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Saint Robert Bellarmin
Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps
Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.
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2018 03 18 19h20 début
                                             LA SECONDE CONTROVERSE GÉNÉRALE
                                          LES MEMBRES DE L’ÉGLISE MILITANTE
                                                 LIVRE PREMIER
                                                                  Les clercs
                                                                      Préface
Chapitre 1 Du nom des clercs et des laïcs.
Chapitre 2 Sous le nom de clercs et de laïcs, est proposée la question de l’institution des ministres de l’Église.
Chapitre 3 Il n’appartient pas au peuple d’ordonner les ministres.
Chapitre 4 Ce n’est pas au peuple, mais aux évêques à appeler les  ministres.
Chapitre 5 L’élection des ministres ne se fait pas par Dieu seul.
Chapitre 6 Il ne convenait pas aux prêtres chrétiens de se propager par une succession charnelle.
Chapitre 7 Il ne revient pas au peuple, par un droit divin, d’élire le pontife et les autres ministres de l’Église
Chapitre 8 L’élection des évêques n’appartient pas au clergé ou au peuple de droit divin, mais au souverain pontife.
Chapitre 9 La façon d’élire le souverain pontife par les seuls cardinaux est la meilleure de toutes.
Chapitre 10 À qui appartient l’élection du souverain pontife s’il n’y a plus de cardinaux.
Chapitre 11 Du nombre des ordres ecclésiastiques.
Chapitre 12 De l’antiquité des ordres.
Chapitre 13 Des offices des ministres
Chapitre 14 De la distinction entre épiscope et presbyte
Chapitre 15 Réfutation des erreurs
Chapitre 16 Les cardinaux
Chapitre 17 Les chorépiscopes
Chapitre 18 Le célibat des prêtres.  Est-il de droit divin ?
Chapitre 19 Le célibat est-il de droit apostolique ?
20On répond aux objections de Calvin
21On réfute les arguments de Philippe
22On réfute les arguments des magdebourgeois
23La bigamie
24On réfute les objections de Luther
25La dime
Doute 1.   Le précepte de la perception des dimes peut-il être abrogé par une coutume contraire ?
Doute 2.  Les laïcs pauvres sont-ils tenus de donner à des clercs riches ?
Doute 3.  Peuvent-ils être excusés de péché ceux qui ne payent pas la dime là où aucune coutume n’existe dans ce sens ?
Doute 4.  Quelle raison peut-on donner pour montrer qu’est juste la prescription qu’a faite aux chrétiens l’Église de payer la dixième partie de leurs revenus ?
Chapitre 26.  Les possessions des clercs obtenues par les dons des laïcs.
Chapitre 27.  Les dons des séculiers.
Chapitre 28. Les clercs sont-ils libres du joug de la puissance séculière ?
Chapitre 29 L’exemption des clercs provient-elle du droit de la nature ?
Chapitre 30.  Réfutation des arguments contraires.

                                           PRÉFACE
 AUX TROIS LIVRES DES MEMBRES DE L’ÉGLISE MILITANTE
                                                       CHAPITRE PREMIER
                                                Du nom de clercs et de laïcs
Ce que veulent dire ces mots de laïc et de clerc, je pense que personne ne l’ignore.  Même s’ils ont une origine grecque, ce sont des mots qui nous sont familiers, et archi connus.  Car qui ignore que le mot laon signifie, pour les Grecs, ce que le mot populus (peuple) signifie pour les latins. Que ce qu’ils nomment klèron  signifie pour nous, fort ou héritage ? Les laïcs sont donc des  gens de la plèbe ou du peuple à qui n’est demandée aucune part du ministère ecclésiastique.  Les clercs sont comme l’héritage du Seigneur.  Consacrés au culte divin, ils ont reçu, par l’ordre de Dieu, la charge de pourvoir à la religion et aux choses sacrées. Saint Jérôme, dans son épitre à Nepos, dit qu’il faut d’abord  chercher à définir le mot clerc par son origine. S’il vient du mot grec kliros,  qui veut dire sort en latin,  on les nomme clercs  parce qu’ils sont du sort du Seigneur, ou parce que le Seigneur est lui-même le sort, ou la part des clercs.  Pourquoi appelle-t-on sort l’héritage, probablement parce que l’héritage est la plupart du temps divisé entre plusieurs.  D’où ce mot du prophète (psaume 77 ) : « Il a divisé au sort la terre avec le cordeau de l’arpenteur. »
Si l’héritage entier est échu à une seule personne, cela ne se fait pas par un choix, mais par la nécessité.  Car, on nait héritier, on ne le devient pas.   Qui a jamais dépensé du temps et de l’énergie  pour naître le fils et l’héritier de celui-ci plutôt que de  celui-là ?  C’est ce dont, selon saint Jean Chrysostome,  parlait saint Paul, quand il a dit aux Colossiens : « Dieu nous a rendus dignes d’avoir part au sort des saints. »  Et de plus, aux Éphésiens : « Dans lequel nous sommes appelés par le sort. »  Non pas (comme le veulent les luthériens) parce que la béatitude éternelle s’acquiert sans aucun mérite, mais parce que nous sommes appelés à la grâce et à l’adoption des fils,  sans aucune de nos œuvres.  Car, ils se trompent les pélagiens  eux qui, dans la conversion et la pénitence du pécheur, attribuent les premières parties à l’homme, et les dernières à Dieu.  Car, comment sommes-nous appelés par le sort,  si c’est pas notre travail et notre effort que nous prévenons Dieu ?  Personne donc, n’invoque la grâce sans avoir été prévenu par la grâce; personne ne choisit Dieu sans avoir été préalablement choisi par Dieu; personne n’aime Dieu sans avoir été aimé par Dieu.  Celui-ci convertit des gens qui s’étaient détournés de Dieu, cet autre appelle des errants,  il est trouvé par ceux qui ne le cherchent pas, et il apparait à ceux qui ne l’interrogent pas.  Que Dieu soit pour nous un sort, cela vient de la providence et de la prédestination divine.  C’est don avec sagesse que l’apôtre joint l’un à l’autre quand il dit : « Dans lequel nous sommes appelés par le sort, prédestinés selon le propos de sa volonté. »  Et voilà pour la signification des mots clerc et laïc.
À ce sujet, entre les hérétiques et nous,  nait une première question.  A-t-on raison ou pas de diviser les chrétiens en clercs et laïcs ?  Les  luthériens et les calvinistes ne nient pas que le ministère de la parole et des sacrements n’appartient pas également à tout le monde,  puisqu’ils ont eux aussi leurs ministres et leurs pasteurs, qu’ils  appellent des surintendants, et à qui ils confient le soin pastoral des âmes.   Mais comme leurs contestations et leurs schismes sont nées de la haine des clercs et de l’estime des laïcs,  le mot clerc n’exprime plus pour eux aucune excellence ou dignité, et il a été remplacé par le mot  ministre.  C’est pourquoi Luther, dans son livre infernal de l’abolition de la messe privée, écrit, en commentant ce passage de saint Pierre : « Ne dominant pas sur les clercs »,  « Cette traduction (ne dominant pas sur  les clercs) vient de l’incurie d’un traducteur, qui a fait en sorte que, dans ce mot, on voie des clercs, qu’une impie tradition avait séparés des laïcs. »  Et plus bas : « Réjouissons-nous parce  qu’il a dit que le peuple chrétien est une réalité simple, dans laquelle ne doivent exister aucune secte, aucune différence de personnes, aucun clerc, aucun laïc, aucun oint, aucun tondu, aucun moine. »  Et Calvin (livre 4, chapitre 4, verset 9 de son institution) écrit : « Ce nom est né ou d’une erreur, ou d’un sentiment dépravé, d’une tradition impie,  puisque c’est toute l’église qui est appelée par Pierre clerc, c’est-à-dire héritage du Seigneur. »  Et (dans son commentaire du chapitre 5 de la première épitre de Pierre), il écrit : « Plût à Dieu que ne soit jamais venue à la pensée des anciens pères d’employer ce mot ! »  J’aurais le goût de leur demander : en quel temps, en quel lieu, par quels auteurs croient-ils que cette appellation soit  née ?
Si les luthériens pouvaient démontrer qu’au bout de quelques années, dans un coin quelconque,  ce mot a été fabriqué par un ambitieux,  par un fabriquant de mots ignorant, nous pourrions, nous aussi, facilement croire qu’il  est le produit d’une erreur, d’un sentiment dépravé, ou d’une tradition impie.  Mais comme ce mot origine des lettres divines,  est prononcé par tous les conciles, tous les pères, toute l’église,  et par tout l’univers,  à tous les âges, à tous les siècles,  qui pourra admirer suffisamment l’effronterie et  l’insolence de tels hommes ?  S’il est question des décrets des conciles et des écrits des saints pères, la question à se poser n’est pas tant à quel endroit ce mot se trouve-t-il, que à quel endroit ne se trouve-t-il pas ?  Et ce mot apparait souvent à plusieurs reprises dans une seule page des livres des pères et des décrets des conciles, ce mot que Luther et Calvin affirment être né d’une erreur, d’un sentiment dépravé ou d’une tradition impie.
Parmi les anciens auteurs, qu’on appelle à la barre Tertullien, qui est non seulement très ancien, mais très savant. Voici comment il s’exprime dans son livre sur la monogamie : « Quand nous nous enflons la tête et nous nous  emportons contre un clerc, nous sommes alors  tous une seule et même chose, tous prêtres, car le Christ nous a tous faits prêtres pour Dieu le Père. Quand on regarde la péréquation  de la discipline sacerdotale, nous déposons l’insularité et nous apparaissons tous inégaux. » Et plus bas : « Parce que la monogamie ne convient pas aux laïcs,  les autres choses aussi leurs sont étrangères. »  Tertullien pouvait-il dire quelque chose de plus clair contre Luther et Calvin ?  Il dit qu’ils sont arrogants et superbes les laïcs qui s’élèvent et s’emportent contre les clercs.  On peut peut-être, sans témérité, condamner le témoignage d’auteurs particuliers.
Qu’on fasse donc appel au concile de Nicée, le concile œcuménique  le plus célèbre, le plus antique, qui a toujours joui, parmi les anciens, d’une grande autorité, au point d’être appelé par Eusèbe (livre 3 de la vie de Constantin), et par saint Augustin (livre 1, chapitre 18, sur le baptême), «  le concile de toute la terre »  Il est comparé aux « oracles du Saint-Esprit » par saint Athanase (dans son épitre aux évêques d’Afrique), et pas son Léon (dans sa lettre 53 à Anatole).  Et saint Grégoire (livre 1, épitre 24) le compare à l’évangile lui-même.   Nous ne pouvons reprocher aucune erreur, aucune affection dépravée, ni aucune impiété à un tel synode, à moins d’accuser l’église de tous les vices, et de faire des reproches à l’univers entier.  Or, dans ce synode,  le mot clerc est inculqué dans pratiquement tous les canons. Voici le premier canon : « Si quelqu’un est opéré par un médecin en raison de maladie, ou est castré par des barbares,  il plait au synode qu’il demeure dans la cléricature.  Si, étant en bonne santé,  quelqu’un se castre lui-même, s’il est clerc, il devra cesser de l’être; et s’il ne l’est pas encore, on ne doit pas l’ordonner. »   Dans les canons 2, 3, 8, 17, 18, 19, on ne parle, pour ainsi dire,  que des ordres des clercs. Et c’est ce qu’on rencontre souvent dans tous les conciles.
Dans les canons apostoliques eux-mêmes écrits par saint Clément, les noms de clerc et de laïc ainsi que leur définition sont-ils présents ?  Canon X11 :  « Si quelqu’un prie avec un clerc  condamné, ou avec un clerc, qu’il soit condamné ! »  Chapitre X111 : « Si un clerc ou un laïc est suspendu de la communion ».  Canon XV : « Si un prêtre, un diacre ou un clerc quelconque abandonne sa paroisse pour aller dans une autre,  nous ne souffrirons pas qu’il exerce encore le ministère, surtout si, après avoir été rappelé par son évêque, il ne répond que par le mépris. Qu’il ne communie plus avec l’église qu’en tant que laïc. »  Qu’est-ce que Luther et Calvin ont à redire à ces textes ?  Les pères de Nicée, saint Clément, les apôtres ignoraient donc que le peuple chrétien devait être simple, sans la distinction de clerc et laïc ?  Serait-ce donc par une tradition impie, par erreur ou par un sentiment dépravé qu’ils ont donné ce nom aux ministres de l’Église?
Mais, pour toute réponse, ils disent  qu’ils se soucient peu de ce que disent les hommes. Car « nous avons  l’ordre, disent-ils,  d’évaluer les paroles des hommes.  La parole de Dieu seule met fin à une controverse. »  Regardons donc ce qu’est la parole de Dieu, car, quand une discussion porte sur la chose, il serait ridicule de s’en tenir au nom.  Or, Jérémie parle ainsi (au chapitre 12) : « Leurs clercs ne leur seront d’aucune utilité. »  Pour ne pas avoir à nous battre sur le sens de ces mots,  je présente des témoins hautement qualifiés, Origène, Épiphane, Jérôme, qui ont non seulement été des traducteurs fidèles et consciencieux, mais qui sont à peu près les seuls, parmi les pères, à connaitre la langue hébraïque,  dans laquelle Jérémie s’est exprimé.  Voici comment Origène explique ces mots : leurs clercs ne leur seront d’aucune utilité : « Ces choses, d’autres les ont expliquées avant moi. Et parce que je ne réprouve pas leur interprétation, mais que je pense comme eux, je présenterai donc la même.  Nous qui sommes dans l’ordre de la cléricature, nous pensons peut-être, être quelqu’un, parce que  nous avons la présidence sur vous.  Et si, parmi vous, il en est qui désirent monter d’un degré mineur à ce poste d’honneur, il vous faut savoir que nous ne sommes pas sauvés automatiquement parce que nous sommes clercs, car, beaucoup de clercs périssent, et beaucoup de laïcs sont trouvés bienheureux. »     Saint Épiphane, au début de la lettre qu’il écrivit à Jean, évêque de Jérusalem,  dit : « Il fallait, mes bien-aimés, ne pas abuser de l’honneur de la cléricature en s’en enorgueillissant,  mais, par l’observance des commandements de Dieu, et en surveillant notre conduite,  être ce que l’on dit de nous.  Si la sainte Écriture dit :  « leurs clercs ne seront pas profitables à eux-mêmes », quelle arrogance de la cléricature pourra s’emparer de nous, nous qui péchons non seulement par la parole, mais par la pensée et le sentiment ? »
De la même façon, dans son commentaire du même texte, saint Jérôme dit : « Cela est dit aussi aux ecclésiastiques : en quoi pourra vous aider le nom d’évêque ou de presbyte ou de quel qu’autre ordre ecclésiastique, puisque leurs dignités les rendent plus coupables, et leur font souffrir de plus rudes tourments. »  Le même saint Jérôme, dans l’épitre à Nepotianus : « Je te supplie, et je le redis encore, je t’exhorte à ne pas regarder la charge de la cléricature comme une sorte de milice ancienne, c’est-à-dire que tu ne recherches pas, dans la milice du Christ, les avantages du siècle; pour que tu ne possèdes rien de plus que tu avais quand tu es devenu clerc; et pour qu’on ne dise pas de toi : « leur cléricature ne leur a été d’aucun profit. »  Nous avons donc la parole de Dieu qui, au témoignage d’Origène, d’Épiphane et de saint Jérôme, appelle clercs les évêques, les presbytes et les membres des autres ordres ecclésiastiques.
Or, se présente à  la fin un témoignage très grave de Dieu,  exprimé non seulement par la parole, mais par un prodige horrible, qui est comme son sceau propre.  Ce que reprochent aujourd’hui Luther et Calvin aux clercs,  Daton et Abyron l’ont reproché autrefois aux prêtres de l’ancien testament : « Ne vous suffit-il pas que toute la multitude soit formée de saints, et qu’en eux se trouve le Seigneur ?  Pourquoi vous élevez-vous au-dessus du peuple du Seigneur ? »  Et que disent Luther et Calvin aujourd’hui : « Ne vous suffit-il pas que toute l’Église soit clerc, c’est-à-dire héritage du Seigneur ?  Pourquoi vous élevez-vous au-dessus des laïcs ?  Pourquoi avez-vous usurpé à votre seul usage le mot clerc ?  Et quelle fin a connu  cette révolte des anciens schismatiques ?  Terrifiante et atroce.  Subitement, comme le raconte l’Écriture, au commandement du Seigneur, qui ne pouvait pas supporter les schismes et les séditions contre ses ministres, la terre trembla sous leurs pieds, ouvrir large sa gueule, et les dévora avec leurs femmes et leurs enfants, leurs tentes et tous leurs biens.  Ils descendirent vivants dans l’enfer,  et périrent au milieu de la multitude.  Voilà quelle est la très juste peine de ceux qui cherchent à dénaturer et à pervertir les divers grades ecclésiastiques, l’ordre admirable établi par la sagesse elle-même de Dieu. Ils sont précipités dans les enfers, où nul ordre n’habite, mais l’ombre de la mort et l’horreur sempiternelle.
Mais nous réfuterons leurs objections, même si elles sont sans vie et sans force.  Le peuple chrétien, comme le dit Luther, doit être simple,  sans que personne ne soit clerc ou laïc, selon ce que saint Paul enseigne aux Galates (3) : « Il n’y a pas de Juif, pas de Grec,  pas d’esclave, pas d’homme libre;  il n’y a ni homme ni femme, car vous êtes tous une seule et même chose dans le Christ Jésus. »  Que le peuple chrétien doive être un et simple, nul ne peut le nier.   Mais de quelle unité, de quelle simplicité parle-ton ?  Un seul Seigneur, dit l’apôtre, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous. Voilà quelle est l’unité, voilà quelle est la simplicité du peuple chrétien : que tous soient d’une seule foi, qu’ils pensent tous la même chose, et qu’il n’y a pas de schisme en eux. Cette simplicité fait cruellement défaut chez les luthériens, chez qui il y a autant de sectes que de cités;  autant de symboles que de têtes.  Comment donc pourraient-ils être le peuple de Dieu ?  De plus, la distinction entre clercs et laïcs ne s’oppose pas plus à cette simplicité  que la diversité des membres dans l’unité d’un corps.  Le corps humain est un, mais il n’est pas tout entier œil, ou tout entier oreille, ou main, ou pied.  Autrement, comme le dit l’apôtre (1 Corinth 12) « si tout le cœur est œil  où est l’oreille ? Si tout le corps est audition, où est l’odorat ?  Et si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le corps ?  Il y a donc plusieurs membres, mai un seul corps ».  C’est ainsi que, dans l’église, les uns sont clercs, d’autres laïcs, ou moines.  Il y en a qui sont prêtres, d’autres des laïcs, d’autres des  ministres.  Les uns sont princes des laïcs, les autres sont des personnes privées.  Parmi les moines, il y a les anachorètes et les cénobites.  Mais, avec toute cette variété de membres ou de parties, le corps demeure un,  car tous ont le même Seigneur, la même foi, le même baptême, le même Dieu père, la même mère Église.  Tous vivent du même Esprit,  et se nourrissent d’un seul et même pain.
Les paroles citées de saint Paul ne s’opposent pas à cette unité et à cette simplicité (ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme ni femme).  Car, si c’était le cas,  on pourrait dire il n’y a pas de clerc, pas de laïc.  Or, par ces paroles, l’apôtre ne cherchait pas abolir la distinction des sexes, des nations et des conditions sociales.  Il enseignait que ce n’était pas cela qui rendait fils de Dieu, mais la foi qui opère par la charité.  Car, c’est ainsi qu’il parle : « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus.  Car, vous tous qui avez été baptisés dans le Christ Jésus, vous avez revêtu le Christ. »  Et c’est après qu’il ajoute : « Il n’y a ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme ni femme. »  Ainsi, le sexe n’est pas un obstacle, si la foi est présente; il n’est d’aucun profit, si elle est absente.   Le laïc qui a la charité est fils de Dieu, et le clerc sans charité est un serviteur du diable.  Il y a donc dans l’Église des clercs, des laïcs, comme  il y a des esclaves et des hommes libres, des hommes et des femmes.  Mais les héritiers de ce royaume ne sont pas les différences de degrés, de condition sociale ou de sexe, mais la foi avec l’espérance et la charité.  Dans sa première épitre, chapitre 5, saint Pierre donne le nom de clerc à toute l’église, quand il dit aux épiscopes : « Paissez le troupeau de Dieu qui vous a été confié, y pourvoyant non parce que vous en êtes contraints,  mais avec empressement;  non pour un lucre honteux, mais volontairement; non en dominant les clercs, mais de grand cœur, en étant un modèle pour le troupeau.  » C’est donc par erreur, ou à cause d’une tradition impie, ou d’un sentiment dépravé que les laïcs ont été rejetés de l’honneur du nom de clerc.
Cette objection n’est pas difficile à réfuter, et on peut le faire de plus d’une façon.  D’abord,  est fort probable ce qu’enseignent saint Jérôme (dans sa lettre à Nepotianum) et Oecumenius  (dans son commentaire de cette épitre) que le mot clerc qui est employé là ne se rapporte pas à l’église universelle,  mais à ceux-là seuls qu’on appelle vulgairement clercs.  Car, même si appartiennent au troupeau de l’évêque autant les clercs que les laïcs, il était beaucoup  plus  à craindre que les clercs dominent sur les laïc que les clercs ne soient soumis aux laïcs.  Et parce  ce sont les clercs plutôt que les laïcs qui, par leur profession, doivent veiller sur le troupeau, c’est aux évêques que saint Pierre prescrit de paître avec soin le troupeau, en se gardant de l’appât du gain, et de la passion de la domination.  Ajoutons que le mot clerc est passé des Juifs aux chrétiens.  Et il est clair que saint Pierre fait ici allusion aux lévites des Juifs, qui (Nombres 18 et Deutéronome 16), sont appelés le sort et l’héritage du Seigneur, parce que d’une certaine manière, il leur a donné sa part, c’est-à-dire les dimes et les oblations des fils d’Israël.   De plus, ce ne sont pas tous les chrétiens du nouveau testament qui correspondent pas aux lévites de l’ancien testament, mais les prêtres seuls et leurs ministres.  Par le nom de clercs, saint Pierre ne désignait donc pas tous les chrétiens, mais les seuls ministres ecclésiastiques.
Si cette explication est rejetée avec obstination par les adversaires, il n’y a rien de plus à ajouter.  Ce nom de clerc, pour une raison différente, peut convenir autant à l’église universelle, qu’aux seuls ministres du temple.  Car, l’église universelle est le sort et l’héritage du Christ,  qu’il a acquis par son sang.  Mais cependant, une certaine partie de l’église qui est consacrée au ministère de l’autel peut être plus proprement appelée sort et hérédité.  Et ce n’est pas pour une autre raison que, autrefois, toute la synagogue des Juifs était appelée l’héritage du Seigneur, car il l’avait tout entière libérée de l’Égypte,  et en quelque sorte, rachetée.  Et pourtant,  seule la tribu des lévites qui administrait les choses sacrées, était appelée par le Seigneur d’une façon toute particulière, son sort et son héritage.
                                                       CHAPITRE 2
       On propose la question de l’institution des ministres de l’Église
Suit une autre question sur l’institution des évêques  et des autres ministres de l’Église,  qui est sans doute  très importante et très utile, mais qui ne se rapporte pas à la question que nous traitons maintenant,  ni même à la vraie connaissance de l’Église de Dieu.  Il faut d’abord faire cette remarque préliminaire.  L’expression création d’évêques comprend trois choses : l’élection, l’ordination, la vocation ou la mission.  L’élection n’est rien d’autre que la désignation d’une certaine personne à une préfecture ecclésiastique.  L’ordination est une cérémonie sacrée, au cours de laquelle, par un certain rite, un évêque est oint et consacré.   La mission ou la vocation  se rapporte à la juridiction,  et c’est elle qui fait un pasteur.  Il existe donc entre nous et nos adversaires  une controverse au sujet du droit que possède l’église d’initier, d’appeler, d’élire et de créer des évêques.  Il est à noter que l’élection peut se faire de plusieurs façons.  Ou bien c’est Dieu seul qui choisit comme il a choisi Aaron et Pierre, ou bien ce sont les hommes.  Quand Dieu choisit par les hommes, il le fait soit par la propagation naturelle, comme pour les fils d’Aaron et les fils de ses fils, ou par une élection volontaire.   Dans le cas d’une élection volontaire,  le choix se fait par une seule personne, comme quand Pierre choisit Clément, ou par plusieurs, le peuple ou le clergé, ou le peuple et le clergé.
Il y a, sur toute cette question, trois opinions différentes. La première est celle de Jean Wiclif et de Jean Hus qui, au témoignage de Thomas Waldensis (livre 2, chapitre 39  et 40 de la doctrine de la foi) soutient que Dieu seul a le pouvoir d’élire les pasteurs de l’Église; que les seuls les pieux et les prédestinés peuvent être pasteurs de l’Église; et que Dieu seul connait les pieux et  les prédestinés.  Voir au concile de Constance (sessions 8 et 15) les articles de ces hérétiques.  L’autre sentence est celle de Martin Luther, de Jean Calvin, de Matthieu Illyricus, de Jean Brentius, de Martin kemnitius,  et d’autres sectaires de notre époque.  L’élection et la vocation ils veulent qu’elles appartiennent de droit divin à l’église universelle, c’est-à-dire au clergé et au peuple, de façon telle que sans le suffrage et le consentement du peuple, nul n’est légitimement élu, nul n’est appelé à l’épiscopat.  Mais l’ordination qui a coutume de se faire par l’imposition des mains, ils l’attribuent aux seuls pasteurs, car il serait impossible que le peuple au complet impose les mains.   Les pasteurs qui sont les seuls à remplir cet office, imposent donc les mains aux nouveaux ministres au nom du clergé et du peuple. Et il est donc vrai de dire que le peuple et le clergé non seulement élisent ou appellent les pasteurs, mais les initient et les ordonnent.  Mais écoutons leurs propres paroles.
Martin Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape) écrit : « Ce rite saint Cyprien l’enseigne par plusieurs lettres.  Pour pouvoir prononcer avec confiance que telle ordination vient de Dieu, il prend comme critères le suffrage du peuple et le jugement des évêques voisins. »  Et plus bas : « Il n’est pas nécessaire d’insister pour comprendre qu’on ne s’en porterait que mieux aujourd’hui si ce rite divin avait été conservé, surtout à cause du grand nombre de mauvais prêtres en situation d’autorité, qui ont été imposés à un peuple qui n’en voulait pas »  Il développe la même idée plus longuement, à partir de la parole de Dieu, comme il s’en vante, dans le livre qu’il a écrit sur l’institution des ministres.   Jean Calvin (livre 4, chapitre 3, verset 15 de ses institutions), écrit : « Nous tenons de la parole de Dieu que la légitime vocation de ministre de Dieu se trouve là où sont créés par le consentement et l’approbation du peuple ceux qui semblent idoines.  Les autres pasteurs doivent présider à l’élection pour que la multitude ne pèche ni par légèreté, ni par un faux zèle, ou par une mutinerie. »   Matthias Flaccius Illyricus, dans le livre qu’il a écrit sur l’élection des évêques, soutient passionnément que le droit d’élire et d’instituer des évêques  ne relève ni des papes, ni des rois, ni des chanoines, mais de la multitude des fidèles, à laquelle cela revient de droit divin.  Il a écrit ensuite beaucoup de choses avec ses collègues magdebourgeois centuriates dans leur histoire de l’Église, comme par exemple, la centurie 1 (livre 2, chapitre 4, colonne 391) : « Dans n’importe lequel lieu, l’Église, c’est-à-dire l’assemblée entière ou des laïcs, ou des clercs et des  laïcs, a le pouvoir d’élire, d’appeler et d’ordonner les ministres idoines. »   Ne sont pas différentes les choses écrites par Jean Brentius (dans son prolégomène contre Pierre a Soto) et  Martin Kemnitius (dans son examen du concile de Trente, sur la dispute du sacrement de l’ordre).  Leur opinion se dégage clairement de leurs écrits. La voici :  il n’y a pas, chez nous, d’évêque rituellement ordonné, parce que, jusqu’à présent, les nôtres ont exclu le peuple du suffrage électoral.
Contre eux, les docteurs catholiques enseignent à l’unanimité que le droit d’appeler et d’ordonner des évêques n’appartient en aucune façon au peuple.   Le droit de choisir appartint un certain temps au peuple, mais par une concession des pontifes, pour des raisons de convenance,  non d’après la loi divine.  Mais nous, nous pouvons en dédire que chez les hérétiques il n’y a aucune vraie ordination, aucune vocation, aucune élection, donc, aucun évêque, aucune église.  Pour démontrer ces choses l’une après l’autre et dans l’ordre,  nous disputerons d’abord de l’ordre, ensuite de la vocation, enfin de l’élection,
                                                      CHAPITRE 3
Le droit d’ordonner des pasteurs ou des ministres n’appartient pas au peuple.
Voici notre première proposition ou sentence : l’ordination des évêques ou des autres ministres de l’Église n’appartient pas au peuple, mais aux seuls évêques.  C’est ce qu’attestent les saintes Écritures, les décrets conciliaires et les anciens pères. L’attestent aussi  la coutume du peuple de Dieu et les exemples des grands.   C’est Moïse seul, prêtre et pontife, qui a ordonné et consacré Aaron et ses fils, les premiers prêtres de l’ancien testament (Lévit 8).  Que Moïse ait été prêtre, David l’atteste au psaume  98 : « Moïse et Aaron, ses prêtres. »  L’atteste aussi Philo (le livre 3, le dernier de la vie de Moïse) : « Voilà quelle fut la vie de Moïse, roi, législateur, prophète et pontife. »    L’attestent également saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien),  saint Augustin  (dans son commentaire du psaume 98), Grégoire de Naziance (dans son discours à Grégoire de Nysse), et saint Léon (épitre 88 aux évêques de Germanie et de Gaulle.
Dans le nouveau testament,  à chaque fois qu’on fait mention du rite d’imposition des mains,  par lequel rite même chez les adversaires l’ordination est célébrée, elle a toujours été attribuée aux apôtres, et aux autres évêques, mais jamais au peuple.   Actes 6, seuls les apôtres ordonnent des diacres par l’imposition des mains.  Dans 1 Timothée 4, saint Paul dit explicitement : « Ne néglige pas la grâce qui est en toi, qui t’a été donnée par l’imposition des mains du presbyterium. »  En ce passage, par presbyterium il entend l’assemblée des évêques, comme l’attestent tous les commentateurs, et surtout les Grecs : saint Jean Chrysostome, Theodoret, Oecumenius, Theophylactus.  Voici ce que dit saint Jean Chrysostome : « Ce n’est pas des prêtres qu’il parle ici, mais des évêques, car ce ne sont pas des prêtres qui l’ont ordonné ».  Dans un autre passage, l’apôtre dit la même chose à un évêque : « N’impose les mains trop tôt à personne ! » Et encore (2 Timothée 1) : « Ranime la grâce qui t’a été donnée par l’imposition de mes mains. »  Les lettres sacrées prouvent donc suffisamment que le pouvoir d’ordination est propre aux évêques.
Et cela on peut le confirmer par de nombreux décrets de conciles.   Mais comme c’est une chose très connue et qui saute aux yeux,  je rappellerai à la mémoire un seul canon qui statue qu’un évêque doit être ordonné par trois évêques. Ce canon est le premier parmi les canons des apôtres, et il est le quatrième canon du concile œcuménique très célèbre de Nicée. Il est le douzième canon du deuxième concile de Carthage, le trente-neuvième du troisième, le second du quatrième, et le quatrième du sixième.  Ces conciles africains, même s’ils ne furent pas œcuméniques,  mais nationaux, réunirent un grand nombre de pères, et furent illustrés par la présence et l’approbation de saint Augustin.
Les anciens pères ont toujours enseigné que seuls les évêques  avaient le droit d’initier aux choses sacrées les prêtres, les diacres, et surtout les évêques, et que cela n’appartenait en aucune façon aux  prêtres. Voir Épiphane (hérésie 75, qui est celle d’Arius), saint Jean Chrysostome, ainsi que les autres pères grecs dans leurs commentaires de 3 et 4, épitre 1 à Timothée.   Voir aussi saint Jérôme (dans son épitre à Évagrius), saint Augustin (dans son résumé du débat 3, chapitre 5).  S’il n’est pas permis aux prêtres d’ordonner des évêques ou des prêtres, parce que cette fonction est propre aux évêques, à plus forte raison cela n’est pas permis aux laïcs.  Vient ensuite la coutume ancienne et perpétuelle de l’église universelle, qui est une excellente interprète du droit.  Car, pour me servir des paroles évangéliques,  en aucun siècle on a entendu dire  qu’un évêque n’avait pas été ordonné par un évêque. Et on ne pourra nous montrer aucun exemple de cette chose (l’ordination par le peuple et le clergé)  qui ait été instituée conformément à la discipline, ou qui est rapporté par les historiens, ou que la licence des hérétiques ait usurpé.  Chez les luthériens et les calvinistes, qui ont conservé presque tous les rites ecclésiastiques, seuls imposent des mains et font des ministres ceux qui sont pasteurs et évêques, même s’ils ne le sont pas vraiment,  car c’est ainsi qu’ils veulent qu’on les considère et qu’on les appelle.   Pourquoi donc le clergé et le peuple n’ordonnent-ils pas, et pourquoi les pontifes sont-ils les seuls à créer des évêques et des prêtres ?
Mais voici ce qu’ils répondent à cela.   Si le peuple et le clergé n’imposent pas les mains aux évêques,  cela ne se fait pas parce que fait défaut l’autorité à la multitude, mais pour éviter la confusion qui en résulterait nécessairement, si des centaines de personnes avaient à imposer leurs mains sur un seul homme. Il a donc semblé plus convenable de confier ce soin à quelques personnes.  Donc, le pouvoir d’ordonner des ministres appartient à la multitude, mais l’exécution de ce pouvoir est laissée aux seuls pasteurs.  Car, ce que font les pasteurs, ils le font par l’autorité de tout le clergé et de tout le peuple.   Et comme ils agissent au nom du clergé et du peuple, on peut dire que c’est vraiment le clergé et le peuple qui ordonnent et consacrent.
 Mais il est certain qu’en parlant ainsi,  ils se trompent, ou ils veulent se tromper.  Car, on peut entendre de trois façons ce qu’ils veulent dire quand ils affirment que c’est par l’autorité et au nom du clergé et du peuple que les évêques ordonnent des évêques.  La première.   Ce qu’une partie du corps fait on a coutume de l’attribuer à tout le corps, même si le reste du corps n’avait contribué en rien, et ne pouvait contribuer en rien à ce qui était propre à une partie.  C’est tout l’homme qui voit avec les yeux, mais il voit d’une façon telle que ne sont capables de voir, en aucune façon, la langue, les mains, les pieds et les autres membres.   Si c’était de cette façon que nos adversaires voulaient que les évêques soient consacrés par la multitude, il n’y aurait pas entre nous de dissension.  Car, en fait de pouvoir et d’autorité, ils ne mettraient dans la multitude  rien d’autre que ce que possèdent les pasteurs.   Mais ce n’est pas ce à quoi ils prétendent, et ils ne sauraient se contenter d’une opinion aussi modérée.  La deuxième.  C’est par le pouvoir du peuple que les anciens et les évêques sont ordonnés, de façon que soit dans le peuple  seul le véritable pouvoir d’ordonner. Et rien d’autre ne les empêche d’imposer les mains que la confusion causée par la multitude. Comme des préteurs, dans les villes, qui siègent au tribunal et qui font des lois pour les citoyens par l’autorité du prince et en son nom. Or, en jugeant,  le préteur tient la place d’un prince qui, quand il le veut, peut juger par lui-même.
Cette façon de faire ne peut pas  non plus être approuvée pas nos adversaires s’ils sont conséquents avec eux-mêmes.   Car, si c’était  seulement la  confusion apportée par la multitude qui empêchait le peuple d’ordonner les ministres, il pourrait certes ordonner avec quelques hommes du peuple sans en parler aux pasteurs.  Mais cela répugne non seulement aux décrets des conciles, à la pratique perpétuelle de l’Église, aux témoignages de tous les pères,  aux exemples et aux paroles de nos adversaires, et à la saine raison.  Car, comme nous l’avons  dit un peu avant, dans les assemblées des hérétiques, aucune personne du peuple,  mais seulement des évêques, ont coutume d’imposer leurs mains sur les ordinants.  Et cela de façon telle, que si on procédait autrement, l’ordination serait jugée invalide.  Jean Calvin (livre  livre 4, chapitre 3, verset 16 de son institution) enseigne par les paroles suivantes que c’est ainsi qu’on doit agir en vertu d’une coutume d’origine apostolique : « Même si aucun précepte certain n’a été conservé sur l’imposition des mains, comme nous voyons qu’elle a été toujours employée depuis les apôtres, l’observation de ce précepte doit être pour nous d’une grande importance. »  Et plus bas : « On doit finalement s’en tenir à ceci : ce n’est pas à la multitude d’imposer ses mains sur ses ministres, mais aux seuls pasteurs. »  Et avec raison, car le pouvoir d’ordre qui est nécessaire pour ordonner des ministres, est reçu par l’ordination.   Qui peut comprendre que le peuple universel ou certains membres de ce peuple puisse, sans avoir reçu d’ordination, ordonner des ministres en imposant les mains ?
Il reste donc la troisième.  C’est par l’autorité de la multitude que les pasteurs sont ordonnés par d’autres pasteurs.  Car, même si le peuple n’a pas le pouvoir d’ordonner, il possède le pouvoir de juridiction, et donc le droit de commander aux pasteurs d’imposer les mains à certains hommes désignés par eux.  Mais comme c’est dans le prochain chapitre que nous discuterons de ce pouvoir de juridiction que nos adversaires attribuent au peuple, nous prouverons, par un argument irréfutable  tiré des paroles et des affirmations de nos adversaires, qu’ils n’ont pas d’église.  Voici l’argument.  Ne sont pas de vrais pasteurs ceux qui n’ont pas été ordonnés par l’imposition de vrais pasteurs.   Cela Calvin le déduit de la coutume perpétuelle d’origine apostolique  qui doit être pour nous une loi, comme il le dit lui-même.  Or, Luther, Zwingli, Calvin et les autres qui sont considérés par eux comme les premiers pasteurs, n’ont pas été ordonnés par l’imposition des mains de véritables pasteurs.   Car, par qui donc ont-ils été ordonnés ? Par leurs pasteurs ou par les nôtres ?   Ils n’ont surement pas été ordonnés par leurs pasteurs, car ils étaient les premiers, puisque,  avant Luther il n’y a pas eu de Luthériens, et avant Zwingli, il n’y a pas eu de Zwingliens, ni de calvinistes avant Calvin.  Ils n’ont pas non plus été ordonnés par les nôtres, car dans l’église d’où ils sont sortis, Luther, Calvin, Zwingli ne furent pas évêques, mais prêtres seulement. Or, les prêtres qui sous Calvin sont ministres,  n’étant pas pasteurs, non pas le pouvoir d’ordonner. Comme disait saint Jérôme : « À part l’ordination, que fait d’autre un évêque que le prêtre ne fasse pas lui aussi ? » Et, souscrivant à l’enseignement de saint Jérôme, Calvin, comme je l’ai déjà dit enseigne que les ministres ne doivent être ordonnés que par les pasteurs, c’est-à-dire les évêques.
Ajoutons ensuite que les adversaires ne font aucun cas de l’ordination catholique. Voici, en effet, ce que Calvin dit de notre ordination ( au livre 4, chapitre 5, verset 3 de son institution) : « L’ordination n’est rien d’autre qu’une pure mascarade. »  Et Martin Kemnitius (au lieu cité) soutient que les ordinations des évêques de ce temps n’ont pas plus de valeur que celles des pontifes Juifs Anne et Caïphe, au temps des apôtres.  Si donc les premiers évêques et pasteurs de nos adversaires ne furent pas de vrais pasteurs et de vrais évêques, ceux qui leur ont succédé ne le sont pas davantage,  ni les seconds, ni les troisièmes, ni les autres.   Or, sans évêques et sans pasteurs, une église ne peut exister, comme le même Calvin l’affirme (livre 4, chapitre 3, verset 4 de ses institutions) : « Ils suivent les pasteurs et les docteurs, dont l’église ne peut jamais être privée. »  Rappelons-nous l’enseignement de saint Cyprien : « l’église est le peuple uni  à l’évêque, le troupeau qui adhère à son pasteur. »  Il s’ensuit donc que, n’ayant ni vrais pasteurs ni vrais évêques,  les adversaires n’ont pas de vraie église.
Par cet argument qu’il a utilisé dans son dialogue avec les lucifériens, saint Jérôme a terrassé l’hérétique Hilaire : « Après s’être retiré de l’église pour constituer à lui seul une assemblée de fidèles, il ne peut pas  consacrer l’hostie, et n’ayant ni évêques ni prêtres, il ne peut pas, sans eucharistie, administrer le baptême.  Et quand il mourra, sa secte mourra avec lui, car, après lui, un diacre ne pourra ordonner aucun clerc.  Une église sans prêtres n’est pas une église. »  Calvin a trouvé une dérobade.  Il écrit (livre 4, chapitre 3, verset 4 de ses institutions)  que dans une église constituée, les pasteurs ne doivent être ordonnés que par des pasteurs; mais que quand une église est fondée ou est rénovée, Dieu a coutume de susciter des apôtres et des évangélistes  d’une façon extraordinaire.  Et c’est dans ce nombre qu’il se place surement lui et Luther : « Quoique je ne nie pas que Dieu puisse susciter des apôtres, et après eux également, des évangélistes, comme cela s’est produit de notre temps.  Car c’est de tels hommes qu’il fallait alors pour ramener l’église de la défection de l’antichrist.  Mais leur charge je la considère pas moins exceptionnelle et extraordinaire, et je juge qu’elle n’a pas sa place dans une église bien établie. »  Mais ce n’est là qu’un pitoyable subterfuge   Car l’église qui a été bien instituée par le Christ, ne peut pas périr,  ni être sortie de ses gonds par l’antichrist, car, elle n’a pas été fondée sur le sable,  mais sur une pierre solide (Matt 16).   Elle n’a donc pas besoin de nouveaux apôtres et de nouveaux architectes.
De plus, si Luther et Calvin avaient été de nouveaux apôtres, ils seraient venus avec les signes et les miracles des apôtres.   Car c’est ainsi que les véritables apôtres du Christ prouvèrent leur légation.  Autrement, pourquoi recevrions-nous Luther plutôt que Manès,  Calvin plutôt qu’Arius ?  Car, ils sont tous venus de la même façon.  Ajoutons que les premiers apôtres ont tous été ordonnés par l’imposition des mains, Pierre par le Christ,  et les autres apôtres par Pierre, comme le montre Jean de Turrecremata (livre 2, chapitre 32).  Et c’est ce que  dans le premier livre du souverain pontife, chapitre 23, nous avons enseigné, quand nous énumérions les prérogatives de saint Pierre.
                                                        CHAPITRE 4
           Ce n’est pas au peuple mais aux évêques à appeler les ministres
Suit une autre proposition :  la vocation ou la mission des ministres n’appartient pas au peuple, mais aux évêques, et surtout, au souverain pontife.  Sur cette proposition, nous avons dit suffisamment de choses dans le livre sur le souverain pontife, où nous avons démontré que la juridiction ecclésiastique n’est pas dans l’assemblée des fidèles,  mais dans la tête, c’est-à-dire dans le souverain pontife, et, par dérivation, dans les autres évêques.  On prouve cette proposition d’abord, par la parole de Dieu.  Car nous y lisons que le pouvoir a été remis à Pierre (Matt 16, et Jean 21) : « Je te donnerai les clefs » et « pais mes agneaux ».  Et ensuite aux apôtres : « Je vous envoie » (Jean 20). Et « ceux à qui vous remettrez leurs péchés.. »  On ne lit pas que le Christ ait  attribué quelque chose à la multitude des fidèles.  On prouve la même chose par la coutume d’origine apostolique.   Car, aux actes 14, Paul et Barnabée, évêques et apôtres, ont établi des prêtres dans les cités.  Et saint Paul dit, dans Tite 1 : « La raison pour laquelle je t’ai laissé, toi apôtre, en Crète, c’est pour que tu établisses, dans toutes les cités, des prêtres,  comme moi je t’ai institué. »  Les centuriates eux-mêmes ( centurie 1, livre 1, chapitre 2,) admettent que, après les apôtres,  les premiers évêques ont été ordonnés par les apôtres.
On déduit la même chose de ce qui suit.  Nous allons démontrer bientôt que l’élection des ministres ne convient pas au peuple.  D’où il suit, à plus forte raison, que cette vocation ne convient pas au peuple.  Nous réfuterons toutes les objections de nos adversaires quand nous discuterons de l’élection.
                                                           CHAPITRE 5
                         L’élection des ministres ne se fait pas par Dieu seul
Après avoir parlé d’abord de l’ordination et de la vocation, venons-en maintenant  à ce sur quoi porte la question, l’élection.  Voici donc l’énoncé de la troisième proposition : l’élection des ministres de l’église ne se fait pas par Dieu seul.   Cette proposition est affirmée contre les erreurs de Jean Wiclif et de Jean Huss, qui ont été condamnés au concile de Constance.  À la huitième session, en effet, on condamne l’article suivant de Wiclif, qui est le huitième : « Si le pape est réprouvé  et mauvais, il n’a aucun pouvoir sur les fidèles. » De même, l’article 40, qui découle du huitième : « L’élection du pape par les cardinaux a été introduite par le diable. » Et à la session 15, on condamne dans les articles suivants ces propositions de Jean Huss.  Article 22 : « Le pape ou un prélat mauvais et réprouvé est un pasteur équivoque. »  Et l’article 26 qui découle de l’article 22 : « Ce n’est pas parce que les électeurs, à l’unanimité ou à la majorité des voix, choisissent telle personne selon le rite des hommes  que cette personne est légitimement élue.  C’est par les œuvres de l’élu que nous devrons croire s’il a été bien ou mal élu. »
On réfute cette erreur, et on démontre notre position.  D’abord, par l’exemple de Dieu, qui n’a pas toujours choisi des prédestinés pour gouverner l’état ou l’église.  Car, (1 Rois, 10), Dieu a élu Saul,  qui, cependant, a été réprouvé après.  Et le Christ (Jean 6) a choisi Judas,  qui n’était pas du tout prédestiné : « Ne vous ai-je pas tous choisis, et pourtant, l’un de vous est un démon. »  Ensuite, par l’exemple des apôtres qui, aux actes 6, élurent Nicolas, parmi les diacres, qui devint par la suite hérésiarque.  Il  découle de ces exemples, qu’au moment de l’élection, on ne s’est pas demandé si telle personne était prédestinée ou réprouvée,  puisque c’était une chose impossible à connaître.   Enfin, par des témoignages des pères.   Origène (homélie 4 sur le livre des Juges) enseigne que, pour punir les peuples à cause de leurs péchés, la providence divine fait souvent  en sorte que des méchants siègent sur le trône des rois, et même des chefs religieux dans l’Église.  Saint Jean Chrysostome (dans sa dernière homélie sur l’épitre aux Hébreux), saint Augustin (livre 2, chapitre 4 contre l’épitre de Parmenianus),  et saint Bernard (sermon 66 sur les cantiques) enseignent que «  les hommes mauvais peuvent être de vrais évêques s’ils ont été légitimement élus ». Saint Bernard confirme cet enseignement par le témoignage de saint Jean sur Caïphe : « Comme il était pontife cette année-là, il prophétisa. »  Car Caïphe fut et méchant et réprouvé, mais pontife, car c’est à cause de sa dignité que Dieu lui a donné de prophétiser.
Autre raison. Si Dieu seul élisait les pasteurs de son église, il le ferait cela par sa seule volonté, sans aucun signe externe ou visible,  ou par un signe visible quelconque.  S’il procédait de la première façon, de quel profit serait pour nous l’élection, puisque nous ne saurions jamais qui est le pasteur de l’église.  S’il procédait de la deuxième manière, le signe devrait être prodigieux, ou au-dessus des forces de la nature, comme la descente d’une colombe, ou un éclair;  ou en l’absence de signe, il faudrait s’en remettre au sort, comme ont fait les apôtres pour l’élection de Mathias.  Mais des prodiges comme celui de la colombe ou de la foudre sont rarissimes, et nous n’en voyons certainement pas à notre époque.  Il n’est certainement pas permis de s’en remettre au sort quand on peut régler une chose par une démarche raisonnable.  Car les sorts ou on pense qu’ils dépendent du hasard ou du ciel, du diable ou du démon.  S’ils dépendent du hasard,  c’est une folie pour des hommes doués de raison de vouloir élire des pasteurs par le sort,  et de confier leur destin à la témérité.  S’ils dépendent du ciel, ce serait un vice de superstition de recourir à des sorts dans des élections.  Car le ciel n’a pas la capacité de contrôler des actions libres comme jeter des sorts, ou n’en pas jeter.  S’ils dépendent du démon, faire du diable l’auteur de choses saintes est une chose blasphématoire et sacrilège. S’ils dépendent de Dieu,  c’est un péché de tenter Dieu, et d’espérer que Dieu dirige les sorts quand il n’a jamais promis rien de tel, et quand la raison humaine ne fait pas défaut.  Voilà pourquoi l’église a, avec raison, prohibé l’usage des sorts dans les élections.  Voir aussi saint Jérôme (Jean, chapitre 1) et Bède le vénérable (chapitre 1, actes).
Mais tu répondras que Salomon (proverbe 16) affirme que les sorts tombent sous le gouvernement de Dieu, quand il dit : « Les sorts sont envoyés dans la jatte, mais sont réglés par Dieu. »  Je réponds que Salomon a voulu dire que toutes choses sont gouvernées par la providence divine, même si elles semblent à nous relever du hasard, comme quand quelque chose arrive inopinément.  C’est dans les forts qu’on perçoit la divine providence, non parce que ce qui est choisi par le sort est ce qu’il y a de mieux,  mais parce que, bon ou mauvais, ce n’est pas sans la divine providence qu’il a été choisi.  La divine providence est à l’œuvre dans tous les évènements, même les plus fortuits.  Cette divine providence n’enlève donc  pas le hasard, et ne fait pas non plus qu’il soit préférable d’élire au sort les préposés à l’église, plutôt que par des votes.  L’exemple de l’élection de Matthias ne contredit pas ce que nous venons de dire. Car, selon Denis l’Arépagite (chapitre 5, paragraphe 3 sur l’église) c’est un rayon lumineux venant du ciel qui indiqua Matthias plutôt que le tirage au sort.  Il est certain, néanmoins,  qu’ils s’en remirent au sort, mais c’est par un privilège et une inspiration de Dieu qu’ils le firent.  Car, parce que les autres apôtres avaient été choisis par le Christ, pour que Matthias ne semble pas être inférieur aux autres, on a voulu que ce soit le Christ lui-même qui le choisisse.  Voilà pourquoi il inspira à ses apôtres de laisser le sort décider.  Mais, comme l’explique saint Jérôme, (chapitre 1 de Jonas)  un privilège ne peut pas être transformé en une pratique ordinaire : on ne peut pas faire d’une exception une règle générale.   Ou bien, sans parler de privilège, les apôtres, dans cette élection, ont voulu se servir de sorts parce que Mathias et Barsabas étaient si semblables en sainteté et doctrine,  que le jugement humain ne pouvait pas décider lequel devait être préféré.  Dans des case de ce genre, il est licite d’avoir recours à des sorts, parce qu’on ne tente pas Dieu,  parce que le jugement humain n’arrive pas à trancher,  parce que, étant égaux en tout,  n’y a aucun danger. On enlève aussi  tout prétexte à des récriminations, et on ne fait injure à personne.
On peut donc se servir de ces moyens dans des cas semblables, comme l’enseigne saint Augustin  (livre 1, chapitre 28 de la doctrine chrétienne, et dans son épitre 180 à Honorat).  Comme cela se passait chez les Juifs.  Parmi de nombreux prêtres, un était élu au sort, pour offrir l’encens à un certain moment.  C’est bien ce que dit saint Luc : « C’est le sort qui décida que Zacharie dépose l’encens. »   Que ce soit à ce  rite que les apôtres se sont référés pour l’élection de saint Matthias, c’est ce qu’attestent saint Ambroise (chapitre 1 de Luc) et Bède le vénérable (chapitre 1 des actes).
                                                     CHAPITRE 6
                                         La quatrième proposition
Il ne convenait pas que les prêtres chrétiens se propagent par la succession charnelle.  On confirme cette sentence, d’abord, par la figure qui a précédé dans la loi de nature.  Car, Melchisédech, selon l’ordre duquel le Christ et les chrétiens sont dits prêtres, est décrit dans la lettre aux Hébreux (7) comme étant sans généalogie, donc sans père et sans mère, pour que l’on comprenne que les prêtres chrétiens ne devaient pas naître tels, mais le devenir.  On le prouve ensuite par la prophétie d’Isaïe 66 : « Je prendrai parmi eux des prêtres et des lévites. »  Saint Jérôme explique ce texte en disant que dans le nouveau testament, dont parle clairement Isaïe dans ce passage, les prêtres ne naîtront pas d’une seule famille, mais seront pris parmi toutes les nations.  On prouve ensuite la même chose par la différence qui existe entre le nouveau testament et l’ancien.  Car, si dans l’ancien testament le peuple de Dieu se propagea par la génération charnelle depuis Jacob, dans le nouveau il se propage par l’élection spirituelle depuis le Christ.  Comme le sacerdoce d’Aaron fut charnel,  tout occupé qu’il était à dépecer des bœufs et des brebis, et  le sacerdoce chrétien, spirituel, puisqu’il s’occupe d’une hostie spirituelle, et de sacrifices divins, il était juste que, dans l’ancien testament, la propagation du sacerdoce soit charnelle, et que, dans le nouveau, elle soit spirituelle.  Ajoutons qu’ils avaient, eux, des femmes et des enfants, et qu’il était alors facile de prescrire que la propagation se fasse de père en fils. Mais nos prêtres à nous doivent rester célibataires.  Il ne peut se faire, pour aucune raison, que la propagation sacerdotale s’opère par la  génération charnelle.
On prouve ensuite la même chose par la raison naturelle.  Il convient à la république chrétienne, qui est la plus parfaite de toutes,  d’adopter le mode le plus parfait de l’élection des ministres.  Or, il est de loin préférable d’obtenir des prêtres par l’élection plutôt que par la génération.   Car si l’élection remplissait vraiment son but, l’église n’aurait toujours que les meilleurs et les plus saints pasteurs.  Si l’élection dépendait de la naissance, on serait souvent forcé de faire des évêques avec des enfants, ou avec des hommes vicieux et ignorants.  On ne peut pas nous objecter que même actuellement, on élit souvent des indignes et des incapables,  et même des adolescents ou des enfants, car cela n’est pas du à un vice du mode d’élection mais des électeurs.  Et  il est facile d’y porter remède.  Mais c’est de par sa nature que la génération apporte ce genre d’inconvénients, lequel est sans remède.  IL demeure donc qu’il est préférable que les pasteurs de l’Église ne naissent pas pasteurs, mais le deviennent.
                                                       CHAPITRE 7
                                          La cinquième proposition
Le droit d’élire le souverain pontife et les autres pasteurs de l’église ne relève pas du peuple de droit divin.   Mais si, par le passé, le peuple ait pu quelque chose dans ce domaine, ce fut par la connivence et la concession des pontifes. Cette proposition est formulée contre les luthériens  et les calvinistes.   On la prouve d’abord, par l’exemple d’Aaron, et par le témoignage de saint Paul, (épitre aux Hébreux 5) : « Personne ne doit s’arroger cet honneur, à moins d’avoir été appelé par Dieu, comme Aaron. »  Or, Aaron a été élu pontife par le seul Moïse, sans l’avis ou sans le consentement de la multitude.  On la prouve ensuite par l’exemple et la parole du Christ.  Il a dit, en effet, à ses apôtres (Jean 20) : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »  Il a donc voulu que les apôtres gouvernent l’Église par le même pouvoir et pour la  même raison qu’il l’avait lui-même gouvernée quand il était sur la terre.  Il a élu d’abord les douze apôtres et ensuite les soixante-douze disciples,  sans l’avis et sans le consentement de la multitude.
On la prouve ensuite par le droit divin naturel et écrit.  Par le pouvoir divin écrit, les apôtres  sont les pasteurs du peuple, les peuples sont des brebis. (Jean, fin; actes, 20, 1 Pierre 5).  La raison naturelle enseigne clairement qu’il ne convient pas aux brebis de paitre, de régir, mais d’être régies, d’être nourries. Or, l’élection de pasteurs appartient certainement à celui qui gouverne et régit.  Il ne convient donc pas au peuple d’élire les pasteurs.  Tu m’objecteras peut-être que  dans les républiques terrestres  les peuples sont appelés brebis, et les rois pasteurs, mais que l’élection du roi se fait quand même  par le peuple.  Je réponds   que la république céleste ne relève pas du même ordre de valeurs que la république terrestre.   Car, dans la république terrestre, les hommes naissent naturellement libres,  et c’est pour cette raison que c’est le peuple qui possède immédiatement le pouvoir politique, tant  qu’il  ne le transfère pas  à un roi.  Or, la république chrétienne ne posséda jamais cette sorte de liberté.  Car, quand  le Christ, son roi et son pasteur, naquit,  c’est simultanément qu’il  institua son église, et qu’il  y préposa Pierre.   De plus, dans la république terrestre, le peuple ne peut  élire un roi que quand il n’en a pas.  Or, l’église n’a jamais manqué de roi, puisque le Christ vit toujours, et qu’il y a toujours dans l’église des évêques capables d’élire et de créer de nouveaux pasteurs.
On le prouve ensuite par l’exemple des apôtres.   Les évêques,  ils les élisaient sans demander l’avis de la multitude.  On le constate par le fait qu’ils envoyaient souvent des évêques créés par eux à des peuples absents ou infidèles.   La réponse de Kemnitius ne vaut pas grand-chose.  Dans son examen du concile de Trente, à la dispute du sacrement de l’ordre, il écrit : « les évêques que les apôtres envoyaient à des peuples infidèles avaient coutume d’être élus par le peuple de l’église où ils avaient été ordonnés.  Car, ceux qui disent que c’est de droit divin que l’élection appartient au peuple en donnent pour raison que c’est pour que le peuple ne reçoive pas pour pasteur quelqu’un qu’il  ne connait ni ne désire.  Ils veulent donc qu’appartienne au peuple, de droit divin, l’élection de leur évêque à eux, mais  non celle  d’un évêque étranger.   De plus, de quel droit un peuple élirait-il l’évêque d’un autre peuple ?  C’est ainsi que Kemnitius prouvait  que les évêques que les apôtres envoyaient avaient été élus par le peuple de l’église où ils avaient été ordonnés.
On la prouve aussi par les décrets des anciens conciles.   À l’acte un du concile de Laodicée,  il est écrit au canon 13 : « Il n’est pas permis aux masses de faire l’élection de ceux qui ont à être promus au sacerdoce. »  La réponse de Calvin n’est pas meilleure.  Il interprète ce canon en disant que ce canon ne se propose pas d’interdire les élections aux foules, mais qu’il ne veut pas que les foules votent seules, sans que soient présents aussi les anciens.   Or, comme les anciens ont toujours été présents, le concile aurait statué dans le vide, il aurait, comme on dit aujourd’hui, mordu la poussière, si prévalait l’interprétation de Calvin.   Dans le concile du pape Martin, d’après Martin Bracarensem, au chapitre 1 des décrets, nous lisons : « Il n’est pas permis au peuple de faire l’élection de ceux qui ont à être promus au sacerdoce, car cela est réservé au jugement des évêques. »  De même, le concile de Nicée 11 (chapitre 3) : « Toute élection d’un évêque, d’un prêtre ou d’un diacre faite par des magistrats sera nulle et non avenue.  Car il faut que celui qui doit être promu à l’épiscopat soit élu par des évêques. »  Ensuite le concile 4 de Constantinople, qui est un concile général, au canon 28 : « Le synode saint et universel définit que personne parmi les princes laïcs n’ose s’immiscer dans l’élection ou la promotion d’un patriarche, d’un métropolitain ou d’un évêque quelconque, surtout parce que, dans ces sortes de choses, il ne convient pas que des laïcs détiennent aucun pouvoir.  Ils n’ont plutôt qu’à se taire, et à attendre que l’élection du futur pontife ait été faite rituellement par le collège de l’Église. »
On prouve la même chose par des exemples, ou des témoignages d’anciens,  qui vécurent après les apôtres.  Saint Jérôme (épitre 85 à Évagre) : « À Alexandrie, depuis Marc l’évangéliste jusqu’aux évêques  Héraclès et Denys, tous les prêtres placés au rang le plus élevé   nommaient évêque à l’unanimité quelqu’un d’entre eux. »    Ce texte montre assez clairement qu’à Alexandrie, dans les temps les plus anciens,  les évêques n’avaient pas coutume d’être élus par le peuple, mais par les prêtres.   Ruffin (livre 10, chapitre 9 de son histoire) écrit : « C’est par saint Athanase que Frumentium a été créé évêques des Indiens ».  Il n’a pas  pu écrire cela au sujet des Indes sans que personne n’en sache rien, sans que personne  n’en connaisse rien.  Épiphane (dans sa lettre à l’évêque de Jérusalem) écrit que c’est par lui que Paulinien, frère de saint Jérôme, a été fait évêque,  et envoyé dans le monastère,  pour qu’il s’y acquitte du travail sacerdotal,  sans pourtant en avoir rien dit aux frères de ce monastère. L’apôtre des Anglais, saint Augustin, a été désigné évêque par le pape saint Grégoire, et a reçu de ce pape l’ordre d’être ordonné par l’évêque d’Arles, au cas où les Anglais accepteraient d’être évangélisés, sans que les Anglais ne l’aient choisi ou demandé.  Voir le livre premier de l’histoire générale de saint Bède.  Le bienheureux Grégoire ordonna l’évêque des Allemands, saint Boniface, sans que les Germains n’en aient rien su ou n’y aient même pensé. Voyez sa vie qui vient juste de paraitre.  On peut apporter beaucoup d’autres exemples de ce genre.
On le prouve aussi par les inconvénients qui résulteraient d’une élection par le peuple.  Les gens du peuple sont ignorants, inexpérimentés, et ils ne pourraient pas, même s’ils le voulaient sincèrement et sans passion, juger si un tel est propre ou pas au sacerdoce.  L’empereur Valentinien, comme le rapporte Theodoret (livre 4, chapitre 6 de son histoire), répondit à celui qui lui avait confié l’élection de l’évêque de Milan : « C’est une chose trop grande pour qu’elle nous convienne.  Vous qui êtes dotés de la divine grâce et qui  êtes éclairés par sa lumière,  vous ferez un meilleur choix. »  C’est à plus forte raison que la multitude se récuserait si elle savait à quel point elle est incompétente.  Car, je le demande, comment des marchands, des cultivateurs, des menuisiers, des  ramoneurs, des forgerons et d’autres artisans pourront-ils juger qu’un tel possède l’érudition et la prudence nécessaires à un évêque ?
 De plus, si le peuple avait le pouvoir d’élire, il faudrait nécessairement que soient toujours préférés ceux que préfèrent les méchants et les sots.  Voilà pourquoi saint Jean Chrysostome (dans son livre 3 sur le sacerdoce) se plaint amèrement de ce que, de son temps, les élections d’évêques soient entre les mains du peuple.  Et il dit qu’il ne fallait pas se surprendre que les pires soient choisis, et que les meilleurs soient laissés de côté, puisqu’il est donné d’élire des chefs spirituels à ceux qui ne savent juger que des choses temporelles.   De plus, l’élection populaire est grevée de tumultes et de séditions, comme saint Augustin le dit (épitres 110 et 223).   Il raconte les soulèvements populaires et les rixes qui se produisirent lors de l’élection de l’évêque Pinianus.   Ruffin (livre 11, chapitre 11 de son histoire),  raconte l’émeute du peuple milanais lors de l’élection de son évêque : « Une dissension grave et périlleuse … »  Mais c’est pour l’élection du pape Damase que l’agitation populaire fut à son comble.  La violence fut telle que 137 hommes furent tués dans un temple, comme le rapportent Amnianus Marcellinus (livre 27), saint Jérôme (dans sa chronique) et Ruffin (lilvre 11, chapitre 10 de son histoire.)
Mais, réplique Calvin, si ce mode d’élection comportait de  si graves inconvénients, pourquoi les anciens l’ont-ils toléré ?  S’ils ne l’enlevèrent pas, c’est qu’ils ne le pouvaient pas,  parce qu’il était de droit divin.  Je réponds.    Le mode d’élection populaire a pénétré peu à peu dans l’église; et il a fallu ensuite s’en défaire peu à peu et doucement.  Car, au début de l’église, les pasteurs étaient élus à l’insu du peuple.  On commença ensuite à se servir du peuple pour rendre un témoignage sur les mœurs et la vie de celui qui allait être élu.  C’est dans ce sens que parle Tertullien dans son apologie (chapitre 39) : « Les anciens qui ont été éprouvés l’emportent.  Cet honneur ils ne le tiennent pas d’un prix mais du témoignage. »  Puis, pour que les peuples aiment davantage leurs évêques, on commença à n’ordonner que ceux que le peuple demandait.  Comme le dit saint Léon dans ses épitres 87 et 89 : « On attendait les votes des citoyens,  les témoignages du peuple, l’arbitre de ceux qui méritent des honneurs, l’élection des clercs, tout ce qui doit être conservé par ceux qui connaissent les règles des pères pour  l’ordination des prêtres. »   Saint Léon attribue ici au peuple les votes, c’est-à-dire les désirs et les témoignages avant l’élection des clercs.
Le peuple finit par usurper même le droit de suffrage en certains lieux, et d’en faire une coutume, selon ce que nous explique saint Jean Chrysostome dans son livre sur le sacerdoce.  Et après qu’on ait toléré cette intrusion pendant un certain temps,  la confusion qu’entraînaient ce mode d’élection, et l’indignité des candidats choisis firent en sorte qu’on enleva peu à peu au peuple l’élection et la demande.  La seule chose qui demeura fut le témoignage sur la vie et les mœurs des candidats. Car, même maintenant, les évêques et les prêtres sont ordonnés devant le peuple,  et l’évêque qui est sur le point de conférer les ordres, parle au peuple par son diacre,  et lui demande de parler s’il a quelque chose à reprocher aux ordinants.   Il ne reste donc qu’à réfuter les objections.
Matthias Illyricus (dans son livre sur l’élection des évêques), a rassemblé tous les arguments qui ont été cogités par Luther, Calvin, ou d’autres de leurs disciples.  Il tire, d’abord, six arguments de la parole de Dieu.  Le premier.  Les clefs du royaume des cieux n’ont pas été données au seul pape  ou aux évêques, mais à toute l’église.  Car les paroles de Jésus en Matthieu 16 : « Je te donnerai les clefs », selon ce qu’explique saint Augustin (dans son traité 124 sur Jean), sont dites à Pierre en tant qu’il tient la place de toute l’église.   De plus, en Matthieu 18, c’est à toute la multitude qu’il est dit : « Tout ce que vous délierez sur la terre... »  Car, cela est dit à ceux à qui il avait dit avant : « Si ton frère pèche contre toi, corrige-le. »  Et, par le nom de clefs est signifiée toute puissance ecclésiastique.  En conséquence, toute la multitude des fidèles a reçu de Dieu le pouvoir d’élire et d’appeler, et même d’ordonner les ministres.
 Je réponds que, au sujet de cet argument, nous avons dit bien des choses dans le livre sur le souverain pontife.  Je me contenterai donc ici de quelques mots.   Les paroles de Jésus en Matthieu 16 (je te donnerai les clefs) sont favorables à notre position, et l’interprétation de saint Augustin ne la contredit pas.  Saint Augustin dit que c’est dans la personne de toute l’Église que saint Pierre a reçu les clefs, parce qu’il les a acceptés pour l’avantage et le profit de toute l’église.  Et aussi parce qu’il ne serait pas le seul à les utiliser, mais qu’il avait à les transmettre à ses successeurs, et à les posséder en commun avec les autres évêques et les presbytes.  Dans l’autre passage (tout ce que vous délierez),  c’est à l’église qu’il promet le pouvoir de lier et de délier, mais à celle qui se trouve dans les prélats, et non dans la multitude.   Il est clair, comme l’on dit,  que l’église délie et lie, parce que les prélats lient et délient, comme on dit que l’homme parle et voit,  même s’il ne voit que par les yeux, et ne parle que par la langue.  Qu’il en soit bien ainsi, on le déduit par le texte lui-même, car après avoir ordonné que soit présenté à l’église celui qui, après une correction fraternelle, et la présence de deux ou trois témoins, ne fait pas amende honorable, et qu’il fallait mépriser celui qui ne ferait aucun cas du tribunal de l’église, il ajoute cette promesse : tout ce que vous délierez.  Le tout-ce-que-vous-délierez est donc dit à même église à laquelle il avait été dit : dis  à l’église. Ce « dis à l’église » est expliqué par saint Jean Chrysostome, dans son commentaire de ce passage, au sens de : dis-le au prélat de l’Église.  Les autres docteurs voient dans le mot église un prélat ou un concile de prélats.   Ce que confirme d’ailleurs l’usage de l’église.   Car, tous ceux qui sont référés à l’église, c’est à un évêque ou à un concile qu’ils sont référés.
Le second argument est comme suit.  Le Seigneur ordonne (Jean 10), de ne pas écouter la voix des étrangers.   Et de plus (Matt 7), de fuir les faux prophètes.  Et l’apôtre (aux Galates 1) ordonne d’anathématiser tous ceux qui enseignent une chose contraire à l’évangile.  Le peuple chrétien a donc le mandat divin  d’appeler, de rechercher les bons pasteurs et de rechercher les pernicieux.  Je réponds que le peuple a l’obligation de discerner  le  vrai prophète du faux, mais pas par  une autre voie qu’en observant attentivement, si celui qui prêche dit des choses contraires à celles que disaient ses prédécesseurs, ou  les autres pasteurs, et surtout  le pape, l’évêque de l’église principale.  Car, il est commandé au peuple d’écouter ses pasteurs, (Luc 10) : « Celui qui vous écoute m’écoute. » Et en Matt 23 : « Faites ce qu’ils disent. »  Car le peuple n’a l’obligation de juger son pasteur que s’il entend des choses nouvelles, et étrangères à la doctrine des autres pasteurs.
 De plus,  saint Paul nous incite  (dans Galates 1) à excommunier ceux qui enseignent des choses nouvelles et opposées à celles qui avaient autrefois été prêchées.  Ajoutons que, comme il est illettré, le peuple ne peut pas autrement porter  un jugement sur la doctrine des pasteurs. Car, s’il pouvait juger par lui-même,  il n’aurait pas besoin de prédicateurs.   On déduit de cela qu’on doit tenir pour suspecte la doctrine de Luther, de Calvin et d’autres, qui sont venus après s’être envoyés eux-mêmes, et qui ont prêché des choses nouvelles qui sont en opposition avec la doctrine de tous les anciens pères.  Car, quand un pasteur ordinaire et un pasteur non envoyé enseignent des choses contraires, le peuple doit suivre son pasteur plutôt que l’autre qui n’est pas pasteur, même s’il arrivait parfois que le pasteur commette quelques petites erreurs.  Car, comme le peuple ne peut pas juger de cela, pourquoi ne croirait-il pas plutôt celui qu’il a l’obligation d’écouter ?   Il ne semble pas crédible que Dieu permette à un pasteur ordinaire d’errer au point de tromper gravement un simple peuple.  Car, il sera  facile de voir qu’il enseigne des choses contraires à ce qu’enseignent les autres.
Notons de plus que si le peuple peut, par la règle que nous venons d’énoncer, distinguer le vrai prophète du faux, cela ne lui donne pas le pouvoir de déposer un faux prophète, s’il est évêque,  et de  lui en substituer un autre. Car ce qu’ordonnent au peuple  le Seigneur et l’apôtre c’est seulement de ne pas écouter les faux prophètes, non de les déposer.   Et il est certain que l’Église a toujours eu pour usage que les évêques hérétiques soient déposés par des conciles d’évêques ou par les souverains pontifes.   Et voilà pour le deuxième argument.   Le troisième argument.   Les évêques ne sont pas des seigneurs ou des maîtres, mais des ministres de l’Église (1 Cor 3 et 1;  Pierre 5.).  Et, de plus, l’église est la colonne et le firmament de la vérité (1 Tim 3).  Le tribunal suprême est donc auprès de l’Église, et non des évêques.  Elle peut donc élire et appeler des évêques.   Je réponds que les évêques sont des ministres de l’Église, qui travaillent pour elle non en lui obéissant, mais en la gouvernant et en la régissant, comme nous avons dit ailleurs.  Il y a en effet, deux genres de ministres, celui de ceux qui servent en obéissant comme des serviteurs ou des esclaves, et celui de ceux qui servent en commandant, comme les pédagogues et les magistrats.   Les évêques servent donc l’église en la régentant et en lui commandant (actes 20, et Hébreux 13).   Car l’Église est la colonne de vérité qui écoute toujours Pierre,  pour lequel le Christ a prié d’une façon toute particulière pour que ne défaille pas sa foi.
Le quatrième argument ils le tirent des actes 1, où non seulement les apôtres, mais toute l’église ont choisi Matthias et Barnabée pour que Dieu désigne l’un d’entre eux.  Je réponds avec saint Jean Chrysostome que cela a été fait par une concession de Pierre, et non par nécessité : « Eh quoi ! Il n’était pas permis à Pierre d’en choisir un ?  Certainement, mais il ne l’a pas fait pour qu’il ne semble pas faire une faveur à un ami. »  De plus,  ce ne fut pas une élection, mais simplement la demande de mettre quelqu’un à la place de Judas. De plus, on ne peut pas déduire d’un cas unique que quelque chose est de droit divin.  Nous prouvons nous, efficacement,  que l’élection d’un évêque par le peuple n’est pas de droit divin, quand nous montrons que des évêques ont été élus sans le suffrage du peuple, puisque, contre le droit divin,  rien ne peut être validement accompli.  Mais ce qui n’a été fait que quelque fois nous ne pouvons le considérer comme étant de droit divin.
Le cinquième argument, ils le tirent des Actes 6, où il est dit de la multitude des croyants : « Et ils élurent Étienne. »  Je réponds d’abord que cet exemple ne prouve pas qu’il s’agisse  là d’un droit divin. Je dis ensuite que cela a été remis au peuple par une concession des apôtres.   Enfin, que ce texte n’a rien à voir avec la question traitée.   Nous parlons, nous, de l’élection des pasteurs qui ont à gouverner l’église, et eux, de diacres affectés au service des tables.   Le sixième argument vient aussi des actes 14 : « Et après les avoir établis presbytes dans chacune des cités ».  Le verbe grec signifie : après les avoir élus par le suffrage.   Car Xeirotoneô est comme xeiraseimo, c’est-à-dire en tendant la main,  ou en signe de suffrage.  Comme on le voit chez Cicéron (Marus Tullius), dans son discours pour Flaccus,  le suffrage se faisait en tendant la main.   Quand donc Paul et Barnabée élurent des évêques au suffrage du peuple, il est clair  qu’ile ne les ont pas seulement élus, mais que c’est à cause de l’élection qu’ils ont obtenu la présidence.  Je réponds à cela que le fondement principal de l’argument  d’Illyricus, de Calvin, de Kemnitius et des autres,  est que le verbe grec Xeirotoneô peut avoir trois sens. Le premier : élire par suffrages, comme le montre l’étymologie elle-même, et l’emploi de ce mot par les auteurs profanes.  Le second.  Élire et décerner de quelque façon que ce soit.   Car, même si l’étymologie du mot vient de l’extension de la main, ce mot est appliqué par la suite à toute sorte d’élection et de sanction, comme c’est le cas de  beaucoup de mots. Car saint Luc dit, dans les actes 1 : « Le sort tomba sur Matthias et il fut compté avec les autres apôtres.   En grec : il a été ajouté par les suffrages. Car le verbe grec signifie donner un suffrage, et le mot xèrisma est le suffrage lui-même.   Mais, pourtant, Matthias n’a pas été élu par les suffrages, mais par le sort.  Le mot grec est donc pris ici au sens d’opter en commun,  quelle que soit  la façon dont cela se fait.   Et, aux actes 10 : « Il lui donna de se manifester non à tout le peuple, mais aux témoins pré ordonnés par Dieu. »  Dieu n’a quand même pas choisi par suffrages ceux  à qui il a voulu se manifester après sa résurrection.
Chez les ecclésiastiques, le mot signifie ordonner par l’imposition des mains.  En commentant ce passage, saint Jean Chrysostome, dans son homélie 14, écrit : « Et ils leur imposèrent les mains quand ils priaient. »  Et dans son homélie 10  sur 1  Timothée, il se demande, pourquoi,  avoir donné des préceptes aux évêques, saint Paul passe aux diacres,  en omettant les presbytes.  Et il répond que les évêques et les presbytes sont semblables,  si ce n’est que les évêques ordonnent et que les presbytes n’ordonnent pas. De la même façon, le concile de Nicée dans sa lettre aux alexandrins, selon Theodoret (livre 1, chapitre 9 de son histoire), utilise le mot grec xeirotonia au sens d’ordination.
Si nous entendons le mot grec d’actes 14 de la deuxième manière, ou de  la troisième manière, l’argument est réfuté.  Si on l’entend de la première manière, il faut alors noter que ce mot grec ne signifie pas élire par des suffrages donnés par d’autres, mais élire par son propre suffrage,  comme le veut l’étymologie et l’usage des auteurs grecs.   Car, Démosthène, dans son discours contre Timocrate, attribue au peuple Xeirotonein. Voici ce qu’il dit : (une phrase en grec).   De la même façon, Cirécon, dans son discours pour Flaccus, dit : « Ils ont étendu leurs mains, un psephisme est né. »  Quand saint Luc dit que Paul et Barnabée ont… (mots grecs) il ne veut pas dire  qu’ils ont créé des évêques par les suffrages du peuple, mais par leurs suffrages à eux seulement, à moins que les adversaires veuillent référer ce mot grec au peuple, contrairement à toute la sentence de l’Écriture.   Car ceux dont on dit : ils ont établi des presbytes, c’est des mêmes qu’on dit : ils les recommandèrent à Dieu dans lequel ils croyaient.  Il est évident que ces mots ne se rapportent qu’aux apôtres.
Le septième argument, Luther, Calvin, Illyricus et Kemnitius le tirent de Cyprien (livre 1, épitre 4 ) : « C’est pourquoi le peuple qui observe les préceptes du Seigneur et qui craint Dieu, doit se séparer d’un préposé pécheur, et  ne pas se mêler aux sacrifices d’un prêtre sacrilège, quand il a le pouvoir d’élire des prêtres dignes et de récuser les indignes.  Car nous voyons que cela  descend de l’autorité divine qu’un prêtre soit choisi en présence du peuple, à la vue de tous, et qu’il soit prouvé digne et idoine par le témoignage et le jugement publics. »  Je réponds de deux façons. Saint Cyprien ne veut pas dire que c’est de droit divin qu’un évêque soit élu par le peuple, mais que c’est conforme aux exemples divins, comme on le voit par ce qui suit.  Car, voulant prouver que c’est de droit divin, il le démontre seulement par trois exemples. Eléazar (Nombres 20)  a été ordonné devant tout le peuple; Matthias (actes 1) et les sept diacres (actes 6) également.  Or, des exemples de l’Écriture ne font pas que la chose en question soit de droit divin.  Cela, seuls les préceptes divins le font.   Je dis ensuite, que, dans ce passage, saint Cyprien n’attribue rien d’autre au peuple que le droit de rendre un témoignage sur la vie et les mœurs des ordinants, ce qui a été conservé dans l’église catholique.  Cyprien dit que le peuple a le pouvoir d’élire et de voter car il a le pouvoir de dire  ce qu’il sait de bien ou de mauvais sur les ordinants, et d’apporter ainsi un témoignage qui fera en sorte que l’appelé soit ou ne soit pas ordonné.  Selon saint Cyprien, le peuple a donc le pouvoir d’élire,  par le témoignage, non par le vote, comme un témoin plus que comme un juge.
Cela apparait clairement au même endroit, car il dit qu’on doit élire un évêque comme Éléazar a été élu.  Or, aux nombres 21, l’Écriture nous dit qu’Éléazar a été élu par Moïse, et la seule chose qu’elle attribue au peuple, c’est qu’il a été ordonné en sa présence.  Et voici ce qu’ajoute saint Cyprien, en expliquant ce texte : « Dieu ordonne que soit constitué un évêque devant toute la synagogue.  Il enseigne donc et montre que les ordinations sacerdotales ne doivent être faites qu’au su et connu du peuple assistant,  pour que, par la présence du peuple, soient détectés les crimes des méchants et les mérites des bons. »  Et plus bas : « C’est pourquoi, doit être conservé soigneusement comme étant de tradition divine et apostolique  ce que, chez nous, toutes les provinces observent, à savoir que, pour que les ordinations soient licitement célébrées, les évêques d’une province doivent se réunir devant le peuple dont l’ordinant sera le préposé; l’évêque doit être  élu en présence du peuple, qui connait  bien les moeurs de chacun, et a été témoin de tous les actes de sa vie. »
Le huitième argument Illyricus le tire du concile de Nicée.  Dans la lettre de ce même concile aux alexandrins, selon Theodoret (livre 1, chapitre 9), on lit : « Il est digne que vous ayez le pouvoir d’élire quiconque, et de donner les noms de ceux qui sont dignes d’être clercs, et de tout faire selon les lois et les sanctions de l’Église.  Quand qu’il arrive qu’un évêque entre dans son repos, sont considérés comme pouvant lui succéder  seulement ceux qui semblent en être dignes, et que le peuple a élus.  Et cela vaut surtout pour l’évêque de la cité d’Alexandrie. »  De ce témoignage on ne peut déduire rien d’autre qu’avait commencé la coutume qui voulait que le peuple se même des élections.  Cela, nous ne le nions pas.  Mais on  ne peut pas en déduire que c’était de droit divin, ce que nos adversaires avaient à prouver.
Mais il faut noter deux fraudes d’Illyricus.   La première.  Le concile de Nicée, au début du témoignage par lui cité, ne parle pas du peuple, mais des évêques.  C’est en parlant des évêques, et non du peuple, qu’il dit qu’ils ont le pouvoir d’élire, et de faire toute chose selon les sanctions de l’Église.  Illyricus change ainsi les mots et fait volontairement un contre-sens en laissant entendre que le concile attribue au peuple le pouvoir entier de gouverner l’Église.  Ensuite, à la fin de ce témoignage, il dit que le concile enseigne qu’un évêque doit être élu par le peuple, mais que cette élection doit être confirmée par l’évêque d’Alexandrie (car il s’agissait des évêques d’Égypte), attribuant ainsi à l’évêque d’Alexandrie l’autorité principale dans l’élection d’un évêque égyptien.  Or, Illyricus a chanté les mots pour prouver que l’évêque ne peut rien de plus que le peuple.
Le neuvième argument de Luther, de Calvin et de Kemnitius  est tiré de l’épitre du deuxième concile général à Damase, que rapporte Theodoret (livre 5, chapitre 9 de son histoire). Voici ce que nous y lisons : « Le très révérend évêque Nectar, aimé de Dieu, nous l’avons ordonné devant le concile entier, avec l’assentiment de tous, sous les yeux de notre aimable empereur Théodose,  de tout le clergé, et également de toute la cité. »  Calvin rapporte des choses semblables tirées de l’épitre 89 du pape Léon, du livre 2, épitre 69 du pape saint Grégoire.  Kemnitius ajoute un témoignage de saint Ambroise (livre 10, épitre 82), et d’autres qu’il cite  non à partir de leurs propres écrits, mais d’après le décret de Gratien (dist 23, 24, 62, 63, 65,67, 8, question1, canon licet.)  Illyricus en cite plusieurs de ce genre dans son élection des évêques.
Je réponds que d’aucun de ces textes on ne peut conclure que l’élection des évêques par le peuple soit de droit divin.  Ensuite, dans tous ces textes, à l’exception de l’un ou l’autre, il n’est pas fait mention d’élection, mais de demande et de témoignage.  De plus, nous ne nions pas que le peuple ait parfois élu des évêques,  comme des rois, sont élus encore aujourd’hui, en certains endroits.  Ce que nous disons c’est que cette coutume s’est établie par une concession du pape, non de droit divin.  Ce qui nous fait comprendre à quel point Calvin  a menti  (livre 4, chapitre 5, verset 2 de ses institutions) quand il a dit qu’un rite d’élection des évêques sans les suffrages du peuple militait contre la parole de Dieu,  et contre  plusieurs décrets des conciles qui ont statué qu’était invalide une élection qui aurait procédé autrement.  Car, il ne cite aucune parole de  Dieu, ni aucun décret d’aucun concile-- ni non plus ne peut le faire-- où serait écrit ce qu’il leur fait dire.
Le dixième argument d’Illyricus est tiré de la coutume de l’Église.  Il dit que la coutume d’élire les évêques par le peuple dura 1300 ans,  et que c’est seulement  au temps de Frédéric 11, mort en 1250,  que les laïcs ont été exclus de cette élection. Il le prouve par des écrits de Grégoire 1X qui siégea avant Frédéric.  Dans les épitres décrétales  de Grégoire 1X (sous le titre élections, chapitre messana) qui nous sont parvenues, il est fait mention de cela, ainsi que dans l’épitre de saint Grégoire à l’évèque de Brème, (Krantium, livre 8, métropole, chapitre 3).  Et voici comment il conclut son argument : il n’y a donc aucun doute qu’avant 300 ans, les élections épiscopales étaient faites par les laïcs.  Je réponds qu’Illyricus ment honteusement.  Car, au temps des apôtres, et ensuite, pendant plusieurs années, le peuple ne pouvait rien faire de plus pendant ces élections  que de donner un témoignage sur la vie des candidats, comme nous l’avons déjà dit.  Dans les siècles qui suivirent, le peuple a fait irruption dans les élections par les suffrages, mais pas  pendant un très long temps, ce qui ne se fit pas sans controverse, contrairement à ce que prétend Illyricus.   Car, Grégoire 1X, dans l’épitre citée, dit que ce furent les chanoines qui élurent, même si eurent lieu les votes, les demandes et les désirs du peuple.
De plus, le chapitre messana est contre Illyricus, car, dans ce chapitre on interdit sévèrement aux laïcs d’élire : « Par un édit perpétuel,  nous interdisons aux laïcs d’élire un pontife canonique.  Si on présumait faire le contraire, l’élection n’aurait aucune force, nonobstant la coutume contraire, qu’on devrait plutôt appeler une corruption. »  On ne peut donc pas dire qu’avant 300 ans, les laïcs élisaient les évêques sans aucune controverse. Voir à ce sujet Radevicus (livre 2, chapitre 50, les choses faites par Frédéric 1).  De même, l’élection de Grégoire V11, il y a cinq cents ans, a été faite par les seuls cardinaux, comme le montre le décret de son élection, selon Platina.  Comment, sans controverse, les laïcs ont-il pu, jusqu’au 13ième siècle, élire les évêques alors que le huitième concile général (avant 700 ans), le septième (avant 800),  le concile du pape Martin (avant 900 ans) , et celui de Laodicée (avant 1200 ans)  ont défendu aux lacs d’élire des évêques ?
Le onzième argument est celui d’Illyricus.  Il présente certaines raisons politiques, mais d’une grande ineptie.  Comme celle-ci.  Les chanoines et les moines élisent presque toujours des évêques, ou des abbés papistes, rarement ou jamais des luthériens.  Ce qui revient à dire qu’il conviendrait que les églises et les monastères soient gouvernés par ceux qui ne haïssent personne plus que les moines et les clercs.  Il ajoute aussi qu’il est dommageable  que, puisqu’ils sont en Allemagne des chefs temporels, les évêques et les abbés ne soient élus que par six ou huit personnes.  Comme si l’empereur n’était pas un chef beaucoup plus important, lui qui n’est élu que par six ou sept électeurs.
                                                             CHAPITRE 8
L’élection de l’évêque n’appartient pas de droit divin aux clercs, mais au souverain pontife,  par lui-même ou le mode d’élection qu’il prescrit
La première preuve. Dans l’évangile,  la seule chose que nous ayons là-dessus c’est que l’Église universelle a été confiée à saint Pierre (Jean, dernier chapitre). C’est donc à celui qui prend soin de tous qu’il revient de pourvoir à tous les chrétiens.  De plus, si l’élection d’un évêque appartenait aux clercs de droit divin,  elle appartiendrait à la totalité des clercs. Or le droit divin ne définit pas que ce soit ces clercs-ci plutôt que ces clercs-là qui élisent.  Et qu’une élection faite par tous les clercs ne soit pas sans inconvénient, la preuve en est qu’une élection par une multitude de clercs a rencontré les mêmes déboires qu’une élection faite par une multitude de laïcs.   Voilà pourquoi pendant plusieurs siècles,  seuls les premiers parmi les clercs élurent les évêques, ce qui n’aurait pas pu arriver si, de droit divin, tous les clercs étaient électeurs.   Ensuite, saint Pierre, qui n’ignorait certes pas le droit divin, choisit lui-même son successeur en la personne de Clément, sans attendre qu’il soit élu par les clercs.  Et  il envoya aussi des évêques dans plusieurs provinces.   Voir Damase dans le pontifical, Innocent 1 dans l’épitre à Décentium,  et Jean 111, dans l’épitre aux Allemands.   Voir aussi, pour toute cette chose, Cajetan (le pouvoir du pape et du concile, chapitre 13).
                                                              CHAPITRE 9
                                                 La septième proposition
Le mode d’élection du souverain pontife par les cardinaux seuls est le meilleur de tous, et mérite d’être conservé, même si le pape pourrait  le remplacer par un autre, s’il le voulait.   La seconde partie est évidente, car l’élection par les cardinaux seuls est de droit positif.  La première preuve, en procédant par élimination.   Le pontife ne doit être élu ni par les sorts, ni par la succession charnelle,  ni par son prédécesseur, ni par les suffrages du peuple, ni par ceux de tout le clergé, comme nous l’avons déjà démontré.  Il ne reste donc que les suffrages du haut clergé.  Tels sont les cardinaux, puisqu’ils sont les principaux, les évêques, les principaux prêtres et les principaux diacres de l’église romaine.   Deuxièmement.  Nuls ne peuvent mieux juger quel est le pontife  suprême qui doit être élu que les évêques conciliaires, qui dirigent avec lui l’église, et qui connaissent parfaitement les rouages de l’église.  Tels sont les cardinaux.  C’est donc à eux qu’appartient de plein droit l’élection d’un pape.  Troisièmement.  Par la  durée.  Aucun mode d’élection papale n’a duré aussi longtemps.  Depuis 1179 jusqu’à aujourd’hui, pendant donc 400 ans, les papes ont été élus au deux tiers des cardinaux, d’après le décret d’Alexandre 111, promulgué au concile de Latran (au chapitre licet, élection).  Mais ce n’est pas en 1179 que l’élection par les  seuls cardinaux a commencé, puisque ce mode d’élection avait eu lieu bien avant.  Car, au chapitre licet, Alexandre 111 indique clairement que cette coutume avait commencé  bien avant, mais que c’est lui qui avait décidé que ne suffisait pas la majorité des voix,  mais les deux tiers.  Or, pendant ces onze cents ans,  on a noté dix-sept mutations dans l’élection d’un pontife romain.
Quatrièmement, on le prouve par l’expérience, car il n’y eut jamais moins de schismes que pendant cette époque.  Dans le livre des pontifes romains, Onuphrius a relevé 29 schismes dans l’église romaine, dont 26 avant le pape Alexandre 111; et dans le reste du temps, trois seulement.   Parmi ces trois, un seul eut pour cause des cardinaux, celui qui eut lieu au temps d’Urbain V.  Car l’autre qui arriva au temps de Jean XX11 a été suscité par l’empereur Louis 1V.  Le dernier, au temps d’Eugène, par le concile de Bâle.  Cinquièmement, on le prouve ainsi.  Ce mode d’élection est rempli de toutes sortes de biens et de formes légitimes.
 Car, il faut savoir que se sont succédé cinq modes différents d’élection des évêques.  Le premier.  Le pape élit un évêque par lui-même.  Ce qui se produisit lors de l’érection de nouveaux épiscopats, et  de l’envoi de nouveaux évêques.   Le deuxième. Les évêques d’une même province, ou la plus grande partie d’entre eus,  élisent un évêque de leur province, après avoir demandé le témoignage et le consentement des laïcs et du clergé du diocèse.  C’était ainsi qu’étaient élus les métropolitains et les patriarches,  ainsi que le souverain pontife, c’est-à-dire par les évêques voisins ou provinciaux.  Ce mode fut très ancien et dura assez longtemps.   C’est de ce mode que parle saint Cyprien (livre 1, épitre 4) : « Chez nous, et dans presque toutes les provinces, pour que les ordinations soient licitement célébrées, on tient à ce que les évêques de la même province se rassemblent  auprès du  peuple auquel sera préposé le nouvel évêque;  et que soit choisi le nouvel évêque en présence du peuple qui connait bien les moeurs de chacun des candidats, et est au courant de leurs faits et gestes. »  Il atteste de même  (livre 4, épitre 2) que le pape Corneille fut élu par plusieurs évêques, sur le témoignage et avec  les suffrages du clergé et du peuple. Nous lisons également, dans le concile de Nicée, (canon 4), qu’un évêque doit être institué par tous les évêques de sa province, et que, si cela ne se peut pas, tous les absents, ou la plus grande partie d’entre eux, doivent donner leur consentement, comme l’explique le canon 6 du même concile.  On trouve quelque chose de semblable dans le concile d’Antioche, au canon 19,  et dans  la collection des décrets de Martin bracarensis (chapitre 3).
Le troisième mode d’élection.  Le clergé et le peuple de la cité élisaient l’évêque.  C’est ce mode que connurent saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Augustin, saint Léon, et saint Grégoire, comme on peut le voir d’après les textes cités.  Le quatrième mode.  Les empereurs et les rois élisaient seuls, ou avec le clergé et le peuple.   Il est avéré que l’empereur Justinien n’a pas voulu, après avoir récupéré l’Italie, que soit créé un pontife romain sans son approbation.  Ce qui fut maintenu jusqu’à Constantin 1V, qui laissa tomber les droits acquis de ses prédécesseurs en ce domaine, comme le rapportent Platina et d’autres historiens.   Il est avéré aussi que le droit d’élire le pontife romain et d’autres évêques a été accordé à Charlemagne par Adrien 1; et qu’un doit similaire a été accordé aussi à Othon par Léon V111, comme on le voit dans Gratien (dits 63, canon Adrianus, et dans le synode). Mais ces décrets Gratien ne les a pas tirés des actes des pontifes ou des conciles, mais de la chronique de Sigebert.  Leur authenticité n’est donc pas à toute épreuve.   Le cinquième. Les chanoines seuls élisent l’évêque.  Ce mode d’élection dura longtemps en plusieurs endroits de l’Allemagne.
De ces cinq modes d’élection d’un pape,  on ne peut pas trouver le premier, car il ne convient pas que le prédécesseur élise son successeur.  On le trouve quand même d’une certaine manière, car ce mode d’élection émane d’un décret du pontife lui-même.  Le deuxième, on le retrouve en ce qu’il y a en lui de plus important.  Car, aujourd’hui  les évêques voisins élisent comme autrefois  six évêques cardinaux élisaient. Le troisième mode, on ne le rencontre pas, parce qu’il était impraticable, comme nous l’avons indiqué plus haut.   Le quatrième, on ne le rencontre pas non plus, car, quand les empereurs s’immiscèrent dans les élections ce fut soit par la violence, par des empereurs tyranniques, ou quand les empereurs ne voulaient pas que soient créés des pontifes sans leur approbation, ou sans recevoir un montant d’argent.  C’est saint Grégoire lui-même qui emploie le mot tyrannie, pour décrire ce comportement (dans son commentaire des psaumes pénitentiels).  Ou soit parce que les pontifes avaient jugé que la chose était nécessaire pour la défense de l’Église, comme quand ils concédèrent ce droit à Charlemagne et à Othon, s’ils l’ont vraiment concédé.  De nos jours, les empereurs n’interviennent pas en tyrans dans les élections pontificales, et la défense de l’église ne le requiert pas.  On trouve difficilement un seul pieux empereur qui ait voulu user de ce droit à eux concédé.  On voit plutôt une renonciation à ce droit par Louis le pieux, le fils de Charlemagne (canon ego ludocivus, dist 63,) et par Othon 1 (canon constitution, le même distt).  La cinquième, on la rencontre, car les prêtres et les diacres cardinaux sont dans la ville de Rome ce que sont les chanoines dans les autres villes.
                                                    CHAPITRE 10
                                          La huitième proposition
S’il ne demeurait aucune constitution sur le mode d’élection d’un souverain pontife,  ou si, par hasard, tous les électeurs désignés par le droit, c’est-à-dire tous les cardinaux, périssaient simultanément,  le droit d’élire reviendrait aux évêques voisins et au clergé romain,  mais en dépendance d’un concile général d’évêques.
Tous n’admettent pas cette proposition.  Quelques-uns estiment que, dans ce cas, le droit d’élire le souverain pontife est dévolu à un concile d’évêques, comme l’enseignent Cajetan, (traité du pouvoir et du concile, chapitres 13 et 21),  et François Victoria (réélection 2 question 2, sur le pouvoir de l’Église).  D’autres, comme Sylvestre (au mot excommunication, 9, verset 3) enseigne que, dans ce cas, c’est au clergé romain a assumé l’élection du souverain pontife.  Mais on peut réconcilier ces deux propositions.   Car, c’est, sans aucun doute,  un concile d’évêques qui possède l’autorité première d’élire, car, à la mort d’un pontife, il n’y a pas, dans l’église, de plus grande autorité que celle d’un concile.  Et si le pontife n’était ni évêque de Rome, ni d’aucune autre ville, mais seulement pasteur général de toute l’église, c’est aux évêques du monde entier qu’il appartiendrait d’élire un successeur, ou de désigner des électeurs. Mais depuis que l’épiscopat de l’univers a été uni à l’épiscopat d’une ville,  l’autorité immédiate de l’élection devrait, en ce cas,  permettre aux évêques voisins et au clergé de Rome de faire l’élection.   Ce que l’on prouve de deux façons.  La première.   Parce que c’est par tous les évêques voisins et clercs romains  qu’est transmis aux cardinaux le pouvoir d’élire, puisqu’ils  sont une  partie des évêques et des clercs de l’église romaine. La deuxième.   Parce que c’est une coutume très ancienne, comme nous le montre saint Cyprien, celle qui veut que les évêques voisins élisent un évêque, et même l’évêque romain, en présence du clergé.  Et on n’a jamais entendu dire, et on n’a jamais lu que les évêques, les archevêques et les patriarches de tout l’univers se soient réunis pour élire un souverain pontife, sauf dans le cas où l’on avait un doute sur les électeurs légitimes.  Ce doute devait trouver sa solution dans un concile général, comme cela est arrivé au concile de Constance.

                                                                  CHAPITRE 11
                                               Le nombre des ordres ecclésiastiques
S’ajoute la troisième question sur la distinction des clercs, ou des ministres de l’Église.  Cette question consiste en trois choses. Nous différons d’avis avec nos adversaires sur le nombre, l’antiquité et sur la fonction des clercs.  Commençons donc par le nombre.   Jean Calvin (livre 4, chapitres 4 et 19 de son institution) et Martin Kemnitius  (dans son examen de la session 23 du concile de Trente) rejettent le chiffre sept que les catholiques reconnaissent et enseignent, et n’en acceptent que trois : l’ordre des évêques qu’ils appellent plutôt pasteurs, celui des presbytes, qu’ils appellent anciens, ou docteurs ou ministres de la parole, et celui des diacres.   L’ordre des exorcistes ils l’écartent d’un revers de main.  Les autres ils les reconnaissent mais pas comme des ordres, et sans qu’il y voir un nombre fixe.  Ils disent que les lecteurs, les acolythes,  les portiers furent des ministres que les pasteurs utilisaient selon les besoins du moment; qu’ils étaient plus ou moins nombreux selon la grandeur ou la petitesse de l’église. Ils le prouvent cela, en faisant remarquer que les pères ne présentèrent pas tous les mêmes chiffres.  Calvin (livre, chapitre 4, verset 1) cite un texte de saint Jérôme (son commentaire d’Isaïe, chapitre 19) qui ne parle que de cinq ordres, les évêques, les prêtres, les diacres, les fidèles et les catéchumènes.
Kemnitius  présente aussi ses citations. La première. Denys l’aréopagite (dans le chapitre 4 de sa hiérarchie ecclésiastique), n’en connait que trois : celui des pontifes, des prêtres et des ministres. La deuxième.  Les canons apostoliques n’énumèrent que cinq ordres : celui des évêques, des prêtres, des diacres, des lecteurs et des chantres.  La troisième.  Saint Ambroise (dans son commentaire du quatrième chapitre des Éphésiens) n’en énumère que cinq, mais il met les exorcistes à la place des chantres.   La quatrième.  Saint Ignace dans son épitre aux antiochiens,  et saint Épiphane (Panarius) en comptent plus que sept, car ils ajoutent des travailleurs.   Saint Ignace ajoute, lui, des confesseurs.   La cinquième. Les canonistes (Gratien dist 23 et 25) ajoutent un psalmiste.  Et il conclut : « Ce n’est donc pas un dogme catholique qu’il n’y ait que sept ordres. »
Les catholiques, pour leur part, veulent qu’il y ait un nombre certain et statué des ordres ecclésiastiques proprement dits.  Il faut noter que les auteurs ont coutume d’entendre le mot ordre (ecclésiastique) de deux façons. Une première, au sens propre, et une autre, au sens large.  Sont appelés proprement ordres ecclésiastiques ceux qui sont conférés par l’évêque au moyen d’un rite sacré et solennel, et qui se rapportent à un ministère  en relation avec le sacrifice divin. Dans ce sens, sept ordres seulement sont reconnus, à savoir le prêtre, le diacre, le sous-diacre, l’acolythe, le lecteur, l’exorciste et le portier. Car même si l’évêque et le prêtre sont différents, sous l’angle du sacrifice,  ils exercent le même ministère.  Voilà pourquoi ils forment un seul ordre, et non deux, comme le lecteur, le chanteur et le psalmiste.
Voilà pourquoi le pape Corneille (dans son épitre à Fabien, citée par Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire),  dit que, dans l’église romaine, en son temps, c’est-à-dire il y a 1300 ans,  il y avait 46 prêtres, 7 diacres, 7 sous-diacres, 42 acolythes, des exorcistes avec des lecteurs et des portiers au nombre de 52.  Il ne fait là aucune mention des chanteurs et des travailleurs, ou d’autres ordres dont parlent d’autres auteurs. Et la raison en est que ces derniers n’avaient pas d’ordination propre, et n’avaient pas un ministère en rapport avec le saint sacrifice de l’autel. Dans le concile romain, sous Sylvestre (chapitre 3), les mêmes sept ordres sont énumérés.  Dans le quatrième concile de Carthage (canon 2 et suivants), en plus des ordres déjà nommés dans l’épitre de saint Corneille, et dans le concile romain, a été ajouté celui de psalmiste ou de chantre.  Mais, au même endroit, le concile précise que le psalmiste n’est pas ordonné par l’évêque, mais qu’il peut exercer son ministère sans la permission de l’évêque, et sans un ordre de son pasteur.  Saint Isidore (au livre 7 des étymologies, chapitre 12, et dans sa lettre à Ludifredus, Raban (livre 1, chapitre 6  et suivants des institutions cléricales), Amalarius (livre 2, chapitre 7  et suivants des offices ecclésiastiques), Hugo de Saint Victor (livre 2, par 3 chapitre 5, dans son livre sur les sacrements), tous ces auteurs énumèrent et expliquent les mêmes sept sacrements. Pierre Lombard, le maître des sentences fait la même chose. Or tous les théologiens, comme l’on sait, l’ont suivi dans 4 dist 24.
De plus, le concile de Florence énumère les mêmes, dans son instruction aux Arméniens, ainsi que la session 23 du concile de Trente, chapitre deux.   Et c’est ce qu’atteste aussi la pratique de l’Église.  Car on ne confère jamais d’autres ordres que ceux-là.   La tonsure, en effet, n’est pas un ordre, puisqu’elle n’a aucun office qui lui soit attaché.  Elle n’est qu’une préparation aux ordres, comme le catéchisme l’est au christianisme.
On appelle ordres au sens large tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont voués aux devoirs divins, même s’ils n’ont aucun lien avec le sacrifice de la messe. Et dans ce sens, sont appelés ordres par les pères même les moines, les vierges, et les veuves consacrées à Dieu, ainsi que les fossoyeurs.  Saint Denys l’aréopagite parle de l’ordination d’un moine  (dans le chapitre sixième de la hiérarchie ecclésiale), et Épiphane des fossoyeurs,  dans sa somme doctrinale, car l’ensevelissement des morts était considéré comme une action religieuse. Le même Épiphane parle de l’ordre des diaconesses, des vierges ou des veuves, qui servaient l’église dans l’instruction des femmes qui allaient être baptisées, et dans l’immersion elle-même.
À partir de ce que nous venons de préciser, il sera facile de donner une explication des passages que les adversaires nous présentent contre le nombre sept des ordres.   D’abord, le texte de saint Jérôme que nous oppose Jean Calvin.  Je réponds que, dans ce texte, saint Jérôme ne parle pas des ordres des clercs, mais des ordres des chrétiens.  Voilà pourquoi il place en premier lieu les clercs, ensuite les laïcs, qu’il appelle fidèles, et à la fin les catéchumènes.   Ensuite, parmi les clercs, il n’en nomme que trois : les évêques, les prêtres et les diacres, car il voulait reproduire le chiffre cinq.  Il expliquait alors ce passage d’Isaïe : « Il y aura cinq villes, dans la terre d’Égypte, qui parleront la langue cananéenne »;   et il voulait voir dans ces cités l’église catholique.  Donc, pour atteindre le chiffre cinq, il ne plaça que les trois premiers des clercs, dans lesquels les autres sont contenus, bien qu’ailleurs il les ait présentés souvent au complet.  Car, il parle des sous-diacres dès les premiers mots de sa lettre 91,  des acolytes et des lecteurs dans sa lettre 2 à Népotien, des exorcistes et des portiers, dans les derniers mots de  son commentaire du chapitre 2  de l’épitre à Tite.
À la citation de saint Denys l’Aréopagite, présentée par Kemnitius, je réponds que saint Denys ne voulait pas énumérer le nombre des ordres, mais le nombre des hiérarchies.  Car, il y a trois hiérarchies dans l’église militante, comme il y en a trois aussi dans l’église triomphante.  La première est celle des pontifes, la seconde celle des prêtres, et la troisième celle des diacres. Si comparés aux prêtres, les diacres sont appelés et sont vraiment des ministres, ils sont cependant, si on les compare au peuple des fidèles, des princes et des présidents;  et voilà pourquoi on en fait une hiérarchie.  Les ordres inférieurs ne président pas au peuple, mais ne font que servir les diacres et les prêtres.  Que les diacres président, c’est ce qu’enseignent saint Ignace (dans son épitre aux Tralliens : « Soyez soumis à l’évêque, ainsi qu’aux prêtres et aux diacres. »  Saint Jérôme (dans le chapitre 2 à Tite) : « Ce ne sont pas seulement les évêques, les prêtres et les diacres qui doivent s’appliquer  avec soin à précéder par la conduite, la parole et la science, le peuple sur lequel ils président, mais même les grades inférieurs comme ceux des exorcistes, des lecteurs, et tous ceux qui servent dans la maison de Dieu. »  Saint Jean Chrysostome enseigne la même chose dans son homélie 83 sur Matthieu, dans laquelle il persuade un diacre de refuser la communion  à un empereur qui se présente indignement à la sainte table: « Empêche-le, et corrige-le, car tu as un pouvoir plus grand que le sien! »  Et c’est la raison pour laquelle on choisit des évêques parmi les prêtres ou les diacres de l’Église, non parmi les ordres inférieurs, comme le montre saint Léon (épitre 84 à Anastase, chapitre 6).  Et je pense que c’est aussi pour cette raison que, dans l’église romaine, seuls les évêques, les prêtres ou les diacres sont cardinaux.
Au sujet des canons apostoliques, je réponds que saint Clément n’a jamais voulu, dans les canons des apôtres, énumérer tous les ordres, mais qu’il a tantôt parlé de l’un, tantôt de l’autre, selon que le contexte le demandait.  Que le même Clément ait connu plusieurs ordres, le canon 15 le laisse entendre clairement : « Si un prêtre, un diacre, ou l’un quelconque du nombre des clercs. »   Au témoignage de saint Ambroise, je réponds que dans son commentaire aux Éphésiens, chapitre 14, il ne fait mention que de cinq ordres parce qu’il voulait expliquer les paroles de saint Paul sur les ordres : il a été donné à d’autres d’être des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et des docteurs.  Et comme saint Paul n’en a nommé que cinq, il s’est cru obligé de s’en ternir au chiffre  cinq.  Par apôtres, il entend des évêques, par prophètes des presbytes, par évangélistes des diacres, par pasteurs des lecteurs, par docteurs, ou comme il le lit, par maîtres, des exorcistes.  Je réponds aux textes de saint Ignace et de saint Épiphane que ces pères ont compté parmi les ordres non seulement les ordres proprement dits, mais aussi ceux qui le sont au sens large.  Aux témoignages des canonistes, je réponds qu’ils comptent neuf ordres parce qu’ils distinguent les évêques des prêtres, et le lecteur du chantre, ce que les théologiens ne font pas. Mais il n’y a pas entre eux de dissension, car les théologiens ne regardent les ordres que dans leur relation au sacrifice de l’autel.  C’est de cette façon que nous disons, nous,  qu’un évêque n’est pas différent d’un prêtre, et qu’un lecteur n’est pas différent d’un chantre.  Les canonistes, eux, envisagent les ordres en tant qu’ils constituent une hiérarchie, et c’est pour cette raison qu’ils distinguent les évêques des prêtres.
                                                   CHAPITRE 12
                                           L’antiquité des ordres
Jean Calvin parle ainsi de l’antiquité des ordres, surtout des ordres mineurs (livre 4, chapitres 19, verset 27 de ses institutions) : « Ils furent inconnus à la primitive église, et ils furent inventés plusieurs années après. »  Mais saint Clément et saint Ignace, disciples des apôtres, prouvent que cette déclaration de Calvin est farfelue, car chacun de ces deux se souvient des ordres mineurs.  Saint Clément (livre 8 des constitutions apostoliques) décrit les rites de presque tous les ordres, même des ordres mineurs. Et saint Ignace dans sa lettre aux Antiochiens conclut ainsi : « Je salue votre saint presbyte, je salue les saints diacres, je salue les sous-diacres, les lecteurs, les chantres, les portiers, les travailleurs et les exorcistes. »  Et au temps de saint Cyprien, tous ces ordres se trouvaient dans l’église, sans avoir commencé alors.  Car, les auteurs de ce temps en parlent comme d’une chose antique et reçue partout, qui ne devait donc pas être beaucoup éloignée des temps apostoliques.   Cyprien (livre 2, épitre 2) dit : « J’ai transmis à l’acolythe Nicéphore des exemplaires qui m’ont été envoyés par Mettius le sous-diacre. »  Aux livres 2 et 4 de l’épitre 5, il écrit qu’il vient d’ordonner les lecteurs Aurélien et Célérin.  Dans l’épitre 14 du livre 5, il écrit «  Le presbyte et lecteur Lucien a écrit sur le clerc et l’exorciste. »
À la même époque le pape Corneille a écrit une lettre à Fabien, évêque d’Antioche. Voici quelles sont ses paroles, comme les a transcrites Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire ecclésiastique) : « Celui qui revendiquait l’évangile ne savait donc pas que dans l’église catholique, il doit y avoir un évêque là où il voyait 46 prêtres, sept diacres, sept sous-diacres, quarante-deux acolythes, des exorcistes et des lecteurs avec des portiers ? »  J’omets le canon 24 du concile de Laodicée et les canons 2 et suivants du quatrième concile de Carthage, dans lesquels il est fait mention de tous les ordres.  Ces conciles ont été célébrés l’un il y a 1100 ans, et l’autre il y a 1200 ans.   On peut facilement en déduire que ces ordres sont beaucoup plus anciens que ne le pense Calvin.
                                                      CHAPITRE 13
                                   Des fonctions ou des tâches des ministres
Il reste la fonction ou la tâche de tous ces ministres.   Sur ces points, Calvin et Kemnitius sont fort loin de penser comme nous.  La porte d’entrée dans le ministère est la tonsure, laquelle n’est pas un ordre, puisqu’elle n’a aucune tâche particulière qui lui soit assignée. Elle n’est qu’une disposition, une préparation aux ordres.  Ceux qui sont ainsi tonsurés professent leur désir de s’initier aux ordres, et de passer des affaires du monde à la milice ecclésiastique.  C’est donc plus loin que nous traiterons formellement du rite de la tonsure.
Le premier ordre est celui de portiers. Tous tombent d’accord sur son existence.  Car Calvin  (livre 4, chapitre 4, verset 9 de ses institutions) admet que la fonction des portiers fut, autrefois, d’ouvrir et de fermer les portes de l’Église, et aussi d’avoir soin du temple.  Et au chapitre 19, verset 27 il reproche à l’église de demander aux évêques d’ordonner des portiers par un rite solennel, car ce n’était pas pour lui une tâche ecclésiastique, mais un travail quelconque, comme celui que remplissent les portiers dans les maisons profanes.  Mais il ne présenta aucun texte pour prouver son assertion.  Nous avons, nous, les textes ci-haut cités dans lesquels l’ordre des portiers est compté parmi les ordres de l’Église. Et de plus, dans le quatrième concile de Carthage, au canon 9, sont prescrits le rite et la forme des ordinations des portiers.  Et c’est précisément ce rite que l’église utilise encore aujourd’hui.   Voici ce que dit le concile : « Quand le portier est ordonné, après avoir appris de l’archidiacre comment il doit se comporter dans la maison de Dieu, l’évêque, à la suggestion de l’archidiacre, lui remet, de l’autel, les clefs de l’église en disant : « Agis comme devant avoir rendre compte des choses qui sont remises en sureté par ces clefs. »  Quand Calvin se moque de cela, ce n’est pas seulement des papistes modernes (pour employer son expression) qu’il se moque,  mais de l’église catholique qui est aujourd’hui et qui a été dans le Christ pendant plus de mille ans.
Le deuxième ordre est celui des lecteurs.  Leur travail consistait à lire, du pupitre, tout ce qui devait être lu, dans l’église, des textes de l’ancien et du nouveau testament.  Que même les évangiles étaient lus par les lecteurs, saint Cyprien l’atteste (livre 2, épitre 5).  Il dit, en parlant de l’ordination du lecteur Aurèle : « Rien ne convient mieux à la voix qui confesse Dieu par une glorieuse prédication que de proclamer  les lectures; et, après les paroles sublimes qui parlent du martyre du Christ, de livre l’évangile qui fait les martyrs. » Il est croyable, cependant, qu’il n’appartenait pas au lecteur de lire l’évangile au moment du sacrifice (car cela appartenait aux diacres, comme nous le montrerons plus haut), mais seulement en dehors de ce temps.  Calvin reconnait (livre 4, chapitre 4, verset), que tel fut le travail des lecteurs.   Mais il dit que ce ne fut ni un grade, ni un ordre dans l’église.  Les évêques ne faisaient que demander à l’un de leurs serviteurs ou ministres de lire les « Écritures dans l’Église. Le peuple finissait ainsi par les connaitre et à les distinguer des autres.
Je réponds que le quatrième concile de Carthage, au canon 8, a prescrit le rite solennel de l’ordination des lecteurs; et que saint Cyprien (livre 2, épitre 5, livre 3, épitre 22, et livre 4, épitre 5) indique clairement que le lectorat a été un ordre et un grade dans l’Église.  Car, il lui donne souvent le nom de grade et honneur ecclésiastique.  Il dit aussi que Célerin, par humilité, avait fui ce grade, mais que, averti par une divine révélation, il a acquiescé.  Il s’excuse d’avoir, en situation d’urgence,  ordonné des lecteurs sans l’avis et le consentement des clercs. Il dit qu’il a approché de la cléricature un certain Saturus pour lui permettre de lire à Pâque dans l’église, parce qu’il n’avait pas encore été ordonné. Il le fit, ensuite, entrer parmi les clercs, et le promut à l’ordre de lecteurs.   Ces textes montrent clairement qu’autre est lire dans l’église, ce que Calvin admet,  et autre être promu à l’ordre de lecteur.
Le troisième est celui d’exorciste.  Leur tâche consiste à lire les exorcismes de l’Église sur les énergumènes, et, de cette façon, les préparer à être prêts à participer au sacrifice divin.  Autrefois, parce qu’il arrivait fréquemment que des démons soient chassés des corps humains, beaucoup d’énergumènes accouraient à l’église en grand nombre, et comme en troupeaux.  Et c’est pour cette raison que cet ordre a été institué.   Que l’ordre des exorcistes fut un ordre véritable et non seulement un don ou une grâce donnée gratuitement, comme le veut Calvin, les textes déjà cités le démontrent.  Saint Ignace dans sa lettre aux Antiochiens, le pape Corneille, dans sa lettre à fabien (d’après Eusèbe livre 6, chapitre 23 de son histoire), et saint Cyprien (livre 5, épitre 14, le concile romain sous Sylvestre (canon 3)  et le concile de Laodicée (chapitre 24) énumèrent, tous, les exorcistes parmi les ordres.  Mais c’est le concile de Carthage no 4, chapitre 7, qui le montre le plus clairement : « Quand il est ordonné, que l’exorciste reçoive de la main de l’évêque un livre dans lequel sont écrits les exorcismes.  En lui tendant le livre, l’évêque lui dit : « Reçois-le et confie-le à ta mémoire.  Et aie le pouvoir d’imposer les mains sur un énergumène, baptisé ou catéchumène. »  Et le concile de Laodicée (au canon 26) interdit à quiconque d’exorciser, en public ou en priver, à moins d’avoir été promu par un évêque à l’ordre des exorcistes.
Ces conciles nous font mieux comprendre quel fieffé menteur est Jean Calvin. Car il ose dire (livre 4, chapitre 19, verset 24 de ses institutions) : « On prétend qu’un pouvoir ait été conféré aux exorcistes sur les énergumènes par l’imposition des mains. » Comment pourrions-nous feindre, nous qui prouvons par des conciles ce que nous avançons.  Ajoutons aussi le témoignage de Sulpice Sévère qui, dans sa vie de saint Martin, (au chapitre 4) écrit : « Saint Hilaire de Poitiers, après avoir ordonné Martin Diacre, chercha à l’impliquer davantage dans la charge pastorale, et à l’employer à un ministère divin.  Mais comme il résistait toujours en se déclarant indigne, il comprit qu’il ne pouvait obliger  un homme de cette trempe qu’en lui en imposant la tâche,  et en lui enlevant ainsi tout prétexte de commettre une injustice.  Il lui ordonna donc de devenir un exorciste.  Et cette ordination il ne la répudia pas, pour ne pas sembler l’avoir méprisée parce qu’elle était trop humble. »
Le quatrième ordre est celui des acolythes.   Leur fonction propre consistait à suivre le diacre avec un cierge allumé jusqu’à l’endroit où se trouvaient l’évangile et l’encens.  C’est lui, aussi, qui préparait les burettes pour le sacrifice, et qui les présentait au sous-diacre. On l’a appelé acolythe à partir du mot grec akoloutheô,  qui signifie je suis.  On l’a appelé aussi céroféraire, parce qu’il s’occupe des cierges.  Ici, Calvin ne peut pas retenir son rire.   Car, voici ce qu’il dit (livre 4, chapitre 19, verset 23 de son institution) : « Elle est certainement admirable la subtilité qu’ils montrent en philosophant sur le mot acolythes.  Ils l’appellent céroféraire, mot magique qui n’a été entendu dans aucune langue et dans aucune nation. »  Et plus haut, (chapitre 4, verset 9), il dit : « On appelait acolythes ceux qui accompagnaient l’évêque dans ses tâches domestiques.  On l’accompagnait toujours d’abord pour lui faire honneur, et, ensuite pour que ne naisse aucun soupçon. »  Il veut donc que les acolythes n’aient été rien d’autre que les domestiques des évêques.  Mais, il ne cite aucun texte pour appuyer ses dires.  C’est à lui à voir s’il n’a pas affabulé lui-même, en tirant ces acolythes de son cerveau.  Quant à nous, que le grade et l’ordre ecclésiastique des acolythes a existé nous le prouvons par les témoignages cités, ceux du pape Corneille, de saint Cyprien, du concile romain, et du concile de Carthage.
Il avait à prendre soin des cierges et des cruchons, dont se moque Calvin.  Mais c’est ce qu’atteste le concile de Carthage 4, canon 6 : « Quand il est ordonné, l’acolythe apprend de son évêque comment il doit se comporter dans son travail.  Mais, c’est de l’archidiacre qu’il reçoit le porte-cierge avec un cierge, pour qu’il sache que sa tâche consiste à allumer les lumières de l’église. Et il reçoit aussi une burette vide pour suggérer le vin dans l’eucharistie du sang du Christ. »  Tu vois donc que le mot porte cierge n’est ni magique, ni inouï, ni inconnu de toutes les langues et de tous les pays, à moins de considérer un si grand nombre de saints pères, dont saint Augustin, qui ont participé à ce concile, comme des magiciens ou des gens de rien qui n’habitent nulle part et qui ne connaissent aucune langue.  On trouve le même nom chez Isidore (livre 7, chapitre 12, de ses étymologies), chez Amalarius (livre 2, chapitre 10), chez Raban Maure (livre1, chapitre 9, institution des clercs), Hugo (livre 2, par. 3, chapitre 5, sur les sacrements),  et chez beaucoup d’autres, qui n’étaient ni mages, ni d’aucune langue, ni d’aucun pays.
Le cinquième est celui des sous-diacres.  Son office propre consiste à  servir le diacre dans le sacrifice. Voilà pourquoi, quand il est ordonné, il reçoit un calice vide et une patène, comme nous le voyons dans le concile de Carthage, canon 5, et dans celui de Tolède 4, canon 27. «  C’est lui qui nous demande de lire les épitres de saint Paul à la messe », comme le concile de Reims l’enseigne au canon 4. Tous les auteurs cités plus haut ont fait mention de cet ordre.  C’est donc une fausseté  de plus qu’enseigne Calvin quand il dit (livre 4, chapitre 4, verset 5) que la tâche du sous-diacre ne consistait en rien d’autre  qu’à aider les diacres dans la distribution des aumônes, et à prendre soin des pauvres.
Le sixième ordre est celui des diacres.  Les catholiques ainsi que les hérétiques admettent que leur tâche consistait à recueillir les offrandes, et à administrer les biens d’église.  C’est ce qu’attestent les actes des apôtres, au chapitre 6.  Saint Léon également, dans son sermon sur saint Laurent. C’est peut-être à cause de cette fonction que des diacres autrefois se montrèrent insolents envers les prêtres. Les fonctions pécuniaires ont souvent été plus prisées que les autres.  Nous voyons, en effet, que certains conciles reprochent aux diacres leur arrogance, comme ceux de Nicée (canon 14), de Laodicée (canon 20), de Tolède 4 (canon 38).  Des Pères aussi, comme saint Cyprien (livre  3, épitre 9), saint Jérôme (épitre 85 à Évagrius, et livre 14 sur le chapitre 48 d’Ézéchiel), et saint Bernard (livre 4 de la considération).  Mais en plus de ce travail, les diacres avaient d’autres fonctions que ne reconnaissent pas les adversaires.  La première. D’assister le prêtre sacrifiant, de le servir, et de distribuer l’eucharistie au peuple.  Et  à cause de ce ministère sacré, ils recevaient une ordination éminemment sacrée.  Nous voyons, dans les actes, que c’est par l’imposition des mains que les diacres ont été ordonnés.  Il n’est pas croyable que les apôtres auraient utilisé cette cérémonie sacrée s’ils les avaient destinés au seul service  des tables.  Car, les veuves servaient aussi aux tables, sans avoir été ordonnées par un rite sacré.
De plus, Clément (livre 2, chapitre 14 des constitutions) nous apprend que les diacres avaient l’habitude d’assister les prêtres dans l’oblation du sacrifice.  Ce que saint Cyprien enseigne aussi (dans son sermon 6 sur ceux qui ont apostasié pendant les persécutions).  Nous apprenons la même  chose de l’histoire  du diacre saint Laurent racontée par saint Ambroise (livre 1, chapitre 41 de officiis).  Il nous présente un saint Laurent qui parle ainsi à saint Sixte : « Où vas-tu sans ton fils, père ? Où te diriges-tu, prêtre saint, sans ton diacre, toi qui, jamais, sans ton ministre, avais coutume d’offrir le sacrifice ? »  Et plus bas : « Celui à qui tu as confié d’être ton associé pour la consommation des sacrements, tu lui refuses d’être associé à ton sang?  »  La même chose nous est démontrée par la liturgie de saint Jean Chrysostome, et par son homélie 83 sur saint Matthieu.  La même chose aussi par saint Grégoire, qui, dans sa lettre à Léandre, qui est placée en premier dans les livres sur Job, nous enseigne « que le diaconat n’est rien d’autre que le ministère du saint autel. »  Enfin, Isidore, Raban, Amalarius, Hugo et les autres cités, qui décrivent les devoirs propres à chaque ordre, enseignent ce que nous venons de dire.
Deuxièmement.  C’était le devoir du diacre de lire l’évangile au momentdu sacrifice.  On le prouve cela en plus des textes déjà cités, par saint Jérôme, (dans son épitre 48 à Sabinien) : « Toi, émacié et pâle, pour écarter tout soupçon,  tu lisais l’évangile du Christ comme un diacre. »  Dans le synode romain (livre 4, épitre chap 88) un canon interdit aux diacres de chanter dans l’église, «  à l’exception de l’évangile au temps du sacrifice »  Les anciens conciles attestent la même chose (vasense, canon 4, remense, canon 5. »
Troisièmement.  Le rôle des diacres était de baptiser, de prêcher, de réconcilier les pénitents publics, de transporter l’eucharistie, et de l’apporter aux laïcs.    En somme, de tout faire ce que les évêques et les prêtres font,  sauf consacrer le corps du Sauveur, et ordonner des clercs,  et d’autres choses qui requièrent un pouvoir d’ordre.  Car, que les diacres peuvent baptiser, nous le voyons par l’exemple de saint Philippe, actes 8.  Voilà ce qui fait dire à Tertullien dans son livre sur le baptême : « Le droit de donner le baptême c’est le prêtre suprême qui l’a, et aussi, même les prêtres et les diacres. »  Que les diacres peuvent prêcher nous le montre l’exemple du diacre Saint Étienne, et du diacre Philippe (actes 7 et 8).  De même l’exemple du martyr saint Vincent qui prêchait, tout diacre qu’il était, comme saint Augustin l’atteste au sermon 2 de saint Vincent.    Ensuite, saint Grégoire (livre 4, épitre, chapitre 88) enseigne qu’appartient aussi au diacre le devoir de la prédication, et que lui-même a prêché quand il était encore diacre, selon ce qu’atteste le diacre Jean dans sa vie (livre 1, chapitre 41).  Depuis, dans son épitre 17, livre 3, saint Cyprien enseigne que, en l’absence des évêques et des prêtres, les diacres avaient parfois coutume de réconcilier les pécheurs. Le concile de Nicée, au canon 14, enseigne que, en l’absence de prêtres, les diacres peuvent apporter la communion aux laïcs.  Saint Justin, dans sa deuxième apologie, atteste que les diacres avaient coutume d’aller porter l’eucharistie aux absents.
Il faut cependant observer que toutes ces choses, et surtout le devoir de prêcher, appartient en propre aux évêques.  Il n’était même pas permis aux prêtres de prêcher,  sans le mandat et le consentement de l’évêque.  Car ce sont les évêques qui succèdent en ligne directe aux  apôtres. Et c’est des apôtres qu’il est dit en Actes 6 : « IL ne nous est pas bon d’abandonner le ministère de la parole de Dieu pour servir aux tables ».  Possidius écrit dans la vie de saint Augustin (chapitre 5) que l’évêque Valère avait concédé le pouvoir de prêcher à son prêtre saint Augustin, parce que, étant grec, il était moins apte à prêcher en latin.  Nous lisons aussi, dans le concile de Valence 2, au chapitre 2, que le pouvoir de prêcher à été donné aux prêtres par ce concile d’évêques.  Le même concile prescrit que, en l’absence de tout prêtre capable de prêcher la bonne parole, les diacres, en guise de sermons, récitent les homélies des saints pères.   Le septième ordre est celui du sacerdoce. Cet ordre est un sujet de grandes divisions entre nous et les adversaires.   Ce que nous verrons dans le chapitre suivant.
                                                          CHAPITRE 14
                                     La distinction entre évêques et prêtres
Voici donc en quoi consiste la question : le presbyte est-il absolument semblable à l’évêque, et surtout, de droit divin ?  Il y eut autrefois une hérésie, celle d’Aerius, (selon Épiphane, hérésie 75, et saint Augustin, livre sur les hérésies, chapitre 53) qui soutenait qu’il n’y avait aucune différence entre un prêtre et un évêque.  Il aurait conçu cette hérésie pour se consoler de n’avoir pas été nommé évêque, comme le laisse entendre clairement Épiphane.  C’est la même hérésie qu’on soutenue autrefois Jean Wiclif (livre 2 de la doctrine de la foi, art 3, chapitre 60) et de nos jours les luthériens et les calvinistes.  Voici comment s’exprime Jean Calvin sur cette question : « On appelait presbytres tous ceux à qui il avait été enjoint  de prêcher la parole de Dieu. Ces mêmes presbytes, dans chaque cité, élisaient l’un d’entre eux à qui ils donnaient le titre particulier d’évêque, pour que, comme il arrive souvent, de l’égalité ne naissent pas de dissensions.  L’évêque, cependant, n’était supérieur aux presbytes ni en honneur ni en dignité,  comme maître de ses collègues.  Pensons au rôle que joue  un consul dans un sénat, lequel est celui de s’occuper des affaires, en conseillant, avertissant, exhortant, de  gérer par sa propre autorité, et d’exécuter ce qui a été décidé d’un commun accord.  C’est ce genre de fonction que remplissait un évêque dans l’assemblée des presbytes.  Les anciens eux-mêmes témoignent que c’est par une décision humaine, à cause de la nécessité des temps, que cet ordre a été institué. »  Martin Kemnitius dit des choses semblables dans son examen de la session 23 du concile de Trente, ainsi qu’Érasme (Timothée chapitre 1, 4).
L’Église catholique, elle,  reconnait une distinction entre ces deux ordres,  et enseigne que c’est de droit divin que l’épiscopat est plus grand que le presbytérat, tant par le pourvoir d’ordre que de juridiction.  C’est ainsi que parle le  concile de Trente (session 23, chapitre 4) : « Le synode sacrosaint déclare que, en plus des autres grades ecclésiastiques, les évêques, qui succèdent aux apôtres dans leurs charges, appartiennent principalement à cet ordre hiérarchique, et, comme le dit l’apôtre, ont été placés par l’Esprit Saint pour régir l’Église de Dieu, et  sont supérieurs aux presbytes. »  Et le canon 6 : « Si quelqu’un dit que, dans l’église catholique, il n’y a pas de hiérarchie instituée par une disposition divine, qui est formée d’évêques, de prêtres et de ministres, qu’il soit anathème. »  C’est la même sentence que défendent les théologiens docteurs dans leurs commentaires du maitre des sentences (livre 4 sentences, dist 24)  et saint Thomas (2, 2, question 184, article 6 ».  La dispute qui porte sur les sacrements, à savoir si l’épiscopat et le presbytérat forment un seul sacrement ou un seul ordre ou deux, nous la laissons de côté pour l’instant.  Nous tenterons de démontrer trois choses.   La première.  L’évêque est, de droit divin, plus grand que le presbyte par rapport au pouvoir de l’ordre.  La seconde.  Il est plus grand aussi par rapport à la juridiction. La troisième.  Dans l’église ancienne, les évêques n’étaient pas, dans l’assemblée des presbytes, semblables à des consuls dans un sénat, mais semblables à des rois et des princes dans une assemblée de conseillers.
Il est facile de prouver que, quant au pouvoir de l’ordre,  l’évêque est plus grand que le presbyte,  et cela, de droit divin.  Car, seul un évêque peut ordonner des presbytes, et générer ainsi des pères de l’Église, comme Épiphane le rappelait à Aérius.  Les presbytes, eux, ne peuvent pas ordonner, mais seulement baptiser, et générer ainsi des fils à l’Église.  C’est ce qu’enseigne saint Damase  dans son épitre 3,  ainsi que le concile d’Antioche (chapitre 10) et d’Ancyre (canon 12), Épiphane (hérésie 75), saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylacte et Oecumenius (dans 3 et 4, chapitre 1 de Timothée). Saint Jérôme, (épitre 85 à Évagrius) : « À l’exception de l’ordination, que fait l’évêque que ne fait pas le presbyte ? »  De même, saint Léon (épitre 88), ainsi que la coutume de l’église.  Car on n’a jamais entendu dire que des presbytes aient ordonné des presbytes ou des diacres, ou même des évêques.
Que ce soit de droit divin que seuls les évêques ordonnent, on le déduit facilement de ce qu’une ordination faite par un non évêque serait tenue pour invalide.  C’est dans ce sens que Grégoire 111 écrit à Boniface : « Les prêtres que tu as repérés, si on ne connait pas ceux qui les ont ordonnés, ou si on doute qu’ils aient été ordonnés par des évêques, qu’ils aient de bonnes mœurs, ou s’ils soient de vrais catholiques, ou prêtres dans le ministère du Christ, qu’ils soient instruits dans la loi de Dieu, qu’ils reçoivent la bénédiction du presbytérat par leur évêque, et que, ainsi ils exercent le saint ministère. » Et avant lui, le pape Damase, parlant, dans l’épitre 3, des chorépiscopes, qui, bien qu’ils n’aient été que des presbytes, osaient ordonner à la manière des évêques,  dit : « Vain et nul tout ce qu’ils ont fait dans leur soi disant ministère de pontife suprême. » Or, il est certain que si c’était de droit divin que les presbytes tenaient de leur caractère sacerdotal le pouvoir d’ordonner, ce qu’ils feraient ne serait pas nul et invalide, même si l’Église le leur interdisait.  De plus, comme l’ordination est un sacrement (ce que même Calvin admet), et que tous les sacrements ont été institués par Dieu, il est certain que celui qui est plus grand dans le pouvoir  qui est reçu par le sacrement de l’ordination est nécessairement plus grand par l’institution divine.
On peut tirer un argument semblable de la confirmation des baptisés, et de la consécration des temples et des autels.  Car il appert que seuls les évêques, en tant que ministres ordinaires, peuvent conférer le sacrement de confirmation, et consacrer les temples et les autels.  Ce qui n’est pas permis aux presbytes.   C’est ce qu’enseigne saint Léon dans son épitre aux évêques d’Allemagne et des Gaules, et avant lui, Damase (épitre 3 des chorépiscopes), et, avant l’un et l’autre,  Denys l’Aréopagite (chapitres 4 et 5 de la hiérarchie ecclésiastique).  Il dit, là, que seul l’évêque peut, par une divine ordination, consacrer avec le chrême.  Ne voyons-nous pas, dans les actes, des apôtres, à qui succèdent les évêques,  être envoyés pour donner le Saint Esprit, par l’imposition des mains, à  des gens qui avaient déjà été baptisés ?
 Que les évêques soient supérieurs aussi aux presbytes, de droit divin, quant au pouvoir de juridiction, nous le prouvons d’abord par une figure de l’ancien testament, tout en notant que cet argument vaut aussi pour le pouvoir d’ordre.  Dans l’ancien testament, il y avait un seul prêtre suprême, Aaron, et ceux qui descendaient de lui.  Il y avait, ensuite, des prêtres inférieurs, tous fils d’Aaron, et ceux qui descendaient d’eux.  Il y en avait aussi d’autres, des lévites, qui tiraient leur origine de Lévi, mais qui ne descendait pas d’Aaron.  Il appert que, de droit divin, ces trois ordres ont été distincts, celui des pontifes, celui des prêtres, et celui des lévites. Le pontife était plus grand que les prêtres, et les prêtres plus grands que les lévites.  Leurs consécrations étaient différentes, ainsi que  leurs fonctions et leurs vêtements (Exodre 28 et 49, Lévit 8, Nombres 3 et 4, et 20).
 Que la juridiction appartienne aux pontifes et non aux  prêtres mineurs, le Deutéronome nous l’enseigne assez clairement, au chapitre 17 : « Celui qui, par orgueil, ne voudra pas obéir à un ordre du prêtre sera condamné à mort par une sentence du juge. »  C’est ce que reconnaissent les centuriates (centurie 1, livre 1, chapitre 7, colonne 257) : «Dans l’église du peuple Juif, il n’y avait, de par la loi divine,  qu’un seul grand prêtre que tous devaient accepter et auquel tous devaient obéir. »  De même Calvin (livre 4, chapitre 6, verset 2 de ses institutions) : « Dieu établit là une seule autorité, que tous accepteraient, pour mieux les maintenir tous dans l’unité. »  Or les évêques sont dans l’Église ce qu’étaient les pontifes dans l’ancien testament; et les prêtres, ce qu’étaient les prêtres mineurs;  et les diacres, ce qu’étaient les lévites.  C’est ce qu’enseignent saint Damase au sujet des chorépiscopes, saint Jérôme, (dans sa lettre à Évagre, 85), et saint Léon dans la lettre 88 des évêques d’Allemagne et des Gaules, le concile espagnol 2, chapitre 7, et plusieurs autres graves auteurs.  Et, pour sûr, aucune raison ne nous permet d’affirmer que, dans l’ancien testament, la hiérarchie ait été plus diversifiée que celle du nouveau, d’autant plus que, pour saint Paul (Hébreux 10) l’ancienne a été une ombre et une image de la nouvelle.  Il s’ensuit donc que, comme, dans l’ancien testament, les pontifes l’emportaient en autorité sur les prêtres mineurs, dans le nouveau testament, aussi, les évêques l’emportent en autorité sur les prêtres.
 On le prouve, en seconde lieu, par la distinction entre les apôtres et les 70 disciples.  Car les pères enseignent unanimement que les évêques ont succédé aux apôtres, et les prêtres aux soixante-dix disciples. Voir le concile de Néocésarée (canon 13, Damase, épitre 3 sur les chorépiscopes, Anaclet épitre 2, saint Jérôme, épitre à Marcella sur les erreurs de Montan,  saint Augustin, traité sur le psaume 44, saint Léon, épitre 88, saint Isidore (livre 2 des divins devoirs),  Béde (chapitre 10 de saint Luc), et les autres.   Que les apôtres aient été, de droit divin, plus grands que les soixante-dix, il est facile de le constater. D’abord, par une institution séparée et différente. Car, le Seigneur n’a voulu avoir que douze apôtres (Luc, chapitre 6).  Il les gardait toujours avec lui, et leur enseignait privément.  Il a aussi institué soixante-douze disciples, (Luc 10). Mais (Jean 20), c’est aux seuls apôtres qu’il a dit : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »  Ensuite (actes 1) quand le nombre douze a été diminué, Mathias a été choisi pour le combler, non sans cérémonie solennelle, bien qu’il ait été parmi les disciples.
 Troisièmement, on le prouve par les paroles du Seigneur en Matthieu 24 : « Le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur établira sur sa famille. »  Ces paroles saint Hilaire et d’autres pères ont voulu qu’elles s’appliquent aux évêques.  Ce qui nous fait comprendre que, par l’institution de Notre Seigneur, la charge propre des évêques est le gouvernement de l’Église.  C’est à cela aussi que se rapporte ce passage des actes 20 : « Veillez sur vous et sur tout le troupeau, pour qui le Saint Esprit vous a placés comme évêques, afin de régir l’église du Christ. » Quatrièmement, on le prouve par l’antiquité.  Car si c’était de droit humain que les évêques l’emportaient sur les prêtres, on trouverait certainement, après l’époque apostolique, un commencement de cette nouvelle institution. Or, au temps des apôtres, c’était déjà l’usage dans l’église que les prêtres soient soumis aux évêques. Car, (1 Timothée 5), l’apôtre écrit ainsi : « Ne reçois aucune accusation des presbytes sans deux ou trois témoins. » Nous voyons clairement là que, au temps des apôtres, l’évêque était le juge des prêtres, donc un vrai prince et supérieur.
 De même, saint Ignace, disciple des apôtres, écrit dans son épitre aux Philadelphiens : « Bons sont les prêtres et les ministres de la parole, mais meilleur est le pontife à qui sont confiées les saints des saints, à qui seul sont communiqués les secrets de Dieu. »  Saint Clément, l’égal de saint Ignace, dit au canon 40 des canons des apôtres : « Que sans l’évêque, les prêtres et les diacres n’entreprennent rien, car, c’est à lui que le peuple de Dieu a été confié, et qui devra rendre compte à Dieu de leurs âmes. »   De plus, Denys l’Aréopagite, disciple de Paul, décrivant (dans le chapitre 5 de la hiérarchie ecclésiastique), la hiérarchie divinement instituée, place d’abord les pontifes, ensuite les prêtres, et enfin les ministres. Saint Irénée, qui a été proche des temps apostoliques, écrit (livre 3, chapitre 3) : « Nous devons énumérer ceux qui ont été institués évêques par les apôtres, et leurs successeurs. Car, si les apôtres avaient connu des mystères secrets qu’ils enseignaient à part aux parfaits en les cachant aux autres, ils les auraient communiqués d’abord et avant tout à ceux à qui ils confiaient les églises. » Il dit là que les églises ont été confiées aux évêques, en tant que successeurs des apôtres.  Tertullien, le plus ancien des latins, dit, dans son livre sur le baptême : « Ont le droit de donner le baptême le prêtre suprême, c’est-à-dire l’évêque,  ensuite les prêtres et les diacres, mais non sans la permission de l’évêque. »
 Quant au troisième point, que l’autorité des évêques n’est pas dans l’assemblée des presbytes comme les consuls dans le sénat, mais comme un prince dans son conseil sur ses conseillers, on le déduit des témoignages cités de saint Paul (épitre à Timothée,) des épitres  de Clément, d’Irénée, de Tertullien, et ensuite des conciles.  Car tous les conciles, autant les généraux que les provinciaux, même les plus anciens, ont été composés des seuls évêques. Il est évident que c’est dans les conciles que s’exerce surtout la juridiction, quand des lois y sont proclamées et des peines imposées aux prévaricateurs.  On le déduit aussi de ce que, dans plusieurs endroits, nous lisons que des prêtres sont excommuniés par des évêques, mais jamais que des évêques ont été excommuniés par des prêtres.  Voir le concile 2 de Carthage (canons 8 et 9). Et ensuite de ce que seuls les évêques ont un trône dans l’église, lequel est un indice de pouvoir, d’où l’on dit qu’ils gouvernent à la manière des princes.   Voir saint Jean Chrysostome (livre sur le sacerdoce), saint Ambroise (livre sur la dignité sacerdotale), et saint Grégoire de Naziance (dans son discours à un prince en colère, et à un peuple frappé de peur. »  Réfutons donc maintenant les objections.
                                                            CHAPITRE 15
                                                               On réfute les objections.
 On nous objecte d’abord le témoignage de saint Paul selon lequel les évêques et les presbytes seraient semblables (Philipp 1) : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippe, avec les épiscopes et les diacres. »  Il est certain que, dans ce passage, les presbytres sont appelés épiscopes car,  dans une ville,  il ne pouvait pas y avoir beaucoup d’évêques, si le nom d’évêque signifiait un prêtre suprême.  Pourquoi donc saint Paul ne dit-il pas avec l’évêque, les prêtres et les diacres, si, à cette époque, les prêtres se distinguaient des évêques ? »  Je réponds que le commentaire de saint Ambroise ne réfère pas le « aux évêques et aux diacres » à ceux à qui il  écrit, mais à ceux qui écrivent, le mot évêques se rapportant à Paul et Timothée. Le sens serait donc le suivant : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippe, avec les évêques (Paul et Timothée), et leurs diacres, grâce à vous et paix.  Mais cette explication semble un peu forcée, ou tirée par les cheveux. Épiphane (dans son livre sur les hérésies, hérésie soixante-quinze,) dit que la raison pour laquelle saint Paul a ainsi parlé est que, à son époque, en raison d’une pénurie de ministres, plusieurs endroits étaient sans presbytes.  Il ne s’y trouvait que des évêques avec leurs diacres.  Car, les évêques peuvent, eux aussi, remplir le rôle des simples prêtres.   Cette explication d’Épiphane pourrait avoir quelque chance d’être vraie,  si saint Paul avait dit « avec l’évêque et les diacres. », ou s’il n’avait pas écrit à une seule ville, mais à plusieurs.  Or, comme il écrit à une église en particulier, celle de Philippes, et qu’il dit écrire à des évêques et à des diacres, comment, je le demande, cette explication peut-elle tenir debout ?  Car, si plusieurs évêques pouvaient être dans une ville,  un seul évêque avec quelques prêtres le pouvaient davantage.
 Theodoret, dans son commentaire de ce passage, et plus au long, dans le chapitre 3 de la première épitre de saint Paul à Timothée, écrit qu’au temps des apôtres, on n’appelait pas épiscopes les vrais épiscopes, mais apôtres; que c’était les presbytes qu’on avait coutume d’appeler épiscopes.  Car, aux Romains 16, saint Paul donne le nom d’apôtre à Andronicus, et à Philippes 1, il appelle Épaphrodite apôtre des Philippiens.  Or ces deux « apôtres » étaient des évêques.  Un peu plus tard, on laisse tomber le mot apôtre, et on commença à ne donner le nom d’épiscopes qu’aux seuls épiscopes, et de presbytes qu’aux seuls presbytes. Cette explication de Théodoret, si elle est vraie,  satisferait aux questions que posent ce texte et tous les autres semblables. Car nous pourrions toujours dire que par le nom d’épiscopes saint Paul désigne des presbytes.
 Le commentaire de saint Jean Chrysostome, et de beaucoup d’autres, semble être moins hérissé de difficultés.  Ils enseignent, eux, qu’au temps des apôtres, les noms d’évêques et de presbytes étaient communs à tous les prêtres, autant aux plus grands, que nous nommons aujourd’hui évêques, qu’aux mois grands, que nous appelons aujourd’hui prêtres, même si les fonctions et les pouvoirs étaient distincts.  Par le nom d’épiscope, il embrasserait donc tous les prêtres, et le sens de la phrase serait donc celui-ci : « Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ, à tous les saints qui sont à Philippes, avec les évêques et les diacres, c’est-à-dire avec les prêtres et leurs ministres.  Ajoutons que saint Paul semble vouloir saluer tout le clergé.  Et, pour ne pas être forcé de les énumérer tous l’un après l’autre, il emploie un terme général qui les inclut tous. Tous les ordres, en effet, se ramènent aux prêtres et aux ministres. Le premier se divise en deux espèces analogues, les évêques et les simples prêtres; et le second en six autres : diacres, sous-diacres, acolythes, lecteurs, exorcistes, et portiers. Même si aujourd’hui, le mot évêque n’est donné qu’au premier analogué,  le prêtre suprême, et le nom de diacre au seul ministre principal, le nom d’évêque convient encore, d’une certaine façon, aux prêtres eux-mêmes. Car eux aussi agissent comme des surintendants.  Ils régissent le peuple, au moins au for interne, et sur délégation de l’évêque.  Et le nom de diacre convient même aux ordres inférieurs, puisqu’ils sont tous des ministres du prêtre.
 L’autre objection est tirée du chapitre 1 de la lettre de saint Paul à Titus : « La raison pour laquelle je t’ai laissé en Crète, c’est pour que tu établisses des presbytes dans les cités, comme je te l’ai fait à toi-même. »  Et, un peu plus bas : « Il faut que l’épiscope soit irrépréhensible etc. » Dans ce passage, nous voyons que les presbytes sont des épiscopes.  Mais, à cette objection, nous pouvons donner la même réponse qu’à l’objection précédente : à cette époque, ces noms étaient communs aux deux espèces.
 La troisième objection est tirée de la première épitre à Timothée (chapitre 3). Après avoir donné des préceptes à des épiscopes, saint Paul passe immédiatement aux diacres, sans dire un mot des presbytes. Il semble donc avoir considéré que les presbytes et les évêques étaient en tout semblables.  Je réponds que c’est l’ensemble des clercs que saint Paul voulait instruire, et c’est pour cela, que dans le nom d’évêque il faisait entrer le nom de presbyte, et, dans le nom de diacre, tous les ordres inférieurs.  Les mêmes préceptes ne convenaient-ils pas à tous ?  Quatrième objection.   Saint Paul, dans le quatrième chapitre de la première lettre à Timothée, écrit : « Ne néglige pas la grâce de Dieu qui est en toi, qui t’a été donnée par l’imposition des mains du presbyte. »   S’appuyant sur ce passage, Kemnitius affirme que saint Jérôme a démontré qu’un évêque peut être ordonné par des presbytes.  Il n’y a donc pas de différence entre un épiscope et un presbyte.
Mais Kemnitius ment effrontément.  Car, saint Jérôme, sans sa lettre à Évagre (que Kemnitius cite) dit explicitement que les presbytes  ne peuvent pas ordonner : « À l’exception de l’ordination, que fait un épiscope que ne fait pas un prêtre ? »  Saint Jérôme cite ce passage pour montrer que, dans les Écritures, les épiscopes étaient parfois appelés presbytes.  Car, voici comment il explique la phrase  « par l’imposition des mains d’un presbyte » : « par l’imposition des mains que tu as reçue d’un presbyte ».  Or, on sait très bien que Timothée n’était pas un simple prêtre, mais un évêque.  C’est ainsi que l’explique aussi saint Anselme, et d’autres auteurs latins, et même Calvin (livre 4, chapitre 3, à la fin, de ses institutions).  Mais l’explication de saint Grégoire nous semble beaucoup plus vraie, selon laquelle par le mot presbytes  il entend   le chœur ou l’assemblée des presbytes, c’est-à-dire des épiscopes, qui imposent leurs mains au nouvel évêque. C’est ainsi que le comprennent saint Jean Chrysostome, Theodoret, Theophylactus, et Oecumenius.
 La cinquième objection est tirée du chapitre 20 des actes des apôtres de saint Luc. Envoyant à Éphèse, saint Paul appelle à lui les plus grands de l’église, c’est-à-dire les presbytes, et en leur parlant, il les appelle épiscopes : « Prenez garde à vous et à tout le troupeau, dans lequel le Saint Esprit vous a placés comme épiscopes pour régir l’Église de Dieu. »  De même, au chapitre 5 de sa première épitre, saint Pierre parlant des presbytes dit : « Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, un ancien comme vous, et un témoin des passions du Christ etc. Paissez le troupeau qui est le vôtre, pourvoyant non de force etc. »  En grec, le mot « anciens » se dit presbuterous, presbytes.  Et « pourvoyez », épiskopountes.  On cite aussi les lettres 2 et 3 de saint Jean, dans lesquelles l’apôtre s’appelle presbyte, alors qu’il était, bien entendu, évêque.  Mais, à toutes ces objections, nous répondons de la même façon.  Ces noms étaient alors communs à l’un et à l’autre. Et c’est pour cela que, dans ces passages, de vrais  épiscopes étaient appelés presbytes.  À ces objections, ils ajoutent des témoignages de certains pères.
 La sixième objection est tirée d’un texte de saint Jérôme.   Dans son commentaire du premier chapitre de l’épitre à Titus, il écrit : « C’est un seul et même qui est évêque et presbyte.  Et avant que, par l’instigation du diable, des coteries apparurent dans l’église, et que l’on dise : je suis pour Paul, je suis pour Pierre, ou pour Apollo, les églises étaient gouvernées par un conseil de presbytes.  Après que chacun crut que ceux qu’il avait baptisés lui appartenait plutôt qu’au Christ, il fut décrété dans tout l’univers qu’un des presbytes serait élu  pour gouverner les autres, à qui reviendrait tout le soin de l’administration de l’Église,   et pour arracher les semences des schismes. »  Et plus bas : « Les presbytes ont appris de la coutume de l’Église à se soumettre à celui qui leur est préposé.  Les évêques ont appris, eux aussi, plus par la coutume que par la vérité de la dispensation dominicale, à être plus grands que les prêtres,  et à devoir régir l’Église en commun. »  Saint Jérôme dit la même chose dans son épitre 85 à Évagrius.
 Ces paroles de saint Jérôme, certains ont tenté de leur donner une interprétation pieuse, comme saint Thomas (2.2. quest 184.  Art  6).  Il dit que saint Jérôme ne parle que des mots et de non de la chose elle-même.  Mais les expressions employées : « les églises étaient gouvernées par un conseil de presbytes », et c’est » plus par la coutume que par la vérité de la dispensation dominicale qu’ils ont été plus grands que les prêtres », ces expressions ne se rapportent pas simplement à des mots.  Jean Antoine Delphin (livre 2, Église), déduit de la phrase de saint Jérôme qu’au début de l’église, tous les prêtres ont été des évêques.   Non pas parce que l’épiscopat et le presbytérat soient la même chose,  mais parce que l’une et l’autre dignité étaient alors données à tous les prêtres.   Ensuite, pour éviter des schismes, on a commencé à en élire parmi ceux qui n’étaient que des presbytes, et c’est à partir de là que s’est établie la coutume que les évêques étaient plus grands que les prêtres.
 Mais cette explication ne satisfait pas pleinement. Saint Jérôme s’efforçait de défendre la dignité des prêtres contre l’insolence des diacres, comme la lettre à Évagre nous le révèle.  Il cherche donc à démontrer que la dignité des prêtres est beaucoup plus grande, qu’elle est même la même que celle des évêques.  On n’aurait rien à reprocher  à cette explication s’il se contentait d’enseigner que les premiers presbytes furent semblables aux épiscopes parce qu’ils avaient eux aussi le pouvoir épiscopal, et qu’ils n’étaient pas de simples presbytes.  De plus, si les premiers presbytes furent semblables aux épiscopes parce qu’ils étaient eux aussi de vrais épiscopes, la distinction entre les deux qui est née plus tard, comme le raconte la lettre de saint Jérôme, s’est produite de la façon suivante : quelques-uns ne reçurent plus  que le simple presbytérat.  Mais, saint Jérôme dit le contraire.  Il enseigne que l’épiscopat est une nouveauté, et que c’est la coutume de l’église qui lui a donné  de ne plus être un simple presbytérat.  Car, c’est ainsi qu’il parle : «  C’est par un conseil de presbytes que les églises étaient gouvernées.  C’est après que chacun… »
 Michaël Medina (livre 1 sur l’origine des hommes sacrés, et sur la continence, chapitre 5) affirme que saint Jérôme pensait tout à fait comme les Aeriens.  Que saint Jérôme n’est pas le seul à être dans l’hérésie, mais aussi saint Augustin, saint Ambroise, Sedulius, saint Jean Chrysostome, Theodoret, Oecumenius et Theophylactus.  « Voilà donc ce qu’enseignèrent ces grands saints et ces illustres interprètes des Écritures, la même sentence qu’a enseignée aussi Aerius, puis les Vaudois, et en dernier Jean Wiclif, et qui a été condamnée par l’Église. »  Et plus bas : « Donc, dans saint Jérôme, et dans les pères grecs, cette sentence était tolérée, honorée ou dissimulée à cause du respect et de l’honneur qu’on leur portait. Mais, dans les hérétiques et dans tous ceux qui sont sortis de l’Église, elle a toujours été condamnée comme hérétique. »  Cette accusation de Michaël Medina est faite sans trop de réflexion. Car, elle fait une injure à tant de célèbres pères, en en faisant des Aeriens. Elle fait ensuite une injure à l’Église, celle de faire acception de personnes dans ses jugements.  Car, comme tous ces auteurs cités ont vécu après Aerius, comment l’Église aurait-elle pu condamner en Aerius une erreur qu’elle tolérait dans les Pères ?  N’est-ce pas  à Aerius qu’il aurait fallu pardonner, lui qui semblait avoir péché avant la définition de l’Église, plutôt qu’à des Pères qui auraient suivi une hérésie déjà condamnée ?  De quel front opposerons-nous les pères aux hérétiques, les grecs et les latins,  si nous reconnaissons qu’ils ont suivi leur sentence, une fois condamnée par l’Église ?
 Or, dit Medina, « c’est du témoignage de saint Jérôme que se servaient les hérétiques vaudois, car eux et saint Jérôme ont pensé de la même manière. »  Argument spécieux !  En raisonnant de cette façon, on pourrait conclure que Luther et saint Paul avaient les mêmes idées, puisque Luther se sert souvent de textes de saint Paul pour étayer sa pensée.  Les Vaudois mentent donc quand ils disent suivre saint Jérôme.   Mais Medina insiste.   Aerius n’ignorait pas que, selon les lois de l’Église, l’évêque était plus grand que le prêtre.  Ce qu’il affirmait c’est que, par le droit divin, ils étaient égaux. Voilà pourquoi il dit clairement, avec saint Jérôme, que ce n’est pas par la vérité de la disposition dominicale, mais par la seule tradition ecclésiastique que les .évêques sont plus grands que les prêtres. Il ne semble y avoir, entre la pensée  d’Aerius et celle de Jérôme, aucune différence.
 Je réponds qu’Aerius est autant éloigné de saint Jérôme qu’un hérétique l’est d’un catholique, et le ciel de l’enfer.  Car, tout d’abord, saint Jérôme reconnait partout qu’un évêque est plus grand qu’un presbyte, quant au pouvoir d’ordre, et cela, sans doute possible, de droit divin.   Comme on le voit dans sa lettre à Évagrius : « À l’exception de l’ordination, que fait un évêque que ne fait pas un presbyte ? » Or, Aerius n’acceptait aucune différence, comme on peut le voir par Épiphane (hérésie 75).   De plus, quant au pouvoir de juridiction, Aerius, comme les luthériens et les calvinistes, ne niait pas seulement que c’est de droit divin que l’évêque était plus grand qu’un presbyte, mais il soutenait que l’Église avait mal agi quand elle a placé les évêques avant les presbytes.  Or, saint Jérôme,  même s’il ne semble pas reconnaitre que la différence entre évêque et presbyte soit de droit divin, admet cependant qu’elle est légitime et même nécessaire, et qu’elle a été introduite par les apôtres pour éviter les schismes.   Car, saint Jérôme ne veut pas que soit après un certain temps, et d’une corruption, que soit née la supériorité des évêques; mais quand on a commencé à dire je suis pour Pierre, pour Paul, pour Appolon.  Ces paroles sont celles-là mêmes de l’apôtre Paul (1 Cotinth 1).  Au tout début donc de l’église, quand les apôtres vivaient encore, quand par toute la terre les églises étaient encore régies par les apôtres, c’est à ce moment-là que saint Jérôme veut que la juridiction ecclésiastique ait été déplacée vers les évêques.   Aerius et saint Jérôme n’ont donc rien en commun.  Il n’est pas non plus croyable que saint Jérôme ait adopté l’opinion d’Aerius qu’il sait, par Épiphane, avoir été condamnée.
 Il faut observer que saint Jérôme n’a pas soutenu cette opinion avec constance, et il semble probable qu’il n’ait pas eu là-dessus de certitude.   Car, il enseigne, il est vrai,  dans l’explication du premier chapitre de la lettre à Tite, que la coutume qui a voulu que les évêques soient placés avant les presbytes a commencé au temps où il a été dit : je suis à Pierre, je suis  Paul, je suis à Apollon.  Cependant, il s’efforce de démontrer que les presbytes sont semblables aux évêques, par l’épitre à Titus, l’épitre aux Philippiens, et celles de Pierre et de Jean qui ont été écrites après la première épitre aux Corinthiens, où se trouvent ces paroles : moi je suis pour Paul, moi pour Pierre, et moi pour Appolo.  Ensuite, dans le livre sur les écrivains ecclésiastiques, au mot Jacob, il dit que c’est après l’ascension du Christ qu’a été ordonné l’évêque de Jérusalem.  Il n’y eut donc jamais de temps où l’église de Jérusalem fut gouvernée par des presbytes sans évêque.
 De plus, le même saint Jérôme, dans sa lettre à Évagrius, compare l’évêque à Aaron, et les prêtres aux fils d’Aaron.  Et, dans son épitre à Marcelle sur les erreurs de Montan, il dit que les évêques ont succédé aux apôtres. Et il est certain que,  par le droit divin, Aaron était, quant à l’ordre et à la juridiction,  plus grand que ses fils; et que les apôtres étaient plus grands que tous les autres disciples.  De plus, dans le livre 1 contre Jovinien, le même Jérôme affirme que, parmi les douze, un a été élu par le Christ, c’est-à-dire Pierre « pour que par l’établissement d’un chef soit enlevée toute occasion à un schisme. »  Or, si le Christ a voulu que, parmi ses apôtres, un ait plus de dignité et d’autorité, pourquoi ne pas croire qu’il  ait voulu aussi que, parmi ses prêtres, un soit plus puissant ?  Que cela suffise pour saint Jérôme. Quant à Sedelius et Anselme, ils n’ont fait que rapporter l’opinion de saint Jérôme.
 La septième objection est tirée d’un texte de saint Ambroise (commentaire du chapitre 4 de l’épitre aux Éphésiens) : « Il appelle presbyte Timothée qu’il avait lui-même créé évêque, parce que les premiers presbytes étaient appelés épiscopes, pour qu’après le départ de l’un, un autre lui succède.  De plus, en Égypte, en l’absence de l’évêque, ce sont  les presbytes qui signent.  Mais parce que les presbytes postérieurs s’avérèrent indignes d’exercer la primauté, om changea la procédure, par la décision d’un concile, et l’on décréta que désormais ce ne serait plus l’ordre qui créerait l’évêque mais le  mérite. »  Ce passage ne présente aucune difficulté.  Car (pour ne pas dire que ces commentaires ne semblent pas venir de la plume d’Ambroise), l’auteur de ces commentaires ne parle que de la règle de la succession des épiscopes, et enseigne que, dans l’église naissante, c’est le plus ancien des prêtres qui avait coutume d’ordonner un épiscope, et que, après sa mort, lui succédait, sans élection, le plus ancien presbyte.   Mais cet auteur ne nie pas que quand ce premier presbyte succédait à l’épiscope, il devait être consacré de nouveau, et recevoir un nouveau pouvoir et une nouvelle juridiction.
 Et ce même auteur enseigne plusieurs fois en toute clarté  qu’il y a une grande différence entre un évêque et un prêtre.   Car, dans le même commentaire (chapitre 4 aux Éphésiens), il écrit : « Tous les ordres sont dans l’épiscope, parce qu’il est le premier prêtre, c’est-à-dire le prince des prêtres. »  Et ( au chapitre 3 de la première lettre à Timothée) : « Pour les prêtres et les épiscopes, il n’y a qu’une seule ordination, car l’un et l’autre est prêtre, mais l’évêque est le premier. Tout évêque est un presbyte, mais tout presbyte n’est pas un évêque. Est évêque celui qui est le premier parmi les presbytes ». Ensuite, il indique que Timothée a été ordonné presbyte, mais que, comme il n’y avait personne d’autre avant lui, il était épiscope. « Car  il ne fallait pas, et il n’était pas permis qu’un inférieur ordonne un supérieur, car on ne distribue que ce qu’on a reçu. » Voilà donc ce qu’il dit vraiment.  Tu vois là qu’un évêque est plus grand qu’un presbyte, et que la raison pour laquelle un presbyte ne peut pas ordonner un épiscope c’est qu’il n’a pas l’ordination épiscopale.
 La huitième objection est tirée d’un commentaire de saint Jean Chrysostome (chapitre 3 de la première épitre à Timothée) : « Entre l’épiscope et le prêtre, il n’y a presqu’aucune différence. Car, aux prêtres aussi est remis le ministère ecclésial, et les choses qu’on attribue aux épiscopes conviennent aussi aux presbytes. C’est par la seule ordination que les épiscopes sont supérieurs aux presbytes, et c’est cela seulement qu’ils semblent avoir en plus. »  Enseignent la même chose Primasius, Theophylactus, et Oecumenius dans leurs commentaires sur ce texte.  Je réponds qu’on peut certainement déduire de ces textes que les évêques sont plus grands que les prêtres, puisque les évêques peuvent ordonner et les presbytes ne le peuvent pas, comme les auteurs cités le proclament d’une seule voix.
Mais tu rétorqueras, peut-être : quant à la juridiction, les épiscopes et les presbytes sont semblables, puisque, en dehors de l’ordination, les évêques n’ont rien que ne possèdent pas aussi les prêtres.  Je réponds.  Quand ces auteurs n’attribuent rien aux épiscopes, en dehors de l’ordination, qui ne soit commun avec les presbytes, ils entendent parler des choses qui ne conviennent en rien aux presbytes. Or, seule l’ordination ne convient absolument pas aux presbytes.  Car, le pouvoir de juridiction, par la délégation de l’évêque, peut aussi convenir aux presbytes.  Ils peuvent même confirmer des baptisés.  Mais l’ordination des prêtres est propre à l’évêque à un point tel qu’elle ne peut jamais être permise à un prêtre.  Ce que voulait dire saint Jean Chrysostome quand il affirmait que, au temps des apôtres, l’épiscope était différent du presbyte, on peut le comprendre en lisant son homélie 1 sur l’épitre aux Philippiens, où expliquant le « avec les épiscopes et les diacres », il dit : «  Que veut-il dit par là ? Y a-t-il plusieurs épiscopes dans une cité ? Non pas. Mais par ce mot, il désigne des presbytes. Car, en ce temps, le mot était commun aux deux. »
 La neuvième objection est tirée du commentaire de Théodoret du chapitre 1 de l’épitre aux Philippiens.  Il répète plusieurs fois que ceux que Paul appelle des épiscopes étaient des presbytes.  Mais on a déjà expliqué cela.  Car Theodoret enseigne qu’autrefois, les presbytres avaient le nom d’épiscopes.  Mais  il ajoute, au même endroit, que, à cette époque, on avait coutume d’appeler apôtres les vrais épiscopes, de sorte que, selon Theodoret lui-même, les épiscopes ont toujours été, dans le nom et dans la réalité,  plus grands que les presbytes.  Voilà pourquoi le même auteur, (au chapitre 3 de la première épitre à Timothée) écrit : «  Mais cependant, même si le divin apôtre a établi ces lois pour les presbytes, il est clair qu’elles  servent d’abord pour les épiscopes, en tant qu’ils ont obtenu une dignité  plus grande. »
 La dixième objection est tirée de l’épitre 19 de saint Augustin à saint Jérôme, dans laquelle il écrit : « Car bien que, selon les termes honorifiques qui sont devenus coutumiers, l’épiscopat soit plus grand que le presbytérat, en beaucoup de chose, toutefois, Augustin est inférieur à Jérôme. »  Je réponds que « la coutume établie de nos jours »  ne s’oppose pas au temps antique de la même Église, mais au temps qui exista avant la naissance de notre église chrétienne.   Le sens de cette phrase n’est donc pas qu’il fut un temps où les presbytes étaient égaux aux épiscopes, mais que c’est une coutume bien établie que l’épiscopat est plus grand que le presbytérat.  Voici donc ce qu’il voulait dire vraiment.  Avant les temps chrétiens, les noms d’épiscope et de presbyte n’étaient pas des mots honorifiques. Ils désignaient une fonction ou un état. Aujourd’hui, ils désignent une dignité et une fonction honorifique. Et c’est selon ces noms qu’Augustin est plus grand que Jérôme, bien que par plusieurs autres noms, il soit inférieur à Jérôme.
 Onzième objection. Les presbytes succèdent aux apôtres tout autant que les épiscopes, comme on le voit dans le livres 2 des constitutions, chapitre 32 de saint Clément, et dans la lettre de saint Ignace à l’église  de Smyrne. Les presbytes ne sont donc pas inférieurs aux épiscopes. Je réponds que les pères ont fait des comparaisons de différentes sortes entre les presbytes et les épiscopes, mais en maintenant toujours la distinction et la proportion.  Ils disent parfois que l’épiscope tient la place de Dieu, le presbyte celle du Christ, et le diacre celle des apôtres.  C’est ainsi que s’expriment Clément (lieu cité, livre 2, chapitre 32) et saint Ignace (épitre aux Tralliens).  Ils donnent parfois à l’évêque la place du Christ, aux presbytes la place des apôtres, et aux diacres celle des disciples, comme saint Clément (lieu cité, livre 2, chapitre 32), et saint Ignace dans sa lettre à l’église de Smyrne.  Ils donnent parfois aux évêques la place des apôtres, aux presbytes celle des 70 disciples, comme les pères ci-haut cités.
 La douzième objection. Le Christ a ordonné des presbytes à la dernière cène, comme tous les catholiques l’enseignent. Or, on ne lit nulle part qu’il ait ordonné des évêques.  L’épiscopat n’a donc pas été introduit de droit divin.  Je réponds que Pierre a été ordonné évêque par Jésus, et saint Jacques et saint Jean par Pierre; et que ces trois ont ordonné les autres, comme nous l’avons démontré plus haut dans le livre 1 sur le souverain pontife.
                                                                    CHAPITRE 16
                                                      Les cardinaux
 Nous allons ajouter quelques mots sur les cardinaux de l’église romaine, pour répondre brièvement à  Jean Calvin sur cet ordre de clercs, aussi.  Nous parlerons ensuite de l’antiquité, et de la variété des tâches des cardinaux. Enfin, nous ferons une comparaison entre les cardinaux et les évêques. Calvin touche à ces trois points dans le livre 4, chapitre 7, verset 30 de ses institutions.  Si quelqu’un veut en apprendre davantage, qu’il lise les théologiens Alvarus Pelagius (livre 2 de la lamentation de l’Église, article 16), saint Augustin (triomphe, dans sa somme sur le pouvoir de l’Église, question 102), Thomas Waldensen (livre 2 de la doctrine de la foi, article, 3, chapitre 54),  Jean de Turrecremata (livre, sommes de l’Église, chapitres 81, 82, 83, 84,  saint Antonin (dans sa somme théologique 3 par tit 21 Jean),  Antonium Delphinum (livre 2 sur l’Église).  Parmi les canonistes, André Parpatius (le traité de la présence des cardinaux à Bessarion.), Martin laudensen (dans le traité des cardinaux), Dominique Jacobatius (livre 1 sur les conciles, article 12), et Jean Hieronymus Albanus, (dans le livre des cardinaux).  Parmi les historiens Onuphrius Panuinus, (dans son livre sur les livres sur les épiscopats, et les titres et les diaconies des cardinaux.)
 Pour commencer par le premier point, Calvin  (au lieu cité), déclare n’avoir jamais lu le nom de cardinaux avant l’époque de Saint Grégoire le grand.  Or, dans le concile romain sous Sylvestre, au canon 6, nous lisons qu’il « y avait dix diacres cardinaux dans l’église romaine »  Ce Sylvestre a précédé saint Grégoire de presque trois cents ans.  Mais ce n’est quand même pas à ce moment que commença l’emploi de ce mot. Car, ce concile n’institua pas des cardinaux, mais il ne fit qu’ordonner qu’en plus des cardinaux diacres de l’église romaine, il y ait deux diacres qui prennent soin des paroisses.
 Le mot cardinal semble signifier  à peu près ce qui est principal, ou celui de qui  les autres dépendent, comme les portes dépendent des gonds (cardines). Car on dit des vertus cardinales, des vents cardinaux,  et des points cardinaux du ciel. Et saint Augustin (dans son livre  1, chapitre 5 sur le baptême), appelle cardinaux les premiers donatistes.  Pourquoi l’on dit que les cardinaux sont les électeurs pontificaux, tous ne l’expliquent pas de la même façon.  Calvin, au lieu cité, enseigne que ce nom, au temps de saint Grégoire, fut un nom qui était propre aux évêques.  C’est donc à tort qu’on l’attribue aujourd’hui aux prêtres et aux diacres : « Ce titre, au temps de saint Grégoire, ne convenait qu’aux seuls évêques. Car les autres cardinaux, ce n’est pas à l’église romaine mais à d’autres églises qu’on les attribue. En somme, un prêtre cardinal n’est rien d’autre qu’un évêque. »  Mais Calvin est tombé dans une erreur déjà dénoncée. Car, saint Grégoire (livre, 5, épitre 5 à Fortunat, évêque de Naples,) parle de cardinaux diacres, et (au livre 11, épitre 34 à Jean évêque de Syracuse), il parle de cardinaux prêtres.  Et le diacre Jean (dans la vie de saint Grégoire, chapitre 7), énumère les évêques que saint Grégoire fit parmi les prêtres cardinaux.  Ce n’est donc pas vrai que, pour saint Grégoire, les mots épiscope et presbytère signifient la même chose.
 Le pape saint Léon le grand, dans son épitre à Michaël, chapitre 32, dit que les clercs de l’église romaine étaient appelés cardinaux; qu’ils accompagnaient toujours de près le pape, qui est comme le gond (cardo) de toute l’église.  Car, comme la porte tourne dans les gonds, est soutenue et régie par eux, de la même manière toute l’église dépend de la providence et de la fermeté du pontife.  Cette explication enseigne très bien pourquoi les cardinaux de l’église romaine sont dits cardinaux  comme par antonomase.  Mais elle n’explique pas pourquoi on les appelle « les » cardinaux,  tout court, ou  par excellence, puisqu’il est bien établi qu’il y a eu des cardinaux ailleurs, comme on le voit dans les lieux déjà cités de saint Grégoire (livre 5, épitre 11, et épitre 34,) et du concile de Melden, canon 54.
 Onuphrius, (dans son livre sur les titres de cardinaux) estime qu’on a appelé cardinaux les prêtres et les diacres qui présidaient aux autres prêtres et aux autres diacres de la même église, en tant que prêtres principaux, ou diacres dans l’église.  Car, il y avait plusieurs presbytes dans la même église, mais on n’appelait cardinal que leur président.  Mais cette explication d’Onuphrius ne semble pas tout  à fait vraie.  Car, plusieurs étaient cardinaux au même titre, comme nous le montre le synode 1 sous Symmaque, où sont apposées les signatures des prêtres cardinaux de l’église romaine, ayant plusieurs le même titre, les prêtres titulaires étant 67, et les titres 28.    On trouve la même chose dans le synode de saint Grégoire (livre 4 registre chapitre 88, là où sont les signatures des cardinaux prêtres, parmi lesquelles trois sont du titre de sainte Balbine, deux de saint Damase, deux de saint Sylvestre, et deux des saints apôtres.  Ce n’était donc pas seulement celui qui présidait aux autres qu’on appelait cardinal.
 De plus, au temps de saint Sylvestre, il n’y avait que sept cardinaux diacres à Rome. Car, à cette époque, était encore récent le canon 14 du concile de Néo Césarée, qui avait défini, que dans toute cité, mêmes les plus grandes, on ne devait avoir que sept diacres.  Or, à Rome, tous ces diacres étaient appelés des cardinaux, comme nous le montre le concile romain de saint Sylvestre.   Un cardinal diacre n’était pas un diacre qui présidait sur les autres diacres de la même église.  Ajoutons enfin que, que selon l’explication d’Onuphrius, on ne peut trouver aucune raison pour laquelle certains évêques seraient appelés cardinaux.   On ne peut pas dire que les évêques cardinaux le sont parce qu’ils présidaient sur d’autres évêques de son diocèse, comme on le dit d’un cardinal prêtre, puisqu’il n’y a pas plusieurs évêques dans un seul diocèse.
 J’estime donc que le mot cardinal a été donné d’abord à un lieu, et que, d’un lieu, il a été transféré à une personne. Car on appelait titres cardinalices des églises principales où le baptême était conféré. Et on leur donnait le nom d’églises ou de titres cardinaux pour les différencier d’autres lieux sacrés moins importants.  De là vient que le prêtre qui prédisait dans cette église, était appelé prêtre cardinal.  Pour une raison semblable, les diaconies cardinalices étaient les principaux lieux d’une ville, répartis selon le nombre des régions, dans lesquels résidaient des diacres, qu’on appelait diacres cardinaux, qui semblaient comme les gonds qui soutenaient l’église. Et c’est après cela, et pour les mêmes raisons, qu’on les a appelés évêques cardinaux.  Et c’est de là aussi qu’est venue l’idée de faire élire le pape par ces évêques cardinaux, ces mêmes cardinaux, qui, à la différence des autres évêques de la chrétienté, formaient le conseil du pape.
 Que le nom ait commencé par désigner un lieu, on l’apprend par le concile de Mendens (canon 54). Voici ce que nous y lisons : « que l’évêque ordonne et place les titres cardinaux dans les villes ou dans les faux bourgs ».  De même,  le diacre Jean, dans sa vie de saint Grégoire (livre 3, chapitre 11) dit : « Les cardinaux qui avaient été ordonnés par la violence dans des paroisses étrangères, le pape Grégoire les rappelait à leur (lieu) cardinalice premier. »  Par cardinal, il appelle là un titre ou une église.  Que cela suffise au sujet du nom.  Si quelqu’un désire connaître les noms et les numéros des titres des diaconies et des épiscopats cardinalices, qu’il consulte Onuphrius dans son livre sur les cardinaux.
 Parlons maintenant de la tâche du cardinal et de son ancienneté. Ses tâches sont de trois sortes. La première est commune avec les évêques, les prêtres et les diacres, car, tous les cardinaux ont une fonction épiscopale, presbytérale ou diaconale.  La seconde est d’élire le pape. La troisième.  Assister constamment le pontife, et l’aider, par leurs conseils et leur expérience, dans le gouvernement de l’Église universelle.   On ne peut nier que la première tâche soit ancienne, voire très ancienne.  Calvin ne le nie pas non plus. C’est même la seule chose qu’il reconnait, quand il dit : « Ils n’avaient pas d’autre fonction qu’aider, par leur présence continuelle, l’évêque dans l’administration des sacrements et de la doctrine. »  Mais Calvin me semble se contredire quand (livre 4, chapitre 4, verset 2 des institutions) il enseigne que, dans les premiers siècles, c’étaient les presbytes qui élisaient le pape, et qui gouvernaient l’église avec lui en commun, l’évêque n’ayant rien de plus, dans l’assemblée des presbytes, que n’avait un consul dans un sénat : « Les presbytes élisaient l’un d’entre eux, auquel ils donnaient d’une façon toute spéciale le titre d’épiscope. »  Si cela est vrai, il faut en conclure que ce que font aujourd’hui les cardinaux quand ils  élisent l’un d’entre eux, ou  gouvernent l’église comme des sénateurs ecclésiastiques, est une fonction très ancienne, et même la plus ancienne de toutes.
 Mais, ici, il faut faire l’observation suivante. Les trois tâches cardinalices sont très anciennes toutes les trois, et ont même été ébauchées au temps des apôtres.  Mais ce n’est pas une chose aussi ancienne que seuls les cardinaux remplissent la deuxième et la troisième tâche. Car, depuis le temps des apôtres, et pendant plusieurs années, pendant même plusieurs siècles, tous, en raison du petit nombre de presbytes et de diacres, étaient appelés à élire ensemble un nouvel évêque et à participer à des conciles. Il n’était pas nécessaire alors de faire une distinction entre cardinaux et cardinaux, comme dans les autres églises on ne faisait pas  de distinction entre chanoines et chanoines.  Voilà pourquoi à toutes les fois que saint Cyprien écrit au clergé de Rome, il n’écrit pas aux seuls cardinaux, mais à tous les prêtres et les diacres de l’église romaine.  Et ce sont tous les presbytes et les diacres qui lui répondaient. Voir livre 2, épitre 7, livre 3, épitre 5 et 21é
Ensuite, quand les clercs furent devenus très nombreux, on les appelait tous pour l’élection, mais tous n’étaient pas appelés au conseil, les principaux seulement, ceux qu’on appelait à Rome et ailleurs, cardinaux.  C’est ce que nous montre le synode de saint Grégoire (livre 4, registre chapitre 88).  Car, parmi les 34 presbytes, les seuls à être présents au concile furent les titulaires, c’est-à-dire les cardinaux.  Il est certain qu’il y avait alors beaucoup plus que trente-quatre presbytes..  Car, au temps de saint Corneille, vers 250,  quand sévissaient encore les persécutions et que régnaient les empereurs idolâtres, il y avait à Rome 46 presbytes, comme le rapporte Eusèbe (livre 6, chapitre 33 de son histoire) en citant la lettre du pape Corneille. Saint Grégoire a vécu au septième siècle, quand il n’y avait plus un seul païen dans la ville de Rome.  Il vint ensuite un temps où les clercs devenus trop nombreux ne furent même plus admis  à l’élection du souverain pontife. Seuls les cardinaux le furent, comme nous l’avons montré quand nous avons parlé de la vocation des ministres.
Au sujet de la comparaison entre évêques et cardinaux, les auteurs cités plus haut en parlent abondamment.  Tous sont d’accord pour affirmer  que si on ne considère que le pouvoir d’ordre, un évêque est plus grand qu’un cardinal presbyte ou diacre. Car, un évêque ordonne des presbytes, et confirme des baptisés, et fait d’autres choses que les cardinaux presbytes ou diacres ne peuvent pas faire.  Voilà pourquoi le souverain pontife se nomme évêque, non cardinal, appelle tous les évêques ses vénérables frères, et les cardinaux ses fils bien-aimés, comme il appelle les laïcs.  De même, si nous considérons la juridiction de chacun dans sa propre église, ou diocèse, ou le titre et la diaconie de cardinal, un évêque est plus grand qu’un cardinal prêtre ou diacre.  Car la fonction d’évêque diocésain est plus grande qu’un simple titre cardinalice.  De plus, dans son diocèse, un évêque a, en tant que pasteur propre et ordinaire, la plénitude de la juridiction.  Il peut légiférer, dispenser, punir, gracier etc.  Or, n’étant par son titre qu’un curé,  un cardinal prêtre ou diacre est soumis à un évêque, et ne peut faire que ce que l’évêque lui permet de faire.
Mais si on regarde le gouvernement de l’église universelle, un cardinal prêtre ou diacre est plus grand qu’un évêque qui n’est pas cardinal.  Car, à moins d’exceptions rarissimes,  on n’appelle jamais les simples évêques au gouvernement de l’église.  Seulement quand sont convoqués  des conciles généraux.  Les cardinaux, eux, se tiennent quotidiennement près du pontife, sans les avis desquels  il n’entreprend ou ne décide rien. Et c’est pour cela que des évêques sont jugés, créés, déposés par des cardinaux, en tant que coopérateurs du pape,  et non des cardinaux par les évêques. C’est pour cela aussi qu’un cardinal précède  un évêque non cardinal. C’est cette raison que présente le pape Eugène 4, dans son épitre à l’évêque de Kant, que Dominique Jacobus a transcrite, (livre 1, article 12 des conciles.)  Et avant Eugène, saint Bernard, dans son livre de la considération, quand il parle des cardinaux. « Venons-en à tes collatéraux et à tes coadjuteurs.  Ce sont tes compagnons de tous les jours, tes intimes. »  Et plus bas : « Ceux qui ont à juger le monde ne doivent-ils pas être choisis de par toute la terre ? »  Et dans la lettre 188 écrite aux cardinaux : « Personne ne doute que c’est à vous qu’il revient d’enlever les scandales du royaume de Dieu, d’arracher les épines qui surgissent, d’apaiser les querelles. » Et plus bas :  « Agissez selon le lieu que vous tenez, la dignité donc vous jouissez, et le pouvoir que vous avez reçu. »  Saint Bernard reconnait ici que les cardinaux ont un pouvoir plus grand que celui des évêques.
Mais Calvin accourt au lieu déjà cité (livre 4, chapitre 7, verset 30), et nous oppose trois témoignages. « Je vois, dit-il, que ceux qui étaient autrefois inférieurs aux évêques les surpassent maintenant de beaucoup. »  Elle est bien connue la dix-neuvième lettre de saint Augustin à saint Jérôme. Bien que selon le langage officiel qui a prévalu dans l’Église, l’évêque soit plus grand que le presbyte, cependant, Augustin est, en beaucoup de choses, inférieur à saint Jérôme. Il ne distingue donc pas un presbyte de l’église romaine des autres, mais il les met tous étaux aux évêques.  Ceci fut observé jusqu’au concile de Carthage.  Deux légats du siège romain étaient présents, l’un évêque, l’autre prêtre.  Or, le prêtre fut rejeté à la dernière place.  Et pour ne pas nous attarder à rechercher les témoignages anciens, a été conservé un concile Romain présidé par saint Grégoire, au cours duquel les prêtres se sont assis et on signé  au dernier rang.  Aucun diacre n’a apposé sa signature au document.
Mais le témoignage de saint Augustin n’a rien à voir avec la question débattue.  Car, nous ne nions pas qu’un évêque soit plus grand qu’un presbyte, mais qu’un cardinal soit plus grand qu’un cardinal.  Car un cardinal évêque précède toujours  un cardinal prêtre, et un cardinal prêtre précède toujours un cardinal diacre.  Mais, Calvin rétorque que « ce n’est pas n’importe lequel prêtre que saint Augustin place au-dessus d’un évêque, mais Jérôme prêtre de l’église romaine. »  Je réponds que saint Jérôme n’était pas prêtre de l’église romaine, mais de l’Église d’Antioche.  C’est ce qu’il atteste lui-même ( dans son épitre 61 à Pammachius, sur les erreurs de Jean évêque de Jérusalem). Ne s’oppose pas à ce que j’avance qu’il ait été parfois à Rome, et qu’il ait aidé le pape à écrire ses lettres, comme il l’atteste lui-même dans sa lettre à Geruchia sur le monogamie.  Et même s’il a séjourné à Rome, il n’a jamais eu de titre propre, ou une église à administrer comme l’ont les cardinaux. Comme il venait tout juste de retourner à Rome et qu’il était encore citoyen de Syrie quand il a écrit sa lettre à Pammachius, il ne dit pas qu’il est un prêtre romain, mais antiochien.  Car il désirait montrer à l’évêque Jean de Jérusalem qu’il était un prêtre d’une plus grande ville que celle de Jérusalem; qu’il n‘avait donc pas abandonné son église pour aller chercher quelque chose dans l’église de Jérusalem : « Nous avons quitté moi Antioche, et lui Constantinople, des villes très célèbres, non  pour louer ta prédication populaire, mais pour que pleurant dans les champs et le désert  les péchés de jeunesse, nous fléchissions en notre faveur le Christ miséricordieux. » Comme  il est établi que l’église romaine a toujours été supérieure à l’église d’Antioche, saint Jérôme aurait certainement dit, s’il avait vraiment pu le dire, qu’il avait quitté, lui, Rome, et l’autre Constantinople.
Le témoignage du concile de Carthage 1V ne prouve non plus pas grand-chose.  Car, même si, dans ce concile, le presbyte romain s’est assis après les évêques, dans les concile de Nicée, d’Éphèse, de Chalcédoine, dans les sixième, septième et huitième conciles généraux, les presbytes romains étaient assis devant les évêques.  Mais quoiqu’il en soit bien ainsi, je reconnais qu’autrefois les simples évêques passaient avant les cardinaux non évêques, et que le cardinalat fut même un degré menant à l’épiscopat, comme Onuphrius l’enseigne dans son livres sur les cardinaux, et comme nous le montre le premier livre de la vie de saint Grégoire, au chapitre 7.
 Après cela, est né l’ordre, et les cardinaux ont commencé à être placés avant les évêques; et l’épiscopat est devenu un grade menant au cardinalat.  On peut assigner deux raisons à ce changement.  La première.  Parce que c’est aux seuls cardinaux qu’était remise l’élection du souverain pontife. Car, au temps où le clergé et le peuple élisaient le pape, il n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas eu autant de cardinaux.  Mais après qu’ils commencèrent à être les seuls à les élire, et eux seuls, la plupart du temps, à être élus, ce n’est pas sans cause que la dignité cardinalice ait été davantage prisée.  La deuxième. Seuls les cardinaux furent présents dans le conseil du souverain pontife. Car, auparavant, les cardinaux n’étaient ni les seuls ni même les plus importants conseillers du pape.  Car dans les premiers six cents ou huit cents ans,  pour porter un jugement sur des choses particulièrement graves, les papes convoquaient des conciles nationaux d’Italie. Dans ces conciles, étaient présent, certes, les cardinaux prêtres, mais les évêques tenaient le premier rang.  C’est ce que nous font connaitre les tomes des conciles,  qui nous rapportent plusieurs conciles romains, ou latérans, célébrés entre 300 et 800.  Il n’y avait donc pas de raison, à cette époque, pour que les cardinaux prêtres soient placés avant les évêques, puisque, alors, les évêques n’aidaient pas le pape dans le gouvernement de l’église moins que les cardinaux, mais beaucoup plus.  Ensuite, grossirent les affaires de l’église romaine, surtout quand au temps de Pépin et de Charlemagne, elle reçut la principauté temporelle.  Le souverain pontife eut alors besoin de beaucoup plus de conseillers qu’avant.  C’est pourquoi, par l’enseignement de l’usage et la contrainte de la nécessité, dans les dernières années du septième siècle et du huitième siècle, on laissa tomber en désuétude les conciles épiscopaux, et toutes les questions furent remises au sénat des cardinaux.  Que cela ait pu  être fait, et bien fait, il est impossible d’en douter.  Car le pontife n’est pas tenu de choisir comme conseiller, un tel plutôt qu’un autre.
Ce choix eut, de plus, de grands avantages.   Le premier. Le pontife a constamment à sa disposition un sénat qu’il peu convoquer à n’importe lequel moment,  pour traiter des choses les plus urgentes. Le deuxième.  Cela ne se fait pas au détriment des églises particulières.  Car les conciles épiscopaux ne peuvent pas toujours être rassemblés sans préjudice aux églises particulières, puisqu’une absence prolongée des pasteurs est souvent pernicieuse.  Le troisième.   Les conseillers sont plus informés et expérimentés, puisqu’ils ne font toujours que cela.  Une fois légitimement faite cette mutation d’un conseil pontifical d’évêques à un conseil de cardinaux seuls, il aurait été étonnant qu’une mutation de dignité n’ait pas aussi pris place.
Mais il nous plait, à la fin de cet exposé, de noter à quel point répugnent les paroles de Calvin dans sa dernière dispute (chapitre 7, livre 4, dans ses institutions).  Dans le dernier paragraphe il admire le nombre imposant de cardinaux : « Je ne sais pas ce qui est arrivé pour qu’ils émergent subitement en un si grand nombre. »  Et un peu plus bas : « Maintenant, leur sort est tellement changé qu’ils sont devenus les parents des rois et de César. Sans aucun doute, ils ont cru insensiblement avec leur tête, jusqu’à être investis de l’éclat de cette dignité. »  Et il ajoute ensuite juste le contraire : « Il fallait que l’église soit remplie de ceux dont Malachie a parlé : Vous êtes sortis de la voie, et vous avez fait en sorte que plusieurs offensent le législateur. C’est pour cela que je vous ai rendus vils et méprisables à tout le peuple. »  Comment, je le demande, ces deux affirmations peuvent-elles aller de pair ? Comment peuvent-ils être en même temps  parents des rois et de César  et être avilis et méprisables aux yeux du peuple ?
                                                           CHAPITRE 17
                                                      Les chorépiscopes
Nous avons jusqu’ci parlé de la distinction entre les clercs et leurs devoirs respectifs, telle qu’elle existe encore aujourd’hui dans l’église catholique.  Il semble bon de devoir ajouter quelques mots sur les chorépiscopes, sur leurs noms et leurs fonctions, même s’ils sont complètement disparus de nos jours.
On appelait chorépiscopes des presbytes qui dans les villages ou les petites villes,  avaient le soin des âmes, comme aujourd’hui les curés de paroisses. On les appelait chorepiscopes, ou, comme le pape Damase l’indique dans son épitre 3, des évêques de villages ou de petites villes.  Car Kora, en grec, signifie ville ou région.  Ou plutôt, comme les conciles de Néocésarée (au canon 13) et d’Antioche (au canon 8) l’enseignent, des vicaires épiscopaux ou vicaires des évêques, ou tenant la place d’un évêque.  Ces chorépiscopes ne pouvaient pas ordonner des prêtres ou des diacres, ni oindre le front des fidèles avec le saint chrême, ni consacrer des temples ou des autels.  Ils pouvaient faire toutes les autres chose que faisaient les évêques, comme nous le font connaitre les conciles d’Ancyre (canon 12), d’Antioche (canon 10), et d’Espagne 2, (canon 7), ainsi que la lettre du pape Damase 3, celle de Léon 86 ou 88, et celle de Jean 111 aux évêques d’Allemagne et des Gaules.
Mais une question ici se présente. Était-il permis aux chorévêques d’ordonner des sous-diacres ? Car, dans le concile d’Antioche, le canon 10 déclare clairement que cela leur est permis.  Que cela ne leur soit en aucun cas permis, le pape Damase l’affirme, avec autant de clarté, dans son épitre 3. Les conciles et les pontifes cités plus haut nient qu’il soit permis aux chorépiscopes d’ordonner des prêtres ou des diacres, sans rien préciser au sujet des sous-diacres et autres ordres mineurs.  Je réponds que certains chorépiscopes avaient vraiment reçu la consécration épiscopale.  On les appelait chorépiscopes parce qu’ils n’avaient pas d’église propre, et exerçaient leur ministère dans un autre diocèse, comme ceux qu’on appelle aujourd’hui titulaires ou suffragants.  D’autres étaient des chorépiscopes tout court, c’est-à-dire des presbytes, qui dans les villages ou les petites villes, représentaient d’une certaine façon l’évêque. Le concile d’Antioche semble parler des premiers, comme Damase l’a noté dans son épitre 3, car, c’est ainsi que commence le canon : « les chorépiscopes qui ont reçu l’imposition des mains par les évêques, et qui ont été ordonnés évêques. »  Dans ce canon, le concile ne parle donc pas de n’importe lequel chorépiscope, mais seulement de ceux qui ont été consacrés évêques par plusieurs évêques.  Ensuite, dans le même canon, le concile ne permet pas seulement à ces chorépiscopes d’ordonner des sous-diacres, mais aussi des diacres et même des presbytes, si l’évêque du lieu le permet.  Il appert clairement de ce texte que ces chorépiscopes sont de vrais évêques.
De plus, à la fin de ce canon (« le chorépiscope doit être ordonné par l’évêque du lieu), ce n’est plus des mêmes chorépiscopes qu’on parle, mais des autres.   Car le concile a voulu statuer par une loi que le chorépiscope soit ordonné par un seul évêque (au lieu de trois)  pour qu’il ne soit qu’un presbyte, et non un évêque.  C’est de ce genre de chorépiscopes que traite le pape Damase dans son épitre 3, quand il dit qu’il n‘est pas permis aux chorépiscopes d’ordonner des sous-diacres.  Les autres conciles et les pères qui nient qu’il soit permis aux chorépiscopes d’ordonner des diacres, et qui ne disent rien des sous-diacres, semblent, par diacres, entendre aussi les sous-diacres, puisque l’un et l’autre sont des ordres sacrés, et sont souvent appelés du même non par les pères. S’il était possible de prouver qu’il avait été parfois accordé aux chorépiscopes du second genre d’ordonner des sous-diacres, il faudrait ajouter que cela s’est produit en vertu d’un privilège ou d’une concession, du genre de celle qui est accordée aux prêtres, en certains endroits, en l’absence de l’évêque, de confirmer des baptisés. Voir ce que saint Ambroise écrit des prêtres d’Égypte, dans son commentaire du chapitre 4 de la lettre de saint Paul aux Éphésiens.  Que cela suffise pour la différence qu’il y a entre les clercs, et leurs devoirs respectifs.
                                                      CHAPITRE 18
                                             Le célibat des prêtres.
         Le célibat imposé aux ordres sacrés est-il de droit divin ou pas ?
Suit la quatrième dispute, qui est celle du célibat, ou de la continence des hommes sacrés, qui sera tripartite. La première. Le célibat imposé aux ordres sacrés est-il de droit divin ? La deuxième. S’il ne l’est pas, est-il au moins de droit apostolique, et cela a-t-il était fait correctement ?  La troisième.  Est-ce que les remariés sont exclus des ordres sacrés ?  Pour commencer par le commencement, Jean le majeur (4 dist 24, question 2) a été d’opinion que le voeu solennel des prêtres était de droit divin, et donc non dispensable. Clichtovaeus a enseigné presque la même chose (dans la continence des prêtres, chapitre 4 et suivants).  Il enseignait deux choses qui ne me semblent pas aller très bien ensemble.  La première.  Il est de droit divin que celui qui a été initié aux saints ordres ne peut pas se marier, et qu’aucune dispense ne peut lui être accordée. La deuxième. Ceux qui se sont mariés ne peuvent pas être initiés aux saints ordres, à moins qu’ils ne veuillent pratiquer la continence.  Il dit que c’est un précepte de l’église décrété d’abord par le pape Syricius,  et qu’il n’a jamais été reçu par l’église orientale. Il fut donc permis aux prêtres dans toute l’église, d’user des épouses qu’ils avaient avant leur ordination à la prêtrise, et cela jusqu’au temps du pape Syricius.  Dans l’Église orientale cela est encore permis, comme ça l’a toujours été.
Or, saint Thomas (2.2. question 88, araticle 11, enseigne explicitement que le vœu de continence a été annexé aux ordres sacrés uniquement par un décret ecclésial, et donc dispensable.  Cajetan enseigne la même chose (dans les opuscules, tome 1, traité 27), ainsi que Sotus (livre 7, de la justice, question 6, article 2).  Il enseigne également, ce que je pense moi aussi, que ce décret qui annexait le vœu de continence aux ordres, n’était pas divin en lui-même, mais seulement apostolique; et que, depuis le temps des apôtres, il a été observé dans l’église pendant longtemps.  Mais, comme dans le chapitre suivant, nous confirmerons cela contre les hérétiques, il suffit maintenant de prouver brièvement que ce n’est pas de droit divin que le mariage a été interdit aux prêtres, et que l’église peut donc en dispenser.
On le prouve d’abord par l’une des deux propositions de Clichtovaeus, à savoir que ce n’est pas de droit divin que des prêtres qui étaient mariés avant d’être ordonnés, doivent s’abstenir de leur épouses.  Car, le mariage n’est pas en opposition avec la prêtrise de par son essence, mais en raison du devoir conjugal et de ses obligations.  Car, si c’était Dieu qui avait interdit le mariage aux prêtres, il l’aurait certainement prohibé à cause de l’acte conjugal qui rend l’homme entièrement charnel, et inapte aux choses divines. Et aussi à cause de l’entretien d’une maison et du soin des enfants, toutes choses qui engendrent de grandes distractions.  Mais pas seulement à cause du seul sacrement conjugal, ou à cause du contrat matrimonial,  qui se célèbre par le seul consentement des âmes,  et qui est une chose très brève et très honnête.  Si donc il était permis aux prêtres, de droit divin, de garder la femme qu’ils avaient avant leur ordination, et d’en user en tant que maris, pourquoi, je le demande, cela ne serait-il pas permis après l’ordination ?  Ajoutons que les raisons que fait siennes Clichtovaeus sont toutes tirées de la pureté qu’exigent les charges sacerdotales.  Ce qui répugne à cette pureté, ce n’est certes pas le fait de se marier ou de s’être marié, mais de cohabiter avec une épouse.
Chlictovaeus  concède donc que le droit divin n’interdit pas aux prêtres déjà mariés d’user de leurs épouses. Mais pour les quelques-uns qui en doutent, il le prouve par le fait que l’Église romaine a, pendant plusieurs siècles, permis aux Grecs orthodoxes d’user des épouses qu’ils avaient avant leur ordination. Voir le chapitre cum olim, sur les clercs mariés. Ajoutons le témoignage de saint Grégoire (livre 1, épitre 42) où il permet aux sous-diacres d’user librement des épouses qu’ils avaient avant leur ordination, même s’il a interdit par la suite  d’ordonner ceux qui ne voudraient pas vouer la chasteté.   On le prouve, en second lieu, du fait que, dans l’Écriture, il n’existe aucun précepte de ce genre.  Car, dans l’ancien testament, il était permis aux prêtres de se marier.  Et, dans le nouveau, le Seigneur n’a rien dit à ce sujet.  L’apôtre, il est vrai, dans les épitres à Timothée et à Tite, ordonne d’élire des hommes chastes comme évêques et diacres. Or, ce précepte de saint Paul n’est pas divin, mais apostolique. Nous y reviendrons.
Ils nous objectent, eux, la bénédiction de Moïse (Deutéronome, chapitre 33).  Ce qui y est dit des lévites, est, selon eux, dit des prêtres chrétiens : « Ceux qui dirent à leur père et à leur mère je ne vous connais pas, et qui ignorèrent les fils ». Mais cet oracle divin n’est pas un précepte divin.  Que ce soit en vertu d’une loi divine ou humaine que les prêtres se privent de mariage, la parole de Moïse s’accomplit.  Ils nous objectent aussi les paroles du Christ en Luc 21 : « Voyez à ce que vos cœurs ne soient pas appesantis par l’ivresse, et les soucis de ce monde. »  Selon saint Léon (sermon 8 sur le jeûne), ces paroles s’appliquent particulièrement aux prêtes.  Je réponds. Ils se trompent manifestement ceux qui présentent cet argument.  Car, saint Léon dit explicitement que ce précepte du Christ  s’applique à tous les fidèles, mais  à nous particulièrement  qui sommes plus près du jour du Seigneur.  Ensuite, saint Paul ordonne qu’on élise évêque « quelqu’un qui gouverne bien sa maison, qui maintient ses fils dans la soumission en toute chasteté. »  Les paroles du Christ ne sont pas contraires à celles de saint Paul.  Jésus, il est vrai, ne parle pas du soin des l’épouse et des enfants, mais de ne pas être alourdi par des soucis mondains.
Mais, disent-ils, la raison naturelle dicte que le ministère le plus pur doive être exercé par des continents. Je réponds que  c’est bien ce que dicte la raison, mais comme une chose convenable, non absolument nécessaire.    On le prouve, en troisième lieu, par le concile d’Ancyre, chapitre 10, où il est dit que les diacres peuvent, avec la permission de leur évêque, se marier, même après avoir reçu le diaconat.   Ce n’est donc pas de droit divin, car les évêques ne peuvent pas dispenser du droit divin.  Or, ce concile est très ancien et confirmé par le pape Léon, (dist 20, canon de libellis).   On peut ajouter enfin comme preuve que les conciles et les pères, que nous allons citer dans le prochain chapitre, affirment souvent que c’est une loi ecclésiastique.  Et c’est ce que nous lisons aussi dans le concile de Trente (session 24, canon 9).
                                                      CHAPITRE 19
Le célibat a été, par un droit apostolique,  correctement annexé aux ordres sacrés
Nous voici rendus à la question suivante : est-ce que le célibat perpétuel a été correctement annexé aux ordres sacrés ?  Nous avons deux erreurs à réfuter, celle des Grecs, et delle des Luthériens. La  première. Il faut que les clercs se marient avant de recevoir les ordres sacrés, car, après avoir les reçus, il ne leur est pas permis de le faire, et parce que celui qui vit sans femme s’expose à un trop grand danger de fornication.  On pense que l’auteur de cette erreur est Nicolas, un des sept premiers diacres.   Mais quoi qu’il en soit, il est attesté que Vigilance l’a enseignée, selon saint Jérôme (au début de son livre contre Vigilance) : « Il dit avoir pour complices de son crime des évêques funestes, si du moins on doit appeler évêques  ceux qui n’ordonnent des diacres qu’après qu’ils se soient mariés, ne créditant aucun clerc de la pudicité ».  C’est cette erreur que les pères du concile de Trullo ont accréditée, autour de l’année 700, comme on le voit au canon 13.  Ce concile profane blâme nommément les canons de l’église romaine et statue le contraire, à savoir que les clercs se marient avant le sous-diaconat, et qu’ils vivent ensuite avec leurs épouses quand ils auront reçu les autres ordres. C’est au temps de ce synode qu’est commencée la coutume grecque qui prévaut aujourd’hui.  Elle s’est consolidée et confirmée au temps du pape Léon 1X, quand la dissension entre les Grecs et les Latins éclata, et se formula en plusieurs articles. Nous avons encore le livre du cardinal Humbert écrit à cette époque sur ce sujet, contre l’abbé Nicéta, qui défendait alors avec acharnement cette coutume des Grecs.
La deuxième erreur est de beaucoup plus grave.  On peut prendre femme non seulement avant l’ordination, mais même après l’ordination.  Celui qui posa les fondements de cette erreur est  Jovinien.  Il soutenait que la virginité ne l’emporte pas sur le mariage.  Il s’ensuivait que c’était sans raison aucune et inutilement que les prêtres se privaient d’épouses.  Après avoir entendu Jovinien prêcher, certaines moniales se marièrent, comme le rapporte saint Augustin (dans son livre sur les hérésies, chapitre 82).  Mais cette hérésie ne fit pas long feu, et s’éteignit sans même entrainer un seul prêtre à renoncer à son vœu de continence.
Le premier qui enseigna ouvertement qu’il était permis de prendre femme après l’ordination fut Jean Wiclif,  comme le rapporte Thomas Waldensis  (tome 2 des sacrements, chapitres 128, et 129, et tome 3 sur les sacramentaux, chapitres 66 et 67).  D’autres l’ont suivi ensuite comme Luther, (live 2 de l’abrogation de la messe privée), Pomeranus (livre du mariage des évêques), les magdebourgeois (dans toutes les centuries d livre 7, et surtout la onzième, chapitre 7, colonne 389).  Ils disent là que c’est « l’hérésie la plus infecte de toutes celles qui ont empesté et perturbé le royaume chrétien ».  De même Bèze et le martyr, (dans la première aux Corinthiens, 7),  Philippe Melancthon (dans sa confession augustinienne, article 23, et dans son apologie du même article. »  Calvin (livre 4, chapitre 12, verset 23 de ses institutions), Brentius (dans sa confession de Wittemberg, au chapitre du mariage).   Ensuite, Érasme (dans son livre sur la louange du mariage) juge utile que le droit de se marier soit concédé aux prêtres.  Pense de la même façon Panormitanus, un savant auteur catholique, (dans le chapitre cum olim, sur les cleercs mariés.)  J’ai entendu dire que Kemnitius, dans la troisième partie de son examen du concile de Trente, a traité du célibat des prêtres, mais son livre, je ne l’ai pas encore vu.  Et si on pouvait apporter d’autres développements provenant d’autres auteurs, cela ne pourrait pas apporter grand-chose de nouveau à tout ce que les centuriates et Calvin ont recueilli.
Contre ces erreurs, nous prouverons que le vœu de chasteté a été annexé aux ordres sacrés de façon à ce  qu’on ne puisse ni se marier après l’ordination, ni user des  épouses acquises avant l’ordination.   Et cela, de par un droit positif, mais très ancien et très équitable, qu’il ne convient en aucune façon de relâcher.  On le prouve d’abord, par les Écritures. Saint Paul (épitre à Tite, chapitre 1) : « Il faut que l’évêque soit hospitalier, bon, sobre, juste, sain, continent. »  Il est à noter que le mot grec que nous rendons pas sobre est sophôna.  Ce mot, comme le dit saint Jérôme est ambigu.  Il peut signifier prudent, sobre, chaste. Son vrai sens ici est chaste. Et parce que la chasteté est commune même aux époux, saint Paul ajoute continent. « Il s’abstient des embrassements de l’épouse », selon l’explication de saint Jérôme.  De même (dans l’épitre 2 à Timothée, chapitre 2) : « Travaille comme un soldat du Christ Jésus ! Parmi ceux qui militent pour Dieu, personne ne s’immisce dans les affaires séculières. » L’apôtre prescrit à l’évêque de militer énergiquement pour Dieu. Personne ne nierait que les noces soient des affaires séculières.  Car, comme saint Basile l’enseigne   (dans la préface de ses constitutions monastiques) : « Les noces sont des fers aux pieds. » Le même apôtre (1 Corinthens, 7)  ordonne aux époux de s’abstenir de relations conjugales de temps en temps, pour pouvoir s’adonner à l’oraison.  Saint Jérôme en déduit donc (chapitre 1 à Tite, et livre 1 à Jovinien) qu’il prescrit aux évêques et aux autres hommes sacrés, de s’abstenir à perpétuité de l’œuvre du mariage, puisque c’est à chaque jour qu’ils doivent s’adonner à la prière.  Origène se sert de ce même argument (homélie 23 sur les Nombres), ainsi qu’Épiphane dans l’hérésie des Cathares.
De plus, dans l’ancien testament, nous voyons que la continence des femmes était requise pour qui s’approchait de Dieu, ou avait à régler une chose sainte quelconque.  Car (dans l’Exode 12),  on commande à ceux qui sont sur le point de manger l’agneau pascal de ceindre leurs reins, ce qui veut dire, comme l’explique saint Grégoire (homélie 22 sur l’évangile) « que doivent dompter les voluptés de la chair ceux qui mangent l’Agneau pascal ».  Et, dans l’Exode 19,  quand le peuple était sur le point de recevoir de Dieu la loi, Moïse leur dit : « Tenez-vous prêts pour le troisième jour, et ne vous approchez pas de vos épouses ! »  C’est de ce témoignage dont se sert saint Ambroise (livre 1, de officiis, dernier chapitre), pour prouver la continence des clercs.   De même, dans l’Exode, Dieu prescrit à Aaron et à ses fils de se vêtir de vêtements féminins des reins jusqu’au fémur (femora).  En expliquant ce texte, saint Bède le vénérable (livre 3 du tabernacle, chapitre 9), dit que les prêtres du nouveau testament doivent être vierges, ou dissoudre les alliances contractées avec leurs épouses.   De même (1 Rois 21) le prêtre Abimélech ne voulut pas donner à David et ses soldats les pains de proposition,  avant d’avoir compris qu’ils s’étaient abstenus de tout contact avec leurs épouses.  Saint Jérôme en déduit que (au chapitre  à Tite), « est requise la continence perpétuelle aux prêtres, même à ceux qui vivent avec leurs épouses, parce qu’ils consacrent, mangent et distribuent  le corps du Christ qui était représenté par ce pain de proposition. »
On apprend du livre 1 des paralipomènes, chapitre 24 et Luc 1, que les prêtres de l’ancien testament avaient coutume d’être ministres tout à tour; et qu’ils ne s’abstenaient de leurs maisons et de leurs épouses qu’aux jours où ils célébraient dans le tabernacle. Le pape Syrice (dans son épitre à Himericus), et Innocent ! (dans son épitre à Victricius), ainsi que Bède le vénérable (au chapitre 1 de saint Luc), font la déduction suivante.  Si les prêtres de l’ancien testament s’abstenaient de leurs épouses les jours où ils avaient à officier dans le temple, il convient tout à fait que nos prêtres qui n’officient pas à tour de rôle, mais à tous les jours, s’abstiennent continuellement de leurs épouses.  Jean Calvin s’efforce de désamorcer  cet argument (livre 4, chapitre 12, verset 25) en disant que « les prêtres lévitiques étaient des images du Christ, et que c’est  parce qu’ils ne pouvaient pas représenter exactement l’excellence et la sainteté du Christ, qu’on leur a ordonné de se purifier d’une façon qui transcendait les mœurs humains.  Cette prescription ne s’impose donc  plus maintenant, car par l’avènement du Christ, les figures et les ombres cessèrent ».
Mais que vaut cette explication de Calvin ?  Car, comme les prêtres lévitiques étaient une figure du Christ à venir, les prêtres chrétiens représentent le Christ qui est venu.  Car, quand il performe les saints mystères, le prêtre tient la place du Christ, et c’est pour cette raison qu’en sacrifiant, il ne dit pas : ceci est le corps du Christ, mais ceci est mon corps. Il est lui-même le Christ agissant en lui et par lui. Et c’est ce que représentent les ornements des vêtements sacrés.  La première raison pour laquelle les prêtres lévitiques devaient s’abstenir de leurs épouses n’était pas parce qu’ils tenaient la place du Christ, mais parce que ils étaient les ministres du Seigneur.  Exode 19 : « Que les prêtres qui accèdent à Dieu se sanctifient pour qu’il ne les frappe pas ! »  Car, David a toujours été la figure du Christ, mais on ne lui a pas  commandé de s’abstenir de femme que quand il s’apprêtait à manger du pain consacré, comme nous l’avons déjà dit.  Si, parce qu’ils représentaient Dieu, ces prêtres durent se purifier d’une manière non humaine,  à plus forte raison doivent se purifier ceux qui servent quotidiennement le Christ dans leur ministère.
On le prouve, en seconde lieu, par les témoignages des conciles antiques  de l’Église universelle. Et d’abord, de l’église orientale.  Nous avons le concile d’Ancyre, au canon 10, célébré il y a 1200 ans, où il est dit : « Les diacres qui, pendant leur ordination, ne protestent pas contre l’interdiction de se marier,   ne peuvent pas prendre femme après leur ordination. S’ils protestent,  ils peuvent se marier, car alors on considère qu’ils ont la dispense de leurs évêques. »  De même, le concile néocésarien, célébré un peu après, dit au chapitre 1 : « Si un presbyte prend femme, il sera chassé de son ordre. »  Le concile de Nicée 1, au chapitre 3, « interdit à un évêque, à un presbyte et à un diacre d’avoir une femme dans sa maison qui ne soit ni sa mère, ni sa sœur, ni sa tante ».  Le mot épouse n’est pas prononcé, et c’est d’elle qu’on parlerait d’abord s’il lui était permis de vivre avec elle.  De même.  Pourquoi interdit-on aux clercs la cohabitation avec des femmes, s’ils peuvent avoir des épouses ?  Les épouses ne peuvent-ils pas avoir des servantes dans la même maison ?  Ensuite, le synode de Trullo (canon 6) « interdit aux évêques, aux prêtres, aux diacres et sous-diacres, de prendre femme après leur ordination ».  Et le canon 48 interdit aux évêques de cohabiter avec leurs épouses.
L’église de Carthage nous présente un insigne témoignage.  Car, voici ce que prescrit le concile carthaginois 11, canon 2 : « Il plait à tous que les évêques, les prêtres, les diacres, et tous ceux qui qui confèrent les sacrements soient des gardiens de la pudicité, et s’abstiennent même de leurs épouses. »  Et il en donne la raison : « Pour que ce que les apôtres ont enseigné, et qu’a conservé l’antiquité, nous le gardions nous aussi. »  Ce témoignage réfute non seulement les luthériens mais aussi les catholiques qui veulent que ce décret sur la continence du sacerdoce ait commencé par le pape Syricius.  Or, ces pères témoignent qu’il date des apôtres eux-mêmes.  Le concile de Carthage 5, canon 3,  et le concile africain (canon 37) disent la même chose.  Nous avons aussi le concile  romain de l’Église italique, sous Sylvestre (canon 8) qui interdit aux sous-diacres d’oser prendre femme par un moyen quelconque.  Pour les églises gauloises, nous avons le concile d’Arles 11, célébré il y a 1700 ans. Le canon 12 met en garde « de ne jamais mener au sacerdoce quelqu’un qui est déjà marié, à moins qu’il promette de pratiquer la continence avec son épouse ».  De même, le concile de Tours 1, canons 1 et 2, et le concile de Tours 2, canon 20, celui  d’Agathe, chapitre, et d’Aurélie 111, canon 2. : «Qu’aucun clerc, depuis le sous-diacre jusqu’au sommet, n’use de son épouse, s’il en a une à lui »
Nous avons aussi le concile d’une église d’Espagne qui a été tenu avant l’époque du pape Syricius (canon 33) : « Il a plus à tous que les évêques, les prêtres, les diacres et les sous-diacres s’abstiennent de femmes épouses, et n’engendrent pas d’enfants. »  Les conciles de Tolède 2 (chapitre 1), Tolède 1V (chapitre 26) et Tolède 8 (chapitre 6) interdisent des épouses  aux sous-diacres aussi.   Pour ce qui en est des  églises allemandes, nous avons le concile de aquisgranense au temps de Louis 1, (chapitre 6), celui de Wormaciense, (chapitre 9) : « Il a plu que les évêques, les presbytes, les diacres et les sous-diacres s’abstiennent d’épouses, et ne génèrent pas d’enfants. »  Ensuite, le concile de moguntinus au temps de l’empereur Arnulphe, a statué au chapitre 10 « qu’aucune femme n’ait la permission d’habiter avec un ecclésiastique,  à moins qu’elle ne soit sa mère ou sa sœur ».  Il appert de tout cela que ce que Philippe a écrit dans la confession augustinienne (article 23)—à savoir que le célibat a été imposé aux clercs en Germanie il y a quatre cents ans,--est complètement faux.  Car, les conciles cités, ont été célébrés en Germanie il y au moins 700 ans.  Ce n’est pas un moindre mensonge ce qu’il dit dans son apologie, à savoir  qu’aucune loi sur le célibat des clercs n’a été votée en concile général; et que les conciles romains présidés par le pape ont été les seuls à le prescrire.
On le prouve en troisième lieu par les témoignages des anciens pontifes. Saint Clément 1 (canons apostoliques, canon 27) : « Au sujet des noces qui se rapportent aux clercs, nous prescrivons qu’ils peuvent se marier s’ils le désirent, mais seulement les lecteurs et les chantres. »  Ce que l’on dit des lecteurs et des chantres, il faut l’entendre également de tous les autres ordres mineurs, puisque la raison invoquée est la même pour tous.  C’est ce qu’indique Calixte 1 (cité par Gratien, dist 27 canon des presbyteris), : « Nous interdisons formellement aux prêtres, aux diacres, aux sous-diacres et aux moines d’avoir des concubines ou de contracter un mariage. »  Et, dans l’épitre à Himericus, chapitre 7 (que Calvin reconnait), il interdit à ceux qui sont dans les choses sacrées les relations sexuelles avec une épouse.  Un peu après, Innocent 1 confirma la même chose (dans sa lettre à Victricius, chapitre 9, et dans sa lettre à Exuperius, chapitre 1).  Ainsi que le pape Léon (épitre 82 à l’évêque Anastase de Thessalonique, chapitre 4, et dans l’épitre 90 à Rusticus Narbonensis, chapitre 3.  Également, saint Grégoire (épitre 1, 42, livre 1, et épitre 34, livre 3).  Ainsi que le pape Zacharie (dernière lettre à Boniface, évêque de Germanie, avant les années 800).  Voilà qui met plus en lumière le mensonge de Philippe.
Mais j’ai le goût de rapporter les paroles du pape Léon dans son épitre à Anastase, car elle réfute non seulement les luthériens mais aussi les Grecs.  Voici donc ce qu’il a écrit aux Grecs : « L’élection de tous les prêtres est si excellente que ce qui, dans les autres membres de l’église se fait sans faute, est pour eux illicite.  Ceux qui sont établis en dehors de l’ordre des clercs sont libres de s’adonner à l’union du mariage et à la procréation d’enfants.  Mais,  pour conserver la pureté de la continence parfaite, n’est concédée pas même aux sous-diacres la cohabitation charnelle, pour que ceux qui ont soient comme n’ayant pas, et pour que ceux qui n’ont pas demeurent célibataires et non mariés.  S’il convient,  dans l’ordre qui est le quatrième en dignité, de se conserver ainsi, à plus forte raison dans le deuxième et le troisième, pour que soit estimé inapte au ministère lévitique, à l’honneur presbytéral ou à l’excellence épiscopale celui qui ne s’est pas montré capable de mettre un frein à l’assaut des voluptés. »  Ajoutons à cela les témoignages formels des empereurs que l’on trouve dans le codex des évêques et des clercs.
On le prouve quatrièmement, par les témoignages des anciens pères grecs et latins.  Origène (homélie 23 sur le livre des Nombres) : « Il est certain qu’est interdit le sacrifice perpétuel à ceux qui s’abandonnent aux voluptés conjugales.  C’e qui me fait penser que seul est digne d’offrir le sacrifice celui qui s’est voué à une chasteté perpétuelle. »  Eusèbe (livre 1, démonstration évangélique, chapitre 9) : « Il convient à ceux qui sont consacrés et qui sont chargés du ministère et de l’administration des sacrements, de s’abstenir de toute relation sexuelle avec une épouse. »  Épiphane (à la fin de son œuvre contre les hérésies) : « On choisit pour le sacerdoce les vierges, ou les moines, ou, si ceux-là ne suffisent pas pour les besoins du ministère, ceux qui s’abstiennent des relations sexuelles avec leurs épouses.  Et le veuf qui a été continent depuis le début peut aussi être choisi comme évêque, prêtre, diacre et sous-diacre. »  Il dit la même chose (à l’hérésie 59, qui est celle des Cathares) : « L’Église ne choisit pas pour diacre, prêtre, évêque ou sous-diacre,  un homme d’une seule femme qui élève encore des enfants,  mais celui qui a vécu dans la continence avec une seule, ou qui est veuf.  Surtout là où sont reconnus les canons apostoliques.  Mais, tu me diras que, dans certains endroits, des prêtres, des diacres et des sous-diacres, continuent à élever des enfants.  C’est vrai, mais ce n’est pas selon les canons, mais selon l’esprit des hommes qui s’alanguit avec le temps. »
Saint Jean Chrysostome (homélie 2 sur la patience de Job) : « Il a dit l’homme d’une seule femme, non de la façon dont cela est observé actuellement dans l’Église.  Car, il faut qu’un prêtre soit orné de toute la chasteté. »  Grégoire de Nysse (dans livre sur la virginité, chapitre ultime) : « Comment rempliras-tu la tâche de prêtre de Dieu, toi qui as été oint pour offrir le sacrifice ?  Comment pourras-tu l’offrir à Dieu si tu n’obtempères pas à la loi qui interdit à un impur d’offrir les choses sacrées ?  Et si tu t’attends à ce que Dieu t’apparaisse, pourquoi n’écoutes-tu pas Moïse qui a prescrit au peuple de se garder pur de toute relation charnelle  pour jouir de  la vue de Dieu ? »  Saint Cyrille (catéchèse 12) : « Celui qui, auprès de Jésus, s’acquitte bien de son sacerdoce, s’abstient de la femme.  Jésus lui-même comment aurait-il pu provenir d’un homme et d’une femme ? »  Oecumenius (chapitre 3 de la première à Timothée, aux mots : un homme d’une seule épouse) : « Il n’a pas statué qu’un évêque dépende d’une épouse, ou qu’il ait nécessairement une épouse, mais que s’il en a une, il ne soit pas au moins bigame. Mais, une fois appelé à la charge d’évêque, il doit remplir parfaitement sa tâche, c’est-à-dire que ceux qui ont des épouses soient comme n’en ayant pas. »
Chez les latins, maintenant.   Cyprien, ou un autre auteur éventuel, (dans le livre de la singularité des clercs) affirme qu’il lui a été révélé par Dieu que les clercs ne doivent pas avoir de femmes dans leurs maisons.  Et c’est ce que prouve tout le livre.  Il ne faut pas se scandaliser si, dans le dernier livre, (comme Pierre le martyr l’a noté), il parle ainsi : « Si quelqu’un a une mère,  ou une fille ou une sœur, une épouse ou une tante, qu’il la garde pour qu’aucune servante ne soit présente. »  Car, il parle d’une épouse qui a, en même temps que lui,  voué la continence.  On trouve quelque chose de semblable dans le concile 2 d’Arles, canon 3 : « Si quelqu’un des clercs, à partir du diaconat, présume garder près de lui pour sa consolation une femme autre que sa grand-mère, sa mère, sa sœur, sa fille, sa tante, ou une épouse qui s’est convertie avec lui, qu’il soit excommunié ! »  Car, si saint Cyrille concédait une épouse aux clercs dont il pourrait user librement, il irait contre tout son livre, et même contre son titre : « de la singularité des clercs).
Saint Ambroise (livre 1, des devoirs, chapitre ultime) : « Le ministère doit être sans tache et immaculé, et vous saurez qu’il ne doit être violé par aucune relation conjugale, vous qui, dans un corps intègre, une pudeur non corrompue, étrangers même à l’union conjugale, avec reçu la grâce du saint ministère.  Je me sens obligé d’en parler,  parce que, dans la plupart des lieux éloignés, les prêtres élèvent des enfants en exerçant le ministère. »  La même chose dans l’épitre 82 à l’église de Vercellensem : « Ayant des enfants, a dit l’apôtre, non faisant des enfants. »  Et, dans le chapitre 1 de l’épitre à Timothée : « On leur défend de nouveau l’usage des femmes. »  Saint Jérôme (dans son livre sur Virgilance, vers le début) : « Que dire l’église de l’Orient, de l’Égypte  et du siège apostolique qui acceptent des clercs qui sont vierges, ou qui, s’ils avaient des femmes, cessent d’être maris ? »  De même, dans la fin de l’apologie pour ses livres contre Jovinianus : « On élit des évêques, des prêtres, des diacres qui sont vierges ou veufs, ou qui deviennent continents après leur ordination. » Saint Augustin (dans le livre 2 sur les époux adultérins, chapitre 20) : « Nous avons coutume de proposer la continence des clercs à ceux qui ont été pris malgré eux pour porter le même fardeau, jusqu’à la fin qui leur est  due.  Avec l’aide de Dieu, ils persévèrent. »  Lire tout le texte.   L’auteur des question sur l’ancien et le nouveau testament, qui n’est pas saint Augustin, comme le titre l’indique, mais quelqu’un de plus ancien, ajoute à la fin : «  Le mariage est une chose permise et bonne, pourquoi n’est-il pas permis aux prêtres d’avoir des épouses ? »  Et il en donne longuement les raisons.
En plus des textes cités, saint Grégoire (livre 6, chapitre 1 du livre des Rois) dit qu’ils se trompent ceux qui, à cause des paroles de saint Paul, «que chacun ait une femme »,  pensent qu’il est permis aux ecclésiastiques d’avoir des épouses. »  Grégoire de Tours (livre 4, chapitre 4 de son histoire) rapporte qu’ »un certain comte qui, après avoir renvoyé son épouse, s’était initié aux fonctions sacrées, désira ensuite retourner à son épouse, et fut excommunié par tous les évêques ».  Saint Isidore (dans le livre des devoirs divins, chapitre 10) : « Il a plu aux saints pères que soient chastes ceux qui célèbrent les saints mystères, qu’ils s’abstiennent de toute relation charnelle avec leurs épouses, et qu’ils soient libres de toute immondice charnelle. »   S’il  dit cela des diacre, il enseigne à plus forte raison la même chose des évêques et des presbytes (chapitres 5 et 8). Ce texte nous permet de comprendre les paroles du chapitre deuxième : « Qu’ils conservent perpétuellement la chasteté du corps, ou qu’ils soient engagés par le lien d’un seul mariage. » Car cela est dit des clercs en général, tant majeurs que mineurs.   Car, tous les clercs doivent ou être perpétuellement continents, s’ils sont initiés aux ordres majeurs, ou engagés par les liens d’un seul mariage, s’ils sont initiés aux ordres mineurs.
Saint Anselme (épitre 8,) affirme que le saint pape Grégoire V11 a eu raison d’interdire à tous les prêtres mariés de s’approcher des saints mystères.  Bède le vénérable (livre 3, chapitre 9 sur le tabernacle) : « Personne ne peut recevoir le sacerdoce, ou se consacrer au ministère de l’autel, à moins de demeurer vierge ou de dissoudre le contrat de mariage qui le lie à son épouse. »  De plus, pour omettre les plus récents, je rappelle à votre souvenir Arator, le sous-diacre du pape Vigile.  Dans son livre sur les actes des apôtres, au chapitre 30, après avoir expliqué la raison pour laquelle les prêtres de l’ancienne loi avaient l’obligation de s’abstenir de leurs femmes seulement de temps en temps,  ajoute : « La sainte foi de l’Église ordonne maintenant que seuls soient pontifes les pudiques perpétuels. »   À ces témoignages, ils ajoutent leurs exemples. Car, au temps des apôtres, tous les évêques, presbytes et ecclésiastiques dont nous avons les vies, et que nous avons entendu loués unanimement, furent continents. Et on ne peut présenter aucun exemple d’hommes approuvés qui témoignent du contraire.   Les magdebourgeois ont scruté attentivement tous les siècles pour trouver des hommes qui se seraient mariés après avoir reçu les ordres. Et ils en présentent plusieurs (aux centuries 4, 5, 6, 7, 8, 9, 19, et 11, au début du septième chapitre), mais sans réussir vraiment.  Car, ou bien il s’agit d’épouses qu’ils avaient avant leur ordination, comme dans le cas de Grégoire, le père de saint Grégoire de Naziance, ou il est question d’ordres mineurs, ou, (ce qu’ils tirent du concile de Tolède 4, chapitre 42) ce sont des exemples de ceux que l’on blâme, (comme on le voit dans l’épitre de Zacharie à Boniface), ou  ce sont des mensonges éhontés, comme ce que rapporte la cinquième centurie, chapitre 7, à savoir que le pape Innocent  aurait attesté que les presbytes de Macédoine avaient des épouses. Le pape Innocent n’a jamais rien dit de tel.   Philippe dans son livre sur le célibat au roi d’Angleterre prouve que les anciens évêques avaient usé du mariage par une lettre de Polycrate citée par Eusèbe, livre 5, chapitre 24 de son histoire.  Polycrate écrit que sept de ses parents ont été évêques, et qu’il était, lui, le huitième.  Mais Philippe a été trompé par la traduction de Ruffin. Le mot grec que l’on trouve chez Eusèbe  est sungenôn qui ne signifie pas des parents, mais des amis.  Mais, concédons qu’ils ont été ses parents, peut-on en conclure qu’ils ont usé des droits du mariage ?
De cette nuée de témoins, on peut tirer trois conclusions.  La première.  Se trompent ceux qui, comme Clictovaeus et les autres pensent que la loi de la continence a été imposée aux clercs, en tout premier,  par Syricius.  Car, Clément, Origène, Eusèbe, Épiphane sont tous plus anciens que Syricius.   La deuxième. La coutume des Grecs qui est en vigueur aujourd’hui, était inexistante dans les premiers six cents ans, comme le démontrent des auteurs comme saint Jean Chrysostome, saint Jérôme, et saint Léon, aux lieux cités.  La troisième.    Calvin a menti effrontément et impudemment quand il a affirmé (livre 4, chapitre 12, verset 25 de ses institutions) que tous les anciens pères avaient approuvé le mariage dans l’ordre épiscopal.  Car, plusieurs pères que j’ai cités, et plusieurs conciles ont déclaré juste le contraire. Et il ne peut citer aucun témoin de ce qu’il avance si imprudemment.
On le prouve, cinquièmement, par la raison.  Car, puisque le mariage apporte des obstacles et des retardements aux devoirs ecclésiastiques,  ce fut équitable d’interdire le mariage aux prêtres et aux autres hommes sacrés, car les devoirs ecclésiastiques consistent à prier, enseigner, exhorter, administrer les sacrements, prendre soin des pauvres, et autres choses semblables, qui ne peuvent pas être bien observées (comme le dit l’apôtre à Tite, chapitre 1),  à moins que le prêtre ne soit hospitalier, bon, sobre, juste, saint, continent et docte.  Le mariage rend difficile (comme saint Jérôme le dit au livre 1 contre Jovinien),  le devoir de sacrifier, car une pureté suprême et une sainteté sont requises, come saint Jean Chrysostome l’explique dans son livre 6 sur le sacerdoce.  On ne peut nier que, dans l’acte conjugal lui-même, ne s’infiltre une certaine impureté et une certaine pollution, non parce qu’elle est elle-même un péché, mais parce qu’elle est née du péché.  Car même si Calvin vocifère contre Syricius qui appelle pollution le mariage des prêtres, ce n’est pas seulement le mariage des prêtres qui est un sacrilège et non un mariage, et qui ne peut s’exercer sans pollution et sans honte, mais aussi celui des diacres.  La rébellion des membres et la honte humaine ont suffisamment été attestées dans cet acte qui requiert le secret, comme l’a noté saint Augustin (livre 14, chapitre 17, de la cité de Dieu).
Ensuite, le mariage refroidit le zèle de l’oraison et de la lecture, qui doivent être l’occupation principale du prêtre, Car, l’oraison requiert un esprit tourné vers les choses d’en haut, purifié et tranquille, tandis que l’acte du mariage, comme l’enseigne saint Augustin (livre, 14, chapitre 16 de la cité de Dieu), rend l’esprit hébété, et le rabaisse vers les choses de la terre, amène le trouble,  et rend l’âme charnelle.  Troisièmement.   Elle met un frein à l’efficacité de la prédication, car, comme le dit saint Ambroise (dans 1 devoirs, chapitre ultime) : « Comment pourra-t-il exhorter efficacement les veuves et les vierges celui qui passe tout son temps à s’occuper des enfants »?  Quatrièmement, il ralentit le travail pastoral, car  celui qui a une femme et des enfants, ne pense toujours qu’à eux, et l’amour avec lequel il devrait prendre soin de ses brebis est consumé tout entier dans son épouse et ses enfants.  Et pourtant, comme le dit saint Ambroise (livre 1, chapitre 7 des devoirs) « les fils spirituels doivent être aimés plus chèrement que les fils charnels ».
Cinquièmement, il paralyse le soin à porter aux pauvres, et cette hospitalité et cette bonté que recommande si chaudement l’apôtre. Car, celui qui a une épouse et des enfants doit mettre de côté de l’argent pour eux, et l’on trouve peu de gens mariés qui aient du superflu.  Ajoutons qu’un clerc ne peut pas léguer d’héritage à des fils, et pourtant, tout père doit assurer l’établissement de ses enfants.  Les plus avares seraient donc forcés de vendre les sacrements.  Sixièmement, l’administration elle-même des sacrements en souffrirait. Car, alors, on distinguerait avec peine les prêtres des laïcs, et le prêtre serait  semblable à un membre du peuple.  C’est ce que l’expérience nous a montré.  Car, au temps de Grégoire V11, quand les prêtres commencèrent, en Allemagne, à prendre femme, un tel mépris des sacrements a suivi que c’était parfois des laïcs qui administraient les sacrements, comme Jean Nauclerus et d’autres le rapportent. Épihane a donc raison de dire (hérésie 59) que la continence est nécessaire à cause de l’honneur qu’exige les sacrements.  Il reste à répondre aux arguments.  Nous réfuterons d’abord les objections de Calvin dans l’ordre où il les a présentées.
                                                      CHAPITRE 20
                                On répond aux arguments de Calvin
Le premier. Dieu a laissé le mariage libre. Il n’est donc permis à personne de le prohiber. Et il confirme sa thèse par la première épitre de saint Paul à Timothée, où il dit que c’est un signe d’hérésie de prohiber les noces.  Je réponds en disant que nous pensons comme lui.  Car, l’église ne prohibe pas le mariage, et ne force personne à adopter le célibat.  Elle requiert seulement cette condition pour ceux qui veulent s’initier aux saints sacrements.  Cette condition-là chacun est libre de l’accepter ou pas, mais si quelqu’un ne l’accepte pas, il n’est pas initié.  On ne peut non plus dire que l’église prohibe la profession d’avocat et de juge, ou le métier  de bourreau, même si elle ne veut que les ecclésiastiques remplissent ces tâches.  Au sujet de la citation de saint Paul, nous disons, avec saint Jérôme contre Jovinien, et avec saint Augustin contre Faustus, (chapitres 4 et 6), avec saint Ambroise et saint Jean Chrysostome, et avec les autres qui ont commenté ce texte, que l’apôtre blâme ceux (Tatien, Marcion, Manès) qui rejetaient le mariage comme quelque chose de mauvais.
Mais ils objecteront peut-être que l’apôtre indique que c’est quelque chose qui arrivera dans les deniers temps.  Je réponds que l’expression les derniers temps signifie le dernier âge qui va du Christ au jugement.  Car, l’apôtre a dit : « Nous sommes dans les derniers temps.  1 Corinthiens) : « Mes petits fils, c’est la dernière heure. » 1 Jean). Ajoutons que le mot grec n’est pas eskatois, mais uxirois, c'est-à-dire non dans les derniers temps, mais dans les temps postérieurs.  Les adversaires ne peuvent pas nier cela, à moins qu’ils veuillent que l’apôtre n’ait pas blâmé ceux qui prohibaient ouvertement le mariage, car, ils ne vécurent pas dans les derniers temps.  Mais Pierre le martyr objecte (dans le livre sur le célibat et sur les vœux monastiques) que saint Augustin enseigne  (dans le livre 1, chapitre 18 des mœurs des manichéens, et dans son épitre 74 à Deutérium) que les manichéens ne prohibaient le mariage qu’à leurs élus, qui étaient, pour eux, comme des prêtres et des moines.  Il dit cependant que ce sont eux qui sont blâmés par l’apôtre, quand il dit que la prohibition du mariage est une doctrine de démons.
Je réponds que le même saint Augustin (livre 30, chapitre 6 contre Faust) écrit que le mariage était interdit par les manichéens pour tous, et que s’ils le permettaient pour les auditeurs, c’était parce qu’ils étaient forcés de le tolérer : « Ne dites-donc pas que vous ne  le prohibez pas, parce que vos auditeurs ne voulant pas ou ne pouvant pas vous obéir sur ce point, vous le tolérez pour conserver leur amitié. »   Nous, non seulement nous tolérons les chrétiens mariés, mais nous les félicitons.  Et de plus, les manichéens permettaient à leurs auditeurs le mariage pour satisfaire leurs besoins sexuels, mais ils les mettaient en garde contre la conception ou la procréation d’enfants. N’est-ce pas cela avoir le mariage en haine ?  Les catholiques, eux, louent le mariage principalement parce qu’ils savent qu’il a été institué par Dieu pour la procréation d’enfants.
Le deuxième argument.  Saint Paul (1 Timothée 3, et Tite 1) exprime quelle était son idée d’un évêque parfait.   Parmi les dons et les vertus qu’il exigeait, il a osé placer le mariage, quand il a dit qu’on doit choisir un homme d’une seule femme.   Je réponds qu’il est faux que l’apôtre ait mis le mariage parmi les donc et les vertus d’un évêque idéal.  Il suffirait, pour le prouver, de constater que tous les évêques qui ont été jusqu’ici de grands sains ont tous été continents, comme nous l’avons déjà dit.  On ne peut pas croire que ces grands saints n’aient pas compris le véritable sens des paroles de saint Paul, ou n’aient pas voulu obtempérer.  De plus, le même Paul (1 Corinthiens 7) exhorte à la continence, et dit qu’il est bon de rester non marié ou veuf, et d’y demeurer : « Celui qui se marie fait bien, celui qui ne se marie pas fait mieux. » Comment donc est-il croyable que le même saint Paul ait placé le mariage  parmi les dons et les vertus d’un évêque idéal ?  Ajoutons que, dans ce passage, saint Jean Chrysostome et les autres pères enseignent que saint Paul n’a pas commandé aux évêques d’avoir une épouse, mais de ne pas en avoir, ou de ne pas en avoir plus qu’une.  Même un Martin Luther dans les propositions sur la bigamie, soutient que ces paroles (mari d’une seule femme) ne doivent pas être entendues négativement, mais positivement, c’est-à-dire que l’évêque n’est pas obligé d’en avoir une, mais ne peut pas en avoir plus qu’une.
Mais Calvin réplique que, «  en décrivant ce que devaient être les épiscopes et les diacres, il explique aussi quelles sortes de femmes doivent être leurs épouses ».  Je réponds que saint Paul a parlé des femmes en général, comme l’explique Ambroise, ou des diaconesses qui étaient des veuves, comme saint Jean Chrysostome et Theophylactus l’enseignent.  Ou si on parle des épouses des évêques ou des diacres, on parle des épouses qu’ils avaient prises avant leur ordination, et non après.   Le troisième argument.  Saint Paul (Hébreux 13) affirme, sans faire aucune exception, que le mariage est pour tous honorable.  Pourquoi donc pas par les prêtres ? Je peux facilement leur rétorquer que si les mariages de tous sont honorables, même les mariages des adolescents contractés à l’insu des parents seront honorables.  Calvin, pourtant,  les réprouve (livre 1, chapitre 19, verset 37).  Je dis donc qu’on peut expliquer « en tous » ou « pour tous » de trois façons. La première.   Dans toutes ses parties : le sacrement, l’engagement, les enfants.  La deuxième. Par tous.  Personne ne peut condamner le mariage, même si la virginité est plus profitable. C’est ainsi que saint Fulgence semble avoir compris ce texte (livre sur la foi à Pierre, chapitre 3).  La troisième.  En tous. Dans tous les époux légitimement mariés, quels qu’ils soient, vieux, jeunes, nobles,  paysans, Grecs ou Hébreux.  C’est ainsi que Theophylactus interprète ce passage, et son explication semble plus littérale.
Le quatrième argument. Les apôtres ont enseigné, par leurs exemples, que personne, en dépit de la sainteté de la fonction, n’était indigne du mariage, car non seulement ils ont eu des épousess, mais ils les ont amenées avec eux, comme l’atteste saint Paul (1 Corinthiens 9).  On peut aussi ajouter à ce passage les dernières paroles de la lettre aux Philippiens : « Je te prie, comme un vrai compagnon, de les aider. » On pourrait traduire la phrase grecque par : comme un vrai époux.  Je réponds qu’on ne sait pas avec certitude quels sont les apôtres qui ont eu des épouses, et quels sont ceux qui n’en non pas eues. Tertullien (dans le livre de la monogamie) et saint Jérôme (dans livre 1 contre Jovinien) estiment, qu’à l’exception de Pierre, dont l’évangile parle de la belle-mère, aucun autre apôtre n’a été marié.  Saint Ignace, dans l’épitre aux Philadelphiens, dit que Pierre, Paul et les autres apôtres se sont mariés, sauf Jean, même si dans le codex  du Vatican et dans d’autres manuscrits, le mot Paul soit absent.  Clément d’Alexandrie (livre 3 des stromates, au milieu) rapporte que certains apôtres, y compris Paul, ont eu des épouses.  Mais, quoi qu’il en soit de tout cela,  une chose est certaine. Les apôtres qui avaient pris femme, ont, après avoir été appelés par le Christ, renoncé au devoir conjugal, comme saint Jérôme l’enseigne dans son livre 1 contre Jovinien.  Les paroles de saint Pierre en Matthieu, chapitre 10, le laissent assez clairement entendre : « Voilà que nous avons tout abandonné pour te suivre. »  Et  tout de suite après, le Seigneur explique ce que signifie tout abandonner : « Celui qui aura abandonné son père, sa mère ou son épouse. »
Au sujet du texte de saint Paul (1 Cor 9) : « N’avons-nous pas le droit d’être accompagné par une sœur épouse, comme les autres, les frères du Seigneur et Cephas ? », je dis que l’apôtre ne parle pas des épouses mais des pieuses femmes qui suivaient les apôtres, et les servaient,  comme elles avaient suivi Jésus.  C’est ainsi que presque tous les Grecs et les Latins l’entendent, comme Chrysostome, Theodoret, Oecumenius, Theophylactus, Ambroise, Haymo, et d’autres.   Et les mots grecs employés le font suffisamment comprendre.  Car il a dit : adelphèn gunaixa periagein, sans article. Car, s’il avait parlé d’une épouse, il aurait dit : tèn gunaixa, car une épouse est certainement une femme.  Ajoutons que Clément d’Alexandrie qui est un des anciens qui ont vu  dans ce mot les épouses des apôtres, ajoute au même endroit que même si elles étaient des épouses, elles avaient mis fin à tout devoir conjugal, et accompagnaient les apôtres non en tant qu’épouses, mais en tant que sœurs.
Se présente Pierre le martyr (chapitre 9 de la première aux Corinthiens). Il donne trois preuves pour démontrer que saint Paul parlait des épouses des apôtres.  La première.  Il n’aurait pas dit des sœurs femmes, mais des sœurs tout court, puisqu’une sœur est aussi une femme.  La deuxième.  Il n’aurait pas dit : le pouvoir d’amener une femme avec eux, ce qui indique une décision volontaire, mais il aurait dit que les femmes avaient coutume de les suivre, comme nous le lisons en Luc 3.   La troisième.  Si ces femmes avaient nourri les apôtres de leurs biens,  il serait faux que les apôtres recevaient du peuple ce dont ils avaient besoin pour vivre.  C’étaient donc les épouses qui suivaient les apôtres;  et ce ne sont pas elles qui les nourrissaient, mais qui étaient nourries par les dons des fidèles.
À la première je réponds qu’on les appelle sœurs femmes, comme dans les Actes ont dit hommes frères, si ce n’est que Paul, comme il arrive souvent, ait changé l’ordre normal et ait dit sœur femme pour femme sœur.  À la deuxième, je réponds que le pouvoir dont Paul parle ne fut pas sur les femmes, mais dans l’action de les amener avec eux, si elles voulaient bien les suivre, ou si les femmes pouvaient se le permettre.  Je dis donc que les apôtres avaient une autorité sur ces femmes, non celle de maris sur leurs femmes, mais de docteurs sur leurs disciples.  À la troisième, je dis que ou ces femmes n’étaient pas riches, et n’apportaient pas d’argent, mais ne faisaient que leur rendre toutes sortes de services, qu’elles recevaient, par exemple, l’argent que les gens donnaient aux apôtres.  Ou qu’elles étaient riches, et nourrissaient les apôtres de leurs deniers, mais qu’elles ne les accompagnaient pas toujours partout, et qu’alors les apôtres devaient être nourris par ceux qu’ils évangélisaient.  Ils étaient donc tantôt nourris par les femmes, tantôt par les gens du peuple.  Au sujet de l’épitre aux Philippiens 4,  je dis d’abord qu’il ne s’agit pas ici de la femme de Paul,  mais d’un homme que Paul appelle vrai compagnon, ou époux., ou mis sous le joug.  Suxugos signifie, en grec, celui qui porte le même joug. Il l’appelle porteur d’un même joug ou parce qu’il était le mari des femmes précédemment nommées, c’est-à-dire Évodia, ou Synthichès, comme le pensent saint Jean Chrysostome et Théophylactus, ou parce qu’il était son compagnon dans la prédication de l’évangile, comme l’enseignent Theodoret et Haymo,  ou c’est le nom propre d’un homme, comme le veut Oecumenius.
Quoi qu’il en soit, voici les raisons nous qui nous persuadent qu’il ne parle pas d’une épouse.  La première. Plusieurs anciens affirment que saint Paul n’a pas eu d’épouse, comme saint Jérôme dans son épitre à Eustochius sur la virginité, saint Hilaire (dans le psaume 127), saint Augustin, (dans le livre de la grâce et du libre arbitre, chapitre 4), Épiphane (hérésie 58 des Valésiens), saint Ambroise (chapitre de la première aux Corinthiens, et dans son exhortation aux vierges), Tertullien dans les deux livres à son épouse.  De même, saint Jean Chrysostome, Theodoret, et les autres anciens commentateurs de ce passage, excepté Clément d’Alexandrie.  La seconde.  Parce que, comme l’a noté Theophylactus,  s’il parlait d’une épouse, il ne dirait pas gnèsie, au masculin, mais gnèsia, au féminin. Il connaissait suffisamment bien le grec pour ne pas faire ce genre de fautes.   La troisième.  Parce que, comme le dit Oecumenius, il n’est pas croyable que la femme de saint Paul ait habité à Philippes, et pas plutôt en Judée, ou à Tarse, en Galicie, où était né Paul.    La quatrième.  Parce que, comme saint Ambroise l’a noté, Paul était adolescent quand il a été appelé par le Seigneur. Or, il n’est pas croyable qu’il ait eu une épouse à ce  temps-là, et il est certain qu’il n’en pas pris après.  La cinquième.  Parce que, comme l’a noté Thédoret, Paul (1 Corinth 7) se place parmi ceux qui n’ont pas de femme «  À ceux qui ne sont pas encore mariée et aux veufs, je dis qu’il est bon pour eux qu’ils demeurent ainsi, comme je le suis moi-même.  S’ils ne se contiennent pas, qu’ils se marient ! »  Or, cette épitre aux Corinthiens a été écrite avant l’épitre aux Philippiens, comme Theodoret le montre dans la préface de son commentaire sur les épitres de saint Paul.  Donc, ou saint Paul a pris femme après avoir écrit son épitre aux Corinthiens, ou il n’était pas marié quand il a écrit aux Phiilippiens.
Je dis, en deuxième lieu, que s’il était avéré que saint Paul parlait de son épouse, il est certain qu’il en était séparé quant aux actes conjugaux.  Car, que saint Paul ait vécu une vie de continent pendait qu’il prêchait l’évangile, saint Augustin  (dans le livre de la grâce et du libre arbitre, chapitre 4), le déduit  de la première épitre aux Corinthiens, chapitre 7.  Le cinquième argument et le dernier de Calvin  est tiré de l’histoire de Socrate (livre 1, chapitre 8) et de Sozomène, (livre 1, chapitre 22), où l’on raconte que quand le concile de Nicée voulait porter une loi qui n’aurait pas permis aux clercs de dormir avec leurs épouses, un certain Paphnutius s’est levé,  le concile entier s’est rangé à son avis, et laissa la continence au jugement de chacun.
Je réponds que cette décision peut être invoquée par les Grecs pour justifier leur coutume, mais que les luthériens ne peuvent pas le faire pour justifier leur erreur.  Car, l’un et l’autre auteur attestent que Paphnutius a ajouté qu’il lui semblerait bon que, selon les anciens canons, on interdise aux clercs de prendre femme après leur ordination, mais qu’on ne leur permette d’utiliser que celles qu’ils ont eues avant leur ordination.  Cela ne va-t-il pas contre les luthériens qui se marient après avoir reçu le sacerdoce ?  Mais ce témoignage de Sozomène  et de Socrate n’est pas d’un grand secours même pour l’erreur des Grecs.  Car, ou tout est faux de ce qu’on rapporte de Paphnutius, ou (à ce qu’il me semble) quelque chose de semblable arriva qu’ils n’ont pas bien raconté.  Les pères du concile voulurent peut-être imposer des peines graves aux clercs incontinents, tels qu’elles existaient alors, comme on peut le comprendre par Épiphane et Ambroise, aux endroits cités; et Paphnutius les aurait dissuadés de le faire.
Que ce concile ait statué que la continence était laissée au jugement de chacun, cela n’a aucune vraisemblance, et on ne doit pas prêter foi à ces auteurs.  D’abord, parce que l’histoire de Sozomène a été réprouvée par le pape saint Grégoire le grand (livre 6, épitre 31) « parce qu’il a dit plusieurs mensonges », dit le pape.  Pour ne pas parler du reste, Sozomène (livre 5, chapitre 21 de son histoire) raconte au moins trois gros mensonges.  Le premier.  Il était permis en son temps à quiconque de célébrer la pâque quand il le voulait, et l’église n’avait rien statué de précis là-dessus. Or, il appert que le concile de Nicée a statué que la fête de Pâque devait toujours être célébrée le premier dimanche après la quatorzième lune du premier mois.  De ce canon ont parlé Épiphane (hérésie 70) des Audiens, sain Ambroise (ivre 10, épitre 83), et Eusèbe dans la vie de Constantin.  Le deuxième.  Il dit que dans l’église romaine, on ne jeûne que trois semaines avant Pâques, et qu’on appelle quand même cela un carême.  Or, saint Léon qui vécut à la même époque que Sozomène, dit (au sermon 4) au sujet du carême, que les romains jeûnent quarante jours.  Et saint Grégoire dit la même chose dans son homélie 16 sur les évangiles.  Et c’est tout à fait certain.    Le troisième.  Il dit qu’à Rome on ne jeûne pas pendant les sabbats, alors que le contraire est certain.  Voir les lettres 86 et 118 de saint Augustin à Januarius.  Si Sozomène ment en racontant l’histoire de son temps, ou  rapporte pour certain ce qu’il ne sait pas,  de quelle crédibilité jouit  son histoire du concile de Nicée,  qui a été célébré au moins cent ans avant lui ?
De plus, cette histoire de Paphnutius milite clairement contre les paroles d’Épiphane (hérésie 59),  ou il dit être contre les canons ecclésiastiques qu’un prêtre ou un diacre élève des enfants.  Et contre les paroles de saint Jérôme (dans son livre contre Vigilance),  où il dit qu’en Orient et en Égypte, il n’est par permis aux prêtres et aux diacres d’user de leurs épouses.  Ce qui serait manifestement faux si le concile de Nicée, célébré peu avant en Orient, leur avait concédé le libre usage de leurs épouses.  Ou ce sont Épiphane et saint Jérôme qui mentent, ou ce sont Socrate et Sozomène.  Il est certain qu’on doit prêter davantage foi à des saints comme  saint Épiphane et  saint Jérôme, et qui furent plus proches du  temps du concile de Nicée, qu’à des hérétiques comme Sozomène et Socrate, qui vécurent plus longtemps après ce dit concile.
 Ensuite, comment ce récit de Paphnutius concorde-t-il avec le troisième canon du concile de Nicée, où il est défendu aux évêques, aux prêtres et aux diacres d’avoir dans leur maison d’autre femme que leur mère, leur sœur ou une tante ? Convaincu par cet argument, Luther (dans la première partie de son livre sur les conciles) dit que les pères du concile n’ont pas voulu suivre l’avis de Pahpnutius, même s’il a écrit le contraire après ailleurs.  Enfin, par quel miracle ni Ruffin, qui a écrit beaucoup de choses sur le concile de Nicée et sur Paphnutius, dans son histoire ecclésiastique, ni aucun autre parmi les anciens avant Socrate ne s’est  souvenu de cet épisode, et aucun témoignage d’une pareille décision n’existe dans les canon du concile lui-même ?  Ceux qui disent que Suidam qui rapporte la chose dans la vie de Paphnutius a vécu peu après l’époque de Constantin, mentent effrontément, car il a vécu quelques siècles après Socrate, et il écrivit aussi la vie de saint Jean Damascène.
                                                         CHAPITRE 21
                                  On réfute les objections de Philippe
Venons-en maintenant aux arguments de Philippe.   Le premier.  Le mariage est de droit divin (Genèse 1, «  croissez- et multipliez-vous » !). Il est aussi de droit naturel, comme le démontre le désir d’engendrer. Or, un droit divin et un droit naturel ne peuvent pas être enlevés par une loi humaine. Donc etc.   Et il le confirme de la façon suivante.  Car, comme personne ne peut s’interdire de manger, ou être empêché de se nourrir par quiconque,  car ce serait aller contre la loi naturelle de conservation de l’individu,  de la même manière personne ne peut  empêcher quelqu’un ou s’empêcher lui-même de prendre une épouse, car ce serait aller contre la loin naturelle de conservation de l’espèce.  Je réponds que la parole de Dieu n’émet par un précepte, mais exprime une institution de la nature.  Car Dieu a dit la même chose aux oiseaux et aux animaux, auxquels il ne peut pas donner de précepte. On pourrait concéder que l’institution du mariage est de précepte, mais qu’étant précepte positif, il n’oblige qu’en cas de nécessité, c’est-à-dire quand il y aurait un danger que l’espèce humaine s’éteigne. Ce qui répond en même temps à la confirmation. Car, comme on n’est obligé de manger que quand on est  en danger de perdre sa vie, on n’est obligé de se marier que quand l’espèce humaine risque de disparaître.
Après avoir réfléchi à ces choses, les pères expliquèrent que le ‘croissez et multipliez-vous ‘ n’était un précepte qui s’imposait à tous que quand la terre était inhabitée, comme au début du monde, ou après le déluge.  Maintenant que la terre est peuplée, il faut penser à remplir le ciel, ce qui se fait mieux en restant vierge qu’en se mariant.  Car, même si Philippe rit de cette explication,  elle ne vient pas moins de Tertullien (livre sur la monogamie, avant le milieu), de Cyprien (livre sur le vêtement des vierges), de saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien), et saint Augustin (la sainte virginité, chapitre 9).  Et c’est ce que ce texte enseigne.  Car après avoir dit : « croissez et multipliez-vous », il ajoute comme pour en donner le pourquoi : « Et remplissez la terre ! »  Ces paroles de Dieu n’ont donc valeur de précepte que quand la terre est vide,  De plus, si Philippe veut que ce soit divin et naturel, à toute époque, que les hommes soient tenus de se marier, il fait injure au Christ,  à saint Jean-Baptiste, à saint Jean l’évangéliste, à Élie,  et à une multitude de saints qui ont vécu sans femme.
Le deuxième argument.  L’apôtre prescrit à tous ceux qui n’ont pas le don de la continence de se marier ( 1 Cor 7) « À cause de la fornication, que chacun ait son épouse. »  Je réponds que l’apôtre parle des époux qui s’étaient mariés quand ils étaient encore païens, et qui se demandaient s’ils devaient continuer leurs relations sexuelles avec leurs épouses.  C’est à eux qu’il répond que chacun conserve sa femme, et lui rende les devoirs conjugaux.  C’est ainsi que l’expliquent Tertullien (dans son livre sur la monogamie), et saint Jérôme (dans son livre 1 contre Jovinien), comme on le voit par ce qui suit : « Je dis donc aux non mariés et aux veufs qu’il leur est bon de demeurer ainsi. »  Et : « Quand tu as perdu ton épouse, n’en recherche pas une autre ! »  Ajoutons qu’il ne s’agit pas là d’un commandement ou d’un précepte, mais plutôt d’un conseil ou une permission, comme cette phrase du même chapitre : « S’il ne se contient pas, qu’il se marie. Et si une vierge se marie, elle ne pèche pas. » Le vrai sens de l’apôtre est donc celui qui est donné par saint Jérôme (au même endroit), saint Jean Chrysostome, et saint Ambroise, et d’autres commentateurs de ce texte : il est bon de ne pas toucher à une femme, ou de ne pas se marier, ou de s’en abstenir, après le mariage, si elle y consent.  Mais, si vous craignez la fornication, ce sera une bonne chose pour vous de vous marier, car il vaut mieux être privé de la perfection qu’apporte la virginité que de tomber dans la fange de la fornication.
Ajoutons, en troisième lieu, que toutes ces choses là sont dites à ceux qui n’ont pas fait vœu de continence.  Car à ceux qui ont voué leur continence, on ne dit pas : « Que chacun ait son épouse, et si une vierge se marie, elle ne pèche pas. »  Mais on dit : « Rends au très-haut tes vœux. »  Et : « Ils ont la damnation, car ils rendirent vaine leur foi première. »  Saint Jérôme explique bien cette phrase dans son livre 1 contre Jovinien : « si elle se marie, elle ne pèche pas », ainsi que saint Jean Chrysostome, saint Épiphane (hérésie 61), saint Augustin (psaume 83), et saint Grégoire (livre 6, chapitre 1, des rois.)
Le troisième argument.  La loi pontificale qui a annexé le célibat au sacerdoce, est en opposition avec les conciles anciens.  Elle est donc mauvaise.  Quels sont donc ces conciles ?  Il n’en dit mot. C’est donc à nous de citer tout ce qu’il est possible de citer.  D’abord, le sixième canon des apôtres : « Un évêque ou un prêtre, après son ordination, ne s’adjoindra jamais une épouse propre. » Ensuite, le quatrième canon du concile de Gangre : « Celui qui se détourne d’un prêtre qui a une épouse, parce qu’il ne veut pas participer à l’oblation du sacrifice quand c’est ce prêtre qui célèbre, qu’il soit anathème ».   Le troisième canon du sixième synode qui réprouve la coutume de l’église romaine d’imposer la continence  à ceux qui sont initiés aux saints mystères.  Le quatrième, est le canon trois du cinquième concile de Carthage, qui statue que les évêques, les prêtres et les diacres doivent s’abstenir de leurs épouses, comme le disent les pères du concile Trullo dans le canons déjà cité.  Cinquièmement.  Le canon aliter, (dist 31). Le pape Étienne dit, dans ce canon, que dans l’église orientale, les ecclésiastiques ont des relations conjugales avec leurs épouses, sans blâmer leur coutume.  Est donc faux ce que  nous  disons souvent, à savoir que jamais on a entendu dire qu’il était permis de prendre femme après l’ordination. Enfin, le canon de saint Augustin (question 35, canon 1) : « L’Église, a ajouté à  ce que les apôtres avaient institué, certains conseils de perfection, comme celui de la continence des clercs. »  Ce conseil n’est donc pas un précepte.  C’est après tout ce qu’un peut tirer du droit canon qui semblerait favoriser les hérétiques.
Au premier, c’est le cardinal Hubert qui répond (dans son livre contre Nicéta), et cette réponse est présentée sous le nom du pape Léon 1X (dist. 31, canon omnino). Les apôtres ont ordonné que les clercs ne  laissent pas leurs épouses sans soin.  S’ils les laissaient et cessaient de cohabiter avec elles, ils devaient quand  même les nourrir, et leur procurer le nécessaire. C’est ce qu’explique le concile Trullo,  quand il dit que l’épouse d’un évêque doit demeurer dans un monastère, et qu’elle doit compter sur l’aide charitable de son mari.  On peut aussi citer le concile de Tours 2, chapitre 8.  Il dit que les évêques mariés doivent voir des sœurs dans leurs épouses, et prendre soin d’elles, sans prêter flanc à aucun soupçon de commerce charnel.  Ajoutons que ce canon nous est tout à fait favorable.  Car le mot grec que nous traduisons par religion (ou ordination) est eulabeias, qui signifie au sens propre caution.  Le sens est donc : que l’évêque ou le prêtre ne garde jamais près de lui son épouse, sous prétexte qu’il doit prendre soin d’elle, ce qui veut dire, qu’il ne cesse pas de prendre soin de son épouse, sous prétexte qu’il est tenu à la continence.
Je réponds au deuxième qu’anathème est dit à ceux qui, pensant que le mariage est mauvais en soi, et estiment à cause de cela qu’il n‘est pas permis de faire ces choses sacrées à quelqu’un qui a une femme, même s’il s’en abstient.  Que ce soit là le sens on le voit par ce même canon qui anathématise tous ceux qui pensent que le mariage est essentiellement mauvais,  et par le canon 4 qui ne parle pas de celui qui a une épouse, mais qui a eu une épouse.  À la troisième citation, je réponds que ces canons n’ont reçu l’approbation d’aucun concile.  Car le vrai sixième concile ne connait pas ces canons, comme nous le révèle le septième concile, actes 4 et 5.  Mais, après le sixième concile général, quelques évêques se sont rassemblés à Constantinople,  et dans le palais de l’empereur Justinien 11 appelé Trullo, éditèrent ces canons sous le nom du sixième concile général.  De plus, non seulement aucun pape n’a jamais approuvé ces canons, mais le pape Serge qui siégeait alors les a répudiés, comme l’écrit Bède le vénérable (dans son livres des six états, à Justinien) et Paul le diacre (dans son livre 8, chapitre 9 des choses romaines.  Bède appelle un synode erratique l’assemblée des évêques qui ont promulgué ces canons.   Ajoutons que même si ces canons valaient quelque chose, cela n’aiderait en rien la cause des Luthériens, car les pères du concile de Trullo ne permettent à aucun clerc de se marier après avoir reçu les ordres,--ce que font les luthériens--, mais seulement d’user de l’épouse qu’ils ont prise avant leur ordination, ce qu’ils ne permettent même pas aux évêques (canon 6, 12, 48).
À la quatrième citation je dis que ces paroles ne sont pas, telles quelles, les paroles du concile, mais qu’elles ont été rédigées d’après les statuts de conciles antérieurs, ou selon ses propres statuts, c’est-à-dire selon la loi édictée dans les conciles carthaginois antérieurs, et surtout dans le deuxième, canon 2.   Comprenant mal le sens des mots grecs,  « leurs propres épouses », même s’il était impossible de mal comprendre ces mots grecs, selon leur sens propre.  Mais comme ce concile était latin et non grec, ils n’ont pas fait grand effort pour comprendre la vraie signification des mots.  Dans ce concile, est prohibé l’usage de leurs épouses à tous les hommes sacrés, comme on le voit chez saint Augustin, qui assista lui-même à ce concile. (livre 2, chapitre 20. des conjoints adultérins), et aussi par le fait que ce canon parle de la même  manière des évêques et de tous les autres clercs. Or c’est aux seuls évêques que le concile de Trullo ne permet pas de s’unir avec leurs épouses.
À la cinquième, je dis que ce canon n’a probablement aucune autorité, car Gratien ne dit pas de quel chiffre était le Stéphane qui a édité ce canon, et il y a eu plusieurs papes de ce nom.  Or il ne nous est parvenu aucune épitre d’aucun Séphane qui contienne ce canon.  Je dis ensuite que sans aucun doute possible, quand l’auteur de ce canon affirme que les clercs orientaux ont des relations sexuelles avec leurs épouses, il ne veut pas dire qu’ils prennent femme, mais qu’ils exercent le droit conjugal, comme la glose l’explique.  Car, comme il appert de plusieurs conciles et de la pratique et de la confession des Grecs, qu’il n’a jamais été permis, et qu’il n’est pas permis non plus maintenant en Grèce, de se marier quand on exerce le ministère sacré, comme ce Stéphane le dit faussement.  À moins qu’il ait compris que quand nous disons s’unir en mariage, nous disons accomplir l’acte conjugal.  Néanmoins, même si l’église romaine n’approuve pas ces choses, et y voit un abus, elle le permet  aux Grecs.  Et s’il n’y avait pas d’autre erreur, la paix serait vite rétablie.
Je réponds à la dernière. Ces mots ne sont pas de saint Augustin, mais de Gratien qui a ajouté ces paroles à celles d’Augustin, comme cela lui arrivait souvent.  Le  vrai texte de saint  Augustin dans la cité de Dieu qu’on le découvre, livre 15, chapitre 16.  De plus, ce que dit Gratien n’est pas dépourvu de bon sens.  Quand il dit que l’Église a ajouté quelques conseils de perfection, dans lesquels il place  la continence des clercs, il veut dire que l’Église a imposé aux clercs la continence par un précepte, qui sans cela n’était qu’un conseil de perfection.  Car, il n’est pas  possible de penser que Gratien ait été si dénué d’intelligence qu’il ne puisse  comprendre que, avant que l’église en fasse un précepte, la continence était un conseil de perfection évangélique.
Pierre le martyr présente un autre canon (dans son livre sur le célibat et les vœux, et dans l’épitre 87 (85)  de saint Léon, où nous lisons : « Car, quand l’apôtre prescrit (parmi toutes les autres exigences) qu’un évêque soit l’homme d’une seule femme, cette prescription a toujours été si tenue sacrée  qu’en choisissant la femme d’un prêtre, on doit conserver la même exigence, pour que ne soit pas déjà mariée celle qui doit être l’unique épouse d’un évêque. »  De ce texte, le martyr déduit deux choses.  La première.  Peut devenir évêque non seulement celui qui a eu mais qui a une épouse. La deuxième. L’évêque peut prendre femme s’il n’est point marié. »  Oh quelle est grande l’impudence de cet homme !  Car, le même Léon dit (dans l’épitre 84 à Anastase, chapitres 3 et 4) qu »’un évêque peut être le mari d’une seule femme, à condition de s’en abstenir jusqu’à la mort ».  On lit dans certains exemplaires : l’élection de la femme d’un prêtre.  Voici ce qu’on devrait lire : le prêtre qui doit choisir une épouse.
Le quatrième argument de Philippe. La continence est une chose difficile, et n’est pas donnée à tous : « Tous ne comprennent pas cette parole, » Matt 19. On ne devait donc pas  l’imposer à tous les clercs indifféremment. Je réponds que comme le don de continence n’est pas donné à tous, personne, non plus, n’est obligé de devenir prêtre, mais seulement ceux qui semblent avoir ce don.  Mais, tu diras.  Qu’arrivera-t-il si quelqu’un pense avoir ce don, et découvre après son ordination qu’il ne l’a pas ?  Je réponds qu’ont le don de continence ceux qui veulent et désirer être continents.  Car, ceux à qui Dieu a donné le vouloir, il donnera aussi le parfaire.  Personne ne peut donc dire qu’il n’a pas le don qu’il pensait avoir, car cette volonté de continence pour Dieu est elle-même un don de Dieu.  Les époux eux-mêmes ne sont-ils pas souvent forcés de la pratiquer pour raison d’absence, de maladie ?  Il ne leur est pourtant pas permis d’user d’une autre épouse, quelque ardent que soit leur désir sexuel.  C’est cet exemple que présente saint Augustin (livre 2, chapitres 19 et 20 des époux adultérins) contre ceux qui prennent femme contre le droit, sous prétexte qu’ils ne peuvent pas se contenir.
Ajoutons que personne ne peut pas se contenir s’il le veut vraiment, comme l’enseignent les pères.  Tertullien (à la fin du livre sur la monogamie), saint Grégoire de Naziance (sermon 31), saint Basile (sur la virginité, passé le milieu), saint Jean Chrysostome et saint Jérôme, (chap 19 Matth), et saint Augustin (livre 6, chapitre 11, confessions).  Mais il ne faut pas négliger les remèdes nécessaires, qui sont au nombre de trois : la prière, le jeûne, la fuite des occasions.  Car la tentation de la chair provient soit d’une suggestion du démon, comme on le voit chez Antonin, Hilaire, Benoit et d’autres qui, vivant au désert dans des jeûnes perpétuels, étaient fortement tentés.  La prière, alors, leur était  nécessaire, parce que le démon est plus fort que nous, et que nous ne pouvons le vaincre qu’avec l’aide d’un plus fort que lui,  Dieu.  C’est pour cela que la Sagesse dit : « Personne ne peut être continent si Dieu ne le lui donne p »  La tentation de la chair peut provenir aussi d’un excès de nourriture et de breuvage.  Car, comme l’organisme accepte ce qui est nécessaire à la nutrition, le reste il le convertit en matière de génération. D’où naissent les prurits.
 Contre cette démangeaison, le jeûne est nécessaire, pour terrasser la superbe de la chair, ainsi que la modération dans le boire.  La tentation de la chair peut provenir d’un visage de femme, ou d’une conversation.  Car si les choses vues ou entendues plaisent à la nature, elles enflamment l’imagination, et l’imagination excite l’appétit.  Voilà pourquoi les conciles ont voté tant de lois interdisant la cohabitation avec des femmes. Voir là-dessus, saint Basile (chapite de sa constitution monastique).   Puisque les luthériens ont laissé tomber ces trois choses : la prière des heures canoniales, tous les jeûnes, et l’abstinence de la viande le vendredi, que chacun veut avoir chez lui une femme comme compagne de vie, comment s’étonner qu’ils ne puissent pas se contenir ?   C’est un fait bien connu que Luther dans chacun de ses repas et banquets s’empiffrait, et buvait une grande quantité de vin doux, comme l’atteste Jean Cochlaeus à la fin de sa vie de Luther.
Cinquième et dernier argument.   Il est faux que le célibat engendre ces choses, car un célibat qui engendre ces choses est un abus. Car, l’apôtre dit que les fruits du célibat sont penser aux choses d’en haut, d’être saint de corps et d’esprit, et de travailler pour Dieu sans arrêt.  Car, ce n’est pas l’usage mais l’abus du célibat qui engendre de fortes impulsions sexuelles.  S’il fallait rejeter les bonnes choses à cause de leur abus, il faudrait se défaire aussi du ciel et de la terre, car, quand on en abuse, on les prend pour dieux.  Il faudrait rejeter aussi le décalogue, et tous les sacrements, car beaucoup en abusent.  C’est ainsi que répond saint Grégoire de Naziance dans son discours sur Basile, non loin du début, à ceux qui exécraient la philosophie naturelle et les œuvres des Gentils, sous prétexte que quelques-uns en abusaient.  Nous n’admettons pas, cependant, qu’il y ait, parmi les ecclésiastiques, autant de concubins et d’impurs que le prétendent  les hérétiques, qui jugeant les autres d’après eux, pensent mensongèrement que nul n’est chaste.  Plusieurs prêtres, on peut en être sur, célèbrent quotidiennement qui n’ont jamais fait parlé d’eux en mal.
Après tous ces arguments, il faut répondre aussi à la récrimination de Philippe : « Les canons, autrefois, condamnaient les prêtres qui vivaient conjugalement avec une femme.  Vous les pendiez à des arbres. »  Je réponds d’abord qu’il ne fait que suivre ici Luther et les autres qui disent que les prêtres qui prenaient femme après avoir été ordonnés, étaient interdits d’office par la sentence d’anciens canons, et qu’ils devenaient des rebelles envers l’église et des contumaces, quand ils persistaient à exercer le ministère sacerdotal tout en couchant avec leurs femmes; et que c’était de plein droit que l’église les pendait à un arbre.  Je dis, de plus, que parmi les anciens canons, il y en  a qui sont sévères, et il y en d’autres qui sont moins exigeants.  Car, le concile de Néocésare, au canon  1, ordonne que soit écarté de son ordre un prêtre qui prend femme.  Le concile de Tolède 11, au canon 1, ordonne qu’un prêtre qui prend femme soit chassé de l’église en tantque coupable d’un sacrilège. Le concile de Tolède 8, au canon 6, ordonne que les hommes de ce genre soient relégués dans des monastères, et qu’ils y demeurent jusqu’à la fin de leur vie en s’imposant de lourdes pénitences.   Ajoutons à la fin que  les prêtres n’ont jamais été gravement punis parce qu’ils se mariaient, comme le dit Philippe, mais pour s’être mariés après un vœu solennel.   Ce n’étaient donc pas des épouses qu’ils prenaient, mais des concubines sous le nom d’épouses, polluant ainsi et le sacerdoce et le mariage.  À l’intempérance, ils ajoutent une hérésie quand ils disent qu’on ne doit pas observer les vœux.  Quoi d’étonnant qu’ils soient dignes d’être pendus à un arbre !
Ajoutons le témoignage de saint Jérôme (livre 1 contre Jovinien) : « Tu reconnaitras certainement que ne peut pas être évêque celui qui,  pendant le temps de son épiscopat, fait des enfants. S’il était dénoncé, on ne le regarderait pas comme un homme ordinaire, mais on le condamnerait comme un adultère. » Or, au temps de saint Jérôme, la peine ordinaire de l’adultère était le dernier supplice, comme nous le montre la lettre 49 de saint Jérôme, et le livre 1 contre Jovinien, où il dit : « À chaque jour le sang des adultères et des débauchés est répandu, et au milieu des lois, et des tribunaux, la libido enflammée  domine. »  Voilà pourquoi, selon les paroles mêmes de saint Jérôme, les évêques qui  ont la charge de leurs enfants, peuvent non seulement être suspendus de leurs fonctions, mais être punis de mort.
                                                         CHAPITRE 22
                              On réfute les arguments de magdebourgeois
Les magdebourgeois (centurie 9, chapitre 10, colonnes 540, 541, 542) ont ramassé dix arguments contre le célibat des clercs, tirés d’une lettre d’Uldéric, évêque d’Auguste, au pape Nicolas.  Mais, de ces dix arguments, neuf sont semblables à ceux de Calvin et de Philippe que nous venons tout juste de réfuter.  Il n’en reste donc qu’un seul a réfuter, lequel a été tiré d’un récit pitoyable.  Ce saint Uldéric décrit ainsi cette histoire : « Saint Grégoire 1, avait, par un de ses décrets, permis des femmes aux prêtres.   Quand, un peu après, le saint voulut qu’on prenne quelques poissons de sa piscine,  à la place des poissons, les pêcheurs retirèrent de l’eau six mille têtes d’enfants suffoqués.  Quand le pape Grégoire comprit que cette tuerie d’enfants était née de fornications occultes et d’adultères de prêtres, il révoqua incontinent le décret, et purgea son péché par de dignes pénitences. » Ce récit qui rend grandement odieuse la loi du célibat des clercs, les magdebourgeois l’ont toujours à la bouche (centurie 6, chapitre 7, colonnt 888, et chapitre 10, colonne 686.   Je réponds d’abord, si vaut quelque chose l’autorité de ce saint Uldéric, que ce récit oppresse plus les luthériens que nous.  Car, dans cette épique il est déclaré que le pontife romain est le chef de tous, et que tous lui doivent obéissance.  Il affirme aussi que le pontife doit contraindre les moines et les prêtres de ne prendre femme pour aucun motif, et qu’ils doivent se séparer de leurs épouses s’ils se marient après avoir prononcé  le voeu de continence.
Je dis ensuite que cette lettre semble avoir été fabriquée de toutes pièces, par un défenseur mal habile du mariage des ecclésiastiques. Et d’abord, les dates ne concordent pas.  Car, saint Ulderice est créé évêque en l’an du Seigneur 924, comme l’enseignent Hermanus Contractus et l’abbé d’uspurgensis, ou en l’an 903,  puisqu’on dit qu’elle a été écrite dans la chronique de l’église augustaine.  Or, le pape Nicolas mourut en l’an 867, comme l’a noté Onuphrius dans son livre sur les souverains pontifes. L’évêque Uldéric n’a donc pas pu écrire à un pape Nicolas qui était déjà décédé.  Ils diront peut être qu’il lui a écrit avant de devenir évêque.  Mais, au début de la lettre il se donne le titre d’évêque.  De plus, les auteurs s’entendent pour raconter que saint Uldéric a vécu pendant 83 ans, cinquante dans l’épiscopat, et trente avant.  Il s’ensuit donc qu’il est né dans l’année du Seigneur 870,  selon les uns, ou 891, selon les autres.   Donc, entre le décès de Nicolas et la naissance d’Uldéric, il y a au moins trois ans, et 24 selon d’autres. À moins d’avoir écrit avant sa naissance, ou après la mort du pape Nicolas,  cette épitre ne peut donc  pas avoir été écrite à Nicolas par Uldéric.
Ils répliqueront que ce n’est pas à Nicolas 1, mais à Nicolas 11 qu’a écrit Uldéric.  Mais cela a encore moins de chances de s’être produit.  Car, saint Uldéric mourut environ cent ans avant le début du pontificat de Nicolas 11, Uldéric étant mort en 953 ou 974, et c’est en 1059 que Nicolas 11 a été créé pape.   Ils diront peut être qu’il y eut deux évêques Uldéric augustins.  Car les magderbourgois (centurie 9, chapitre 10, colonne 540, ainsi que la centurie 10, chapitre 10,  col 602)  en situent un.  Mais ce premier Uldéric, ils l’ont inventé de toutes pièces, car ils n’ont pas d’autre preuve de son existence que cette épitre à Nicolas.   Car, Munster qui a énuméré dans son registre allemand,  tous les évêques d’Auguste, n’indique aucun Huldéric ou Uldéric avec l’Uldéric qui vécut au temps du pape Nicolas, comme nous l’avons montré plus haut.  De plus, à ce premier Ultéric inventé à eux, ils ne donnent aucune patrie, aucun parent.  Ils ne citent non plus aucun auteur en mesure d’attester son épiscopat, comme ils le font dans les cas des autres.
De plus, ce qu’il raconte au sujet du pape saint Grégoire qu’ll aurait émis un décret autorisant les prêtres à avoir une épouse, est faux,  et  est plus faux encore, qu’il aurait rescindé ce décret par la suite.  Qu’on ait trouvé six mille têtes dans la piscine de saint Grégoire est tout à fait faux, car, dans toutes les œuvres de saint Grégoire, il  n’existe aucun vestige de ces choses.  De plus, (dans la lettre 1, épitre 42),  il se souvient d’un décret de son prédécesseur, qui ordonnait aux diacres de se séparer de leurs femmes, et de vivre en célibataires, comme vivaient les autres sous-diacres dans toute l’église. Et il tempère au même endroit la rigueur du décret.  Car il ordonne de permettre les femmes aux diacres qui les avaient mariées avant l’ordination, mais de ne pas en ordonner d’autres avant qu’ils vouent la continence.  Il ne statua donc rien de nouveau, mais il ne fit qu’adoucir la rigueur la rigueur de la sentence de son prédécesseur.
De plus, si c’est du décret de Nicolas qu’est né ce carnage de six mille enfants, c’est surement en Sicile qu’il est né, puisque le décrit de Grégoire ne portait que sur la Sicile.  Comment est-il donc vraisemblable que si peu de sous-diacres aient engendré six mille enfants,  en si peu de temps ?  Et comment ces six mille têtes siciliennes ont-elle fait le saut jusqu’à la piscine du pape Grégoire ?  Comment a-t-on pu immédiatement comprendre que ces têtes étaient celles de fils de clercs, non de laïcs ?  Et pourquoi cette si admirable histoire n’a-t-elle pas  été racontée par Jean le diacre, Bède le vénérable, Sigebert, Adon, Freculphus, et d’autres ? Ce n’est donc pas sans raison que Staphilus ait soupçonné que cette histoire ait été composée sous le nom d’Uldéric en réponse à des dissensions fictives, qu’Illyricus accuse faussement les chrétiens d’avoir entre eux.  Il ajoute même que, parmi les œuvres d’Uldéric, on ne trouve aucun mot de cet étrange récit.  Au sujet de toute cette dispute, voir Mithaël Medina, dans ces cinq livres sur la continence des hommes sacrés, Claude Espenceus, (dans ses livres sur le même sujet), Jodocus Clictovaeus, (dans son livre sur le célibat des prêtres), Hosius (dans son dialogue sur ce sujet), Ajala (sur les traditions, troisième partie), Didace Payvam (dernier livre), Jean Cochlaeus (sur les vœux contre Calvin),  Alphonse a Castro (livre 13 sur les hérésies, la parole du prêtre, hérésie 4), Albert Pighius (controverse 15).  Voir aussi  la solution des autres arguments que l’on peut aussi trouver dans le livre 2, les moines, chapitre 29 et suivants.
                                                       CHAPITRE 23
                                                       De la bigamie
Il reste une dernière question.  Est-ce que, par la loi apostolique, il interdit à celui qui s’est remarié après la mort de sa femme, d’être admis aux ordres sacrés ?  Toute la controverse porte sur l’interprétation des paroles suivantes de saint Paul : « Il faut qu’un épiscope soit non répréhensible, un mari d’une seule femme. » Et de ces autres : « Que les diacres soient des maris d’une seule femme ! »  On trouve trois explications principales de ces passages.
La première est celle de Luther (dans son livre se la captivité de Babylone, chapitre du sacrement de l’ordre, et plus longuement dans les propositions sur la bigamie des évêques).  Il y enseigne que, par ces paroles, saint Paul n’a prohibé que la fornication et les adultères; et que le sens est : il faut qu’un évêque  se contente de sa seule épouse légitime, qu’il n’en ait qu’une ou plusieurs, et ne pas être adultère. De sorte que le mot homme ne signifie pas mari, mais quelque chose qui est commun à un mari et à un adultère.  Et il ajoute que non seulement saint Paul n’interdit pas la pluralité successive des épouses, mais même la simultanée, à moins peut-être que cela ne scandalise les Gentils.   Comme les Juifs avaient la coutume d’épouser plusieurs femmes,  Luther ne voit pas qu’il soit interdit à des évêques d’avoir simultanément  plusieurs femmes.
L’autre opinion est de ceux qui pensent  que c’est seulement la pluralité simultanée des femmes qui est interdite et non la pluralité successive.  C’est ce qu’enseignent les magdebourgeois, même s’ils sont par ailleurs de rigides luthériens (centurie 1, livre 1, chapitre 4, col 451, et 452.  Calvin enseigne la même chose au chapitre 3 de la première épitre à Timothée, et au début de la première lettre à Tite.
La troisième opinion est celle de l’église catholique, qui a toujours compris les paroles de saint Paul comme interdisant les saints ordres à ceux qui, d’une manière ou d’un autre, sont bigames. On peut prouver cette interprétation par trois arguments.  Le premier.  Nous lisons sur les veuves (chapitre 5 de la première épitre à Timothée) : « On ne choisit qu’ une veuve en haut de soixante ans, qui n’a été l’épouse que d’un seul homme. »  Cette phrase de saint Paul réfute l’interprétation de Luther, car, on dit dans la même phrase  épouse d’un seul homme et mari d’une seule femme.   Il est certain que cette épouse d’un seul homme  ne peut pas signifier  que la veuve ne soit ni adultère ni putain.  Car le mot employé  par saint Paul ne se dit qu’au masculin, et ne peut pas valoir pour une femme. De plus, l’abstention de l’adultère et de la fornication n’est pas requise chez l femme uniquement tant que son mari est vivant, mais même après quand elle est devenue veuve.  Et cependant, dans ce passage, saint Paul  ne parle que du temps où le mari de la veuve était en vie, car on ne peut dire qu’elle a été la femme d’un seul homme que quand son mari était encore vivant.  Donc, par ces paroles : qui a été la femme d’un seul homme, il ne peut pas vouloir dire   qu’il faut choisir une veuve qui n’est ni une putain ni une adultère, mais qui n’a eu qu’un seul mari.
Et ce même passage réfute également l’interprétation des centuriates, de Calvin, de Pomérien et des autres qui veulent que saint Paul ait interdit aux évêques et aux diacres d’avoir simultanément deux épouses.  Car, comme nous l’avons déjà dit, dans la même phrase, dans la même  épitre, le même apôtre ordonne à un évêque d’être le mari d’une seule femme, et à une veuve de n’être l’épouse que d’un seul mari.  Et rien ne nous permet de dire que l’apôtre ait voulu ordonner qu’on n’élise pas une femme qui a eu plusieurs maris simultanément.  Car, cela saint Paul l’aurait interdit pour rien  car jamais n’exista la coutume voulant qu’une femme soit l’épouse de plusieurs hommes.   Les Juifs ont eu plusieurs épouses, comme aujourd’hui les Turcs, mais on n’a jamais entendu dire qu’une femme ait eu plusieurs maris.  Car, comme le dit saint Augustin (dans la doctrine chrétienne, chapitre 12), la raison pour laquelle un homme avait plusieurs femmes c’est pour que naissent plusieurs fils.  Mais il n’existait pas de raison qui expliquât pourquoi la femme aurait eu plusieurs maris, car la femme n’enfante qu’une fois l’an, qu’elle ait un seul époux ou qu’elle en ait cent.   Les putains, elles, n’ont habituellement aucun enfant.
On tire l’autre raison du temps où saint Paul a écrit cette lettre.  Car, en ce temps, ce n’était la coutume ni chez les Juifs, ni chez les Gentils, encore moins chez les chrétiens, qu’un homme ait simultanément deux femmes.  Ce qui ne se faisait pas ne pouvait donc pas avoir été interdit aussi sérieusement.  Et, en ce qui a trait aux Gentils, il est assez connu que dans l’empire romain la polygamie a toujours été considérée comme infâme, et prohibée. Voir dans le code romain, première loi,  les choses qui sont notées d’infamie.  De même, dans les noces incestueuses,  (L neminem, et Juliam, de adulteris, L, eum qui). Même si ces lois sont un peu postérieures aux temps apostoliques, elles indiquent cependant, que la prohibition de la polygamie est beaucoup plus ancienne.   Le premier qui, par une loi publique, permit la polygamie, ou le mariage de plusieurs femmes simultanément,  fut Valentinien senior, comme Socrate le rapporte  (livre 4, chapitre 26).  Mais, cette loi ne dura pas longtemps, parce que l’empereur n’eut pas d’autre raison pour porter cette loi  que couvrir son intempérance d’un voile de légalité.
En ce qui a trait aux chrétiens, et même aux Juifs, il est facile de voir par le nouveau testament que n’exista pas, chez eux cette coutume d’avoir deux épouses, car c’est toujours au singulier qu’on parle d’un conjoint dans l’Écriture. Mathi 5 : « Celui qui renvoie son épouse » Chapitre 19 : « S’il est permis à un homme de renvoyer sa femme ». Et ailleurs : « Tous ceux qui abandonneront une maison, des champs, un père, une mère ou une épouse. » Luc 14. « Celui qui ne hait pas son père, sa mère, sa femme, et ses fils. » Corinth : « Que chacun ait son épouse. »  De même : « Si tu es lié à une épouse, ne cherche pas à t’en dégager. Si ta femme meurt, ne cherche pas à en prendre une autre. »  Éphésiens 5 : « Que chacun aime son épouse comme soi-même.»   Nous lisons dans Luc 1, que Zacharie n’a pas cherché une autre épouse, bien que son épouse Élisabeth soit restée stérile jusqu’à sa vieillesse. C’est certainement ce qu’il aurait fait, si la chose avait été permise à l’époque.  L’historien Joseph écrit (dans le livre 17, chapitre 2 des antiquités) qu’Hérode eut neuf femmes, alors qu’à cette époque, les Juifs avaient cessé d’avoir plusieurs femmes.
La troisième raison est l’autorité des pères.  Ce texte sur la monogamie, ils l’ont toujours compris au sens suivant.  Il n’est pas permis de créer épiscope ou diacre  quiconque  a deux femmes, même à des époques différentes.  Tertullien ( à se femme) : « À quel point les secondes noces détournent de la foi, sont un obstacle à la sainteté, la discipline de l’église et la prohibition de l’apôtre le montrent, quand l’apôtre ne permet pas aux bigames de présider, quand il n’appelle à l’ordination que les veuves d’un seul mari. »  On ne peut douter que par bigames il entende ceux qui ont eu deux épouses non ensemble, mais l’une après l’autre. Car il exhorte son épouse de ne pas entrer en secondes noces après son décès.  Il dit la même chose dans le livre sur la monogamie, et dans son livre sur l’exhortation à la chasteté.  IL ne faut pas nous objecter  que le même Tertullien, dans son livre sur la monogamie, parle ainsi de la bigamie des prêtres : « Combien venant de la bigamie  président chez vous ? »  Car, ou certains bigames présidaient par dispense, ou d’autres qui avaient une autre épouse avant le baptême, lesquels, selon l’opinion de plusieurs, n’étaient pas bigames, même s’ils étaient considérés comme tels par ceux auprès de qui vivait Tertullien. Ou  cela s’est produit pour cause de vice ou d’abus, car nous ne prétendons pas que n’est jamais arrivé ce qui ne devait pas arrivé.
Épiphane (hérésie 59 des Cathares) : « Les choses se rapportant au sacerdoce qui sont ont été transmises, sont considérées par tous, en raison de la sublimité de la célébration des saints mystères, comme équitablement statuées, à savoir qu’un épiscope doit être non répréhensible, homme d’une seule femme, et continent, ainsi que le diacre et le prêtre.  En vérité, la sainte prédication de Dieu, après l’avènement du Christ, ne choisit pas ceux qui se sont remariés après la mort de leurs épouses, à cause du grand honneur et la dignité du sacerdoce.  Et cette prescription la sainte Église de Dieu l’observe fidèlement. »  On parle dans ce texte de bigamie successive. Ceux qu’il appelle bigames ce sont donc ceux qui se remarient après la mort de leur première épouse.  Il reproche aussi aux Cathares d’interdire les deuxièmes noces aux laïcs, à cause de ce texte de saint Paul.  Saint Ambroise (livre 10, épitre 82 à l’Église vercellens) commente ce texte ainsi : « Celui qui se marie une deuxième fois ne contracte pas de péché, mais perd son droit à la prêtrise. »  Il rejette là clairement l’opinion de Luther et de Calvin qui veulent que l’apôtre ait prohibé ou deux épouses simultanées, ou des adultères.   Car, ceux qui sont de cet avis, incriminent un second mariage au lieu de le voir comme un obstacle au sacerdoce.  Saint Ambroise dit des choses semblables (livre 1, dernier chapitre, les devoirs,  sur la dignité du sacerdoce, chapitre 4).
Saint Jérôme (dans sn commentaire du premier chapitre de l’épitre à Tite), voit dans un homme d’une seule femme un monogame. Que par ce mot on entende quelqu’un qui n’a pas eu  deux femmes, ni simultanément ni successivement, les mots suivants le font comprendre : « Ce que l’apôtre a prescrit aux épiscopes et aux presbytes, il ne l’a pas interdit aux autres, non parce qu’il les encourage à se remarier, mais parce qu’il tient compte des besoins charnels.» Or, il est certain que l’apôtre n’encourage pas les laïcs à forniquer ou à avoir deux femmes en même temps.  Ce qu’il leur permet, c’est de se remarier après la mort de leur première épouse.  Le remariage, c’est donc cela qu’il interdit aux évêques et aux prêtres.  Saint Augustin (livre du bien conjugal, chapitre 18) : « Il n’est pas absurde de penser que celui qui a eu plus d’une femme n’a pas commis de péché.  Ce qu’il a perdu ne se rapporte pas au mérite d’une bonne vie, mais à ce qui est nécessaire à une ordination ecclésiastique. »
Quand il dit qu’avoir plus qu’une seule femme n’est pas un péché, mais un empêchement à l’ordination, il indique clairement qu’il parle de deux femmes possédées l’une après l’autre, et non en même temps. Car, il n’est permis à aucun chrétien d’avoir deux femmes en même temps. Voici ce que dit saint Augustin à ce sujet. Commentant « le mari d’une seule femme » (livre 20, chapitre 47, contre Faust) : « Quel crime y a-t-il à ce que vous ayez plusieurs femmes, comme le saint Jacob ?   Si tu considères la nature, ce n’était pas pour satisfaire ses passions, mais pour engendrer des enfants qu’il usa des autres femmes. Si tu considères les mœurs de cette époque, tu verras que c’était alors une chose permise qui n’était interdite par aucune loi.  Pourquoi est-ce maintenant un crime si quelqu’un le fait? C’est parce que ni les mœurs ni les lois ne le permettent». Il dit la même chose dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 7, et dans son livre sur la doctrine chrétienne, chapitre douzième.
Saint Jean Chrysostome (homélie, épitre à Tite) : « Il châtie, par le fait même, les impudiques, en ne leur permettant pas de secondes noces, s’ils veulent le gouvernement de l’église ou la dignité de pasteur. Car celui qui est convaincu de n’avoir conservé aucune bienveillance à son épouse défunte, comment pourrait-il devenir un excellent précepteur de l’Église ? Vous savez tous très bien que même si les lois permettent les secondes noces, c’est un motif d’accusation pour beaucoup. Un  évêque ne voudra certainement donner aucun sujet d’accusation à ses ouailles ».  Il explique clairement que ce que saint Paul entend par un homme d’une seule femme, c’est un homme qui ne se remarie pas après la mort de sa femme.  C’est ainsi d’ailleurs que l’expliquent les Grecs, comme Theophylactus et Oecumenuis, ainsi que les latins, comme Sedulius, Anselme, Primasius, Aymo, saint Thomas, et les autres commentateurs de ce passage.
C’est ainsi également qu’ont enseigné les anciens écrivains, les saints pontifes, Syricius (épitre 1, chapitre 11 à Héméricus, saint Léon 1 ( dans son épitre 85 aux évêques d’Afrique, chapitre 1, Gelasius (épitre 1, aux évêques de Lucanie, de Brutius et de Sicile, chapitre 5), saint Hilaire (dans le concile romain), saint Innocent( épitre 22).  Parmi tous ceux que j’ai pu lire, il en est un, Theodoret, qui « par un homme d’une seule femme » entend quelqu’un qui n’a pas en même temps deux ou plusieurs femmes.  C’est ainsi qu’il s’exprime dans son commentaire de l’épitre à Timothée, chapitre 3.  Mais, son autorité n’est pas assez grande  pour prévaloir sur l’enseignement unanime de tant de grands pères et  saints pontifes.
La quatrième et dernière preuve est la coutume de l’Église.   Car, comme le pape saint Innocent 1 l’écrit (lettre 22, chapitre 1),  l’orient et l’Occident ont toujours observé la règle de ne pas ordonner de bigames, loi qui vaut encore aujourd’hui.  Que cela ait toujours été observé on peut le lire dans une lettre  de saint Léon (88 aux africains) où il dit que cette coutume a toujours été en vigueur.. On peut aussi le voir dans la mention qui en est faite dans les canons des apôtres, canons 17 et 18, et dans les plus anciens conciles, comme celui de Néocésarée, de Nicée, 1, comme le témoigne saint Ambroise, dans son épitre 82.   Que cela ait toujours été observé, nous le montre le décret de Gratien (dist 26, et les volumes des décrétales, au titre de bigames.  On y donne là beaucoup de témoignages de pontifes et de pères de tous âges.  Ce qui a été observé toujours et partout descend sans aucun doute possible d’une tradition apostolique.
                                                           CHAPITRE 24
                                           On réfute les objections de Luther
Le premier.  L’apôtre ordonne de choisir un épiscope non répréhensible, qui soit, comme il l’écrit à Tite, sans crime, ce qui se dit en grec anegèlètos.  On appelle ainsi quelqu’un qui ne peut être convaincu d’aucun crime.  L’apôtre explique ensuite quels sont les crimes qu’un épiscope doit se garder de commettre.  Et il dit : homme d’une seule femme, ayant des fils fidèles.  Donc l’homme d’une seule femme ne signifie pas la monogamie, qui s’oppose à la polygamie de plusieurs épouses successives, laquelle ne fut jamais un crime, mais une opposition à l‘adultère et à la fornication,  qui sont de vrais crimes.   Je réponds que par ce nom de crime on n’entend pas seulement le péché, mais tout ce que les hommes ont l’habitude de réprouver.  Car, ce ne sont pas seulement les péchés qui sont condamnés, mais aussi les choses qui sont un signe d’incontinence ou d’un autre vice. Que la bigamie, quelle qu’elle puisse être,   soit quelque chose de tel, cela est certain. Voilà pourquoi dans le concile de Néocésarée, canon 7, on interdit aux prêtres de participer aux noces des bigames.
 Et mêmes chez les Gentils, les bigames ne pouvaient pas être prêtres, comme Tertullien le rapporte (livre 1 à son épouse) et Servius dans le vers 3 des Anéides : « À cette seule faute j’ai peut-être pu succomber, la faute contre un rite antique qui interdisait aux prêtres de se remarier. »  L’apôtre veut donc que l’épiscope ne puisse être accusé d’aucune chose qui est mal vue par les hommes, et c’est pour cela qu’il lui ordonne   de n’avoir qu’une femme. Saint Jean Chrysostome explique ce passage ainsi.   Nous pouvons, cependant, par le nom de crime, entendre un péché grave ou mortel, comme le veut saint Augustin (traité 41 à Jean, et livre 1 contre les deux épitres des pélagiens, chapitre 14).  Mais si nous entendons ainsi le mot crime, nous ne devons pas entendre les paroles suivantes de saint Paul comme si elles expliquaient, par elles-mêmes ce que c’est qu’être non répréhensible, ou sans crime.  Mais d’après ce que ces paroles signifient, à savoir que l’évêque non seulement ne doit pas être sans crime, mais doit être doté de plusieurs dons, comme la monogamie, la sobriété, la doctrine.
La seconde objection.  Si l’évêque devait être monogame, la raison serait soit morale, comme pour une plus grande continence,  ou spirituelle et mystique, pour signifier le mariage du Christ avec son église. Mais on ne peut dire ni  l’une  ni l’autre. Car, si la raison était d’ordre moral, on requerrait encore plus de lui, qu’il ne soit pas adultère, ou concubinaire, plutôt que bigame.  Et pourtant, on voit que les adultères et les concubins ne sont pas rejetés du sacerdoce, et que les bigames le sont.  Si la raison était d’ordre mystique, beaucoup d’absurdités s’ensuivraient.  Car, d’abord les autres  qualités des évêques énumérées par saint Paul, sont toutes morales, comme la sobriété, l’hospitalité, la doctrine et le reste.  Pourquoi ne serait-elle pas morale aussi  cette prescription : « un homme d »une seule femme. »  Ensuite, si un évêque doit être monogame parce que son mariage signifie  le mariage du Christ avec son église, les laïcs doivent eux aussi être monogames, car leur mariage signifie aussi le mariage du Christ avec son église. Troisièmement. Si c’est cela la raison, les évêques doivent donc épouser une vierge, et la conserver toujours vierge.  Car, c’est ce que fait le Christ.  Quatrièmement.   L’évêque devra répudier la première pour adhérer à la postérieure.  Car, après avoir répudié la Synagogue, le Christ a adhéré à son Église, en tant qu’évêque.  Pour imiter le Christ, il ne doit donc  pas être monogame, mais bigame.  Cinquièmement.  L’épiscope doit toujours avoir une épouse, et il ne peut jamais en aucun temps en être privé, car le Christ n’est jamais privé de son église.
Je réponds que la raison pour laquelle les évêques, les prêtres et les diacres doivent être monogames, est en partie morale, et en partie mystique.   Même si les pères ont fourni un grand nombre de raisons,  elles se ramènent toutes aux deux qui sont présentes dans l’argument des adversaires. Une est morale, un moindre soupçon d’incontinence, on une continence plus grande. C’est cette raison que donne Tertullien dans les textes cités, et saint Jean Chrysostome dans son commentaire de saint Paul.  Ainsi qu’Épiphane ( hérésie 59), quand il dit qu’un «  évêque doit être un monogame en raison de la sublimité du sacerdoce ».  Et même celle d’Ambroise (livre 1, dernier chapitre, des devoirs) où il dit « qu’un évêque doit être monogame pour qu’il puisse plus facilement exhorter les hommes à la continence. » L’autre cause est mystique, c’est-à-dire le signe parfait du mariage du Christ avec son église, qu’il considère comme son épouse, mais non parfaite autant que celle de celui qui n’a eu qu’une épouse.  Car cela ne signifie pas que Le christ est l’époux d’une seule église au point qu’il n’en a pas eu d’autre.
Tu diras alors, il pèche donc celui qui prend une seconde femme, parce qu’il signifie par là que le Christ est l’époux de plusieurs églises ?   Je réponds que cette conclusion ne s’impose pas.   Car les secondes noces n’ont pas été instituées pour signifier que le Christ a été deux fois mari.  Elles ne signifient donc pas cela,  bien qu’elles ne signifient pas non plus qu’il est le mari d’une épouse au point de ne pas pouvoir en avoir d’autre. Mais tout  simplement  l’union avec celle qui est présente, quoi qu’il en ait été du passé. Les noces de bigames ne signifient donc rien de faux, mais leur fait défaut la perfection de la signification qu’ont les noces des monogames.  C’est cette raison que donne saint Augustin (dans son livre sur le bien conjugal, chapitre 18, et saint Léon (dans son épitre 88 aux Africains), et  Épiphane.
 Répondons, maintenant, à chacune des parties de l’objection. Si la raison est morale, disent-ils, on devrait  interdire l’adultère et le concubinage bien avant la bigamie. Je réponds que ces choses sont déjà prohibées, car il n’a pas voulu que soient élus des adultères et des concubins celui qui a ordonné d’élire des hommes sans crime, irrépréhensibles, sobres, chastes etc. Car c’est pour une seule raison que ces choses sont interdites, tandis que c’est pour deux raison que la  bigamie est prohibée.  Il appert clairement que la première raison n’est pas d’ordre moral (signe d’incontinence) mais mystique, du fait qu’étaient considérés comme bigames ceux qui n’avaient eu qu’une seule femme, mais veuve, ou corrompue d’une autre façon, comme nous le montrent les canons des apôtres, le concile de Néocésarée, saint Innocent, saint Léon et les autres.  On peut aussi ajouter que le concubinage était plus honteux que la bigamie, mais que la bigamie, de par sa nature, est un signe d’incontinence plus prolongée, et plus profondément incrustée.
Je réponds à l’autre partie que c’est avec raison que la monogamie est énumérée avec les autres dons moraux, et parce qu’elle est elle-même une dote morale, et parce que rien n’empêche de compter une dote mystique avec les morales, puisqu’elles sont toutes nécessaires à l’évêque..À la deuxième. Nous nions que s’ensuive nécessairement que les laïcs doivent eux aussi être monogames, car il n’est pas nécessaire que les laïcs soient investis de la perfection que doivent posséder les évêques.  Il suffit donc au mariage des laïcs de signifier le mariage du Christ avec son église, même s’il ne signifie pas le mariage de l’un avec une. À la troisième, nous nions qu’il s’ensuive nécessairement qu’un évêque doive  conserver toujours vierge son épouse.  Car l’épouse du Christ, l’église, a deux privilèges.  Elle est vierge (2 Corinthiens 11) : « Je vous ai marié à un seul époux, le Christ, comme une vierge chaste ». Mais elle est en même temps féconde, et elle enfante chaque jour plusieurs enfants par le bain de la régénération. Ces deux privilèges, aucun mariage humaine ne peut les représenter les deux à la fois, à l’exception de celui de Marie et de Joseph. Il suffit donc  que le mariage de l’évêque signifie l’un des deux, ou la fécondité de l’église, s’il a des enfants d’une épouse, ou la virginité, s’il conserve son épouse vierge, comme l’ont fait quelques saints.
À la quatrième, nous nions que le Christ ait jamais répudié une épouse pour en prendre une autre, car le Christ, comme homme, n’a jamais eu qu’une seule épouse, l’église catholique,, qu’il a formée de son côté percé, comme Adam qui reçu une épouse qui avait été tirée de son côté.  Le même Christ, en tant que Dieu, a répudié la synagogue, parce que les Juifs, en ce temps, sont sans Dieu, et parce que saint Paul (Galates 4) applique au nouveau  testament ce qui est dit en Genèse 21 : « Chasse la servante et son fils. »  Mais, pour dire la vérité, l’église de l’ancien testament le Christ ne l’a pas répudiée mais rénovée et embellie, et en a fait d’une servante une épouse. Et c’est de cette façon qu’ll a rejeté sa servante ou son esclave, en en rejetant l’état de servitude.  C’est comme si quelqu’un épousait une servante ou une esclave, et la rendait libre après un certain temps. Voilà ce que saint Paul dit aux Romains : « Dieu a-t-il répudié son peuple ? Loin de moi cette pensée !  Car, je suis moi-même un Israélite.  Car Dieu n’a pas répudié son peuple qu’il avait connu d’avance.  C’est donc seulement une partie, celle des Juifs obstinés qui a été écartée de l’unité de la vraie synagogue.  Les autres sont demeurés, et c’est par eux que s’est continué le mariage du Christ avec l’église.
À la  cinquième, nous nions qu’un évêque doit nécessairement avoir toujours une épouse.  Et nous disons même qu’il lui serait préférable de n’en avoir jamais.  Car comme le Christ est vierge et mari, si l’évêque n’a pas d’épouse, il représente le Christ vierge.  S il a une épouse, il représente le mariage du Christ.   Donc, la monogamie est requise dans un évêque, s’il est marié, non absolument parlant.
La troisième objection.  Saint Paul a dit (1 Timothée 3) : qu’un évêque doit être l’homme d’une seule femme.  Cela ressemble à ce qu’il a dit à 1 Corinthiens 7 : «Que chacun ait son épouse. »  Et dans les dernières paroles, il  n’interdit pas les secondes noces, mais l’adultère et la fornication.  Je réponds que la proposition de Luther doit être prouvée par un argument.  Ces deux phrases ne sont pas du tout semblables.   Car, dans la première est déterminé le nombre de mariages, quand on parle d’une seule femme; dans l’autre, on ne le détermine pas.  Car, chacun aura une épouse légitime, même si ce n’est pas la première, mais une deuxième.
 Luther insiste, et prouve que ces deux phrases sont semblables.   Car saint Paul (dans 1 Timothée 3) dit : « que les diacres soient les hommes d’une seule femme. »  Ce d’une seule ne peut pas ne peut pas déterminer un nombre,  autrement le sens serait que tous les diacres auraient en commun  la même femme. Le mot un est donc pris au sens de seul.   Et le sens serait le suivant : que les diacres soient d’une seule femme, non de plusieurs femmes.  Mais cette objection est indigne. Quel besoin y a-t-il d’y répondre ?  Car qui ne comprend pas que cette phrase (hommes d’une seule femme) signifie qu’on doit les prendrer séparément, et non ensemble ?  Le sens est donc «  qu’un diacre soit le mari d’une seule femme ! »
La quatrième objection.  L’apôtre Paul (1 Corinthiens 7) se place dans le groupe des veufs, et, cependant, aux   1 Corinthiens 9, il ajoute : « N’avons-nous pas le droit d’emmener avec nous une sœur épouse, comme les apôtres, les frères du Seigneur et Céphas ?   Saint Paul pouvait donc, même s’il était veuf, prendre femme.  Comment aurait-il pu emmener avec lui une sœur épouse  s’il n’avait pas pu d’abord l’épouser » ?  Je dis que cet argument cloche de plusieurs façons.  D’abord, saint Paul ne se compte pas parmi les veufs, mais parmi ceux qui sont privés de femmes, soit qu’il en ait déjà eue une, soit qu’il l’ait perdue : « Je dis à ceux qui ne sont pas mariée et aux veufs qu’il est bon qu’ils demeurent ainsi »  Ensuite, saint Paul parle d’une épouse sœur, comme nous l’avons expliqué plus haut.
La cinquième objection.   Paul aurait pu s’il l’avait voulu, dire ouvertement qu’un évêque doit être monogame, Mais quand il dit : un homme d’une seule femme il veut obliger les lecteurs à comprendre qu’il parle non de la singularité des noces, comme le veut le mot monogamie, mais de la singularité de la femme : un homme d’une seule femme.   Il n’interdit donc pas à l’évêque les secondes noces,  mais des relations sexuelles avec d’autres femmes,  en plus des relations avec la femme légitime.  Je réponds que si ces arguties sont permises, on n’en finira plus jamais de poser des questions.  L’apôtre a parlé pour se faire comprendre. Rien ne l’obligeait à employer les mots les plus recherchés.  Ajoutons que le mot monogame n’était pas en usage chez les Grecs, que ce sont les mots latins qui l’ont lancé, même si c’est un mot grec. Il n’est donc pas surprenant que Paul qui écrivait en grec n’ait pas employé le mot monogame.  Ajoutons aussi que ce mot, même s’il signifie d’abord les premières noces, peut être employé pour quelqu’un qui a une seule femme, qu’elle soit la première, ou la deuxième.   Il s’ensuit  que celui qui est monogame est le mari d’une seule femme.
Sixième objection.   Saint Ambroise (de la dignité sacerdotale, chapitre 4) entend les mots « homme d’une seule femme » du mariage spirituel de l’évêque avec l’église. Et il dit que ce que prescrit saint Paul c’est qu’un évêque ne doit régir qu’une seule église, et non plusieurs. Si nous croyons saint Ambroise, la bigamie n’est donc pas interdite aux évêques.  Et saint Jérôme, dans son épitre à l’océan, défend âprement l’évêque d’Espagne, Carterius, qui avait deux femmes,  et, à la loi apostolique qui accusait cet évêque de péché, il répondit qu’on peut entendre de plusieurs façons le « mari d’une seule épouse » Car, d’abord, le sens peut être le suivant :  qu’il ait une femme pendant un certain temps, et qu’il en ait une autre après la mort de sa première femme, mais qu’il n’en ait jamais deux ensemble.  Ensuite, on peut par le mot épouse, entendre même l’église,  pour que soit mari d’une seule femme celui qui est l’évêque d’un seul diocèse. Et de plus, on peut entendre femme par épouse.  Mari le « d’une seule femme »  n’interdisant pas tant des secondes noces que le commerce des femmes.  On peut ajouter le témoignage de saint Augustin (livre sur le bien du mariage, chapitre 18) , où il oppose le prêtre de l’ancien testament  qui pouvait avoir plusieurs femmes, au prêtre du nouveau qui peut n’en avoir qu’une.  Comme le prêtre de l’ancien testament pouvait avoir plusieurs femmes simultanément, ce qui est interdit au prêtre du nouveau testament par la phrase de saint Paul (homme d’une seule femme) c’est d’avoir plusieurs épouses en même temps, non l’une après l’autre.
IL est facile de répondre au témoignage de saint Ambroise.   Dans ce texte qu’on nous oppose il écrit que le sens littéral est que la bigamie soit interdite aux évêques, mais que le sens mystique parle de la bigamie des églises.  Voilà pourquoi, le même saint Ambroise (dans la lettre 82, et le livre 1 des devoirs, dernier chapitre, et dans son commentaire sur saint Paul), ne se souvient plus de l’interprétation mystique,  mais explique le texte au sens d’une vraie monogamie.   Au sujet de saint Jérôme, pour répondre judicieusement, il faut observer  qu’il y avait une controverse chez les anciens pères. Celui qui avait une épouse avant son baptême,  et après le décès de son épouse, en épouse une autre après son  baptême, doit-il être considéré comme un bigame ? Car, par le baptême, il est fait un autre homme,  et rien de ce qu’il a fait avant le baptême ne peut lui nuire. Et il est certain que cette opinion n’a pas l’appui du canon 17 des apôtres, qui interdit explicitement de consacrer évêque quelqu’un qui  s’est remarié après le baptême.  La position contraire est soutenue par saint Augustin, saint Ambroise, et le pape Innocent 1, qui enseignent qu’on doit absolument considérer comme bigames ceux qui ont eu deux femmes, soit avant, soit après le baptême.   Car, si le baptême efface les péchés, il ne dissout pas les mariages.  Il renouvelle l’homme en ce qui a trait à la vétusté des vices, non à ce qui a trait aux choses correctement faites.  C’est cette dernière opinion qui finit par l’emporter, et qui a été reçue par toute l’Église.  Le canon apostolique ne nous contredit pas, car, peut-être, en ce temps, à cause du petit nombre d’hommes, les apôtres se servaient de ceux qui, avant le baptême, avaient eu une femme ou plusieurs, pourvu qu’ils n’en aient pas eu plusieurs après le baptême.  Et ce précepte de l’apôtre n’est pas un précepte absolument non dispensable.  Saint Jérôme ne défend donc pas la polygamie des évêques, et n’enseigne pas non plus qu’elle est permise aux prêtres, mais ne fait qu’affirmer que celui qui a eu une seule femme après le baptême n’est pas un polygame, même s’il en a eu une autre avant.
Et même si saint Jérôme présente ces trois explications de la phrase de saint Paul, sous forme d’objection, il ne les considère pas comme vraies et approuvées. Car la première explication qu’il présente, celle de plusieurs femmes à la fois, (polygamie) il dit ne la présenter que pour dénouer un mauvais nœud avec un mauvais coin.  L’autre explication, celle de la polygamie des églises, il dit que c’est une explication forcée et tirée par les cheveux. : « Quelques-uns se sentent contraints de voir dans les épouses des églises, des évêques dans les hommes. » Et enfin, la troisième celle d’un mari avec deux femmes simultanément, il la rejette d’un revers de main, en disant : « Nous avons présenté toutes ces explications non comme résistant à une compréhension vraie et simple, mais pour enseigner, qu’il faut comprendre les Écritures saintes comme elles ont été écrites, sans évacuer le baptême du Seigneur, et rendre nul tout le mystère de la croix. »   Qu’est-ce qu’il entend par une explication vraie et simple ? On peut le voir dans son commentaire du chapitre 1 de l’épitre à Tite, où il explique simplement que l’homme d’une seule femme est « celui qui ne s’est pas remarié après le décès de sa femme ».
Au témoignage de saint Augustin, nous répondrons que la différence qu’il établit entre les prêtres de l’ancien testament et ceux du nouveau est que les premiers eurent plusieurs femmes et les autres une seule, et non que les premiers eurent simultanément plusieurs femmes et que les autres en ont plusieurs successivement.  Et cela, on peut le prouver de deux façons.  Car saint Augustin dit que la raison pour laquelle les prêtres du nouveau testament ne peuvent pas avoir plusieurs femmes est qu’ils signifient le mariage du Christ avec son église. Or, l’église est continuellement une, non une après l’autre.  Ensuite, le même saint Augustin dit au même endroit que ce n’est pas un péché, maintenant, d’avoir deux femmes, mais que c’est un empêchement à l’ordination.  Que ce soit un péché, dans le nouveau testament, d’avoir deux femmes en même temps, saint Augustin l’enseigne dans le bien du mariage (chapitre 70).  Donc, quand  il dit que les prêtres du nouveau testament ne peuvent avoir qu’une seule femme, il veut dire ni simultanément ni successivement.
La septième objection vient de nous, pour mieux faire comprendre la chose.  Si la bigamie était interdite aux prêtres en raison d’un défaut de signification,  serait certes bigame celui qui a eu plusieurs épouses légitimes, mais n’a consommé le mariage qu’avec une.  Car le mariage est intègre et parfait même sans l’acte conjugal.  Or, le droit canon définit le contraire, au chapitre debitum, de bigamis.  Selon cette conception, seules seraient prohibées les bigamies provenant de vrais mariages. Mais, il n’en est pas ainsi.  Car, au chapitre nuper, de bigamis,  on range parmi les bigames même ceux qui ont eu une épouse légitime, et une illégitime, même si le deuxième mariage ne fut pas un vrai mariage.  Bien plus, même ceux qui se marient après un vœu solennel sont considérés comme des bigames, et ceux qui épousent une adultère, même si c’est leur seule épouse. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y a eu deux mariages même si la fornication est appelée mariage. Car, si un homme chaste épouse une adultère, il est un bigame. Le fondement de la bigamie n’est donc pas le défaut de signification, car sont  semblables en tout les mariages dans lesquels la femme ou l’homme admet une fornication.
Je réponds qu’il y a trois espèces de bigamie, comme les interprètes du droit canon l’enseignent à juste titre,  à  bigamie.  La première est la bigamie proprement dite, celle qui vient de deux vrais mariages.   Cette bigamie existe sous trois formes.   La première.  De la part de l’homme seul, quand l’homme a deux vraies femmes.   La deuxième.  De la part de la femme seulement, quand la femme a eu deux vrais maris. La troisième, De la part de l’un et de l’autre, quand un veuf épouse une veuve.  Au sujet de cette bigamie, aucun doute n’est possible.  Car, il est clair qu’il y a toujours en elle un défaut de signification, et quand l’homme n’est pas l’époux d’une seule femme, et quand l’épouse n’est pas la femme d’un seul homme.
La deuxième espèce est la bigamie interprétative, c’est-à-dire celle qui, de par sa nature, n’est pas une bigamie, mais qui est considérée et réputée par les juristes comme une bigamie.  On a affaire à cette bigamie à toutes les fois  que quelqu’un épouse une seconde femme, ou une femme un second mari de fait, non de droit, ou si le premier mariage a été de droit et non de fait.  Même s’il n’y a pas là un vrai défaut de signification, l’Église étend quand même à ceux-là la peine de la bigamie.  Et quand saint Paul a dit  que les évêques soient les hommes d’une seule femme, il a peut-être voulu dire de droit ou de fait, de façon à pouvoir interdire l’ordination à celui qui a été le mari de plusieurs femmes, de droit ou de fait.
La troisième espèce est la bigamie métaphorique, celle qui provient d’un double mariage, dont l’un n’est pas vrai, mais seulement métaphorique.  C’est ainsi que le concile d’Ancyre (canon 19), ordonne de considérer comme bigames  ceux qui ont pris femme après le vœu de continence.  Le vœu de continence, en effet, est un genre de mariage avec Dieu, même s’il n’est que métaphorique.  On leur refuse donc de les ordonner  non parce qu’ils sont de vrais bigames, mais parce que l’Église a voulu étendre la peine des bigames sur ces époux.
Je réponds d’abord à tout cela  que la bigamie ne vient que d’un mariage consommé.  Car, comme l’a bien dit le pape Innocent (au chapitre debitum de bigamis), un mariage ratifié non consommé signifie le mariage du Christ avec l’Église par la conformité de nature.  Car l’apôtre dit aux Éphésiens 5 : « Ce sacrement est grand, dis-je, dans le Christ et l’église, »  Et un peu avant, il avait dit : « Ils seront deux dans une même chair ».  La bigamie nait donc du défaut de signifier le mariage du Christ avec son église, non de Dieu avec l’âme.  À l’objection qu’ils font au sujet de ceux qui eurent plusieurs femmes de fait, non de droit,  la réponse a été déjà été donnée  dans l’explication des espèces de bigamie.  Au sujet de celui qui a épousé une adultère, quelques-uns disent qu’il est un bigame, même si n’est pas un adultère celui qui épouse une vierge, parce que l’évêque représente l’église,  et l’épouse de l’évêque représente le Christ.  Il est avéré que, dans l’Église du Christ, ne font pas défaut quelques corruption, tandis que dans le Christ, rien de tel ne peut se trouver.  Or cette réponse entre en opposition avec les paroles de saint Paul aux Éphésiens qui compare le mari au Christ et l’épouse à l’église.  « Hommes, aimez vous femmes, comme le Christ aime son Église. »  D’autres, parmi lesquels se trouve Dominique a Soto,  ( 4 sent. Dist 27, quest 3, article 1), disent que la raison de cette apparente contradiction est que le mariage tire son espèce du terme final (ad quem), et que, en conséquence, le mariage de l’homme n’est vicié que quand le vice est dans l’épouse.  Car c’est elle qui est le terme final  par rapport à l’homme.  Or, quand le vice est dans l’homme, le mariage est alors vicié de la part de la femme,  et si elle était apte à l’ordination, elle deviendrait irrégulière au cas où elle se marierait avec un homme adultère.
Mais cette réponse est plus subtile que vraie, car, si la bigamie ne naissait que du terme final (ad quem) il est certain que celui qui épouse une deuxième épouse vierge ne serait pas bigame. Car, dans un mariage de cette sorte  il n’y a aucun vice dans le terme final (ad quem), mais il l’est en entier dans le terme initial (a quo), c’est-à-dire dans l’homme  qui se marie deux fois.  Or il n’y a pas de plus grande bigamie que celle d’épouser deux épouses, même si elles sont vierges.  Comme donc nait également une bigamie si un veuf épouse une vierge,  et si une vierge épouse un veuf, de la même façon serait une bigamie quand un homme chaste épouse une adultère.  Je réponds qu’il est interdit d’épouser une adultère, non à cause de la bigamie, ni à cause  de ce précepte  apostolique : « un homme d’une seule femme », mais parce que c’est ainsi qu’il a plu a l’Église, en raison de la dignité du sacerdoce.    Car le mariage avec une adultère est  indigne à un si grand personnage.  Mais ce n’est pas une chose indigne à un adultère d’épouser une vierge.    Le raison ne doit pas en être  la bigamie, mais la dignité sacerdotale.  Ce qui nous permet de comprendre pourquoi  le canon  18 des apôtres  qui interdit aux prêtres d’épouser une divorcée, interdit aussi de devenir prêtre à celui  qui épouse une servante ou une actrice, alors qu’il ne s’agit là aucunement de bigamie, mais d’infamie.  Ce que nous avons dit sur le célibat devrait suffire.
Devraient suivre maintenant la cinquième et la sixième disputes.  La cinquième,  sur les heures canoniques,  et la sixième sur le rite de la tonsure des clercs.  Mais comme on pourrait traiter plus commodément  des heures canoniales dans la dispute sur la prière,  et du rite de la tonsure dans le prochain livre, qui parlera des moines, nous passons maintenant à la septième  dispute.
                                                      CHAPITRE 25
                                                          La dime
La septième question porte sur les biens temporels des clercs.  Il y a trois genres de biens qui peuvent convenir à des clercs.   Le premier, les dimes, qui sont dues aux clercs en justice.  Le second, les champs, les maisons et autres possessions,  obtenues par les dons des laïcs et surtout des rois.  Le troisième. Ce sont les biens qu’on obtient à un titre séculier,  comme un héritage paternel, une exemption, une vente, dont nous parlerons plus tard.   Voici d’abord les dimes.  On peut trouver quatre erreurs les concernant.   La première est celle de Jean Wiclif, qui, comme le rapporte Waldesteins (livre 2, article 3, chapitres 64 et 65 de la doctrine de la foi) enseignait que les dimes étaient de simples aumônes, et qu’elles n’étaient dues aux prêtres par aucun droit.  C’est la même erreur que suivent aujourd’hui les anabaptistes et les trinitaires.   Car, dans le  livret d’Alba Julia qu’ils ont imprimé en 1568, sur les antithèses du vrai et du faux Christ, ils présentent ainsi la troisième antithèse : « Puisque Dieu est éternel et très riche, c’est un faux Christ qui a donné des dimes à ses prêtres, et beaucoup de biens temporels. Car, le vrai Christ qui fut un homme  pauvre quand il vécut sur la terre, veut que ses ministres soient pauvres. »
C’est une erreur manifeste, car il est facile d’enseigner que c’est d’un droit naturel et divin que les laïcs pourvoient aux besoins temporels des prêtres, et que c’est un droit ecclésiastique qui précise que cette contribution soit la dixième partie du revenu. Que ce soit d’un droit de nature, on le prouve ainsi.  Il est certain que la raison dicte que le peuple prenne soin de ceux qui travaillent pour le peuple. Car, c’est de là que l’on déduit que sont dus aux rois des tributs, des soldes mensuelles pour les militaires, .et des salaires aux juges et aux ministres publics.  Nous pouvons aussi en déduire que sont dues aux prêtres des dimes, ou d’autres offrandes semblables. C’est pourquoi, au temps de la loi naturelle, Abraham a donné la dime au prêtre  Melchisédech (Genèse 14).  Écrivant sur ce texte, saint Jean Chrysostome (homélie 35 de la Genèse) dit qu’en agissant ainsi, Abraham a été notre docteur, et nous a  enseigné ce que nous devons faire.
Que ce soit de droit divin, on le prouve par les deux testaments, le premier, le dernier chapitre du Lévitique, Nombres 18,  et Malachie 3, et ailleurs. Dieu a ordonné que des dimes soient données aux lévites.  Ces préceptes n‘obligent pas les chrétiens sur le plan juridique, mais ils obligent sur le plan moral, à savoir qu’une certaine partie des biens soit donnée aux prêtres. Saint Clément enseigne cela ouvertement (livre 1 des constitutions apostoliques, chapitres 28, 38, et 39,  et au livre 8, chapitre 36).  Il dit là que même si les chrétiens sont libérés des cérémonies de la loi antique,  ils ne le sont pas des dimes et des offrandes.  Ils sont même plus tenus qu’avant puisque leur justice  doit être plus grande que celle des scribes et des pharisiens.   De même, saint Jérôme, (chapitre 4, Malachie 3) : «Le  peuple ne devait pas seulement  apporter autrefois aux prêtres et aux lévites des dimes et des prémisses, mais  il devait  vendre tout ce qu’il avait et le donner aux pauvres.  Si nous ne voulons pas faire cela,  imitons au moins  en partie les  Juifs en donnant aux pauvres une partie du tout que nous lui devons,  et aux prêtres et aux lévites l’honneur qui leur est du.  Et que celui qui ne le fait pas  soit convaincu de fraude et d’usurpation. »  Notons que même si saint Jérôme dit que c’est un précepte de tout vendre et de donner aux pauvres,  il  sait très bien que ce n’est pas un précepte qui oblige dans l’absolu,  mais il entend que ne pas l’observer est contraire à la recherche de la perfection.   Mais, au sujet des dimes : il dit : que celui qui ne le fait pas soit convaincu de fraude et d’usurpation.
Le même saint Augustin  (sermon 219) dit, commentant ce même passage de Malachie : « Le Dieu qui a daigné tout donner,

Le même saint Augustin (sermon 219), commentant ce même passage de Zacharie, écrit : « Dieu qui a daigné tout donner, est digne de recevoir de nous la dixième partie, qui ne sera pas profitable à lui, mais à nous.  Car, c’est ce qu’il a promis par le prophète en disant : « Apportez la dixième partie du produit dans mes greniers pour qu’il y ait de la nourriture dans ma maison, et mettez-moi à l’épreuve dans ces choses, dit le Seigneur. »  Ce sermon n’est peut-être pas de saint Augustin, mais il est remarquable, et est de la plume d’un ancien père.  Car, dans le décret 16, q.1, beaucoup de textes sont attribués à saint Augustin.
 De même, saint Grégoire dans son homélie 16 sur les évangiles : « Comme, frères très chers, la loi vous ordonne d’offrir le dixième des revenus, ayez aussi à cœur d’offrir à Dieu le dixième des jours. »  De plus, dans le nouveau testament, nous avons en Matthieu 22 : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »   Saint Jérôme et saint Augustin (livre 50, homélie 48) enseignent que, par ces paroles, le Seigneur ordonne de rendre à César le tribut, et à Dieu la dime.  IL y a aussi en Matthieu 10 les paroles suivantes de Jésus : « Un travailleur a droit à son salaire. »  Et à 1 Corinth 9 : « Ne savez-vous pas que ceux qui travaillent dans le sanctuaire, mangent ce qu’il y  a dans le sanctuaire; et que ceux qui servent à l’autel ont part à ce qu’il y a sur l’autel ?   Voilà pourquoi le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’évangile de vivre de l’évangile.» Et, au même endroit : « Qui guerroie avec son argent personnel ? Et si nous avons semé en vous des choses spirituelles,  est-ce une si grande chose  que nous récoltions vos choses charnelles ? »
 Traitant de se sujet dans son commentaire du psaume 146, saint Augustin dit en expliquant les paroles du psaume : « Celui qui prépare la pluie pour la terre, produisant du foin dans les montagnes », dit aux peuples, qui comme une terre ont reçu des prêtres la pluie de la doctrine,  qu’ils doivent leur fournir le foin  des biens  temporels.  « Reçois la pluie, dit-il, et donne le foin.  Car, toutes ces choses qui sont données à Dieu par les riches pour pourvoir aux besoins des ministres de l’Église, que sont-elles sinon du foin ? »  Et plus bas : « Le fruit de la pluie est du, la nourriture est due au serviteur, comme l’a dit le Seigneur :  « Mangez ce qu’ils ont. Et qu’ils ne pensent pas qu’ils donnent ce qui leur appartient en propre : l’ouvrier a droit à son salaire. »  Et, plus bas : «Prélève la dixième partie de ton revenu, retires-en la dixième partie, même si c’est peu de chose, car on nous rapporte que les pharisiens donnaient la dixième partie de leur revenu à Yahvé, et qu’en pensait le Seigneur ?  « À moins que votre justice ne dépasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. »
 Il est à noter que, au temps de saint Augustin,  plusieurs en Afrique n’avaient pas encore pris l’habitude d’offrir des dimes, et c’est pour cela que saint Augustin les exhorte à le faire, comme dans son homélie 18, au livre 50 des homélies : « Nos ancêtres abondaient de biens parce qu’ils en donnaient à Dieu   la dixième partie.  Quand a baissé  la dévotion envers Dieu, l’impôt a augmenté.   Nous n’avons  pas voulu nous départir de  la dixième partie de notre revenu pour Dieu, maintenant, on nous enlève le tout.. »
 Il nous reste à présenter les droits ecclésiastiques.  Il y a beaucoup de conciles anciens qui prescrivent explicitement la dime, comme celui d’Aurélie 1, chapitre 17, il y a mille ans de cela. De même, celui de Masticon 2, chapitre 5, célébré le même siècle, dit que les lois divines de l’acquittement des dimes sont observées  depuis longtemps dans l’Église. Le forojuliense, au dernier chapitre, dit la même chose.  Le concile de Mongutinus, chapitre 38, au temps de Charlemagne.  Celui de Moguntinus sous Raban, chapitre 10.  Celui de Moguntinus, chapitre 17, au temps de l’empereur Arnolphe ordonne d’excommunier ceux qui négligent de payer leurs dimes.  Le concile de Reims, chapitre 38, au temps de l’empereur Charlemagne,  le concile de Valence, chapitre 10, au temps de l’empereur Lothaire,  le concile d’Arles 4, chapitre 9.  Celui de Cabilonense 11, chapitre 19,  celui de Metense, chapitre 2, celui de Tribure, chapitre 13.   Tous ces conciles ont eu lieu il y a 700 ou 800 ans.
 Il y a aussi et surtout les conciles généraux.  Celui du Latran sous Innocent 3, (chapitres 53, 54, 55, 56), statua que les dimes devaient être payées avant le tribut et le cens. Le concile de Vienne prescrivit des choses semblables, comme on le trouve dans Clément à cupientes, de poenis.  Sont excommuniés, sur-le-champ,  les religieux qui, dans un sermon, prononcent un mot qui incitent le peuple à ne pas payer la dime.   Le concile de Constance  (session 8) a condamné un article de Wiclif à l’effet que les dimes n’étaient rien d’autre que des aumônes.  Et enfin, le concile de Trente (session 25, chapitre 12),  décrète que les dimes sont dues à Dieu, et il ordonne d’excommunier  ceux qui les refusent à Dieu, ou qui empêchent les autres d’en donner, et de ne pas leur donner l’absolution tant qu’ils n’auront pas restitué le tout.  À ces décrets des conciles,  s’ajoutent des décrets des souverains pontifes (16, question 1,et 7),  dans Sextus et dans les clémentines, e t dans les extravagantibus, au même titre.
 L’autre erreur est celle de Wiclif, à savoir que les dimes ne sont que des offrandes, et qu’il ne faut en aucune façon les donner aux mauvais prêtres.  Car, il estimait que celui qui fait une offrande à un pécheur communie à son péché. Nous parlerons plus longuement de cette erreur dans notre traité sur l’aumône. Faisons-en quand même une brève réfutation.  D’abord, par le texte de saint Matthieu : rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Voici ce que saint Jérôme a à dire là-dessus : « Quand il dit de rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu, nous comprenons qu’il faut rendre la taxe, l’impôt et le tribut à César, et à Dieu les dimes, les prémices, les offrandes et les victimes. »   Or, il est certain qu’au temps de Jésus, César était impie et infidèle, et les prêtres ignobles et dépravés »
Nous avons aussi une citation du pape Innocent 3 dans son épitre à l’évêque de Vercelle (au chapitre tua nos, les dimes) : « Sous prétexte que les clercs sont méchants, ils ne veulent offrir les dimes qu’à ceux qui, selon leur propre jugement, les méritent selon le commandement du Seigneur. » Enfin, on ne donne pas de dimes aux clercs parce qu’ils sont bons,  mais parce qu’ils sont des clercs, comme on ne donne pas de tribut aux rois parce qu’ils sont bons, mais parce qu’ils sont rois.
 La troisième erreur est celle de ceux qui s’appelle petits frères, ou pseudos apôtres, qui entre autres erreurs que rapporte Jean de Turrecremata, (livre 4, chapitre 2, chapitre 37),  soutenaient que ceux qui vivaient dans la pauvreté à la manière des apôtres, ne pouvaient pas percevoir de dimes. Erreur qui ne repose sur aucun fondement.  Car, la raison pour laquelle des dimes sont dues aux clercs est qu’ils travaillent pour  l’utilité du peuple.  Cette raison n’existe pas moins dans le riche que dans le pauvre.  Or, les prêtres de Jérusalem à qui le Seigneur a dit qu’il fallait payer la dime ne vivaient pas dans la pauvreté.
 La quatrième erreur est celle de plusieurs canonistes, qui enseignent que la dime est de droit divin,  même dans la détermination de la quantité; et qu’aucune loi humaine ou coutume ne pourrait en modifier la quantité.  Dans la glose, chapitre 1, des dimes,  dans Sexte (Innocent à la rubrique des dimes),  Panormitanus (chapitre 1, in aliquibus, de decimis),  et Hostiense ( dans sa somme, tit des dimes, verset 7).  Ce sont ces canonistes que suivent presque tous les autres. Leur argument est que plusieurs canons (et surtout le chapitre in aliquibus, de decimis) enseignent que les dimes sont dues de droit divin.
 Or, c’est une erreur manifeste.  Et ce n’est pas seulement tous les théologiens, mais même des canonistes, comme Sylvestre et Navarre qui enseignent que beaucoup de canonistes ne pêchent pas seulement une fois, mais deux fois.  Une première fois, parce qu’ils soutiennent une fausseté; et l’autre fois, parce qu’ils condamnent comme hérétiques presque tous les théologiens qui sont d’un sentiment contraire.  D’autant plus qu’il est facile de convaincre leur opinion d’erreur.
 Preuve que le devoir de payer une dime à taux fixe n’est pas de droit divin.  Ce genre de précepte n’a jamais été imposé aux chrétiens, ni dans la nouvelle loi, ni dans l’ancienne. Qu’il ne l’a pas été dans la nouvelle loi, cela est évident. Qu’il ne l’a pas été non plus dans l’ancienne loi, on le prouve ainsi.  Car le précepte de l’ancienne loi, en ce qui a trait à la détermination de la quantité, n’était ni moral, ni cérémonial, mais juridiaire., comme  l’enseignent ( 3 par qu 51, en 3) Alexandre  et saint Thomas ( 2.2. question 87, article 1). Or, cee sont ces auteurs que tous les théologiens suivent.
 Qu’il ne soit pas un précepte moral, rien n’est plus clair, car les préceptes moraux obligent toujours, mais  la loi sur les dimes n’existait pas avant Moïse.  La raison ne dicte pas non plus qu’on donne aux prêtres la dixième partie, mais seulement ce qui est nécessaire à leur entretien.  Dans Genèse 28,  Jacob a fait le vœu de donner à Dieu la dixième partie de ce qu’il possédait, si Dieu le guidait en chemin.  Or, il aurait été impie de vouer de donner à Dieu la dime sous condition,  s’il était absolument nécessaire  de la donner.  De plus, si ce précepte est un précepte moral, aurait été moral aussi cet autre  précepte qui interdisait d’avoir des patrimoines à ceux qui avaient des dimes. Les clercs seraient donc obligés, de droit divin, de se défaire de tout patrimoine.
 Que ce précepte n’était pas non plus cérémonial, on le prouve ainsi.  Car il ne porte pas immédiatement sur le culte à rendre à Dieu, mais  sur une équité à établir entre les hommes. Car Dieu a ordonné que soit donnée aux lévites la dixième partie de tous les biens, ni la huitième, ni la vingtième,  pour qu’il y  ait un partage équitable entre les lévites et les autres.   Car la famille de Lévi était une des douze tribus d’Israël, ou plutôt des treize.  Car, même si les fils d’Israël étaient douze,  les fils de Joseph  Ephraïm et Manasse formèrent deux tribus. Et, selon l’équité, les lévites devaient avoir la treizième partie des biens.  Cependant, comme ils étaient plus nobles que les autres, et parce que Dieu prévit que ne feraient pas défaut les transgresseurs, ceux qui ne paieraient pas la dime en totalité, il leur a attribué la dixième partie,  plus donc qu’aux autres, pour qu’on parvienne à l’égalité en dépit des transgresseurs
Ne s’oppose pas  à ce que nous disons la déclaration du pape Innocent 1 (au chapitre tua nos, de decimis),  Il enseigne que Dieu réclame la dime comme une profession de seigneurie suprême.  Il semblerait découler de cette phrase que le précepte de la dime est un précepte cérémonial.  Or, on ne donne pas les dimes immédiatement et précisément pour cette fin, à savoir comme une reconnaissance du pouvoir suprême de Dieu, comme font ceux qui offrent un sacrifice; mais c’est médiatement, et dans un autre but, qu’elles sont données à Dieu par ses ministres.  On les donne en effet, aux prêtres en tant que ministres de Dieu.  Or, il est bien établi par la foi catholique que la loi ancienne a été abrogée après l’avènement du Christ, en tant qu’elle était positive, comme l’enseigne saint Paul dans l’épitre aux Galates 3, et aux Éphésiens 2, et aux Hébreux 7.  Et c’est ce que confirme l’unique décrétale de la purification après l’enfantement, que les canonistes ne peuvent pas ignorer.  Cette loi de payer la  dixième partie de son revenu ou de ses biens ne s’applique donc pas aux chrétiens, en vertu d’une loi de l’ancien testament.
Je réponds  à leur argument qu’on peut entendre de trois façons ce que les saints canons disent de l’obligation de droit divin de payer les dimes. La première.   On le doit de droit divin selon la substance, non selon la quantité, ou de droit ecclésiastique après la détermination de la quantité par l’Église, comme nous disons même aujourd’hui que c’est de droit divin que les fêtes doivent être sanctifiées. Et c’est de cette façon que l’a entendu le concile de Matiscon 2, chapitre 5, où il dit  que la loi divine des dimes doit être observée.  La deuxième.   Dieu a imposé des dimes aux chrétiens non par une parole, mais par l’exemple.  Car, quand il les imposées aux Juifs, il a montré en même temps que les chrétiens devaient faire la même chose.  C’est comme quand les pères disent que le carême a été institué par le Seigneur, en nous donnant l’exemple d’un jeûne de quarante jours.   Voir Ambroise, sermon 36.
La troisième.  Le sens serait qu’on doit jeûner de droit divin, c’est-à-dire selon la détermination de quantité qui se trouve dans le droit divin, mais en vertu d’un droit ecclésiastique.  Et c’est de cette façon que doivent s’entendre les paroles du chapitre in aliquibus, des dimes, qui sont tels : « Doivent être absolument payées les dimes qui sont dues par la loi divine, ou par une coutume locale approuvée ».  Le sens est donc : il faut nécessairement payer les dimes qui sont dues,  selon la quantité déterminée par la loi divine, que l’Église a renouvelée, là ou sont payées les dimes intégralement, c’est-à-dire la dixième partie du revenu ou des biens.  Ou selon la quantité déterminée par la coutume d’un lieu, là où l’on paye moins que la dixième partie, tout en conservant le nom de dime.  Ce texte apporte un argument flagrant aux canonistes.  Car si les dimes étaient dues de droit divin  au sens de dixième partie du revenu ou des biens,  tous devraient partout donner aux prêtres la dixième partie de leurs biens.  Et le texte n’ajouterait pas qu’il faut tenir compte de la coutume des lieux.  En voilà assez pour les erreurs.  Il nous reste à éclaircir certains doutes.
                       LE PREMIER DOUTE
 Le précepte de payer la dime aux prêtres peut-il être abrogé par une coutume contraire ?    Je réponds qu’il est certain  que le précepte de payer la dime, qui est en partie divin, et en partie naturel,  ne peut être abrogé ni  par une loi humaine,  ni par une coutume contraire.  Il est donc certain que l’Église a le droit de demander des dimes, même si la coutume affirme le   contraire. Tous les canonistes et tous les théologiens sont d’accord là-dessus.   Le doute consiste en ceci.  En tant que positif et humain, le précepte de la dime peut-il être modifié par la coutume ?  Sotus (livre 9, question 4,  article 1 sur la justice ) dit que ce n’est pas possible, et il pense que c’est l’opinion de saint Thomas.   Je pense avec Sylvestre, que c’est plutôt le contraire qui est vrai. (au mot dime, question 4), et avec Navarre, (chapitre 21, numéro 28).  Et je ne doute pas que ce soit aussi la pensée de saint Thomas.  Car, (2.2. question 87, article 1) il enseigne que le précepte des dimes, en tant qu’il est humain, peut-être modifié par l’Église, en obligeant le peuple à payer  la douzième partie ou la huitième partie.  Et une coutume légitimement prescrite a autant de force que n’importe laquelle loi humaine, comme l’enseigne Sotus avec les autres, (livre 1, question 7, article 2, sur la justice).   De plus, saint Thomas (quodliber 2, article 8) après avoir enseigné que la loi sur les dimes ne peut jamais être abrogée par une coutume,   en ajoute la raison, à savoir qu’il s’agit là d’une loi divine et naturelle.  Saint Thomas ne nie donc pas  que la loi sur les dimes, en tant qu’elle est une loi ecclésiastique,  puisse être modifiée par une coutume.  Mais seulement en tant qu’elle est divine et humaine.
C’est ce que nous trouvons dans le chapitre in aliquibus, de decimis.  Il est dit là en toutes les lettres qu’on doit payer les dimes selon ce qu’a fixé soit la loi divine soit une coutume approuvée.  Il faut noter ici que comme la coutume supprime la loi, la loi supprime aussi la coutume, si de justes causes se présentent à celui qui détient l’autorité.  C’est pourquoi, là où la coutume est établie  de ne payer que la troisième partie  ou la cinquième, au lieu de la dixième, on n’est pas tenu de payer davantage.  Cependant, si un pontife ou un concile, pour de justes causes, prescrivait dans une loi nouvelle que la dime doit être payée intégralement partout, tous, en dépit de toutes les coutumes, seraient tenus à l’observer.  Comme, au jugement de tous, sont tenus de payer intégralement ceux qui habitent en des endroits où, selon la coutume, on ne peut pas payer moins que la dixième partie.
                       LE  DEUXIÈME DOUTE
Est-ce que les laïcs pauvres sont tenus de donner des dimes aux clercs riches ?
La raison du doute peut se formuler comme suit.   Comme le laïc est tenu de nourrir le prêtre parce qu’il est un prêtre,  un prêtre est tenu aussi de nourrir un laïc parce qu’il est pauvre.  Saint Thomas répond qu’il est certain qu’un pauvre laïc est dans l’obligation de donner la dime à un prêtre riche,  parce que l’obligation de donner la dime appartient à la justice commutative,  dans laquelle on ne considère pas la qualité de la personne, mais l’égalité d’une chose à une autre.  Car celui achète doit payer selon la valeur marchande, qu’il soit riche ou pauvre. L’argument contraire ne tient pas non plus, car un clerc n’est pas tenu d’aider un laïc plutôt qu’un autre.
                             LE TROISIÈME DOUTE
Peut-on excuser de péché ceux qui ne paient aucune dime là où ce n’est pas la coutume d’en payer ?
Je réponds que celui qui ne paie aucune dime peut pécher de trois façons, comme Sylvestre et les autres l’enseignent.  La première.  Si une église souffre un dommage considérable par le défaut de payer les dimes, le peuple est alors tenu d’intervenir, que l’église demande ou ne demande pas la dime.  La seconde. Si l’église réclame des dimes selon le droit, le peuple est tenu de les payer, qu’elle en ait un grand besoin ou non. La troisième. Si le peuple avait l’intention de ne pas les payer, même s’il comprenait que c’est en toute justice que l’église les lui demande.
Il est certain que, en dehors de ces cas, le peuple est excusé, parce que, comme le dit saint Thomas, une église qui ne demande pas de dimes est censée en faire don.  Ne pêche pas, en effet, celui qui ne paye pas une dette qui ne lui est pas imputée.   Autrement, en refusant d’accepter le salaire qui lui était du, pour ne pas mettre d’empêchement à l’évangile,  l’apôtre aurait fait pécher les Corinthiens.  Saint Augustin lui-même aurait fait pécher son peuple en ne l’obligeant pas à payer les dimes, mais en les exhortant seulement à le faire (traité sur le psaume 146, et homélies 48 et 50).
                             LE QUATRIÈME DOUTE
Par quelle raison peut-on montrer  que c’est en toute justice que l’Église à déterminé que les chrétiens doivent donner la dixième partie de leur revenu ?
Nous ne nous demandons pas si ce que l’Église a statué est une chose juste, car cela serait d’une insolente insanité, comme saint Augustin l’écrit dans son épitre 118.  Mais, par quelle raison peut-on montrer que c’est juste ?  Car, dans l’ancien testament, cette quantification était juste parce que les lévites formaient  une des douze tribus, la douzième ou la treizième.  Or, le clergé dans le nouveau testament ne semble pas être la centième partie des chrétiens.  Selon quelle équité, doit-il donc avoir la dixième partie de tous les biens qui sont dans la chrétienté ?  Cajetan (2,2, question 87) répond qu’il ne peut pas donner d’autre raison que c’est parce que le clerc doit nourrir les pauvres, qui sont innombrables.  Mais même si cette raison est excellente, et si les canonistes en font grand cas, ce n’est pas là la seule raison qui fait que la dime soit juste.
Il n’est pas vrai d’abord que les lévites aient été la treizième partie du peuple juif, et que notre clergé ne soit pas la centième partie du peuple chrétien.  Car, sans les lévites, (Nombres 1), les Hébreux étaient  soixante-trois mille cinq cent cinquante, sans compter les enfants, les adolescents et les vieillards. Avec ces derniers, ils étaient certainement deux fois plus nombreux, environ mille milles et trois cent mille.  Or, tous les lévites,  des enfants aux vieillards, comme les comptent les Nombres 3, étaient seulement vingt-deux mille.  En ajoutant donc les lévites aux autres Hébreux, et en divisant le tout par vingt-trois mille, on obtient soixante parties.  Les lévites n’étaient donc pas la treizième du peuple d’Israël, mais à peine la soixantième partie.  Or le clergé représente probablement plus que la soixantième partie du peuple chrétien.  Car il n’y a pas de grande famille qui n’ait pas donné un ecclésiastique, et il n’y a pas de village sans église, sans un ou plusieurs pasteurs.
De plus, les prêtres du nouveau testament sont tenus à des devoirs et à des dépenses plus grandes que ne l’était la tribu lévitique des Hébreux, et cela, sans parler de la dignité incomparablement supérieure du sacerdoce du nouveau testament.   Il n’y avait alors qu’un temple, un pontife et quelques prêtres de la famille d’Aaron, qui servaient à tour de rôle dans le temple.   Tous les autres étaient une troupe de serviteurs.  Or, maintenant, innombrables sont les églises qu’il faut conserver et entretenir avec de l’argent, nombreux sont les évêques et les prélats, et innombrables les prêtres,  qui doivent être instruits, et qui, pour ces études, puisent abondamment dans le patrimoine.  Ces prêtres ne prient pas à l’église à tour de rôle, mais continuellement, à chaque jour.  Il est donc raisonnable que, pour remplir ces fonctions sacrées, ils puissent vivre convenablement.
Ajoutons à cela que beaucoup sont dispensés de payer les dimes,  et que plusieurs ne les paient pas par malice.  Il arrive souvent que, loin de les payer, les princes et les rois demandent à l’église  la dixième partie de son revenu, pour défrayer le cout des guerres ou d’autres dépenses civiles somptueuses.  De plus, le peuple chrétien doit être plus parfait que le peuple hébraïque. Or, si ce dernier  donnait à Dieu la dixième partie de ses gains, pourquoi  le chrétien ne ferait-il pas au moins autant ?  C’est donc vrai ce que, au lieu cité, a dit saint Thomas : cette quantification ou détermination par l’église  est plus humaine et plus légère que ce qu’exigerait la justice, en toute rigueur.
                                      CHAPITRE 26
 Les biens que possèdent les clercs après les avoir reçus des laïcs.
Ce fut l’erreur de Jean Wiclif (selon Thomas Waldensen, livre 4, article 3, la doctrine de la foi)  d’enseigner qu’il n’était pas permis aux clercs d’avoir des possessions, et que péchaient tant ceux qui les donnaient que ceux qui les recevaient.  Voici sur quoi il se basait.   Les prêtres de l’ancien testament n’avaient pas le droit d’avoir des possessions, comme on le voit à Nombres 18 : « Le Seigneur a dit à Aaron. Vous ne posséderez rien dans leur terre, et vous n’aurez aucune part parmi eux.  C’est moi qui serai votre part et votre héritage »  De même dans Deutéronome 10 : « Lévi n’eut pas de part, ni de possession avec ses frères, parce que le Seigneur est sa possession. »  Et Josué 13 : « À la tribu de Lévi, Dieu ne donna pas de possession, parce que le Seigneur, le Dieu d’Israël est sa possession. »
Autre raison.  En Matth 10, le Seigneur ordonne à ses apôtres de ne rien posséder, ni argent, ni même deux tuniques.  Il dit au même endroit : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître. » Or, le Christ n’a eu aucune possession.  De même, en Luc 14 : « À moins que quelqu’un ne renonce à tout ce qu’il possède, il ne peut pas être mon disciple. »  Mais cela, c’est une erreur, et nous le prouvons.  D’abord, avec les prêtres et les lévites de l’ancien testament.  Car, même si dans la répartition des terres, ils n’obtinrent pas de champs et de vignobles, ils avaient des possessions dans les villes, et des fermes dans les campagnes. Ils pouvaient même vendre et acheter des vignobles, et cela avec l’argent des offrandes du peuple.   Car, à Nombres 35, on lit : «  Prescris aux fils d’Israël de donner aux lévites des possessions pour qu’ils habitent dans les villes et dans les faubourgs. » Et, dans Josué 21, nous lisons que cela a été accompli.
IL ne faut pas tenir compte de l’objection de Lyranus (Nombres 35).  Il dit que ces villes étaient des  villes sacerdotales, pour leur usage seulement, mais qu’elles étaient la propriété d’autres personnes. Et  il le prouve  par la ville d’Hébron qui avait été donnée aux prêtres.(Josué 21),  alors que son véritable maître était Caleb de la tribu de Juda (Josué 14).    Ce n’est pas une objection valable, car Lyranus se trompe, puisque dans le Lévitique 25, nous lisons que les villes et les faubourgs des prêtres sont leurs possessions, qu’ils peuvent vendre ou racheter des maisons, comme le font les autres.
 Et, dans Josué 21, nous lisons au sujet d’Hébron, que seuls les champs et les vignes qui étaient dans le territoire d’Hébron appartenaient  à Caleb, tandis que  la ville et les faubourgs appartenaient aux prêtres.   De même, dans le Lévitique, à la fin, il est statué que les prêtres posséderaient un champ qui a été voué au Seigneur.   Et, dans 3, Rois 2, le roi Abiathar dit au prêtre : « Va à ton champ ! »   De même, Jérémie était un prêtre, et pourtant, au chapitre 32, il écrit qu’il a acheté et possédé un champ qui était la possession de son parrain.  Et, aux actes 4, on lit que Barnabée qui était un lévite a vendu un champ qu’il avait.
Fort de ces textes, il est facile de répondre au premier argument de Wiclif.  Quand l’Écriture dit que les prêtres ne doivent rien avoir, mais que c’est Dieu qui est leur héritage, elle veut dire qu’ils ne peuvent rien avoir à la façon des autres, comme les autres fils de Jacob, et par héritage paternel; mais n’avoir que ce qui est du au Dieu, dont ils sont les ministres.   Et c’est ce qui est arrivé.  Car, la terre de Palestine  a été divisée, comme un héritage, en douze parties, d’après le nombre des tribus, en excluant la tribu de Lévi qui était la treizième.  Car, même si les fils de Jacob ne furent que douze,  il y a eut quand même treize tribus, puisque les deux fils de Joseph, Ephraïm et  Manasse formèrent chacun une tribu différente.  La terre fut donc divisée, et Lévi déshérité.  En tant que roi propre des Juifs, Dieu voulut qu’on lui donne, en guise de tribut, la dixième partie de leur revenu,  et des cités avec leurs faubourgs. Tout cela, il le donna lui-même aux Lévites.   Cette portion des lévites, comme nous l’avons déjà dit, fut plus grande que celle des autres tribus.  Car, ils eurent la dixième partie, alors qu’ils n’étaient que la soixantième partie de tout le peuple.  Et c’est ce que signifient ces paroles : « Moi, le Seigneur, je suis l’héritage des lévites. »  Il convient de noter la providence insigne de Dieu envers les prêtres.   Jacob déshérita le fils de Lévi, à cause de son péché, comme on le voit en Genèse 49
Dieu ratifia la sentence d’Israël, et il la réalisa pour le plus grand honneur des lévites, et pour l’utilité de tout le peuple. Car, il a donné lui-même aux lévites son héritage, pour le plus grand bien du peuple.  Car, si les lévites avaient été réunis en un seul lieu comme l’étaient les autres tribus, comment auraient-ils pu enseigner à toutes les tribus ?  Dispersés parmi toutes les tribus, ils pouvaient facilement se rendre présents à tous, et leur enseigner la loi de Dieu.  On prouve aussi cela par les prêtres du nouveau testament.  Car, même si, dans l’Écriture, on ne lit rien sur les  biens que l’Église aurait possédés,  nous le lisons cependant dans les décrets très anciens des pontifes et des conciles,  et dans les livres des saints pères.  Pie 1 (dans sa deuxième épitre)  dit qu’il « est sacrilège celui s’empare des propriétés et des donations faites à l’église ».  Urbain1, dans son épitre à tous les évêques, écrit qu’au début de l’Église, les hommes pieux avaient coutume de vendre  leurs biens et d’en donner l’argent aux églises.  On jugea par la suite plus commode  de donner des possessions à l’Église, pour pourvoir, en agissant ainsi, autant aux besoins futurs que présents.
IL y a des conciles généraux qui interdisent de vendre des biens d’église, et qui en remettent le soin à l’évêque.  Voir le concile d’Antioche (chapitre 25), celui d’Ancyre (chapitre 15),  Ainsi  que le concile de Carthage 4, chapitre 32,  et Carthage 2, chapitre 2.  De même, le concile d’Espagne 1, chapitre 1, celui de Tolède 4, canons 32 et 68.   Ainsi que celui d’Athènes, chapitres 49 et 51, et celui de Mogutunum sous l’empereur Arnolphe, chapitre 12.  De même, le concile romain sous Symmaque.
Saint Ambroise s’est souvenu des possessions ecclésiastiques  (épitre 32),  saintean Chrysostome (homélie 37 au peuple d’Antioche), saint Augustin (sermons 1 et 2 de la vie commune des clercs),  Prospère (livre 2, chapitre 9, de la vie contemplative), saint Grégoire, livre 4, épitre 33) et d’autres.
À Matthieu 10 (vous n’apporterez rien en route), je réponds que ces paroles ont été dites  pour le temps où ils avaient à prêcher sur la terre promise, avant la passion du Christ.   Car, alors, pour être plus libres, ils ne devaient rien apporter avec eux, n’ayant pas encore alors la charge des églises.   Mais quand, après l’ascension du Christ, les apôtres commencèrent à établir des sièges en certains endroits, et avoir soin des églises et des pauvres, ils ne craignirent pas de recevoir des biens temporels, comme on le voit dans Actes 4, 5, 6. Ces passages nous montrent que les apôtres reçurent de grosses sommes d’argent pour se nourrir.  eux et les autres.
Et au sujet de : le disciple n’est pas au-dessus du maître,  le Seigneur parle alors des tribulations dont ne furent pas immunes les disciples, car, comme leur maître, ils souffrirent beaucoup. Être plus riche ce n’est pas être plus grand, mais plus petit.  Car, aux yeux de Dieu est plus grand celui qui est le meilleur. Et le meilleur est celui qui est le plus pauvre, puisque le Seigneur a dit : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que as… » (Matt 19), Et, à la fin, saint Augustin répond (épitre 5 à Marcellin) que le Seigneur parle de la préparation de l’esprit.  Car, expliquant, au même endroit ce que c’est que renoncer à tout, il dit : « Si quelqu’un qui vient à moi ne hait pas son père, sa mère ou son épouse, et son âme propre, il ne peut pas être mon disciple. »  Et pourtant nous ne devon pas et nous ne pouvons pas  haïr nos parents, nos enfants et notre propre vie, si ce n’est comme disposition d’esprit.
                                         CHAPITRE 27
                                     Des biens séculiers
En ce qui a trait aux biens séculiers, Thomas Waldensis (livre 4, chapitre 42, article 3 de la doctrine de la foi) enseigne que les clercs doivent ou donner leurs biens aux pauvres ou les mettre au commun.  Et il le prouve par  un grand nombre de sentences des pères qui ne permettent pas aux clercs d’avoir des biens propres, des patrimoines,  mais seulement des biens communs, et qui soient ecclésiastiques. C’est ce que dit Origène (homélie 16 de la Genèse,) en expliquant le chapitre 47 sur les prêtres de Pharaon.  Saint Jérôme, dans son épitre à Népotien sur la vie des clercs, dit qu’un clerc qui a une part dans la terre n’aura pas de part avec le Seigneur, et que le Seigneur ne sera pas son lot.  Saint Bernard a des choses semblables et même plus dures dans son sermon sur Matthieu 19 : voici que nous avons tout laissé pour te suivre : « Le clerc qui obtient un lot sur cette terre n’en aura pas dans le ciel. »
Il est pourtant certain que, en vertu de la cléricature, les clercs ne sont pas obligés de se défaire d’un patrimoine.  On le prouve d’abord, par l’Écriture   Car (dans 1 Timothée 3), l’apôtre ordonne d’élire un évêque hospitalier, qui conduit bien sa maison, et qui maintient ses enfants dans l’obéissance.  Or, toutes ces choses présupposent la possession de biens qui lui appartiennent en propre.  De plus, Philémon avait un esclave,  et il était riche, comme il appert dans la lettre que saint Paul lui a adressée, et comme le fait remarquer saint Jérôme et saint Anselme, dans leurs commentaires de cette épitre.  Car saint Jérôme l’appelle un évangéliste, et saint Anselme un épiscope.  De plus, Eusèbe (livre 3, chapitre 19 de son histoire),  écrit au sujet des cousins du Seigneur  qu’ils avaient des possessions, médiocres, provenant d’un héritage de leurs pères.   Ils furent quand même des princes de l’Église, des évêques.  De même au canon 40 des apôtres, on lit : «   Que les biens que possède l’évêque le soient en toute équité.  S’il a des biens qui sont à lui, et d’autres qui appartiennent clairement au Seigneur,  qu’il ait le droit, en mourant, de les léguer comme il le voudra, et à qui il le voudra. »  Le concile d’Agathe dit la même chose  (au canon 48),  et Martin Bracarensis (canon 15 ),  et le concile d’Espagne 1, canon 1.
De plus, saint Ambroise, dans sa lettre 33 à Marceline. écrit que quand on lui a demandé de livrer une église aux Ariens, il a répondu que c’était son patrimoine, et qu’il ne voulait pas livrer le patrimoine du Christ. »  Saint Augustin (dans le sermon 1 sur les mœurs des clercs), dit que les clercs qui ont fait vœu de la vie communautaire, qui par la suite,  changent d’avis, et veulent avoir des biens qui sont  à eux personnellement, pèchent gravement à cause de la violation de leur vœu.  Le bienheureux Prospère (livre 2, chapitre 12, de la vie contemplative), dit qu’un clerc peut, sans péché, vivre de son patrimoine.
Au sujet des citations d’Origène, de saint Jérôme et de saint Bernard, on peut répondre qu’ils parlent de ceux  qui tendent d’accroitre leurs richesses, ou  qui,  ne se contentant pas de ce qui est nécessaire, recherchent le superflu.  Ceux qui ne se contentent pas de la nourriture et du vêtement, mais qui brûlent du désir de posséder, ce sont ceux dont ont peut dire qu’ils ont, ou qui cherchent à avoir une possession dans la terre.  Mais, quand saint Jérôme dit qu’un clerc ne doit rien avoir dans la terre, il ajoute : « pour qu’il puisse dire comme le prophète, ma part c’est le Seigneur, et pour qu’il soit un vrai lévite »  C’est le prophète David qui a dit : ma part c’est le Seigneur.  Or, il était très riche.   De la même façon, les vrais lévites étaient riches des biens externes, mais non intérieurement.
On pourrait douter que celui qui a des biens patrimoniaux puisse avoir en même temps des biens ecclésiastiques.  Car, saint Prospère (livre 2, chapitres 9, 10, 11, et 12 de la vie contemplative) enseigne qu’un clerc qui vit de biens ecclésiastiques ne peut pas ne pas pécher gravement s’il possède des biens personnels capables de le nourrir.  Et il le prouve ainsi.  On ne donne pas aux clercs des biens ecclésiastiques en récompense de leur travail, mais pour leur apporter la nourriture et ce qui est nécessaire à la vie, parce que la récompense du travail est la vie éternelle, et qu’échanger des biens spirituels pour des biens matériels est de la simonie.  Et il le confirme avec le canon 41 des apôtres où il est dit qu’un évêque peut utiliser les biens ecclésiastiques pour se sustenter, s’il en a vraiment besoin. Le concile d’Antioche répète la même chose au chapitre 25.  C’est ce qui permet de conclure que celui qui vit de son patrimoine et qui n’a pas besoin des biens de l’église pour son entretien, ne peut pas disposer des revenus de l’Église.
La glose dit le contraire, ainsi que Jean de Turrecremata (dans le canon clericos, 1 q. 2), et la raison en est que, en Matthieu 10, on dit que « l’ouvrier est digne de son salaire, », et en 1 Corinthiens 9, saint Paul demande : « Qui guerroie à ses propres frais ? »  Le clerc qui travaille pour l’église peut donc tirer son alimentation des biens d’église, en épargnant les siens.  Ajoutons que la pratique a été et est pour cette opinion seconde.  En effet, saint Prospère dit, au lieu cité, que son opinion a paru dure pour un grand nombre, et dure parce que neuve.  Voilà pourquoi la plus grande partie des clercs ont conservé leur patrimoine, tout en réclamant leur portion des dimes.
La première de ces opinions est plus sure, même si la seconde est peut-être plus vraie, à moins de les concilier de la façon suivante.  Si nous disons que saint Prospère parle de ceux qui ont, avec leur patrimoine,  abondamment ce qu’il faut pour vivre,  les biens  d’église sont alors superflus, et sont dus aux pauvres. D’autres auteurs parlent de ceux qui  n’ont ni avec leur patrimoine, ni avec les revenus de l’église ce qui est nécessaire pour demeurer en vie. Ceux-là peuvent conserver les uns et les autres, pourvu que leurs dépenses conviennent à leur condition et à leur état.  L’obligation demeure toujours de donner le superflu aux pauvres, comme les théologiens l’enseignent généralement.  Voir ce que j’ai écrit là-dessus au tome 3 du dernier livre, chapitre 7.
                                   CHAPITRE 28
  Les clercs sont-ils libres du joug du pouvoir séculier
La dernière question qui reste est celle de la liberté ecclésiastique, sur laquelle, dans cette ultime édition je me suis plus longuement étendu.  J’avais observé, en effet, que ne manquèrent pas des gens qui, abusant des témoignages de ce livre, voulurent s’attaquer à la liberté ecclésiastique.
Les hérétiques soutiennent en grand nombre que les clercs, majeurs aussi bien que mineurs, doivent être soumis de droit au pouvoir séculier, autant pour les impôts, que pour les jugements et les procès.  Marsile de Padoue et Jean de Janduno enseignèrent que le Christ lui-même a du payer le tribut, et que ce qu’il a fait ( en Matt 17) quand il a payé le tribut, il ne l’a pas fait volontairement, mais obligatoirement.  C’est ce que rapporte Jean de Turrecremata (livre 4, par 2, chapitre 37).   Jean Calvin (livre 4, chapitre 11, verset 15 de ses institutions) enseigne que tous les clercs, à l’exception des causes purement ecclésiastiques, doivent être sujets aux lois et aux tribunaux des juges séculiers.  Pierre le martyr enseigne la même chose (chapitre 17 aux Romains).  Il ajoute aussi que les princes n’ont pas pu concéder aux clercs le privilège de ne pas être soumis aux magistrats publics,  puisque c’est contre le droit divin.  Voilà  pourquoi, en dépit de la concession des princes, les clercs doivent être soumis aux tribunaux séculiers.  Jean Brentius et Melanchton, dans les lieux cités, au chapitre de la magistrature,  soumettent les clercs aux tribunaux civils, même dans les causes purement ecclésiastiques.
Parmi les catholiques, quelques-uns pensent que c’est de droit divin que les clercs soient libres des princes séculiers,  eux et leurs biens.  C’est ce qu’enseignent la glose et certains canonistes (dans le canon si imperator dist 96, et au chapitre quamquam, du cens, à s)  et certains théologiens, comme Jean Driedonus (livre 1, chapitre 9 de la liberté chrétienne).  D’autres estiment que les clercs sont libres en partie de droit divin et en partie de droit humain : dans les causes ecclésiastiques et spirituelles, de droit divin, et dans les causes humaines, de droit humain.  C’est ce que semble avoir enseigné François Victoria  sur le pouvoir de l’église (relecture 1, question ultime), Dominique a Soto (4 dist 25, question 2, article 2, Jean Medina (dans le codex de la restitution,  question 15),  et certains canonistes, comme Didace Cocarruvias (livre des questions pratiques, chapitre 31).
Voici donc la première proposition.  Dans les causes ecclésiastiques, les clercs sont, de droit divin, libres en face du pouvoir des princes séculiers.   On appelle causes ecclésiastiques celles qui ne relèvent pas des lois civiles, mais de l’évangile ou des canons des pontifes, ou des conciles, comme les controverses sur la foi, les sacrements, et d’autres semblables.   On le prouve par les livres divins, car, dans la doctrine des saintes Écritures, le régime ecclésiastique est distinct du politique, et est plus sublime que lui, comme nous l’avons démontré dans le livre 1 du souverain pontife (capitre 7, et livre 5, chapitre 7).  Les causes ecclésiastiques ne doivent donc pas  être jugées par les magistrats politiques.   De plus, selon l’Écriture, le pouvoir entier  de gouverner l’Église a été remis aux apôtres par le Christ, et principalement à  Pierre.  Donc, dans les choses ecclésiastiques, tous les laïcs, même les princes, sont des moutons et des sujets, non des pasteurs et des juges, comme il a été démontré aux lieux cités.
On le prouve ensuite par les conciles.  Dans le concile de Milet, au canon 13, et dans celui de Matiscon, au canon 8, les clercs sont gravement punis s’ils apportent une cause de l’église devant le tribunal d’un empereur terrestre.  On le prouve aussi par les  pères.  Sulpice Sévère (dans son livre 2 de l’histoire sacrée) dit que c’est quelque chose de nouveau et d’inouï et de funeste pour l’église qu’une cause ecclésiastique soit jugée par un juge séculier.  De même saint Ambroise (épitre 78 à Théophile), et saint Augustin (épitre 162).  Tous ces auteurs réprouvent ceux qui transfèrent les causes ecclésiastiques aux tribunaux des juges  civils.
On le prouve également par l’exemple des apôtres.  Car les apôtres ont gouverné les églises à une époque où il n’y avait aucun prince chrétien. Ils n’eurent donc pas à leur apporter de causes à juger.    Et si saint Paul va même jusqu’à dire que les litiges civils des chrétiens ne doivent pas être présentés devant les tribunaux des païens, comment aurait-il pu soumettre  à leur jugement les  litiges ecclésiastiques ?  On peut le prouver enfin par l’empereur Justinien senior qui affirme la même chose dans novelle 83.
La deuxième proposition.  Les clercs ne sont pas exempts de l’obligation des lois civiles, qui ne répugnent pas au droit canon ou au devoir clérical. Nous parlons principalement ici des loirs civiles qui guident les actions humaines dans les affaires temporelles, comme quant un prince ou un magistrat fixe des prix pour les ventes et les achats, ou quand il interdit à quiconque d’entrer de nuit avec des armes, ou sans lumière, ou de transporter du blé par bateau provenant d’une autre province, et d’autres choses semblables.   Nous ne voulons pas dire que, à ces lois, les clercs sont tenus par une obligation coercitive, mais seulement directive, à moins que ces lois n’aient été approuvées par l’Église.  Si la loi ecclésiastique avait disposé de ces choses temporelles,  les clercs auraient l’obligation de la suivre, et ils ne seraient plus tenus alors directement d’observer la loi civile.
On prouve donc que les clercs sont tenus directement d’observer les lois civiles, à défaut de lois ecclésiastiques.  Car, en plus d’être clercs, les clercs sont des citoyens et des parties de la république politique.  En tant que tels, ils doivent donc vivre selon les  lois civiles.  Car, il n’y en a pas d’autres que celles qui sont votées par les parlements. Ce sont celles-là que les clercs doivent observer, car, autrement, une grande perturbation et une grande confusion s’ensuivraient pour la république.  On le prouve ensuite par la confession des pontifes et des empereurs.  Nicolas dans l’épitre à l’empereur Michaël, près de la fin, dit : « Dieu a séparé l’autorité pontificale de l’autorité impériale, pour que les empereurs chrétiens aient, pour la vie éternelle,  besoin des pontifes, et pour que les pontifes se servent des lois impériales pour leurs affaires temporelles ».  L’empereur Valentinien (dans son épitre aux évêques d’Asie), que rapporte Théodoret (livre 4, chapitre 7 de son histoire), écrit que «  les évêques honnêtes doivent obéir non seulement à Dieu, mais aussi aux lois civiles ».
De plus, saint Jean Chrysostome (dans le chapitre 13 aux Romains) dit que l’évangile du Christ n’efface pas les lois civiles, et que les prêtres et les moins doivent, en conséquence, s’y conformer.  La troisième proposition.   Les clercs ne peuvent pas être jugés par des juges séculiers, même s’ils n’observent pas les lois civiles.  On le prouve par le concile de Chalcédoine (canon 9 ) : « Si un clerc a un litige avec un autre clerc, qu’il n’abandonne pas son évêque pour courir aux tribunaux séculiers. »  Le concile d’Agathe (canon 21) est encore plus clair : « Qu’un clerc n’entreprenne rien auprès d’un juge séculier sans la permission de son évêque ! »  Disent la même chose le concile de Carthage 3, canon 9, celui de Tolède 3, canion 13, celui de Matiscon, canon 8, celui de Constance, session 31.  Voir aussi ce qui a été ajouté un peu après, à la cinquième proposition.
On le prouve par la constitution des empereurs.  Car Justinien ( dans novellis  79, 83 et 123) exempte les clercs et les moines non dans les causes criminelles, mais seulement dans les civiles.  Dans les causes criminelles, il veut « qu’un préteur connaisse la cause d’un clerc, sans cependant pouvoir le condamner avant que l’évêque ne l’ait dégradé ».  Néanmoins, la loi canonique exempte les clercs, dans toutes les causes, autant criminelles que civiles, comme on le voit pas la lettre du pape Cajus à l’évêque Félix;  et aussi par l’épitre 2 de Marcellin,  et par le livre 11 du registre de saint Grégoire, épitre 54 à Jean le défenseur.  Or, la loi civile doit le céder à la loi canonique, puisque le pape peut donner des ordres à l’empereur surtout dans les choses  qui relèvent de l’Église.
On le prouve aussi par la raison.  Car, c’est le comble de l’absurdité qu’une brebis présume juger son berger.  Ce n’est donc pas sans de grandes louanges que Ruffin (livre 10, chapitre 2 de son histoire) rapporte cette parole de Constantin aux évêques : « Vous êtes, vous autres, des dieux établis par le Dieu suprême.  Il n’est pas juste qu’un homme juge des dieux. »
Mais Calvin (livre 4, chapitre 11, verset 15 de ses institutions),  cite l’épitre de l’empereur Constantin aux chrétiens de Nicomédie, (que rapporte Theodoret, livre 1, chapitre 20 de son histoire).  Il dit, dans cette lettre, qu’il a envoyé en exil Eusèbe de Nicomédie, et il ajoute : « Si un des évêques, un ministre de Dieu,  par son irréflexion apporte du tumulte,  son audace sera réprimée par ma condamnation. »
Je réponds que, à sa manière accoutumée, Calvin en impose aux simples.  Car, il est vrai que, dans cette lettre, Constantin écrit qu’il a envoyé en exil Eusèbe de Nicomédie.  Mais, il ajoute qu’il avait été auparavant, déposé par le concile de Nicée pour cause d’hérésie.  Nous ne nions pas, nous, que le magistrat séculier ait le pouvoir de punir les clercs après qu’ils aient été condamnée par l’Église, dégradés, et livrés au bras séculier.  Les paroles que Calvin prête à Constantin sont donc faussées par lui.  Car ce ne sont pas des clercs qu’il menace de punir, mais des laïcs.  Il avertit, en effet, le peuple de Nicomédie qu’il le punira s’il veut retourner à des évêques hérétiques, condamnés par le concile, et s’il n’accepte pas comme évêque un catholique orthodoxe.  Voici ses propres paroles : « Si jamais quelqu’un, enflammé d’audace et de témérité, s’apprête à louer   ces pestes de l’Église, les évêques ariens, la diligence du ministre de Dieu, la mienne, infligera immédiatement une peine à son ignorance. »
Pierre le martyr fait l’objection suivante. « De droit divin est soumise toute âme aux pouvoirs supérieurs, c’est-à-dire, aux rois, comme on le voit au chapitre 13 de l’épitre aux Romains.  Les rois ne pouvaient donc exempter aucun chrétien de la soumission à leur pouvoir.  Cet argument est confirmé par la doctrine des catholiques qui prouve de cette façon que personne ne peut être exempt de la soumission au pape, car, c’est par droit divin, que tous les hommes  sont soumis au pape »  Je réponds que cet argument ne prouve rien, car bien que ce soit de droit  divin que toute âme soit soumise aux pouvoirs supérieurs, et donc aussi aux rois et aux empereurs, parce qu’ils sont des pouvoirs supérieurs, il peut arriver, cependant, qu’un roi qui maintenant est le plus  puissant, ne le soit plus après, qu’il soit soumis à un roi plus fort,  ou que, par le droit de la guerre, il perde son royaume en partie ou en totalité.  Comme les princes eux-mêmes soumirent les clercs à leurs évêques dans toutes les causes, même temporelles et civiles, et qu’ensuite le pontife a soustrait les clercs au pouvoir séculier, il s’ensuit que, en ce qui a trait aux clercs, les princes ne sont pas des pouvoirs supérieurs, et que les clercs ne sont pas tenus de leur obéir ni par le droit divin,  ni par le droit humain, si ce n’est qu’à titre de direction ou directive,  comme nous l’avons déjà expliqué.
À la confirmation je réponds que le pontificat et la royauté ne sont pas des pouvoirs du même ordre. Car, les royaumes n’ont pas été institués par Dieu immédiatement, mais par les hommes, et les hommes ont donc le pouvoir de les modifier.  Mais le pontificat a été institué directement par Dieu, et il ne peut pas être changé par les hommes.
La quatrième proposition.  Les biens des clercs, tant ecclésiastiques que séculiers, sont immunes, et c’est avec raison qu’ils doivent être exemptés de taxe et d’impôt par les pouvoirs séculiers.  Qu’ils soient immunes de fait, on le voit par le conseil de Latran sous Alexandre 111 (partie 1, chapitre 19), et par le concile du Latran sous Innocent 111,(chapitre 46), ainsi qu’au chapitre de l’église de saint Marie, (de la constitution, et du chapitre quamquam, du cens, dans 6, et des extravagants).  On le voit aussi dans les chapitres quia nonnulli, dans le chapitre de clericis, de l’immunité de l’église, en 6.   On le voit aussi par les lois des princes qui se trouvent dans le codex de Theodose, (livre 16,  titre 2,  lois 16, et 26.  Et dans le codex de Justinien (lege sancimus, les églises sacrosaintes,) et dans le livre 10, chapitre 7 de l’histoire d’Eusèbe, traduite par Christophorsonus.
Il faut noter que, avant le temps de Justinien, les clercs avaient été,  par les lois des premiers princes, exempts des tributs personnels, comme l’indique saint Jérôme dans son commentaire au chapitre 17 de Matthieu.  Ils ne le furent toutefois pas des tributs qu’il fallait payer en raison de la profession, comme on le voit chez saint Ambroise dans son discours sur les basiliques qu’il devait livrer aux Ariens.  Il dit là que « les champs de l’Église paient le tribut. »  Et chez Theodoret (livre 4, chapitre 5, de son histoire), où  il écrit que Valentinien senior, dans son épitre aux évêques d’Asie, a dit ces mots : « Les bons évêques paient le tribut aux rois. »   Que cette exemption ait été faite de plein droit, et non seulement de droit humain, mais de droit divin, nous le prouverons dans les propositions qui suivent.
Marsilius de Padoue oppose à cette proposition l’exemple du Christ, qui paya le tribut en Matthieu 17.  Mais il est facile de lui répondre.  C’est parce qu’il l’a voulu, non parce qu’il le devait, que le Christ a payé le tribut. C’est le contexte qui nous  le fait comprendre.  Car, quand ceux qui exigeaient le tribut dirent à Pierre : « votre maître ne paie pas le didrachme », Jésus lui dit : « Que t’en semble, Simon ?  Les rois de la terre de qui reçoivent-ils le tribut ou le cens, de leurs fils ou des étrangers ? »  Simon répondit : « Des étrangers ».  Le Seigneur conclut : « Les fils en sont donc exempts. Mais, pour ne pas les scandaliser, va à la mer, lance l’hameçon, attrape le premier poisson qui viendra, et tu trouveras dans sa bouche un statère. Avec lui tu paieras et pour moi et pour toi. »
On a donné deux interprétations des mots : « les fils en sont exempts », et selon l’une et l’autre, le Seigneur montre qu’il n’a pas à payer le tribut.  La première est celle de saint Hilaire.  Il enseigne qu’il s’agit, dans ce passage, du tribut que Dieu avait imposé à tous les fils d’Israël (Exode 30) pour l’usage du temple; et que ce tribut était précisément un didrachme.  La deuxième, qui nous parait plus vraie, est celle-ci : les rois de la terre n’exigent pas le tribut à leurs fils, mais aux étrangers.   Le roi du ciel n’exige donc pas, non plus,  de tribut à son Fils propre et naturel.   La dernière interprétation est celle de saint Jérôme. Le tribut en question est celui qui devait être payé à César.  Cette interprétation est moins vraisemblable, car le tribut qu’on payait  à César n’était pas le didrachme, mais le denier, comme nous le montre le chapitre 22 de Matthieu : « Montre-moi la pièce d’argent. Et ils lui présentèrent un denier. »  On ne peut prouver par aucune bonne raison qu’on avait coutume de payer un didrachme comme tribut à César, si ce n’est après l’ascension du Christ au ciel.  Car Joseph écrit (dans le livre 7, chapitre 26 de sa guerre judaïque) que, après la destruction du temple, l’empereur Vespasien a statué que le tribut d’un didrachme que les Juifs offraient à chaque année au temple, serait transféré au Capitole.
Mais,  ce même texte de l’historien Joseph nous laisse entendre que le Christ n’était tenu à payer aucun tribut, car, même s’il n’était pas le fils de César,  Il était quand même le Fils de Dieu, dont tous les rois et princes de la terre sont les ministres (sagesse 6, Romains 13). Or, les ministres d’un roi ne peuvent pas demander au fils du roi de payer le tribut.  De plus, on paye des tributs aux rois en raison de cette vie corporelle remplie de craintes et exposée à tous les dangers, comme l’enseigne saint Thomas (2.2 question 104, article 6, au premier).  Et donc, les justes aussi, même si selon l’âme ils sont libres de la servitude du péché, cependant, en raison du corps, dont ils attendent encore la rédemption, (Rom 8), ils sont soumis aux tributs,  et au pouvoir civil.
Mais le Christ n’était pas libre, et non esclave, non  seulement selon l’âme, mais aussi selon le corps.  Et ce n’était pas la rédemption qu’il attendait, mais seulement la résurrection de son corps.  Car, il n’avait aucune maladie de la concupiscence, et de la loi du péché, et il n’était exposé aux périls et aux injures que dans le mesure où il le permettait. «  Il s’est livré, comme l’a dit Isaïe, parce qu’il l’a voulu »  Il ne devait donc pas de tribut aux rois celui qui n’avait besoin d’aucun roi pour assurer sa défense.  Et c’et avec raison qu’a été condamnée comme hérétique par Jean XX11 la sentence de Marsille de Padoue, comme le rapporte Jean de Turrecremata (livre 4, partie 2, chapitre 37 de sa somme de l’Église.)
La cinquième proposition.  L’exemption des clercs dans les choses politiques, tant pour les personnes que pour les biens, a été introduite  autant en vertu du droit humain  qu’en vertu du droit divin.  Qu’elle ait été introduite en vertu du droit humain, nous l’avons déjà démontré par les témoignages que nous avons cités dans la troisième et dans la quatrième proposition.  Qu’elle ait été introduite aussi en vertu du droit divin, nous le prouvons pas ce passage.  Mais  il faut noter, auparavant, que, par droit divin, nous n’entendons pas un précepte proprement dit que l’on trouve en toutes lettres dans le texte sacré.  Mais seulement que des exemples et des témoignages de l’ancien testament et du nouveau, on peut déduire des choses similaires. Et c’est peut—être de cette façon qu’on peut concilier les sentences des théologiens et des juristes.  Car, quand ceux-ci nient que l’exemption des clercs soit de droit divin, ils nient que ce soit un précepte divin proprement dit que l’on trouverait en toutes lettres dans l’Écriture.  Quand ceux-là enseignent que cette exemption est de droit divin, la seule chose qu’ils affirment c’est, ce que nient les théologiens, qu’on peut déduire des exemples et des témoignages de la sainte Écriture que Dieu a voulu que les clercs et leurs biens soient libres de du pouvoir et de la juridiction des laïcs.
Il est certain que, en commentant ce passage, Germinianus, Ancharanus (chapitre quamquam, sue le cens, en 6) disent qu’il signifie que l’immunité des ecclésiastiques est de droit divin.  Mais pour savoir ce que cela veut dire, il faut le demander à la Glose.  Or, dans le même chapitre, la Glose enseigne que l’immunité de droit divin des clercs est déduite de l’exemple du patriarche Joseph,  qui exempta les prêtres d’Égypte (Genèse 47), et d’Artaxerxès, roi des Perses, qui exempta les prêtres israélites (1 Esdras 7). Car, comme l’a si bien dit le pontife Alexandre  au concile de Latran, (au chapitre non minus, de l’immunité de l’église) : « Il ne convient pas que l’Église de Dieu soit moins libre aux temps des princes chrétiens qu’elle l’a été au temps du Pharaon. »
Après nous être acquitté de ces notes préalables, nous prouvons notre proposition par des témoignages de l’Écriture sainte.  Car, en plus des lieux déjà cités, celui de la Genèse, d’Esdras, nous en avons deux autres non moins illustres.  Dans Nombres, chapitre 3, Dieu ne dit pas une sois seulement, mais répète souvent que les Lévite sont les siens propres, et qu’il les a choisis de tout peuple.  Et au même endroit, il ordonne qu’on lui fasse don de tous les lévites d’Aaron, et de ses fils, c’est-à-dire, du grand prêtre et de ses successeurs.  Ceux qu’il s’est choisis  pour le ministère du temple et des choses sacrées, il a voulu qu’ils ne soient soumis qu’au seul  pontife qui représente Dieu sur la terre, et les a, par là, libérés de la juridiction des princes terrestres.  Il appert que les clercs sont maintenant dans l’Église, ce qu’étaient les lévites dans l’ancien testament; et que le pontife des chrétiens n’a pas une autorité moindre, mais plus grande que celle qu’eut Aaron dans la synagogue des Juifs. « Maintenant, dit saint Léon (sermon 8 sur la passion du Seigneur), l’ordre des lévites est plus illustre, la dignité des anciens plus grande,  et l’onction des prêtres plus sacrée. »
Il s’ensuit donc que, comme dans l’ancien testament, les lévites étaient, de droit divin, libres par rapport au pouvoir des princes séculiers, ceux du nouveau testament le sont également.
L’autre passage est celui que nous avons cité plus haut : « Les fils sont donc libres. »  Car comme les fils des rois n’ont pas à payer le tribut à leur père, leurs serviteurs et leurs ministres ne le paient pas non plus.  Leurs familles mêmes en sont exemptes.  Or, il est certain que les clercs appartiennent proprement à la famille du Christ, qui est le fils du roi des rois.  C’est ce que saint Jérôme semble avoir compris dans son commentaire de ce texte : «Pour honorer le Seigneur,  les clercs ne paient pas le tribut. »  Et saint Augustin (livre 1, questions sur les évangiles, question 23) : « Dans tous les royaumes de la terre,   ne sont pas tributaires les fils de ce Roi sous lequel sont  tous les rois de la terre. »
On prouve ensuite cette proposition par le témoignage du droit canon.  Le concile de Trente, célébré à notre époque, (session 25,  chapitre 20 de la réforme) parle ainsi : « L’immunité de l’Église et des personnes ecclésiastiques a été instituée par une disposition de Dieu et les saints canons. »  Le concile de Cologne, célébré un peu avant celui de Trente, (part 9, chapitre 20) déclare : « L’immunité ecclésiastique est très  ancienne, et c’est de droit divin et humain qu’elle a été introduite . Elle consiste en deux choses.  La première : que les clercs et leurs possessions soient exemptes des taxes et des tributs, et d’autres tâches laïques.  La deuxième. Que ceux qui se réfugient à l’église pour motif de crime, n’en soient pas arrachés de force. » Le concile de Latran sous Léon X (session 9) : « Comme par un droit divin au tant qu’humain, aucun pouvoir n’est accordé aux laïcs sur les personnes ecclésiastiques, nous renouvelons toutes les constitutions et chacune en particulier. »
Et le concile de Latran sous Innocent 111, chapitre 43 : « Ils s’efforcent trop d’usurper le droit divin ces laïcs qui, ne recevant rien des biens temporels des ecclésiastiques, les contraignent par des serments de fidélité à leur en donner. »  Boniface V11, dans l’épitre quamquam, (sur le cens,dans 6)  parle comme d’une chose connue et approuvée quand il dit que « de droit divin et humain,  les clercs et leurs biens sont exempts des pouvoirs séculiers. »   Jean V111 (canon si imperator, dist 96) dit : « Ce n’est pas par les lois publiques, ni par le pouvoir séculier, mais par les pontifes et par les  prêtres que le Dieu de la religion chrétienne a voulu que les clercs soient conduits et gouvernés. »  Et ce que le pontife Jean affirme des personnes, le pontife Symmaque l’avait affirmé bien avant lui des biens ecclésiastiques, au troisième synode romain : « C’est, Indiscutablement,  aux seuls prêtres qu’a été remis par Dieu le soin de disposer des choses de l’Église. »
On peut ajouter à ces témoignages le pape Innocent 1V, même si ce n’est pas en tant que pape, mais en tant que docteur privé qu’il a écrit sur ce sujet.  Car, dans son commentaire (au chapitre 2, de la majorité et de l’obéissance), après avoir enseigné que les clercs étaient exempts du pouvoir des laïcs par le souverain pontife, avec le consentement de l’empereur, il a jouté que cette exemption n’était pas complète, et que c’est pour cette raison qu’il faut dire que c’est par Dieu que les clercs en sont exempts.  J’ai pensé qu’il fallait ajouter ce témoignage d’Innocent 1V parce que Covarruvias (dans le livre des questions pratiques, chapitre 31)  écrit que le dit pontife, au lieu par nous présenté, a affirmé que l’exemption des clercs n’était pas de droit divin.
  Qu’il ait menti, les paroles de ce pape que je  viens de citer le démontrent hautement.  Et, avant nous, Panormitanus (chapitre nimis de jurejurando), a fait allusion à l’enseignement de ce pontife.  Il réfute là ceux qui, par droit divin, entendent  droit canonique.  Et c’est peut-être pour exclure les explications de ce genre que le concile de Trente n’emploie pas  les mots  droit divin et humain , qu’on peut travestir en leur faisant signifier le droit canon et le droit civil.  Il a dit : « C’est par une disposition divine et des sanctions ecclésiastiques que l’immunité de l’Église et des personnes ecclésiastiques a été instituée. »
                                         CHAPITRE 29
L’exemption des clercs est-elle d’un droit divin naturel ?
Nous avons disserté jusqu’à maintenant d’un droit divin positif.   Il faut maintenant discuter d’un droit  naturel pleinement divin, sans équivoque possible, puisqu’il est imprimé dans nos âmes par l’auteur de la nature.  Mais avant que je commence à expliquer si l’exemption des clercs procède de ce droit,  il faut distinguer trois degrés de droit naturel.  Le premier porte sur les choses qui sont si profondément enracinéess dans les cœurs des hommes que, par la seule lumière de la raison,  sans étude et sans connaissance particulière, sans syllogisme, elles sont par tous jugées justes.   Tels sont les premiers principes, comme il faut désirer le bien, fuir le mal, il faut conserver sa vie par le boire et le manger, engendrer et éduquer des enfants pour la conservation du genre humain.  De même : il faut adorer Dieu, et ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse.  Voilà quels sont à proprement dit, les préceptes du droit naturel, dont parle saint Ambroise en ces mots (épitre 71 à Irénée) : « La loi de nature, que Dieu a infusée dans les cœurs de chacun, n’est pas écrite, mais est innée. Elle ne s’obtient pas par un enseignement oral, mais elle est imprimée en chacun comme  coulant en nous de la fontaine de la nature, et y est puisée par l’intelligence humaine. »
Et saint Jérôme (dans son épitre à Algasia, question 8) : « La loi qui est écrite dans les cœurs est présente dans toutes les nations, et il n’est personne parmi les hommes qui ne connaisse pas cette loi. C’est donc le juste jugement de Dieu écrivant dans le cœur du genre humain : « ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas aux autres ! »  Et saint  Augustin (psaume 57) : « Par la main de celui qui nous a formés la vérité est écrite dans nos cœurs, celle de ne pas faire à autrui ce qu’on ne veut pas qu’on nous fasse à nous-mêmes. Personne n’est autorisé à ignorer cela, avant même que la loi soit donnée, pour qu’il soit possible de porter un jugement sur les hommes à qui n’avait pas été donnée la loi. »    Les Grecs ne sont pas d’un autre avis, comme saint Jean Chrysostome (homélie 54 aur la Genèse), ou saint Thomas (1.2. question 94, article 2) et les codes de droi , comme on le voit (dist 1 et 1.1.ff de la justification et du droit).
Le deuxième degré est celui de ces préceptes qui sont déduits des principes premiers, comme des conclusions prochaines, qui découlent naturellement comme une conséquence immédiate,  évidente et nécessaire, sans nécessiter de science ou de compétence quelconque, telle que tout homme est capable de l’avoir. Tels sont tous les préceptes du décalogue.   Car du principe imprimé dans le cœur de l’homme qu’il faut rendre un culte à Dieu, découle directement qu’il ne faut pas adorer des idoles, et qu’il ne faut pas se parjurer.   De l’autre principe ( ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse) il découle qu’on ne doit pas tuer, qu’on ne doit pas commettre d’adultère, ni voler etc.
 Il est arrivé que,  à cause de l’aveuglement des hommes, ces préceptes aient été effacés du cœur des hommes, comme on le voit dans le de bello gallico de César. Il nous raconte que, pour les Germains, le vol n’était pas un vice, mais une vertu.  Saint Jérôme (dans son contre Jovinien, livre 2) et Theodoret (livre 9 aux Grecs) rapportent que plusieurs vices contre nature étaient approuvés par les peuples et les législateurs, et considérés licites et justes.   Mais, même si ces préceptes étaient ignorés par quelques-uns, ils appartiennent vraiment et proprement au droit naturel divin, comme l’enseigne saint Thomas (1,2, question 94, article 5,  et question 100, article 8.  Il écrit là que, dans les préceptes du décalogue, qui sont proprement de droit naturel, aucune dispense ne peut être donnée.  Et il est certain que comme ce qui découle des articles de la foi par une conséquence nécessaire, appartient aussi au droit naturel car, on ne peut le détruire sans détruire la nature.
Le troisième degré des préceptes naturels porte sur ceux qui sont déduits des principes du droit de nature, mais comme une conséquence non absolument nécessaire, ni évidente, et exigeant donc une constitution humaine. Et voilà ceux que les théologiens rapportent proprement au droit des gens, et qu’ils distinguent du droit civil.  Le droit civil, en effet, n’est pas tiré du droit de la nature par mode d’une conclusion déduite des principes, mais par le moyen d’une détermination de ce que le droit naturel prescrit généralement.  Cette doctrine est celle de saint Thomas (1.2. question 95, articles 2 et 4.)   Et bien que saint Thomas (q 95, art 4) dise avoir suivi Isidore quand il affirmait que le droit des gens est une espèce de droit positif, il s’exprime autrement (2.2. q. 57, article 3) et plus clairement encore dans lec 12, du livre 5 éthiques) quand il dit que c’est une espèce de droit naturel. Et il allègue les anciens jurisconsultes qui enseignaient qu’autre est le   droit naturel qui est commun à tous les animaux, et autre celui qui est commun à tous les hommes.  Il ne se contredit pourtant pas, et saint Isidore ne s’oppose pas aux jurisconsultes.  Car, le même saint Thomas (1.2. question 95, article 4, au premier) écrit que le droit des gens est, en quelque façon, naturel, et en quelque façon positif, et qu’il est, à cause de cela, un intermédiaire entre le droit naturel pur et le droit civil.
Car, le droit naturel pur est celui qui ne dépend en aucune manière d’une constitution humaine.  Le droit civil est celui qui ne dépend que d’une constitution humaine;  et c’est pour cela qu’on peut dire qu’il est purement positif.  Mais le droit des gens est en partie naturel et en partie positif,  parce qu’il dépend d’une constitution humaine, c’est-à-dire du consentement de tous les peuples, sans pourtant dépendre de l’autorité d’un prince ou d’un juge particulier.  On peut conclure de cela que les choses qui sont du droit des gens sont prohibées comme mauvaises, parce qu’elles sont, d’une certaine façon, naturelles. Mais, à l’opposé, celles qui sont de droit civil, qui sont donc purement positives, sont mauvaises parce qu’elles sont prohibées.  On peut aussi conclure que les choses qui sont du droit des gens, parce qu’elles sont d’une certaine façon, naturelles, ne peuvent pas être abrogées ou modifiées par les princes.  Et, à l’opposé, les choses qui sont de droit civil, parce qu’elles sont purement positives peuvent être abrogées par le prince ou le gouvernement qui les a édictées.
Après ces clarifications, il semble qu’on doive dire que l’exemption des ecclésiastiques n’appartient ni au premier, ni au second degré des préceptes naturels, sans être cependant de droit positif, canonique ou civil, mais qu’on doive la référer au troisième degré des préceptes de droit naturel, ou, ce qui est la même chose, au droit des gens.  Et c’est ce qui me semble être l’opinion de presque tous les théologiens et les canonistes.
Et je ne pense pas  Jean Driedon (livre 1, chapitre 9, de la liberté chrétienne) qui dit, avec les canonistes,  que l’exemption des clercs est de droit divin naturel, soit d’un autre avis que Victoria (dans la première relecture du pouvoir de l’église, question ultime,) et que Soto (dans 4 sentent 10, dist 25, quest 2) qui disent que l’exemption des clercs est de droit humain et positif.  Car, Jean Driedon ne dit pas que l’exemption des clercs est de droit naturel parce qu’elle est un principe premier du droit naturel, ou une conclusion prochaine, ou parce qu’elle est déduite naturellement de premiers principes,  mais parce qu’elle tout à fait conforme à la raison naturelle.   Victoria et Sotus, par contre, nient qu’elle soit de droit divin naturel parce que, par droit naturel, ils entendent un droit purement naturel, de la façon dont Sotus nie lui aussi que le droit des gens soit naturel.   Cependant, ces mêmes auteurs, et surtout Sotus, ajoutent que cette exemption est tout à fait conforme à la raison et à la nature.
Ils ne veulent pas seulement dire qu’elle est raisonnable, mais qu’elle n’est pas contraire à la raison.  Car, ils auraient parlé pour ne rien dire puisque toute loi juste, même purement positive,  ne doit pas être contraire à la raison.  Ils voulaient donc dire qu’elle était du droit naturel comme une conclusion,  qu’elle tirait sa force du droit de nature. Et c’est pour cela qu’ils ajoutaient que,  puisque tous les peuples la reconnaissaient, elle ne pouvait par être abrogée ou modifiée par les rois ou les princes, même s’ils s’unissaient tous pour tenter de l’abroger.  Saint Thomas n’est pas d’un autre avis, même si dans son commentaire aux Romains (au chapitre 13),  il écrit que «  les clercs sont exempts des tributs par un privilège des princes », car, il ajoute, au même endroit, que cela s’est fait selon une équité naturelle.
Nous prouvons prouver cette sentence par des arguments.  D’abord, par la coutume de tous les peuples.  Le fait que cela se fasse partout montre que cette exemption descend de la nature elle-même, qui est commune à tous.  Il appert que chez les Hébreux, les lévites furent exempts du tribut (chapitre 30 de l’Exode,  et chapitre 1 des Nombres).  Chez les Égyptiens, au temps des pharaons, les prêtres en furent exempts (chapitre 47 de la Genèse).  Sous le roi Arthaxerxès, (livre 1, chapitre 7, Esdras).  On peut apprendre la même chose au sujet des prêtres des Gentils dans Aristote, (livre 2, oeconom), dans César (livre 6 de la guerre gauloise), dans Plutarque (dans Camille), et dans d’autres auteurs.
Chez les chrétiens, l’empereur Constantin, qui fut le premier empereur ouvertement chrétien, déclara immédiatement, sous la dictée de la nature, que les ecclésiastiques étaient immunes des obligations communes de la république, comme on le voit dans son épitre à Avilinus, citée par Eusèbe (livre 10, chapitre 7 de son histoire).  Et c’est aussi ce que beaucoup d’autres empereurs ont fait.  Il faut noter les paroles de Justinien junior (sancimus 2, canon de la sacrosainte église).   Là où il exempta les églises, il écrivit : « Pourquoi ne ferions-nous pas de différence entre les choses divines et les choses humaines ?  Et pourquoi ne pas conserver à la faveur céleste,  une prérogative justifiée ? »  Par ces paroles, il montre que l’exemption ne fut ni  arbitraire ni  optionnelle, mais due et nécessaire.
Un autre argument se tire de la ressemblance que le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir séculier ont avec  l’âme et le corps humain. Car, (comme nous l’avons montré au livre 5 du souverain pontife, avec saint Grégoire de Naziance,  Hugues de saint Victor, et d’autres auteurs célèbres),  on ne peut mieux comprendre comment se comporte le pouvoir ecclésiastique par rapport au pouvoir séculier qu’en regardant comment l’âme se comporte par rapport au corps.  L’esprit n’empêche pas les actions du corps quand elles sont bonnes, mais il les régit, les modère, les réprime ou les excite dans la mesure où il juge qu’elles concourent à la fin projetée.  La chair, par contre, n’a aucun empire sur l’esprit, et ne peut, en aucune façon, le diriger, le juger, le contraindre.  Il en est ainsi avec le pouvoir spirituel et le pouvoir civil.  Le pouvoir ecclésiastique, qui est spirituel, et qui est, par là, naturellement supérieur au séculier, peut, quand il se doit, diriger, juger et contraindre le pouvoir séculier. Mais pour aucune considération, il  n’est permis au pouvoir séculier de le diriger, de le juger et de le contraindre.
On le prouve, ensuite, par le nom de pères et de pasteurs, dont les prêtres sont ornés autant dans les saintes Écritures et les livres des saints pères que dans la coutume commune aux chrétiens.  C’est la nature, en effet, qui enseigne que les fils obéissent aux parents, qu’ils supportent patiemment d’être corrigés par eux; qu’ils ne doivent pas vouloir corriger, juger leurs parents, ou leur commander.   La nature, reine et maîtresse, nous enseigne encore plus éloquemment que les brebis sont dirigées et gouvernées par les pasteurs, et que quant elles s’éloignent, elles sont ramenées par le bâton sur la voie droite.  Il est évident pour tous que ce serait tout à fait contre la nature si les brebis régissaient et gouvernaient les pasteurs.
Le quatrième argument peut être tiré du nom et du devoir des clercs.   Les clercs sont des ministres de Dieu, consacrés pour le seul service de Dieu, et offerts à Dieu, pour cette raison, par tout le peuple.  Voilà pourquoi on dit que les clercs appartiennent au sort de Dieu, comme l’enseigne saint Jérôme dans sa lettre à Népotien.   Il est certain que dans les choses qui sont offertes et consacrées à Dieu, et qui sont devenues comme la propriété de Dieu, les princes séculiers n’ont aucun pouvoir.   C’est ce qu’enseignent clairement la lumière de la raison et Dieu lui-même dans les saintes Écritures, quand il dit au dernier chapitre du Lévitique : « Ce qui a été une fois consacré à Dieu sera pour Dieu le saint des saints. »   Qui osera dire qu’un homme profane possède un droit dans ce qui est le saint des saints, c’est-à-dire dans les choses qui ont mérité d’être très saintes ?  Par quelle raison les biens temporels des clercs sont-ils appelés par les apôtres les biens propres du Seigneur (au canon 4 des constitutions des apôtres) ?  Ce qui est sacré pour Dieu ne peut donc pas être sujet à la juridiction des laïcs.
Le cinquième argument est tiré des signes et des prodiges que Dieu montra souvent dans ceux qui osèrent violer l’immunité ecclésiastique.  On peut lire beaucoup de choses à ce sujet dans le cinquième livre des sermons de Tilmann Bredembachium.  Mais noua a été conservé un témoignage insigne de Basile Porphirogenitus, empereur des Grecs  (dans Balsamon,  dans le canon de Photius,  commentaire du premier canon du synode de Constantinople premier et second, que nous appelons, nous, le huitième.   Ce Basile rapporte la cause de toutes les calamités de ce temps à une loi de son prédécesseur Phocas Nicephore, portée contre la liberté de l’Église. « Depuis, dit-il, que cette loi entra en vigueur, rien de bon n’arriva plus jusqu’à aujourd’hui.  Mais, au contraire, aucun genre de calamité ne fut jamais complètement défaut. »  Voilà pourquoi il a voulu que cette loi  fut jugée par lui nulle et non avenue, et totalement abrogée.
                                    CHAPITRE 30
                    On réfute les arguments contraires
Mais il vaut la peine de faire un dernier effort pour répondre aux objections qui nous sont faites, comme, par exemple, par Didacus Covarruvias (au lieu cité) et Jean Medina (dans le codex de la restitution q. 15).  La première objection.  Il n’existe aucune loi divine qui exempterait les clercs de la juridiction des princes laïcs.  Or, nous avons déjà montré  qu’il existe plusieurs témoignages de l’ancien testament desquels on déduit, comme une conséquence probable, un argument pour prouver que les clercs sont affranchis de la juridiction des princes séculiers.  Il importe peu que l’ancien testament ait été abrogé par le nouveau.  Car, même si les préceptes cérémoniaux et judiciaires ont été abrogés, les moraux ne l’ont pas été, c’est-à-dire ceux qui contiennent ou déclarent le droit de nature. Et de plus, comme les cérémonies des Juifs étaient des figures de nos  mystères, comme l’apôtre l’enseigne (1 Corinth 10, Gal 4, et Hébreux 7), ce n’est pas une mauvaise chose que de déduire des arguments d’une ressemblance avec les rites juifs.
Ce n’est pas seulement des témoignages de l’ancien testament, mais aussi de raisons tirées du droit de nature que nous déduisons que le droit de nature n’est pas humain, mais divin, puisqu’il émane de l’Auteur de la nature.
On nous objecte ensuite les nombreuses lois de Justinien que nous présentent d’anciens codex authentiques.  Ces lois nous font connaitre  qu’autrefois les clercs étaient soumis à la juridiction de l’empereur.   Mais il est facile de leur répondre.   Car si cet argument avait quelque valeur, il prouverait que même dans les choses ecclésiastiques et spirituelles les clercs ne sont pas, de droit divin, immunes du pouvoir des princes laïcs.  Car, il appert que non seulement de manuscrits, mais surtout du nomocanon de Photius, Carrovius et Medina  ont tiré plusieurs lois de Justinien au sujet des choses ecclésiastiques et spirituelles, qui font que tous les théologiens et les canonistes enseignent que dans les choses ecclésiastiques et spirituelles, les clercs sont exempts  du pouvoir des princes, de droit divin.   Ils sont donc forcés de dire eux aussi avec nous que ces lois virent le jour de fait, non de droit, qu’elles ont été tolérées un certain temps par les souverains pontifes, mais jamais approuvées.
Je ne nierai pas, toutefois, qu’il y a plusieurs lois civiles impériales auxquelles  les clercs doivent obéir autant que les laïcs. Car l’Église, comme le dit le pape Nicolas dans son épitre à  l’empereur Michaël, en ce qui a trait aux choses temporelles, se sert des lois impériales. C’est ce qui explique que nous ayons la même détermination de la dime dans les canons et chez Gratien.  Mais il faut comprendre qu’il s’agit des lois qui ne sont pas contraires à la liberté ecclésiastique, qui montrent une direction et non une contrainte.  Et aussi quand sont présentes d’autres conditions que notent les docteurs, et surtout Félin, dans son chapitre  l’église de sainte Marie, (de la constitution, question 10.
On nous objecte, en troisième lieu, un exemple de saint Paul qui, bien que chef ecclésiastique, n’hésita pas à en appeler à César, et à  confesser publiquement qu’il voulait être jugé par lui, comme saint Luc le rapporte aux Actes 25.   Mais cette objection Covarruvias aurait du l’omettre complètement.  Car, comme le montrent très bien les actes des apôtres, saint Paul fut contraint d’en appeler à César, pressé qu’il était par les calomnies des Juifs, et par l’injustice du procurateur romain qui  ne reconnaissait que César comme juge suprême.  Voilà pourquoi, de fait du moins si non de droit, il a dut accepter César comme juge, car ce n’est pas sans faire rire de lui que, devant des Gentils, il aurait reconnu saint Pierre comme juge suprême, ou  qu’à des Juifs il en aurait même fait mention.
Ils nous objectent en quatrième lieu les témoignages des saints apôtres Pierre et Paul.   Saint Pierre écrit dans sa première épitre, chapitre 2 : « Soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, soit au roi en tant que supérieur à tous, soit aux chefs en tant qu’envoyés par Dieu.. »   Et saint Paul (Romains chapitre 13) : « Que toute âme soit soumise aux pouvoirs supérieurs. »  En commentant ces textes, saint Jean Chrysostome affirme que « ces choses ne sont pas dites seulement pour les laïcs, mais pour les clercs et les moines,  et même pour les apôtres et les évangélistes. »  Je réponds que ces phrases des apôtres sont générales.  Il était fait mention des rois, car, en ce temps-là. Il était tout à fait nécessaire de faire comprendre aux chrétiens qu’ils devaient obéir aux rois, pour ne pas empêcher la prédication de la foi. Mais ces mots de saint Pierre et de saint Paul ne signifient rien d’autre que l’obligation d’être soumis aux supérieurs légitimes, et de leur accorder l’obéissance qui leur est due.  Voilà pourquoi on ne peut pas, à partir de ces textes, soutenir que les clercs doivent obéir aux princes séculiers et à leurs lois avant de prouver d’abord que les rois du siècle sont des supérieurs légitimes et des juges des clercs. Ce qu’on ne pourra pas prouver à moins de prouver que les pasteurs sont soumis aux brebis, les parents à leurs fils, et les choses spirituelles aux choses temporelles.
Nous ne contredisons pas non plus saint Jean Chrysostome.  Car, bien que nous affirmions que le pontife est le  seul juge approprié des clercs et des moines, nous reconnaissons quand même que les rois sont rois des prêtres et des moines autant que des laïcs. Ce n’est donc pas sains raison que, dans les prières publiques, nous prions pour notre roi ou notre empereur.   Car les rois ne livrent pas la guerre seulement pour les laïcs, mais aussi pour les clercs et les moines, et ils veillent à assurer la paix et la tranquillité de tous, selon ce qu’écrit saint Pierre (1 épitre chapitre 2) : « Honorez le roi ! ».  L’obéissance leur est due, quand leurs lois ne sont pas contraires aux canons sacrés, et quand les canons ecclésiastiques n’ont pas encore statué sur un sujet. Mais toujours dans le sens d’une direction, et non une coercition, comme nous avons dit plus haut.
En plus de ces arguments,  Medina nous en oppose d’autres au lieu cité, que Covarruvias  a jugé devoir omettre, les trouvant puérils.  Nous allons quand même les réfuter en quelques mots.  Médina dit que, dans la loi naturelle, tous les premiers-nés étaient des prêtres, mais qu’ils n’étaient pas pour cela exempts du pouvoir des plus puissants.  De même, dans la loi écrite, les lévites auxquels succèdent maintenant les prêtres, n’étaient pas seulement soumis au pontife Aaron, mais aussi à Moïse, qui était le chef civil de tout le peuple des Juifs.
 Dans la loi évangélique, le Christ lui-même, qui était le chef de tous les prêtres, fut soumis à Pilate, selon sa propre parole (Jean 19): « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut. »  Voici comment raisonne Médina : «  La loi évangélique, le baptême, l’ordre clérical ne libèrent pas, de droit divin, des dettes antérieurement contractées, comme de la dette de l’esclavage, de l’argent, du mariage. Elles ne libèrent donc pas non plus de la dette de la sujétion et de l’obéissance civile.  Avant leur cléricature, les clercs étaient soumis au pouvoir et à la juridiction des princes et des tribunaux, des juges et des magistrats séculiers.  Ils ne sont donc pas, après être devenus clercs, affranchis, de droit divin,  de leur pourvoir et de leur juridiction. »
Mais il est facile de répondre à cela.  Car au sujet des premiers-nés, Medina n’a pas prouvé que, selon la loi naturelle, ils étaient soumis aux autorités civiles.   Nous pouvons prouver, nous, qu’ils ne l’étaient pas, car ces mêmes premiers-nés avaient coutume d’être prêtres et princes,  comme l’enseigne saint Jérôme (dans les questions hébraïques, au chapitre 49 de la Genès).  Il dit que c’est une sentence commune des Hébreux, et qu’elle est exprimée par la paraphrase chaldéenne, au même endroit, dans la bénédiction de Ruben.  De plus, Moïse, auquel étaient soumis les lévites, n’était pas seulement le prince civil de tout le peuple, mais aussi grand prêtre, et plus grand qu’Aaron, par un pouvoir hors de l’ordinaire.  Voilà pourquoi le psaume 98 range parmi les prêtres Moïse et Aaron.  Nous savons également qu’Aaron a été consacré par Moïse.  Voilà pourquoi Philo atteste, dans le dernier livre de la vie de Moïse, que Moïse a été pontife, roi et législateur des Hébreux.  De quoi donc s’étonner si les lévites n’ont pas été moins soumis à Moïse qu’Aaron lui-même, puisque Moïse n’était pas moins prêtre qu’Aaron ?
Jésus a été soumis à Pilate de fait, non de droit.  Cela est certain.  Et le pouvoir  que le Christ reconnait avoir été donné d’en haut  à Pilate n’est pas un pouvoir judiciaire, mais une permission, comme l’enseignent saint Jean Chrysostome et saint Cyrille. C’est, en effet, ce que le Christ a dit lui-même : « c’est votre heure, l’heure des ténèbres. »  Et il certain qu’il faudrait se boucher les oreilles si Medina avec Marilius Paduano voulait vraiment  dire que le Christ, le Fils naturel de Dieu était soumis de droit aux pouvoirs civils.
 Le raisonnement de Medina ou ne prouve rien, ou prouve plus qu’il ne le voudrait.   Car si c’est la même chose exempter de la dette de l’esclavage ou de l’argent, et exempter de la dette de la sujétion et de l’obéissance civile, comme le souverain pontife  ne  peut pas exempter les chrétiens de la dette de l’esclavage ou de l’argent, ou du mariage sans le consentement des parties, pour ne pas paraitre commettre une injustice, de la même manière, le même souverain pontife ne pourrait pas exempter des clercs de la juridiction des princes séculiers sans leur consentement.  Or, cela est contraire à ce qu’enseignent tous les théologiens,  y compris Medina.  Ce n’est donc pas la même chose, et c’est pour cela que cet argument de Medina ne prouve rien.
La différence consiste en ceci.   Le lien qui relie le créancier et le débiteur, le maître et l’esclave, l’homme et la femme est beaucoup plus fort que celui qui relie le prince et le citoyen. Voilà pourquoi la cléricature n’exempte pas des dettes de la première catégorie; et voilà aussi pourquoi un esclave ne peut pas devenir un clerc sans avoir d’abord été affranchi par son maître, ni un époux sans le consentement de sa femme, et sans qu’elle fasse elle aussi un vœu de chasteté.  De même un débiteur insolvable ne pourra devenir clerc que si le créancier lui remet sa dette.  Mais la même cléricature exempte de la sujétion civile, et transfère le clerc dans la sujétion ecclésiale, même si le supérieur civil ne consent pas ou y répugne.  Car, chacun est libre relativement à  l’état de sa propre personne, et peur quitter le père et la mère pour vivre avec une épouse, selon la parole du Seigneur en Mattieu 19.  De la même façon, chacun a la liberté de quitter son prince ou son roi terrestre et  de passer dans le domaine du Seigneur, d’accéder à la servitude Dieu,  de se livrer totalement à un évêque dans la cléricature, ou à un abbé dans la profession monastique.
Mais Médina insiste.   La loi évangélique et le baptême n’exemptent pas un chrétien de la juridiction civile, la cléricature ne le peut donc pas, elle non plus.  Je réponds que la cléricature n’est pas du même ordre que la loi évangélique et le baptême.  La loi évangélique et le baptême, en effet, n’excluent pas la principauté civile, ils la considèrent même comme nécessaire, comme nous l’avons prouvé en son lieu contre les anabaptistes.  Mais la cléricature ou la vie monastique ne peuvent  s’acquitter parfaitement de leurs obligations que s’ils sont libres et immunes de la juridiction civile.  Et l’ordre de la nature serait renversé si les pasteurs étaient soumis aux brebis,  les parents aux fils,  les choses spirituelles aux corporelles.
Mais, tu diras qu’une injustice est commise envers les princes s’ils sont privés malgré eux du droit qu’ils avaient sur les clercs avant qu’ils le deviennent.  Je réponds qu’il ne se commet aucune injustice, car celui qui use de son droit n’est injuste envers personne.  Il ne fait qu’user de son droit celui qui choisit un état qui lui convient le mieux, même si cela entraîne qu’un maître soit privé d’un de ses sujets.  Car, si, pour une juste cause, quelqu’un établit son domicile dans une autre ville ou une autre province, il cesse d’être soumis à son prince sans lui faire aucune injustice.
Voici quelle est la dernière objection de Medina.   Il ne répugne pas à la raison que les hommes qui se sont consacrés au service de dieu et au saint ministère soient, dans les choses terrestres et civiles,  soumis au roi ou au juge séculier.   On doit donc en conclure que s’ils sont exempts, ce n’est pas de droit divin,  mais en vertu d’une concession du prince. On pourrait ajouter uneconfirmation à cet argument pour que nous n’ayons  pas l’air de chercher un subterfuge.  Car, comme le prince séculier, est une brebis dans les choses spirituelles en tant que chrétien, et est même fils de prêtres, les prêtres, au contraire, dans les choses temporelles en tant que citoyens, peuvent être appelées brebis, et, en quelque sorte, fils des princes séculiers.   De même, parce qu’il n’y a qu’une seule église contenant les clercs et les laïcs,  et que le pontife suprême est la tête de l’Église, auquel sont soumis tous les laïcs et tous les clercs, de la même manière donc parce qu’il n‘y a qu’une seule cité contenant des laïcs et des clercs, et parce que la tête de cette cité est le prince séculier, tous les sujets doivent être soumis, tant les laïcs que les  clercs, au prince séculier dans les choses qui se rapportent au bon gouvernement d’une cité.
Je réponds que cet argument prouve que l’exemption des clercs n’est pas  du droit premier de la nature, que nous avons distingué plus haut en deux degrés, mais du droit secondaire de la nature,  que l’on appelle le droit des gens, comme nous l’avons déjà dit.  Car, comme saint Thomas l’enseigne très bien (2.2. question 57, article 3), le droit premier de nature regarde une chose considérée dans l’absolu;  le droit secondaire de la nature, ou le droit des gens, regarde une chose dans son ordination à une fin, et c’est pour cela qu’il dépend du raisonnement.
 Donc, bien qu’il ne répugne pas absolument à la raison qu’un clerc  soit soumis à un prince séculier dans les choses civiles,  cela répugne à la cause finale de la cléricature et à l’accomplissement parfait de ses devoirs. Car, pour ne parler des autres choses, ce serait une honte, comme l’a noté Sotus, si un juge corrigeait un évêque, ou pouvait le punir, alors que c’est lui qui doit être corrigé et puni par l’évêque.  Et qui supporterait qu’un prêtre cite à son tribunal un juge, ou qu’un juge cite un prêtre à son tribunal ?  Toute la révérence que les laïcs doivent porter aux prêtres ne périrait-elle pas, s’ils pouvaient être ainsi convoqués de force ?
Voilà pourquoi, avant toutes les lois des princes,  le genre humain, sous la dictée de la raison,  a statué que les prêtres seraient partout exempts de la juridiction des princes laïcs.  À la première confirmation je réponds que le prince est une brebis et le fils spirituel du prêtre, mais que le prêtre n’est en aucune façon la brebis ou le fils d’un prince.  Parce que les prêtres et tous les clercs ont leur prince spirituel, qui les gouvernent non pas seulement dans les choses spirituelles, mais même dans les temporelles.   Et il ne peut pas se faire qu’on reconnaisse deux princes dans les choses temporelles, puisque selon le Seigneur, nul ne peut servir deux maîtres.
 À l’autre confirmation, je réponds que l’église est une, et qu’il ne peut pas y en avoir deux, mais que la cité, elle,  est une matériellement, mais deux formellement.  Car, l’église contient tous les chrétiens catholiques, clercs ou laïcs. Or, si quelqu’un considère l’assemblée des laïcs, non en tant qu’ils sont chrétiens, mais citoyens, cette assemblée ne peut pas être appelée une église, car on ne peut pas imaginer qu’il y ait deux églises, ou qu’elle soit moins qu’une.  Mais l’assemblée des laïcs et celle des clercs peuvent être dites des assemblées formellement différentes, car en elles, même dans les choses temporelles, les lois, les princes, les tribunaux diffèrent, même si matériellement elles ne font qu’une seule cité.
 Elles vivent, en effet, dans la même ville, jouissent de la protection d’un seul prince, qui, pour son labeur et sa sollicitude  en vue du bien commun reçoit des tributs des laïcs, et des clercs, l’aide bien supérieure  des prières publiques et des sacrifices offerts à Dieu.
 
 

Fichier placé sous le régime juridique du copyleft avec seulement l'obligation de mentionner l'auteur de la première édition de cette première traduction en français des Controverses de Saint Robert Bellarmin : JesusMarie.com, France, Paris, 18 mars 2019.