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SAINT ROBERT BELLARMIN

SIXIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE

L’ÉGLISE QUI EST DANS LE PURGATOIRE

Expliquée en deux livres
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PREFACE

LIVRE PREMIER

CHAPITRE 1 : le nom de purgatoire

CHAPITRE 2 : les erreurs sur le purgatoire

CHAPITRE 3 : on prouve que le purgatoire existe par les Ă©crits de l’AncienTestament

CHAPITRE 4-8 : on prouve aussi qu’il existe par les Ă©crits du NouveauTestament

CHAPITRE 9 : on le prouve par les témoignages des conciles

CHAPITRE 10 :  par le tĂ©moignage des pĂšres grecs et latins

CHAPITRE 11 :  on prouve la mĂȘme chose par la seule raison

CHAPITRE 12 :on rĂ©fute les objections tirĂ©es des Écritures

CHAPITRE 13 : on réfute les objections tirées des pÚres

CHAPITRE 14 : on réfute les objections tirées de la raison

CHAPITRE 15 : la confession du purgatoire fait partie de la foi catholique

                                                LIVRE SECOND

                           DES CIRCONSTANCES DU PURGATOIRE

CHAPITRE 1 : les personnes à qui convient le purgatoire

CHAPITRE 2 : dans le purgatoire, les ùmes ne peuvent ni mériter ni pécher

CHAPITRE 3 : on répond aux objections

CHAPITRE 4 : les ùmes du purgatoire sont certaines de leur salut éternel

CHAPITRE 5 : on répond aux objections

CHAPITRE 6 :  le lieu du purgatoire

CHAPITRE 7 : y a-t-il, pour les ùmes justes, aprÚs la mort, un autre lieu que le ciel et le purgatoire ?

CHAPITRE 8 : les ùmes des défunts peuvent-elleshabiter des lieux qui les retiennent ?

CHAPITRE 9 : le temps que dure le purgatoire

CHAPITRE 10 : quelle est la peine du purgatoire ?

CHAPITRE 11 : le feu du purgatoire est corporel

CHAPITRE 12 : on ne peut pas savoir comment un feu corporel peut brûler une ùme

CHAPITRE 13 : les ùmes du purgatoire sont-elles torturées par les démons ?

CHAPITRE 14 : la gravité des peines

CHAPITRE 15 : les suffrages de l’église sont profitables aux dĂ©funts

CHAPITRE 16 : combien y a-t-il de genres de suffrages ?

CHAPITRE 17 : qui peut aider les ùmes ?

CHAPITRE 18 : à qui profitent les suffrages ?

CHAPITRE 19 : la sépulture

                                                       PRÉFACE

Nous avons dissertĂ©, jusqu’à prĂ©sent, de cette partie de l’Église qui se trouve sur la terre. Nous devons maintenant disputer de celle qui se trouve sous la terre.Nous disputerons ensuite de celle qui demeure dans les cieux. Et comme les fidĂšles dĂ©funts, non encore bĂ©atifiĂ©s, sont corps et Ăąme sous terre, en diffĂ©rents endroits, nous parlerons d’abord du lieu des Ăąmes; ensuite du lieu des corps, c’est-Ă -dire de la sĂ©pulture.

Mais, avant de parvenir Ă  ces questions, il faut faire trois observations prĂ©liminaires. La premiĂšre : qu’entendons-nous par le mot purgatoire ?  La deuxiĂšme : quelles erreurs ont Ă©tĂ© faites sur le purgatoire ?  La troisiĂšme : dans quel ordre devra se dĂ©rouler cette &dispute.

Ont écrit sur le purgatoire

Jean Roffensis [Joannes Roffensis] contre les articles de Luther,

Jean Eck [Joannes Eckius], livre IV sur le purgatoire,

Jean Bunderius  [Joannes Bunderius] dans son rĂ©sumĂ©, titre 18,

Jean Garetius [Joannes Garetius], livre sur la priÚre pour les défunts,

Jacob Latomus [Jacobus Latomus], explication du sixiĂšme article des Louvains,

Jodocus Clicthovaeus [=latin], dans son livre sur le purgatoire,

Bernard Lutzenburg [Bernardus Lutzenburg], un livre unique sur le purgatoire,

Alphonse de Castro, sur le mot purgatoire,

Martin Paresius Ajala [Martinus Peresius Ajala de traditionibus], sur les traditions,

Claude Coussord [Claudius Coussord] contre les Waldenses,

Cajetan, tome 1, traité 23 et 24,

François Orantius, livre 5 sur les lieux catholiques,

[Hugo Etherianus],  du retour des Ăąmes de l’enfer,

[Catharinus], livre sur la vérité du purgatoire.

CONTROVERSE (p.53 pdf latin)

DE L’ÉGLISE SOUFFRANTE

LIVRE PREMIER

LE PURGATOIRE

CHAPITRE 1 : Le mot “Purgatoire”

On trouve trois choses dans les Écritures auxquelles on attribue la purgation des pĂ©chĂ©s, et qui pourraient ĂȘtre appelĂ©es purgatoires.

1)La premiĂšre.  Le Christ lui-mĂȘme,  de qui saint Paul dit (HĂ©breux 1, 3) : « faisant la purification des pĂ©chĂ©s. » Et saint Jean-Baptiste (dans Jean 1, 29) : « Voici l’agneau de Dieu qui enlĂšve le pĂ©chĂ© du monde. » Mais, ce n’est pas de cela dont nous parlons, car nous n’avons pas coutume d’appeler le Christ purgatoire, et il est &hors de controverse qu’il soit le &purgeur des pĂ©chĂ©s.

2) En second lieu, les tribulations de cette vie, dont parle en toute clartĂ© Malachie (3, 2-3) : « 2Qui pourra soutenir le jour de son avĂšnement, et qui pourra soutenir sa vue ? Car il sera comme le feu qui fait fondre les mĂ©taux, et comme la lessive des blanchisseurs l’herbe des foulons.3Il s’assoira comme celui qui fond et qui Ă©pure l’argent ; il purifiera les fils de LĂ©vi, et il les rendra purs comme l’or et comme l’argent, et ils offriront des sacrifices au Seigneur dans la justice. » Car, comme l’explique correctement saint JĂ©rĂŽme, il s’agit ici de la tribulation qui prĂ©cĂšdera le jour du jugement, pour purger les pĂ©chĂ©s des fidĂšles. Et JĂ©sus (Jean 15, 2) : « Tout sarment qui ne porte pas en moi de fruit, il l’enlĂšvera, et tous ceux qui portent du fruit, il les purifiera pour qu’ils en portent davantage. » Ce n’est pas de ce purgatoire que nous parlons, puisqu’il est hors de toute controverse, et puisque toutes les tribulations de cette vie ne sont pas toujours des purgatoires. Car, beaucoup de justes connaissent de grandes afflictions non pour les purifier, mais pour les former Ă  la vertu, et les Ă©prouver, selon ce que dit l’EcclĂ©siastique 27, 6 : « La fournaise Ă©prouve les vases, et la tentation les hommes justes. » Beaucoup d’injustes sont aussi affligĂ©s non dans le but de les purifier, mais pour commencer les peines de leur damnation.

3) On appelle,en troisiĂšme lieu, purgatoire le lieu oĂč, comme dans une prison, sont retenues les Ăąmes, aprĂšs cette vie, pour y ĂȘtre &purgĂ©es, afin que, une fois purifiĂ©es de la moindre tache, elles puissent entrer dans le ciel, lĂ  oĂč n’entre rien de &polluĂ©. Et c’est lĂ -dessus que porte la &discussion controverse.

CHAPITRE  2 : Les erreurs sur le purgatoire

Nombreuses sont les erreurs sur le purgatoire, et plusieurs se contredisent les unes les autres. La premiĂšre est de ceux qui ont Ă©crit contre le purgatoire, comme Aerius, qui, au tĂ©moignage d’Épiphane (hĂ©rĂ©sie 75) et de saint Augustin (hĂ©rĂ©sie 53), a enseignĂ© qu’il ne fallait pas prier pour les dĂ©funts.  Car, il s’ensuit  ou qu’ils n’ont pas besoin de priĂšres, ou qu’ils ne peuvent pas ĂȘtre aidĂ©s, l’un et l’autre rĂ©pugnant au purgatoire, du moins Ă  celui que prĂȘche l’Église. Les Waldenses ont publiquement niĂ© le purgatoire, comme Guido Carmelita le rapporte (dans sa somme sur les hĂ©rĂ©tiques), et saint Antonin  (IV. part. tit. 11 [ou “tit. II”] chap. 7, §. 2 de sa somme thĂ©ologique). Les apostoliques enseignĂšrent la mĂȘme chose, selon saint Bernard (sermon 66 sur les cantiques), et les Waldenses sont peut-ĂȘtre des fils des apostoliques, car ils partagent les erreurs qu’on leur attribue, et les Ă©poques ne sont pas fort Ă©loignĂ©es. En effet, la secte des Waldenses est nĂ©e environ en 1160, selon la chronique de Trithemius, vers 1170, selon Guidon (dans sa somme, chapitre 1) et Reynerius, qui vĂ©cut avant les annĂ©es 300. Voir son tĂ©moignage Ă  la fin du livre de Claude  Caussordius, contre les Waldenses.   Les apostoliques sont un peu plus anciens, car ils sont apparus au temps de saint Bernard, qui mourut en 1153. Et les Waldenses ont voulu ĂȘtre appelĂ©s apostoliques, parce qu’ils imitaient la pauvretĂ© des apĂŽtres. (On peut le voir cela dans leur histoire racontĂ©e par Emilius, livre 6, par les gestes des Francs, et par l’abbĂ© Uspergenses, dans la chronique de l’annĂ©e 1212)

EnseignĂšrent aussi la mĂȘme chose que les Waldenses, Ă  la mĂȘme Ă©poque, Henri et Pierre Bruis, contre lesquels a Ă©crit saint Bernard (Ă©pitre 240) et Pierre de Cluny, dans son Ă©pĂźtre Ă  tous les Ă©vĂȘques. Les albigeois ont ensuite enseignĂ© la mĂȘme chose, eux qui n’enlevaient pas seulement le purgatoire, mais l’enfer, au tĂ©moignage de saint Antonin (4, part. tit. XI, chap 7, §. 5).  Bernard de Luxembourg attribue le mĂȘme enseignement aux Wiclefistes et aux Hussites, mais peut-ĂȘtre faussement, car le concile de Constance ne leur reproche rien de tel, ni non plus Thomas Waldensis. ÉnĂ©e Sylvius qui, parmi les erreurs des Hussites, Ă©numĂšre celle-lĂ  aussi  (dans son origine des BohĂ©miens, chapitre 35), semble confondre les Hussites avec les Waldenses.

La mĂȘme chose est attribuĂ©e aux ArmĂ©niens et aux Grecs, par Guidon le carmĂ©lite (dans sa somme des hĂ©rĂ©tiques).  Et bien que les Grecs aient affirmĂ© au concile de Ferrare (session 1)  qu’ils ne niaient pas le purgatoire, mais le feu seulement, et qu’ils estimaient qu’il Ă©tait rempli de tĂ©nĂšbres et plein de souffrances, il est quand mĂȘme crĂ©dible qu’ils soient au moins suspects de cette hĂ©rĂ©sie. Car, saint Thomas, dans son opuscule contre les Grecs, rĂ©fute aussi cette erreur, et prouve que le purgatoire existe.   Et cette erreur a Ă©tĂ© condamnĂ©e dans la session ultime du concile de Florence, un concile qui n’a condamnĂ© que les erreurs des Grecs, ou dont on suspectait les Grecs.

Ensuite, Luther et tous ses successeurs, mĂȘme rĂ©partis en diffĂ©rentes sectes, se sont cependant mis d’accord sur le rejet du purgatoire, bien que Luther ait souvent  variĂ© lĂ -dessus.   Car, au dĂ©but, il admettait le purgatoire de la discipline catholique.  Car, dans sa dispute de Lipsique [disputatione Lipsiaca] , qui nous a Ă©tĂ© conservĂ©e,  il dit : « Moi qui crois fortement, j’oserais mĂȘme dire, qui crois plus que les autres,  je sais que le purgatoire existe, et il m’est facile de persuader que l’Écriture en fait mention. »

Il continua ensuite Ă  admettre le purgatoire mais en y mĂȘlant beaucoup d’erreurs. Sa premiĂšre erreur.  On ne peut pas prouver le purgatoire dans l’Écriture Sainte. La seconde. Les Ăąmes du purgatoire ne sont pas sures d’ĂȘtre sauvĂ©es. La troisiĂšme.  Les Ăąmes du purgatoire peuvent mĂ©riter et dĂ©mĂ©riter. La quatriĂšme.  Les Ăąmes du purgatoire pĂšchent constamment, en ayant horreur des peines, et en recherchant le repos.  La cinquiĂšme. Les Ăąmes qui sont libĂ©rĂ©es par les suffrages de l’Église sont moins heureuses que si elles avaient satisfait par elles-mĂȘmes. Ces cinq erreurs font partie des articles condamnĂ©s par le pape LĂ©on X.

À la fin, il rejeta complĂštement le purgatoire et les suffrages pour les dĂ©funts, et dĂ©clara qu’il n’y avait pas de purgatoire aprĂšs cette vie, mais seulement pendant la vie, et au moment de la mort. Car, selon Luther, s’il reste encore quelque chose Ă  purger, l’horreur que cause la mort,  et la peine de la mort le purgent. C’est ce qu’il a enseignĂ© dans son livre sur l’abrogation de la messe privĂ©e. Il dĂ©clare lĂ  qu’il vaut mieux nier complĂštement le purgatoire plutĂŽt que croire  aux apparitions d’ñmes que raconte saint GrĂ©goire le Grand, et aux suffrages pour les dĂ©funts.  Et dans son livre sur les Waldenses, sur l’eucharistie,  il dit : « Quand vous niez le purgatoire, les messes pour les dĂ©funts, les veilles, les monastĂšres,  et tout ce qui a Ă©tĂ© mis sur pied par cette imposture,  je le prouve moi aussi par toutes sortes de choses. »

C’est cette derniĂšre position de Luther que suivent tous les hĂ©rĂ©tiques de notre temps.  Les luthĂ©riens rigides comme les centuriateurs, (centurie 1, livre 2, chapitre 4, colonne 470, et la centurie 4, chapitre 4, colonne 304), les luthĂ©riens mous comme Philippe (cf. ibid., chapitre de la satisfaction) et Brentius (dans les confessions de Wirtemberg, chapitre du purgatoire.   Les Zwingliens enseignent la mĂȘme chose, d’aprĂšs Cochlaeus [Cochlaem] (dans ses actes de Luther), annĂ©e 1526.   La mĂȘme chose Bernardin Ochinus (dans son dialogue sur le purgatoire), Jean Calvin (livre 3, Institutions chapitre 5, §.6).  Il dit lĂ  que « le purgatoire est une conception satanique, qu’il Ă©vacue la croix du Christ, qu’il impute  Ă  la misĂ©ricorde de Dieu un mĂ©pris insupportable, qu’il pervertit et renverse  notre foi. »

Pierre le martyr [in c. III. I. ad Corinth. duo dicit.] (dans son commentaire sur 3 aux Corinthiens deux dit : « Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas un purgatoire, ce n’est sĂ»rement pas un  dogme de foi.  Il dit ensuite qu’il n’est pas probable qu’un purgatoire existe.  Ensuite, les anabaptistes trinitaires (livre 2, chapitre 1, dans les livres qu’ils ont Ă©ditĂ©s rĂ©cemment,  en 1567), affirment que Luther a posĂ© le fondement de la rĂ©forme de l’Église quand il a rejetĂ© le purgatoire, les messes, et autres choses semblables.  Le fondement  de tous les luthĂ©riens  est d’avoir enlevĂ© la satisfaction, et la distinction entre le pĂ©chĂ© mortel et le pĂ©chĂ© vĂ©niel.   Une fois posĂ© ce fondement, il s’ensuit nĂ©cessairement qu’il n’y  a pas de purgatoire.

Il ne manque pas non plus de thĂ©ologiens qui soutinrent le purgatoire au point de ne reconnaitre, aprĂšs cette vie, que des peines purgatives.  C’est ce que pensa OrigĂšne, qui, Ă  tous les impies et aux dĂ©mons, promet, Ă  la fin, le salut, comme le rapporte Épiphane, dans sa lettre Ă  Jean de JĂ©rusalem,  et saint Augustin ( au livre 21, chapitre 17, de la citĂ© de Dieu).  Il ajoute lĂ  l’opinion d’autres auteurs qui ne reconnaissaient, pour tous les hommes, que des peines purgatives.  Et dans le mĂȘme livre (Ă©pĂźtre 21, chapitre 13), il dit que les platoniciens furent de la mĂȘme opinion, et il le prouve par ces vers de Virgile, VI EneĂŻde : « Et quand, Ă  la fin, la vie cesse avec la lumiĂšre, le mal ne te quitte pas au complet, et toutes les pestes corporelles ne sortent pas immĂ©diatement.  On reste longtemps attachĂ© de plusieurs façons aux choses concrĂštes.   Ils sont donc exercĂ©s par des peines, et ils expient les anciens maux par des supplices. »

Nous lisons cela dans les Ɠuvres de Platon, car dans le PhĂ©don et le Gorgias, il dĂ©crit trois genres d’hommes qui sont appelĂ©s en jugement aprĂšs la mort.  Le premier.  Ceux qui ont vĂ©cu avec piĂ©tĂ© et justice, et ceux-lĂ  sont transfĂ©rĂ©s immĂ©diatement dans les Ăźles des bienheureux. L’autre. Ceux qui ont commis des pĂ©chĂ©s curables. Ils ont des peines Ă  subir pendant quelque temps, jusqu’à ce que leurs fautes soient guĂ©ries. Le troisiĂšme.  Ceux qui ont commis des pĂ©chĂ©s irrĂ©missibles, et ceux-lĂ  sont rejetĂ©s pour ĂȘtre punis pendant l’éternitĂ©, leur supplice ne servant pas Ă  eux, mais aux autres, en leur donnant un exemple.  Virgile n’a sĂ»rement pas ignorĂ© cet enseignement quand il Ă©crit dans l’Énéïde : « Il est assis, et il demeurera Ă©ternellement assis le malheureux ThĂ©sĂ©e.  Et le misĂ©rable Phlegias les avertit tous et atteste d’une forte voix parmi les ombres : apprenez la justice par cet avertissement, et ne mĂ©prisez pas les dieux. »  Mais que cela suffise.

Toute la dispute est rĂ©partie en dix chapitres.Nous montrerons d’abord qu’il y a un purgatoire.  Qu’il  faut le tenir de foi. À quelles personnes il convient, Ă  tous les justes et Ă  tous les pĂ©cheurs, ou seulement Ă  quelques-uns.  De l’état de ceux qui sont dans le purgatoire : sont-ils, oui ou non, surs de leur salut ?  Peuvent-ils mĂ©riter ou dĂ©mĂ©riter ?  Le lieu du purgatoire. Sa durĂ©e.  Sa peine : quelle est-elle, et Ă  qui est-elle infligĂ©e ?  Du remĂšde de la peine.  De la sĂ©pulture des corps.

                                                     CHAPITRE 3

Preuves de l’existence du purgatoire tirĂ©es des textes de l’Ancien Testament.

Le premier passage est celui du 2Ăšme livres des MachabĂ©es, chapitre 12, v.42 et s. AprĂšs avoir racontĂ© que Judas avait envoyĂ© Ă  JĂ©rusalem 12000 drachmes d’argent Ă  ĂȘtre dĂ©pensĂ©s en sacrifices pour les morts,  l’auteur ajoute : « C’est donc une pensĂ©e sainte et salutaire   de prier pour les morts, pour qu’ils soient purifiĂ©s de leurs pĂ©chĂ©s. » On peut conclure de ce texte d’abord, que les morts, aprĂšs cette vie, peuvent ĂȘtre purgĂ©s de leurs pĂ©chĂ©s, et qu’il y a donc un purgatoire.  Ensuite,  que les sacrifices et les priĂšres des vivants sont profitables aux dĂ©funts.   TroisiĂšmement,  que tous les reliquats du pĂ©chĂ© ne sont pas expiĂ©s par la mort, comme l’enseigne Luther.  Car, ceux pour lesquels Judas demande de prier Ă©taient morts de mort violente, et pour la religion.  Mais il croyait qu’ils n’étaient pas encore complĂštement &purgĂ©s.  QuatriĂšmement.  Un homme peut mourir pieusement et saintement, et avoir quand mĂȘme quelque dette Ă  payer, ou pour des pĂ©chĂ©s vĂ©niels non remis pendant la vie, ou pour une satisfaction non complĂšte de pĂ©chĂ©s mortels pardonnĂ©s. Car, l’Écriture dit que ceux pour lesquels Judas a demandĂ© de prier s’étaient endormis pieusement.  CinquiĂšmement.  Et cela, est de foi.

Les adversaires ont coutume de nous répondre :

1) que ce livre n’est pas canonique, car, Ă  la fin, l’auteur demande de lui pardonner s’il a errĂ© en quelque chose. « Donc, dit Brentius,  nous devons lui pardonner d’avoir errĂ© en louant les suffrages pour les morts. »

2) Ensuite, parce que cette partie ne peut pas ĂȘtre canonique (« pensant saintement et pieusement Ă  la rĂ©surrection, car s’ils n’avaient pas pensĂ© que ceux qui tombaient ressusciteraient,  il aurait paru superflu et vain de prier pour les morts ») puisqu’elle contient l’erreur de ceux qui pensent que les Ăąmes meurent et ressuscitent avec le corps.  Car, autrement, il ne serait pas superflu de prier pour les morts, mĂȘme s’ils ne ressuscitaient pas. » Ochinus ajoute que cette petite partie du texte sert  Ă  rĂ©futer le purgatoire plutĂŽt qu’à le prouver.  Car, s’il y avait un purgatoire,  il ne serait pas vain de prier pour les morts mĂȘme s’il n’y avait pas de rĂ©surrection, car cette priĂšre servirait Ă  les libĂ©rer des peines du purgatoire.

3) TroisiĂšmement, parce que cette conclusion : « sainte donc et salutaire est cette pensĂ©e  » ne semble pas convenir historiquement.  Elle n’a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© qu’une annotation marginale, violemment introduite dans le texte.

QuatriĂšmement, parce qu’il n’est fait aucune mention du purgatoire dans ce texte, mais seulement de la rĂ©surrection.  Car, on dit que Judas a commandĂ© de prier pour les morts parce qu’il pensait saintement et pieusement Ă  la rĂ©surrection.

CinquiĂšmement.  Parce que Judas a commandĂ© d’offrir des priĂšres et des sacrifices pour ceux qu’on savait ĂȘtre morts  en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel.  Car, au mĂȘme endroit, on nous raconte qu’on a trouvĂ©, sous les tuniques de tous ceux qui ont Ă©tĂ© tuĂ©s, des choses offertes aux idoles qu’ils avaient usurpĂ©es  contre la prohibition expresse du DeutĂ©ronome 7 : « On trouva, sous les tuniques des dĂ©funts, des dons faits aux idoles qui Ă©taient Ă  Jamniam,  ce que la loi interdit aux Juifs. »  Il est donc manifeste que, Ă  cause de cette faute,  tous Ă©taient tombĂ©s.   Donc, ou ce fut par superstition que Judas a fait cela, ou il n’a pas priĂ© pour leurs Ăąmes, mais seulement pour se consoler eux-mĂȘmes.

SixiĂšmement.  Du fait qu’on a priĂ© et qu’on a fait des sacrifices pour eux, on ne peut pas conclure qu’il y a un purgatoire, car ceux pour qui on priait pouvaient tout aussi bien ĂȘtre enfer.  Et ils ont pu prier et sacrifier pour montrer leur estime et leur intention de se souvenir d’eux, ainsi que pour se consoler.

SeptiĂšmement.   Ce texte de l’Écriture ne prĂ©sente ni une loi ni in dĂ©cret, mais seulement l’exemple d’un seul homme que nous ne sommes pas tenus d’imiter, comme nous ne pouvons pas imiter tous les exemples donnĂ©s par l’Écriture.  Ne nous contredit pas le fait que soit louĂ© l’exemple de Judas, car, dans le mĂȘme livre (2 Macc 14), on a louĂ© aussi l’exemple de Razia qui s’est tuĂ©.

1) Je rĂ©ponds Ă  la premiĂšre objection que les livres des MaccabĂ©es ne sont pas canoniques chez les Juifs, mais qu’ils le sont chez les chrĂ©tiens. L’église universelle, en effet, lit ces livres Ă  la messe,  et les lisait autrefois, comme il appert de la lettre de Pierre de Cluny contre les petrobrusiens.   Et  il avait pourtant Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© par le concile 3 de Carthage (chapitre 47) qu’aucun livre ne soit lu dans l’église sous le nom de livres divins Ă  moins d’ĂȘtre canonique.  De plus, Innocent I l’énumĂšre parmi les livres, en citant le concile de Carthage 3, (canon 47, ex pontificibus), dans son Ă©pitre Ă  Exuperium, (chapitre ultime ex Patribus).   Saint Augustin  (livre 18, chapitre 36, la citĂ© de Dieu), dit : « C’est l’Église qui considĂšre les livres des MaccabĂ©es comme canoniques, ce ne sont pas les Juifs. »

Ces tĂ©moignages nous permettent de considĂ©rer  comme un  mensonge impudent ce qu’Ochinus dit du purgatoire dans son dialogue : « Que ce soient des apocryphes les synodes de LaodicĂ©e et de Carthage le manifestent.  Je dirais mĂȘme plus. Ils n’ont Ă©tĂ© mentionnĂ©s pas aucun des saints docteurs qui tinrent les catalogues des saints livres. »  Pour connaitre facilement son mensonge, qu’on lise le troisiĂšme concile de Carthage qu’évoque Ochinus, saint Innocent, au lieu citĂ©,  saint Augustin (au livre 2 de la doctrine chrĂ©tienne, chapitre 8), GĂ©lase, dans son dĂ©cret sur les livres canoniques, promulguĂ© dans un concile de 70 Ă©vĂȘques,   saint Isidore (livre 6 des Ă©tymologies, chapitre 1), et les autres pĂšres citĂ©s par nous  dans  le livre 1 sur la parole de Dieu, chapitre 15.

Pierre le martyr rĂ©pond (dans chapitre 3, 1 Corinthiens)  que ce livre a Ă©tĂ© reçu par l’Église et saint Augustin non dans le canon des livres qui servent Ă  confirmer les dogmes, mais de ceux qui sont utilitĂ©s pour l’édification morale.  Et il le prouve ainsi.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 23, contre l’épitre de Gaudence), dit que ce livre n’a pas une autoritĂ© Ă©gale  Ă  celle que possĂšdent les livres sur la loi, les prophĂštes et les psaumes, mais qu’il est quand mĂȘme utile si on le lit sobrement.  C’était aussi ce qu’affirmait saint Cyprien :  ces livres ne valent pas pour prouver des dogmes.

Mais c’est avec perfidie que se comporte Pierre le martyr, car saint Augustin Ă©tait tellement persuadĂ© que ces livres valaient pour confirmer des dogmes que (au livre 1, chapitre 1, sur les soins Ă  donner aux morts),  c’est Ă  ce livre qu’il demande un argument pour prouver qu’il faut prier pour les morts, ce qu’il considĂšre comme un dogme de foi.  Le mĂȘme Augustin enseigne la mĂȘme chose quand (dans son livre sur les hĂ©rĂ©sies, chapitre 53) il place Aerium parmi les hĂ©rĂ©tiques, parce qu’il niait les priĂšres pour les dĂ©funts. Et (dans  le livre 2, chapitre 23 contre Gaudence) il ne dit pas que, dans l’Église, ces livres ne sont pas semblables aux livres sur la loi, les prophĂštes et les psaumes, mais chez les Juifs : « Et cette Écriture qu’on appelle les MaccabĂ©es, les Juifs ne la considĂšrent pas comme ils considĂšrent la loi, les prophĂštes et les psaumes.  Mais, elle est reçue par l’Église non sans utilitĂ©, si on la lit ou on l’écoute sobrement. »   Ce texte fait apparaĂźtre l’insigne fourberie du martyr.  Du fait que saint Augustin dit qu’on doit les lire ces livres sobrement, il ne faut pas en conclure qu’ils contiennent des erreurs.  C’était surtout Ă  cause des exemples donnĂ©s par ceux qui se tuĂšrent, qui sont racontĂ©s dans ce livre, mais qui ne doivent pas ĂȘtre imitĂ©s.  Le GenĂšse elle-mĂȘme, il faut la lire sobrement, pour ne pas penser qu’on puisse imiter l’exemple donnĂ© par le patriarche Judas  quand il perpĂ©tra un inceste.

Pierre le martyr a du ĂȘtre induit en erreur en prenant Ruffin pour Cyprien.  Car, cette explication du symbole est de Ruffin, non de Cyprien.   C’est la prĂ©face qui nous l’indique, car son auteur nous dit qu’il est originaire d’Aquila,  qu’il a Ă©tĂ© baptisĂ© et Ă©duquĂ© Ă  Aquila.   Et, au mĂȘme endroit, il parle de l’hĂ©rĂ©tique Photin, qui vĂ©cut cent ans aprĂšs Cyprien.  Et lĂ  oĂč il Ă©numĂšres les livres sacrĂ©s,  il parle de Donat, de ManĂšs, d’Arius, d’Eunomius , et d’autres hĂ©rĂ©tiques qui ont vĂ©cu bien aprĂšs saint Cyprien.  Il ne faut pas s’étonner que Ruffin pensĂąt que ces livres n’étaient pas canoniques, car, pendant un certain temps, ils firent partie de ces livres sur lesquels  on eut quelque doute, et qui, par aprĂšs, ont Ă©tĂ© reçus par l’église universelle   comme canoniques.  À la preuve, je rĂ©ponds que l’auteur ne demande pas de pardon pour des erreurs, mais pour son Ă©locution, comme saint Paul s’excuse de son manque d’éloquence.

Au deuxiĂšme argument, je rĂ©ponds.  La sentence de ce livre semble inepte  parce qu’on n’observe pas que, chez les Juifs,  on ait l’habitude  de traiter en une seule question  la rĂ©surrection et l’immortalitĂ© de l’ñme, si vraiment c’étaient deux choses distinctes. Car, chez les Juifs, ceux qui en niaient une niaient aussi l’autre, comme les SadducĂ©ens; et ceux qui en professaient une, professaient aussi l’autre, comme les Pharisiens (Actes 22).  Et non sans raison,  car, comme l’ñme raisonnable est vraiment la forme du corps, et donc une vraie partie de l’homme, il n’est pas vraisemblable que Dieu ait voulu que l’homme vive perpĂ©tuellement sans son corps. VoilĂ  pourquoi le Seigneur (Matt 12, 32), voulant prouver la rĂ©surrection aux SadducĂ©ens, cite ce texte de l’Écriture : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ».  Et  il ajoute : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »  C’est de ce texte qu’il a conclu que les morts ressusciteraient.

Cet argument ne permet pas de conclure Ă  moins de prĂ©supposer que la rĂ©surrection des corps et l’immortalitĂ© de l’ñme soient vues comme une seule et mĂȘme question. Car, on pourrait autrement, nier la conclusion. Car Dieu sera le Dieu des vivants mĂȘme si les morts ne ressuscitent pas, puisque les Ăąmes continuent Ă  vivre.   C’est pour une raison semblable que saint Paul a dit aux Corinthiens (1 Corinthiens, 15, 32) : « En quoi cela me profite-t-il si les morts ne ressuscitent pas ?  Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». À moins qu’il ne prĂ©suppose que les Ăąmes sont mortelles si les corps ne ressuscitent pas,  il ne peut rien conclure.  Car, si l’ñme est immortelle, mĂȘme si les corps ne ressuscitent pas,  il est trĂšs profitable de jeĂ»ner et de bien vivre, puisque ces choses serviront Ă  acquĂ©rir la gloire de l’ñme.   L’Écriture, dans les MaccabĂ©es, parle donc de la mĂȘme maniĂšre que saint Paul, et prĂ©suppose la mĂȘme chose.  Elle veut dire ceci : si les morts ne ressuscitent pas, il s’ensuit que les Ăąmes sont mortelles, et qu’il est donc superflu et vain de prier pour les morts, Ă  moins qu’on espĂšre une rĂ©surrection.

Au troisiĂšme argument je dis que dans le texte grec, il n’y a pas de particule.  Voici ce que nous y lisons (traduction en latin) : « Ensuite, considĂ©rant que pour ceux qui se sont endormis pieusement est promise une excellente grĂące, ce fut donc une pensĂ©e sainte et pieuse de faire une expiation pour les morts,  pour qu’ils soient purifiĂ©s de leurs pĂ©chĂ©s. »  Mais le sens est tout Ă  fait le mĂȘme.   Et on peut rejeter la version latine sans rejeter la grecque.  Ce n’est pas une chose inhabituelle  aux historiens  de cueillir parmi  les actions humaines  ce qui mĂ©rite d’ĂȘtre imitĂ©, et qui favorise les bonnes mƓurs.

Au quatriĂšme, je dis qu’il n’était pas nĂ©cessaire de faire une mention expresse du purgatoire, quand on peut facilement en dĂ©duire l’existence d’aprĂšs ce qui est racontĂ©.  Et quand on dit que Judas a priĂ© pour les morts en pensant saintement et religieusement Ă  la rĂ©surrection,  on ne veut pas nous faire entendre que Judas a priĂ© pour qu’ils ressuscitent.  Le sens est plutĂŽt le suivant : quand il pensait religieusement Ă  la rĂ©surrection future, et qu’en consĂ©quence, les Ăąmes Ă©taient immortelles,  et craignant que les Ăąmes de ses soldats, Ă  cause d’un certain pĂ©chĂ©, ne soient punies dans l’autre siĂšcle, il a ordonnĂ© Ă  ses soldats de prier pour eux et d’offrir des sacrifices Ă  leurs intentions, pour qu’ils soient purifiĂ©s de leurs pĂ©chĂ©s, comme il est clairement dit Ă  la fin du paragraphe.

Au cinquiĂšme,  je dis que ou leur pĂ©chĂ© a Ă©tĂ© vĂ©niel, parce qu’ils ignoraient la prohibition de la loi, et que ce n’est pas pour honorer les idoles qu’ils acceptĂšrent leurs offrandes, mais seulement par cupiditĂ©; ou il a Ă©tĂ© mortel, et, Ă  l’heure de leur mort, les soldats se sont repentis de leur pĂ©chĂ©, lequel leur fut remis relativement Ă  la faute, selon le psaume 77, 34 : « Quand tu les tuais, ils te cherchaient, et ils retournaient Ă  toi. »  Ou, du moins, c’est ce que Judas a pensĂ©.  Autrement, l’Écriture ne dirait pas  qu’il avait estimĂ© que ceux qui s’étaient endormis pieusement, avaient une grĂące qui leur Ă©tait rĂ©servĂ©e.  Ajoutons, Ă  la fin, que leur Ă©tat Ă©tait au moins incertain, et qu’il Ă©tat permis de prier pour eux, mĂȘme s’ils Ă©taient damnĂ©s.

Au sixiĂšme,  je dis que nous ne raisonnons pas ainsi : ils prieront pour eux, ils sont donc dans le purgatoire.  Mais, ils prieront pour des dĂ©funts, ils estimeront donc qu’il puisse se faire qu’ils soient dans le purgatoire.  Ou bien : l’Écriture loue la priĂšre pour les pĂ©chĂ©s des dĂ©funts, il y a donc un purgatoire dans l’autre vie.  Car, autrement, on prierait pour rien,  et l’Écriture errerait en faisant la louange de cette priĂšre.  Qu’en ce passage, on loue la priĂšre pour l’expiation des pĂ©chĂ©s, et non pour montrer son affection humaine, on le comprend par le fait que l’occasion de cette priĂšre fut le pĂ©chĂ© des morts dĂ©couvert dans leurs vĂȘtements, comme l’histoire le rapporte. Et c’est expressĂ©ment pour cela que Judas Ă  envoyer 12000 drachmes Ă  offrir en sacrifice.  Pour les pĂ©chĂ©s des morts.  Et, plus bas, pour qu’ils soient purifiĂ©s de leurs pĂ©chĂ©s. Ajoutons que s’il n’y avait pas de purgatoire, il conviendrait de pleurer pour montrer son affection, mais non de prier pour eux.  Car Ă  quoi servirait une priĂšre pour des gens qui n’en ont pas besoin, ou qui ne peuvent pas en recevoir du soulagement ?

Au septiĂšme je rĂ©ponds que l’argument n’est pas tirĂ© de l’exemple d’un seul homme, mais en partie du rite antique et solennel de l’Église de l’Ancien Testament, et en partie du tĂ©moignage infaillible de l’écrivain sacrĂ©.  Que ce fut lĂ  un ancien rite de l’Église de l’ancien testament, nous le constatons par les paroles mĂȘmes du texte : « Tous ceux qui Ă©taient avec Judas s’étaient tournĂ©s vers la priĂšre. »  Et ensuite : « une fois faite la collecte », c’est-Ă -dire que  chacun apportant quelque chose, on a rĂ©uni une grosse somme d’argent, qui a Ă©tĂ© envoyĂ©e Ă  JĂ©rusalem, au nom de tous, afin d’offrir des sacrifices pour les morts.  Et cela, c’est un  grand  argument.

Mais il est d’autant  grand pour prouver la foi catholique qu’il est tirĂ© des paroles de l’Écriture sainte,  louant la priĂšre pour les pĂ©cheurs morts comme Ă©tant sainte, pieuse, et religieuse.  Ne vaut pas du tout la comparaison avec la louange donnĂ©e Ă  Razias qui s’est tuĂ©.  Car, comme saint Augustin le dĂ©montre (au livre livre 2, chapitre 23, contre l’épitre de Gaudence),  Razias est louĂ© pour avoir agir fortement et virilement, non parce qu’il a agi pieusement et saintement.  Et si on veut prouver ce fait par l’auteur du livre, il faudra plutĂŽt dire que, pour faire ce qu’il a fait,  Razias a eu, tout comme Samson,  une inspiration particuliĂšre, et un prĂ©cepte de Dieu (livre 1 chapitre 21, citĂ© de Dieu).  Il est prĂ©fĂ©rable de penser cela plutĂŽt que dire que l’auteur sacrĂ© a errĂ©.  En plus de ce texte, il y en a d’autres qui  donnent une preuve qui n’est que probable, mais dont les saints pĂšres se sont quand mĂȘme servis.

Le deuxiĂšme passage est de Tobie 4, 18 : « DĂ©pose ton pain et ton vin sur la sĂ©pulture du juste, et n’en mange pas et n’en bois pas avec les pĂ©cheurs. » Ce texte ne peut pas avoir un autre sens que celui les commentateurs lui donnent Ă  l’unanimitĂ©, Ă  savoir : organise un festin, et appelle les fidĂšles pauvres, afin que, aprĂšs avoir reçu l’aumĂŽne,  ils prient pour l’ñme du dĂ©funt. C’est de lĂ  qu’est nĂ©e cette coutume qui exista, autrefois dans l’église, et qui continue encore aujourd’hui, que la parentĂ© fasse un banquet pour le dĂ©funt, qu’on envoie de la nourriture aux pauvres  et aux religieux, afin qu’ils prient pour l’ñme du dĂ©funt. Saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 32 sur saint Matthieu) : « Pourquoi aprĂšs la mort des tiens, convoques-tu les pauvres ? Pourquoi supplies-tu les prĂȘtres de vouloir bien prier pour eux ? »

Ne vaut rien, non plus, le commentaire de Munster, qui voit le mot sĂ©pulcre dans les bouche des pauvres justes, parce qu’il est Ă©crit, au psaume 5, 11 : « leur gorge ouverte est  un sĂ©pulcre. »  Pour que le sens soit : « Mets ton pain dans la bouche des justes pour qu’ils ne meurent pas de faim ».  Mais cette explication est fausse.  D’abord, parce que l’Écriture n’appelle jamais la bouche du juste un sĂ©pulcre.  Elle ne donne ce nom qu’à la bouche du pĂ©cheur, d’oĂč s’exhalent les odeurs fĂ©tides des vices.  Ensuite, parce que, dans ce chapitre, il recommandait, en de longues paroles,  les pauvres vivants, et est passĂ©, ensuite Ă  la recommandation des morts, comme le sens littĂ©ral lui-mĂȘme le laisse entendre.

Le troisiĂšme texte vient de 1 Rois (Ă  la fin).  Nous y lisons que les habitants de Jabes Galaas, aprĂšs avoir entendu parler de la mort de SaĂŒl, jeĂ»nĂšrent pendant sept jours.  Et, dans 2 Rois 1, David jeĂ»na et pleura Ă  la mort de SaĂŒl et de Jonathan, et des autres soldats qui avaient Ă©tĂ© tuĂ©s.  C’est ce qu’il fit aussi pour Abner  (2 Rois 3).  Bien que ces choses semblent avoir Ă©tĂ© faites en signe de douleur et de tristesse, il est quand mĂȘme crĂ©dible qu’elles ont Ă©tĂ© faites surtout pour aider les Ăąmes des dĂ©funts, comme BĂšde l’expose Ă  la fin de son commentaire  sur le livre 1 des Rois.  Cela, nous le tirons de deux choses.  La premiĂšre.   Il serait irrationnel de jeĂ»ner pendant sept jours en signe de douleur et de tristesse.  La deuxiĂšme.  De ce que David (2 Rois 12) ait jeĂ»nĂ©  et priĂ© pour son enfant, quand il Ă©tait malade; et que quand il eut entendu qu’il Ă©tait mort, il mit un terme Ă  son jeĂ»ne.  Ce fait nous montre qu’il avait coutume de jeĂ»ner pour obtenir quelque chose de Dieu.  AprĂšs la mort de l’enfant, il ne jeĂ»na plus,  car il savait que l’enfant ne reviendrait plus Ă  la vie, et qu’il n’avait donc pas besoin de suffrages.  Se rapporte Ă  cela la sollicitude des patriarches  qui dĂ©siraient ĂȘtre enterrĂ©s dans la terre promise, (GenĂšse 47 et 50), pour participer aux priĂšres et aux sacrifices qui y seraient offerts.

Le quatriĂšme texte est le psaume 37, 1 : « Seigneur ne me reprends pas dans ta fureur,  et ne me corrige pas dans  ta colĂšre. »  Bien qu’on puisse donner Ă  ces mots diverses interprĂ©tations, saint Augustin l’explique ainsi : comme ĂȘtre repris par Dieu dans sa fureur  c’est ĂȘtre damnĂ© pour toute l’éternitĂ©, ĂȘtre corrigĂ© dans sa colĂšre c’est ĂȘtre puni sĂ©vĂšrement aprĂšs cette vie, une correction qui  mĂšne Ă  un amendement. VoilĂ  pourquoi il ajoute : « Dans cette vie, purge-moi, rends-moi tel que par mon amendement, je n’aie plus besoin du feu purificateur. » C’est de cette façon aussi que l’expliquent BĂšde, Harmo [Haymo], Denys le Chartreux, et d’autres.

Le cinquiĂšme texte est  le psaume 65,12 : « Nous avons passĂ© Ă  travers l’eau et le feu, et Dieu nous en a fait sortir pour nous conduire dans un lieu rafraĂźchissant. » Ce passage peut avoir plusieurs sens mais OrigĂšne (homĂ©lie 25 sur les Nombres) et  Ambroise (sermon 3 sur le psaume 36, et sur le psaume 118) voient dans le mot eau le baptĂȘme, et dans le mot feu le purgatoire : « Par l’eau pour que soient lavĂ©s les pĂ©chĂ©s, par le feu, pour qu’ils soient brĂ»lĂ©s. »

Le sixiĂšme texte est d’IsaĂŻe 4,4 : « Le Seigneur purgera les pĂ©chĂ©s  des fils et des filles de Sion, et il purifiera leur sang par l’esprit du verdict et l’esprit de la combustion »  Saint Augustin applique ce passage aux peines du purgatoire (livre 20, chapitre 25, la citĂ© de Dieu).

”Le septiĂšme est d’IsaĂŻe 9,18 [p.59 pdf latin, col., non traduit, Ă  ajouter]

Basilius

Le huitiĂšme texte est celui de MichĂ©e 7,8-9 : « Ne te rĂ©jouis pas, mon ennemie, car si je suis tombĂ© je me relĂšverai. Je porterai la colĂšre du Seigneur tant qu’il jugera ma cause. Il m’amĂšnera dans sa lumiĂšre, et je verrai sa justice. » Saint  JĂ©rĂŽme  (dans le dernier chapitre sur IsaĂŻe) enseigne qu’on a coutume d’attribuer ce texte au purgatoire.  Et la glose ordinaire explique que « et je porterai la colĂšre du Seigneur » s’applique au purgatoire.

Le neuviĂšme passage est de Zacharie 9,11 : « Et toi, dans le sang de ton testament, tu as fait sortir les vaincus du lac dans lequel il n’y a pas d’eau. »  Car mĂȘme si ce texte est souvent interprĂ©tĂ© comme se rapportant Ă  la libĂ©ration des patriarches des limbes, il convient, cependant, beaucoup mieux Ă  la libĂ©ration des Ăąmes du purgatoire que le Seigneur a amenĂ©es avec lui, quand il y descendit aprĂšs sa mort.  D’abord, parce que le mot vaincus leur convient davantage. Ensuite, parce que, dans le purgatoire, il n’y pas l’eau de consolation qui se trouvait dans les limbes des pĂšres : « Ici, il est consolé » (Luc 16.)  VoilĂ  pourquoi saint Augustin (dans sa lettre 99 Ă  Évodius,  et dans  le livre 42 de la GenĂšse, chapitre 33) soutient que, quand il descendit dans les enfers, le Christ a rendu visite non seulement aux patriarches, mais mĂȘme aussi Ă  ceux qui souffraient dans l’enfer, c’est-Ă -dire dans le purgatoire, et en a libĂ©rĂ© un grand nombre.

Le dixiĂšme texte est celui de Malachie 3, 2-3 : « Il siĂ©gera lĂ  comme un feu constant et purgera les fils d’IsraĂ«l. »  OrigĂšne (homĂ©lie 6 sur l’Exode), saint Ambroise (psaume 36), saint Augustin (livre 20, chapitre 25 de la citĂ© de Dieu), et saint JĂ©rĂŽme dans son commentaire de ce passage, voient dans ce texte le purgatoire.  Et bien que cette peine purgative ne soit pas celle dont nous parlons, car celle-lĂ  purgera les vivants, et nous parlons nous de la peine des morts. Ce texte se rapporte quand mĂȘme Ă  la peine du purgatoire, car une tribulation trĂšs grave prĂ©cĂ©dera, et le feu descendra ensuite et purgera rapidement tous les reliquats de pĂ©chĂ©s des hommes justes. Parce que, comme le note saint IrĂ©nĂ©e, (Ă  la fin du 5Ăšme livre),  l’Église qui est sur terre sera rapidement emportĂ©e vers son Ă©poux,  et il n’y aura plus d’autre temps pour se purger, comme nous avons maintenant  aprĂšs la mort, avant le jugement.

CHAPITRE 4

          On prouve le purgatoire par des textes du Nouveau Testament.

Le premier texte est celui de Matthieu 12, oĂč le Seigneur dit qu’il y a un pĂ©chĂ© qui ne sera remis ni dans ce monde ni dans le monde Ă  venir. »  Car les pĂšres ont dĂ©duit de ce texte que certains pĂ©chĂ©s sont remis dans le monde futur par les priĂšres et les suffrages de l’Église. Comme saint Augustin (livre 21, chapitre 24 de la citĂ© de Dieu, et livre 6, chapitre 5 contre Julien). Saint GrĂ©goire  (livre 4, chapitre 39 de ses dialogues),  BĂšde (chapitre 3 de Marc),  saint Bernard (homĂ©lie 66 sur les cantiques des cantiques) qui se contenta de ce texte pour rĂ©futer cette hĂ©rĂ©sie. De mĂȘme Pierre de Cluny (dans son Ă©pitre contre les pĂ©trobrusiens), ainsi que Raban (livre 2, chapitre 44 de son institution des clercs), et plusieurs gloses.

Pierre le martyr nous objecte que cela a Ă©tĂ© dit par exagĂ©ration. Je rĂ©ponds que, de cette façon, nous pourrions aussi enlever l’enfer, et dire que c’est une exagĂ©ration, quand il dit : « Allez au feu Ă©ternel. » De plus une exagĂ©ration ne doit pas ĂȘtre inepte, comme quand on fait une rĂ©partition, et qu’à un membre rien ne correspond.  D’autres disent que c’est une menace.  Je rĂ©ponds de la mĂȘme maniĂšre. Et il y a en a d’autres qui disent que le Christ compare le pĂ©chĂ© contre le Saint Esprit aux pĂ©chĂ©s mortels graves, et aux blasphĂšmes contre le PĂšre et le Fils. Donc, s’il voulait dire que des pĂ©chĂ©s pourront ĂȘtre  remis dans le monde futur, il entendrait surtout les pĂ©chĂ©s avec lesquels il compare le pĂ©chĂ© contre le Saint Esprit.  Or, cela est faux  parce que seuls les pĂ©chĂ©s vĂ©niels nous sont remis dans l’autre monde.    Je rĂ©ponds que le Christ parle de la rĂ©mission parfaite, qui atteint sa perfection par la rĂ©mission de la faute et de la peine. C’est de cette façon que mĂȘme des pĂ©chĂ©s graves sont remis dans l’autre siĂšcle, car c’est lĂ  que se termine leur rĂ©mission.

Ils disent, en quatriĂšme lieu, que le Christ semble vouloir dire que les pĂ©chĂ©s les plus graves seront remis dans le siĂšcle futur, et dans ce siĂšcle, seulement les plus lĂ©gers.  S’il avait voulu dire que d’autres seront remis lĂ -bas, il n’aurait pas dit : ni dans ce siĂšcle, ni dans le futur, mais il aurait dit, au contraire : il ne sera remis ni dans le futur, ni dans ce siĂšcle, pour que la priĂšre aille en augmentant. Je rĂ©ponds que la priĂšre augmente parce que dans le futur, il y un plus grand espace de temps pour effacer les pĂ©chĂ©s que dans ce siĂšcle-ci. Et en suite, il place d’abord le siĂšcle prĂ©sent parce que c’est ici que commence la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s, et c’est lĂ -bas qu’elle se complĂšte.  CinquiĂšmement, Calvin objecte que le Seigneur parle de la rĂ©mission de la coulpe. Vous avez donc tort d’allĂ©guer ce texte pour  la rĂ©mission de la peine du purgatoire. Je rĂ©ponds que, dans le purgatoire, sont remises aussi les fautes vĂ©nielles. Mais il est faux de dire que le Christ ne parle que de la faute, car voici quel est le sens : le pĂ©chĂ© contre le Saint Esprit n’est remis ni dans ce siĂšcle ni dans le futur, ni quant Ă  la faute, ni quant Ă  la peine,  alors que les autres pĂ©chĂ©s sont remis dans ce siĂšcle quant Ă  la faute, et dans l’autre siĂšcle, quant Ă  la peine, comme les mortels. Ou bien : et ici et lĂ  quant Ă  la faute, et quant Ă  la peine, comme les vĂ©niels.

SixiĂšmement, Calvin enseigne que, par dans ce siĂšcle et dans le siĂšcle futur, il veut dire que dans ce jugement et dans le futur rien n’est remis, et ainsi, il n’est fait aucune mention du purgatoire.  Au contraire. Quels seront donc ceux dont ne seront pas remis les pĂ©chĂ©s dans ce siĂšcle, mais au jour du jugement ? Ne sont-ce pas ceux qui n’ont besoin que de la purgation de fautes vĂ©nielles,  ou qui ne seront dĂ©biteurs que de la seule peine ?  Car ceux qui dĂ©cĂšdent dans la justice ne sont certes pas absous de leurs pĂ©chĂ©s au jour du jugement.

SeptiĂšmement, Pierre le martyr nous fait l’objection suivante : d’une nĂ©gation ne suit pas une affirmation, en bonne dialectique.  Il n’est donc pas permis de tirer cette conclusion : le pĂ©chĂ© contre le Saint Esprit n’est pas remis dans le siĂšcle futur;  donc, d’autres pĂ©chĂ©s y sont remis.  Exemple.  On ne peut pas dire :  le roi Philippe n’est pas le roi des VĂ©nitiens,  donc un autre est le roi des VĂ©nitiens.  Et Ochinus confirme. Car le Christ aurait  pu dire : ce pĂ©chĂ© n’est remis ni dans ce siĂšcle ni dans l’enfer; mais nous n’aurions pas pu en conclure que des pĂ©chĂ©s sont remis dans l’enfer.

Je rĂ©ponds que ce que  nous dĂ©duisons des paroles du Seigneur ne se fait pas selon les rĂšgles de la dialectique,  mais selon la rĂšgle de la prudence, car, autrement, nous ferions parler le Seigneur pour ne rien dire.  Il dirait des inepties s’il disait : « ce pĂ©chĂ© n’est remis ni dans ce siĂšcle ni dans le siĂšcle futur »,  si dans le futur rien n’est remis. Comme parlerait pour ne rien dire celui qui dirait que le roi d’Espagne ne t’absoudra pas, ni dans un palais d’Espagne, ni dans un palais de France.  Il  ne parlerait pas pour rien s’il disait : ni dans une salle d’Espagne, ni dans une salle du Brabant.  VoilĂ  pourquoi quand le Seigneur a dit (en Jean 19), « mon royaume n’est pas de ce monde », Pilate en a dĂ©duit  qu’il Ă©tait roi : « tu es donc roi ? »  Le Christ n’a pas rĂ©pondu qu’une affirmation ne dĂ©coulait pas logiquement d’une nĂ©gation, mais il approuva : « tu le dis, je suis roi. »  Ne vaut pas non plus la comparaison tirĂ©e d’Ochinus, car le Christ ne pouvait pas dire : ni en ce siĂšcle, ni en enfer, Ă  moins qu’il ait voulu dire des inepties, car le siĂšcle est un temps, et l’enfer un lieu. Ils ne s’opposent donc pas comme le prĂ©sent et le futur. Et aussi, parce qu’il est Ă©vident pour tous que, dans l’enfer, il n’y a aucune rĂ©mission de pĂ©chĂ©s.

HuitiĂšmement, ils nous objectent encore ceci. Ni dans ce siĂšcle, ni dans le futur, c’est une expression qui signifie jamais ou Ă©ternellement, comme l’indique Marc (chapitre 3) : il n’aura pas de rĂ©mission Ă©ternellement. Et comme Pierre dit Ă  JĂ©sus : « Tu ne me laveras pas les pieds pendant toute l’éternitĂ©. »  Je rĂ©ponds qu’on ne doit pas entendre Matthieu par Marc, mais plutĂŽt Marc par Matthieu, car il se sert de plusieurs mots.  Il est Ă©vident que Matthieu a dĂ©veloppĂ© davantage son rĂ©cit, et que Marc a fait comme un rĂ©sumĂ© de l’évangile de saint Matthieu.  Marc ne donne pas, non plus,  au mot : Ă©ternellement, le mĂȘme sens que lui donne Pierre.  Car Pierre aurait Ă©tĂ© stupide de dire : tu ne me laveras pas les pieds  ni dans ce monde ni dans le monde futur, puisque, dans le futur, on ne lave pas les pieds.  JĂ©sus n’a pas dit une sottise non plus (ne seront remis ni dans ce siĂšcle ni dans le futur).  Pierre, lui, a employĂ© le mot Ă©ternel pour indiquer la seule durĂ©e de cette vie terrestre, Marc, pour toute la durĂ©e de ce siĂšcle et du futur.

Du reste, ou le Christ a dit comme le rend Matthieu, ou comme le rend Marc,  ou d’une autre façon,  Mathieu, sous la conduite du Saint Esprit a  reproduit les paroles du Christ,  et comme il l’a fait sans dire des sottises,  il a indiquĂ© que dans  l’autre siĂšcle, des pĂ©chĂ©s seront remis.

NeuviĂšmement.  Ils disent que c’est une tournure hĂ©braĂŻque. Je rĂ©ponds que cela est faux, et que l’hĂ©braĂŻsme est le mot de Pierre : Ă©ternellement.  Car les hĂ©breux disent souvent  Ă©ternellement pour les choses temporelles,  mais non : ni dans ce siĂšcle, ni dans le futur.   Ce n’est pas une phrase idiomatique.  Le mot de Marc n’est pas non plus un hĂ©braĂŻsme;  il est pris au sens propre.

                                                       CHAPITRE 5

Le deuxiĂšme texte (1 Corinthiens 3) oĂč l’apĂŽtre dit : « Il sera sauvĂ©, mais comme Ă  travers le feu. »  Notons d’abord que ce passage de l’apĂŽtre est un des plus difficiles et des plus utiles de toute l’Écriture.  Il permet aux catholiques de soutenir deux dogmes ecclĂ©siastiques, le purgatoire et les pĂ©chĂ©s vĂ©niels, contre les hĂ©rĂ©tiques et les fauteurs d’hĂ©rĂ©sies , dont le premier fut Érasme, qui, dans une annotation Ă  ce passage, s’est efforcĂ© de montrer qu’avec ce texte, on  ne peut prouver l’existence  ni du purgatoire  ni des pĂ©chĂ©s vĂ©niels.  Que ce texte soit trĂšs difficile, saint Augustin (chapitre 15 du livre de la foi et des Ɠuvres)  l’avoue : « Il faut rĂ©flĂ©chir attentivement  pour comprendre quel sens donner Ă  cette phrase difficile de saint Paul : « si quelqu’un surĂ©difie sur ce fondement, de l’or, de l’argent  »  Et plus bas : «Il faut ranger ces paroles parmi  celles que saint Pierre dĂ©clare difficiles Ă  comprendre, et que les hommes ne doivent pas pervertir pour leur propre perte. »  Et, au chapitre 16 : « J’avoue que je prĂ©fĂšre ĂȘtre Ă©coutĂ© par des auditeurs  plus intelligents et plus savants que par la moyenne des gens »  Il rĂ©pĂšte la mĂȘme chose Ă  Dulcitius.

Afin d’expliquer ce texte convenablement, parlons d’abord de la mĂ©taphore dont se sert l’apĂŽtre.  Ensuite, exposons et solutionnons les  difficultĂ©s  qui s’y prĂ©sentent.  Voici donc quelles sont les paroles de l’apĂŽtre : « Selon la grĂące de Dieu qui m’a Ă©tĂ© donnĂ©e, comme un sage architecte j’ai posĂ© le fondement.  Un autre a construit par-dessus.  Chacun aura Ă  rĂ©pondre de la façon dont il construit.   Car, personne ne peut poser  un autre fondement  que celui qui a Ă©tĂ© posĂ©, JĂ©sus Christ.  Si quelqu’un donc surĂ©difie sur ce fondement, de l’or, de l’argent, des pierres, prĂ©cieuses, du bois, du foin, de la paille, l’Ɠuvre de chacun le manifestera.  Le jour du Seigneur, en effet, le dĂ©clarera, car c’est dans le feu que cela sera rĂ©vĂ©lĂ©, et le feu Ă©prouvera l’Ɠuvre de chacun, et montrera ce qu’elle est.  Si celui dont l’Ɠuvre brĂ»le souffre quelque dommage,  il sera sauvĂ© quand mĂȘme, mais comme par le feu. »

Dans ce texte, l’apĂŽtre fait la comparaison entre deux architectes,  dont l’un, sur un fondement pierreux solide, construit une maison avec des matĂ©riaux prĂ©cieux qui ne craignent pas le feu, comme l’or, l’argent, les pierres prĂ©cieuses comme le jaspe, le diamant, et  la pierre.  Car, de l’or et de l’argent, on fait des feuillets de mĂ©tal  et des colonnes, comme nous le lisons du temple de Salomon.   Avec de la pierre et du porphyre, on peut Ă©riger des murs complets.  Un autre architecte, sur le mĂȘme fondement (pierreux et solide), Ă©rige une maison Ă  la façon des pauvres gens,  avec des solives et des perches, et la recouvre avec du chaume et de la paille.

Ayant en tĂȘte cette comparaison, imaginons que l’une et l’autre fassent l’expĂ©rience du feu. Nous constatons que la premiĂšre ne subira pas grand dommage, ni son architecte, s’il se trouve Ă  l’intĂ©rieur. Mais la deuxiĂšme prend feu instantanĂ©ment, et sera consumĂ©e au complet en peu de temps. Et si l’architecte est Ă  l’intĂ©rieur et veut sortir, il ne le pourra qu’à travers le feu. Il ne mourra pas dans sa traversĂ©e, mais sa barbe et ses cheveux n’en sortiront pas indemnes, Ă  moins que ne se reproduise le  miracle des trois enfants de Babylone. VoilĂ  la comparaison dont se sert saint Paul, quand il dit : il se sauvera, mais comme Ă  travers le feu.

Quant Ă  la deuxiĂšme, cinq difficultĂ©s se prĂ©sentent.  La premiĂšre.  Que faut-il entendre par les constructeurs ?  La deuxiĂšme.  Que faut-il entendre par or, argent, pierres prĂ©cieuses, bois, foin et chaume ?  La troisiĂšme.   Que faut-il entendre par jour du Seigneur ?  La quatriĂšme : que faut-il entendre par le feu qui, au jour du Seigneur, Ă©prouvera l’Ɠuvre de chacun?   La cinquiĂšme.  Que faut-il entendre par le feu dont on dit :  il sera sauvĂ©, mais comme  Ă  travers le feu ?  Quand on aura donnĂ© une rĂ©ponse Ă  ces questions,  le sens deviendra plus facilement comprĂ©hensible.

La premiĂšre difficulté : quels sont les architectes qui construisent dessus ?  Saint Augustin (chapitre 16 de son livre sur la foi et les Ɠuvres,  et dans l’enchridion  chapitre  68, et ailleurs)  estime que ce sont tous les chrĂ©tiens qui sont appelĂ©s architectes par l’apĂŽtre, et que tous construisent, sur  le fondement de la foi,  des Ɠuvres bonnes ou mauvaises.  Il me semble que c’est aussi ce qu’enseignent saint Jean Chrysostome, Theodoret,  Theophylacte et Oecumenius, dans leurs commentaires de ce texte.

D’autres, en grand nombre, enseignent  que l’apĂŽtre n’entend par architectes que les docteurs et les prĂ©dicateurs de l’évangile, comme saint Ambroise et Sedulius dans leurs commentaires de ce texte.  C’est ce que laisse entendre saint JĂ©rĂŽme (livre 2 contre Jovinien). C’est ainsi, aussi, qu’interprĂštent ce passage saint Anselme et saint Thomas, mĂȘme s’ils ne rejettent pas la premiĂšre interprĂ©tation.  Pensent ainsi un grand nombre de docteurs rĂ©cents, comme de Denys le Chartreux,  Lyre et Cajetan.  L’une ou l’autre explication est bonne, et l’une et l’autre servent Ă  affirmer le purgatoire et les pĂ©chĂ©s vĂ©niels.

Mais la derniĂšre est plus littĂ©rale, comme on le voit par les paroles qui prĂ©cĂšdent et qui suivent.  Car, il avait dit avant : « J’ai plantĂ©, Apollon a arrosĂ©. »  Et il ajoute tout de suite aprĂšs dans la mĂȘme veine : « Moi, comme un sage architecte, j’ai posĂ© le fondement; un autre a construit par-dessus. »  Et, au mĂȘme endroit : « Celui qui plante et celui qui irrigue sont une seule et mĂȘme chose. Et chacun recevra sa propre rĂ©compense selon son travail.  Car nous sommes les auxiliaires de Dieu, vous ĂȘtes l’agriculture de Dieu, vous ĂȘtes la maison de Dieu. »

Il se compare lĂ  clairement, lui et les autres prĂ©dicateurs de l’évangile, Ă   un agriculteur et Ă  un architecte.  Dans les versets suivants, il parle aussi des docteurs quand il dit : « Si quelqu’un parmi vous, semble sage,  qu’il devienne fou pour ĂȘtre sage. » Et ensuite : « Que personne, donc, ne se glorifie dans les hommes, car tout est Ă  vous, que ce soit Paul, Apollon ou CĂ©phas. »  Ce qui veut dire : ne vous glorifiez pas dans vos docteurs et dans vos prĂ©dicateurs, et ne dites pas : moi je suis un disciple de Paul, moi d’apollon. »  Car, tous sont une seule et mĂȘme chose,  et tous travaillent pour vous. Donc, comme il avait dit : j’ai plantĂ©, Apollon a arrosĂ©, il dit maintenant : j’ai posĂ© le fondement en prĂȘchant, d’autres ont construit lĂ -dessus en enseignant les choses qui se rapportent Ă  la vie et aux mƓurs, et en expliquant plus au long les mystĂšres de notre foi. Sur cette premiĂšre question sont du mĂȘme avis que nous Calvin,  Pierre martyr et Ochinus.

”L’autre difficultĂ© est un peu plus sĂ©rieuse. Car, il y a six explications diffĂ©rentes.  Quelques-uns entendent par fondement la fraie foi, mais informe. Ils voient des bonnes Ɠuvres dans les mots or, argent pierres prĂ©cieuses.  Par les mots bois, foin et paille, ils entendent les pĂ©chĂ©s mortels.  C’est ainsi qu’interprĂšte saint Jean Chrysostome, que suit Theohylactus.  Mais ce sens ne peut pas ĂȘtre soutenu.   D’abord, comme le dit saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39 des dialogues),  ce sont plutĂŽt les pĂ©chĂ©s mortels qui doivent ĂȘtre comparĂ©s au fer et au plomb.  Ensuite, parce qu’il s’ensuivrait que serait vraie l’hĂ©rĂ©sie d’OrigĂšne qui enseigne que tous sont sauvĂ©s.  Parce que l’apĂŽtre dit : il sera sauvĂ© comme Ă  travers le feu.

Les Grecs rĂ©pondent.  Il sera sauvĂ©, c’est-Ă -dire  qu’il ne sera jamais consumĂ© totalement.  Comme par le feu, car il brĂ»lera toujours.  Cette rĂ©ponse est forcĂ©e et comme tirĂ©e par les cheveux.  Elle est surtout contraire Ă  la façon constante de parler de l’Écriture.  Car, dans l’Écriture, le mot salut n’est jamais pris en mauvaise part, mais toujours en bonne part.  Comme les latins l’ont montrĂ© dans le concile de Florence, avant la premiĂšre session.   De plus, le mot « par » (ou Ă  travers) ne signifie pas une demeure mais un passage.  L’apĂŽtre n’a pas dit : il sera sauvĂ©, mais comme dans le feu, mais il sera sauvĂ© comme par ou Ă  travers le feu. C’est-Ă -dire, d’aprĂšs cette  image, sera sauvĂ©  celui qui Ă©chappe Ă  la mort en passant par le feu.

Ensuite, du consentement unanime des docteurs.  Car, c’est Ă  l’unanimitĂ© que tous les Grecs et tous les Latins voient lĂ  des pĂ©chĂ©s vĂ©niels. Nous prĂ©senterons leurs avis dans la cinquiĂšme difficultĂ©.  Que personne ne pense que saint Jean Chrysostome ait niĂ© le purgatoire ou les pĂ©chĂ©s vĂ©niels. Car, il enseigne souvent l’existence du purgatoire (surtout dans l’homĂ©lie  3  sur l’épitre aux Philippiens, et dans son homĂ©lie 69 au peuple d’Antioche).   Dans l’homĂ©lie 24 sur Matthieu, il admet les pĂ©chĂ©s vĂ©niels, mĂȘme s’il l’explique autrement pour rĂ©futer l’hĂ©rĂ©sie d’OrigĂšne qui enseignait que les peines de l’enfer n’étaient pas Ă©ternelles, comme il appert de cette homĂ©lie.

La deuxiĂšme.  Par le nom de fondement, on entend le Christ ou la prĂ©dication de la foi.  Par les mots argent, or, pierres prĂ©cieuses, on entend les explications catholiques.  Par les mots bois, foin et paille, on entend les dogmes hĂ©rĂ©tiques.  C’est ce que semble enseigner saint  Ambroise, et mĂȘme saint JĂ©rĂŽme (dans son commentaire d’IsaĂŻe 5) : « Malheur Ă  vous qui unissez une maison Ă  une maison. »  Et c’est aussi ce que pensent Calvin, Pierre martyr et Ochinus.  Ils enseignent, en effet, que par bois, foin et paille on entend les traditions humaines et les commentaires  qui militent contre la parole de Dieu.   Cette opinion est moins dĂ©fendable que la prĂ©cĂ©dente.  D’abord, parce que les hĂ©rĂ©tiques ne sont pas sauvĂ©s par le feu du purgatoire, mais sont damnĂ©s dans le feu Ă©ternel.   Ensuite.  Parce que les hĂ©rĂ©tiques ne construisent pas sur le fondement, qui est le Christ, si ce n’est en paroles.   Car, n’importe laquelle hĂ©rĂ©sie parle magnifiquement du Christ,  mais elle ne prĂȘche pas le vrai Christ, mais un autre qui est le produit de l’imagination.

Cette opinion que nous rĂ©futons n’est ni de saint Ambroise, ni de saint JĂ©rĂŽme.  Car, saint Ambroise entend par bois, foin et paille les hĂ©rĂ©sies et les faux dogmes, mais formulĂ©s imprudemment, et soutenus  sans opiniĂątretĂ©.  Car, il dit que ces docteurs seront sauvĂ©s par le feu du purgatoire.  Saint JĂ©rĂŽme, lui, parle ouvertement des hĂ©rĂ©tiques, mais selon l’opinion des autres, non  selon la sienne, car il ajoute aprĂšs avoir exposĂ© cette opinion : « Certains l’entendent des hĂ©rĂ©tiques. »

La troisiĂšme.  Par le mot fondement, on entend la foi vive. Par les morts d’or, d’argent et de pierres prĂ©cieuses, on entend les Ɠuvres de surĂ©rogation.  Par les mots de bois, de foin et de paille, on entend le rejet des conseils et un attachement charnel aux biens de ce monde licite, mais qui apporte de la douleur lors de la perte des biens.  C’est ce qu’enseigne saint Augustin (au chapitre 36 de son livre sur la foi et les mƓurs.)  Cette opinion est vraie en elle-mĂȘme, mais elle ne convient guĂšre Ă  ce texte, Ă  moins qu’on entende par attachement charnel des pĂ©chĂ©s vĂ©niels.  Cet attachement charnel est bon ou mauvais.  S’il est bon, pourquoi brĂ»lerait-il comme de la paille ?  S’il est mauvais, il a au moins en lui un pĂ©chĂ© vĂ©niel.

La quatriĂšme est ce ceux qui voient dans l’or, l’argent et les pierres prĂ©cieuses des Ɠuvres bonnes, et dans le foin et la paille des pĂ©chĂ©s vĂ©niels, comme saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39 des dialogues. » et d’autres. C’est une bonne opinion, mais l’autre est meilleure.

La cinquiĂšme est de ceux qui entendent par or, argent et pierres prĂ©cieuses, de bons auditeurs,  et par foi et paille de mauvais auditeurs.  Car les auditeurs sont l’oeuvre du docteur, et le docteur sera sauvĂ©.  Mais parmi les auditeurs, quelques-uns seront sauvĂ©s, d’autres ne le seront pas.  C’est ce qu’enseignent Theodoret et Oecumenius.  Mais saint Jean CHrystome les a rĂ©futĂ©s, car cette explication blĂąme l’architecte lui-mĂȘme, car c’est lui qui est dit construire sur le foin.  Ce n’est donc pas seulement la faute et la peine des auditeurs.

La sixiĂšme, celle qu’on doit placer avant toutes les autres.  Par le nom de fondement, on entend le Christ annoncĂ© par les premiers prĂ©dicateurs, comme l’étaient les  apĂŽtres, ceux qui apportĂšrent l’évangile et la foi du Christ aux peuples qui n’en avaient jamais entendu parler.  C’est bien ce que dit saint Paul : j’ai plantĂ©, et comme un sage architecte, j’ai posĂ© le fondement.  En effet, ceux qui ont Ă©tĂ© les premiers Ă  prĂȘcher la foi dans une rĂ©gion sont appelĂ©s apĂŽtres.  Par les mots or, argent et pierres prĂ©cieuses, nous entendons la doctrine utile et salutaire des autres prĂ©dicateurs, qui enseignĂšrent Ă  ceux qui avaient dĂ©jĂ  reçu la foi; qui leur ont enseignĂ© non seulement par la parole, mais par l’exemple, de façon Ă  faire croitre leurs auditeurs, et les faire grandir dans la religion et la piĂ©tĂ©. Par les mots de bois, de foin et de paille, on entend une doctrine qui n’est ni mauvaise, ni hĂ©rĂ©tique mais l’enseignement curieux, inutile et superflu des prĂ©dicateurs qui prĂȘchent au peuple catholique, mais sans fruit et sans utilitĂ©.  Comme les premiers prĂȘchaient avec un grand mĂ©rite, ces autres prĂȘchaient non seulement sans mĂ©rite, mais non sans pĂ©chĂ©s vĂ©niels.

Cette explication a mon approbation pour trois raisons.   La premiĂšre.   Parce que, ayant montrĂ© que les constructeurs sont les seuls docteurs, on voit la doctrine comme leur Ɠuvre.  La deuxiĂšme.   Car cette explication se rapproche de beaucoup de celle des docteurs corinthiens.  Car, ils Ă©taient,  plus qu’il  n’est Ă©quitable,  adonnĂ©s Ă  l’éloquence et Ă  la philosophie.  MĂȘme s’ils en recevaient du secours, ils n’en perdaient pas moins le fruit de leurs prĂ©dications.  Saint Paul leur reproche l’une et l’autre. La troisiĂšme.   Il est facile d’expliquer ce texte si on tient compte que saint Paul  a eu recours Ă  trois images.   La premiĂšre, celle des agriculteurs qui plantent et arrosent, par laquelle il ne vise que les bons docteurs.  La seconde.  Celle des constructeurs sur un bon fondement, qui comprend non seulement de bons docteurs, mais aussi des mauvais.  La troisiĂšme, celle des corrupteurs du temple, qui ne peut convenir qu’aux mauvais, Ă  ceux qui sont parfaits dans le mal, comme les hĂ©rĂ©siarques qui prĂ©sentent des erreurs pour des vĂ©ritĂ©s, et qui enseignent des vices pour des vertus.  On ne dit pas de ceux-lĂ  qu’ils seront sauvĂ©s comme Ă  travers le feu, mais que Dieu lesdispersera.

La troisiĂšme difficultĂ© porte sur le jour du Seigneur.  Quelques-uns entendent par le mot jour la vie prĂ©sente, ou un temps de tribulation, pendant lequel sont sĂ©parĂ©s les bons des mauvais, comme l’expliquent saint Augustin (au chapitre 16 de son livre sur la foi et les Ɠuvres), et saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39 des dialogues. »  Cette interprĂ©tation ne semble pas correspondre Ă  la pensĂ©e de Paul.  D’abord, parce que, en grec, le mot jour est employĂ© avec l’article (Ăš  Ăšmera), ce qui exprime un jour particulier et dĂ©fini, comme quand saint Paul dit (1 TimothĂ©e 4) : « Que le Seigneur me rendra en ce jour-lĂ . »  Et (1 TimothĂ©e 2) : « Je suis certain qu’il a la puissance voulue pour conserver mon dĂ©pĂŽt en ce jour. »  DeuxiĂšmement, parce que, dans l’Écriture,  le temps prĂ©sent n’est pas appelĂ© jour du Seigneur, mais notre jour;  comme, Ă  l’inverse, c’est le temps de l’autre vie qui est dit jour du Seigneur, et non le nĂŽtre.  Luc 19 : « Et dans ce jour qui est le tien, les choses qui te donnent la paix. »  Luc 22 : « C’est votre heure. » Galates V1 : « Tant que nous en avons le temps, faisons le bien. »  Psaume 74 : « Quand  j’en prendrai le temps, je  jugerai les justices. »  Sophonie 1 : «Proche est le grand jour du Seigneur. »  JoĂ«l : « Il viendra la jour du Seigneur,  jour de tĂ©nĂšbres et de noirceur. »

TroisiĂšmement. Ce n’est pas pendant le temps de la vie prĂ©sente, que la valeur de  l’oeuvre de chacun  sera dĂ©clarĂ©e. Car les tribulations sont communes aux bons et aux mĂ©chants,  aux justes et aux injustes. QuatriĂšmement.  Parce que tous les docteurs voient dans ce jour le jour du Seigneur.  Car, mĂȘme si Augustin  et saint GrĂ©goire ont enseignĂ© que ce jour peut se rapporter Ă  la vie prĂ©sente,  ils enseignent, au mĂȘme endroit qu’on peut l’entendre aussi du temps futur aprĂšs la vie de cette terre.  Car, comme le jour du jugement est double, le jour du jugement particulier, et le jour du jugement gĂ©nĂ©ral, certains, comme Cajetan, veulent qu’on parle ici du jugement particulier.  PremiĂšrement, parce que, aprĂšs ce jour dont parle l’apĂŽtre, quelques-uns seront purgĂ©s par le feu, ce qui ne peut pas se faire aprĂšs le jour du jugement dernier. Tous ceux qui Ă©migrent avec des pĂ©chĂ©s vĂ©niels doivent attendre ce jour avant d’entrer dans le ciel.  TroisiĂšmement, parce que le texte grec n’a pas :  sera rĂ©vĂ©lĂ©, mais est rĂ©vĂ©lĂ©.  Le jour du jugement dernier n’est pas rĂ©vĂ©lĂ©, c’est donc du jugement particulier que l’on parle qui, Ă  tous les jours, tantĂŽt Ă  l’un, tantĂŽt Ă  l’autre est rĂ©vĂ©lĂ©.  Cependant, tous les anciens ont quand mĂȘme vu dans ce jour le jour du jugement dernier, comme Theodoret, Theophylacte, Anselme et les autres. C’est cette opinion qui me semble  la plus vraie, bien qu’aucune ne rĂ©pugne au purgatoire.

D’abord, parce que, dans l’Écriture le jour du Seigneur signifie partout le jour du jugement dernier.  DeuxiĂšmement.   Car, en disant en ce jour-lĂ , on dĂ©signe un jour particulier pendant lequel les Ɠuvres de tous les hommes seront Ă©prouvĂ©es.  Or, le jour du jugement particulier n’est pas unique, mais multiple;  et ce n’est pas pendant ce jour que sont jugĂ©es les Ɠuvres de tous les hommes.  TroisiĂšmement, parce que l’apĂŽtre a dit : « Le jour du Seigneur dĂ©clarera ».  C’est comme s’il disait : tout sera manifeste Ă  tous, comme il le dit au chapitre suivant : « Jusqu’à ce  que vienne le Seigneur  qui illuminera les choses cachĂ©es dans les tĂ©nĂšbres, et manifestera les intentions des cƓurs. »   Or, cela ne se fera qu’au dernier jugement.  QuatriĂšmement.   Parce qu’il ajoute tout de suite aprĂšs : « Parce qu’il sera rĂ©vĂ©lĂ© dans le feu. »  Il dit que le jour du jugement rĂ©vĂšlera dans le feu, parce que le dernier signe, et de tous les plus connus, sera la conflagration du monde.  Et c’est pour cette raison que le jour du jugement est toujours associĂ© au feu, comme dans le psaume 96 : « Le feu marchera devant lui. » JoĂ«l 2 : « Devant sa face, un feu vorace. »  2 Thessaloniciens 1 : « Dans la rĂ©vĂ©lation de notre Seigneur JĂ©sus-Christ du haut du ciel, avec les anges de sa force, dans une flamme de feu. » 2 Pierre : « Les Ă©lĂ©ments se liquĂ©fient  par l’ardeur du feu. »   S’il ne nous plait pas de voir, dans ce feu, du feu matĂ©riel,  mais le jugement, comme l’expliquent certains, on ne peut quand mĂȘme pas entendre, par ce jour, autre chose que le jour du jugement dernier.  Car, alors le sens est : parce qu’il est rĂ©vĂ©lĂ© dans le feu, c’est-Ă -dire parce que ce jour ne sera pas  trĂšs connu Ă  cause  du jugement, mais Ă  cause de la mort.  Car, le jugement particulier est connu Ă  peu de monde.  Et ne m’ébranlent pas les arguments contraires.

Au premier je dis que le jugement dernier ne sera pas purgatif.  Et voilĂ  pourquoi ces paroles : «  il sera sauvĂ©, mais comme Ă  travers le feu » ne signifient pas : il sera sauvĂ© pourvu qu’il passe d’abord Ă  travers le feu, mais : il sera sauvĂ© pourvu qu’il ait d’abord passĂ© Ă  travers le feu.  Ou : il sera sauvĂ© comme ceux qui passent Ă  travers le feu.   Au second, je rĂ©ponds : si cette conclusion valait quelque chose, il s’ensuivrait que, mĂȘme s’il n’y avait pas de purgatoire, personne ne serait bĂ©atifiĂ©, personne ne serait condamnĂ©.  Car l’Écriture attribue souvent au dernier jugement  la distribution des rĂ©compenses et des peines, et mĂȘme l’examen des Ɠuvres et la sentence du juge.(Matth 25, et ailleurs).  Donc, comme la sentence est portĂ©e Ă  la mort de chacun, et que c’est Ă  ce moment, que commence la punition et la rĂ©compense, et comme, cependant, on nous dit que la mĂȘme chose se fera au jugement dernier, devant le monde entier en toute visibilitĂ©, pour le plus grand honneur des justes et la plus grande honte des impies, le mĂȘme examen peut se faire privĂ©ment Ă  la  mort de chacun, et publiquement Ă  la fin du monde.   Au troisiĂšme, je dis que, pour un mot que nous avons au prĂ©sent en grec, nous en avons trois au futur. Et il est probable que c’est le traducteur qui a fait ce passage du prĂ©sent au futur.  Ajoutons que, trĂšs souvent, le temps prĂ©sent n’est pas employĂ© pour exprimer l’action d’un certain temps, mais la coutume, l’opinion, la profession, ou quelque chose de semblable, comme, par exemple : « Je ne connais point d’homme. » ( Luc 1).  Et les SadducĂ©ens disaient : « les morts ne ressuscitent pas. »  Et les Chartreux disent : « Nous ne mangeons pas de viande. »      Sur ce point, nous diffĂ©rons avec Calvin et Pierre le martyr, car ils voient dans ce texte de saint Paul le jugement particulier.   Mais cela n’a rien Ă  voir avec la question du purgatoire.

La quatriĂšme difficultĂ©.  Quel est le feu qui, au jour du jugement, testera l’Ɠuvre de chacun ?  Quelques-uns l’entendent  au sens des tribulations de la vie, comme saint Augustin et saint GrĂ©goire, dans les lieux citĂ©s. Mais cela, nous l’avons dĂ©jĂ  rejetĂ©.  D’autres l’entendent au sens du feu Ă©ternel.  Mais, pour dire le vrai, il ne peut pas en ĂȘtre ainsi, car ce feu n’examinera pas la maison construite avec de l’or et de l’argent, ni mĂȘme la maison construite avec du bois et du foin.  Pour d’autres, ce feu signifie la conflagration du monde qui prĂ©cĂšdera le jugement universel.   Mais, cela, non plus, ne se peut pas, car ce feu ne brulera  que les ennemis de Dieu.  Psaume 96 : « Le feu le prĂ©cĂšdera et encerclera de sa flamme ses ennemis. »  Or, le feu dont l’apĂŽtre parle, touche tout le monde, mĂȘme ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent.  De plus, ce feu ne pourra pas Ă©prouver les Ɠuvres, puisqu’il est un feu matĂ©riel, et les Ɠuvres n’existent plus que dans l’esprit, parce qu’elles sont disparues.   D’autres y voient les peines du purgatoire.  Mais mĂȘme cela n’est pas tout Ă  fait juste.  D’abord parce que le feu du purgatoire ne peut pas Ă©prouver les Ɠuvres de ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent. Or, ce feu, dont nous parlons,  Ă©prouvera les Ɠuvres de chacun.  En second lieu, l’apĂŽtre fait clairement la distinction entre les Ɠuvres et leurs auteurs; et il dit de ce feu qu’ilbrĂ»lera les Ɠuvres, non leurs auteurs.  Car, il dit : « Si son Ɠuvre demeure
 si son Ɠuvre estbrĂ»lĂ©e. »  Mais le feu du purgatoire qui est un feu vrai et rĂ©el, ne peut pasbrĂ»ler des Ɠuvres, qui sont des actions transitoires, et qui sont dĂ©jĂ  disparues.

Il s’ensuivrait, de plus, que tous les hommes, mĂȘme les plus saints, passeraient Ă  travers le feu du purgatoire, et seraient sauvĂ©s par le feu, ce qui est faux.  Car l’apĂŽtre prĂ©cise ici que seuls ceux qui auront construit avec du bois et du foin seront sauvĂ©s comme Ă  travers le feu.  Or, l’Église, depuis toujours, a toujours compris que les saints martyrs et les enfants Ă©taient reçus dans le ciel, sans passage dans le feu, comme le concile de Florence l’enseigne, Ă  la session ultime.  Les saints pĂšres enseignent aussi la mĂȘme chose.   Comme saint JĂ©rĂŽme (livre 2, contre Jovinien),  et saint Augustin (psaume 37). « S’ils avaient construit, dit-il, avec de l’or, de l’argent et des pierres prĂ©cieuses,  ils n’auraient Ă  craindre aucun des deux feux, non seulement du feu Ă©ternel, qui chĂątie Ă©ternellement les impies, mais mĂȘme de cet autre qui purifiera ceux qui seront sauvĂ©s par le feu.

Il ne nous reste donc plus qu’à dire que l’apĂŽtre parle ici du feu sĂ©vĂšre et juste du jugement dernier, qui n’est pas un feu qui purge ou qui afflige, mais qui Ă©prouve et examine.  C’est ainsi que l’explique saint Ambroise (psaume 118, sermon sur cette parole : vois mon humilitĂ©) « La fournaise nous Ă©prouvera tous.  Donc, puisque nous devons ĂȘtre soumis Ă  un examen, agissons de façon Ă  mĂ©riter d’ĂȘtre approuvĂ©s par le jugement divin. Tant que nous demeurons ici, tenons-nous en Ă  l’humilitĂ©, pour que, quand chacun de nous viendra  au jugement de Dieu, il dise Ă  ces feux que nous devrons traverser : vois mon humilitĂ©. »

Et Sedulius sur ce passage : « L’examen du juge j’ai voulu le comparer Ă  un feu, comme l’Écriture a coutume de le faire. »  C’est de la mĂȘme maniĂšre que l’expliquent  Denys le chartreux, Lyre, Cajetan, et d’autres.  Que cette interprĂ©tation soit tout ce qu’il y a de plus vrai, on le prouve d’abord en remarquant qu’on ne peut pas expliquer autrement comment le feu peut Ă©prouver  ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent.  Ensuite, parce que cette explication convient parfaitement aux paroles de l’ApĂŽtre :  le feu Ă©prouvera l’Ɠuvre de chacun pour savoir ce qu’elle est.  Si son Ɠuvre demeure, il recevra une rĂ©compense.  Si son Ɠuvre est consumĂ©e par le feu, il en subira des dommages. »  Car, bien que les Ɠuvres soient disparues des yeux des hommes, et  qu’elles ne peuvent pas ĂȘtre examinĂ©es par un feu matĂ©riel,  elles sont toujours prĂ©sentes aux yeux de Dieu.  Comme  le dit l’EcclĂ©sias, Ă  la fin : « Toutes les choses qui ont existĂ© Dieu les amĂšnera devant son tribunal », et les examinera.  Et si une Ɠuvre demeure, c’est-Ă -dire  si elle a pu supporter le jugement de Dieu, comme l’or supporte le feu, elle recevra une rĂ©compense,  elle sera approuvĂ©e et couronnĂ©e par Dieu.  Si cette Ɠuvre tombe en cendres, c’est-Ă -dire si cette Ɠuvre ne peut pas supporter le jugement de Dieu, comme le foin et la paille ne supportent pas le feu, elle subira des dommages, car elle sera rĂ©prouvĂ©e et rejetĂ©e.

TroisiĂšmement.  Parce que c’est Ă  bon droit qu’on appelle feu  le jugement de Dieu, parce qu’il est trĂšs pur, trĂšs rapide, trĂšs efficace, et trĂšs pĂ©nĂ©trant.  VoilĂ  pourquoi  il est dit en Daniel 7 : « Un fleuve de feu    sortira de sa boche. »  Et comme Dieu est tout entier justice et jugement, c’est pour cela que dans les Écritures il est appelĂ© feu.  Malachie 3 : « Lui, comme un brasier ardent. »  Et HĂ©breux : « Car, notre Dieu est un feu consumant. »  Et en cela, nous ne diffĂ©rons pas de Calvin et de Pierre le martyr.

La cinquiĂšme et derniĂšre difficultĂ©.   Que faut-il entendre par feu, quand il dit : « il sera sauvĂ© comme Ă  travers le feu. » Quelques-uns y voient les tribulations de cette vie.  Mais cela ne convient vraiment pas,  car mĂȘme ceux qui ont construit avec de l’or et de l’argent seraient sauvĂ©s comme au travers du feu.  VoilĂ  pourquoi saint Augustin et saint GrĂ©goire, qui sont les auteurs de cette opinion, ne l’ont pas toujours approuvĂ©e, et ont mĂȘme donnĂ© une autre interprĂ©tation, dont nous parlerons plus bas.  D’autres y voient un feu Ă©ternel, comme saint Jean Chrysostome et Theophyactus, mais cette interprĂ©tation nous l’avons dĂ©jĂ  rĂ©futĂ©e.  D’autres y voient la conflagration du monde.  Mais on ne peut pas soutenir cette opinion Ă  cause des raisons dĂ©jĂ  donnĂ©es.  Et aussi parce qu’il s’ensuivrait que ceux qui ont des pĂ©chĂ©s vĂ©niels ne pourraient pas parvenir Ă  la bĂ©atitude Ă©ternelle avant le jour du jugement, car rien de souillĂ© n’entrera dans le ciel.

Calvin, Ochinus, Pierre le martyr et Luther (article 37) entendent par ce feu le jugement de Dieu qui approuve la vraie doctrine, rĂ©fute la fausse, comme le feu perfectionne l’or et consume le foin.  Ils disent que ce jugement se produit quand quelqu’un se convertit, et surtout Ă  l’heure de la mort.  Car alors, beaucoup sont Ă©clairĂ©s, et comprennent qu’ils se sont trompĂ©s, qu’ils ont fait un rejet de la vraie doctrine.  Ils sont confus et honteux,  et c’est ainsi qu’ils sont sauvĂ©s par le feu.  Le martyr ajoute qu’il ne doute pas que saint Bernard, saint François, saint Dominique et les autres pĂšres se soient sauvĂ©s de cette façon, parce que, au moment de la mort, ils ont Ă©tĂ© Ă©clairĂ©s par Dieu, et ont condamnĂ© leurs erreurs sur le monachisme et la messe etc.

Mais c’est le contraire qui est vrai, car ce jugement se fait Ă  la mort, quand l’homme est encore vivant, mais aussi aprĂšs la mort.  S’il peut se faire aussi aprĂšs la mort, il y a donc, aprĂšs la mort, une purgation et une rĂ©mission des pĂ©chĂ©s, au moins par la componction et la pĂ©nitence  qu’ils n’admettent, eux, en aucune façon.  Et cela, c’est une sorte de purgatoire.  Si le jugement ne se fait qu’à l’heure de la mort, je demande, comment se comporte-t-il envers ceux qui ont construit avec du bois, du foin et de la paille, et meurent subitement sans avoir eu le temps de faire  pĂ©nitence ? Ceux-lĂ  ne se sauveront pas comme Ă  travers le feu, eux qui n’ont pas eu ce feu du jugement, et la rĂ©futation de leurs erreurs.  Ils ne peuvent quand mĂȘme pas ĂȘtre damnĂ©s Ă  la gĂ©henne, parce qu’ils ont eu le Christ comme fondement.  Et c’est au sujet de tels dĂ©funts que saint Paul dĂ©clare qu’ils sont sauvĂ©s.  Ils ne peuvent ĂȘtre sauvĂ©s que s’ils sont admis au purgatoire, car Ă©tant tombĂ©s dans le pĂ©chĂ© avec le foin et la paille, ils ne peuvent ĂȘtre sauvĂ©s que par le feu.  DeuxiĂšmement.   Ce feu dont parle Paul infligera des peines vĂ©ritables et proportionnelles, et, en plus,  des sentiments de honte et de  confusion.  Donc, ce jugement qui rĂ©fute les erreurs n’est pas le feu dont il est ici question.

On prouve l’antĂ©cĂ©dent  d’abord, par cette phrase : il en subira des dommages.  En grec, il infligera des peines. Ce mot est frĂ©quemment employĂ©.  De la mĂȘme façon dans le il sera sauvĂ© comme Ă  travers le feu, le passage au travers du feu signifie une peine et une douleur. Car, celui qui passerait Ă  travers le feu sans avoir eu aucune brulure aurait plutĂŽt passĂ© dans un jardin semĂ© de roses, comme on le lit de saint Tiburce.  TroisiĂšmement.  L’apĂŽtre oppose ce passage Ă  travers le feu Ă  une rĂ©compense.   Car comme il avait dit : si son Ɠuvre demeure, il en recevra une rĂ©compense,  il dit maintenant : si son Ɠuvre est consumĂ©e par le feu, il sera sauvĂ© comme Ă  travers le feu.   Mais cette rĂ©compense signifie autre chose que la bonne Ɠuvre et la joie qu’apporte une bonne Ɠuvre.  Car, il ne dirait pas il recevra une rĂ©compense si la rĂ©compense n’était rien d’autre que celle qu’avait celui qui a construit avec de l’or.  Donc, pour celui qui a construit avec du foin,  le dommage et le passage au travers du feu sont une peine diffĂ©rente de la destruction de l’Ɠuvre et de la honte.

QuatriĂšmement.   Car ce jugement qui rĂ©fute les erreurs n’apporte pas du trouble, mais un profit.  Car c’est une illumination  de l’esprit, et comme disent certains, la connaissance de la vĂ©ritĂ©.  Celui qui a du laiton  qu’il aime comme de l’or ne sent pas lĂ©sĂ©  si quelqu’un le lui prend et lui donne du vrai or.  De la mĂȘme façon, celui qui a des erreurs dans son esprit et qui, par une illumination divine, apprend la vĂ©ritĂ©, ne souffre aucun dommage, mais reçoit un profit.  Or, Paul a dit qu’il subirait un dommage.  CinquiĂšmement.  Il s’ensuivrait que tous ceux qui sont sauvĂ©s le sont comme Ă  travers le feu, ce qui va contre la distinction faite par l’apĂŽtre.  Car mĂȘme si Paul ne parle que des pĂ©chĂ©s qu’on commet en enseignant, cela vaut aussi pour tous les autres pĂ©chĂ©s.  Car le mĂȘme Dieu qui jugera la doctrine jugera aussi toutes les Ɠuvres.

Selon Calvin et tous les luthĂ©riens, toutes nos Ɠuvres, mĂȘme si elles  paraissent trĂšs saintes aux yeux des hommes, ne sont toutes que des pĂ©chĂ©s aux yeux de Dieu.  Elles ne peuvent pas non plus supporter le jugement de Dieu,  mais sont rejetĂ©es comme la fausse doctrine.  Si donc le feu, dont parle saint Paul, est le jugement de Dieu, tous seront sauvĂ©s comme au travers du feu.

Ne vaut pas la rĂ©ponse suivante.  Les Ɠuvres des justes ne sont pas rejetĂ©es car elles sont couvertes par la non imputation.  Ce sont les Ɠuvres des impies qui n’ont pas Ă©tĂ© justifiĂ©es par la foi qui  seront rejetĂ©es.  Car, quand Paul a dit : il sera sauvĂ© comme au travers du feu,  il parle des justes qui, tout en retenant le vrai fondement, la vraie foi dans le Christ, ont construit avec de la paille.    Ce que le martyr dit des saints Bernard, François et Dominique est un impudent mensonge.   Car, jusqu’à leur dernier souffle,  ils recommandĂšrent aux leurs la persĂ©vĂ©rance dans le monastĂšre, et l’obĂ©issance Ă  l’église romaine.  Écoutons ce que  saint Bonaventure rapporte de la vie de François, chapitre 14 : « Quand approcha l’heure de son passage, il fit venir Ă  lui tous les frĂšres prĂ©sents dans  ce lieu, et les prĂ©parant Ă  sa mort par des paroles consolatrices. Il les exhorta, par affection paternelle, Ă   l’amour divin, et fit un long sermon  sur la patience et la pauvretĂ©,  et la foi dans la sainte Ă©glise romaine.  Et il ajoute ceci en plus : marchez, mes fils, dans la crainte de Dieu, et demeurez-y  toujours.  Et parce que la tentation et la tribulation futures approchent, heureux seront ceux qui persĂ©vĂšreront dans ce qu’ils ont commencĂ©.  Quant Ă  moi, je m’en vais vers Dieu, Ă  la grĂące du quel je vous recommanderai toujours ».  C’est donc une palinodie ce qu’a rĂȘvĂ© le  pseudo martyr.

C’est donc la position commune des thĂ©ologiens d’entendre, par le nom de feu, la peine temporaire  du purgatoire, oĂč sont adjugĂ©s, aprĂšs leur mort, ceux qui, au jugement particulier, ont Ă©tĂ© vus comme ayant construit  avec du foin, du foin ou  de la paille.   Cette interprĂ©tation convient parfaitement au texte, et est approuvĂ©e par la grande majoritĂ© des pĂšres.  Tous les latins enseignent cela.   Saint Cyprien (livre 4, Ă©pitre 2 Ă  Antonien) : « Autre est de  se maintenir dans le pardon, autre est de parvenir Ă  la gloire.   Autre est ne pas sortir d’une prison oĂč on a Ă©tĂ© envoyĂ©, jusqu’à ce qu’on rembourse le dernier centime; autre recevoir tout de suite  la rĂ©compense de la foi et de la vertu.  Autre ĂȘtre longtemps purifiĂ© de ses pĂ©chĂ©s par les  longues souffrances des tourments, et ĂȘtre longtemps purgĂ© par le feu, autre payer  tous ses pĂ©chĂ©s par sa passion. »

Saint Cyprien n’a pas directement en vue ce texte de saint Paul, mais comme, dans l’Écriture on ne fait jamais mention du feu que  lĂ  oĂč il est question ouvertement du purgatoire, il n’est pas douteux que saint Cyprien se rĂ©fĂšre Ă  ce texte.  Saint  Ambroise dit dans son commentaire de ce passage : « Mais quand l’apĂŽtre dit comme  Ă  travers le feu, il dit que quelqu’un sera sauvĂ©, mais qu’il devra supporter les peines du feu, pour qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© purgĂ© par le feu, il soit sauvĂ©, et qu’il ne soit pas, comme les perfides, torturĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ© dans le feu Ă©ternel. »  Il dit la mĂȘme chose dans le sermon 20, sur le psaume 118. Saint JĂ©rĂŽme (chapitre 4 d’Amos : commentant le verset : Vous avez comment  un tison a Ă©tĂ©  prĂ©servĂ© de l’incendie), dit : « D’aprĂšs ce que nous lisons dans l’ApĂŽtre, il sera sauvĂ© comme par le feu.  Celui qui serait sauvĂ© au travers du feu  sera comme un tison prĂ©servĂ© de l’incendie. »  Il enseigne la  mĂȘme chose dans les derniers mots du dernier livre sur IsaĂŻe, et au livre 2 contre Jovinien, passĂ© le milieu.

Saint Augustin  (psaume 37) : « Dans cette vie tu me purges, et tu me rends tel que je n’aurai plus besoin du feu purgeur. » Et plus bas, expliquant ce passage de l’apĂŽtre, il dit : « On dirait qu’il sera sauvĂ© comme par le feu.  Et parce qu’on dit qu’il sera sauvĂ©, on n’a que du mĂ©pris pour ce feu.   Et pourtant, ce feu  qui nous sauve ainsi est plus douloureux que n’importe lequel feu qu’on a Ă  supporter sur la terre ».   Saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 34 des dialogues) : « Bien qu’on puisse voir dans ce passage le feu des tribulations que nous avons Ă  subir pendant cette vie, cependant, si quelqu’un y voit le feu de la future purification, il faut prendre le temps d’une bonne rĂ©flexion parce que, par ce feu, est dit ĂȘtre sauvĂ© non celui quia construit sur le fer et l’airain, ou le plomb, qui sont des fautes graves, et donc plus coriaces, plus dures, plus indissolubles, mais le bois, le chaume et le foin, des pĂ©chĂ©s lĂ©gers que le feu consume facilement.  C’est ce qu’ont enseignĂ© Alcuin (livre 3 sur la TrinitĂ©), Rupert (chapitre 3 de la GenĂšse, expliquant un passage oĂč il est parlĂ© d’un glaive de feu), la MaĂźtre des sentences (4, dist 21), et avec lui saint Bonaventure, et tous les scolastiques.   De mĂȘme Anselme, Aymo, saint Thomas dans leurs commentaires sur ce  passage.  Ensuite Innocent 111,(psaume 37), et tous les auteurs latins plus rĂ©cents.

Chez les Grecs, nous avons d’abord OrigĂšne qui enseigne la chose trĂšs clairement (homĂ©lie 6 sur l’Exode, homĂ©lie 14 sur le LĂ©vitique, et homĂ©lie 12 sur saint JĂ©rĂ©mie.  Dans l’homĂ©lie 6 sur l’Exode, il dit ceci : « Mais cela aussi conviendra quand quelqu’une apportera plusieurs bonnes Ɠuvres  et un petit peu seulement d’iniquitĂ©.  Ce petit peu, comme du plomb, sera purgĂ© par le feu. »  Ensuite, Oecumenius atteste que saint Basile avait entendu ce texte au sens du purgatoire.  Il cite aussi saint Thomas dans son premier opuscule contre les Grecs, et Theodoret expliquant ce passage par les paroles suivantes : « Nous croyons dans ce feu purgeur, qui purgera les Ăąmes comme l’or dans le creuset. » Gagnejus cite en grec la mĂȘme phrase.

Mais, ils nous objectent qu’il est impossible que, dans la mĂȘme phrase, il ait employĂ©  ce mot  dans des sens diffĂ©rents, une fois pour le jugement, une autre pour le feu du purgatoire.  Nous rĂ©pondons que nous sommes forcĂ©s par le texte lui-mĂȘme de donner au mot feu non un  sens, mais deux .  Car, quand il dit que le jour du jugement est manifestĂ© par le feu, il semble bien parler du feu de la conflagration. Quand il ajoute que la valeur de chaque Ɠuvre sera Ă©prouvĂ©e par le feu, il ne peut pas parler d’un feu matĂ©riel, lequel ne peut pas Ă©prouver des Ɠuvres qui sont disparues.   De plus, l’apĂŽtre dit que toutes les Ɠuvres doivent ĂȘtre examinĂ©es par ce second feu.  TroisiĂšmement, non seulement les Ɠuvres, mais les auteurs des autres.  Non pas tous, mais seulement ceux qui ont construit avec du bois, du foin et du chanvre.  Il est donc nĂ©cessaire qu’il y ait des feux diffĂ©rents.  Ce n’est quand  mĂȘme pas proprement une Ă©quivoque, car on y voir une Ă©lĂ©gante allusion dans les paroles de l’apĂŽtre. Voici quel est le sens  de tout ce passage.  Le jour du Seigneur sera dĂ©clarĂ© par le feu de la conflagration.  Et comme ce jour sera dĂ©clarĂ© par le feu, le mĂȘme jour manifestera par le feu du jugement l’Ɠuvre de chacun.  Et comme les Ɠuvres seront manifestĂ©es par le feu, de la mĂȘme façon les ouvriers qui ont besoin de purgation seront purgĂ©s par ce feu.

En second lieu, je dis que ce n’est pas une chose inhabituelle pour Paul de varier le sens des mots dans une mĂȘme phrase.  Il entend le mot pĂ©chĂ© dans un sens diffĂ©rent quand il dit aux Corinthiens 2, 5 : « Celui qui ne connaissait pas le pĂ©chĂ© s’est fait pĂ©chĂ© pour nous. » Et, aux Romains : « Par le pĂ©chĂ© il a condamnĂ© le pĂ©chĂ©. »  Je dis, en troisiĂšme lieu que si quelqu’un ne veut pas admettre la diversitĂ© de sens d’un mĂȘme mot, mais entend partout le mot feu au sens de jugement,  cela ne lui donnerait pas la possibilitĂ© de rĂ©futer ce que nous avons tirĂ© de ce passage.  Car le sens serait le suivant : si son Ɠuvre est consumĂ©e par le feu, il en retirera des dommages, mais lui-mĂȘme sera sauvĂ©, mais comme par le feu, c’est-Ă -dire que si l’Ɠuvre de dieu ne pourra pas ĂȘtre approuvĂ©e par la justice de Dieu, cette Ɠuvre sera rĂ©prouvĂ©e, mais lui sera sauvĂ©, comme s’il avait passĂ© Ă  travers le feu du jugement divin, lequel est trĂšs jute,  et impose une peine Ă  chacun.

Ils nous objectent en particulier le mot quasi (comme), qui a coutume de signifier une similitude plutĂŽt qu’une vĂ©ritĂ©.  Je rĂ©ponds que le mot comme ne reprĂ©sente pas une image du feu, comme si ce feu n’était pas vrai mais fantastique, mais de celui qui passe Ă  travers le feu, de façon Ă  ce que le sens soit le suivant : il parviendra au salut celui qui a construit avec du foin, mais il y parviendra de la façon dont parvient quelqu’un passe au travers du feu, comme il est dit (Jean 1) : « Et nous avons vu sa gloire, une gloire semblable (comme)  Ă  celle du Fils unique du PĂšre. »  C’est-Ă -dire,  nous l’avons vu glorieux de la façon dont il convient  au Fils unique du PĂšre d’ĂȘtre glorieux. »

                           CHAPITRE 6

Le troisiĂšme texte. 1 Corinthiens 15 : «Que font-ils ceux qui sont baptisĂ©s pour les morts,  si les morts ne ressuscitent pas ?  Pourquoi sont-ils baptisĂ©s pour eux ? »  Si on le comprend bien, ce passage illustre parfaitement notre doctrine.  Expliquons-le donc briĂšvement.  Je trouve six explications diffĂ©rentes de ce texte.

La premiĂšre.  L’apĂŽtre prouve la rĂ©surrection future avec l’erreur de ceux qui recevaient le baptĂȘme au nom d’un ami dĂ©funt mort sans baptĂȘme. Car, ils estimaient que, comme les priĂšres et les jeĂ»nes des vivants sont profitables aux dĂ©funts, le baptĂȘme leur serait d’un grand secours.  C’est ainsi qu’expliquent ce texte Tertullien (dans Marcion, et dans son livre sur la rĂ©surrection), saint Ambroise, saint Anselme et Haymo. Ces pĂšres enseignent que bien que l’apĂŽtre n’approuvĂąt pas leur erreur, il apprĂ©ciait l’intention qu’ils avaient d’aider les dĂ©funts.  Et voici comment ils argumentaient.  Si l’apĂŽtre approuve leur intention d’aider les morts, aucun chrĂ©tien ne peut  et ne doit la rĂ©prouver.

Mais je ne crois pas que cette explication soit la bonne, car, pour ne pas donner une occasion d’errer,  l’apĂŽtre aurait du au moins laisser entendre par quelques mots qu’il s’agissait d’une erreur.  Ensuite, parce que le raisonnement de l’apĂŽtre ne serait pas solide, car on  aurait pu rĂ©pondre que le fait que des gens qui se trompent pensent ainsi,  ne prouve en rien qu’il y ait une rĂ©surrection.  Car, comme ils se trompent en pensant qu’on peut baptiser quelqu’un Ă  la place d’un autre, ils se trompent Ă©galement quand ils croient Ă  une rĂ©surrection des morts.  TroisiĂšmement, parce qu’aucun auteur ancien ne rapporte qu’une telle erreur ait existĂ© au temps des apĂŽtres.

Phylaster attribue cette erreur aux montanistes, qui ont vĂ©cu cent ans aprĂšs la mort de saint Paul. Saint Jean Chrysostome et Theophylacte l’attribuent aux marcionistes, qui ont commencĂ© Ă  prĂȘcher 80 ans aprĂšs la mort de saint Paul.  Épiphane (hĂ©rĂ©sie 28) l’attribue  aux Cherinthiens, qui ont vĂ©cu 20 ans aprĂšs la mort de saint Paul.  Ajoutons que ce n’est pas Ă  Martion ou Ă  CĂ©rinthe que saint Jean Chrysostome et Épiphane attribuent cette erreur, mais Ă  ceux qui vinrent aprĂšs eux.  Autrement, pourquoi saint IrĂ©nĂ©e et Tertullien n’ont-ils pas rĂ©futĂ© cette erreur, eux qui ont rĂ©futĂ© consciencieusement toutes les erreurs de CĂ©rinthe et de Marcion ?  Il est vrai que Tertullien dit que cette erreur a existĂ© au temps des apĂŽtres, mais Ă  un endroit seulement.   VoilĂ  pourquoi cette explication est rejetĂ©e comme fausse  par saint Jean Chrysostome, Épiphane et Theophylacte.

La deuxiĂšme explication.  Par le mot « morts »,  l’apĂŽtre entend les pĂ©chĂ©s. C’est comme s’il disait : que font ceux qui se font baptiser pour les morts, c’est-Ă -dire pour effacer leurs pĂ©chĂ©s ?  C’est ce que pensent Sedulius et saint Thomas.  Mais cela ne semble pas non plus ĂȘtre la vraie explication, d’abord parce que l’apĂŽtre ajoute : «  si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux, des hommes morts qui ne ressuscitent pas  » ?  Car,  il ne veut pas prouver que les pĂ©chĂ©s ressuscitent, mais que les hommes ressuscitent.  Ensuite, parce que toute la force de l’argument s’envole si on dit : que font donc ceux qui sont baptisĂ©s pour effacer les pĂ©chĂ©s, si les morts ne ressuscitent pas ?  Car, on pourrait rĂ©pondre.  Il est trĂšs avantageux d’effacer les pĂ©chĂ©s mĂȘme si les morts ne ressuscitent pas, car il est bon dans cette vie de jouir du tĂ©moignage d’une bonne conscience.  TroisiĂšmement.  On ne dit que les pĂ©chĂ©s sont morts que quand ils sont effacĂ©s et Ă©teints. Par le mot « morts »,  saint Paul n’entend donc pas les pĂ©chĂ©s,  car ils ont encore Ă  ĂȘtre effacĂ©s.

La troisiĂšme explication. Être baptisĂ© pour les morts signifie tout simplement ĂȘtre  baptisĂ© du baptĂȘme du Christ. Mais on dit que sont baptisĂ©s pour les morts ceux qui reçoivent le baptĂȘme, parce que, avant d’ĂȘtre baptisĂ©s, ils rĂ©citent le symbole dans lequel se trouve un seul article : la rĂ©surrection de la chair.  Et c’est ainsi que « pour les morts » signifie pour l’espoir de la rĂ©surrection,  ou pour que nos corps qui mourront ressuscitent immortels.  Et c’est ce que pensent saint Jean Chrysostome, Oecumenius et Theophylacte.  Mais cette explication n’est pas naturelle, et parait forcĂ©e.  D’abord, parce que l’apĂŽtre n’aurait pas dit : que font donc ceux qui sont baptisĂ©s pour les morts ?  Mais que faisons-nous, nous qui sommes baptisĂ©s pour les morts ?  Car ce ne sont pas quelques-uns seulement qui sont baptisĂ©s ainsi, mais tous.  Or, l’apĂŽtre parle de quelques-uns,  comme il appert par  les mots eux-mĂȘmes,  et par ce qui suit : pourquoi, nous aussi, pĂ©riclitons-nous tout le jour ?

Ensuite. On n’a jamais entendu dire que par morts on puisse entendre espoir de rĂ©surrection, ou corps morts, parce que, en grec, le mot nekroi est du genre masculin, et le mot sĂŽmata du genre neutre.  TroisiĂšmement.   Car si nous disions que nous sommes baptisĂ©s pour les morts parce que nous rĂ©citions l’article de la rĂ©surrection des morts, nous pourrions dire aussi que nous sommes baptisĂ©s pour Dieu le PĂšre, pour le Christ et le Saint-Esprit, et aussi pour l’église, car toutes choses sont rĂ©citĂ©es dans le symbole.   QuatriĂšmement.  Par le mot « morts », l’apĂŽtre veut entendre tous les hommes morts, et rien d’autre, car il dit : « Si les morts ne ressuscitent pas, pourquoi sont-ils baptisĂ©s pour eux ? »  Que pouvons-nous entendre par « eux », si ce n’est ces morts qui ne ressuscitent pas ?

La quatriĂšme interprĂ©tation.  Être baptisĂ© pour les morts, c’est ĂȘtre baptisĂ© du baptĂȘme du Christ.  On dit baptĂȘme pour les morts, car, quand nous sommes baptisĂ©s,  nous reprĂ©sentons par notre comportement la personne d’un mort, quand nous nous immergeons dans l’eau, et d’un ressuscitĂ© quand nous Ă©mergeons de l’eau.  Et c’est ainsi que nous professons la rĂ©surrection, et que par cette profession l’apĂŽtre prouve la rĂ©surrection future. C’est ce que pensent Theodoret et Cajetan.  Mais on peut leur objecter que ni  en hĂ©breux, ni en grec ni en latin, agir pour quelqu’un signifie le reprĂ©senter, mais agir Ă  sa place, ou Ă  son profit.  Qui dit, au théùtre, au sujet de l’acteur  qui personnifie David ou Pamphile,  qu’il agit pour David, ou pour Pamphile ?

Ensuite, ceux qui sont baptisĂ©s reprĂ©sentent la mort du Christ, et en mĂȘme temps leur mort (« Tous ceux qui sont baptisĂ©s dans le Christ JĂ©sus sont baptisĂ©s dans sa mort, car nous sommes ensevelis avec lui par le baptĂȘme. » Romains 6). Être baptisĂ© pour les morts sera donc  ĂȘtre baptisĂ© pour soi et pour le Christ. Ce qui est d’une grande absurditĂ©.  On ne voit jamais, non plus dans l’Écriture l’expression : ĂȘtre baptisĂ© pour le Christ, mais seulement dans le Christ, ou en son nom. (Romains 6, Galates 3, Actes 10 et 19. »  TroisiĂšmement, car l’argument de l’apĂŽtre ne vaudrait rien.  Car du fait que celui qui est baptisĂ© personnifie un mort, il ne s’ensuit pas qu’il lui soit utile pour sa rĂ©surrection.  L’apĂŽtre aurait donc du dire : que feront ceux qui sont baptisĂ©s pour les ressuscitĂ©s, ou pour les morts et les ressuscitĂ©s ?  Mais, mĂȘme s’il avait dit cela, son argument serait encore fort lĂ©ger, car on pourrait rĂ©pondre :  dans le baptĂȘme est reprĂ©sentĂ©e la rĂ©surrection de l’ñme du pĂ©chĂ©,  non la rĂ©surrection corporelle de la mort.  C’est ce que laissent entendre l’apĂŽtre (Romains 6) : « Pour que nous marchions dans la nouveautĂ© de la vie. »  Et (Coloss 3) : « Si vous ĂȘtes ressuscitĂ©s avec le Christ, cherchez les choses d’en haut. »

La cinquiĂšme explication est celle d’Épiphane (hĂ©rĂ©sie 28) que prĂ©sente Pierre le Martyr.  Saint Paul parle de ceux qui sont baptisĂ©s dans leurs lits, quand ils sont Ă  l’extrĂ©mitĂ©,  ceux qu’on appelait autrefois alitĂ©s (cliniques),  et que saint Cyprien oppose aux pĂ©ripatĂ©ticiens (livre, 4, Ă©pitre 7 Ă  Magnus).  Car les alitĂ©s ne marchent pas, mais sont rivĂ©s Ă  un lit. Car klinĂš signifie lit.  Quelques-uns veulent donc que le sens de saint Paul soit le suivant : que feront ceux qui sont baptisĂ©s pour les morts, c’est-Ă -dire : ceux qui sont baptisĂ©s quand ils sont plus des morts que des vivants,  et quand il est certain qu’ils ne sont baptisĂ©s pour aucun avantage  de cette vie, puisqu’ils sont dĂ©jĂ  comptĂ©s avec les morts.  Cette explication se rĂ©fute d’elle-mĂȘme.  D’abord, par les mots : pourquoi sont-ils baptisĂ©s pour eux ?  Car, il aurait du dire : ceux qui sont baptisĂ©s pour eux-mĂȘmes, non pour les autres.  Ensuite, parce que ce « pour un mort » ne peut ĂȘtre dit que dans les actions qui se font Ă  l’égard des morts.  Par exemple, on a raison de dire : un tel est tombĂ© d’un lieu Ă©levĂ©, ou il a Ă©tĂ© pris pour un mort, ou il a Ă©tĂ© oint et enseveli comme mort, mĂȘme s’il Ă©tait encore vivant.  Mais, on ne pourrait pas dire : il mangeait, il parlait, il marchait comme un mort.  Or, ĂȘtre baptisĂ© est quelque chose qui se rapporte aux vivants et non aux morts, mĂȘme si quelqu’un le fait Ă  la derniĂšre minute.  Mais on dirait quand mĂȘme que c’est un vivant qui a Ă©tĂ© baptisĂ©, non un mort, mĂȘme s’il Ă©tait moribond ou agonisant quand il a Ă©tĂ© baptisĂ©.

Il reste la sixiĂšme explication.  C’est celle qui est la plus naturelle et la plus vraie.  L’apĂŽtre parle du baptĂȘme  des larmes et de la pĂ©nitence qu’on reçoit en priant, en jeĂ»nant et en faisant l’aumĂŽne.  Et le sens est le suivant : que feront ceux qui sont baptisĂ©s pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas ?  C’est-Ă -dire.   Que feront ceux qui prient, qui jeĂ»nent, qui gĂ©missent, qui s’affligent  pour les morts, si les morts ne ressuscitent pas ?  C’est ainsi que l’explique  Ephrem dans son testament, Pierre de Cluny dans son livre contre les petrobrusiens, Denys, Hugues de saint Victor, et Gagnesius, ainsi que d’autres commentateurs de ce passage.

Cette interprĂ©tation est trĂšs vraie d’abord, parce que, dans l’Écriture le mot ĂȘtre baptisĂ© est souvent pris au sens d’ĂȘtre affligĂ©.  Marc 10 : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai, et ĂȘtre baptisĂ© du baptĂȘme dont je serai baptisĂ© ? »  Luc 12 : « J’ai Ă  baptisĂ©. »  Les pĂšres appellent souvent l’affliction pĂ©nitentielle un baptĂȘme laborieux et une seconde arche .  Saint Cyprien (dans le sermon de la scĂšne du Seigneur) dit : « Il se baptise avec les larmes. »  Et dans son premier livre de l’exhortation au martyre, il appelle souvent baptĂȘme mourir pour le Christ.  Et saint GrĂ©goire de Naziance, (dans son sermon sur l’épiphanie) dit : « Je connais un quatriĂšme baptĂȘme qui se fait par le martyre et le sang, et j’en connais aussi un cinquiĂšme qui se fait par les larmes et la pĂ©nitence. »

DeuxiĂšmement.  Parce que la peine du purgatoire est appelĂ©e baptĂȘme par l’Écriture et par les pĂšres.  Nous lisons, en effet, en Matthieu 3 : « Il vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. »  Saint JĂ©rĂŽme l’entend par Saint-Esprit,  dans cette vie; et par feu,  dans l’autre.  Comme avant lui l’avait expliquĂ© saint Basile, (chapitre 15 du livre sur le Saint-Esprit », et aprĂšs lui BĂšde le vĂ©nĂ©rable (Luc, chapitre 3).  De mĂȘme saint GrĂ©goire de Naziance, Ă  la fin de son sermon sur l’Épiphanie, appelle le feu du purgatoire dans l’autre vie le dernier baptĂȘme.  C’est donc avec beaucoup de justesse que l’apĂŽtre dit que sont baptisĂ©s pour les morts  ceux qui s’affligent par la priĂšre et les jeĂ»nes, qui prennent sur eux une partie de ce baptĂȘme du feu qui baptise les Ăąmes dans le purgatoire.  TroisiĂšmement.   Parce que cette explication cadre admirablement avec ce qui suit.  Pourquoi donc pĂ©riclitons-nous tout le jour ?  C’est comme s’il disait :  s’il n’y a pas de rĂ©surrection des morts, pourquoi  quelques-uns s’affligent-ils en priant pour les morts,  et pourquoi soufrĂ©-je tellement en prĂȘchant l’évangile, si les morts ne ressuscitent pas ?  QuatriĂšmement.  Parce que cette phrase ressemble aux paroles des MacchabĂ©es (2 MacchabĂ©es 12, ) : « Si les morts ne ressuscitent pas il est superflu et vain de prier pour les morts. »

Mais on nous oppose deux arguments.  Le premier.  L’apĂŽtre n’aurait pas du dire : que feront ceux qui sont baptisĂ©s pour les morts ? Mais, que ferons-nous, nous qui sommes baptisĂ©s pour les morts, car tous les chrĂ©tiens prient pour les morts.  Je rĂ©ponds.  L’apĂŽtre n’a pas voulu argumenter Ă  la maniĂšre coutumiĂšre des chrĂ©tiens,  qui en tant que neuve pouvait ĂȘtre rejetĂ©e par les incrĂ©dules, mais selon la coutume des Juifs, qui, Ă  la maniĂšre de leurs ancĂȘtres, et selon les exemples de l’Écriture, priaient  et jeĂ»naient pour les morts.    C’est comme s’il disait : que feront ceux qui imitent nos anciens pĂšres qui priaient et jeĂ»naient pour les morts, et s’affligeaient pour eux, si les morts ne ressuscitent pas ?

Le second argument. La priĂšre pour les morts ne semble pas prouver la rĂ©surrection, car on ne prie pas pour qu’ils ressuscitent, mais pour qu’ils soient libĂ©rĂ©s de leurs peines, et passent dans le repos. Je rĂ©ponds.  La rĂ©surrection et l’immortalitĂ© de l’ñme furent tellement unies entre elles au temps des apĂŽtres qu’elles formaient  une seule question, comme nous l’avons expliquĂ© p lus haut quant nous avons Ă©tudiĂ© le tĂ©moignage des MacchabĂ©es.  Soit que nous suivions cette interprĂ©tation, qui nous semble Ă  nous la plus vraie, ou soit la premiĂšre, qui est meilleure que les trois autres, on aboutit Ă  la priĂšre pour les dĂ©funts.

CHAPITRE 7

Math 5, et Luc 12 avoir payé le dernier centime

Le quatriĂšme texte.  Math 5, et Luc 12 : « RĂ©concilie-toi rapidement avec ton adversaire pendant que tu marches avec lui sur la route,  de peur que ton adversaire ne te livre au juge, et le juge au bourreau,  et aux militaires dans la prison. En vĂ©ritĂ©, en vĂ©ritĂ© je te le dis, tu n’en sortiras pas avant d’avoir payĂ© le dernier centime. »  Il faut expliquer ce qu’est la voie, qui est l’adversaire,  le juge,  le bourreau, le  geĂŽlier,  et le centime.  D’abord, saint Jean Chrysostome (sur le chapitre 5 de saint Matthieu) enseigne que la voie est prise ici pour la vraie voie par laquelle on va de ce monde Ă  Dieu.  Il considĂšre qu’il n’y a ici aucune parabole,  mais que le Seigneur, littĂ©ralement, terrifie ceux qui se mĂ©fient de la menace d’un pĂ©ril humain, de façon Ă  ce que par juge il entend un homme, par bourreau, un homme,  et par prison une prison matĂ©rielle de cette vie, et par centime, une vraie piĂšce d’argent.  Ochinus voit les choses de la mĂȘme façon.

J’ai deux choses Ă  dire sur cette explication.  La premiĂšre.  Elle n’est pas du tout probable, parce que d’abord tous les autres commentateurs s’y opposent (OrigĂšne, Cyprien, Hilaire, Ambroise, JĂ©rĂŽme, Augustin, BĂšde, Anselme, et les plus rĂ©cents : Abulens, Lyre, Cajetan, et Jansenius), et tous l ceux qui enseignent que cette voie signifie la vie prĂ©sente, comme quand on dit (psaume 118) : « Bienheureux sont ceux qui sont sans tache dans cette voie ! » Et cet enseignement est en grande partie mĂ©taphorique.  D’abord, parce qu’il ne convenait pas au Seigneur d’enseigner et d’inculquer sĂ©rieusement la prudence humaine, puisqu’il avait souvent attestĂ© que les fils de ce siĂšcle sont plus prudents que les fils de la lumiĂšre.  Ajoutons que le Seigneur n’aurait pas dit avec tant d’assurance, et d’un ton si solennel :  en vĂ©ritĂ©, en vĂ©ritĂ© je te le dis, tu n’en sortiras pas avant d’avoir payĂ© la derniĂšre piĂ©cette  s’il avait parlĂ© d’un jugement humain, et d’une prison humaine.  Car, nous voyons souvent le contraire arriver : des coupables sont graciĂ©s par faveur royale, des dĂ©tenus s’évadent de prison sans jamais rien payer.

Je dis, en deuxiĂšme lieu.  Si on devait recevoir l’explication de saint Jean Chrysostome comme probable, on ne pourrait l’accepter qu’à cause des paroles qui se trouvent en Mathieu 5, dont il fait le commentaire.  Mais en aucune façon Ă  cause des paroles qui se trouvent en Luc 12.   Comme saint Ambroise l’a justement notĂ©, le Seigneur a prononcĂ© deux fois ces paroles dans des circonstances diffĂ©rentes.   Car, en Matthieu 5, il prononce ces mots quand il parle de l’amour des ennemis et du pardon des injures, et voilĂ  pourquoi on peut tolĂ©rer l’explication de saint Jean Chrysostome.

Mais, dans Luc 12, JĂ©sus parle du jugement futur. Il dit, en effet : « Que vous reins soient ceints ! »  Et aprĂšs : « Veillez, car c’est Ă  l’heure Ă  laquelle vous ne pensez pas que le Seigneur viendra. »  Et, Ă  la fin, il conclut : « Quand donc tu vas avec ton adversaire au prince ».  Il montre clairement lĂ  qu’il parle du jugement futur, qui aura lieu aprĂšs cette vie.  Ce que confirment les paroles qui prĂ©cĂšdent immĂ©diatement : « Quoi donc ? Ne jugez-vous pas, par vous-mĂȘmes, ce qui est bon ?  Car, quand tu t’en vas avec ton adversaire etc. »  Car, il veut les avertir en ayant recours Ă  une parabole tirĂ©e des choses que font les hommes.  Car, avant d’en arriver Ă  un procĂšs, les dĂ©biteurs  tentent tout auprĂšs de leurs crĂ©anciers.  C’est pourquoi Theophylacte et Euthymius qui, au chapitre 5 de Matthieu, suivent Chrysostome,  disent que, en Luc 12, la voie signifie la vie, et le juge, Dieu.

Au sujet du second -- qui est l’adversaire-- mĂȘme s’il a peu de rapport avec notre sujet qui est le purgatoire,  nous l’expliquerons quand mĂȘme briĂšvement, parce que la chose en vaut la peine.  Certains par adversaire entendent le diable, comme OrigĂšne (homĂ©lie 35 sur Luc), Ambroise, Euthymius, Theophylacte (dans le chapitre 12 de Luc), et saint JĂ©rĂŽme (Ă©pitre 8 Ă  DĂ©mĂ©triade). Saint JĂ©rĂŽme ne reproche rien non plus Ă  cette interprĂ©tation dans son commentaire sur Matthieu 5, quand il dit : « D’autres ont dissertĂ© avec plus de contrainte. » Car, contrainte est une erreur des copistes pour prudence (coactius, cautius).  Si tu demandes comment nous devons consentir au diable, quand, au contraire, il faut toujours lui rĂ©sister, saint JĂ©rĂŽme rĂ©pondra : nous devons lui consentir en autant que nous sommes tenus de demeurer fidĂšles au pacte contractĂ© avec lui dans le baptĂȘme.  Car, alors, nous avons renoncĂ© au diable et Ă  ses pompes. Et si nous dĂ©sirons et envahissons ses pompes auxquelles nous avons renoncĂ©es,  c’est de plein droit qu’il nous accusera devant le Seigneur.  Cette opinion n’est pas trĂšs probable, et elle est rĂ©futĂ©e par saint Augustin (livre 1, chapitre 22, sur le sermon sur la montagne.)  Car, en grec, le mot eunoĂŽn  signifie bienveillant et cordial. Et nous ne pouvons pas ĂȘtre bienveillants envers le dĂ©mon.  De plus, comme il dĂ©sire, lui, que nous convoitions ses pompes, il nous tente dans ce but,  pour que nous consentions Ă  ses suggestions, nous dĂ©sirions ses pompes et offensions Dieu.

D’autre voient dans le mot adversaire  la chair.  Mais ils ont Ă©tĂ© trĂšs bien rĂ©futĂ©s par saint Augustin, car on ne peut pas ordonner Ă  l’esprit de consentir Ă  (ce que veut) la chair, puisque ce serait commettre un pĂ©chĂ©.  Dans le mot adversaire d’autres voient l’esprit , aux dĂ©sir duquel le chair doit consentir.  Cette interprĂ©tation est rĂ©futĂ©e par saint JĂ©rĂŽme, car il n’est pas croyable que l’esprit livrerait Ă  un juge sa propre chair.  Car, la chair n’ira pas en prison sans l’esprit,  l’esprit n’y ira pas non plus tout seul, mais avec la chair.  D’autres comme saint Ambroise, par adversaire (au  moins selon Luc), entendent le pĂ©chĂ©, parce qu’il est dit dans Luc : « Efforce-toi de te libĂ©rer de lui. »  Mais ce n’est pas probable.   Car, se libĂ©rer d’un adversaire ce n’est pas s’éloigner de lui en le fuyant, ou l’exterminer, mais s’entendre avec lui.  Comme on le voit en Matthieu par le mot antidixos, c’est-Ă -dire litigieux ou acteur.

D’autres entendent par adversaire un autre homme qui nous fait du tort, ou auquel nous faisons du tort.  Comme Hilaire, Anselme, saint JĂ©rĂŽme (dans Matthieu 5).  Cette sentence est probable par rapport Ă  Matthieu 5.  Mais elle a Ă©tĂ© rĂ©futĂ©e par saint Augustin, dans le texte citĂ©.  D’abord, parce que le Seigneur semble parler ici d’un adversaire qui est toujours avec nous dans le chemin, et avec lequel nous pouvons toujours nous entendre tant que nous marchons sur le chemin.  Mais l’adversaire humain meurt souvent avant son adversaire, et le laisse seul marcher sur la voie.  On ne doit pas dire, pour autant, que le juste qui marche sur le chemin ne peut pas ĂȘtre sauvĂ© par la pĂ©nitence parce qu’il ne peut pas faire la paix avec l’adversaire sur le chemin.  DeuxiĂšmement, car on ne peut pas dire qu’un homme livre un homme Ă  Dieu, au sens propre du mot livrer.

La vraie explication est donc que l’adversaire est la loi de Dieu, ou Dieu  lui-mĂȘme en tant qu’il prescrit des choses contraires Ă  la chair,  ou la conscience,  qui objecte au pĂ©cheur la loi de Dieu.  Car coutes ces choses sont Ă  peu prĂšs semblables.   C’est ainsi que l’exposent Ambroise, BĂšde et Bonaventure au chapitre 12 de Luc.  De mĂȘme, saint Anselme et saint Augustin (homĂ©lie 1 sur les paroles du Seigneur, homĂ©lie 5 dans le livre 50 des homĂ©lies, et chapitre 3 dans le livres des dix cordes .)  Saint GrĂ©goire (homĂ©lie 39), et saint Bernard (sermon 85 sur les cantiques). Car, la loi de dieu et notre conscience sont toujours avec nous en chemin.  Elles sont toujours attaquĂ©es par les mauvais dĂ©sirs.  Il est trĂšs utile de consentir aux dictats de la loi et de la conscience, et d’ĂȘtre libĂ©rĂ©s par elles de nos ennemis.  Elles seront par la suite, des tĂ©moins et des accusateurs au jour du jugement.

Une seule chose semble s’opposer Ă  cette interprĂ©tation.  Dans Matthieu 5, immĂ©diatement avant cette parabole, le Seigneur parle de la rĂ©conciliation avec un adversaire humain.  Je rĂ©ponds que le Seigneur, aprĂšs avoir enseignĂ© qu’un homme doit se rĂ©concilier avec un autre homme, a voulu avertir, par cette parabole,  qu’on devait se rappeler de se rĂ©concilier aussi  avec Dieu ou avec sa loi.  De plus, mĂȘme s’il est probable que, pour cette raison,  l’adversaire (en Matthieu 5)  soit un homme, nous ne pouvons entendre le Luc 12 que de la loi de Dieu ou de la conscience. Et c’est pour cela que  Cajetan voit l’homme dans l’adversaire en Matthieu 5, et la conscience en Luc 12.

Au sujet du troisiĂšme, tous conviennent que le juge est le Christ, car c’est une chose que l’Écriture enseigne souvent, et surtout Jean : Jean 5 : « Le PĂšre a donnĂ© tout jugement au Fils »  Au sujet du quatriĂšme,  Ambroise (au chapitre 12 de Luc), et Augustin, (livre 1 chapitre 21 sur le sermon sur la montagne) entendent pas ministres les bons anges.  Saint GrĂ©goire  (homĂ©lie 39) et Thophylacte (Luc, 12),  entendent par ministres des dĂ©mons. Les deux sont vraisemblables.  Au sujet du cinquiĂšme, la prison, tous sont d’avis qu’elle reprĂ©sente l’enfer, dans lequel, cependant, il y a plusieurs maisons, une pour les damnĂ©s,  et une pour ceux qui sont purgĂ©s.

Il y avait autrefois l’hĂ©rĂ©sie de Carpocrate qui est trĂšs absurde, comme le rapporte saint IrĂ©nĂ©e (livre 1, chapitre 24).  Il prĂ©tendait que chacun de nous devait ĂȘtre soumis Ă  toutes sortes de supplices; et que les Ăąmes sortaient du corps comme d’une prison pour ĂȘtre examinĂ©es par le juge, et que si alors elle n’avait pas encore subi tous les chĂątiments, elle devait ĂȘtre retournĂ©e dans son corps comme dans une prison, et qu’elle devait faire cela tant qu’elle n’avait pas passĂ© par les tous les tourments.  Et que c’est ce que le Seigneur voulait dire quand il dĂ©clara : tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas payĂ© la derniĂšre  piĂ©cette.  Mais cette interprĂ©tation est si absurde qu’elle ne nĂ©cessite aucune rĂ©futation.

Au sujet du sixiĂšme,  presque tous sont d’accord pour entendre dans la derniĂšre piĂ©cette les plus lĂ©gers pĂ©chĂ©s,  car le mot latin employĂ© signifie la plus petite piĂšce de monnaie.   Saint Augustin dit que cette piĂ©cette ou centime signifie des pĂ©chĂ©s terrestres, parce que la terre est le dernier des Ă©lĂ©ments.  Cette interprĂ©tation me semble un peu forcĂ©e, et peu vraisemblable, car le Seigneur ne peut pas dire seulement qu’il faut payer la derniĂšre piĂ©cette, mais tout ce que l’on doit jusqu’au dernier sou.

Ce que l’on met en doute c’est : est-ce que cela se fait dans l’enfer ou dans le purgatoire ?  Saint Augustin pense qu’il s’agit ici des peines de la gĂ©henne Ă©ternelle, et voilĂ  pourquoi : il dit : « jusqu’à ce que tu rendes » ne signifie pas un certain temps, mais l’éternitĂ©.   Comme quand on dit en Matthieu : « Il ne l’a pas connu jusqu’à ce qu’elle enfanta son fils. »  Et le psaume 109 : « Assieds-toi Ă  ma droite, jusqu’à ce que je place tes ennemis comme un escabeau pour tes pieds. » Et 1 Cor 15 : « Il lui faut recevoir le ciel jusqu’à ce que tout soit soumis Ă  ses pieds. »  Car il n’est pas permis de conclure de cette façon particuliĂšre de parler qu’aprĂšs avoir enfantĂ© la vierge a connu Joseph.

D’autres, comme saint Albert et Cajetan, y  voient en mĂȘme temps la gĂ©henne et le purgatoire.  Et, selon eux, le sens serait le suivant : si ta dette est insolvable, tu n’en sortiras jamais. Si elle est solvable, tu en sortiras quand tu auras absolument tout payĂ©.  D’autres n’y voient que le purgatoire, ceux que nous citerons bientĂŽt.&&

La troisiĂšme est celle qui, parmi toutes les autres, est la plus vraie. On en donne d’abord pour preuve que c’est ainsi que l’ont entendu les plus anciens pĂšres.   Tertullien  (livre 1 de l’ñme, chapitre 17 : « Il t’enverra dans la prison de l’enfer, d’oĂč tu ne sortiras pas avant d’avoir expiĂ© chaque faute, au temps de la  rĂ©surrection. »   Note qu’il dit  lĂ  qu’il restera au purgatoire au maximum jusqu’à la rĂ©surrection.    Cyprien (livre 4, Ă©pitre 2) : « Autre est de se maintenir dans le pardon; autre est de parvenir Ă  la gloire. Autre est d’ĂȘtre d’envoyĂ© en prison, et ne pas en sortir avant d’avoir payĂ© jusqu’au dernier centime; autre est de recevoir tout de suite la rĂ©compense de la vertu et de la foi. Autre est ĂȘtre purifiĂ© longtemps de ses pĂ©chĂ©s par des tortures, et ĂȘtre purgĂ© par le feu; autre est purger tous ses pĂ©chĂ©s par la passion. »

OrigĂšne (homĂ©lie 35 sur Luc) : « Si nous avons une dette aussi grosse que  celui qui devait dix mille talents, je n’arrive pas Ă  comprendre ce qui nous arrivera.  Car, si celui qui doit peu ne peut pas sortir avant d’avoir payĂ© le dernier centime, celui qui est redevable d’une telle somme, aura besoin de siĂšcles infinis pour tout rembourser. » Et dans son Ă©pitre aux Romains, il dit : « MĂȘme si on promet qu’il viendra un temps oĂč on pourra sortir de la prison, on indique cependant qu’on ne pourra pas en sortir avant d’avoir payĂ© le dernier centime. »  EusĂšbe Emissenus, mais plutĂŽt CĂ©saire d’Arles,  ou quiconque fut l’auteur de cette homĂ©lie 3  sur l’épiphanie, dit : « Ceux qui ont Ă©tĂ© dignes de peines temporelles, ceux dont parle sermon, qui ne sortiront pas avant d’avoir payĂ© le dernier centime, ceux-lĂ  passeront Ă  travers un fleuve de feu. »  Ambroise (chapitre 12 de Luc) dit, en expliquant le dernier centime : « On a coutume, selon notre souvenir,  de donner, dans les bains publics, un centime pour obtenir le droit de se laver et de se nettoyer.  Parce que le pĂ©chĂ© de chacun, quelle soit sa condition sociale, est effacĂ©. »  Saint JĂ©rĂŽme (Matthieu 5) : « Voici ce qu’il dit : tu ne sortiras pas de prison tant que tu n’auras pas expiĂ© tous tes pĂ©chĂ©s. »  Saint Bernard (dans son sermon sur saint Hubert, Ă©crit : « Sachez bien cela. AprĂšs cette vie, sont rendus an centuple les choses qui furent nĂ©gligĂ©es ici-bas, et jusqu’à la derniĂšre cent ».

On le prouve en second lieu, parce que ce : jusqu’à ce que tu aies payĂ© le dernier centime, ne peut se comprendre que s’il y a une fin au remboursement.  Les exemples donnĂ©s par saint Augustin ne satisfont pas non plus.  Car, quand on dit : il ne l’a pas connue avant qu’elle enfante, on ne peut pas en conclure qu’il l’a connue aprĂšs, mais qu’elle enfanterait bientĂŽt.  Et quand on dit : assis-toi Ă  ma droite jusqu’à ce que
 on dĂ©duit correctement qu’il viendra un temps oĂč tous les ennemis de JĂ©sus seront mis sous ses pieds.  Autrement, «  jusqu’à ce que »  serait dit pour rien. Et quand on dit : tu ne sortiras pas avant d’avoir payĂ© le dernier centime, nous en infĂ©rons correctement qu’il payera un jour le dernier centime, et donc qu’il sortira.  On le prouve, en troisiĂšme lieu, par le fondement et le but de cette parabole.  Car, la comparaison ne se rapporte pas aux homicides, aux adultĂšres, aux traitres, qui sont condamnĂ©s Ă  mort ou sont incarcĂ©rĂ©s Ă  perpĂ©tuitĂ©, ou aux trirĂšmes, mais Ă  un dĂ©biteur qui est mis en prison jusqu’à ce qu’il rembourse.   Des gens de cette sorte ont l’habitude de sortir de prison aprĂšs un certain temps.  Le sens de la parabole est donc qu’on se rĂ©concilie avec Dieu  quand nous demandons Ă   Dieu la rĂ©mission de la peine due Ă  nos pĂ©chĂ©s passĂ©s, au lieu d’attendre le siĂšcle futur, oĂč on sera traitĂ© avec sĂ©vĂ©ritĂ©. »

CHAPITRE 8

Le cinquiĂšme est Matthieu 5 : « Celui qui se fĂąche contre son frĂšre, sera coupable au jugement.  Celui qui dira Ă  son frĂšre raca, sera coupable au conseil, celui qui dira fatue, sera coupable de la gĂ©henne de feu. »   Il s’agit certainement de la peine qui sera  imposĂ©e au jugement de Dieu, comme la fin le montre : il sera coupable de la gĂ©henne de feu.  VoilĂ  pourquoi saint Augustin (livre 1, chapitre 18 du sermon sur la montagne) applique ces trois choses aux peines des Ăąmes aprĂšs la vie. Notons, ensuite, que sont distinguĂ©s ici trois genres de pĂ©chĂ©s et de peines, comme saint Augustin l’explique, et que la damnation Ă©ternelle n’est attribuĂ©e qu’au troisiĂšme genre de pĂ©chĂ©s, les crimes. Aux autres, aux pĂ©chĂ©s plus lĂ©gers, des peines plus lĂ©gĂšres et temporelles. On en dĂ©duit que, aprĂšs la mort, certaines Ăąmes sont punies par des peines temporelles.

Tu diras :  le Christ avait dit : celui qui tuera sera coupable de jugement. Donc, ĂȘtre coupable de jugement est ĂȘtre condamnĂ© Ă  la gĂ©henne, car l’homicide est un crime mortel.   Je rĂ©ponds. Quand le Seigneur a dit : il a Ă©tĂ© dit  aux anciens, celui qui tuera sera coupable de jugement, il parle du jugement humain et temporel qui punit les homicides par la mort temporelle, car la loi ancienne ne menaçait pas les homicides d’une autre mort (Exode 21).  Le Seigneur veut donc dire que l’homicide est puni par la mort dans ce monde, mais que, dans l’autre vie,  mĂȘme s’il elle est un pĂ©chĂ© vĂ©niel, la colĂšre est  punie par une peine temporelle, elle aussi, mais qui est presqu’égale Ă  la mort temporelle.  Quand la colĂšre se manifeste Ă  l’extĂ©rieur, elle est encore plus grave, et si elle en vient Ă  une parole de mĂ©pris, elle ressemble beaucoup Ă  un homicide, qui est puni de mort Ă©ternelle.

Tu diras de nouveau : soit, le Seigneur parle en ce lieu des peines infligĂ©es par le jugement de Dieu, mais il ne s’ensuit pas que, dans l’autre vie, il y ait des peines temporelles, puisque Dieu, pendant la vie, peut  infliger ce genre de peines.  Je rĂ©ponds d’abord que  saint Augustin et d’autres pĂšres voient dans ce passage  des peines infligĂ©es aprĂšs la vie.  Je dis ensuite qu’on peut, de ce passage, dĂ©duire tout au moins qu’il y a certaines peines purgatives aprĂšs cette vie.  Car, nous avons ici des pĂ©chĂ©s qui ne mĂ©ritent qu’une peine temporelle. Or, quelqu’un peut mourir avec ces pĂ©chĂ©s, en mourant subitement, ou en dormant, sans avoir le temps de faire pĂ©nitence.  Ou il sera donc purgĂ© dans l’autre vie, car autrement il y aura dans le ciel quelque chose d’impur; ou  sera condamnĂ© injustement Ă  des peines Ă©ternelles, celui qui n’en mĂ©ritait que des temporelles.

Le sixiĂšme passage est celui de Luc 16 : « Faites-vous des amis avec l’argent d’iniquitĂ©, pour que quand vous flĂ©chirez, ils vous reçoivent dans les tabernacles Ă©ternels. Par deficere (flĂ©chir, tomber) tous entendent mourir.  Par amis, les saints qui rĂšgnent avec le Christ.  Il s’ensuit donc que, aprĂšs leur mort, les hommes sont aidĂ©s par les priĂšres des saints.  Mais quelqu’un pourrait dire qu’il s’agit de la vertu de l’aumĂŽne,  et que le sens serait : quand mourront ceux qui ont fait l’aumĂŽne, ils seront sauvĂ©s Ă  cause des bonnes Ɠuvres qu’ils ont pratiquĂ©es. Il faut donc observer que le Seigneur ne veut pas seulement que les Ăąmes soient aidĂ©es par les priĂšres des saints, mais il veut qu’elles le soient aprĂšs leur mort.  Car, d’abord, c’est dans cette direction que nous mĂšne ces mots : qu’ils se fassent des amis qui les recevront.  Car l’aumĂŽne qui est donnĂ©e Ă  des mĂ©chants avec une bonne intention est mĂ©ritoire, sans doute, mais elle ne fait pourtant pas des amis qui peuvent recevoir dans les tabernacles Ă©ternels.

VoilĂ  pourquoi saint JĂ©rĂŽme (Ă  la fin de son livre cotre Vigilance) dit que le Seigneur nous exhorte Ă  faire des aumĂŽnes aux bons plutĂŽt qu’aux mĂ©chants, pour que, par l’intercession des bons, soient sauvĂ©s ceux qui font des aumĂŽnes. Saint Ambroise interprĂšte ce passage de la mĂȘme façon, ainsi que saint Augustin (livre 21, chapitre 27, la citĂ© de Dieu). Ils disent tous les deux que par amis il faut entendre les saints qui rĂšgnent avec le Christ, qui nous aident par leurs priĂšres, et qui nous aideront Ă  notre mort.  Ensuite, c’est Ă  cela que nous mĂšne forcĂ©ment cette comparaison.  Car la parabole est tirĂ©e d’un certain intendant qui, chassĂ© de son poste et devenu indigent, implorait l’aide de ses amis.  Or, le Seigneur lui-mĂȘme explique que  perdre son emploi signifie mourir.

Ajoutons, en troisiĂšme lieu, que saint Augustin (livre 21, chapitre 27 de la citĂ© de Dieu) se sert de ce texte pour dĂ©montrer le purgatoire.  Il dit en effet qu’il y a certains saints qui, aprĂšs leur mort, s’envolent directement au paradis, et qui non seulement se sauvent eux-mĂȘmes, mais qui sont capables d’aider autrui. Qu’il y en a d’autres qui sont si mauvais qu’ils ne peuvent ni s’aider eux-mĂȘmes, ni ĂȘtre aidĂ©s par les autres, mais qui descendent sans remĂšde vers les peines Ă©ternelles.  Qu’il y en aussi d’autres qui meurent de façon telle qu’ils ne sont ni dignes de la peine Ă©ternelle, ni dignes, par leurs mĂ©rites propres,   de recevoir immĂ©diatement le salut. VoilĂ  donc quels sont ceux qui sont reçus dans les tabernacles Ă©ternels par les priĂšres de leurs amis.

Pierre le martyr n’a rien Ă  rĂ©pondre Ă  cela, mais il s’objecte Ă  lui-mĂȘme, au nom des catholiques, les choses qui viennent aprĂšs cette parabole.  Il dit que nous affirmons que le mauvais riche Ă©tait dans le purgatoire, quand il demanda de l’aide Ă  Abraham.  Et cet argument, qui serait comme notre tendon d’Achille, il le rĂ©fute, et en dĂ©duit en mĂȘme temps que les Ăąmes ne peuvent pas ĂȘtre aidĂ©es par les vivants, puisque ni Lazare ni Abraham n’ont pu aider le mauvais riche.  Et, par dĂ©rision, il se demande pourquoi le mauvais riche n’a pas demandĂ© qu’on cĂ©lĂšbre des messes pour lui. Mais presque tous les catholiques dĂ©clarent que le mauvais riche Ă©tait en enfer.  Le martyr ne fait donc que frapper de l’air, ou  donner un coup d’épĂ©e dans l’eau.

Le septiĂšme passage est de Luc 23 : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. » Cet homme bon, inspirĂ© par le Saint-Esprit, n’aurait jamais di cela s’il n’avait pas cru que les pĂ©chĂ©s peuvent ĂȘtre remis dans l’autre vie, que les Ăąmes avaient besoin d’aide, et pouvaient ĂȘtre aidĂ©es.  Il est certain que c’est avec ce passage que saint Augustin prouve que certains pĂ©chĂ©s sont remis aprĂšs la mort.  Le huitiĂšme est celui des Actes «  Que Dieu a libĂ©rĂ© des douleurs de l’enfer, parce qu’il Ă©tait impossible qu’il soit retenu par elles. »  Voici comment comprend ce passage saint Augustin (dans sa lettre 99 Ă  Évodius, et dans le livre 12, chapitre 13 de la GenĂšse).  Le Christ est descendu dans les enfers pour en libĂ©rer plusieurs des tourments de l’enfer. Comme on ne peut pas entendre ce passage des damnĂ©s, il est nĂ©cessaire de l’entendre de ceux qui se purgeaient.  C’est aussi ce qu’affirme Épiphane au sujet de l’hĂ©rĂ©sie de Tatien (qui est la derniĂšre de son premier livre).  Il dit que quand le Christ descendis dans les enfers, il a libĂ©rĂ© ceux qui avaient pĂ©chĂ© par ignorance, mais ne s’étaient pas Ă©loignĂ©s de la foi en Dieu.

Et en plus de l’autoritĂ© des pĂšres, on le prouve par ces paroles mĂȘmes de l’Écriture.  Car, les douleurs de l’enfer qui ont Ă©tĂ© abolies ne peuvent pas ĂȘtre celles du Christ,  car les douleurs du Christ se sont terminĂ©es Ă  la croix, comme il appert des paroles elles-mĂȘmes du Christ au bon larron : « Aujourd’hui mĂȘme, tu seras avec moi dans le paradis ! » Elles ne peuvent pas ĂȘtre non plus celles des damnĂ©s, parce qu’ils sont condamnĂ©s Ă  des feux Ă©ternels.  Ni non plus les douleurs des saints pĂšres, car ils ne souffraient aucune douleur, comme saint Augustin et saint GrĂ©goire (homĂ©lie 22) l’enseignent aux lieux citĂ©s.  Il reste donc qu’il s’agisse des douleurs des Ăąmes du purgatoire.  Tu diras que les Grecs ne lisent pas : les douleurs de l’enfer ayant Ă©tĂ© abolies, mais une fois abolies les souffrances tou thanatou,(de la mort) non tou adou.(de l’enfer).  Ensuite, l’ancienne traduction latine va dans notre sens. La syriaque traduit de mĂȘme : « Dieu l’a libĂ©rĂ©, et a rompu les chaĂźnes de l’enfer. »  De plus, les anciens pĂšres grecs et latins.  Car, Polycarpe ( au dĂ©but de sa lettre, citant ce passage, Ă©crit : les douleurs de l’enfer ayant Ă©tĂ© Ă©teintes.  De mĂȘme Cyprien, (dans son sermon sur la cĂšne du Seigneur, au dĂ©but) dit, en parlant de ce texte : « Le pieux maĂźtre voulait montrer qu’il Ă©tait impossible que son Ăąme soit retenue dans l’enfer. »  On le prouve aussi par les paroles suivantes, car Pierre prouve ce qu’il avait dit en citant le psaume 15 : « Tu ne laisseras pas mon Ăąme dans l’enfer, et tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption. »

Le neuviĂšme texte est celui de Philippiens 2 : « Pour qu’au nom de JĂ©sus, tout genou flĂ©chisse au ciel, sur la terre, et dans les enfers. »  C’est de ce texte que se sert saint Augustin (livre 12, chapitre 33 de la GenĂšse), mĂȘme si par ce mot enfers on peut entendre les dĂ©mons.  Un autre texte est celui de l’Apocalypse 5 : « Qui est digne d’ouvrir le livre, et d’enlever les sept sceaux ?  Et personne n’a Ă©tĂ© trouvĂ© digne ni dans le ciel, ni sur la terre, ni  sous la terre. »  Par ceux qui sont dans le ciel on entend les anges, par ceux qui sont sur la terre on entend les justes, et par ceux qui sont sous terre on ne peut entendre que les Ăąmes du purgatoire.  Car on ne peut pas attribuer cela aux damnĂ©s.  Et les pĂšres qui Ă©taient dans les limbes avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s.

Les nĂŽtres se servent de ce texte, mais il ne semble pas ĂȘtre trĂšs convainquant, car, il est probable qu’il faille l’entendre des saints pĂšres qui Ă©taient dans les limbes.  Car, mĂȘme si saint Jean a Ă©crit aprĂšs le temps oĂč les saints pĂšres Ă©taient sortis des limbes, ils n’étaient pas encore sortis Ă  l’époque dont il parle, car il parle du temps qui a prĂ©cĂ©dĂ© la mort du Christ.  Car, voilĂ  pourquoi il ajoute : « il a vaincu le lion de la tribu de Juda, de la racine de David  »  Car, par sa mort, le Christ a ouvert le mystĂšre du livre clos jusqu’à ce jour.  De la mĂȘme maniĂšre, le passage de l’apocalypse (chapitre 5) oĂč il est dit que les crĂ©atures qui sont au ciel, sur la terre et sous terre louent Dieu,  n’est pas non plus trĂšs convainquant.  Car, on peut entendre ici, par crĂ©atures, des choses inanimĂ©es, comme le feu, la grĂȘle etc,  que l’on invite, dans le psaume 146, Ă  louer Dieu.  Surtout parce que saint Jean ajoute aussi « celles qui sont dans la mer ».

CHAPITRE 9

                  On prouve le purgatoire par les tĂ©moignes des conciles.

Le deuxiĂšme argument on le tire des conciles et de la coutume de l’Église. Voici, d’abord ce que l’église africaine pensait (concile de Carthage 3, chapitre 29) : « Et les sacrements de l’autel ne sont cĂ©lĂ©brĂ©s que par des hommes Ă  jeun. Si au cours de l’aprĂšs-midi une recommandation pour les morts doit ĂȘtre faite, qu’on le fasse seulement par des priĂšres ».  On trouve la mĂȘme chose dans le concile de Carthage 4, chapitre 79).  L’Église espagnole pensait la mĂȘme chose.  Le concile de Bracarense 1 (chapitre 34) ordonne de ne pas prier pour ceux qui se tuent, et, au chapitre 39, il ordonne de rĂ©partir entre les clercs les offrandes faites pour les priĂšres aux morts.  L’église gauloise pense la mĂȘme chose.  Le concile de Cabilon (la consĂ©cration, dist 1, canon visum est) dit : « Il a semblĂ© bon que, en plus des messes solennelles,  on prie le Seigneur en Ă©glise dans un lieu idoine, pour les dĂ©funts. » Voir aussi le concile d’AurĂ©lie 2, chapitre 14.  L’église germanique pense de la mĂȘme maniĂšre. Le concile de Wormat (canon 10) enseigne qu’il faut aussi prier et offrir des sacrifices pour ceux qui sont suspendus au gibet.  L’Église italique.  Le concile romain 6 sous Symmaque, enseigne que les sacrilĂšges privaient de priĂšres les Ăąmes du purgatoire.

De mĂȘme l’église grecque, comme le montre les synodes des grecs rapportĂ©s par l’évĂȘque Martin Bracarens (canon 69).  Il semble mĂȘme que certains grecs aient voulu trop aider les Ăąmes du purgatoire, car au concile 6, (canon 83), on reprend les fidĂšles qui, Ă  ceux qui Ă©taient morts sans la sainte communion, mettaient  une hostie dans la bouche.

Que s’approchent maintenant les conciles gĂ©nĂ©raux de l’église universelle.  Le concile du Latran, sous Innocent 111, canon 66.  Celui de Florence (session ultime, dĂ©cret sur le purgatoire).  Celui de Trente (session 25, au dĂ©but), et toutes les liturgies, celles de Jacques, de Basile, de Chrysostome, d’Ambroise.  Dans toutes ces liturgies on fait des priĂšres pour les morts.  Pierre le martyr nous donne trois rĂ©ponses au lieu citĂ©.   La premiĂšre : « On a coutume de nous objecter que l’Église a toujours priĂ© pour les dĂ©funts. Je ne le conteste pas, mais je soutiens que ce fait ne tire son autoritĂ© ni d’une parole de Dieu ni d’un exemple tirĂ©s des saintes lettres.  Les hommes ressentent facilement de vifs sentiments de charitĂ© et d’amour naturel envers les dĂ©funts, qui  leur font dĂ©sirer de faire une bonne action,  et les incitent Ă  rĂ©citer quelques priĂšres pour eux. Mais il faut prendre garde  que cette affection ne devienne pas si vĂ©hĂ©mente qu’elle s’oppose Ă  la foi et Ă  la juste piĂ©tĂ©. » Par ces mots, Pierre le martyr prĂ©tend que c’est sans aucun tĂ©moignage de l’Écriture que l’Église prie pour les dĂ©funts, et qu’elle le fait par une affection dĂ©rĂ©glĂ©e envers les morts, qui rĂ©pugne Ă  la foi et Ă  la vraie piĂ©tĂ©.

Saint Augustin rĂ©pond Ă  la premiĂšre partie de l’accusation (dans le chapitre 1 de son livre sur le soin des morts) : « Tu ajoutes qu’on ne peut  contester le fait que l’Église universelle ait  coutume de prier pour les morts. »  Et plus, approuvant la sentence de Paul auquel il Ă©crit, il dit : « Dans les livres des MaccabĂ©es, nous lisons qu’un sacrifice a Ă©tĂ© offert pour les morts » Mais mĂȘme si, dans l’ancien testament, on ne lisait rien de tel, l’autoritĂ© de l’église universelle qui est connue comme favorisant  cette coutume ne serait pas d’un faible poids.  Car, dans les priĂšres du prĂȘtre qui montent de son autel Ă  Dieu se trouve aussi la priĂšre aux morts. »

Il est facile de rĂ©ponde Ă  la deuxiĂšme partie de l’accusation.  Car, ce qui, dans les priĂšres pour les chers dĂ©funts, vient de l’affection humaine peut se trouver dans les priĂšres privĂ©es, et qui sont dites en tout temps.  Mais, dans les priĂšres solennelles de l’Église,  que l’on lit dans un livre, et qui ont Ă©tĂ© composĂ©es Ă  tĂȘte reposĂ©e, et qui ont Ă©tĂ© approuvĂ©es par des conciles d’évĂȘques, comment cela pourrait-il se produire ? À la troisiĂšme partie, rĂ©pond Paul, quand il dit (1 tim 3) : « L’Église est la colonne et le firmament de la vĂ©ritĂ©. »  Saint Augustin ne dit-il pas (Ă©pitre 118) que c’est d’une  insolente stupiditĂ© de disputer contre ce que fait l’Église universelle.  Ensuite, par la raison.  Car si l’église universelle peut militer contre la vraie foi et la juste piĂ©tĂ©, comme le dit le martyr, l’église entiĂšre, peut, par son comportement, faire fi de la prĂ©diction du Christ : les portes de l’enfer ne prĂ©vaudront point contre elle.  Qu’est-ce qui est le plus croyable ?  Que l’Église entiĂšre se retourne contre le Christ, que le Christ et Paul aient menti, ou que Pierre le martyr soit atteint d’une folie insolente ?  J’en appelle au jugement de tout homme sensĂ©.

La seconde rĂ©ponse du martyr est que l’Église ne prie pas pour les dĂ©funts  afin de les libĂ©rer du purgatoire, mais pour attester qu’elle se souvient d’eux, et pour qu’elle conserve leur mĂ©moire le plus longtemps possible. Et il ajoute : « Il y eut peut-ĂȘtre une autre raison au sujet du purgatoire, pour que l’Église fasse des priĂšres pour les dĂ©funts.  Car, elle ne voulait pas que le nom et la mĂ©moire des dĂ©funts tombent dans l’oubli. »  Or, saint Augustin (dans le chapitre 1 de son livre sur le soin Ă  apporter aux morts) traitait la question suivante : les priĂšres de l’Église pour les dĂ©funts leur sont-elles profitables ?  Et  il rĂ©pond qu’elles le sont pour ceux qui, dans cette vie, ne furent pas vraiment mĂ©chants, et qui ont mĂ©ritĂ© qu’elles leur soient profitables. Et cela rĂ©pond  Ă  Pierre le martyr.

La troisiĂšme rĂ©ponse du martyr : l’église remplit sa charge envers les morts comme s’ils Ă©taient encore vivants, et elle prie donc pour ceux qui seront sauvĂ©s, comme le Christ a priĂ© pour la rĂ©surrection de Lazare, mĂȘme s’il savait qu’il avait dĂ©jĂ  reçu ce qu’il demandait.  Et Ambroise, dans son sermon sur la mort de Theodose, le fĂ©licite de rĂ©gner dĂ©jĂ  avec le Christ, et prie, cependant pour lui, pour que Dieu lui octroie le repos dĂ©sirĂ©. Et Épiphane (hĂ©rĂ©sie 75),  dit qu’il prie mĂȘme pour les saints patriarches, pour les martyrs, pour les prophĂštes et pour les apĂŽtres.

Je rĂ©ponds que s’il en Ă©tait vraiment ainsi, l’Église prierait Ă©galement pour tous, et mĂȘme pour les martyrs.  Mais elle ne le fait pas. Car, comme saint Augustin le dit dans son traitĂ© 84 sur saint Jean : « VoilĂ  pourquoi, Ă  cette sainte table,  nous ne commĂ©morons pas les martyrs de la mĂȘme maniĂšre que nous commĂ©morons les morts, qui reposent en paix.  Nous prions aussi pour eux (les martyrs), mais surtout pour qu’ils prient pour nous. »   Car il ne semble pas du tout convenable que quelqu’un demande ce qu’il a dĂ©jĂ .  Et quand le Christ a priĂ© pour Lazare, il n’avait pas encore reçu ce qu’il demandait, car Lazare n’était pas encore ressuscitĂ©.  Autre est demander quelque chose quand nous savons qu’elle nous sera accordĂ©e dans le futur, et autre est demander quelque chose que nous avons dĂ©jĂ  reçu.  Saint Ambroise espĂ©rait que Theodose soit dĂ©jĂ  dans le ciel, et c’est pour cela qu’il le fĂ©licitait;   et, comme il n’en Ă©tait pas sur, il priait en mĂȘme temps pour lui.  Épiphane n’a jamais dit que, dans l’Église, on priait pour les saints, mais il a dit qu’on faisait mĂ©moire de tous les fidĂšles dĂ©funts, tant pĂ©cheurs que justes.  Et il ajoute : « Nous implorons Dieu pour les pĂ©cheurs pour qu’il leur fasse misĂ©ricorde; et pour les justes, pour les sĂ©parer du Christ. »

Oui, nous sĂ©parons les saints du Christ, non comme le dit Pierre, parce que nous prions les saints et non le Christ, mais parce que nous offrons un sacrifice d’action de grĂąces pour les saints.  Nous n’offrons rien pour le Christ, mais plutĂŽt au Christ avec le PĂšre et le Saint-Esprit.  C’est ce que peut nous faire comprendre la liturgie des grecs, dont parle Épiphane, que nous trouvons dans le cinquiĂšme tome de saint Jean Chrysostome.  Car lĂ , est faite la commĂ©moration de tous les saints, et l’on dit : « Nous t’offrons, Seigneur, ce sacrifice pour les patriarches, les apĂŽtres, les prophĂštes, et les martyrs, et surtout pour la bienheureuse mĂšre de Dieu. »  Que ce sacrifice ne soit pas offert pour des pĂ©chĂ©s, mais pour leur gloire, la chose est Ă©vidente, car la liturgie ajoute tout de suite aprĂšs : « À cause de leurs supplications, regarde-nous, Dieu. »  Et ensuite, on ajoute une priĂšre pour les autres dĂ©funts : « Et souviens-toi de tous les fidĂšles dĂ©funts qui se sont endormis dans l’espoir de la rĂ©surrection, et fais-les reposer lĂ  oĂč l’on voit la lumiĂšre de ton visage. »  On peut apprendre la mĂȘme chose du traitĂ© 84  de saint Augustin sur saint Jean, et de la cinquiĂšme catĂ©chĂšse de saint Cyrille de JĂ©rusalem, et de notre liturgie qui est tout Ă  fait semblable Ă  celle que saint Augustin, saint Cyrille, et Épiphane dĂ©crivent.

                                               &CHAPITRE 10

       On prouve le purgatoire par les tĂ©moignages desPĂšresdel’Église ( PĂšresgrecs etPĂšreslatins)

Saint ClĂ©ment (livre 8, chapitre 47 des constitutions apostoliques) dĂ©crit une longue priĂšre qu’on a coutume de faire pour les morts.  Saint Denys (chapitre 7, par 3 de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique), dit : « Puis le vĂ©nĂ©rable ancien s’approche, rĂ©cite la sainte priĂšre pour les morts.  Cette priĂšre implore la divine clĂ©mence pour qu’elle remette tous  les pĂ©chĂ©s reconnus par le dĂ©funt, et  pour qu’elle le place dans la lumiĂšre, et dans la rĂ©gion des vivants. » Athanase, ou quiconque est l’auteur de la  question 34 Ă  Antioche, demande si les Ăąmes tirent du profit des priĂšres des vivants.  Il rĂ©pond : absolument.  Saint Basile, dans sa liturgie, a composĂ© des priĂšres pour les morts.  Saint GrĂ©goire de Naziance (dans son sermon sur CĂ©saire vers la fin) dit  : « Nous recommandons  Ă  Dieu nos Ăąmes et les Ăąmes de ceux qui, marchant plus rapidement, sont parvenus avant nous Ă  l’auberge. » Au mĂȘme endroit, il prie pour l’ñme du mĂȘme CĂ©saire. Et Ephrem dit,  dans son testament : «Faites rĂ©guliĂšrement mĂ©moire de moi dans vos priĂšres,  car j’ai passĂ© ma vie dans la vanitĂ© et l’iniquitĂ©. »

Saint Cyrille de JĂ©rusalem (catĂ©chĂšse 5) : « Ensuite, nous prions pour tous ceux des nĂŽtres qui ont quittĂ© cette vie, croyant fermement que sont aidĂ©es les Ăąmes pour lesquelles est offerte la supplication du saint et redoutable sacrifice. » EusĂšbe (livre 4 sur la vie de Constantin) dit qu’ « il a voulu ĂȘtre enseveli dans le temple cĂ©lĂšbre pour qu’il soit participant des nombreuses priĂšres ». Épiphane, Ă  la fin de son livre contre les hĂ©rĂ©sies, Ă©numĂšre parmi les dogmes de l’église les priĂšres pour les morts, et, Ă  l’hĂ©rĂ©sie 15, il range Aerius parmi les hĂ©rĂ©tiques parce qu’il niait cela.

Saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 41 sur la premiĂšre lettre aux Corinthiens) dit : « Le mort est aidĂ© non par des larmes mais par  les priĂšres, les supplications et les aumĂŽnes. »  Et plus bas : « Ne nous lassons pas d’apporter de l’aide aux morts, d’offrir des priĂšres pour eux. »  HomĂ©lie 69 au peuple : « Ce n’est pas tĂ©mĂ©rairement qu’a Ă©tĂ© statuĂ© par les apĂŽtres  que, dans les mystĂšres redoutables, on fasse mĂ©moire des dĂ©funts.  Car, ils savaient qu’ils en retirent un grand profit, une grande utilitĂ©. »  De mĂȘme (homĂ©lie 32, sur Matth, et 84 sur Jean, homĂ©lie 3 sur l’épitre aux Philippiens, et 21 sur les actes des apĂŽtres).  Theodoret (livre 5, chapitre 26) de son histoire)  Ă©crit que  Theodose junior, «  s’est prostrĂ©  sur les reliques de saint Jean Chrysostome, et a priĂ© pour les Ăąmes de ses parents dĂ©jĂ  morts : Arcade et Eudoxe ».  Theophylacte  (chapitre 12 sur Luc) Ă©crit : «  Je dis cela Ă  cause des oblations et des distributions qui sont faites pour les dĂ©funts, qui ne sont pas d’un faible profit,  mĂȘme pour ceux qui sont morts aprĂšs avoir commis de graves dĂ©lits. »  Saint  Jean DamascĂšne (dans son livre sur ceux qui ont migrĂ© dans la foi) prouve cette vĂ©ritĂ© par le tĂ©moignage de plusieurs pĂšres : Denys, Athanase, GrĂ©goire de Naziance, GrĂ©goire de Nysse, et d’autres.  Voir aussi Pallade dans son histoire lausiaque, chapitre 41.

Venons-en aux latins.  Tertullien, (dans le livre de la couronne du soldat) Ă©numĂšre, parmi les traditions apostoliques, les suffrages pour les dĂ©funts.  Et (dans son livre sur la monogamie, passĂ© le milieu), il dit : « Qu’elle prie pour l’ñme de son conjoint dĂ©funt, et elle lui obtiendra entre temps du rafraichissement,  et une compagne Ă  la premiĂšre rĂ©surrection des morts;  et qu’elle fasse des offrandes pendant tous les jours de sa dormition. Car, si elle ne faisait pas ces choses, elle le rĂ©pudierait vraiment, en autant que cela dĂ©pend d’elle. »  Il dit la mĂȘme chose dans son livre sur l’exhortation Ă  la chastetĂ©, loin du milieu.  Saint Cyprien (livre 1, Ă©pitre 9) : « Les Ă©vĂȘques nos prĂ©dĂ©cesseurs ont statuĂ© que personne ne nomme clerc  un frĂšre  qui se soustrait Ă  la tutelle et Ă  la garde de l’Église.  Et si quelqu’un faisait cela, on ne ferait pas d’offrande pour lui, et on ne cĂ©lĂ©brerait pas non plus le sacrifice pour sa dormition. » Et plus bas : « Et c’est pourquoi, puisque  Victor a osĂ©, contre la directive donnĂ©e rĂ©cemment en concile pour les prĂȘtres, instituer prĂȘtre l’acteur Germinius Faustus, il n’y a pas de raison pour que vous fassiez une oblation ou une priĂšre pour sa dormition. »  Saint Ambroise  (livre  2, Ă©pitre 8 Ă   Faustin, sur la mort de sa sƓur), Ă©crit : « C’est pourquoi j’estime qu’il ne faut pas tant la pleurer que la poursuivre par des priĂšres, ni s’abandonner aux pleurs, mais plutĂŽt recommander son Ăąme Ă  Dieu par des oblations. »  Voir aussi les priĂšres sur la mort de Theodose, de Valentin, de Satyre, dans lesquelles on supplie Dieu pour les Ăąmes de ceux qu’on vient juste de nommer; et on promet d’offrir des sacrifices.

Saint JĂ©rĂŽme (dans l’épitre Ă  Pammaque sur la mort de sa femme Pauline, avant le milieu) Ă©crit : « Les autres maris rĂ©pandent, sur les tombes de leurs conjointes, des violettes, des roses, des lys, et des fleurs empourprĂ©es.  Notre Pammaque, lui, arrose avec le baume des aumĂŽnes la sainte dĂ©pouille, les os vĂ©nĂ©rĂ©s. C’est avec ces Ă©pices  et ces odeurs qu’il  favorise le repos des cendres, sachant qu’il est Ă©crit : comme l’eau Ă©teint le feu, l’aumĂŽne Ă©teint le pĂ©chĂ©. »  Saint Paulin de Noles, dans son Ă©pitre au mĂȘme Pammaque,  le loue de satisfaire aux besoins corporels et spirituels de sa femme, les corporels par les larmes, les spirituels par les aumĂŽnes.  De mĂȘme, (dans l’épitre 5 Ă  l’évĂȘque Delphin), il lui dit, en lui recommandant l’ñme de son frĂšre : « Fais que par tes priĂšres il te soit accordĂ© cela  Ă  toi aussi, et qu’une goutte de fraĂźcheur qui coule du plus petit doigt de ta saintetĂ© l’asperge. »  Et dans l’épitre suivante, (qui est la premiĂšre Ă  Amandus) il dit des choses semblables en recommandant la mĂȘme Ăąme Ă  l’évĂȘque Amandus.

Saint Augustin (chapitre 2 du soin aux morts) dit : « Dans le livres des MaccabĂ©es, nous lisons qu’un sacrifice a Ă©tĂ© offert pour les morts. Mais, mĂȘme si on ne lisait jamais rien de tel,  l’autoritĂ© de l’église universelle qui s’affirme dans cette coutume est loin d’ĂȘtre petite.  C’est-Ă -dire que dans  les priĂšres du prĂȘtre qui sont rĂ©pandues au Seigneur Dieu sur son autel, trouve mĂȘme sa place la recommandation des morts. »  Et, au chapitre 4 : « Quand l’ñme s’est recueillie sur le sĂ©pulcre d’un corps trĂšs cher, et que ce lieu est dĂ©diĂ© Ă  un martyr vĂ©nĂ©rable, elle recommande au mĂȘme martyr l’ñme aimĂ©, et l’affection de celui qui s’en souvient et prie pour elle. Et comme cela est fait par des fidĂšles pour des dĂ©funts, il n’y a aucun doute que la chose soit profitable. »  Et plus bas : « Il ne faut pas omettre les supplications faites pour les Ăąmes des dĂ©funts, celles qui doivent ĂȘtre faites pour tous les dĂ©funts dans la sociĂ©tĂ© chrĂ©tienne et catholique. MĂȘme en taisant les noms de certains, l’église prie pour eux en termes gĂ©nĂ©raux, pour que ceux qui n’ont pas de parents, de fils ou d’amis soient pris en charge par la mĂšre pieuse commune. »  Voir la mĂȘme chose dans l’enchiridion (chapitre 110, livre 9. Confessions, chapitre 13,  sermon sur les paroles apostoliques 17 et 34, livre 21 de la citĂ© de Dieu, chapitre 24, et traitĂ© 84 sur saint Jean, question 2 Ă  Dulcitium, et ensuite le livre sur les hĂ©rĂ©sies (chapitre 53) oĂč il dĂ©clare hĂ©rĂ©tique Aetius, parce qu’il niait qu’il fallait offrir des sacrifices pour les morts.

Saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 35), dit : « L’oblation de la sainte hostie salutaire a coutume d’apporter beaucoup de choses aux Ăąmes aprĂšs la mort, de façon telle que les dĂ©funts eux-mĂȘmes semblent y compter ».  Et, au chapitre 50 : « C’est une chose qui profite aux morts, dont les Ăąmes ne sont pas grevĂ©es de pĂ©chĂ©s graves, d’ĂȘtre ensevelies dans l’église, car Ă  toutes les fois que leurs parents se rendent aux lieux oĂč ils ont Ă©tĂ© ensevelis, ils voient leurs sĂ©pulcres, ils se souviennent d’eux et rĂ©pandent des priĂšres pour eux Ă  Dieu. »  Isidore de SĂ©ville (livre 1, chapitre 16 sur les devoirs divins) : « Si l’église catholique ne croyait pas que des pĂ©chĂ©s sont remis aux fidĂšles dĂ©funts, elle ne ferait pas, pour le repos de leurs Ăąmes, des aumĂŽnes, et elle n’offrirait pas Ă  Dieu le saint sacrifice. »  Victor (livre 2 sur la persĂ©cution des vandales) : « Qui nous ensevelira avec des priĂšres solennelles Ă  notre mort ? »  Ensuite, saint Bernard (dans le sermon 66 sur le livre des cantiques), Pierre de Cluny (dans son livre contre les petrobrusiens) Ă©crivit directement contre cette erreur.  Malachie (d’aprĂšs saint Bernard) : « Ce n’est pas un petit espoir que je place  dans ce jour (le 2 novembre ?) oĂč les dĂ©funts reçoivent tant de bienfaits de la part des vivants. »

Mais il vaut la peine d’écouter ce que Calvin et le martyr Pierre ont Ă  rĂ©pondre Ă  cela.   Pierre le martyr rĂ©pond que, Ă  ce sujet, presque tous les pĂšres ont errĂ©, et il Ă©numĂšre leurs erreurs.  Et ils errĂšrent dans des opinions privĂ©es que d’autres rĂ©futĂšrent,  car ils ne peuvent pas errer tous ensemble sans que l’Église universelle n’erre et ne pĂ©risse.   Jean Calvin, lui, dit quatre choses (livre 3, chapitre 5, verset 10 des institutions). La premiĂšre : « Avant les annĂ©es 1300, il fut d’usage de prier pour les morts. »  Et un peu plus loin : « Mais tous, je crois, Ă©taient tombĂ©s en erreur. » Cette confession suffit certes, Ă  elle seule, pour condamner Calvin.   Car, comment est-il crĂ©dible que l’Église soit, pendant 13 cents ans tombĂ©e dans l’erreur, et qu’il n’y ait eu personne, Ă  par Aerius, pour la remettre sur la bonne voie, cet Aerius que les calvinistes et nous considĂ©rons comme un hĂ©rĂ©tique ?

La deuxiĂšme.  Il dit ensuite que « les anciens ont priĂ© pour les morts, non pour les aider, mais pour leur manifester une pieuse affection, et se  consoler eux-mĂȘmes ».  Mais cela est un mensonge flagrant, car les pĂšres citĂ©s disent clairement que les Ăąmes sont aidĂ©es, et ils font la distinction entre les consolations des vivants et l’aide apportĂ©e aux morts.  Surtout saint Augustin (dans enchiridion, chapitre 110, et dans son livre sur le soin des morts).  La troisiĂšme.   Le peuple chrĂ©tien a commencĂ© Ă  prier pour les morts en imitant les paĂŻens.  Et les pĂšres se sont accommodĂ©s de l’opinion du peuple, comme  saint  Augustin (livre citĂ©).  Calvin dit : « C’est ainsi qu’il dispute sur un ton douteux, hĂ©sitant et froid pour pouvoir Ă©teindre par sa frigiditĂ© le zĂšle de ceux qui se battent pour le purgatoire.  Qu’il ait priĂ© pour sa mĂšre, c’est parce qu’il n’examina pas Ă  la lumiĂšre de l’évangile le vƓu sĂ©nile de sa mĂšre, et voulut ĂȘtre approuvĂ© par tous dans son affection privĂ©e. »

Mais cela aussi est un mensonge.  Car, dans les dĂ©buts, les pĂšres ne furent jamais plus prompts Ă  prohiber les rites des paĂŻens que quand un grand nombre de paĂŻens se convertirent.  Il est certain que Tertullien  et Cyprien furent de trĂšs sĂ©vĂšres ennemis de toute superstition paĂŻenne.  Et cela au point oĂč Tertullien reproche Ăąprement aux soldats chrĂ©tiens de porter une couronne Ă  la maniĂšre des soldats paĂŻens.  Et cependant, ces mĂȘmes sĂ©vĂšres censeurs les exhortaient Ă  prier pour les dĂ©funts.  De plus, non seulement les pĂšres ne blĂąment pas cet usage, mais ils statuent dans leurs conciles qu’on doit agir ainsi,  et  ils prĂ©cĂšdent les fidĂšles par l’exemple.  Et de plus, beaucoup de ces pĂšres dĂ©clarent qu’il s’agit lĂ  d’une tradition apostolique.  Ils condamnent mĂȘme Aerius comme hĂ©rĂ©tique parce qu’il pensait le contraire.  Que pouvaient-ils donc dire de plus ?  Saint Augustin, dans son livre sur le soin des morts, chapitre 4,  explique longuement que, hors de tout doute possible,  les Ăąmes sont aidĂ©es par des priĂšres et des aumĂŽnes;   et dans tout le livre, il n’y a pas un mot ou mĂȘme une syllabe  qui insinue le doute dont parle Calvin.  Que Calvin se moque du vƓu de sainte Monique et des priĂšres de saint Augustin, il n’y a pas lĂ  de quoi se surprendre.  C’est une chose qui lui est coutumiĂšre de critiquer les saints, et d’en rire.

La quatriĂšme. « Sur le purgatoire, les pĂšres n’ont rien affirmĂ©, parce qu’ils le considĂ©raient comme une chose incertaine ».  Cela aussi est une intolĂ©rable impudence ou une ignorance crasse.  Car, d’abord, mĂȘme s’ils n’avaient pas employĂ© le mot purgatoire, on pouvait facilement comprendre ce que les pĂšres en pensaient,  du fait qu’ils disaient si clairement que les Ăąmes des fidĂšles dĂ©funts sont rafraichies et aidĂ©es par les priĂšres des fidĂšle vivants.  De plus, il existe bel et bien des passages oĂč ils parlent clairement du purgatoire. J’en donnerai quelques exemples. Saint GrĂ©goire de Nysse (dans son sermon pour les morts, dĂ©passĂ© le milieu) dit : « AprĂšs avoir Ă©tĂ© purgĂ©, dans la vie prĂ©sente, par les priĂšres et la ferveur de sa vie sage,  ou,  aprĂšs avoir, aprĂšs sa mort, expiĂ© ses pĂ©chĂ©s dans la fournaise du feu purificateur, il voudra retourner Ă  la fĂ©licitĂ© primitive. »  Et plus bas : « D’autres, aprĂšs la vie, se purifient de la tache de la matiĂšre dans le feu purgeur. »

Saint Ambroise (psaume 36 : les pĂ©cheurs ont dĂ©gainĂ© le glaive) : « Et si le Seigneur sauve ses serviteurs, nous serons sauvĂ©s par la foi, mais nous serons sauvĂ©s comme Ă  travers le feu. MĂȘme si nous ne sommes pas consumĂ©s par le feu, nous serons quand mĂȘme brulĂ©s par lui.  Que certains demeurent dans le feu, que d’autres passent au travers, l’Écriture nous l’enseigne dans un autre passage, celui de la mer rouge.  Dans la mer rouge, l’armĂ©e des Égyptiens a Ă©tĂ© complĂštement submergĂ©e, mais le peuple hĂ©breu a traversĂ©.  MoĂŻse a passĂ©, le Pharaon a sombrĂ© dans les flots.  Ce sont les pĂ©chĂ©s graves qui l’ont noyĂ©, et c’est de cette façon que sont prĂ©cipitĂ©s les sacrilĂšges dans le lac du feu ardent. »  Voir aussi son sermon 20 sur le psaume 118.

Saint Augustin (livre 21, chapitre 16 de la citĂ© de Dieu), parlant des enfants baptisĂ©s mourants : « Non seulement il ne sera pas condamnĂ© aux peines Ă©ternelles, mais il ne souffrira, aprĂšs sa mort, aucun tourment purgeur. »  Et, au chapitre 20, parlant des fidĂšles adultes dĂ©cĂ©dĂ©s avec de lĂ©gers pĂ©chĂ©s vĂ©niels, il Ă©crit : « Il est certain que ces personnes seront, avant le jour du jugement, purgĂ©es par des peines temporaires que subiront leurs esprits, mais qu’elles ne seront pas livrĂ©es aux supplices du feu Ă©ternel. » De mĂȘme (dans l’homĂ©lie 16, livre 50 des homĂ©lies), il Ă©crit : « Ceux qui mĂ©ritent des peines temporaires passeront Ă  travers un feu purgatoire.  Celui dont parle l’apĂŽtre quand il dit : «il sera sauvĂ©, mais comme Ă  travers le feu. » Et (au livre de la GenĂšse, contre les manichĂ©ens, chapitre 20) : « Celui qui ne cultivera pas son champ, et le laissera en friche, aura, pendant sa vie, la malĂ©diction de sa terre dans toutes ses actions; et, aprĂšs sa vie, il aura le feu purgeur ou la peine Ă©ternelle. »

Ensuite, au psaume 37 : « Parce qu’on dit qu’il sera sauvĂ©, on mĂ©prise ce feu.  Mais bien qu’il soit sauvĂ© par le feu, ce feu est plus pĂ©nible que tout ce que l’homme peut souffrir dans sa vie. »  Et quand  saint Augustin (livre 21, chapitre 26 de la citĂ© de Dieu, et chapitre 29 de son enchiridion), dit qu’on peut se demander si, aprĂšs cette vie, les Ăąmes sont torturĂ©es dans le feu purgeur, il ne doute pas de la peine des Ăąmes, mais du mode et de la qualitĂ© de cette peine. Car, dans le premier passage, il se demande seulement si le feu purgeur est le mĂȘme, en substance, que le feu de l’enfer, celui dont on parle en Matthieu 25 : « Allez au feu Ă©ternel ! »  Dans l’autre texte, il se demande si, aprĂšs cette vie, les Ăąmes sont brulĂ©es par ce feu douloureux Ă  cause de la perte des biens temporels, qui les tourmentait sur terre, alors qu’elles sont contraintes de se priver de choses qu’elles aiment chĂšrement. »

Saint JĂ©rĂŽme (Ă  la fin de son commentaire sur IsaĂŻe) : « Comme nous croyons aux tourments Ă©ternels du diable, et de tous les nĂ©gateurs ou impies qui disaient dans leur cƓur : il n’est pas de dieu, nous nous attendons Ă  une sentence du Juge modĂ©rĂ©e, et tempĂ©rĂ©e par la clĂ©mence,  pour les chrĂ©tiens dont les Ɠuvres ont Ă  ĂȘtre  Ă©prouvĂ©es et purgĂ©es  par le feu. »  Saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39 des dialogues) : « Nous croyons que, pour les lĂ©gĂšres fautes, il y a, avant le jugement, un feu purgeur. »  Et (dans le troisiĂšme psaume pĂ©nitentiel, au tout dĂ©but) : « Je sais qu’il arrivera que, aprĂšs la sortie de cette vie, quelques-uns expieront par des flammes purgatives,  et d’autres subiront la sentence de la condamnation Ă©ternelle. »

OrigĂšne (homĂ©lie 6 sur l’Exode) : « Celui qui est sauvĂ© est sauvĂ© par le feu, pour que si, par hasard, du plomb s’était mĂ©langĂ© Ă  l’or, le feu le consume et l’élimine complĂštement;  et pour que tous deviennent de l’or pur. » Saint GrĂ©goire de Naziance (priĂšre sur la sainte lumiĂšre, vers la fin) : « Ils seront baptisĂ©s dans un autre feu, qui est le dernier baptĂȘme.  Il n’est pas seulement plus brulant, mais plus durable,   Il dĂ©truit la matiĂšre crasse, et efface les relents du vice. »  Saint Basile (chapitre 9 d’IsaĂŻe) : « Si donc, par la confession, nous arrachons le pĂ©chĂ©, il est pleinement juste que le feu purgeur extermine et dĂ©vore les semences qui ont poussĂ© par aprĂšs. »  Et plus bas : « Ce n’est pas de n’importe laquelle extermination dont on nous menace, mais de celle qui se fera selon la parole de l’apĂŽtre : il sera sauvĂ©, mais comme Ă  travers le feu. »

EusĂšbe Emyssenus (homĂ©lie 3 sur l’épiphanie) : « Cette peine infernale demeurera dans ceux qui, n’ayant pas conservĂ© le baptĂȘme qu’ils ont reçu, pĂ©riront Ă©ternellement.  Ceux qui seront dignes de peines temporaires, passeront par un fleuve de feu, par des vasques horribles remplies  de globes de feu. »  Theodoret (dans les commentaires grecs sur un Corinthe 3) : «   Nous croyons dans le feu purgeur, dans lequel les Ăąmes des dĂ©funts sont Ă©prouvĂ©es et purgĂ©es de nouveau, comme l’or dans le creuset. » Oecumenius (dans son commentaire du mĂȘme texte) : « Il sera sauvĂ© lui aussi, non cependant sans douleur, comme il arrive Ă  quelqu’un qui passe au travers d’un feu, et il expiera ainsi les fautes les plus lĂ©gĂšres. »  Tertullien (dans on livre sur l’ñme, chapitre 17) : « Il t’enverra dans la prison de l’enfer, d’oĂč tu ne t’évaderas pas sans avoir, avant la rĂ©surrection, expiĂ© chaque faute. »  Saint Cyprien (livre 4, Ă©pitre 2) : « Autre est d’ĂȘtre purgĂ© de ses pĂ©chĂ©s en Ă©tant torturĂ© pendant une longue pĂ©riode de temps, et d’ĂȘtre purifiĂ© par le feu, autre est d’ĂȘtre purifiĂ© de tous ses pĂ©chĂ©s par la passion. »

Saint JĂ©rĂŽme (livre 1 contre les pĂ©lagiens, passĂ© le milieu) : « Si OrigĂšne dit que toutes les crĂ©atures raisonnables ne doivent pas ĂȘtre perdues,  et s’il attribue au diable la pĂ©nitence, que nous importe Ă  nous,  nous qui disons que le diable, ses satellites, les impies et les prĂ©varicateurs pĂ©riront perpĂ©tuellement, et que les chrĂ©tiens qui ont Ă©tĂ© prĂ©venus par le pĂ©chĂ©, seront sauvĂ©s aprĂšs avoir subi des peines. »  Saint Paulin (Ă©pitre 1 Ă  Amandus) : « Nous demandons intensĂ©ment, Ă  ce sujet,  que, comme un frĂšre, tu convoites les labeurs de la priĂšre pour que le Dieu misĂ©ricordieux rafraichisse son Ăąme par vos priĂšres, comme par  les gouttelettes de sa misĂ©ricorde »  BoĂšce (livre 4, prose 4) : « Est-ce que tu laisses des supplices aux  Ăąmes aprĂšs la mort du corps ?  Oui, de grands, les uns en tant que peine Ă©ternelle imposĂ©e par la justice,  les autres en tant que peine purgative demandĂ©e par la clĂ©mence. »

Saint Isidore (livre 1, chapitre 18, les devoirs divins) : « Quand le Seigneur dit : celui qui pĂšchera contre le Saint-Esprit, il ne lui sera pardonnĂ© ni dans ce monde ni dans l’autre, il dĂ©montre Ă  qui les pĂ©chĂ©s doivent ĂȘtre remis  et purgĂ©s dans un  feu purgeur. »  BĂšde (psaume 19) : « Certains commettent des pĂ©chĂ©s vĂ©niels plus ou moins graves, et c’est pourquoi il est nĂ©cessaire qu’ils soient corrigĂ©s dans la colĂšre, c’est-Ă -dire placĂ©s  dans le feu purgeur, pendant un certain temps, avant le jour du jugement, pour que les impuretĂ©s qui se trouvent en eux soient consumĂ©es par ce feu. Et c’est ainsi qu’ils seront trouvĂ©s dignes  d’ĂȘtre couronnĂ©s avec ceux qui sont Ă  droite. »  Au mĂȘme endroit, il dit que feu est plus dur Ă  supporter que les peines des voleurs ou des martyrs.

Pierre Damien (sermon 2 sur saint AndrĂ©) : « Tu ne te rĂ©jouiras pas si Ă  celui qui pĂȘche gravement une pĂ©nitence trop lĂ©gĂšre est donnĂ©e par un confesseur  complaisant ou  hypocrite, puisque c’est dans les feux purgeurs que sera portĂ© Ă  sa perfection ce que tu auras fait de moins bien.  Car le TrĂšs-Haut demande  de dignes fruits de pĂ©nitence. »   Anselme (1 Corinthiens 3) : « Car, nous devons croire que, avant la rĂ©surrection des morts, il y a pour les fautes plus lĂ©gĂšres un feu purgeur. »  Et il ajoute, au mĂȘme endroit, qu’il existe aussi une peine extrĂȘmement grande.

Saint Bernard (sermon sur la mort de Humbert) : « Le temps vole irrĂ©vocablement, mes frĂšres,  et quand vous pensez vous Ă©pargner cette peine minime, vous en encourrez une plus grande,   Car, sachez que, aprĂšs cette vie, est, dans les lieux purgeurs,  rendu au centuple, et jusqu’au dernier centime,  tout ce que nous avons nĂ©gligĂ© de rendre dans cette vie.  Je sais trĂšs bien comme il est dur Ă  l’homme dissolu de se soumettre Ă  une discipline, au bavard de s’imposer le silence, au vagabond de se sĂ©dentariser.   Mais il sera plus difficile et beaucoup plus difficile de tolĂ©rer les tourments futurs. »  Lactance (livre 7, chapitre 21) : « Les pĂ©chĂ©s qui auront prĂ©valu par le poids et par le nombre seront consumĂ©s par le feu. »  Saint Hilaire (psaume 18 sur la phrase «  mon Ăąme a dĂ©sirĂ© les jugements de ta justice », il dit : « Nous avons Ă  passer dans ce feu inextinguible au moyen duquel   de graves supplices seront infligĂ©s pour expier les pĂ©chĂ©s de l’ñme. »

CHAPITRE 11

                            On prouve la mĂȘme chose par la raison

Le quatriĂšme argument vient des raisonnements.La premiĂšre raison.   Certains pĂ©chĂ©s sont vĂ©niels, et ne mĂ©ritent qu’une peine temporaire.  Et il peut arriver qu’un homme quitte cette vie avec ces seuls pĂ©chĂ©s.  Il faut donc qu’ils soient purgĂ©s dans l’autre vie.  Qu’il y ait des pĂ©chĂ©s vĂ©niels, saint Jacques nous en donne la preuve quand il dit : « Chacun est tentĂ© par sa concupiscence.   Quand la concupiscence conçoit, elle enfante le pĂ©chĂ©.  Le pĂ©chĂ©, quand il est consommĂ©, enfante la mort. » Il dĂ©crit ici le pĂ©chĂ© vĂ©niel comme une imperfection de l’acte.  Et il n’y a pas lieu de faire ici la distinction que font les hĂ©rĂ©tiques quand ils parlent de non imputation.  Car, Jacques explique le processus du pĂ©chĂ© en lui-mĂȘme, et  il enseigne que, aprĂšs la tentation de la concupiscence qui peut ĂȘtre sans pĂ©chĂ©, le pĂ©chĂ© suit immĂ©diatement, si on n’y prend pas garde.  Car, de la concupiscence provient la dĂ©lectation dans la partie infĂ©rieure, qui n’est pas un pĂ©chĂ© si le consentement de l’esprit fait dĂ©faut.  C’est pourquoi il ajoute : « Si le pĂ©chĂ© a Ă©tĂ© consommĂ©, » car le plein consentement engendre la mort.

De plus, en 1 Cotinthiens 3 : « Celui qui construit par-dessus avec du bois, du chaume ou de la paille  sera sauvĂ© comme par le feu. »  Par la lĂ©gĂšretĂ© de la matiĂšre, il  dĂ©crit ici le pĂ©chĂ© vĂ©niel.  Et que nous entendions les paroles de l’apĂŽtre  pendant cette vie, ou pendant l’autre,  de la doctrine ou de toutes les Ɠuvres, on  est nĂ©cessairement tenu  de voir dans le bois et la paille les pĂ©chĂ©s vĂ©niels,  quand celui qui est sauvĂ©,  est sauvĂ© comme par le feu.  Saint Augustin (livre 83, question 26) : dit : « Autres sont les pĂ©chĂ©s de faiblesse, autres ceux d’inexpĂ©rience, autres ceux de malice.  La faiblesse est contraire Ă  la vertu, l’inexpĂ©rience Ă  la sagesse, et la malice  Ă  la bontĂ©.  Qui donc sait ce qu’est la vertu et la sagesse de Dieu, peut estimer ce que sont les pĂ©chĂ©s vĂ©niels.  Et celui qui connait la bontĂ© de Dieu peut dĂ©tecter Ă  quels pĂ©chĂ©s une certaine peine est due ici, et dans le siĂšcle futur.  Si on tien compte de tout cela, on pourra peut-ĂȘtre juger quels sont ceux qui ne sont pas contraints de faire une pĂ©nitence pĂ©nible et dĂ©plorable, mĂȘme s’ils avouent leurs pĂ©chĂ©s, et quels sont ceux Ă  qui aucun espoir de salut n’est accordĂ©,  Ă  moins qu’ils offrent un sacrifice Ă  Dieu, le cƓur rendu contrit par la pĂ©nitence ».

DerniĂšre preuve par la raison. Car on ne peut comprendre qu’une parole oiseuse soit digne, par sa nature, d’une haine Ă©ternelle de Dieu, et des flammes Ă©ternelles.  Ici, sur cette terre, on considĂ©rerait comme un triple idiot celui qui, Ă  cause d’une lĂ©gĂšre offense de son ami, faite sans aucune malice, ne voudrait plus de lui comme ami, et  lui en garderait rancune jusqu’à sa mort.  Il demeure donc qu’il existe des pĂ©chĂ©s qui ne sont que vĂ©niels, et qui ne sont dignes que d’une peine temporaire.  Qu’il arrive que certains meurent avec ces pĂ©chĂ©s et aient besoin d’une purgation dans une autre vie, on le prouve de la façon suivante.  Quelqu’un peut en mourant, avoir la volontĂ© de demeurer dans un pĂ©chĂ© vĂ©niel. Ce pĂ©chĂ© n’est donc pas  effaçable au moment de la mort.  De plus, puisque le juste pĂšche sept fois par jour, (Proverbers 24) et que plusieurs meurent subitement, comment est-il crĂ©dible que personne ne meure en Ă©tat de pĂ©chĂ©s vĂ©niels ? Et c’est lĂ  la premiĂšre raison.    La deuxiĂšme.  Quand les pĂ©cheurs sont rĂ©conciliĂ©s Ă  Dieu, la peine temporelle n’est pas toujours remise avec le pĂ©chĂ©.  Il Ă©tait donc nĂ©cessaire d’instituer un purgatoire.

On prouve briĂšvement la majeure, car, ailleurs, on la prouvera au long et au large.  2 Rois 12.  Quand le roi David a dit : j’ai pĂ©chĂ©, le prophĂšte lui dit : Dieu transporte loin de toi l’iniquitĂ©, mais parce que tu as fait en sorte que les ennemis blasphĂšment le nom du Seigneur, le fils qui t’est nĂ© mourra de mort. » Nombres 12 :  Quand Marie murmura contre le Seigneur, elle fut punie par la maladie de la lĂšpre.  Quand MoĂŻse pria pour elle,  Dieu lui pardonna sa faute,  mais il voulut qu’elle subisse sa peine pendant une semaine.

À cela et Ă  des choses semblables  Calvin RĂ©pond (livre 3, chapitre 4, verset  31 des institutions)  qu’il y a deux sortes de flĂ©aux divins.  Les uns sont des peines proprement dites, et sont infligĂ©s par Dieu en tant que juge, en punition des pĂ©chĂ©s passĂ©s, pour satisfaire Ă  la justice.  D’autres sont des chĂątiments  qui sont infligĂ©s par Dieu en tant que pĂšre, non en punition des pĂ©chĂ©s passĂ©s, mais en tant que remĂšdes pour les futurs.  Pour que l’homme soit morigĂ©nĂ© par un flĂ©au, pour qu’il ne soit plus si prompt Ă  pĂ©cher.  Le premier genre, dit Calvin, ne se rapporte qu’aux seuls ennemis, le second, aux seuls amis » Et comme ces peines ne doivent pas ĂȘtre expiĂ©es au nom de la justice, il n’y a rien qui permette de dire qu’une dette demeure aprĂšs la mort, quand il n’y a pas de danger de retomber dans le pĂ©chĂ©.

Mais c’est pour rien que s’agite Calvin.  Car mĂȘme si on doit reconnaitre que les flĂ©aux qui frappent les justes sont des chĂątiments paternels, et des remĂšdes contre les pĂ©chĂ©s futurs, il faut reconnaitre, en mĂȘme temps, la vraie peine et la vraie satisfaction due en justice Ă  cause des fautes passĂ©es.  On le prouve cela ainsi.    Car, en Rois 12, on exprime la cause pour laquelle David est puni.  On ne lui dit pas : ne pĂšche plus de nouveau, mais : parce que tu as fait blasphĂ©mĂ© mon nom.  De plus, la mort est une vraie peine du pĂ©chĂ© originel, et les justes la subissent non pour qu’ils s’abstiennent du pĂ©chĂ©, mais pour satisfaire Ă  la justice divine.  Ce qui est Ă©vident, car elle n’a pas Ă©tĂ© infligĂ©e par Dieu, aprĂšs le pĂ©chĂ©, comme un chĂątiment paternel, car elle avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e peine du pĂ©chĂ©, avant le pĂ©chĂ©; et elle perdure aprĂšs le pĂ©chĂ©, et aprĂšs la rĂ©mission du pĂ©chĂ©.  GenĂšse 2 : « Le jour oĂč tu en mangeras, tu mourras de mort. »  Et aux Romains 5 : « Par un seul homme le pĂ©chĂ© est entrĂ© dans le monde, et par le pĂ©chĂ© la mort,  dans lequel tous ont pĂ©chĂ©. »  Et Calvin lui-mĂȘme (livre 2, chapitre 1, verset 8) confesse ouvertement que la vraie mort est la peine du pĂ©chĂ©.  Comment donc la mort peut-elle ĂȘtre un flĂ©au paternel pour prĂ©venir les pĂ©chĂ©s futurs ?  Car, celui qui meurt ne plus s’amender.

En plus de la mort commune Ă  tous, qui est une peine du pĂ©chĂ© originel, nous avons d’autres exemples dans l’Écriture de personnes qui ont Ă©tĂ© punies de mort violente, quand le pĂ©chĂ© leur avait Ă©tĂ© remis.  Leur mort ne pouvait pas non plus ĂȘtre un chĂątiment paternel qui servait de remĂšde pour les pĂ©chĂ©s futurs.  Car, dans Exode 32, Dieu, Ă  la priĂšre de MoĂŻse, a Ă©pargnĂ© le peuple.  Et cependant MoĂŻse, en expiation du pĂ©chĂ©, ordonna de tuer des milliers d’IsraĂ©lites, choisis au hasard.  Et de mĂȘme, aux Nombres 14, quand le peuple murmurait, et quand Dieu avait Ă©tĂ© apaisĂ© par MoĂŻse, plusieurs pĂ©rirent, quand mĂȘme, dans le dĂ©sert.  À 3 rois 13, le prophĂšte du Seigneur, qui avait Ă©tĂ© dĂ©sobĂ©issant Ă  la parole du Seigneur, a Ă©tĂ© tuĂ© par un lion, comme un autre prophĂšte le lui avait prĂ©dit. Et cependant, pour que nous comprenions que sa faute avait Ă©tĂ© remise, et qu’il avait vĂ©cu en saint, le lion ne toucha ni Ă  son cadavre ni Ă  celui de son cheval, il en fut mĂȘme le gardien jusqu’à ce qu’on vint l’ensevelir.  Ensuite, Ă  1 Corinthiens 11, il est dit : « VoilĂ  pourquoi il y a chez vous beaucoup d’imbĂ©ciles, et pourquoi beaucoup sont morts. » Saint Ambroise, comme d’autres pĂšres, enseigne que, dans la primitive Ă©glise, un grand nombre de ceux qui ont communiĂ© indignement ont Ă©tĂ© punis de mort.  Que cette faute leur ait Ă©tĂ© remise, les paroles de l’apĂŽtre le laissent entendre : « Nous sommes corrigĂ©s par le  Seigneur  pour ne pas ĂȘtre condamnĂ©s avec ce monde. »

Se prĂ©sentent ici deux cĂ©lĂšbres tĂ©moignages de saint Augustin.  Le premier est tirĂ© du traitĂ© 124 sur Jean : « L’homme est forcĂ© de tolĂ©rer des maux, mĂȘme aprĂšs que ses pĂ©chĂ©s ont Ă©tĂ© remis. Pour en arriver Ă  cette misĂšre,  la premiĂšre cause fut le pĂ©chĂ©.  Cette peine est plus accablante que la faute, de peur qu’on pense que la faute Ă©tait petite si, avec elle, finissait aussi la peine.  Et par cela, ou pour une dĂ©monstration de la misĂšre qui nous est due, ou pour une correction de la vie fautive, ou pour la pratique de la patience nĂ©cessaire, la peine retient l’homme temporairement, mĂȘme quand elle ne dĂ©tient pas un coupable destinĂ© Ă  la damnation Ă©ternelle. » Le second est dans le psaume 50 : « Tu as aimĂ© la vĂ©ritĂ©.  C’est-Ă -dire que tu n’as pas laissĂ© impunis les pĂ©chĂ©s de ceux que tu avais pardonnĂ©s.  C’est ainsi que tu as d’abord fait appel  Ă  ta misĂ©ricorde, mais  de façon Ă  conserver  aussi la vĂ©ritĂ©.  Tu pardonnes Ă  celui qui confesse, mais en le punissant quand mĂȘme, tu conserves la misĂ©ricorde et la vĂ©ritĂ©. »  On prouve cet argument.   Il y en a un grand nombre qui ont commis beaucoup de pĂ©chĂ©s.  Mais, Ă  l’article de la mort, ils se convertissent, quand ils ne peuvent plus faire pĂ©nitence.  Il s’ensuit nĂ©cessairement que, aprĂšs cette vie, ils doivent satisfaire.

Ils rĂ©pondent que, Ă  la mort, tout est effacĂ©.  On peut objecter Ă  cela que la mort est la peine du pĂ©chĂ© originel, qu’elle est donc commune Ă  tous, mĂȘme aux enfants.  Il faut donc trouver une autre peine pour les pĂ©chĂ©s actuels.  De plus, Dieu agirait injustement, et ne se comporterait pas comme notre providence s’il punissait par une seule et mĂȘme peine, la mort, les pĂ©chĂ©s grands et petits, nombreux et rares.  La troisiĂšme raison on la tire de l’opinion commune des Gentils.  Car, c’est ce que confessent les HĂ©breux, les mahomĂ©tans, les Gentils, autant les philosophes que les poĂštes.  Au sujet des Juifs, il y a le livre des MacchabĂ©es (chapitre 12), car Ă  ce livre, on doit prĂȘter  au moins la mĂȘme foi qu’à ceux de Joseph ou de Virgile.  De plus, Joseph (au chapitre 19 de son livre sur la guerre juive), indique que les Juifs avaient coutume de prier pour les morts, mais non pour ceux qui se suicidaient.  Au sujet des MahomĂ©tans, le Coran nous montre qu’ils confessent ouvertement le purgatoire.  Au sujet des Gentils,  Platon dans Gorgias et dans PhĂ©don, CicĂ©ron dans le songe de Scipion,   et Virgile 6 Éneides : « Ils sont donc exercĂ©s par des peines, ils expient leurs maux passĂ©s dans des supplices. » De mĂȘme Claudien, livre 2, Ruffin, vers la fin) : « Par mille figures, diffĂ©rentes sortes de personnes sont purgĂ©es dans le fleuve LĂ©thĂ©. »

Que quelqu’un ne dise pas que  ne fait que grossir l’erreur et la fable le fait que les MahomĂ©tans et les Gentils pensent ainsi, car les choses sur lesquelles conviennent Ă  peu prĂšs toutes les nations ne peuvent provenir  que de la lumiĂšre naturelle commune Ă  tous les hommes.   Les choses qui ont Ă©tĂ© imaginĂ©es et inventĂ©es par les hommes sont d’une grande diversitĂ©, comme le sont les diffĂ©rentes nations.  Nous disons, par exemple, qu’il est trĂšs vrai que Dieu existe, comme l’enseignent toutes les nations.  Mais nous ne recevons pas les dieux particuliers que chaque nation s’est fabriquĂ©s.  Nous disons Ă©galement qu’il est vrai que, aprĂšs cette vie, il y ait des rĂ© compenses et des punitions, comme l’enseignent aussi les nations.  Mais nous ne recevons pas les fables particuliĂšres qu’elles ont inventĂ©es pour l’expliquer.  Il en est de mĂȘme de la confession du purgatoire, qu’enseignent Ă  peu prĂšs tous les peuples.  Il faut donc dire que c’est une confession de la lumiĂšre naturelle. Car, c’est la connaissance de la providence divine qui a semĂ© l’idĂ©e du paradis et de l’enfer, et aussi du purgatoire, au moins d’une maniĂšre confuse et gĂ©nĂ©rale. Nous voyons, en effet, que des punitions et des rĂ©compenses sont distribuĂ©es dans cette vie, que les mauvais ont plus de biens, et les bons plus de mal, la plupart du temps.  Nous en dĂ©duisons que c’est dans l’autre vie que la providence exercera le jugement, qu’elle rĂ©compensera les bons et punira les mĂ©chants.

Nous voyons de plus, que, parmi ceux qui Ă©migrent de cette vie, il y en a qui sont trĂšs mauvais, d’autres trĂšs bons, qu’il y en aussi qui sont mĂ©diocrement bons et mĂ©diocrement mauvais.  Nous jugeons donc, par la lumiĂšre naturelle, que, aprĂšs la mort, des peines Ă©ternelles seront imposĂ©es aux trĂšs mauvais, et des rĂ©compenses Ă©ternelles aux trĂšs bons, et des peines temporaires  qui serviront de passage vers les rĂ©compenses pour ceux qui sont mĂ©diocrement mauvais ou bons.  C’est ce raisonnement qu’a suivi Platon et d’autres qui,  dotĂ©s de la seule lumiĂšre naturelle, ont confessĂ© l’existence du purgatoire.

La quatriĂšme preuve, on la tire d’apparitions d’ñmes qui ont dĂ©clarĂ© ĂȘtre dans le purgatoire, et qui ont demandĂ© du secours aux vivants.   Puisque ces apparitions ont Ă©tĂ© retenues par des hommes trĂšs judicieux, nous avons de bonnes raisons de penser qu’elles sont vraies.  Il est loisibleĂ  Luther et aux magdebourgeois d’en rire.  Saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 40 de ses dialogues) parle de l’ñme de Paschasiius qui est apparue dans les thermes de Ptulean  Ă  l’évĂȘque saint Germain, et qui a Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e par ses priĂšres.  Et, au chapitre 35, il raconte un autre cas semblable.  Saint GrĂ©goire parle Ă©galement d’un de ses moines pour lequel il avait dit trente messes, et qui fut libĂ©rĂ© du purgatoire.  GrĂ©goire de Tours (livre sur la gloire de la confession, chapitre 5, saint Martin) Ă©crit : « Une certaine vierge, du nom de Vitaline, a racontĂ© avoir Ă©tĂ© envoyĂ©e en enfer Ă  cause d’un lĂ©ger pĂ©chĂ©, Ă  savoir, qu’elle ne disait pas les heures canoniales en des temps distincts. En effet, le matin, elle disait toutes les heures une aprĂšs l’autre, pour qu’elle puisse vaquer plus facilement toute la journĂ©e aux affaires impĂ©riales.

BĂšde (live trois, chapitre 19 de son histoire des Angles), Ă©crit que, aprĂšs ĂȘtre ressuscitĂ© des morts, FursĂ© a racontĂ© plusieurs choses qu’il avait vues dans le purgatoire des peines.  Et dans le livre 5, chapitre 13, il rapporte une vision admirable d’un certain Diethelme, qui, revint Ă  la vie aprĂšs sa mort, et qui raconta des choses merveilleuses  sur l’enfer, le ciel et le purgatoire.  Sa vie ultĂ©rieure et les fruits spirituels de son apostolat, attestent qu’il a dit la vĂ©ritĂ©.  Saint Bernard (dans la vie de Malachie) rapporte que la sƓur dĂ©funte  de Malachie lui apparut plusieurs fois quand elle Ă©tait encore dĂ©tenue dans le purgatoire, et qu’elle a Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e par de frĂ©quentes oblations de la sainte eucharistie.  Et ( au livre 1, chapitre 10 de la vie de saint Bernard), l’abbĂ© Guillaume raconte que quand saint Bernard Ă©tait encore vivant, un de ses moines dĂ©funt qui Ă©tait dĂ©tenu dans le purgatoire, lui apparut, et  a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© peu de temps aprĂšs par les priĂšres et les sacrifices des moines de Citaux.   Saint Bernard lui-mĂȘme avait coutume de raconter ce fait, comme le note l’auteur de sa vie.

Au livre premier de la vie de saint Anselme, nous lisons quelque chose de semblable.  Saint Anselme s’est imposĂ© des sacrifices pendant un an entier, et il a appris enfin par l’apparition de son ami, qu’il avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© du purgatoire.  On peut lire plusieurs histoires semblables dans Vincent (livre du miroir historique), dans les rĂ©vĂ©lations de sainte Brigitte, dans la vie de l’admirable Christiane.  Mais ceux que nous rapportons sont plus authentiques.  Les magdebourgeois rĂ©pondent que ce sont des fables.  Mais il n’est pas crĂ©dible que tant de grands saints aient voulu tromper, ni mĂȘme ĂȘtre trompĂ©s, puisqu’ils avaient l’esprit de discernement, et qu’ils Ă©taient des amis de Dieu.

La derniĂšre raison qu’on pourrait trouver est que cette opinion qui enlĂšve le purgatoire est non seulement fausse, mais pernicieuse.   Car elle rend stupides les hommes qui pensent devoir Ă©viter les pĂ©chĂ©s et faire de bonnes Ɠuvres.  Car, celui qui pense qu’il n’y a pas de purgatoire, et que sont abolis aprĂšs la mort tous les pĂ©chĂ©s de ceux qui meurent dans la foi,  pourra facilement penser : pourquoi me fatiguer Ă  prier,  Ă  pratiquer la continence, et Ă  faire des aumĂŽnes ?  Pourquoi priverais-je mon cƓur de dĂ©lices et de voluptĂ©s, puisque, Ă  ma mort, tous mes pĂ©chĂ©s, quel que soit leur nombre, quelle que soit leur grandeur, seront dĂ©truits ?  Mais celui qui pense que, en plus de l’enfer, demeure le feu cuisant du purgatoire, et que tout ce qui n’a pas Ă©tĂ© dĂ©truit par de dignes Ɠuvres de pĂ©nitences sera dĂ©truit lĂ , cette personne sera certainement plus vigilante et plus prudente.

CHAPITRE 12

                             On rĂ©fute les arguments tirĂ©s des Écritures

Il reste Ă  rĂ©futer les arguments tirĂ©s de l’Écriture, des pĂšres ou de la raison.

La premiĂšre objection vient du psaume 126 : « Quand il donnera Ă  sesbien-aimĂ©s le sommeil,   le voilĂ   l’hĂ©ritage du Seigneur. »  Il n’y a donc pas de purgatoire entre la mort des fidĂšles et l’obtention de l’hĂ©ritage cĂ©leste. »  Jepense que ce psaume parle de la rĂ©surrection gĂ©nĂ©rale, comme saint Augustin l’expose correctement.   Et voici quel est le sens de ces mots : quand il donnera Ă  ses bien-aimĂ©s le sommeil, c’est-Ă -dire quand tous les Ă©lus dormiront de la mort corporelle, le voici l’hĂ©ritage du Seigneur, c’est-Ă -dire, tout de suiteapparaĂźtra l’hĂ©ritage du Christ, pour tous ses Ă©lus qui ressuscitent dans la gloire, cet hĂ©ritage Ă©tant aussi une rĂ©compense du Christ, qu’il nous a acquise par sa vie et sa passion.  L’hĂ©ritage et la rĂ©compense sont donc une seule et mĂȘme chose, comme sont une seule et mĂȘme chose les fils et les fruits du ventre.  Car les fils de Dieu par adoption sont l’hĂ©ritage du Seigneur.  Et les mĂȘmes fils qui sont appelĂ©s fruits du ventre, sont la rĂ©compense du mĂȘme Seigneur.  Ajoutons que, dans le texte hĂ©breu, que les adversaires prĂ©fĂšrent au latin, on n’a pas « quand il donnera », mais « il donnera ainsi. »  En consĂ©quence toute la force de l’argument est dĂ©truite, car  n’est pas exprimĂ© dans le texte quand viendra l’hĂ©ritage du Seigneur.

La deuxiĂšme objection.  EcclĂ©siaste 9 : « Tout ce que peut faire ta main, fais-le instantanĂ©ment, car dans l’enfer oĂč tu te diriges, il n’y a ni Ɠuvre, ni raisonnement, ni sagesse, ni science. »  Il semble que le sage veuille  signifier par ces paroles qu’il n’y a pas de remĂšde dans ce siĂšcle. » Quelques-uns rĂ©pondent que Salomon a dit ces choses en se mettant dans la personne des impies qui enlĂšvent non seulement le purgatoire, mais l’enfer, et qui pensent qu’il n’y a rien aprĂšs la mort.   D’autres enseignent que Salomon parle Ă  ceux qui vivent dans l’oisivetĂ© et la luxure, et qui se dirigent tout droit vers l’enfer.  Dans ce lieu, en effet, il n’y a rien,  nul remĂšde, et nulle consolation.  Saint JĂ©rĂŽme rapporte l’une et l’autre explication dans son commentaire.

Et saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39 des dialogues) applique plutĂŽt cela Ă  ceux qui se dirigent vers le purgatoire.  Car,  seuls peuvent ĂȘtre purgĂ©s, et aidĂ©s par les priĂšres des vivants, ceux qui, pendant leur vie, ont mĂ©ritĂ© par de bonnes Ɠuvres de pouvoir ĂȘtre aidĂ©s par les autres dans l’autre vie.  Tous doivent donc, pendant cette vie, faire autant de bonnes choses qu’ils le peuvent, car, dans l’autre vie, ils ne seront aidĂ©s que dans la mesure oĂč ils ont mĂ©ritĂ© de l’ĂȘtre par ce qu’ils ont fait ici-bas.

La troisiĂšme objection.  EcclĂ©siaste 11 : « Si l’arbre tombe au nord ou au sud, il ira lĂ  oĂč il tombe. »  Il n’existe donc pas de troisiĂšme endroit, le purgatoire,  d’oĂč l’on peut sortir. »  Je rĂ©ponds  que le sage parle, au sens littĂ©ral, de la mort corporelle,  et il veut dire que les hommes devront nĂ©cessairement mourir, et que quand ils seront morts, ils ne pourront jamais ressusciter par eux-mĂȘmes,  comme un arbre qui demeure nĂ©cessairement Ă  l’endroit oĂč il est tombĂ©, et que c’est lĂ  qu’il pourrit et se dĂ©compose.   Mais, si nous voulions appliquer cela Ă  l’état de l’ñme, il faudrait dire alors que ceux qui appartiennent au purgatoire tombent au sud, c’est-Ă -dire dans l’état du salut perpĂ©tuel, dans lequel ils demeureront toujours.  On peut entendre aussi par sud le ciel, et par nord l’enfer; mais tous ne tombent pas au sud ou au nord.

De plus ce texte n’apporte aucune objection au purgatoire, car ce qu’on peu en tirer c’est que s’il s’opposait Ă  l’affirmation du purgatoire, il s’opposerait aussi Ă  l’affirmation de ce lieu oĂč descendaient les saints pĂšres avant l’avĂšnement du Christ, qu’on donne Ă  ce lieu le nom de  sein d’Abraham, de  limbes des pĂšres, ou d’enfer.  Car il est certain que les pĂšres ne sont pas demeurĂ©s perpĂ©tuellement dans cet cachot.  Voir saint JĂ©rĂŽme dans son commentaire, et saint Bernard, sermon 49 ex parvis.

La quatriĂšme objection.  Ezechiel 18 : « Quand l’impie se sera dĂ©tournĂ© de son impiĂ©tĂ©, je ne me souviendrai plus de toutes ses iniquitĂ©s. »  Et « comment, s’exclame Pierre martyr,  Dieu ne se rappellerait-il plus toutes les iniquitĂ©s de l’impie, s’il les punit si sĂ©vĂšrement dans le purgatoire » ?  Je donne deux rĂ©ponses.  La premiĂšre.  Ne pas se souvenir des iniquitĂ©s n’est rien d’autre que ne pas conserver  d’inimitiĂ© envers celui qui a pĂ©chĂ©.  Car si se souvenir des iniquitĂ©s voulait dire punir les mauvaises actions, se souvenir des saintes actions voudrait dire rĂ©compenser de bonnes actions mĂ©ritoires.  Or, les adversaires ne concĂšdent pas que se souvenir des saintes actions signifie rĂ©compenser les bonnes actions mĂ©ritoires, de peut d’ĂȘtre contraints d’admettre les mĂ©rites des justes.  Ils ne doivent donc pas concĂ©der non plus que se souvenir des iniquitĂ©s c’est punir les iniquitĂ©s.  Car, ÉzĂ©chiel parle de la mĂȘme façon de la saintetĂ© et de l’iniquitĂ©.

La deuxiĂšme rĂ©ponse. Se souvenir des iniquitĂ©s  c’est punir, mais punir Ă©ternellement.  Car, quand nous lisons ailleurs que si le juste se dĂ©tourne de sa justice, on ne se souviendra plus de ses bonnes actions, nous sommes contraints d’adopter l’explication suivante :  on dit que les actions justes sont livrĂ©es Ă  l’oubli non parce qu’elles n’ont pas Ă©tĂ© rĂ©munĂ©rĂ©es par une rĂ©compense temporelle, mais parce qu’elles ne libĂšrent pas quelqu’un de la gĂ©henne, ni ne sont rĂ©munĂ©rĂ©es par une rĂ©compense sempiternelle.  Car les pĂšres enseignent que les Ɠuvres bonnes des impies ne sont pas privĂ©es d’une rĂ©compense temporelle.  Saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 67 au peuple d, Antioche), saint JĂ©rĂŽme (EzĂ©chiel, chapitre 29), Saint Augustin (livre 5, chapitre 15 de la citĂ© de Dieu), saint GrĂ©goire (homĂ©lie 40 sur les Ă©vangiles).  Et on le dĂ©duit de (Luc 16) : « Tu as reçu de bonnes choses dans ta vie. »

La cinquiĂšme objection. Matthieu 25. On trouve seulement deux ordres d’hommes.  Il est dit aux uns : « venez bĂ©nis », et aux autres : « allez maudits » !  Et en Marc, Ă  la fin : « Celui qui croira et sera baptisĂ© sera sauvĂ©; celui qui ne croira pas sera condamnĂ©. »  En en saint Jean 3 : « Celui qui croit n’est pas jugĂ©; celui qui ne croit pas est dĂ©jĂ  jugĂ©. « Il ne reste donc, Ă©crit Brentius, aucun autre lieu pour un purgatoire, puisqu’il n’y a que deux lieux  aprĂšs cette vie. »  Je rĂ©ponds.  Au jugement dernier dont il est question en Matthieu 25, on a raison de dire qu’il n’y a que deux lieux, le paradis et l’enfer,  car, alors, le purgatoire aura pris fin.   Ensuite, celui qui croit sera sauvĂ© et ne sera pas condamnĂ©, dans la mesure oĂč il ajoute les autres choses requises.   Car la foi justifie et sauve par elle-mĂȘme, si ne se trouve pas par ailleurs un empĂȘchement.  C’est comme quand nous disons que de cette semence nait un arbre, on sous-entend : si ne fait dĂ©faut ni la chaleur, ni l’eau, et tout ce qui est requis en plus : l’engrais, le sarclage.  Et celui qui croit ne sera pas nĂ©cessairement sauvĂ©  tout de suite par la foi, sans passer par le purgatoire.  Car, plusieurs sont sauvĂ©s comme Ă  travers le feu.

La sixiĂšme objection. Luc 23 : « JĂ©sus dit au bon larron quelques minutes avant sa mort : aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.  Donc, disent Pierre le martyr et Bernard Ochinus, il ne reste pas de purgatoire pour ceux qui n’ont pas fait ici-bas de pĂ©nitence pour leurs  pĂ©chĂ©s. »  Je rĂ©ponds.  Une mort si dure tolĂ©rĂ©e avec patience et une confession si extraordinairement admirable au moment oĂč les apĂŽtres du Christ l’avaient reniĂ©, pouvaient justement ĂȘtre comptĂ©es comme une pleine satisfaction.  Ajoutons que les privilĂšges de certains ne font pas une loi.   La septiĂšme objection.   Romains 8 : « Il n’y a pas de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ. »  Je rĂ©ponds que, dans ce passage, saint Paul parle de la concupiscence.   Il veut dire que ceux qui sont dans le Christ JĂ©sus, et qui  sont munis de sa grĂące  ne contractent pas de pĂ©chĂ© par ces pulsions, s’ils ne consentent pas aux mouvements de la chair.  Ce passage ne s’oppose donc pas au purgatoire, mais Ă  l’hĂ©rĂ©sie des adversaires qui veulent que soient de vrais pĂ©chĂ©s, des Ă©motions qu’éprouve le juste, mais auxquelles il ne consent pas.

La huitiĂšme objection. 2 Corinthiens 5 : « Si la maison de notre sĂ©jour terrestre est dĂ©truite, nous avons, dans les cieux,  une demeure non faite de main d’homme, mais Ă©ternelle.   On a donc raison de dire que, aprĂšs leur mort, les hommes sont transfĂ©rĂ©s au ciel sans passer par le purgatoire ».  Je rĂ©ponds que saint Paul ne dĂ©clare rien d’autre ici que c’est aprĂšs la mort, et non avant la mort, que nous avons une demeure cĂ©leste.  Que tous les hommes soient transportĂ©s au ciel immĂ©diatement aprĂšs leur mort, il ne le dit pas ici, mais il dit plutĂŽt le contraire quand il ajoute : « si toutefois on les trouve vĂȘtus et non nus. »  Par cette image, il indique ceux qui sont revĂȘtus de mĂ©rites et de vertus, et qui ont donc fait une pĂ©nitence parfaite dans cette vie. Ce sont ceux-lĂ  qui sont conduits immĂ©diatement dans le ciel.   Le mĂȘme saint Paul dit que les autres sont sauvĂ©s, mais comme Ă  travers le feu (1 Corinthiens 3).

La neuviĂšme objection.  1 Corinthiens 5 : « Nous nous tiendrons tous devant le tribunal du Christ, pour qu’il rende Ă  chacun ce qu’il a fait en bien ou en mal dans son corps. »  Or, si aprĂšs cette vie, des pĂ©chĂ©s Ă©taient remis, et qu’il y avait place pour une purgation, chacun ne recevrait certes pas selon ce qu’il a fait dans le corps.  Je rĂ©ponds que la sentence de saint Paul est trĂšs vraie.  Car, mĂȘme ceux qui trouvent un lieu de rĂ©mission et de purgation dans l’autre vie, ne reçoivent que ce qu’ils ont fait dans leur corps.  Car, ceux-lĂ  on mĂ©ritĂ©, en persĂ©vĂ©rant dans la foi et la charitĂ© jusqu’à la mort, de pouvoir ĂȘtre purgĂ©s et aidĂ©s aprĂšs leur mort.  MĂȘme si les saints ne mĂ©ritent rien aprĂšs leur mort, ils obtiennent de Dieu ce qu’ils demandent, car ils avaient mĂ©ritĂ© aussi  en vivant saintement  d’ĂȘtre exaucĂ©s par le Seigneur aprĂšs cette vie.  Voir ce qu’on enseigne dans le livre de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique de Denys (dernier chapitre par. 3), dans les dialogues de saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39.)  C’est de la mĂȘme maniĂšre qu’il faut entendre le passage : il rendra Ă  chacun selon ses Ɠuvres.   Romains 2 : « Chacun portera son fardeau. » Et Galate 6 : « L’homme rĂ©coltera ce qu’il a semĂ©. »

DixiĂšme objection.   Apocalypse 14 : « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur.  L’Esprit dit dĂ©jà : qu’ils se reposent  dĂ©jĂ  de leurs travaux, car leurs Ɠuvres les suivront. »  Les hommes pieux meurent dans le Seigneur; ils se reposent donc tous aprĂšs leur mort. Il n’y a donc personne qui soit tourmentĂ© dans le purgatoire.  Je rĂ©ponds avec le commentaire de ce passage donnĂ© par saint Anselme.  Le amodo ne signifie pas depuis la mort du chacun, mais depuis le jugement suprĂȘme, de qui parle saint Jean dans tout le chapitre.   Voici donc quel en sera le sens : bienheureux les morts qui dorment dans le Seigneur, car, dĂ©jĂ , c’est-Ă -dire depuis la fin de ce jugement dont je parle maintenant, ils se reposeront de leurs travaux pendant toute l’éternitĂ©.  Ou bien, si cela ne plait pas Ă  quelqu’un, nous pouvons rĂ©pondre avec Richard de saint Victor et Haimon, dans leurs commentaires de ce passage, que saint Jean parle des hommes parfaits, et surtout des saints martyrs, (car il  voulait les consoler par ces mots) qui meurent exclusivement dans le Seigneur, et qui n’apportent rien avec eux qui ait besoin de purgation.  Car, ceux qui dĂ©cĂšdent avec des pĂ©chĂ©s vĂ©niels, ou avec la dette d’une peine temporelle,  ces gens-lĂ  ne meurent  pas exclusivement dans le Seigneur, mais en partie dans le Seigneur en raison de leur charitĂ©, et en partie non dans le Seigneur, en raison de leurs pĂ©chĂ©s qu’ils apportent nĂ©anmoins avec eux.  Il ne faut pas s’étonner que nous disions que certains meurent en partie dans le Seigneur, et en partie non dans le Seigneur. Il suffit de lire les deux lettres de saint Augustin contre les pĂ©lagiens (livre 3, chapitre 3).  Il dit lĂ  que ces hommes sont, pendant la vie, en partie des fils de Dieu, et en partie des fils  de ce siĂšcle.   Que cela suffise pour l’Écriture.

CHAPITRE 13

Réfutation des objections tirées des saints pÚres.

Brentius prĂ©sente d’abord saint Cyprien (traitĂ© 1 contre Demetrianus, Ă  la fin) : « Quand il sera sorti d’ici, il n’y aura plus de lieu pour la pĂ©nitence, la satisfaction n’aura aucun effet. »  Je rĂ©ponds qu’il parle ici de la satisfaction pour la faute qui prĂ©cĂšde la justification.  Car les pĂšres distinguent clairement deux sortes de satisfaction.  Une avant la justification qui apaise Dieu comme il se doit et qui incline Ă  la rĂ©mission de la faute, dont parle Daniel (4) : « RachĂšte tes pĂ©chĂ©s par l’aumĂŽne. »  Une autre aprĂšs la justification,  qui donne, comme il se doit, une satisfaction Ă  Dieu pour la peine.  Que saint Cyprien parle ici de la premiĂšre justification, ses paroles prĂ©cĂ©dentes nous le laissent assez clairement  entendre : On nous exhorte « de satisfaire Ă  Dieu tant que quelque chose de sĂ©culier restera, et d’émerger de la profondeur de la superstition tĂ©nĂ©breuse, Ă  la lumiĂšre candide de la vraie religion ».  Il dit la mĂȘme chose dans ce qui suit : « Ici, la vie est ou perdue ou maintenue. »

En second lieu, il prĂ©sente saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 2 sur Lazare), qui  parle ainsi : « Quand nous sortons d’ici, il n’y a pas de lieu assignĂ© Ă  la pĂ©nitence, ni Ă  la rĂ©mission des fautes commises. »  Et encore : « Car ceux qui, en cette vie, n’auront pas effacĂ© leurs pĂ©chĂ©s ne pourront, dans l’autre vie, trouver aucune consolation. » Je rĂ©ponds qu’il parle ici de la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s mortels.  Car,  par l’exemple du mauvais riche qui Ă©tait tourmentĂ© dans l’enfer,  il nous avertit de ne pas renvoyer notre conversion Ă  l’autre vie.  En effet, aucun docteur catholique n’enseigne que des pĂ©chĂ©s mortels sont remis dans le purgatoire.  Ils prĂ©sentent ensuite saint Ambroise (chapitre 2 du livre sur le bien de la mort) : « Celui qui, ici-bas, n’aura pas reçu la rĂ©mission de ses pĂ©chĂ©s, n’ira pas, lĂ -bas,  dans la patrie des bienheureux. »  je rĂ©ponds que saint Ambroise  parle de la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s mortels.  Car, voulant expliquer, il ajoute : « Il n’en sera pas ainsi.  Il ne pourra pas parvenir Ă  la vie Ă©ternelle, puisque la vie Ă©ternelle est la rĂ©mission des pĂ©chĂ©s. »  Il appelle ici vie Ă©ternelle la grĂące de la justification qui est une certaine vie Ă©ternelle commencĂ©e.  Car, si nous ne commençons pas par cette vie Ă©ternelle, nous ne parviendrons jamais Ă  la gloire des bienheureux.

QuatriĂšmement.  Pierre martyr nous oppose ce mĂȘme saint Ambroise  qui (au chapitre 23 de Luc, sermon 46) dit : « Je lis les larmes de Pierre, je ne lis pas la satisfaction. »  Je rĂ©ponds que, dans ce passage, il appelle satisfaction une excuse.  Car, nous avons coutume de dire familiĂšrement : je le satisferai, c’est-Ă -dire, je purgerai par mes paroles le crime qu’on m’objecte, et je montrerai que je suis accusĂ© injustement.  Saint Ambroise loue ici saint Pierre pour n’avoir pas cherchĂ© d’excuses Ă  son pĂ©chĂ©, comme avait fait Adam,  mais d’avoir confessĂ©  et de s’ĂȘtre accusĂ© par ses larmes.  Car il ajoute aprĂšs : « Saint Pierre a bien agi en pleurant et en se taisant, car ce qu’on a coutume de pleurer, on n’a pas coutume de l’excuser, et ce qui ne peut pas ĂȘtre dĂ©fendu, peut ĂȘtre absous ».  Et il avait dit plus haut : « Je trouve qu’il a pleurĂ©, je ne trouve pas qu’il ait dit quelque chose, car Pierre ne dit rien pour se purger. »  CinquiĂšmement. Calvin nous  oppose un traitĂ© de saint Augustin (49 sur Jean) : « Quand elles sortiront de ce siĂšcle, toutes les Ăąmes auront des rĂ©ceptions diffĂ©rentes.   Les bons auront la joie, les mauvais des tourments.  Mais quand aura eu lieu la rĂ©surrection, la joie des bons sera plus grande, et les tourments des damnĂ©s plus grands, quand ils seront torturĂ©s dans leurs corps. » Et plus bas, il dit, en parlant de la joie des bons : « Le repos qui est donnĂ© tout de suite aprĂšs la mort, sera reçu par chaque dĂ©funt, s’il en est digne. »   Je rĂ©ponds que le repos et la joie sont donnĂ©s tout de suite aprĂšs la mort de ceux qui dĂ©cĂšdent dans la charitĂ©. Car tous seront vite certains de l’éternel salut, qui apporte une Ă©norme joie.   Cependant, cette joie n’est pas donnĂ©e Ă  tous de la mĂȘme façon, mais diversement, c’est-Ă -dire selon la diversitĂ© des mĂ©rites. À quelques-uns elle est donnĂ©e sans ĂȘtre unie Ă  la douleur, et Ă  d’autres avec l’ajout de peines temporelles, comme le mĂȘme saint Augustin l’enseigne souvent.

SixiĂšmement, on nous oppose son livre contre les gnostiques, passĂ© le milieu.  Saint Augustin Ă©crit : « La premiĂšre chose que croit la foi catholique de par l’autoritĂ© divine est l’existence du royaume des cieux, ensuite de la gĂ©henne, oĂč tout apostat, tout Ă©tranger Ă  la foi du Christ expĂ©rimentera d’éternels supplices.  Nous ignorons absolument un troisiĂšme lieu, et nous ne trouvons pas dans l’Écriture qu’il y en a un autre. »  Il dit la mĂȘme chose dans le sermon 14 sur les paroles de l’apĂŽtre, et au livre 1, chapitre 28, sur les mĂ©rites des pĂ©cheurs, et la rĂ©mission.

Je rĂ©ponds.  Il parle des lieux Ă©ternels.   Car, il Ă©crit contre PĂ©lage qui avait trouvĂ© un troisiĂšme lieu pour les petits enfants non  baptisĂ©s. Ces enfants il voulait qu’ils soient heureux  d’une bĂ©atitude naturelle en dehors de l’enfer, et en dehors du ciel.  Saint Augustin, ou l’auteur de cette lettre, n’a pas niĂ© l’existence d’un troisiĂšme lieu temporaire aprĂšs cette vie.  On le comprend facilement parce que la foi catholique enseigne que, en plus du ciel et de l’enfer, il y avait, avant la passion de Notre-Seigneur, « le sein d’Abraham », (Luc 16) oĂč demeuraient les Ăąmes des saints pĂšres.

La rĂ©flexion que fait Érasme dans son annotation Ă  ce passage est inepte, Il dit : « Nous ignorons complĂštement un troisiĂšme, le purgatoire.  C’est comme s’il disait que le purgatoire est un troisiĂšme lieu que la foi catholique ignore.  SeptiĂšmement.  Pierre le martyr nous objecte encore saint Augustin, dans son commentaire du psaume 31 : « Bienheureux ceux dont les pĂ©chĂ©s sont couverts. » Saint Augustin dit : « S’il a couvert les pĂ©chĂ©s, c’était pour ne pas les apercevoir.  S’il ne veut pas les apercevoir, il ne veut pas en tenir compte.  S’il ne veut pas en tenir compte, il ne veut pas punir.  Il n’a pas voulu les reconnaitre parce qu’il veut les pardonner. »  Je rĂ©ponds qu’il parle de la peine Ă©ternelle.   Car, au sujet de la peine temporelle que requiert Dieu, voir les lieux citĂ©s (traitĂ© 124 sur saint Jean et sur le psaume 50 »

HuitiĂšmement.  Ils nous prĂ©sententl’épĂźtre 54 Ă  MacĂ©doine de saint Augustin, oĂč il dit que, aprĂšs cette vie, il n’y a pas de lieu de correction des mƓurs.  Je rĂ©ponds que ce passage ne se rapporte pas Ă  notre sujet.  Car, mĂȘme si, aprĂšs la mort, il n’y a pas de lieu oĂč les criminels se convertissent,  et corrigent leurs mƓurs, il y en aura quand mĂȘme oĂč les pĂ©chĂ©s plus lĂ©gers des justes sont purgĂ©s, et oĂč sont infligĂ©es des peines temporaires pour des crimes dĂ©jĂ  pardonnĂ©s.  NeuviĂšmement.  Ils nous opposent la lettre 80 de saint Augustin  Ă  Hesychius : « L’état dans lequel le dernier jour d’une personne trouvera quelqu’un, sera le mĂȘme que celui dans lequel le trouvera le dernier jour du monde, car chacun sera jugĂ© en ce jour-lĂ  tel qu’il Ă©tait le jour de sa mort. »  Je rĂ©ponds que saint Augustin veut dire  que, aprĂšs cette vie, les mĂ©rites et les dĂ©mĂ©rites ne croitront pas, et que tous seront donc jugĂ©s pour la gloire ou pour la gĂ©henne, pour de plus ou moins grandes rĂ©compense ou punitions d’aprĂšs les Ɠuvres qui ont Ă©tĂ© faites avant la mort.

DixiĂšmement.  On nous objecte Theophylactus qui (au chapitre 4 de Matthieu) dit : « AprĂšs ĂȘtre sortie de son corps, l’ñme n’erre pas,  car les Ăąmes des justes sont dans la main de Dieu.  Celles des pĂ©cheurs sont amenĂ©es lĂ , comme celle du mauvais riche. »  Je rĂ©ponds.  Theophylactus indique que les Ăąmes ne se promĂšnent pas Ă  leur grĂ© de par le vaste monde, comme le font les dĂ©mons, mais sont renfermĂ©es dans leurs demeures.  Et mĂȘme s’il ne parle ici que de deux lieux, il n’exclut pas les autres.  Les Ăąmes qui sont amenĂ©es au purgatoire on peut les rappeler de n’importe lequel des deux lieux qu’il nomme.  Car, parce qu’elles sont justes, on peut dire qu’elles sont dans la main de Dieu, mĂȘme si elles ne sont pas encore dans le royaume.  On peut dire aussi qu’elles sont en enfer, parce que le purgatoire est une partie de l’enfer, ou un lieu tout proche.

OnziĂšmement. Ils nous opposent saint JĂ©rĂŽme qui (au chapitre 9 d’Amos) parle ainsi : « Quand l’ñme libĂ©rĂ©e des  liens corporels, obtient la libertĂ© de voler oĂč elle veut, ou est forcĂ©e d’aller, ou est conduite aux enfers, dont a dit : en enfer, qui te louera ?   ou est Ă©levĂ©e aux cieux ». Je rĂ©ponds que saint JĂ©rĂŽme ne parle pas de la mort naturelle mais de la sĂ©paration de l’ñme du corps par spĂ©culation.  Car, il dispute, en cet endroit, sur l’ñme impie qui, Ă  quelque endroit qu’elle tournera sa pensĂ©e, trouvera le Dieu vengeur : Car, aprĂšs avoir dit :  ou elle sera soulevĂ©e jusqu’aux cieux,  Il ajoute : « LĂ  oĂč sont les iniquitĂ©s spirituelles dans les cieux.  Et si elle veut revendiquer la science de la circoncision, et si, aprĂšs avoir eu des pensĂ©es d’humilitĂ©, elle veut  habiter dans les montagnes, mĂȘme lĂ  elle ne pourra pas Ă©chapper Ă  la main scrutatrice de Dieu.  Si, dĂ©sespĂ©rant de son salut, elle essaie d’éviter les yeux du Seigneur, et si elle parvient aux derniers termes des faux flots, mĂȘme lĂ  le Seigneur enverra le serpent tortueux et antique, qui est l’ennemi et le vengeur, et il la mordra.  SI elle a Ă©tĂ© attrapĂ©e par les vices et les pĂ©chĂ©s, et est frappĂ©e par le glaive du Seigneur, elle reviendra au Seigneur ou par les chĂątiments ou par les supplices. »

CHAPITRE 14

                On rĂ©fute les objections tirĂ©es de la raison.

Enfin, les arguments tirĂ©s de la raison.   Le premier.   AprĂšs la rĂ©mission de la faute, aucune peine ne reste.  Car, la rĂ©mission de la faute se fait par les mĂ©rites de la passion du Christ, qui sont infinis et qui suffisent Ă  eux seuls pour enlever toute faute et toute peine.  Il ne reste donc rien Ă  purger aprĂšs la justification.  Je rĂ©ponds en retournant l’argument.  Car, si le Christ a satisfait pour toute faute et toute peine, pourquoi, aprĂšs la rĂ©mission de la faute, souffrons-nous tant de choses et mourrons-nous ? Et pour qu’ils ne disent pas que ce sont des chĂątiments paternels en remĂšde d’un pĂ©chĂ© futur, pourquoi les enfants baptisĂ©s sont-ils infirmes ou malades, ceux surtout qui ne sont pas capables d’un pĂ©chĂ© actuel ?  Je dis donc que la mort du Christ a suffi pour enlever toute faute et toute peine, mais qu’elle doit ĂȘtre appliquĂ©e pour ĂȘtre efficace. Autrement, tous les hommes seraient sauvĂ©s.

Or, l’application se fait par nos actes et les sacrements. Dieu a voulu, en effet que, aprĂšs le baptĂȘme, soit, par la contrition et la confession avec l’absolution du prĂȘtre,  appliquĂ© le mĂ©rite du Christ pour effacer la faute, et que par des actes de satisfaction soit enlevĂ©e la peine temporelle.   Car la peine Ă©ternelle est changĂ©e en temporelle quand  la faute est remise.  Quand la faute est remise, l’amitiĂ© est rendue, et, en consĂ©quence, le droit Ă  la gloire est donnĂ©. Elle ne peut donc plus ĂȘtre punie pendant toute l’éternitĂ©, car, alors, elle ne parviendrait jamais Ă  la gloire.  Et, cependant, la justice exige que le pĂ©chĂ© soit puni d’une certaine maniĂšre, et c’est pour cela que la peine Ă©ternelle est muĂ©e en peine temporelle. On en a parlĂ© longuement plus haut, et on en reparlera encore dans la dispute sur la satisfaction.

La deuxiĂšme raison. Si on prend le sacrement de pĂ©nitence dans son intĂ©gralitĂ© et au sens catholique du terme, en tant que comprenant la contrition, la confession et la satisfaction pleine et dĂ©jĂ  parfaite, on peut accepter tout l’argument. Si on n’y voit que la seule absolution, dans laquelle le sacrement consiste principalement, on nie la consĂ©quence.  Car, il y a une grande diffĂ©rence entre le sacrement de l’ablution (baptĂȘme)  et le sacrement de l’absolution (confession).  Et c’est cette ignorance qui est la cause de toutes les erreurs sur la satisfaction, les clefs, les indulgences, et le purgatoire.

Nous disons donc que, dans le sacrement de baptĂȘme, Dieu agit libĂ©ralement, et applique le mĂ©rite du Christ par l’action de l’ablution, de façon Ă  enlever toute faute et toute peine dans le siĂšcle futur, c’est-Ă -dire, autant dans l’enfer que dans  le purgatoire.  Mais les peines temporelles de cette vie, le baptĂȘme lui-mĂȘme ne les enlĂšve pas, comme on le voit chez les enfants baptisĂ©s malades ou infirmes. Dans le sacrement de l’absolution, Dieu contracte sa main, et applique le mĂ©rite du Christ pour enlever la faute et la peine Ă©ternelle.  Mais il requiert encore des Ɠuvres de pĂ©nitence, par lesquelles nous rachetons les peines temporelles.  C’est ce que l’on voit dans HĂ©breux 6.  L’apĂŽtre dit : « Il est impossible Ă  ceux qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© illuminĂ©s (c’est-Ă -dire baptisĂ©s), d’ĂȘtre renouvelĂ©s de nouveau pour la pĂ©nitence. » (baptismale), car Dieu n’use qu’une fois de cette libĂ©ralitĂ©.  Et dans le chapitre 10 : « À ceux, parmi nous, qui pĂšchent volontairement aprĂšs avoir acceptĂ© la vĂ©ritĂ© connue, (c’est-Ă -dire, aprĂšs l’illumination du baptĂȘme), il ne reste pas d’hostie pour le pĂ©chĂ©. » C’est-Ă -dire qu’il ne reste plus d’autre Christ patient et mourant, avec lequel nous puissions mourir par le baptĂȘme.  C’est ainsi que les Grecs et les Latins expliquent ces deux passages.

Ce qui nous donne un argument tout Ă  fait valable pour le purgatoire.  Car, tout de suite aprĂšs,  est placĂ© le  « mais », qui indique  le contraire : « mais l’attente du jugement est terrible, et l’émulation du feu  qui consumera les adversaires. »  Car si ce feu ne signifiait que le feu de l’enfer, il s’ensuivrait ou  que tous ceux qui pĂšchent aprĂšs le baptĂȘme doivent absolument ĂȘtre damnĂ©s, ou que saint Paul parle pour ne rien dire.  Car,  on n’a pas de justes raisons de dire qu’à celui qui pĂšche aprĂšs le baptĂȘme n’est pas laissĂ© un autre baptĂȘme, si, aprĂšs le baptĂȘme, il y a d’autres remĂšdes, comme il y en a, en rĂ©alitĂ©.   Il faut donc dire que par feu, saint Paul entend le feu en gĂ©nĂ©ral,  ou de la gĂ©henne, ou du purgatoire, de façon Ă  ce que le sens soit le suivant : Ă  celui qui pĂšche aprĂšs le baptĂȘme il ne reste pas de baptĂȘme, ni d’autre remĂšde Ă©quivalent, c’est-Ă -dire, aussi facile, qui libĂšre de toute peine.  Mais il reste un feu nĂ©cessaire et perpĂ©tuel, si l’homme ne se convertit pas, temporaire, s’il se convertit.  Mais ce feu temporaire du purgatoire aura lieu dans l’autre siĂšcle, Ă  moins que le feu de l’affliction volontairement assumĂ© ne purifie l’homme dans cette vie.  Et c’est ce que nous appelons satisfaction.

On voit la mĂȘme chose chez les PĂšres qui, pour cette raison, appellent le baptĂȘme un baptĂȘme facile, et ils le comparent Ă  un navire qui vogue sur les vagues.  Mais la pĂ©nitence, ils l’appellent un baptĂȘme laborieux, larmoyant, un feu, et une seconde arche aprĂšs le naufrage.  De plus, la raison elle-mĂȘme nous le persuade.  Car, celui qui pĂšche aprĂšs la premiĂšre rĂ©conciliation, pĂšche d’autant plus qu’il est plus ingrat, et qu’il a eu une plus grande lumiĂšre et une plus grande aide.  Voir saint GrĂ©goire de Naziance (dans son sermon sur les saintes lumiĂšres),  et Theodoret (dans son tome des divins dĂ©crets, chapitre pĂ©nultiĂšme), et saint Jean DamascĂšne (livre 4, chapitre 10).

La troisiĂšme raison.   « L’honneur du Christ doit demeurer intact, car lui seul est notre rĂ©dempteur et notre libĂ©rateur.  Or, si nous satisfaisons, nous divisons l’honneur avec le Christ.  Car, nous sommes nous aussi, en partie, nos propres rĂ©dempteurs, et nous ne devons pas la totalitĂ© de notre salut au Christ, mais seulement une partie ».  Je rĂ©ponds.  S’il s’agit de mots, l’Écriture dit clairement : « RachĂšte tes pĂ©chĂ©s avec des aumĂŽnes. »   Et Philippiens 2 : « OpĂ©rez votre salut avec crainte et tremblement. » Dans ces passages, l’homme est appelĂ© le sauveur et le rĂ©dempteur de lui-mĂȘme.  Mais, pour autant, aucune injure n’est  faite au Christ, puisque toute la vertu de nos Ɠuvres et de notre satisfaction dĂ©pend du sang du Christ.  Nous le faisons cela par son Esprit qui nous a Ă©tĂ© donnĂ©, ou plutĂŽt c’est l’Esprit du Christ lui-mĂȘme qui l’opĂšre en nous.  Exemple. Rien n’est enlevĂ© Ă  Dieu du fait qu’il agit par des causes secondes.  Ne pas agir seul, mais donner aux autres le pouvoir d’agir est  plutĂŽt un ajout Ă  sa gloire, parce que, par lĂ , apparaissent davantage la puissance et l’efficacitĂ© de Dieu.

La quatriĂšme raison. «  Si la satisfaction du Christ nous est appliquĂ©e par nos propres Ɠuvres, ou il y a deux satisfactions conjointes, celle du Christ et la nĂŽtre, ou une seule.   S’il y en a deux, on est donc puni deux fois pour la mĂȘme faute, et deux peines correspondent Ă  une seule faute.  S’il n’y en a qu’une, ou c’est celle du Christ, et nous, nous ne satisfaisons pas, ou c’est la nĂŽtre, et alors on exclut le Christ, ou nous divisons l’honneur avec le Christ, car lui absout de la faute, et nous de la peine. »  Je rĂ©ponds qu’il y a trois maniĂšres d’en parler.   La premiĂšre est de ceux qui dĂ©clarent qu’il n’y en a qu’une seule, celle du Christ, et que nous, nous ne satisfaisons pas Ă  proprement parler.  Nous faisons quelque chose Ă  la vue de quoi Dieu nous applique la satisfaction du Christ.   Ce qui signifie que nos Ɠuvres ne sont que des conditions sans lesquelles la satisfaction du Christ ne nous serait pas appliquĂ©e, ou tout au plus, des dispositions.  C’est ce que pensait MichaĂ«l BaĂŻus  (dans son livre sur les indulgences, dernier chapitre).  Cette sentence me semble ĂȘtre erronĂ©e, car l’Écriture et les pĂšres appellent souvent nous Ɠuvres des satisfactions et des rĂ©demptions de pĂ©cheurs.  De plus, si l’homme juste peut, par ses Ɠuvres, mĂ©riter en justice la vie Ă©ternelle, pourquoi ne pourrait-ils pas satisfaire pour la peine temporelle, qui vaut beaucoup moins ?

La deuxiĂšme est de ceux qui soutiennent qu’il y en a deux, mais que l’une dĂ©pend de l’autre.  Ce qui ne me semble pas  improbable.  Car, mĂȘme si une seule suffisait, cependant, Ă  la plus grande gloire de Dieu, Ă  qui est faite la satisfaction, et au plus grand honneur de l’homme qui satisfait, il a plu au Christ d’unir la nĂŽtre Ă  la sienne.  Une goutte du sang du Christ aurait suffi pour racheter tout le monde, et pourtant, il a voulu rĂ©pandre tout son sang, pour que sa rĂ©demption soit encore plus riche. Il en est ainsi  pour l’homme juste adulte. Il a droit Ă  la mĂȘme gloire Ă  un double titre : un, provenant des mĂ©rites du Christ qui lui sont communiquĂ©s par la grĂące, et un autre  provenant de ses mĂ©rites propres.

La troisiĂšme semble plus probable.   Il n’y a qu’une seule satisfaction actuelle, et c’est la nĂŽtre.  Ce qui n’exclut pas le Christ, ou sa satisfaction.  Car, c’est par sa satisfaction que nous avons la grĂące qui nous permet de satisfaire.  Et c’est de cette façon que l’on dit que nous est appliquĂ©e la satisfaction du Christ, non que sa satisfaction enlĂšve immĂ©diatement la peine temporelle qui nous est due,  mais qu’elle l’enlĂšve mĂ©diatement, en tant que c’est d’elle que nous recevons la grĂące, sans laquelle notre satisfaction ne vaudrait rien.

En plus de ces objections des hĂ©rĂ©tiques, discutons, pour qu’apparaisse plus clairement la vĂ©ritĂ© de la chose, de deux autres objections que les thĂ©ologiens ont coutume de se faire..

La cinquiĂšme raison.  Dans le purgatoire, il n’y a pas de mĂ©rite.  Il n’y a donc pas, non plus, de satisfaction, car c’est la mĂȘme chose qui est requise pour mĂ©riter et satisfaire; et toute satisfaction est mĂ©ritoire.  Je rĂ©ponds en niant la consĂ©quence.  Car sont requises certaines choses qui sont communes au mĂ©rite et Ă  la satisfaction, mais aussi quelques autres qui leurs sont propres, par l’absence desquelles apparait un mĂ©rite sans satisfaction, et une satisfaction sans mĂ©rite.  À l’un et l’autre est requise la grĂące sanctifiante.  Cela ne suffit-il pas ?   Non.  Car, Ă  la satisfaction est requise une Ɠuvre pĂ©nale, ce qui n’est pas requis pour le mĂ©rite. Au mĂ©rite, est requise la libertĂ©,  que suit la louange, ce qui n’est pas requis Ă  la satisfaction.  Car, celui est forcĂ© par un juge de rembourser sa dette, satisfait vraiment, mĂȘme s’il est contraint de le faire.  Est requis, en plus, pour le mĂ©rite, l’état de la voie.  Car Dieu, l’organisateur des jeux olympiques,  a voulu que le temps de notre stade soit la vie prĂ©sente. VoilĂ  pourquoi les Ăąmes qui sĂ©journent dans le purgatoire,  qui sont donc dans un Ă©tat intermĂ©diaire entre les voyageurs et les bienheureux ou les damnĂ©s, peuvent satisfaire, mais non mĂ©riter, alors que, nous, nous pouvons l’un et l’autre; et que les bienheureux et les damnĂ©s ne peuvent ni l’un ni l’autre.

La sixiĂšme raison. Le purgatoire a Ă©tĂ© constituĂ© en partie pour la rĂ©mission de la faute vĂ©nielle,  en partie pour la satisfaction de la peine.  Mais aucune de ces choses n’arrive aprĂšs la vie.  Car celui Ă  qui il appartient de se relever de la faute, est tombĂ© dans le pĂ©chĂ©.  Mais, aprĂšs cette vie, les Ăąmes ne peuvent pas commettre de pĂ©chĂ© vĂ©niel.  De plus, tous les pĂ©chĂ©s sont remis par la pĂ©nitence, mais, aprĂšs cette vie, il n’y a pas de pĂ©nitence.  Car la mort est, pour les hommes, semblable Ă  la chute des anges, comme saint Jean DamascĂšne le dit (livre 2, chapitre 4).  Les anges, par leur chute, ont Ă©tĂ© fixĂ©s dans le mal.  De plus dans cette vie, puisque l’homme juste peut mĂ©riter l’augmentation de la grĂące, il peut aussi mĂ©riter la rĂ©mission des offenses vĂ©nielles.  Or, aprĂšs cette vie, il n’y a plus de mĂ©rite.  Au sujet de la peine, on donne la preuve suivante. La peine est causĂ©e par la faute, et au fur et  mesure que croit la faute, la peine croit.  Et quand dĂ©croit la faute, la peine dĂ©croit.  Donc, si on enlevait la faute, on enlĂšverait la peine.

Je rĂ©ponds que ne manquĂšrent pas ceux qui, Ă  cause de ces arguments,  niĂšrent que le pĂ©chĂ© vĂ©niel pouvait ĂȘtre remis aprĂšs cette vie, comme saint Thomas le rapporte (4 dist. 21, question 1, article 2).  Mais ils disaient que tous les pĂ©chĂ©s vĂ©niels Ă©taient remis Ă  la mort par la grĂące finale.  Mais, ils se trompaient car l’Écriture et les PĂšres enseignent clairement que des pĂ©chĂ©s lĂ©gers sont remis aprĂšs cette vie.  Et leur fondement n’est pas solide, car la grĂące finale ne peut remettre un pĂ©chĂ© qui plait encore, ou qui ne dĂ©plait pas encore suffisamment.  En effet, quelqu’un peut mourir en se complaisant dans un pĂ©chĂ© vĂ©niel, ou ne posant aucun acte, comme quelqu’un qui meut subitement, comme un Ă©pileptique, ou un dormeur, ou celui qui est victime d’un ACV foudroyant.  D’autres, comme Scott (4 dist, 21, question 1) disent que le seul pĂ©chĂ© qui reste dans l’homme, quand l’acte est passĂ©, c’est la culpabilitĂ© de la peine, et que c’est pour cela qu’on dit que le pĂ©chĂ© vĂ©niel est remis au purgatoire, car c’est lĂ  qu’il est entiĂšrement puni.  Car, Ă  moins que, dans ce monde, la culpabilitĂ©  de la peine Ă©ternelle ne soit changĂ©e en culpabilitĂ© de la peine temporelle, et qu’ainsi, commence  ici la rĂ©mission, elle ne pourrait pas ĂȘtre purgĂ©e lĂ -bas.

Cette sentence est fausse, d’abord, parce que, sans aucun doute possible, le pĂ©chĂ© laisse  dans l’homme en plus de la culpabilitĂ© de la peine, une tache, ou quelque chose de semblable, par laquelle l’homme est dit formellement pĂ©cheur, et digne d’une peine.  Et aussi parce que, de cette façon, on ne pourrait pas dire que les pĂ©chĂ©s vĂ©niels sont remis dans le purgatoire, car on ne remet pas ce qui a Ă©tĂ© entiĂšrement puni.  Car la rĂ©mission sonne comme un pardon.  L’autre opinion est celle de Scott au mĂȘme endroit.  Il soutient que les pĂ©chĂ©s vĂ©niels sont remis au premier instant de la sĂ©paration de l’ñme et du corps, et qu’ils sont remis Ă  cause des mĂ©rites prĂ©cĂ©dents.  Car il dit que toute bonne action qui  plait davantage Ă  Dieu que ne lui dĂ©plait le pĂ©chĂ© vĂ©niel, remet les pĂ©chĂ©s vĂ©niels.   De plus, tant que l’homme vit sur cette terre, les pĂ©chĂ©s vĂ©niels ne sont pas tous remis par ces bonnes Ɠuvres, car la complaisance  dans le pĂ©chĂ© l’empĂȘche. Une fois cet empĂȘchement Ă©cartĂ©, ce qui se fait au premier instant aprĂšs la mort, le pĂ©chĂ© est aussitĂŽt remis.  Cette opinion ne plait pas, car il n’est pas probable que les pĂ©chĂ©s vĂ©niels soient remis par toute bonne action, Ă  moins que ne soit prĂ©sent un dĂ©plaisir au moins virtuel de ces pĂ©chĂ©s.

De plus, il s’ensuivrait que, aprĂšs cette vie, ne serait remis qu’un seul pĂ©chĂ©, celui dont l’acte est continuĂ© jusqu’à la mort, et c’est ce qu’il admet. Mais c’est  contre les Écritures et les PĂšres, comme il appert des textes citĂ©s.  Enfin, car il n’y aurait pas lieu de prier pour les dĂ©funts afin que leurs fautes vĂ©nielles soient effacĂ©es, comme l’Église le fait dans ses priĂšres, comme nous le montre Denys (dernier chapitre de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique.) et les priĂšres de l’église, par lesquelles nous demandons que leur soit pardonnĂ© ce qu’ils ont contractĂ© par fragilitĂ© humaine.

L’opinion vraie est donc celle de saint Thomas ( 4 dist 21, quest 1, art 2) selon laquelle les fautes vĂ©nielles sont remises dans le purgatoire par des actes d’amour et de patience.  Car, cette acceptation de la peine infligĂ©e par Dieu, quand elle procĂšde de la charitĂ©, ĂȘtre appelĂ©e une pĂ©nitence virtuelle.  Et bien qu’elle ne soit pas proprement  mĂ©ritoire, parce qu’elle ne mĂ©rite pas une augmentation de grĂące et de gloire, elle concourt Ă  la rĂ©mission du pĂ©chĂ©.  Pour le premier argument, on nie la majeure absolument, car elle ne porte que sur les pĂ©chĂ©s mortels.   Et en ce qui a trait aux pĂ©chĂ©s vĂ©niels, l’ñme peut, dans le purgatoire, ĂȘtre libĂ©rĂ©e des pĂ©chĂ©s vĂ©niels, parce qu’elle en a les moyens, c’est-Ă -dire les actes de charitĂ© contraires aux pĂ©chĂ©.  Mais, elle ne peut pas tomber dans le pĂ©chĂ© vĂ©niel, parce qu’elle manque d’incitation, et surtout parce qu’elle est confirmĂ©e dans le bien.

Au second je dis.  AprĂšs cette vie, il n’y pas de pĂ©nitence pour les pĂ©chĂ©s mortels, parce que les damnĂ©s sont confirmĂ©s dans le mal, et c’est ce que veut dire DamascĂšne.   Cependant, dans les Ăąmes du purgatoire, peut trĂšs bien se trouver un dĂ©plaisir du pĂ©chĂ©, provenant aussi de la charitĂ©, et qui est donc utile.  Au troisiĂšme je dis que les Ăąmes du purgatoire ne sont plus en chemin,  et que, pour cette raison, elles ne peuvent pas obtenir d’augmentation de la grĂące et de la gloire.  Mais elles ne sont pas rendues non plus au terme, et c’est pour cette raison qu’elles peuvent faire quelque chose qui se rapporte Ă  la rĂ©mission du pĂ©chĂ© vĂ©niel.  À l’autre partie de l’argument je rĂ©ponds que la peine dĂ©pend de la faute dans le devenir, non dans l’ĂȘtre.  Et c’est pourquoi, au sujet de cette dĂ©croissance de la peine qui suit la dĂ©croissance de la faute, si on la comprend au sens de « plus la faute est petite plus elle engendre une petite peine »  on dit la vĂ©ritĂ©.  Autrement c’est faux,  car une peine est due mĂȘme pour une faute passĂ©e.

CHAPITRE 15

La confession du purgatoire appartient Ă  la foi catholique.

Il nous reste maintenant   Ă  discuter de la sentence de Pierre le martyr qui (dans le commentaire du chapitre 3 de la premiĂšreĂ©pĂźtre aux Corinthiens), soutient que l’existence du purgatoire ne peut en aucune façon faire partie des dogmes de foi. Ce fut la premiĂšre opinion de Luther, ou plutĂŽt sa premiĂšre erreur.  Les raisons qu’il en donne sont au nombre de cinq.

La premiĂšre.   Parce que l’Écriture a fait silence sur le purgatoire dans les passages oĂč se prĂ©sentait la plus grande occasion d’en parler.  Car, en GenĂšse, chapitre 49, on dĂ©crit les funĂ©railles d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Sara, et de Rachel avec grand soin. Mais, par un mot sur le purgatoire.  De mĂȘme, dans le LĂ©vitique, on institue des sacrifices de plusieurs genres pour diverses choses, et aucun n’y est instituĂ© pour les morts.  Ensuite, saint Paul (dans la premiĂšre Ă©pitre aux Thessaloniciens, chapitre 4) quand il parle explicitement des morts, n’a pas un mot Ă  dire sur le purgatoire. Il dit seulement qu’ils vont ressusciter.  Et il conclut : « Consolez-vous les uns les autres avec ces paroles. »

La  deuxiĂšme.  Parce que l’église grecque,  qui est l’autre part de l’ Église, a longtemps rĂ©sistĂ© Ă  ce dogme, au concile de Florence.  Donc, si jusqu’à aujourd’hui, la moitiĂ© de l’Église ne croit pas dans le purgatoire, comme peut-il ĂȘtre un dogme de foi ?  La troisiĂšme.  Denys, au dernier chapitre de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique, propose une question : pourquoi, dans les sĂ©pulcres des fidĂšles, les anciens prient-ils pour les dĂ©funts.   Or, il ne se souvient pas du purgatoire,  mais sue Ă  grosses gouttes pour solutionner ce problĂšme. Or, si le purgatoire Ă©tait un dogme de foi, il aurait pu rĂ©pondre tout de suite facilement : priez pour les dĂ©funts, pour qu’ils soient libĂ©rĂ©s du purgatoire.   La quatriĂšme raison.   Saint Augustin affirme avoir une opinion incertaine sur le purgatoire, dĂ©clare qu’il ne le sait pas d’une foi certaine.  Dans l’enchiridion chapitre 69, il dit : « Qu’une telle chose existe aprĂšs cette vie, ce n’est pas incroyable.  Est-ce qu’il en est bien ainsi ? On peut le rechercher,  en parler ou le taire.  Certains fidĂšles, pour avoir trop aimĂ© les biens terrestres,  seraient sauvĂ©s, les uns plus vite, les autres plus lentement, par un certain feu purgeur ».  Dans le livre des huit questions de Dulcitius (question 1), il dit : « Soit donc que, dans cette vie, les hommes ne souffrent que de ces choses,  ou soit qu’aprĂšs cette vie, de tels jugements suivent, ne doit pas ĂȘtre vu comme une objection le fait que   je juge ĂȘtre loin de la vĂ©ritĂ© l’intelligence de cette phrase. » Il dit la mĂȘme chose (livre 21, chapitre 26 de la citĂ© de Dieu) : « AprĂšs la mort de ce corps, jusqu’à ce que nous parvenions  au jour qui, aprĂšs la rĂ©surrection des corps, sera le jour ultime de la damnation et de la rĂ©compense,  les esprits des dĂ©funts, pendant cet intervalle de temps, sont dits souffrir d’un feu que ne sentent pas les autres qui n’ont pas eu de pareilles mƓurs, un feu  qui consume les amours dans la vie de ce corps comme leur bois, leur foin et leur paille.  D’autres ont portĂ© avec eux des Ă©difices d’un autre genre, ou lĂ -bas seulement, ou ici et lĂ -bas, ou bien ici, pour que les choses sĂ©culiĂšres, bien que vĂ©nielles,  ne trouvent pas le feu brulant de la tribulation transitoire.   Je ne conteste pas, car c’est peut –ĂȘtre vrai. »   La cinquiĂšme raison, parce que le purgatoire rĂ©pugne Ă  l’Écriture,(Jean 5, Luc 13, Apocalypse 14) »  que nous avons dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ©e et rĂ©futĂ©e.

Tels sont ses « firmaments »  qui ne nous troublent en rien, et qui ne nous empĂȘchent nullement de soutenir constamment que le purgatoire est un dogme de foi.  De sorte que celui qui ne croit pas au purgatoire ne parviendra pas au purgatoire, mais sera torturĂ© perpĂ©tuellement dans la gĂ©henne de feu.  Il y a quatre façons de prouver les dogmes de foi. La premiĂšre, par le tĂ©moignage formel de l’Écriture uni Ă  une dĂ©claration de l’ Église.   Comme nous prouvons que le Christ est consubstantiel au PĂšre (omoousion patri) par (Jean 10) : « Moi et le pĂšre nous sommes une seule chose », avec l’ajout de la dĂ©claration du concile de NicĂ©e.  Autrement, la dispute avec les Ariens n’aurait jamais pris  fin, puisqu’ils expliquaient diffĂ©remment  ce texte et d’autres semblables.   Ensuite, par la dĂ©duction  Ă©vidente de ce qui est dit expressĂ©ment dans l’Écriture.  Comme nous prouvons que le Christ a deux volontĂ©s, une divine et une humaine, par l’Écriture (le Christ est Dieu et homme) et par la dĂ©claration du sixiĂšme concile ƓcumĂ©nique.   TroisiĂšmement,  par la parole de Dieu  exprimĂ©e par les apĂŽtres, non Ă©crite mais transmise, comme nous prouvons que les Ă©vangiles et les Ă©pitres sont divins.

QuatriĂšmement, par une Ă©vidente dĂ©duction de la parole de Dieu transmise.  Comme saint Augustin prouve souvent qu’on doit nĂ©cessairement croire que les enfants ont le pĂ©chĂ© originel, mĂȘme si l’Écriture n’en parle pas,  parce qu’il dĂ©duisait nĂ©cessairement cette vĂ©ritĂ© de foi de la tradition apostolique du baptĂȘme des enfants.  Ces quatre  genres de preuves suffisent  car seul est de foi ce qui a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ© immĂ©diatement ou mĂ©diatement, les rĂ©vĂ©lations divines Ă©tant partiellement Ă©crites, partiellement transmises oralement.  Les dĂ©crets des conciles ou des souverains pontifes ou le consentement des docteurs ne rendent une chose de foi que quand ils expliquent la parole de Dieu, ou en dĂ©duisent quelque chose.

Par ces quatre moyens, le purgatoire a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© prouvĂ©.  Au sujet du premier,  le montrent les vingt textes de l’Écriture que nous avons prĂ©sentĂ©s, dont certains sont appliquĂ©s au purgatoire par toute l’Église, comme on peut le voir par les conciles et les pĂšres que nous avons citĂ©s.  Le deuxiĂšme est Ă©vident Ă  cause des deux premiers raisonnements que nous avons faits.  Le troisiĂšme est pertinent du fait qu’on ne trouve pas un commencement de ce dogme,  car tous les grecs et les latins, depuis le temps des apĂŽtres, ont toujours enseignĂ© l’existence du purgatoire.  Que de telles choses doivent ĂȘtre rĂ©fĂ©rĂ©es Ă  la tradition apostolique, c’est ce qu’affirme saint Augustin (livre 4, chapitre 24, du baptĂȘme contre les donatistes).  Le quatriĂšme se prouve par les citations de ClĂ©ment, Tertullien, et de Chrysostome prĂ©sentĂ©es plus haut. En effet, ils enseignent explicitement que la priĂšre pour les dĂ©funts est une tradition apostolique. Ce que jamais aucun ancien n’a contredit.  C’est de lĂ  que nous tirons l’affirmation que le purgatoire existe.  Car, si la priĂšre pour les dĂ©funts est une tradition apostolique,  il faut donc prier pour les morts.  Qui ne se rend pas compte que s’ensuit nĂ©cessairement que les Ăąmes, aprĂšs cette vie, ont besoin d’aide, et sont dans des peines non Ă©ternelles, mais transitoires.

Les arguments de Pierre le martyr ne sont pas, non plus, difficiles Ă  rĂ©futer.  Au premier, je rĂ©ponds qu’il n’est pas nĂ©cessaire que l’Écriture dise tout partout.  Au second, en ce qui a trait au passage de la GenĂšse, je rĂ©ponds que ne s’est pas prĂ©sentĂ©e l’occasion de parler du purgatoire.  Car la GenĂšse n’est pas un livre de dogmes,  mais une histoire des patriarches.  De plus, Ă  cette Ă©poque, la doctrine n’était pas conservĂ©e par l’écriture, mais par la tradition.  Car, autrement, il faudrait dire qu’avant l’époque d’Abraham, personne n’a Ă©tĂ© justifiĂ©, parce que l’Écriture ne raconte pas comment Ă©taient justifiĂ©s les hommes au temps d’Adam, de NoĂ©  et d’HĂ©noch.  Au dernier, je dis que la mention du purgatoire est contenue au moins implicitement dans la GenĂšse 23 : « Et Abraham mit fin Ă  son devoir funĂ©raire. »  Qui empĂȘche de voir dans le mot « devoir » non seulement des larmes, mais aussi des priĂšres et des jeĂ»nes ?  Et pourquoi, je le demande,  Jacob et Joseph, qui moururent en Égypte, dĂ©sirĂšrent-ils que leurs os soient transportĂ©s dans la terre promise, parce qu’ils savaient que c’était uniquement lĂ  que se faisaient des sacrifices pour les morts ?

Au sujet du passage sur le LĂ©vitique, je nie que n’aient pas Ă©tĂ© instituĂ©s des sacrifices pour les morts, puisque les sacrifices qui avaient Ă©tĂ© instituĂ©s pour les pĂ©cheurs valaient autant pour les vivants que pour les morts (2 Macch 12).  Et au sujet du texte de saint Paul, je dis que, Ă  cet endroit, la seule chose qu’il a voulu dire c’est qu’il ne faut pas pleurer les morts immodĂ©rĂ©ment, comme le font les paĂŻens.  Non seulement ce passage ne leur est d’aucun profit, mais il plaide en faveur du purgatoire.  Car dire que les Ăąmes des proches sont gravement tourmentĂ©es dans le purgatoire, ce n’est pas apporter une matiĂšre Ă  consolation, mais Ă  une plus grande peine.  Saint Paul voulait les consoler, et c’est pour cela qu’il leur parle de la rĂ©surrection et de la gloire.  Et il conclut ainsi : « Consolez-vous mutuellement par ces paroles. »  Dans d’autres passages, (comme dans la premiĂšre Ă©pitre aux Corinthiens, chapitres 3 et 15,  et dans l’épitre aux HĂ©breux, chapitre 10), saint Paul parle du feu du purgatoire, et d’un baptĂȘme laborieux reçu pour les morts.

Au deuxiĂšme je dis que l’Église grecque n’a jamais doutĂ© du purgatoire, comme il appert des textes citĂ©s (Denys l’arĂ©opagite, OrigĂšne, Athanase, Basile, GrĂ©goire de Naziance, GrĂ©goire de Nysse,  Ephrem, Chrysostome,  Cyrille, Épiphane,  Theodoret, DamascĂšne, et du concile de Florence).  Car ce que prĂ©tend Pierre le martyr,  Ă  savoir  que dans ce concile les Grecs ont longtemps rĂ©sistĂ©, c’est tout simplement un mensonge.  Car, dans la premiĂšre session et dans la derniĂšre, ils affirment avoir toujours cru dans le purgatoire, et avoir toujours priĂ© pour  les morts; et n’avoir eu des doutes que pour la qualitĂ© de la peine, c’est-Ă -dire,  si c’est un feu ou autre chose.   La nĂ©gation du purgatoire par les Grecs dont il se vante est donc une faussetĂ©, ou elle n’est vraie que pour certaines personnes en particulier.

Le troisiĂšme argument de Pierre le martyr m’étonne grandement.  Car, mĂȘme si Denys ne nomme pas le purgatoire,  il dit expressĂ©ment qu’on prie pour les morts afin qu’ils soient libĂ©rĂ©s de leurs pĂ©chĂ©s.  Au chapitre 7, par 3 : « Par des priĂšres, il demande Ă  la bĂ©nignitĂ© divine de remettre tous les pĂ©chĂ©s que celui qui est sorti de la vie a commis par fragilitĂ© humaine. »  Ensuite, il se demande : pourquoi prie-t-on pout les dĂ©funts ? Pour que leur soient remis les pĂ©chĂ©s, comme il est dit que tous recevront selon qu’ils ont agi dans le corps ?  Et il rĂ©pond qu’on prie parce que, par les mĂ©rites de leur vie, ils ont Ă©tĂ© trouvĂ©s dignes de pouvoir tirer du profit des priĂšres des vivants. »  À  moins donc que Denys n’ait militĂ© contre lui-mĂȘme, il n’a pas pu ignorer ou nier le purgatoire, puisqu’il parle si clairement d’une priĂšre pour les pĂ©chĂ©s des dĂ©funts.

Au quatriĂšme, nous opposons d’autres passages de saint Augustin. Dans le mĂȘme enchiridion  chapitre 110, il affirme que les priĂšres et les sacrifices sont profitables aux Ăąmes.  Et semblablement, (question 2 Ă  Dulcitiium,  et dans le livre 21, chapitre 24 de la citĂ© de Dieu), il dit qu’il est avĂ©rĂ© que les Ăąmes sont purgĂ©es aprĂšs cette vie, et (au chapitre 1 du soin aux morts) il dit : « Il n’est pas douteux que les priĂšres pour les morts leur soient profitables. »  Pierre le martyr rĂ©pondra  que ces passages doivent ĂȘtre expliquĂ©s par ceux oĂč il exprime un doute.  Comment, je le demande, pouvons-nous expliquer des mots comme : il est avĂ©rĂ©, il n’est pas douteux,   par ces autres mots : ce n’est pas incroyable, c’est peut-ĂȘtre vrai ?

Il est donc nĂ©cessaire de dire que saint Augustin a cru, de foi, certaines choses sur le purgatoire, et a doutĂ© d’autres.  De quoi a-t-il doutĂ©, nous ne pouvons pas l’exposer facilement.  Car, lui-mĂȘme n’a pas clairement dit de quoi il doutait.  Il faut au moins lui reconnaitre qu’il n’a pas doutĂ© de l’existence du purgatoire en gĂ©nĂ©ral.   Avec cette foi assurĂ©e, peut cohabiter un doute sur la qualitĂ© de la peine infligĂ©e, de la qualitĂ© du pĂ©chĂ© qui est puni, du lieu, de la durĂ©e.  Mais cette foi certaine dans le purgatoire que saint Augustin dit avoir ne peut pas coexister avec un doute sur le purgatoire en gĂ©nĂ©ral.  Je dis donc que, dans ces passages, saint  Augustin  ne doutait que du genre de pĂ©chĂ©s qui est puni. Par exemple.  Un amour immodĂ©rĂ© des biens temporels est purgĂ© par les diffĂ©rentes Ă©preuves envoyĂ©es par la providence,  comme la mort d’une Ă©pouse, des enfants.  Il est aussi croyable que, aprĂšs cette vie, demeure encore dans l’ñme sĂ©parĂ©e certaines reliques des affections terrestres, qui ont Ă  ĂȘtre purgĂ©es par des tribulations et des souffrances.  Car, mĂȘme si les Ăąmes privĂ©es de corps ne semblent pas pouvoir ĂȘtre atteintes par les affections corporelles, puisqu’elles sont les formes des corps, et ont demeurĂ© longtemps dans le corps, elles sont liĂ©es par un certain dĂ©sir d’elles.  Et parce que cette chose est trĂšs difficile, on a raison de penser que saint Augustin a longtemps cherchĂ© sans jamais trouver.  Au cinquiĂšme, on a rĂ©pondu plus haut.

LIVRE SECOND

                        LES CIRCONSTANCES DU PURGATOIRE

                                        CHAPITRE PREMIER

              Des personnes auxquelles convient le purgatoire

Nous avons dĂ©montrĂ© jusqu’à prĂ©sent que le purgatoire existe.  Nous disserterons maintenant des circonstances du purgatoire, c’est-Ă -dire des personnes, du lieu, du temps, des suffrages, et d’autres choses du mĂȘme genre.

La premiĂšre question. À quelles personnes une purgation convient-elle aprĂšs cette vie ?  Il y a eu beaucoup d’erreurs sur cette question.  La premiĂšre.  Doivent ĂȘtre purifiĂ©s, aprĂšs cette vie, autant les bons que les mauvais, Ă  l’exception du seul Christ.  On a coutume d’attribuer cette opinion Ă  Alcuin, mais il ne semble pas qu’il ait Ă©tĂ© le seul  Ă  la professer, beaucoup de pĂšres l’ayant soutenue.  OrigĂšne (homĂ©lie 14 sur Luc) : « Je pense que, mĂȘme aprĂšs la rĂ©surrection des morts, nous aurons besoin d’un sacrement qui efface et purifie.  Car, personne ne peut ressusciter sans taches, et on ne peut trouver aucune Ăąme qui soit aussitĂŽt libĂ©rĂ©e de tous les vices. »  Et, au psaume 36, il ajoute : « Il est nĂ©cessaire que nous venions tous Ă   ce feu, mĂȘme un Paul, mĂȘme un Pierre. »  Saint Ambroise (psaume 36) : « Dans ce feu donc seront purgĂ©s les fils de LĂ©vi, dans le feu d’EzĂ©chiel, dans le feu de Daniel. »  Et, (dans le sermon 20 sur le psaume 118), commentant ces mots de GenĂšse 4 : « Il a placĂ© devant le paradis un glaive enflammé » il dit: « Ce glaive enflammĂ© est un feu purgeur, par lequel passe nĂ©cessairement quiconque entre au paradis. Car tous doivent passer par les flammes, mĂȘme un Jean ou un Pierre. »  Et plus bas : « Un seul n’a pas pu sentir ce feu, le Christ, qui est la justice de Dieu. »

Saint Hilaire semble avoir expliquĂ© de la mĂȘme façon ces paroles du psaume 118 : « Mon Ăąme a souhaitĂ© pouvoir dĂ©sirer les jugements de ta justice. »   Il insinue lĂ  que mĂȘme Marie a du passer par ce feu.  De mĂȘme Lactance (livre 7, chapitre 21 des institutions divines), et saint JĂ©rĂŽme, commentant ces paroles d’Amos 7 : « Il appelĂ© le feu pour le jugement.  »  Ainsi que Rupert (livre 3, chapitre 32 sur la GenĂšse), expliquant le glaive enflammĂ©.  Cette sentence, si on la prend comme elle sonne, contient manifestement une erreur. Car, dans le concile de Florence, derniĂšre session, il a Ă©tĂ© dĂ©fini que certaines Ăąmes sont reçues en enfer, d’autres au purgatoire, et d’autres immĂ©diatement au ciel.  De plus, l’Église a toujours cru que ceux qui meurent tout de suite aprĂšs le baptĂȘme n’ont aucune peine du purgatoire Ă  subir, (comme saint Augustin l’enseigne constamment, livre 21, chapitre 16 de la citĂ© de Dieu), ainsi que ceux qui sont baptisĂ©s dans leur propre sang.  Saint Cyprien (livre 4, Ă©pitre 2) dit que tous les pĂ©chĂ©s sont purifiĂ©s par le martyre, et que les martyrs parviennent immĂ©diatement Ă  la rĂ©compense

Ajoutons que l’enseignement des pĂšres citĂ©s (Ă  l’exception d’OrigĂšne) peut recevoir un bon sens, car quelques-uns d’entre eux n’entendent pas par feu un feu purgeur, mais le feu du divin jugement,  comme le dit saint Paul (dans la premiĂšre Ă©pitre aux Corinthiens, chapitre 13) : « Le feu montrera, en l’éprouvant, ce que vaut l’Ɠuvre de chacun. »  Et de cette façon, il faut reconnaitre que tous les saints, Ă  l’exception du Christ, passeront par le feu.  C’est ainsi que semblent parler du feu Hilaire et JĂ©rĂŽme, et saint Ambroise.

D’autres semblent entendre par feu le vrai feu du purgatoire, par lequel les saints passent sans en recevoir aucune lĂ©sion, car ils passent matĂ©riellement, mais non formellement.  C’est ainsi que semblent parler Lactance, Ambroise et  Rupert.  Lactance : « Mais quand Dieu jugera les justes, il les examinera  eux aussi par le feu. Ceux dont les pĂ©chĂ©s l’emporteront par le poids ou le nombre, seront plongĂ©s etbrĂ»lĂ©s dans le feu.  Ceux dont la pleine justice et la maturitĂ© de la vertu aurabrĂ»lĂ© ces pĂ©chĂ©s,  ne seront pas affectĂ©s par le feu, car ils ont quelque chose de divin en eux qui repousse la violence de la flamme.»  C’est ainsi que parle aussi saint Ambroise  (psaume 36).  AprĂšs avoir dit que tous passeront par le feu, il ajoute que quelques-uns resteront dans ce feu perpĂ©tuellement, que quelques-uns serontbrĂ»lĂ©s, mais non consumĂ©s, que pour d’autres, les saints, le feu ressemblera Ă  la rosĂ©e, comme pour les trois enfants de la fournaise de Babylone.

Conforme Ă  cette sentence est la vision de Fursy, que dĂ©crit BĂšde (livre 3, chapitre 19 de son histoire).  Il vit, dans la route vers le ciel, de trĂšs gros feux par lesquels il fallait nĂ©cessairement passer.  Mais il vit en mĂȘme temps ceux qui n’avaient rien en fait de combustible, c’est-Ă -dire rien en fait de faute ou de peine,  passer au travers indemnes.  Il en vit d’autres qui Ă©taient plus ou moinsbrĂ»lĂ©s selon qu’ils apportaient plus ou moins de combustible.  Cette sentence qui enseigne que tous doivent passer par le feu, mĂȘme si tous ne sont pas affectĂ©s par le feu, je n’oserais ni la dĂ©clarer vraie, ni la rĂ©prouver comme une erreur.

La deuxiĂšme erreur.  Tous les mĂ©chants, autant hommes que dĂ©mons devront ĂȘtre sauvĂ©s quand l’enfer sera complĂštement Ă©vacuĂ©.  Et, en consĂ©quence, toutes les peines aprĂšs cette vie, sont de nature purgative.  Cette erreur fut celle d’OrigĂšne, et elle a Ă©tĂ© rĂ©futĂ©e par Épiphane (Ă©pitre Ă  Jean de JĂ©rusalem), par saint Augustin (livre 21, chapitre 17 et 23 de la citĂ© de Dieu), par saint JĂ©rĂŽme (chapitre 3 de Jonas,) par saint GrĂ©goire (livre 9, chapitre 45, et chapitres 12 et 13 des morales).  Car en Matthieu 25, il est dit : « Allez, maudits, au feu Ă©ternel, qui a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© pour le diable et pour ses anges. »  Et de peur qu’on rĂ©ponde : c’est le feu qui est Ă©ternel, non le sĂ©jour dans le feu, le Seigneur conclut : « Ils seront ceux-lĂ  dans le supplice Ă©ternel, et les justes dans la vie Ă©ternelle. »  Et apocalypse 20 : « Le diable qui les sĂ©duisait a Ă©tĂ© envoyĂ© dans l’étang de feu et de soufre,  lĂ  oĂč la bĂȘte et les pseudo prophĂštes seront tourmentĂ©s jour et nuit pendant les siĂšcles des siĂšcles. »

Ruffin attribua une erreur semblable Ă  saint JĂ©rĂŽme (dans son premier livre d’invectives contre JĂ©rĂŽme), mais injustement.   Car, saint JĂ©rĂŽme fut un ennemi acharnĂ© de cette erreur, comme il appert, en plus du texte citĂ©, de l’apologie 2 contre Rufin, du livre 1 contre les pĂ©lagiens, et del’épĂźtre Ă  Pammachius sur les erreurs de Jean de JĂ©rusalem, et du commentaire des derniers mots d’IsaĂŻe.    Les paroles que cite Rufin  sur le commentaire de JĂ©rĂŽme surl’épĂźtre aux ÉphĂ©siens sont dites en la personne d’OrigĂšne, comme saint JĂ©rĂŽme l’enseigne au sujet de semblables erreurs (dans son apologie 1 contre Rufin).  On dit qu’existe encore le livre d’un certain anabaptiste du nom de Stanilas, intitulĂ© de la divine philanthropie,  qui soutient cette erreur d’OrigĂšne.   Mais je n’ai pas encore pu voir ce livre.

La troisiĂšme erreur est celle de ceux qui soutiennent que sont temporaires  les peines de  tous les pĂ©cheurs, mais non des dĂ©mons, qui sont imposĂ©es aprĂšs cette vie.  Comme saint Augustin le rapporte et le rĂ©fute (livre 21, chapitres 18 et 24 de la citĂ© de Dieu).  La quatriĂšme erreur est de ceux pour qui ces peines ne valent que pour les chrĂ©tiens, qu’ils soient hĂ©rĂ©tiques ou catholiques, comme le rapporte saint Augustin (au mĂȘme endroit, chapitres 19 et 25).  La cinquiĂšme est de ceux qui pensaient que seuls les catholiques Ă©taient ainsi punis.  Augustin (chapitres 20 et 25).  Ces erreurs sont rĂ©futĂ©es dans Matthieu 25 : allez au feu Ă©ternel.  Et apocalypse 20 : « Ils sont suppliciĂ©s dans les siĂšcles des siĂšcles. »  Ainsi qu’en IsaĂŻe (dernier chapitre) : « Leur feu ne s’éteindra pas. »  Et Galates 5 : « Ceux qui font de telles choses nepossĂ©deront pas le royaume de Dieu. » Car, dans ces passages, ce ne sont pas seulement les dĂ©mons qui sont punis jusqu’à la fin du monde, non seulement les hĂ©rĂ©tiques ou les paĂŻens, mais les mauvais catholiques. »

Les fondements de toutes ces erreurs sont au nombre de quatre.  Le premier, parce qu’il est dit dans le psaume 96 : « Dieu oubliera-t-il d’ĂȘtre misĂ©ricordieux, ou ses misĂ©ricordes sont-elles contenues dans sa colĂšre ?  Le deuxiĂšme. Parce que, aux Romains 11, il est dit : « Dieu a tout renfermĂ© dans l’infidĂ©litĂ© pour avoir pitiĂ© de tous. »  Le troisiĂšme. Parce que si les saints prient pour leurs ennemis, et sont exaucĂ©s en ce siĂšcle, ils prieront encore beaucoup plus, et seront exaucĂ©s davantage au jour du jugement.  Le quatriĂšme.  Parce que nous voyons, dans l’Écriture, que Dieu a dĂ©crĂ©tĂ© des punitions sans les donner, comme en Jonas 3 : « Encore quarante-jours et Ninive sera dĂ©truite. »  Ces passages nous font comprendre que quand Dieu menace de nous envoyer des supplices, il n’a pas l’intention de les envoyer rĂ©ellement, mais seulement Ă  ceux qui mĂ©ritent une punition.  Mais au premier rĂ©pond saint Augustin (livre 21, chapitre 24 de la citĂ© de Dieu). Il dit qu’il faut entendre ces paroles seulement pour les bons, ou si elles s’étendent Ă  tous les damnĂ©s,  le sens est que les damnĂ©s doivent ĂȘtre punis Ă©ternellement, mais seulement selon que la justice le requiert.  On peut entendre aussi ces mots de cette vie, de laquelle on dit : « Voici le temps acceptable. »  Car, au sujet du jugement futur, il est dit en Jacques 2 : « Un jugement sans misĂ©ricorde pour celui qui n’a pas fait misĂ©ricorde. »

Au deuxiĂšme, saint Augustin rĂ©pond de la mĂȘme façon : pour qu’il ait pitiĂ© de tous ne signifie pas tous les hommes, mais toutes les nations, autant les Gentils que les Juifs, de sorte que certains parmi les Gentils et les Juifs seront sauvĂ©s.  C’est comme cette autre phrase : il a tout renfermĂ© dans l’infidĂ©litĂ©, qui signifie autant les Gentils que les Juifs, c’est-Ă -dire certains parmi les Gentils, et certains parmi les Juifs.  Car Dieu, avant l’avĂšnement du Christ, a permis que les Gentils suivent leurs propres chemins dans l’infidĂ©litĂ© et l’idolĂątrie, pour qu’aprĂšs, dans leur confusion, ils demandent un mĂ©decin et le trouvent, comme cela est arrivĂ©.  Ensuite, aprĂšs la conversion des Gentils, il a permis que les Juifs se ruent dans l’infidĂ©litĂ© pour que, eux aussi, Ă  la fin du monde, dans leur confusion et leur humiliation, ils se convertissent Ă  leur tour.

Au troisiĂšme, il rĂ©pond.  Les saints prient dans ce monde parce qu’ils savent que c’est le temps de la pĂ©nitence fructueuse.  Mais, au jour du jugement, ils ne prieront pas pour les damnĂ©s, comme maintenant nous ne prions pas pour les dĂ©mons et les damnĂ©s.   Au quatriĂšme, saint Augustin rĂ©pond que Ninive a Ă©tĂ© renversĂ©e, comme il avait Ă©tĂ© prĂ©dit, car tous les mauvais Ă©taient devenus bons, ce qui est un renversement merveilleux et agrĂ©able Ă  Dieu.  On peut rĂ©pondre que les supplices de Dieu qui sont intentĂ©s dans cette vie sont comminatoires, puisqu’ils sont conditionnels, c’est-Ă -dire,  Ă  moins qu’on ne fasse pĂ©nitence.   Mais, aprĂšs cette vie, il n’y pas de pĂ©nitence, du moins fructueuse.  Car  il est dit en Jean, chapitre 9 : « Agissez pendant qu’il fait encore jour, car vient la nuit pendant laquelle personne ne peut rien faire. »  Et Ecclsias 9 : « Dans les enfers il n’y a ni Ɠuvre, ni raisonnement. »

La sixiĂšme erreur est de ceux qui voulaient que seuls les catholiques et tous les catholiques qui persĂ©vĂ©raient dans la foi descendent dans le purgatoire, mĂȘme si quelques-uns avaient trĂšs mal vĂ©cu.  Cette erreur est rapportĂ©e par saint Augustin (livre 21, chapitres 25 et 26 de la citĂ© de Dieu, dans l’enchiridion, chapitre 68,  dans de la foi et des Ɠuvres, chapitres 14, 15, 16, et dans la question 1 Ă  Dulcitius,  Carme en Matthieu3, on dit au sujet des fidĂšles mauvais : « les pailles seront brulĂ©es dans le feu inextinguible. »  Et en Matthieu 25,  il est dit aux fidĂšles qui ne sont pas misĂ©ricordieux : « Allez au feu Ă©ternel. »  Et Ă  1 Corinthiens 6, il est Ă©crit pour les fidĂšles par Paul : « Ni les ivrognes, ni les avares, ni les adultĂšres, ni les  homos, ni les maudits ne possĂšderont le royaume des cieux.  Et on trouve des choses semblables dans Galates 5, et ÉphĂ©siens 5.

Le fondement de leur erreur vient de 1 Corinthiens 3 : « Il sera sauvĂ© comme par le feu. »  Ils pensaient eux, entendre par fondement la foi catholique, par argent et or, toutes les bonnes Ɠuvres, par bois, chaume et paille tous les pĂ©chĂ©s. Mais, cela a Ă©tĂ© suffisamment rĂ©futĂ©.  Il est Ă  noter qu’il y en a quelques-uns Ă  avoir pensĂ© que saint JĂ©rĂŽme Ă©tait tombĂ© dans cette erreur, car, commentant les derniers mots d’IsaĂŻe, il dit : «  Nous pensons que sont Ă©ternels les tourments des dĂ©mons, de tous les nĂ©gateurs et impies, qui ont dit dans leur cƓur : il n’y a pas de Dieu.  Mais  pour les tourments des chrĂ©tiens dont les Ɠuvres doivent ĂȘtre Ă©prouvĂ©es et purgĂ©es dans le feu, nous estimons que la sentence du juge sera intermĂ©diaire et mĂȘlĂ©e Ă  la clĂ©mence ».  Il dit la mĂȘme chose dans son livre u contre les pĂ©lagiens : « Si OrigĂšne dit que toutes les crĂ©atures raisonnables ne doivent pas ĂȘtre perdues, que nous importe Ă  nous, qui enseignons que le diable et ses satellites et tous les impies pĂ©riront Ă©ternellement.  Les chrĂ©tiens eux, s’ils ont Ă©tĂ© prĂ©venus par le pĂ©chĂ©, devront ĂȘtre sauvĂ©s par les peines. »

Il semble, cependant, que JĂ©rĂŽme ne soutenait pas cette erreur  au chapitre 25, oĂč il s’agit manifestement de la damnation Ă©ternelle des fidĂšles pĂ©cheurs. Ni aux Galates chapitre 5 : « Pensons-nous que nous obtiendrons le royaume des cieux si nous ne sommes ni idolĂątres, ni fornicateurs ? N’y a-t-il pas les inimitiĂ©s, la rancune, la colĂšre, les rixes, les dissensions, l’ébriĂ©tĂ© etc.  Ces choses semblent petites, mais elles nous excluent du royaume de Dieu. »  Dans les lieux citĂ©s, saint JĂ©rĂŽme ne veut pas dire que tous les chrĂ©tiens seront sauvĂ©s par les peines,  mais que seuls les chrĂ©tiens seront sauvĂ©s par les peines.   VoilĂ  pourquoi, dans le premier texte, il dit que les chrĂ©tiens impies doivent ĂȘtre sauvĂ©s, mais il ajoute une condition restrictive quand il dit : « dont les Ɠuvres devront ĂȘtre Ă©prouvĂ©es et purgĂ©es dans le feu. » C’est-Ă -dire, seuls seront sauvĂ©s les impies chrĂ©tiens dont les Ɠuvres  mal purgĂ©es, quant Ă  la faute, devront ĂȘtre purgĂ©es quant Ă  la culpabilitĂ© de la peine.  Et plus loin, il oppose aux impies les chrĂ©tiens, qui sont prĂ©venus par la mort en Ă©tat de pĂ©chĂ©, pour qu’on comprenne qu’il ne parle que des chrĂ©tiens pieux.

La septiĂšme erreur est de ceux qui estiment que tous ceux qui ont fait l’aumĂŽne doivent ĂȘtre sauvĂ©s par le feu du purgatoire, mĂȘme s’ils ont persĂ©vĂ©rĂ© dans leurs crimes jusqu’à la mort.  Saint Augustin repousse cette erreur (dans enchiridion livre 21, chapitres 75, 76, et dans es chapitres 22 et 27 de la citĂ© de Dieu.)  Car, par des paroles trĂšs claires,  l’Écriture, en plus de l’aumĂŽne, exige beaucoup de choses pour la justification de l’impie.  Luc 13 : « Si vous ne faites pas pĂ©nitence, vous pĂ©rirez tous ! »  1  Corinthiens 3 : « Si je distribue tous mes biens en nourriture aux pauvres,   et si je n’ai pas la charitĂ©, cela ne me sert Ă  rien. »  Quelle charitĂ© a-t-il, je le demande, celui qui ne craint pas d’offenser Dieu, ou qui, aprĂšs l’avoir offensĂ©,  ne cherche pas Ă  se rĂ©concilier avec lui ?  Mais ils disent :  au jour du jugement, l’examen ne portera que sur l’aumĂŽne. Car, en Matth 25, ceux qui ont fait l’aumĂŽne sont envoyĂ©s au royaume de Dieu, et les autres en enfer.  Je rĂ©ponds que Dieu  a  indiquĂ© les observances les plus petites pour que nous puissions nous faire une idĂ©e des plus grandes. Car celui qui menace de l’enfer ceux qui n’ont pas donnĂ© de leurs biens, punira davantage celui qui fera l’aumĂŽne avec de l’argent mal acquis, et couronnera davantage ceux qui ont sacrifiĂ© leur vie pour la foi. Voir le reste dans notre dispute sur l’aumĂŽne.

Ces erreurs une fois rĂ©futĂ©es, demeure la derniĂšre sentence, la vraie, la catholique.  Le purgatoire est seulement pour ceux qui meurent avec des fautes vĂ©nielles, dont il est question dans  1 Corinthiens, chapitre 3.  Ce sont ceux-lĂ  qui construisent sur le fondement avec du bois, du foin et de la paille, et qui seront sauvĂ©s comme par le feu.   Le purgatoire est aussi pour ceux qui, aprĂšs la rĂ©mission des fautes, dĂ©cĂšdent avec la culpabilitĂ© de la peine.  C’est d’eux que parle Luc 12 : « Tu n’en sortiras pas tant que tu n’auras pas rendu le dernier centime. »  Et dans les autres lieux citĂ©s.

CHAPITRE 2

  Au purgatoire, les Ăąmes ne peuvent ni mĂ©riter ni pĂ©cher

Suit l’autre question.  Dans le purgatoire, y a-t-il place pour le mĂ©rite et le pĂ©chĂ© ?  Quand Luther confessait le purgatoire, il en parlait de façon Ă  le confondre autant avec l’état de cette vie qu’avec celui de l’enfer.  Il soutenait que les Ăąmes du purgatoire pouvaient mĂ©riter, ce qui est le propre de cette vie, et pĂ©cher de nouveau, et mĂȘme dĂ©sespĂ©rer de leur salut, ce qui est le propre des damnĂ©s.  La raison en Ă©tait qu’il estimait que les Ăąmes qui Ă©taient envoyĂ©es dans le purgatoire Ă©taient celles qui n’étaient pas parfaites dans la charitĂ©.  Car, celles qui n’ont pas du tout de charitĂ© sont envoyĂ©es en enfer, et au ciel celles qui l’ont parfaite.  Comme la charitĂ© imparfaite devait augmenter, et qu’elle ne peut augmenter sans de nouveaux mĂ©rites, c’est pour cette raison qu’il a placĂ© dans le purgatoire un Ă©tat de mĂ©rite.  De plus, parce que la charitĂ© parfaite rejette loin d’elle la peur, et que l’imparfaite a de la crainte mĂȘlĂ©e Ă  la charitĂ©, la peur servile, peur que Luther estime ĂȘtre un pĂ©chĂ©, il en dĂ©duisait que les Ăąmes pĂ©chaient de nouveau parce qu’elles continuaient Ă  craindre,  Ă  ĂȘtre horrifiĂ©es, Ă  fuir les peines, et Ă  chercher  ce qui leur appartient.  Voir le livre de Luther sur le purgatoire que Jean Eck a rĂ©futĂ©.

Que cette opinion de Luther soit hĂ©rĂ©tique, on le prouve par des tĂ©moignages de l’Écriture et des pĂšres.  Le premier. « Les morts ne connurent rien de plus, et n’ont pas d’autre rĂ©compense. » Le commentaire de saint JĂ©rĂŽme de ce passage : « Tant qu’ils vivent, les hommes peuvent devenir justes, mais aprĂšs la mort, aucune occasion de bonne Ɠuvre ne leur est donnĂ©e. »  Et plus bas : « Les vivants peuvent, par peur de la mort, accomplir de bonnes Ɠuvres.  Mais les morts ne peuvent rien ajouter Ă  ce qu’ils ont apportĂ© avec eux de la vie, une fois pour toutes. »  Et plus bas : « Ils ne peuvent pas agir saintement.  Ils ne peuvent ni pĂ©cher, ni ajouter des vertus ou des vices. »  Le deuxiĂšme.  L’Écriture dit : « Tout ce que ta main peut faire, fais-le maintenant, car, dans l’enfer oĂč tu te diriges, il n’est ni Ɠuvre, ni sagesse, ni science. »  On ne peut pas dire que, dans l’autre vie, on ne sait rien, ou on ne fait rien, puisque (en Luc 16) le mauvais riche a vu Lazare dans le sein d’Abraham, et qu’il l’a implorĂ© pour lui d’abord, puis pour ses frĂšres.  Mais ce dont on parle ici c’est d’une Ɠuvre mĂ©ritoire, comme l’explique saint JĂ©rĂŽme.  Ce texte ne parle pas non plus de l’enfer infĂ©rieur, mais de l’enfer en gĂ©nĂ©ral, qui comprend plusieurs lieux, dans lesquels descendaient les hommes aprĂšs leur mort, avant la rĂ©surrection du Christ, comme l’explique le mĂȘme saint JĂ©rĂŽme.

Le troisiĂšme. Eccles 11 : « Si l’arbre tombe au sud ou au nord, il restera lĂ  oĂč il est tombĂ©. »  Saint JĂ©rĂŽme, dans son commentaire de ce texte, et saint Bernard (sermon 190) voient dans ce texte l’immuabilitĂ© de l’ñme aprĂšs cette vie, qui ne peut plus de mauvaise,  devenir bonne, et de bonne,  devenir mauvaise.  La quatriĂšme.  Eccles. 2 : « OpĂšre la justice avant ta mort, car il n’y a pas moyen de trouver de la nourriture dans l’enfer. »  Le cinquiĂšme Eccles 18 : « Ne crains pas d’ĂȘtre justifiĂ© jusqu’à la mort. »  Pourquoi « jusqu’à la mort », si ce n’est que, aprĂšs la mort, on en aura plus le temps.  SixiĂšme : Jean 9 : « Vient la nuit, pendant laquelle personne ne peut agir. »   OrigĂšne (psaume 36), saint Jean Chrysostome, saint Augustin, Euthymius, et Theophylacte, dans leurs commentaires de ce texte, saint JĂ©rĂŽme (dans chapitre 9 de l’Eccles), et saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 39 des dialogues) voient, Ă  l’unanimitĂ©, dans le mot nuit le temps de l’autre vie, et dans « agir »,  faire des actes mĂ©ritoires.

Le septiĂšme est del’épĂźtre aux 2 Corinthiens, chapitre 5 : « Il faut que nous soyons tous manifestĂ©s devant le tribunal du Christ, chacun apportant les actes du corps qu’il accomplis, en bien ou en mal. »  En expliquant ce texte, saint Augustin (dans le chapitre 12 du livre de la prĂ©destination des saints), explique que les Ɠuvres du corps ne sont pas des Ɠuvres corporelles, comme si les Ɠuvres spirituelles n’avaient pas Ă  ĂȘtre jugĂ©es, mais toutes les Ɠuvres accomplies pendant que nous sommes dans le corps, car, aprĂšs cette vie il ne reste plus de temps pour recevoir des rĂ©compenses ou des punitions.  Le huitiĂšme Galates 6 : « L’homme rĂ©coltera ce qu’il a semĂ©. »  Et plus bas :  « Ne cessons pas de faire du bien pendant que tu le peux encore.  En son temps nous rĂ©colterons, si nous ne sous lassons pas.  Donc, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien. »  Saint JĂ©rĂŽme enseigne, en ce passage, que le temps de la semence ne s’étend pas au-delĂ  de cette vie, et que semer c’est faire de bonnes Ɠuvres. Le neuviĂšme est de Luc 16 : « Rends compte de ta gestion, car tu ne pourras plus dĂ©sormais gĂ©rer mon entreprise. »  Saint Ambroise, Theophylacte, dans leurs commentaires de ce passage, saint JĂ©rĂŽme (question 6 Ă  Algasia), saint Augustin (livre 21, chapitre 27 de la citĂ© de Dieu) entendent tous la mort  par congĂ©diement, et par « ne pouvoir plus gĂ©rer » ne pouvoir plus mĂ©riter.   Le dixiĂšme est l’Apocalypse 10,  Un ange ayant un pied sur la mer et un autre sur la terre, jure par Celui qui vit dans les siĂšcles et les siĂšcles,  que le temps de bien faire ne sera plus.  On trouve d’autres textes, dans l’Écriture qui parlent ainsi, mais aucun qui favorise l’erreur de Luther.

On le prouve en second lieu par les pĂšres.  Cyprien (sermon 4 sur la mortalitĂ©).  Il dit que la mort est surtout profitable pour que nous nous arrachions au danger de pĂ©cher  Tant que nous sommes dans cette vie, nous luttons dans le stade, et la mort met fin au combat.  Citant ce texte de saint Cyprien, saint Augustin (chapitre 14 de la prĂ©destination des saints) dit : « Par ces phrases ou d’autres du mĂȘme genre, ce docteur  atteste, dans la lumiĂšre limpide de la foi,  que, jusqu’à la dĂ©position de ce corps, il faut craindre les dangers de pĂ©cher, et les tentations, et qu’aprĂšs, nul n’aura Ă  supporter rien de tel.  MĂȘme s’il n’avait pas enseignĂ© cela, quel chrĂ©tien en aurait-t-il jamais doutĂ© ? »  Il est Ă  noter que, d’aprĂšs la sentence de saint Augustin, Luther ne peut pas ĂȘtre appelĂ© un chrĂ©tien, puisqu’il doute d’une chose dont, selon saint Augustin, aucun chrĂ©tien n’a jamais doutĂ©.

Le mĂȘme saint Augustin (chapitre 110 d’Enchiridion) : « C’est ici qu’est contractĂ© tout mĂ©rite qui, aprĂšs cette vie, peut relever quelqu’un ou l’abaisser.  Car, personne, aprĂšs sa mort, n’espĂšre mĂ©riter auprĂšs de Dieu  ce qu’il a nĂ©gligĂ© de faire  ici-bas. »  Saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 2 sur Lazare) dit beaucoup de choses sur cette sentence, et (dans l’homĂ©lie 37 sur Matthieu) il dit ; « Cette vie prĂ©sente t’accorde le pouvoir de vivre bien ou mal.  Mais aprĂšs le jour de ton dĂ©cĂšs,  ce sont le jugement et la punition qui suivent. »  Saint JĂ©rĂŽme (chapitre 9 de l’Eccles) dit : « Les morts ne peuvent ni agir saintement ni pĂ©cher. »  Saint Jean DamascĂšne (livre 2, chapitre 4 de la foi orthodoxe) : « Ce que la chute est aux anges, la mort l’est aux hommes. »

TroisiĂšmement.  On le prouve par la raison.  Car la sentence de Luther est contradictoire.  En effet, Luther dit que les Ăąmes peuvent et doivent mĂ©riter, parce qu’elles sont imparfaites dans la charitĂ©, pour que, par de nouveaux mĂ©rites, la charitĂ© croisse et se perfectionne.  Et c’est le mĂȘme qui dit que les Ăąmes imparfaites craignent les peines, et que, en craignant, elles pĂšchent, et que, puisque tant qu’elles sont imparfaites elles craignent toujours, elles ne cessent jamais de pĂ©cher.  Mais ceux deux affirmations ne vont pas bien ensemble.  Car, celui qui pĂšche, surtout mortellement, ne peut pas mĂ©riter pendant qu’il pĂšche.  Or, ces Ăąmes pĂšchent toujours tant qu’elles sont dans le purgatoire, car elles pĂšcheront toujours tant qu’elles craindront. Et, elles craindront toujours tant qu’elles seront imparfaites, jusqu’à ce que leur arrive une nouvelle charitĂ©.  Mais, une nouvelle charitĂ© ne peut arriver que par des mĂ©rites, et elles ne peuvent pas mĂ©riter tant qu’elles pĂšchent.  C’est un cercle vicieux. Elles ne seront donc jamais libĂ©rĂ©es.

CHAPITRE 3

                              On rĂ©fute des objections

La premiĂšre.  Les Ăąmes qui rĂ©sident dans le purgatoire ont une charitĂ© imparfaite.  Elles doivent donc profiter de quelque chose, mĂ©riter et se perfectionner.  Qu’elles soient imparfaites on le prouve ainsi.  Si ces  Ăąmes Ă©taient parfaites, elles ne seraient certainement pas punies, car pourquoi punirait-on des esprits parfaits ?  Si tu dis : pour qu’elles satisfassent Ă  Dieu, il me faudra affirmer le contraire, car ce que fait la charitĂ© suffit amplement : « la charitĂ© couvre la multitude des pĂ©chĂ©s. » (Pierre 1, Pierre 4).  Ensuite, si celui qui meurt doit encore Ă  Dieu sept jours de jeĂ»ne, mais aime Dieu de tout son cƓur et de toute son Ăąme, il est incroyable que Dieu ne lui remette pas ces jours de jeĂ»ne, puisque Dieu a coutume d’accepter l’intention lĂ  oĂč il ne trouve pas la capacitĂ© de faire.  S’il ne lui pardonne pas cette dette, c’est signe qu’il n’était pas parfait dans la charitĂ©.  TroisiĂšmement.  Car, si elles Ă©taient parfaites, elles ne craindraient pas les peines, puisque la charitĂ© parfaite exclut la crainte.  Si elles ne craignaient pas les peines, elles ne seraient pas punies, car ce qui est aimĂ© n’est pas une peine.  Elles ne seraient donc dans le purgatoire que si elles Ă©taient imparfaites.  QuatriĂšmement.    Rien ne peut ĂȘtre parfait en dehors de Dieu.  1 Corinthiens 13 : « Quand viendra ce qui est parfait, sera Ă©vacuĂ© ce qui l’est en partie. »  Donc, les Ăąmes du purgatoire qui sont bienheureuses sont nĂ©cessairement imparfaites.

On prouve les consĂ©quences du premier argument.  La premiĂšre.  Il est impossible de rester immobile quand on est en chemin.  On progresse, ou on rĂ©gresse.  Comme saint Bernard le dit, les Ăąmes du purgatoire sont en chemin, car elles ne sont pas encore parvenues au but.  Ensuite, « la vertu est perfectionnĂ©e dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12), et  « l’or devient plus brillant dans la fournaise ».  TroisiĂšmement. Il est impossible Ă  une crĂ©ature de se conserver Ă  moins qu’elle reçoive toujours de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle soit absorbĂ©e dans son principe, comme on le voit dans les fleuves qui reçoivent toujours une nouvelle eau, jusqu’à ce qu’ils se jettent dans la mer.  De lĂ  vient que la conservation est appelĂ©e une crĂ©ation continuelle.

Je rĂ©ponds aux antĂ©cĂ©dents. Les Ăąmes du purgatoire peuvent ĂȘtre dites imparfaites par rapport Ă  celles qui sont dans la gloire.  Et mĂȘme dans le purgatoire, une Ăąme peut ĂȘtre dite imparfaite par rapport Ă  une autre qui se trouve dans le purgatoire ou sur la terre.  Mais, gĂ©nĂ©ralement parlant, toute Ăąme qui rĂ©side dans le purgatoire est parfaite dans la charitĂ©.  Car il n’existe pas de charitĂ© formellement imparfaite.  Car, on dit 1 en Jean 2 « Celui qui conserve sa parole, la charitĂ© de Dieu est parfaite en lui. »  Pour que quelqu’un observe la parole, c’est-Ă -dire les prĂ©ceptes du Seigneur, un degrĂ© quelconque de charitĂ© suffit.  À la consĂ©quence je dis que les Ăąmes du purgatoire, dans la mesure oĂč elles sont imparfaites par rapport Ă  celles qui sont dans le ciel, doivent se perfectionner dans la charitĂ©, sans que cette augmentation ne requiĂšre de nouveaux mĂ©rites.  Car, elles peuvent augmenter leur charitĂ© de deux façons.  La premiĂšre, dans le genre de la grĂące, pour que l’homme soit plus apte Ă  mĂ©riter davantage.  Mais cette augmentation de charitĂ© n’est pas donnĂ©e aprĂšs la vie terrestre.  La deuxiĂšme, dans le genre de la gloire, pour que soient rĂ©compensĂ©s tous les mĂ©rites passĂ©s, et cela se fait dans la bĂ©atitude elle-mĂȘme.  Une partie de cette rĂ©compense sera, comme le dit saint Augustin (le chapitre 10 de la correction et de la grĂące) une si grande abondance de charitĂ© que l’ñme qui est dotĂ©e de cette abondance de charitĂ© ne pourra jamais sortir de la justice et de la bĂ©atitude.

RĂ©pondons maintenant Ă  chaque argument, l’un aprĂšs l’autre.  Au premier je dis.  Quoiqu’il soit possible que la douleur interne soit si intense et procĂšde d’une immense charitĂ©,  qu’elle satisfasse pour toute culpabilitĂ©, il peut aussi arriver que la douleur ne soit pas aussi grande, et qu’ il reste donc quelque chose Ă  expier dans le purgatoire.  Car, la culpabilitĂ© de la faute pour laquelle il faut satisfaire ne rĂ©pugne pas Ă  la perfection de la charitĂ© qui se trouve en dehors du royaume des cieux.  Et au sujet des paroles de saint Pierre, je dis que la charitĂ© couvre la multitude des pĂ©chĂ©s, mais de la mĂȘme façon que pour la faute et pour la peine.  Car, la faute, elle la dĂ©truit par son acte propre, mais la peine, elle ne peut pas toujours la dĂ©truire par son acte propre, mais par une Ɠuvre de satisfaction que la charitĂ© commande.  Au second, je rĂ©ponds la mĂȘme chose.  Si, poussĂ© par un trĂšs grand amour,  le moribond se dĂ©sole de ses pĂ©chĂ©s,  il peut, de cette façon, satisfaire pour toute peine.  Mais si la douleur n’est pas aussi grande, il devra satisfaire dans le purgatoire. Il importe peu qu’il dĂ©sireraitjeĂ»ner s’il demeurait en vie, et que Dieu accepte un dĂ©sir qu’il ne peut plus exĂ©cuter, car, dans ce dĂ©sir se trouve la capacitĂ© de satisfaire, si non en jeĂ»nant, du moins en souffrant dans le purgatoire.

Au troisiĂšme je dis que les Ăąmes du purgatoire ne craignent pas les peines, mais qu’elles les supportent.  Car la crainte porte sur des choses futures, non sur des choses prĂ©sentes.  Je dis de plus que ne rĂ©pugne pas Ă  la charitĂ© parfaite la peur des peines;  autrement le Christ qui, dans sa crainte, sua du sang (Luc 22) n’aurait pas Ă©tĂ© parfait dans sa charitĂ©.  Au sujet de ce que saint Jean dit : « la charitĂ© parfaite expulse la crainte »,  il ne s’agit pas de n’importe laquelle crainte de peine, comme la naturelle ou la filiale, mais de la servile, c’est-Ă -dire de la crainte de la  faute principalement Ă  cause de la peine.   Car, celui qui aime parfaitement craint d’offenser Dieu principalement Ă  cause de Dieu-lui-mĂȘme, et non Ă  cause de la peine qui suit ceux qui offensent Dieu.  De sorte que la charitĂ© parfaite est libre de toute crainte servile, Ă  cause de laquelle quelqu’un n’oserait pas pĂ©cher pour ne pas ĂȘtre condamnĂ©, mais pĂ©cherait s’il ne craignait pas d’ĂȘtre damnĂ©.

Au quatriĂšme je dis. En dehors de Dieu on ne peut rien faire  de si parfait qui ne doive pas ĂȘtre dit imparfait par rapport Ă  la perfection de la gloire.  Ce qui ne l’empĂȘchera pas d’ĂȘtre parfait.  Saint Paul dit : « Non que je sois dĂ©jĂ  parfait, je suis, au cas oĂč je pourrais saisir »  Et plus bas : « Nous qui sommes parfaits ».  Il dit lĂ  qu’il est parfait, mais imparfait en comparaison avec les bienheureux.  À la premiĂšre rĂ©ponse en confirmation de la consĂ©quence, je dis que les Ăąmes du purgatoire ne sont pas en chemin, mais au terme quant Ă  l’augmentation de la grĂące.  Celui qui se dirige vers une ville et parvient Ă  ses portes pendant la nuit, on dit de lui qu’il est parvenu oĂč il voulait aller, et qu’il a terminĂ© son voyage, mĂȘme s’il trouve les portes fermĂ©es et qu’il ne peut entrer jusqu’à ce que le soleil se lĂšve.  De plus, ce que saint Bernard dit : ne pas progresser dans la voie de Dieu c’est rĂ©gresser, on ne doit pas l’entendre mathĂ©matiquement, mais moralement.  Car, il ne veut pas dire que  nous mĂ©ritons une augmentation de la grĂące dans n’importe laquelleƓuvre,  ou nous que perdions quelque chose de  la grĂące, mais que ceux qui ne s’efforcent pas de progresser peuvent facilement ĂȘtre dĂ©tournĂ©s par le dĂ©mon et le monde.

Au deuxiĂšme je dis que Paul, au sens littĂ©ral, parle de la vertu de Dieu que l’on dit atteindre sa perfection dans la faiblesse, car la puissance divine apparait d’autant  plus grande que plusieurs choses lui rĂ©sistent. Le grec a dĂšnamis mou :  ma force, ma vertu.  Je dis, en outre, que notre vertu se perfectionne dans les tribulations, mais en ce qui a trait Ă  une vraie augmentation des vertus, dans cette vie seule, parce que c’est dans cette vie seulement  que l’on peut mĂ©riter.  On dit que, dans l’autre vie, elle est perfectionnĂ©e au purgatoire, non parce qu’il lui ait ajoutĂ© quelque chose, mais parce qu’il lui ait enlevĂ© la rouille des pĂ©chĂ©s.  Comme de l’or dans une fournaise devient plus lumineux,  non parce qu’on lui ajoute quelque chose, mais parce qu’il est sĂ©parĂ© de la terre, du plomb et d’autres scories.

Au troisiĂšme je dis que ce principe de Luther est trĂšs faux dans les choses permanentes, et qu’il ne peut prouver son application que dans les choses successives.  Autrement, les choses permanentes ne seraient jamais les mĂȘmes, et ainsi Dieu ne punirait pas maintenant  dans l’enfer le Judas qui a pĂ©chĂ©, mais un autre qu’il a créé aprĂšs.  Il ne rĂ©compenserait pas non plus le Pierre qui a mĂ©ritĂ©, mais un autre créé aprĂšs lui.  Ce que l’on dit de la conservation que c’est une crĂ©ation continue, c’est vrai, mais cette crĂ©ation il ne faut pas la voir comme une augmentation ou la production de quelque chose de nouveau.  Au quatriĂšme, on a dĂ©jĂ  rĂ©pondu.

Le second argument de Luther.  Les Ăąmes dans le purgatoire pĂšchent continuellement.  Elles sont donc dans un Ă©tat de mĂ©rite et de dĂ©mĂ©rite.  Il prouve ainsi l’antĂ©cĂ©dent : ces Ăąmes ont les peines en horreur et les fuient; elles cherchent le repos, elles pĂšchent donc.  Il prouve aussi l’antĂ©cĂ©dent  en disant que, autrement, elles ne serait pas punies, car la peine doit ĂȘtre involontaire et amĂšre, et que nous ne devrions pas prier pour leur repos et leur libĂ©ration si elles aimaient les peines.  Il prouve ensuite la consĂ©quence.   D’abord. Parce que pour un vrai amant, toutes les peines sont douces.  Dans la mesure oĂč elles fuient les peines, ces Ăąmes n’aiment pas parfaitement, et pĂšchent donc.  En second lieu.  Tant qu’elles fuient les peines, elles cherchent leur intĂ©rĂȘt et leur bien-ĂȘtre, non l’honneur de Dieu.  TroisiĂšmement.  Parce que, quand elles dĂ©sirent qu’il les libĂšre, elles aiment Dieu d’un amour de concupiscence.  QuatriĂšmement.  Parce que le Christ a dit que celui qui ne prend pas sa croix et ne la porte pas n’est pas digne de lui, c’est-Ă -dire celui qui ne l’accepte pas promptement et volontairement.  Or, la croix des Ăąmes est le purgatoire.  Elles pĂšchent donc quand elles fuient la croix.

Je rĂ©ponds que les Ăąmes dans le purgatoire redoutent, fuient les peines, et cherchent le repos en tant qu’elles les considĂšrent comme mauvaises et contraires Ă  la nature, mais qu’elles les admettent et les tolĂšrent librement en tant qu’elles les voient comme des instruments de purgation.  Exemple.  Un malade a horreur de la mĂ©decine amĂšre, et il s’y soumet volontairement, parce qu’il espĂšre en obtenir la guĂ©rison.  Il ne peut donc y avoir lĂ -dedans aucun pĂ©chĂ©.  Car, le Seigneur qui ne pouvait pas pĂ©cher a eu horreur des souffrances, et il a dit (Matt 26) : « PĂšre, Ă©loigne ce calice de moi ! » Et David : « Parce que je suis dans la tribulation, hĂąte-toi de m’exaucer ».  Et, au sujet de Pierre (Jean, dernier chapitre) : « Quand tu seras vieux, un autre te ceindra et t’amĂšnera oĂč tu ne voudras pas aller. » Ensuite, saint Cyprien a dit (dans le livre de la mortalitĂ©) : « Qui ne rĂȘve pas de ne pas avoir de tristesses ? Qui ne se hĂąte pas d’accourir Ă  la joie ? »  Et saint Augustin  (livre 10, chapitre 28 des confessions) dit, en parlant des peines : « Tu ordonnes de les tolĂ©rer, non de les aimer. Or, personne ne tolĂšre ce qu’il aime, mĂȘme s’il aime tolĂ©rer. »

Je dis au premier  qu’un vrai amant trouve douces les peines non parce qu’il ne les sent pas, mais parce qu’il les tolĂšre allĂšgrement pour le bien de l’aimĂ©e, comme il appert tant des actions que des paroles d’Éleazare en MacchabĂ©es 2 : «Tu sais, Seigneur, qu’ayant pu me soustraire Ă  la mort, je supporte de dures souffrances corporelles.  Mais je les endure volontiers de toute mon Ăąme, pour ta crainte. » C’est ce que fut le comportement des martyrs, qui Ă©prouvaient vĂ©ritablement de cruelles douleurs, mais qui le faisait volontairement, mĂȘme si, par un privilĂšge tout spĂ©cial, Dieu enlevait le sens de la douleur par l’abondance de la consolation, comme l’écrit Ruffin (livre 10, chapitre 36, sur Theorore.)

Au second, je rĂ©ponds quel les Ăąmes du purgatoire ne recherchent pas leur propre intĂ©rĂȘt mais l’honneur de Dieu, car elles dĂ©sirent ĂȘtre libĂ©rĂ©es pour pouvoir honorer Dieu de mieux en mieux.  Au  troisiĂšme, je rĂ©ponds qu’elles aiment Dieu d’un amour d’amitiĂ©, parce qu’elles rĂ©fĂšrent leur bien Ă  Dieu.  Au quatriĂšme je dis qu’elles portent leur croix parce qu’elles souffrent volontairement, et parce qu’elles ne dĂ©sirent ĂȘtre libĂ©rĂ©es que selon la volontĂ© de Dieu, et par les moyens que Dieu a Ă©tablis.  Et si Luther disait la vĂ©ritĂ© quand il enseigne que les Ăąmes du purgatoire recherchent leur propre intĂ©rĂȘt, aiment Dieu d’un amour de concupiscence, et ne veulent pas porter leur croix, ce n’est pas une charitĂ© imparfaite qu’elles auraient, mais elles seraient dĂ©nuĂ©es de toute charitĂ©.  Et ce n’est pas dans le purgatoire qu’elles demeureraient, mais dans l’enfer.

Le troisiĂšme argument est celui de certains catholiques.   Les Ăąmes du purgatoire ont tout ce qui est nĂ©cessaire pour mĂ©riter, car elles ont la grĂące, la foi, l’espĂ©rance, la charitĂ©, et le libre arbitre, du moins quant Ă  son exercice.  Pourquoi donc ne mĂ©riteraient-elles pas ?  De plus, les bienheureux peuvent mĂ©riter puisque le Christ, qui fut toujours bienheureux, a quand mĂȘme mĂ©ritĂ©.  À plus forte raison les Ăąmes du purgatoire peuvent donc mĂ©riter.  De mĂȘme, le mauvais riche (Luc 16)  dans l’enfer, pria pour lui et pour les siens. Les Ăąmes du purgatoire peuvent donc prier,  elles aussi,  et cette priĂšre, qui procĂšde de la charitĂ©, mĂ©rite sans aucun doute possible d’ĂȘtre exaucĂ©e.  Ils le confirment, ensuite, par l’autoritĂ© de saint Thomas (4 dist 21, quest 1, art 3 Ă  4) qui enseigne que, aprĂšs cette vie, on ne peut pas obtenir de mĂ©rite par rapport Ă  la rĂ©compense essentielle, mais seulement par rapport Ă  l’accidentelle.

Je rĂ©ponds Ă  l’argument que, pour l’obtention du mĂ©rite,  l’état de vie  ou de voyageur manque aux Ăąmes du purgatoire.  Car Dieu, comme il est facile de le prouver par les Écritures, c’est seulement pour le temps de cette vie que Dieu a dĂ©cidĂ© d’accepter comme mĂ©rite les bonnes Ɠuvres, ou comme dĂ©mĂ©rite les mauvaises.  AprĂšs cette vie, les bonnes Ɠuvres seront des effets de la gloire, et les mauvaises,  de la damnation.   À la premiĂšre confirmation je dis que le Christ a Ă©tĂ© en mĂȘme temps bienheureux et voyageur.  Et tant que voyageur, il pouvait mĂ©riter.  Mais, aprĂšs sa mort, aprĂšs qu’il cessa d’ĂȘtre un voyageur, il ne mĂ©rita plus rien.

Au second je dis que si les Ăąmes du purgatoire prient pour elle ou pour nous  --ce dont nous parlerons plus loin dans la question des suffrages-- sans pour cela mĂ©riter, car elles ne font qu’implorer en vertu de leurs mĂ©rites passĂ©s, tout comme les saints qui prient pour nous.  Ils n’acquiĂšrent pas par cela de nouveaux mĂ©rites, mais ils supplient en vertu de leurs mĂ©rites passĂ©s. À latroisiĂšme confirmation je dis que saint Thomas a changĂ© d’avis.  Car (dans la question 7, article 11, sur le mal), il enseigne que dans le purgatoire, il ne peut y avoir aucun mĂ©rite ni par rapport Ă  la rĂ©compense essentielle, ni par rapport Ă  la rĂ©compense accidentelle.  C’est ce qu’enseignent aussi saint Bonaventure, Scot, Durand et les autres.  Peut-ĂȘtre que dans l’article 4, il n’a pas voulu employer le mot mĂ©rite au sens propre, mais dans un sens impropre.  Car, il appelle l’acte d’amour des Ăąmes du purgatoire un acte qui mĂ©rite  la rĂ©mission de la faute vĂ©nielle.  Il est mĂ©ritoire non selon le modĂšle d’un mĂ©rite proprement dit, mais selon le modĂšle  d’un contraire qui enlĂšve son contraire.

CHAPITRE 4

Les ùmes du purgatoire sont certaines de leur salut éternel

Luther (article 37) enseigne qu’elles n’en sont pas certaines.C’est ce qu’enseignent aussi certains catholiques qui estiment que, dans le purgatoire, les peines sont variĂ©es, et que la plus grande de toutes consiste prĂ©cisĂ©ment dans l’incertitude du salut Ă©ternel.  Ces Ăąmes seront sauvĂ©es, d’aprĂšs eux, mais elles l’ignorent.  C’est ce que semble penser Denys le chartreux d’aprĂšs certaines visions qu’il rapporte dans son livre sur les quatre derniĂšres choses, article 47. MichaĂ«l Baius (livre 2, chapitre 8, du mĂ©rite des Ɠuvres) enseigne la mĂȘme chose.  Voulant prouver que le pĂ©chĂ© vĂ©niel mĂ©rite, par sa nature, la mort Ă©ternelle, il prĂ©sente comme argument que, autrement, il s’ensuivrait que les Ăąmes du purgatoire seraient certaines de leur salut, ce qui, pour lui, Ă©tait absurde.  Il semble qu’on puisse dĂ©duire la mĂȘme chose de l’enseignement de Gerson (leçon 1 sur la vie spirituelle) et de Jean Roffensis (contre l’article 32 de Luther). Ils admettent que le pĂ©chĂ© vĂ©niel n’est dit vĂ©niel qu’à cause de la misĂ©ricorde de Dieu, et que, si Dieu le voulait, c’est en toute justice qu’il pourrait ĂȘtre puni Ă©ternellement.  De cette conception du pĂ©chĂ© vĂ©niel, il s’ensuit que les Ăąmes qui sont entachĂ©es de ces pĂ©chĂ©s ne peuvent pas savoir avec certitude si elles ne seront pas punies Ă©ternellement.  MĂȘme si Roffesnsis (article 38 sur Luther) soutient que les Ăąmes du purgatoire sont certaines de leur salut. Car, je ne vois pas comment cette prise de position correspond avec la  prĂ©cĂ©dente.

Mais la position commune des thĂ©ologiens est que toutes les Ăąmes qui sont dans le purgatoire ont la certitude de leur salut Ă©ternel.  Mais pour comprendre de quelle certitude il s’agit, il faut noter qu’il y a trois degrĂ©s de certitude.  Le premier est celui qui exclut toute peine et toute crainte, et c’est celui des bienheureux, dont la bĂ©atitude n’est pas future, mais prĂ©sente.  Le deuxiĂšme degrĂ© est celui qui exclut toute crainte mais non tout espoir, et c’est celui du purgatoire.  Car la bĂ©atitude ne leur est pas prĂ©sente, mais future, et elle n’enlĂšve donc pas l’expectative.  Et de plus, elle est ardue, car c’est par des peines qu’elles y parviennent.  Et c’est pourquoi leur espĂ©rance peut-ĂȘtre appelĂ©e une attente non contingente, mais nĂ©cessaire, car elles ne peuvent pas en dĂ©mordre, et c’est pour cela qu’elle enlĂšve toute crainte.  Le troisiĂšme degrĂ© est celui qui n’exclut ni l’espoir ni la crainte et peut ĂȘtre appelĂ© un degrĂ© de certitude conjecturale.  Et c’est le nĂŽtre.  Car, pour nous, la bĂ©atitude est un bien futur, non prĂ©sent, ardu non facile, contingent, non nĂ©cessaire ou impossible, et c’est pour cela que nous espĂ©rons et craignons au sens strict du mot.  Car, nous sommes encore dans le stade, le gymnase ou, ou la  salle de lutte.

Montrons maintenant qu’il en est bien ainsi.  Si les Ăąmes n’avaient pas la certitude de leur salut, cela se produirait  Ă  cause de l’une de ces quatre causes.  Ou parce qu’elles pouvaient encore mĂ©riter et dĂ©mĂ©riter, ou parce qu’elles n’ont pas encore Ă©tĂ© jugĂ©es, ou parce qu’elles ignorent la sentence du juge, bien qu’elle ait Ă©tĂ© portĂ©e, ou parce que, Ă  cause de la grandeur des souffrances, leur jugement est si affaibli et obscurci qu’elles sont incapables de penser et de voir ce qui en est vraiment.  Mais aucune de ces causes ne joue un rĂŽle.  Pas la premiĂšre, comme il a Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©. Pas la deuxiĂšme, car, mĂȘme si le jugement universel n’a pas encore eu lieu, il existe un jugement particulier dans lequel toutes les Ăąmes sont jugĂ©es aprĂšs leur mort, (thĂ©ologiens, quatriĂšme partie de la distinction 17, et le bienheureux Thomas 3 part. quest 59. Article 5. »

Pour prouver ce jugement particulier, ils ont coutume de citer deux passages, l’un de saint Jean 5 : « Le pĂšre a donnĂ© tout jugement au Fils. » Car, quand il dit : tout jugement, il semble indiquer plusieurs jugements, les particuliers, et l’universel.  L’autre vient des HĂ©breux 9 : « Il a Ă©tĂ© statuĂ© que les hommes mourraient une fois, et qu’aprĂšs il y aurait le jugement. »  Mais ces textes ne permettent pas vraiment de conclure qu’il existe un jugement particulier, car ils peuvent s’entendre aussi bien  tous les deux au sens d’un jugement universel.   Car le « tout » dans saint Jean 5 ne rĂ©fĂšre pas nĂ©cessairement Ă  deux jugements, mais aux jugements de diffĂ©rentes personnes et aux diverses Ɠuvres sur lesquelles portera le jugement.  Et il est certain que saint Augustin voit dans ce texte le jugement dernier.  Et le sens du texte aux HĂ©breux est le suivant : quant tous les hommes seront morts, alors se fera le jugement, comme l’explique Oecumemius.

Mais c’est efficacement qu’on prouve le jugement particulier par les paroles de l’Eccles 11 : « Il est facile au jour de la mort de rĂ©tribuer Ă  chacun devant Dieu selon ses voies. »  De mĂȘme : « À la fin de l’homme, la mise Ă  nu de ses Ɠuvres. »  Et de plus, on dĂ©duit la mĂȘme chose d’une autre vĂ©ritĂ©.    Car, il est de foi que tout de suite aprĂšs la mort, les impies descendent aux supplices Ă©ternels, (comme il appert dans Luc 16 au sujet du mouvais riche), et que les justes montent vers les joies Ă©ternelles (Luc 23, le bon larron) : « aujourd’hui mĂȘme tu seras avec moi dans le paradis. »  Or, il n’est pas  probable qu’aient Ă©tĂ© distribuĂ©es les peines et les rĂ©compenses sans qu’il y ait eu un jugement.

De plus, c’est ce que les pĂšres enseignent. Saint Cyprien (dans le sermon sur la mortalitĂ©) : « Il faut se rĂ©jouir et embrasser le don du temps, pour que, pendant que nous promouvons notre foi et que, en tolĂ©rant le labeur, nous nous dirigeons vers le Christ par la voie Ă©troite du Christ, nous recevions, par son jugement,  la rĂ©compense de notre vie et de notre foi. »  Saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 37 sur Matthieu) dit : « Quand tu mettras fin Ă  ton jour, le jugement et la peine suivront.  Car, dans l’enfer, dit le psalmiste, qui te confesse ? »  MĂȘme s’il n’a pas  ajoutĂ© le mot « aussitĂŽt », il est nĂ©cessairement sous-entendu.  Car saint Jean Chrysostome rĂ©fute l’erreur de ceux qui pensaient que le Christ prĂȘcherait aprĂšs sa mort, et amĂšnerait les dĂ©funts Ă  rĂ©sipiscence.

Il se sert de l’argument suivant. AprĂšs la mort suit le jugement, et aprĂšs le jugement les peines de l’enfer, car dans l’enfer personne ne peut confesser le Seigneur.  Donc, aprĂšs la mort il n’est plus donnĂ© lieu Ă  la pĂ©nitence.  Or, si saint Jean Chrysostome n’avait pas voulu dire que tout de suite aprĂšs la mort les impies sont jugĂ©s, et jetĂ©s en enfer, mais que le jugement de toutes ces choses serait rĂ©servĂ© au dernier jour, son argument serait dĂ©pourvu de sens.  Car, il rĂ©pondrait que pendant ce temps intermĂ©diaire on peut prĂȘcher aux dĂ©funts tant que le jugement universel ne sera pas remis Ă  plus tard.  Saint Augustin (livre 2, chapitre 4, de l’origine de l’ñme) Ă©crit : « Car il a cru trĂšs correctement et trĂšs salutairement qu’aprĂšs ĂȘtre sorties des corps, les Ăąmes sont jugĂ©es avant qu’elles viennent Ă  ce jugement oĂč elles devront ĂȘtre jugĂ©es quand on leur a rendu leurs corps »

À ces textes, on ajoute les exemples de ceux qui tĂ©moignent avoir Ă©tĂ© jugĂ©s.  Saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 36 des dialogues), Ă©crit, au sujet d’un certain Étienne, qui, bien que mort, et livrĂ© au juge, entendit le juge dĂ©clarer que ce n’était pas lui mais Étienne Ferrare qu’il avait ordonnĂ© d’appeler, et que c’est ainsi qu’il revient Ă  la vie. Et en mĂȘme temps, Étienne Ferrare, qui demeurait dans le voisinage, dĂ©cĂ©da.  Saint Augustin raconte quelque chose de semblable (au chapitre 12 du livre sur le soin aux morts) d’un certain Curma.  Saint GrĂ©goire explique que cela ne s’est pas produit par erreur, mais pour que par  ce qui ressemble Ă  une erreur, celui qui Ă©tait mort revive, et raconte aux vivants les tourments et le jugement qui attendent les impies aprĂšs leur mort.  Au mĂȘme endroit (chapitre 38), il raconte l’exemple d’un certain Christorius qui,  encore lucide Ă  l’article de la mort, vit sa sentence de damnation.

BĂšde le vĂ©nĂ©rable raconte deux cas semblables. (livre  5, chapitre 14 et 15 de son histoire anglaise). Celui de deux personnes qui sont mortes dans le dĂ©sespoir parce qu’elles savaient leur jugement, la sentence portĂ©e, c’est-Ă -dire leur condamnation.  Jean Climaque raconte (dans les degrĂ©s de son Ă©chelle l’histoire d’un certain ermite qui, Ă  l’article de la mort, s’était entendu parler comme devant un tribunal, rĂ©pondant aux accusations, et disant parfois : c’est faux, je n’ai pas fait cela; ou je l’ai fait parfois, mais j’ai fait pĂ©nitence.  Ou rĂ©pondre de temps en temps : c’est vrai ce que vous dites, je n’ai rien Ă  rĂ©pondre.   A Ă©tĂ© conservĂ© Ă©galement, dans la vie de saint Bruno, un exemple mĂ©morable d’un certain docteur parisien qui, dans l’église elle-mĂȘme, pendant qu’on faisait les obsĂšques, souleva sa tĂȘte hors de la tombe et s’exclama : « Je suis accusĂ© par le juste jugement de Dieu.  Et, le jour suivant, il s’écria : « J’ai Ă©tĂ© jugĂ© par le juste jugement de Dieu, et, le troisiĂšme jour, j’ai Ă©tĂ© damnĂ© par le juste jugement de Dieu. »

Il est Ă  noter au sujet de ces exemples, que le jugement du docteur parisien qui a Ă©tĂ© fait avant sa mort, et qui a Ă©tĂ© prolongĂ© pendant trois jours aprĂšs sa mort, appartient Ă  une providence particuliĂšre extraordinaire dont Dieu se sert soit pour nous instruire soit pour nous terrifier. Il faut croire que dans tous les autres cas, le jugement a lieu tout de suite aprĂšs la mort.  Car, ordinairement, le temps utile pour faire pĂ©nitence dure jusqu’au dernier souffle, comme l’enseigne clairement saint LĂ©on (Ă©pĂźtre 90 Ă  Rusticus).  Il n’y  pas de raison qui vaille pour faire retarder le jugement aprĂšs la mort, puisque Dieu n’a pas besoin de tĂ©moins, ni d’accusations, mais peut juger instantanĂ©ment.  On peut dire aussi, et peut-ĂȘtre avec plus de probabilitĂ©, que dans les exemples tirĂ©s de BĂšde, le jugement n’a pas Ă©tĂ© fait avant la mort, mais a Ă©tĂ© montrĂ© d’avance.  Et dans l’exemple de ce docteur parisien, le jugement n’a pas Ă©tĂ© remis Ă  l’autre jour, mais seulement manifestĂ© l’autre jour.

Il est aussi Ă  noter qu’on ne peut pas dĂ©finir en toute certitude si les Ăąmes sont portĂ©es devant le juge, ou si elles sont jugĂ©es lĂ  oĂč on a laissĂ© le corps; et Ă©galement si elles sont jugĂ©es immĂ©diatement par le Christ profĂ©rant la sentence dans sa forme humaine, ou seulement par la vertu divine, qui est prĂ©sente partout, ou si la sentence est communiquĂ©e par les anges.  Car ce que les Écritures disent souvent c’est que le Christ Homme est le juge des vivants et des morts.  Mais plusieurs entendent ces textes  du jugement gĂ©nĂ©ral.  Car, mĂȘme avant l’incarnation du Christ, un jugement particulier s’exerçait.  Ce n’est donc ni certain ni mĂȘme probable (Innocent 111, livre 2, chapitre ultime, du mĂ©pris du monde) ce qu’affirme Innocent 111, Ă  savoir que le Christ en forme de crucifiĂ©apparaĂźt Ă  tous les mourants, tant les bons que les mauvais.

Quant au troisiĂšme, que la sentence du juge soit cachĂ©e aux Ăąmes qui sont jugĂ©es, c’est faux et impertinent.  Faux, parce que le jugement particulier a lieu principalement pour faireconnaĂźtre la sentence du juge.   Pour Dieu, le jugement n’est pas nĂ©cessaire, car il connait tout. Il ne peut donc avoir de raison d’ĂȘtre que pour se faireconnaĂźtre Ă  l’ñme qui est jugĂ©e.  Et c’est ce qu’on dĂ©duit des textes citĂ©s.  C’est aussi impertinent, car mĂȘme si le jugement particulier ne faisait pasconnaĂźtre la sentence du juge, ils pourraient par l’effet, facilementconnaĂźtre par eux-mĂȘmes ce qu’elle est, car ils se verraient aussitĂŽt en enfer, au ciel ou au purgatoire.  Mais, diras-tu, ils pourront avoir doutĂ© s’ils Ă©taient en enfer ou au purgatoire.  Non pas.  Car, en enfer, on blasphĂšme Dieu, au purgatoire on le loue.  En enfer,  il n’y a pas de foi infuse, ni espĂ©rance ni charitĂ©.  Donc l’ñme qui se verra en train d’espĂ©rer en Dieu saura manifestement qu’elle n’est pas en enfer.

Ils insistent. Elle pourra craindre d’ĂȘtre jetĂ©e en enfer, mĂȘme si elle n’y est pas encore.   Mais mĂȘme cela, on ne peut pas le dire.   Car, la mĂȘme foi demeure dans celui qui l’a eu sur terre.  Il a cru, en effet, d’aprĂšs les tĂ©moignages les plus clairs de l’Écriture.  Et aprĂšs la mort, les bons ne peuvent pas devenir mauvais et les mauvais bons, et seulement les mauvais peuvent ĂȘtre envoyĂ©s en enfer.   Quand donc elle voit qu’elle aime Dieu, et qu’elle est bonne, elle ne peut pas craindre la damnation.  Tu diras.   Nous voyons ici-bas que nous aimons Dieu, et pourtant nous ne sommes pas surs d’ĂȘtre justes. Donc, ces Ăąmes ne pourront pas ĂȘtre certaines de leur salut par la seule constatation qu’elles aiment Dieu.  Nous ne voyons pas nous, la charitĂ© infuse qui nous justifie, mais c’est par des conjectures faillibles que nous estimons qu’elle est en nous.  Mais les Ăąmes sĂ©parĂ©es le voient clairement, car elles ne dĂ©pendent pas de phantasmes, et elles voient tout ce qu’il y a en elles.  Elles voient donc si elles ont un vĂ©ritable habitus de charitĂ©, oui ou non.  De plus, comme les Ăąmes sont immobiles tant dans le bien que dans le mal, mĂȘme si elles ne voyaient pas leur habitus infus de charitĂ©, elles sauraient qu’elles ne blasphĂšmeraient jamais Dieu,  ni qu’elles le haĂŻraient, et qu’elles ne seraient donc jamais envoyĂ©s en enfer.  De plus, elles ont appris par la foi que les Ăąmes des impies descendaient en enfer tout de suite aprĂšs la mort de leurs corps, et que leurs supplices n’étaient pas diffĂ©rĂ©s. Cela tous les catholiques  savent, d’aprĂšs Luc 16. Elles savent Ă©galement  que les Ăąmes qui se voient en dehors de l’enfer croient fermement qu’elles n’y seront jamais jetĂ©es.

Le quatriĂšme argument voulait que, selon l’enseignement de Luther,  les Ăąmes Ă©taient, par leurs intenses souffrances,  empĂȘchĂ©es deconnaĂźtre la vĂ©ritĂ© de leur Ă©tat; qu’elles se pensaient en enfer, qu’elles Ă©taient angoissĂ©es et dĂ©sespĂ©rĂ©es.   Mais, cela est trĂšs faux.  D’abord, l’ñme du mauvais riche en enfer n’était pas empĂȘchĂ©e par ses souffrances deconnaĂźtre sa situation.  Les Ăąmes du purgatoire le sont encore moins.  Ensuite,  que, dans ce monde-ci,  les hommes soient troublĂ©s par l’intensitĂ© des souffrances au point d’en perdre le jugement, cela vient d’une lĂ©sion d’un organe corporel.   Mais, au purgatoire, l’ñme est purement spirituelle et incorruptible.  TroisiĂšmement, parce que l’Église dit dans le canon de la messe : « Souviens-toi Seigneur, de tes serviteurs et servantes qui nous ont prĂ©cĂ©dĂ©s avec le signe de la foi, et qui dorment du sommeil de la paix. »  L’Église prie lĂ  pour les Ăąmes du purgatoire, car elle ajoute : « À eux, Seigneur, et Ă  tous ceux qui se reposent dans les Christ nous te supplions d’accorder le lieu durafraĂźchissement, de la lumiĂšre et de la paix. »  Il est certain que ceux qui sont dits dormir dans le sommeil de la paix ne sont ni angoissĂ©s ni dĂ©sespĂ©rĂ©s, mais ont plutĂŽt, conjointe avec des souffrances vives et aigues, une consolation incroyable qui leur vient de la certitude de leur salut.  QuatriĂšmement. Parce que si elles se croyaient damnĂ©es, elles ne prieraient pas pour les vivants,  et elles ne diraient pas  qu’elles seraient bientĂŽt libĂ©rĂ©es si on priait pour elles, comme il appert des dialogues de saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 40), et d’autres exemples prĂ©sentĂ©s dans la premiĂšre question.

CHAPITRE 5

                                 On rĂ©fute des objections

On nous oppose quelques textes des Écritures que l’Église utilise dans l’office des dĂ©funts, quand elle dĂ©sire prier pour les Ăąmes qui sĂ©journent dans le purgatoire.  Psaume 6 : « Mon Ăąme est grandement troublĂ©e. »  Et, au mĂȘme endroit : « Assainis mon Ăąme, parce que mes os sont courbaturĂ©s. »  Et (psaume 14) : « Des douleurs de mort m’ont entourĂ©, et les pĂ©rils de l’enfer m’ont trouvĂ©. »  Il est certain qu’une telle perturbation et une telle anxiĂ©tĂ© ne peuvent pas naĂźtre des seules peines, mais de l’incertitude et de la peur de la damnation Ă©ternelle.   Car, si ces Ăąmes Ă©taient parfaites dans la charitĂ©, et Ă©taient certaines de leur salut, elles ne craindraient pas tant, puisqu’il est Ă©crit dans les Proverbes 12 : « Le juste ne sera pas attristĂ© par quoi que ce soit qui lui arrivera. »

Je rĂ©ponds qu’il est idiot de vouloir appliquer toutes les paroles de ce psaume aux dĂ©funts, sous prĂ©texte que l’Église utilise ce psaume dans son office des morts.  Car, comment entendre des dĂ©funts ces paroles 6 du mĂȘme psaume : « Je laverai mon lit pendant toutes les nuits, j’arroserai ma couche de mes larmes. »  L’Église a coutume de lire un texte complet de l’Écriture Ă  cause  de l’une ou de l’autre phrase qui se rapporte au mystĂšre du jour, mĂȘme si une grande partie de la lecture n’a rien a y voir.  C’est ainsi que dans la dĂ©dicace des Églises, elle lit l’évangile de ZachĂ©e, Ă  cause de ses derniĂšre paroles :  « Aujourd’hui le salut est entrĂ© dans cette maison, » qui conviennent d’une certaine maniĂšre Ă  la consĂ©cration et Ă  la dĂ©dicace d’une Ă©glise.  De mĂȘme, Ă  la fĂȘte de l’assomption de la sainte vierge, on lit l’évangile de Marthe et de Madeleine, Ă  cause de ces paroles : « Marie a choisi la meilleur part qui ne lui sera pas ĂŽtĂ©e. »  Ainsi, en est-il, de l’office des morts.  On rĂ©cite le psaume 6 Ă  cause de ces paroles : « Aie pitiĂ© de moi, Seigneur, parce que je suis faible,  » et le psaume 114 Ă  cause de : « Je plairai au Seigneur dans la rĂ©gion des vivants. »  C’est Ă  cause de ces paroles qu’on lit les deux psaumes au complet.

Ajoutons qu’est faux ce que l’argument suppose, Ă   savoir que le trouble et la tristesse naissent de l’incertitude, du dĂ©sespoir plutĂŽt que   de la souffrance.  Car, le Seigneur lui-mĂȘme dit en Jean (chapitre 12) : « Mon Ăąme est troublĂ©e. » Et en Matthieu 26 : « Il commença Ă  s’attrister. »  Et pourtant, ni l’incertitude ni le dĂ©sespoir ne pouvaient apparaitre dans l’ñme du Seigneur.  Ce passage des proverbes ne peut  donc pas s’entendre de n’importe laquelle tristesse, mais de la tristesse accablante et dĂ©primante qu’apporte la mort, celle que saint Paul (2 Corinth 7) appelle la tristesse de ce siĂšcle.

L’autre objection est tirĂ©e de la priĂšre que l’on rĂ©cite pour les morts aprĂšs l’évangile : « LibĂšre, Seigneur les Ăąmes de tous les fidĂšles dĂ©funts des peines de l’enfer, et du lac profond.  LibĂšre-les de la gueule du lion,  que le tartare ne les absorbe pas,  et qu’elles ne tombent pas dans l’obscuritĂ©. »  Quelques-uns rĂ©pondent que l’Église prie pour les agonisants, afin qu’ils ne soient pas damnĂ©s dans l’enfer.  Ce qui suit  y rĂ©pugne : « LibĂšre les Ăąmes de tous les fidĂšles dĂ©funts. » Car, on  ne donne pas aux agonisants le nom de fidĂšles dĂ©funts.  Ensuite l’Église a coutume de dire cette priĂšre aux anniversaires des morts, pour le repos des Ăąmes qui avaient Ă©migrĂ© de leurs corps,  quelques annĂ©es auparavant.  D’autres soutiennent que cette priĂšre est dite pour ceux qui sont dans la gĂ©henne, pour les en libĂ©rer, comme on le rapporte de Trajan. Mais, ignorons cette histoire invraisemblable de Trajan, car ceux qui sont dans la gĂ©henne sont tombĂ©s dans l’obscuritĂ©,  et ont Ă©tĂ© absorbĂ©s par le tartare.   Comment l’Église pourrait-elle prier pour qu’ils ne tombent pas dans l’obscuritĂ© et ne soient pas absorbĂ©s par le tartare, puisqu’ils sont dĂ©jĂ  tombĂ©s dans l’obscuritĂ© et ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© absorbĂ©s par le tartare ?  De plus, l’Église ne prie que pour les fidĂšles : « libĂšre les Ăąmes des fidĂšles dĂ©funts. »  Les damnĂ©s ne sont pas des fidĂšles.

On peut donner deux autres explications.   La premiĂšre.  Les Ăąmes prient pour les Ăąmes du purgatoire en demandant qu’elles ne soient pas condamnĂ©es aux peines Ă©ternelles de la gĂ©henne, non parce qu’elles n’est pas sure qu’elles ne seront pas condamnĂ©es Ă  ces peines, mais parce que Dieu veut que nous priions aussi pour les choses que nous sommes certains de recevoir.   Mais on peut objecter Ă  cette rĂ©ponse que mĂȘme si l’Église prie pour les choses que nous sommes certains de recevoir, elle a dĂ©jĂ  obtenu que ces Ăąmes ne soient pas damnĂ©es, puisqu’elles ont une connaissance certaine de leur avenir, et demeurent en toute sĂ©curitĂ©.  Donc, les  fidĂšles qui prient pour les dĂ©funts ou qui dĂ©sirent prier le font avec assurance pour aider les dĂ©funts, et les soustraire aux peines prĂ©sentes du purgatoire.

Mais ces objections sont faciles Ă  rĂ©futer,  car ces Ăąmes du purgatoire ont dĂ©jĂ  reçu la sentence du Juge  dans le premier jugement, et par cette sentence, elles sont libĂ©rĂ©es de la gĂ©henne.  Mais, il reste encore le jugement gĂ©nĂ©ral oĂč elles recevront la deuxiĂšme sentence.  VoilĂ  pourquoi l’Église prie pour que, dans le jugement extrĂȘme, les Ăąmes ne tombent pas dans l’obscuritĂ©, et ne soient pas absorbĂ©es par le tartare.  Elle ne prie donc pas pour quelque chose qu’elle a dĂ©jĂ  reçue, mais qu’elle recevra Ă  la fin du monde.

Au sujet de l’intention des fidĂšles, je soutiens qu’on satisfait par cette intention.  Car, dans cette priĂšre on demande l’une et l’autre, et que les Ăąmes soient libĂ©rĂ©es des peines de l’enfer, c’est-Ă -dire du purgatoire, qu’elles souffrent prĂ©sentement, et qu’ensuite elles soient libĂ©rĂ©es de la sentence de damnation qui devra ĂȘtre portĂ©e au dernier jugement.

L’autre solution est que l’église air l’intention de prier pour libĂ©rer les Ăąmes des peines du purgatoire, mais qu’elle se serve de cette façon de parler comme si c’était Ă  ce moment-lĂ  que les Ăąmes Ă©migraient de leurs corps, et Ă©taient en pĂ©ril de damnation Ă©ternelle.  Car elle commĂ©more et reprĂ©sente le jour de la dĂ©position et de la sĂ©paration. Dans les cĂ©lĂ©brations des fĂȘtes de l’incarnation, de NoĂ«l, de la passion, de la rĂ©surrection, et de l’ascension de Notre-Seigneur, l’église prie comme si le Christ avait actuellement Ă  s’incarner, mourir ou ressusciter, car l’Église prĂ©sente ces mystĂšres en tant que prĂ©sents.

Elle n’a pourtant pas l’intention de prier Ă   la lettre pour que le Christ assume une chair et naisse de la Vierge, mais pour que nous soient appliquĂ©s les fruits de ces mystĂšres. Il en est de mĂȘme dans le sacrifice pour les dĂ©funts.  En commĂ©morant le jour de leur mort, l’Église prie pour eux comme s’ils mouraient alors. Mais pourtant, elle entend prier pour qu’ils soient libĂ©rĂ©s de l’enfer,  de la façon qu’ils peuvent l’ĂȘtre, c’es-Ă -dire pour qu’ils ne soient pas retenus plus longtemps dans leurs peines, ou pour y mĂȘler un certain soulagement.  Il n’est pas absurde de dire,  quinze cents ans aprĂšs la naissance de JĂ©sus-Christ  : « Faites tomber la rosĂ©e, cieux d’en haut, et que les nuages fassent pleuvoir le juste.  Que la terre s’ouvre, et que germe le Sauveur, » et beaucoup d’autres de ce genre. Il n’est pas non plus absurde de dire dans l’office des morts : «  LibĂšre les de la bouche du lion, pour qu’ils ne tombent pas dans l’obscuritĂ©. »

CHAPITRE 6

                                        Le lieu du purgatoire

Sur cette question, l’Église n’a rien dĂ©fini. Il y beaucoup d’opinions.

La premiĂšre opinion est de ceux qui pensent que les Ăąmes sont purifiĂ©es lĂ  oĂč elles ont pĂ©chĂ©.  Voir les dialogues de saint GrĂ©goire (livre 4, chapitres 40 et 55). Il raconte que l’ñme de Paschasius et d’un autre ont Ă©tĂ© purgĂ©s dans des thermes.  Et dans une lettre de saint Pierre Damien sur les miracles de son temps, il dĂ©crit une vision qui porte sur la purgation de l’ñme de SĂ©verin dans un certain fleuve.  Mais que tous soient punis lĂ  oĂč ils ont pĂ©chĂ©, ce n’est pas du tout probable.  Car, il arrive que quelqu’un pĂšche en plusieurs lieux, et il n’est donc pas vraisemblable qu’il soit purifiĂ© dans tous ces lieux.  Les  visions prĂ©citĂ©es montrent d’ailleurs, plutĂŽt le contraire.  Car, le diacre Paschasius avait pĂ©chĂ© Ă  Rome lors de l’élection du pape, et c’est dans les thermes de Puteleon qu’il a Ă©tĂ© purifiĂ©.  Et SĂ©vĂ©rin avait pĂ©chĂ© dans le palais de l’empereur, et a Ă©tĂ© purifiĂ© dans un fleuve.

La deuxiĂšme opinion.  Les lieux des Ăąmes ne sont pas corporels.  C’est ce que pensait saint Augustin (livre 12, chapitre 33 de la GenĂšse.)  Mais, il s’est rĂ©tractĂ© (livre 2, chapitre 24, de ses rĂ©tractations).  La troisiĂšme.  Les lieux punitifs des Ăąmes sont ce monde dans lequel elles demeurent dans un corps comme dans une prison.  C’est ce que rapporte et rĂ©fute saint IrĂ©nĂ©e (Ă  la fin du livre 5), car l’Écriture dit ( Luc 16, et ailleurs) que, aprĂšs cette vie, les Ăąmes descendent en enfer.   La quatriĂšme.  L’enfer et le purgatoire des Ăąmes ne sont rien d’autre que la conscience accusant et punissant les pĂ©chĂ©s.  C’est ce que pensaient Philo (livre pour demander la grĂące de l’érudition), et OrigĂšne selon saint JĂ©rĂŽme (Ă©pitre Ă  Avitus).

On la rĂ©fute ainsi.   Car, si cette opinion Ă©tait vraie,  on ne serait pas moins dans l’enfer et le purgatoire maintenant qu’aprĂšs notre mort.  La cinquiĂšme.  L’enfer et le purgatoire seront dans la vallĂ©e de Josaphat.  Saint Jean Chrysostome (dans son homĂ©lie sur les rĂ©compenses des bienheureux) rapporte que c’est ce qu’avaient pensĂ© certains anciens.   Saint GrĂ©goire, dans ses dialogues (livre 4, chapitre 42), relate une opinion semblable.  L’argument de ces gens-lĂ  a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© que le Christ appelle souvent l’enfer la gĂ©henne.  Or, la gĂ©henne est la vallĂ©e  qui est si Ă©troitement unie Ă  la vallĂ©e de Josaphat qu’elle semble en ĂȘtre une partie.

La sixiĂšme opinion est que l’enfer est un Ă©tat de l’ñme en dehors du corps.  Car, tant qu’elle est dans le corps elle demeure dans la lumiĂšre, comme on le voit par les Ɠuvres.  Quand elle sort du corps, elle ne peut plus rien voir Ă  moins d’ĂȘtre bienheureuse.  Et c’est cela les tĂ©nĂšbres extĂ©rieures. C’est ce que rapporte Theophilactus (Luc, chapitre 16).  La septiĂšme.  Le lieu pĂ©nal des Ăąmes n’est pas la terre, mais un air tĂ©nĂ©breux oĂč demeurent les dĂ©mons.  C’est que rapportent GrĂ©goire de Nysse (dans le livre de l’ñme et de la rĂ©surrection), et saint Jean Chrysostome (dans son homĂ©lie sur les bienheureux), ainsi que l’auteur de l’Ɠuvre non terminĂ©e sur Matthieu (homĂ©lie 53).  Cette thĂ©orie favorise le rĂ©cit de Fursy (BĂšde, livre 3, chapitre 19 de l’histoire d’Angleterre).  Le dĂ©funt serait conduit au ciel par les anges, on lui montrerait de grands feux au-dessus de l’air,  qui servent Ă  la conflagration du monde, et oĂč sont, entretemps, examinĂ©es les actions des hommes.

La huitiĂšme est la sentence commune des scolastiques.  Le purgatoire est Ă  l’intĂ©rieur des viscĂšres de la terre, proche de l’enfer.  D’un commun accord, les scolastiques Ă©tablissent quatre niveaux, un enfer divisĂ© en quatre parties, un pour les damnĂ©s, un pour les purgĂ©s,  le troisiĂšme, pour les enfants morts sans baptĂȘme, et le quatriĂšme pour les justes morts avant la passion du Christ, lequel est maintenant vide.  DiffĂ©rents lieux pour diffĂ©rentes sortes de peines.  Tous ceux lieux, en effet, sont des lieux pĂ©naux.  Une peine est soit une peine du dam, soit  une peine du sens.  Elle est, en outre, ou Ă©ternelle ou temporaire.  Pour la peine Ă©ternelle de la seule damnation,  il y a  les limbes des enfants.  Pour la peine temporelle de la seule damnation, il y avait les limbes des pĂšres.   Pour la peine Ă©ternelle du dam et du sens, il y a l’enfer.  Pour la peine temporelle du dam et du sens, le purgatoire.

Parce que Calvin ( livre 2, chapitre 16, verset 9 des institutions)  dit  que toutes ces choses sont des fables, ainsi que son disciple BĂšze (Actes, chapitre 2) et  son maĂźtre Bucer (chapitre 27, Matth), nous allons donner des preuves pour chaque lieu.  Le premier.   Que le lieu des Ăąmes appelĂ©, par un mot gĂ©nĂ©ral,  enfer,  soit situĂ© dans les entrailles de la terre, cela a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© dans le chapitre 9 du quatriĂšme livre sur le Christ.  Nous demandons au lecteur de bien vouloir s’y reporter en cas de besoin.  Nous aurons donc ici recours Ă  d’autres arguments.

Se prĂ©sentent d’abord les Ă©ruptions volcaniques qui crachent le feu, et engendrent des riviĂšres de lave incandescente.  Saint GrĂ©goire pense qu’il n’est pas tĂ©mĂ©raire d’y voir des indices d’un enfer existant dans les entrailles de la terre (livre 4, chapitre 35 des dialogues).  Et (dans le mĂȘme livre, chapitre 30) il confie qu’il a appris par un rĂ©cit authentique qu’à l’heure oĂč le roi Theodoric arien est mort, on a vu son Ăąme ĂȘtre jetĂ©e  dans la fosse  de Vulcain qui est en Sicile.  Et Laurent Surius  rapporte, dans son histoire, qu’en l’annĂ©e 1537,  le mont Hela de l’üle de l’Islande,  a vomi des flammes, qu’on a entendu des vocifĂ©rations tonitruantes et horribles, et que des Ăąmes sont souvent apparues qui disaient avoir Ă©tĂ© envoyĂ©es Ă  cette montagne.  VoilĂ  pour l’enfer en gĂ©nĂ©ral.

Parlons maintenant de chacun des enfers en particulier.  Le premier. Que l’enfer des damnĂ©s soit dans les profondeurs de la terre, on le prouve d’abord de ce que c’est dans les entrailles de la terre que se trouve l’enfer. Comme nous avons dĂ©jĂ  prouvĂ© que l’ñme du mauvais riche (Luc 16) avait Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e comme Ă©tant dans l’enfer, mais non seulement dans l’enfer, mais dans le lieu le plus profond, quand l’aperçut Lazare qui Ă©tait lui aussi dans les lieux souterrains.  De plus, la raison elle-mĂȘme dicte que si le lieu des bienheureux est dans le plus haut des cieux, et le lieu des damnĂ©s le plus Ă©loignĂ© possible du ciel, rien n’est plus Ă©loignĂ© que le centre de la terre.

Ensuite, que le purgatoire soit sous terre, et proche de l’enfer des damnĂ©s, on le prouve d’abord par les paroles des Actes 2 : « Les douleurs de l’enfer ayant Ă©tĂ© abolies », dans lesquelles saint Augustin (Ă©pitre 33 sur les peines du purgatoire) voit les peines du purgatoire. Et l’Église elle-mĂȘme dit, dans la messe pour les dĂ©funts : « LibĂšres les Ăąmes des dĂ©funts des peines de l’enfer, et du lac profond. »  Ensuite, on le confirme par la vision que rapporte saint BĂšde le vĂ©nĂ©rable (livre 5, chapitre 13 de son histoire), dans laquelle le purgatoire a Ă©tĂ© vu  prĂ©s de l’enfer des damnĂ©s.  Enfin, tous les thĂ©ologiens enseignent que l’enfer et le purgatoire sont dans le mĂȘme lieu, et que c’est par le mĂȘme feu que sont brulĂ©es les  Ăąmes des damnĂ©s et celles du purgatoire.

Que les limbes des enfants soient dans l’enfer, on le prouve ainsi.   Le concile de Florence, Ă  la derniĂšre session, a dĂ©fini en toutes lettres que ceux qui meurent avec le pĂ©chĂ© mortel, ainsi que ceux qui meurent avec le pĂ©chĂ© originel, descendent tout de suite en enfer, mais doivent ĂȘtre punis par des peines diffĂ©rentes.  Et saint Augustin (livre 4, chapitre 28 sur le baptĂȘme des enfants, et dans le livre sur les gnostiques) dit que la foi catholique ne connait que deux lieux oĂč les ĂȘtres humains seront pour toute l’éternité : le ciel des bienheureux, et l’enfer des damnĂ©s.   C’est une opinion commune des scolastiques que les limbes des enfants soient dans un lieu plus Ă©levĂ© que ne l’est le purgatoire, de telle sorte que le feu n’y parvienne pas.  C’est cette opinion qu’a adoptĂ©e Innocent 111 (chapitre majores, en dehors du baptĂȘme).  Mais il faudra disputer de cela plus tard.

Que les limbes des pĂšres soient dans l’enfer, mais dans sa partie la plus haute, nous l’avons prouvĂ© avec assez de prĂ©cision dans le chapitre 10 du livre 4 sur le Christ.  Nous ne rĂ©pĂ©terons qu’un seul argument. Dans 1 Rois, chapitre 28, on a vu l’ñme de Samuel monter des lieux souterrains. « J’ai vu, dit la pythonisse, des dieux monter de la terre. »  Les adversaires rĂ©pondront que ce Samuel-lĂ  n’était pas le vrai Samuel, mais le diable sous les traits de Samuel., comme le rapporte Tertullien (vers la fin de son livre sur l’ñme.)  Ainsi que l’auteur des questions, d’aprĂšs Justin,  question 52, et l’auteur de la question 27, d’aprĂšs saint Augustin, et l’auteur des livres sur les merveilles de la sainte Écriture (livre 2, chapitre 11), et saint Isidore (livre 8, chapitre 9 des Ă©tymologies).  Voici quelles sont leurs raisons.

La premiĂšre.  Parce qu’il n’est pas crĂ©dible que  Samuel ait Ă©tĂ© soumis Ă  une pythonisse, ni mĂȘme qu’il soit venu spontanĂ©ment.  La deuxiĂšme.  Parce que Samuel n’aurait pas supportĂ© d’ĂȘtre adorĂ©, comme cette ombre l’a fait.  La troisiĂšme.  Car, il n’aurait pas dit Ă  SaĂŒl : demain, toi et tes fils vous serez avec moi.  Car ce n’est pas aux limbes des pĂšres que devait descendre l’ñme des SaĂŒl, mais dans la gĂ©henne.  La quatriĂšme. Parce que Dieu avait refusĂ© Ă  SaĂŒl toute rĂ©ponse par des prophĂštes, des oracles ou des songes, comme il est dit dans ce chapitre.  Il n’est pas donc pas crĂ©dible qu’il ait reçu une rĂ©ponde par une pythonisse.

Nonobstant ces objections, nous maintenons que c’est l’ñme du vrai Samuel qui est apparue, ce qui confirme puissamment notre sentence sur les lieux souterrains.   Car les auteurs citĂ©s sont ou incertains ou obscurs, et ceux qui enseignent le contraire sont bien connus et illustres.  Comme Joseph (livre 6, chapitre 15 de l’antiquitĂ©), saint Justin (dialogue avec Thryphon,  prĂšs du milieu),  saint Basile (Ă©pitre 80 au mĂ©decin Eusthatius), saint Ambroise (chapitre 1 sur Luc), saint JĂ©rĂŽme (chapitre 7, IsaĂŻe), saint Augustin (chapitre 15 de  son livre sur le soin des morts). Ne reprĂ©sente pas pour nous une objection valable le fait que, (dans question 3, livre 2 Ă  Simplicien). Saint Augustin se soit demandĂ© si c’était bien l’ñme de Samuel, ou une autre.  Car, c’est plus tard qu’il a Ă©crit son livre sur le soin des morts, aprĂšs avoir longtemps rĂ©flĂ©chi sur la question.  En plus de ces anciens, nous avons, parmi les docteurs les plus rĂ©cents, Lirus, Abulensis,  Denys le Chartreux et Cajetan.

De puissantes raisons militent en faveur de cette sentence.  La premiĂšre.  Parce que l’Écriture a toujours appelĂ© Samuel celui qui est apparu : « Quand la femme vit Samuel ».  « Samuel dit Ă  SaĂŒl. »  « SaĂŒl comprit donc que c’était Samuel. »  L’écriture n’aurait certes pas dit : comprit, mais, pensa, crut, si ça n’avait pas Ă©tĂ© vrai.  La seconde.   Dans Eccles 46 on loue Samuel pour avoir prophĂ©tisĂ© aprĂšs sa mort, et avoir annoncĂ© au roi ce qui arriverait.  Or quelle serait cette louange si le diable avait assumĂ© l’apparence de Samuel et avait trompĂ© SaĂŒl ?  VoilĂ  quel est l’argument qui a convaincu saint Augustin quand  il Ă©crivit sur le soin des morts, et dont il ne se souvenait pas quand il a Ă©crit Ă  Simplicien.  Le troisiĂšme.  Parce qu’il a prĂ©dit l’avenir Ă  SaĂŒl, et que le dĂ©mon ne pouvait pas savoir que le lendemain SaĂŒl mourrait avec ses fils, et que son armĂ©e serait mise en dĂ©route.  La quatriĂšme.  Parce que les raison contraires ne prouvent rien.

Je rĂ©ponds Ă  la premiĂšre que Samuel n’est pas venu sur l’ordre de la pythonisse, mais sur l’ordre de Dieu, ce que l’art magique a plutĂŽt empĂȘchĂ© que confirmĂ©.  Car, par son arrivĂ©e, Samuel a prĂ©venu l’effet de l’incantation, et il est montĂ© d’une maniĂšre contraire Ă  celle des autres qui sont appelĂ©s par l’incantation. Et voilĂ  pourquoi la pythonisse a Ă©tĂ© troublĂ©e,  et dit que cela lui Ă©tait imposĂ©.  S’il est vrai ce que les rabbis racontent que les ombres des morts qui sont Ă©voquĂ©es par le pouvoir magique montent la tĂȘte en bas,  Samuel monta debout, faisant apparaitre s’abord sa tĂȘte, sa poitrine, et on vit ensuite ses pieds surgir de la terre.

À la deuxiĂšme, je rĂ©ponds que cette adoration ne fut pas une adoration de latrie, mais une rĂ©vĂ©rence due Ă  l’ñme de Samuel.   À la troisiĂšme je dis : vous serez avec moi, ne signifie pas : vous serez dans le sein d’Abraham, mais vous serez avec moi sous la terre, c’est-Ă -dire vous serez morts.   Car, comme parmi les fils de SaĂŒl, il y avait aussi le juste Jonathan, SaĂŒl et Jonathan ne devaient certes pas descendre dans le mĂȘme lieu.  Samuel dit pourtant, en termes gĂ©nĂ©raux : vous serez avec moi.  À la quatriĂšme, je dis  qu’il voulait montrer que Dieu Ă©tait irritĂ© contre SaĂŒl,  et il le montra cela en ne rĂ©pondant pas quand il Ă©tait interrogĂ©, et en rĂ©pondant quand il n’était pas interrogĂ©.  L’une et l’autre chose sont des signes de colĂšre.    Ajoutons que si Dieu avait rĂ©pondu quand SaĂŒl l’interrogeait, il aurait pu reporter la guerre,  et Ă©viter la peine qui avait Ă©tĂ© prĂ©parĂ©e pour lui par Dieu.  Mais, quand il interrogea la pythonisse, tout Ă©tait dĂ©jĂ  prĂȘt, les armĂ©es rangĂ©es en bataille,  et rien ne pouvait empĂȘcher que la guerre n’éclate.  C’est donc alors que Dieu, par son prophĂšte, prĂ©dit sa mort, celle de ses fils, et la dĂ©bandade de toute son armĂ©e.

          Il y a donc, dans les lieux souterrains, un purgatoire, un enfer, les limbes des pĂšres, et ceux des enfants.

CHAPITRE 7

Y a-t-il, pour les justes, aprĂšs cette vie un autre lieu que  le ciel et le purgatoire ?

       Au sujet des habitacles des Ăąmes souterrains prĂ©citĂ©s, les thĂ©ologiens ont coutume de parler de deux, dont il nousplaĂźt de faire mention ici, pour que notre enseignement soit plus complet.  Ils se demandent d’abord, si, en plus de ces lieux, il y en a un autre, oĂč sont retenues les Ăąmes avant de parvenir au royaume des cieux.  Ensuite, si elles peuvent en sortir.  La premiĂšre question comporte une assez grande difficultĂ© car, d’une part, tous les thĂ©ologiens enseignent qu’à part les quatre Ă©numĂ©rĂ©s, il n’y en a pas d’autre.   Et le concile de Florence dĂ©finit dans la derniĂšre session, que les Ăąmes qui n’ont rien Ă  purifier montent aussitĂŽt dans le ciel.

        D’un autre cĂŽtĂ©,  BĂšde le vĂ©nĂ©rable raconte (livre 5, chapitre 13 de son histoire) une vision assez probable, Ă  la quelle il n’hĂ©sitait pas lui-mĂȘme Ă  prĂȘter foi.   À une certaine Ăąme qui Ă©tait retournĂ©e dans son corps, il fut montrĂ© que, en plus de l’enfer, du purgatoire, du ciel, il existait un prĂ© fleuri, lumineux, amĂšne et  odorifĂ©rant, oĂč demeuraient les Ăąmes qui n’avaient rien Ă  souffrir.  Elles y sĂ©journeraient quand mĂȘme car elles n’étaient pas encore prĂȘtes pour la vision bĂ©atifique.  Denys ajoute beaucoup d’autres visions qui vont dans le mĂȘme sens (dans le jugement particulier, article 31), et Louis Blosius (dans les conseils spirituels, chapitre 13).

            Je dois dire que la chose ne me parait pas improbable,  mais que cet endroit, s’il existe vraiment, appartient au purgatoire.  Car, s’il n’y a lĂ  aucune peine du sens, il y a la peine du dam.  Or, cette peine ne convient  qu’aux Ăąmes qui ne sont pas encore complĂštement purgĂ©es.  Ce sera donc un lieu trĂšs doux du purgatoire, qui est comme une prison sĂ©natoriale honorable.  Il faut ajouter que les Ăąmes qui sĂ©journent dans ce lieu, sont non seulement privĂ©es de la bĂ©atitude, mais sont torturĂ©es par le renvoi Ă  plus tard de la bĂ©atitude. J’ai dit qu’il ne me semblait pas impossible qu’existe un tel lieu parce que saint Thomas ( 4 sentenc, dist, 21, question 1, art 1) Ă©crit que, pour les choses qui n’ont pas Ă©tĂ© dĂ©finies par l’Église, on doit s’en tenir Ă  ce qui est le plus conforme aux paroles et aux rĂ©vĂ©lations des saints.  M’impressionne l’autoritĂ© de Jean de Turrecremata, cardinal excellent et trĂšs docte, qui, dans le prologue aux rĂ©vĂ©lations de sainte Brigitte, n’hĂ©sita pas Ă   affirmer, aprĂšs avoir examinĂ© avec soin ces rĂ©vĂ©lations, que convient pour sainte Brigitte ce qui a Ă©tĂ© dit de Judith 8 : tout ce qu’elle dit est vrai, et il n’y a rien Ă  reprendre dans ses sermons.  Or, sainteBrigitte a Ă©crit (livre 4, chapitre 124),  que certaines Ăąmes du purgatoire  n’ont aucune peine en dehors de la douleur que leur cause le dĂ©sir de la fĂ©licitĂ© retardĂ©e.

CHAPITRE 8

       Est-ce que les Ăąmes des dĂ©funts peuvent sortir de leurs habitacles ?

       Cette autre question peut avoir trois sens.  Le premier. Peuvent-elles sortir pour n’y jamais plus rentrer, parce qu’elles sont transfĂ©rĂ©es d’un lieu Ă  un autre ?  Le deuxiĂšme.   Peuvent-elles sortir pour pouvoir y revenir ? Le troisiĂšme. Peuvent-elles sortir pour venir vivre avec nous ?

       On peut facilement rĂ©pondre Ă  la premiĂšre question. Pour l’enfer des damnĂ©s, des limbes des enfants, il n’y a pas de retour.  Pour le purgatoire et les limbes des pĂšres, il existe un retour.  Car, les Ăąmes des impies sont condamnĂ©es  Ă  des prisons perpĂ©tuelles, et au feu de la gĂ©henne.  De la mĂȘme façon, les Ăąmes des enfants sont condamnĂ©es Ă  l’exil perpĂ©tuel et aux tĂ©nĂšbres.  Mais les Ăąmes des saints pĂšres Ă©taient condamnĂ©es Ă  un exil temporaire, et les Ăąmes du purgatoire Ă  des prisons temporaires.  La raison en est que la cause de la prison ou de l’exil des damnĂ©s est la faute mortelle actuelle ou originelle qui n’est jamais remise.   La cause de l’exil des pĂšres fut la dette temporelle contractĂ©e par le pĂ©chĂ© du premier parent. Celui-lĂ , par son pĂ©chĂ©,  avait fermĂ© le ciel qui ne pouvait ĂȘtre ouvert que par le sang  du Christ rĂ©ellement rĂ©pandu.  La cause du purgatoire est la culpabilitĂ© de la faute temporelle, qui a nĂ©cessairement une fin.

        Contre cet enseignement, se lĂšve l’autoritĂ© de saint Jean DamascĂšne, qui, dans son discours sur les morts, a dit que, par les priĂšres de ThĂšcle,  avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e de l’enfer l’ñme d’une certaine paĂŻenne, du nom de Falconille, et que par les priĂšres du pape saint GrĂ©goire, l’ñme de Trajan avait Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e de l’enfer.   Je rĂ©ponds que s’il faut dĂ©fendre cette histoire, il faut dire que l’ñme de Trajan n’avait pas Ă©tĂ© formellement dans l’enfer, mais seulement punie dans l’enfer selon ses prĂ©sents dĂ©mĂ©rites, et que sa sentence avait Ă©tĂ© suspendue Ă  cause des priĂšres du pape GrĂ©goire.  Et que, de plus, il n’était pas passĂ© directement de l’enfer au ciel, mais que, aprĂšs avoir Ă©tĂ© rĂ©uni Ă  son corps et baptisĂ©, il a fait pĂ©nitence dans notre vie. C’est du moins la solution commune aux scolastiques, celle de saint Thomas, celle de Durand, de Richard de saint Victor et des autres.

        Mais parce que c’est sans aucun tĂ©moin qu’on dit que Trajan a ressuscitĂ©, et qu’aucun auteur ancien ne se souvient  de ce prodige, et que c’est une chose qui rĂ©pugne Ă  la sentence de DamascĂšne, qui enseigne qu’il est passĂ© de l’enfer au ciel, mais non qu’il soit ressuscitĂ©, et que s’il a fait pĂ©nitence, c’est en enfer qu’il l’a faite. Et comme les auteurs citĂ©s ne se basent que sur l’autoritĂ© de saint Jean DamascĂšne, je penche davantage du cĂŽtĂ© de la sentence de Melchior Cano qui (dans le livre 11, chapitre 2 des lieux), rĂ©prouve cette histoire, et la considĂšre comme une fiction, et de celle de Dominique a Soto qui (dans 4, dst. 45, quest 2, art 2) qui avoue que, pour lui, cette histoire est dure Ă  avaler, en dĂ©pit de l’apologie d’Alphonse Ciacon.qui a Ă©tĂ© Ă©ditĂ©e il y a trois ans.  Les raisons qui me motivent sont au nombre de quatre.

          La premiĂšre.  Tous ceux qui ont admis cette histoire l’on fait Ă  cause de l’autoritĂ© de saint Jean DamascĂšne.  Or il n’est pas facile de prouver que ce livre est vraiment de lui.  Car, dans ce livre, l’auteur ne dit pas seulement que Trajan et Falconille  sont passĂ©s de l’enfer des damnĂ©s au royaume des cieux, mais que beaucoup d’autres,  qui Ă©taient descendus dans les enfers parce qu’ils Ă©taient dĂ©pourvus de la foi divine, avaient Ă©tĂ© convertis et sauvĂ©s par le Christ quand il est descendu dans les enfers.   Ce qui, en soi, est erronĂ©, et contraire aux paroles de saint Jean DamascĂšne qui (au livre 2, chapitre 4 sur la foi). Il   dit, en effet,  que, pour les hommes, la mort est ce qu’a Ă©tĂ© la chute pour les anges.

   La deuxiĂšme raison. Aucun auteur latin ne se souvient de cette histoire,  ni Paul le diacre, ni le bibliothĂ©caire Anastase, ni Marianus Scotus, ni Ado, ni mĂȘme BĂšde le vĂ©nĂ©rable, qui fut un grand admirateur de saint GrĂ©goire.  Saint BĂšde a diligemment compulsĂ© les archives romaines pour Ă©crire la vie de saint GrĂ©goire, et il dit (livre 2, chapitre 44 de son histoire) que cette histoire de Trajan trouvĂ©e dans une certaine Ă©glise des Angles,  Ă©tait  considĂ©rĂ©e comme douteuse par les Romains.

         La troisiĂšme. Parce que saint GrĂ©goire (livre 34, chapitre 13 ou  16 des mƓurs) enseigne qu’on ne peut pas prier pour les infidĂšles dĂ©funts, comme on ne peut pas prier pour les dĂ©mons, puisqu’ils sont tous dans la mĂȘme damnation irrĂ©vocable et Ă©ternelle.  Comment donc est-il crĂ©dible qu’il ait fait cela ?Abulensis rĂ©pond (quest 57, 4, livre des Rois) que saint GrĂ©goire a donc pĂ©chĂ© mortellement en priant pour Trajan.  Mas c’est une chose absurde et blasphĂ©matoire, puisqu’on sait trĂšs bien que saint GrĂ©goire ne fut pas non seulement un trĂšs grand saint, mais un homme trĂšs prudent.  Ensuite, s’il a pĂ©chĂ© mortellement en demandant cette faveur, comment a-t-il pu ĂȘtre exaucĂ© ?  Dieu est-il apaisĂ© quand il est offensĂ© ?Ciacon rĂ©pond  que saint GrĂ©goire n’a pas pĂ©chĂ© en priant, mais qu’il a mĂ©ritĂ© plutĂŽt, car, bien qu’ordinairement, il ne priĂąt pas pour les damnĂ©s, il a quand mĂȘme pu le faire par une inspiration divine.

     J’objecte que la mĂȘme histoire rapporte que saint GrĂ©goire a Ă©tĂ© puni Ă  cause de ce pĂ©chĂ© par une douleur continuelle Ă  l’estomac et aux pieds.  Il rĂ©pond.   Cette douleur ne lui a pas Ă©tĂ© donnĂ©e comme une peine, mais pour qu’il ne s’enfle pas la tĂȘte.  Je rĂ©ponds.   Le diacre Pierre, que lui-mĂȘme cite d’un livre de la bibliothĂšque vaticane, rapporte qu’un ange a dit Ă  saint GrĂ©goire que, parce qu’il avait eu la prĂ©somption de demander cela, il aurait Ă  supporter cette douleur jusqu’ Ă  sa mort, donc en punition d’un pĂ©chĂ©, parce que la prĂ©somption est un pĂ©chĂ©.

       La quatriĂšme raison.  Les arguments de Ciacon ne prouvent rien.   Car, lui-mĂȘme se base surtout sur les tĂ©moins suivants.  Le premier, les diacres de GrĂ©goire Pierre et Jean, dont les tĂ©moignages existent encore dans la bibliothĂšque du Vatican. Ensuite sur le tĂ©moignage d’un auteur anonyme, qui a Ă©crit la vie de saint GrĂ©goire, laquelle est prĂ©sentĂ©e avant ses Ɠuvres Ă©ditĂ©es Ă  Basles en 1564.  Cet auteur semble avoir vĂ©cu au temps de saint GrĂ©goire.  TroisiĂšmement, sur le tĂ©moignage de saint Jean DamascĂšne.  QuatriĂšmement, sur celui du diacre Jean (livre 2, chapitre 44 de la vie de saint GrĂ©goire).  CinquiĂšmement, sur le tĂ©moignage de saint Thomas.  SixiĂšmement, sur le tĂ©moignage de sainte Brigitte et de sainte Mechtilde.

      Le premier tĂ©moignage m’est fort suspect. Car si c’était vraiment le sien,  le diacre Jean n’aurait pas dit que cette histoire n’a pas Ă©tĂ© conservĂ©e dans l’église romaine, mais seulement chez les Anglais.  De plus, ce Pierre dit que saint GrĂ©goire a demandĂ© Ă  Dieu, et a obtenu,  que tous ceux qui seraient ensevelis dans l’église de saint AndrĂ© (in clivo Scauri), ne puissent pas ĂȘtre damnĂ©s, pourvu qu’ils conservent la foi chrĂ©tienne.   Or, saint GrĂ©goire, qui Ă©tait un homme d’une grande prudence, n’aurait jamais priĂ© ainsi.  Car, ou il entendait par foi  la foi informe, ou la foi formĂ©e. S’il s’agissait de l’informe, il aurait donc voulu que soient sauvĂ©s des hommes mourant sans  charitĂ© ?  Qui le croira ? S’il s’agit de la formĂ©e, il n’avait pas besoin de faire cette demande, car, Ă  quelque endroit qu’il soit enseveli, celui qui meurt dans la charitĂ© ne peut pas ĂȘtre damnĂ©.  Ajoutons que tout ce fragment a un air de nouveautĂ©, et semble donc factice.  Car, il dit le « divin »  GrĂ©goire, mot qui, alors, Ă©tait inusitĂ©.  De plus, il  met les cardinaux avant les Ă©vĂȘques, ce qui rĂ©pugne Ă  Jean le diacre qui, dans sa vie de saint GrĂ©goire, Ă©crit que saint GrĂ©goire entama la coutume de promouvoir les cardinaux Ă  l’épiscopat, comme Ă  un grade supĂ©rieur.  Et il comporte d’autres indices de nouveautĂ©.

    Le deuxiĂšme tĂ©moignage n’apporte rien de neuf, car cet auteur anonyme ne vĂ©cut pas au temps de saint GrĂ©goire, mais aprĂšs.  Il ne fait que donner un rĂ©sumĂ© de la vie de saint GrĂ©goire que le diacre Jean avait Ă©crite.  Le troisiĂšme tĂ©moignage est dĂ©jĂ  rejetĂ©.   Le quatriĂšme est contre Ciacon lui-mĂȘme, car Jean le diacre dit  que l’ñme de Trajan n’a pas Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e de l’enfer, mais a obtenu de ne pas souffrir de la peine du feu, alors que Ciacon veut qu’elle soit dĂ©jĂ  dans la bĂ©atitude du ciel.  Le cinquiĂšme.   À l’endroit oĂč il traite cette question (4 dist 45, question 2), saint Thomas pense qu’il est trĂšs probable que l’ñme de Trajan ait Ă©tĂ© libĂ©rĂ©e seulement des peines de l’enfer jusqu’au jour du jugement, et qu’elle devait ensuite ĂȘtre chĂątiĂ©e avec les autres.

       Le sixiĂšme est trĂšs obscur.  Car, saint Brigitte ne dit pas que Trajan a Ă©tĂ© sauvĂ©, mais seulement Ă©levĂ© Ă  un degrĂ© plus haut, indiquant par lĂ  qu’il a reçu quelque chose en fait de salut.  Le septiĂšme se contredit lui-mĂȘme.  Car, Mectilde dit qu’elle a demandĂ© Ă  Dieu ce qu’il ferait avec les Ăąmes de Samson, de Salomon, d’OrigĂšne, et de Trajan, et qu’il lui a rĂ©pondu que Dieu veut que reste inconnu Ă  tous ce que sa libĂ©ralitĂ© ferait d’eux.  Si Dieu veut que cela reste inconnu, il ne faut donc pas prĂȘter foi aux auteurs qui affirment que Trajan est dĂ©jĂ  dans le ciel.  Notons que Dieu, dans cette rĂ©vĂ©lation, associe Trajan Ă  OrigĂšne,   Or, dans le prĂ© spirituel, qui est citĂ© au septiĂšme concile ƓcumĂ©nique, (et par Jean le diacre, au livre 2, chapitre 45, de la vie de saint GrĂ©goire),  on raconte une rĂ©vĂ©lation dans laquelle OrigĂšne est aperçu dans la gĂ©henne de feu avec Arius , Nestor. Et, le  sixiĂšme concile, (chapitre 11) dit anathĂšme Ă  OrigĂšne, comme Ă  Arius, Ă  Nestor, et aux autres hĂ©rĂ©tiques.

   Quant au second, les uns estiment que les Ăąmes ne peuvent jamais sortir de leurs rĂ©ceptacles, mais que toutes les apparitions sont celles de dĂ©mons qui se prĂ©sentent faussement comme des Ăąmes sorties du purgatoire qui demandent des suffrages.   C’est ce que pensait Tertullien (Ă  la fin de son livre sur l’ñme), et l’auteur des questions Ă  Antioche (questions 11 et 13),   C’est ce que semblent dire aussi saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 29 sur Matthieu, homĂ©lies 2 et 4 sur Lazare),  et ThĂ©ophylactus (chapitre 8 de Matthieu).  Bien que, si on les lit attentivement, ces deux auteurs n’affirment pas que les Ăąmes du purgatoire ne puissent en aucune façon venir Ă  nous, mais qu’elles ne peuvent pas sortir Ă  leur grĂ©, ni se changer en dĂ©mons, ni vagabonder parmi nous Ă  la façon des dĂ©mons.  Les hĂ©rĂ©tiques de ce temps rient de toutes les apparitions des Ăąmes, et n’y voient que des illusions dĂ©moniaques, surtout les magdebourgeois.

       Mais elle est trĂšs vraie la sentence de saint Augustin (chapitres 15 et 16 du livre sur le soin des morts), selon laquelle c’est faire preuve d’une trop grande impudence que de nier que les Ăąmes peuvent revenir vers nous, sur l’ordre de Dieu, ou avec sa permission.  Car, nous avons des tĂ©moignages d’auteurs trĂšs graves du retour d’ñmes de dĂ©funts qui sont retenues dans diffĂ©rents rĂ©ceptacles,  Ă  part les limbes des enfants.  Car, nous avons des exemples certains d’apparitions d’ñmes bienheureuses dans EusĂšbe (livre 6, chapitre 5 de son histoire), dans Augustin (le chapitre 16 du soin des morts), dans Sulpice (vie de saint Martin), dans Paulin (vie d’Ambroise), dans Theodoret (livre 5, chapitre 24 de l’histoire), dans GrĂ©goire (livre 3, chapitres 24 et 25 des dialogues), et dans le septiĂšme concile oecumĂ©nique (acte 4).  Que des Ăąmes qui demeuraient dans les limbes des pĂšres aient apparu, saint Augustin le prouve (dans les chapitres 15 et 16 du soin des morts, et dans le chapitre 28 1 Rois), oĂč l’ñme de Samuel est apparue Ă  SaĂŒl, et en Matthieu  17 oĂč  MoĂŻse est apparu avec Élie sur le mont Thabor.  MĂȘme si Hilaire (dans le commentaire de ce passage) et Ambroise (livre 1, chapitre 2 sur CaĂŻn) ont dit que MoĂŻse vivait encore, le DeutĂ©ronome et JosuĂ©  affirment expressĂ©ment le contraire.

  On trouve des exemples d’ñmes du purgatoire chez saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 40 et 55 des dialogues), et dans les autres auteurs, aux lieux citĂ©s.  L’auteur des livres sur les propriĂ©tĂ©s des abeilles donne plusieurs exemples d’apparitions d’ñmes de damnĂ©s.  Et dans la vie de saint Bruno, on rapporte une apparition d’un docteur parisien qui dit avoir Ă©tĂ© condamnĂ© trois jours aprĂšs sa mort.  Il est croyable que cette Ăąme soit descendue en enfer tout de suite aprĂšs sa mort, qu’elle soit apparue trois fois, que la premiĂšre fois elle ait relatĂ© son accusation, la deuxiĂšme, son jugement, et la troisiĂšme sa condamnation, pour que, ainsi, cet exemple soit connu par plusieurs.

  Quant au troisiĂšme, que quelques Ăąmes qui rĂ©sidaient dans le purgatoire ou dans les limbes des pĂšres aient Ă©tĂ© rappelĂ©es Ă  la vie terrestre,  il n’y a aucun doute.  Car les morts qu’ont ressuscitĂ©s Élie, ÉlisĂ©e, le Seigneur, Pierre et Paul, on a raison de penser qu’ils Ă©taient dans les limbes ou dans le purgatoire, puisqu’ils Ă©taient des fidĂšles.  Il ne s’en suit aucun inconvĂ©nient, car ce n’est rien d’autre que de changer d’exil ou de prison.

       Mais, tu diras qu’ils Ă©taient certains de leur salut, et que, aprĂšs la rĂ©surrection, ils en devinrentent incertains.  Abulensis rĂ©pond trĂšs bien (Rois 4, question 7). Tous ceux qui ont Ă©tĂ© rappelĂ©s des limbes des pĂšres ou du purgatoire Ă  la vie terrestre, sont sans doute confirmĂ©s dans la grĂące, car, autrement, une injustice leur aurait Ă©tĂ© faite.

   Que ceux qui sont au ciel ou en enfer soient rappelĂ©s Ă  la vie terrestre, cela semble impossible.  Et pourtant il en existe des exemples qu’on ne peut nier.  Car, saint GrĂ©goire (dans le livre 1, chapitre 9 de ses dialogues)  Ă©crit que par saint Fortunatus avait Ă©tĂ© rappelĂ© Ă  la vie terrestre un certain saint Marcel, qui avait obtenu une excellente place avec les anges.  Et ( au chapitre 12), il Ă©crit  que saint SĂ©vĂšre a ressuscitĂ© un homme trĂšs mĂ©chant qui avait Ă©tĂ© amenĂ© dans les enfers par les dĂ©mons.  Egesippe (livre 3, chapitre 2) Ă©crit que saint Pierre avait retirĂ© de la mort un paĂŻen de CĂ©sarĂ©e. Et on ne peut douter que les apĂŽtres aient ressuscitĂ© des paĂŻens.  Maxime (sermon 2 sur sainte Agate) dit qu’elle a ressuscitĂ© le fils d’un prĂ©fet qui Ă©tait mort en Ă©tat de pĂ©chĂ© mortel. Et Évodius (au livre 1 des miracles de saint Étienne), dit qu’un enfant mort avant le baptĂȘme a Ă©tĂ© ressuscitĂ© aux  reliques de saint Etienne.

   Je dis donc que les bienheureux ne peuvent pas ĂȘtre rappelĂ©s Ă  la vie de la terre, car la bĂ©atitude inclut la certitude de ne jamais perdre la fĂ©licitĂ©, comme saint Augustin l’enseigne ( dans la correction et la grĂące, chapitre 10).  Et la raison en est manifeste, car la bĂ©atitude est l’état parfait provenant de la rĂ©union de tous les biens.  Or, celui qui n’a pas la certitude de ne jamais perdre la fĂ©licitĂ© n’a pas tous les biens.   Si donc certains sont revenus dans leurs corps, ils n’étaient pas glorieux, car Dieu, prĂ©voyant leur retour Ă  la vie de la terre, a retardĂ© leur bĂ©atification, et les a retenus entre temps dans un lieu excellent, comme cela est arrivĂ© Ă  Marcel, dont parle saint GrĂ©goire.

   Je dis la mĂȘme chose des damnĂ©s.  Celui qui a vraiment Ă©tĂ© condamnĂ© aux peines Ă©ternelles ne peut pas ĂȘtre rappelĂ© Ă  la vie terrestre, car, autrement, la damnation des impies deviendrait incertaine.  Saint Augustin (livre 21, chapitre 24 de la citĂ© de Dieu) dit que c’est le propre d’une grande prĂ©somption d’affirmer qu’ils ne demeureront pas toujours dans le feu, ceux Ă  qui la VĂ©ritĂ© a dit : « Allez au feu Ă©ternel ! »  La VĂ©ritĂ© dit cela Ă  tous ceux qu’elle damne, tant dans le jugement particulier que dans le jugement  gĂ©nĂ©ral.  De plus, il n’y aurait aucun damnĂ© quin’espĂ©rerait pas obtenir le salut un jour, et pour lequel nous ne pourrions pas ne pas prier.   Car, s’ils peuvent ĂȘtre sauvĂ©s par un privilĂšge tout spĂ©cial, il  est donc certain qu’il faut prier pour eux, comme, dans ce monde, nous prions pour les obstinĂ©s dans le mal.  Car Dieu leur aurait donnĂ© une grĂące efficace  qui ne peut certes ĂȘtre donnĂ©e que par privilĂšge.

    Mais Abulensis (4, livre des Rois, question 57) nous objecte qu’au damnĂ© ressuscitĂ© ne sont remises ni la faute, ni la peine du fait mĂȘme de cette rĂ©surrection. Cette rĂ©surrection n’est donc pas plus miraculeuse que n’importe laquelle rĂ©surrection.  Il se peut donc que de tels dĂ©funts ressuscitent.  Je rĂ©ponds.  La faute n’est pas remise, ni la peine, mais on lui donne un bĂ©nĂ©fice Ă©quivalent, car on le remet dans un Ă©tat oĂč il pourra ĂȘtre libĂ©rĂ© et de la peine et de la faute.  Il s’ensuivra de toutes ces absurditĂ©s,  que la damnation des impies ne sera plus certaine, qu’ils pourront toujours espĂ©rer, qu’on pourra prier pour eux.

     Aux autres exemples qu’on apporte, Sotus rĂ©pond (4 dist 45, quest 2, art 2)  que tous les paĂŻens que les apĂŽtres ont ressuscitĂ©s avaient agi dans une ignorance invincible de la foi, et Ă©taient donc dans le purgatoire.   Mais que rĂ©pondra Sotus Ă  Ambroise (dans le sermon 99) et Ă  Maxime (sermon 2) qui racontent qu’AgnĂšs a ressuscitĂ© le fils du prĂ©fet, que le diable avait tuĂ©, quand il voulait violer cette sainte vierge ?  Je dis donc que ceux qui sont ressuscitĂ©s n’avaient pas Ă©tĂ© condamnĂ©s mĂȘme s’ils mĂ©ritaient les peines Ă©ternelles, mais que leur sentence avait Ă©tĂ© suspendue,  et qu’ils Ă©taient entre temps punis selon la justice prĂ©sente, comme saint Thomas l’enseigne (4 sentences, dist 45, quest 2,  art 2).  Et c’est ainsi que rĂ©pondent Ă©galement Richard, Durand et les autres

CHAPITRE 9.

                                Du temps que dure le purgatoire

      IL y a, sur ce sujet, deux erreurs poussĂ©es Ă  l’extrĂȘme.  La premiĂšre erreur est d’OrigĂšne,  qui Ă©tend le temps du purgatoire au-delĂ  du jour de la rĂ©surrection.  Voici ce qu’il dit dans son homĂ©lie 14 sur saint Luc : « Je pense, moi, que mĂȘme aprĂšs la rĂ©surrection des morts,  nous avons besoin d’un sacrement qui nous lave et nous purge, car personne ne peut ressusciter sans scories.   Mais cette erreur a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© analysĂ©e.   Car, saint  Augustin  (livre 21, chapitre 16 de la citĂ© de Dieu) Ă©crit : « Il pensait qu’il n’y avait de peines du purgatoire qu’avant  le dernier redoutable jugement. »  Et la raison en est que le Seigneur a dit en Matthieu 25 qu’au jour du jugement, il n’y aura que deux sortes d’hommes, celles des bienheureux et des damnĂ©s.

  Tu diras.  L’ñme ne pĂšche pas seule, mais avec le corps. Le corps doit donc ĂȘtre purgĂ© avec l’ñme.  C’est donc aprĂšs la rĂ©surrection que les hommes seront purgĂ©s.  Je rĂ©ponds que si l’argument prouvait quelque chose il prouverait que l’ñme sĂ©parĂ©e ne peut pas ĂȘtre punie dans l’enfer, ni jouir de la bĂ©atitude Ă©ternelle dans le ciel,  contrairement Ă  ce que dit l’évangile : « Je souffre terriblement dans cette flamme,  »  et Luc 23 : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

        Je dis donc qu’il est juste de punir l’ñme seule, parce que c’est elle qui est le sujet et la cause efficiente du pĂ©chĂ©.  Car, il y a certaines actions des hommes qui ne peuvent ĂȘtre faites que par le composĂ©, ni ĂȘtre reçues que dans le composĂ©, comme toutes celles qui se font par les puissances organiques, comme parler, voir, entendre etc., et qui n’existent plus quand le tout a Ă©tĂ© dissous.  Si le pĂ©chĂ© Ă©tait de cet ordre-lĂ ,  l’argument serait parfaitement concluant.  Mais, il ne l’est pas.   Car le pĂ©chĂ© est un acte du libre arbitre, et c’est pour cela qu’il est le produit de la seule volontĂ©, et qu’il rĂ©side formellement dans la seule volontĂ©.  Quand donc le composĂ© est dissous, on retrouve le pĂ©chĂ© en son intĂ©gralitĂ©, dans la volontĂ©, et par elle, dans l’ñme, non dans la chair morte.  Il doit donc ĂȘtre puni et purgĂ© lĂ  oĂč il se trouve.

       Ajoutons que la chair est punie, elle aussi, Ă  sa façon.  Car, comme l’ñme sĂ©parĂ©e est punie par le peine du dam, parce qu’elle est privĂ©e de la vision de Dieu, et par la peine du sens, parce qu’elle est torturĂ©e par le feu, de la mĂȘme façon la chair est punie par la peine du dam, parce qu’elle est privĂ©e de la vie et du sens, mĂȘme si improprement, parce qu’elle se putrĂ©fie petit Ă  petit, et retourne en cendres.   Cependant, la premiĂšre solution est la meilleure, car mĂȘme les corps des saints sont ainsi punis,  bien qu’ils n’aient pas besoin de purgation.  Car, il veut que tous les restes des pĂ©chĂ©s  de ceux qui meurent dans la foi soient purgĂ©s en eux par la douleur de la mort, et que le purgatoire ne soit rien d’autre que la peur de la mort.

      Il est facile de rĂ©futer cette erreur, car par restes des pĂ©chĂ©s on entend la concupiscence, ou les mauvaises habitudes contractĂ©es, ou la culpabilitĂ© de la peine temporelle.  Et les pĂ©chĂ©s vĂ©niels.   Car, parmi les choses qui appartiennent au pĂ©chĂ©,  ce sont les seules qui peuvent demeurer dans un homme justifiĂ©. Et c’est pour cela qu’on les appelle les restes du pĂ©chĂ©.  Quant au premier, la concupiscence, elledisparaĂźt Ă  la mort, car, alors, est Ă©teinte la sensualitĂ©.  Mais ce n’est pas pour la concupiscence que nous avons instituĂ© un purgatoire.  Car mĂȘme les enfants morts aprĂšs avoir Ă©tĂ© baptisĂ©s devraient souffrir des peines purgatives, puisque le baptĂȘme ne leur a pas enlevĂ© la concupiscence.  Or, saint Augustin (livre 21, chapitre 16 de la citĂ© de Dieu) enseigne Ă©loquemment que les enfants ne souffrent aucune peine purgative.  Les mauvais habitus existant dans la volontĂ©, ne sont pas nĂ©cessairement Ă©teints par la mort, quand ils sont dans des puissances qui ne sont associĂ©es aux  organes. Mais ce n’est pas non pour ces habitus que nous avons instituĂ© un purgatoire, car ni le baptĂȘme ni le martyre ne dissolvent  ce genre d’habitus.  Nous voyons, en effet, des baptisĂ©s qui ont encore les mĂȘmes mauvaises tendances qu’ils avaient avant, et qui doivent, au fur et mesure, les enlever par des actes contraires.

      Il est crĂ©dible donc que tous ces habitus sont enlevĂ©s par le premier acte  contraire  de l’ñme sĂ©parĂ©e,  qu’elle produit tout de suite aprĂšs sa sĂ©paration.  Car, mĂȘme si on ne peut, par un seul acte, dĂ©truire des habitus contractĂ©s par plusieurs actes, cependant, on le pourra alors, car cet acte sera beaucoup plus intense, puisque l’ñme est alors plus puissante relativement aux actes spirituels, et n’a pas de concupiscence contraire qui la freine.  Il reste donc la culpabilitĂ© de la peine, et les pĂ©chĂ©s vĂ©niels, qui peuvent ĂȘtre proprement appelĂ©s restes des pĂ©chĂ©s, pour lesquels existe le purgatoire.  Ces restes, il est parfois certain qu’ils sont purgĂ©s Ă  la mort, et parfois non.  On doute parfois de ce qu’on doit faire, et il est tout Ă  fait probable qu’ils soient en partie purgĂ©s, et en partie non purgĂ©s.

       Je prouve chacun  de ces points.   Le premier.  La mort violente reçue pour le Christ, qui est appelĂ©e martyre, purge, sans aucun doute, tous les restes des pĂ©chĂ©s.  Cyprien (livre 4,Ă©pĂźtre 2 ) dit clairement que tous les pĂ©chĂ©s sont purgĂ©s par le martyre.  Et qu’il ne parle pas des pĂ©chĂ©s mortels, la chose est Ă©vidente, car, au mĂȘme endroit il dit que, sans la charitĂ©, le martyre n’est d’aucun profit.  C’est ce que saint Paul avait enseignĂ© Ă  saint Cyprien (dans la premiĂšreĂ©pĂźtre aux Corinthiens, chapitre 13.)  Et c’est pour cette raison que l’Église ne prie jamais pour les martyrs.  Parce que, comme le dit saint Augustin (sermon 18 sur les paroles de l’apĂŽtre) « C’est une injure de prier pour les martyrs, Ă  qui nous devons plutĂŽt nous recommander par nos priĂšres. »

    Je le prouve, en second lieu, ainsi.   Ceux qui meurent involontairement, ou sans l’usage de leur raison,  ou en dormant, ou subitement, ne peuvent pas du tout ĂȘtre purgĂ©s par cette mort.  Car,   ou la mort purge  par elle-mĂȘme, on elle purge  en raison d’un acte volontaire concomitant. Elle ne purge pas par elle-mĂȘme, car la mort est en elle-mĂȘme quelque chose de naturel, au moins aprĂšs le pĂ©chĂ© du premier parent.  C’est pour cela qu’elle est commune aux bons et aux mauvais, bien plus, aux hommes et aux animaux.  Or, nous ne mĂ©ritons pas par les choses qui se produisent naturellement, et nous ne dĂ©mĂ©ritons pas non plus, car  nous n’avons pas le pouvoir de dissoudre des dettes volontairement contractĂ©es.  Si donc la mort purge, elle le fait Ă  cause de l’acte volontaire concomitant. Or, nous parlons ici de ceux qui meurent sans aucun acte de ce genre.  De plus, nous voyons souvent d’excellents hommesconnaĂźtre des morts extrĂȘmement douloureuses, et de beaucoup moins bons neconnaĂźtre que des morts douces.  Or, si c’est par la mort que devaient ĂȘtre purgĂ©s les restes des pĂ©chĂ©s, c’est le contraire qui devrait exister.

   Le troisiĂšme.  Je prouve. Il n’y en pas beaucoup qui tolĂšrent la mort avec Ă©quanimitĂ©, Ă  cause de leurs pĂ©chĂ©s.  Cette patience, sans aucun doute, aide Ă  la satisfaction. Mais cette satisfaction sera-t-elle Ă©quivalente Ă  la dette contractĂ©e par le pĂ©chĂ© ? Personne ne peut le savoir avec certitude.

     En plus de celle des horreurs de la mort, il y a l’opinion de Dominique a Soto (sentence 4, sit 19, q 3, aer 2).  Personne ne demeure dans le purgatoire plus que dix ans.  Et la raison en est que, puisque sur cette terre, on peut s’acquitter de n’importe laquelle dette en peu de temps,  pourquoi ne pourrait-on pas le faire plus rapidement encore dans le purgatoire, puisque les peines y sont beaucoup plus intenses et pĂ©nibles.   De plus, sur cette terre, les souffrances pĂ©nales se succĂšdent l’une aprĂšs l’autre, car, on ne pourrait pas les souffrir toutes ensemble sans  entraĂźner la destruction de la personne.  Mais, au purgatoire, elles peuvent ĂȘtre d’une trĂšs grande intensitĂ©, car le sujet est incorruptible.  Il est donc vraisemblable que ces Ăąmes qui aspirent Ă  la gloire soient purgĂ©es en peu de temps par des peines extrĂȘmes.

    Je dis au premier. Ici, c’est le temps de la misĂ©ricorde, lĂ -bas, celui de la justice.   Au second, je dis que Dieu peut compenser la longueur par l’intensitĂ©, mais qu’il ne le veut pas.  Car, autrement, il s’ensuivrait que les Ăąmes ne demeureraient dans le purgatoire qu’une heure, car Dieu peut, en intensifiant les peines, rĂ©duire les peines de dix ans Ă  un an. De plus, rĂ©pugnent Ă  cette opinion  les visions approuvĂ©es des saints.  Car, BĂšde le vĂ©nĂ©rable Ă©crit (livre 5, chapitre 13 de son histoire) que les peines du purgatoire ont Ă©tĂ© montrĂ©es Ă  quelqu’un, et qu’on lui a dit que des Ăąmes du purgatoire ne seront pas  sauvĂ©es avant le  jour du jugement Ă  moins qu’elles ne soient aidĂ©es par les priĂšres et les aumĂŽnes des vivants, et surtout par le saint sacrifice de l’autel.  Il indique lĂ  que certaines Ăąmes demeureront dans le purgatoire jusqu’au jour du jugement.  On peut prĂ©senter un grand nombre de visions de cette sorte, celles de Denys le chartreux, et d’autres.

       La coutume de l’Église s’y oppose aussi, car elle cĂ©lĂšbre les anniversaires de la mort des dĂ©funts mĂȘme cents ans ou deux cents ans aprĂšs leur mort.  Ce que l’Église ne ferait certes pas si elle croyait que les Ăąmes ne demeurent pas dans le purgatoire plus de dix ans.  La chose est donc incertaine, et on ne pourrait la dĂ©finir sans tĂ©mĂ©ritĂ©.

CHAPITRE 10

                                  Quelle est la peine du purgatoire ?

     Sur la peine du purgatoire, il y a des choses qui sont certaines, et il n’y en a d’autres qui sont douteuses.   D’abord, il est certain que les peines du purgatoire ne sont pas le dĂ©sespoir et la peur de la gĂ©henne, comme l’avait pensĂ© Luther, quand il croyait encore au purgatoire.  Car, cela a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© rĂ©futĂ©. Ensuite, il est certain qu’une des peines du purgatoire est la privation de la vision de Dieu,  Car ces  Ăąmes ne peuvent  pas ne pas se dĂ©soler en comprenant que c’est Ă  cause de leurs fautes qu’elles sont privĂ©es de la vision de Dieu.  Et cela s’appelle la peine du dam.  Il est certain, en troisiĂšme lieu, qu’à cette peine s’ajoute aussi une autre peine que les thĂ©ologiensappellent la peine du sens.  Elle consiste dans une souffrance qui provient d’une autre source que la privation de la vision de Dieu.  Comme celui qui pĂšche se dĂ©tourne du souverain bien, et se tourne d’une façon dĂ©sordonnĂ©e vers les crĂ©atures, il doit par la suite ĂȘtre puni non seulement par l’absence du bien infini, mais aussi par une souffrance qui lui a infligĂ©e par un objet créé.  Il  est certain, en quatriĂšme lieu, que, dans le purgatoire, comme dans l’enfer, il y a la peine du feu, qu’on entende ce feu au sens rĂ©el ou mĂ©taphorique, et soit qu’il signifie la peine du dam ou du sens, comme le veulent certains.   Qu’il y ait un feu dans le purgatoire comme dans l’enfer, c’est saint Paul qui nous l’enseigne ( 1 Corinthiens 3) : « Il sera sauvĂ© comme par le feu. »  Et JĂ©sus en Matthieu 25 : «  Allez au feu Ă©ternel ! »  Ainsi que les pĂšres citĂ©s dans le premier livre, qui donnaient tous le nom de feu Ă  la peine du purgatoire.

      VoilĂ  quelles sont les choses certaines, qui font l’unanimitĂ© chez les docteurs.  Voici maintenant quelques-unes des choses douteuses.  Ce feu est-il un feu rĂ©el ou mĂ©taphorique ?  S’il est un feu rĂ©el, comment peut-il affecter les Ăąmes sĂ©parĂ©es de leurs corps ?  Par qui sont administrĂ©es ces peines ?  Par les dĂ©mons,  par les bons anges, ou bien par elles-mĂȘmes ?  Ces peines sont-elles plus grandes que toutes les peines de cette vie ?

CHAPITRE 11

                                 Le feu du purgatoire est corporel

La sentence commune des thĂ©ologiens est que c’est un feu vĂ©ritable et rĂ©el, et de la mĂȘme espĂšce que le nĂŽtre.  Mais cette sentence n’est pas de foi, car l’Église n’a jamais rien dĂ©fini de tel.  Et dans le concile de Florence,  les Grecs ayant  fait publiquement profession de ne pas admettre de feu dans le purgatoire, on dĂ©clare, dans la dĂ©finition donnĂ©e lors de la derniĂšre session,  qu’il y a un purgatoire,   mais sans faire aucune mention d’un feu.  C’est tout de mĂȘme la sentence la plus probable.

D’abord, Ă  cause du consensus des scolastiques, qu’on ne peut mĂ©priser sans tĂ©mĂ©ritĂ©.  Ensuite, Ă  cause de l’autoritĂ© de saint  GrĂ©goire le grand (livre 1, chapitre 29 des dialogues), oĂč il soutient que le feu qui punit les Ăąmes est corporel.   Il importe peu que,  (au livre 15, chapitre 14 de la morale) il ait dit que le feu de la gĂ©henne Ă©tait incorporel, car c’est quelque chose qui est du Ă  une faute des copistes (qui mirent incorporel au lieu de corporel), puisque tout de suite aprĂšs il dit que le feu brule corporellement.  TroisiĂšmement, Ă  cause d’Augustin,  qui prĂŽne cette sentence dans le chapitre du livre 21 de la citĂ© de Dieu.

QuatriĂšmement.  Parce que, dans l’Écriture, on appelle souvent  la peine des impies le feu, et que la rĂšgle thĂ©ologiens veut que l’on entende l’Écriture au sens propre, quand il n’en rĂ©sulte aucune absurditĂ©.  CinquiĂšmement, parce que les corps des damnĂ©s seront punis dans le feu aprĂšs la rĂ©surrection, comme il appert de Matth 25 : « Allez au feu Ă©ternel! »  Or, si  les corps ne peuvent bruler que d’un feu corporel, le  feu des corps des damnĂ©s, et le feu des esprits sĂ©parĂ©s de leurs corps  est le mĂȘme.   Car, on dit au mĂȘme endroit : « Qui a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©  pour le diable et ses anges. »  SixiĂšmement.   Parce qu’il est dit Ă  Sagesse 11 : « L’homme est torturĂ© par les choses avec lesquelles il a pĂ©chĂ©. »  Or, les hommes pĂšchent souvent en convoitant des plaisirs sensibles d’une façon dĂ©sordonnĂ©e.  Ils doivent donc ĂȘtre punis par des objets sensibles.  Le feu qui les punit doit donc ĂȘtre sensible.  SeptiĂšmement. Cela est confirmĂ© par les Ă©ruptions  volcaniques de l’Etna et d’autres montagnes, dont nous avons parlĂ© au chapitre 6.

CHAPITRE 12

On ne peut pas savoir comment un feu corporelbrûle une ùme spirituelle

La sentence la plus vraie est qu’on ne peut pas savoir, pendant cette vie, comment un feu corporel puisse agir sur une Ăąme incorporelle.  Durand le confesse ingĂ©nument, ( 4 dist 44, derniĂšre question), et avant Durand saint Augustin (livre 21 chapitre 10 de la citĂ© de Dieu) oĂč il dit que les Ăąmes sont tourmentĂ©es par le feu d’une façon vĂ©ritable, mais mystĂ©rieuse.  Et saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 29 de ses dialogues), il dit que, d’un feu visible,  les Ăąmes tirent une punition invisible.  Il dit que la peine est invisible parce qu’elle est pour nous occulte et inconnue.

Mais mĂȘme si nous ne savons pas comment cela se fait, nous comprenons quand mĂȘme que ça peut se faire.  Nous voyons en effet que l’ñme incorporelle est unie Ă  un corps humain,  et lui donne  vie, qu’elle se rĂ©jouit et souffre avec lui, bien que le mode de cette union soit ineffable.  Car, qui comprend comment l’ñme peut ĂȘtre la forme d’un corps, alors qu’entre le corps et l’ñme, il n’y a absolument rien de commun.  Donc, comme l’esprit a pu s’unir Ă  la chair, pour lui communiquer la vie, il a pu s’unir au feu,  pour apporter par lui la souffrance au corps, mĂȘme si le mode de ces deux unions nous est tout Ă  fait inconnu.

CHAPITRE 13

           Dans le purgatoire, les Ăąmes sont-elles torturĂ©es par les dĂ©mons ?

Au sujet de ce troisiĂšme doute, l’incertitude rĂšgne.   Car, qu’elles ne soient torturĂ©es ni par les dĂ©mons, ni par les anges mais par le seul feu, c’est ce qu’enseignent les scolastiques, Ă  la suite de saint Thomas (4, dist 20, art 5), et la raison qu’ils en donnent c’est que toutes les Ăąmes du purgatoire ont triomphĂ© du dĂ©mon dans le dernier combat.  Il ne convient donc pas Ă  la justice divine que les Ăąmes soient vexĂ©es par un ennemi qu’elles ont vaincu.  De plus, ici, sur cette terre, les dĂ©mons vexent les saints, parce qu’ils croient pouvoir les entrainer au pĂ©chĂ©.  Or, ils savent que les Ăąmes du purgatoire sont confirmĂ©es dans le bien, qu’elles ne peuvent pas tomber, et que cette vexation ne ferait que rendre la purification plus rapide.  Il n’est donc pas crĂ©dible que les dĂ©mons torturent les Ăąmes du purgatoire.  Mais d’un autre cĂŽtĂ©,  que les Ăąmes du purgatoire soient vexĂ©es par les dĂ©mons un grand nombre de rĂ©vĂ©lations l’enseignent, comme celle de Fursy d’aprĂšs BĂšde (livre 3, chapitre 19 de son histoire), et d’aprĂšs Denys le Chartreux, (livre sur les quatre derniĂšres choses, et dans le livre 1, chapitre 10 de la vie de sain Bernard).  Ces choses sont  donc maintenant pour nous des secrets qui ne pourront s’ouvrir que plus tard.

CHAPITRE 14

                                              La gravitĂ© des peines

Les pĂšres enseignent constamment que les peines du purgatoire sont d’une grande atrocitĂ©, et qu’aucune peine terrestre ne peut leur ĂȘtre comparĂ©e.  Saint Augustin (psaume 37) : « MĂȘme si nous serons sauvĂ©s par le feu, ce feu sera plus insupportable que tout ce que nous pouvons supporter sur la terre. »  Saint GrĂ©goire (psaume pĂ©nitentiel 3) : « Ce feu transitoire sera plus intolĂ©rable que toutes les tribulations prĂ©sentes. »  BĂšde dit (dans le mĂȘme  psaume) : « Les supplices des martyrs ou des larrons ne sont rien en comparaison des peines du purgatoire. »  Saint Anselme (1 Corinthiens 3) et saint Bernard (sermon sur la mort d’Humbert) enseignent la mĂȘme chose.

C’est ce que prouvent aussi toutes les rĂ©vĂ©lations que l’on trouve dans l’histoire de BĂšde (livres 3 et 5) et dans les livres de sainte Brigitte, de Denys le Chartreux, et dans la vie de Christine.  C’est ce que prouve aussi la raison, au moins pour la peine du sens.  Car, tant pour la douleur que pour la joie, trois choses concourent : la puissance, l’objet, et l’union de l’une avec l’autre.  Quand Ă  la puissance, sans comparaison aucune, la douleur d’une puissance rationnelle est plus grande que celle d’une puissance animale.  Car, quant Ă  l’apprĂ©hension, l’intelligence est comme une source, et le sens, comme un ruisseau.  Quant Ă  l’appĂ©tit, la volontĂ© est comme une source, et l’appĂ©tit infĂ©rieur comme un ruisseau.  Quand donc l’ñme toute nue est tourmentĂ©e immĂ©diatement, la douleur ressentie par le patient doit ĂȘtre la plus grande de toutes.   Car, sur la terre, ce n’est pas tant l’ñme que le corps qui est tourmentĂ©, et c’est par le corps qu’une certaine douleur se rend jusqu’à l’ñme.  Quant Ă  l’objet, s’il y a lĂ -bas un vrai feu,  il sera extrĂȘmement chaud, puisqu’il n’a Ă©tĂ© créé que pour une seule chose, servir d’instrument Ă  la justice divine.  S’il n’existe pas de vrai feu, ce sera quelque chose de beaucoup  plus horrible que tout ce que Dieu peut prĂ©parer,  puisque que c’est par lui qu’il veut montrer sa puissance.  Quant Ă  l’union de l’une avec l’autre, elle serait trĂšs grande. Car, lĂ  oĂč sont les choses corporelles, l’union ne se fait que par les extrĂ©mitĂ©s et les surfaces.  Mais, dans le purgatoire la peine pĂ©nĂštrera au cƓur de l’ñme.

Bien que tous admettent que les peines du purgatoire seront beaucoup plus grandes que celles de la terre, il y a des doutes sur la façon de le comprendre.   Saint Thomas (4 dist 20, question 1, article 2) enseigne deux choses.  La premiĂšre.  La peine du dam est la plus grande de toutes les peines qui existent tant dans le purgatoire que dans cette vie.  La deuxiĂšme.   Il affirme que la plus petite peine du purgatoire est plus grande que la plus grande peine de cette vie.  Il prouve la premiĂšre ainsi.   Comme la possession d’un bien dĂ©sirĂ© engendre de la joie, de la mĂȘme façon, l’absence d’un bien dĂ©sirĂ© engendre la souffrance.  Or, le bien que les Ăąmes du purgatoire dĂ©sirent est le plus grand qui existe, car elles comprennent plus clairement quel grand bien c’est de voir Dieu.  Et l’appĂ©tit naturel,  qu’excite et amplifie la charitĂ© infuse, devient extrĂȘmement ardent, et n’est empĂȘchĂ© en rien par la masse corporelle et les dĂ©lectations sensibles.  Donnons des exemples tirĂ©s de cette vie.  Quelqu’un qui souffre atrocement  de la faim ou de la soif,  voit devant une table remplie de mets dĂ©licieux et du vin le plus doux, sans pouvoir les atteindre, tout en sachant que cette table a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©e pour lui.

Il prouve ainsi le deuxiĂšme.   Tous ceux qui sĂ©journent dans le purgatoire sont torturĂ©s au moins par cette peine du dam, qui est la plus grande de toutes.  Donc la plus petite peine du purgatoire est plus grande que la plus grande de cette terre.

Saint  Bonaventure, Ă  l’inverse,  (4 dst 20, art 1,  question 2) enseigne que la peine du dam dans le purgatoire n’est pas plus grande que toutes les peines qui se trouvent au purgatoire ou sur cette terre.  Il enseigne ensuite que les peines du purgatoire sont plus grandes que celles de cette vie, en ce sens seulement que la plus grande peine du purgatoire est plus grande que la plus grande peine de cette vie.  Cette sentence me plait.   Car, bien que l’absence du bien suprĂȘme engendre, par lui-mĂȘme, dans l’amant une tristesse suprĂȘme, cette tristesse est mitigĂ©e dans le purgatoire, et enlevĂ©e en grande partie par la certitude d’acquĂ©rir un jour ce bien.  Car cette espĂ©rance assurĂ©e apporte une joie incroyable, et plus la fin de cet exil approche,  plus grande aussi doit ĂȘtre  l’augmentation de cette joie.  VoilĂ  pourquoi ce n’est qu’en enfer que la peine du dam est la peine suprĂȘme, parce qu’elle est nourrie par le dĂ©sespoir, par la certitude qu’il n’y plus rien Ă  espĂ©rer.

C’est de cela que parle saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 24 sur Matthieu).  Il dit que mille gĂ©hennes ne sont rien  si on les compare Ă  la perte de la vue de Dieu.  Et saint Augustin (enchiridium, chapitre 112) : « la plus petite peine des damnĂ©s,  du fait qu’elle est Ă©ternelle, est plus grande que toutes les peines de cette terre. »  Mais, tu diras : les damnĂ©s n’aiment pas Dieu.  Ils ne dĂ©sirent donc pas le voir.   Je rĂ©ponds qu’ils n’aiment pas Dieu pour Dieu, mais que, pour eux-mĂȘmes, ils sont forcĂ©s d’aimer ardemment sa vue, car ils comprennent que c’est dans la vision de Dieu que se trouve le bien suprĂȘme.

On confirme cet argument.   Si la peine du dam Ă©tait la peine la plus grave dans le purgatoire, il s’ensuivrait que les pĂšres auraient souffert, dans les limbes, la plus grande des peines.  Ce qui est faux, comme on le voit dans Luc 16.  Abraham dit au mauvais riche au sujet de Lazare : « Tu es tourmentĂ©, lui est consolĂ©. »   Et saint Augustin (Ă©pitre 59) nie que l’on puisse appliquer aux saints pĂšres ce texte des Actes 2 : « les douleurs de l’enfer ayant Ă©tĂ© Ă©liminĂ©es », car le Christ ne les a pas trouvĂ©s dans les douleurs, mais dans le repos.  Et saint GrĂ©goire (livre 13, chapitre 22 de la morale), affirme que les pĂšres qui sĂ©journaient dans les limbes ne connurent aucune souffrance, mais seulement le repos.

On confirme le deuxiĂšme.  Parce que, quand  saint Augustin, saint GrĂ©goire, saint BĂšde, saint Anselme et saint Bernard disent que la peine du purgatoire est plus grande que toutes les peines de la terre, ils parlent clairement de la peine du feu, par laquelle ils entendent toutes les peines du sens, et non du dam.  On prouve ainsi l’autre parole de saint Bonaventure.  Il appert de certaines rĂ©vĂ©lations que la peine de certains est si lĂ©gĂšre qu’ils ne semblent pas souffrir du tout.  Ceux qui sont revĂȘtus de robes blanches sont aperçus dans des lieux amĂšnes et lumineux. (BĂšde, livre 5, chapitre 13 de son histoire.)

On le prouve en second lieu ainsi.  Il peut arriver qu’un mort n’apporte avec lui aucune autre dette qu’une parole inutile.  Or, il est incroyable que, pour une seule parole oiseuse, quelqu’un doive subir des supplices plus grands que tous ceux qui sont sur la terre.  TroisiĂšmement.  Une question se pose : les peines du purgatoire ont-elles toujours la mĂȘme intensitĂ© du dĂ©but jusqu’à la fin ?  Est-ce qu’elles diminuent au fur et Ă  mesure ?  Il est plus probable qu’elles diminuent progressivement.  Et il suit de cela que toutes les peines du purgatoire ne sont pas toutes plus grandes que les plus grandes peines de la terre.  Car la peine du purgatoire qui est proche de la fin,  doit ĂȘtre remise de façon Ă  ne plus jamais avoir Ă  l’ĂȘtre.  Or les peines qui peuvent ĂȘtre remises souvent sont peut-ĂȘtre plus intenses.

Que la peine du purgatoire est remise petit Ă  petit, on le prouve ainsi.  Saint Bernard, dit, dans la vie de saint Malachie, que, pendant que le saint priait pour sa sƓur dĂ©funte, elle est apparue trois fois.  D’abord, dans un vĂȘtement noir, et en dehors de l’église.  Dans un vĂȘtement colorĂ© et dans la lumiĂšre de l’église. Enfin, dans une robe blanche, Ă  l’autel avec les autres saints.   Ce qui lui a fait comprendre que les peines de sa sƓur lui avaient Ă©tĂ© remises, et qu’elle Ă©tait parvenue Ă  la fin de sa purgation.  On pourrait rapporter beaucoup d’exemples de ce genre.

CHAPITRE 15

                     Les suffrages de l’Église sont profitables aux dĂ©funts

Nous avons quatre explications Ă  donner sur les suffrages des dĂ©funts.  La premiĂšre. Ces suffrages des vivants profitent-ils aux dĂ©funts ?  La deuxiĂšme. Quels sont les genres de suffrages ?  La troisiĂšme.  Par qui peuvent-ils ĂȘtre faits ?  La quatriĂšme.  À qui profitent-ils ?

La premiĂšre.  Les hĂ©rĂ©tiques de notre temps, et les anciens que nous avons citĂ©s au dĂ©but de cette dispute, nient que les suffrages des vivants  profitent aux dĂ©funts. Qu’ils profitent vĂ©ritablement, on peut le prouver par l’Écriture, les conciles, les pĂšres, et les apparitions des Ăąmes.   La raison pour laquelle c’est ici qu’on traite  cette question c’est qu’elle prĂ©supposait l’existence du purgatoire, laquelle n’avait pas encore Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e.

Voici le raisonnement de Pierre le vĂ©nĂ©rable (dans son Ă©pitre contre les petrobrusiens).  L’Église entiĂšre est un seul corps, dont le Christ est la tĂȘte.  Elle doit donc avoir une communication autant de la tĂȘte avec les membres, que des membres entre eux.  Car, comme le dit saint Paul (1 Corinth 12),  les membres se soucient les uns des autres, et les autres membres compatissent Ă  ce que souffre un membre.  Or, les justes dĂ©funts sont les membres de ce corps, car ils sont reliĂ©s avec nous et avec Dieu dans la foi, l’espĂ©rance et la charitĂ©.  VoilĂ  pourquoi saint Augustin (livre 20, chapitre 9), Ă©crit : « Les Ăąmes des dĂ©funts ne sont pas non plus sĂ©parĂ©es de l’Église, qui est le royaume de Christ. »  Les vivants peuvent et doivent donc aimer les dĂ©funts, en tant que membres de ce corps.

De plus, le Christ qui est la tĂȘte, fut, quant il vĂ©cut sur la terre utile aux vivants de la terre, et aux morts quand il fut mort.  Il aida les morts quand il vĂ©cut sur la terre, et il aida les vivants quand il mourut. Il convient donc que les membres agissent aussi entre eux, pour que les justes vivants soient profitables aux morts, les morts aux morts, les vivants aux morts, et les morts aux vivants.  Que le Christ vivant a Ă©tĂ© utile aux vivants, on le voit quand, par exemple, il a remis les pĂ©chĂ©s de Marie de Madeleine (Luc 7), du paralytique,(Matthieu 9), de ZacchĂ©e (Luc 19), de Pierre (Luc 22), du bon larron (Luc 23), sans compter toutes les guĂ©risons corporelles qu’il opĂ©ra.  Qu’il ait aidĂ© les morts aprĂšs sa mort, sa descente aux enfers nous le montre, car il dĂ©livra plusieurs des douleurs de l’enfer (Actes 2).  Il ouvrit aussi les sĂ©pulcres, et ressuscita plusieurs corps des saints, (Matth 27).  Qu’il ait aidĂ© les morts quand il Ă©tait encore vivant sur cette terre, les rĂ©surrections de la fille de JaĂŻre, du fils de la veuve et de Lazare nous le montrent (Matt 9, Luc 7, Jean 11.)   Qu’il ait secouru les vivants aprĂšs sa mort, la chose est Ă©vidente, parce que, par sa mort, il nous a mĂ©ritĂ© la vie Ă©ternelle, et parce que, au ciel, il intercĂšde toujours pour nous, et agit comme notre avocat (HĂ©breux 7, 1 Jean 2.)

On le prouve par un troisiĂšme et un dernier. Puisque parmi les quatre membres de la division, trois sont certainement manifestes, le quatriĂšme doit donc aussi  avoir sa place.  Car, que les vivants soient aidĂ©s par les vivants, nul ne le nie, puisque nous voyons que certains sont nourris par d’autres,  de la parole et des sacrements.  Et Jacques dit (chapitre 5) : « Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvĂ©s. »  Que les morts aident les morts, la chose est Ă©vidente, elle aussi, car ÉlisĂ©e mort a ressuscitĂ© un mort (4 Rois 14), et Abraham mort a reçu dans son sein Lazare mort. (Luc 16).  Et personne ne doit douter que les Ăąmes des saints dĂ©funts rĂ©gnant avec le Christ ne prient pour les Ăąmes des saints qui peinent dans le purgatoire.

Et c’est avec une grande tĂ©mĂ©ritĂ© que Dominique a Soto (livre 4, sentence dist 45, question 3, art 2) affirme le contraire.  Car, en plus de Pierre le vĂ©nĂ©rable, au lieu citĂ©, saint Augustin (chapitre 4 de son livre sur le soin des morts), dit qu’une sĂ©pulture dans les basiliques des martyrs est profitable aux morts, pour qu’on se souvienne en mĂȘme temps du martyr et des morts, et qu’on recommande Ă  Dieu, par des priĂšres, l’ñme du dĂ©funt.  Et toute l’église, dans cette priĂšre  «  Dieu qui pardonnes la faute », supplie Dieu pour que, par l’intercession de la bienheureuse vierge Marie et de tous les saints, il accorde aux Ăąmes des dĂ©funts de parvenir Ă  la joie de la bĂ©atitude.

Que les morts profitent aux vivants, nous le lisons dans 2 MacchabĂ©es 15.  On nous dit lĂ  qu’on a vu  Onias et JĂ©rĂ©mie dĂ©jĂ  morts prier pour le peuple des vivants de JĂ©rusalem.  De plus, les bienfaits accordĂ©s aux vivants par les saints dĂ©funts sont nombreux et surs.  Voir saint Augustin (livre 22, chapitre 8 de la citĂ© de Dieu, et Theodoret (dans son livre sur la martyrs.)  Il n’est pas incroyable que les Ăąmes du purgatoire prient elles aussi pour nous, puisque les Ăąmes de Paschase et de SĂ©verin opĂ©raient des miracles, tout en Ă©tant dans  le purgatoire.  (GrĂ©goire, livre 4, chapitre 40 des dialogues, et Pierre Damien dans l’épitre des miracles de son temps. »

Et mĂȘme si saint Thomas enseigne le contraire (2 2 question 83, art 11, ad 3), la raison qu’il donne n’est pas tout Ă  fait convaincante.  Car, si les Ăąmes ne prient pas pour nous c’est soit parce qu’elles ne voient pas Dieu,  ou soit parce qu’elles sont dans de grands tourments, ou soit parce qu’elles nous sont infĂ©rieures.  Mais rien de tout cela ne peut ĂȘtre dit.  La premiĂšre hypothĂšse.  Dans l’ancien testament, les saints dĂ©funts priaient pour les vivants, mĂȘme si aucun d’eux n’avait vu Dieu. (2 MacchabĂ©es).  La deuxiĂšme hypothĂšse ne vaut pas non plus parce que le riche, dans l’enfer, priait pour ses frĂšres, alors qu’il souffrait de plus grands tourments que les Ăąmes du purgatoire.  De plus, les martyrs qui Ă©taient  torturĂ©s dans ce monde priaient pour eux et pour les autres, comme l’a fait saint Étienne (actes 7).  Ensuite, dans les Ăąmes, la douleur ne perturbe pas le jugement de la raison, ni n’empĂȘche l’affection de la bonne volontĂ©.  Car ces effets nous adviennent par l’action des organes corporels, qu’ils ne possĂšdent plus. Il n’y a donc pas de raison de douter qu’elles prient pour eux malgrĂ© tous les tourments qu’elles endurent.

Pas non plus la troisiĂšme, car, en ce monde, nous prions pour les Ă©vĂȘques et les papes qui nous sont supĂ©rieurs, et nous prions mĂȘme pour ceux que nous savons ĂȘtre plus saints que nous, comme les chrĂ©tiens priaient pour l’apĂŽtre Paul, qui demandait ces priĂšres (Romains 15, et ailleurs).   De plus, les Ăąmes du purgatoire, mĂȘme si elles nous sont infĂ©rieures en raison des peines qu’elles subissent, peuvent fort bien ĂȘtre supĂ©rieures en raison de la grĂące et de la charitĂ©, dans laquelle elles sont dĂ©jĂ  confirmĂ©es.   La priĂšre qui procĂšde de la charitĂ© requiert cette supĂ©rioritĂ©, si elle en requiert une.  Il est donc probable qu’elles prient pour nous.

Mais, mĂȘme si tout cela est vrai, il semble cependant excessif de s’attendre Ă  ce qu’elles prient constamment pour nos.  Car, elles ne peuvent pas toujours savoir ce que nous faisons dans le dĂ©tail, mĂȘme si elles savent, en gĂ©nĂ©ral, que nous Ă©prouvons de grandes difficultĂ©s.  Car, elles ne sont pas prĂ©sentes Ă  nos pensĂ©es et Ă  nos actions, comme le prouve saint Augustin (chapitre 13 du livre sur le soin des morts); elles ne voient pas non plus nos priĂšres en Dieu, puisqu’elles ne sont pas bienheureuses.   Et il n’est pas vraisemblable que leur soit rĂ©vĂ©lĂ©  tout ce que nous faisons ou demandons quotidiennement.   Si donc les vivants sont profitables aux vivants, les morts aux morts, les morts aux vivants, pourquoi les vivants ne le seraient-ils pas aux morts ?

Il ne reste plus qu’à solutionner les arguments qui s’ajoutent Ă  ceux que nous avons solutionnĂ©s dans la premiĂšre et la seconde question.  Argument premier : Eccles 9 : « Les vivants savent qu’ils vont mourir; les morts ne connaissent rien d’autre, ni n’ont aucun espoir de rĂ©compense, ni une part dans le travail de ce siĂšcle qui s’opĂšre sous le soleil. »  Je rĂ©ponds que le sage parle des biens de cette vie, et il veut dire que les morts ne savent pas ce que l’on fera des biens qu’ils ont laissĂ©s,  et qu’il ne leur sera bientĂŽt plus possible de faire aucune action, comme manger, boire, faire l’aumĂŽne.  Il s’ensuit donc : « Va donc, et mange dans la joie. »  On ne peut cependant pas conclure de lĂ  qu’ils peuvent ĂȘtre aidĂ©s par nous.

DeuxiĂšmement.  Calvin nous objecte la prĂ©face de l’institution d’Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Abraham) : « Nous enseignons qu’il ne faut pas nous soucier des morts plus longtemps qu’il ne convient, mais seulement songer Ă  leur apporter ce qui suffit  pour l’accomplissement de nos devoirs envers eux. »  « Ils n’agissent pas ainsi, dit Calvin, ceux qui pensent continuellement aux morts. »  Je rĂ©ponds que saint Ambroise parle des pleurs et de la pompe des funĂ©railles, qu’il a raison de vouloir modĂ©rer.  Qu’il ne prohibe pas le souci de prier pour les morts le montre sa priĂšre lors du dĂ©cĂšs de Valentinien junior. Car, Ă  la fin, parlant  aux morts Gratien et Valentinien, il dit : «  Vous ĂȘtes bienheureux tous les deux !   Si mes priĂšres ont quelque effet, aucun jour ne s’écoulera en silence, aucune nuit ne passera sans mes priĂšres, je penserai Ă  vous dans toutes mes oraisons et  toutes mes oblations. »

TroisiĂšmement.  Ils nous opposent saint JĂ©rĂŽme (commentaire du chapitre 6 aux Galates : chacun portera son fardeau) : « On nous enseigne un nouveau dogme latent par cette petit sentence.  Tant que nous sommes dans le siĂšcle prĂ©sent, nous pouvons nous aider les uns les autres par des priĂšres ou des conseils.  Mais, quand nous viendrons devant le tribunal du Christ, ni Job, ni Daniel, ni NoĂ© ne pourront prier pour nous, mais chacun portera son fardeau. »  Cette sentence de JĂ©rĂŽme semble approuvĂ©e par l’Église, puisqu’elle figure dans le dĂ©cret de Gratien (canon in praesenti, 13, question 2.)

Je rĂ©ponds que saint JĂ©rĂŽme parle de ceux qui  ont commis des pĂ©chĂ©s mortels et qui sont morts sans faire pĂ©nitence, comme Gratien l’a mis en note.  On peut dire aussi que saint JĂ©rĂŽme parle du dernier jugement, quand le purgatoire cessant, cesseront aussi les suffrages, et que seule restera l’exĂ©cution de la sentence dĂ©finitive du Juge.  Que c’est de cette façon qu’on doive entendre ce passage de saint JĂ©rĂŽme, son livre contre Vigilance nous le fait comprendre.  Il reproche lĂ  sĂ©vĂšrement Ă  Vigilance d’avoir dit que nous pouvons prier les uns pour les autres tant que nous vivons sur la terre, mais qu’aprĂšs la mort on ne devait plus attendre de priĂšre de l’un pour l’autre.

QuatriĂšmement.  Ils raisonnent ainsi.  Il vaut mieux satisfaire par soi-mĂȘme plutĂŽt que par un autre.  Car est moins bĂ©ni celui qui satisfait par un autre  que par lui-mĂȘme.  Nous ne devons donc pas prier pour les morts  de peur de diminuer leur gloire.

Je rĂ©ponds que dans cette vie, il est prĂ©fĂ©rable de satisfaire par soi-mĂȘme plutĂŽt que par un autre, car, quand nous satisfaisons, nous mĂ©ritons une augmentation de grĂące et de gloire.  Mais, dans le purgatoire, oĂč les Ăąmes ne peuvent plus mĂ©riter, il n’est pas plus avantageux de satisfaire par soi plutĂŽt que par un autre.   CinquiĂšmement.  Nous ne savons pas, disent-ils, oĂč sont nos dĂ©funts, et il arrive souvent que quand nous pensons qu’ils sont dans le purgatoire, ils soient dans l’enfer, ou dans le ciel.  Nous prions donc pour rien.

Saint Augustin rĂ©pond dans le dernier chapitre de son livre sur le soin des morts.  Il est prĂ©fĂ©rable que surabondent les suffrages pour les dĂ©funts qui n’en ont pas besoin, que ne fassent dĂ©faut ces mĂȘmes suffrages  pour ceux qui en ont besoin.  Comme nous faisons du bien aux injustes, en ce monde, pour ne pas laisser de cĂŽtĂ© les justes. Ajoutons qu’une bonne Ɠuvre n’est jamais faite en vain, car elle est mĂ©ritoire pour celui qui la fait, mĂȘme si elle ne sert Ă  rien Ă  celui pour laquelle elle est faite.

SixiĂšmement. La justice de Dieu rend le mal pour le mal, et le bien pour le bien.  Mais, personne ne souffre pour la faute d’un autre, car le pĂšre ne portera pas l’iniquitĂ© du fils (EzĂ©chiel 18).  Personne donc ne peut profiter des biens des autres.

Je rĂ©ponds que personne n’est puni pour la faute de quelqu’un, Ă  moins qu’il ne participe Ă  cette faute, ou qu’il y consente, ou qu’il fasse quelque chose de semblable. C’est de ceux-lĂ  que parle l’Exode 20 : Dieu punit les pĂšres sur les fils jusqu’à la troisiĂšme et la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration.  Ce qui signifie : quand les fils imitent leurs pĂšres, comme l’explique saint JĂ©rĂŽme (18 EzĂ©chiel) et saint Augustin  (psaume 108), saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 29 sur la GenĂšse), et saint GrĂ©goire (livre 25, chapitre 22, morale).  Il n’est donc pas absurde que quelqu’un jouisse des biens d’un autre, si une chose se fait avec la volontĂ© et le consentement de l’un et l’autre, comme dans ce passage.   Or, les Ăąmes du purgatoire dĂ©sirent ĂȘtre aidĂ©es, et nous dĂ©sirons les aider.  De plus, punir quelqu’un Ă  la place d’un autre est une injustice.  Mais accepter les biens de l’un offerts pour un autre est de la misĂ©ricorde et de la libĂ©ralitĂ©.

CHAPITRE 16

                             Quels sont les genres de suffrages ?

Il y a trois genres de suffrages. Le sacrifice de la messe, la priĂšre, et les Ɠuvres pĂ©nitentielles ou satisfaisantes comme l’aumĂŽne, le jeĂ»ne, les pĂšlerinages, et d’autres semblables.  Nous distinguons la priĂšre des Ɠuvres de satisfaction, mĂȘme si elle est elle-mĂȘme satisfaisante, parce que la priĂšre aide les Ăąmes des dĂ©funts  de deux façons.  La premiĂšre.  En tant qu’elle est une Ɠuvre pĂ©nale et laborieuse, et qu’elle peut ĂȘtre comptĂ©e parmi les Ɠuvres de satisfaction.  La deuxiĂšme. En tant qu’elle est  une demande, ce qui est propre Ă   la priĂšre.  C’est pourquoi les priĂšres des bienheureux nous  sont profitables Ă  nous et aux Ăąmes du purgatoire, mĂȘme si elles ne sont pas mĂ©ritoires.

Les dĂ©funts sont aidĂ©s aussi par les indulgences, mais elles ne font pas un quatriĂšme gendre de suffrages, car une indulgence n’est rien d’autre que l’application aux dĂ©funts des suffrages ou des Ɠuvres expiatrices du Christ et des saints.  On dit, en effet,  que les indulgences sont concĂ©dĂ©es aux dĂ©funts par mode de suffrage, non par mode d’absolution.  Car le pontife ne peut pas absoudre les dĂ©funts des peines, comme il absout les vivants, car les dĂ©funts ne sont plus ses sujets.  Mais il peut quand mĂȘme, en tant que dispensateur suprĂȘme du trĂ©sor de l’Église leur communiquer les bonnes Ɠuvres expiatrices qui sont dans le trĂ©sor.  Mais il faudra reparler de cela plus tard.  Voir, entre temps, Cajetan (tome 1 des opuscules, traitĂ© 16, questions 5 et 6. »

Qu’il en soit bien ainsi, le prouvent les tĂ©moignages des pĂšres. Saint Ambroise (sacrifices et priĂšres pour les dĂ©funts, livre 2, Ă©pitre 8 Ă  Faustin sur la mort de sa sƓur) : « Il ne faut pas tant la pleurer que la poursuivre par des priĂšres.  Il ne faut pas la mouiller avec nos larmes, mais, avec nos priĂšres, et recommander son Ăąme Ă  Dieu »  Il parle de l’aumĂŽne (dans le livre 2 sur la mort de son frĂšre Satyre, intitulé : de la foi dans la rĂ©surrection).  Car, il exhorte les parents Ă  transmettre  aux esprits de leurs fils morts, par des aumĂŽnes faites aux pauvres,  la part de l’hĂ©ritage qui leur revenait.  Saint Augustin (sermon 32 sur les paroles de l’apĂŽtre : Ă©crit « il n’est pas douteux que les morts soient aidĂ©s par les priĂšres de la sainte Ă©glise, par le sacrifice salutaire, et par les aumĂŽnes. »

Saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 69 au peuple) : « Ce n’est pas tĂ©mĂ©rairement que ces choses furent sanctionnĂ©es par les apĂŽtres, Ă  savoir, que dans les mystĂšres redoutables on fasse une commĂ©moration des morts,  car ils savaient qu’ils Ă©taient trĂšs profitables aux morts. »  Il dit la mĂȘme chose (dans l’homĂ©lie 41 sur 1 aux Corinthiens) : « Le mort est aidĂ© non par des larmes, mais par des priĂšres et des supplications, et des aumĂŽnes. »  Ajoutons Ă  ces tĂ©moignages celui de l’ange dans BĂšde (livre 5, chapitre 14 de son histoire) : « Les priĂšres des vivants, les aumĂŽnes, les jeĂ»nes, et surtout le saint sacrifice de la messe, aident et libĂšrent un grand nombre d’ñmes, avant le jour du jugement. »

On ne doute ici que d’une seule chose.  La restitution d’un bien appartenant Ă  autrui est-elle profitable aux dĂ©funts ? Si oui, constitue-t-elle un quatriĂšme genre de suffrages ?  Car on dit souvent que les Ăąmes du purgatoire apparaissent pour demander que soient restituĂ©es pour eux certaines choses qu’ils n’ont pas pu restituer ou qu’ils ont nĂ©gligĂ© de  faire, comme dans sainte Brigitte (livre 6, chapitre 66 de ses rĂ©vĂ©lations).  Elle affirme que l’ñme est cruellement tourmentĂ©e tant que n’a pas restituĂ© le bien mal acquis.

Dominique a  Soto soutient le contraire.  (4 dist, 45, question 2, article 3)  Il dit que cette restitution n’aide pas si  et quand elle se fait.  Car Dieu ne punit que les fautes proprement dites commises dans cette vie.  Ou le dĂ©funt a pĂ©chĂ© en ne restituant pas, ou il n’a pas pĂ©chĂ©.  S’il n’a pas pĂ©chĂ© parce qu’il ne pouvait peut-ĂȘtre pas restituer, ou qu’il la possĂ©dait de bonne foi, il n’a pas Ă  ĂȘtre puni pour cela.  S’il a pĂ©chĂ©, il sera puni pour une faute de nĂ©gligence dans le purgatoire.  Mais quand il aura purgĂ© cette peine, il sera libĂ©rĂ©, que la chose ait Ă©tĂ© restituĂ©e ou non.  Car, il est devenu tout Ă  fait incapable de restituer; et son salut ne doit pas dĂ©pendre de la volontĂ© d’un autre.  Autrement, une Ăąme pourrait demeurer dans le purgatoire Ă©ternellement, si les hĂ©ritiers refusaient toujours de restituer.   Car, si la restitution peut se faire et que l’hĂ©ritier ne la fait pas, il pĂšchera certainement.  Mais cela ne nuira pas Ă  l’ñme du dĂ©funt.  S’il restitue, l’ñme du dĂ©funt n’en aura aucun profit, car la restitution n’est pas  une satisfaction pour une faute.  Elle est une bonne Ɠuvre pĂ©nale.  La peine consiste ainsi Ă  donner son bien, non Ă  restituer celui d’autrui.

Aux autres apparitions, je rĂ©ponds.  Les Ăąmes du purgatoire ne demandent peut-ĂȘtre pas la restitution en tant que restitution, mais en tant qu’aumĂŽne.  Car comme l’ñme du dĂ©funt ne tire aucun profit de la restitution faite par quelqu’un qui est tenu de restituer, elle profitera cependant d’une restitution faite par quelqu’un qui n’est pas tenu de le faire.   Et c’est une sorte d’aumĂŽne, qui a une valeur de satisfaction.

CHAPITRE 17

                                  Qui peut aider les Ăąmes ?

Celui qui peut aider les Ăąmes c’est celui qui est juste.  Car, un homme injuste ne peut pas satisfaire pour lui-mĂȘme, encore moins pour les autres.  Mais tu feras l’objection suivante : la messe d’un mauvais prĂȘtre n’est-elle pas profitable aux dĂ©funts ?  Le Seigneur Juste a ordonnĂ© que l’on donne  de ses biens en aumĂŽne pour les dĂ©funts.  Si elles sont donnĂ©es ensuite par un ministre injuste, ces aumĂŽnes ne seront-elles pas profitables ?  Je rĂ©ponds qu’elles sont profitables, mais que, dans ces cas, ce n’est pas le ministre indigne qui offre des suffrages, mais le Seigneur juste.

Tu diras de nouveau. Qu’arrive-t-il quand un prĂ©lat juste ordonne Ă  ses fils spirituels de prier et de jeĂ»ner pour les dĂ©funts, si ses fils sont injustes ?  Paludanus rĂ©pond (4 sent dist 45, question 1) que toutes ces choses sont profitables.  Sotus nie cela (au mĂȘme endroit, article 2, question 2).   Car, quand le serviteur fait l’aumĂŽne avec l’argent de son maitre, cette bonne Ɠuvre appartient proprement au maĂźtre,  non au serviteur, et, en consĂ©quence, la malice du ministre ne vicie pas l’Ɠuvre.  Or quand un sujet prie ou jeĂ»ne, il fait une Ɠuvre qui lui appartient en propre, car c’est par son labeur qu’il fait du bien aux dĂ©funts, non par le labeur de son maĂźtre.  VoilĂ  pourquoi saint JĂ©rĂŽme (dans le livre contre Vigilance) dit qu’il est prĂ©fĂ©rable de faire l’aumĂŽne Ă  un pauvre juste qu’à un pauvre injuste, car quand le premier pauvre priera pour son bienfaiteur il sera exaucĂ©, tandis que l’autre ne le sera pas.

CHAPITRE 18

                                     À qui profitent les suffrages ?

Il est certain que les suffrages de l’Église ne profitent ni aux bienheureux ni aux damnĂ©s, mais seulement Ă  ceux qui sĂ©journent dans le purgatoire.   Car, les premiers n’en ont pas besoin, et les autres ne peuvent pas ĂȘtre aidĂ©s.  C’est ce qu’enseignent tous les scolastiques (4 dist 45), Ă  la suite de saint Augustin qui (dans enchiridion, chapitre 110, et dans le soin des morts chapitre 1) dit que les suffrages pour les trĂšs bons sont des actions de grĂące, pour ceux qui ne sont pas trĂšs mauvais,  des propitiations,  et pour les trĂšs mĂ©chants, inutiles et sans profit, mais des consolations pour les vivants.

Mais apparaissent immĂ©diatement trois difficultĂ©s.  La premiĂšre.  Au sujet des bienheureux. Il semble faux que les bienheureux ne profitent pas des suffrages, car Épiphane (hĂ©rĂ©sie 75),  Cyprien (catĂ©chĂšse 5 mystagogique) et saint Jean Chrysostome (dans sa liturgie) disent qu’un sacrifice est offert Ă  Dieu pour les apĂŽtres, les martyrs et les prophĂštes.  La deuxiĂšme.  Dans les oraisons pour les saints, l’Église lit souvent : « Nous prĂ©sentons, Seigneur, ces saints mystĂšres afin que, comme ils profitent Ă  la gloire des saints, ils nous profitent Ă  nous aussi comme mĂ©decine. »  Et dans les anciens missels, comme l’atteste Innocent 111, au chapitre cum Marthae), on  lisait  : « En dehors de la cĂ©lĂ©bration des messes, en la fĂȘte de saint LĂ©on, on disait : « Accorde, Seigneur, nous te le demandons, que cette oblation profite Ă  saint LĂ©on. »  Et bien que cette priĂšre ait Ă©tĂ© changĂ©e, nous disons quand mĂȘme, le jour de sa fĂȘte, dans l’oraison de la secrĂšte : « Que la solennitĂ© annuelle du saint confesseur et pontife LĂ©on nous rende acceptables Ă  toi, pour que par les devoirs de cette pieuse intercession, nous parvienne la bienheureuse rĂ©tribution, et qu’elle nous rĂ©concilie avec les dons de ta grĂące. »

De plus, saint Jean Chrysostome (dans l’homĂ©lie 33 sur Matthieu) dit, en exhortant Ă   faire des aumĂŽnes pour les fils dĂ©funts : « Tu penses qu’il a Ă©tĂ© polluĂ© par des taches, donne-lui ses biens terrestres, pour que, par eux, il se purifie de ses taches.  Tu penses qu’il est mort dans la justice ?  Fournis-lui tes biens comme un ajout de rĂ©compense et de rĂ©tribution.

Il est facile de rĂ©pondre au premier.  On offre le sacrifice pour les saints, non pour demander quelque chose pour eux, mais pour rendre grĂące Ă  Dieu pour la gloire qu’il leur a octroyĂ©e.  C’est ce que dit saint Augustin : pour les trĂšs bons, ce sont des actions de grĂące.    Innocent rĂ©pond aux autres de deux façons.   La premiĂšre.  Quand l’Église demande de la gloire pour des saints qui possĂšdent dĂ©jĂ  le royaume des cieux, elle ne demande pas pour eux un accroissement de gloire, mais pour que leur gloire croisse en nous, c’est-Ă -dire pour que leur gloire soit connue par tout le monde, pour qu’ils soient de plus en plus glorifiĂ©s.  Il dit, en second lieu, qu’il ne semble pas absurde de demander un accroissement de la gloire accidentelle.   Ajoutons, en troisiĂšme lieu, qu’on demande peut-ĂȘtre la gloire corporelle qu’ils auront au moment de la rĂ©surrection.  Car mĂȘme si cette gloire ils la recevront surement,  car elle est due Ă  leur mĂ©rites, il n’est pas absurde de la demander pour qu’elle soit due pour plusieurs motifs.

Quand saint Augustin dit (sermon 17 sur les paroles de l’apĂŽtre) que prier pour les martyrs serait leur faire injure, il parle de ceux qui prient pour la rĂ©demption des pĂ©chĂ©s des martyrs, ou pour leur gloire essentielle, comme s’ils ne la possĂ©daient pas.

La deuxiĂšme difficultĂ© vient des damnĂ©s. Car Augustin dit (enchiridion, chapitre 110) : « Le profit que procure les suffrages c’est l’obtention de la pleine rĂ©mission des pĂ©chĂ©s, ou d’une damnation plus tolĂ©rable. »  Et au chapitre 112 : « Ils pensent que les peines des damnĂ©s sont mitigĂ©es Ă  certains intervalles, selon leurs dĂ©sirs, pourvu que l’on admette que la colĂšre de Dieu demeure sur eux, c’est-Ă -dire la damnation. » Saint Jean Chrysostome pense la mĂȘme chose (homĂ©lie 3 sur l’épitre aux Philippiens).  AprĂšs avoir dit qu’il faut prier pour les dĂ©funts, il ajoute : « Nous disons cela en vĂ©ritĂ© pour ceux qui dĂ©cĂ©dĂšrent dans la foi. Nous n’estimons pas que les catĂ©chumĂšnes soient dignes de ce genre d’aide.  Ils sont privĂ©s de toute aide, Ă  l’exception d’une seule.  Laquelle ?  Il est permis de donner aux pauvres en leur nom, ce qui leur donne un peu de rafraichissement. »

De plus, saint Jean DamascĂšne, dans l’oraison des dĂ©funts, ne se contente pas de raconter que Trajan et Falconille ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s de l’enfer par les priĂšres de GrĂ©goire et de ThĂšcle, dont nous avons parlĂ© plus haut, mais il ajoute un rĂ©cit tirĂ© de l’histoire de Ruffin Ă  Lausus. Quand Macaire demanda au cadavre d’un idolĂątre, en frappant son crĂąne aride, si les priĂšres des vivants lui venaient en aide, il a rĂ©pondu par son crĂąne : « Quand tu offres des messes pour les morts, nous en ressentons un certain soulagement. »

De plus, Prudence dans son hymne sur la nouvelle lumiĂšre du sabbat pascal, dit : « MĂȘme pour les esprits nuisibles, il y a un adoucissement des peines en cette vigile. »   De mĂȘme, Innocent 111 (chapitre cum Marthae), pose une division quadripartite.  Il dit, en effet, que, parmi les morts ceux qui sont trĂšs bons n’ont pas besoin de suffrages.   Les trĂšs mauvais ne peuvent pas ĂȘtre aidĂ©s.  Les mĂ©diocrement bons profitent des suffrages pour expier.  Les mĂ©diocrement mauvais en bĂ©nĂ©ficient pour la propitiation.  Or, ce dernier membre ne semble convenir qu’aux enfants dans les limbes.  Car, si les trĂšs bons sont dans le ciel, les mauvais dans la gĂ©henne de feu, et les mĂ©diocrement bons dans le purgatoire, oĂč peuvent bien ĂȘtre les mĂ©diocrement mauvais sinon dans les limbes des enfants ?  Les suffrages leur sont profitables, mĂȘme s’ils ne sont pas dans le purgatoire.

Je rĂ©ponds au premier. Par damnation plus tolĂ©rable, saint Augustin entend la mitigation des peines du purgatoire, comme il appert de la prĂ©cĂ©dente division.  Je rĂ©ponds au deuxiĂšme.  Saint Augustin n’a pas en vue ici l’oraison pour les dĂ©funts.  Il dit seulement que ce n’est pas une erreur de concĂ©der que les damnĂ©s sont punis en deçà de ce qui est strictement du.  C’est ce qu’il enseigne plus clairement (livre 21, chapitre 24 de la citĂ© de Dieu).  Au troisiĂšme.   Il semble que saint Jean Chrysostome ne veuille que nier qu’il faille prier publiquement ou offrir un sacrifice pour les catĂ©chumĂšnes, comme d’ailleurs l’a dĂ©fini le concile Brararense 1, can 35.

Au quatriĂšme.  Saint Thomas ( 4 dist 45, art 2, quest 2), aprĂšs avoir rĂ©futĂ© les solutions ineptes de Prepositivus, de Porretanus, et des autres, dit : « Les Ăąmes des damnĂ©s ne perçoivent pas, par les priĂšres des saints, une vĂ©ritable mitigation de leurs peines, mais seulement une joie illusoire et trompeuse, qui leur fait comprendre qu’ils ont des compagnons de bagne, ce qui est la joie des dĂ©mons, avec laquelle ils trompent certains.  Il serait peut-ĂȘtre prĂ©fĂ©rable de rejeter comme faux et apocryphe ce qu’on fait dire Ă  ce crane, car dans le livre de Palade on ne trouve rien de tel, et il n’est pas vraisemblable que Macaire ait priĂ© pour des infidĂšles.

Au cinquiĂšme, tout ce que je puis dire c’est que Prudence a usĂ© d’une licence poĂ©tique.  À la quatriĂšme, qui a coutume de troubler plusieurs, je suppose qu’Innocent 111 a eu un trou de mĂ©moire, et qu’il a fait de la division tripartite de saint Augustin, une division quadripartite.Car, c’est chez Augustin qu’on trouve les expressions : mĂ©diocrement bons et mĂ©diocrement mauvais.  Innocent, lui aussi,  divise ce membre en deux : les mĂ©diocrement bons et les mĂ©diocrement mauvais.  On peut penser que les mĂ©diocrement bons sont ceux qui n’ont plus de faute, mais seulement la culpabilitĂ© de la peine, et que les mĂ©diocrement mauvais sont ceux qui n’ont que la faute vĂ©nielle.

La troisiĂšme difficultĂ© porte sur les Ăąmes du purgatoire.  Car, les thĂ©ologiens s’entendent tous sur deux choses, et ils diffĂ©rent sur une autre.  Ils admettent tous que tous les suffrages profitent Ă  tous, du moins en tant qu’ils apportent une nouvelle joie.  Car c’est une chose propre Ă  toute bonne Ɠuvre que tous les bons s’en rĂ©jouissent, selon le psaume 118 : « Je participe Ă  tous ceux qui te craignent. »  Ils admettent tous   que les suffrages profitent Ă  tous les dĂ©funts, et aussi Ă   toutes les Ăąmes du purgatoire, non seulement en raison de la joie qu’elles apportent, mais aussi de la satisfaction, car il n’y a aucune raison qui permette d’exclure qui que ce soit.

Le dissentiment porte sur les suffrages particuliers.   Car Cajetan (tom1 des opuscules, traitĂ© 16, question 5) enseigne que toutes les Ăąmes peuvent ĂȘtre aidĂ©es par les suffrages communs, mais ne le sont pas.  Mais les suffrages qui sont offerts pour des Ăąmes en particulier ne sont profitables qu’à celles qui ont mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre aidĂ©es par des priĂšres.  Il dit que les Ăąmes qui ont mĂ©ritĂ© cela d’une façon particuliĂšre ce sont les Ăąmes qui ont eu une dĂ©votion spĂ©ciale aux clefs de l’Église, et qui se sont souciĂ©es des Ăąmes du purgatoire.  Et il le prouve en citant saint Augustin (chapitre 1 de son livre sur le soin des morts, et dans l’enchiridion, chapitre 109).

D’autres, cependant, que cite saint Thomas ( 4 dist 15, quest 2, art 4) disaient que les suffrages faits pour une personne  ne sont pas profitables Ă  cette seule personne, mais Ă  toutes les autres Ă©galement, pas plus aux unes qu’aux autres, comme une lampe qui a Ă©tĂ© allumĂ©e pour un maĂźtre Ă©claire pareillement les esclaves qui sont dans la mĂȘme chambre.

Mais la sentence commune se situe au milieu.  Les suffrages particuliers ne profitent qu’à ceux  ou celles pour lesquelles on les offre en tant que satisfaction.  Ce qu’on peut opposer Ă  Cajetan c’est que le fondement de la communication des suffrages n’est pas un mĂ©rite particulier, mais l’état de grĂące.   Quand si saint Augustin dit que seuls en profitent ceux qui ont mĂ©ritĂ© de pouvoir en profiter, ce ne sont pas les Ăąmes du purgatoire qu’il exclut par le mot seuls, mais les damnĂ©s.  Et il est Ă  noter que dans l’enchiridion, il ne dit pas que les suffrages aident ceux qui ont mĂ©ritĂ© d’en profiter, mais qui ont mĂ©ritĂ© qu’ils puissent leur ĂȘtre profitables.  Et quand Cajetan dĂ©clare que toutes les Ăąmes peuvent ĂȘtre aidĂ©es, mais ne le sont pas de fait, il n’a pas pour lui saint Augustin, comme il le pense.   Que ces suffrages particuliers ne valent que pour ceux pour lesquels ils sont faits, c’est Ă©vident.  Car l’application de ce genre de biens dĂ©pend de l’intention de celui qui les applique.  Et on ne doit pas comparer ces suffrages Ă  la lumiĂšre d’une lampe, mais plutĂŽt Ă  de l’argent, que quelqu’un paie pour un autre.  Il faut  aussi se rappeler ce que dit saint Augustin (chapitre 4 du soin des morts).  Il enseigne que l’Église prie pour tous les dĂ©funts en gĂ©nĂ©ral pour que ceux qui n’ont ni parents ni amis qui prient pour eux, et qui sont donc privĂ©s d’aide, reçoivent au moins de l’aide de la mĂšre commune, l’Église.

CHAPITRE 19

                                       Les funĂ©railles

Nous avons parlĂ© jusqu’ici des esprits des dĂ©funts. Il nous faut maintenant traiter de la sĂ©pulture& de leurs corps.  Les hĂ©rĂ©tiques de ce temps ne blĂąment pas la sĂ©pulture. Mais ils rĂ©prouvent plusieurs choses qui s’y rapportent.  La premiĂšre. Que nous ensevelissions dans des lieux sacrĂ©s,  et que nous Ă©rigions pour cela des cimetiĂšres. Certains hĂ©rĂ©tiques de BohĂšme nous reprochent cela (AenĂ©e Sylvius, l’origine des BohĂ©miens, chapitre 35), et ils prĂ©sentent comme argument que lieu de la sĂ©pulture n’est d’aucune utilitĂ©, selon (Luc 12) « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et qui aprĂšs ne peuvent plus rien faire d’autre. »  De mĂȘme (au chapitre sacris,  les sĂ©pultures) on dit que n’apporte aucun inconvĂ©nient aux hommes pieux une sĂ©pulture vile, ou une sĂ©pulture nulle. De mĂȘme saint Augustin (livre 1, chapitre 12 de la citĂ© de Dieu, et le livre sur le soin des morts) dit que la sĂ©pulture et la pompe des funĂ©railles ne sont qu’une consolation pour les vivants, non une aide pour les morts.

Ensuite, ils reprouvent l’usage des cierges car, au concile d’Elibertin, canon 34) il fut statuĂ©  de ne pas allumer de cierges pendant le jour dans les cimetiĂšres, car « on ne doit pas inquiĂ©ter les esprits des dĂ©funts. » Ils rĂ©prouvent ensuite les anniversaires et ce grand nombre de rĂ©pĂ©titions d’obsĂšques (au troisiĂšme, septiĂšme, et trentiĂšme jour), parce que c’est un signe d’un manque de foi que de rĂ©pĂ©ter plusieurs fois les mĂȘmes priĂšres.   Et ensuite parce que saint Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Abraham, et sur le verset 23 de la GenĂšse dit : « Abraham mit fin Ă  son office de fossoyeur » il commente : « On nous enseigne de ne pas nous attarder trop longtemps au service des morts, mais de ne leur apporter que ce qui suffit. » Citant ce texte dans la prĂ©face de ses Institutions, Calvin dit que saint Ambroise blĂąme ceux qui n’en finissent jamais de prier pour les morts.

Ils nous reprochent de considĂ©rer l’ensevelissement comme une Ɠuvre mĂ©ritoire, et agrĂ©able Ă  Dieu, bien qu’il n’ait jamais Ă©tĂ© ordonnĂ© par Dieu. Car, quand Dieu Ă©numĂšre les Ɠuvres de misĂ©ricorde, il n’a pas un mot pour la sĂ©pulture.

En dĂ©pit de toutes les objections, nous maintenons que la sĂ©pulture est une chose bonne et utile, et que tous les rites de l’Église d’ensevelissement des morts sont antiques et saints. Que ce soit une chose bonne et mĂ©ritoire, on le prouve par 2 Rois 2 : « Soyez bĂ©nis par le Seigneur vous qui avez  accompli cet acte misĂ©ricordieux pour votre maĂźtre SaĂŒl, en l’ensevelissant.  Et maintenant le Seigneur vous le rendra. » Tobie 12. Parmi toutes les bonnes Ɠuvres de Tobie, l’ange loue particuliĂšrement son ensevelissement des morts.  Matth 26 : « C’est une bonne Ɠuvre qu’elle a faite pour moi, car c’est pour mon ensevelissement qu’elle a mis son onguent sur moi. »

Que ce soit une chose antique et utile, il est facile de le dĂ©montrer, car tout ce que nous avons conservĂ© dans l’église d’aujourd’hui, a toujours Ă©tĂ© en usage dans l’église universelle. D’abord, on lave les corps des morts, comme cela se faisait autrefois (actes 9, au sujet de Tabitha, et saint GrĂ©goire (livre 3, chapitre 17, livre 4, chapitre 16 et 27 de ses dialogues).  DeuxiĂšmement. Les cadavres sont menĂ©s au sĂ©pulcre avec honneur et par une multitude de participants. C’est ce que nous lisons qu’a Ă©tĂ© fait autrefois (GenĂšse 50 et Luc 7) et dans GrĂ©goire de Naziance (sermon 2 sur Julien), dans la vie de saint Martin de Sulpice SĂ©vĂšre, dans les vies de Fabiola et de Paula Ă©crites par saint JĂ©rĂŽme.

Les corps des dĂ©funts sont ensevelis dans les temples et dans les lieux sacrĂ©s. C’est ainsi que Jacob et Joseph morts dans la terre d’Égypte ont voulu ĂȘtre ensevelis dans la terre promise, lĂ  oĂč devait naĂźtre le Christ, et oĂč devait ĂȘtre Ă©rigĂ© le temple du Seigneur (GenĂšse 49, 50). Ensuite, au temps des chrĂ©tiens, les corps des fidĂšles ont Ă©tĂ© ensevelis dans des temples, comme l’attestent saint Ambroise (livre 1, chapitre 9 sur Abraham), saint JĂ©rĂŽme (vie de Paule et Fabiola), saint GrĂ©goire (livre 3, chapitre 13 des dialogues), saint Augustin (chapitre 1 du livre sur soin des morts).  QuatriĂšmement. Les corps des fidĂšles devaient ĂȘtre ensevelis avec des chants d’hymnes et de psaumes, comme l’attestent saint GrĂ©goire de Naziance (discours 2 sur Julien), saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 1 sur l’épitre aux HĂ©breux), saint JĂ©rĂŽme (dans la vie de Paul l’ermite, et dans les vies de Paul et de Fabiola), Sulpice SĂ©vĂšre (dans la vie de saint Martin, et le plus antique de tous Denys l’arĂ©opagite, (chapitre 7 de la hiĂ©rarchie ecclĂ©siastique).

CinquiĂšmement, aux funĂ©railles des fidĂšles, des lampes et des cierges allumĂ©s Ă©taient utilisĂ©s, comme on le fait encore aujourd’hui. La lettre de saint GrĂ©goire de Nysse Ă  Olympie sur la mort de sa sƓur, saint GrĂ©goire de Naziance et saint Jean Chrysostome, aux lieux citĂ©s, saint JĂ©rĂŽme (dans la vie de Paula) et Theodoret (livre 5 de son histoire, chapitre 36 et autres).  SixiĂšmement, le sacrifice de l’autel leur Ă©tait offert, comme le tĂ©moignent Tertullien (dans la couronne du soldat), saint Cyprien (livre 1, Ă©pitre 9, saint Augustin (livre 9, chapitre 12 des confessions), saint Ambroise (sermon sur la mort de Valentinien et d’autres.)

Ce n’est pas au moment de leur ensevelissement, mais Ă  leur anniversaire qu’on prie et qu’on fait une offrande pour les dĂ©funts, comme il &appert dans Tertullien (livre sur la monogamie) et dans GrĂ©goire de Nazianze (sermon sur son frĂšre CĂ©saire.)

HuitiĂšmement, non seulement au jour anniversaire, mais mĂȘme au troisiĂšme, septiĂšme et trentiĂšme jour, comme on le voit dans le discours d’Ambroise sur la mort de Theodose. ”Et c’est ce qu’on fait encore aujourd’hui.  NeuviĂšmement, on Ă©rige des pierres tombales, comme dans la GenĂšse 35, les actes 2,1 et MacchabĂ©es (13).  DixiĂšmement. On donne des aumĂŽnes aux pauvres, (Chrysostome, homĂ©lie 32 sur Matthieu).

Et quelle est l’utilitĂ© de tout cela ?  Ce n’est pas tout Ă  fait clair. Il faut d’abord rejeter deux erreurs que rejette saint Augustin dans son livre sur le soin des dĂ©funts (au chapitre 2). La premiĂšre.  Les paĂŻens pensaient que la sĂ©pulture Ă©tait nĂ©cessaire pour que les Ăąmes reposent en paix, selon les fables de Virgile (ÉnĂ©ide, 6).La deuxiĂšme. Quelques-uns pensaient qu’il y avait encore quelque sensation dans les corps des morts.

AprĂšs avoir rejetĂ© ces erreurs, nous disons que la sĂ©pulture est utile de plusieurs façons, tant pour les vivants que pour les morts.   Pour les vivants de quatre façons. La premiĂšre  Par la sĂ©pulture, on dĂ©robe Ă  la vue la putrĂ©faction et la dĂ©composition des cadavres qui seraient horribles Ă  supporter.La seconde. Par ce zĂšle envers les morts les vivants testent leur foi dans la rĂ©surrection, car on ne prendrait pas un si grand soin du corps des morts si on n’espĂ©rait pas qu’ils ressuscitent.  On n’allumerait pas non plus des cierges, si on ne voulait pas signifier par lĂ  que les Ăąmes vivent aprĂšs la mort de leurs corps.La troisiĂšme. C’est pour indiquer que la mort est proche que des monuments funĂšbres sont Ă©rigĂ©s.  La quatriĂšme.   Par ce soin les vivants satisfont Ă  l’affection qu’ils nourrissent envers leurs morts. Si on veut collectionner les vĂȘtements et les annaux des amis, cela vaut encore plus pour les corps.Et c’est ce que saint Augustin dit quand il dĂ©clare que la pompe de la sĂ©pulture est la consolation des vivants.

Les morts, eux, reçoivent, de la sĂ©pulture, quatre avantages.Le premier.  Pour faire honneur  Ă  ceux qui vivent encore dans la mĂ©moire des vivants. Car ce ne serait pas sans une grande ignominie que la putrĂ©faction de notre corps  se montre Ă  la vue de tous.  Ce n’est donc pas une peine lĂ©gĂšre que reçoit quelqu’un quand il est privĂ© de sĂ©pulture par le juge, et qu’il doit,  sur le gibet ou la roue, devenir la nourriture des oiseaux. Le deuxiĂšme.  Car, on satisfait ainsi au dĂ©sir qu’ils eurent quand ils Ă©taient encore vivants.  Car, il n’y a personne qui hait sa propre chair, comme le dit saint Paul (aux ÉphĂ©siens 5), et voilĂ  pourquoi chacun, tant qu’il vit, dĂ©sire que, aprĂšs sa mort, son corps soit traitĂ© honorablement.  Il est crĂ©dible que les Ăąmes sĂ©parĂ©es de leurs corps, mĂȘme si elles ne savent peut-ĂȘtre pas ce qui arrive  Ă  leurs corps, dĂ©sirent qu’ils soient traitĂ©s avec honneur, comme elles dĂ©sirent d’ailleurs, y retourner, comme l’enseigne saint Augustin (livre 12 de la GenĂšse, Ă  la lettre, chapitre 35).  Nous voyons mĂȘme (Ă  3 rois 13) qu’au prophĂšte dĂ©sobĂ©issant, a Ă©tĂ© donnĂ© comme peine, de ne pas ĂȘtre enseveli avec ses pĂšres.   Le troisiĂšme. L’utilitĂ© vient de ce que le cadavre est conduit au sĂ©pulcre par un grand nombre de croyants.  Ce qui fait en sorte que beaucoup de personnes prient pour ce mort.

Le quatriĂšme on le tire de ce que des chrĂ©tiens ont leur sĂ©pulture dans les temples des saints.  Il s’ensuit que, en  se souvenant d’eux, leurs amis se souviennent en mĂȘme temps des saints dans le temple duquel ils sont ensevelis, et  les recommandent Ă  leur patronage.  Parlent de cette utilitĂ© saint Augustin (chapitres 4 et 5 du livre sur le soin des morts), et saint GrĂ©goire (livre 4, chapitre 50 des dialogues),

Voici maintenant  ce qu’on peut rĂ©pondre aux arguments.  Le premier. Je dis avec saint Augustin (livre 1, chapitre 12 de la citĂ© de Dieu), que le Seigneur parle de la douleur que peuvent ressentir les corps tant qu’ils  vivent.  Et c’est pour cela qu’il dit : « AprĂšs cela, ils n’ont plus rien d’autre Ă  faire. »  Car le corps des morts, qu’il soit sciĂ©, flagellĂ©, ou brulĂ©, ne ressent aucune douleur.  Mais il ne suit pas de cela que ne soit pas une aumĂŽne l’accomplissement du dĂ©sir d’ĂȘtre enseveli,  qu’un homme a eu tant qu’il demeurait en vie, et qu’il a peut-ĂȘtre encore.  Je dis ensuite que, dans cette dĂ©crĂ©tale sur l’utilitĂ© de la sĂ©pulture  pour  le salut Ă©ternel, le pontife a enseignĂ© que, par elle-mĂȘme, la sĂ©pulture n’aide ni ne nuit au salut Ă©ternel, quoiqu’elle le puisse par accident, Ă   la priĂšre des amis.  Je dis en troisiĂšme lieu que saint Augustin enseigne seulement que, par elle-mĂȘme, la sĂ©pulture n’est pas une aide  qui serve Ă  conquĂ©rir la vie Ă©ternelle, mais une simple consolation des vivants.  Mais, que par accident, elle soit profitable aux morts, lui-mĂȘme l’enseigne au mĂȘme endroit.

Au sujet du concile Elibertinus, je rĂ©ponds que ce concile a rĂ©prouvĂ© et prohibĂ© une cĂ©rĂ©monie provenant de la superstition des Gentils qui pensaient que les corps des morts sentaient encore quelque chose.  AprĂšs avoir repoussĂ© cette erreur, ce n’est pas une mauvaise chose d’utiliser cette mĂȘme cĂ©rĂ©monie Ă  une autre fin, c’est-Ă -dire pour signifier que les Ăąmes vivent encore, et que, en leur temps, les corps aussi ressusciteront; et que nos dĂ©funts sont fils de la  lumiĂšre,  non des tĂ©nĂšbres. Quand le concile dit qu’il ne faut pas inquiĂ©ter les Ăąmes des dĂ©funts, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas inquiĂ©ter leurs esprits pour vrai, mais qu’une erreur de ce genre leur dĂ©plait.  Comme saint Ambroise (livre 2, Ă©pitre 8) qui dit qu’on ne doit pas, par des larmes,  attrister l’ñme de la sƓur dĂ©funte.

Au troisiĂšme je dis que rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes priĂšres n’est pas un signe de manque de foi, mais de dĂ©termination, de confiance  et de ferveur.  Car c’est ce qu’a fait saint Paul (2 Corinh 12) quand il demanda trois fois la mĂȘme chose au Seigneur. Et le Seigneur lui-mĂȘme (en Matthieu 12), durant son agonie, a rĂ©pĂ©tĂ© trois fois la mĂȘme priĂšre.  Au sujet de saint Ambroise, nous avons dĂ©jĂ  rĂ©pondu  (chapitre 15) qu’il ne parle pas des priĂšres, mais des gĂ©missements et des lamentations.  Voici ce qu’il dit dans son sermon sur Valentinien : « Qu’ils soient bienheureux tous les deux !  Si mes priĂšres ont quelque utilitĂ©, aucun jour ne passera sans parler de vous, aucune nuit ne se dĂ©roulera sans qu’elle soit remplie de mes priĂšres.  Je vous serai toujours prĂ©sent par mes oraisons et mes oblations. »

À Matthieu 25, je rĂ©ponds d’abord avec saint Jean Chrysostome (homĂ©lie 84 sur saint Jean), quand il dit que le Seigneur n’a pas ajouté : « J’ai Ă©tĂ© mort et vous m’avez Ă©tĂ© enseveli », parce que les hommes n’avaient pas coutume de faire spontanĂ©ment cet acte de misĂ©ricorde, mais parce qu’ils dĂ©passaient la mesure en le faisant. »  Dans les bonnes choses, comme dans cet acte particulier, un  abus s’était glissĂ© selon lequel les riches Ă©taient ensevelis revĂȘtus d’habits somptueux. Il Ă©tait prĂ©fĂ©rable et plus utile pour les morts, comme saint Jean Chrysostome le dit ailleurs, de donner au pauvres le prix de ces vĂȘtements, pour soulager l’ñme de celui qui Ă©tait enseveli.  Pour corriger cet abus, et parce qu’il ne voyait pas nĂ©cessaire de recommander cette pratique, le Seigneur n’énumĂ©ra pas cet acte de misĂ©ricorde avec les autres.

On peut dire aussi que le Seigneur n’a pas parlĂ© de cette sorte d’aumĂŽne, parce qu’elle est la plus petite de toutes et la plus obscure, comme saint Augustin l’enseigne (dans son livre sur le soin des morts, chapitre 3).  Le Seigneur, dit-il,  voulait montrer que c’est en toute justice qu’il rĂ©compenserait les bons et punirait les mauvais; et c’est sans doute pour cela qu’il n’a rappelĂ© que les actes de misĂ©ricorde qui sont clairement, et selon le jugement de tous, vĂ©ritablement des Ɠuvres de misĂ©ricorde.  Que cela suffise pour cette dispute sur le purgatoire.

Fin de la SixiĂšme Controverse GĂ©nĂ©rale : l’Église qui est dans le PurgatoireExpliquĂ©e en deux livrespar Saint Robert Bellarmin, s.j., Docteur de l’Eglise catholique romaine.