Saint Cyrille de Jérusalem ( catéchèse 14) :
« Les rois pieux d’aujourd’hui , recouvrant d’or et d’agent les
autels, ont érigé cette sainte église de la résurrection dans laquelle
nous sommes maintenant, et l’ont embellie au moyen de décorations
somptueuses. » Saint Athanase (dans l’apologie à Constance),
indique que Constantin a fait construire à Alexandrie une
basilique énorme, qui était la seule à pouvoir contenir le peuple
que les autres ne pouvaient pas contenir. Cette magnificence-là
il ne le réprouve pas, mais il la loue. Après avoir dit dans son
premier sermon contre Julien, que Gallus et Julianus avaient construit
à grands frais une basilique pour le martyr Manaeus, saint Grégoire de
Naziance ajoute que ce don fut agréable à Dieu, comme un autre sacrifice
d’Abel. Saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur Theodore)
dit que le temple de Theodore a été magnifique, et orné
de peintures et de sculptures; et que cela contribuait grandement à la
gloire du saint. Dans ce texte, il loue donc ouvertement la coutume
d’ériger de tels temples.
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie 66 au peuple d’Antioche)
: « Les sépulcres des serviteurs du crucifié sont plus splendides que
les salles royales, non pas tellement par la grandeur et la beauté
des édifices, (car même si en cela ils sont supérieurs) mais par le
zèle de ceux qui y viennent. » Il dit la même chose (homélie
54 sur Mathieu) : « Je n’interdis pas qu’on construise de magnifiques
temples. » Saint Cyrille (au début de son livre aux reines sur
la foi droite) : « C’est très sagement que vous vous efforcez de penser
et de faire les choses qui sont approuvées par le Christ. En partie
par les œuvres, et par une foi exemplaire irrépréhensible, et par les
décorations des salles royales à la gloire de la virginité. En
partie parce que vous avez érigé des temples somptueux au Christ. »
Theophylactus (chapitre 14, Marc) : « Sont confondus en ce lieu ceux qui
préfèrent les pauvres au Christ. » Et plus bas : « Qu’ils entendent
donc comment le Christ préfère le soin qu’on prend de lui au soin qu’on
prend des pauvres. Car le corps du Christ est là sur la patène
et le sang dans le calice. Celui donc qui enlève la patène
précieuse et oblige le corps du Christ à se poser sur un métal plus
vil, sous prétexte de le donner aux pauvres, qu’il sache de quel
côté il est ! »
Les latins maintenant. Optatus (livre 6) atteste que, en son
temps, l’église avait des vases sacrés de grande valeur, que les donatistes
confisquèrent et vendirent. Saint Ambroise (livre 2, chapitre des
devoirs) dit qu’orner le temple de Dieu de la façon congrue est
une chose qui convient, pour que, par ce culte, le temple du Seigneur
resplendisse. » Saint Jérôme (dans son épitre à Démétriade)
après avoir parlé du marbre et des pierres précieuses, ajoute : « Je
ne le reproche pas, je ne l’interdis pas. Mais, à toi autre
chose est proposé. » Et, au chapitre 8 de Zacharie, il rapporte
à la gloire de l’Église et à la louange des princes, que les églises
que les empereurs païens avaient détruites, les empereurs chrétiens
les aient rebâties avec plus de splendeur et de magnificence qu’avant,
en dorant les toits et en recouvrant de marbre les parvis.
Saint Augustin (dans le psaume 63) : « Nous autres aussi nous avons beaucoup
d’instruments et de vases en or et en argent, employés pour la célébration
des sacrements, que l’on appelle saints et consacrés à cause de ce
ministère. » Prospère (dans son livre de la promesse et
de la prédiction par 3, chap 38), rapporte qu’un temple immense
a été consacré à Dieu en son temps, qui était si si vaste qu’il
avait même une place publique qui conduisait à lui, qu’il avait deux
mille pas de long, dont le plancher était de matériaux précieux, et
dont les colonnes et les mœurs étaient splendidement décorées.
Cinquièmement. On le prouve par la piété de ceux qui réédifièrent
des églises. Il y en a eu quatre principaux : Constantin, Justinien,
Charlemagne, et Charles 1V. Au sujet des temples construits par Constantin,
voir saint Damase (dans la vie de Sylvestre), et Eusèbe (livres 3 et 4
dans la vie de Constantin. ) Au sujet des temples construits par
Justinien, voir Procopius (dans les édifices de Justinien).
Au sujet des temples construits par Charlemagne, voir l’abbé d’uspergensis
dans sa chronique. Au sujet des temples de Charles 1V, voir Jean
Cochlaeus (au début du premier livre de l’histoire des Hussites ).
Il est avéré que Constantin fut un saint empereur, car, dans le calendrier
des Grecs, son nom figure parmi les saints. Et il est souvent appelé
saint et bienheureux par saint Ambroise (dans le sermon sur la mort de
Theodose), par Épiphanie (hérésie 70, qui est celle des Audianes), par
saint Cyrille de Jérusalem (catéchèse 14) et par d’autres pères.
Semblablement, Charlemagne est honoré comme un saint principalement par
les parisiens; et, de tous les historiens, il reçoit des louanges
mirobolantes. Justinien, mise à part son hérésie dans laquelle
il est tombé dans son extrême vieillesse, reçut, lui aussi, énormément
de louanges. Que Charles 1V ait été un prince excellent et religieux,
en témoigne ce que Cochlaeus dit de lui au lieu cité.
Un grand nombre de basiliques ont été édifiées et ornées par de
saints pontifes : Jules, Damase, Leo, Symmachus, et d’autres qui
vécurent tous avant l’an mille, et qui sont tenus pour saints par le
consentement unanime des écrivains sacrés. Il n’est pas crédible
que de si pieux princes et de si saints pontifes aient pu se vouer
à la construction de tels édifices, s’ils ne plaisaient pas à
Dieu.
On le prouve enfin par des raisonnements. La première
raison nous la tirons de la grandeur de Dieu. La maison qui est construite
pour le plus grand des princes se doit d’être la plus grande.
Or, qui est plus grand que Dieu ? Voilà pourquoi Salomon (paralip
livre 2, chapitre 2) dit : « La maison que je désire construire est grande,
car notre Dieu est le plus grand de tous les dieux. » La seconde
raison est tirée du genre d’œuvre. Car construire pour Dieu un
temple splendide est, par son genre, l’acte de deux excellentes vertus,
la religion et la magnificence. C’est donc une chose bonne, de
par son genre. La troisième raison. Ce n’est pas l’acte
de ces vertus, mais c’est le signe et l’actualisation d’autres vertus.
Car celui qui érige un temple magnifique produit un magnifique témoignage
de sa foi et de sa charité envers Dieu. Ainsi que de piété et de gratitude.
Et parce que les richesses qu’on a dépensées libéralement en l’honneur
de Dieu sont ce qu’on chérit le plus, la construction d’un tel temple
indique que c’est Dieu qu’on aime plus que tout.
La quatrième raison est tirée de l’utilité. Car, un temple
magnifiquement orné sert à beaucoup de choses. D’abord, il attire plus
facilement les hommes aux choses pieuses qui se font dans les temples.
Car, on ne fréquente par régulièrement les lieux obscurs et sordides.
Ensuite, il conserve la majesté des sacrements, et la révérence qui
est due aux choses divines. En effet, quand nous voyons un autel
splendide, nous élevons plus facilement notre esprit, et nous pensons
plus facilement au grand Dieu à qui ces œuvres d’art sont dédiées.
Le contraire est également vrai. On méprise facilement ce qui est
sans charme et sans attrait. Et c’est surtout la piété et la
dévotion des simples qui en tirent du profit, eux qui forment le grand
nombre. S’ajoute à cela une utilité corporelle : les temples
magnifiques sont conservés plus longtemps, et apportent une gloire spéciale
à une cité. De plus, la multitude de vases d’or ou d’argent
fut souvent le salut de toute une république, quand en temps de peste,
de famine ou de captivité, l’église ouvrit ses trésors à des milliers
de miséreux, comme s’ils avaient été divinement donnés et conservés
pour cela.
La cinquième raison est tirée du contraire. Ceux qui
dévastèrent ou pillèrent les églises furent toujours considérés comme
des sacrilèges et des condamnés. Ils ont été souvent divinement
punis, comme l’attestent Balthasar (Daniel V), Héliodore (2 Macchabées
3), Antiochus (2 Macchabées 9), Saint Jean Chrysostome (homélie
4 su Matthieu), raconte qu’au temps où Julien l’apostat ordonna
d’extorquer les ornements des temples, et principalement les vases sacrés,
le questeur royal a expiré après une rupture des entrailles, et l’oncle
de Julien est mort dévoré par des vers. Cedrenus et Zonaras racontent
que quand Léon, le fils de Constantin Copronyme, avait dérobé
d’un temple une couronne insigne, que l’empereur Maurice avait donnée
pour l’ornementation d’un temple, il sentit subitement sur sa tête
des charbons ardents, et il périt dans les affres d’une fièvre atroce.
La seconde proposition. Bien que la construction ou l’ornementation
d’un temple soit, en soi, une bonne chose, une œuvre de ce genre
peut cependant être facilement viciée par le défaut des circonstances.
On le prouve ainsi. Quatre sont les circonstances principales, en
l’absence desquelles l’embellissement des temples pourrait être une
mauvaise chose : le temps, le lieu, la manière et la personne.
Quand quelqu’un est d’abord tenu d’aider le prochain, surtout les
parents ou les enfants, et qu’il ne peut pas en même temps pourvoir
à ses devoirs familiaux et donner de l’argent au temple. Alors,
il n’agit pas correctement, s’il édifie des temples pour son prochain
en négligeant ses parents. Car le Seigneur a dit en Osée
V1 : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice. » Et,
en Marc V11 le Seigneur reproche aux pharisiens d’enseigner que les fils
doivent offrir au temple les revenus familiaux au détriment des parents.
Saint Paul enseigne la même chose (Romains 3) : on ne peut pas faire du
mal pour qu’il en résulte du bien.
Enfin, par la pratique des saints qui, pendant les disettes et les
famines, faisaient fondre les vases et les vendaient, comme l’atteste
saint Ambroise (livre 2, chapitre 28, des devoirs). Car, si en temps
de nécessité, les pasteurs ont raison de sortir des églises les ornements,
il est certain qu’on a encore plus de raison de ne pas donner à
l’église ce qui serait enlevé, s’il était donné. L’obole
de la veuve ne représente pas pour nous une objection, car elle n’a
pas donné à l’église la nourriture de ses parents ou de ses
enfants, mais la sienne propre. Et celle d’un jour, non de
plusieurs jours. Car, elle ne pouvait pas, en deux minutes, se sustenter
longtemps.
Quant au lieu, il est certain que tous les lieux ne requièrent pas
la même ornementation. Dans les grandes villes, où affluent
un grand nombre de fidèles, il doit y avoir des temples splendides.
Mais, dans les lieux déserts, fréquentés par les seuls anachorètes,
il ne semble pas convenir qu’on fasse un étalage de grandes richesses
dans les temples. Et c’est ce que saint Bernard reproche surtout
dans son apologie à Guillaume, que les moines de Cluny voulaient avoir
des oratoires si grands et si ornés qu’ils seraient semblables ou même
supérieurs aux cathédrales et aux basiliques les plus somptueuses.
Il leur reprochait aussi de sculpter sur le plancher et d’y peindre des
images des saints, de telle sorte que ceux qui étaient forcés de cracher
auraient à cracher sur la face des anges ou des autres saints.
Quant à la manière, on pèche quand les ornements des églises sont
inutiles ou mondains, et satisfont plus à la curiosité qu’à
la piété. Tels étaient les ornements de l’église de Cluny,
selon saint Bernard : « Que fait ici cette ridicule monstruosité ?
Que font ces immondes singes, ces lions sauvages, ces centaures monstrueux,
ces demi-hommes, ces tigres tachetés, ces soldats qui combattent, ces
chasseurs qui sonnent du cor ? Tu verras plusieurs corps sous une
seule tête, et un seul corps avec plusieurs têtes. On voit
un quadrupède avec une queue de serpent, et sur un boa une tête de quadrupède.
Ici un cheval avec le derrière d’une chèvre, et là un animal
cornu avec le derrière d’un cheval. Une si grande variété de
formes diverses apparait partout qu’il est permis de lire davantage sur
les marbres que dans les livres; qu’on peut employer une journée
entière à admirer toutes ces merveilles, plutôt qu’à méditer la
loi de Dieu.
Quant à la personne, quelqu’un pèche quand il veut orner un temple
d’une façon qui est au-dessus de ses revenus et de sa condition sociale.
Car si quelqu’un qui est un pauvre de profession, et qui
mendie son pain, voulait édifier un temple de marbre, et l’embellir
avec de l’or et des pierres précieuses, même si, avec des aumônes
il pouvait le faire, il ne convient pas à sa profession qu’il agisse
ainsi. Car la magnificence n’est pas une vertu des moines, mais
des rois. C’est donc avec raison que saint Bernard reprochait aux
clunisiens leur somptuosité et leur magnificence, avec lesquelles ils
se faisaient l’émules des rois.
Il nous reste encore à répondre aux arguments présentés au début.
A celui qui est tiré d’un texte de Jérémie (ne professez pas
des paroles mensongères en disant : le temple de Dieu, le temple de Dieu),
je réponds que, dans ce texte, le prophète rabroue les Juifs qui, mettant
leur confiance dans le temple externe, se croyaient saints comme le temple,
et aimés de Dieu; étaient surs que n’arriveraient pas les maux prédits
par les prophètes parce qu’ils avaient près d’eux le temple, même
si, en vivant mal, ils étaient les temples des démons. Cette réprimande
du prophète n’a rien à voir avec la construction et l’ornementation
des temples. Car, même si on reproche une trop grande confiance
dans le culte externe des temples, surtout quand on néglige le culte interne
de l’âme, il ne faut pas en conclure que, à cause de cela, il ne faut
ni construire ni orner des temples. Au témoignage de saint Jérôme il
faut répondre la même chose. Il blâme ceux qui, ne se souciant
pas de devenir des temples de Dieu en vivant bien, se croient en totale
sécurité s’ils édifient ou ornent des temples externes.
Le deuxième qui est tiré des paroles de saint Jérôme. Pour pouvoir
y répondre plus commodément, il faut faire quelques réflexions
préalables. Remarque, d’abord, que le dessein de saint Jérôme
est de blâmer ceux qui prennent plus de soin du temple matériel que du
spirituel. C’est-à-dire, qui ornent les édifices matériels,
mais qui ne se demandent pas s’ils sont dignes de remplir les fonctions
sacrées pour lesquelles ils ont été élus. C’est ainsi que commence
le reproche qu’il adresse à l’ornementation des temples : « Plusieurs
élèvent des murs, dressent des colonnes dans les églises, les enrichissent
de marbre, font resplendir les lambris avec de l’or, rehaussent
les autels avec des pierreries, alors que leur élection comme ministres
de Dieu est nulle. » Ce qu’il dit là est vrai, et l’a toujours
été. Note ensuite que l’ornementation du tabernacle
et du temple des Juifs fut, en quelque sorte, typique et cérémoniaire.
Car le tabernacle et le temple avec toutes ses ustensiles ont été
des figures de l’église chrétienne, comme le montre le discours de
Jacques (actes XV), où il applique à l’Église les paroles d’Amos
: « Après cela, je reviendrai, et je réédifierai le tabernacle de David,
et je l’érigerai de nouveau après qu’il aura été détruit. »
Paul dit la même chose à 1 Corinthiens 10 : « Toutes ces choses leur
était arrivées en figure. » On voit la même chose dans cette
description très minutieuse du temple faite par Ézéchiel (40 et suivants),
et dans ce qui a été dit à Moïse (Exode XXV) : « fais tout selon l’exemplaire
que tu as vu sur la montagne ». Donc, parce que le temple et le
tabernacle étaient des figures, il était nécessaire qu’elles soient
telles qu’elles ont été, car, autrement, elles n’auraient pas bien
représenté. C’est la même chose dans l’Écriture. Si on change
une seule lettre, le mot ne signifie plus ce qu’il signifiait auparavant.
Et comme les figures de l’ancien testament sont révolues, et la
loi cérémoniale abrogée, celui qui estimerait qu’est nécessaire maintenant
un temple semblable à celui des Juifs, serait superstitieux, comme le
sont aujourd’hui les Juifs qui pensent qu’il n’est permis de sacrifier
que dans un temple semblable à celui de Salomon. Et c’est dans
ce sens que saint Bernard blâme les ornements des temples. Car,
même s’il n’y a aucun chrétien qui pense que les temples ont nécessairement
besoin des ornements que les Juifs jugeaient essentiels, cependant,
ils mettent avant l’élection ministérielle et l’édifice spirituel,
le soin de l’édifice matériel. Ils semblent, par leurs actions, être
proches de la superstition des Juifs. C’est ce que saint Bernard
a noté dans son apologie à l’abbé Guillaume : « Ils me rappellent,
en quelque sorte, la manière antique de penser des Juifs. »
La troisième note. L’ornementation du tabernacle et du temple
des Juifs ne fut pas seulement cérémoniale et typique, mais morale.
Car, même si elle n’avait été la figure de rien, la raison naturelle
elle-même aurait dicté que la maison de Dieu devait être ornée.
Et, de cette façon, c’est à bon droit que nous voyons dans l’ornementation
du tabernacle et du temple un exemple de nos temples. Saint Jérôme,
en effet, n’a jamais reproché cela, il même dit explicitement
dans sa lettre à Démotriade : « Je ne le condamne pas, je ne l’interdis
pas. »
À la troisième objection tirée d’Ambroise (que Calvin présente
dans la préface à ses institutions), je dis que dans les paroles de saint
Ambroise, il y a beaucoup de choses contre nos adversaires, mais rien contre
nous. Car, tout d’abord, saint Ambroise dit que les vases en or
de l’église ne doivent pas être aliénés, à moins d’une grande
disette. L’Église se servait donc à cette époque de vases en
or. Ensuite, s’il devient nécessaire d’aliéner des vases
de l’église, il faut chercher avec soin s’il n’y a pas des vases
qui n’ont pas encore été initiés, et si on en trouve de ce genre,
on ne laissera pas toucher les vases initiés. Les vases étaient
donc consacrés avec un certain rite. En troisième lieu, il dit
que s’il devient nécessaire de vendre des vases initiés, on ne doit
pas les vendre intégralement, mais les faire fondre, et en vendre des
parties. Qu’on doive faire tout cela, nous l’admettons, nous.
Mais ces choses s’opposent aux hérétiques de notre temps
qui ne veulent pas que les vases soient sanctifiés et consacrés par un
certain rite. Quand donc saint Ambroise dit que les sacrements ne
cherchent par l’or, il ne veut pas dire que les sacrements ne requièrent
l’or en aucune façon, mais qu’ils ne le requièrent pas nécessairement,
même s’ils les requièrent pour des raisons de convenance, quand il
est possible de s’en procurer. Et quand il ajoute qu’ils
ne se plaisent pas dans l’or et qu’ils ne sont pas achetés par l’or,
cela ne veut pas dire que l’or leur déplait plus qu’une autre matière,
mais qu’ils ne plaisent pas plus parce qu’ils sont administrés dans
l’or. Si l’or leur déplaisait, ou s’il ne plaisait pas plus
qu’une autre matière, saint Ambroise n’aurait pas conservé ces vases
tant qu’il n’aurait pas été obligé de les vendre. Bien plus,
jamais il ne s’en serait servi.
À la quatrième objection qui est celle d’Acace, je dis que les
paroles de cet évêque ont le même sens. Car, comme l’église avait
en abondance de ces sortes de vases (comme l’écrit Socrate), quand
se présenta une nécessité subite de racheter des captifs, ce saint évêque
vendit une partie de ses vases pour racheter cinq mille captifs.
Et ces paroles (notre Dieu n’a besoin ni de patènes ni de calices, parce
qu’il ne mange ni ne boit) signifient que, pour Dieu, ces vases ne sont
d’aucune utilité, et que, quand une occasion se présente qui
les rendrait plus utiles s’ils étaient vendus, il faut les vendre,
parce que ce sera ainsi plus agréable à Dieu et plus honorable. Car,
comme le dit saint Ambroise, c’est une belle louange qu’on rend au
Christ quand on peut dire que le Christ a racheté des pauvres; ou que
le calice du Christ n’a pas racheté des captifs seulement par le sang
qu’il contient, mais par le prix de sa valeur marchande. Car, le
calice rachète de l’ennemi ceux que le sang a rachetés du péché.
À la cinquième objection tirée d’un texte de saint Hilaire, je
réponds que ces paroles ne se rapportent pas au sujet que l’on traite.
Car, il ne s’agit pas là de l’ornement du temple. Il réprimande
ceux qui, dans un temple, écoutaient parler l’évêque hérétique Auxentius,
parce qu’ils pensaient que la vraie église et le vrai évêque étaient
là où se trouvait un temple consacré à Dieu. Ils n’avaient
pas remarqué que bien souvent de vrais temples étaient occupés par de
faux évêques; et que les vrais catholiques étaient souvent
forcés d’aller prier dans des granges, des cavernes ou des déserts.
À la sixième objection tirée de Lactance, je réponds que Lactance
voulait prouver que c’était en vain que les Gentils offraient des dons
aux idoles, c’est-à-dire à des dieux qui ne sentent, ne voient et n’entendent
pas : « C’est en vain, dit-il, que les hommes fabriquent des dieux et
les ornent d’or, d’ivoire et de pierres précieuses, comme s’ils
pouvaient tirer un plaisir quelconque de ces choses. À quoi peuvent
bien servir les dons les plus précieux à ceux qui ne sentent rien
? » Il prouve cela en imitant Perse, qui a écrit sagement
qu’on ne doit pas apporter des vases en or dans les temples, comme si
pouvaient s’en réjouir des dieux en bois et en marbre qui ne sentent
rien. Mais qu’il faut plutôt offrir au Dieu vivant, comme il le
dit : « l’observation de la justice, la beauté de l’âme, et de saintes
actions. » Il ne condamne donc pas l’or des temples quand il est employé
à bon escient, c’est-à-dire pour inspirer des sentiments de piété.
Il le réprouve seulement quand il est offert à Dieu en tant qu’être
corporel, un dieu qui se délecte corporellement de ces choses.
À la septième tirée de saint Bernard, je dis que saint Bernard ne
condamne pas les ornements d’église en soi, mais ceux que les
moines de Cluny étalaient dans leurs temples. Car, comme nous
l’explique l’apologie, saint Bernard reproche d’abord à des moines,
qui sont des pauvres de profession, d’ériger des églises aussi grandes
que des basiliques ou des cathédrales. Ce qui ne convenait pas à leur
vœu de pauvreté. Il leur dit qu’en ornant ainsi leurs temples,
ils montrent qu’ils sont faibles et charnels. Car les ornements
et embellissements des temples conviennent principalement à ces églises
où le peuple a coutume de se présenter en foule, les hommes simples
ayant besoin de ces choses. Voilà pourquoi il dit au même endroit
: « Autres sont les raisons qu’ont les évêques d’orner leurs églises,
autres les raisons qu’ont les moines. Nous savons très bien,
en effet, que, étant les débiteurs et des savants et des ignorants, ils
ne peuvent pas exciter la dévotion d’un peuple charnel par des moyens
spirituels, mais seulement par des ornements corporels. »
Il leur reproche aussi d’orner les temples pour des motifs d’ordre
pécuniaire, pour qu’ils soient plus nombreux à faire des offrandes;
d’injurier les saints en sculptant leur images sur les dalles;
de gaspiller dans ces ornements luxueux l’argent qu’ils reçoivent
pour les pauvres nécessiteux; de peindre ou sculpter des choses
profanes ou mondaines, qui, loin de porter à la piété, ne peuvent nourrir
que la curiosité.
À la huitième objection tirée de saint Jean Chrysostome, je réponds
qu’il ne nie pas qu’il soit licite de construire ou d’orner des temples.
Il réprouve seulement qu’on fasse passer la fièvre de l’ornementation
avant le zèle envers les pauvres. Mais Théophylacte, disciple de saint
Jean Chrysostome, semble enseigner le contraire. Il n’est pas difficile,
cependant, de les concilier. Il faut donc savoir que, absolument
parlant, il est préférable d’honorer Dieu en soi-même que dans les
pauvres, car la charité envers Dieu doit toujours passer avant la charité
envers le prochain. Néanmoins, parce que Dieu n’a besoin de rien,
et que les choses que nous lui offrons il veut qu’elles nous soient utiles
à nous plutôt qu’à lui, on honore Dieu davantage, et on lui fait quelque
chose qui lui plait davantage, quand ce que nous lui offrons est
plus utile aux hommes.
Voilà pourquoi quand les temples se portent assez bien, et que
les pauvres souffrent notablement de faim et de froid, il est préférable
de donner aux pauvres en aumônes les embellissements que l’on
ajouterait aux temples. Et c’est de cette situation que parle saint Jean
Chrysostome. Car, il voyait des hommes qui étaient prompts à offrir
de grands dons aux églises, mais qui fermaient les yeux sur les besoins
des pauvres. Et c’est dans ce sens qu’il faut entendre la fameuse
parole d’Osée, chapitre V1 : « Je veux la miséricorde, et non le sacrifice.
» C'est-à-dire, je préfère la miséricorde aux sacrifices.
Le contraire est également vrai. Si, à quelque part, les pauvres
sont assez bien traités, mais les temples informes et repoussants, et
que, à cause de cela, la piété et la dévotion sont en baisse, il est
alors préférable de donner de l’argent pour l’entretien et l’ornementation
des temples, car cela est plus utile au prochain, dont la piété et la
dévotion sont aidées par ces ornements. Et, c’est dans ce sens
que parle Theophylactus. Quand sont égales l’indigence des temples
et celle des pauvres, --pourvu qu’elle ne soit pas extrême--il
semblerait préférable de donner au temple plutôt qu’aux pauvres, car
il faut faire plus pour l’indigence spirituelle que pour l’indigence
corporelle, et parce que l’ornement d’un temple est un bien plus durable
et plus communautaire, qu’une aumône faite à un pauvre; et parce qu’on
donne plus immédiatement à Dieu.
À la première raison, je réponds trois choses. La première.
Le Christ a été pauvre, et, tant qu’il a vécu sur la terre, il n’a
exigé ni pompe ni délices. Cependant, il n’a pas récusé
les marques d’honneur et de respect qu’il voyait comme nourrissant
et augmentant la dévotion des pieux, comme son entrée à Jérusalem sur
un âne nous le montre. Il a accepté aussi de bon cœur (Matth 21)
qu’on étende des vêtements sur la route où il devait passer, vêtements
que les ânes foulaient aux pieds et déchiraient probablement. (Matth
XXV1 et Jean X11). Je dis ensuite que le Christ fut pauvre, qu’il
a aimé une étable, des vêtements usés, des mets rudimentaires et grossiers,
car tout cela convenait au temps de sa mortalité. Car, il
venait pour souffrir, pour racheter le monde par les labeurs et les douleurs.
Et maintenant, après sa mort et sa résurrection, il convient, puisqu’il
règne glorieux dans le ciel, de lui ériger des demeures magnifiques et
splendides.
Ajoutons, en troisième lieu, que les temples sont dédicacés au Christ
surtout en raison de sa divinité. De ce point de vue, il a
toujours été roi des rois et seigneur des seigneurs. C’est donc
en toute justice et rectitude qu’on lui construit des temples magnifiques,
tels qu’ils conviennent à Dieu, même si, dans sa forme d’esclave,
il a enseigné l’humilité et la pauvreté par la parole et par l’exemple.
Au deuxième, je dis que les ornements ne sont pas inutiles, parce qu’ils
sont des signes de révérence et de piété envers notre Dieu, et
parce qu’ils excitent les âmes à la dévotion. Donc, à la question
de Perse : dites aux pontifes, que fait l’or dans le saint lieu, je réponds
qu’il fait beaucoup de bonnes choses que j’ai ai déjà énumérées.
Au troisième, je dis que ces ornements n’ont pas pour but de distraire,
mais d’inspirer la dévotion; et que si quelques-uns sont distraits par
eux, la faute revient à ceux qui abusent des bonnes choses. À moins
que ces ornements soient mondains et profanes, et tout à fait inappropriés.
A la quatrième objection qui portait sur le soin à donner aux pauvres,
j’ai déjà répondu. Ajoutons que, si à cause des pauvres ordinaires,
il n’était pas permis de construire et d’orner des temples, il serait
encore moins permis d’orner des palais, d’organiser des festins, de
posséder des chevaux, des serviteurs, etc. Si, pour conserver
le train de vie des nobles, ces choses sont permises, en dépit de la multitude
des pauvres, pourquoi ne serait-il pas permis d’orner des temples pour
préserver la majesté des temples sacrés, en dépit de la multitude des
pauvres ?
À la cinquième (Matth 25), je dis qu’on énumère les œuvres mineures
pour pouvoir plus facilement comprendre ce qu’il faut penser des majeures.
Il dit, en effet : « Allez dans le feu éternel, parce que j’ai eu faim,
et vous ne m’avez pas donné à manger. » Il ne dit pas
: allez dans le feu éternel parce que vous vous êtes emparés de choses
étrangères, mais on déduit cela facilement de ce qui a été dit.
De même, il ne dit pas : allez dans le feu éternel parce que vous
n’avez pas édifié de temple, mais on peut le déduire de ce qui a été
dit. Car, s’il est damné celui qui ne fait pas d’aumône, quand
il est tenu de la faire, il sera condamné encore beaucoup plus celui qui
n’a ni édifié, ni réparé ni orné un temple quand il était tenu
de le faire. Quels sont ceux qui sont tenus et ceux qui
ne sont pas tenus, c’est une autre question, et qui n’ajoute rien
à la dispute présente.
CHAPITRE 7 : La bénédiction de l’eau, du sel, des cendres et
des cierges.
Les premiers qui ont commencé à rire de ces bénédictions sont les
Waldenses, comme il appert d’un fragment de l’œuvre de Reynerius,
(que l’on trouve à la fin du livre de Claude Coussord contre les Waldenses).
Au témoignage de ce Reynerius, ils ont apparus ces Waldenses, en l’an
du Seigneur 1170. Après eux, vinrent les flagellants, en l’an
du Seigneur 1350, (au témoignage de Bernard du Luxembourg, dans
son catalogue). Ils avaient mis toute la piété dans le baptême
du sang par la flagellation spontanée; et affirmaient qu’ils avaient
reçu simultanément la fin de tous les sacrements : le baptême, la confirmation,
la pénitence, et toutes les bénédictions de l’au, du seul, et des
cendres. Voilà pourquoi le goupillon avec on lequel on asperge
d’eau bénite les fidèles, ils l’appelaient clef de la
mort; et les gouttes d’eau, étincelles infernales. Après eux, les Wicléfistes
(selon Thomas Wlaldensis, tome 3, dernier titre, chapitre 68) affirmaient
que les bénédictions d’eau, de sel, de vin, de pain, de cierges et
d’autres choses semblables étaient de la vraie nécromancie.
Enée Sylvius (livre 3, chapitre 35 de l’origine des Bohémiens)
écrit la même chose sur les hérétiques qui se développèrent en Bohème.
Martin Luther (dans son livre sur la vision de Daniel contre Ambroise
Catharinus) condamne, lui aussi, toutes ces bénédictions.
Les magdebourgeois (centurie 2, chapitre 6, colonne 121) disent que la
consécration de l’eau est attribuée par les catholiques à Alexandre,
pape et martyr, comme étant son auteur. Mais, il serait plus juste
de l’attribuer à un pontife des Gentils, parce que le rite est païen,
comme l’est l’aspersion d’eau lustrale. Calvin
(livre 4, chapitre 10, verset 20 parle contre l’eau bénite.
Il dit d’abord que les catholiques se contredisent quand ils prétendent
que la bénédiction de l’eau est d’origine apostolique, tout en référant
son institution au pape Alexandre, qui fut le sixième successeur de Pierre.
Il dit ensuite que cette institution est beaucoup trop récente pour
être attribuée à Alexandre ou aux apôtres. Car, saint Augustin
(épitre 19, chapitre 118) dit que les catholiques ont omis la cérémonie
du lavement des pieds le jour de la cène du Seigneur, pour ce que ce lavage
de pieds ne semble pas appartenir au sacrement du baptême. Il est
donc clair qu’en aucun temps il n’y eut, dans l’église, une ablution
religieuse en dehors du baptême. Il dit, en troisième lieu, que
l’institution de l’eau lustrale ne provient en aucune façon de l’Esprit
reçu par les apôtres, puisqu’elle n’est qu’une profanation et une
répétition du baptême.
Au dernier chapitre de sa confession, Brentius réprouve ces cérémonies,
car, selon lui, elles n’ont pas le droit de jeter de l’ombre
sur les mystères de foi, quand l’évangile brille déjà dans tout l’univers.
Puis, Tilmann Heshushius (dans son livre des soixante erreurs des papistes,
au leu 27) place parmi les erreurs, l’eau lustrale qui a le pouvoir
d’effacer les péchés véniels, et de mettre en fuite les démons, et
les maladies. Et il le prouve d’abord par 1 Jean 11 : « Le sang
du Christ nous purifie de toute faute. » Donc, même de la faute
vénielle. Il dit ensuite qu’il n’a jamais été écrit qu’il
fallait consacrer de l’eau pour mettre en fuite les démons.
Il cite aussi qu’il est écrit dans l’Exode : « Tu ne prendras pas
le nom de ton Dieu en vain. » « Qu’il n’y ait ni maléfice
ni incantation parmi vous. » Or, c’est de la magie pure et simple de
se servir des créatures plutôt que de la parole de Dieu pour chasser
les démons.
Nonobstant toutes leurs objections, voici la première proposition.
Il est licite de bénir l’eau, l’huile, le pain, les cierges, les cendres,
les rameaux etc. On le prouve d’abord par l’Écriture qui contient
l’exemple et le document. L’exemple est celui du Seigneur (Matt
14, Luc 9) qui, sur le point de multiplier les pains, leva les yeux au
ciel, et les bénit. Et c’est avec cette bénédiction qu’il
les multiplia. On ne peut certes pas reprocher au Seigneur ce qu’il
a fait. Le document est celui de Paul, qui a dit (1 Tim 4) : « Toute
créature de Dieu est bonne, et il ne faut rien rejeter de ce qu’on prend
avec actions de grâces. Car elle est sanctifiée par la parole de
Dieu et la prière. » Commentant ce texte, saint Jean Chrysostome
et Theophylactus écrivent que l’apôtre parle à partir de l’hypothèse
suivante : toute créature est bonne et pure, et même si elle était
impure, elle pourrait facilement être sanctifiée par le signe de croix
et la prière. Si donc des choses immondes sont sanctifiées
par le signe de la croix et de la prière, à plus forte raison les choses
bonnes deviendront-elles meilleures et plus saintes par le signe de la
croix et la prière.
On le prouve, en second lieu, par la tradition des anciens. L’eau
d’abord. Qu’on ait coutume de la bénir depuis le temps des apôtres,
innombrables en sont les témoignages. Clément (livre 8, chapitre
35 de la constitution apostolique) présente le rite de la consécration
de l’eau. Denys (dans sa hiérarchie ecclésiastique, chapitre
du baptême) dit « que la croix est consacrée par de saintes invocations.
» Alexandre 1 (dans sa première épitre) prescrit lui aussi de
bénir l’eau. Saint Cyrille (catéchèse 3) : « Comme les mets
purs deviennent impurs par une invocation du diable, de la même façon
l’eau ordinaire devient sainte par l’invocation de Dieu. » Saint
Cyprien (livre 1, épitre 12 : ) : « Il faut d’abord que le prêtre
purifie et sanctifie les eaux. » Saint Ambroise (livre 4, chapitre
5 sur les sacrements) enseigne que « l’eau doit être consacrée ».
Et, dans son livre sur ceux qui sont initiés aux mystères, chapitre 3),
il dit que l’eau n’a aucune utilité dans l’église « à moins d’avoir
été sanctifiée par le signe de la croix ».
Saint Basile (dans son livre sur le Saint-Esprit, chapitre 27)
dit que la consécration de l’eau « est une tradition apostolique »
Épiphane (hérésie 30, et Theodoret (livre 5, chapitre 21 de son histoire)
se souviennent de l’eau bénite. Saint Augustin (homélie 27, tirée
du livre des cinquante homélies, et au livre V1 contre Julien, chapitre
8) dit « que dans l’Église, l’eau est consacrée par le signe de
croix. » Ajoutons le concile de Nicée (canon) qui ordonne
à tout prêtre qui visite les malades, d’asperger d’abord les malades
avec de l’eau bénite, ainsi que l’appartement.
Les objections de Calvin ne valent rien non plus. Je dis
d’abord que l’institution de l’eau lustrale n’est pas attribuée
à Alexandre, mais aux apôtres. Alexandre a prescrit qu’on
fasse souvent ces cérémonies. Je dis à l’autre objection que
saint Augustin ne condamne pas la cérémonie du lavement des pieds, mais
qu’il ne fait que rapporter différentes opinions. Il ne dit pas
non plus qu’il y en avait certains à qui déplaisait la cérémonie
du lavement des pieds pour elle-même. Tout ce qu’il dit
c’est seulement qu’il déplaisait à certains de laver les pieds des
catéchumènes le jour de la cène du Seigneur, de peur que cette ablution
parusse nécessaire au baptême. Voilà pourquoi il dit ailleurs
qu’il a plu de rapporter le lavement des pieds au huitième jour
après pâque. Et saint Ambroise (dans son livre 3, chapitre 1 sur
les sacrements,) défendit la cérémonie du lavement des pieds.
À la troisième je dis que, par l’eau bénite, on ne répète pas
le baptême. Car, le baptême diffère de l’aspersion de
l’eau sainte par la forme, le ministre, l’intention et l’effet,
comme il va de soi. Mais je n’irais pas jusqu’à nier que,
par l’eau bénite, est ravivée la mémoire du baptême, et que sont
avertis les chrétiens de se souvenir qu’ils ont été purifiés par
l’eau, et ont contracté un pacte avec Dieu contre le diable.
Au sujet de la bénédiction de l’huile, nous avons les témoignages
de Clément, de Denys, de Basile, et de saint Augustin (traité 118 sur
Jean). Au sujet de la bénédiction du pain en dehors de l’eucharistie,
nous avons le témoignage de saint Augustin (livre 2, chapitre 26 des péchés
et des mérites), et de Paulin (ses épitres à Alipius, et à Romanianus,
35, 36, que l’on trouve parmi les épitres de saint Augustin).
Au sujet de la bénédiction du cierge pascal, nous avons le témoignage
de Strabon (chapitre 30) et du concile de Tolède 4, (canon 8) et du pape
Zozime (pontifical ou livre des pontifes romains, que l’on trouve dans
les tomes des conciles). Prudence a aussi composé un hymne remarquable
sur le cierge pascal. Au sujet de la bénédiction des cendres et des palmes,
nous avons le témoignage de saint Maxime, dont nous possédons encore
les homélies prononcées le jour des cendres et le dimanche des rameaux.
La deuxième proposition. C’est à bon droit qu’on utilise de l’eau,
de l’huile et d’autres choses consacrées par une bénédiction pour
signifier et produire des effets surnaturels. » Il est à
noter que les choses dont nous parlons sont bénies dans l’église pour
trois raisons. La première. Pour signifier des effets
surnaturels. Car, l’aspersion de la cendre signifie la pénitence,
celle des palmes la victoire, celle du cierge pascal la gloire de la résurrection.
L’objection de Brentius importe peu, car ces significations ne sont pas
proprement des esquisses des choses futures, mais des représentations
externes des choses surnaturelles invisibles présentes, ou aussi de choses
passées qui sont très aptes à produire un effet. Autrement,
il faudrait rejeter aussi le baptême qui selon l’apôtre (Romains, chapitre
6) contient une représentation de la mort et de la résurrection du Christ,
ainsi que de notre mort et de notre résurrection par le Christ.
Voilà pourquoi saint Augustin (épitre 119) dit que, les dimanches, de
la Pâque à la Pentecôte, les chrétiens ont coutume de prier debout
pour signifier, par cette position, la résurrection du Christ.
La deuxième. Pour effacer les péchés véniels. À ce sujet, voir
saint Thomas (111 par quest 87, art 3), Dominique a Soto ( 4 sent dist
15, quest 2), et Gratien (canon aquam dist 3 sur la consécration).
Heshuhus ne peut, lui non plus, rien conclure avec son argument.
Le sang du Christ, il est vrai, purifie de tout péché, mais à la condition
de nous être appliqué d’une façon ou d’une autre. Et comme il est
appliqué pour effacer tous les péchés par les sacrements de baptême
et de pénitence, il l’est aussi par les sacramentaux, pour effacer les
péchés véniels de ceux qui sont en état de grâce.
La troisième. Pour mettre les démons en fuite et guérir les
maladies, comme l’expriment les prières qui servent à leur consécration.
Il faut reconnaitre qu’ils n’opèrent pas infailliblement comme opèrent
les sacrements. Et la raison en est que des choses de ce genre n’ont
pas un pouvoir qui vient d’un pacte contracté avec Dieu comme dans le
cas des sacrements, mais des prières de l’église et de la dévotion
des ministres ou des fidèles. Et aussi parce qu’il ne convient
pas toujours que nous soyons délivrés d’une maladie ou des vexations
du démon.
Nous allons prouver cette proposition en ce qui a trait à ce
troisième effet, avec des exemples de l’Écriture et des saints.
À Nombres 5, dès qu’elles étaient bues par une adultère, les
eaux que le prêtre avaient maudites lui enflaient le ventre, et faisaient
entrer la cuisse en putréfaction. On ne pouvait pourtant pas
appeler cela de la nécromancie. Au Nombres 19, l’eau mêlée à
des cendres était appelée eau d’expiation, et par elle, les Juifs étaient
purifiés non des péchés, mais des impuretés légales, comme l’Apôtre
le dit à Hébreux 9. O ne peut pas dire non plus que c’était
de l’incantation. Semblablement, 4 Rois 2, Élisée
s’est servi de sel pour assainir de l’eau miraculeusement.
Et à 4 Rois 5, pour guérir la lèpre du Syrien Naaman, il s’est servi
de l’eau du Jourdain. En Marc V1, les apôtres oignent les malades
d’huile, et les guérissent. Ces exemples devraient suffire pour
montrer que ce n’est pas de la nécromancie que de se servir d’eau
ou d’huile comme signes d’une vertu divine, pour produire des
effets surnaturels.
On le prouve ensuite par des exemples des pères. D’après
Épiphane (hérésie 30), Joseph a vaincu les incantations avec de l’eau
bénite. Marcel Apamcensis a fait la même chose, selon Theodoret
(livre 5, chapitre 21). La même chose Macaire (d’après Palladius,
chapitre 19). Saint Jérôme nous raconte dans la vie d’Hilarion
qu’Hilarion guérissait beaucoup de malades avec du pain béni et de
l’huile bénite. Saint Bernard faisait la même chose (livre 3,
chapitre 5 de sa vie). Saint Grégoire (livre 1, chapitre 10 des
dialogues), écrit que, par la seule aspersion d’eau bénite, Fortunat
a guéri quelqu’un qui, en tombant d’un cheval, s’était cassé
la jambe. Bède (livre 5, chapitre 4 de son histoire) raconte qu’une
femme noble, qui était très malade, avait été subitement guérie par
la seule eau bénite, et avait même servi à table, comme la belle-mère
de Pierre. Dans la vie de Malachie, saint Bernard écrit
que Malachie avait, par l’eau bénite, guéri un fou furieux.
Voici ce que répond à tout cela Heshusius : « Les mensonges qu’on
invente à plaisir au sujet de miracles opérés par l’eau bénite, battent
en brèche le précepte : tu ne feras pas de faux témoignage.
S’ils prétendent que ces choses sont vraies, qu’on se rappelle l’avertissement
du Christ : les pseudos prophètes feront des miracles et des prodiges,
et induiront en erreur même les élus, si la chose était possible. »
Mais il est facile de juger que ce ne sont pas des mensonges les témoignages
donnés par Épiphane, Theodoret, Palladius, saint Jérôme, saint Grégoire,
saint Bernard; et que ce sont de grands saints les Joseph,
Marcel, Macaire, Hilarion, Fortunat, Malachie, qui, par le nom du Christ,
détruisirent les artifices du démon, et guérirent des maladies graves.
Que Heshusius prenne plutôt garde de ne pas pécher par témérité et
blasphème, en admettant du péché dans l’Esprit de Dieu. Car,
qu’y a-t-il de plus téméraire que d’accuser de mensonge tant
de saints pères, sans témoin et sans raison ? Et qu’est
le blasphème contre le Saint-Esprit si ce n’est ranger parmi les signes
menteurs des pseudos prophètes les œuvres divines opérées au nom du
Christ par des saints d’une vie parfaite.
Il est facile de répondre aux raisonnements de Tilmann.
La première : il n’est nulle part écrit qu’il faille sanctifier
l’eau pour repousser les démons. Je réponds que c’est faux,
car il est écrit que toute créature pouvait être sanctifiée par la
parole de Dieu et la prière. Et il est écrit : « Demandez et vous
recevrez. » À la suite du Christ et de saint Paul,
l’Église sanctifie donc l’eau par le Verbe de Dieu et la prière,
et elle demande qu’elle vaille contre les démons et les maladies. Or,
par des miracles, le Christ montre qu’il écoute de telles prières.
Et même si cela n’était pas écrit, quelle importance ? Était-il
écrit que les eaux devaient être assainies avec du sel, et la lèpre
enrayée par l’eau du Jourdain ? Et pourtant, Élisée a fait l’une
et l’autre chose.
La deuxième. Ne prononce pas le nom de Dieu en vain, et il n’y
aura pas de sorcier parmi vous. Prendre le nom de Dieu en vain n’est
rien d’autre que se parjurer, comme l’explique le concile de Tolède
8, chapitre 2. Les sorciers et les incantateurs, ce sont ceux
qui font des choses étonnantes par l’opération du démon. Or,
ceux qui bénissent l’eau ne se parjurent pas, n’invoquent pas le démon,
mais ne font que prier Dieu religieusement. Car, toute la vertu
de l’eau lustrale réside dans la parole de Dieu et la prière, comme
nous l’avons démontré avec l’apôtre.
CHAPITRE 8
Les pèlerinages
Claude de Tours (d’après Jonas, livre 3, sur le culte des images),
a enseigné que les pèlerinages dans les lieux saints étaient inutiles.
Les pétrobrusiens ont parlé comme lui, comme l’atteste l’auteur de
la vie de saint Bernard (livre 3, chapitre 5). Les Wiclefistes aussi,
selon Thomas Waldensis (tome 3, titre 15). Ils accusaient d’idolâtrie
ceux qui faisaient des pèlerinages dans les lieux saints.
Jean Calvin (livre 4, chapitre 13, verset 7) dit que les pèlerinages
qu’on a promis de faire dans les lieux saints, sont non seulement inutiles,
mais remplis d’une impiété évidente. Mais il ne prouve ce qu’il
avance que par son axiome coutumier : tout culte volontaire déplait à
Dieu. Les magdebourgeois (centurie 4, chapitre 6, colonne 458) veulent
que ce soit au temps de Constantin qu’ait commencé l’abus des pèlerinages
aux lieux saints; et que très peu de temps après il ait été réfuté
par saint Grégoire de Nysse, dans un long sermon. Ce sermon ils
le rapportent au complet dans la centurie 4, chapitre 10, colonne 936,
et suivantes.
De ce sermon de saint Grégoire de Nysse, il tire les arguments suivants.
Le premier. En Matth 5, le Christ n’a pas placé les pèlerinages
parmi les choses qui rendent les hommes heureux. Le deuxième.
Dans les voyages, nombreux sont les dangers, surtout pour les femmes.
Le troisième. Nous ne pouvons rien trouver de plus à Jérusalem
que ce que nous avons dans notre région, car Dieu n’est pas plus présent
à un endroit qu’à un autre, comme le montre le fait que les hommes
de cette région-là ne sont pas meilleurs que les autres, mais peut-être
pires. Or, les choses de Dieu, comme les temples et les autels,
on peut les trouver partout. Ils pouvaient ajouter la lettre
de saint Jérôme à Paulin sur l’institution du monachisme, dans laquelle
il prouve avec force arguments qu’il n’est pas avantageux d’entreprendre
des pèlerinages aux lieux saints. Saint Jérôme ajoutait aussi
l’exemple de saint Antoine et des autres moines qui, même s’ils avaient
vécu très près des lieux saints, ne les avaient jamais visités.
Mais aucun de ces arguments n’est de nature à nous ébranler.
Comme l’enseigne avec raison le concile de Trente (à la session 25),
les pèlerinages sont des choses pieuses et religieuses. On
le prouve d’abord par le témoignage de l’Écriture. Au Deutéronome
16, Dieu a statué que tous les fils d’Israël, trois fois l’an, aillent
en pèlerinage au tabernacle ou au temple de Dieu. Ce précepte a
été observé scrupuleusement par Heleana et sa femme (1 Rois 2), ainsi
que par le Christ lui-même, avec sa mère et saint Joseph (Luc 22, Jean
XX!!). Même les Gentils quittaient leur pays pour venir adorer Dieu
à Jérusalem. À Actes 111, l’eunuque d’Éthiopie est venu,
de sa lointaine région, adorer Dieu dans le temple. Dans Actes XX,
Paul se hâtait en chemin pour célébrer la pentecôte à Jérusalem.
Ces exemples de l’Écriture que nul ne peut récuser montrent suffisamment
que les pèlerinages ne sont pas inutiles.
On le prouve ensuite avec les pères. Eusèbe (livre 6, chapitre
9) : « Alexandre se mit en chemin pour adorer à Jérusalem, et voir les
lieux saints. » Saint Jérôme, dans les hommes illustres,
rapporte la même chose au sujet d’Alexandre. Or, cet Alexandre
vécut cent ans avant l’époque de Constantin, et il fut un très saint
martyr, que les magdebourgeois eux-mêmes louent hautement dans la centurie
3, chapitre 10. C’était donc un mensonge ce que racontaient magdebourgeois,
à savoir que les pèlerinages dans les lieux saints n’avaient commencé
qu’au temps de Constantin. Saint Nicolas, aussi, dans son adolescence,
avant le règne de Constantin, avait fait le vœu, selon Siméon Métaphraste,
d’aller à Jérusalem en pèlerinage. Le même Eusèbe, au livre
3 de la vie de Constantin, et saint Ambroise (dans son sermon sur la mort
de Theodose), louent Hélène parce que, pour des motifs religieux, elle
est allée à Jérusalem. Gaudence, l’évêque de Brixe,
(dans son sermon sur la dédicace du temple), raconte qu’il est allé
en pèlerinage à Jérusalem, et que, en chemin, quand il passait par Césarée
de Cappadoce, il a reçu en don, de deux saintes femmes, nièces de Basile
le grand, des reliques des quarante martyrs.
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie au peuple d’Antioche, vers
la fin) dit, en comparant les sépulcres des martyrs à ceux des rois :
« Nul n’aurait fait un pèlerinage pour voir les salles du palais royal.
Plusieurs rois sont allés en pèlerinage, et la plupart pour s’en donner
le spectacle. Car, les édifices où les démons sont flagellés,
où les hommes sont corrigés et libérés exhibent les signes du futur
roi, et ceux des saints. » Saint Jérôme (épitre 17 à Marcella)
: « Il serait très long et ardu de faire le compte de tous ceux qui,
depuis l’ascension du Seigneur jusqu’à aujourd’hui, sont, à tous
les siècles, venus visiter Jérusalem, les évêques, les
martyrs, et les docteurs, pensant qu’ils seraient moins grands , moins
pieux, moins savants et ne pourraient atteindre le sommet des vertus, s’ils
ne venaient pas adorer le Christ dans ces lieux, où l’évangile était
conservé sur une croix. »
Le même dit (dans l’épitre 27 sur la mort de Paula) : « Les hommes
de cette nation ne viennent donc pas aux lieux saints ? » Et dans
son épitre 46 à Rusticus qui avait vœu de faire un pèlerinage aux lieux
saints de la Palestine, il dit : «Rends ce que tu a promis en présence
du Seigneur, de peur d’être enlevé avant d’avoir rempli ta promesse,
car, incertaine est la vie des mortels. » Enfin, à la lettre 154
à Desiderius, il l’exhorte à venir dans les lieux saints, et il lui
dit, entre autres choses : « C’est certainement une partie de la foi
d’adorer là où le Seigneur a posé les pieds. » Sulpice dans
le livre 2 de la sainte histoire, dit en décrivant les actions d’Hélène,
qu’il y a de quoi s’étonner qu’au lieu où le Seigneur est monté
au ciel, soient encore conservées les traces de ses pieds; et que
les fidèles de partout affluent en ce lieu pour dérober un peu de la
poussière foulée aux pieds , sans que le terrain n’en reçoive aucun
dommage.
Paulin (épitre 11 à Sévère) : « Les hommes n’ont point d’autre
motivation pour aller à Jérusalem que pour voir et remplir les lieux
où le Christ a été présent corporellement. » Et au troisième
anniversaire de la naissance au ciel de saint Félix, il écrit que des
foules innombrables avaient coutume de se rendre en pèlerinage au corps
de saint Félix. Saint Augustin, dans son épitre 137 au clergé
et au peuple d’Hippone dit : « Il a choisi quelque chose de moyen, pour
que les deux se sentent joyeusement contraints d’aller en pèlerinage
aux saints lieux. » Cassien (livre 4, sur les instituts de renoncement,
chapitre 31) se souvient de certains moines qui se dirigeaient vers
lieux saints pour aller y prier : « Certains, parmi les frères, avaient
quitté l’Égypte pour se rendre dans les saints lieux, pour des motifs
religieux. »
Socrate (livre 7, chapitre avant-dernier), écrit qu’Eudocia, l’épouse
de Théodose le jeune, avait entrepris un pèlerinage à Jérusalem pour
remplir un vœu. Simon Metaphraste écrit que saint Alexis est allé
visiter en pèlerin les églises les plus nobles du monde. Au livre
5, chapitre 7, de son histoire, Bède écrit que le roi Caedualla avait
entrepris un pèlerinage aux tombeaux des apôtres, avec le désir d’y
recevoir le baptême, et d’émigrer bientôt de cette vie après son
baptême. Il a obtenu l’une et l’autre chose, car, le samedi,
il fut baptisé par le pape Serge, et le dimanche de pâque in albis, après
une courte maladie, il émigra vers le Seigneur. De même, au chapitre
20, il écrit que, après avoir abandonné son royaume, le roi Coenredus
entreprit un pèlerinage aux tombeaux des apôtres Pierre et Paul, qu’il
y est demeuré et qu’il y a vécu jusqu’à sa mort dans les prières
et les jeûnes.
Nicolas 1 (dans l’épitre à Michaël) écrit qu’un grand nombre
d’hommes, de tous les coins de la terre, ont coutume, pour des fins religieuses,
d’affluer aux tombeaux des apôtres Pierre et Paul. Palladius (dans
l’histoire lausiaque chapitre 113), écrit que le prêtre Philoromus
est allé deux fois en pèlerinage à Jérusalem, après en avoir fait
le vœu; qu’il est ensuite allé en pèlerinage à Rome aux sépulcres
des apôtres, et à Alexandrie, auprès des reliques de saint Marc.
Au chapitre 118, le même écrit que Mélanie s’affairait à Jérusalem
à recevoir les pèlerins qui venaient de tous les coins du globe.
Ajoutons à tout cela le concile de Cabilone, célébré sous Charlemagne,
qui (au canon 45) enseigne que tous doivent approuver la dévotion de ceux
qui, pour faire pénitence, font un pèlerinage à Rome ou à Jérusalem.
Et on le prouve par la dernière raison, qui est tirée de l’utilité
des pèlerinages. Car, ils apportent trois bienfaits.
Le premier. Ils rendent un honneur non médiocre à Dieu et aux saints.
C’est un signe manifeste que Dieu et les saints nous tiennent à cœur
quand, pour visiter les reliques des saints, nous nous soumettons
volontairement aux difficultés et aux dangers des voyages.
Le deuxième. C’est une œuvre de pénitence et de satisfaction
parce qu’elle est pénible et laborieuse.
Le troisième. Le pèlerinage augmente la dévotion. Car, on
peut à peine exprimer à quel point la présence d’un lieu saint
provoque l’horreur du péché, et la révérence envers le sacré.
Et même s’il y a un peu partout des lieux saints, il y en a toujours
qui sont plus saints, et qui sont plus utiles pour des pèlerins. Et même
s’ils sont moins saints, leur nouveauté excite la dévotion. Et il arrive
souvent que nous ayons un amour préférentiel pour tel saint dont les
reliques sont loin de nous; et que nous ayons un grand profit à aller
le visiter, même si tel ou tel saint est plus populaire et plus proche.
Après ces considérations, je réponds à l’argument de Calvin
qui appelle volontaire un culte entrepris sans raison, comme si quelqu’un
faisait le vœu ne pas se présenter à table avant de s’être lavé
les mains deux fois. Or, le culte qui est rendu à Dieu par des actes
de vertus n’est pas appelé volontaire, même s’il n’est pas prescrit,
comme nous le montre les Nombres XXX, où le Seigneur ordonne d’accomplir
les vœux de choses non prescrites. Aux magdebourgeois, je
réponds d’abord que ce sermon n’appartient peut-être pas à saint
Grégoire de Nysse, car, on ne le retrouve pas dans ses œuvres, ni en
grec non plus, et on ne connait pas le nom de celui qui l’aurait traduit
en latin. Je dis que dans ce sermon, il ne réprouve pas dans l’absolu
les pèlerinages à Jérusalem, mais pour certaines personnes en
particulier, les moines et les religieuses. Car, il ne
parle que de ces personnes-là.
En effet, même si le pèlerinage est en soi une bonne chose,
il ne convient pas à tous, comme aux femmes, à moins qu’elles soient
bien accompagnées. Et c’est de cette façon que Jonas répondait
aux calomnies de Claude contre l’abbé Theodemirus. Claude avait
dit à cet abbé qui louait les pèlerinages dans la ville de Rome : «
Pourquoi, alors, retiens-tu tes moines dans leur monastère, et ne les
envoies-tu pas tous à Rome ? » Et Jonas répond, à
la place de l’abbé : « parce que le pèlerinage est une bonne chose,
mais il ne convient pas à des moines. Comme le mariage est une bonne chose,
mais il ne convient pas à ceux qui ont fait profession de continence.
»
Il en va de même pour Jérôme. Même s’il a souventes
fois louangé les pèlerinages, il n’en détourne pas moins le moine
Paulin, car, selon lui, le calme et la stabilité d’un monastère
convenait davantage au genre de vie qu’il avait choisi. Il explique
aussi que c’est parce qu’il était un moine que saint Antoine n’est
jamais allé visiter les lieux saints; et que Hilarion, bien qu’habitant
la Palestine, ne les a visités qu’une seule fois, pour ne pas sembler
mépriser la valeur religieuse des lieux qui lui étaient proches.
C’est donc aussi ce que fit Grégoire de Nysse. Car comment
est-il croyable que saint Grégoire de Nysse ait voulu blâmer ce qu’il
savait avoir été fait par le martyr saint Sylvestre, et être loué par
tous les docteurs de son époque ?
Réfutons les objections. La première prouve seulement que les
pèlerinages ne sont pas une œuvre nécessaire à la perfection ou au
salut. Et c’est de cela seul que parlait saint Grégoire.
Car, les moines qu’il blâme pensaient qu’ils ne pouvaient pas devenir
parfaits sans avoir vu les lieux saints. Ce qui est manifestement
faux. À la deuxième objection, je réponds que tous
ces périls prouvent que les pèlerinages ne conviennent pas à tous, mais
seulement aux hommes aguerris, qui font fi du danger. Les raisons
présentées par saint Grégoire sont justes, car c’est à des vierges
consacrées qu’il parlait quand il évoquait les dangers d’un long
voyage en pays étranger.
À la troisième objection, je réponds qu’il n’y a rien
à Jérusalem qu’on ne puisse trouver ailleurs, si l’on parle des choses
nécessaires et essentielles à la religion, puisque Dieu est partout,
et qu’on peut trouver partout des sacrements, des temples et des autels.
Et cela suffisait à saint Grégoire pour persuader les moines et les vierges
de ne pas prendre la peine d’aller à Jérusalem. Mais cependant,
on ne peut pas nier qu’il y a à Jérusalem des choses capables
du susciter la dévotion qu’on ne trouve pas ailleurs, comme le sépulcre
du Seigneur, le lac de Génésareth, le mont des Oliviers, le sol où il
a marché. Mais, il ne faut pas valoriser ces choses au point
d’abandonner de plus grands biens.
CHAPITRE 9
Les vœux que l’on fait aux saints
Érasme, dans son colloque qu’il intitule « naufrage », se moque
d’une manière révoltante des vœux que l’on fait aux saints.
Tous les hérétiques, sans aucun doute possible, nous considèrent comme
des idolâtres parce que nous faisons des vœux aux saints. La raison
en est que le vœu est un acte de religion qui n’est du qu’à Dieu,
comme le jurement et le sacrifice. C’est ce que montrent les saintes
lettres qui nous enseignent toujours que c’est à Dieu que sont faits
les vœux : Nombres XXX, Deutéronome XX111, souvent dans les psaumes,
et surtout dans Isaïe 19 où nous lisons : « Ils voueront des vœux à
Dieu. »
Néanmoins, il est tout à fait certain qu’on peut faire des vœux
aux saints d’une certaine façon. Et, on le prouve par les témoignages
des anciens pères. Eusèbe (livre 13, chapitre 7 de sa préparation
évangélique), dit, au nom de tous les chrétiens, en parlant des martyrs
: « Nous, les soldats de la vraie piété, c’est en tant qu’honorant
les amis de Dieu que nous accédons à leurs monuments, que nous leur faisons
des vœux comme à des saints. Et nous professons que nous ne sommes
pas peu aidés au près de Dieu par leur intercession. » Theodoret
(livre 8 aux Grecs) où il disait qu’on demande différentes choses aux
martyrs, ajoute : « Qu’on obtient ce qu’on désire quand on
les prie pieusement et fidèlement l’attestent les choses que rapportent
ceux qui ont fait des vœux. Car quelques-uns suspendent des simulacres
d’yeux, de pieds ou de mains faits en or ou en argent. » Palladius
(dans son histoire lausiaque, chapitre 13) raconte que saint Philoromus,
en accomplissement d’un vœu fait aux apôtres, était venu à Rome aux
tombeaux des saints apôtres, et ensuite à Alexandrie, aux reliques de
saint Marc.
Saint Grégoire de Tours (livre 2, chapitre 37 de l’histoire des
Francs), se souvient d’un vœu que les ministres du roi Clovis avaient
fait à saint Martin au nom de leur roi : « Après avoir rendu grâce
au Seigneur et avoir fait vœu au bienheureux confesseur, ils annoncèrent
joyeux au roi que… » Se présente même le témoignage des
adversaires. Car Faust, selon saint Augustin (livre XX, chapitre
3 contre Faust) dit : « Vous avez converti les idoles en martyrs, auxquels
vous faites des vœux pareils. » Ce témoignage de Faust nous laisse
entendre que, dans la primitive église, on faisait des vœux aux martyrs.
Et à l’argument que nous avions proposé répond saint Thomas ( 2,2,
quest 88, art 5) que les vœux que l’on fait aux saints ou aux prélats
incluent deux promesses : une qui est faite aux saints, et celle-là
n’est pas formellement un vœu, mais la matière du vœu, et une autre
qui est faite à Dieu, et c’est celle-là qui est formellement le vœu.
Et que quand quelqu’un dit : je fais le vœu à la sainte vierge
d’aller en pèlerinage à un de ses sanctuaires, c’est à la sainte
vierge qu’il promet de faire ce pèlerinage, mais cette promesse n’est
pas un vœu. Et, en même temps, il promet à Dieu d’accomplir
la promesse faite à la sainte Vierge; et c’est cette deuxième promesse
qui est un vœu. Car, celui qui voue obéissance à un prélat, ce
n’est pas vraiment au prélat qu’il fait ce vœu, mais à Dieu,
à moins qu’il ait déjà promis obéissance au prélat, car, par
ce vœu, ce n’est pas le prélat, mais Dieu qu’il veut honorer.
De même, celui qui fait le vœu perpétuel de servir dans un hôtel pour
pèlerins, fait le vœu à Dieu, non à l’hôtel. Celui qui
fait à un saint le vœu de jeuner ou de faire un pèlerinage, a l’intention
d’honorer pieusement ce saint.
Et de plus, dans cet article de saint Thomas, Cajetan prouve,
à partir de la profession religieuse des frères prédicateurs, qu’on
fait vraiment des vœux aux saints. Car, les dominicains disent en
faisant profession religieuse : « Je fais le vœu à Dieu, à la
bienheureuse Marie, et à tous les saints d’obéir à tel ou tel prélat.
» De ces deux promesses, l’une est dirigée au prélat, et elle
est la matière du vœu, et l’autre, qui est formellement le vœu, est
dirigée vers Dieu et les saints en même temps. Donc, Cajetan propose
une autre solution en disant que les vœux sont faits aux saints non en
tant qu’ils sont des créatures qui participent de la raison, mais en
tant que Dieu habite en eux par la gloire. De sorte que les vœux
que l’on dit être faits aux saints, sont faits à Dieu dans les
saints. Comme maudire un saint est un blasphème, parce que
c’est maudire Dieu dans les saints.
Mais quelqu’un fera peut-être l’objection suivante. Ou les vœux
qui se font aux saints se terminent à Dieu seul, comme le sacrifice qui
est offert à Dieu seul, quoiqu’en en mémoire et en honneur des saints,
ou ils se terminent aux saints eux-mêmes, de façon à ce que les vœux
soient faits vraiment à eux, comme l’aumône qui est donnée au Christ
dans le pauvre est vraiment donnée au pauvre. Dans le premier cas,
on ne fait pas vraiment des vœux aux saints. Dans le deuxième cas,
nous ressemblons à des idolâtres.
Je réponds que nous faisons des vœux aux saints de la seconde façon,
sans être pour cela des idolâtres, car, ce n’est pas pour les mêmes
raisons qu’on fait un vœu aux saints ou qu’on en fait à Dieu.
Et seul le voeu fait à Dieu est un culte de latrie. Car, il faut
observer, comme tous en conviennent, qu’on promet vraiment et proprement
quelque chose aux saints, comme on promet vraiment et proprement quelque
chose à Dieu. C’est ce que concède saint Thomas, et la chose
est évidente. Car s’il est permis d’édifier des sépulcres,
des basiliques aux saints, de les orner de leurs reliques, d’allumer
devant eux des cierges, comme nous l’avons montré plus haut, pourquoi
ne serait-il pas permis de leur promettre cela ?
De plus, tous admettent que c’est autrement qu’est faite une promesse
aux saints, et autrement une promesse à Dieu. Car on promet à Dieu,
en signe de gratitude envers le premier principe des bonnes choses, et
en reconnaissance du bienfait reçu de lui en tant que premier auteur.
Et cette promesse est un culte de latrie. On promet quelque chose aux saints,
en signe de gratitude envers les médiateurs et les intercesseurs
par l’intermédiaire desquels nous recevons de Dieu des bienfaits.
Et c’est pourquoi cette promesse n’est pas un culte de latrie, mais
de dulie.
Il reste encore un doute. Cette promesse faite aux saints peut-elle
porter le nom de vœu ? C’est-à-dire, le vœu est-il un nom général
qui se dit analogiquement pour la promesse faite à Dieu et pour celle
faite aux saints, comme le sont les mots prière et culte ? Ou est-il
plutôt un nom spécial qui ne vaut que pour la promesse faite à Dieu,
comme un sacrifice n’est dit que d’une offrande qui est faite à Dieu.
Même si on peut ergoter sur les mots, la chose elle-même ne saurait faire
de doute, car, selon l’usage de l’Église, le mot vœu est général.
Car, personne n’oserait dire je sacrifie à Dieu et à la bienheureuse
Marie, ou, encore pire, je sacrifie à la bienheureuse Marie. Et
pourtant, nous disons couramment je voue à Dieu et à la bienheureuse
Marie, ou même, je voue à la bienheureuse Marie.
De plus, le mot vœu est si associé au nom prière qu’en grec le
mot vœu se dit euxè, et la prière proseuxè, comme le note Grégoire
de Nysse (dans son sermon 1 sur la prière dominicale). En latin
le mot vœu est souvent employé au sens de prière. Et la raison en est,
comme l’enseigne saint Grégoire au même endroit, que les vœux
sont ordonnés à la prière. Car, quand nous voulons demander
quelque chose, nous avons l’habitude de chercher à concilier par des
vœux la personne à qui nous faisons la demande. D’où ce vers des Énéides
: « Énée ne cesse d’offrir des vœux et des prières. »
Comme le mot prière ne se dit pas seulement de la demande par laquelle
nous réclamons des bienfaits, qui est un acte de latrie, mais aussi de
celle par laquelle nous supplions les saints d’aider la prière que nous
adressons à Dieu, de la même façon, le mot vœu ne convient pas seulement
à la promesse faite à Dieu qui est un acte de latrie, mais aussi à la
promesse faite aux saints, qui n’est pas un acte de latrie.
Ne répugne pas à ce qu’on vient de dire le fait que, dans l’Écriture,
le mot vœu est toujours pris au sens de promesse faite à Dieu. Car, quand
les saintes lettres ont été écrites, l’usage de faire des vœux aux
saints n’était pas encore commencé. Mais tu me feras l’objection
suivante : si une promesse faite à des saints morts peut être appelée
vœu, pourquoi pas une promesse faite à un saint encore vivant parmi nous
? Je réponds d’abord ceci. Une promesse faite aux saints
qui règnent avec le Christ est plus semblable à une promesse faite à
Dieu qu’à une promesse faite à un homme mortel. Car, comme ce
que nous promettons à Dieu n’est d’aucune utilité pour lui, mais
seulement pour nous, et n’est fait qu’en signe d’honneur et
de gratitude, de la même façon ce que nous promettons à des saints qui
règnent dans le ciel avec le Christ, n’est pour eux d’aucune utilité,
mais seulement pour nous. Car, ils n’ont pas besoin de nos
biens, puisqu’ils sont bienheureux. Et ces choses nous ne leur
promettons et offrons qu’en signe de souvenir, de reconnaissance et d’honneur.
Or, ce que nous promettons aux hommes encore vivants sur la terre, leur
est utile, ou peut certainement l’être.
Ensuite, parce qu’un vœu ne convient à des saints qu’en tant
que fils de Dieu par participation. De plus, les saints qui
règnent avec le Christ dans le ciel nous savons qu’ils sont vraiment
saints. Mais, pour les saints vivants, il n’y a aucune certitude
au sujet de leur sainteté. Nous ne faisons que l’espérer, la
soupçonner. Enfin, parce que, dans le ciel, les saint
sont déjà bienheureux, glorieux, fils de Dieu, et dieux par participation.
Ils sont confirmés dans leur état, et ne peuvent pas déchoir.
Mais les saints qui vivent avec nous sont à la fois saints et non saints,
et sont heureux et glorifiés plus en espérance qu’en réalité.
On a donc de bonnes raisons pour dire que ce que l’on promet aux
mortels ne s’appelle pas un vœu, et de réserver ce mot pour les
saints qui règnent avec le Christ.
CHAPITRE 10
Les jours de fête doivent-ils être célébrés par les chrétiens
?
Il ne reste plus que la question des fêtes. Nous disserterons
d’abord des fêtes en général, puis du dimanche, de Pâques, des autres
fêtes du Seigneur et de celles des saints.
Au sujet des fêtes en général, il y a trois erreurs. La
première est celle des anciens Ébionites qui estimaient que les chrétiens
devaient observer les fêtes de l’ancien et du nouveau testament, c’est-à-dire,
le sabbat et le dimanche, comme Eusèbe le rapporte (livre 3, chapitre
27 de son histoire). Au temps de saint Grégoire le grand, certains
ont voulu renouveler cette même erreur (livre X1, épitre 3). À
cette époque des chrétiens d’Éthiopie mettaient sur le même pied
le sabbat et le dimanche. Leur argument était le suivant.
Il est dit dans l’Exode 31 que « ce pacte est éternel, et un signe
perpétuel. »
L’autre erreur est celle des pétrobrusiens, comme on le voit
dans la vie de saint Bernard (livre 3, chapitre 5) et des Waldensis (selon
Thomas Waldensis, tome 3, titre 16, chapitre 140), qui enlevaient
toutes les fêtes chrétiennes, sous prétexte que les jours de fête appartenaient
seulement aux cérémonies juives. Ils utilisaient trois textes de l’Écriture
comme arguments. Le premier : Romains X1V : « L’un distingue un
jour d’un autre, un autre condamne tous les jours. » C’est-à-dire
que l’un pense qu’un jour est saint, et l’autre est profane, tandis
qu’un autre pense qu’ils sont tous égaux. Et même si saint Paul tolérait
chez les Romains cette erreur dans la distinction des jours, parce
qu’ils n’avaient pas encore reçu une instruction complète, il semble
quand même clairement indiquer qu’il s’agit là d’une erreur.
Le deuxième. Gaulois 1V : « Vous observez les jours, les mois
et les années. J’ai peur d’avoir travaillé pour rien pour vous.
» Le troisième est Colossiens 11 : « Que personne ne vous condamne
pour la nourriture, le breuvage ou pour un jour de fête ! » À
ces textes de l’Écriture ils ajoutent une raison tirée des saints pères.
Le sabbat qui devait être observé charnellement par les Juifs,
à savoir, en s’abstenant d’œuvres serviles, doit être observé par
nous spirituellement. C’est-à-dire que nous devons nous abstenir
des péchés, qui sont les vraies œuvres serviles. C’est
ce qu’enseignent les saints pères, comme saint Ambroise (Luc, chapitre
13), saint Jérôme (Galates, chapitre 4), saint Augustin (épitre 119),
et saint Grégoire (livre X1, épitre 3.)
La troisième erreur est celle des Luthériens et des calvinistes,
qui admettent des jours de fête, mais qui les admettent comme ne les admettant
pas. La somme de leur doctrine consiste dans ce qui suit. Ils
enseignent d’abord que la célébration des fêtes est un précepte de
droit naturel et divin. Ils le prouvent par le décalogue.
Car, même si le précepte du sabbat a quelque chose de cérémonial, il
est quand même d’une certaine façon, naturel. Autrement, il n’aurait
pas été placé dans le décalogue.
De plus, parce que la nature elle-même enseigne que nous devons de
temps en temps nous abstenir d’actions corporelles, pour être libre
pour Dieu, et pour se rassembler dans l’église afin d’écouter
la parole de Dieu, pour accorder un repos à nos associés et à nos ouvriers.
Nous n’avons rien à reprocher à cela.
Ils enseignent ensuite que puisque le droit divin n’a pas choisi
certains jours que les chrétiens devaient considérer comme festifs,
c’est à l’église de les déterminer, c’est-à-dire aux pasteurs,
avec le consentement du peuple. La seule chose que nous leur reprochons
ici c’est de considérer comme nécessaire le consentement du peuple.
Car, le Christ n’a pas donné aux apôtres le pouvoir de gouverner l’église
à la condition que le peuple y consente, mais absolument parlant.
Mais nous avons déjà traité cette question ailleurs. La troisième
chose qu’ils enseignent c’est que les jours choisis pour être fêtés
ne doivent être en rien plus saints ou plus mystérieux que les autres,
ni avoir une signification pieuse. Mais ils ne doivent être vus
que comme ayant été déterminés pour des raisons de discipline, d’ordre
et de police, de façon à ce que cette détermination de jours spéciaux
coexiste avec l’égalité des jours.
Et ils nous accusent à ce sujet, en nous reprochant de conserver
une distinction entre les jours à la manière juive. Et ils prouvent
leur assertion par les citations de saint Paul données plus haut.
Saint Paul, il est vrai, reproche de faire une distinction entre les jours,
mais il ne blâme certainement pas une distinction nécessaire à l’ordre
et à la police. Ce qu’il blâme c’est donc une distinction
religieuse et cérémoniale, telle qu’était celle des Juifs, et (selon
eux) des chrétiens qui, en raison de significations semblables, avaient
et observaient des jours mystiques.
Ils enseignent quatrièmement, que la détermination de certains jours
n’oblige pas les chrétiens en conscience, si ce n’est pour raison
de sandale ou de mépris. Voilà pourquoi ils accusent les chrétiens
d’imposer aux fidèles des préceptes humains. Les centuriates
donnent pour preuve de leur opinion que, dans l’église primitive, l’observation
des fêtes était une chose indifférente; et qu’elle n’a donc pas
plus, après, la rendre obligatoire. Car, saint Paul et les autres
célébraient indifféremment le jour du sabbat, ou le jour du dimanche.
En effet, dans actes 111, saint Paul prêchait le jour du sabbat; et saint
Jean, dans l’apocalypse, fait mention du dimanche. De plus saint
Paul (Galates 1V) résiste aux pseudos apôtres qui voulaient introduire
l’obligation de célébrer les fêtes. Heshusius prouve la même
chose. Comme les fêtes des chrétiens sont plus nombreuses que celles
des Juifs, il en résulterait, si elles obligeaient en conscience, que
le joug des chrétiens serait plus intolérable que celui des Juifs, dont
a parlé saint Pierre (Actes 1V) : « que ni nous ni nos pères nous n’avons
pu porter. » Calvin ajoute le témoignage de Socrate (livre 5, chapitre
21) qui voulait que les jours de fête soient facultatifs, et qui réprouvait
l’imposition d’une nécessité.
Ils enseignent en cinquième lieu qu’il n’est pas permis
de consacrer les jours de fête aux saints ou à l’eucharistie, et encore
moins à la conception immaculée de la bienheureuse vierge Marie.
Mais, de cela, nous parlerons plus bas, en temps et lieu. Que ce
soit là ce que pensent les hérétiques, le montrent les magdebourgeois
(centurie 1, livre 2, chapitre 6, colonne 503), Tilmann Heshusius
(dans son livre sur les 600 erreurs des pontifes, titre 26), Philippe (dans
les lieux, exposition du décalogue), Calvin (livre 2, chapitre 8, verset
28).
Mais il faut noter aussi les mensonges et les inepties de chacun
d’eux. Les magdebourgeois (centurie, livre 2, chapitre 6, colonne
504) disent que c’est au temps d’Anicet qu’on a commencé,
dans l’église romaine, à enfanter le mystère d’iniquité,
et à jeter les semences de l’antichrist. Parce qu’Anicet voulut
que la fête de Pâque ne soit célébrée qu’un dimanche. Et c’est
ce que statuèrent en ce temps tous les conciles. Ensuite,
celui de Nicée. Les luthériens, eux aussi, observent la même chose.
Pourquoi donc se moquent-ils de l’église romaine ? Tilmann dit
que les pontifes célèbrent la fête des saints innocents avec la même
pompe que les fêtes les plus célèbres, comme celle de saint Grégoire,
de saint Anne, ou de saint Catherine. Mais, c’est un mensonge.
Car, dans la plupart des endroits, cette fête n’est pas observée
de précepte. Au même endroit, Heshusius prouve que la fête du
corps du Seigneur doit être rejetée, parce qu’il est écrit : tu n’adoreras
pas des dieux étrangers. Il dit ici clairement que le Christ
est un dieu étranger, car la fête du corps du Christ est dédiée proprement
au Christ, en vertu du bienfait de l’institution du saint sacrement.
Philippe dit que les œuvres principales du précepte de la sanctification
du sabbat consistent à nourrir et à honorer les pieux docteurs; et que
le péché contre ce précepte est le mépris envers les pieux docteurs,
et le refus de les nourrir et de les défendre. C’est donc pour
les ministres qu’est utile l’observation des fêtes. Calvin
dit que, chez les chrétiens, le culte du sabbat consiste à cesser de
faire nos bonnes œuvres et de permettre à Dieu d’agir en nous,
pour que nous comprenions que nous manque le libre arbitre par rapport
au bien, et que tout ce que nous faisons est péché. Il nous faut
donc, contre ces erreurs, proposer certaines sentences.
La première. Il n’est permis en aucune façon aux chrétiens d’observer
le sabbat des Juifs ou d’autres fêtes de l’ancien testament.
Cette sentence est contre la première erreur. Et on la prouve
d’abord par les trois textes de saint Paul cités plus haut : Romains
X!V, Galates 1V, et surtout Coloss 11. Car, saint Paul réprouvait
à ce point les observateurs du sabbat que les Ébionites refusèrent
de le recevoir, et le considérèrent comme un apostat, au témoignage
d’Épiphane (hérésie 30) et de saint Irénée (livre 1 chapitre 26.)
Ce qui réfute en même temps le commentaire des magdebourgeois qui prétendaient
que saint Paul célébrait indifféremment le sabbat ou le dimanche.
On le prouve ensuite par le concile de Laodicée(chapitre 29) qui anathématise
ceux qui célèbrent le sabbat, et qui, en ce jour, se privent de toute
activité corporelle. On le prouve troisièmement, par saint Grégoire
(épitre 3, livre X1) où il réfute explicitement cette erreur en disant
même que « c’est l’antichrist qui renouvelé le culte du sabbat.
» On le prouve quatrièmement parce que le sabbat était la cérémonie
juive principale de l’ancien testament, Colossiens 11 : « Ou les néoménies,
ou les sabbats qui sont les ombres des choses futures, le corps du Christ.
» Quand le Christ est venu, le sabbat a donc nécessairement pris
fin.
À l’argument tiré des paroles de l’Exode XXX1, (le pacte est
éternel) saint Augustin répond dans les questions sur l’Exode (questions
46, 124, 139). Il dit d’abord que le sabbat, le sacerdoce et les
autres rites juifs étaient des pactes et des signes éternels parce
qu’ils signifiaient des choses éternelles. Comme quand nous disons
que Dieu est éternel, nous ne voulons pas dire que la syllabe dieu est
éternelle, mais que ce qu’elle signifie est éternelle. Il répond
ensuite que le sabbat et les autres cérémonies étaient dites éternelles
parce qu’elles ne furent pas commandées aux Juifs jusqu’à un jour
déterminé, comme quand on disait que celui qui touchera un mort sera
impur jusqu’au soir; mais qu’elles le furent aussi longtemps que le
Dieu l’aurait voulu, et donc éternellement de la part de ceux qui ne
pouvaient pas les omettre de leur propre volonté.
Que le sacerdoce d’Aaron et les autres cérémonies ne devaient
pas durer éternellement, mais devaient être changées par Dieu, le prouve
saint Augustin par le psaume C!X : « Le Seigneur l’a juré et ne s’en
repentira pas : tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech.
» Car, quand on dit du sacerdoce du Christ que Dieu ne s’en repentira
jamais, on laisse assez clairement entendre qu’il s’est repenti du
sacerdoce d’Aaron, c'est-à-dire qu’il a décidé de le changer.
Car, en Dieu il n’y a de la repentance qu’au sens métaphorique.
Il change des choses comme font ceux qui se repentent d’avoir certaines
choses.
Nous pouvons ajouter que les cérémonies judaïques étaient dites
éternelles non pas au sens absolu du terme, mais tant que durerait le
statut de cette république. C’est ce qu’explique le Seigneur
quand il ajoute pour vous, pour vos générations, pour les fils d’Israël.
Comme dans Exode X11 : « Vous célébrerez ce jour solennel, dans vos
générations, d’un culte sempiternel. » On a des choses semblables
sur le sacerdoce dans l’Exode XXV111, et sur le sabbat Exode XXX1.
La seconde proposition. Les fêtes des chrétiens ne sont pas célébrées
seulement pour des raisons d’ordre et de police, mais pour célébrer
un mystère. Et les jours saints sont plus saints que les autres,
et sont des parties du culte divin. Cette proposition est contre
la deuxième et la troisième erreur, car la troisième est presque semblable
à la deuxième. On le prouve d’abord par le jour du Seigneur.
Car, autant nous que les hérétiques, nous célébrons le jour du Seigneur.
Et il est certain que ce jour est célébré en mémoire de la résurrection
du Christ, comme saint Augustin le dit (épitre 1l9), et comme le reconnait
Calvin lui-même (livre 2, chapitre 8). On ne célèbre donc pas les fêtes
seulement pour des raisons d’ordre et de police, mais pour des raisons
de signification mystique. Calvin, en effet, répond à cette
objection qu’il dit avoir été faite par les siens, qui marmonnent souvent
que l’observation du dimanche appartient à la distinction des jours
prohibée par saint Paul, que ce jour a été choisi parce que c’est
en ce jour que le Christ est ressuscité. Car, comme avec la résurrection
du Seigneur ont cessé toutes les cérémonies juives, ce jour nous rappelle
que nous ne devons plus adhérer aux ombres et aux figures.
Mais cette réponse n’est pas suffisante. Car, si nous célébrons
ce jour parce qu’il nous rappelle que les ombres judaïques ont cessé,
nous le vénérons donc à cause d’une signification. Car, si ce
jour n’avertit qu’en signifiant et en représentant, la signification,
et la distinction des jours n’est pas enlevée mais changée.
De plus, le jour du Seigneur, comme l’enseigne saint Augustin (livre
22, chapitre 30 de la cité de Dieu), n’est pas seulement une mémoire
de la résurrection, mais il préfigure aussi la vie bienheureuse.
Je réponds donc à la deuxième objection que l’église ne se soumet
pas à la servitude de ce jour, et qu’il ne faut pas lui reprocher d’avoir
fait sienne un autre jour. Et cette réponse démontre clairement
que Calvin admet que même chez les siens les fêtes sont célébrées
à cause de leur signification; qu’il a voulu abroger le jour du Seigneur,
mais qu’il n’a pas osé parce que cette vérité était trop enracinée
et stabilisée.
On le prouve, en second lieu, parce que, autrement, il faudrait enlever
tous les jours solennels de la nativité du Christ, de sa passion, de sa
résurrection, de son ascension, et de la pentecôte qui descendent de
la tradition apostolique, et qui ont été observés dans toute l’église,
comme le note saint Augustin (épitres 118 et 119), et que même les adversaires
célèbrent. Or, il est certain que ces jours ne sont pas observés
pour des raisons d’ordre ou de police, mais pour des raisons de signification.
Car, s’ils avaient été observés seulement pour des raisons d’ordre,
ils auraient été témérairement constitués.
Car quel est l’ordre qui veut qu’entre le jour de la passion et
celui de la résurrection il n’y ait pas un jour intermédiaire; qu’entre
la résurrection et l’ascension il y en ait quarante, qu’entre l’ascension
et la pentecôte il y en ait dix, qu’entre la pentecôte et Noël il
y ait plus que six mois ? De plus, si ce n’est que pour des raisons
d’ordre que nous célébrons les fêtes, pourquoi tenons-nous compte
de la lune pour trouver les fêtes mobiles ? Ensuite, pourquoi ces jours
portent-ils les noms de Noël, Pâques, Ascension, s’ils ne signifient
rien de sacré. Enfin, les pères enseignent ouvertement qu’on
célèbre ces fêtes pour signifier les mystères de la rédemption, et
les représenter par un rite externe. Voir saint Augustin (épitre
119, et dans le psaume CX) où il parle longuement des mystères de Pâque
et des autres fêtes.
À la troisième objection on prouve la même chose par le fait bien
attesté que les jours de fête sont, par les pères, appelés saints,
sacrés, mystiques, et qu’il faut observer religieusement ces jours qui
ne sont pas semblables aux jours ordinaires. Saint Ambroise
(sermon 62) dit : « Le dimanche est pour nous vénérable et solennel.
» Saint Augustin (dans la préface de son épitre sur Jean) : «
Car maintenant nous est présentée à tour de rôle la solennité des
jours sacrés. » Le même (livre 22, chapitre 30 de la cité de
Dieu) : « Le jour du Seigneur a été consacré par la résurrection du
Christ. » Et (au livre 20, chapitre 21 contre Faust), il écrit
: « Le peuple chrétien célèbre, avec une religieuse solennité, les
mémoires des martyrs. » Et, dans le sermon 251 : « Les apôtres
ont statué que nous devions observer le jour du Seigneur avec une religieuse
solennité. » Et Léon 1 (sermon 4 sur le carême) : « Quand nous
sommes sur le point d’entrer dans les jours mystiques. »
Quatrièmement, si les jours de fête ne se distinguaient des autres
que pour des raisons d’ordre, tous les jours de fête seraient égaux,
et, puisque les raisons pour les célébrer seraient les mêmes,
aucun ne serait plus grand qu’un autre. Mais il n’en pas ainsi.
Car, saint Ignace (dans son épitre aux Magnésiens) appelle le jour du
Seigneur le jour royal, et le plus éminent de tous. Léon (sermon
12 sur le carême), appelle le jour de Pâque la fête la plus grande de
toutes. Saint Grégoire de Naziance (sermon 2 sur pâque),
dit que Pâque est la fête des fêtes et la célébrité des célébrités,
et qu’elle est plus grande que toutes les autres, comme le soleil est
plus grand que toutes les étoiles. Et (dans le sermon sur la mort
de son père), il dit que le jour de pâque est le roi des jours.
Saint Jean Chrysostome (dans son homélie sur saint Philogonie), appelle
le jour de Noël la plus grande fête du Christ, et la métropole des fêtes.
On le prouve par une raison tirée de l’Écriture. L’observation
des fêtes qui est prescrite (Exode XX) appartient au culte de Dieu, car
c’est un précepte de Dieu, et un précepte de la première table.
Mais, d’une certaine façon, ce précepte est naturel, et appartient
à nous, comme les adversaires le concèdent. Nous devons donc
avoir aussi d’autres jours dont l’observation appartient au culte de
Dieu. Or, nous n’avons pas d’autres fêtes que des jours du Seigneur,
pâque, pentecôte, etc. Donc, leur observation est un culte
de Dieu saint et religieux. Car, même si la détermination de tel
ou tel jour a été faite par les hommes, la substance elle-même de la
fête a été commandée par Dieu dans la première table.
On le prouve enfin par cette raison. En naissant,
le Christ a consacré la crèche, en mourant, il a consacré la croix,
en ressuscitant il a consacré le sépulcre d’où il est sorti.
Pourquoi n’aurait-il pas consacré le temps, c’est-à-dire les jours
où il est né, où il a souffert, où il nous fut rendu après avoir vaincu
la mort ? Pourquoi, plus que tous les autres, le jour où Jésus
est ressuscité est-il appelé saint ? De plus, si les temples et
les autels sont appelés maisons de Dieu et lieux saints, parce qu’ils
sont consacrés à Dieu, pour qu’en eux, on rende un culte à Dieu, pourquoi
ne seront-ils pas saints et sacrés les jours qui sont consacrés au culte
divin ?
Les arguments ne concluent pas non plus en sens contraire.
Au premier, tiré de Romains XV, il y a trois interprétations.
La première, celle de Théodoret, de Theophylactus, et peut être
aussi de saint Jean Chrysostome. « On fait une distinction entre
un jour et un jour » C’est-à-dire qu’à un certain jour, l’un
s’abstient de la viande de porc, et des autres mets prohibés par la
loi mosaïque, alors qu’un autre s’en abstient à tous les jours, ou
ne s’en abstient jamais. Mais cette interprétation ne plait guère,
car les mets que la loi déclarait impurs ne pouvaient jamais être mangés.
Voilà pourquoi il n’est pas vraisemblable que, parmi les judaïsant,
il y en ait eu quelques-uns qui s’abstenaient de temps en temps de certains
mets, et tantôt ne s’en abstenaient pas. Mais cette interprétation
ne rend pas, non plus un plus grand service aux adversaires.
L’autre interprétation de ce passage est celle d’Origène
et d’Ambroise, d’Oecumenius, de Primasius, et d’Anselme.
Voici quel est pour eux le sens : quelques-uns jeûnent à certains jours,
d’autres jeûnent à tous les jours; les uns et les autres font
bien. Voilà l’interprétation littérale et la vraie, et c’est celle
que nous aimons davantage. La troisième est celle de saint Jérôme
(dans son livre 2 contre Jovinien). Il dit que saint Paul parle des
fêtes des Juifs et que le sens est le suivant : un fait une distinction
entre un jour festif et un jour profane selon la loi;
un autre considère chaque jour comme profane, en tant qu’appartenant
à la loi des Juifs. Cette interprétation ne me semble pas littérale,
parce que tous les anciens qui commentèrent ce texte l’ont entendu dans
le sens de jeûne, non de fête, et parce que l’apôtre avait entrepris
une dispute sur les aliments. Et aussi parce que, après avoir dit
« un autre juge chaque jour », il ajoute : que chacun abonde dans son
propre sens. Ce qu’il n’aurait certes pas dit s’il avait
été question des fêtes des Juifs, qu’il était déjà mal d’observer
encore.
Mais si on l’admet à cause de l’autorité de saint Jérôme, je
dirai que l’apôtre ne parle pas des fêtes des chrétiens, mais seulement
des fêtes des Juifs. Car, quant à ce qui a trait aux fêtes chrétiennes,
ce même Paul faisait la distinction entre jour et jour puisqu’il célébrait
la pentecôte, comme il est dit dans les actes XX, et donc aussi Pâque.
Car, comme Épiphane le déduit dans l’hérésie 75, sans pâque, la
pentecôte n’est rien.
Calvin insiste. Saint Paul semble blâmer la distinction entre les
jours comme il blâmait la distinction entre les mets. Mais, comme
la distinction entre les mets n’existe pas dans le nouveau testament
comme elle existait dans l’ancien, la distinction des jours n’existe
pas, elle on plus, de la même façon. Je réponds que saint Paul a blâmé
la distinction des jours comme il a blâmé la distinction des mets.
Mais il s’agissait des jours de fête selon la loi mosaïque.
Au second texte tiré de l’épitre aux Galates, on peut répondre
de deux façons. La première. Celle de saint Ambroise
(Galates 1V) et de saint Augustin (enchiridion chapitre 79, et épitre
119, chapitre 7). Ils disent que l’apôtre ne parle pas de l’observation
des fêtes, mais de l’observation vaine et superstitieuse des Gentils
qui disaient : je ne partirai pas demain à cause de la position
des étoiles; ou je ne planterai pas de vigne cette année,
parce que c’et le jour intercalaire des années bi sextiles.
La deuxième est celle de tous les grecs, de saint Jérôme et de saint
Augustin. Ils disent que saint Paul parle des fêtes des Juifs.
C’est aussi ce qu’il faut répondre à la troisième citation tirée
de l’épitre aux Colossiens.
Et pourtant. Même si l’apôtre blâme directement les Juifs,
il semble aussi blâmer en même temps ceux qui observent les jours et
les années de la même manière que les Juifs. Et nous aussi nous
faisons de même. Nous n’avons pas gardé l’observation de certains
jours, mais nous l’ avons changée. De plus, saint Jérôme,
en cet endroit, offre deux solutions qui semblent nous être toutes les
deux contraires. La première : pour qu’une congrégation
anarchique de fidèles ne diminue pas la foi dans le Christ. C’est
pour cette raison que des jours ont été constitués : pour que
nous restions toujours ensemble dans une seule prière et une seule foi.
Non pas pour que soit plus important le jour où nous nous rassemblons,
mais pour que, quel que soit le jour où nous nous rassemblons, la joie
augmente à la vue de tous et de chacun. La seconde.
Tous les jours sont égaux, mais à cause des séculiers, il a fallu déterminer
certains jours où on devait se rassembler en église.
Je réponds de deux façons à la première. La première.
Avec saint Augustin contre Adimante, chapitre 16) : « Eux les observaient
servilement, sans comprendre les choses dont ils étaient des significations
et des représentations. C’est ce que reproche l’apôtre aux
Juifs et à tous ceux qui servent la créature au lieu du Créateur.
Car, nous aussi, les chrétiens, nous célébrons solennellement
le dimanche et pâque, et les autres jours de fête. Mais parce que
nous comprenons leur raison d’être, ce ne sont pas des temps que nous
observons, mais les choses qui sont signifiées par ces temps. »
Et il donne pour exemple quelqu’un qui offre un livre à un paysan et
une cithare à un avocat, tout en sachant très bien le premier ne peut
pas lire, et l’autre jouer de la cithare.
Je réponds, en second lieu, qu’il y a une grande différence entre
les fêtes des Juifs et les nôtres. Car, après le Christ,
les fêtes juives ont une fausse signification; les nôtres une vraie.
Car, leur fin première était de signifier des choses futures, comme le
dit saint Paul dans l’épitre aux Colossiens 11. La fin première
de nos fêtes est de reconnaitre les bienfaits de Dieu, pour lesquels chacune
de ces fêtes est instituée en particulier. De plus. Chez
les Juifs, le précepte portait d’abord et avant tout sur l’absence
d’actions physiques. Pour nos jours de fête, la partie principale
du précepte porte sur le divin sacrifice. L’abstention des œuvres
serviles ne nous est commandée que pour ne pas nous distraire des louanges
divines. Nos fêtes succèdent donc aux fêtes des Juifs, non comme
un fils à son père, dans la même hérédité, mais comme la lumière
à l’ombre, l’exemplaire à la figure, les choses spirituelles
aux choses charnelles.
Aux premières paroles de saint Jérôme je dis que, dans sa première
réponse, il a donné deux causes aux fêtes des chrétiens. Une
première. Pour que nous honorions la résurrection du Christ et les autres
mystères. Vu sous cet angle, on ne peut nier que le jour de pâque
soit plus célèbre que les autres jours. Une autre, pour que nous
ayons un jour déterminé pour des raisons d’ordre. Et, vu sous cet angle,
un jour n’est pas plus célèbre qu’un autre. À ses secondes
paroles, je dis que quand, dans sa deuxième réponse, il a dit que, pour
les chrétiens, tous les jours étaient égaux, il ne parlait pas de tous
les jours au sens strict et dans l’absolu, mais seulement de l’essence
de la fête, et en faisant abstraction de la loi de l’église.
Car, comme il le dit lui-même, un chrétien peut, à chaque jour, avoir
le dimanche, pâque ou la pentecôte, si à chaque jour il écoute la sainte
parole, communie au corps du Seigneur, médite sur les divins mystères,
et, après avoir mis de côté les œuvres serviles, ne vit que pour Dieu.
Bien plus, telle devrait être la vie des clercs et des religieux, pour
lesquels tous les jours sont des jours fériés.
Cela, les Juifs ne pouvaient pas l’avoir, car il ne leur est pas
permis d’immoler à chaque jour l’agneau pascal, ou d’ériger des
tabernacles, ou d’autres choses semblables. Cette égalité-là
cohabite, chez les chrétiens avec l’inégalité des jours, tant
par le précepte de l’église qui détermine un jour, que par la signification
et la représentation des mystères. Car, le jour dominical représente
la résurrection, ce que ne font pas les autres jours. À l’objection
tirée des pères, je réponds que les pères parlent du sabbat proprement
dit, du septième jour, non d’un sabbat qui signifie toutes les fêtes.
Car les pères disent que ce sabbat avait été commandé charnellement,
le nôtre spirituellement. Mais, de ce que nous ne devons pas célébrer
le sabbat à la lettre, dans un rite externe, il ne s’ensuit pas que
nous ne devions pas observer le dimanche, et les autres fêtes chrétiennes.
Bien plus, dans la même épitre 119 où il dit que le sabbat nous a été
commandé spirituellement, saint Augustin ajoute que nous devons célébrer
le jour du Seigneur par un rite externe.
La troisième proposition. L’observance de certains jours de
fête est licitement prescrite dans l’Église par une loi obligeant
en conscience, même en face d’un scandale ou d’un mépris. Cette
proposition est contre les hérétiques de notre temps. Mais avant
d’en faire la preuve, il faut d’abord noter que, par la loi des fêtes,
deux choses sont prescrites. La première. Que tous soient
présents au sacrifice de la messe. La seconde. Qu’on s’abstienne
d’œuvres serviles. Nous adversaires reconnaissent que l’une
et l’autre de ces choses est requise à l’observation d’une fête
chrétienne. Car, même s’ils condamnent la messe en tant qu’elle
est un sacrifice, ils admettent quand même qu’aux jours de fête, il
faut venir à l’église, et être présent au mystère de la cène sacrée.
Et, même s’ils niaient cela, on pourrait le prouver facilement par saint
Justin (fin de la deuxième apologie), Palladieus (chapitre 69 de son histoire
lausiaque), saint Jérôme, dans sa vie de Paula, et d’autres aueurs.
Pour la même raison, ils admettent qu’un jour de fête requiert
l’abstention d’œuvres serviles. Et, s’ils le niaient, on pourrait
le prouver par saint Jérôme (dans son épitre à Eustochius sur
la conservation de la virginité) où il dit que les moines de son temps
avaient coutume de travailler de leurs mains tous les jours, sauf le dimanche
ou les jours de fête. Saint Augustin (sermon 251) et saint
Grégoire (livre 11, épitre 3) disent que, pendant les jours de fête,
il faut s’abstenir de tout travail corporel.
Il faut noter, ensuite, qu’une œuvre servile peut être prise
dans trois sens. Il y a certaines œuvres par lesquelles l’homme
se met au service de ses cupidités, et qui sont des péchés. Ce
n’est pas ce qu’on appelle œuvres serviles, mais métaphoriquement
seulement. Car, elles ne sont pas propres à des serviteurs,
mais communes à tous, et surtout aux riches et aux nobles qui dominent
les autres. Elles ne sont pas non prohibées par un précepte
spécial, mais par tous les préceptes en même temps.
Il y a des œuvres par lesquelles l’homme sert Dieu, comme l’immolation
du sacrifice, l’oblation de l’encens et d’autres semblables.
Ces œuvres sont serviles mais en même temps royales, car servir Dieu
c’est régner. Ces œuvres-là non seulement elles ne sont
pas prohibées le dimanche, mais elles sont même prescrites les jours
de fête. Il y a d’autres œuvres avec lesquelles l’homme se
met au service de l’homme, et qui se rapportent directement à ceux que
nous appelons serviteurs, tels que sont les travaux mécaniques, d’agriculture
etc.
Ce sont ces travaux-là qui sont proprement dits serviles et qui sont
interdits aux jours de fête. Il est, troisièmement à noter que,
même si seuls ces travaux sont interdits les jours de fête, certains
travaux spirituels et libéraux sont interdits, et certains travaux corporels
sont permis. Les travaux libéraux qui sont interdits les jours de
fête sont au nombre de quatre : faire du négoce, plaider des causes,
juger un procès, et faire un serment solennel en cour, sauf pour raison
de paix ou d’autre nécessité.
Les choses corporelles qui sont permises sont aussi au nombre de quatre.
Celles qui sont spirituelles ou qui se rapportent aux œuvres de religion.
Comme par exemple, sonner les cloches, et autrefois tuer les brebis et
les bœufs pour le sacrifice. Matthieu X11 : « Les prêtres, dans
le temple, violent le sabbat sans crime. » De même, il est permis
de lire ou d’écrire pour préparer un sermon. Mais, il n’est
pas permis de transcrire des livres sans nécessité pour de l’argent.
Deuxièmement, des œuvres sont permises qui par elles-mêmes
ou pour le salut des autres sont nécessaires, comme le travail des pharmaciens,
des chirurgiens, des cuisiniers. Comme il était permis autrefois aux Juifs,
le sabbat, de tirer leurs ânes d’une fosse (Matt X11), et de les conduire
à une fontaine pour boire. Les œuvres confiées aux prélats.
Quatrièmement, les œuvres qu’on a coutume de considérer
comme licites. L’Église n’a jamais interdit aussi sévèrement
que les Juifs les œuvres serviles le dimanche et les jours de fête.
Et la raison en est que l’abstention d’œuvres serviles était, pour
les Juifs, la figure de choses futures. Or, pour bien signifier, les figures
doivent être exactes. Notre vocation, même si elle signifie
aussi quelque chose de futur, ne trouve pas là sa fin principale, laquelle
est plutôt de ne pas empêcher les œuvres spirituelles.
On prouve maintenant la proposition par tous les arguments par lesquels
nous avons prouvé ailleurs que les préceptes de l’Église obligent
en conscience. En second lieu, le droit divin prescrit que
quelques jours de fête doivent être observés. Et cependant, aucun
jour n’a été déterminé de droit divin. Voilà pourquoi il y
a du y avoir dans l’église un pouvoir un pouvoir de déterminer certains
jours, et obliger à les observer. Si la détermination de jours
faite par l’Église n’oblige pas, les fidèles pourront ne pas
observer le dimanche, Pâque, ni aucune autre fête. Or, les fêtes
doivent être communes à toute l’Église; et il ne peut y avoir de communion
qui ne soit pas planifiée par l’autorité publique.
Troisièmement. Mardochée et les autres juifs qui étaient avec le
reine Esther instituèrent une fête que Dieu n’avait pas prescrite,
et obligèrent les Juifs à l’observer. Esther 1X : « Il
n’est permis à personne de laisser passer ces deux jours sans les solenniser.
» La même chose a donc été permise à l’Église. Car
la raison pour laquelle les hérétiques croient qu’il n’est pas permis
à l’Église d’obliger les fidèles à l’observation de ces fêtes,
est que Dieu ne les a pas prescrites individuellement, comme il n’avait
pas prescrite la fête des sorts que Mardochée a instituée.
Quatrièmement, l’Église antique a prescrit les fêtes impérativement,
et personne, en dehors des hérétiques, ne lui a jamais reproché ces
préceptes. Le concile d’Agathe, chapitre 47 d’avant l’an cent
mille, dit : « Nous prescrivons par un commandement spécial que le jour
du Seigneur, les séculiers assistent aux messes, de façon telle qu’ils
n’osent pas sortir avant la bénédiction du prêtre; et que s’ils
le font, ils soient confondus publiquement par l’évêque. » Le
concile de Laodicée, avant 1200, chapitre 29 : « Il ne faut pas que les
chrétiens judaïsent, et s’abstiennent d’œuvres serviles le
sabbat. Ils doivent travailler en ce jour, et faire passer le dimanche
avant lui. Le concile d’Aurélie 111 d’avant l’an mille lui
aussi, ordonne que soient punis ceux qui travaillent les jours de fête;
et il condamne en même temps ceux qui, à la manière juive, se reposent
le dimanche au point de penser ne pas pouvoir préparer ce qui est nécessaire
pour se nourrir. De la même façon, le concile général 6, canon
8, ordonne d’écouter les sermons, et de ne faire aucune activité corporelle,
à l’exception de celles qui sont nécessaires pour préparer les repas.
Ce canon ne fait pas partie des canon de Trullo. Le concile
d’Antisiodore, avant les années 900, chapitre 16 : « Il n’est pas
permis, le dimanche, d’atteler les bœufs, ou de faire d’autres travaux.
» On trouve des choses semblables dans le concile de Moguntinus
d’avant les années 700 (canons 36 et 37). Il énumère les fêtes principales
de toute l’année, et ordonne de cesser le travail pendant ces jours.
Voir les nombreux décrets des conciles ou des souverains pontifes à ce
sujet.
Les arguments contraires ne mènent à rien. Car, au premier
argument des magdebourgeois, je dis que le culte des différentes fêtes
est en soi indifférent, mais que c’est la loi qui l’a rendu nécessaire.
Au sujet de l’exemple de saint Paul, je nie qu’il ait célébré le
sabbat. Il prêchait le jour du sabbat, car c’est en ce jour qu’il
pouvait rencontrer les Juifs qui se rassemblaient alors, mais non
parce qu’il venait célébrer le sabbat. Et dans son épitre aux
Galates, il ne reproche pas aux pseudos apôtres de rendre des fêtes obligatoires,
mais de les forcer à célébrer les fêtes juives.
À l’objection de Heshusius voulant que si les fêtes
des chrétiens obligeaient en conscience, le joug des chrétiens
serait plus intolérable que celui des Juifs, puisque nous avons beaucoup
plus de fêtes qu’eux, je réponds d’abord, avec saint Augustin, (chapitre
16, livre contre Andimante) que c’est un joug d’observer les fêtes
à la manière juive, mais non à la manière chrétienne, parce
qu’ils ne comprennent pas eux, la fin du repos forcé, tandis que nous,
nous la comprenons. Je dis, en second lieu, que les fêtes des Juifs
étaient vraiment plus lourdes, parce qu’ils étaient forcés à tous
les sabbats de ne pas allumer de feu, de ne pas faire cuire d’aliments,
de ne pas marcher sur le chemin. Il leur fallait aussi, trois fois par
an, aller à Jérusalem, même s’ils en étaient très éloignés.
De même, à Pâque, ils étaient forcée de manger pendant sept jours
un pain azyme insipide, (Deuteronome XV1) appelé pain d’affliction,
et des laitues pleines amères. Et beaucoup d’autres choses qui
rendaient leurs fêtes onéreuses. Or, nos fêtes n’ont rien
de laborieux. Quel labeur y a-t-il à écouter parler et à se reposer
de tout travail ?
Ajoutons ensuite que quand saint Pierre a appelé la loi juive (Actes
XV) un joug intolérable, ce n’était pas à cause des fêtes, mais à
cause des minutieuses innombrables cérémonies, que non seulement
on ne pouvait pas observer, mais dont il était impossible de se souvenir.
Au sujet du témoignage de Socrate, je dis qu’il fut un hérétique novatien,
et que, dans les dogmes, son témoignage est nul
La quatrième proposition Pendant les jours de fête, nous ne
sommes pas tenus, par un précepte particulier, à ne pas pécher,
à faire un acte de contrition ou d’amour de Dieu. C’est ce qu’enseigne
saint Thomas ( 2.2. question CXX11, art 4) contre Scot (dist 27 et 37)
qui enseigne que les hommes sont tenus, les jours de fête, à un acte
interne d’amour de Dieu. Et contre Abulense et Lyre (au chapitre
20 de l’Exode) qui disent que, par ce précepte, sont prohibés spécialement
les œuvres serviles, c’est-à-dire les péchés; et que, en conséquence,
tout péché, fait un jour de fête, est double.
On le prouve d’abord en faisant remarquer que le droit divin ne commande
de s’abstenir que des œuvres serviles. Si tu dis que les œuvres
serviles sont des péchés, il faudra répondre que les préceptes doivent
être compris au sens propre, non métaphorique. Or, les péchés
ne sont des actes serviles que métaphoriquement. Ensuite, l’Église
a déterminé le temps, et la manière d’observer le droit divin dans
l’observation des préceptes. Or, l’Église n’a jamais prescrit
des actes internes. C’est ainsi que les fidèles comprennent ce commandement.
Personne n’a jamais pensé qu’il commettrait un nouveau péché si,
un jour de fête, il n’avait pas la contrition de ses péchés.
Quatrièmement. Cet acte interne est la fin de ce précepte.
Or, ce n’est pas la fin mais les moyens qui sont prescrits par un commandement.
Cinquièmement. Le culte interne était déjà un précepte dans
le premier commandement. Car, tel est l’ordre de la première table.
Dans le premier précepte, on prescrit le culte du cœur; dans le second,
le culte de la bouche, et dans le troisième, le culte des œuvres.
Sixièmement. Le précepte d’observation du sabbat est un précepte
de religion. Or la contrition est un acte de pénitence, non de religion.
Septièmement. Parce qu’il serait très nuisible de multiplier les fêtes.
Ne serait-ce pas tendre des filets aux âmes ?
Mais on nous fait l’objection suivante. Forniquer ou tuer un
homme dans un lieu saint est un sacrilège. C’est donc aussi un sacrilège
de forniquer ou de tuer un jour de fête. Je réponds que la circonstance
de lieu et de temps aggrave toujours le péché, mais pas au point où
d’en faire un nouveau péché. Car, un nouveau péché est
commis seulement quand la circonstance de lieu ou de temps est essentielle
et intrinsèque au péché, c’est-à-dire quand le temple lui-même ou
le lieu sacré est violé : celui qui fornique ou commet un homicide dans
un temple commet un sacrilège parce que, par ces péchés, est violée
la sainteté du lieu. Car, par la loi liturgique, un temple est violé
par l’effusion volontaire de la semence ou du sang. Or, ceux qui
mentent même pernicieusement ou blasphèment ne commettent pas un blasphème
au sens propre du terme, parce que le blasphème ou le mensonge n’enlèvent
pas la sainteté d’un temple. Je dis la même chose du temps sacré.
Car, un temple n’est pas violé par n’importe lequel péché, mais
seulement par ceux qui s’opposent à ce temps sacré, comme ne pas aller
à la messe, et travailler manuellement, choses qui sont spécifiquement
prohibées.
En deuxième lieu, on nous objecte des témoignages de saint Augustin
selon lesquels, par le précepte du sabbat, sont prohibées les œuvres
serviles, c’est-à-cire les péchés. Car c’est ainsi que parle
saint Augustin (traité 3 sur Jean, et dans le psaume 32). Je réponds
qu’il parle du précepte du sabbat en tant qu’il est un précepte général
signifié spirituellement par le sabbat des Juifs. Ils nous opposent
aussi cet autre texte de saint Augustin (livre des dix cordes, chapitre
3) : « Le Juif ferait mieux de faire quelque chose d’utile dans un champ
plutôt que d’être séditieux dans un théâtre. Les Juives feraient
mieux de faire de la laine à la maison plutôt que de danser impudiquement
le jour des néoménies. » Je réponds que saint Augustin ne veut
pas dire qu’il est préférable en soi, mais que c’est un moindre mal
de faire un jour de fête quelque chose d’utile, même prohibé, plutôt
que de commettre un péché. Car c’est un moindre mal de travailler
dans un champ un jour de fête, que de blasphémer Dieu. Mais c’est un
plus grand mal de travailler dans un champ un jour de fête que de faire
un mensonge officieux.
Et pourtant saint Augustin semble vouloir dire que travailler
dans un champ un jour de fête est un mal moins grand que commettre n’importe
lequel péché. Il veut donc dire que n’importe lequel péché
semble plus militer contre la fin qu’est la sanctification du sabbat,
qu’une œuvre en soi utile qui est prohibée par le sabbat. Car,
la fin est le repos de l’esprit dans le Seigneur. À cette fin répugne
n’importe lequel péché bien plus que la distraction d’une œuvre
corporelle. Et c’est pour cela que la cécité des Juifs est grande,
parce qu’ils abusent du loisir du sabbat pour commettre plusieurs péchés,
comme le dit saint Augustin.
Tu me feras cette autre objection. Si le péché répugne plus
à la fin de cette loi que les œuvres serviles, les péchés sont dont
plus prohibés par le précepte que les œuvres serviles, car ce précepte
a été prescrit pour enlever les empêchements au culte interne.
Je réponds que tous les péchés sont prohibés et qu’ils le sont plus
que les œuvres serviles. Car, les péchés ne sont permis en aucun
cas. Or, les œuvres serviles sont souvent permises même un
jour de fête. Cependant, tous les péchés ne sont pas prohibés
par ce précepte spécial du sabbat, parce que ce n’était pas nécessaire
de le faire puisqu’ils étaient déjà prohibés avant. Ce sont
les œuvres serviles qui sont prohibées par ce commandement, parce qu’auparavant,
elles n’avaient pas été prohibées.
2018 09 23 fin
2018 09 28 DEBUT
CHAPITRE 11
Le jour du dimanche
Au sujet du dimanche, il y a trois choses à dire. La première : son
antiquité. La seconde : la raison de son institution. La troisième
: les rites antiques conservés le jour du dimanche.
La première : son antiquité. Sans aucun doute possible,
la fête du dimanche est la plus antique de toutes les fêtes chrétiennes.
Car, l’Église a commencé véritablement le jour de la pentecôte.
Car, c’est alors que, une fois tous les mystères de notre rédemption
accomplis, a été promulgué publiquement l’évangile. Et c’est
après ce jour que commencèrent à être omises les fêtes juives, et
qu’y furent substituées les fêtes chrétiennes, le premier jour à
se présenter ayant été le dimanche. Car, les fêtes de Noël et de Pâques,
qui sont très anciennes elles aussi, arrivèrent quelques mois après.
Cette antiquité est attestée d’abord par les Écritures, car on lit
à Actes XX : « le lendemain du sabbat, comme ils se réunirent pour la
fraction du pain. » Et ( 1 Corinthiens XV1) : « le premier
jour après le sabbat, que chacun… »
Les magdebourgeois (centurie 1, livre 2, chapitre 6, colonne
503) et Calvin (contre la chaine d’Augustin Marloratus) disent
que ces passages doivent s’entendre du jour du sabbat, et que ce jour
a été conservé par saint Paul. Les magdebourgeois prouvent leur
dire par Actes XV111 où Paul, le jour du sabbat, prêche dans
une synagogue. Mais, ils se trompent manifestement, car, dans
le premier passage (Actes XX) saint Jean Chrysostome et Bède voient le
jour du Seigneur. Et le deuxième (1 Cor XV1), tous les auteurs
grecs et latins l’interprètent au sens de dimanche : saint Jean Chrysostome,
saint Ambroise, Theophylactus etc. Et non seulement les catholiques,
mais aussi Pierre le martyr dans son commentaire de ce texte. Ajoutons
le commentaire d’Érasme (que les hérétiques ont en haute estime) tant
des Actes que de l’épitre de saint Paul. Il dit que le Christ est ressuscité
au premier jour après le sabbat, ce qui veut dire le dimanche. De
plus, il appert que saint Paul se sert de beaucoup d’hébraïsmes. Or
c’est un hébraïsme fréquemment employé de dire un au lieu de premier.
Comme dans la Genèse 1 : Et le soir fait, et le matin un jour, c’est-à-dire
le premier jour, car après, on dit le deuxième jour. Ensuite,
saint Paul reproche sévèrement aux Colossiens et aux Galates d’observer
les fêtes des Juifs. Comment est-il croyable, alors, qu’il ait
observé le sabbat ? Qu’il ait, selon les Actes X111 prêché dans
une synagogue le sabbat, cela ne veut pas dire qu’il le faisait pour
honorer le sabbat, mais parce qu’il ne pouvait pas rencontrer des juifs
rassemblés en un autre lieu et en un autre jour. Nous avons aussi
l’Apocalypse 1 : « Moi, Jean, je fus dans l’Esprit le jour du Seigneur.
» Presque tous voient dans ce mot le dimanche : Oecumenius, Anselme,
Primasius et les autres. Même les magdebourgeois (centuriate 1,
livre 1, chapitre 6)
Nous ajoutons à cela les témoignages des pères les plus anciens.
Clément (canon 65 des apôtres), l’épitre de saint Ignace aux
Magnésiens, Justin (apologie 2), Tertullien (la couronne du soldat, et
son apologie chapitre 16), Clément d’Alexandrie (Stromates, livre 7),
Origène (homélie 7 sur l’Exode), Athanase (homélie sur : tout m’a
été livré par mon père), saint Ambroise (épitre 83), saint Jérôme
(chapitre 4 aux Galates), saint Augustin (livre contre Adminate, chapitre
16), saint Grégoire (livre 11, épitre 3), saint Léon (épitre 81 à
Dioscore), saint Hilaire (préface aux psaumes). Voilà pourquoi
il n’est permis, en aucune façon, de douter que le jour du dimanche
ait été très ancien.
Quant à la raison de l’institution, ce fut pour qu’il succède
au sabbat. Car le droit divin requérait qu’un jour de la
semaine soit dédié au culte de Dieu. Comme il ne convenait
pas qu’on conserve le sabbat, les apôtres changèrent le sabbat en dimanche.
Pour comprendre comment cela a été bien fait, il faut noter que le sabbat
était, pour les Juifs, la fête la plus ancienne et la plus prestigieuse,
car ce n’est que du sabbat que fait mention le décalogue. Le sabbat
était la fête la plus excellente de toutes, parce que, comme
toutes les fêtes sont célébrées en mémoire d’un bienfait passé,
ou pour signifier quelque chose de futur, le sabbat excellait dans l’une
et l’autre chose. Car, quant au bienfait passé, il était célébré
en mémoire du premier bienfait et du plus universel, la création
du monde. Car, comme l’écrit Philo dans son livre sur la création
du monde, comme les rois ordonnent qu’on célèbre le jour de naissance
de leurs fils, Dieu a voulu qu’on célèbre le jour de naissance de son
œuvre, le monde. Ce qui était fort utile pour exclure l’erreur
des philosophes qui enseignaient l’émanation plutôt que la création,
et que, en conséquence, le monde n’avait jamais commencé.
Quand au bienfait futur, le sabbat était la figure de trois bienfaits
de Dieu, auxquels tous les autres se ramènent. Le premier.
Il était le signe, au sens allégorique, du repos du Seigneur dans le
tombeau. Car, comme Dieu, le sabbat, se reposa de l’œuvre de sa
création, le Christ se reposa le sabbat de l’œuvre de sa rédemption,
comme l’apôtre l’observe à Hébreux 1V. Le second. Il
était la figure, au sens tropologique, du repos de l’esprit humain
des œuvres serviles des péchés. Car, quand les Juifs s’abstenaient
de toute œuvre servile, le sabbat, ils signifiaient que viendrait le temps
de la grâce où, libérés par le Christ de la servitude du péché, les
hommes jouiraient d’un repos et d’un loisir spirituel, comme l’expose
saint Augustin (traité 30 sur saint Jean et ailleurs).
Le troisième. Le sabbat était la figure, au sens anagogique,
du repos des saintes âmes, qu’elles attendaient, après leur mort, dans
le sein d’Abraham, comme saint Augustin l’enseigne (dans l’épitre
119) et le déduit de l’épitre aux Hébreux 1V. Or, comme
c’était pour ces raisons que le sabbat avait été institué, il convenait
que, après l’avènement du Christ, il fût métamorphosé en dimanche.
Et quand à la mémoire des choses passées, le jour du seigneur
dépasse de loin le sabbat. Car il nous rappelle la naissance et
la résurrection du Christ, ainsi que la manifestation de l’Esprit Saint,
auquel jour est née l’Église. Car, le Christ est né le jour
du dimanche, puisque, cette année là, était en cours la lettre dominicale
B, comme les astronomes l’enseignent.
Et, on peut le démontrer en redescendant dans le cycle des lettres
dominicales. Il appert, en effet, que dans la lettre B se trouve le 25
décembre, le jour où le Christ est né. Que le Seigneur ait ressuscité
aussi un dimanche, l’évangile l’indique. Que l’avènement
du Saint-Esprit eu lieu également un dimanche, la chose est claire, car
ce fut à la pentecôte, c’est-à-dire le cinquantième jour après pâques,
donc, nécessairement un dimanche.
De plus, le dimanche représente pour nous le jour de la naissance
du Christ et de l’Église. Et de plus, le jour du Seigneur
représente aussi le souvenir de la création du monde, non moins que le
sabbat. Car, c’est le jour du dimanche que le monde commença à
exister. Bien plus, c’est en ce jour qu’ont été faites les
parties principales du monde comme le ciel, la terre, les anges, la lumière
etc. Voilà pourquoi saint Justin (dans son apologie 2) et saint
Léon (épitre 81 à Dioscore), disent que le dimanche est célébré
autant en souvenir de la création du monde, que de la résurrection du
Christ.
Quant à la signification des choses futures, il est clair que le sabbat
a cessé, car les choses qui étaient signifiées par le sabbat se sont
réalisées. Le Christ, en effet, s’est déjà reposé dans son
sépulcre, et le repos sabbatique se fait par les âmes en Dieu.
De plus, le repos des âmes dans le sein d’Abraham est déjà changé
en gloire et en béatitude. Et le seul repos que nous attendons maintenant,
c’est le repos glorieux. Or, la gloire est mieux signifiée par
le dimanche que par le sabbat. Et , voilà pourquoi saint Augustin
(dans son épitre 119) dit : « C’est à juste titre que le sabbat a
été donné aux Juifs, eux qui, après la mort, ne s’en
allaient qu’au seul repos. Aux chrétiens, a été donné le jour
du Seigneur parce que la gloire de la résurrection dans le Christ
est déjà révélée, et que ce qui précède dans la tête,
le corps l’attend.»
Quant à la troisième, le rite dominical était quadruplexe.
On se rassemblait d’abord dans une église pour la lecture, la prédication,
l’oblation du sacrifice, et la communion, comme on le voit d’après
Justin dans sa deuxième apologie. On s’abstenait ensuite des œuvres
serviles, comme nous le montre saint Jérôme (dans sa lettre à Eustochius
sur la virginité), et saint Grégoire (livre 11, épitre 3).
Troisièmement. On ne jeûnait pas, comme le rapporte Tertulien (dans la
couronne du soldat) et d’autres. Quatrièmement, on
ne se mettait pas à genoux, mais on priait debout. Nous avons encore,
à ce sujet, le canon 20 du concile de Nicée. Le même Tertullien
avait enseigné bien avant dans son livre sur la couronne du soldat : «
Le jour du Seigneur nous disons qu’il n’est pas permis de jeûner ou
de s’agenouiller. » Disent la même chose saint Hilaire
(dans sa préface aux psaumes), saint Ambroise (sermon 62), saint
Augustin (épitre 119, chapitre 15) et Alexandre 111 (chapitre quoniam).
Nous voyons que dans les trois premiers siècles, ce rite était
observé par toute l’Église.
CHAPITRE 12
Pâque.
Il y a deux choses à dire sur ce sujet. La première :
qu’est-ce que pâque ? La seconde : les erreurs sur pâque.
La première : qu’est-ce que pâque. Quelques pères ont pensé
que le nom de pâque venait du verbe paskein, c’est-à-dire a souffert,
parce que, dans la célébration de Pâque, la passion du Seigneur
est rappelée : « Car, le Christ, notre pâque, est immolé. »
De même, saint Ambroise (dans son livre sur le mystère de Pâque, chapitre
1). Voilà pourquoi Tertullien (dans son livre contre les Juifs)
dit : « la pâque du Seigneur signifie la passion du Christ. »
Cette interprétation saint Augustin l’expose et la réfute avec
raison, parce que le mot pâque est hébreux, non grec. C’est
en hébreux, en effet qu’on dit …..qui veut dire traverser.
Son sens premier n’est donc pas l’immolation de l’agneau, comme l’enseigne,
d’après saint Jérôme, l’auteur du commentaire du chapitre
14 de Marc. Il ne signifie pas non plus la traversée de la mer rouge
par le peuple juif vers la terre promise, comme l’enseigne saint Grégoire
de Naziance, (sermon 2 sur pâque) et saint Augustin (traité 55 sur Jean).
Il ne signifie pas non plus le passage de l’ange à travers l’Égypte,
comme semblent le vouloir dire les paroles suivantes (exode X11) : « Car
c’est la pâque, c’est-à-dire le passage du Seigneur. »
Il signifie plus tôt une ascension en passant, et comme un saut sur
les maisons des Juifs, comme on le voit pas la raison qui en est rendue
dans Exode 2. Car, là où Moïse avait dit : c’est la pâque,
il en ajoute la raison : car je traverserai par toute la terre d’Égypte
, et, cette nuit-là, je frapperai les premiers-nés des Égyptiens.
Le sang sera pour vous un signe sur vos maisons, et je verrai le sang,
et je passerai outre, et ce ne sera pas pour vous une plaie. » Le
premier « je traverserai » se dit en hébreux…..et le second….(un
autre mot). C’est de ce mot-là qu’on dit pâque. La même
raison est donnée trois fois dans ce chapitre, où le mot hébreux ….signifie
toujours monter au travers, et non simplement traverser. C’est
pourquoi, Joseph (livre 2, chapitre 13 des antiquités), dit que
pâque signifie ascension en passant. Saint Jérôme enseigne la
même chose (au chapitre XXV1 de Matthieu) ainsi que Theodoret (question
24 sur l’Exode).
Ce mot est traduit pour signifier trois choses. La première : le passage
de l’ange. La seconde : l’agneau pascal lui-même, qui, par l’immolation,
passait de la vie à la mort. D’où Luc XX11 : « Il était nécessaire
que la pâque soit tuée. » La troisième : la traversée de la
mer rouge du peuple libéré cette nuit-là de la tyrannie du Pharaon,
pour aller dans la terre promise. Et c’est cette signification
que reconnait saint Grégoire de Naziance (sermon 2 sur pâque), et saint
Augustin (traiité 55 sur saint Jean). La quatrième : le jour lui-même
de la fête, car Luc dit (XX!!) : « Approchait le jour de la fête des
azymes qui s’appelle Pâques. »
Ces quatre sens du mot pâque existent chez les chrétiens à
leur manière, c’est-à-dire comme exemplaires de ces types.
Car, l’ange qui passe et tue les premiers-nés des Égyptiens en épargnant
Israël, c’est le Christ, l’ange du grand conseil, qui, en passant
de la vie à la mort, a sauvé tous ceux qui devaient être aspergés par
son sang, laissant les autres dans les mains du dévastateur. L’agneau
pascal est le Christ immolé pour nous. C’est, effet, le
Christ que représentaient et l’ange et l’agneau, parce que le Christ
a du tuer et être tué. L’agneau pouvait être tué mais
non tuer; l’ange pouvait tuer mais non être tué. La traversée
de la mer rouge signifie la traversée des peuples par l’eau du baptême.
Et c’est pourquoi on baptisait ordinairement à Pâques les catéchumènes.
Enfin, la fête de ces jours signifiait la fête de nos jours.
Quant au second, le premier fut Aerius qui niait simplement qu’il
faille célébrer la fête de Pâque. Ce qui sentait son judaïsme.
Cette erreur est rapportée et réfutée par Épiphane (hérésie 75).
Nous ne parlons pas de la fête des juifs, mais de ce qui était signifiée
par elle. Le second fut un certain Blastus qui, au témoignage
de Tertullien (livre de la prescription), enseigna que Pâque devait être
célébrée le jour même où les Juifs la célébraient, c’est-à-dire
le 14 de la lune, qu’il soit ou non un dimanche. Plusieurs évêques
d’Asie mineure donnèrent leur consentement à cette erreur, comme le
montre le livre 5 d’Eusèbe (chapitres 24 et 25). Il nous présente
là l’épitre de Polycrate, évêque d’Éphèse, au pape Victor,
dans laquelle il déclare que tous ses prédécesseurs jusqu’à l’apôtre
saint Jean ont célébré pâque le quatorzième jour. Ne manquèrent
pas, par la suite, une foule d’autres à qui cette erreur plaisait,
qui étaient appelés quatordécimans, selon Épiphane. Longtemps
après, d’autres tombèrent dans la même erreur, qu’on appelait Audians
ou Vadians (Épiphane, hérésie 70).
Cette erreur, à cette époque, a été réfutée par les conciles
de presque toutes les églises, et par le pontife romain. Tous, d’un
commun accord, statuèrent que la fête de pâque devait être célébrée
le dimanche le plus proche du quatorzième jour lunaire après l’équinoxe
du printemps, comme Eusèbe lui-même le rapporte. Comme cette erreur
perdurait, le concile de Nicée statua, comme l’atteste Épiphane, (hérésies
50 et 70), statua la même chose. Il dit que, pendant le concile
lui-même, a été composé par Eusèbe de Césarée un nombre d’or qui
indique les nouvelles lunes. Sur cette question demeure encore la
lettre du concile de Nicée (d’après Theodoret, livre 1, chapitre 8
de son histoire). Et saint Athanase se souvient de la même chose
dans son épitre sur le synode d’Arménie et de Séleucie. Saint
Ambroise (épitre 83 ) et Théophyle (livre 1 sur pâque).
De même, une lettre de l’empereur Constantin à toutes les églises
(d’après Eusèbe, livre 3 sur la vie de Constantin), où Constantin
prouve, par trois raisons, qu’il faut célébrer la pâque un dimanche.
La première, pour que nous ne marchions pas avec les Juifs meurtriers.
La deuxième, parce qu’il y a de la paix dans l’église quand il n’y
a qu’une seule manière de célébrer pâque, et quand le petit nombre
le cède au plus grand nombre. De plus, depuis les temps anciens,
la ville de Rome, l’Italie, l’Afrique, la Gaule, l’Espagne, la Grande
Bretagne, l’Égypte, la Lybie, la Grèce, Pont, la Cilicie, et une grande
partie de l’Asie célèbrent pâque le jour du dimanche. Quelques
Orientaux , contre tout le reste de la chrétienté, célèbrent
la pâque avec les Juifs. La troisième. Il est absurde de
célébrer deux fois pâque une année, et de ne pas la célébrer
du tout une autre année. Car, cela arrivait à ceux qui célébraient
pâque le quatorzième jour. Car, ils n’observaient pas l’équinoxe,
mais seulement les douze mois lunaires , et célébraient pâque
le quatorzième jour du premier mois lunaire, sans se demander si ce quatorzième
jour était avant ou après l’équinoxe. Il arrivait donc
parfois qu’une année, on célébrait pâque après l’équinoxe,
et une autre année avant l’équinoxe, et donc deux fois dans la
même année.
Ajoutons que l’argument repose sur un faux fondement. Car, ils pensaient
suivre la loi des Juifs, et suivaient plutôt le délire des Juifs de leur
temps. Car la loi juive (Exode X11) prescrit de faire la pâque après
l’équinoxe du printemps, puisqu’elle ordonne de la célébrer le quatorzième
jour du premier mois lunaire. Or, le premier mois était celui dont
le quatorzième jour tombait sur l’équinoxe du printemps, ou le suivait
de plus près. C’est pourquoi, même Joseph (livre 3, chapitre
13 de l’antiquité) enseigne que pâque se fait quand le soleil est dans
le bélier, et est opposé à la lune. Or, d’après Épiphane (hérésie
70), les Juifs ne tinrent plus compte de l’équinoxe, et les chrétiens
erratiques les suivaient comme des guides aveugles, quand ils célébraient
la pâque avec eux.
À l’autorité de saint Jean l’évangéliste qu’ils apportent
en leur faveur, Bède répond (livre 3, chapitre 25 de son histoire) qu’il
célébrait pâque le quatorzième jour pour s’accommoder aux nouveaux
Juifs convertis à la foi. Pour la même raison donc que saint Paul a circoncis
Timothée. Cependant, c’est l’apôtre Pierre lui-même qui astatué
à Rome que Pâque se célèbre un dimanche. Et c’est cet exemple qu’il
faut suivre avant tout.
La troisième erreur fut celle des Cappadociens qui, au témoignage
d’Épiphane (hérésie 50) célébraient toujours la Pâque le 25 mars,
comme nous célébrons toujours Noël le 25 décembre. Parce qu’ils
croyaient que c’était en ce jour que le Christ avait souffert, et ils
pensaient qu’il fallait célébrer pâque le jour même de la passion.
Semblable fut l’erreur des Gaulois, au début de l’Église, qui,
au témoignage de Theophyle de Césarée (selon Bède, livre de la raison
des temps, chapitre 45) célébraient toujours Pâque le 25 mars, parce
qu’ils pensaient que c’était en ce jour que le Christ était ressuscité.
La même erreur plait grandement à Luther (dans son livre sur les conciles,
part 2). Il dit là qu’il veut célébrer ces jours de fête sans
observer le cours de la lune, pour ne pas paraître judaïser.
Cette erreur est réfutée, d’abord, par le consensus de toute l’église
qui a toujours statué que Pâque devait être célébré un jour de dimanche.
Ensuite, parce que, selon certains, elle repose sur un faux fondement,
car, comme ils l’enseignent, le Christ n’a pas pu souffrir ou ressusciter
un 25 mars. En effet, il a souffert le vendredi, et a ressuscité
le dimanche selon tous les évangélistes. Il appert, selon
d’autres, que le Christ est mort et ressuscité la trente-troisième
ou la trente-quatrième année de sa vie. Or, la trente-troisième
année du Christ, le 25 mars ne fut ni un vendredi ni un dimanche,
mais un mercredi. En l’an du Christ 34, le 25 mars a été
un jeudi, comme on le voit dans la lettre dominicale. Car, en l’an
du Christ 33, la lettre D était en cours; en l’an 34, la lettre
C. Or, le jour du 25 mars est toujours dans la lettre G.
On le réfute enfin avec la lettre de saint Augustin (épitre 119)
où il montre quelle différence il y a entre le jour de Noël et le jour
de la résurrection. Le premier est célébré seulement de mémoire,
et donc toujours à la même date, le 25 décembre; et l’autre
est célébré de mémoire et en tant que mystère. Et c’est pour cela
qu’il varie. Voir aussi sa très belle explication des mystères
de pâque.
La quatrième erreur fut celle des Bretons et des Scots, selon Bède
(livre 3, chapitre 25, livre 5, chapitre 22) qui, contrairement à l’usage
commun de toute l’église, célébraient Pâque le premier
dimanche après la lune du 13 mars, de telle sorte que parfois, ils
célébraient Pâque à la lune du 14 mars, ce que ni les Juifs ni les
chrétiens n’ont jamais fait. Car, pour les Juifs, jour solennel
était le 15 de la lune, mais ils commençaient la fête le soir précédent,
c’est-à-dire le soir du 14 de la lune. Car, pour eux, le
premier jour solennel était le quatorzième, et comme ils
commençaient aussi ce jour aux premières vêpres, ils le commençaient
nécessairement le 13 de la lune. Mais, cette erreur n’a pas besoin
de réfutation, car elle n’avait que l’ignorance pour fondement.
Ils pensaient, en effet, que c’était ainsi que saint Jean avait coutume
de célébrer la pâque.
La cinquième erreur est celle des novatiens qui, au témoignage
de Socrate, livre 5, chapitre 20 de son histoire, ont émis
un décret qu’ils ont appelé adiaphoron, parce que, en lui, ils avaient
statué qu’il était libre à chacun de célébrer la pâque quand il
le voudrait. Cette erreur plait aussi aux magdebourgois, comme on
le voit dans la centurie 1 (livre 2, chapitre 6, colonne 504) et dans la
centurie 2 (chapitre 6, colonne 119). Ils enseignent là que les
apôtres et les hommes apostoliques n’ont donné aucune loi à
l’église au sujet de la célébration de la pâque, mais on laissé
aux chrétiens une entière liberté. Et c’est là qu’ils reprochent
aux souverains pontifes d’avoir excommunié les asiatiques
pour une chose indifférente.
Voici comment on réfute cette erreur. D’abord, par le canon
8 des apôtres, où on ordonne de déposer les évêques ou les prêtres
qui célèbrent pâque avec les Juifs avant l’équinoxe. On le
prouve ensuite parce que les anciens pères ont toujours tenus pour hérétiques
ceux qui furent de l’opinion des asiatiques, à savoir que pâque
devait nécessairement avoir lieu le 11 de la lune, comme on le voit par
Tertullien (la prescription), Épiphane (hérésie 50), Théodoret (livre
3 sur les fables hérétiques), saint Jean Damascène (son livre
sur les hérésies). Et pour que nous ne pensions pas que c’est
pour une raison indifférente qu’ils étaient considérés comme des
hérétiques, ils leur ont imposé le nom de quatordécimans. Ce
n’est donc pas sans raison que les pontifes romains excommunièrent les
asiatiques.
Troisièmement, si le choix de la date devait rester libre,
et si la célébration de la pâque était une chose indifférente,
les saints pères ne s’en seraient pas souciés. Mais ils s’en
soucièrent énormément. Car, au tout début de cette controverse,
partout des conciles provinciaux furent célébrés à ce sujet, comme
le montre Eusèbe dans son histoire de l’église (livre 5, chapitres
23 et 25). Ce qui signifie qu’on prenait la chose fort à cœur.
Ajoutons que, dans ces conciles, ils ne voulurent jamais en faire
une chose indifférente, laissée aux libre choix de chacun. Car,
(au livre 5, chapitre 23), Eusébius dit ceci : « Tous confirment le dogme
ecclésiastique suivant : il n’est permis de célébrer le mystère
de pâque que le dimanche, le jour où le Seigneur est ressuscité. »
Et, au chapitre 25, il dit : « Voici quelle a été la fin du décret
du concile de Césarée qui a eu lieu à cette époque sur la pâque :
que des copies de notre lettre soient transmises à toutes nos églises,
pour que nous ne soyons pas coupables des âmes qui s’immergent dans
toutes sortes d’erreurs. »
Quatrièmement. Après la question de la foi contre Arius,
le concile de Nicée n’eut rien de plus pressant que de déterminer
le jour de pâque, comme nous le montre l’épitre de Constantin (Eusèbe,
livre 3, de la vie de Constantin). Bien plus, saint Athanase (dans
son épitre sur les synodes d’Arménie et de Séleucie, pas loin
du début), dit que le concile de Nicée a été convoqué pour deux
raisons. La première, à cause d’une controverse sur la pâque,
et à cause de l’hérésie d’Arius. Épiphane (hérésie 70)
dit, lui aussi : « Constantin a apporté deux grands bienfaits à l’église.
Le premier, den se souciant de convoquer le concile de Nicée; le
second, en voyant à ce que le concile termine la question de pâque.
Que le concile de Nicée ait formellement prescrit
de célébrer pâque un dimanche, et ne l’ait pas seulement recommandé,
comme Socrate semble vouloir le dire, on le comprend pas la lettre
d’Athanase sur les conciles d’Arménie et de Séleucie : « Dans l’affaire
de pâque, nul ne manifesta d’opposition. Il a semblé que
tous étaient prêts à obéir. »
Cinquièmement. On le prouve avec le concile d’Antioche (chapitre
1) où sont excommuniés ceux qui n’observent pas la loi de Nicée
sur pâque. Sixièmement, on le prouve par le grand soin qu’ont toujours
eu les pères pour qu’on n’erre pas dans la célébration de
pâque. Car, au temps de saint Ambroise, une difficulté était
née, et on ignorait quel était le jour pascal selon le concile
de Nicée. Des lettres d’évêques lui étaient envoyées d’un
peu partout. Nous avons encore une très longue lettre de saint Ambroise
sur cette question. Ensuite, quand, au temps d’Innocent 1, survint
une difficulté semblable, Innocent écrivit une lettre (la onzième )
à l’évêque Aurèle de Carthage. Et lui-même, après avoir convoqué
un synode, a discuté de la question, et lui a envoyé la décision
du concile, afin qu’il puisse désormais déterminer le jour
de pâque à la manière de tout le monde. De nouveau, au temps
de saint Léon, une difficulté semblable s’est levée. Et
saint Léon lui-même écrivit à l’empereur Martian, à l’impératrice
Eudoxie, et aux autres. Voir épitres 63, 64, 65, et
95.
On le prouve ensuite par la providence générale de l’Église.
Car, comme l’écrit saint Léon (lettre 64) à Martien, l’évêque
d’Alexandrie reçut le mandat de supputer et de calculer le jour de pâque
pour l’indiquer au siège apostolique romain. Et en suite, le siège
apostolique prescrivait ce jour à l’église universelle.
C’est ce dont se souvient le concile d’Arles, chapitre 1, et Innocent
1, épitre 11 à Aurélius. On le prouve enfin, par un témoignage
divin, que rapporte Paschase, l’évêque de Lilibet, dans l’épitre
à Léon (63, parmi les épitres de saint Léon). Il écrit aussi
qu’au temps du pape Zozime, se posa de nouveau la question de pâque,
parce que les occidentaux disaient qu’il fallait célébrer pâque cette
année-là le 25 mars, et les orientaux le 22 avril.
De plus, dans une certaine église de la Sicile, à toutes
les années, une fontaine sacrée, par un miracle divin, se remplissait
d’elle-même la nuit de Pâque où les catéchumènes étaient baptisés.
Or, cette année-là, comme, sur l’ordre du pape Zozime, pâque tombait
le 25 mars, la fontaine demeura immobile et sans eau. Et ce
n’est que le 23 avril qu’elle s’est remplie. Ce qui a fait
penser que les occidentaux erraient dans la détermination de la fête
de pâque. Ce miracle serait arrivé l’an du Seigneur 573, écrit
Sigebert dans sa chronique. Il a noté aussi que, la même année,
les fonts baptismaux, en Espagne, se sont miraculeusement remplis
au sabbat de la vraie pâque, que les Gaulois observaient alors correctement,
les Espagnols, incorrectement. Or, il est certain que si la chose
était indifférente, le Seigneur n’aurait jamais démontré par
un tel miracle qu’une erreur avait été commise.
Les magdebourgeois (centurie, 5, chapitre 6, colonne 692), disent que
ce ne sont que des fables et des illusions ce que Paschase rapporte.
Et pourtant, ce Paschase fut un évêque très célèbre, qui présida,
au nom de saint Léon, le concile de Calcédoine, formé de 639 évêques.
Ce qu’il a rapporté c’est une chose qu’il connaissait très bien,
qui était arrivé de son temps, et dans un lieu tout proche.
Et cette chose, c’est au pape Léon qu’il l’a racontée, lui qui
n’a jamais pris pour un miracle les fables et les mirages.
La dernière erreur est celle dans laquelle plusieurs tombent, tout
en le sachant et s’en prémunissant, mais malgré eux. Car, il
faut savoir que le concile de Nicée a établi trois règles pour trouver
le jour de pâque. La première, que pâque se trouve toujours après
le 21 mars, jour de l’équinoxe du printemps, car pâque doit être
célébré après l’équinoxe. La deuxième. Qu’après
le 20 mars, on attende le quatorze de la lune, et que c’est après ce
jour qu’on cherche pâque. Car pâque doit se trouver à la troisième
semaine de la lune, c’est-à-dire du 14 au 22 exclusivement.
Et, pour trouver la lune, ils ont composé le cycle du nombre d’or.
Car, à chaque endroit où, dans le calendrier, se trouve le nombre
d’or de cette année, là est la nouvelle lune. La troisième règle
fut que, après le 14 de la lune, et après le vingtième jour de mars,
on attendrait le jour du dimanche, qui serait lui le jour de pâque.
Ces règles, à cette époque, et dans les années qui suivirent,
furent excellentes pour beaucoup. Car, alors, l’équinoxe
du 21 mars et le nombre d’or indiquaient vraiment le jour de la nouvelle
lune. Or, depuis un grand nombre de siècles, l’expérience enseigne
que l’équinoxe n’est pas fixe, qu’elle n’a pas toujours
lieu le 21 mars, mais qu’elle anticipe souvent, car elle a lieu maintenant
le 10 mars. L’expérience enseigne aussi que le nombre d’or n’indique
plus fidèlement la nouvelle lune. Elle a lieu, en effet, maintenant,
quatre jours avant le nombre d’or. Nous en déduisons donc
qu’au temps du concile de Nicée, on n’avait pas observé avec
exactitude le mouvement du soleil et le mouvement de la lune. Mais
l’église continue d’observer ces règles antiques, et elle est ainsi
très souvent forcée d’errer, même sans le vouloir. Ainsi, l’an
passé, pâque, en 1579, a été célébré le 19 avril, alors qu’il
aurait du être célébré le 15 mars.
CHAPITRE 13 : La pentecôte
Les magdebourgeois (centurie 2, chapitre 6, colonne 119), ne disent
pas seulement que les apôtres n’ont fait aucune loi au sujet des fêtes,
mais ils ajoutent que, dans les premiers siècles, on ne lit rien de précis
sur aucune fête, sauf sur celle de pâque. Mais que cela est
très faux, nous l’enseigne l’antiquité de la pentecôte. Car,
tout d’abord, saint Paul se souvient de cette fête dans la première
épitre aux Corinthiens, chapitre XV1 : « Je demeurerai à Éphèse jusqu’à
la pentecôte. » Et aux Actes XX, saint Luc dit de saint Paul :
« Il se hâtait pour pouvoir, autant que possible, célébrer la
pentecôte à Jérusalem. » Et bien qu’il ne soit pas absolument
certain s’il s’agissait de la pentecôte des Juifs ou de celle des
chrétiens, Épiphane (dans hérésie 75) y voir la pentecôte des
chrétiens. De plus, des auteurs très anciens font mention de cette
fête. Saint Clément (livre 5, chapitre 21 des constitutions).
Saint Irénée d’après Justin question 115, Tertullien (livre
de la couronne du soldat), Origène (livre V111 contre Celse), saint Hilaire
(préface sur les psaumes), Theophile (livre pascal 1), saint Jérôme
(épitre à Marcellus sur les erreurs de Montan, et à Galates, chapitre
1V), saint Grégoire de Naziance, saint Jean Chrysostome, saint Ambroise,
Maxime, Léon, et d’autres, qui ont écrit des sermons sur cette fête.
Ensuite, saint Augustin (épitre 118), dit que, sans aucun doute,
les fêtes de la passion, de la résurrection, et de l’ascension du Seigneur,
de la pentecôte et les autres qui sont célébrées dans toute l’Église,
viennent des apôtres ou des conciles généraux. Or, il appert qu’elles
n’ont pas été instituées dans des conciles généraux, car on trouve
mention d’elles dans Clément, Justin, Tertullien et Origène,
qui sont venus avant tous les conciles généraux.
Une grave difficulté se présente. Agit-on correctement en célébrant
la pentecôte le cinquième jour après la résurrection ? Car, il
est certain qu’on célèbre cette fête à cause de l’avènement de
l’Esprit Saint, comme saint Jérôme le dit (chapitre 1V des Galates),
et les autres pères cités plus haut. Or, il semble que l’Esprit
Saint soit venu le quarantième jour ou avant le quarantième jour après
la résurrection du Seigneur, et donc, pas un dimanche, mais un samedi,
un vendredi, ou un jeudi. Car, comme nous l’avons dans les Actes
11, l’Esprit saint est venu « pour compléter les jours de la pentecôte
», c’est-à-dire le jour même de la pentecôte des Juifs. Car,
on ne peut pas comprendre que Luc parle ici d’une autre pentecôte.
La pentecôte des Juifs était ou bien la fête de la loi
donnée sur le mont Sinaï, comme le dit saint Augustin (épitre 119, chapitre
16) ou bien la fête des semaines, comme le veut saint Jérôme (chapitre
1V des Galates), ou bien les deux ensemble. Or, avant la passion
de notre Seigneur Jésus-Christ, aucune ne semble être tombée un dimanche,
car la fête du don de la loi se célébrait le troisième jour du
troisième mois (Exode X1X). Saint Augustin en a déduit que les
cinquante jours étaient comptés depuis la pâque des Juifs, c’est-à-dire
depuis le quatorzième jour du premier mois inclusivement. Or, à
l’année de la passion du Christ, ce jour de pâque tomba un jeudi.
Donc la pentecôte était déjà complétée le jeudi, trois jours donc
avant notre dimanche de la pentecôte.
Ensuite, la fête des semaines, qui s’appelait plus justement pentecôte,
commençait à compter à partir du deuxième jour des azymes, comme on
le voit dans le livre du Lévitique (chapitre 23) où il est prescrit qu’à
l’autre jour du sabbat, on offre des prémisses. Et ensuite, on
nomme sept semaines qui forment 49 jours avec en plus le jour suivant,
ce qui fait qu’au cinquantième jour, ils célèbrent la fête.
De plus, en cet endroit, par le nom de sabbat on entend le premier jour
des azymes, qui était un jour solennel, et qu’on appelait du terme générique
de sabbat, comme l’expliquent Liranus, Abulensis, Cajetan dans
son commentaire de ce passage, et Joseph (dans le livre 111 des antiquités,
chapitre 13). Donc, comme au temps de la passion du Christ, le premier
jour des azymes fut un vendredi, si après lui, exclusivement, nous
comptons cinquante jours, nous trouvons que la pentecôte (ou les cinquante
jours) a été complétée un samedi, non un dimanche.
Quelqu’un ne peut pas s’en tirer en disant que le Saint esprit
n’est pas advenu un dimanche, qui est le cinquantième jour après la
résurrection du Seigneur, mais que c’est l’Église qui a voulu
célébrer la mémoire de cet évènement un dimanche. Car Clément
(livre 4, chapitre 21 des constitutions), Theophylus (livre pascal 1),
saint Augustin (épitre 119), saint Léon (sermon sur la pentecôte), et
d’autres, enseignent que c’est vraiment dix jours après l’ascension,
et cinquante jours après la résurrection que le Saint-Esprit est venu.
Cette porte de sortie étant fermée, je réponds que la fête des
semaines et la fête du don de la loi ancienne, furent une seule
et même chose; et qu’on avait coutume de la célébrer tantôt en mémoire
du don de la loi ancienne, et comme une figure de la loi nouvelle donnée
par l’avènement du Saint Esprit, tantôt aussi en action de grâce pour
la collecte des fruits. Et c’est cette fête unique, qui l’année
de la passion du Christ, tombait un dimanche, qui fut le cinquantième
jour après la résurrection du Christ.
Pour bien faire comprendre toutes ces choses, il y a deux textes à
regarder de prés : Exode X1X et Lévitique XX111. Au sujet du premier
texte, il faut savoir qu’on ne peut pas savoir, avec évidence, de l’Écriture,
à quel jour la loi ancienne a été donnée. Car l’Écriture dit que
Moïse est venu avec le peuple dans le désert du Sinaï le troisième
mois de la sortie d’Égypte. Et nous ne savons pas, non plus,
comment nommer les trois jours dont on dit : « Soyez prêts pour le troisième
jour. »
Je trouve quatre explications. La première est celle de saint
Augustin (épitre 119, chapitre 16, et question 70 sur l’Exode).
Il dit que le peuple est arrivé dans le désert du Sinaï le premier jour
du troisième mois : que c’est au troisième jour que la
loi a été donnée, et que ce jour était le cinquantième jour
après la première pâque. On peut faire à cette interprétation
les objections suivantes. Si nous calculons ainsi, la fête
de la loi ne coïncide pas avec la fête des semaines, celle qu’on appelle
proprement fête de la pentecôte. Car la fête de la pentecôte
est le cinquantième jour depuis la fête des azymes, non de la fête de
pâque. Et, cependant, ces deux fêtes doivent coïncider, ou il
n’y aura tout simplement pas de fête du don de la loi, ce qui est absurde,
et contraire à saint Augustin, qui veut que la fête de la pentecôte
soit cette fête du don de la loi.
Deuxièmement, on ne répond pas à notre première difficulté.
Car, si la loi est donnée le cinquantième jour après la pâque des Juifs,
et si c’est en ce jour que se trouve la fête de la pentecôte, et c’est
au jour de la pentecôte qu’est venu le Saint-Esprit, le Saint-Esprit
n’est pas venu un dimanche, mais un jeudi. Troisièmement.
Saint Augustin ne semble pas compter correctement. Car il prélève
du premier mois dix-sept jours, du second mois, trente jours, et du troisième
mois trois jours, et c’est de cette façon qu’il aboutit à cinquante.
Or, il n’a pas pu prélever du premier mois dix-sept jours, et du second
trente jours, car les mois lunaires, comme étaient ceux des Juifs, n’ont
pas tous trente jours, mais alternativement trente et vingt-neuf
jours. Saint Augustin aurait donc du prélever du premier mois dix-sept
jours, et du second vingt-neuf jours; ou du premier mois seize jours, et
du second trente. Ajoutons que Moïse ne dit pas « au troisième
mois de pâque », mais « au troisième mois de la sortie d’Égypte.
» Or, la sortie n’a pas eu lieu le quatorzième jour, mais le quinzième
(Nombres XXX111).
Quatrièmement. Si la loi a été donnée le troisième jour
du troisième mois, il aurait fallu que, le premier jour du mois, on fasse
plus de choses qu’il soit possible de faire en un seul jour. Car,
d’abord, on dit que les fils d’Israël sont arrivés dans le désert
du Sinaï le troisième mois. Il faut donc convenir qu’au moins
une partie de ce premier jour s’est déroulée pendant la marche.
Ensuite, ils arrivèrent là, ils dressèrent leurs tentes, ce qui
prit un certain temps, puisqu’ils étaient plusieurs milliers.
Ensuite, après qu’ils eurent dressé leurs tentes, Moïse gravit la
montagne Sinaï, qui était très haute, parla à Dieu, descendit, convoqua
les plus grands par la naissance, leur fit un discours à eux, et ensuite
à tout le peuple. Il monta de nouveau dans la montagne, descendit
de nouveau, et, parlant au peuple, il leur dit de laver leurs vêtements.
« Après qu’ils eurent lavé leurs vêtements, dit l’Écriture, Moïse
leur dit : « Soyez prêts pour le troisième jour ! » Qui peut
croire que, le même jour, les tentes ont été dressées, Moïse est monté
et descendu deux fois de la montagne, a parlé deux fois au peuple ?
Or, si cela n’est pas croyable, on peut difficilement défendre l’explication
de saint Augustin.
L’autre explication est celle de Rupert et d’Abulensis, dans leurs
commentaires d’Exode X1X. Ils disent que la loi a été donnée
le troisième jour du troisième mois, mais que ce jour n’est pas le
cinquantième, comme le pensait saint Augustin, mais le quarante-neuvième
jour depuis pâque; et que la pentecôte n’est pas célébrée
à cause du don de la loi, mais à cause de l’alliance nouée entre
Dieu et le peuple, qui a été faite le quatrième jour du troisième mois,
comme il est dit dans Exode XX1V. Cette explication plait beaucoup
moins que la première, car, contre elle, valent les arguments déjà faits,
à l’exception du troisième. Et de plus, périra la très belle
figure de notre pâque qu’Augustin, Léon et les autres reconnaissent,
à savoir que c’est à la pentecôte des Juifs qu’a été la fête
du don de la loi ancienne, et à notre pentecôte qu’est la fête du
don de la nouvelle loi. La troisième explication est celle
de Cajetan. Il dit que Moïse est venu dans le désert du Sinaï
le premier jour du troisième mois; que la loi a été donnée le sixième
jour de ce mois, qui fut le cinquantième à partir du second jour
des azymes inclusivement. Et c’est de cette manière qu’il fait
coïncider cette fête avec la fête des semaines, pour que tout soit cohérent.
La quatrième explication est celle du rabbi Salomon et de Lyre.
Ils disent que Moïse est arrivé dans le désert du Sinaï le troisième
jour du troisième mois, et que c’est donc quatrième jour que Moïse
a dit : « Soyez prêts pour le troisième jour. Et que c’est donc le
sixième jour que la loi a été donnée. Cette explication rejoint
celle de Cajetan quant au jour de la date de la loi, ce qui était
la question principale. Elle semble plus conforme à la lettre,
car c’est ce qu’a le texte : « Au troisième mois de la sortie des
fils d’Israël de l’Égypte, ils vinrent en ce jour dans le désert
du Sinaï. » Ce « ce jour » semble se rapporter au chiffre
déjà nommé, c’est-à-dire le troisième. Le sens serait
donc : « le troisième mois, et au jour du même chiffre, c’est-à-dire
le troisième ». Bien qu’on puisse assez commodément référer
ce « en ce jour » au début du mois, pour que le sens soit : au
troisième mois, en ce jour, c’est-à-dire en ce début du mois,
il demeure donc que c’est au sixième jour du troisième mois que
la loi a été donnée, que le peuple d’Israël est arrivé au
désert du Sinaï le premier jour ou le troisième.
Quant au deuxième texte, celui du Lévitique XX111, il y a deux explications.
La première est celle de Isichius et de Rupert, dans leurs commentaires
de ce passage. Par l’autre jour du sabbat, ils veulent entendre
le premier sabbat, c’est-à-dire le dimanche qui suit immédiatement
le sabbat. Et le sens de la loi serait le suivant. On compterait
le jour de la pentecôte à partir du premier dimanche qui vient
après la fête de pâque. Cette explication, si elle vraie, nous
plairait grandement. Car, de cette façon la pentecôte des Juifs
tomberait toujours le jour de dimanche, et parce que, l’année de la
passion du Christ, le premier dimanche après la pâque des Juifs a été
le démanche de la résurrection. Donc, en cette année, le jour
de la pentecôte était nécessairement le cinquantième jour après la
résurrection du Christ.
L’autre opinion est celle de Lyre, de Cajetan, d’Abulensis, de
tous les rabbis, et de Joseph lui-même (livre 3, chapitre 13 des antiquiités).
Par l’autre jour du sabbat, ils entendent le premier jour après
la fête des azymes. Et, avec raison, l’autorité de Joseph m’impressionne
fortement. Car il savait comment la loi était pratiquée,
étant lui-même un prêtre qui vivait à Jérusalem quand cette loi était
encore observée. Mais si on admet comme vraie cette interprétation,
il s’ensuit que, en l’an de la passion du Christ, le jour de
la pentecôte a commencé à être compté à partir du sabbat, car, cette
année-là, le sabbat arrivait peu après la fête des azymes.
Il s’ensuivrait donc que les cinquante jours de la pentecôte se termineraient
un sabbat.
Pourquoi donc célébrons-nous la pentecôte le dimanche ?
Rupert répond que, même si on admet cette interprétation, la pentecôte
ne pourra ni commencer ni se terminer un sabbat, car les Juifs avaient
la coutume de ne jamais célébrer deux fêtes deux jours de suite.
Et c’est pourquoi, quand le jour des azymes tombait un vendredi, les
Juifs avaient coutume de reporter ce jour au suivant. Et quand ,
il tombait un sabbat, de célébrer ensemble la fête du sabbat et
celle des azymes. Or, dans l’année de la passion du Seigneur,
le premier jour des azymes a été célébré par les Juifs non le
vendredi, mais le sabbat. Et, par conséquent, on a commencé à
compter les cinquante jours de la pentecôte le jour suivant, qui fut un
dimanche. Mais cette explication a été souvent réfutée,
et je n’a pas le temps de la discuter ici.
Je vais pourtant donner mon opinion personnelle. Même si je
ne peux me réclamer d’aucune autorité, je pense qu’elle ne
sera pas si facile que cela à réfuter, car elle semble être fondée
sur une raison certaine. Je dis donc qu’on commence ordinairement
à compter les cinquante jours de la pentecôte à partir du second jour
des azymes; qu’alors on commençait à les compter le troisième jour
des azymes, et que personne ne peut contester cela. Car, la
raison pour laquelle ces cinquante jours ne commençaient pas à être
comptés à partir du premier jour des azymes, mais à partir du second,
est qu’il fallait, en ce jour, faire beaucoup d’œuvres serviles qui
étaient interdites un jour de fête. Il fallait aller cueillir une
gerbe de blé, la faire sécher, et l’apporter au prêtre.
Toutes ces choses étaient plus prohibées le jour du sabbat qu’au premier
jour des azymes. Il n’était donc pas permis, quand ce jour était
un sabbat, de commencer à compter pendant le second
jour des azymes.
Et je pense que c’est la raison pour laquelle l’Écriture a dit
l’autre jour du sabbat, et non l’autre jour de pâque, ou des azymes,
car il a voulu inclure en général les fêtes qui arrivaient immédiatement
après pâque, qu’il y en ait une ou plusieurs. Donc ce «
autre jour du sabbat » signifie le premier jour profane après la fête
de pâque. Et, parce que, la plupart du temps, aucune fête ne se
présentait après pâque, si ce n’est au premier jour des azymes,
Joseph ne s’est donc pas mal exprimé en parlant de ce qui arrivait la
plupart du temps, en écrivant que la pentecôte commençait le seize de
la lune, même si, en l’année de la passion du Christ, il a commencé
le dix-septième de la lune, car le sabbat a été le dix-huitième de
la lune. Si cette année-là les jours de la pentecôte ont commencés
à être comptés le seize de la lune, qui était un dimanche, il s’ensuit
que les cinquante jours de la pentecôte ont été complétés un dimanche.
Et c’est ce que l’on cherchait.
CHAPITRE 14 : La septuagésime et les dimanches suivants
Nous avons déjà traité de la septuagésime qui est célébrée après
pâques. Parlons maintenant brièvement de celle qui est célébrée
avant pâque. De la septuagésime, de la sexagésime et de la quinquagésime
je ne trouve par de mention avant l’époque de saint Grégoire le grand.
Mais, dans l’antiphonaire et dans le sacramentaire de Grégoire, sont
notés expressément les offices de ces dimanches; et plusieurs auteurs
postérieurs en parlent. Bède (dans son opuscule sur les offices divins),
Alcuin (dans son livre sur le même sujet), Amalarius (livre 1, chapitre
1, sur les offices ecclésiastiques), Raban (livre 2, chapitre 34, sur
les institutions des clercs), Yvon (dans son sermon sur la septuagésime),
Rupert (livre 4, chapitre 1, sur les divins offices), saint Bernard (dans
son sermon sur la septuagésime).
La raison pour laquelle ces noms ont été donnés n’est pas
la même pour tous. Bède et Alcuin disent que certains ont ajouté
une semaine au jeûne quadragésimal, et que c’est pour cela qu’on
l’appelle quinquagésime. D’autres en ont ajouté encore une
autre, parce qu’ils ne voulaient pas jeûner le jeudi, mais désiraient
quand même conserver le nombre de jours en entier. Ils ont donc
ajouté une semaine à la quinquagésime, et cette nouvelle semaine
s’est appelée sexagésime. D’autres, ensuite, qui ne voulaient
jeûner ni le jeudi ni le samedi, ont ajouté une autre semaine qu’ils
ont appelée septuagésime.
Mais cette explication est fort improbable. Car, il n’est
pas vraisemblable, que, à cause de l’abus d’un petit groupe qui ne
jeûnaient ni le jeudi ni le samedi, l’Église ait institué des
jours aussi solennels. Et, de plus, nous ne trouvons pas de
mention de ces dimanches avant l’époque de saint Grégoire, quand cet
abus était déjà disparu.
D’autres veulent que la septuagésime soit appelée ainsi en raison
du nombre de jours, car de ce dimanche au sabbat in albis, on compte soixante-dix
jours. On dit sexagésime parce qu’il y a soixante jours du dimanche
jusqu’à la férie après pâque. On dit quinquagésime, parce
que de là à pâque, il y a cinquante jours. Mais cette opinion
est de peu de valeur, car, ainsi, tous les dimanches pourraient être
appelés septuagésime, si nous ne faisons que compter 70 jours sans
fixer de terme. Ajoutons que, par 70 jours, ces auteurs veulent signifier
la captivité spirituelle sous le pouvoir de Satan, dont le type
fut la captivité de Babylone pendant 70 ans. Mais il y a-t-il rien de
plus absurde que d’inclure parmi les jours de captivité, la résurrection
du Christ, qui est le jour de la parfaite liberté ?
D’autres, plus prudents, disent que ces dimanches sont comptés
à partir de pâque, mais par synecdoque. Car, de la
septuagésime jusqu’à pâque, il y a environ 70 jours, c’est-à-dire
64. De la sexagésime jusqu’à pâque, il y a environ 60 jours,
c’est-à-dire 57. De la quinquagésime à pâque, il y a 50 jours.
Mais cette opinion semble défectueuse dans le cas de la septuagésime,
car on devrait appeler les 64 jours sexagésime, plutôt que septuagésime.
Il reste donc l’opinion de Rupert, que je pense être la plus vraie.
Ces noms n’ont pas été tirés d’un nombre de jours, mais d’un nombre
de dimanches. Car, l’Église a voulu faire précéder le
dimanche de la passion de sept dimanches solennels, qui nous rappelleraient
notre captivité spirituelle, comme elle commémore la rédemption de la
captivité, par le dimanche de la passion et le suivant.
Voilà pourquoi le premier dimanche des sept est septuagésime : parce
qu’il est le premier de sept. Il est dit sexagésime parce qu’il
est le premier de six, et quinquagésime, parce qu’il est le premier
des cinq suivants. Le quatrième est appelé quarantième pour la
même raison. La seconde du carême est appelé cinquième. La troisième
du carême est appelée sixième, la quatrième semaine du carême est
appelée septième. Ensuite, on ne dit pas la cinquième du carême,
mais le dimanche de la passion. Et voilà pourquoi, au dimanche de
la septuagésime, qui commémore la captivité, on lit à l’office
le péché du premier homme raconté au début de la Genèse, on
omet tous les cantiques joyeux, et on commence la messe par : «
Les douleurs de la mort m’ont entouré, les périls de l’enfer m’ont
trouvé. » Et, au dimanche de la passion, nous commençons par :
les étendards du roi se portent à la rencontre de l’ennemi.
Des dimanches du carême et de la passion, il est souvent fait mention
par tous les pères. Mais de cela nous débattrons dans la
controverse sur le jeûne. Entre temps, voir Épiphane (dans la somme de
sa doctrine), qui se trouve à la fin de ses livres sur les hérésies,
Theophyle, (dans les épitres sur pâque), Cassien (conférence XX1)
et saint Augustin (épitre 118)
CHAPITRE 15 : Les autres fêtes du Seigneur
Saint Clément se souvient de la naissance du Sauveur (au livre 5,
chapitre 13), saint Jean Chrysostome (sermon sur saint Philogonius, saint
Ambroise (livre 3, au début, sur les vierges), saint Basile, saint Grégoire
de Naziance, Maxime, saint Augustin, saint Léon, et les autres dont
les sermons sur Noël sont conservés. La fête de la circoncision
est assez récente, car non seulement les anciens n’ont gardé aucun
souvenir de cette fête, mais des auteurs comme Isidore de Séville, Micrologus,
Raban, Walfridus Strabo, qui décrivirent les offices de toutes les fêtes,
parlent, il est vrai d’un office pour l’octave de la naissance du Seigneur,
mais non sous le nom de circoncision. Saint Bernard, toutefois, et
avant lui, Yvon le chartreux, ont des sermons sur la fête de la
circoncision.
Saint Jean Chrysostome se souvient de l’épiphanie dans son sermon
sur saint Philogonius, saint Grégoire de Naziance, dans son sermon sur
les saintes lumières, Maxime, Augustin, et Léo, et d’autres
auteurs plus récents. Cassien précise (dans sa conférence X, chapitre
2) qu’en Égypte, on célébrait Noël et l’épiphanie le même jour,
tandis que, dans les églises occidentales, ces fêtes étaient séparées.
Du dimanche in albis saint Clément se souvient (livre 5, chapitre 20),
Grégoire de Naziance (dans son sermon sur le nouveau dimanche), et saint
Augustin (sermon 1 sur les octaves de pâque). Et il se souvient (dans
le sermon 1) de l’octave de pâque, et (au livre XX11, chapitre 8 de
la cité de Dieu) des trois jours de la passion.
La fête de l’ascension est très ancienne, et elle a été instituée
par les apôtres, comme l’enseigne saint Clément, (livre 5, chapitre
20 des constitutions apostoliques), et saint Augustin (épitre 118).
Nous avons conservé des sermons de saint Grégoire de Nysse, de saint
Léon et d’autres sur cette fête. La fête de la trinité
est récente. Car ( au canon quoniam, sur les féeries), Alexandre
111 dit que, de son temps, quelques églises la célébrèrent, mais
pas Rome. Micrologue (dans son livre sur l’observation des fêtes,
chapitre 60) réprouve ceux qui célèbrent cette fête.
Et pour que personne ne lui objecte que cette fête semble ancienne
parce que la préface de la trinité est une des neuf que Pélage
11 a ordonné de préserver en raison de leur antiquité, il fait remarquer
que, étant chantée à tous les dimanches, cette préface n’est pas
propre à la trinité. Mais, plus tard, cette fête a été
reçue même à Rome, et à l’octave de la pentecôte, pour
rendre grâce à Dieu sur toute la terre d’une façon toute spéciale
pour le mystère de la trinité déclaré par les apôtres.
Il appert que la fête du corps du Christ a été instituée par Urbain
1V, après l’an du Seigneur 1200, fête que tous les luthériens et tous
les calvinistes haïssent sans raison. Car, même si le Christ n’était
pas vraiment présent dans l’eucharistie, (comme le disent les calvinistes),
ou ne devrait pas y être adoré (comme le disent les luthériens), il
serait quand même juste d’avoir un jour où on se rappelle l’institution
de ce sacrement, que même les luthériens et les calvinistes considèrent
comme le plus grand des sacrements. La fête de la transfiguration du Seigneur
semble antique, car nous avons d’elle des sermons de saint Léon, de
saint Cyrille d’Alexandrie, d’André de Crête, d’après Surius.
CHAPITRE 16 : Les fêtes des saints
Les fêtes des saints ne sont pas peu haïes par nos adversaires.
D’abord, parce qu’elles semblent sentir l’idolâtrie, car,
sanctifier le sabbat est un précepte de la première table, et appartient
donc au culte de Dieu. Parce que quelques-unes ont un faux fondement,
comme la fête de la conception de Marie, que même saint Bernard a réprouvée
dans son épitre 164 aux chanoines de Lyon. Il explique, dans cette
lettre, que la fête de la conception de Marie sent l’erreur et la superstition,
car, en elle, ou on honore le péché sans lequel cette conception n’aurait
pas eu lieu, ou on suppose une fausse sainteté. Et de plus,
il n’est pas certain, même pour nous, que la sainte vierge ait été
conçue sans la tache du péché originel, car l’église permet l’une
ou l’autre opinion. Il est donc douteux que cette fête soit célébrée
correctement.
Troisièmement. Il y plusieurs fêtes mariales nouvelles qu’on
ne trouve pas avant le temps de Justinien. Quatrièmement.
Plusieurs ont été instituées par des empereurs. En effet, la fête
de la purification a été instituée par Justinien, comme le rapportent
Paul diacre (livre 16 sur les choses romaines), et Nicéphore (livre 17,
chapitre 28). La fête de l’assomption a été instituée par l’empereur
Maurice qui vint après Justinien, comme le rapporte aussi Nicéphore au
même endroit. L’abus de ces fêtes a été si grand que des jours de
fête ont été institués par des empereurs qui n’étaient pas saints,
comme Justinien, ainsi que le rapporte Nicéphore (livre XV11, chapitre
31). Voilà quelles sont les objections de Tilmann Heshusius
(dans son livre sur les erreurs des papes, titre 26) et des magdebourgeois
(centurie 6, chapitre 6, colonne 342, 343, 344).
Néanmoins, qu’il soit pieux et bon de célébrer les fêtes des
saints nous le démontrerons facilement par l’autorité et la raison.
L’autorité est celle de toute l’église catholique, qui a observé
cela en tout temps. Et pour commencer par les cinq premiers siècles,
au tout premier siècle, c’est-à-dire au temps des apôtres, nous avons
saint Clément (livre 8, chapitre 38 des constitutions apostoliques) qui
ordonne de célébrer les fêtes des apôtres et des martyrs. Au
deuxième siècle, nous avons le témoignage de l’église de Smyrne,
dont Eusèbe nous présente la lettre (livre 4, chapitre 15 de son histoire)
dans laquelle on lit ces mots : « Dans ce lieu, encore maintenant,
avec la grâce de Dieu, nous tenons des assemblées solennelles et officielles
surtout au jour de la passion. Mais, dans nos célébrations, nous
faisons aussi mémoire de ceux qui ont souffert au début,
pour que, par leurs exemples insignes, les âmes de leurs successeurs
soient incitées à suivre la voie de leurs prédécesseurs. »
Au troisième siècle, Origène (dans son homélie sur divers textes
de l’Écriture), dit que c’est à bon droit que l’Église célèbre
la fête des saints innocents, parce qu’ils furent les prémices des
martyrs. De même, Tertullien (dans son livre sur la couronne
des soldats) déclare que c’est une des anciennes traditions de
faire des oblations annuelles pour les naissances (au ciel). Et,
plus clairement, saint Cyprien (livre 3, épitre 6) écrit : « Prenez
en note les jours de ceux qui sont morts pour que nous puissions faire
leur commémoration au milieu des mémoires des martyrs. » Et (dans
le livre 4, épitre 5) : « Comme vous vous en souvenez, nous offrons des
sacrifices pour eux à toutes les fois que nous célébrons, en faisant
mémoire d’eux, les passions des martyrs et leurs jours anniversaires.
» Au quatrième siècle, saint Basile (dans son sermon sur le martyr
Gordius), saint Grégoire de Nysse (dans son sermon sur le martyr Theodore),
saint Grégoire de Naziance (dans son sermon 1 sur Julien, un peu avant
le milieu), saint Ambroise (sermons 66, 77, 78) et saint Jérôme (chapitre
4 de la lettre aux Galates, et dans son épitre 19 à Eustochius), Prudence
(dans son hymne sur les saints Pierre et Paul), tous ces docteurs se souviennent
ouvertement des jours de fête institués à la mémoire et en honneur
des saints.
Au cinquième siècle, saint Jean Chrysostome (homélie 66 au peuple),
Theodoret (livre 8 sur les martyrs), saint Augustin (psaumes 63 et 88,
et ailleurs), saint Paulin (au deuxième et au troisième anniversaire
de la naissance au ciel de saint Félix). À ces auteurs, on peut
ajouter saint Léon, saint Grégoire, saint Bède et tous ceux qui sont
venus après, dont les livres sont pleins de ces sortes de témoignages.
On le prouve ensuite avec les anciens conciles de diverses églises.
Le concile de Laodicée en Orient a été célébré avant l’an 1200.
Au canon 51, il interdit « de célébrer les fêtes des saints pendant
le carême ». Il est facile d’en déduire que, en dehors du carême,
les fêtes des saints avaient coutume d’être célébrées dans cette
église. Le concile de Carthage 111, canon 47, avant les années
1100 : « Qu’il soit permis de lire les passions des martyrs, quand sont
célébrés leurs jours anniversaires. » Le concile de Tolède 3 en Espagne,
ordonne, au canon 23, que les jours de fête des saints, le peuple
ne s’adonne pas à des danses honteuses. » Le concile de Lyon, en Gaule,
que nous avons au canon pronunciandum, (dist 3), énumère, parmi les fêtes
de l’église, la fête des saints apôtres, l’assomption, la naissance
de la sainte Vierge, les fêtes de saint Sylvestre, de saint Martin et
d’autres. De même, en Allemagne, nous avons le concile de Moguntinensis,
chapitre 36.
On le prouve enfin par une raison qui est fondée sur les Écritures.
Les fêtes ont été correctement instituées pour faire rappeler
les bienfaits divins, comme nous montrent les fêtes du sabbat et des sorts,
chez les Juifs, et les fêtes du Seigneur chez les chrétiens. Voilà
pourquoi saint Augustin (livre 10, chapitre 4 de la cité de Dieu) écrit
: « Aux solennités des bienfaits de Dieu, aux fêtes et aux jours
statués, nous rappelons et nous consacrons leur mémoire pour qu’elle
ne soit pas ensevelie, au cours des ans, par un oubli ingrat. »
Or, ce n’est pas un petit bienfait de Dieu la persévérance finale d’un
saint, et surtout des martyrs. Car, est donné, par là, à toute
l’église militante, un exemple de force, et un nouveau patron
auprès de Dieu. Est donnée aussi à toute l’Église triomphante
la joie nouvelle de l’arrivée d’un nouveau citoyen céleste.
Et c’est aussi un nouveau et parfait triomphe sur le diable.
On confirme. Car, toutes les raisons pour lesquelles les
hommes, même profanes, célèbrent les jours de fête, sont présentes
dans la mort des saints. Car les hommes célèbrent des fêtes pour
le jour de naissance des princes. Aussi, pour l’élévation de quelqu’un
à une dignité, enfin pour une victoire remportée. Or, quand
les saints meurent, ils naissent véritablement, et ce sont des princes
célestes qui naissent. C’est pour cela que l’Église appelle
le jour de leur mort le jour de leur naissance. De plus, ils sont
élevés à la plus grande dignité qui puisse être conférée à des
hommes, c’est-à-dire à la béatitude éternelle. Enfin, ils remportent
une victoire parfaite sur le diable, et célèbrent leur triomphe..
Les objections de nos adversaires ne détruisent pas grand-chose.
Au sujet de l’idolâtrie, je dis que les fêtes des saints sont dédiées
à Dieu, mais en mémoire des saints, comme les temples consacrés à Dieu,
en mémoire des saints. Je dis ensuite que l’honneur des jours
des saints appartient aussi, immédiatement et ultimement, aux saints,
comme nous l’avons dit des basiliques, des vœux, et de l’invocation
des saints. Mais cet honneur nous disons qu’il est un culte de
dulie, non de latrie, et donc un culte de religion. De religion,
non en tant que le nom d’une vertu spéciale, qui dispose bien l’homme
au culte divin, mais en tant que nom général.
Au sujet de la fête de la conception, qui aurait un faux fondement,
je dis d’abord que la plus grande partie de l’église croit que la
Vierge a été conçue sans le péché originel, ce que, parmi les adversaires,
admettent Luther et Érasme : le premier, dans son sermon sur la fête
de la conception, l’autre, dans son apologie à Albert pieux carpensem.
Je dis ensuite que le fondement principal de cette fête n’est pas la
conception immaculée, mais la conception de la mère future de Dieu.
Quelle qu’ait été cette conception, par le fait même que cette conception
fut celle de la mère de Dieu, son souvenir apporte au monde une joie singulière.
Car, alors, nous avons le premier gage de notre rédemption, surtout parce
qu’elle a été conçue, non sans miracle, d’une mère stérile.
C’est pourquoi, cette fête est célébrée même par ceux qui pensent
qu’elle a été conçue dans le péché.
Tu diras qu’on pourrait, alors célébrer aussi la conception
de saint Jean-Baptiste. Je réponds qu’on le pourrait vraiment,
comme les Grecs le font. Car, le 23 septembre du calendrier des Grecs,
est annotée la fête de la conception de Jean Baptiste. Mais il
n’a pas semblé bon à l’église latine d’augmenter de cette
façon le nombre des fêtes. Et de plus, il y a une grande
différence entre la mère de Dieu et le précurseur de Dieu, et entre
la conception de l’une et de l’autre. Car, c’est parce
que la majorité des chrétiens croient pieusement en la conception immaculée
de la Vierge Marie que l’Église eut l’occasion d’instituer la fête
de la conception. Or, cette occasion ne s’est évidemment pas présentée
dans le cas de saint Jean Baptiste.
De plus, la position de saint Bernard nous favorise car il blâme
les chanoines de Lyon d’avoir institué une nouvelle fête de l’Église
sans l’exemple ou sans un précepte de l’Église de Rome. Si
donc saint Bernard voyait que la fête est célébrée par l’autorité
de l’église romaine, il la célèbrerait de grand cœur. Au sujet
de la prière de saint Bernard, je dis que nous n’honorons pas le péché
et que nous ne supposons pas une fausse sainteté, même si Marie
avait été conçue dans le péché. Ce que nous honorons c’est
sa vocation de mère de Dieu, à laquelle elle était destinée dès sa
conception. Car le même saint Bernard dit au même endroit qu’on
a raison de célébrer la nativité de saint Jean Baptiste, parce qu’elle
a été sainte, et, cependant, il dit au même endroit, qu’il n’ose
pas affirmer que la sanctification de saint Jean Baptiste dans l’utérus
ait effacé le péché originel, même s’il est pieux de le croire.
On pourrait donc argumenter ainsi contre saint Bernard.
Tu célèbres la fête de la nativité de Jean, sans oser affirmer qu’il
est né sans péché. Donc, ou tu honores le péché, ou tu lui attribues
une fausse sainteté. Saint Bernard répondrait qu’il n’honore
pas le péché et qu’il ne lui attribue pas une sainteté douteuse, mais
qu’il honore sa vocation de précurseur, pour laquelle il a été
sanctifié dès le sein de sa mère. Je réponds la même chose de
la conception de la sainte Vierge. Et s’il demandait : d’où
tenons-nous que la sainte Vierge a été sanctifiée dans sa conception,
au moins parce qu’elle était la mère désignée de Dieu, je répondrais
d’où tient-il que la sainte Vierge a été sainte dans sa nativité
? Il déclare, au même endroit, que c’est parce que l’Église
célébrait déjà la naissance de la vierge, que c’est pour cette raison
qu’il ne doute pas qu’elle ait été sainte à sa naissance.
Et nous, du fait que l’Église célèbre la fête de la conception, nous
ne doutons nullement que sa conception ait été sainte d’une certaine
manière, au moins en raison de la tâche qui lui était confiée.
À la troisième objection, je dis d’abord qu’il n’est
pas absurde que quelques fêtes soient récentes, puisqu’il y a souvent
de récents bienfaits de Dieu pour lesquels l’Église institue des fêtes;
ou puisque l’occasion de les instituer est récente. De même,
au temps des Juifs, en plus de celles que Dieu avait lui-même instituées,
diverses fêtes ont été inaugurées en différents temps,
comme la fête des sorts au temps d’Esther et de Mardochée, et cette
autre fête au temps de Judith, ainsi que la fête de la dédicace du temple
de Salomon. Et, beaucoup plus tard, au temps des Macchabées, cette
fête très récente que le Christ lui-même a honorée (Jean X).
Je dis ensuite que les fêtes des saints sont très anciennes, comme
nous l’avons déjà montré. Nous reconnaissons, cependant,
qu’on a commencé à célébrer les fêtes des martyrs avant celles
des confesseurs, et que certaines fêtes de la sainte Vierge sont récentes.
Car, la fête de la conception de la sainte vierge a commencé, en Occident,
au temps de saint Bernard, mais elle n’a pas été reçue par toute l’Église
avant le décret du pontife Sixte 1V (que l’on trouve dans extravaganti,
sur les reliques et la vénération des saints). Semblablement, la
fête de la visitation, dans l’église latine, est nouvelle.
Car, elle fut instituée par le pape Urbain 1V, et confirmée par le pape
Boniface 1X; et ensuite par le concile de Bâle, à la session 43.
Mais ces deux fêtes étaient déjà présentes dans le calendrier des
Grecs. La fête de la naissance de la vierge Marie est
de loin plus ancienne. Car, Pierre Damien a écrit trois sermons
sur elle. Et, bien avant lui, saint Grégoire a, dans son antiphonaire
et son sacramentaire, annoté l’office du 8 septembre, au jour de la
naissance de la Vierge Marie.
La fête de l’annonciation est encore plus ancienne, car elle existait
déjà au temps de saint Athanase. Nous avons, en effet, de lui une
prière à la sainte Mère de Dieu, dans laquelle il est explicitement
question de cette fête. La fête de la purification est aussi très
ancienne. Nous avons encore de cette célébration les prières
d’Amphilochius, de saint Grégoire de Nysse, de saint Jean Chrysostome,
de saint Cyrille d’Alexandrie, de saint André de Crête, d’après
Aloysius Lipomanus et Laurence Surius.
Enfin, la fête de l’assomption est aussi très antique.
Car, s’en souviennent saint Grégoire dans son antiphonaire et son sacramentaire,
et avant lui saint André de Crête, dans sa prière de cette fête, qu’ont
conservée Aloysius Lipomanus et Surius. Et avant le temps de saint
André, a été conservé, parmi les œuvres de saint Jérôme, un sermon
remarquable sur la fête de l’assomption, que l’on attribue à saint
Jérôme ou à saint Sophronius, son égal.
Et à l’objection tirée de Nicéphore et Paul diacre, je dis qu’on
ne peut pas entendre leurs paroles de la première institution de
ces fêtes, et qu’ils mentent honteusement. Car, comment
Justinien aurait-il pu instituer une fête de la purification, et
Maurice une fête de l’assomption, si ces deux fêtes ont été
instituées au temps de saint Jérôme et de saint Jean Chrysostome ? N’ont-ils
pas vécu deux cent ans avant Justinien ? De plus, ces mêmes auteurs
(Nicéphore et Paul diacre) disent que c’est par l’empereur Justinien
que la fête de la nativité de notre Seigneur a été instituée.
Or, il appert des écrits d’Ambroise, d’Augustin, de Léon, et
d’autres qui ont vécu avant Justinien, que la fête de la nativité
est beaucoup plus ancienne. Ces empereurs ont seulement ajouté
quelque chose à la célébration, et ils l’ont peut-être prescrite
par des lois civiles, pour que personne ne travaille en ces jours, bien
que, par les lois de l’église, ces jours étaient déjà saints.
À la quatrième, la réponse est évidente, car ce ne sont pas les
empereurs qui ont institué des fêtes religieuses, mais l’église.
Ils les ont aidées cependant et encouragées par leurs lois. Au
cinquième, je réponds que Nicéphore ne dit pas qu’un jour de fête
religieuse a été institué par Justinien, mais seulement qu’à chaque
année, l’évêque de Constantinople avait coutume de célébrer en sa
mémoire. Ces mots ne nous obligent pas à y voir un jour de fête
quelconque, mais seulement une louange de Justinien, que l’évêque avait
incorporée dans son sermon, parce que Justinien avait fait beaucoup d’œuvres
pieuses très utiles à l’Église. Ajoutons ceci en plus : qu’il
s’agisse d’un jour de fête ou d’une simple louange, c’est le fait
d’un seul évêque qu’on a raison de blâmer, d’autant plus que ses
successeurs omirent une célébration de cette sorte.
CHAPITRE 17 : Les vigiles
La veille des grands jours, l’église avait coutume de veiller et
de jeûner. Et, dès le début, on a toujours célébré la
vigile de pâque, la nuit qui précédait la résurrection du Seigneur,
comme nous le montrent saint Clément (livre 5, chapitre 19 des constitutions
apostoliques), Tertullien (livre 2 à son épouse), et Eusèbe (livre
5, chapitre 7 de son histoire ) et beaucoup d’autres. Saint Basile
se souvient des vigiles en l’honneur des saints (psaume CX1V), saint
Jérôme (dans son livre contre Vigilance) Burchardus (livre 13,
chapitre 16 de ses décrets), saint Bernard (sermon sur la vigile de saint
André, et sur la vigile des saints Pierre et Paul), Innocent 111 (chapitre
1 et 2 de l’observation du jeûne.) Parce que, peu à peu, à l’occasion
des vigiles nocturnes certains abus commencèrent à se manifester, et
que des actions infâmes ont été commises, il a plu à l’Église d’interrompre
ces rencontres nocturnes, et de ne célébrer le jeûne que les jours-mêmes.
2018 09 28 FIN
Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.