www.JesusMarie.com
Père Georges Habra
prêtre melkite catholique
1930 - 1994

autres photos
Conférences
Les Jeudis de l'Association pour l'Etude et l'Enseignement des Pères de l'Eglise
14, place Etienne Pernet, 2ème étage, appartement N°29, Métro Félix Faure
code 31b46

3 Cycles de Conférences par Monsieur l'abbé José-Oscar Nery sur :
Le Commentaire de l'Evangile de Saint Matthieu par Saint Jean Chrysostome :

Le Mystère de la Sainte Trinité, tiré du livre du Père Georges Habra, La Foi en Dieu Incarné :
 

Le Timée de Platon (conférence de philosophie) :


Renseignements : prière de téléphoner au 01.40.43.00.87 ou bureau : 01.40.15.76.07
ou 06.33.12.46.79.


Présentation de la Vie du Père Georges Habra
Article dans le mensuel France Catholique à l'occasion de la réédition des livres du Père
Ma Rencontre avec le Père Georges Habra par M. (Récit personnel)
Ouvrages disponibles en librairie

La Transfiguration selon les Pères Grecs, livre paru en 1973, 187 p.

Le père Georges Habra, prêtre melkite catholique, écrivain et conférencier de 1976 à 1994, est né à Haïfa en 1930. Après avoir exercé son ministère à Naplouse entre 1955 et 1970, il est nommé vicaire de Saint-Julien-le-Pauvre à Paris. En 1986, il fonde l' Association pour l'Etude et l'Enseignement des Pères de l'Eglise, actuellement dirigée par Monsieur Jacques Baudeau, 14, place Etienne Pernet, 75015 Paris, tel.: 01.40.43.00.87.

Le Père Georges Habra et Jacques Baudeau à Troie (en Turquie)

Le père Georges Habra s'était établi en France depuis 1970 pour contribuer à faire connaître la richesse, la profondeur et la place essentielle de la patristique grecque dans l'Église catholique.
la patrisitique grecque est constituée par les pères de l'église catholique écrivant en langue grecque.


Les ouvrages du Père Georges Habra, actuellement disponibles en librairie :

Du discernement spirituel
Tome 1 : Amour et concupiscence


Editeur : Sarment, Paris, France
Prix : 20.99 € / 137.69 F
ISBN : 978-2-86679-432-3
avril 2006










L'homme moderne est le même que celui de l'Antiquité, homme de tous les temps et de tous les pays, même si ses préoccupations sont souvent traitées d'une manière peu digne de lui.

On oublie que la nature humaine est douée d'un instinct et d'une raison, l'instinct accaparant pour ainsi dire l'attention et laissant dans l'ombre la raison qui doit le gouverner. Le retour aux sources des Pères de l'Église pourra choquer tant a changé l'air du temps marqué par «l'agenouillement devant le monde», au nom d'un prétendu épanouissement.

Pourtant, vouloir séparer la morale du dogme, c'est céder au relativisme, au point qu'elle en devient fluctuante, ambiguë, perdant alors son principal fondement, aussi faut-il plus que jamais, avec les Pères, demeurer ferme dans l'affirmation des principes.

Certains trouveront cette parole rigoriste, trop forte, difficile à entendre. Mais lorsque pareille objection fut faite au Seigneur et que des disciples l'eurent pour cela abandonné, Il n'a pas adouci ou assoupli son enseignement et a demandé au contraire à ceux qui lui étaient restés fidèles s'ils voulaient, eux aussi, le quitter. Écoutons donc cette voix du père Georges Habra,  un de nos frères chrétiens d'Orient.
 
 

Réédition attendue d’une des œuvres majeures du Père Habra. Ce volume est consacré à la sexualité à la lumière des Pères de l’Église. Il traite successivement de l’âme, de la raison et de l’instinct du mariage, de la virginité. Ce traité est en quelque sorte une réaction contre « l’agenouillement devant le monde » et insiste sur les liens entre dogme et morale. Ouvrage profond de théologie morale, mais aussi de « théologie du corps » qui contribuera à faire connaître en Occident les richesses de l’Orient.

Le livre de l’amour conjugal et de la virginité sacrée

Voilà un livre qu’il faudrait faire lire à tous les jeunes mariés, ou plutôt à tous les jeunes adultes. En 1976, le P. Georges Habra, prêtre grec-catholique, l’avait publié sous le titre Amour et concupiscence. Les éditions du Jubilé le rééditent fort joliment comme premier tome d’un vaste ouvrage en trois parties, intitulé Du discernement spirituel, le titre initial devenant le sous-titre correspondant à ce tome. On ne peut qu’acquiescer à cette modification de la présentation. Mettre en avant amour et concupiscence, bien qu’il s’agisse très précisément de cela, c’est laisser entendre que l’on va lire un livre de morale, ce qui est a priori rébarbatif, et puisque c’est d’un prêtre, un livre moralisateur, ce qui est encore pire.

Or s’il s’agit de morale, c’est la morale en tant que « fleur du dogme », comme le dit admirablement le P. Habra dans sa conclusion. Et de préciser alors : « Notre livre n’est que l’illustration de l’idée selon laquelle la morale chrétienne est le souffle puissant et surnaturel du dogme inspirant la vie dans un domaine particulier, celui de la vie sexuelle. » Et ce n’est certes pas un traité de morale, au sens où on l’entend vulgairement, qui commence ainsi : « Comme ce livre s’adresse à tous, aux incroyants comme aux croyants, nous tenons, dans ce premier chapitre, à démontrer par la raison l’existence d’une âme rationnelle. »

On voit à quel niveau se situe le P. Habra. Et qu’on n’attende pas de lui qu’il parle par litotes ou par métaphores. Loin de toute pruderie et sans se préoccuper des « chastes oreilles » de l’hypocrisie, son langage est cru et direct. C’est le langage – ce qui étonnera plus d’un lecteur – des pères de l’Église, spécifiquement des pères grecs dont ce prêtre grec-catholique était un grand connaisseur. Il cite ainsi des pages essentielles pour le sujet traité, et qui ont été le plus souvent occultées par les tartuffes de la « morale chrétienne ». Mais les pères étaient à l’école de l’Écriture sainte, qui a l’habitude d’appeler un chat un chat et qui contient le plus étonnant « poème érotique » de l’histoire de la littérature… qui est aussi le plus grand poème mystique : le Cantique des cantiques. Ce qui nous conduit au cœur du sujet.

Après avoir donc prouvé l’existence de l’âme rationnelle, et analysé les rapports entre raison et instinct, Georges Habra analyse ce qu’est l’instinct sexuel (la « concupiscence », mais sans connotation morale), qui attire l’homme vers la femme et réciproquement. Puis il fait un admirable développement sur le mariage, dans toutes ses dimensions, qui sont toutes intégrées au « mystère », y compris le légitime plaisir, la « volupté » de l’acte sexuel, qui n’est véritablement telle que si l’union des corps est l’expression de l’union des âmes, dans le don réciproque et total de l’amour (qui suppose forcément l’indissolubilité du mariage). Il traite ensuite de la virginité comme « sublimation de l’énergie sexuelle », et l’exaltation de la véritable virginité prend tout son sens chez les pères lorsqu’on a d’abord vu comment ils exaltent le mariage. Et enfin il examine les différentes formes de concupiscence, cette fois sous l’angle moral (celle qui conduit à l’adultère, à la fornication, aux perversions sexuelles – qu’il traite là encore de façon très crue : j’ai bien dit que c’était un livre pour jeunes adultes).

Le P. Habra se fonde surtout sur les pères grecs, mais il cite aussi par exemple saint Augustin, et une multitude d’auteurs « profanes », de Dante à Baudelaire et de Shakespeare à Dostoïevski, en passant par Racine, Milton, Byron, Musset, Verlaine, etc., sans oublier Platon, et Plotin, dont il n’hésite pas à prendre un texte sur les mystères d’Eleusis comme fil directeur pour expliquer ce qu’est le mystère chrétien du mariage. Ces citations n’ont pas pour but de montrer l’érudition de l’auteur, mais d’illustrer son propos, et l’on constate qu’elles l’éclairent de façon souvent étonnante.

On peut certes contester certaines curieuses rigueurs du P. Habra (comme sa condamnation du théâtre, alors que Shakespeare est, avec Dostoïevski, l’auteur qu’il cite le plus, et avec le plus de bonheur…), mais ce ne sont là que scories. L’important est la force et la profondeur du propos, fondé sur la puissance du dogme, l’ancrage du réalisme chrétien, et une analyse psychologique d’une extraordinaire finesse, d’une acuité exceptionnelle.
 
 

Cet ouvrage constitue le premier tome d'une trilogie consacrée au discernement spirituel, c'est-à-dire à l'intelligence de la vie à la lumière de l'Evangile.

Une tradition, qui déborde d'ailleurs largement le christianisme, conseille de se faire aider d'un aîné réputé pour sa sagesse. Le père Habra se situe dans cette ligne, tant son enseignement et son exemple ont marqué des générations de personnes venues lui demander conseils, assistance, accompagnement.

C'est ainsi qu'il a été amené à publier un traité du discernement spirituel où il oppose systématiquement le bien et le mal incarnés dans ce qu'on nomme, dans un vocabulaire qui a un peu vieilli mais qui a le mérite de la clarté, les vertus et les vices. C'est peut-être pour en avoir gommé les frontières que notre société occidentale n'en finit pas de buter comme un insecte contre une vitre.

A la lumière des Pères de l'Eglise et de grands textes de la littérature, ce premier tome, consacré à la sexualité, aborde successivement :

• L'âme : raison et instinct
• L'instinct sexuel
• Le mariage
• La sublimation de l'énergie sexuelle hors mariage
• La concupiscence et la lutte pour la pureté.

Autant la miséricorde de l'auteur est infinie, autant est exigeante sa parole. L'une ne va sans doute pas sans l'autre.


Voyage à Constantinople (1991) Exposé du Père Habra au palais de Topkapi

Du Discernement Spirituel
Tome 2 : orgueil et humilité, colère et mansuétude


Editeur : Sarment, Ed. du Jubilé
Collection : Bibliothèque Kephas 370 pages
Paru en juillet 2008
EAN : 9782866794699










Présentation :
En véritable père spirituel Georges Habra n'hésite pas à nommer par leur nom les maladies de l'âme. En appelant mat le mal, et bien le bien, il se situe dans la grande tradition des Pères de l'Église. Ce deuxième volume de la trilogie consacrée au discernement spirituel ne se paye pas de mots quand il s'agit du salut des âmes. Outre un important chapitre consacré justement à en discerner les contours, il s'attarde à débusquer ce qui, dans l'orgueil et la colère, nous prive de notre liberté d'enfants de Dieu appelés à la Vie Éternelle. Nous sommes loin des circonlocutions mièvres des casuistes plus soucieux de plaire que de proclamer la vérité, celle qui rend libre. Nous sommes à vrai dire en plein Évangile et, si l'auteur ne méconnaît pas la miséricorde, il ne la confond pas avec la complaisance. « Si ton bras te scandalise, coupe-le ! » Peu de livres changent vraiment leurs lecteurs. En voici un !
 
 
 
 

retout en haut de la page
La Foi en Dieu incarné
tome 1  Justification rationnelle
 273 p. 22 cm
ISBN  2-902161-06-9
éditions Cariscript, Paris.

Voici un  extrait de ce livre :

Voici la façon dont il aborde l'exégèse actuelle face aux récits du Pentateuque ou de la division que l'on réalise en Isaïe :- « Savez-vous qui a composé la « Symphonie Héroïque » ?- Mais bien sûr, c’est Beethoven, en 1803.- O innocent ! Si ce Beethoven a vraiment existé (car rien n’est moins sûr), il en a fait, peut-être ! une infime partie, bien que les érudits soient loin de s’accorder pour décider laquelle exactement. Le véritable auteur en est un musicien anonyme et médiocre que nous appellerons l’éditeur, celui qui a fait paraître cette symphonie dans sa forme actuelle, au début de notre siècle, et qui a réussi la prouesse, à force de plagiats, de l’attribuer à un génie tel que Beethoven, à moins qu’il n’ait, l’infâme, purement et simplement inventé Beethoven (c’est une hypothèse, en tout cas, qu’on ne peut écarter du revers de la main).Car, voyons : les deux formidables accords du début, représentant à eux seuls une introduction à part entière, sont de Haydn. Le fameux thème héroïque qui suit a été volé de Mozart : pour corroborer notre affirmation, voyez d’ailleurs si ce thème ne ressemble pas, justement, à celui de l’entrée de « Bastien et Bastienne » de Mozart.Puis l’exposition avec ses longs crescendo et decrescendo si typiques d’un Rossini ont sûrement été conçus par ce dernier, voyons ! Et le développement qui suivra, avec ses longs accords sur les cuivres, là c’est sûrement l’œuvre de Richard Wagner. Première accalmie après cette débauche d’énergie, et le deuxième thème lyrique avec l’inégalable chaleur sur le contrepoint des violoncelles, c’est Brahms qui est passé par là ; et ainsi de suite jusqu’à la fin du premier mouvement, qui sera de nouveau bouclé par Haydn sur les deux mêmes accords du début.Le deuxième mouvement est-il intitulé « Marche funèbre » ? Qu’à cela ne tienne ! C’est Chopin, grand spécialiste de cette forme, qui en a conçu le thème musical. Plus loin, la longue fugue qui exprimera toute la tristesse universelle, c’est Bach. C’est une fugue, donc c’est Bach ! C.Q.F.D.Passons sur ce qui suit, qui doit être plein d’interpolations de cet inqualifiable éditeur (que nous appellerons, faute de la connaître, E), qui d’ailleurs en a infecté toute la symphonie, ainsi que de ses suppressions, gloses, altérations, répétitions… Car seuls les imbéciles voient dans cette symphonie un chef-d’œuvre de l’esprit humain, d’une prodigieuse beauté et unité : une étude plus attentive montrera clairement toutes les incohérences de cet éditeur peu inspiré qui, malgré ses prouesses dans l’art du plagiat, n’arrive pas à camoufler ses rapiéçages, voire ses rafistolages et ses contradictions.Venons en au dernier mouvement. Là, il y a une cavalcade sûrement écrite par Von Suppé, célèbre protagoniste de la chose. Meyerbeer a sans doute composé la partie andante majestueuse qui suit (ah ! ces cors !). Et le sublime passage où l’on veut nous faire croire que Beethoven rappelle l’être mortel à plus de modestie (long dialogue en croches, entre les violons et les bois, précédant l’explosion finale), qui croyez-vous l’a écrit ? (Question à 25 euros !) Réponse : « Albinoni le mélancolique ». Vous avez gagné ! »- Qu’est-ce qui vous prend ? me dira-t-on. Vous promettez de parler du Pentateuque, et vous voilà embarqué sur Beethoven !- Mais si, c’est du Pentateuque que je parle. Car ce que j’ai imaginé sur la « Symphonie Héroïque », et qui est tellement absurde qu’il ne peut que provoquer l’hilarité générale et des rires inextinguibles, est bel et bien arrivé, c’est une image, bien en deçà de la réalité, des élucubrations des exégètes modernes, depuis le siècle dernier, sur le Pentateuque, (et, dans une certaine mesure, sur bien d’autres livres de l’Ecriture).En effet, la réalité dont cette image n’est que l’ombre est beaucoup plus riche.
 
 
 
 

Le témoignage de Jésus-Christ

Le Père Georges Habra nous rapporte dans son livre La Foi en Dieu incarné que dans le livre de Jonas "tout y est historique et doit être pris littéralement: le poisson, le ricin, la conversion de Ninive, etc. parce que les caractères du genre historique s'y trouvent. La seule raison, d'ailleurs, pourquoi les exégètes répugnent à l'y classer, c'est le caractère miraculeux du récit ! Là aussi, dans le cas où un doute resterait, il s'agit de voir le verdict de la tradition dont le livre est issu. Or, quel verdict est aussi autorisé que celui du Christ ? ".

En effet il nous rapporte ensuite les paroles de Jésus qui nous dit que les hommes de Ninive "ressusciteront au Jugement avec cette génération et la condamneront; car ils se sont convertis à la prédication de Jonas, et ici il y a plus que Jonas". Si les hommes de Ninive vont ressusciter avec la génération perverse à laquelle s'adresse le Christ, et la condamner, c'est que les hommes de Ninive ont vraiment existé, et donc Jonas, à la prédication duquel ils se sont convertis. Car on n'a jamais entendu que je sache, qu'un être imaginaire, Fantomas par exemple, ou Croquemitaine, pût jamais ressusciter ou condamner qui que ce soit. C'est on ne peut plus clair et d'une logique implacable. Suivons ensuite Jonas sur la route de Tarsis, ville qui, dit-on, est imaginaire.
 
 

La Foi en Dieu incarné
tome 2  Le mystère : la Trinité, la chute, l'Incarnation
1994
150 p. 22 cm
 
 


 Site de l'église de saint Grégoire de Naziance à Ariance (1993)

La Mort et l'au-delà
1977
VII-240 p. 20 cm
ISBN  2-902161-02-6
 
 
 

La Transfiguration selon les Pères grecs
Paris, 1973
187 p. 21 cm
ISBN  2-7185-0771-3
 

L’INCARNATION

 Arrêtons-nous un instant sur le mystère de l’Incarnation. Le Père Georges HABRA a traité ce sujet dans ses ouvrages. Nous lui emprunterons les pages 27 et sq de son livre : La Transfiguration selon les Pères grecs.

« Un des plus grands avantages de l’Incarnation, c’est que le Fils de Dieu est descendu à la mesure de l’homme. En effet, par le péché de nos premiers parents, nous nous étions détournés de la contemplation des choses divines pour nous convertir vers les choses sensibles, cette beauté sensible, au lieu de servir justement de tremplin pour nous élever vers la Beauté divine, nous a séduits, et est devenue pour nous le Bien par excellence, ce qui est la définition même de l’idolâtrie. Comme le dit St Athanase, « les hommes, négligeant les choses excellentes, et devenant paresseux par rapport à leur appréhension, recherchèrent plutôt celles qui leur étaient plus  proches. Or leur était plus proche le corps et ses sensations. C’est pourquoi, éloignant leur esprit des choses intelligibles, et se pensant eux-mêmes, prenant en échange le corps et les autres choses sensibles, et comme séduits par ce qui leur était propre,

ils tombèrent dans la convoitise de leur propre  être, davantage honorant leurs choses propres que la contemplation des choses divines. »

Ici l’on voit la sagesse infinie de Dieu, dans la façon dont il s’insère dans la vie des hommes. Car un des buts primordiaux de l’Incarnation sera justement que Dieu, en tant qu’homme, attire à lui le regard des hommes, et par la transcendance et l’unicité de sa beauté morale ainsi que par les prodiges, élève lentement leur esprit vers la divinité cachée dans ce corps. « Car une fois l’intelligence déchue vers les choses sensibles, le Logos s’abaissa pour paraître par un corps, afin de ramener vers Lui comme homme les hommes, et d’incliner leurs sens vers Lui, et du reste les persuader par les actes qu’Il faisait, eux qui Le voyaient comme homme, qu’Il n’était pas uniquement homme, mais Dieu aussi, et le Logos et la Sagesse du Dieu véritable. »

Pour cela, il fallait qu’Il se vidât de la gloire de sa divinité. « Tout eût péri, dit magnifiquement St Jean Chrysostome, s’Il était venu dans sa divinité nue. Les montagnes n’eussent pu Le soutenir, parce qu’Il regarde la terre et la fait trembler,
 
 
 
 
 
 
 

Le rôle du corps dans la prière
du Père Georges Habra

Comment parvenir à l'humilité ou la développer ? Un principe fondamental, c'est que, l'âme et le corps étant très intimement liés, toute action corporelle dispose l'âme aux sentiments correspondants et l'y renforce. Sans doute, «Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité » (Jn, IV, 24), et tout acte d'adoration purement corporel est superstitieux ou pharisaïque. Mais il ne faut pas, sous prétexte d'une vérité, négliger une autre, bien que subordonnée. Le psalmiste dit: «Fais-moi entendre jubilation et allégresse, et mes os humiliés jubileront ... Renouvelle dans mes entrailles un esprit droit ... 151 C'est pourquoi mon coeur est joyeux et ma langue jubile (Ps 15). Que ma prière s'élève en ligne droite, comme l'encens. devant toi, et que l'élévation de mes mains soit l'oblation du soir. »(Ps.140). La femme qui souffrait d'un flux de sang n'a-t-elle pas été guérie parce que sa foi l'avait poussée à toucher «la frange de l'habit » de Jésus ? Jésus Lui-même n'accompagnait-Il pas ses prières, ses guérisons, ses miracles, de gestes corporels ? Donc s'agenouiller, se prosterner, baiser les icônes, offrir l'encens, faire le signe de la croix, allumer des bougies, chanter, prier vocalement, bref, accomplir un rite, sont, en vertu de la fameuse correspondance entre les choses visibles et invisibles, des choses tellement chargées d'invisible (pourvu évidemment qu'elles soient faites en esprit et en vérité) qu'elles se répercutent prodigieusement sur l'âme. Même quand elles ne procèdent pas d'une foi consciente, elles hâtent la venue de celle-ci, tout comme pousser une voiture en panne la fait démarrer : «Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez le remède: apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé: c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira.» (PASCAL, Pensée 233). N'en déplaise au loquace Victor COUSIN, le «cela ... vous abêtira» n'est pas une incitation à renoncer à ce qui constitue la dignité humaine: l'intelligence, mais à renoncer à l'orgueil de l'esprit, et redevenir enfant pour avoir accès à l'intelligence surnaturelle: «La foi suit la simplicité ... Quand tu t'approches de Dieu par la prière, deviens en pensée comme la fourmi, et comme les reptiles de la terre, et comme la sangsue, et comme un bébé balbutiant. Et ne dis rien devant Lui par science, mais approche-toi de Dieu avec une intelligence d'enfant et marche devant Lui, pour être digne de cette Providence paternelle, celle des pères envers leurs nouveau-nés. » (St Isaac le Syrien, Discours 19).
Appliquant donc à l'humilité le principe de la répercussion du corps sur l'âme, nous dirons avec St Jean-Climaque : «Le Seigneur, sachant que c'est sur la tenue extérieure que se modèle la vertu de l'âme, nous a suggéré, en prenant un linge, la méthode à suivre dans la voie de l'humilité : « L'âme en effet s'assimile aux pratiques, se façonne sur ce qu'elle fait et se forme selon ce qu'elle fait,» (St Basile, Hom. Sur l'Humilité). Par conséquent, concourent davantage à l'humilité un habit modeste, une demeure pauvre, qu'un habit splendide et une magnifique maison; de même l'agenouillement et la prosternation pendant la prière, que la position assise jambe sur jambe et cavalière, etc.
 
 
 
 

Les livres sont en vente chez les libraires  et chez le légataire de l'œuvre du Père Georges Habra :
Monsieur Jacques Baudeau, légataire et de ce fait détenteur des droits de propriété littéraire sur les oeuvres du Père Georges Habra.
14, place Étienne Pernet
75015 Paris
tel : 01.40.43.00.87
télécopie : 01.40.45.01.10.
 
 


Ma Rencontre avec le Père Georges Habra
par M.

C'est en 1974, au printemps, que j'ai rencontré pour la première fois le père Georges Habra. Il exerçait alors les fonctions de vicaire à l'église gréco-catholique Saint-Julien le Pauvre à Paris.
Mais, pour éclairer les circonstances de ce qui va suivre, et pour que l'enchaînement des événements apparaisse nettement, il faut que je revienne un peu en arrière. J'enseignais alors l'anglais au Lycée
classique de Champigny-sur-Marne, et je m'étais lié d'amitié avec un des professeurs de philosophie.
Celui-ci avait eu quelques années auparavant deux élèves de terminale, les seuls, reconnaissait-il alors, sur lesquels il eût jamais exercé quelque influence, qu'il avait initiés à l'oeuvre de l'occultiste René Guénon. Il me les avait présentés et nous nous rencontrions tous les quatre pour des déjeuners.

J'en vins moi aussi à lire Guénon, qui m'intéressa, surtout pour sa critique du monde moderne, mais dont je ne pus jamais aimer la sécheresse d'exposition, et dont les efforts pour retrouver une mythique "Tradition" (ésotérique) antérieure et commune à toutes les grandes traditions religieuses (exotériques) du monde me parurent vite à la fois naïfs et outrecuidants, affreusement compliqués et totalement vains. Mais P. P. et G. B., ainsi s'appelaient les deux jeunes guénoniens, se retrouvaient bien dans les écrits de Guénon, y voyant en outre un aliment pour leur contestation radicale du monde occidental qui, de politique (mai 68 n'était pas encore loin), était devenue culturelle et religieuse, voire métaphysique. C'est-à-dire plus radicale encore.

A l'époque de notre première rencontre, G. et P. venaient de franchir l'étape hindouiste et, si je me rappelle bien, se passionnaient pour le soufisme, qu'ils étudiaient à fond. Ils avaient acquis, dans ces domaines, un savoir qui m'époustouflait.

Peut-être parce que Louis Massignon, ce pénétrant islamologue, avait achevé sa vie comme prêtre gréco-catholique de rite melkite, G. et P. vinrent un jour à Saint-Julien le Pauvre. Le Père Habra les enthousiasma - bien qu'il ne s'intéressât ni à Guénon en particulier ni à l'occultisme en général, mais c'était sans doute en cela qu'il était à leurs yeux "traditionnel"- et ils me convièrent à les rejoindre à une conférence qu'il devait prononcer sur l'icône (cela se passait. dans la travée nord de l'église). Puis j'ai commencé à assister à sa messe du dimanche soir. Ses sermons m'impressionnèrent fortement: par sa bouche, c'était, semblait-il, l'Eglise éternelle, c'étaient des siècles et des siècles de foi chrétienne, c'étaient les grands pasteurs de toujours, les Chrysostome, Augustin et Basile, qui semblaient se faire entendre. Un soir, un orage éclata tandis qu'il prêchait, les éclairs qui zébraient le vitrail de l'abside ajoutant encore à la terrible majesté de son propos. Il faut dire que le Père Georges était doué d'une véhémence naturelle qui ,donnait à ses homélies, courtes mais sonores, une grande percussion.

G. B. lui demanda la permission de réciter avant la messe une partie des matines byzantines, ce que le Père accepta très volontiers: déjà G. manifestait ce goût très vif pour l'office monastique et la liturgie qui devait plus tard l'amener à prendre les ordres au Mont Athos, sous le nom de M. Quant à P.P. et à moi-même, nous remplîmes assez vite les fonctions de servantsde messe et, à l'occasion, de chantres improvisés. L'office, quand le père Habra le célébrait, était intemporel et objectif, contrairement, pensions-nous, aux messes latines qu'à cette époque des clercs [se croyant] à la page désacralisésaient à  l'envi.

A Saint-Julien le Pauvre, nous nous trouvions "in illo tempore", à mille lieues de ce "monde moderne" que nous n'aimions pas. Quelques années plus tard, en 1977, Julien Green allait, dans son Journal, décrire en ces termes l'office de Vendredi Saint dit par le père Habra: "...un prêtre à visage d'icône, en chasuble rouge, lisait en psalmodiant à la byzantine des prières auxquelles répondait, psalmodiant aussi, la voix fraîche d'un jeune homme, alors que celle du prêtre semblait venir du fond de la terre. La croix drapée d'un linge blanc, l'iconostase à demi close. Cinq ou six personnes seulement, debout, un cierge à la main. J'ai écouté .pendant trois quarts d'heure. Il y avait beaucoup de religion dans tout cela, beaucoup de ce mystère que nous sommes en train de perdre" (La terre est si belle, p.118). Par la suite, le Père rencontra Julien Green et correspondit avec lui.

Les conférences du Père se firent régulières à partir du moment où elles se déroulèrent -devant, en moyenne, une douzaine de personnes - dans l'appartement que Victor et Christine S. occupaient rue
Portefoin. D'abord hebdomadaires, elles devinrent ensuite bimensuelles, rythme qui devait rester le leur pendant près de vingt ans. Elles portaient sur le dogme, l'exégèse, la morale.

Alexis Curvers, l'auteur de Tempo di Roma, assista à l'une d'elles à cette époque. Je me souviens aussi d'une autre, parmi les premières, consacrée à Dostoïevski (écrivain que le Père regretta toujours de ne pas pouvoir lire dans l'original). C'est en ce temps là (en 1975, me semble-t-il) qu'apparut Jacques Baudeau dans le salon des Scherrer. Quand ceux-ci quittèrent Paris pour s'installer à Fontainebleau, les conférences du Père furent transportées avenue Trudaine, dans le grand appartement que Jacques partageait avec quelques amis.
 

Dans sa quête spirituelle, GB avait rencontré à Aubazine, dans le Limousin, le Père Placide Deseille, un bénédictin français qui, avec la permission de son évêque, avait adopté le rite oriental et vivait dans un petit monastère avec quelques moines. G. avait présenté le p. Deseille au p. Habra qui en avait été ravi et qui me parla avec enthousiasme de ce moine français qui. amait l'Orient chrétien et le faisait aimer. Dans sa jeunesse, le père Habra avait effectué un court noviciat chez les Dominicains de la Sainte-Baume qui lui avait déplu : de Saint Thomas d'Aquin et de la scolastique il ne voulut plus entendre parler, même s'il ne les critiqua jamais. Tout simplement, il s'était aperçu à la Sainte-Baume que sa vocation n'était ni chez les Dominicains en particulier ni chez les Latins en général, et c'est peut-être là qu'il se convainquit de sa vocation "orientale". Les réfrigérateurs "remplis de viande" des cuisines jacobines l'avaient aussi choqué.

Il appréciait beaucoup chez nous notre amour de l'Orient, notamment le zèle liturgique de GB et PP. Quand ceux-ci lui annoncèrent leur intention de quitter l'Eglise catholique pour devenir orthodoxes, imités en cela par deux autres membres du groupe, le p. Habra tomba des nues. C'était pour lui une catastrophe, et il ne l'avait pas senti venir. "Je voulais faire connaître l'Orient chrétien à des catholiques français que je croyais fermement attachés à l'Eglise, et voilà qu'ils abandonnent l'Eglise", se désolait-il. Déjà mal vu du curé de Saint-Julien le Pauvre qui, jugeant ses méthodes excessives et ses sermons inutilement provocants, lui avait demandé d'aller exercer son apostolat ailleurs (le Père dut alors "s'exiler" chez les Ukrainiens de la rue des Saints-Pères pour célébrer sa messe dominicale) , il risquait des ennuis supplémentaires si son patriarche ou l'archevêché de Paris le soupçonnaient d'encourager ses ouailles à quitter l'Eglise catholique (d'autant qu'au même moment la défection du p. Deseille qui, pour être admis par le Mont-Athos, acceptait de se faire rebaptiser provoquait des remous et scandalisait bien des âmes, chez les catholiques commes chez les orthodoxes).

Petit à petit, le Père modifia alors son enseignement. puisque les catholiques français auxquels il avait affaire ne connaissaient pas plus leur tradition que la tradition orientale, il leur enseignerait aussi le catholicisme latin. Et nous eûmes des cours sur St Jean de la croix, Pascal, les apparitions de La Salette, Blondel, Newman, l'infaillibilité pontificale, le Concile Vatican II, etc...

Le loyalisme du Père à l'égard de l'EgIise catholique était indéfectible. "Si j'avais dû devenir orthodoxe, me confia ce prêtre oriental jusqu'au bout des ongles, je l'aurais fait quand j'étais curé de Naplouse; ça m'aurait simplifié l'existence." Il insista toujours sur la nécessité, pour l'Eglise, d'être visiblement une, et donc sur la nécessité d'un centre effectif, qui ne saurait être représenté par nul autre que par le Pape de Rome, successeur de Pierre et héritier des promesses que le Christ avait faites à celui-ci. La monarchie [élective de la papauté] était à ses yeux.dans la nature des choses. Mais elle devait être bien comprise, avec discernement. L'infaillibilité papale n'était en rien synonyme d'impeccabilité [personnelle du pape, la doctrine catholique, elle est impécable], et le Père ne supportait pas les manifestations de papolâtrie ni la tradition ultramontaine à la Veuillot. Puisque l'Eglise était une, il fallait aussi nécessairement qu'elle fût diverse, l'univers ne se résumant pas au monde latin et à l'Occident.
Cela dit, l'attachement du Père à l'Europe, et notamment à la France, était très fort. Combien de fois ne nous a-t-il pas reproché la tiédeur de notre sentiment national, notre amour insuffisant de notre patrimoine, notre ignorance de notre histoire et de notre littérature ! Il était né à une époque et dans un milieu où, chez les Arabes du Moyen-Orient, la langue arabe n'était utilisée que pour la vie courante, les enfants apprenant à lire, à écrire et à penser en français ou en anglais. Si le Père parlait l'arabe avec sa mère, c'était surtout le français qu'il utilisait avec ses frères et soeurs. Il connaissait aussi admirablement bien l'anglais (avant d'obtenir la nationalité française il avait du reste été sujet britannique). Il me dit un jour : "L'arabe ? C'est uniquement pour acheter des aubergines sur le marché". Et effectivement je ne l'ai jamais entendu citer le moindre ouvrage arabe, moderne ou ancien. Il ignorait superbement non seulement toute la littérature mais toute la pensée arabe - à l'exception de certains proverbes et dictons qui faisaient ses délices et qu'il nous traduisait avec jubilation. Quant au Coran, rudimentaire [amat d'erreurs théologiques très lourdes sur la religion chrétienne], il ne valait même pas la peine, selon lui, de s'y arrêter. En politique, la cause arabe ne l'intéressait pas non plus, et il est le seul Palestinien que j'aie jamais rencontré qui soutînt Israël contre l'OLP. A son interlocuteur qui évoquait la barbarie de l'armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés je l'entendis répondre un jour: "vous m'en reparlerez quand vous aurez goûté les délices de la police jordanienne". Son séjour de quinze ans à Naplouse lui avait, on le voit, laissé de cuisants souvenirs.

La langue de la culture c'était, pour lui, le français. Il le maniait somptueusement avec, souvent, un bonheur d'expression enviable, roulant fortement les r et aspirant les h, ce qui ajoutait encore à la vigueur de ses propos (dans sa bouche, le mot "héros" prenait vraiment une dimension épique). Le Père aimait aussi, sans affectation, les imparfaits du subjonctif, à l'instar de deux de ses grands hommes, Léon Bloy et Napoléon. Il traitait notre langue avec vénération et, chez lui, les mots semblaient retrouver non seulement toute leur sonorité, mais leur authenticité, loin de toute langue de buis ou niaiserie ecclésiastique cotonneuse. Il y a d'ailleurs une analogie profonde entre son sens de la langue et sa théologie, puisque son propos était d'arracher les esprits de son temps aux à-peu-près et aux gauchissements du modernisme pour leur faire retrouver la sublime grandeur et l'âpre saveur du christianisme éternel. Nul non plus n'était, moins que lui, soumis à l'influence dégradante des médias: il n'avait chez lui ni radio ni télévision et, s'il lisait régulièrement la presse, il n'en faisait pas grand cas. "Ne consacrez pas plus d'un quart d'heure par jour à la lecture des journaux", conseillait-il. Son français ne s'enracinait donc pas dans les feuilles caduques des périodiques mais dans les pages immortelles des Pascal, Baudelaire, Hugo, Molière, Verlaine, Balzac et autres grands noms de notre littérature, qu'il fréquentait assidûment.

C'est en français aussi qu'il a composé son oeuvre. Malheureusement, le souffle magnifique du Père, si prenant quand il parlait, ne traverse pas toutes les pages de ses livres, même si certaines sont d'une grande puissance. La raison principale en est, selon moi, que, soucieux de s'effacer le plus possible devant les Pères de l'Eglise ou les auteurs faisant autorité -car en théologie comme en littérature ou en philosophie il était pour les grands noms et le retour aux sources, négligeant et déconseillant les commentateurs et les épigones - il a accumulé les citations, surtout après La transfiguration, ce qui rend la lecture de ses livres essoufflante, rocailleuse et parfois déconcertante. Cela dit, il n'est pas rare que le lecteur épuisé et décontenancé par un cheminement pour le moins inhabituel soit récompensé, au détour d'une page, par tel trait qui fait mouche ou par telle fleur que le Père est allé chercher dans on ne sait quel jardin secret de la patristique. Ce sont donc des livres qui exigent patience et éveil de l'intelligence pour être appréciés et qui, dans leur aridité, recèlent des sources d'eaux vives inaccessibles aux esprits pressés et aux âmes floues.
Si le français était la langue de la pensée, le grec (ancien, bien sûr, pas l'idiome abâtardi et turquisé que le Père reprochait aux Grecs modernes) était la langue de la liturgie, de la philosophie et de la théologie, c'est-à-dire la langue du prêtre qu'il était par toutes ses fibres. Il était nourri des grands Pères grecs - Chrysostome, Basile, les deux Grégoire, notamment - dont il recopiait des pages entières de sa large écriture et dont il psalmodiait les sermons et les traités dans sa chambre pour mieux s'en pénétrer. Admirable méthode, si antique et si humaine, qui a fait de lui l'homme le plus imbibé de culture antique, l' homme le moins "moderne" que j'aie jamais rencontré ! Des Grecs, il ne connaissait pas intimement que les Pères, mais tous les grands auteurs, aussi bien les présocratiques que Platon, Galien et Diogène Laërce. De ce point de vue, le Père était sans doute plus homme de la Renaissance - avec son platonisme, son goût des belles lettres, du grand style et des arts, son amour de l'indépendance, on immense curiosité, son aspiration aux sources, toujours préférées aux commentaires, son culte des grands hommes (Napoléon, Goethe, Pascal, Beethoven) et son penchant pour l'antique - qu'homme médiéval, lui qui prisait si peu Aristote, Saint Thomas d'Aquin, la scolastique, la logique formelle et le monastère, et ce n'est pas un hasard s'il plaçait si haut Thomas More ou Erasme, dont il nous commenta l'Eloge de la folie.

Ce n'était en tout cas pas un homme de la modernité, comme je l'ai déjà fait observer. C'est d'ailleurs ce trait qui explique sans doute le puissant ascendant qu'il exerça sur des êtres que la modernité avait rejetés aux marges du monde ou à qui elle pesait. Il pouvait y avoir aussi là toutes sortes de méprises de la part de gens qui venaient chercher auprès de lui exotisme, gnose ou dépaysement à bon marché et qui le quittaient déçus ou effrayés avec l'injonction de réciter chaque jour le psaume Miserere, de méditer l'Introduction à la vie dévote de Saint François de Sales, de distribuer l'aumône ou de remettre tout simplement de l'ordre dans leur vie. Les méprises pouvaient aussi venir du Père qui, nature forte et caractère marqué, était à la fois candide et peu doué pour l'empathie. A quiconque allait vers lui il accordait vite non seulement l'hospitalité d'une table généreuse - et aux plats
légendairement relevés - mais toute son amitié, assoiffé qu'il était de rencontres. Dans ce domaine, sa naïveté, son empressement et son ignorance de la politesse évasive propre aux Français lui valurent à maintes reprises d'être échaudé, et sa vie ne fut pas seulement marquée par les rencontres et les amitiés mais aussi jalonnée de ruptures et d' abandons qu'il n'avai t pas pressentis - la vigueur même de son génie l'empêc ant d'accéder au point de vue d'autrui et de se montrer pénétrant - qu'il avait inversement précipités, dans sa hantise d'être déçu. Ce candide pouvait alors se montrer rétrospectivement soupçonneux. Mais c'est ainsi que sont les natures fortes, et l'on n'imagine pas un De Gaulle, par exemple, soucieux de se mettre au diapason de son entourage. Comme le Général, le Père, lui aussi rebelle au nom de la Légitimité (de l'Eglise, cette fois, pas de la France) se savait investi d'une mission, et l'appel qu'il entendait au fond de lui assourdissait parfois les nuances de la voix de ses interlocuteurs. Il faut ajouter qu'il y avait en lui du prophète, et c'est fort justement que, lors des funérailles du Père Habra, le p. Booz le compara à Jean Baptiste. Il fut en effet prophète, cet oriental barbu qui prêcha à temps et à contre temps la nécessité de la conversion, qui rappela que les temps étaient proches et que déjà la cognée avait été jetée à la racine de l'arbre. Il fut prophète non à la manière "inspirée" d'un quelconque "charismatique" plus ou moins autoproclamé, mais prophète à la fois de malheur et d'espérance comme Ezéchiel - prêtre lui aussi. Il fut aussi prophète à la manière, non biblique, certes, mais sans doute conforme au Plan divin, d'un Diogène. Non pas bien sûr que le Père eût été cynique en aucun sens du terme, mais parce qu'il partageait avec Diogène le même dédain des conventions et qu'il allait dans la cité (et non dans le désert comme le Baptiste) pour apostropher les hommes et leur rappeler la faiblesse de leur nature et la grandeur de leur vocation.

Tel restera dans mon souvenir ce prêtre qui, le 28 septembre 1994, veille de la Saint Michel dans le rite latin, est monté Là-Haut rejoindre l'Archange et le choeur des Pères pour chanter dans l'idiome des Cieux la gloire du Tout-Puissant.

Qu'il reste en mémoire éternelle.

signé : B.M.


Origine familiale.
Le Père Georges Habra est né à Haïfa en Palestine en 1930, au sein d'une famille chrétienne du Proche-Orient originaire d'Antioche, de langue, non de race, arabe.
Son père était un catholique de rite syriaque (langue araméenne), et le membre le plus connu de cette branche paternelle fut le bienheureux Grégoire-Pierre Habra (1856-1933), métropolite du territoire s'étendant de Mossoul à Damas.
Sa mère appartenait à une famille d'origine byzantine de Saint-Jean-d'Acre. Son grand- père maternel, après avoir été ordonné prêtre de l'Église orthodoxe, s'était converti au catholicisme (Église melkite). Ce choix ne fut pas sans influence sur les orientations futures du Père Georges.

Enfance et adolescence.
L'enfance et l'adolescence du Père Habra se déroulent à Haïfa et à Jérusalem, où son père occupait un poste de directeur dans la Compagnie anglaise des chemins de fer. En cette période du mandat britannique sur la Palestine, le Père étudie chez les Frères des Écoles Chrétiennes, dont l'enseignement, conforme aux programmes scolaires du Royaume-Uni, était donné en langues anglaise, française et arabe.
Très tôt, son intérêt se porte vers les grands auteurs, et spécialement vers ceux qu'il sent proches de sa vocation comme Pascal, Bossuet... Son père, issu d'un milieu où l'usage du français était de tradition, lui avait communiqué, par ses talents de conteur et la fréquente récitation des tirades de Corneille, un amour particulier de la langue française. L'atmosphère familiale a sans doute joué un grand rôle dans le choix qu'il fit ultérieurement de la France comme terre d'élection.
En mai 1948, alors que la guerre consécutive à la création de l'État d'Israël fait rage, sa famille quitte Jérusalem pour Beyrouth.
Sur les instances de son père qui le destine à une carrière médicale, le Père Georges prépare le concours d'entrée à la faculté de médecine mais, le jour de l'examen, rend copie blanche !
En dépit de tous les obstacles que son père sème sur sa route pour éprouver la trempe et l'authenticité de sa vocation - qu'il avait annoncée à sa famille dès l'âge de douze ans - il décide d'embrasser le sacerdoce. Il a alors dix-huit ans.

Séminariste.
Persuadé que la mission des Frères prêcheurs est celle qui répond le mieux à sa vocation, il s'arrache à sa famille et à sa terre, et passe plus d'un an chez les Dominicains de la Sainte-Baume en Provence.
Ce séjour en France le conforte dans la conviction qu'il ne doit pas se déraciner en adoptant un autre rite que celui de ses ancêtres. Il sait qu'il doit désormais être fidèle à la tradition byzantine et en faire le terreau de sa vie spirituelle, s'appuyer davantage sur l'enseignement fondamental des Pères de l'Église et la philosophie de Platon que sur la scholastique et la pensée d'Aristote, tant par inclination profonde que pour corriger les excès de la scholastique et s'affranchir du règne sans partage de la pensée aristotélicienne.
Après quelques mois passés chez les Syriaques catholiques du couvent Deir-Elcharfe qui le «revendiquent » au nom de ses origines familiales, il est admis au séminaire Sainte-Anne des Pères blancs de Jérusalem. Ces années hiérosolymitaines façonnent et cimentent les fondements de sa pensée, et suscitent en lui un enthousiasme jamais démenti pour la patrologie grecque dont il deviendra l'un des exégètes les plus avertis.
L'écrivain et critique littéraire belge Alexis Curvers cerne en quelques lignes ses qualités d'auteur, lorsqu'il écrit en préface du tome 1 de La Foi en Dieu incarné : « Vous y exercez vous-même au plus haut degré, sur tous les objets variés de votre vaste érudition, cette vertu de discernement qui est une de celles dont l'exemple est le plus nécessaire au monde moderne... Votre leçon est beaucoup plus qu'une simple leçon de lecture. A travers les textes, vous montrez les réalités profondes. Vos analyses sont admirables de rigueur et de prudence, non moins que de finesse, de liberté et quelquefois d'audace [...].
Vous nous révélez une fois de plus l'immense richesse de cette patrologie grecque dont l'Occident a grand tort d'ignorer presque tout, sans se douter qu'il aurait beaucoup à apprendre et à recevoir de ces vénérables Pères orientaux qui furent à la fois dépositaires du christianisme le plus pur et héritiers de la sagesse antique. Vous nous rouvrez toute vive cette « source grecque », dispensatrice de lumières surnaturelles et naturelles, synthèse fondamentale de l'entière vérité [...] ».

 Prêtre en Orient.
Le Père Habra est ordonné prêtre le 30 janvier 1955 par Monseigneur Naba'A, en la cathédrale melkite Saint-Élie de Beyrouth. Le 30 janvier est, dans la liturgie byzantine, l'une des fêtes des saints hiérarques: saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, de l'enseignement desquels il devait tant se pénétrer et imprégner ses livres et ses conférences.
Nommé curé de Rafidia près de Naplouse en Cisjordanie, il y demeure quinze ans; de 1955 à 1970.
Naplouse est alors presque un poste de mission. Il doit faire reconstruire l'église qui tombe en ruine, et la bâtit selon les canons de l'architecture byzantine, aidé dans cette entreprise par la générosité d'un évêque allemand.
A la tête d'une communauté de huit cents âmes, qui ne compte guère plus de soixante-quinze paroissiens fidèles, et au milieu de soixante mille Musulmans, le Père fait l'expérience d'un grand isolement. Tout en s'acquittant auprès des Chrétiens de sa mission pastorale, enseignant et exhortant son petit troupeau, il souffre de la pauvreté des échanges intellectuels et spirituels.
La rencontre des pèlerins occidentaux en visite à Samarie ou au Puit de Jacob lui est un baume et un rafraîchissement. Le Père aime à leur servir de guide ou à leur offrir la paix de son jardin. Le carnet d'adresses qu'il constitue à cette occasion lui servira beaucoup au moment de sa venue en Europe, et lui permet dès lors de multiplier de bienfaisants échanges épistolaires.
Chrétien dans un pays à majorité musulmane, il se veut avant tout disciple du Christ, et éprouve puissamment le besoin d'exercer son ardeur apostolique, quelles que soient les difficultés.
Il parvient à établir quelques contacts réguliers avec un groupe de femmes mariées parmi lesquelles quelques Musulmanes, anciennes étudiantes en Occident. Le Père leur donne des conférences sur des thèmes philosophiques ou littéraires, convaincu qu'ils portent les valeurs propices au bon accueil de l'Évangile. L'essentiel de ces échanges est rapporté dans le livre de Raymonda Hawa-Tawil (belle-mère du Président Yasser Arafat), Mon pays, ma prison, édité au Seuil en 1979 :
«J'eus alors la chance de faire connaissance d'un prêtre catholique, le père Georges Habra, originaire de Haïfa. Le père Habra n'était pas un religieux enfermé dans son cloître; il était pleinement conscient de la pauvreté et de la misère de ce monde, qu'il essayait de rendre meilleur en répandant le message chrétien d'amour et d'espoir auquel il avait consacré sa vie. Nous lui avons demandé de nous faire des cours et il a accepté. Sous sa direction, nous avons étudié saint Thomas d'Aquin, Crime et Châtiment de Dostoïevski et Freud. Le thème qu'il nous proposait était le rejet de tout ce qui restreint le libre arbitre de l'individu.
Inévitablement, nous abordions dans nos discussions le problème du statut des femmes. Il nous montrait que nous étions, en tant que femmes, statiques, passives et soumises. Il nous répétait le point de vue de Dostoïevski selon lequel se marier sans y être consentante ne valait pas mieux: pour une femme que la prostitution, idée révolutionnaire dans notre société où la plupart des mariages étaient arrangés.
Le père Habra nous apprit à ouvrir les yeux et à voir notre situation sous son vrai jour. Mais il ne pouvait guère nous offrir de solution pratique. Un jour, alors que je lui parlais de mes préoccupations, il tenta de me consoler en disant: « Le monde extérieur est vain; essayez de renforcer votre vie intérieure! » Professant que la souffrance est la voie qui mène à la grandeur, il nous conseillait de nous conformer aux conventions; par la sublimation, nous pourrions transcender notre situation [...] »
Finalement, Naplouse aura été pour le Père Georges un creuset qu'il reconnaîtra par la suite comme providentiel: il y a puisé, au cœur de quinze années d'épreuves de toutes sortes, de quoi fortifier sa vie contemplative et approfondir l'étude de l'Écriture, des Pères de l'Église, et d'un courant dont son œuvre est aussi très imprégnée: celui des Pères du désert.
 

En route vers l'Europe.
Le Père entreprend un premier voyage en Europe en 1969 sur l'invitation de quelques touristes rencontrés en Terre Sainte, et en particulier d'une famille aristocratique allemande. Il passe ainsi trois mois à visiter grands musées et monuments, s'attachant. beaucoup à étudier la mentalité occidentale dont la connaissance qu'il avait alors empruntait plus à la Comédie humaine de Balzac qu'à la réalité.
A son retour en Orient, le cardinal de Cologne lui offre une bourse pour préparer une licence de théologie dans le pays européen de son choix.
La Providence lui indiquait ainsi clairement le chemin de l'Europe !

Le ministère du Père et sa carrière d'écrivain
Fort de la compréhension et des encouragements de son patriarche Maximos V Hakim (patriarche d'Antioche et de tout l'Orient, d'Alexandrie et deJérusalem), le Père arrive à Paris en septembre 1970.
Dès le début de son séjour, il sait qu'il lui faudra trouver un équilibre entre les charges du ministère sacerdotal et les contraintes d'un devoir d'écrivain religieux, que les deux apostolats devront aller d'un même pas et se nourrir l'un l'autre.
Pour brosser en quelques traits le caractère de l'homme, peut-être faut-il s'appuyer sur ce qu'il donnait à voir de sa vie, son style de vie, illustration fragmentaire certes, mais combien éloquente.
Épris de solitude, il opta toujours pour un logement indépendant, proche de Paris, commençant sa journée de bonne heure par l'étude et la messe, l'achevant souvent par une marche en forêt. Il choisit ainsi Rambouillet, puis Fontainebleau où il vécut près de vingt ans.
Tous ceux qui sont venus lui rendre visite dans ses différents appartements partagent
le souvenir d'identiques images que décrit très justement l'un de ses amis: « Il fallait le rencontrer dans son logis austère et pauvre, parfumé d'encens athonite et résonnant de mélodies byzantines, sous le masque mortuaire de Pascal, pour saisir la grandeur solitaire d'une âme que désolait la futulité hédoniste et triviale de notre époque. »

Dans les sentiments que son hospitalité laissait deviner, il y avait un peu de la fraîcheur, de la bonté, de la simplicité des Pères du désert.
Certains ont plutôt vu en lui l'image du staretz russe.

Quels que soient les mots utilisés pour dépeindre la vie du Père, celle-ci était assurément empreinte de la plus pure source évangélique; il demandait à chacun de ses amis et fils spirituels d'avoir, de personne à personne, des rapports vrais, dénués d'hypocrisie, un sens profond de la parole donnée, et ne souffrait de rien tant que de ce « désaimer facile» fustigé par Barbey d'Aurévilly chez les Parisiens.

Il marquait en effet chacune de ses nouvelles rencontres; s'attachant à découvrir, à sa manière à la fois candide et perspicace, l'âme de chacun, se réjouissant toujours de la manifestation d'une vraie sympathie humaine, qui lui semblait indispensable à l'établissement d'une relation plus spirituelle.
C'est aussi avec une extrême réserve et une grande pudeur, soucieux de ne jamais forcer les consciences mais seulement de les éclairer, qu'il exhortait à faire siennes les paroles de saint Basile citées dans le tome II du Discernement spirituel : « Applique ton esprit avec grande rigueur à toi-même, afin que tu saches dispenser à l'une et à l'autre ce qui lui appartient: à la chair, la subsistance et la couverture; à l'âme, les dogmes de la piété, les mœurs suaves, l'ascèse de la vertu, la correction des passions. »

Son ministère à Paris
Peu après son arrivée dans la capitale, il est nommé vicaire à Saint-Julien-le-Pauvre où il reste pendant cinq ans.
Évoquant cette période, le Père Booz rappelait, dans l'homélie qu'il prononça le jour des funérailles du Père Habra, combien était encore vivant à Saint-Julien-le-Pauvre le souvenir du chant byzantin sublime dont résonnaient les messes qu'il célébrait. La force des homélies qu'il livrait à la méditation de ses fidèles et qui, selon la plus pure tradition Chrysostomienne, mêlaient à tout commentaire théologique de l'Écriture une exhortation morale, est inoubliable.

Autour de la paroisse melkite, s'était constitué un réseau d'amis qui, conscients de la puissance de raisonnement du Père, des trésors de la patristique dont il était dépositaire et de sa vaste culture, le poussèrent à donner des conférences.

C'est ainsi que prirent corps peu à peu à Paris, à Versailles, à Vaux-le-Pénil près de Melun (avec l'Association familiale catholique) et à Rouen, entre autres, des groupes de conférences. Dans chacun de ces groupes, un cycle sur l'Écriture Sainte alternait régulièrement avec un autre cycle sur la vie et la doctrine des saints et de grands penseurs. Soucieux de ne jamais se répéter, le Père renouvelait chaque année le choix de ses sujets. Il incitait ses auditeurs à exercer leur sens moral et esthétique et leur discernement spirituel sur les grandes œuvres, s'attachant, sans pourtant négliger l'analyse, à développer chez eux l'intuition, c'est-à-dire, selon l'expression de Bergson, « la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable ». Il exhortait inlassablement ses amis à aller aux textes, afin de coiffer cette couronne scintillante dont chacune des perles brille d'un éclat singulier: le sens épique chez Homère, le tragique pascalien, l'amertume du péché chez Baudelaire, le cœur spirituel blessé de Bloy, l'intuition métaphysique de Dostoïevski, le sens profond de la charité chrétienne chez Dickens...

Il savait balayer les réflexes hypocrites d'un certain conformisme chrétien et ne craignait pas de faire étudier la vie ou l' œuvre de personnalités aussi marquantes que Luther ou Freud, à rebours de tout esprit de chapelle ou de système, s'efforçant de dégager ce qu'il y avait de fondé dans certaines de leurs réactions ou de juste dans leur pensée, mais sans aucune complaisance à l'égard de leurs erreurs.
Le dernier cycle qu'il entreprit avant sa maladie fut consacré à Érasme, un auteur avec lequel, autant qu'il nous fût permis d'en juger, il se sentait de profondes affinités.

L'écrivain.
Le Père composa sept ouvrages selon une trame précise qui faisait alterner une œuvre de théologie morale et une œuvre de théologie pure.
Il publia ainsi:

- en 1973 La Transfiguration selon les Pères grecs, sa thèse de licence à l'Institut catholique de Paris dont la deuxième édition corrigée a paru en 1986.

Dans la lettre préface de l'œuvre, le Patriarche Maximos V Hakim retient entre autres, la conception du Père sur le véritable œcuménisme et sur les relations entre les Orientaux et les Latins :
« Dans tout ce travail, vous avez fait preuve d'une rare connaissance de la patrologie grecque. De ces Pères, on a dit que chacun à lui seul contrebalance le monde entier, mais que si chacun est un monde à part, tous ensemble ont aussi une physionomie qui leur est propre [...]. D'autres auteurs ont cherché à présenter les points communs entre les Pères grecs et les théologiens occidentaux. Cette recherche, fort louable, est nécessaire pour le rapprochement œcuménique. Mais ne convient-il pas aussi de mettre en relief  l'originalité des Orientaux, leur caractère distinctif dans leur façon de comprendre le christianisme ? C'est ce que vous avez essayé de faire, n'hésitant pas, à l'occasion, à accorder une attention spéciale aux textes qui posent des difficultés particulières, ou à relever les divergences de compréhension qui semblent extrêmes, dans l'unité de la foi. Et nous considérons que votre essai est utile pour éviter l'écueil que courent parfois certains œcuménistes de diluer la personnalité des traditions orientale et occidentale l'une dans l'autre. »

- en 1976 : Amour et Concupiscence (traduit en roumain en 1994 aux éditions Anastasia).
Ce livre de référence traite en profondeur toute la morale sexuelle telle que l'Église
l'enseigne. Il fut en particulier salué par André Malraux « pour sa conception fondamentale », et reçut cette appréciation du Patriarche: « Ce sujet qui de tout temps, a occupé à fond tous les hommes, est aujourd'hui souvent traité d'une manière peu digne des hommes: oubliant que la nature humaine est douée d'un instinct et d'une raison, c'est aujourd'hui l'instinct qui accapare pour ainsi dire l'attention, laissant dans l'oubli la raison qui doit gouverner l'instinct. Aussi le désarroi est-il à son comble, l'âme des fidèles étant très troublée par toutes les choses contradictoires qu'ils entendent et qui noient à leur perception la vraie doctrine de l'Église. D'où la nécessité du ressourcement, c'est-à-dire de remonter à ces sources très pures que sont les Pères. En exposant leurs idées, vous n 'hésitez pas à user de leur vocabulaire parfois très libre, appelant les choses par leurs noms, au risque de choquer les oreilles habituées à plus de réserve. Vous justifiez leur style en cette matière en invoquant l'exemple de la Sainte Écriture elle-même. D'ailleurs, toutes les choses ne sont-elles pas pures pour ceux qui ont l'intention pure ?
En troisième lieu, votre travail constitue une réaction contre ce qu'on a appelé l'agenouillement devant le monde et « la vénération catholique actuelle de la chair», contre le courant du laisser-aller du soi-disant « épanouissement » prônés par des écrivains ou des « théologiens » en matière sexuelle. Ce courant a été lui-même une réaction contre une attitude précédente où la doctrine chrétienne était déformée, mésinterprétée, confondue, à certaines époques, avec le manichéisme ou le puritanisme, ou confondue avec la façon dont beaucoup de Chrétiens conçoivent et vivent l'Évangile. Vous essayez de corriger les erreurs, les déviations, les confusions, qui font parfois transformer la doctrine chrétienne en cible facile des critiques ou même du mépris des autres.
D'aucuns voudraient séparer la morale du dogme. Mais si les vérités dogmatiques continuent, au gré de la mode et du goût de certains groupes, à devenir fluides, ambiguës, relatives, la morale perd alors sa base principale, devient elle aussi subjective, personnelle. C'est à ce moment qu'il faut, avec les Pères, demeurer ferme dans l'affirmation des principes.
Des lecteurs vous trouveront rigoriste, traditionnaliste, et même arriéré: certaines de vos expressions y prêtent sans doute le flanc!. .. D'autres trouveront que ce que vous dites est « trop difficile à écouter». Mais lorsque pareille objection a été faite à N. S. Jésus-Christ et que les disciples l'ont pour cela abandonné, Notre-Seigneur n'a pas adouci ou assoupli son enseignement. Au contraire, Il a demandé à ceux qui lui étaient restés fidèles s'ils voulaient eux aussi s'en aller. Dans ce cas, faisons à cette question la réponse qu'au nom des disciples fidèles Simon-Pierre a faite à Notre-
Seigneur: « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » Ev. Jean 6,68.

- en 1977 : La Mort et l'Au-Delà (2e édition corrigée en 1992)
 

- en 1980 : Du Discernement Spirituel - Tome I.
L'orgueuil et l'humilité; la colère et la mansuétude.

- en 1983 : Du Discernement Spirituel - Tome II.
La tristesse et la joie, l'ennui et la persévérance, la gourmandise et la sobriété, l'amour de la richesse et celui de la pauvreté.

- en 1989 : La Foi en Dieu incarné.

Le tome I (justification rationnelle) se propose de démontrer que notre foi chrétienne et catholique en un Dieu incarné n'est pas crédulité; qu'elle est, par conséquent, rationnellement justifiable;

- en 1994 : La Foi en Dieu incarné.
La première partie du tome II « Le Mystère » traite de la Trinité, de la Chute et de l'Incarnation; la deuxième partie que le Père se proposait d'écrire et qu'il n'a malheureusement pas eu le temps de rédiger, devait porter sur la Rédemption, la Résurrection, l'Eucharistie et le Baptême.
 

Le missionnaire de la culture et de la foi.
En 1986, le Père fonde l'Association pour l'Étude et l'Enseignement des Pères de l'Eglise qui a pour but de développer, par l'étude des Pères de l'Eglise, la connaissance concrète de la vie chrétienne (dogme, morale et culte) et de ses fondements philosophiques et historiques; de comprendre l'Écriture divine selon l'enseignement commun des Pères.
Une activité qui lui tint aussi très à cœur fut l'organisation de quelques pèlerinages à la montagne de la Salette et, à partir de 1985, de voyages dans le Bassin méditerranéen. Il préparait ces pèlerinages et ces voyages avec passion et minutie, faisant étudier, pour la Salette, le message secret de la Sainte Vierge et la vie des deux voyants ou s'efforçant, au fil des voyages, de faire ressortir la grandeur de la culture gréco-latine et son prolongement providentiel dans l'empire byzantin.
Enfin, pendant plus de dix ans, des années 1980 à sa mort, sous l'autorité de Monseigneur Descamps, puis de son successeur Monseigneur Cordonnier de l'évêché de Paris, il célébra la messe tous les dimanches et jours de fête à la Chapelle Notre-Dame-des-Malades, dans la Maison des Missionnaires de la Charité de Mère Térésa. Il avait à cœur de rendre gloire à Dieu en ornant la chapelle d'icônes et en acquérant de beaux ornements pour le culte divin.

Sa mort.
Atteint d'un cancer au cerveau en décembre 1993, il montre face à la maladie une foi si indéfectible en la bonté divine qu'on pouvait lui prêter les paroles prononcées par saint Jean Chrysostome avant de mourir exilé: « Gloire à Dieu pour toutes choses. »
Il mourut le 28 septembre 1994 chez un ami, veillé par sa famille, ses enfants spirituels et tous les amis qui lui témoignaient ainsi leur reconnaissance et leur affection. L'office des funérailles eut lieu à Saint-Julien-le-Pauvre en présence de tout le clergé melkite et de Monseigneur Maksud de l'Œuvre d'Orient. Il est inhumé au cimetière Montparnasse dans un caveau des prêtres du diocèse.
On peut reprendre la conclusion d'un article que son ami Jean-Paul Besse écrivit quelque temps après sa mort :
« Son exemple et son œuvre brillent dans une nuit souvent « privée d'étoiles» mais dont il fut l'inlassable veilleur. Mémoire éternelle ! », et la fin d'un poème de saint Grégoire de Nazianze:
« Sauve-moi, Verbe de Dieu, sauve-moi, Ravis-moi à la morne poussière, Emporte-moi sur l'autre rive. Là, l'esprit pur danse autour de ta splendeur, Et les nuées ne l'habillent plus d'ombres. »
 
 
 


article dans le mensuel France Catholique N° 3036 du 1er septembre 2006
p.20 à 24

Le Père Habra, ancien vicaire de saint Julien le Pauvre à Paris, mort en 1994, était une personnalité marquante, non seulement par sa pensée, mais aussi par sa vie donnée à la suite du Christ. Son influence perdure.
 
 

Anne Montabone de France Catholique : Jacques Baudeau, vous êtes fonctionnaire au ministère de la Culture et l'exécuteur testamentaire du Père Georges Habra et vous venez de faire rééditer plusieurs de ses livres aux éditions du Jubilé. Dites-nous d'abord d'où venait le Père Habra ?
 

Jacques Baudeau: Le Père Habra est né à Haïfa en Palestine en 1930, à un moment où la Palestine était sous mandat britannique. L'influence occidentale sur les milieux chrétiens était alors immense, qu'on pense à la place des Frères des Ecoles Chrétiennes dans l'éducation, celle des Dominicains dans l'archéologie, ou à des entreprises apostoliques comme l'Œuvre d'Orient.

Les chrétiens de ces pays voyaient l'Europe et surtout la France comme leurs protecteurs contre d'éventuels massacres, l'arrière grand-mère du Père Habra n'avait-elle pas perdu la raison à la suite du massacre devant elle par des séides ottomans de trois de ses fils à Damas en 1860, l'intervention des forces de Napoléon ayant rétabli la paix.

Aussi loin qu'on puisse remonter vers les racines du Père Habra, on peut situer à Antioche l'origine paternelle et à Saint-Jean d'Acre l'origine maternelle.

Famille chrétienne du Proche-Orient, de langue arabe mais non de race, la famille Habra est syrienne d'Antioche. Comment ne pas voir un clin d'œil de la Providence dans la sympathie que nourrira le Père Georges pour saint Jean Chrysostome, son plus illustre "compatriote".

Anne Montabone de France Catholique :  De quel rite était-il ?

Jacques Baudeau: Du côté Habra, on était catholique de rite syriaque. La liturgie syrienne dite en araméen est celle de l'Eglise d'Antioche au IVème siècle, mais elle a subi divers remaniements en particulier par l'introduction de la Messe dite "de saint Jacques". Le chant ecclésiastique syrien est perçu généralement comme grave et sans doute moins profondément artistique que le chant byzantin des églises melkites grecques catholiques.

Il est difficile de trancher avec assurance la question du choix que le Père Habra a fait entre les deux rites dont il était issu  mais la splendeur du rite et la beauté du chant byzantin ont certainement poussé le Père à garder le rite de sa famille maternelle.

Anne Montabone de France Catholique :  Que sait-on de son appel par Dieu ?

Jacques Baudeau:  Un fait personnel est à noter dans sa vocation précoce au sacerdoce:
dans les premières années de leur mariage, ses parents n'arrivaient pas à avoir d'enfants. Sa mère fit un vœu à saint Georges, dont le sanctuaire principal est à Lydda, près de Tel Aviv, lieu de son martyre. Le vœu fut exaucé, le Père Georges fut le premier de sept enfants !

Anne Montabone de France Catholique :  Quel est son parcours jusqu'à son arrivée en France ?

Jacques Baudeau: L'enfance et l'adolescence du Père Habra se déroulent à Haïfa et à Jérusalem, où son père occupait un poste de directeur dans la compagnie anglaise des chemins de fer. En cette période, Georges Habra étudie chez les Frères des Ecoles Chrétiennes, dont l'enseignement, conforme aux programmes scolaires du Royaume Uni, était donné en langues anglaise, française et arabe;
Très tôt, son intérêt se porte vers les grands auteurs, et spécialement vers ceux qu'il sent proches de sa vocation, comme Pascal, Bossuet. Il nous racontait qu'au lieu de jouer dans la cour de récréation, il approfondissait le contenu des Pensées en s'entretenant avec le Père chargé de la surveillance. Pascal sera toute sa vie un ami dont il aura toujours, exposé dans son logement, le masque mortuaire.
 

Anne Montabone de France Catholique : Etait-il porté par sa famille dans ces inclinations intellectuelles ?

Jacques Baudeau: Son père, issu d'un milieu où l'usage du français était de tradition, lui avait communiqué par ses talents de conteur et la fréquente récitation des tirades de Corneille, un amour particulier de la langue française. l'atmosphère familiale francophile a sans doute joué un grand rôle dans le choix qu'il fera ultérieurement de la France comme terre d'élection et du français comme langue de prédilection.
En mai 1948, alors que la guerre consécutive à la création de l'Etat d'Israel fait rage monsieur et madame Habra et leurs sept enfants croient bon de fuir Jérusalem pour Beyrouth. Sur les instances de son père qui le destinait à une carrière médicale, le père Georges prépare le concours d'entrée à la faculté de médecine mais, le jour de l'examen, rend mystérieusement copie blanche !
En dépit de tous les obstacles que son père, pourtant profondément croyant sème sur sa route pour éprouver la trempe et l'authenticité de sa vocation, qu'il avait annoncée à sa famille dès l'âge de 12 ans, il décide d'embrasser le sacerdoce. Il est alors dans sa dix-huitième année.

Attiré par la mission, il intègre le noviciat des frères dominicains à la sainte-Baume en Provence. Là, il sent qu'il ne peut renier ses racines liturgiques. Il revient faire un noviciat chez les Pères Blancs, à Sainte-Anne de Jérusalem. Ordonné prêtre le 30 janvier 1955, : il est incardiné chez les grecs melkites catholiques.

Anne Montabone de France Catholique : De là, a-t-il été envoyé en mission ?

Jacques Baudeau: Il est nommé curé de Rafidia près de Naplouse, en Cisjordanie. Il y demeure quinze ans, de 1955 à 1970. Il doit faire reconstruire l'église qui tombe en ruine, et la bâtit selon les canons de l'architecture byzantine, aidé dans cette entreprise par la générosité d'un évêque allemand.
 

Anne Montabone de France Catholique : Comment a-t-il vécu ces années sur ces
terres islamiques ?

Jacques Baudeau: A la tête d'une communauté de 800 âmes, qui ne compte guère plus de 75 fidèles, et au milieu de 60.000 musulmans. Tout en s'acquittanaurpsè des chrétiens de sa mission pastorale, enseignant et exhortant son petit troupeau, il souffre de la pauvreté des échanges intellectuels et spirituels. La rencontre des pèlenns occidentaux en visite à Samarie ou au Puit de Jacob lui est un baume. Le père aime à leur servir de guide ou à leur offrir la paix de son jardin. le carnet d'adresses qu'il constitue à cette occasion lui servira au moment de sa venue en Europe et lui permet dès lors de muttip1ier de bienfaisants échanges épistolaires.

Anne Montabone de France Catholique : A-t-il organisé une "mission" auprès des musulmans ?

Jacques Baudeau: Chrétien dans un pays à majorité musulmane, il se veut avant tout discliple du Christ et éprouve puissament le besoin d'exercer son ardeur apostolique, quelles que soient les difficultés. Il ne lui était pas rare de subir des humiliations de la part de certains musulmans et lors de ses promenades aux alentours de son presbytère, des jets de pierres de la part d'enfants.
Il est difficile pour les Occidentaux d'imaginer la vie d'un religieux chrétien dans une terre majoritairement musulmane.

II parvient à établir quelques contacts réguliers avec un groupe de femmes mariées, parmi lesquelles quelques musulmanes, anciennes étudiantes en Occident. Le père leur donne des conférences sur des thèmes philosophiques ou littéraires, convaincus qu'ils portent les valeurs propices au bon accueil de l'Evangile. L'essentiel de ces échanges est rapporté dans le livre de Raymonda Hawa-Tawi (belle- mère du président Arafat) Mon pays, ma prison : "j'eus alors la chance de faire la connaissance d'un prêtre catholique, le Père Georges Habra (...) Inévitablement, nous abordions dans nos discussions le problème du statut des femmes. Il nous montrait que nous étions en tant que femmes, statiques, passives et soumises. Il nous répétait le point de vue de Dostoïevski, selon lequel se marier sans y être consentante ne valait pas mieux pour une femme que la prostitution. Idée révolutionnaire; dans notre société où la plupart des mariages étaient arrangés."

Finalement, Naplouze aura été pour le Père Georges un creuset qu'il reconnaîtra par la suite comme providentiel : il y a puisé, en quinze années d'épreuves de toutes sortes, de quoi fortifier sa vie contemplatives et approfondir l'étude de l'Ecriture, des pères de l'Eglise, et d'un courant dont son œuvre est aussi très imprégnée, celui des Pères du désert.

Anne Montabone de France Catholique : Sa venue en France est un choix personnel ?

Jacques Baudeau: Le cardinal-archevêque de Cologne lui a offert une bourse pour préparer une licence de théologie dans le pays européen de son choix, et son patriarche, Maximos V Hakim, un poste de vicaire à la paroisse melkite Saint-Julien le Pauvre de Paris. La route vers la France était claire... Tout concourait non seulement à faire venir le père Habra en France, mais aussi à le faire devenir français : l'héritage familial et surtout l'admiration qu'il portait à l'histoire de France
et à sa langue. N'écrivait-il pas de Naplouze, à une jeune fille française, parlant de sa scolarité; "J'avais un culte spécial. pour la littérature française, au point que les élèves aimaient me taquiner au sujet de Pascal., Racine, Molière, Hugo". Il portait très haut la vocation civilisatrice de la France, fille aînée de l'Eglise et maîtresse d'équilibre, en fait la plus proche nation par l'esprit d l'idéal grec. Dans la même lettre, il poursuivait en parlant de sa famille : "Tous nous aimions la France, mon père en était enthousiaste".

Anne Montabone de France Catholique : N'a-t-il pas été déçu ?

Jacques Baudeau : Il souffrit lorsqu'il se rendit compte combien les Français de notre époque étaient aliénés de leur histoire et connaissaient mal leur littérature. Le Père manifestait une noble îndignation quand la France était rabaissée, insultée. Il pensait que la France, si pénétrée autrefois de son génie, était tombée dans la honte d'elle-même depuis la défaite de 1870 et les humiliations des deux guerres mondiales.

Anne Montabone de France Catholique : Comment l'avez-vous rencontré ?

Jacques Baudeau: l'apostolat du père Habra se fit petit à petit, de bouche à oreille, J'ai été invité à un cycle de confèrences qu'il tenait chez des particuliers à Paris. A partir de Saint Julien le Pauvre, le père Habra a constitué différents groupes qui l'invitaient pour traiter de questions aussi bien théologiques et spirituelle que littéraires : tout concourant au bien pour celui qui veut le bien.

Anne Montabone de France Catholique : Qu'enseignait-il ?

Jacques Baudeau: Voulant que la foi soit fondée sur une raison solide et le respect des lois naturelles, et que nous ne répétions pas comme des perroquets des formules spirituelles toutes faites, il avait à coeur de nous enseigner, l'instar des Peres de l'Eglise, la philosophie classique surtout celle de Platon, afin que les distinctions fondamentales soient reconnues : âme-corps, raison-instinct  et que nous ne posions pas certaines questions vaines comme celle de la démonstration du monde extérieur.
Il est bon de citer un trait de son esprit et même de son humour, alors qu'il écrit, dans le tome recemment réédité de Du Discernement spirituel : "je pose comme allant de soi l'existence objective du monde extérieur. A ceux qui exigeraient une preuve en bonne et due forme, je répondrai que je récuse mon sans malice et même avec insolence de suivre cette voie, quel que soit par ailleurs le nombre de grands philosophes qui depuis Descartes s'y sont résolument engagés ? Pourquoi ? C'est que je les soupçonne tous fortement, les uns tel Descartes, en tentant de prouver avec les intentions les plus louables l'existence du monde extérieur, les autres tel Kant, Hegel et la phénoménologie moderne en "absorbant" ce qui est bien pire, le monde extérieur dans notre monde intérieur, je le soupçonne, dis-je, d'être habités par un certain grain de folie, et d'être certainement des rustres, selon le mot d'Aristote : "c'est un rustre, en effet, que de ne pas savoir distinguer entre ce qui exige de nous une démonstration et ce qui au contraire nous en dispense".

Anne Montabone de France Catholique : Y avait-il en lui quelque chose qui attirait les foules ?

Jacques Baudeau: Ce qui était frappant chez le père Habra, c'était à la manière de Socrate cette grande sympathie qu'il éprouvait pour toute personne, et la force avec laquelle il voulait nous montrer la vérité. Il faisait reposer toutes les exigences du salut sur la volonté divine et sur la méditation continue qu'il avait des Pères de l'Eglise et des Pères du Désert.

Il répétait souvent qu'il a manqué du sang de Pascal dans la philosophie moderne. Fort de cette conviction, il rassembla dès le début de son ministère à saint Julien [le Pauvre] quelques intellectuels issus de mai 68, souvent sans racines religieuses et pour lesquels la radicalité philosophique et spirituelle du Père fut un tremplin.
 

Anne Montabone de France Catholique : Avait-il une philosophie personnelle ?

Jacques Baudeau: Tous ses commentaires théologiques et spirituels se compénétraient d'une exhortation morale. La morale. La morale comme l'Eglise l'enseigne, celle qui n'est autre que "le dogme vécu". Cette morale est donc comme chez Platon, suspendue au Souverain Bien, et qui plus est un Souverain Bien surnaturellement connu et surnaturellement aimé. Il est écrit: "les vertus sont devenues chez les Pères rien moins que l'imitation du Dieu incarné, réalisée en nous par l'Esprit Saint Lui-même.

Anne Montabone de France Catholique : On dit que le Père Habra avait un caractère très "marqué" !

Jacques Baudeau:  Cette unité que le père Habra voulait toujours avoir entre la pensée et l'acte lui faisait porter un grand honneur à la parole donnée et une horreur de l'hypocrisie sous toutes ses formes. Il n'avait rien tant en honneur que l'esprit relativiste qui veut nous faire accroire que ce qui était bon du temps des Pères [de l'Eglise] ne le serait plus aujourd'hui. Non, les Pères [de l'Eglise] répondent aux questions de l'homme de toujours, la vérité ne change pas. Il est vrai qu'il parlait avec beaucoup d'ardeur.
 

Anne Montabone de France Catholique : Quelle est la progression du livre dont vous avez aidé à la réédition ?

Jacques Baudeau: Ce livre parle de t'amour et de la concupiscence entre l'homme et la femme. Deux autres livres suivront bientôt, parlant des dix autres vertus et vices (colère/mansuétude, ennui/persévérance, tristesse/joie, gourmandise/sobriété, amour des richesses/amour de la pauvreté).

Le Père, pour définir l'amour sexuel comme la tension vers le bien, s'appuie sur la Révélation, les Pères de l'Eglise et tout ce qu'il peut trouver de bon dans la littérature profane.

Convaincu que la civilisation moderne est selon la parole de Bergson "aphrodisiaque", le Père veut donner dans ce livre des explications en tant que théologien et des remèdes en tant que moraliste et pasteur d'âmes.
Il veut montrer d'abord que nous sommes âme et corps, raison et instinct, que la raison est une lampe allumée, que l'on éteint pour pécher. On peut noter également une pensée très belle sur la femme, "qiu devient aimante lorsqu'elle est aimée". Le Père Habra avait une haute opinion de ce qu'est être "la chair de la chair" et "l'os des os" de l'homme. Le but du Père Habra est clair : il a étudié les vertus et les vices et vous nous donner les remèdes pour ces derniers. Fin.
 
 
 

www.JesusMarie.com